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M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Madame la ministre, j'ai déjà eu l'occasion de vous interroger à plusieurs reprises sur ce dossier. Vous vous étiez engagée, à la Chambre et au Sénat, à demander à l'Institut Pasteur d'effectuer une étude épidémiologique sur la crise du Cidex. Pouvez-vous me dire où en est cette étude ? Est-elle terminée ? Quand sera publié ce rapport et sur quoi porte-t-il exactement ? Quel est son objectif vis-à-vis de la collectivité ?
L'enquête épidémiologique se limitant aux éléments techniques, le gouvernement n'envisagerait-il pas une autre enquête afin de savoir comment un tel incident a pu se produire ?
La firme Johnson & Johnson a-t-elle participé à cette enquête ?
On s'est beaucoup focalisé sur le risque d'hépatites, celui de sida étant négligeable, comme vous l'avez dit vous-même. Mais n'y a-t-il pas également un risque d'infections bactériennes ? Si oui, est-il quantifiable ? A-t-on cherché à le déterminer ?
Que sont devenus les bidons contenant au total plusieurs milliers de litres de Cidex, ceux qui ont été repris par Johnson & Johnson, ?
Avez-vous demandé la saisie d'un quelconque bidon du lot afin d'effectuer des analyses indépendantes ?
La Belgique a-t-elle pris contact dès le début de la crise avec les autres États membres de l'Union européenne pour vérifier si aucun bidon du lot n'a été diffusé dans d'autres États ?
Connaît-on le nombre exact de personnes concernées ? Quelles mesures ont été prises afin de s'assurer qu'un maximum d'entre elles aient pu être rappelées ?
Qu'en est-il de l'indemnisation ? Y a-t-il un accord sur la prise en charge des prises de sang et des éventuels tests supplémentaires par Johnson & Johnson ? Pour quel montant ? Ce contrat lie-t-il chaque hôpital à Johnson & Johnson ou, au contraire, lie-t-il globalement la Santé publique à la firme ?
À plusieurs reprises, celle-ci s'est déclarée prête à indemniser les patients atteints d'une hépatite à la suite de l'affaire du Cidex, sans devoir apporter le lien de causalité. Les autorités publiques savent-elles comment sera confirmée la causalité ? Un comité d'experts sera-t-il désigné ou les autorités publiques considèrent-elles qu'il s'agit d'une affaire purement privée entre une société de droit privé et des particuliers ?
La prise en charge des frais pour les hôpitaux et les patients, notamment les déplacements, annule-t-elle toute possibilité de recours par l'État ou les hôpitaux ?
Certaines victimes auraient reçu des chèques nominatifs signés par un employé de la firme Johnson & Johnson ? Cette procédure est-elle accessible à l'ensemble des personnes concernées ?
Je me demande également si, dans cette affaire, on n'aurait pas dû faire appel aux commissions médicales provinciales, lesquelles sont, je crois, compétentes en la matière ?
Enfin, quelles leçons tirez-vous de cette affaire, notamment en matière de rappel des produits et de surveillance des personnes concernées ?
M. Georges Dallemagne (PSC). - Je suis déjà intervenu au mois de juin pour évoquer cette contamination. Depuis lors, j'ai été régulièrement contacté par des personnes ou des proches de personnes potentiellement contaminées par une maladie infectieuse ou concrètement infectées par des agents bactériens à la suite d'interventions médicales pratiquées au moyen d'instruments nettoyés avec les lots de Cidex défectueux. Ces témoignages reflètent l'inquiétude et l'impuissance ressenties par les personnes en cause face à l'administration, au corps médical, aux hôpitaux et à la firme Johnson & Johnson. L'indignation se manifeste surtout à l'égard de l'attitude adoptée par Johnson & Johnson qui, semble-t-il, dispose de moyens publicitaires, financiers et d'information considérables et s'érige de plus en plus en coordonnatrice du suivi de cette affaire, déséquilibrant de cette manière toute tentative de négociation à propos de la reconnaissance des responsabilités.
