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Question écrite n° 6-2222

de Lionel Bajart (Open Vld) du 15 janvier 2019

au ministre de la Justice, chargé de la Régie des bâtiments

Salafistes - Menace de violence - Pays-Bas - Salafisation de mosquées en difficulté - Activités antidémocratiques - Propagande - Aide financière de la part de pays étrangers - Approche belge

financement du terrorisme
radicalisation
islam
intégrisme religieux
extrémisme
terrorisme
Internet
financement

Chronologie

15/1/2019Envoi question (Fin du délai de réponse: 14/2/2019)
8/4/2019Réponse

Réintroduction de : question écrite 6-1967

Question n° 6-2222 du 15 janvier 2019 : (Question posée en néerlandais)

Dans une récente communication, le coordinateur national néerlandais en charge de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité (NCTV) met en garde contre le fait que l'influence du salafisme continue d'augmenter aux Pays-Bas.

Le NCTV constate une nouvelle tendance inquiétante, à savoir l'imbrication du salafisme et du djihadisme. Une partie du mouvement salafiste propage et légitime une intolérance active et des activités antidémocratiques. Il est aussi question d'une attitude ambigüe ou laxiste à l'égard de la violence djihadiste. De ce fait, une partie du mouvement salafiste constitue à terme une possible menace contre la sécurité nationale.

Le sociologue néerlandais Mohammad Soroush a infiltré des salafistes pendant trois ans et il a fait une mise en garde sans équivoque. Selon lui, il n'est pas question de loyauté à l'égard de la démocratie néerlandaise et de ses lois. Les salafistes visent la confrontation. (cf. De Volkskrant, 14 septembre 2018, p. 12).

Le NCTV confirme ce constat : il est question d'individus salafistes qui, sous le couvert d'un discours religieux, légitiment et propagent la violence terroriste ; le salafisme se développe ; il est suffisamment fort financièrement pour salafiser des mosquées et des centres islamistes en difficulté.

Ce dernier point est particulièrement inquiétant étant donné que de ce fait, les mosquées et communautés religieuses qui suivent une doctrine modérée, sont prises en charge et ensuite, salafisées. Les prédicateurs salafistes et leurs lieux de culte reçoivent souvent une aide financière de l'étranger.

Quant au caractère transversal de la question : les différents gouvernements et maillons de la chaîne de sécurité se sont accordés sur les phénomènes qui doivent être traités en priorité au cours des quatre prochaines années. Ceux-ci sont définis dans la Note-cadre de sécurité intégrale et dans le Plan national de sécurité pour la période 2016-2019 et ont fait l'objet d'un débat lors d'une conférence interministérielle à laquelle les acteurs de la police et de la justice ont également participé. Cette question concerne dès lors une matière régionale transversale, les Régions intervenant surtout dans le volet préventif.

Je souhaiterais vous poser les questions suivantes :

1) Que pensez-vous du constat du NCTV néerlandais selon lequel l'influence du salafisme continue à augmenter ? Constatez-vous une tendance similaire dans notre pays ? Dans l'affirmative, pouvez-vous détailler votre réponse ? Dans la négative, pourquoi, et en quoi la politique de la Belgique diffère-t-elle de celle des Pays-Bas ?

2) Pouvez-vous me dire si vous-même ou les services de sécurité disposez d'informations concernant le nombre de nos concitoyens partisans du salafisme ? Pouvez-vous également indiquer le nombre de prédicateurs salafistes actifs dans notre pays sur une base fixe ?

3) Pouvez-vous indiquer, sur base annuelle pour les trois dernières années, combien on compte de nouvelles mosquées, ASBL et mouvements de jeunesse wahhabites ? Dans la négative, de quels autres indicateurs chiffrés disposez-vous ? Pouvez-vous les commenter ?

3) Est-il aussi question dans notre pays d'un soutien à des mosquées, prédicateurs, missions, séminaires sur l'islam, etc., de la part de pays comme l'Arabie saoudite ? Dans l'affirmative, pouvez-vous donner des explications concrètes sur les montants et indiquer en quoi consiste concrètement le soutien ? J'aimerais obtenir une ventilation des données par mosquée, maison de prière et ASBL. Dans la négative, pouvez-vous donner des explications ?

