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Belgische Senaat

Parlementaire handelingen

DONDERDAG 6 APRIL 2000 - NAMIDDAGVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van de heer Georges Dallemagne aan de vice-eerste minister en minister van Buitenlandse Zaken over «de toestand in Tsjetsjenië» (nr. 2-117)

De voorzitter. - De heer Antoine Duquesne, minister van Binnenlandse Zaken, antwoordt namens de heer Louis Michel, vice-eerste minister en minister van Buitenlandse Zaken.

M. Georges Dallemagne (PSC). - Je remercie M. Duquesne de bien vouloir répondre à ma demande d'explications en lieu et place de M. Michel, qui est à Kigali aujourd'hui. Je pense qu'il était important qu'on aborde sans tarder le problème de la Tchétchénie étant donné la gravité de la situation. C'est malheureusement la quatrième fois que j'interpelle le gouvernement sur l'évolution de la guerre en Tchétchénie que je trouve toujours aussi préoccupante.

La dernière fois, le 17 février dernier, j'interrogeais le ministre des Affaires étrangères sur les tortures et traitements inhumains infligés par les militaires russes dans les camps de filtration en Tchétchénie. Ces pratiques continuent à être appliquées, notamment dans le camp de Tchernokosovo. Amnesty International indiquait récemment que des prisonniers auraient été évacués de ce camp avant l'arrivée des délégués du Conseil de l'Europe afin de cacher les horreurs qui avaient été commises. Lord Jude, qui conduisait la délégation du Conseil de l'Europe en Tchétchénie il y a quinze jours, a dénoncé ce matin à Strasbourg, dans le cadre du débat sur d'éventuelles sanctions à l'égard de la Russie, les tortures et les brutalités, les traitements dégradants - je le cite - subis par des milliers de Tchétchènes dans ces camps de filtration. La Fédération internationale des droits de l'homme dévoilait avant-hier à Paris un rapport accablant sur la Tchétchénie parlant non seulement de crimes de guerre mais de crimes contre l'humanité, à savoir de crimes organisés systématiquement par un État vis-à-vis de sa population. Le président de la FIDH réclamait que M. Poutine soit jugé pour ces crimes. Le gouvernement russe persiste à refuser la mise en place d'une enquête internationale indépendante sur les crimes commis en Tchétchénie. Le Haut Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU , Mme Mary Robinson, a été fraîchement accueillie en début de semaine à Moscou. M. Poutine a refusé de la recevoir. Elle n'a pas eu accès au camp de Tchernokosovo, dont pourtant le gouvernement russe nous dit qu'il ne s'y passe plus rien d'alarmant. Sa demande de constitution d'une commission d'enquête internationale a été immédiatement rejetée par les autorités russes. Par ailleurs, les bombardements se poursuivent dans le sud de la Tchétchénie et M. Poutine refuse toujours de considérer M. Machkadov comme un interlocuteur avec lequel il peut entamer des négociations. Le 2 mars 2000, le ministre des Affaires étrangères a annoncé qu'il évoquerait la situation en Tchétchénie lors du conseil Affaires générales du 20 mars. Par rapport à l'ensemble de ces développements, j'aimerais vous poser les questions suivantes. Quelles sont les initiatives prises par le gouvernement lors de ce conseil du 20 mars ? Quelles en sont les conclusions ? Avez-vous pris connaissance des rapports d'Amnesty international, de la Fédération internationale des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe ? Quelle appréciation en faites-vous ? Considérez-vous que les éléments contenus dans ces rapports doivent être tenus pour crédibles ? Allez-vous soutenir les recommandations de ces organisations ? Allez-vous soutenir le Haut Commissaire, Mary Robinson, lorsqu'elle demande la constitution d'une commission d'enquête internationale ? Pourquoi la Belgique n'a-t-elle toujours pas déposé de plainte devant la Commission des droits de l'homme à Genève comme elle en a le droit - je dirais même le devoir - par rapport à de telles violations de la Convention européenne des droits de l'homme ?

Maintenant que les élections présidentielles russes sont terminées, le gouvernement belge et la diplomatie européenne disposent sans doute d'une marge de man_uvre nouvelle. Quelles sont les initiatives que vous prendrez afin d'obliger la Russie à enfin respecter le droit humanitaire, les droits de l'homme, et à passer d'une logique de guerre à une logique de négociation politique ? Enfin, ne pensez-vous pas que les atermoiements, les reculades et les silences de la diplomatie européenne et de la nôtre par rapport à la situation qui prévaut en Tchétchénie affaiblissent considérablement le discours des gouvernements européens sur les valeurs et principes qui fondent aujourd'hui les nations européennes ? Ne pensez-vous pas aussi qu'un tel niveau de permissivité à l'égard des brutalités et des violences commises en Tchétchénie crée un précédent dangereux et diffuse un message implicite en faveur de l'essaimage et de la poursuite de ces violences ?

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je vais donner connaissance à M. Dallemagne de la réponse du ministre des Affaires étrangères qui se trouve actuellement à Kigali.

En ce qui concerne la situation préoccupante des droits de l'homme en Tchétchénie, je dispose d'informations crédibles de la part du Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Mme Robinson, qui s'est rendue en Tchétchénie et à Moscou du 1er au 4 avril, de même que du comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe, qui vient de remettre un rapport à l'issue d'une visite des prisons du Caucase du nord du 26 février au 4 mars. Différentes organisations de défense des droits de l'homme ont également publié dans la presse les résultats de plusieurs enquêtes, comme Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme et l'organisation russe Memorial.