Je me demande s'il ne serait pas judicieux d'instaurer un principe de responsabilité objective dans le chef de sociétés responsables de l'injection dans le circuit de produits impropres. Dans cette hypothèse, toute personne en mesure d'établir qu'elle aurait été en contact avec un produit défectueux serait en droit de demander directement au producteur une indemnisation des dommages qu'elle aurait pu subir, tels les examens de vérification et les frais relatifs aux maladies d'origine infectieuse. Une société pharmaceutique qui refuserait d'indemniser les victimes devrait établir l'absence de lien causal entre erreur de production ou de distribution et dommages subis, la charge de la preuve lui incombant. Ce système de responsabilité objective n'est évidemment pas une idée nouvelle mais il permettrait de rétablir l'équilibre des forces entre producteurs et victimes potentielles.
Je voudrais par ailleurs obtenir des précisions quant au suivi épidémiologique des infections dues aux agents bactériens banaux, résultant de la mise sur le marché de lots de Cidex défectueux, détectés dans les hôpitaux.
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - L'étude épidémiologique est en cours. Nous avons prié les hôpitaux de rappeler les patients concernés par la problématique du Cidex afin d'effectuer les analyses recommandées le 10 mai 2000 par le Conseil supérieur de l'hygiène. La date limite pour effectuer cette première série de tests avait été fixée au 30 juin 2000. Le rapport relatif aux résultats de ces analyses a d'abord été transmis à la cellule médicale de vigilance et d'évaluation. Il a ensuite été communiqué à l'institut scientifique de santé publique Louis Pasteur, chargé d'effectuer une recherche épidémiologique à échelle nationale sur l'affaire Cidex.
Le Conseil supérieur de l'hygiène a stipulé que la deuxième série de tests devait être réalisée six mois après la dernière utilisation possible des bidons Cidex - lot 0001 - incriminés, étant donné le temps d'incubation de certaines infections virales. Il est donc prématuré de rapporter les résultats de cette étude épidémiologique. A propos de la réalisation de la seconde série de tests, la situation est variable. Certains hôpitaux ont entrepris les tests en septembre, d'autres sont en train de réaliser les analyses, alors qu'un dernier groupe convoque actuellement les patients concernés par la problématique.
Le rapport préliminaire reprenant les résultats de la première série de tests est en voie de finalisation. Certains hôpitaux n'ont toujours pas envoyé leur rapport. A l'examen des premiers résultats dont nous disposons, il apparaît que la prévalence de la séropositivité attribuée à l'hépatite B est égale à celle observée pour l'ensemble de la population. Il subsiste néanmoins des difficultés, nonobstant cette donnée rassurante. A cet égard, je suis très embarrassée par l'absence de réaction de certains hôpitaux. Par ailleurs, des hôpitaux ont mentionné des chiffres relatifs au nombre total d'infections sans avoir vérifié s'il s'agissait d'infections anciennes ou nouvelles. Enfin, des hôpitaux ont fait part de cas d'infections nouvelles après avoir fait des recherches dans les dossiers.
Il apparaît difficile d'établir un lien de causalité entre les infections et l'utilisation du produit incriminé. Néanmoins, pour la deuxième série de tests, l'Institut Scientifique se charge d'envoyer aux hôpitaux un questionnaire dans lequel il est clairement demandé, en cas de test positif, si le résultat était déjà connu auparavant afin de déterminer les cas de séroconversion.
Le rapport épidémiologique définitif sera présenté dans le courant du premier trimestre 2001.
Son objectif vis-à-vis de la collectivité est d'établir s'il y a eu des infections susceptibles d'avoir un lien avec l'incident.
La firme Johnson & Johnson nous a confirmé que les recommandations émises le 10 mai 2000 par le Conseil Supérieur d'Hygiène font autorité.
Johnson & Johnson Medical s'est engagé à rembourser les tests effectués chez les patients dont on peut admettre de manière raisonnable qu'ils ont été traités au cours de la période du 11 février au 10 mai 2000 avec des instruments et du matériel qui ont été en contact avec le lot 0001Cidex.
