(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais
Le Code judiciaire prévoit clairement les conditions à remplir pour devenir avocat. Il faut :
être Belge ou ressortissant communautaire;
être porteur d'un diplôme de droit (ou équivalent);
prêter serment devant la cour d'appel, sur réquisition du parquet général, en présence du bâtonnier;
être inscrit à la liste des stagiaires pendant trois ans au moins;
avoir satisfait pendant trois ans aux obligations du stage déterminées par le conseil de l'ordre, ce qui, d'après la loi, implique la participation à la défense des indigents et l'assistance obligatoire à « des conférences » pour recevoir l'enseignement des règles professionnelles et s'exercer à la plaidoirie (article 456 du Code judiciaire);
être admis au tableau par le conseil de l'ordre, à l'issue du stage.
Le conseil général de l'Ordre national des avocats, depuis quelques années, a instauré le CAPA, certificat d'aptitude à la profession d'avocat, qui oblige les candidats stagiaires :
À assister à de nombreuses heures de cours (dispensées le plus souvent en week-end ou en séminaires résidentiels). La présence aux cours est obligatoire.
À réussir un examen sur les matières enseignées avant la fin de la seconde année de stage et en moins de deux sessions (la dispense est accordée à 15/20).
Les matières faisant l'objet de l'enseignement et les examens correspondent aux principales matières juridiques enseignées pendant la licence de droit.
Les cours sont donnés par des avocats qui interrogent eux-mêmes leurs jeunes confrères. Les délibérations du « jury » sont sans appel.
Quelques barreaux sont allés plus loin encore, pour rendre l'accès au barreau le plus malaisé possible pour les jeunes :
À Arlon, pour être patron de stage, il faut avoir été avocat pendant cinq ans à Arlon.
À Namur, on ne tolère qu'un stagiaire par cabinet.
À Verviers et à Arlon, on ne peut assurer plus d'une maîtrise de stage en même temps.
À Liège, le règlement est le plus draconien : on ne peut engager qu'un stagiaire tous les deux ans; le patron de stage doit être agréé et doit soumettre un contrat de stage à contrôle; le stage fera lui-même l'objet d'une série de contrôles par des rapports confidentiels; il n'est plus obligatoire de payer le stagiaire pendant sa première année de stage.
Il est possible que d'autres barreaux wallons aient adopté des règlements similaires. En tout cas, les ordres bruxellois et flamand se refusent à de telles pratiques.
Tout cela appelle des questions importantes :
N'est-ce pas au législateur fédéral, et à lui seul, qu'il revient de déterminer les conditions d'accès aux diverses professions ?
De telles pratiques ne sont-elles pas autant d'atteintes au respect qui est dû aux diplômes légalement délivrés et obtenus ?
Si le barreau est autorisé à organiser des examens en son sein, ne peut-on craindre que demain d'autres professions ne demandent à pouvoir elles aussi pratiquer de la sorte ?
N'est-il pas évident que le barreau a pris d'énormes libertés avec la loi ? N'est-on pas très loin de la simple obligation légale d'assister à des conférences sur les règles professionnelles et sur l'exercice de la plaidoirie ?
Le fait que les autorités de l'ordre puissent réglementer sans recours des avocats, ni contrôle des autorités (à l'inverse des autres professions libérales) n'est-il pas la cause de pareils abus ? Ne faudrait-il pas prévoir des recours et des contrôles ?
Est-il admissible que les règles d'accès à une profession soient différentes d'un arrondissement à l'autre ?
Si vous partagez mon sentiment, quelles initiatives pensez-vous devoir prendre ?
Réponse : Avant de fournir à l'honorable membre les informations requises, il convient d'apporter une correction à certaines affirmations contenues dans la question.
