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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 10 FÉVRIER 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Alain Destexhe au ministre de la Justice sur «l'arrestation de M. Ndindiliyimana et le sort des autres suspects de génocide au Rwanda, présents en Belgique» (n° 2-119)

M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - L'ancien chef de la gendarmerie rwandaise, M. Augustin Ndindiliyimana a été arrêté la semaine dernière en Belgique. À cet égard, j'aimerais vous poser quelques questions complémentaires à celles posées par M. Mahoux la semaine dernière.

Est-il exact que, dans un premier temps, le juge d'instruction belge avait décidé de lever le mandat d'arrêt à l'encontre de Augustin Ndindiliyimana et que le parquet a dû faire appel ? Dans l'affirmative, cette procédure m'étonne, étant donné que le tribunal pénal international est un organe juridique supérieur aux juridictions belges ?

Deuxièmement, depuis l'inculpation d'Augustin Ndindiliyimana pour crimes de droit international par le juge Damien Vandermeersch le 4 juillet 1996, 43 mois se sont écoulés. Pourquoi le parquet général n'a-t-il pas entrepris d'action à son égard ? On peut d'ailleurs considérer aujourd'hui que la décision du tribunal pénal international est en quelque sorte un désaveu du parquet général et de la commission permanente des recours, lesquels avait finalement accordé l'asile politique à M. Ndindiliyimana alors que, dans un premier temps, le commissaire général aux réfugiés avait refusé cet asile politique

Troisièmement, trois suspects rwandais comparaissent ce jeudi devant la Chambre du conseil. Dans le cas de ces personnes, les instructions sont bouclées - ce qui n'était pas le cas pour M. Ndindiliyimana - depuis 45 mois. On peut se demander ce que le parquet général a fait pendant cette période. Aujourd'hui, un nouveau gouvernement est en place et j'aimerais savoir si des procès seront organisés en Belgique. Si c'est le cas, quand le seront-ils ? Vos prédécesseurs nous ont affirmé à plusieurs reprises que ce serait le cas, mais nous ne voyons rien venir.

Enfin, j'aimerais vous demander pourquoi ces trois inculpés comparaissent libres. Il ne s'agit pas de vol d'autoradio ou à la tire, mais de crimes et de génocide.

Quatrièmement, dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les événements du Rwanda, nous avions conclu à l'unanimité que «le parquet de Bruxelles n'avait pas fait preuve de diligence en ce qui concerne la procédure». Deux ans plus tard, les choses semblent évoluer très lentement. Je pense que vous aurez à c_ur de faire en sorte que les recommandations d'une commission d'enquête parlementaire soient respectées, étant donné le rôle que vous avez vous-même joué dans une autre commission.

Enfin, de façon plus générale, à l'heure où notre pays joue un rôle modèle et important dans le dossier Pinochet, quelles sont vos intentions en ce qui concerne l'application du principe de juridiction universelle dans le cas du génocide du Rwanda ?

(M. Armand De Decker, président, prend place au fauteuil présidentiel.)

M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice. - Je distingue cinq volets dans votre question, monsieur Destexhe, et je vais tenter d'y répondre de façon aussi complète que possible.

Premièrement, il est exact que, dans un premier temps, le juge d'instruction belge a refusé de délivrer un mandat d'arrêt à l'encontre d'Augustin Ndindiliyimana et que le parquet a fait appel. Selon une doctrine qui fait autorité, le juge d'instruction saisi d'une demande provisoire et urgente du procureur du TPIR est tenu de vérifier l'identité de la personne, l'existence d'une demande d'arrestation émanant du procureur du tribunal international et la réalisation de la condition d'urgence. C'est ce que le juge d'instruction a fait par sa décision du 21 janvier 2000 en considérant que, dans le cas d'espèce, il n'y avait pas urgence.

Deuxièmement, si le parquet n'a pas entrepris d'action à charge de l'intéressé après la clôture du dossier d'instruction, c'est, d'une part, parce qu'il a donné la priorité à d'autres dossiers relatifs au génocide au Rwanda qui déboucheront avant la fin de la présente année judiciaire devant la Cour d'assises de Bruxelles et, d'autre part, parce qu'il subsistait une incertitude quant à l'évocation de ce dossier par le TPIR.

Troisièmement, le retard apporté à la saisine de la Chambre du Conseil dans le dossier Higaniro et dans celui des deux religieuses résulte, d'une part, du fait que ces affaires sont liées et, d'autre part, du fait que le dossier Higaniro a, dans un premier temps, fait l'objet d'un dessaisissement au profit du TPIR qui a ensuite décidé de renvoyer l'affaire devant les juridictions belges.

Ces deux affaires sont effectivement fixées, ce jour, devant la Chambre du Conseil de Bruxelles. Lors du règlement de procédure, il sera demandé de joindre ces dossiers qui concernent tous deux les événements de Butare.

Dès que la décision de la Chambre du Conseil interviendra, les dossiers seront transmis au procureur général qui fera fixer rapidement ces affaires devant la Chambre des mises en accusation en vue de leur renvoi en Cour d'assises. Ce renvoi est prévu avant la clôture de la présente année judiciaire.

Quant au point de savoir si les intéressés comparaîtront sous mandat d'arrêt ou non, c'est une question qui, déjà dans la phase d'instruction et de jugement, relève de la compétence exclusive du pouvoir judiciaire.

Quatrièmement, sous réserve des éléments fournis à la deuxième question, je peux encore préciser que les poursuites en Belgique concernent à l'heure actuelle onze dossiers à l'instruction et vingt à l'information.

Cinquième volet, mes intentions sont conformes à l'esprit et à la lettre de la loi du 16 juin 1993, modifiée par celle du 10 février 1999, relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire.

Cette législation insère, dans l'arsenal juridique belge, les concepts de génocide et de crime contre l'humanité avec attribution de compétence universelle aux tribunaux belges.

M. Alain Destexhe (PRL-FDF-MCC). - Je m'étonne qu'un juge d'instruction ait pu estimer qu'il n'y avait pas d'urgence d'incarcérer le suspect alors que le Procureur du tribunal pénal international demandait son incarcération.

Deuxièmement, je prends bonne note du fait que le Parquet n'a pas diligenté les poursuites parce qu'il a donné la priorité à d'autres dossiers pour lesquels 45 mois ont toutefois été nécessaires pour faire avancer la procédure.

Troisièmement, à la lumière de votre réponse et des différents éléments du dossier, la décision du Tribunal du procureur international est un désaveu, d'une part, pour le parquet général qui aurait pu profiter de ce cas pour faire un exemple en Belgique et, d'autre part, pour ceux qui ont pris le risque d'accorder l'asile politique en appel de Ndindiliyimana.

Non seulement cet individu n'aurait jamais dû obtenir l'asile sur notre territoire mais, en plus, il aurait dû être jugé en Belgique.

Quatrièmement, nous avions l'opportunité de jouer un rôle moteur en matière judiciaire puisque le principe de juridiction universelle ou de compétence universelle est balbutiant et qu'il n'existe pas beaucoup d'exemples de l'application de ce principe. Je regrette que ce soit au travers de l'affaire Pinochet que ce principe ait connu une certaine publicité.

En conclusion, je compte sur vous pour essayer de rattraper le temps perdu par vos prédécesseurs, pour veiller à ce que justice soit faite pour le million de personnes assassinées au Rwanda et pour que la Belgique joue son rôle aux côtés des tribunaux rwandais et de la justice pénale internationale.