Un règlement pratique a été mis au point en accord avec la firme concernée.
Une circulaire a été envoyée aux hôpitaux à ce sujet.
Vous m'avez demandé si nous avions contacté d'autres pays européens pour savoir s'ils avaient également reçu des bidons incriminés ; je puis vous communiquer les informations suivantes. Nous savions dès le début que le lot en question n'avait été distribué que dans deux pays européens, à savoir la Belgique et les Pays-Bas. Durant toute la période de gestion de cette affaire, nous avons été en contact non seulement avec les Pays-Bas mais également avec la Commission européenne. C'est ainsi que nous avons pris un certain nombre d'initiatives concernant ce que l'on considère comme du matériel supplétif dans le cadre médical, dont une partie relevait antérieurement du secteur médicaments. Par exemple, avant 1995, le Cidex était considéré comme un médicament, ce qui n'est plus le cas : il tombe maintenant sous des systèmes de contrôle différents.
Venons-en à présent à ce qui était prévu en matière de remboursement des tests.
La firme Johnson & Johnson rembourse à chaque hôpital les frais liés au problème précité, y compris les coûts des analyses ainsi que mentionné dans la circulaire du 10 mai 2000 du Conseil Supérieur d'Hygiène.
Les tarifs de remboursement sont les suivants :
1°) Les prestations pour biologie clinique doivent être facturées conformément à la nomenclature AMI, c'est-à-dire l'honoraire à 25% augmenté de l'honoraire forfaitaire, y compris l'intervention du patient. Donc, les recommandations communiquées aux hôpitaux concernés précisaient clairement que le ticket modérateur ne devait pas être appliqué au patient.
2°) Un remboursement est également prévu en ce qui concerne les frais administratifs de l'hôpital, notamment ceux exposés pour convoquer les patients. Ces frais concernent notamment le courrier envoyé aux patients et aux médecins traitants, les heures prestées par le secrétariat, l'hygiène hospitalière, etc.
Divers montants forfaitaires ont été proposés pour couvrir les frais administratifs : 2000 francs pour les 250 premiers patients, 1.850 francs du 251ème au 500ème patient et 1.700 francs à partir du 501ème patient.
Par ailleurs, les frais, directement supportés par les patients - entre autres les frais de déplacement - sont également indemnisés sous forme d'un montant forfaitaire. On prévoit, à cette fin, un montant de 2 000 francs par patient.
Pour ce qui est du mode de facturation, les hôpitaux envoient leurs factures à la firme Johnson & Johnson.
Quant au type d'examens biologiques pris en charge par la firme Johnson & Johnson, il s'agit spécifiquement de :
1°) Pour la période à partir du jour où l'hôpital a utilisé pour la première fois Cidex lot 0001, jusqu'au jour où les recommandations du Conseil supérieur d'Hygiène ont été diffusées, tous les coûts des examens effectués à la demande des hôpitaux dans le cadre de la problématique liée à l'utilisation du Cidex seront pris en charge.
2°) À partir de la diffusion des recommandations du Conseil supérieur d'Hygiène du 10 mai 2000, seuls les examens recommandés suivants seront pris en charge : les tests sérologiques HBs Ag, HBc Ac, HCV Ac, et cela, éventuellement à deux reprises par patient, afin de tenir compte de la fenêtre sérologique ; les examens en vue du dépistage de la tuberculose chez les patients répondant aux critères définis par le Conseil supérieur d'Hygiène. En tout état de cause, les sérums des patients examinés devront être conservés pour d'éventuels examens complémentaires ultérieurs.
L'Inspection générale de la Pharmacie a fait enquête auprès de la firme pour savoir comment le défaut de fabrication du lot de Cidex a pu se produire. Nous avons reçu une explication détaillée ainsi qu'une description complète des mesures prises pour éviter qu'un tel incident se répète. Les contrôles de concentration sont maintenant effectués quotidiennement, et en tout cas à chaque début de production. Pour rappel, l'accident s'est produit le 1er janvier, jour de reprise des activités.
