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6 DÉCEMBRE 1997
RAPPORT DE LA MISSION EFFECTUÉE AU RWANDA DE M. PHILIPPE MAHOUX, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE CONCERNANT LES ÉVÉNEMENTS DU RWANDA, AU RWANDA DU 23 AU 30 AOÛT 1997
Composition de la mission :
M. Philippe Mahoux, vice-président de la Commission d'enquête parlementaire.
M. Stef Vandeginste, chercheur au Centre d'étude de la région des Grands Lacs d'Afrique.
Rapport de la mission :
Samedi 23 août 1997 et dimanche 24 août 1997
Accueil à Kigali par M. Jean Lint, ambassadeur de la Belgique, M. Sigurd Schelstraete, premier secrétaire de l'ambassade de Belgique, M. Robert Schrieuwer, chef de la Section de coopération A.G.C.D., et M. René Chantraine, attaché militaire de l'ambassade de Belgique.
Prestation de serment par M. Stef Vandeginste.
Analyse de la situation actuelle au Rwanda et discussion. Présentation de l'objet de la mission et de l'avancement des travaux de la commission d'enquête. Préparation du programme de la mission. Visite de la ville de Kigali et du site de commémoration du génocide au Mont Rebero.
Lundi 25 août 1997
Entretien avec M. Joseph Sebarenzi, président de l'Assemblée nationale, et Mme Jacqueline Muhongayire, vice-présidente de l'Assemblée nationale.
Présentation du contexte et des objets de la mission : consultation des archives de l'Assemblée nationale, visite de sites de commémoration du génocide, entretien avec des autorités au niveau de l'Assemblée nationale et rencontres de témoins oculaires des événéments. Explication de l'intérêt des archives dans le cadre des objectifs et de l'avancement des travaux de la commission d'enquête.
Échange de propositions pour le programme officiel de la mission : consultation des archives, visite d'un site de commémoration, rencontre de témoins civils et militaires (y compris ex-F.A.R.), rencontre d'une délégation de députés, rencontre d'un responsable de l'appareil judiciaire.
Entretien avec M. Jan Lenssen, père blanc.
M. Lenssen était rentré au Rwanda en novembre 1993, après y avoir vécu pendant des années depuis 1973. À son retour, il a constaté, sur le plan politique, trois éléments importants : le « jeu » des Accords d'Arusha, la grande peur au sein de la population et les discussions concernant le mandat de la Minuar qui, finalement, n'était plus prise au sérieux. Il faisait partie d'un groupe ad hoc « Justice et Paix », qui, déjà en février 1994, avait dénoncé la distribution d'armes. Ces distributions sa faisaient au niveau de la commune et surtout aux membres du M.R.N.D.
Plus d'une semaine avant le 6 avril, quelque 120 Tutsis s'étaient réfugiés à la paroisse du père Lenssen à Nyamirambo (Kigali). Le matin du 7 avril, d'autres Tutsis, mais également des Hutus, sont arrivés dans l'église. À partir de midi, les groupes d'Interahamwe se sont formés au marché, et dans l'après-midi, les assassinats ont commencé. Le jeudi après-midi, entre 40 et 50 personnes ont été tuées par des militaires dans la paroisse du père Lenssen. La plupart des massacres aux alentours de la paroisse ont eu lieu le vendredi 8 avril. Les miliciens étaient des jeunes du quartier qui connaissaient bien leurs victimes. Leurs leaders étaient souvent armés et ils étaient encadrés par la garde présidentielle.
Le dimanche, les Français (et un Zaïrois) qui se trouvaient à la paroisse ont été évacués. Le mercredi, la Minuar a évacué les deux Belges de la paroisse.
Entretien avec M. Jan Nachtergaele, directeur de l'École belge à Kigali.
M. Nachtergaele revient d'abord brièvement sur l'assassinat de Mme Claire Beckers, son mari M. Isaïe Bucyana et leur fille Katia Bucyana. Ils ont été attaqués une première fois le jeudi 7 avril chez eux à Nyamirambo. Le vendredi 8 avril, le peloton Ramadan (Minuar) a quitté Nyamirambo sans évacuer la famille Bucyana. Selon les informations de M. Nachtergaele, le peloton n'aurait pas été autorisé à évacuer des couples mixtes, bien qu'il l'ait proposé. Le samedi 9 avril, la famille Bucyana a été assassinée.
Les couples mixtes étaient ciblés. Parmi eux, la famille de Mme Annie Roland et de son mari Jean Mugwaneza, qui ont été tués à Kicukiro; leur fils a pu se cacher et se réfugier ensuite dans la maison occupée par la Minuar près de l'École belge. M. Paul Dooms et son épouse rwandaise s'y sont réfugiés également le dimanche.
M. Nachtergaele n'était pas au courant de la mort des dix paras belges jusqu'au jeudi soir ou vendredi matin. Les Casques bleus belges à l'École belge, avec qui il avait de bonnes relations, n'en ont pas parlé le jeudi matin. L'évacuation vers l'École française des personnes regroupées près de l'École belge a eu lieu le lundi 11 avril. C'est de là que l'évacuation s'est effectuée vers l'aéroport.
Entretien avec M. Michel Ruyters, M. Lionel Lefebvre et M. Pieter Lenaerts, pères salésiens à l'École technique officielle E.T.O. à Kicukiro (Kigali).
M. Ruyters revient d'abord sur les mots du nonce apostolique suite à son entretien, pendant trois heures, avec le colonel Alexis Kanyarengwe (F.P.R.) le lundi 4 avril. Le nonce s'est rendu à l'E.T.O. et y a dit : « C'est fini ».
Il déclare ensuite : « La nuit du 6 avril était relativement calme, sauf quelques tirs venant du côté de Kanombe. Le matin du 7 avril, la Minuar a conduit l'ancien ministre M. Boniface Ngunlinzira à l'E.T.O. (annexe 1). Des assassinats sélectifs, un « génocide sélectif », avaient commencé. Dans l'après-midi, des réfugiés affluaient, les blessés étaient soignés. Le dimanche, le père Michel a aidé la Minuar à localiser les Belges dans le quartier de Kicukiro. Le dimanche soir, 143 expatriés étaient regroupés à l'E.T.O. Le lundi matin, une patrouille de dix Français est arrivée pour évacuer uniquement les Français et les Italiens, ce que le lieutenant Lemaire (Minuar) a refusé. Il a obtenu un accord des Français pour évacuer les Belges en même temps, ce qui s'est fait le lundi. Il a refusé que M. Ngunlinzira soit évacué en même temps que les rapatriés. Lemaire disait également que la Minuar resterait encore trois semaines pour protéger les réfugiés. Selon le bourgmestre de Kicukiro, la Minuar a rendu l'E.T.O. à la gendarmerie « en bonne et due forme », bien que les massacres aient commencé tout de suite après le départ de la Minuar le lundi après-midi. »
M. Ruyters a également souligné qu'il y a eu quelques rencontres entre le colonel Rusatira et l'ancien ministre Ngunlinzira à l'E.T.O. et que M. Ngunlinzira avait l'impression que le major Rusatira et le major Ndindiliyimana tentaient de mettre de côté le colonel Bagosora.
Entretien avec Mme Frieda Schaubroeck et Mme Marleen Creve, soeurs bernardines au Centre Hospitalier de Kigali (C.H.K.)
Les soeurs ont entendu les premiers tirs vers 5 heures le matin du jeudi 7 avril. Des gens sont venus se réfugier à l'école des soeurs bernardines. Par après, les soeurs ont appris que la plupart des réfugiés y sont restés jusqu'au 30 avril, quand les militaires sont venus chercher les hommes pour les tuer. La gendarmerie serait venue protéger les femmes et les enfants. Sur un total de 750 élèves et travailleurs, environ 100 ont été tués.
Soeur Schaubroeck souligne la grande volonté de reconstruction de la part des autorités. Elle constate un besoin d'éducation morale de la population : beaucoup de détenus ne le sont qu'à cause de la jalousie de ceux qui les ont dénoncés.
Mardi 26 août 1997
Visite aux archives au secrétariat du bureau politique du parti F.P.R.
Les archives du bureau politique du F.P.R. sont composées de :
1. Enregistrements d'émissions de Radio Rwanda, R.T.L.M. et Radio Muhabura. Les enregistrements ont commencé (sans être systématiques) au cours de l'année 1993. Les derniers enregistrements datent du 19 juin 1994. Environ 2 000 heures d'émissions de Radio Rwanda et R.T.L.M. ont été enregistrées et sont disponibles sous forme de cassette de 60 et 90 minutes. La quasi-totalité a été copiée par le Tribunal international pour le Rwanda. Un registre chronologique a été fait; un registre par mots-clefs sera ajouté.
2. Des cassettes vidéo avec des copies de certaines émissions de C.N.N., B.B.C. et autres productions internationales (p. ex. : « La république est devenue folle » de Luc De Heusch); des documentaires de l'O.R.I.N.F.O.R. sur les antécédents du génocide; des enregistrements faits par le F.P.R. au cours des mois d'avril, mai et juin 1994 avec des témoignages de rescapés, blessés et autres témoins.
