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Question écrite n° 7-1269

de Tom Ongena (Open Vld) du 21 juin 2021

au vice-premier ministre et ministre de la Justice et de la Mer du Nord

Covid-19 - Vaccin - Désinformation - Blogueurs français approchés - Rôle de la Russie - Situation en Belgique - Lutte - Mesures

épidémie
vaccin
vaccination
désinformation
Russie
médias sociaux

Chronologie

21/6/2021Envoi question (Fin du délai de réponse: 22/7/2021)
29/9/2021Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-1270

Question n° 7-1269 du 21 juin 2021 : (Question posée en néerlandais)

D'après les autorités françaises, il est vraisemblable que la Russie tente depuis peu de diffuser de la désinformation en s'adressant à un nouveau groupe cible : des blogueurs dans le domaine des sciences et de la santé. L'information a été publiée par le Wall Street Journal (cf. https://www.wsj.com/articles/france-suspects-russian-role-in-campaign-to-discredit-pfizer-vaccine-11621978289).

Plusieurs blogueurs français ont indiqué avoir été approchés par une entreprise de marketing dénommée «Fazze». Ils ont reçu des courriels les incitant à critiquer le vaccin Pfizer. Un blogueur a révélé qu'on lui avait proposé une rémunération de 2 050 euros. Le groupe cible n'a pas non plus été choisi au hasard : le vaccin de Pfizer Inc.-BioNTech SE est le plus utilisé en France.

Fazze a demandé aux blogueurs de diffuser de fausses allégations selon lesquelles le taux de mortalité des personnes ayant reçu le vaccin Pfizer est trois fois plus élevé que celui des personnes ayant reçu le vaccin AstraZeneca. Fazze a également demandé par courriel aux blogueurs de poser des questions tendancieuses telles que : «Pourquoi certains gouvernements achètent-ils massivement le vaccin Pfizer, qui est dangereux pour la santé de la population?».

Les thèmes de discussion et points de vue transmis par Fazze sont fort similaires à ceux diffusés par la Russie sur le compte Twitter officiel du vaccin russe Spoutnik V. Ce compte a lui aussi précédemment tenté, de manière très semblable, de présenter le vaccin Pfizer sous un mauvais jour. Les comptes LinkedIn des collaborateurs de Fazze, qui ont entre-temps été supprimés, montraient que bon nombre d'entre eux ont été formés dans des écoles russes, notamment à la «Siberian State University of Railway Engineering».

Les services de renseignement français cherchent donc à savoir si le gouvernement russe est à l'origine de cette tentative de soudoiement de blogueurs de renom dans le domaine de la santé et de la science afin de semer le doute parmi le public sur la sécurité du vaccin Pfizer-BioNTech. Les services de renseignement soupçonnent le Kremlin d'être à l'origine des courriels.

Les courriels ressemblent à ceux de l'entreprise russe «Internet Research Agency», qui a été jugée responsable de la tentative de Moscou de s'immiscer dans les élections présidentielles américaines de 2016. Leurs opérations, pilotées par le Kremlin, visent à saper la confiance du public dans nos institutions et dans nos organes démocratiques.

En ce qui concerne le caractère transversal de la présente question : les différents gouvernements et maillons de la chaîne de sécurité se sont accordés sur les phénomènes qui devront être traités en priorité au cours des quatre prochaines années. Ceux-ci sont définis dans la note-cadre de sécurité intégrale et dans le plan national de sécurité 2016-2019 et ont été discutés lors d'une conférence interministérielle à laquelle les acteurs de la police et de la justice ont également participé. Il s'agit donc d'une matière transversale qui relève également des Régions, le rôle de ces dernières se situant surtout dans le domaine de la prévention.

J'aimerais dès lors soumettre au ministre les questions suivantes :

1) Certains indices portent-ils à croire que dans notre pays, la confiance dans la vaccination a été sapée par des puissances étrangères?

2) Dans notre pays, des blogueurs, influenceurs ou autres acteurs des nouveaux médias ont-ils signalé avoir été approchés par des entreprises ou entités similaires? Dans l'affirmative, ont-ils seulement été motivés par la promesse d'une rémunération, ou d'autres méthodes ont-elles également été utilisées (chantage, intimidation, etc.)?

3) A-t-on découvert des preuves ou des indices que certains groupes anti-vaccins qui opèrent en Belgique sont dirigés ou financés à partir de la Russie ou d'autres États?

4) La Russie essaye-t-elle de vanter les qualités du vaccin Spoutnik V dans notre pays? Dans l'affirmative, de quelle manière et par quels canaux? La Chine tente-t-elle également de vanter de la même manière le vaccin Sinovac dans notre pays?

5) Sur ce sujet, quel est le degré d'interconnexion entre l'extrême droite, les antivaccins et les États anti-occidentaux? Quels sont leurs points de convergence? Quelle est la meilleure attitude que les pouvoirs publics peuvent adopter pour nous protéger de ces pratiques?

6) Comment la Belgique peut-elle contrer au mieux la désinformation diffusée par la Russie contre le vaccin Pfizer (ou contre d'autres vaccins)? Quelles initiatives concrètes la Belgique a-t-elle déjà prises en ce sens? Quelles démarches la Belgique compte-t-elle entreprendre prochainement? Comment nos médias publics peuvent-ils réagir à cette désinformation? Quel rôle notre enseignement peut-il jouer en la matière?

