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Belgische Senaat

Parlementaire handelingen

WOENSDAG 21 JUNI 2000 - OCHTENDVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van de heer Georges Dallemagne aan de vice-eerste minister en minister van Buitenlandse Zaken over «de gevechten in Kisangani» (nr. 2-167)

M. Georges Dallemagne (PSC). - Les guerres du Congo se poursuivent dans la quasi-indifférence et auraient fait, ces trois dernières années, selon un récent rapport de l'ONU, près d'un million sept cent mille morts. Les combats concernent essentiellement la prise de villes par des forces étrangères au Congo, villes dont le contrôle est surtout motivé pour permettre des trafics, des activités lucratives et poursuivre le dépeçage d'un pays dont le martyr de la population s'aggrave de jour en jour. Une grande exposition de Médecins sans frontières s'ouvre d'ailleurs aujourd'hui à Bruxelles pour en témoigner.

La bataille de Kisangani est le dernier avatar d'un conflit où les alliés d'hier n'ont eu aucune retenue pour engager l'un contre l'autre des combats féroces dont les victimes sont essentiellement civiles. Le droit humanitaire est encore une fois bafoué et les armées d'Ouganda et du Rwanda ont commis des violences qui peuvent être qualifiées de crimes de guerre, notamment le bombardement sans discrimination d'une population civile, piégée et choquée.

Médecins sans frontières a fait part de sa profonde inquiétude par rapport à la situation humanitaire à Kisangani. Dans un communiqué publié jeudi, la branche belge de l'organisation humanitaire a indiqué que la population civile avait subi des pertes considérables et continuait de vivre sous une grave menace. La situation de crise qui touche actuellement la région des grands lacs nécessite une solution politique immédiate, garantissant la protection de la population, a souligné l'organisation humanitaire.

L'aide humanitaire ne peut à elle seule être considérée comme une solution et ne doit pas masquer l'absence d'une action politique. Certes, l'accord de cessez-le-feu signé récemment entre l'Ouganda et le Rwanda a permis un léger répit mais la ville est dévastée, les morts et les blessés se comptent par centaines et l'aide humanitaire parvient au compte-gouttes aux survivants.

La résolution n 1304 du Conseil de Sécurité de l'ONU exigeant un retrait des troupes rwandaises et ougandaises ne semble pas totalement respectée, notamment par les troupes ougandaises. Le Conseil de Sécurité a également déclaré que le Rwanda et l'Ouganda « devaient payer des réparations pour les pertes de vies humaines et les dégâts matériels infligés à la population civile de Kisangani » à la suite des violents affrontements entre les deux armées dans la ville du nord-est de la République démocratique du Congo. Pour calculer ces réparations, le Conseil a demandé au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, de présenter une évaluation des dommages.

La Belgique s'était dite très active, au début de cette année, dans la recherche d'une solution au conflit congolais. Après des débuts prometteurs, on n'a toutefois pas récemment, notamment concernant la bataille de Kisangani, vu d'activités diplomatiques particulièrement soutenues de la part de notre pays pour tenter d'éviter le désastre qu'a connu cette ville.

Le secrétaire général de l'ONU a déclaré qu'il était favorable à une intervention dans le cadre du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. Dans ce contexte, j'aimerais savoir quelles sont les initiatives humanitaires et diplomatiques récentes et concrètes qui ont été ou seront prises par le gouvernement belge au regard du conflit congolais, notamment les initiatives prises et les pressions exercées à l'égard des pays impliqués dans les combats de Kisangani pour qu'ils retirent leurs troupes. Je rappelle que le Rwanda et l'Ouganda sont les principaux bénéficiaires des budgets de la coopération et le resteront au vu des déclarations récentes du ministre de la Coopération au développement. Lierez-vous à l'avenir, d'une manière ou d'une autre, le volume et le type de coopération avec ces pays à leur comportement dans le conflit congolais ?

Deuxième question : le gouvernement belge est-il prêt à participer à une force d'intervention telle que proposée par le secrétaire général de l'ONU ? Je rappelle que ce dernier a notamment souhaité l'envoi immédiat d'une force de 250 Casques bleus armés à Kisangani afin de maintenir la paix après le retour des troupes rwandaises et ougandaises.