Lors de cette enquête, la firme Johnson & Johnson a fourni toutes les informations demandées. Elle a, pour aboutir aux nouvelles procédures de production et de contrôle, entièrement revu les procédures existantes, identifié les problèmes et modifié les instructions de fabrication et de contrôle en conséquence.
La firme Johnson & Johnson a participé à certaines discussions mais n'a en aucune manière participé à la réalisation de cette enquête.
Le risque d'infections bactériennes existe bel et bien. Cependant, elles sont plus facilement et plus rapidement détectables - temps d'incubation moins long - et sont aisément traitables par antibiotiques. Bon nombre de ces infections ont certainement été traitées par antibiotiques sans qu'un lien ait pu être établi avec le problème du Cidex. Pour ces raisons, le Conseil supérieur d'Hygiène n'a pas jugé opportun de les rechercher. Par ailleurs, les pathogènes en question sont, pour la plupart, rapidement éliminés par le simple nettoyage à l'eau savonneuse. Aucun cas d'infection bactérienne lié au problème ne nous a été signalé. Concernant la tuberculose, la période d'incubation est effectivement plus longue. Le risque de transmission est faible, mais non nul. Cependant, il s'agit d'une maladie généralement plus facile à traiter, et des recommandations spécifiques à ce problème ont été transmises aux hôpitaux.
Les bidons de Cidex du lot défectueux repris par Johnson & Johnson ont été mis en quarantaine pour analyse. La firme a pris toutes les mesures nécessaires pour que ces bidons ne soient plus redistribués.
Toujours est-il qu'à partir du moment où les tests effectués par certains laboratoires de nos propres hôpitaux ont révélé l'existence du problème, nous avons pu constater le degré de concentration propre à un certain nombre de bidons. Bien entendu, nous n'avions pas les résultats globaux puisque, dès l'annonce du problème, tous les hôpitaux ravitaillés par le lot incriminé ont été invités à rendre les bidons.
L'Inspection générale de la Pharmacie a prélevé des flacons du lot dans des hôpitaux et les a transmis pour analyse à l'Institut scientifique de la Santé publique Louis Pasteur de façon à confirmer le problème relatif au lot concerné.
L'Inspection générale de la Pharmacie a envoyé, le 3 mai 2000, à toutes les autorités compétentes de la Communauté Européenne, un rapport sur cet incident mentionnant le numéro du lot incriminé afin que ces autorités puissent vérifier s'il n'était pas présent sur leur marché.
Près de 30.000 personnes sont concernées par ce problème. Les patients demeurent libres de se rendre aux examens, ou non, et il n'y a aucune obligation de leur faire subir des tests.
Le rôle et l'intervention de l'administration au sujet de l'indemnisation n'est pas de fixer des règles et obligations contraignantes aux parties. Nous nous limitons à intervenir auprès de la firme concernée sur laquelle nous avons fait pression afin d'obtenir le système de remboursement mis en place. Nous estimions que notre devoir principal était de contrôler que tous les lots étaient évacués. Ensuite, il fallait faire en sorte que tous les coûts soient pris en charge. Enfin, la firme en question devait assurer la réorganisation nécessaire pour que de tels accidents ne puissent plus se produire.
Les examens à effectuer chez les patients se révélant séropositifs pour les pathologies concernées, et réalisés afin de démontrer une éventuelle relation de cause à effet avec l'utilisation du produit devront être définis et pris en charge dans le cadre d'une éventuelle action en responsabilité civile. Dès que nous disposerons de preuves, nous ferons le nécessaire.
Comme il a été dit précédemment, il apparaît très difficile de pouvoir établir un lien de causalité entre les cas d'infection et la problématique du Cidex.
De plus, comme le précise la circulaire du 23 mai 2000, le rôle de l'administration à ce sujet consiste surtout à faire en sorte que les acteurs agissent correctement. Nous pensons avoir donné les instructions nécessaires pour y arriver.
