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Question écrite n° 7-1420

de Peter Van Rompuy (CD&V) du 24 novembre 2021

à la ministre du Climat, de l'Environnement, du Développement durable et du Green Deal

Pacte de Glasgow sur le climat - Marché mondial du carbone - Effets - Impact pour la Belgique - Relation avec le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (SEQE UE) - Droits d'émission alloués à la Belgique - Calcul

convention internationale
réchauffement climatique
politique en matière de changement climatique
quota d'émission
Mécanisme UE d'échange de droits d'émission

Chronologie

24/11/2021Envoi question (Fin du délai de réponse: 23/12/2021)
20/12/2021Réponse

Question n° 7-1420 du 24 novembre 2021 : (Question posée en néerlandais)

Justification du caractère transversal de la question écrite : le climat et les objectifs environnementaux constituent un défi commun et une responsabilité partagée.

Lors de la conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26), cent nonante-sept pays ont conclu un accord le 13 novembre 2021 sur leurs ambitions climatiques conjointes.

L'accord a mis en œuvre l'article 6 de l'Accord de Paris sur le climat (2015) relatif à un marché du carbone avec un système d'échange de droits d'émission. Dans un marché mondial du carbone, les pays qui n'atteignent pas leur norme peuvent acheter des droits supplémentaires aux pays qui les atteignent ou y investir dans des technologies vertes. Le système n'est pas neuf. L'Union européenne (UE) dispose déjà d'un système d'échange de quotas d'émission (SEQE UE). Il s'applique spécifiquement aux secteurs de l'industrie et de l'énergie.

À Glasgow, d'autres accords ont été conclus sur les effets pratiques du marché du carbone entre autres en fonction du rapportage et de la transparence, ainsi que sur la taxe sur les échanges et sur le statut des anciens droits d'émission. Il a d'ores et déjà été décidé de retirer 2 % de ces anciens droits du système.

Je souhaiterais dès lors poser les questions suivantes :

1) Quel est l'impact de l'accord sur le marché du carbone pour la Belgique ?

2) Quel est le rapport avec le système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE UE) ?

3) Comment sont calculés les droits d'émission belges ?

4) Quelle est la position de la ministre par rapport à l'accord conclu sur le marché du carbone ?

5) Quand le marché du carbone entrera-t-il effectivement en vigueur ? Quelles étapes la Belgique devra-t-elle franchir en ce sens ?

Réponse reçue le 20 décembre 2021 :

Les décisions de la COP26 au sujet de l’article 6 de l’Accord de Paris définissent en effet les modalités et procédures pour un nouveau marché international du carbone, qui va succéder au marché établi sous le Protocole de Kyoto durant la période 2008-2020. Après trois ans d’intenses négociations, le compromis adopté à Glasgow établit un système robuste pour générer et comptabiliser des crédits carbone.

Le compromis final a cependant été obtenu suite à quelques concessions qui portent atteinte à l’intégrité environnementale du système mis en place. En effet, nous avons dû accepter qu’environ 300 millions de crédits générés avant 2020, dans le cadre du Protocole de Kyoto, puissent être utilisés jusqu’en 2030 dans le cadre de l’Accord de Paris. De plus, certains projets du Protocole de Kyoto pourront continuer à générer des crédits pendant la période 2020-2025 en utilisant encore les «vieilles» méthodologies de la période pré-2020 (moins ambitieuses que celles de l’article 6). Cela représente potentiellement 2,8 milliards de tonnes équivalent CO2 qui pourraient être portés au crédit des efforts réalisés par les parties à l’Accord de Paris, mais uniquement s’ils sont autorisés par les pays hôtes, ce qui est incertain (les nouvelles règles imposent maintenant aux pays hôtes de comptabiliser ces crédits et ils devront donc potentiellement les compenser par des mesures domestiques additionnelles).

Malgré ces deux concessions, j’estime que les décisions adoptées par la COP26 sous l’article 6 sont globalement robustes. En effet, je voudrais notamment souligner que l’Union européenne (UE) a obtenu l’adoption de nombreuses règles qui protègent l’intégrité environnementale du système, comme par exemple l’assurance que le double comptage sera évité ou la règle du «no banking» (qui interdit de reporter des crédits d’une période d’engagement à une autre). Nous avons également adopté des règles ambitieuses relatives à la qualité des crédits, aux seuils à partir desquels ils peuvent être générés, et pour garantir la transparence des échanges. En ce qui concerne ce qu’on appelle les «safeguards», je voudrais souligner que les parties prenantes peuvent faire appel contre certaines décisions ou introduire des réclamations («grievance mechanism») et que nous avons également obtenu une référence aux droits humains, aux droits des peuples indigènes et à la transition juste.

Pour autant, le travail n’est pas entièrement fini, car les détails techniques permettant d’implémenter les décisions de la COP26 doivent encore être élaborés dans le courant de l’année 2022, dans le cadre d’un intense programme de travail (notamment pour définir les formats du rapportage, les règles pour le suivi et la vérification des données, les registres, etc.). Elles seront présentées pour adoption à la COP27, en novembre 2022. Une fois que la totalité de ces modalités pratiques auront été adoptées, elles pourront alors concrètement être implémentées par les pays qui souhaitent faire usage de l’article 6. Pratiquement, cela veut dire que des projets «pilotes» peuvent commencer dès maintenant, mais la mise en œuvre concrète et officielle des premiers projets sous l’article 6 ne sera possible qu’après la COP27 (et pour autant que toutes les modalités pratiques y soient adoptées et que toutes les infrastructures techniques requises soient mises en place, telles que les registres).