M. Paul Galand (ECOLO). - Nous sommes nombreux à partager les préoccupations et inquiétudes à propos des situations dramatiques que connaît le Congo à Kisangani et du sort des populations civiles qui paient une fois de plus un lourd tribut de souffrance à la suite de combats commandités d'ailleurs.

Que pouvait faire la Belgique ? Pour agir, il fallait que le gouvernement ait retrouvé une crédibilité, un poids moral et politique auprès des autorités influentes dans la région. Nous devons reconnaître que le gouvernement actuel, grâce à des initiatives prises antérieurement par lui - je ne citerai que les tournées politiques dans la région, les démarches courageuses de reconnaissance des erreurs passées et les excuses à Kigali, la volonté de relance de la coopération au développement, l'aide médicale urgente - a retrouvé une influence et une crédibilité politique dans la région, que la Belgique avait auparavant perdues.

Il apparaît aujourd'hui que MM. Michel et Boutmans ont restauré des capacités d'influence de la Belgique auprès de plusieurs chefs d'État impliqués dans ces conflits. On fait référence au cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, mais c'est déjà au moment du génocide au Rwanda qu'il fallait le faire.

Aujourd'hui, monsieur le vice-premier ministre, vous pourrez nous indiquer avec discernement les marges d'action dont dispose la Belgique et faire état de certains résultats des démarches que le gouvernement a pu entreprendre, même dans l'urgence, encore tout récemment.

En tant que parlementaires, nous devrions aussi, en impliquant l'ensemble des partis démocrates, mobiliser toutes les forces et tous les relais politiques possibles afin que les moyens financiers, dont les fonds de Lomé, puissent être mobilisés pour l'aide aux populations locales, pour la relance des services sociaux, sanitaires et administratifs indispensables à la vie civile et pour la mise en _uvre des accords de Lusaka.

Comment soutenir les efforts déployés actuellement par la Belgique pour que l'Union européenne ait une attitude plus cohérente et plus clairvoyante par rapport à la situation en Afrique centrale et aux défis à y relever ? L'Afrique est-elle vraiment à l'agenda politique de l'Union européenne ? Comment faire pour que la population congolaise ne soit plus spoliée des richesses de son propre pays, richesses dont la convoitise et l'exploitation par des voies illégales entraînent tant de malheur et de pauvreté pour elle et d'enrichissement scandaleux pour d'autres ? Comment faire parvenir l'aide nécessaire aux populations civiles ? Comment convaincre les autorités impliquées que les populations civiles doivent être la référence et la finalité des politiques ?

Cette réalité, ce devoir, qu'on l'écrive noir sur blanc ou blanc sur noir, doit être rappelé sans cesse à tous les interlocuteurs en cause. Je me réjouis que le gouvernement belge ait actuellement retrouvé cette force de pouvoir dire des choses si importantes et fondamentales sans détour, en face-à-face, d'homme à homme si je puis dire, et d'aider parfois ainsi des chefs d'État confrontés à des défis très lourds de choisir une voie pacificatrice de bon sens, souvent plus difficile à prendre au départ que les voies de la guerre.

M. Philippe Mahoux (PS). - La situation des populations civiles de Kisangani était et reste dramatique. Elle l'était au moment des combats et elle le reste en raison des résultats de ces combats.

Je salue les initiatives prises par le gouvernement en rapport à la situation qui prévaut dans la région des grands lacs et tous les contacts qu'il a pu avoir avec les interlocuteurs de la région. Je mesure la difficulté qu'il y a à trouver des solutions durables dans la région. Je crois que c'est en favorisant la réalisation des accords de Lusaka dans l'ensemble de leurs dispositions que nous pourrons être les plus efficaces. J'insisterai à cet égard sur l'intégrité territoriale du Congo, la sécurité aux frontières pour ses voisins et aussi - élément indispensable - sur le dialogue intercongolais qui intègre d'ailleurs les membres de l'opposition non violente.