La prise en charge des frais n'exclut en aucune manière une possibilité de recours. Les hôpitaux et les patients sont entièrement libres d'entamer une procédure judiciaire classique à l'égard de la firme, en vue d'un quelconque dédommagement. Il faut noter, comme cité précédemment, que l'administration a bel et bien transmis le dossier au Parquet, à toutes fins utiles.
Il est exact que certains hôpitaux, en raison de difficultés financières, ne pouvaient payer directement les 2000 francs aux patients avant d'avoir été remboursés par la firme. En accord avec le ministère, la firme s'est donc engagée à payer les patients via un chèque nominatif. Ceci ne concernait néanmoins que deux hôpitaux.
Les inspecteurs d'hygiène provinciaux, les secrétaires des commission médicales provinciales, ayant été fortement impliqués dans la préparation de l'Euro 2000, dans la période de mai à juillet 2000, il est apparu naturel de charger, dans un premier temps, la cellule médicale de vigilance et d'évaluation de gérer les aspects sanitaires, en collaboration avec l'Inspection générale de la Pharmacie.
Ensuite, l'Inspection générale de la Pharmacie ayant transmis le dossier au Parquet, il n'a pas été jugé nécessaire d'impliquer également les commissions médicales dans cette affaire.
Cette problématique a démontré qu'il était indispensable que les utilisateurs de dispositifs médicaux signalent les incidents aux autorités, comme la loi les y oblige, parce que cela peut leur donner une vision plus exacte des incidents et peut faire gagner un temps considérable.
Les rappels de produits sont surveillés par les autorités, mais ils doivent davantage être suivis d'inspections sur le terrain si des problèmes sont constatés.
En matière de surveillance des patients, le ministère peut émettre des recommandations, par exemple par des circulaires, à destination des hôpitaux et des médecins, mais ne peut en aucun cas adopter une attitude contraignante vis-à-vis des médecins ni intervenir directement auprès des patients.
En ce qui concerne l'application de la directive 93/42/CEE relative aux dispositifs médicaux, je suis intervenue au cours de la réunion des ministres de la Santé publique du 29 juin 2000 afin que la Commission procède à une évaluation du fonctionnement de la directive susmentionnée et prenne, le cas échéant, l'initiative de sa révision. Je puis vous dire que l'Angleterre a félicité la Belgique pour les démarches entreprises. Elle a d'abord alerté la Commission ; ensuite, elle s'est adressée aux autorités britanniques. Notre pays est le seul à avoir mis sur pied cette étude épidémiologique qui est encore en cours.
Les questions suivantes doivent être analysées par rapport à la directive existante :
Faut-il maintenir la définition et la classification des dispositifs médicaux tels qu'ils sont retenus actuellement ?
Quels sont les critères de désignation des organismes notifiés ? Là aussi, on constate parfois un manque de contrôle.
En ce qui concerne le renforcement du système de contrôle, pourquoi ne pas reprendre, dans la directive, les dispositions des lignes directrices et permettre, à cette occasion, de mettre fin à l'ambiguïté du terme « quasi incident » et de raccourcir les délais de notification.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Vous allez sans doute me dire, madame la ministre, que je fais preuve d'acharnement concernant ce dossier, étant donné que c'est la troisième fois que je vous interroge à ce sujet. Cependant, vos réponses semblent préparées par des conseillers et, dans un certain nombre de cas, s'apparentent un peu à la langue de bois.
Dès ma première demande d'explications, j'ai insisté pour que l'on sache de façon très exacte le nombre de personnes concernées. Vous nous avancez aujourd'hui un chiffre de près de trente mille cas. Or, pour un incident de ce type, on doit avoir un nombre précis à l'unité près, puisque les cas des personnes ayant subi une endoscopie avec du Cidex sont répertoriées dans les hôpitaux. Je ne comprends pas que six mois après les faits, on ne dispose toujours pas de ce nombre précis.