S'il est exact que les ordres du barreau de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles ne limitent pas le nombre de stagiaires par maître de stage, plusieurs barreaux flamands ont pris des mesures pour atteindre ce résultat. En outre, un contrat de stage écrit et une rémunération minimum sont imposés dans de nombreux barreaux flamands ainsi qu'au barreau de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles. Enfin, tous les barreaux requièrent une ancienneté de plus ou moins dix ans pour pouvoir être maître de stage (sauf dérogation accordée par le conseil de l'ordre de certains barreaux).
Ces précisions apportées, j'ai l'honneur de porter à la connaissance de l'honorable membre les informations suivantes.
Par application de l'article 6, § 1er , VI, alinéa 5, 6º, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, l'autorité fédérale est en effet seule compétente pour les conditions d'accès à la profession, à l'exception des compétences régionales pour les conditions d'accès à la profession en matière de tourisme.
Conformément à cette disposition les conditions d'accès à la profession d'avocat sont fixées dans le Code judiciaire.
L'article 428 du code précité dispose notamment que nul ne peut porter le titre d'avocat ni en exercer la profession s'il n'est Belge ou ressortissant d'un État membre de la Communauté économique européenne, porteur du diplôme de docteur en droit (ou de licencié en droit cf. la loi du 31 mai 1972 qui étend au grade de licencié en droit les effets légaux attachés au grade de docteur en droit), s'il n'a prêté le serment déterminé par la loi et s'il n'est inscrit au tableau de l'ordre ou sur la liste des stagiaires.
L'article 432 du Code judiciaire dispose que les inscriptions au tableau et au stage sont décidées par le conseil de l'ordre, maître du tableau et de la liste des stagiaires, et que le refus d'inscription doit être motivé.
L'article 434 du même code dispose que pour être inscrit au tableau de l'ordre, il est nécessaire d'avoir accompli trois ans de stage.
En ce qui concerne le contenu et les modalités du stage, le législateur fédéral a attribué un pouvoir réglementaire à la fois au conseil de l'Ordre des avocats au niveau de l'arrondissement judiciaire, et au conseil général de l'Ordre national des avocats au niveau national.
L'article 435 du Code judiciaire dispose en effet que les obligations du stage sont déterminées par le conseil de l'ordre, sans préjudice des pouvoirs attribués au conseil général de l'ordre national en vertu de l'article 494 du Code judiciaire.
En outre, l'article 456 du même code prévoit notamment que le conseil de l'ordre est chargé de veiller à l'accomplissement de toutes les obligations du stage dont il peut, le cas échéant, prolonger la durée sans préjudice du droit de refuser l'admission au tableau. Il est également chargé d'établir des conférences auxquelles les jeunes avocats qui font leur stage sont tenus d'assister pour recevoir l'enseignement des règles professionnelles et s'exercer à la plaidoirie.
L'article 494 dispose que le conseil général détermine et unifie les règles et usages de la profession d'avocat en raison des rapports qu'elle comporte entre les membres de barreaux différents, qu'il arrête à cette fin les règlements convenables et assure le fonctionnement de l'ordre national.
Par application de l'article 494 précité, le conseil général de l'ordre national a adopté le 28 novembre 1991 un nouveau règlement modifié le 14 octobre 1993 et le 13 janvier 1994 en matière de formation professionnelle en considérant qu'il convenait d'unifier les règles et usages des différents barreaux en la matière.