Malgré ces règles robustes, je tiens à rappeler que le marché du carbone est essentiellement un instrument qui permet une délocalisation des efforts de réduction vers des endroits où leur rapport coût-bénéfice est plus intéressant. Il ne génère donc pas nécessairement des réductions globales additionnelles par rapport à une situation sans marché du carbone. C’est ce qu’on appelle du «pure offsetting» (donc «juste» une compensation) ou bien un «zero sum game».

Les règles relatives à l’article 6 divergent légèrement de cette situation car elles requièrent une annulation de 2 % des crédits, qui ne peuvent être utilisés par personne, et sont donc «pour le bénéfice de l’atmosphère». Cependant, cela ne concerne que 2 % des transferts.

En raison de tout ce qui précède, j’estime que notre priorité est de réduire les émissions sur notre territoire, tout en aidant les pays en développement à réduire leurs propres émissions, mais sans que ces réductions réalisées dans d’autres pays ne puissent «compenser» les efforts que nous ne faisons pas chez nous. Il me paraît également important d’éviter ce qu’on appelle le «carbon lock-in», c’est-à-dire que pour atteindre notre neutralité climatique, nous devrons effectuer certains changements technologiques qui ne seront pas nécessairement plus simples ou moins coûteux dans les années à venir. L’utilisation du marché du carbone implique aussi d’investir dans d’autres pays ce que nous devrions sans doute prioritairement investir chez nous.

Au niveau européen, notre objectif de réduction pour 2030 (-55 % par rapport à 1990) doit être atteint via des réductions sur le territoire européen. Il n’est donc pas prévu de recourir à l’achat de crédits sur le marché international. L’article 4 de la loi climat européenne, entrée en vigueur en juillet 2021, précise que: «l’objectif contraignant de l’Union en matière de climat pour 2030 consiste en une réduction, dans l’Union, des émissions nettes de gaz à effet de serre (émissions après déduction des absorptions) d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.»

Ceci étant dit, comme vous le mentionnez dans votre question, l’UE a mis en place depuis 2005 un large marché du carbone, qui couvre ses 27 États membres ainsi que la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande, et est également relié à l’ETS de la Suisse (directive 2003/87/CE visant à établir un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (ETS)).

Durant la période 2005-2020, les entreprises européennes ont pu acquérir certains crédits issus du marché international établi sous le Protocole de Kyoto pour compenser leurs émissions. Ces possibilités ont cependant été fortement réduites durant la période 2013-2020 et ne sont maintenant plus autorisées pour la période 2021-2030. Par contre, les entreprises continuent à bénéficier de «flexibilités» intra européennes: elles peuvent échanger des crédits entre entreprises, ou d’une année à l’autre («banking»).

Pour les secteurs qui ne sont pas couverts par la directive ETS, la décision sur le partage de l’effort («Effort sharing regulation» (ESR) décision 2009/406/CE) établit une situation similaire: les États membres ne peuvent pas utiliser de crédits internationaux pour atteindre leurs objectifs, mais ils bénéficient de flexibilités qui permettent de reporter ou d’emprunter des crédits d’une année à l’autre («banking & borrowing»), de les échanger entre États membres, ou même d’acquérir, sous certaines conditions et en quantités limitées, des crédits du secteur des terres ou en provenance de l’EU ETS.

L’utilisation du marché international du carbone n’est pas non plus prévue dans l’ensemble des nouvelles mesures législatives proposées par la Commission européenne en juillet 2021 («Fit for 55» package), puisque ces mesures visent à atteindre l’objectif tel que défini dans la loi climat européenne (donc une réduction «dans l’Union» de -55 % en 2030, et la neutralité climatique en 2050). Cet ensemble de mesures prévoit donc de modifier des éléments importants de la législation européenne (EU ETS, ESR, secteur des terres, etc.), mais sans recourir aux crédits du marché international du carbone.

Tout ceci implique qu’au niveau européen, d’ici à 2030, l’article 6 de l’Accord de Paris sera uniquement utilisé pour couvrir une situation très spécifique (et pour une quantité très limitée): les échanges entre l’ETS européen et l’ETS de la Suisse. En effet, l’impact des échanges nets entre les entreprises européennes et les entreprises suisses devra se justifier, au niveau de la CCNUCC, par un transfert équivalent de crédits internationaux. Le volume de ces échanges sera très limité car (1) le niveau d’ambition de l’ETS européen et suisse est comparable et ne devrait donc pas générer un transfert massif de crédits ni dans un sens ni dans l’autre et (2) l’ETS suisse couvre seulement environ 5,5 millions de tonnes de CO2-éq. annuelles, alors que l’EU ETS couvre plus de 2 Gigatonnes CO2-éq. annuelles (les transferts nets, pour l’UE, seront donc marginaux).

La situation au niveau belge découle de la situation européenne, c’est-à-dire que les législations (ETS et ESR) ne permettent pas le recours à l’article 6 pour atteindre notre objectif de 2030. Cela n’exclut pas que des acteurs belges puissent participer volontairement à ce nouveau marché. Mais dans ce cas, leurs crédits ne seront pas utilisés en vue d’atteindre un objectif contraignant, et leur participation sera donc strictement volontaire, et additionnelle à nos obligations légales. Dans le contexte des «marchés volontaires», en plein essor, il sera crucial pour moi d’assurer une transparence par rapport à la qualité des crédits échangés et à l’utilisation qui peut en être faite. Les éventuels participants intéressés par ce nouveau marché devront cependant attendre que la COP27 adopte toutes les modalités pratiques, avant d’entamer de potentielles démarches en ce sens.