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Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

9 JUILLET 1996


Proposition de résolution relative à l'embargo contre Cuba et à la loi Helms-Burton

(Déposée par M. Hostekint et Mme Sémer)


DÉVELOPPEMENTS


Conséquence directe de la dissolution de l'Union soviétique et du Comecon, Cuba a, en 1989, perdu en quelques mois tous ses repères économiques et politiques. L'économie cubaine était entièrement axée sur celle de l'U.R.S.S. et des pays du Comecon depuis 1962, et l'île exportait plus de 90 p.c. de sa production vers ces pays. Il faut y voir les conséquences de la décision du gouvernement américain intervenue en janvier 1959, d'imposer à Cuba un embargo économique , financier et commercial pour réagir au coup d'État de Fidel Castro à La Havane.

Cet embargo a encore été renfocé en 1961 à cause de la «politique socialiste et anti-démocratique» de Cuba. Un an plus tard, les États-Unis interdisaient même toute forme de commerce avec l'île. Cuba a donc dû s'aligner aussi bien politiquement qu'économiquement sur les pays du «bloc socialiste».

L'effondrement du communisme a dès lors eu des conséquences dramatiques pour l'économie cubaine. L'île est désormais presque entièrement isolée. C'est surtout la population civile qui en ressent les effets. Conséquence directe de l'embargo américain, le Gouvernement a été forcé de rationner la nourriture. Le pays ne parvient plus à importer des médicaments et d'autres produits médicaux. Les soins de santé qui, selon l'Organisation mondiale de la santé n'ont nulle part leur équivalent en Amérique centrale et en Amérique latine, sont ainsi compromis ! Le gouvernement cubain s'est vu contraint d'élaborer un plan d'urgence pour rationner les produits alimentaires qui deviennent de plus en plus rares. Les produits de première nécessité disparaissent de plus en plus souvent vers le marché noir, lequel dérègle encore davantage l'économie.

La situation alimentaire et sanitaire de l'île s'est encore dégradée avec la loi Torricelli (Cuban Democracy Act) du 23 octobre 1992 qui a été adoptée par le Congrès des États-Unis et l'ancien président Georges Bush. Cette loi interdit toute forme de commerce avec Cuba excepté les livraisons autorisées dans le cadre de l'aide humanitaire et alimentaire. La loi Torricelli a des conséquences inadmissibles au-delà des frontières des États-Unis. Tout d'abord, les entreprises établies dans des pays tiers qui, soit appartiennent à des citoyens américians, soit sont contrôlés par eux, ne peuvent commercer avec Cuba, ce qui entrave gravement les échanges commerciaux avec l'île et équivaut à un embargo secondaire sur les exportations belges à destination des États-Unis. De plus, les États-Unis refusent l'accès à leurs ports aux navires marchands qui font escale à Cuba, ce qui constitue tout simplement une entrave à la libre navigation pour les armateurs belges.

La loi Helms-Burton (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act ) du 12 mars 1996, qui a été adoptée par le Congrès américain et signée par le président Clinton, renforce encore la loi Torricelli. Elle intensifie la politique de confrontation et d'isolement appliquée à Cuba et contient deux nouveaux éléments extraterritoriaux inadmissibles. Elle interdit notamment l'accès du territoire américain aux hommes d'affaires étrangers, aux membres de leur famille et aux actionnaires qui tirent avantage des propriétés confisquées à Cuba (Titre IV de la loi). Ces personnes n'auront donc plus la possibilité d'obtenir un visa. En outre, le Titre III de la même loi dispose que les tribunaux américains sont compétents pour statuer sur les demandes d'indemnisation que des citoyens américains forment contre des étrangers (personnes physiques ou entreprises) qui tirent un avantage des biens confisqués. En vertu d'une disposition importante de la loi, le président a le pouvoir de suspendre l'application du Titre III au cas où une telle décision servirait les intérêts nationaux des États-Unis.

La loi Helms-Burton est contestable car, dans d'autres cas, les États-Unis émettent des objections de principe à l'application territoriale des lois ou des embargos commerciaux étrangers. Le Export Administration Act de 1969 contient même une disposition spécifique, la «Foreign Antiboycot Provision», qui interdit aux entreprises américaines de se conformer à des boycotts décrétés par des pays étrangers. Il s'ensuit que les États-Unis rejettent les boycotts étrangers, mais exigent que l'on se conforme à leurs propres embargos.

Tout comme la loi Torricelli, la loi Helms-Burton est incontestablement contraire au droit international. Si l'ordre juridique international permet aux pays de prendre, en vue de protéger leurs intérêts nationaux, des mesures visant à limiter les échanges commerciaux, il ne légitime pas l'imposition de telles mesures à des pays tiers. Les effets extraterritoriaux de la loi susvisée sont dès lors très contestables sur le plan du droit international et ils sont contraires aux accords internationaux qui ont été conclus dans le cadre du G.A.T.T. et de l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.).

La situation des droits de l'homme à Cuba préoccupe le Sénat. Il partage l'inquiétude du gouvernement et du Congrès américain quant à la démocratie, aux droits de l'homme et à l'absence de réformes économiques à Cuba. Il soutient également les efforts qui sont entrepris au niveau de l'Union européenne pour inciter les autorités cubaines à modifier leur politique dans ces domaines et à faciliter ainsi une normalisation des relations avec les États-Unis.