Aux termes de ce règlement :
un cycle de formation professionnelle est organisé au moins sur huit matières : déontologie, organisation du cabinet, pratique judiciaire dans les matières civile, commerciale, fiscale et sociale ainsi que dans celles du droit familial, pénal et de la responsabilité civile;
les cours doivent être suivis pendant la première année de stage ou, à défaut, pendant la deuxième, et l'assistance aux cours est obligatoire;
une interrogation verbale ou écrite sur chacune des matières est obligatoire et seuls les stagiaires justifiant avoir suivi effectivement 2/3 des cours au moins, dans les deux ans qui précèdent, sont reçus à présenter l'épreuve;
l'épreuve doit être réussie au plus tard à l'issue de la deuxième année de stage et le stagiaire doit obtenir une note d'au moins 12/20 dans toutes les matières. Le jury peut cependant décerner le certificat d'aptitude au stagiaire qui a obtenu une note de 12/20 dans cinq matières au moins et une moyenne de 50 % des points au moins pour l'ensemble des matières;
l'épreuve ne peut être présentée qu'à deux reprises; le jury peut dispenser le stagiaire de représenter l'épreuve dans les matières où il a recueilli une note d'au moins 15/20. En cas de deuxième échec, le stagiaire devra comparaître devant le conseil de l'ordre pour y présenter ses explications; le conseil pourra soit l'autoriser à présenter une troisième et dernière épreuve dans les six mois soit l'omettre pour non-accomplissement de ses obligations de stage;
le stagiaire qui ne présente pas l'épreuve au cours des deux premières années de stage est assimilé à un stagiaire qui a échoué à deux reprises.
Les décisions prises par le conseil de l'ordre sur base notamment de l'article 432 du Code judiciaire sont susceptibles d'appel par celui qui sollicite une inscription (article 469bis du même code) devant le conseil de discipline d'appel institué par l'article 472 du Code judiciaire.
Par application de l'article 614, 1º, du même code, un pourvoi en cassation peut être introduit contre les décisions prononcées par les conseils d'appel de l'ordre des avocats.
Enfin, il a été jugé par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 23 juin 1994, JT 1994, p. 713) que lorsqu'une législation subordonne à certaines conditions l'admission à une profession et que l'intéressé y satisfait, ce dernier possède un droit civil d'accès à cette profession, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne.
Sous réserve de l'appréciation des cours et tribunaux, il résulte de l'appréciation de cette jurisprudence qu'un candidat-avocat qui se serait vu refuser à tort l'accès à la profession pourrait obtenir réparation du préjudice subi devant les juridictions civiles.
En ce qui concerne les règlements du conseil de l'Ordre des avocats, le Conseil d'État a décidé, dans un arrêt rendu le 15 septembre 1997 en assemblée générale, que, puisqu'il résulte des travaux préparatoires du Code judiciaire et de l'économie, notamment des articles 435, 451, 455, 456, 501, 502, 610 et 611 de ce code, que le législateur a entendu soustraire les actes des organes de l'Ordre des avocats au contrôle du juge administratif pour les confier à celui du pouvoir judiciaire, les règlements, comme les actes à portée individuelle, pris par le conseil de l'Ordre des avocats, ne relèvent pas de la compétence d'annulation du Conseil d'État (Conseil d'État, 15 septembre 1997, JT , 1997, pp. 820 à 827).
Dans son avis précédant cet arrêt, M. Gilliaux, auditeur, estime que la Cour de cassation pourrait être compétente en vertu des articles 610 et 1088 du Code judiciaire (o.c. JT , 1997, p. 822). Ceci est également suggéré par la doctrine (D. Lagasse, « Devant quelle juridiction un avocat peut-il demander l'annulation d'un règlement de son conseil de l'Ordre ? », JT , 1997, p. 826).
Il appartient à la Cour de cassation de décider dans une affaire déterminée si les règlements du conseil de l'ordre tombent sous l'application des articles 610 et 1088 du Code judiciaire. Celle-ci n'a toutefois pas encore eu l'occasion de se prononcer.
Rappelons que pour qu'un acte soit entaché d'excès de pouvoir, au sens de l'article 1088 du Code judiciaire, il faut que celui-ci soit pris non seulement en violation de la loi mais également en violation d'un principe constitutionnel ou de droit public ou d'une règle fondamentale de l'organisation ou de l'administration de la justice (Hayoit de Termicourt, « Les pourvois dans l'intérêt de la loi et les dénonciations sur ordre du ministre de la Justice », JT , 13 septembre 1964, p. 482).
Dans l'affaire exposée ci-avant, qui a été soumise au Conseil d'État, le requérant a saisi, le 13 mars 1998, la Commission européenne des droits de l'homme.