Je souhaiterais savoir si un plan particulier d'aide et d'aide d'urgence à la population de Kisangani est en négociation de manière à répondre au désastre qu'ont constitué ces combats entre deux États voisins. On s'interroge sur l'importance que peuvent d'ailleurs avoir les rebelles dans ces combats et il me paraît donc fort important que les initiatives prises par le gouvernement concernent l'ensemble des États de la région mais aussi le gouvernement congolais auprès de qui il faut insister et insister encore - comme le gouvernement l'a déjà fait à plusieurs reprises - pour que le dialogue intercongolais soit une réalité.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Je partage évidemment totalement la préoccupation que vous avez exprimée quant à la situation à Kisangani. Il est tout à fait inacceptable de voir des troupes étrangères, en l'occurrence ruandaises et ougandaises, s'affronter sur le territoire d'un autre pays et y faire des victimes principalement civiles.

Je suis intervenu à plusieurs reprises et à plusieurs niveaux, publiquement mais aussi et surtout de manière discrète : publiquement, afin qu'il n'y ait pas d'équivoque sur la position de la Belgique ; discrètement, en mettant en _uvre une série de contacts plus confidentiels avec les acteurs de la région.

Après les premières confrontations entre l'Ouganda et le Ruanda, à Kisangani, en août 1999, de nouveaux combats ont éclaté le 5 mai dernier. Nous avons immédiatement condamné dans un communiqué de presse la reprise de ces combats. Nous avons fait part aux autorités ougandaises de notre grande préoccupation devant les risques de cette action militaire dont elles sont apparues les initiatrices, et nous avons invité les autorités ruandaises à faire preuve de retenue dans leurs réactions.

Nous avons aussi accompli une série de démarches lors de l'attaque du mois de juin. Malgré l'accord de cessez-le-feu du 8 mai qui avait été convenu à Mwanza, entre les présidents ougandais et ruandais, des combats ont repris du 5 au 11 juin. Le 8 juin, nous avons à nouveau condamné, dans un communiqué de presse et avec la plus grande fermeté, cette reprise des hostilités, et j'ai appelé les parties à respecter le cessez-le-feu conclu le 8 mai, grâce à la médiation de la mission du Conseil de sécurité présidée par M. Holbrooke, et à retirer comme convenu leurs troupes de Kisangani. Le 9 juin, l'Union européenne a fait une déclaration semblable sur la situation à Kisangani. Le 8 juin, je recevais le président ruandais Kagamé à Bruxelles au moment où un nouveau cessez-le-feu venait d'être convenu à l'initiative du secrétaire général des Nations unies. Les combats continuant malgré cet accord, j'ai fait faire des démarches parallèles à Kampala et à Kigali, tout au long du week-end de la Pentecôte, pour faire cesser les combats et faire respecter les accords. En outre, mon département est intervenu pour obtenir des belligérants un cessez-le-feu humanitaire le 11 juin au profit de MSF Belgique, de MSF Pays-Bas et du CICR, et pour obtenir l'assistance de la MONUC afin de leur permettre d'entreprendre des actions d'aide au profit de la population locale.

En ce qui concerne l'aide humanitaire, les États membres de l'Union européenne dont la Belgique ont effectué trois vols humanitaires depuis Kinshasa vers Kisangani depuis le 17 juin, avec l'assistance de la MONUC. Grâce à ces vols, Memisa-Belgique soutenu par la coopération internationale belge a pu offrir du matériel pour l'hôpital de Kisangani et de l'aide alimentaire a pu être fournie.

Les Nations unies ont fourni 10 tonnes de nourriture et 4 tonnes de matériel médical. Le 16 juin, les Nations unies ont également fait parvenir de l'aide technique pour le fonctionnement du barrage à Kisangani. Memisa Belgique a également profité de ces vols humanitaires pour apporter de l'aide d'urgence. Le cessez-le-feu du 11 juin a permis à MSF Belgique, MSF Pays-Bas et au CICR d'installer des antennes chirurgicales d'urgence et de prodiguer les soins essentiels de première urgence ainsi que d'installer une station d'épuration d'eau pour la fourniture de l'eau potable à la ville. Tout ce matériel était stocké à Kisangani.

En ce qui concerne la force de maintien de la paix qui sera déployée par les Nations unies, la Belgique est dans une situation diplomatique inconfortable. Je plaide avec insistance dans tous les cercles concernés pour le déploiement rapide d'une force onusienne crédible. L'envoi de soldats belges est cependant d'emblée exclu puisque le gouvernement belge est toujours lié par les recommandations de la commission Rwanda auxquelles je souscris. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je ne pense pas que les conditions politiques soient remplies aujourd'hui pour modifier la teneur de ces conclusions.

