2-410/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

20 AVRIL 2000


Proposition de loi complétant la loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé en vue de permettre le vote automatisé à distance

(Déposée par MM. Alain Destexhe et Vincent Van Quickenborne)


DÉVELOPPEMENTS


1. Introduction

Cette proposition de loi vise à permettre à l'électeur de voter via internet, moyen moderne de communication et de transport des informations. Selon certains, de récentes expériences d'e-vote ont montré que c'est peut être le chemin à suivre pour restaurer l'intérêt du citoyen à la politique. Aux États-Unis, les autorités locales de la Californie, de l'Iowa, du Minnesota, du New Mexico et de l'État de Washington étudient la possibilité de voter via internet. En Californie, des groupes de citoyens lancent une campagne de pétition en faveur de la légalisation du vote en ligne. Le ministère de la Défense des États-Unis organise, à l'occasion des prochaines élections présidentielles de novembre 2000, une expérience avec des militaires basés à l'étranger. Si cette expérience est concluante, le gouvernement envisage de permettre l'e-vote pour tous les Américains résidant à l'étranger.

De plus, l'expérience belge de vote électronique est un succès reconnu en Europe. Il y a de nombreux avantages au système, entre autres la rapidité des résultats et des prévisions statistiques ainsi qu'une réduction du nombre d'erreurs humaines. Toutefois, le vote automatisé est loin d'être parfait ­ on fait toujours la file ­ et peut être amélioré; le gouvernement s'est d'ailleurs engagé à le perfectionner.

L'e-vote s'intègre dans et prolonge la démarche innovatrice du vote automatisé d'autant plus que la Belgique a un réseau de câbles ­ et bientôt un réseau « sans fil » ­ très développé qui permet à presque toute la population d'être connectée à l'internet.

2. Les avantages

Plusieurs éléments plaident en faveur de l'e-vote.

a) Faciliter le vote de l'électeur

En 1891, lors de la révision constitutionnelle instaurant le droit de vote obligatoire, le législateur s'est attelé à mettre en place toute une série d'arrangements pratiques permettant à l'électeur de s'acquitter de son devoir sans que celui-ci représente un trop gros fardeau. C'est ainsi que le vote était prévu le dimanche et qu'une navette était affrétée au transport des personnes les plus isolées. C'est dans cette optique que nous situons la présente proposition. Internet est un moyen supplémentaire mis à la disposition du citoyen en vue de réaliser son devoir électoral.

L'électeur pouvant bénéficier de la technologie moderne ne devra plus se rendre au bureau de vote, faire la file, etc. Il pourra voter depuis l'endroit où il se trouve en Belgique ou à l'étranger.

b) Permettre à des citoyens ayant des difficultés motrices de voter

Certaines personnes rencontrent de grosses difficultés à se déplacer. Les problèmes de mobilité et d'accessibilité à certains endroits sont une réalité pour les personnes en chaise roulante, mais également pour toute personne ayant des difficultés motrices. L'e-vote permettrait à ces citoyens de voter de chez eux ou de n'importe quelle institution hospitalière ou de soins.

Dans le système actuel, un nombre significatif de personnes hospitalisées ou handicapées n'ont pas la possibilité de se rendre à la commune alors qu'elles sont parfaitement aptes à exprimer un choix politique. L'e-vote leur permettrait de participer à la vie publique et de ne pas faire l'objet d'une discrimination à cette occasion.

c) Lutter contre l'absentéisme électoral

En Belgique, le vote est obligatoire. En théorie, toute personne ne se rendant pas aux urnes est sanctionnée pour sa non-présentation au bureau de vote sauf justification. Lors des dernières élections, en juin 1999, le taux d'absentéisme pour les élections législatives fédérales était de 9,4 % (1) (soit 691 454 personnes), ce qui est considérable pour un pays où le vote est obligatoire. C'est ce qui fait dire à certains que le « parti abstentionniste » est d'ores et déjà un des principaux partis politiques du pays (le « deuxième parti » après le CVP aux élections de 1995). Si certains citoyens se désintéressent ouvertement de la chose publique, certains doivent se rendre à l'étranger pour des raisons professionnelles et d'autres ne souhaitent pas rester dans leur commune par une belle journée ensoléillée par exemple. L'e-vote permettrait de faciliter la mobilisation électorale.

d) L'absence de discrimination

Un des arguments avancés dans d'autres démocratices, notamment aux États-Unis, pour ne pas mettre en application l'e-vote est le risque de discrimination vis-à-vis de ceux qui ne maîtrisent pas les nouvelles technologies. Aux États-Unis, où le vote n'est pas obligatoire, le taux de participation aux élections est extrêmement faible, parfois inférieur à 50 %. On constate que c'est parmi les couches défavorisées, aux faibles revenus et en particulier chez les populations noires, que le taux de participation est le plus bas. Rendre l'e-vote possible risque d'augmenter la participation parmi les couches socio-économiques favorisées et de rendre les élus (encore ?) un peu moins représentatifs de la population prise dans son ensemble. Il s'agit d'un argument pertinent lorsque le vote n'est pas obligatoire, ce qui n'est pas le cas en Belgique.