3. Quelques documents écrits : ouvrages de J.P. Chrétien, (African Rights) et autres; quelques documents non systématiques trouvés dans des maisons abandonnées (des listes de personnes à former dans l'utilisation des armes, de personnes qui ont reçu des armes, de personnes affectées aux contrôles des barrages).
Le personnel en charge affirme qu'il n'y a pas d'archives ou autres documents écrits qui seraient venus de l'Assemblée nationale. Pourtant, de nombreux classeurs se trouvent dans le local, certains datent de la fin des années 80, d'autres portent des références comme « Discours », « Survols et atterissages ».
Entretien avec Mme Macha Sinegre-David, chef de projet, et Me Jacques Van Gelder, secrétaire général de « Avocats Sans Frontières (A.S.F.) Projet « Justice pour Tous ».
Depuis la publication de la loi portant création du Barreau au Rwanda au début du mois d'août 1997, les activités d'A.S.F. ont été suspendues au niveau des plaidoyers, en attendant l'installation du barreau et la prestation de serment par les avocats le 30 août 1997.
A.S.F. a pu obtenir certains résultats (des auditions à huis clos, des descentes sur les lieux, des rapports médicaux, des remises, des acquittements) dans des dossiers individuels, ainsi qu'un changement dans la perception du rôle de l'avocat par les magistrats et par la population en général. Malheureusement, A.S.F. n'a aucune activité dans certaines préfectures éloignées (pour des raisons de sécurité) et les relations avec certains directeurs de prison et avocats rwandais sont difficiles. Des mises en liberté de mineurs, de malades et de personnes âgées ont été annoncées pour désengorger les prisons.
Mercredi 27 août 1997
Visite au site de commémoration du génocide à Murambi, commune de Nyamagabe, préfecture de Gikongoro.
La mission a été accompagnée par Mme Jacqueline Muhongayire, vice-présidente de l'Assemblée nationale, M. Aron Makuba, député et président de la commission des Affaires étrangères, et M. Félix Zigilinshuti, préfet de Gikongoro.
Le site est composé d'une vingtaine de bâtiments d'une école secondaire en construction. Un millier de corps déterrés des fosses communes y ont été exposés. La mission a déposé une couronne de fleurs devant le monument commémoratif.
Selon les déclarations des témoins, à partir du 7 avril 1994, des milliers de réfugiés ont été regroupés dans l'école en construction, pour éviter qu'ils s'enfuient vers la frontière du Burundi. La population locale aurait aidé à les transporter. Les massacres d'entre 30 000 et 50 000 victimes ont eu lieu le 20 et le 21 avril 1997. Une fosse commune de 18 000 personnes a été découverte; 600 corps d'enfants ont été retrouvés dans une fosse septique. Nos interlocuteurs locaux soulignent avec indignation que c'est à côté de ces fosses communes que les militaires de l'opération Turquoise et des militaires de la Minuar procédaient au salut au drapeau.
Entretien avec M. Paul Dooms, conseiller au cabinet du ministre de l'Agriculture.
M. Dooms situe en 1988, à l'occasion des élections présidentielles, la constitution d'un noyau dur autour du président Habyarimana. Ce noyau voulait à tout prix maintenir le pouvoir, ce qui s'est manifesté par l'accaparement des richesses du pays et le refus absolu d'un retour des réfugiés. L'attaque du F.P.R. en octobre 1990 était connue par le gouvernement. Tout le processus d'Arusha a été une grande masquerade pour les membres du noyau dur qui en même temps ont créé les Interahamwe et ont installé R.T.L.M.
Néanmoins, le génocide a clairement dépassé une partie des « durs », p. ex. Félicien Kabuga, qui a perdu une partie de sa famille (tutsi). Certes, il y avait une préparation claire et nette pour éliminer des opposants politiques, mais le génocide n'était voulu que par une petite minorité. La pauvreté et la peur de la population ont multiplié l'effet voulu par une partie des personnes au pouvoir.
Le 7 avril 1994, M. Dooms et son épouse rwandaise étaient chez eux à Kiyovu (Kigali). Dès la reprise des émissions de R.T.L.M. (à 6 heures le 7 avril) il a été affirmé par R.T.L.M. que les Belges avaient abattu l'avion présidentiel. Néanmoins, il n'y avait pas de véritable chasse aux Belges. Au début, M. Dooms et son épouse avaient l'impression que la situation allait se normaliser après l'exécution des opposants politiques dont les noms avaient été publiés à maintes reprises. Le samedi 9 avril, la situation s'est dégradée et M. Dooms a décidé de partir. Le dimanche matin, ils se sont rendus à l'École belge, en vue de leur évacuation.
Jeudi 28 août 1997
Entretien avec le colonel Marcel Gatsinzi, chef d'état-major général adjoint de l'A.P.R.
Au moment de la mort du président Habyarimana, le colonel Gatsinzi se trouvait à Butare où il a été réveillé à 2 heures le matin du 7 avril par le colonel Bagosora qui l'a informé qu'il avait été nommé chef d'état-major général a.i. des F.A.R. et qui lui a demandé de venir à Kigali pour assumer ses fonctions à partir de 6 heures et pour participer à une réunion à 8 heures. Pour des raisons de sécurité, le colonel Gatsinzi a refusé de voyager pendant la nuit et est arrivé à Kigali dans l'après-midi; il a participé à une réunion du Comité de crise à 18 heures. La nomination du colonel Gatsinzi était controversée. Le colonel Bagosora aurait voulu nommer le colonel Augustin Bizimungu, mais celui-ci n'était pas le plus haut gradé des secteurs opérationnels.
Selon les informations recueillies par le colonel Gatsinzi concernant la mort des dix paras belges, un sous-lieutenant de la Garde présidentielle basé à Kimihurura serait venu au Camp Kigali pour exciter les militaires rwandais en disant que des Belges avaient abattu l'avion présidentiel. L'adjudant chef Sebutiyongera, qui était chef de poste au Camp Kigali, n'aurait rien fait pour calmer les militaires rwandais, il les aurait plutôt excités. Le soir du 7 avril, Gatsinzi s'est rendu à la morgue avec le colonel Ndindiliyimana et le général Dallaire. Ils y ont compté dix corps entassés.
Le F.P.R. est sorti du C.N.D. à 16 heures et la guerre a repris à Kigali; elle avait déjà repris depuis peu de temps sur le front. Gatsinzi n'a reçu aucune collaboration de la part de l'état-major des F.A.R., p. ex. quand il a donné l'ordre, le matin du 9 avril, d'éviter les massacres des civils. Il semblait y avoir un commandement parallèle. Il est resté chef d'état-major général jusqu'au 15 avril, quand le gouvernement intérimaire à Gitarama l'a remplacé par le colonel Bizimungu.
Le 12 avril, les colonels Gatsinzi et Rusatira avaient proposé de rencontrer le F.P.R., ce qui s'est réalisé le 14 avril au Méridien (rencontre avec le colonel Frank Mugambage, le colonel Rwigamba et autres). Le soir du 14 avril, Gatsinzi a informé le gouvernement, des conditions du F.P.R. préalables à toute négociation : l'arrêt des massacres et de la propagande à la radio, la dissolution de la Garde présidentielle et la nullité des actes du gouvernement intérimaire (p. ex. les nominations de préfets). Le lendemain, Gatsinzi a été remplacé et il est parti à Arusha pour préparer une réunion organisée par la Tanzanie dans le cadre de l'O.U.A.
Il est revenu à Kigali au début du mois de mai. Il ne recevait plus d'instructions mais ne pouvait pas quitter Kigali. Il est parti vers Butare en hélicoptère (via Gisenyi), où il n'y avait plus d'unités opérationnelles. À la prise de Butare, au moment où l'Opération turquoise a commencé, Gatsinzi et Rusatira ont publiquement dénoncé le génocide et se sont désolidarisés des massacres de civils. Gatsinzi a été évacué par les Français vers Bukavu. Il est rentré à Kigali en août 1994.
Entretien avec le major Augustin Cyiza, président de la Cour de cassation.
Le major Cyiza, qui était président du Conseil de guerre en avril 1994, remet à la mission une copie de son témoignage écrit qui date du 22 mai 1995 : « Expériences vécues sur le génocide et propositions pour asseoir la tolérance au Rwanda » (annexe 2).
Concernant l'attaque contre l'avion présidentiel, le major Cyiza estime qu'il y a trois hypothèses : une action du F.P.R., un coup d'État par l'entourage du président ou une action de vengeance individuelle.
Le major Cyiza a participé à la réunion du comité de crise le matin du 7 avril. Le colonel Bagosora voulait prendre le pouvoir, mais les officiers qui ignoraient la mort des différentes autorités civiles (certains parmi eux étaient arrivés en hélicoptère de l'intérieur du pays), voulaient en référer au gouvernement. La réunion a mis en place un comité militaire de crise (C.M.C.), que le colonel Bagosora a vainement voulu présider lors d'une réunion l'après-midi. Quand le colonel Bagosora s'est rendu compte que sa prise de pouvoir via le C.M.C. avait échoué, il a décidé de faire appel aux Interahamwe et de mettre en place le gouvernement Kambanda (qui, lui-même, s'était caché pour se protéger). Le major Cyiza en conclut que si la prise de pouvoir par Bagosora avait réussi au cours des rencontres du 6 et 7 avril, il n'y aurait pas eu cette extension des massacres. Le génocide des Tutsi n'était pas programmé en tant que tel : Bagosora a voulu prendre le pouvoir pour disposer d'une position favorable pour affronter le F.P.R. Les victimes des premiers assassinats ont d'ailleurs été des Hutu. Même Félicien Kabuga par exemple a été dépassé par les faits, sinon il n'aurait pas perdu sa famille. Les massacres à Gikongoro par exemple ont fait beaucoup de victimes parce que les gens se sont regroupés spontanément à l'endroit où ils croyaient que les autorités pourraient les protéger. Ils n'avaient pas été concentrés là pour les empêcher de fuir au Burundi. Beaucoup de massacres ont eu lieu parce qu'il y avait un désordre total et qu'il n'y avait plus d'autorité.