Dans le cadre de cette marge étroite, le gouvernement a néanmoins cherché à ne pas être totalement absent de l'opération. Comme vous le savez, nous avons décidé de l'envoi de cinq officiers de liaison. Nous examinons les modalités pour participer à la deuxième phase d'une autre manière que par l'envoi de troupes. Cela termine mes réponses factuelles. Les choses sont assez claires. Nous sommes évidemment préoccupés par la situation humanitaire à Kisangani. Nous sommes toujours disponibles et ouverts. Nous essayons de voir comment nous pouvons encore renforcer notre aide humanitaire vis-à-vis de Kisangani. Nous continuerons donc de faire exactement tout ce que nous devons faire.

En ce qui concerne le rôle ou l'influence que nous avons pu déployer, je crois avoir été très clair, monsieur Dallemagne. Il y a eu une phase dans la politique africaine qui était nécessairement une phase visible où l'on posait un certain nombre de jalons politiques et symboliques à l'égard de la politique africaine et des différentes parties en Afrique centrale et dans les pays de la région. Je ne vous ai pas caché qu'une fois le retour officiel au Congo établi, après avoir été au Rwanda, au Burundi, dans tous les pays de la région, nous avons effectué un retour au Congo tout en préservant notre stricte neutralité dans le conflit. Nous n'avons pris parti ni pour les uns ni pour les autres.

Je profite de votre demande d'explications pour regretter que certains parlementaires européens belges manipulent et intoxiquent notamment la partie ougandaise en laissant entendre que le fait que j'aie joué un rôle - ce que j'admets - dans le rapprochement entre le président Kabila et le président Kagame est à interpréter comme étant un abandon par la Belgique du soutien au processus de Lusaka. J'ai vu des attitudes plus correctes par le passé de la part d'un parlementaire. Ce n'est pas parce qu'on est dans l'opposition qu'on ne peut pas conserver un minimum de sens de l'État. Je ne peux donc que condamner l'attitude d'un parlementaire qui traduit un extrait d'une interview en se gardant bien d'en donner la traduction intégrale. Ce faisant, il intoxique, manipule, fait pression, explique ma pensée aux Ougandais en disant que la Belgique a définitivement pris fait et cause pour le Congo contre l'Ouganda, prétendant que nous sommes d'accord avec Kabila et qu'il ne faut pas concrétiser le dialogue intercongolais ni respecter le processus de Lusaka. C'est là une interprétation tout à fait scandaleuse de l'attitude belge que je ne peux évidemment pas cautionner et que je regrette.

M. Georges Dallemagne (PSC). - Cela ne concerne pas mon groupe politique, monsieur le ministre.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Je n'ai pas dit que cela concernait un groupe politique. Je dis simplement que puisque votre question porte sur le rôle et l'influence de la Belgique et que ce malentendu a été semé dans l'opinion publique, dans la presse et dans les différentes parties, vous comprendrez que c'est mon droit le plus strict de rétablir la vérité au cours de la réponse que j'apporte à une demande d'explications.

À propos de notre rôle, je vous ai dit que désormais, pendant un certain nombre de mois, nous déploierions des efforts de rapprochement entre les parties, de manière plus confidentielle et plus discrète. Vous me dites qu'on avait éveillé un grand espoir. Nous continuons à travailler sobrement, de manière tout à fait neutre, en essayant vraiment de préserver cette neutralité, sans aucune arrière-pensée, sans aucun agenda caché, ni néocolonial, ni affairiste, notre objectif étant tout simplement l'implémentation, c'est-à-dire la réalisation, la concrétisation du processus de Lusaka dans tous ses volets, y compris celui du dialogue intercongolais.

