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Question écrite n° 7-1304

de Steven Coenegrachts (Open Vld) du 11 aôut 2021

au vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique

Travailleurs frontaliers - Télétravail - Statut fiscal et social - Conventions collectives de travail (CCT) - Négociations - Nombre de jours de télétravail autorisés - Discrimination - Concertation avec les pays voisins

travailleur frontalier
travail à distance
statut social
fiscalité
convention collective

Chronologie

11/8/2021Envoi question (Fin du délai de réponse: 9/9/2021)
24/3/2022Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-1281

Question n° 7-1304 du 11 aôut 2021 : (Question posée en néerlandais)

Dans les régions frontalières de Belgique, des Pays-Bas et d'Allemagne, certaines personnes travaillent de l'autre côté de la frontière ; on les appelle des travailleurs frontaliers. Si des exceptions aux mesures prises pendant la crise du coronavirus de l'année dernière ont été accordées dans certains cas, les travailleurs ont généralement été contraints d'exercer leur activité à domicile. Une concertation bilatérale a permis de régler de manière satisfaisante le statut fiscal et social des travailleurs frontaliers pour la période durant laquelle ils ont dû travailler dans leur pays de résidence. Les travailleurs frontaliers travaillant à domicile sont restés soumis à la législation du pays de leur lieu de travail.

Lorsque la crise du coronavirus sera derrière nous, ce seront à nouveau la législation et réglementation ordinaires qui s'appliqueront. Il ressort pourtant de nombreux articles de presse et sondages effectués auprès des employeurs que le travail à domicile sera plus fréquent à l'avenir. La législation et la réglementation actuelles s'inspirent des dispositions des règlements européens 883/2004 et 987/2009, selon lesquelles un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne qui exerce plus de 25 % de son activité professionnelle dans son État de résidence est tenu de payer toutes les cotisation sociales dans son État de résidence et relève donc de la sécurité sociale de cet État. Cette règle s'applique dans tous les États membres. L'employeur étranger sera donc contraint de s'inscrire auprès de la sécurité sociale belge pour y payer des cotisations sociales sur le salaire complet de son travailleur.

On entend toutefois dire aujourd'hui qu'au cours des négociations relatives aux conventions collectives de travail (CCT), les employeurs promettraient plusieurs jours de travail à domicile aux futurs travailleurs. En vertu de la législation susmentionnée, à laquelle nous serons à nouveau soumis après la levée des mesures " corona ", il ne serait pas possible d'accorder aux travailleurs étrangers autant de jours de travail à domicile qu'aux travailleurs belges et ils seraient donc discriminés.

Justification du caractère transversal de la question écrite : les travailleurs frontaliers sont très importants pour l'économie régionale. Plutôt que de décourager le travail frontalier, il faut l'encourager.

Mes questions sont les suivantes.

1) Que pense le ministre du problème des travailleurs frontaliers décrit ci-dessus ?

2) Que pense-t-il du fait que lors de la négociation de certaines CCT, deux jours de travail à domicile aient été promis aux travailleurs résidant en Belgique mais un seul jour à ceux qui résident aux Pays-Bas ?

a) Juge-t-il cette décision discriminatoire pour les travailleurs étrangers ?

b) Discutera-t-il de ce problème avec les pays voisins ?

Réponse reçue le 24 mars 2022 :