Malgré la participation à la réunion du Comité de crise le matin du 7 avril, le major Cyiza n'a appris la mort des dix paras qu'après la réunion.
Entretien avec M. Adama Daff, documentaliste au Programme des Nations Unies pour le développement (P.N.U.D.).
La maison de M. Daff, où s'est réfugiée Agathe Uwilingiyimana le matin du 7 avril, était située sur le compound des Volontaires des Nations unies (V.N.U.), qui se trouve derrière la maison de l'ancien Premier ministre. Ce compound comprend deux blocs de trois maisons, dont une seule avait le téléphone. M. Daff a présenté à la mission sa version des événements qui se sont déroulés sur ce compound le matin du 7 avril.
Vers 5 heures, les premiers bombardements ont commencé. Vers 7 heures, un militaire a expliqué à M. Daff qu'il avait déposé les cinq enfants d'Agathe dans une des maisons V.N.U. Vers 7 h 30, Agathe et son mari sont entrés dans la maison de M. Daff, qui leur a fait du café et qui a essayé de les calmer. Vers 8 heures, tout le personnel V.N.U. et leurs familles ont fermé leurs maisons et se sont regroupés dans la maison où il y avait un téléphone. Cette maison était attenante à la maison de M. Daff. M. Daff a eu un contact avec le service de sécurité du P.N.U.D. Vers 10 heures, un militaire excité est entré dans la maison pour demander à ce que toutes les maisons soient ouvertes; deux autres militaires restaient dehors. Le gardien de M. Daff a ouvert les maisons et les militaires ont emmené Agathe et son mari. Vers 10 h 30, le général Dallaire est arrivé, accompagné d'un militaire belge et d'un militaire sénégalais, M. Mbaye Ndiaye. Vers 10 h 45, Dallaire est parti avec le Sénégalais; le Belge est resté pendant encore environ 30 minutes. Vers 17 heures, M. Daff et les autres habitants du compound ont été évacués par le militaire sénégalais, qui a pris le risque d'évacuer en même temps les enfants d'Agathe. M. Mbaye Ndiaye a été tué par un obus quelques jours plus tard.
Au cours de ces événements, M. Daff n'était pas au courant de la présence de militaires belges chez Agathe.
Vendredi 29 août 1997
Entretien avec M. Jean Bosco Iyakaremye, président du Tribunal de première instance à Kigali.
La convention sur le génocide avait deux objectifs : la prévention et la répression. Les structures onusiennes se sont avérées inefficaces dans la prévention; concernant la répression, le T.P.I.R. n'a puni personne. Par contre, les autorités rwandaises ont commencé à combattre l'impunité, malgré la destruction des ressources humaines et matérielles du pays. Une loi a été adoptée en septembre 1996, qui prévoit des réductions de peine et qui invite les coupables à avouer. Malheureusement, les détenus n'avouent pas, pour deux raisons : 1. des personnes de la première catégorie (pour lesquelles la peine de mort est appliquable) menacent ceux qui veulent avouer; 2. les détenus ne sont pas convaincus que les peines de mort sont exécutées.
La loi a été discutée pendant longtemps, mais il a fallu obtenir un accord d'une grande partie de la population. Il fallait en tout cas éviter de répéter les erreurs qui ont conduit à l'impunité dans le passé, comme la loi du 20 mai 1963 (« Amnistie générale des infractions politiques commises entre le 1er octobre 1959 et le 1er juillet 1962 » annexe 3).
Les activités de « Avocats sans frontières » sont appréciées. Ils aident à expliquer le rôle de l'avocat à la population.
M. Iyakaremye est le président de l'association A.R.D.H.O. Il souligne que M. Joseph Matata n'a aucun droit de se présenter en tant que porte-parole de l'A.R.D.H.O.
Témoignage de Mme X, rescapée du génocide.
Mme X était parmi les 4 000 personnes qui s'étaient réfugiées à l'E.T.O. à Kicukiro. Elle y est arrivée avec son mari le dimanche 10 avril. Le 11 avril vers 14 heures, la Minuar a quitté l'E.T.O. Des hordes de Interahamwe et de militaires les ont forcés à marcher en direction du Mont Rebero vers le plateau de Nyanza. Au cours de ce « calvaire » Mme X a vu le colonel Bagosora qui descendait en voiture de l'endroit où allait avoir lieu le massacre. Vers 17 heures, les militaires ont tiré dans la foule et ont demandé aux Interahamwe de finir le travail. Mme X était couverte de cadavres et de sang. Le lendemain, les Interahamwe sont venus inspecter les cadavres. Un milicien a découvert que Mme X était vivante. Il a demandé si elle était Hutu. Elle a répondu qu'elle était Tutsi, qu'elle allait mourir lentement et elle leur a demandé de la tuer. Le milicien a préféré qu'elle meure lentement et a refusé. Le soir du 12 avril, le F.P.R. a évacué 100 blessés qui ont survécu au massacre.
Mme X a déposé plainte contre la Minuar pour non-assistance à des personnes en danger (annexe 4). Pour elle, il y a un lien causal direct entre le départ de la Minuar de l'E.T.O. et le massacre de Nyanza. Pour les enfants rescapés, le mot « Minuar » signifie « ceux qui ont tué mes parents ».
Entretien avec Mme Constance Mukayuhi, secrétaire générale, du ministère des Affaires étrangères.
Diner offert par le Bureau de l'Assemblée nationale.
Participants : le président de l'Assemblée nationale; la vice-présidente de l'Assemblée nationale; M. Omar Hamidou, secrétaire député du bureau de l'Assemblée nationale; M. Canisius Kayijaho, directeur du protocole de l'Assemblée nationale; M. Venuste Karambizi, directeur Études et documentation de l'Assemblée nationale.
M. Karambizi a expliqué le manque énorme de documentation politique et juridique.
Le président de l'Assemblée nationale s'est étonné du fait que la mission n'ait pas pu consulter le moindre document écrit des archives de l'Assemblée nationale. Bien qu'il y ait certainement très peu de documents récupérés après le départ de l'ancien gouvernement, il était convaincu qu'il y avait certains documents (non confidentiels) concernant la préparation du génocide.
Souper offert par M. Mahoux.
Participants : l'ambassadeur de la Belgique, le premier secrétaire de l'ambassade de Belgique, l'attaché militaire de l'ambassade de Belgique, le chef de la section de coopération A.G.C.D.
Samedi 30 août 1997
Debriefing à la résidence de l'ambassadeur de la Belgique.
Départ vers 18 h 30.
Annexes au rapport Mahoux
1. Mukeshimana, Florida, « Circonstances de la mort de Boniface Ngunrinzira », La Nouvelle Relève, 15 août 1997, pp. 9-10.
2. Cyiza, Augustin, « Expériences vécues sur le génocide et propositions pour asseoir la tolérance au Rwanda », Kigali, 22 mai 1995.
3. Loi du 20 mai 1963 Amnistie générale des infractions politiques commises entre le 1 er octobre 1959 et le 1 er juillet 1962.
4. Mme X, « Plainte contre la Minuar belge », Kigali, 1 er août 1996.
5. Ambassade de Belgique, « Ressortissants belges civils morts pendant les événements d'avril-juillet 1994 ».
ANNEXE 1
MÉMOIRE DU GÉNOCIDE ET DES MASSACRES
Circonstances de la mort de Boniface Ngurinzira
M. Boniface Ngurinzira, ancien ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale qui négocia, avec le futur président, Pasteur Bizimungu, les accords de Paix d'Arusha, fut abandonné le 11 avril 1994 par les Casques bleus belges de son escorte. Son épouse, Mme Florida Mukeshimana a fait part de son témoignage à ce sujet dans une revue belgo-rwandaise « Umubano », paraissant à Bruxelles.
1.1. Contexte
Mon mari était l'un des Rwandais les plus menacés. En effet, depuis qu'en 1991 il avait quitté le parti du M.R.N.D. (ancien parti unique du Président Habyarimana), pour adhérer au M.D.R. rénové (Mouvement démocratique républicain), il était poursuivi par les inconditionnels du régime de feu Habyarimana. Le comble a été quand, en avril 1992, il a été présenté par son parti au poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, qu'il a été nommé ministre et qu'il a commencé les négociations de paix avec le F.P.R. à Arusha.