Le Sénat est disposé à apporter,dans d'autres domaines, sa contribution à la normalisation de la vie politique et économique de Cuba. Par la présente résolution, il vise à créer une base nouvelle pour la collaboration économique avec ce pays, en partant de la constatation que l'embargo américain contre Cuba n'a plus aucune raison d'être et qu'il est tout sauf efficace au niveau politique. Cet embargo condamne Cuba au sous-développement économique. Pire encore, il empêche précisément l'apparition de développements positifs sur l'île. Il n'affecte malheureusement que la population civile, laquelle doit se passer de nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité. Contrairement au Congrès américain, le Sénat de Belgique est d'avis que le dialogue politique et économique constitue le meilleur moyen d'entamer un processus de réforme à Cuba.

Partant de ces considérations, le Sénat demande la levée complète de l'embargo des États-Unis contre Cuba. La loi Helms-Burton est une mauvaise loi. Elle est notamment contraire au droit international et elle a des effets extraterritoriaux dont le principe est inadmissible. Elle nuit aux relations entre les États-Unis et l'Union européenne, aux intérêts économiques et commerciaux des entreprises établies dans l'Union européenne et, en définitive, aux intérêts nationaux américains. C'est pourquoi la résolution plaide en faveur d'une intensification du dialogue entre la Belgique et Cuba afin d'améliorer les relations bilatérales entre ces deux pays. Elle demande au Gouvernement belge d'accroître l'aide humanitaire à la population cubaine et de poursuivre ses efforts, dans le cadre de l'Union européenne, pour parvenir à un accord de collaboration entre l'Union et Cuba.

Patrick HOSTEKINT.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

­ Considérant que les États-Unis appliquent, depuis 1962, un embargo économique, financier et commercial total à l'égard de la république de Cuba;

­ Considérant qu'à la suite de la désagrégation de l'Union soviétique, l'économie de Cuba s'est tout à fait effondrée;

­ Prenant acte que la « Cuban Democracy Act » (Loi Torricelli) adoptée par le Congrès américain et signée par le président Busch le 23 octobre 1992, qui étend l'embargo contre Cuba, se fonde sur le principe inadmissible de l'extraterritorialité et est donc contraire au libre exercice de la souveraineté des États;

­ Prenant acte de la « Cuban Democracy Act » (Loi Helms-Burton) adoptée par le Congrès américain et signée par le président Clinton le 12 mars 1996, qui durcit l'embargo contre Cuba et étend encore le principe contestable en droit international de l'extraterritorialilté;

­ Considérant que la « Cuban Democracy Act », qui est contraire au droit international et a été rejetée par la Communauté internationale, a des conséquences graves pour les entreprises belges et européennes;

­ Considérant que le blocus économique, commercial et financier pratiqué par les États-Unis a des conséquences très néfastes pour la population cubaine et la prive de vivres, de médicaments et de biens de première nécessité;

­ Prenant acte de la résolution 5010 adoptée le 2 novembre 1995 par l'Assemblée générale des Nations Unies en faveur de la levée du blocus économique, commercial et financier de Cuba, qui a aussi été votée par la Belgique;

­ Prenant acte du fait que, le 26 septembre 1995, l'Union européenne a, par la voix du ministre espagnol des Affaires étrangères Javier Solana, condamné le blocus contre Cuba et que ce point de vue a également été approuvé par la Belgique;

­ Prenant acte de la résolution du Parlement européen du 24 mai 1996 relative au commerce avec Cuba, l'Iran et la Libye;

­ Prenant acte du fait que la Commission européenne a porté plainte, à la mi-juin 1996, contre les États-Unis auprès de l'Organisation mondiale du commerce pour violation de la Convention sur le commerce mondial du G.A.T.T. de 1994;

Le Sénat,

Exprime son soutien à la Commission européenne et au Conseil dans leur rejet des éléments extraterritoriaux que comporte la législation commerciale actuelle des États-Unis;

Condamne la loi Helms-Burton et toutes les dispositions prises unilatéralement par les États-Unis contre le libre-échange mondial, dont les effets extraterritoriaux portent préjudice aux intérêts économiques et commerciaux de l'Union européenne, de ses États membres et, dès lors, de la Belgique;

Appelle le Congrès et le Gouvernement des États-Unis à tout mettre en oeuvre pour respecter le système commercial multilatéral dans le cadre de l'O.C.M. et pour poursuivre son développement;

Demande au Gouvernement belge d'insister auprès du Gouvernement et du Congrès des États-Unis pour qu'ils mettent un terme à l'embargo économique, commercial et financier contre Cuba;

Prie le Gouvernement belge de ne pas se conformer au contenu de la loi Helms-Burton;

Demande au Gouvernement belge de prendre les initiatives requises à cet égard, de sorte que les entreprises belges et/ou les entreprises ayant un siège en Belgique puissent développer normalement leurs échanges commerciaux avec Cuba;

Demande au Gouvernement belge de prendre les initiatives qui s'imposent pour éviter que des entreprises établies sur le territorie de l'Union européenne se soumettent aux mesures extraterritoriales de la loi Helms-Burton.

Exprime le souhait d'une intensification du dialogue entre la Belgique et Cuba et désire que le Gouvernement belge continue d'oeuvrer en faveur d'un accord de coopération entre l'Union européenne et Cuba;

Prie le Gouvernement belge d'étendre l'aide humanitaire à la population de Cuba et de mettre en oeuvre, à cet effet, des programmes axés sur les besoins élémentaires de la population;

Demande à son président de faire parvenir la présente résolution au Gouvernement belge, à l'Assemblée nationale cubaine, au secrétaire général des Nations Unies, au président et au Congès des États-Unis, à la Commission européenne, au Parlement européen et au Parlement latino-américain.

Patrick HOSTEKINT.
Paula SÉMER.