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Question écrite n° 5-9464

de Bert Anciaux (sp.a) du 5 juillet 2013

à la vice-première ministre et ministre de l'Intérieur et de l'Égalité des Chances

Le caractère éventuellement punissable de l'utilisation de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre

police
arme non létale
droit de manifester
arme chimique
police locale
armement

Chronologie

5/7/2013Envoi question
16/4/2014Réponse

Requalification de : demande d'explications 5-3657

Question n° 5-9464 du 5 juillet 2013 : (Question posée en néerlandais)

Cela peut sembler cynique, mais le 24 août 1914, donc voici environ un siècle, l'armée française a, en Alsace, utilisé pour la première fois une forme de gaz lacrymogène contre les troupes allemandes. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, la Convention de Genève en interdit l'usage. Les forces de l'ordre ont toutefois gardé le droit d'utiliser ce gaz, mais à certaines conditions : uniquement par des troupes de police entraînées, avec une concentration limitée et de façon exceptionnelle dans les espaces intérieurs. Le gaz utilisé a changé au fil du temps et il s'agirait à présent du gaz CS. Ce gaz n'est pas mortel mais il est assez efficace pour décontenancer complètement les victimes, leur causer une forte irritation des voies lacrymales, des quintes de toux et des accès d'éternuement. Un spray au poivre produit les mêmes effets, mais cette arme a une portée individuelle. Le gaz lacrymogène est utilisé contre des groupes, voire des foules, et se propage dès lors dans l'atmosphère.

À l'heure actuelle, en vertu d'une convention de 1993, l'usage de gaz lacrymogène n'est interdit qu'en cas de guerre, pour éviter une éventuelle confusion avec d'autres gaz toxiques.

Les récentes images des troubles survenus dans diverses villes turques ont à nouveau illustré les effets dangereux et surtout douloureux du gaz lacrymogène. De plus, ce gaz ne peut se limiter, par exemple, à un groupe de manifestants ou de fauteurs de troubles mais, porté par des vents imprévisibles, se propage dans de vastes territoires. Incontrôlable. On peut dès lors se poser la question de savoir si, dans un État de droit démocratique, on peut encore tolérer l'utilisation de gaz lacrymogène pour tenter de maîtriser les protestations citoyennes. Deux éléments importants jouent, selon moi, un rôle déterminant à cet égard : (1) l'usage est quasi incontrôlable et dépasse la violence contre un ou plusieurs individu(s) - contrairement, par exemple, au spray au poivre ou à la matraque - et (2) il s'agit indéniablement d'une forme de guerre chimique, qui soulève des questions éthiques en dehors d'un contexte de guerre.

La ministre comprend-elle que l'on s'interroge au sujet de l'utilisation de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre pour réprimer des grèves ou des actions citoyennes ? La ministre admet-elle que l'usage de ce gaz n'est pratiquement pas voire nullement maîtrisable quant à sa portée et donc quant à la limitation des éventuelles victimes ? La ministre admet-elle qu'il s'agit ici d'une forme de guerre chimique, en dehors d'un contexte de guerre, et que l'usage de gaz lacrymogène s'accorde difficilement avec les principes d'un État de droit démocratique ?

À quelles directives et à quels critères de contrôle l'usage de gaz lacrymogène est-il actuellement lié, qui en a la responsabilité et qui prend la décision d'en faire usage ? Connaît-on des cas d'utilisation de gaz lacrymogène ayant causé de graves lésions, tant auprès du groupe cible visé qu'auprès des forces de l'ordre ? La ministre peut-elle garantir que l'usage de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre ne provoque pas, en plus d'irritations superficielles, de graves effets sur la santé ? La ministre dispose-t-elle d'études et de recherches scientifiques à ce sujet ? Dans l'affirmative, lesquelles, qui les a réalisées et en quelle année ?

Réponse reçue le 16 avril 2014 :

L’usage de «moyens incapacitants» tels que le gaz lacrymogène par la police, fait l’objet de l’arrêté royal du 22 juin 2007 et de la circulaire GPI 62 du 29 février 2008 concernant l’armement de la police intégrée.

Je désire aussi préciser que le pepperspray dans des flacons (un moyen «incapacitant» de petite capacité) qui fait partie de l'armement individuel des policiers est composé exclusivement d’Oléorésine Capsicum (OC), lequel est un produit organique, biodégradable et «convenant même à la consommation».

Le gaz lacrymogène en aérosols, ou en cartouches qui sont tirées, est un moyen incapacitant de plus grande capacité, repris dans l'armement collectif de nos services de police. Il est composé du même OC, soit de CS.

Le gaz CS est en effet classé parmi les produits chimiques irritants et lacrymogènes.

Les bonbonnes et cartouches de gaz utilisées par la police ne contiennent toutefois, en comparaison avec les applications militaires, qu’une petite quantité de CS.

L'utilisation du gaz lacrymogène par la police est subordonnée au respect des principes généraux, repris aux articles 1er et 37 de la loi sur la fonction de police, régissant le recours à toute arme, quelle soit létale ou non, par les membres des services de police.

En vertu de ces dispositions, le recours à la force doit :

L'intégration d'armes non létales, telles que le gaz lacrymogène ou encore la matraque, dans l'armement réglementaire policier répond ainsi aux exigences de progressivité et de proportionnalité du recours à la force.

Ces principes sont enseignés lors de la formation de base des policiers et rappelés lors de chaque séance d'entrainement à l'usage des armes.

Les critères stricts relatifs à la composition et à l’usage de gaz lacrymogène sont imposés par les livres des normes et manuels relatifs à l'armement policier.

Les différentes techniques d’utilisation pour diffuser le gaz lacrymogène, ainsi que le danger pour des tiers, sont abordées lors de la formation de base de la police. L'usage de gaz lacrymogène de plus grande capacité (composés soit de CS, soit de OC) est en outre limité aux hypothèses d'intervention à l'égard de grands groupes, dans de grands espaces ouverts et est précédé d'un avertissement, permettant aux manifestants de s'éloigner des lieux.

Les directives policières concernent également les mesures d'accompagnement et de décontamination en cas d'utilisation du gaz lacrymogène. Ces mesures visent à garantir le soin ultérieur des personnes exposées (ventilation, rinçage, appel à un médecin, etc.).

Après tout usage de gaz lacrymogène, un rapport détaillé doit être rédigé par l’officier responsable sur le terrain.

L'application de ces principes à tout recours à la force par la police répond, selon moi, aux exigences démocratiques de l'État de droit, dans le cadre de la gestion négociée de l’espace public.

Je n’ai pas connaissance de cas de lésions graves ou permanentes auprès de policiers ou de tiers à cause de l’usage de gaz lacrymogène, ni d’études scientifiques en la matière.