4) Pouvez-vous indiquer si des mosquées ou des missions ont été soutenues par l'Arabie saoudite, le Qatar ou d'autres pays arabes, directement ou indirectement ? Dans l'affirmative, pouvez-vous me dire quelles sont les mosquées ou missions concernées et de quels montants il s'agit sur base annuelle ?

5) Pouvez-vous expliquer la manière d'appréhender les sites web salafistes qui s'adressent entre autres à notre pays ? Pouvez- vous indiquer combien de sites visent notre pays et combien de groupements salafistes sont actifs dans notre pays ? Où ces groupements sont-ils établis ?

6) Pouvez-vous indiquer les initiatives qui ont été prises pour lutter contre la propagande wahhabiste via l'internet en recourant au contre-discours ? Pouvez-vous fournir des explications concrètes ?

7) Est-il aussi question dans notre pays d'une augmentation du nombre de mosquées et de centres islamiques qui sont " salafisés " par le biais d'un soutien financier comme constaté récemment par le NCTV aux Pays-Bas ? Pouvez-vous fournir des explications concrètes ? Dans la négative, comment l'expliquez-vous ?

8) Est-il aussi question dans notre pays de l'imbrication du salafisme et du djihadisme, avec une partie du mouvement salafiste qui non seulement propage une intolérance active mais diffuse et légitime aussi des activités antidémocratiques ? Pouvez-vous fournir des explications concrètes et détaillées ? Pouvez-vous indiquer comment vous comptez combattre ce phénomène ?

Réponse reçue le 8 avril 2019 :

1) Si la Sûreté de l'État (VSSE) posait en 2017 un constat similaire à celui du Nationaal Coördinator Terrorismebestrijding en Veiligheid (NCTV) concernant la Belgique à travers la brochure « Salafisme en Belgique : mécanismes et réalité », il convient de souligner certains points. De fait, nous notons une augmentation du nombre de groupements et d’initiatives salafistes en Belgique. Cependant, le salafisme est un phénomène pluriforme et en continuelle recomposition. Ces dernières années ont vu l’apparition de nouvelles formes de propagation du salafisme. Citons à titre d’exemple le développement du contenu salafiste sur les médias sociaux (principalement Facebook et Twitter), sur les plateformes (YouTube) et des forums divers. Cette tendance en particulier est en croissance. Or, la facilité d’accès à ce contenu et sa surproduction au détriment de voix modérées procurent une survisilibilté à la mouvance salafiste qui ne représente quelques milliers d’individus.

2) Bien que le salafisme bénéficie d’une visibilité certaine, notamment à travers son activisme prosélyte, ce phénomène demeure relativement marginal en Belgique. Sur l’ensemble de la population musulmane de notre pays, seuls quelques milliers d’individus peuvent être considérés comme se rattachant à l’idéologie salafiste. Bien que l’on ne dispose de chiffres précis concernant le nombre total de prédicateurs salafistes en Belgique, nous estimons ce nombre à une centaine de personnes.

3) Les mosquées, les centres religieux et les institutions d’enseignement, en tant où se réunissent les musulmans, représentent des cibles de choix pour les activités prosélytes des salafistes. À ce titre, il n’est pas rare d’entendre des décomptes sur le nombre de mosquées dites salafistes en Belgique ou dans des pays voisins. Il convient cependant de relativiser cette représentation souvent simpliste de la réalité.

En effet, la réalité idéologique au sein d’une mosquée est aussi complexe que la réalité de la religion musulmane : les opinions divergent et des luttes d’influence s’y exercent régulièrement.

Ainsi, la question peut être posée de savoir comment définir le caractère salafiste d’une certaine mosquée ou d’un certain centre religieux. S’agirait-il d’une mosquée dont les responsables adhèrent à cette idéologie, dont l’imam tente de diffuser cette vision de l’islam ou dont les visiteurs sont partisans d’une telle doctrine ? Ou encore une mosquée financée par des organisations non gouvernementales (ONG) d’inspiration salafiste ?

On pourrait ainsi imaginer une mosquée dont le financement proviendrait d’ONG salafistes, mais dont la direction et l’imam prêcheraient une interprétation plus moderne de l’islam. Cette même mosquée pourrait régulièrement être visitée par un petit groupe de salafistes qui tenterait d’y faire du prosélytisme.

Il est évident que le phénomène du salafisme au sein d’une mosquée, un centre religieux ou une institution d’enseignement est d’une grande complexité. Lorsqu’une organisation est décrite comme étant connue pour être de tendance salafiste, ceci peut être dû au fait que son imam est un salafiste, ou que son conseil d’administration se rattache à cette tendance, voire qu’elle bénéficie d’un financement en provenance d’ONG salafistes.