Quel est mon point de vue sur le sujet ? Je pense que nous avons gagné en influence mais qu'il ne faudrait pas surévaluer cette dernière qui demeure encore fragile et limitée. En effet, nous n'avons pas tous les moyens de notre ambition dans cette région du monde. L'un de ces moyens - et vous y avez pensé - concerne tout l'aspect « coopération au développement » ; celui-ci peut jouer un rôle important pour faire pression, auprès des personnalités concernées, afin de faire avancer les choses. À ce propos, je voudrais vous rappeler un nouvel élément intéressant : à l'avant-dernier Conseil « Affaires générales » européen, j'ai obtenu que l'on modifie la position de la Commission sur la conditionnalité de l'aide au développement, notamment pour le Congo et le Burundi. Le commissaire Nielson maintient une ligne extrêmement rigide qui, si elle est intellectuellement défendable, est cependant politiquement intenable et même dommageable sur le plan humanitaire. J'assume pleinement mes propos. En effet, vous connaissez notre point de vue en la matière ; nous en avons déjà débattu dans nos propres enceintes ; il m'avait d'ailleurs semblé qu'il existait un consensus très large à ce sujet : prétendre que l'on ne peut utiliser 7/1, 7/2 et les fonds Stabex qu'à la condition d'avoir en face de soi un interlocuteur stable, c'est évidemment condamner définitivement toute restauration de l'État de droit tant au Congo qu'au Burundi. Car le problème, c'est qu'il n'y a plus au Congo, ni État de droit, ni administration, ni justice. Il n'y a plus aucun paramètre, aucun garde-fou qui définisse au minimum un État. Il est clair que si nous pouvons faire quelque chose pour le Congo, c'est présenter ou défendre des projets de coopération qui visent à remettre en état l'administration locale de préférence. Parce que, pour que la population ait des repères, des recours, il faut une administration locale minimale. C'est évidemment essentiel pour un État de droit. Il en va de même pour la justice. Je prétends encore que si les pays européens décidaient, par exemple, moyennant des conditions bien établies, de financer directement plusieurs centaines de juges au Congo, et donc de remettre en marche les cours et tribunaux, ce serait la meilleure forme de coopération et la meilleure aide que nous pourrions offrir à la population locale.

C'est, en principe, faisable puisque nous sommes parvenus à faire admettre au Conseil que, désormais, des projets ciblés sur des secteurs qui peuvent concrétiser les accords de Lusaka seront possibles. Notre propre coopération devait tenir compte de cette évolution. Par ailleurs, dans le cas du Burundi où je me suis entretenu à plusieurs reprises avec M. Buyoya, j'ai visité les camps et demandé leur démantèlement. Il m'a fait part de toutes les difficultés que cela présentait, notamment pour la population, et du souhait de certaines personnes de ne pas voir démanteler ces camps où elles se sentent en sécurité. Nous ne pouvons évidemment pas tolérer une telle vision. Cependant, M. Buyoya m'a également parlé de son projet de « villagisation » destiné à faire sortir les gens des camps et de créer de nouveaux villages où il faut de l'eau, des sanitaires et de l'électricité, projets qu'il ne peut financer. Il souhaiterait, par conséquent, une aide européenne et belge en la matière. Voilà, en tout cas, deux projets que pourrait utilement cibler la coopération et auxquels je suis tout à fait favorable. Je puis vous assurer que je m'efforce de faire avancer cette conception.

J'ai effectivement eu plusieurs contacts à propos du Congo. Ainsi ai-je rencontré en Belgique M. Masire qui m'a exposé les difficultés qu'il rencontrait pour assumer sa mission de facilitation. J'ai fait part, ensuite, au président Kabila de notre inquiétude quant à cette mission de facilitation. Il m'a confirmé qu'il avait écrit une lettre à l'OUA pour expliquer qu'il ne reconnaissait plus cette mission. Je l'ai rendu attentif aux aspects négatifs d'une telle attitude. J'attends maintenant d'entendre la réaction de l'OUA.

Je me suis aussi entretenu de toutes ces difficultés avec le président de l'Afrique du Sud, M. Mbeki, profitant de ce qu'il était l'invité d'honneur du sommet de Feira. J'ai de nombreux contacts de ce type. Ainsi cette semaine aurai-je encore une entrevue avec le président Chiluba, en quelque sorte le père des accords de Lusaka, pour envisager les manières de faire pression sur le président Kabila afin qu'il accepte de s'impliquer de manière plus volontaire dans le dialogue inter-congolais.

