1-425/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

1er OCTOBRE 1996


Proposition de résolution visant à interdire l'importation en Belgique et dans l'Union européenne de biens produits par des enfants

(Déposée par M. Destexhe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Lors du sommet des sept grandes puissances le 29 juin 1996, les sept n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'inclusion des normes sociales au menu de la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du Commerce (O.M.C.) à Singapour en décembre 1996.

Pour beaucoup, l'insertion de clauses sociales dans les traités commerciaux internationaux est un moyen de contrôler la délocalisation croissante d'activités vers les pays à bas salaires. De divers côtés, des protestations s'élèvent contre ce que l'on appelle le « dumping social ». Les pays à bas salaires fausseraient la concurrence en foulant aux pieds les droits sociaux élémentaires.

L'objectif de la présente proposition de résolution n'est pas de promouvoir un protectionnisme, mais de tendre à faire respecter une des règles sociales minimales à savoir l'interdiction du travail des enfants.

Une directive (94/33/C.E.) relative à la protection des jeunes au travail a été adoptée le 22 juin 1994 par le Conseil de l'Europe. Celle-ci a pour objectif de contraindre les États membres à prendre les mesures nécessaires pour interdire le travail des enfants. L'idée est que chaque État membre doit protéger les jeunes contre l'exploitation économique et tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé ou à leur développement physique, psychologique, moral ou social ou de compromettre leur éducation (Principe 9 de la Déclaration des Droits de l'Enfance proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1959).

Mais, dans la plupart des pays en développement, il n'y a guère de pression sur les pouvoirs publics pour que la situation change.

D'après le rapport « No time to play : Child workers in the global economy » de la « International Confederation of Free Trade Unions » (juin 1996), le travail des enfants concerne 200 millions d'entre eux dans le monde.

Celui-ci est localisé dans les pays de l'Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Pakistan, Népal et Sri Lanka) et du Sud-Est asiatique (les Philippines, Malaisie, Thailande, Indonésie, Cambodge et Viêt-nam). Il constitue approximativement 11 p.c. du travail forcé. À titre d'exemple et selon des sources officielles, au Bangladesh, plus de 5,7 millions d'enfants, âgés de 10 à 14 ans, sont employés dans des entreprises de vêtements. En Inde, durant les 25 dernières années, les chiffres officiels sont passés de 10,7 millions à 17 millions mais selon d'autres sources le nombre atteint les 100 millions.

Le travail d'un enfant en dessous de l'âge de 15 ans se retrouve également en Afrique (17 p.c.) et dans la plupart des régions de l'Amérique latine (12 à 26 p.c.).

Il faut essayer d'éviter toutes les formes de travail dans lesquelles on exploite l'enfant, on profite de sa faiblesse, on l'expose à des risques, on l'empêche de s'éduquer et de se former, bref, toutes les formes de travail qui privent l'enfant de ses droits d'enfant.

Le but de la présente proposition de résolution est d'interdire les importations de marchandises et de services qui ont été produits par des enfants. Des marchandises et des services ne peuvent être importés dans notre pays, que s'ils ont été produits dans le respect de certaines règles et/ou normes sociales minimales.

Des entreprises telles que Levi Strauss, par exemple, ont déjà pris l'initiative d'imposer à leurs fournisseurs et à leurs sous-traitants le respect de certaines normes sociales minimales, en particulier l'interdiction du travail des enfants. Il faut continuer dans ce sens.

Alain DESTEXHE.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Vu l'article 2 de la Convention internationale du travail nº 138 concernant l'âge minimum à l'emploi, entrée en vigueur le 19 juin 1976 et ratifiée par le Luxembourg, Malte, l'Île Maurice, le Nicaragua, le Nigeria, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Russie, le Rwanda, Saint-Martin, la Slovénie, la Suède, le Tadjikistan, le Togo, la Tunisie, l'Ukraine, l'Uruguay, le Venezuela, la Yougoslavie et la Zambie;

Vu le principe 9 de la Déclaration des Droits de l'Enfant, proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies à New York le 20 novembre 1989, ratifiée le 16 décembre 1991 (Moniteur belge du 17 janvier 1992) et entrée en vigueur le 15 janvier 1992;

Vu la directive 94/33/C.E. du Conseil du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail;

Considérant que selon le Bureau international du Travail environ 200 millions d'enfants âgés de moins de 15 ans travaillent et souvent dans des conditions dangereuses;

Considérant que le nombre d'enfants qui travaillent avant 15 ans ne cessent de croître chaque année, malgré l'existence de plus de vingt conventions internationales du travail relatives au travail de l'enfant et malgré les lois internes à de nombreux pays qui interdisent l'engagement au travail en dessous de l'âge de 15 ans;

Considérant que dans beaucoup de pays, les enfants en dessous de 15 ans n'ont ni la position légale, ni les moyens de se protéger contre l'exploitation au travail;

Considérant que la fréquence du travail des enfants dans de nombreux pays est enracinée par la pauvreté très étendue qui est attribuée au chômage et au sous-emploi, au revenu précaire, au niveau de vie assez bas, à l'éducation insuffisante;

Considérant que le travail des enfants avant même l'âge de 15 ans les prive de l'éducation de base;

Considérant qu'il ne faut pas mélanger protection des enfants et attitude protectionniste dans le domaine du commerce international;

Demande au Gouvernement belge :

­ de décourager activement l'engagement d'enfants en dessous de l'âge de 15 ans (âge minimum d'éducation selon l'article 2 de la Convention internationale du travail nº 138) pour la production de biens servant à l'exportation ou à la consommation;

­ de soutenir les activités et les programmes tendant à améliorer le niveau d'éducation, la réhabilitation ainsi que les lois visant à supprimer le travail des enfants en dessous d'un âge minimum;

­ d'encourager les sociétés importatrices à faire savoir au public que les produits importés n'ont pas été fabriqués par des enfants;

­ de renforcer les règles de droit international avec comme objectif de renoncer à l'utilisation des enfants en dessous d'un certain âge pour la production de divers produits;

­ d'introduire progressivement en droit belge l'interdiction de l'importation de produits résultant du travail des enfants;

­ de promouvoir activement les sociétes importatrices à faire savoir au public que les produits importés n'ont pas été fabriqués par des enfants;

­ de soutenir les pays étrangers qui souhaitent renforcer leur loi nationale en interdisant l'emploi des enfants en dessous de l'âge minimum de 15 ans et d'augmenter l'assistance pour diminuer le niveau de pauvreté qui est souvent la cause de l'exploitation commerciale des enfants;

­ d'intervenir auprès des instances internationales appropriées afin de créer des organes de contrôle (par exemple sous la surveillance du Bureau international du Travail) qui pourront effectivement mener des enquêtes sur le travail des enfants et l'importation des produits fabriqués par des enfants.

Alain DESTEXHE.
Lydia MAXIMUS.
Joëlle MILQUET.
Bert ANCIAUX.
Stef GORIS.
Jean-Marie HAPPART.