Questions et Réponses

Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996


Bulletin 1-21

25 JUIN 1996

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Ministre des Affaires étrangères

Question nº 58 de M. Destexhe du 10 mai 1996 (Fr.) :
Sort réservé à Gendhun Choekyi Nyima (reconnu par le dalaï-lama comme la onzième réincarnation du panchen-lama).

Le 15 mai 1995, le dalaï-lama, en sa qualité de chef spirituel des Tibétains bouddhistes, avait reconnu un jeune garçon de 6 ans du nom de Gendhun Choekyi Nyima, comme la onzième réincarnation du panchen-lama, haut dignitaire du bouddhisme tibétain. Le mercredi 29 novembre 1995, les autorités chinoises ont fait procéder, contre la décision du dalaï-lama et contre l'ensemble du clergé bouddiste, à la nomination par « tirage au sort » d'un autre panchen-lama. Celui-ci s'appelle Gyaincain Norbu, et est également âgé de 6 ans. Il ne nous appartient pas de prendre position dans un débat qui est d'ordre religieux pour savoir si oui ou non les rites et pratiques qui ont présidé au choix final du dalaï-lama s'inscrivaient bien dans la tradition historique, encore que nul observateur sérieux ne le conteste; mais il est par contre clairement établi que le régime chinois, dont les troupes occupent le Tibet, s'est immiscé dans les affaires religieuses du peuple tibétain, aux seules fins d'asseoir son influence et son autorité. Ce comportement est en soi condamnable; et l'est d'autant plus que des dizaines de personnes sont actuellement incarcérées pour avoir pris part au processus de désignation du petit Gendhun Choekyi Nyima.

Le mode de désignation des hauts dignitaires bouddhistes au Tibet échappe à notre entendement. Pourtant, il ne nous viendrait pas à l'esprit de critiquer ou de dénigrer ce qui ressort de la liberté de culte. Peut-on dès lors imaginer les responsables d'un régime professant officiellement l'athéisme et proscrivant toute pratique surnaturelle, se retrouvant parmi des moines apeurés dans un temple bouddhiste de Lhassa, pour faire procéder de force à la désignation d'un haut dignitaire religieux ? Ceci n'a pas de sens. En faisant procéder à la désignation de son propre candidat, le régime chinois a délibéremment foulé aux pieds les principes de la liberté de culte, que la Chine s'était pourtant engagée à respecter au Tibet par le biais du fameux « Accord en 17 points » signé en 1951. Même si cet accord, obtenu sous la contrainte et revêtu d'un sceau falsifié, n'a aucune valeur aux yeux du droit international (et fut d'ailleurs dénoncé par le dalaï-lama), on ne peut cependant pas s'empêcher de constater que la Chine n'a jamais entendu lui donner quelque consistance...

Cette affaire est loin d'être innocente : le panchen-lama est en effet celui qui sera amené à désigner la réincarnation du futur dalaï-lama. S'il se trouve sous la coupe de Pékin, il va de soi que c'est un grave danger pour l'avenir des Tibétains. L'enjeu est donc d'importance et il est politique. Ainsi, au travers de cette affaire, c'est en réalité la question du statut futur du Tibet qui est sous-jacente.

Par ailleurs, le 20 juillet dernier, le petit Gendhun Choekyi Nyima a été emmené avec toute sa famille à Pékin où, malgré les démentis chinois, il se trouve sans doute au secret. On peut craindre pour la vie de cet enfant, qui est ainsi devenu le plus jeune prisonnier politique du monde. Ceci constitue un scandale auquel il doit être mis fin. On estime en outre qu'une cinquantaine de moines et de laïcs qui soutenaient le choix du dalaï-lama ont également été arrêtés, comme aux pires heures de la révolution culturelle.

Ne reculant même pas devant le ridicule pour justifier la désignation d'un autre panchen-lama, les autorités chinoises ont affirmé par le biais de l'agence « Chine nouvelle » que le petit Gendhun Choekyi Nyima « avait noyé un chien, ce qui constitue un crime haineux aux yeux du Bouddha ». On pourrait s'amuser de cette soudaine sollicitude des Chinois à l'égard des préceptes bouddhistes, s'il ne s'agissait pas de la vie d'un enfant de 6 ans et de l'avenir d'un peuple opprimé... On ne s'en référera pas, pour une fois, à un proverbe chinois mais bien à un proverbe de chez nous pour dire que « celui qui veut noyer son chien dira qu'il a la rage »...

L'honorable ministre pourra-t-il me dire quelles démarches il a entreprises ou il compte entreprendre pour obtenir la libération immédiate et sans condition du petit Gendhun Choekyi Nyima ?

Dans ses récents contacts avec des représentants officiels de la république populaire de Chine, le gouvernement belge ou le ministre des Affaires étrangères ont-ils évoqué cette question ainsi que celle du statut futur du Tibet ? S'ils ne l'ont pas fait, comptent-ils le faire ?

Le gouvernement belge pourrait-il offrir sa médiation dans cette affaire, dans le souci du respect de la liberté religieuse au Tibet et du droit à l'autodétermination du peuple tibétain ?

Je remercie l'honorable ministre pour les éclaircissements qu'il voudra bien donner.


Réponse : Le cas du petit Gendhun Choekyi Nyima désigné par le dalaï-lama comme successeur du panchen-lama et que Pékin a remplacé par un autre successeur est suivi très attentivement par la Belgique et l'Union européenne. Notre préoccupation concernant le sort de cet enfant de six ans et de sa famille a été évoquée à plusieurs reprises lors de nos contacts avec les autorités chinoises. Ceci a été le cas notamment dans le cadre du dialogue spécial entre l'Union européenne et la Chine sur le problème des droits de l'homme qui a été organisé pour la deuxième fois à Pékin en janvier 1996.

Cette question a également trouvé sa place dans le contexte plus large de la situation générale au Tibet où nous avons dénoncé l'atteinte à l'identité culturelle, ethnique, linguistique et religieuse des Tibétains. Étant donné le fait que le dalaï-lama ne recherche pas en soi l'indépendance du Tibet mais une réelle autonomie et la protection de la culture et de la religion tibétaines, nous engageons la Chine à respecter ces droits et à entamer à ce sujet un dialogue avec le dalaï-lama.

La persistance de situations inacceptables avait également été mentionnée dans le projet de résolution sur les droits de l'homme en Chine que l'Union européenne voulait déposer durant la 52e session de la Commission des droits de l'homme qui s'est tenue à Genève du 18 mars au 26 avril 1996. La Chine a cependant à nouveau réussi à éviter un débat à ce sujet en obtenant une majorité pour son « no-action motion ». L'Union européenne réfléchit à présent aux moyens de prévenir dans le futur la répétition d'un tel échec et de pouvoir peser de façon plus efficace sur un meilleur respect des droits de l'homme en Chine. Tenant compte de l'attitude opiniâtre de la Chine, une médiation de la Belgique dans cette affaire ne semble pas indiquée. La meilleure tactique demeure une action et une pression concertées et continues tant européenne qu'internationale.