Le président Kabila, me semble-t-il, a actuellement le sentiment d'occuper une position plus forte qu'il y a quelques mois parce que le contact est renoué entre M.Kagamé et lui-même et que, par contre, la position de Museweni s'est affaiblie dans la communauté internationale. Je dis cela sans prendre parti. Le président Kabila en conclut qu'il est en meilleure position pour dicter sa vision du dialogue inter-congolais. Il faut le convaincre que le momentum en question passera, s'il l'utilise mal. Il a donc tout intérêt à s'engager sérieusement dans ce dialogue inter-congolais. C'est l'objet de mon plaidoyer auprès de M. Kabila.

Je voudrais réaffirmer devant vous, de la manière la plus solennelle qui soit, que la position de la Belgique reste la défense des accords de Lusaka et du dialogue inter-congolais, un dialogue sérieux qui rassemble toutes les parties concernées : la société civile, les hommes politiques de l'opposition non armée, les belligérants et les autorités congolaises. Notre ligne politique reste plus que jamais le soutien à un dialogue authentique. C'est la raison pour laquelle je me rendrai sans doute le 30 juin au Congo, dans le cadre strict de la commémoration du quarantième anniversaire de l'indépendance. Je n'y resterai pas pour l'éventuelle installation de l'assemblée constituante qui aura lieu le premier juillet. Ce jour-là, je serai au Burundi pour y assister à la commémoration de l'indépendance.

Durant cette participation à la commémoration de l'indépendance du Congo, je saisirai l'occasion de réaffirmer l'inaltérable engagement de la Belgique en faveur d'un dialogue inter-congolais sérieux et des accords de Lusaka. Pour le reste, nous ne cessons pas d'essayer de rapprocher les points de vue et de faire en sorte que messieurs Kabila et Kagamé se reparlent car cette reprise du dialogue entre les présidents est un passage obligé pour trouver une solution aux problèmes de l'Afrique centrale.

J'ai le sentiment que la Belgique a fait ce qu'elle devait pour rapprocher ces deux hommes. Elle continuera à user de son influence maximale pour le faire. Se désengager de la politique en Afrique centrale serait une grave erreur. Nos partenaires internationaux, que ce soit dans la Communauté européenne ou parmi ceux qui se préoccupent des problèmes africains, comme la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, soutiennent notre initiative. D'ailleurs, nous nous rencontrons régulièrement pour analyser la situation. Il faut user au mieux de l'influence encore naissante que nous avons.

L'aspect coopération, que vous soulevez, est un aspect important que nous devons encore développer et préciser.

M. Georges Dallemagne (PSC). - Je remercie le vice-premier ministre de sa réponse détaillée.

En ce qui concerne l'aide humanitaire au Congo, à destination de Kisangani en particulier, je note les efforts qui sont actuellement déployés. Je remarque néanmoins que ces efforts sont très en-dessous des besoins humanitaires de cette ville. En fait, il manque un vaste plan de secours tenant véritablement compte de la situation des populations et de la mortalité qui les affecte, comme en atteste l'appel au secours lancé dans le journal Le Soir par les organisations humanitaires. À cet égard, je regrette, par exemple, que la grande conférence humanitaire prévue l'an dernier soit toujours dans les limbes, même si je n'en attribue pas la responsabilité au gouvernement actuel. Cette carence n'est pas de nature à contribuer à la mise en _uvre par la communauté internationale d'efforts substantiels coordonnés.

Je n'ai jamais douté que la Belgique s'inscrivait dans le cadre des accords de Lusaka, lesquels posent un certain nombre de problèmes. M. Winter, chef de cabinet de M. Masire, a déclaré à l'ONU le 16 juin dernier qu'aucune contribution ne lui était parvenue, à l'exception de celle du Royaume-Uni, quant à la somme de 6 millions de dollars promise par l'ensemble de la communauté internationale. La contribution annoncée par la Belgique ne semble par conséquent pas encore avoir été versée. Le facilitateur est donc confronté à des difficultés financières considérables.

