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Mme la présidente. - M. Olivier Deleuze, secrétaire d'État à l'Énergie et au Développement durable, répondra.
M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Ma question concerne l'affaire Fehriye Erdal, militante du parti d'extrême gauche DHKP-C, qui a été arrêtée en compagnie de deux personnes lors d'une perquisition dans un appartement de Knokke. De nombreuses armes sont trouvées sur les lieux. Elle est soupçonnée de vol, de recel et de détention d'armes. Cette dame est également accusée d'avoir participé dans son pays d'origine à l'assassinat d'au moins une personne voire, selon les autorités turques, de plusieurs personnes.
La Belgique refuse d'extrader cette personne vers son pays d'origine pour les raisons que l'on connaît. Depuis, elle a été libérée et, si mes informations sont exactes, assignée à résidence. On ne sait toutefois pas clairement si elle sera ou non jugée en Belgique.
Je profite de cette occasion, quels que soient les faits qui lui sont reprochés et quelle que soit la position juridique vis-à-vis de l'extradition de cette personne en Turquie, pour m'étonner des nombreuses actions de solidarité dont cette dame bénéficie dans certains milieux, notamment nationalistes, étant donné les graves accusations qui pèsent sur elle en Belgique comme en Turquie.
J'aimerais connaître l'attitude générale de la Belgique par rapport à des étrangers qui sont accusés de faits criminels tant en Belgique que dans leur pays d'origine et pour lesquels il existe un dossier pénal à charge. En outre, le refus d'extradition de Fehriye Erdal impose à mon sens à la Belgique l'obligation de la poursuivre en fonction de l'article 6 de la Convention de Strasbourg, qui précise clairement cette obligation. Je ne sais pas si c'est le cas actuellement. J'aimerais donc connaître vos intentions en la matière pour que la justice soit rendue dans ce cas précis.
M. Olivier Deleuze, secrétaire d'État à l'Énergie et au Développement durable. - Je suis malheureusement obligé de m'en tenir au texte qui m'a été transmis par M. Verwilghen. Je vous prie de l'excuser : il était dans l'impossibilité d'être présent cet après-midi.
La question que vous lui posez sur ses intentions en ce qui concerne cette affaire et en particulier sur l'application éventuelle de l'article 6 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme a déjà fait l'objet, comme vous pouvez l'imaginer, d'un examen approfondi au sein du gouvernement et d'une consultation des autorités judiciaires. La situation est la suivante : l'article 6 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 impose aux États parties d'établir leurs compétences pour les infractions terroristes les plus graves qui sont visées à l'article premier de la Convention. Il s'agit notamment des détournements d'avion, des attentats contre des ministres ou d'autres représentants d'un État, des prises d'otages, des attentats à la bombe. L'établissement de cette compétence est nécessaire pour permettre l'application du principe aut dedere aut judicare. Ce principe, prévu à l'article 7 de la Convention, impose à la Belgique, pour les seules infractions visées à l'article 1er, soit d'extrader la personne vers l'État qui en demande l'extradition, soit de soumettre l'affaire aux autorités judiciaires belges qui doivent dès lors être compétentes. En application de cette obligation, la Belgique a donc établi sa compétence à l'égard des infractions visées à l'article 1er de la Convention dans le cas où l'extradition de la personne n'est pas accordée. C'est l'article 2 de la loi du 2 septembre 1985. Toute la question est ici de savoir si les faits reprochés à Mme Erdal entrent ou non dans le cadre de l'article 1er de la Convention.
Il s'agit en l'occurrence d'une participation à l'assassinat d'un homme d'affaires et de deux employés perpétré à l'aide d'une arme qui n'est pas automatique. Or, ce type de fait n'est couvert par l'article 1er de la Convention que si l'arme utilisée est automatique. La raison de la distinction faite par les auteurs de la Convention est que les armes automatiques sont de nature à toucher de façon indistincte un grand nombre de personnes et que leur usage est donc d'un degré de gravité plus élevé. Dans la mesure où il n'est pas établi qu'une arme automatique a été utilisée pour commettre l'infraction, les faits tombent hors du champ d'application de l'article 1er de la Convention. La conséquence juridique qui en résulte de façon incontestable est que les juridictions belges dont la compétence extraterritoriale n'a été étendue par le législateur que pour les infractions prévues à l'article 1er sont actuellement incompétentes pour exercer des poursuites sur cette base. Les seules poursuites qui peuvent être menées, et qui le sont effectivement, sont celles qui sont relatives aux faits commis en Belgique.
Je conclurai au nom du ministre de la Justice en disant que le gouvernement est bien conscient de la difficulté juridique qui se pose. J'attire votre attention sur le fait que mon collègue de la Justice a récemment soumis au conseil des ministres un avant-projet de loi qui vise à insérer un article 10.6° nouveau dans le titre préliminaire du Code de procédure pénale. Cette disposition a pour but d'élargir pour l'avenir la compétence extraterritoriale du juge belge à l'égard des infractions terroristes. Le texte est actuellement soumis pour avis au Conseil d'État.
Pour ce qui est de la situation administrative actuelle de Mme Erdal en Belgique, mon collègue de l'Intérieur a répondu la semaine dernière à plusieurs questions jointes à ce sujet. M. Duquesne a rappelé les différentes étapes de la procédure administrative concernant Mme Erdal et je vous renvoie à ses réponses. Je me bornerai à rappeler au nom de mon collègue de la Justice que le ministre de l'Intérieur a décidé en date du 16 août 2000, pour des motifs humanitaires, de mettre fin à la mise à disposition du gouvernement et d'assigner dorénavant Mme Erdal à résidence dans l'attente tant des suites de la procédure poursuivie devant le Conseil d'État que de l'enquête judiciaire pour les faits de Knokke. La position de mon collègue de l'Intérieur est que Mme Erdal représente toujours un danger incontestable pour l'ordre public et la sécurité nationale et qu'elle doit de ce fait être assignée à résidence jusqu'à l'issue des procédures.