e) Le vote des Belges résidant à l'étranger

Les personnes expatriées trouveraient dans l'e-vote la meilleure solution pour remplir leur devoir civique sans devoir passer par une série de démarches longues et coûteuses (le gouvernement s'est engagé de les rendre gratuites). L'e-vote pourrait s'effectuer soit directement depuis n'importe quel ordinateur, soit depuis un ordinateur installé dans un consulat ou une ambassade. Pour l'État, ce moyen est plus pratique et plus économique que n'importe quel autre (procuration, organisation de bureaux de vote dans les ambassades, etc.).

f) La facilité de traitement

Les données récoltées par l'internet peuvent plus facilement être traitées et intégrées dans une gestion rapide des votes. Nous y retrouvons les mêmes avantages que pour le vote automatisé : suppression du dépouillement, coût moindre et plus grande rapidité pour la divulgation des résultats.

g) Développer l'usage de l'internet

Développer l'usage d'internet en Belgique devrait être une priorité nationale compte tenu des enjeux pour l'économie et l'emploi. Permettre l'e-vote est un signal parmi d'autres afin de réaliser cet objectif. On peut même supposer que le citoyen qui choisirait ce type de vote irait visiter les sites des principaux partis politiques et aurait donc ainsi la possibilité d'avoir à sa disposition une information plus riche tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

3. Les problèmes potentiels

L'article 62 de la Constitution stipule que : « (...) le vote est obligatoire et secret. Il a lieu à la commune, sauf les exceptions à déterminer par la loi ». Ces principes sont davantage développés dans le Code électoral du 12 avril 1894.

Le vote via internet peut poser deux types de problèmes.

En premier lieu, selon la Constitution et l'article 4 du Code électoral le vote doit avoir lieu à la commune où l'électeur est inscrit sur les listes électorales. Le principe du vote à la commune est une conséquence du suffrage universel. Avant la révision constitutionnelle de 1893, le vote se faisait au chef-lieu de l'arrondissement administratif où l'électeur avait son domicile. Il en résultait de nombreux inconvénients. En prévoyant que le législateur peut déroger au principe du vote à la commune, le constituant songeait à la situation des petites communes. Par ailleurs, la loi du 8 juillet 1970 avait prévu trois modalités de vote n'impliquant pas le vote à la commune : le vote par procuration, le vote à l'armée et le vote par correspondance. À l'expérience, il était apparu que le vote à l'armée soulevait des difficultés pratiques tandis que le vote par correspondance donnait lieu à de nombreux abus. La loi du 5 juillet 1976 a réformé le système en supprimant ces deux votes et en adaptant et en étendant le vote par procuration (titre IV, chapitre IIIbis, du Code électoral).

En outre, l'article 89bis du Code électoral stipule que les électeurs des communes de Fourons et de Comines-Warneton ont la possibilité d'aller voter respectivement à Aubel et à Heuvelland. La présente proposition de loi prévoit une exception supplémentaire qui permettrait de voter à partir d'un ordinateur quel que soit l'endroit où l'électeur se trouve.

La règle suivant laquelle le vote est secret n'a été introduite dans la Constitution qu'en 1921. Auparavant, elle était inscrite dans la loi électorale. Les fraudes électorales étaient innombrables au siècle dernier. Les grandes lignes à prévenir les fraudes viennent de la loi du 9 juillet 1877. Dans chaque bureau de vote sont aménagés des compartiments à l'intérieur desquels les électeurs expriment leur vote. Il y a au moins un compartiment isoloir par 150 électeurs. L'électeur reçoit des mains du président et pour chaque Chambre législative, s'il y a lieu, un bulletin plié en quatre et estampillé d'un timbre. Il se rend directement dans un des compartiments et y formule son vote. Une fois que le vote a été exprimé, l'électeur montre au président le bulletin replié et dépose ce dernier dans l'urne.