Mme Robinson, que j'ai rencontrée à Genève avant son voyage à Moscou, a recueilli des témoignages faisant état de violations à grande échelle des droits de l'homme en Tchétchénie et constaté que les poursuites à l'encontre des auteurs de ces violations par les autorités russes sont tout à fait insuffisantes.

Parmi les premières constatations, dont elle a fait part hier à la commission des droits de l'homme à Genève, elle a aussi relevé le caractère disproportionné de la force utilisée par les forces armées russes, avec les conséquences catastrophiques que l'on sait sur le plan humanitaire, et réitéré sa préoccupation que les autorités russes enquêtent sérieusement sur les allégations de graves violations des droits humains commises en Tchétchénie, par exemple à travers la création d'une commission nationale d'enquête.

Je regrette par ailleurs que Mme Robinson n'ait pas été autorisée à visiter les prisons tchétchènes, notamment le centre de détention provisoire PAP-1, où des tortures auraient été infligées aux prisonniers selon un récent rapport d'Amnesty International.

Le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe, pour sa part, a confirmé le 3 avril que des «passages à tabac» avaient été infligés de décembre 1999 à début février 2000 à de nombreux détenus tchétchènes de la prison de Tchernokosovo. Il a précisé qu'une amélioration notable était intervenue début février avec la relève du personnel, aucune allégation de mauvais traitements physiques n'ayant été formulée par des détenus arrivés dans l'établissement après cette date.

Le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a apporté son soutien le 4 avril à la demande de Mme Robinson d'une enquête transparente et indépendante sur les accusations sérieuses de violation des droits de l'homme en Tchétchénie. J'ai moi-même promis au secrétaire général l'appui de la Belgique à toute initiative qu'il jugerait bon de soumettre à l'attention des Nations unies.

Par ailleurs, lors du conseil Affaires générales du 20 mars 2000, la Belgique a activement participé à l'élaboration de ses conclusions sur la Tchétchénie, dans lesquelles l'Union européenne réitère sa profonde préoccupation en ce qui concerne la situation en Tchétchénie, les rapports réguliers sur les graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire international ainsi que la situation humanitaire dans la région. L'Union européenne et ses États membres appellent la Russie à chercher immédiatement une solution politique au conflit, à conclure un cessez-le-feu, à mettre fin à l'usage disproportionné de la force, à mener une enquête complète et transparente sur les allégations de violation des droits de l'homme, à permettre une présence internationale permanente en Tchétchénie et à garantir l'accès de l'aide humanitaire sur le terrain.

En ce qui concerne le Conseil de l'Europe, la Belgique a particulièrement insisté pour que la mise à disposition d'une expertise consultative auprès du bureau des droits de l'homme en Tchétchénie, dirigée par le représentant du gouvernement russe pour les droits de l'homme en Tchétchénie, M. Kalamanov, bénéficie des conditions requises en matière d'indépendance et de liberté de mouvement.

Son élection offre à Vladimir Poutine l'opportunité de mettre en _uvre une autre politique. La poursuite de la politique actuelle du Kremlin en Tchétchénie, qui s'est déjà soldée par des milliers de morts tant du côté de l'armée russe que du côté tchétchène, ne peut que continuer à prélever son lourd tribut en vies humaines, alors que la Russie devrait concentrer toutes ses ressources pour assurer un niveau de vie décent à l'ensemble de sa population. Sans solution politique acceptée de part et d'autre, cette région restera instable. Je ne ménagerai pas mes efforts, tant lors de mes contacts bilatéraux que dans le cadre multilatéral, pour essayer de convaincre les autorités russes que leur politique actuelle en Tchétchénie est une voie sans issue réelle, et de les amener à amorcer un virage qui mènera à une Russie réellement démocratique.

M. Georges Dallemagne (PSC). - Je remercie le ministre de sa réponse qu'il a formulée au nom du gouvernement. Le ministre confirme les allégations et les graves accusations portées à l'encontre d'une partie des forces russes, le caractère disproportionné des opérations militaires et les tortures et crimes commis en Tchétchénie.

Je continue à déplorer la faiblesse des propositions visant à faire pression sur le gouvernement russe. La Belgique a la possibilité d'introduire une plainte interétatique auprès de la commission des Droits de l'homme à Genève. Elle peut agir d'initiative, comme elle l'a fait récemment dans le cas Pinochet, seule ou avec les autres États membres de l'Union européenne. Elle n'a pas besoin, comme il est suggéré, de se tenir à la disposition du secrétaire général des Nations unies pour toute initiative que ce dernier prendrait.

En ce qui concerne les initiatives qui pourraient être prises par le Conseil de l'Europe, la proposition que l'expertise qui sera mise à la disposition de M. Kalamanov soit indépendante me paraît à la fois irréaliste et légère. On sait que ce dernier ne dispose pas de l'indépendance nécessaire pour traiter des questions des droits de l'homme. Il n'aura d'ailleurs aucun pouvoir d'enquête sur ce qui s'est passé en Tchétchénie puisque son rôle essentiel est de vérifier s'il n'y a plus d'abus en matière des droits de l'homme.

Par ailleurs, on sait déjà que M. Kalamanov a très mal apprécié la visite de Mary Robinson en Tchétchénie. On peut donc s'interroger sur la manière dont il exercera ses nouvelles fonctions. Je pense qu'il ne s'agit pas de mettre en place une assistance technique du Conseil de l'Europe qui risque de ne pas remplir ses fonctions mais, au contraire, d'être un faire-valoir et d'être manipulée. Ceci créerait un précédent dangereux. À mes yeux, il faut agir de manière beaucoup plus nette et efficace pour que cessent enfin les exactions et les violations massives des droits de l'homme en Tchétchénie.

- Het incident is gesloten.