En ce qui concerne un apport de la Belgique, sous forme d'une intervention dans le cadre d'une force « chapitre 7 » ou, en tout cas, d'une mobilisation de Casques bleus, j'ai cru comprendre que notre pays s'interdisait l'envoi de troupes sur place. Ces derniers mois, j'avais pourtant l'impression, monsieur le vice-premier ministre, que vous n'étiez pas opposé à débattre éventuellement de cette question. Il me semble à présent que ce débat ne soit pas à l'ordre du jour, la position belge restant figée. J'aurais personnellement aimé reprendre les discussions à ce sujet car je suis convaincu que la Belgique ne pourra indéfiniment camper sur des positions, certes autrefois légitimes, fondées sur des considérations relatives à la clarification des mandats, aux moyens et à la coordination des efforts internationaux, singulièrement à propos des questions touchant au commandement. Je pensais que la position initiale de la Belgique était susceptible d'être revue en fonction de l'évolution de ces divers éléments. Je trouve qu'il s'agit d'un débat important à mener à l'avenir, sans précipitation, car nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe majeure en Afrique centrale. Il faut, par rapport à cette crainte, que nous espérons non fondée, faire en sorte que la Belgique ne soit pas totalement démunie.

Enfin, en ce qui concerne la coopération entre la Belgique et les pays d'Afrique centrale, j'ai interrogé le vice-premier ministre au sujet du Rwanda et de l'Ouganda mais il m'a répondu en évoquant le Burundi et le Congo. J'ai noté avec satisfaction que des fonds importants pourraient être utilisés moyennant une coopération directe, relative à des projets bien ciblés, en faveur de pays qui ne seraient pas totalement stabilisés.

Le problème, en l'occurrence, est autre. Il porte sur le fait de savoir si nous devons continuer à mener des coopérations tous azimuts, y compris des coopérations directes à travers des aides financières accordées à des pays où les efforts de guerre sont substantiels, atteignant jusqu'à 50% du budget de l'État, comme l'indiquent certains rapports. Le Rwanda et l'Ouganda ont effectivement régulièrement fait l'objet d'incriminations de ce type : ils étaient accusés d'investir des sommes considérables dans des efforts de guerre sur la légitimité desquels on s'interroge par ailleurs. Notre coopération devrait pouvoir tenir compte de cette situation et réfléchir à la fois sur le volume et surtout, sur le type d'aide que nous accordons à ces pays, aide qui est effectivement d'une nature différente de celle organisée en faveur du Congo et du Burundi. Pour ma part, je continue à m'interroger sur les aides financières directes que nous octroyons au Rwanda, à l'Ouganda, plus particulièrement dans le cadre de la situation actuelle. Je n'insinue évidemment pas qu'il faut cesser toutes les coopérations avec le Rwanda. Je pense notamment à celles dont vous avez parlé tout à l'heure, monsieur le vice-premier ministre, que nous pourrions mener à l'avenir avec le Burundi et le Congo, au niveau européen.

Enfin, et c'est un élément qui me paraît important, dans la résolution 1304 qu'il a adoptée ce vendredi 16 juin, le Conseil de sécurité exhorte toutes les parties en conflit dans la République démocratique du Congo, et les autres pays intéressés, à coopérer pleinement avec le groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, dans le cadre de son enquête et de ses visites dans la région.

J'espère que sur ce plan, la Belgique contribuera pleinement, et de manière extrêmement proactive, à la réflexion à la fois sur le financement de la poursuite du conflit au Congo, sur le lien existant entre l'exploitation des richesses naturelles au Congo et la poursuite du conflit et sur le lien qu'il y aurait entre l'exploitation de ces richesses et l'activité commerciale belge au Congo.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Je répondrai brièvement.

En ce qui concerne l'exécution de la contribution de la Belgique en faveur de M. Masire, il ne faudrait pas inverser les responsabilités. Notre pays a été un des premiers à prendre les contacts nécessaires. J'ai rencontré M. Masire dès le début de sa désignation en tant que chargé d'une mission de facilitation. Nous lui avons dit d'emblée que l'argent était à sa disposition. Il devait nous transmettre un numéro de compte. Nous avons eu des contacts d'initiative avec son équipe. Ce n'est que tout récemment que nous avons obtenu le numéro de compte et les moyens de verser la contribution en question. Nous avons même décidé de doubler celle-ci, voici quelques semaines, lors d'un Conseil des ministres, et nous l'avons exécutée. Cependant, des difficultés sans nom se sont posées sur le plan pratique. Il en a été question au niveau de la communauté internationale. D'autres pays connaissaient le même problème que nous : ils souhaitaient verser de l'argent pour la mission en question : on s'était plaint de ne pas avoir de moyens mais, sur le plan technique, rien n'avait été organisé en ce sens. La question semble cependant réglée et nous avons tenu notre promesse.