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Sans doute n'avez-vous pas entendu que certains hôpitaux n'avaient pas transmis les informations.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Vous savez quand même avec précision le nombre de cas dans les hôpitaux qui vous ont transmis les informations ! Précédemment, vous avez parlé de 50.000 cas et, aujourd'hui, ce chiffre est de 30.000. Dites-nous quels sont les hôpitaux qui ne vous ont pas transmis les informations. Vous avez refusé de rendre publique cette liste en disant que ce n'était pas une donnée publique et que vous ne vouliez pas créer de panique. J'insiste pour que vous rendiez publique la liste des hôpitaux qui n'ont pas répondu à vos demandes, ce qui est d'ailleurs tout à fait anormal.
Ensuite, vous nous annoncez un rapport définitif pour le premier trimestre 2001. Je vous demande de rendre publique la première partie du rapport puisque cette étude, avez-vous dit, est sur le point d'être terminée. Je vous demande aussi de nous rendre un rapport avant le premier trimestre de 2001, de faire des rapports d'étape un peu plus précis que ce que vous annoncez pour 2001. Si je vous comprends bien, nous n'aurons rien avant cette date.
Quant à la réponse sur les infections bactériennes, j'ignore qui l'a rédigée mais, franchement, c'est de la langue de bois ! Plusieurs médecins siègent au Sénat. Venir leur dire que ces infections peuvent être traitées par antibiotiques, qu'elles sont bénignes, c'est vraiment ne pas savoir ce qu'est une infection bactérienne et ignorer le type de conséquences qu'elle peut avoir, notamment dans le cas d'une endoscopie digestive, avec des possibilités de septicémie. J'ignore à qui il faut adresser des reproches - au ministère, au Conseil supérieur d'hygiène, à l'institut Pasteur ou à Johnson & Johnson - mais il est inacceptable qu'on n'ait pas cherché à mener également une étude épidémiologique sur les affections bactériennes.
En ce qui concerne le remboursement, je m'interroge quant au fait qu'il soit proposé un montant de 2.000 francs pour certains patients et de 1.700 francs à partir du 501ème patient. Je constate que vous confirmez l'absence d'homogénéité dans la procédure de remboursement puisque les personnes qui ont contacté directement Johnson & Johnson ont été remboursées par ce laboratoire. La majorité des 30.000 personnes ignorent qu'elles ont droit à 2.000 francs. Or, un très grand nombre d'hôpitaux n'ont pas donné cette somme. En fait, il n'y a ni information, ni standardisation, ni remboursement effectif des 2.000 francs que vous nous annoncez.
Vous nous dites que la firme Johnson & Johnson n'a pas été impliquée dans l'enquête épidémiologique. C'est très bien, mais sur le plan de la causalité de l'incident - je vous avais déjà interrogée en juillet à ce propos - vous vous contentez des informations de Johnson & Johnson. Je vous avais déjà reproché cette attitude en juin et en juillet. Comment est-il possible que vous n'ayez pas cherché à disposer d'une enquête indépendante de la firme ? Vous dites que nous sommes le seul pays à avoir réalisé une enquête mais, par ailleurs, vous affirmez que seuls les Pays-Bas et la Belgique sont concernés. Les autorités néerlandaises se sont rendues en Angleterre à l'invitation de Johnson & Johnson pour y visiter l'usine qui fabrique le Cidex, alors que les autorités belges n'ont pas jugé nécessaire de le faire.
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Mais si.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Vous êtes allée en Angleterre visiter la firme Johnson & Johnson ?
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Un collaborateur de mon cabinet s'est rendu sur place et je l'ai déjà dit voici quelques mois.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Je vous remercie de cette réponse inédite, mais vous ne l'avez pas dit quand je vous l'ai demandé à l'époque. Dans votre intervention, vous avez clairement affirmé aujourd'hui que la firme Johnson & Johnson avait donné toutes les garanties de causalité.
Enfin, j'en viens au dernier point à propos du lien de causalité et la responsabilité civile. Je crois qu'il y a réellement un problème. Si l'on ne peut pas prouver qu'il s'agit, ou non, d'une contamination récente et s'il y a doute, on est obligé, si l'on veut avoir le sens de la responsabilité médicale et morale, de considérer que le lien de causalité existe, même s'il n'a pas pu être prouvé. Si on peut prouver par un ancien test que la contamination était déjà présente, le lien de causalité n'est pas établi. A partir du moment où on ne peut pas faire référence à un ancien test pour une personne qui a été concernée par l'affaire du Cidex, il est nécessaire d'indemniser celle-ci autrement que par le système prévu.
