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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 25 MAI 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Alain Destexhe à la ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement sur «le scandale du Cidex» (n° 2-263)

M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Il ne me semble pas excessif de parler de scandale dans cette affaire. En effet, comme vous allez sans doute nous le confirmer, plus de 40.000 personnes vont être rappelées pour effectuer des tests de dépistage relatifs à un certain nombre de maladies, à cause d'une erreur incompréhensible commise par une firme pharmaceutique, qui a vendu un désinfectant qui n'en était pas un !

Quelques semaines après la révélation de cette affaire, avez-vous une idée plus précise du nombre de patients qui ont reçu du Cidex inopérant ? Avez-vous constaté une augmentation éventuelle des infections postopératoires ? Des cas de décès suspects ont-ils été observés durant cette période à la suite de l'utilisation d'un endoscope non désinfecté ? Avez-vous une idée du risque de contamination encouru, en particulier, pour le sida, l'hépatite B et l'hépatite C ? Où en est le processus de rappel des personnes à risques pour le dépistage d'une éventuelle contamination ? Pouvez-vous nous communiquer la liste des 85 hôpitaux concernés ?

Enfin, quelle sera la prise en charge du coût de ce dépistage ou des coûts engendrés par les patients par la firme Johnson & Johnson ? Les différents courriers que j'ai pu consulter, en tout cas ceux qui sont adressés aux hôpitaux, semblent assez vagues à ce sujet. La firme dit qu'elle prendra à sa charge le coût du dépistage, mais il est évident que le coût supporté par la santé publique est beaucoup plus important puisqu'il y a des enquêtes qui sont réalisées au sein des hôpitaux, ce coût incluant le personnel travaillant dans ces hôpitaux pour effectuer ces tests et aussi le coût pour les patients devant à nouveau se rendre à l'hôpital et perdre éventuellement des journées de travail.

De façon plus subjective, je voudrais vous demander comment vous concevez le rôle de la firme Johnson & Johnson dans cette affaire. Par ailleurs, estimez-vous que l'inspection de la pharmacie a joué correctement son rôle en la matière ?

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Je vais essayer de répondre dans l'ordre à vos questions.

Tout d'abord, nous ne disposons pas encore du nombre définitif des patients concernés par le Cidex inopérant, mais les estimations vont bien dans le sens des chiffres que vous avez cités, à savoir 40 à 50.000 personnes.

Les hôpitaux concernés ont déjà commencé à convoquer les patients qui se sont rendus chez eux durant la période considérée comme critique, c'est-à-dire pendant laquelle le lot de désinfectant inopérant a été utilisé.

À l'heure actuelle, on n'a pas constaté d'augmentation des infections dans le cadre hospitalier. Aucun décès suspect n'a été signalé à ce jour.

Un groupe d'experts du Conseil supérieur d'hygiène s'est réuni début mai afin d'analyser le risque couru, compte tenu de la population qui a fréquenté les institutions hospitalières durant la période incriminée.

Ces experts ont estimé, sur la base d'un modèle mathématique, que, sur 50.000 patients, cinq à onze personnes pourraient avoir contracté l'hépatite B et, une ou deux, l'hépatite C.

Il s'agit d'un désinfectant utilisé après une toute autre procédure. En effet, les instruments sont lavés, savonnés, lavés une nouvelle fois et, ensuite, plongés dans le Cidex. Les instruments employés n'ont donc pas été réutilisés tels quels. C'est la raison pour laquelle l'estimation des dommages possibles est très limitée. En ce qui concerne le Sida, le risque est cent fois plus faible que pour l'hépatite C. On mentionne un ou deux cas pour l'hépatite C, soit pratiquement le néant. Tout le monde sait que le virus HIV ne supporte pas le contact de l'air ou de l'eau. Les sources de contamination sont bien connues : contact direct de sang à sang, de salives ou autres situations de ce genre. Le virus ne survit jamais dans un milieu où l'eau entre en jeu, où l'air le tue, etc.