Il n’existe pas de chiffres sur base annuelle du nombre de nouvelles organisations salafistes qui voient le jour. Cependant, à titre d’ordre de grandeur, on peut considérer qu’il existe en Belgique un peu moins d’une centaine d’organisations pouvant être qualifiées de salafistes. Sont pris en compte, les mosquées, les centres religieux et les institutions d’enseignement islamique pour lesquels une des variables suivantes a été identifiée : l’imam est salafiste, le conseil d’administration est de tendance salafiste, le financement provient d’OGN salafistes ou une partie des visiteurs sont des partisans de l’idéologie salafiste.

4), 5) & 8) La VSSE opère un suivi de certains phénomènes extrémistes dans son cadre légal (article 8 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement), parmi lesquels l’extrémisme islamique. Cela implique que des mosquées et organisations qui reçoivent un financement d’origine étrangère sont aussi suivies. La VSSE appréhende le phénomène du financement étranger des mosquées de deux points de vue : l'ingérence et l'extrémisme. Sous l'angle de l'ingérence, ce financement étranger – et l'influence étrangère qu'il entraîne généralement – peut être problématique. De plus, cette influence peut être utilisée comme outil pour contrôler, où même viser, certains groupes de population, courants religieux ou personnes.

Du point de vue de l'extrémisme, le résultat du financement étranger des mosquées belges et le contrôle des gouvernements étrangers ne sont pas tout à fait univoques. Certains pays par exemple propagent un islam modéré (et essaient d’endiguer le salafisme), tandis que le pays du Golfe propagent une vision de l'islam qui est beaucoup plus stricte (bien qu'il faille ajouter que ces pays se dressent également contre des groupements terroristes comme l’État Islamique).

En plus des dons privés, nombre de mosquées reçoivent une aide de la part de pays du Golfe. Dans certains cas, cette aide prend la forme d’un soutien financier direct de la part d’institutions diplomatiques officielles (ou semi-officielles) ou d’ONG. À cet égard, le Centre islamique et culturel de Belgique (CICB) était directement subventionné par la Ligue islamique mondiale, une ONG internationale fondée en 1962 et basée à La Mecque.

En outre, les mosquées reçoivent parfois une aide indirecte venue de l’étranger, par exemple en distribuant des Corans ou matériel scolaire gratuits ou en s’assurant que des prédicateurs étrangers connus visitent ces mosquées et les aident à récolter des dons.

Au vu de la sensibilité du sujet et l’existence d’enquêtes en cours, il n’est pas possible de donner un aperçu exhaustif des mosquées et organisations bénéficiant d’un soutien financier étranger. En outre, il n’est pas aisé de fournir un relevé global des montants impliqués étant donné la difficulté de les tracer dans le cadre de la législation actuelle concernant l’ingérence et l’extrémisme.

Les différents mouvements salafistes ont rapidement su tirer parti des opportunités qu’offrait l'Internet pour diffuser leur idéologie. À côté des traditionnels sites web, les salafistes se sont tournés vers les médias sociaux (Facebook, Twitter), les plateformes comme YouTube et les applications telles que WhatsApp.

À ce stade, la Sûreté ne dispose pas de chiffres globaux sur ces vecteurs. Notons que si certaines entités salafistes disposent de leur site web, le contenu de ceux-ci n’est pas toujours publiquement extrémiste. Par ailleurs, il est aisé d’accéder à du contenu salafiste produit à l’étranger, tant en français qu’en néerlandais et en anglais.

6) Le développement d’un contre-discours ne relève pas de la compétence de la VSSE.

7) S’agissant du nombre de groupes salafistes actifs dans notre pays, il est renvoyé à la réponse à la question 3). De façon générale, il existe des groupes salafistes sur l’ensemble du territoire belge, avec une plus grande concentration dans les grandes villes.

8) Voir réponse à la question 4).

9) Traditionnellement, le salafisme rejette la démocratie occidentale, la législation séculière ainsi que les principes de base démocratiques. Un exemple classique est l’appel au boycott des élections. De fait, celles-ci sont perçues comme une volonté de se soustraire à Dieu qui seul dispose de l’autorité de légiférer et donc d’organiser la société des hommes.