En conclusion, je ne sais pas si la faute vous incombe en tant que ministre, mais je constate que notre système de santé n'est pas équipé pour faire face à un incident massif de ce type. Vous avez fait référence à l'Eurofoot : trente mille personne, cela représente un petit stade de football plein de spectateurs. Je suis persuadé que des enquêtes plus détaillées et plus poussées auraient pu être réalisées. Si les faits s'étaient passés aux Etats-Unis, une institution comme les Centers for disease-control aurait effectué un autre type d'enquête beaucoup plus rapidement et l'opinion publique aurait été informée dans des délais beaucoup plus courts de la réalité de cette affaire. Je constate que six mois plus tard on n'est pas plus amplement informé au sujet du nombre de victimes.
Enfin, vous dites que les personnes convoquées n'ont pas l'obligation de se rendre dans les hôpitaux, mais j'estime qu'il y a une obligation de les rechercher ! Dans plusieurs cliniques, on a envoyé des lettres aux personnes que l'on a retrouvées dans les fichiers, mais il y a eu des retours de courrier, des immigrés qui sont rentrés chez eux, des personnes dont on a perdu la trace. Si une personne qui a reçu la lettre ne répond pas, c'est sa responsabilité, mais j'estime que celle des autorités publiques et des hôpitaux est de rechercher activement ces personnes. Si une seule d'entre elles a une hépatite C ou B à cause de Johnson & Johnson, elle court un risque de souffrir d'un cancer du foie. Aussi longtemps que l'on ne sera pas certain que tous les patients concernés ont été recherchés activement et testés, cette affaire ne sera pas terminée.
M. Georges Dallemagne (PSC). - Hormis le ton, je partage en grande partie les préoccupations de mon confrère. Un élément m'a particulièrement choqué. Je pense que le problème des infections bactériennes, notamment par les staphylocoques, streptocoques, pseudomonias, etc., est très préoccupant parce que toute une série de personnes ayant subi ces examens endoscopiques sont, par définition, des personnes qui sont dans un état de fragilité, qui sont immunodéprimées et qui, dans un certain nombre de cas, vont décéder de cette ou ces infections. Il y a donc des infections bactériennes avec des germes courants, que l'on retrouve classiquement dans les hôpitaux. Il est exact qu'il y a un risque supplémentaire lorsqu'on effectue un examen endoscopique avec des solutions de Cidex insuffisamment concentrées. C'est décrit dans la littérature et cela a donc existé. Statistiquement, parmi les trente mille personnes, il y a probablement des dizaines de cas.
Donc, vos affirmations suivant lesquelles les faits ne peuvent être prouvés ne peuvent être prises en compte : il existe des registres, dans toutes les salles de chirurgie et dans tous les départements chirurgicaux en Belgique, permettant d'identifier après examens, quelles ont été les infections. On peut donc trouver très facilement quel a été le risque supplémentaire encouru par des personnes confrontées à ces solutions-là pendant une période déterminée et quelles pathologies elles ont développées. Et l'on peut savoir s'ils ont survécu ou pas. Il s'agit d'une enquête épidémiologique facile à réaliser. Ne pas le faire constitue un manquement extrêmement grave.
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Je tiens tout d'abord à souligner que je ne peux donner que les informations dont je dispose. Et dans la mesure où certains hôpitaux n'ont pas encore répondu, je ne puis pas fournir de chiffres définitifs.
Bien entendu, on poursuit le travail au niveau de l'administration et j'ai clairement dit qu'on a pu constater que certaines choses avaient été faites de façon erronée et qu'il fallait les corriger. Cet élément peut encore influencer le nombre de personnes concernées. Le travail doit donc être poursuivi.