M. Ngurinzira Boniface s'est donné alors corps et âme à sa nouvelle mission. Pour lui, il fallait en finir avec la guerre fratricide qui opposait des Rwandais à d'autres Rwandais. Son désir le plus cher était que la paix vienne au Rwanda, que chaque Rwandais y trouve sa place et qu'il puisse contribuer au développement du pays. La menace était devenue palpable à la fin de 1993. Il aurait pu s'enfuir, mais il savait qu'en partant il condamnait lui-même les accords de paix d'Arusha que le Président Habyarimana avait traités de chiffons de papier.
Par ailleurs, comme tous les Rwandais, il avait confiance dans les Casques bleus de l'O.N.U. en présence au Rwanda et il ne s'était jamais imaginé que ces militaires abandonneraient le peuple rwandais au moment où celui-ci avait le plus besoin d'eux. La communauté internationale n'avait-elle pas soutenu à fond les négociations de paix entre le Gouvernement rwandais et le F.P.R. ? De plus, la plupart des hommes politiques avaient la protection rapprochée des Casques bleus; mon mari, lui, avait la protection rapprochée des Casques bleus belges.
1.2. Que s'est-il passé après l'attentat contre l'avion du président ?
Le 6 avril 1994, aux environs de 19 heures 30 ou de 20 heures, un ami a téléphoné à la maison, il nous a dit que l'avion présidentiel aurait été descendu. Quelques minutes après, la radio R.T.L.M. (Radio-Télévision des Mille Collines) a diffusé la nouvelle. Nous avons pressenti qu'un drame allait s'abattre sur le pays, nous n'avons pas dormi cette nuit-là. Le lendemain (le 7 avril 1994), vers 5 heures du matin, nous avons entendu les premiers tirs localisés dans le camp des militaires de la garde présidentielle. C'était le premier signe de mécontentement et de violence de ces militaires qui étaient connus pour leur cruauté et leur servilité macabre au président Habyarimana. Par après, la radio officielle a diffusé un communiqué enjoignant la population de rester tranquillement à la maison. C'était le deuxième signe qui présageait un drame.
« Les bourreaux allaient trouver facilement leurs victimes ». Depuis quelques mois, la MINUAR avait mis à la disposition de mon mari une garde rapprochée de Casques bleus belges. Vers 7 heures 30 du même jour, ils ont appelé mon mari et lui ont appris que monsieur Landouald Ndasingwa, alors ministre du Travail et des Affaires sociales, venait d'être assassiné. « Nous croyons que les massacres politiques ont commencé, les tueurs vont probablement venir ici, nous allons vous évacuer vers un endroit plus sûr » ont-ils dit à mon mari.
Nous avons pris quelques effets pour partir avec les Casques bleus. Ceux-ci nous ont priés de monter dans leur camion, ils nous ont couverts de bâches pour qu'aux barrages, les assaillants ne se doutent pas que ce camion transporte des personnes. Quelques minutes plus tard, ils nous ont déposés à l'E.T.O. (Ecole technique officielle de Kicukiro), école tenue par les Pères Salésiens et se trouvait à un ou deux kilomètres de notre résidence. C'était là que se trouvait le détachement le plus important des Casques bleus belges de la MINUAR.
Dans cette école, il y avait déjà quelques réfugiés. Ils ont poussé un soupir de soulagement quand ils nous ont vus arriver, ils croyaient que nous étions déjà morts. Les Pères Salésiens étaient également contents de nous revoir en vie. Au fur et à mesure que la journée avançait, les personnes fuyant les massacres affluaient nombreux à l'école. Elles nous disaient que les militaires et les miliciens du M.R.N.D.-C.D.R. s'en prenaient aux Tutsis et aux adhérents des partis politiques de l'opposition.
Le 8 avril 1994, les réfugiés continuaient à affluer. Un désespoir profond se lisait sur leurs visages, car ils avaient échappé de justesse à la mort et beaucoup des leurs avaient été sauvagement assassinés. Ils racontaient l'horreur dont ils avaient été témoins : « les miliciens se servent de tout ce qui leur tombe sous les yeux : les couteaux, les machettes, les pierres, etc. Certaines victimes supplient les tueurs de les fusiller, ce que ceux-ci refusent de faire et ne l'acceptent que si les victimes leur achètent des balles. Certaines victimes achetaient donc les armes dont les miliciens se servaient pour les tuer.
Le 9 avril 1994, les Casques bleus ont commencé à organiser l'évacuation des expatriés à partir de Kicukiro. Mon mari a demandé à ce que nous soyons également évacués. Un des chefs lui a dit que ça ne le dérangeait pas de le faire. Cependant, le chef de l'évacuation à partir de Kicukiro a catégoriquement refusé. Les autres réfugiés étaient consternés par ce refus, ils ont supplié les Casques bleus d'évacuer au moins mon mari, ce chef a continué à refuser, il s'est catégoriquement opposé à l'évacuation de notre famille.
À un moment il a dit à mon mari : « Nous ne pouvons prendre le risque d'emmener avec nous un ministre d'un parti d'opposition, qu'il soit du gouvernement de « Dismas Nsengiyaremye, d'Agathe Uwilingiyimana ou du futur gouvernement élargi au F.P.R. ». Par ces paroles, ce responsable militaire venait de condamner mon mari à mort. Celui-ci a répondu : « Si vous ne voulez pas me protéger, ramenez-moi à la maison, que je meure chez moi. » Le militaire a refusé.
Le 11 avril 1994, les expatriés se sont regroupés pour partir. Des militaires français étaient venus aider à l'évacuation. Mon mari leur a demandé s'ils pouvaient nous emmener avec eux. Le chef de ces militaires lui a dit que cela ne posait aucun problème. « Nous allons vous conduire auprès de l'ambassadeur français. Là vous serez en sécurité », a-t-il ajouté. Il avait à peine terminé cette phrase que le chef militaire belge s'est interposé et dit au Français « Si vous prenez ce type avec vous, vous aurez des problèmes ».
Le chef des militaires français a dit qu'il allait réfléchir. Mais quand, quelques heures plus tard, mon mari lui a reposé la question, il l'a regardé dédaigneusement sans dire un seul mot. Pourtant les Français ne risquaient pas d'avoir des ennuis, ni avec les miliciens, ni avec les militaires rwandais, c'était d'ailleurs pour cela qu'ils étaient venus escorter les militaires belges. Le même jour, tous les prêtres, les religieux et les civils expatriés ont été évacués tandis que plus de 2 000 personnes, traquées par les miliciens et les militaires de la garde présidentielle, étaient abandonnées. Des mois plus tard, j'ai appris que toutes ces personnes avaient été conduites au mont Nyanza (situé au-dessus de Kicukiro) et qu'elles avaient été massacrées au couteau, à la machette et à la grenade.
1.3. Mort de monsieur Ngulinzira
Après le départ des privilégiés qui avaient droit à l'évacuation, nous avons vu revenir les Casques bleus et les militaires français. Tous les jeeps et les camions des Casques bleus se sont rangés les uns derrière les autres. Ma fille aînée est allée appeler mon mari qui était à l'intérieur et lui a dit : « Papa, la MINUAR nous abandonne.» Quand la colonne des véhicules marqués de « U.N.-UNAMIR » s'est ébranlée, les réfugiés ont couru derrière, devant ou à côté de ces véhicules en pleurant. Ils disaient : « Ne nous abandonnez pas. Les miliciens vont nous tuer. Les militaires de Habyarimana n'attendent que cela. Sauvez-nous ? Ne nous abandonnez pas ». Je m'étais accrochée à une des jeeps et je pleurais comme tout le monde. Je disais : « Ainsi vous nous abandonnez ! Je vous en prie, sauvez-nous. Ne partez pas. Nous allons tous être tués ». Les Casques bleus ont alors tiré en l'air. Croyant qu'ils tiraient sur nous, nous nous sommes éparpillés en tous sens.
Mon mari, lui, n'avait pas bronché. Quand il a vu que je revenais, il est venu près de moi et m'a dit : « Partons d'ici ». Je lui ai dit : « Où allons-nous aller ? Les miliciens nous attendent probablement à la sortie de l'école et sur la route qui mène à la maison. » Il m'a dit : « Je ne peux pas attendre que les militaires et les miliciens viennent me tuer ici. »
Nous avons alors traversé l'E.T.O. dans le sens contraire de la sortie. Nous nous sommes fait une brèche dans la clôture et nous nous sommes dirigés vers le quartier de Kagarama. En chemin, nous avons été arrêtés par des miliciens qui nous ont pris argent, montres et bracelets. Ils nous ont conduits dans l'enclos d'un milicien de ce quartier. Une heure après notre arrestation, six militaires de la garde présidentielle sont venus et ont emmené mon mari, je ne l'ai plus revu. Jusqu'à ce jour, je ne sais pas comment il est mort, ni où il est mort.
Quelques jours plus tard, j'ai appris sa mort par la R.T.L.M., voix macabre des génocidaires. Le journaliste de cette radio déclarait : « Nous avons exterminé tous les complices du F.P.R. Monsieur Ngurinzira Boniface n'ira plus à Arusha, vendre le pays au profit du F.P.R. Monsieur Kavaruganda ne pourra plus faire prêter serment aux complices du F.P.R. Les Accords d'Arusha ne son plus que des chiffons de papier comme l'avait prédit notre papa Habyarimana. »
2. Responsabilités
1. Depuis le 11 avril 1994, je ne cesse de me poser des questions : 1. Mon mari a été assassiné parce que les Casques bleus belges ont refusé de l'évaquer. Pourtant ils savaient qu'il était l'un des hommes les plus menacés. Pourquoi l'ont-ils déplacé de sa résidence pour l'abandonner aux mains sanguinaires des extrémistes du régime Habyarimana ?