La question du secret, des pressions et intimidations éventuelles, ne se pose plus de la même façon que lorsque le suffrage universel a été instauré. La population belge a acquis une très grande maturité et accepte le principe de la liberté de vote, même au sein d'une même famille. Dans l'immense majorité des cas, le vote par courrier électronique s'exerçant à domicile ou ailleurs se ferait en toute liberté et ne pourrait pas influencer le résultat du vote. Il n'en reste pas moins vrai que dans un faible nombre de cas, le risque, même minime, existe. Mais la « théorie de l'isoloir » où le secret absolu du vote est respecté, est plutôt un mythe. En réalité, en se rendant à l'isoloir, l'électeur peut être influencé de multiples façons, par exemple sur le chemin du bureau de vote ou dans les files d'attente. Afin d'avoir une garantie supplémentaire on pourrait éventuellement prévoir que la loi précise que l'électeur doit être seul au moment de voter. Il nous semble qu'entre autres l'article 183 du Code électoral, qui stipule que « sera puni [d'un emprisonnement de huits jours à un mois et d'une amende de cinquante à cinq cents francs, ou d'une de ces peines seulement,] quiconque, pour déterminer un électeur à s'abstenir de voter ou pour influencer son vote, aura usé à son égard de voies de fait, de violences ou de menaces, ou lui aura fait craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune », présente des garanties suffisantes.

Notons enfin que plusieurs pays démocratiques acceptent le principe que le secret ne soit pas absolu au moment du vote : c'est le cas de tous les pays où le vote par correspondance est possible, la France et l'Espagne, par exemple. Il y a donc un a priori favorable quant au respect de la règle du secret du vote au moment où celui-ci est émis.

Afin de tester l'efficacité du système du vote par internet, il pourrait être dans un premier temps instauré dans quelques arrondissements électoraux avant d'être généralisé. Une méthode similaire avait été utilisée pour le vote automatisé dans les cantons électoraux de Verlaine, dans la province de Liège, et de Waarschoot, dans la province de Flandre orientale.

4. Les aspects techniques

La technologie, basée sur l'utilisation de protocoles internet standard, largement disponibles sur le marché, permet d'assurer :

­ la validité du vote au niveau de la sécurité, de la confidentialité et du contrôle de la donnée transmise;

­ le caractère démocratique du vote, c'est-à-dire que l'électeur est bien unique et est bien celui qu'il prétend être (voir la directive européenne sur la signature électronique et les législations de plusieurs pays européens), ainsi que l'unicité du vote;

­ l'aspect confidentiel du vote : personne ne peut intercepter une session de vote, c'est-à-dire la transmission du message au moment du vote (mode transactionnel). Il n'est pas possible de « prendre en otage » (hijacking) les sessions, ce qui permet d'éviter les attaques des éventuels « hackers »;

­ l'audit du vote, c'est-à-dire la possibilité d'effectuer des contrôles et des vérifications, par exemple la vérification que le nombre de votes émis répond au nombre de votants.

Nous proposons en pratique la mise en place du dispositif suivant :

Sur la convocation de l'électeur figure un code d'autorisation qui est envoyé de la même façon que les codes secrets des cartes bancaires et qui permettrait l'identification électronique. De plus, une fois le code utilisé, personne ne pourrait le réutiliser pour voter une deuxième fois.

L'électeur se connecte sur le serveur et entre son code d'autorisation. Celui-ci donne automatiquement accès aux listes de sa commune.

L'électeur fait son choix et envoie son vote. Comme le vote est secret, il faut un système de cryptage du nom et du vote qui seront envoyés dans deux urnes électroniques différentes.

Une fois que l'électeur a envoyé son vote, il reçoit sur son écran un message lui signalant que son vote a été valablement reçu.

Une fois les données récoltées, elles sont introduites dans l'ordinateur de totalisation où les votes par l'nternet sont mélangés aux votes récoltés par ordinateur et ce de manière aléatoire, afin d'éviter toute discrimination possible.

Les données récoltées sont traitées comme celles reçues via le vote automatisé, avec tout ce que cela comporte comme avantages : délai d'obtention des résultats plus rapide, suppression du dépouillement, meilleure utilisation et flexibilité de l'information.

Des procédures encore plus sophistiquées sont possibles, telles que l'utilisation de la signature électronique prévue par le projet de loi sur la signature électronique déposé à la Chambre.

Alain DESTEXHE.
Vincent VAN QUICKENBORNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

Dans la loi du 11 avril 1994 organisant le vote automatisé, modifiée par les lois du 18 décembre 1998 et du 19 mars 1999, les articles 1er à 29 sont repris sous un titre Ier, intitulé « Le vote automatisé à la commune ».

Art. 3

La même loi est complétée par un titre II, rédigé comme suit :

« Titre II. ­ Le vote automatisé à distance.

Art. 30. ­ Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, décider que, lors des élections législatives, provinciales et communales, et pour le renouvellement des conseils de communauté et de région ainsi que lors des élections pour le renouvellement du Parlement européen, il est fait usage d'un système de vote automatisé à distance.

Art. 31. ­ Le Roi détermine les modalités du système de vote automatisé à distance, destinées à garantir sa fiabilité et sa sécurité, ainsi que le secret des votes. »

Alain DESTEXHE.
Vincent VAN QUICKENBORNE.

(1) Dossier du CRISP nos 1653-1654.