Le processus de rappel est actuellement en cours ; il varie d'une structure hospitalière à l'autre. Il a été recommandé que l'ensemble des patients, compte tenu de la période d'incubation, effectuent les examens avant le 30 juin. À cette date, je serai en mesure de vous communiquer tous les détails en fonction des résultats.

Sur la base d'une enquête exhaustive du ministère des Affaires sociales et de la Santé publique, 81 sites hospitaliers sont concernés. Dans la mesure où ces hôpitaux ont été chargés de rappeler les patients concernés et afin de ne pas jeter un doute sur la qualité des structures qui ont utilisé le produit, il n'est pas souhaitable de rendre cette liste publique car, en réalité, seule la responsabilité du producteur est en cause. Les patients et les médecins privés ont été informés par voie de presse. Ils peuvent éventuellement prendre contact avec les hôpitaux ou demander des informations ponctuelles au ministère.

La directive européenne concernant les dispositifs médicaux stipule explicitement qu'il appartient aux producteurs de prendre les mesures nécessaires en cas de problème. L'autorité compétente se contente de contrôler si ces mesures ont été prises. Dans le cas qui nous préoccupe, la firme Johnson & Johnson a pris l'initiative de retirer le lot de produits défectueux. Le 4 avril, la firme, alertée par les hôpitaux qui avaient vérifié l'activité du Cidex, a demandé à ses clients de ne plus utiliser les produits provenant de ce lot qui ne répondait pas aux normes. La firme a précisé qu'elle ferait des examens supplémentaires afin de déterminer la nature exacte du problème. Cependant, il lui a fallu presque trois semaines pour établir qu'une partie du lot incriminé ne contenait aucun élément désinfectant, la variation oscillant entre 0% et 2% et quelque. La firme porte la lourde responsabilité d'avoir attendu le vendredi saint 18 h 30 pour communiquer les faits par e-mail normal, moment où les administrations et les entreprises sont évidemment désertes.

J'en viens à la responsabilité de l'inspection pharmaceutique. Comme je l'ai dit à la Chambre, j'estime que les personnes concernées ont bien réagi le 4 avril. En effet, elles ne disposaient alors d'aucune information et elles savaient que tous les hôpitaux avaient été directement avertis par le producteur. Elles ont pris des contacts pour demander des explications qui se sont révélées plutôt rassurantes. Donc, je ne leur fais aucun reproche à cet égard. Toutefois, il n'en va pas de même pour ce qui concerne le suivi apporté à l'information. Je puis parfaitement comprendre que les intéressés n'aient pris connaissance de l'e-mail envoyé le 21 avril à 18 h 30 que le mardi suivant Pâques. Cependant, il leur a fallu une semaine pour entreprendre des actions supplémentaires, une semaine de perdue selon moi.

Sur le plan de la santé, cette semaine n'a eu aucun effet puisque le lot incriminé avait déjà été retiré le 4 avril. Mais ils auraient pu agir plus rapidement dès qu'il était établi que certains bidons ne contenaient pas de désinfectant.

Entre-temps, des mesures de structuration interne ont été prises pour éviter de telles situations à l'avenir.

En concertation avec l'INAMI, des discussions sont en cours avec la firme Johnson & Johnson et un règlement forfaitaire par patient sera établi. Le forfait qui sera payé par patient couvre l'ensemble des prestations et non la différence entre le remboursement normal de l'INAMI et la quote-part prise en charge par le patient.

Nous avons bien progressé à ce niveau et les hôpitaux seront informés des résultats obtenus. La situation deviendra beaucoup plus claire dans les jours à venir. Je crois pouvoir dire que nous sommes parvenus à un bon accord.

Certaines personnes ont dû prendre un jour de congé supplémentaire pour procéder à des contrôles. Il n'est actuellement pas prévu de prendre en charge les coûts liés à cette situation. Toutefois, par rapport au surplus de travail généré à l'intérieur des institutions hospitalières, il me paraît normal que celles-ci conservent toutes leurs possibilités d'action vis-à-vis de la firme en cause pour réclamer leur dû, soit de façon directe, soit dans le cadre d'une procédure normale devant un tribunal.