2. Pourquoi les Casques bleus ont-ils accepté que plus de deux mille réfugiés entrent à l'E.T.O. pour les laisser ensuite seuls, à la merci des militaires et des miliciens du M.R.N.D.-C.D.R. ?
3. La Belgique est un pays démocratique, respectant les droits de l'homme, c'est un pays lié historiquement au Rwanda. Pourquoi a-t-elle décidé d'abandonner le peuple rwandais au moment où celui-ci avait le plus besoin d'elle ? Ne savait-elle pas que son attitude vis-à-vis du peuple rwandais allait influencer celle de toute la communauté internationale ?
4. Que signifie l'expression utilisée souvent par des hommes politiques : « l'amitié entre les peuples » ? L'ami n'est-il pas celui qui vous soutient dans le malheur ?
5. La Belgique est un des pays qui souhaitent le retour du multipartisme et de la paix au Rwanda. Elle avait assisté aux négociations de paix entre le Gouvernement rwandais et le F.P.R., du début à la fin, elle souhaite que ces accords soient mis en application. Pourquoi a-t-elle laissé massacrer un à un tous les hommes qui s'étaient donnés corps et âme pour le retour de la paix et l'avènement d'une vraie démocratie au Rwanda ? Les miliciens et les militaires n'ont-ils pas commencé par massacrer ces hommes-là pour que ceux-ci ne puissent pas s'opposer à leur plan macabre préparé de longue date ?
ANNEXE 2
EXPÉRIENCES VÉCUES SUR LE GÉNOCIDE ET PROPOSITIONS POUR ASSEOIR LA TOLÉRANCE AU RWANDA
(Témoignage à présenter le 22 mai 1995 lors du Séminaire-Atelier sur « 1995 Année des N.U. consacrée à la tolérance »).
Introduction :
Le bref exposé qui suit constitue une relation des faits que je connais, soit suite à un constat ou une observation personnels, soit suite à des informations qui me sont parvenues issues de sources dignes de foi.
Au cours de l'exposé, je ne citerai pas de document ni d'objets matériels de référence, parce que je n'en ai pas en ma disposition. Je ne ferai qu'une simple relation des faits constatés ou observés ou qui ont été portés à ma connaissance d'une façon ou d'une autre.
Je ne parlerai pas non plus de ma propre personne, de mon vécu personnel; l'exposé sera axé sur les faits observés, dans l'ensemble.
Ainsi l'exposé est subdivisé en deux parties, suivant l'intitulé même du sujet :
Partie 1. Expériences vécues sur le génocide.
Partie 2. Comment asseoir la tolérance au Rwanda.
PARTIE I :
Expériences vécues sur le génocide
Le présent exposé ne se limite pas uniquement au génocide dont les Batutsi ont été victimes, mais s'étend aussi à tous les massacres perpétrés au cours de la période d'avril-juillet 1994. Dans la Partie I, il va être question de :
La préparation des massacres.
L'exécution des massacres.
1. Préparation des massacres
La préparation du génocide et des massacres a été effectuée sous deux aspects : psychologique et matériel.
a) Préparation psychologique
Comme tout régime politique en difficultés, celui de notre pays à l'époque devait trouver des boucs-émissaires, l'« ennemi », sources ou causes de tous les malheurs des Rwandais.
Le bouc-émissaire étant trouvé, l'ennemi étant désigné, il fallait le porter à la connaissance de la population et mobiliser celle-ci pour combattre cet ennemi. Pour réussir cette mobilisation, une cause et une idéologie de mobilisation étaient nécessaires.
Sans entrer dans le passé, prenons comme période de référence la récente guerre « Gouvernement Rwandais d'alors-F.P.R. » La préparation psychologique du génocide et des massacres d'avril-juillet 1994 a été intensifiée depuis octobre 1990.
Dès le déclenchement de la guerre, en octobre 1990, le régime politique a défini l'ennemi du pays comme suit :
Les réfugiés Tutsi.
Les Tutsi de l'intérieur.
Les Hutu mécontents du régime.
Les sans-emplois, comme champ de recrutement de l'ennemi.
Cette identification a été donnée, fin 1990, par une commission créée par l'ancien président de la République, général Habyarimana, laquelle identification rencontrait les points de vue de celui-ci qui s'étaient manifestés tout au début de la guerre.
C'est selon cette identification de l'ennemi que environ 13 000 personnes innocentes ont été arrêtées et emprisonnées sous pretexte qu'elles étaient complices de l'ennemi « Ibyitso ».
C'est aussi selon cette définition de l'ennemi que des milliers de Tutsi furent tués entre octobre 1990 et janvier 1993 dans plusieurs coins du pays dont notamment à Kibuye (Gisenyi), Rwamatammu-Gishyita (Kibuye), Kigali-ville, Bugesera Mugambazi (Kigali rural) et Rusumo (Kibungo).
Ainsi l'enseignement et la diffusion de l'idéologie ethniste et divisionniste furent intensifiés par tous les moyens : journaux (Kangura, Umurwanashyaka, Échos des Milles Collines, Umurava, Médaille Nyiramacibiri, ...) Radio Rwanda et, à partir de juin 1993, la R.T.L.M., rassemblements populaires (meetings politiques). L'action « était conçue et dirigée par l'élite politico-administrative et l'élite intellectuelle, à travers les partis politiques, le M.R.N.D. et la C.D.R., rejoints ultérieurement par une tendence acthniste du M.D.R. et du P.L., dite « P.A.W.A. ».
b) Préparation matérielle
Pour exécuter la sale besogne, il fallait des moyens matériels et humains.
(1) Moyens humains
(a) Recrutement
Il fallait recruter et sensibiliser surtout l'élite du pays.
Une certaine partie de l'élite était déjà acquise à la cause; il s'agissait ici des individus qui bénéficiaient des privilèges du régime : les membres du gouvernement, la plupart des députés, la plupart des bourgmestres et des conseillers communaux, les préfets, la plupart des hauts cadres de l'administration publique et des établissements publics ainsi que un certain nombre de militaires et hommes d'affaires.
Mais avec la propagande de l'opposition, cette partie de l'élite commençait à diminuer; il fallait alors la maintenir, et même l'augmenter. Plusieurs moyens ont été mis en oeuvre, dont surtout la corruption et l'intimidation.
La corruption a été largement utilisée sous diverses formes. Deux formes les plus voyantes ont été la corruption financière ainsi que l'attribution des postes administratifs et politiques sans nécessairement tenir compte des compétences liées à ces postes. À un individu qui risquait ou qui venait de désavouer le M.R.N.D. et son régime, les recruteurs de celui-ci lui adressaient souvent un message tel que celui-ci : « Wabuze iki cyangwa ubuze iki ku ngoma ya Habyarimana. » Ainsi, l'argent, les faveurs, l'octroi de marché, ou les postes se négociaient par échange du soutien au M.R.N.D. et de ses actions. C'est pourquoi le M.R.N.D. tenait beaucoup à maintenir le plus de postes possibles au sein de la fonction publique et des établissements parastataux.
Le recrutement et l'incitation des jeunes de la rue pour provoquer du désordre et se livrer à des crimes de toutes sortes ne causaient pas de problèmes. Il suffisait, en milieu rural, de payer quelques cruches d'Urwagwa ou d'Ikigage, ou, en milieu urbain, de payer à chaque jeune de la rue le salaire journalier d'un simple manoeuvre (150 à 500 FRW selon la tâche lui dévolue) avec la promesse aussi d'emporter du butin résultant des pillages.
L'intimidation a aussi été largement utilisée pour forcer les gens à se maintenir ou entrer au sein du M.R.N.D., ou du moins à s'abstenir d'entrer dans l'opposition. Les formes utilisées sont notamment : la menace de retrait d'emploi, l'emprisonnement, le pillage, les violences physiques ou même la mise à mort.
(b) Organisation et entraînement
La milice Interahamwe a constitué la force d'avant-garde par excellence pour exécuter les sales besognes du M.R.N.D. et des dirigeants d'alors. Conçus au départ, du moins officiellement, comme une jeunesse du parti M.R.N.D. pour sa propagande, les Interahamwe ont vite constitué une milice du parti M.R.N.D., organisée, entraînée et équipée militairement.
L'organisation, l'entraînement et l'équipement militaires ont été assurés par les responsables militaires d'alors. En guise d'exemple, Mutara, Mata et Gishwati étaient devenus des centres d'entraînement militaire des Interahamwe, entraînement assuré par les responsables militaires de ces zones. L'intensification de l'entraînement militaire des Intrahamwe a commencé après la signature de l'Accord d'Arusha, en août 1993. Au moment où certaines unités des F.A.R. surtout de la G.D.N. n'étaient pas armées, le ministère de la Défense avait des stocks d'armes neuves destinées aux Interahamwe.