Depuis le début de la pandémie en mars 2020, la Belgique s’est entendue avec les États voisins (Grand-Duché de Luxembourg, Pays-Bas, France et Allemagne) afin de neutraliser l’impact de l’obligation du télétravail prise dans le cadre des mesures sanitaires en vue de limiter la propagation du coronavirus sur la détermination de la législation applicable en vertu des règles définies au titre 2 du règlement (CE) no 883/2004 et précisées dans le règlement (CE) no 987/2009. Ainsi, pour les travailleurs dit pluriactifs qui sont amenés à exercer une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres (article 13 du règlement (CE) no 883/2004), ces derniers sont soumis à la législation de l’État membre de résidence si ceux-ci exercent une partie substantielle de leur activité dans cet État membre. À défaut, les travailleurs sont soumis à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur a son siège social ou son siège d’exploitation (article 13, litera a) et b)). Le règlement de mise en œuvre (CE) no 987/009 (article 14, § 8) précise la portée de la notion d’«activité substantielle» en ce sens que cette condition est remplie dès lors que le travailleur réalise au moins 25 % de son temps de travail dans cet État membre. Avec l’obligation de télétravailler imposée dans le cadre des mesures sanitaires, cela aurait conduit, dans certaines situations, à un basculement dans la détermination de l’État membre compétent: le travailleur contraint de télétravailler dans son État membre de résidence en suite des mesures sanitaires – et dépassant ce faisant le seuil précité de 25 % – aurait dû être affilié à la législation (de sécurité sociale) de son État membre de résidence. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union reconnaît que la pandémie peut être constitutive de force majeure et qu’elle peut «suspendre» l’application des règles précitées: ainsi, malgré le franchissement du seuil de 25 % dans l’État membre de résidence, le travailleur pluriactif peut continuer à être soumis à la législation applicable désignée avant la survenance de la pandémie. En juin 2020, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale a adopté des lignes directrices «Covid-19» non-contraignantes définissant un cadre permettant aux États membres de prendre des mesures afin de limiter les effets de la pandémie sur l’application des règlements européens de coordination. Ces lignes directrices, reconduites à plusieurs reprises, sont valables jusqu’au 30 juin 2022. Au-delà du 30 juin 2022 (sauf nouvelle prolongation des lignes directrices), la force majeure sera levée et les règlements européens de coordination (CE) no 883/2004 et (CE) no 987/2009 devront être pleinement appliqués avec la conséquence, dans certains cas, de possibles basculements vers l’État membre de résidence comme État compétent. Il s’agit là de l’application «normale» des règles de coordination européennes: ces dernières s’appliquent en fonction de la situation objective dans laquelle se trouve les travailleurs concernés, comme le rappelle d’ailleurs la Cour de justice de l’Union.

Par ailleurs à la fin de l’année 2021, plusieurs États membres de l’Union européenne (UE) (France, Grand-Duché de Luxembourg, Pays-Bas) ont posé, au sein de la Commission administrative, la question du télétravail en situation «post-Covid». Ainsi, le Sénat français et l’Assemblée nationale ont adopté des résolutions qui, en substance, visent à mener une réflexion européenne sur le statut des travailleurs frontaliers notamment sur le volet de la coordination en sécurité sociale. J’estime qu’il est préférable que le débat soit lancé au niveau européen afin de discuter de cette problématique. C’est, d’ailleurs, pour cette raison que je soutiens pleinement l’initiative de la création au sein de la Commission administrative d’un groupe de travail à ce sujet. Une première réunion de ce groupe de travail, au sein de la Commission administrative, est fixée le 9 mars 2022: cette première réunion consistera à dresser un état des lieux de la situation au niveau des États membres. Ce groupe de travail devrait identifier si les règles européennes actuelles de coordination des systèmes de sécurité sociale posent des difficultés et, dans l’affirmative formuler des recommandations. Cette problématique appelle une solution uniforme au niveau des États membres de l’Union sous peine de mettre à mal la coordination entre États membres et à créer des effets non voulus. Plusieurs experts des institutions belges compétentes se sont portés volontaires pour prendre part aux discussions qui se tiendront dans le cadre des réunions de ce groupe de travail.

L’administration m’informe, en outre, qu’en France plusieurs entreprises ont en effet adopté des conventions collectives qui prévoient des mesures de télétravail avec une approche différenciée selon les travailleurs, limitée à un jour pour les travailleurs frontaliers contre deux jours pour le reste des salariés. La volonté est d’éviter pour les travailleurs transfrontaliers un changement de législation applicable. De même, mon administration me rapporte que l’autorité compétente des Pays-Bas ont indiqué que certains employeurs envisagent d’exclure leurs employés d’une politique générale de télétravail ou de travail à domicile en raison du risque administratif et financier perçu. Les régions comptant un grand nombre de travailleurs transfrontaliers craignent qu’en raison de l’augmentation du télétravail, surtout si cela entraîne un déplacement de la législation applicable vers l’État de résidence, les employeurs soient moins disposés à employer des travailleurs transfrontaliers.

Il s’agit par ce biais de contourner l’application normale des règles de coordination qui – se fondant sur la situation objective des travailleurs – déterminent l’État membre compétent pour l’affiliation et le versement des cotisations de sécurité sociale. Cela ne peut, selon moi, être accepté car cela remettrait en cause tout le fonctionnement des règles européennes de coordination.

C’est pour cette raison que je privilégie l’idée d’une discussion au niveau européen afin de définir s’il y a besoin d’adopter des règles spécifiques ou non dans le cadre de la coordination des systèmes de sécurité sociale.

L’objet de la deuxième question relève de la compétence de mon Collègue Pierre-Yves Dermagne, ministre du Travail.