Réponse reçue le 29 septembre 2021 :

Les services de renseignement sont au courant des affirmations de blogueurs français sur la proposition visant à produire de la désinformation sur les vaccins (occidentaux) contre le Covid-19. L’entreprise FAZZE n’est en revanche pas connue.

La VSSE ne dispose à ce jour pas d’éléments étayant les affirmations de ces blogueurs français, mais elle estime qu’elles sont effectivement plausibles, eu égard à d’autres tentatives de diffusion de désinformation sur les vaccins occidentaux contre le Covid-19. La Russie est souvent citée comme commanditaire potentielle.

1) Tout au long de la pandémie, tant la vaccination que le COVID en général n’ont cessé de faire l’objet de campagnes de désinformation de la part de puissances étrangères.

En Belgique même, la désinformation se propage concernant le Covid-19 et les vaccins, laquelle sape très probablement la confiance d'une certaine partie de la population dans ces vaccins, dans l’approche des autorités ou dans l’existence même du Covid-19. Notre service ne dispose toutefois pas d’éléments indiquant que cette désinformation émane de la Russie.

La manière dont cette désinformation est propagée correspond toutefois aux tactiques connues, à savoir celles des « information operations ». Notre service y voit une parallèle avec les élections occidentales des cinq dernières années. Durant ces élections également, la désinformation a fortement circulé dans un certain segment de la population de différents pays. On a alors pointé du doigt la Russie notamment, qui a en effet en partie propagé de la désinformation au sein de la population. La VSSE estime toutefois très probable que ce ne sont pas uniquement la Russie, etc. qui sont à la base de la désinformation diffusée, mais que celle-ci existe/existait déjà au sein de la population, et ce, principalement aux extrémités du spectre politique. Cette désinformation est alors simplement renforcée ou en quelque sorte ‘légitimée’ par des puissances étrangères, telles que la Russie.

Depuis le début de la pandémie du Covid-19 en mars 2020, la VSSE et le SGRS (Service Général du Renseignement et de la Sécurité) surveille, chacun avec son expertise spécifique, toute forme potentielle de désinformation.

Depuis fin décembre 2020, le SGRS et la VSSE appuient le Centre de crise National (NCCN) via des briefings réguliers sur la détection et l’analyse de désinformation sur le Covid. Plusieurs cas de désinformation ont été détectés, ce qui a miné la confiance dans la stratégie de vaccination.

2) À ce jour, la VSSE n’a pas reçu de tels signalements. Notre service souhaite en revanche souligner que cela ne signifie pas que cette approche ne s’est pas manifestée dans le groupe sans cesse croissant d’influenceurs (autoproclamés ou non).

Le recours à certains « acteurs clés » tels que les influenceurs/journalistes/experts... pour apporter un certain crédit narratif constitue un élément essentiel des opérations d'information russes par exemple.

Tirer parti des « acteurs clés » qui diffusent un même discours sans être conscients des objectifs et/ou du contexte russes est également une technique en ligne bien éprouvée.

3) La communauté belge du renseignement ne dispose pas d’éléments concrets indiquant que certains groupes antivaccination sont pilotés ou financés par la Russie.

Il existe toutefois des indications selon lesquelles certains groupes d’antivax ont fait l’objet de manipulation par des comptes qui ont tenté, ouvertement ou non, de diffuser un discours russe dans le but de déstabiliser notre société.

Les services de renseignement font également observer que l’influence, notamment par la Russie, subsiste via différents vecteurs, y compris des citoyens belges.

4) La promotion du vaccin Spoutnik V, au détriment des vaccins « occidentaux », tels que Pfizer et AstraZeneca, a constitué, surtout au printemps 2021, une partie essentielle de la stratégie de propagande en ligne russe.

À cet effet, la Russie utilise tout d’abord ses propres canaux (de propagande) directement liés à des canaux médiatiques ou des organisations qui sont gérés par les autorités russes.

La Chine a également promu le vaccin Sinovac auprès d’un groupe-cible belge et européen.

L’ambassade chinoise dans notre pays tente d’obtenir l’autorisation de faire vacciner les habitants d’origine chinoise avec un vaccin chinois.

5) Toute attribution, à savoir le fait de désigner un acteur spécifique comme étant l’auteur d’une campagne de désinformation, est extrêmement complexe. Il est donc presque impossible d’évaluer avec certitude si et de quelle manière sont liés les extrémistes de droite, les anti-vaxxers et les puissances étrangères.

6) La capacité de résistance de notre société face à la désinformation est une question de politique qui dépasse le domaine de la justice. Les services de renseignements collaborent toutefois activement à la politique d’autres services publics, tels que le centre de crise. La VSSE contribue également à la sensibilisation ; citons par exemple le reportage du programme PANO sur la désinformation russe (2019), les briefings que notre service a donnés aux présidents de partis politiques avant les élections de 2019, ainsi que les brochures disponibles sur le site web de la VSSE (www.vsse.be).

De telles compagnes de sensibilisation peuvent aider la population à mieux se prémunir contre la désinformation.

Plus que jamais, il est nécessaire d’adopter une vision à long terme pour pouvoir faire face aux défis sans cesse croissants en matière de désinformation.