Pour garder la discrétion sur cette organisation et entraînement militaires des Interahamwe, et pour éviter que les actions criminelles de ces Interahamwe ne soient déjouées, la plupart des responsables militaires étiquetés de « complices » de l'ennemi ou de favorables à l'opposition avaient été remplacés sur le terrain par des officiers acquis aux objectifs du M.R.N.D. et du régime. Cette opération de remplacement systématique a commencé après le nouveau cessez-le-feu de mars 1993, pour s'accélérer directement après la signature de l'Accord d'Arusha, en août 1993. Au moment de la reprise des hostilités en avril 1994, l'opération était presque terminée au sein de l'armée, et à travers tout le pays.
(2) Moyens matériels
Le M.R.N.D. tirait ses moyens matériels du détournement des biens de l'État. La plupart des hauts postes de l'administration publique et de la direction des établissements étatiques et paraétatiques étant occupés par les gens de confiance du M.R.N.D., le détournement des fonds et des biens matériels ne causait pas de problèmes. Ainsi, par exemple, le gros du matériel technique pour faire fonctionner la R.T.L.M. provenait de la Radio-Rwanda. Lors des hostilités d'avril-juillet 1994, le personnel de la R.T.L.M. était logé et nourri par l'état-major de l'armée.
Les Interahamwe s'approvisionnaient en armes, munitions et vivres à partir des camps militaires.
(3) Exécution du génocide et des autres massacres
Bien que les massacres de personnes innocentes aient été globalisés et systématisés au cours de la période d'avril-juillet 1994, ils avaient débuté avant, depuis octobre 1990.
Les massacres d'avril-juillet 1994 ont visé deux groupes de personnes :
Les leaders et l'élite de l'opposition au régime Habyarimana.
Les Tutsi, indistinctement.
L'exécution de ces massacres s'est déroulée en deux phases :
Élimination physique de leaders et élite de l'opposition les plus en vue.
Extension des massacres à tous les Tutsi indistinctivement et à travers tout le pays.
a) Phase I :
Élimination physique de leaders et de l'élite de l'opposition
La liste de personnes à éliminer, leaders et élite de l'opposition avait été préalablement établie par le groupe M.R.N.D.-C.D.R. préposé à la sale besogne.
Dès la mort de Habyarimana, le 6 avril 1994 vers 20 h 30, le Bataillon garde présidentielle (B.N. G.P.) a commencé à tuer systématiquement les dirigeants hauts placés de l'opposition (ministres, magistrats, hauts cadres de l'administration, hommes d'affaires...). Déjà vers 21 heures, le quartier des ministres à Kimihurura était encerclé par le B.N. G.P. et avait commencé à trier les ministres issus du M.R.N.D. pour les mettre à l'abri au camp militaire de Kimihurura. À ce sujet, selon une certaine source, un haut responsable militaire au ministère de la Défense, proche de la famille de feu président Habyarimana a donné 24 heures maximum au B.N. G.P. pour lui présenter un « bon butin », c'est-à-dire pour avoir tué tous les leaders et élites de l'opposition les plus en vue dont la liste avait déjà été établie.
Sitôt dit, sitôt fait; effectivement, en moins de 12 heures, les principaux leaders et élite de l'opposition étaient déjà éliminés.
Pareilles tueries ont été aussi directement déclenchées dans d'autres préfectures par des militaires préparés à cet effet, surtout là où le commandement militaire était dans le réseau des tueurs du M.R.N.D.-C.D.R., notamment à Cyangugu, Gikongoro, Gisenyi, et Ruhengeri.
b) Phase II
Extension des massacres
L'extension des massacres s'est effectuée en deux temps :
Action des militaires et des Interahamwe.
Action du gouvernement Kambanda-Sindikubwabo.
(1) Action des militaires et des Interahamwe
Par l'élimination physique des leaders de l'opposition, une « clique civilo-militaire » proche de feu Habyarimana, conduite par le colonel Bagosora, et qui s'estimait héritier politique naturel de Habyarimana, pensait prendre le pouvoir et diriger le pays, avec le soutien des Forces armées. Dès le 6 avril 1994, à 22 heures, la clique croyait déjà avoir en mains les commandes de l'État. Au cours de cette nuit même, les démarches de cette « clique » auprès des représentations diplomatiques à Kigali et la Minuar pour solliciter l'aval de celles-ci ont été infructueuses. Les commandants militaires, au cour de leur réunion matinale du 7 avril 1994, ont aussi refusé de donner l'aval à cette clique, mais ont plutôt mis en place un « comité militaire de crise » avec une double mission :
remettre de la discipline au sein des Forces armées (était visé surtout le B.N. G.P.),
mettre tout en oeuvre pour permettre au gouvernement de Mme Agatha de travailler et la mise en place des institutions étatiques selon l'Accord d'Arusha.
À noter que au cours de cette réunion, lors de la mise en place de ce comité, la plupart des commandants militaires ignoraient l'assassinat des membres du gouvernement. C'est à ce moment que même Mme Uwiringiyimana Agatha était en train d'être tuée, à sa résidence juste à côté de l'E.S.M. où se tenait la réunion.
Le comité militaire de crise n'a pas pu réussir sa mission. Mais aussi, le projet de ladite clique venait d'échouer.
La clique, qui était déjà organisée et préparée de longue date, voyant son échec, a mis en exécution un autre plan de rechange :
Mis en place du gouvernement Kambanda-Sindikubwabo, le 9 avril 1994.
Extension des massacres, dès le 8 avril 1994.
Pourquoi la mise en place d'un pareil gouvernement ? À travers ce gouvernement manipulable à volonté par la clique, celui-ci exerçait indirectement les pouvoirs réels, et ainsi ses intérêts restaient sauvegardés.
L'extension des massacres, le 8 avril 1994, devait viser cette fois-ci, à travers tout le pays :
tous les Tutsis indistinctement,
tous les Hutus, dits « complices des Inyenzi-Inkotanyi »,
tous militaires, dits « complices » de l'ennemi.
Les massacres devaient être exécutés en impliquant le maximum possible de population.
Pour la « clique », pourquoi cette extension des massacres, pourquoi impliquer le plus de population ? Les raisons étaient les suivantes :
Ne pas porter seule le fardeau des massacres des leaders et élite de l'opposition qui venaient d'avoir lieu, au risque d'être marginalisée.
Dissuader éventuellement le F.P.R. à continuer les combats.
Si le F.P.R. devait gagner la guerre (ce qui était très prévisible, et même inévitable, selon les analystes politico-militaires), recueillir un pays ruiné et ne pas trouver sur place des adeptes (la politique de la terre brûlée).
Dans tous les cas, durant toute la période des massacres, même s'il y a eu participation plus accrue du gouvernement Kambanda dans l'incitation et l'encadrement aux massacres, le rôle le plus prépondérant dans l'exécution des massacres est revenu à la milice Interahamwe et la susdite « clique civilo-militaire ».
(2) Action du gouvernement Kambanda-Sindikubwabo
Jusque mi-avril 1994, la conception et l'exécution des massacres étaient le monopole de ladite « clique » et des Interahamwe. À partir de la mi-avril, le gouvernement Kambanda-Sindikubwabo va aussi entrer en jeu, d'abord, en endossant les massacres déjà consommés par la clique de militaires et les Interahamwe, ensuite en sensibilisant les autorités administratives et la population hutu pour tuer davantage et en mobilisant les ressources nécessaires pour mener à bien la sale besogne.
Il est à rappeler que jusqu'alors dans certains coins du pays, la population avait refusé de participer à des tueries, et même s'était solidarisée, organisée par les autorités administratives locales de coeur pour se protéger contre les expéditions des milices Interahamwe. C'est le cas notamment de certaines communes de Gitarama et de Butare. Il fallut l'intervention des membres du gouvernement Kambanda-Sindikubwabo et des expéditions plus musclées des militaires et des Interahamwe pour massacrer et inciter la population aux massacres. L'on se rappelera par exemple du fameux discours du Dr Sindikubwabo en avril 1994 à Butare, incitant la population à l'action criminelle.
Les autorités administratives (préfets et bourgmestres) ont vite été écartées par le gouvernement, et même certains tués (ce fut le cas du préfet de Butare, Habyarimana J. Baptiste et du bourgmestre de Mugina).
La prétendue défense civile mise en place fin mai 1994 par le gouvernement Kambanda a raffiné l'encadrement des criminels pour mieux exécuter leur horrible besogne.
PARTIE II
Comment asseoir la tolérance au Rwanda
1. Notion
Avant de faire quelques propositions sur comment asseoir la tolérance au Rwanda, il convient d'abord de s'entendre sur la notion de « tolérance » telle qu'elle figure à l'intitulé du thème de l'exposé, et telle qu'elle est actuellement utilisée par le discours politique. J'en profiterai également pour parler de la notion de « réconciliation nationale ».
L'on parle de la « tolérance » quand on se trouve face à un gêne quelconque, à un harassement, à des bêtises, à des fautes ou des crimes, bref quand on a à supporter des torts que l'on subit, causés par une autre personne, celle-ci pouvant être notamment, en guise d'exemple :
un condisciple de classe ou de profession;
un condisciple de chambre ou de home;
un conjoint;
un enfant ou un parent;
un frère ou une soeur;
un voisin;
un employeur ou un employé.