Vous touchez à un aspect beaucoup plus délicat de la politique étrangère, monsieur Dallemagne, lorsque vous évoquez le problème des conclusions de la Commission Rwanda. Je vous ai dit que j'étais ouvert à un débat mais, selon moi, il faudra bien choisir le moment pour ce faire et ma conviction la plus intime est que le moment n'est pas venu. Pourquoi ? Parce que les conditions qui ont amené aux conclusions de la Commission Rwanda sont toujours fragiles.

En réalité, quel est le problème? Mon sentiment est que l'ouverture d'un tel débat, susceptible d'entraîner une modification des conclusions de la commission Rwanda, nécessiterait un changement radical de la perception que les différents pays africains, y compris les anciennes colonies, ont de notre pays, perception qui n'est pas encore assez solide. Je suis ouvert à l'idée d'un tel débat, mais le susciter ici et maintenant reviendrait à prendre le risque colossal de commettre une erreur et de fermer la porte définitivement, ou en tout cas pour très longtemps, à une évolution sur ce sujet-là. Pour moi, le moment n'est pas encore venu.

Lorsque j'ai dit que je souscrivais totalement à ces conclusions, c'est parce que je pense que la manière dont notre pays est perçu là-bas n'est pas encore assez sûre. Si l'on ouvrait demain un débat sur ce sujet et si l'on décidait que la Belgique peut à nouveau envoyer des troupes dans ses anciennes colonies, nous prendrions un risque énorme. Nous n'avons pas encore assez de crédibilité, me semble-t-il, pour ne pas faire courir de risques à nos troupes. Peut-être cette question pourra-t-elle être abordée dans deux, trois ou quatre ans, je l'ignore. Peut-être les conditions seront-elles réunies à un certain moment. Vous parliez tout à l'heure des influences que l'on peut exercer. Bien évidemment, si notre influence et notre crédit devenaient tels qu'ils permettaient notamment d'envoyer des troupes sans risques, il faudrait alors que la discussion ait lieu.

Mais, dans une perspective géopolitique, je dirai que cette question pourrait aussi trouver sa place dans le cadre du débat qui devra être entamé tôt ou tard sur la réorganisation des Nations unies. En tant qu'observateur privilégié du fonctionnement de l'ONU, je dois vous dire que cette institution qui devrait être un instrument d'interposition, de maintien de la paix, donne davantage l'impression d'aller lentement vers le démantèlement de son efficacité. Je crois vraiment que tôt ou tard et sans doute plus rapidement qu'on ne le croit, la communauté internationale devra se pencher sur cette question. Nous devrons prendre nos responsabilités. Sans doute, dans le cadre d'une réorganisation des Nations unies pourrions-nous être confrontés à cette question; je ne l'exclus pas.

En ce qui concerne la résolution 1304, j'admets tout à fait qu'il faut multiplier les initiatives et éventuellement prendre des mesures pour lutter contre l'exploitation scandaleuse des ressources naturelles de ces pays-là. Je souscris entièrement à tout ce que l'on a pris comme initiatives par rapport, par exemple, au commerce du diamant.

En ce qui concerne la coopération directe avec des pays comme l'Ouganda ou le Rwanda, vous posez bien le problème. Je pense que la situation particulière du Rwanda vient de son histoire la plus récente.

Je n'élude pas la discussion à ce sujet, je crois que c'est un bon thème. Vous comprendrez que je n'ai pas l'intention de prendre une attitude ni au nom du gouvernement, ni au nom du secrétaire d'État. Il faudrait utilement discuter du problème avec ce dernier pour voir comment, lui, le perçoit.

- Het incident is gesloten.

De voorzitter. - We zetten onze werkzaamheden voort vanmiddag om 15 uur.

(De vergadering wordt gesloten om 12.30 uur.)