Nous avons pris nos responsabilités au niveau des patients. Quant aux institutions hospitalières, elles sont suffisamment organisées pour pouvoir se défendre. Si elles estiment que la procédure a pris trop de temps, c'est à elles d'entreprendre une action.

M. le président. - La réponse du gouvernement est limitée à cinq minutes dans le cadre des questions orales.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Je suis tout à fait d'accord, monsieur le président, mais, dans ce cas, on ne devait pas me poser neuf questions détaillées !

M. le président. - Le sujet est important, j'en conviens.

M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Personnellement, monsieur le président, je ne me plains pas de la longueur de la réponse de la ministre, même s'il est effectivement de votre rôle de faire en sorte que les ministres, comme les parlementaires, respectent le Règlement.

Tout en remerciant la ministre de sa réponse, je souhaiterais formuler quatre remarques.

Madame la ministre, je serai plus prudent que vous en ce qui concerne l'évaluation du risque sanitaire. Premièrement, si l'on se base sur les chiffres que vous avez communiqués, à la fois l'hépatite B et l'hépatite C présentent un risque important de transformation en cancer, en hépatome. Dès lors, si l'on parle de cinq à dix hépatites B, cela signifie déjà, probablement, un certain nombre de cas de cancer.

Par ailleurs, vous le savez, dans ce type de contamination, le virage sérologique, pour les virus, peut se faire plus d'un an après le moment de la contamination. En outre, il n'y a pas que l'hépatite B, l'hépatite C ou le sida, il faut aussi penser aux bactéries, aux mycobactéries, aux mycoses. Comme je l'ai lu dans une note interne d'un hôpital, le risque ne peut être quantifié de façon formelle sur le plan scientifique, faute de données connues.

Les données quelque peu rassurantes que vous nous livrez sur le modèle mathématique doivent être prises avec précaution.

Par ailleurs, j'avoue ne pas comprendre comment une firme de cette réputation, dont l'action est très bien cotée - j'ai vérifié hier sur Internet - ait pu produire et distribuer en Hollande et en Belgique un lot de 16.000 litres de produit dont la quantité de désinfectant était insuffisante, voire nulle. J'espère que vous mènerez une enquête, y compris en Grande-Bretagne, via l'inspection de la pharmacie, pour savoir ce qui s'est exactement passé.

En ce qui concerne les lettres des hôpitaux...

M. le président. - Monsieur Destexhe, le règlement prévoit que cette procédure dure au maximum 10 minutes, question et réponse. Or, ce point nous occupe depuis 20 minutes. J'en conviens, le sujet traité est important, mais par respect pour les autres membres et pour les travaux du Sénat, je vous demande d'observer le règlement.

M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - J'aurais peut-être dû interroger la ministre par le biais d'une demande d'explications.

Je terminerai en disant que le problème ne me semble pas réglé pour les patients. En effet, ces quarante à cinquante mille personnes ne pourront pas savoir avant six mois - il faut trois tests : un maintenant, un dans trois mois et un dans six mois - si elles sont contaminées par l'hépatite B, l'hépatite C ou le sida. Cela me paraît très grave. Je me permettrai de déposer une demande d'explications pour obtenir davantage d'informations.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Ce n'est pas moi qui ai formulé les recommandations en ce qui concerne l'estimation du risque, mais le Conseil supérieur d'hygiène avec l'aide de spécialistes en la matière. Vous estimez que les informations se veulent trop rassurantes ; je transmettrai cette remarque.

En outre, nous avons bien entendu pris contact avec l'Angleterre, mais le Cidex ne fait plus partie de la catégorie considérée comme médicament, raison pour laquelle le contrôle direct des autorités publiques est nettement amoindri, une fois de plus à la demande de l'industrie concernée. Il appartient à une autorité appelée la Notified Body de faire des contrôles, mais elle n'a pas été informée avant le 3 mai, alors que nous l'étions le 4 avril. J'estime que ce système n'est pas du tout convaincant et j'ai annoncé à la Chambre que la démarche qui consiste à enlever un certain nombre de produits de la catégorie des médicaments pour les transférer au dispositif médical doit être étudiée en profondeur, car les contrôles sont insuffisants.