En ce cas, en parlant de tolérance, au lieu d'exiger la réparation des torts subis, la victime accepte avec résignation les conséquences.
Aujourd'hui, dans le langage politique, l'on parle souvent de « tolérance » pour signifier la cohabitation pacifique entre les individus présentant quelques éléments de différences, basés notamment sur l'ethnie ou la tribu, la race, la couleur, le sexe, les croyances religieuses ou philosophiques, les opinions politiques et la situation socio-économique.
En ce qui me concerne, je me garde d'utiliser le terme « tolérance » dans pareils cas. En effet, ne constituent pas des fautes ou torts les différences ethniques, tribales, religieuses, raciales, politiques... pour les tolérer. Quand il y a torts suite à un quelconque acte, les victimes doivent être soulagées par la réparation des torts subis, et les causeurs de torts corrigés. L'on parlerait plutôt dans ce cas de « reconciliation » entre les victimes et les fautifs (personnes en fait en conflit), pour trancher le conflit né des torts, et ainsi aboutir à une cohabitation pacifique, à une situation non conflictuelle, bref, à la paix sociale.
Ceci étant dit, à la place du titre « comment asseoir la tolérance au Rwanda », j'aimerais dire plutôt « comment asseoir la paix sociale au Rwanda ». Pour répondre à cette question, il convient de dégager préalablement les éléments perturbateurs de la paix sociale au Rwanda. Ces éléments étant connus, il serait aisé de répondre à la question posée.
2. Éléments perturbateurs de la paix sociale au Rwanda
Périodiquement, le Rwanda est le théâtre de conflits sociaux sanglants, de massacres dont l'un des plus horribles de l'humanité est le génocide d'avril-juillet 1994.
L'origine profonde de tous ces conflits, qui ont une apparence ethnique, est l'accumulation des abus et exactions de toutes sortes, l'injustice sociale.
L'injustice sociale se manifeste notamment comme suit :
L'ignorance (droit à l'éducation et à l'information pour les uns, ignorance pour les autres).
La mauvaise répartition des richesses du pays (pauvreté accrue pour les uns, abondance pour les autres).
La mauvaise administration de la justice (reconnaissance de droits pour les uns, méconnaissance des droits des autres).
Les abus et arbitraires de toutes sortes (séquestrations et emprisonnements arbitraires, confiscations des biens, corruption...).
Exclusion et discriminations de toutes sortes.
À un certain moment, l'injustice atteint le seuil de l'insupportable de telle façon que les victimes s'organisent et se coalisent pour corriger l'injustice. En même temps, les privilégiés s'organisent aussi pour protéger leurs privilèges, en fait, pour perpétuer l'injustice sociale; d'où le choc, parfois, sanglant.
Il faut noter qu'au Rwanda, la classe des privilégiés est constituée de l'élite du pouvoir, d'une certaine partie de l'élite intellectuelle (les scolarisés) et des hommes d'affaires. C'est cette classe là qui a toujours orchestré les actions d'injustice dont sont victimes la grande majorité de la classe moyenne au Rwanda.
3. Qui tolère qui ? Qui se réconcilie avec qui ?
Tel que noté ci-haut, un groupe domine un autre, un groupe cause des torts à un autre. Le groupe qui cause des torts est indiqué : le groupe constitué de l'élite gouvernante, de l'élite intellectuelle et d'hommes d'affaires. L'autre groupe victime est le reste des citoyens. Le génocide et d'autres massacres perpétrés au Rwanda ont été conçus et planifiés, non pas par la masse paysanne et ouvrière, mais par l'élite politique et l'élite intellectuelle.
S'il faut parler de la « réconciliation nationale », doivent alors se réconcilier d'abord l'élite politique et intellectuelle, d'une part, et le reste des citoyens, d'autre part. Ce serait cette réconciliation qui aboutirait à la paix sociale.
4. Comment opérer la réconciliation pour la paix sociale ? Comment asseoir la paix sociale ?
Il n'y a pas de société exempte de conflits sociaux. Bien gérés, ces conflits peuvent être le moteur du développement par le dynamisme social qu'ils suscitent. Mal gérés, ils aboutissent souvent à des crises, même sanglantes, et ainsi freinent le bien-être de la population.
La gestion de la société incombe toujours à l'élite. Au Rwanda, l'élite politique est en principe recrutée au sein de l'élite intellectuelle. Malheureusement, le mécanisme de constitution de l'élite, politique ou intellectuelle, n'a pas favorisé la compétition loyale et la compétence, mais plutôt le clientélisme discriminatoire et la médiocritie. Il n'est dès lors pas surprenant que l'on a abouti à une gestion de société génératrice d'injustices sociales et qui a toujours conduit à des drames sanglants.
Pour aboutir à une véritable réconciliation, pour asseoir solidement une paix sociale, il faudrait :
Une élite politique qui reconnaît et respecte les droits de la masse sensée être dirigée,
Des mécanismes, respectés par tous, qui favorisent la compétition loyale et la compétence pour les candidats à la gestion de la société,
Des mécanismes non biaisés de contrôle des actions de ceux qui ont en charge la gestion de la société,
Une élite au pouvoir qui respecte et fait respecter les droits des individus, par l'instauration d'une justice saine et non discriminatoire, qui ne laisse pas passer l'impunité,
Des mécanismes de gestion qui favorisent une répartition équitable des richesses, mais surtout qui ne gonflent pas uniquement les poches de l'élite dirigeante et de ses proches, au détriment de la masse laborieuse.
Et plus concrètement, dans l'immédiat au Rwanda, il faut urgemment instaurer une justice saine et sereine qui punit les criminels, mais et surtout qui rassure les honnêtes citoyens. Une telle justice peut certainement constituer une base solide de la réconciliation nationale et par conséquent de la paix sociale au Rwanda.
ANNEXE 3
DISPOSITIONS COMPLÉMENTAIRES
Amnistie
20 MAI 1963 LOI.
Amnistie générale des infractions politiques commises entre le 1er octobre 1959 et le 1er juillet 1962. (J.O., 1963, p. 299)
1. Amnistie générale et inconditionnelle est accordée pour toutes les infractions commises à l'occasion de la Révolution sociale pendant la période du 1er octobre 1959 au 1er juillet 1962 et qui, en raison de leur nature, de leur mobile, des circonstances ou des motifs qui les ont inspirées, rentrent dans le cadre de la participation à la lutte de libération nationale et revêtent ainsi un caractère politique même si elles constituent des infractions de droit commun.
2. Sont écartées du bénéfice de l'amnistie accordée par l'article premier de la présente loi les infractions commises durant cette période par des personnes qui ont lutté contre la libération des masses opprimées par la domination féodo-colonialiste.
3. L'amnistie anéantit les poursuites et les condamnations pénales à l'exclusion des condamnations civiles.
Toutefois, l'exécution des condamnations civiles ne pourra être poursuivie par voie de contrainte par corps qu'après un délai de 5 mois à dater de l'entrée en vigueur de la présente loi.
4. L'amnistie ne peut être opposée aux droits des tiers. Elle n'empêche pas l'action en dommages-intérêts fondée sur l'infraction.
5. Les frais de justice et les amendes déjà perçues restent acquises au Trésor.
Les confiscations prononcées restent définitives.
6. L'amnistie relève de la déchéance des droits d'électorat et d'éligibilité découlant éventuellement des condamnations encourues.
7. Le caractère politique des infractions susceptibles d'amnistie est déterminé par une commission composée d'un magistrat et de deux assesseurs désignés par le ministre de la Justice.
8. La commission porte le nom de « Commission d'amnistie politique ».
9. La commission est saisie à la diligence du ministère public de toutes les affaires relatives à des infractions commises entre le 1er octobre 1959 et le 1er juillet 1962 susceptibles de bénéficier de l'amnistie et du chef desquelles ou bien des condamnations ont été prononcées, ou bien des instructions ou des poursuites sont en cours.
La commission peut réclamer au ministère public le dossier de toute affaire qu'elle croit pouvoir être de sa compétence ainsi que la communication de toute pièce qu'elle estime nécessaire à ses travaux.
10. La commission statuant d'office et sur pièces constate souverainement le caractère politique des infractions susceptibles d'amnistie.
11. Toutes les contestations en matière d'application de la présente loi seront soumises à la commission d'amnistie politique.
Les décisions de la commission sont sans recours.
12. La présente loi entre en vigueur à la date de sa signature.
30 NOVEMBRE 1974 DÉCRET-LOI.
Amnistie de certaines infractions politiques. (J.O., 1974, p. 626).
1. Amnistie est accordée à toutes les personnes qui ont été poursuivies, sont susceptibles d'être poursuivies ou ont été condamnées du chef d'infractions à la sûreté intérieure de l'État commises la nuit du 18 au 19 septembre 1968 qui, en raison de leur nature, de leur mobile, des circonstances ou des motifs qui les ont inspirées, revêtent un caractère politique.
2. Notre ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent décret-loi.
3. Le présent décret-loi sort ses effets à la date de sa signature.
13 DÉCEMBRE 1991 LOI nº 60/91.
Amnistie générale et voie de solution au problème des réfugiés. (J.O., 1991, p. 1930).