Par ailleurs, je n'ai pas l'intention de publier la liste des hôpitaux qui n'ont pas répondu. Je n'ai, en effet, pas la preuve qu'ils refusent de donner les informations. Je vais demander à l'administration d'insister pour que les réponses nous parviennent dans des délais très brefs.J'estime qu'il n'est pas légitime, sur la base d'un éventuel retard administratif, de publier une listes d'hôpitaux qui seraient par la suite considérés comme de mauvais établissements. Il importe surtout qu'ils aient fait le travail au niveau des patients.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Mais vous estimez qu'il est normal que six mois plus tard, on ne sache toujours pas combien de personnes exactement sont touchées ?
Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Pardon, Monsieur, je n'ai pas dit que je trouvais cela normal. Je vous décris la situation à laquelle je suis confrontée, c'est tout. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour obtenir des résultats.
Quant à l'étude épidémiologique, je n'ai pas dit que dès que la première partie serait terminée, je ne la rendrais pas publique. Bien entendu, je la rendrai publique et je l'ai déjà annoncé à certaines associations de malades. J'ai dit que je rendrais cette étude publique parce que la population a droit à ces informations. Je n'attendrai pas le premier trimestre, époque à laquelle je disposerai du rapport définitif. J'estime toutefois que je devais vous annoncer que, compte tenu de la longue période d'incubation, il y a un deuxième tour et que ce n'est qu'à la suite de ce deuxième tour que nous pourrons produire le rapport définitif. Étant donné que, comme je l'ai expliqué, depuis septembre les deuxièmes tests sont en cours, comment voulez-vous que nous fassions plus vite ?
En ce qui concerne la problématique bactériologique, je prends note de vos réactions et je demanderai des informations supplémentaires. J'ai reçu une réponse ce matin et je n'ai donc pas pu la vérifier. J'examinerai cette question.
À propos du remboursement des patients, j'ai l'impression, Monsieur Destexhe, que vous faites erreur quand vous dites qu'il y a des différences dans le montant du remboursement selon le nombre de patients. Il faut faire la distinction entre le remboursement des patients pour les tests subis, dont on a dit qu'ils seraient gratuits, y compris le ticket modérateur payé par Johnson et Johnson, le forfait de l'ordre de 2000 francs, égal pour tout le monde, et le remboursement de frais administratifs dans le chef de l'hôpital concerné. La différence existe au niveau des frais administratifs et je l'ai expliqué mais je crois que parfois vous n'entendez pas ce qu'on dit !
Enfin, j'ai été interrogée plusieurs fois à la Chambre et au Sénat, et j'ai toujours fourni l'information dont je disposais au moment des demandes d'explications. Je suis donc sûre d'avoir affirmé qu'un membre de mon cabinet s'était rendu sur place pour examiner la situation. Je ne sais plus si j'ai fait cette déclaration à la Chambre ou au Sénat. De toute manière, je suis heureuse de pouvoir vous le répéter aujourd'hui.
Dans un état de droit, même si d'un point de vue moral on aimerait procéder autrement, on ne peut changer ainsi les règles de droit. Avec les trois autres ministres concernés, je travaille actuellement à un nouveau système d'assurances des fautes médicales, inspiré par celui des pays nordiques et qualifié parfois de système no-fault parce qu'il évite de devoir apporter la preuve de la causalité entre la faute et la maladie. L'obtention d'une telle preuve est extrêmement difficile et son défaut empêche souvent le malade d'obtenir un dédommagement même après une poursuite devant les tribunaux. Nous cherchons à instaurer un système qui se base sur un modèle no-fault mais laisse au patient la possibilité d'ester en justice, s'il l'estime utile ou nécessaire. Ce que je ne puis faire c'est, étant donné la législation actuelle, décider que les assurances doivent payer dans le cas du Cidex.
Je ne puis manipuler le droit même en vue d'atteindre les objectifs politiques les plus nobles.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Mais rien ne s'oppose, dans la législation, à ce qu'on négocie une intervention financière dans le cadre d'une relation contractuelle.
-L'incident est clos.