1. Sont amnistiés les faits susceptibles d'entraîner ou ayant entraîné une condamnation à une ou plusieurs peines prévues par les lois pénales lorsque lesdits faits ont été commis par des réfugiés rwandais avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, soit avant leur départ, soit durant leur séjour à l'étranger.
2. Les frais de justice et les amendes déjà perçus restent acquis au Trésor.
3. La présente amnistie ne peut en aucun cas constituer un obstacle à l'action en révision que pourrait intenter le condamné en vue de faire établir son innocence.
ANNEXE 4
PLAINTE CONTRE LA MINUAR BELGE
Moi Mukayiranga, veuve du feu Kanyabugogi Fidèle, née le 24 juin 1951, mère de 5 enfants, dont deux garçons ont été tués dans le génocide de Butare, le 30 avril 1996, j'accuse la Minuar belge de la « non-assistance des personnes à danger » qu'a entraîné la mort de :
Mon mari Kanyabugogi Fidèle, agé de 54 ans, ingénieur-physicien, fonctionnaire de l'État, l'homme des droits de l'homme et lutteur engagé de l'ancienne dictature rwandaise.
Mon beau-frère, Rusiviro Ruhengeli, né en 1951, rescapé du génocide des Bagogwe de janvier 1991 en préfecture de (illisible).
Par sa présence à l'E.T.O. Kicukiro, la Minuar belge à attiré environ 4 000 personnes dans ses locaux. Tout le monde des quartiers de Likoude (illisible) Kagarama, Katenga, Kanombe avait tenté de regagner cette Minuar belge parce qu'il avait plein espoir d'une entière protection vu leur équipement militaire et communicatif et sachant l'objet de leur mission au Rwanda, à savoir la sécurité des Rwandais en danger.
Nous aussi, le 10 avril 1994, nous sommes arrivés à l'E.T.O. Kicukiro vers 6 heures du matin, à notre arrivée, les autres fuyards du quartier ont applaudi à la vue de mon mari Kanyabugogi, ils étaient heureux de voir que même lui, homme de droit de l'homme, était lui aussi sauvé comme eux, en arrivant à la Minuar belge.
Il n'a pas perdu son temps. Comme un leader, il a commencé à organiser les gens, c'est ainsi qu'un comité de sécurité - d'hygiène - d'approvisionnement ont été créés. Il disait on va passer des longs jours ici sous la protection de la Minuar, mais elle ne va pas nous nourrir, ni nous organiser dans notre vie quotidienne. On s'était sauvé après le pillage de notre maison, après avoir assisté cachés à l'incendie de notre maison dans laquelle on venait de passer 20 ans de vie heureuse. Mais arrivés à l'E.T.O. à la Minuar, nous avions tout oublié, nous étions sauvés et c'était l'essentiel.
Lundi le 11 avril 1994, beaucoup d'autres blessés venaient de tous les coins, ils s'enfuyaient vers la Minuar, ils venaient d'assister, impuissants à la mort des leurs, mais on voyait qu'arrivés là-bas ils étaient soulagés et tout heureux. Ce 11 avril 1994, les Interahamwe avaient essayé de nous lancer les grenades de derrière l'enclos, et de la cour où nous étions, les militaires de la Minuar nous conseillaient de nous mettre par terre et ils braquaient seulement leurs armes du côté des Interahamwe mais sans bouger de leur poste.
Certaines de mes amies racontaient que la Minuar belge est en train de plier bagages mais moi, je les soulageais que c'était impossible et impensable qu'ils fassent ça parce qu'ils sont là pour veiller sur nous et ne peuvent pas nous abandonner alors que de l'E.T.O. on entendait les grondements des armes, le bruit des maisons incendiées aux bombes etc. Ils étaient suffisamment témoins du danger que nous courions. Tout d'un coup, dans l'après-midi du 11 avril 1994, un convoi militaire (français ou belge) a surgi pour venir évacuer des couples mixtes et des gens travaillant pour les O.N.G. de l'O.N.U. Dans notre foule aussi, il y avait des familles que les militaires rwandais venaient chercher qui dans les camionettes, qui dans les voitures. Il y avait un mouvement d'agitation de deux côtés mais nous, on était tranquille parce que la Minuar était toujours là et on était sûr qu'elle resterait. Les préparatifs de départ ont commencé dans une grande discrétion et les voitures sont arrivées, ils ont monté vite et sont partis comme une flèche. Des jeunes gens qui avaient suivi leur mouvement ont essayé de leur barrer chemin en se mettant par terre, mais hautains ils sont passés à côté, et ils crachaient même sur ces jeunes gens en leur disant : « Vous tous rwandais êtes les mêmes, vous venez de tuer nos dix commandos. » La mort de notre président avait entraîné la mort pour les Tutsi et voilà qu'aussi la mort de dix commandos nous enchaîne encore dans une mort surprenante et lâche et injuste.
Ils sont partis et les gens qui étaient parvenus dans leurs camionettes ont été jetés par terre par les militaires belges en qu'on avait plein d'espoir de survie.
Il nous ont abandonné, nous restions là affolés, apeurés, désespérés; se disant adieu l'un, l'autre. Les hommes ont crié fort pour nous rappeler de nous sauver vers l'autre Minuar Bagladesh au stade Amahoro à environ 5 heures à pied. Mais les Interahamwe sont tout de suite entrés, ils étaient derrière l'enclos, ils ont commencé à tuer à la machette, au gourdin, à l'épée etc. Par une sortie, on se bousculait pour sortir et arrivés à l'extérieur, nous voyons les militaires de l'ancienne armée qui nous braquent les armes. Eux aussi commencent à fouiller et piller argent et montre. Nous passons par tous les chemins, les routes sont barrées, nous avons couru jusqu'à la route principale et là les militaires et Interahamwe nous ont fait rebrousser chemin jusqu'au lieu du massacre à Nyanga.
C'est là que mon mari est mort suite aux machettes et marteaux le 11 avril 1994.
La Minuar n'a pas tenté une évacuation possible, elle en avait les possibilités mais n'a pas voulu.
La Minuar est parti sans laisser derrière elle une relève de sécurité possible.
Leur départ du 11 avril 1994 a fait tué environ 4 000 personnes y compris mon mari et mon beau frère pré-cités. Ce fût le nombre de morts le plus élevé parmi les autres régions de la ville de Kigali ravagées dans le génocide d'avril 1994 de par leur présence et attirance. Je garde espoir que la Minuar sera jugée et que je serais dédommagée pour mon mari et mon beau frère.
Mukayiranga.... , veuve du feu |
Kanyabugogi Fidèle. |
ANNEXE 5
AMBASSADE DE BELGIQUE KIGALI
Ressortissants belges civils morts pendant les événements d'avril-juillet 1994
A) MORT VIOLENTE
1. Etienne Staelgrave (né le 8 octobre 1963 à Tournai) : tué le 7 avril 1994 à Kigali par les membres de la garde présidentielle « parce qu'il était belge ».
2. Paul Van Vynckt (né le 20 février 1945 à Charleroi) : tué en juillet 1994. Son corps avait une balle dans la tête, a été vu le 11 juillet 1994 par une Rwandaise dans un fossé à Rushashi sur une route secondaire à l'ouest de la grande route Kigali-Ruhengeri. Il aurait été tué lors des combats entre F.A.R. et F.P.R.
3. Albert Craemers (né le 20 novembre 1937 à Woluwe-Saint-Pierre) : tué le 7 avril 1994 à Nyamirambo (Kigali) par des militaires F.A.R. « parce qu'il était belge » (après vérification de son passeport).
4. Paul Kesenne (né le 25 février 1936 à Corswarem) : prêtre-missionnaire, curé de la paroisse de Rususa, tué le 15 juillet 1994 à Gisenyi.
5. Annie Roland (née le 10 juin 1938 à Biesmerée) : épouse de Jean Huss Mugwaneza (Rwandais), tuée avec son époux le 7 avril 1994 à Kicukiro (Kigali).
6. Claire Beckers (née le 22 février 1948 à Bruxelles) : épouse d'Isaïe Bucyana, tuée à Kigali début avril avec son époux et une fille.
7. Katia Bucyana (née le 12 janvier 1974 à Bruxelles) : fille de Claire Beckers, tuée à Kigali début avril avec ses parents.
8. Antoine Godfriaux (née le 24 juillet 1962 à Mons) : coopérant-O.N.G., tué par balles par Interahamwe le 7 avril 1994 à Rambura, commune Karago (Gisenyi).
9. Christine André (née le 21 juillet 1966 à Mons) : épouse de Godfriaux, coopérant-O.N.G., tuée par balles par Interahamwe le 7 avril 1994 à Rambura, commune Karago (Gisenyi).
10. Olivier Dulieu (né le 4 décembre 1970 à Ixelles): coopérant-O.N.G., tué par balles/éclat grenade par Interahamwe le 7 avril 1994 à Rambura, commune Karago (Gisenyi).
B) MORT NATURELLE
1. Père Gigi Michel (né le 7 avril 1940) : mort le 6 juillet 1994 à Nyababanda par maladie/manque de soins (probablement pneumonie).
2. Hélène Lévêque (née le 14 avril 1925 à Jemappes) : morte le 27 juin 1994 à Kigali par manque de soins/privation.