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Question écrite n° 5-7094

de Bert Anciaux (sp.a) du 27 septembre 2012

à la vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales

Traitement du cancer - Médicaments complémentaires - Conséquences sur le traitement ordinaire

cancer
médicament
Centre fédéral d'expertise des soins de santé
pharmacien
médecin
thérapeutique

Chronologie

27/9/2012Envoi question
21/1/2013Réponse

Question n° 5-7094 du 27 septembre 2012 : (Question posée en néerlandais)

Les médias viennent de communiquer les résultats d'un rapport d'étude (Academisch Ziekenhuis Rotterdam), présenté lors d'un congrès international d'oncologie, qui prouveraient que la combinaison, par exemple, d'antidépresseurs, de compléments à base de plantes, etc. avec un traitement classique contre cancer, par exemple la chimiothérapie, annule les effets positifs du traitement contre le cancer. L'interaction entre divers médicaments réduirait ou neutraliserait même l'efficacité du traitement du cancer.

J'aimerais obtenir une réponse aux questions suivantes.

1. La ministre dispose-t-elle d'indications confirmant qu'un traitement classique contre le cancer perd ses effets à la suite d'une interaction avec d'autres médicaments ou soins complémentaires ?

2. Dans quelle mesure les médecins, les pharmaciens et, bien entendu, les patients cancéreux sont-ils informés des résultats de cette étude ? Dans quelle mesure prévient-on la prise de médicaments ou l'administration de soins complémentaires éventuellement neutralisants ?

3. Le Centre fédéral d'expertise des soins de santé a-t-il déjà réalisé une étude ou s'est-il déjà exprimé à ce sujet, ou des directives ont-elles été données ?

Réponse reçue le 21 janvier 2013 :

Je tiens tout d’abord à vous informer que mes services n’ont pas reçu les résultats de ce rapport d’études et qu’ils ne disposent dès lors pas de données suffisamment détaillées sur la méthodologie utilisée. Les réponses à vos questions se basent sur les informations scientifiques actuellement disponibles concernant les interactions médicamenteuses. 

1.Les patients atteints de cancer et leurs médications.

Le cancer est une maladie fréquente chez les patients âgés : 60 % des patients cancéreux nouvellement diagnostiqués ont 65 ans ou plus (Blower P 2005). Dans cette tranche d’âge, la polymédication est fréquente :

Certaines de ces médications sont en vente libre en pharmacie.  

Les interactions entre les médicaments  

D’un point de vue pharmacologique, l’ajout d’un second médicament n’est pas sans conséquence sur les effets du premier médicament :

Il existe des registres où les interactions médicamenteuses potentielles sont décrites de façon systématique. Les mécanismes d’action des interactions médicamenteuses potentielles les plus connues sont largement décrits dans la littérature scientifique (cf. Blower P 2005, Scripture C 2006, Beijnen J 2004, Vecht C 2003, Haidar C 2011).  

Quelle est la fréquence des interactions médicamenteuses potentielles chez les patients cancéreux ?  

Compte tenu de la polymédication des patients cancéreux et des interactions médicamenteuses qui en découlent, il est légitime de s’interroger sur la fréquence de ces événements indésirables dans les faits. A ce jour, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) n’a réalisé aucune recherche sur cette thématique, mais il a mené une revue partielle de la littérature en vue de répondre à cette question parlementaire.  

Cette revue de la littérature ne se prétend pas exhaustive. Il apparaît que les données disponibles dans ce domaine sont limitées. À ce jour, la plus grande étude relative à la détection des interactions potentielles chez les patients cancéreux a été réalisée par monsieur van Leeuwen et son équipe. Ces résultats seront prochainement présentés lors d’un colloque d’oncologie. Dans un groupe de 900 patients ambulatoires traités par chimiothérapie orale, les auteurs ont mis en évidence que 46 % des patients étaient exposés au risque d’au moins une interaction médicamenteuse modérée ou sévère.  

En 2001, les mêmes auteurs avaient évalué cette proportion à 58 % dans un groupe de 278 patients ambulatoires recevant une chimiothérapie par voie veineuse. Les patients de cette étude consommaient en moyenne 9 médicaments différents en même temps. Les médicaments en vente libre (au Pays-Bas) étaient responsables de 11 % des interactions potentielles détectées. 

Ces résultats semblent être corroborés par d’autres résultats présentés dans la littérature.  

Les interactions médicamenteuses potentielles dans d’autres maladies : quelques exemples  

À titre d’illustration, nous citerons quelques chiffres d’interactions médicamenteuses potentielles pour d’autres pathologies. Une étude danoise a examiné la fréquence des interactions pharmacologiques potentielles dans la pratique générale de soins primaires (Bjerrum 2003). Les auteurs ont analysé une base de données contenant des informations sur tous les habitants d'un arrondissement (plus de 400 000 personnes). Un tiers de la population avait pris 2 médicaments ou plus, et 15 % d’entre eux étaient exposé à un risque d'interactions non désirables. Dans la tranche d’âge des 60-79 ans, cette proportion était de 25 %, et de 36 % pour le groupe des patients âgés de plus de 80 ans. Une autre étude indique que 68 à 88 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque (n=400) présentaient un risque d’interactions médicamenteuses potentielles (Straubhaar 2006). D'autres études montrent des chiffres similaires pour les patients hospitalisés quelle que soit la pathologie (Vonbach 2007, Geppert 2003). 

Relation entre les interactions médicamenteuses et les complications médicales réelles.

Les études précitées mettent uniquement en évidence des interactions médicamenteuses potentielles. Plusieurs auteurs précisent que les interactions médicamenteuses potentielles mentionnées dans les registres pharmacologiques ne sont pas toutes cliniquement pertinentes et ne conduisent pas toujours à des effets secondaires ou des complications réelles (Lees 2011, Riechelmann 2009, van Leeuwen 2011, Chan 2009). De multiples facteurs doivent être envisagés dont les facteurs individuels (par exemple les prédispositions génétiques, l’altération de l’état de santé général ou du fonctionnement de certains organes). Malheureusement, il semble qu’il n’existe que très peu de mesures épidémiologiques du nombre de patients cancéreux qui encourent effectivement des effets secondaires et/ou des complications dans la pratique clinique quotidienne.  

Les interactions médicamenteuses potentielles : comment en diminuer le risque ?

Il est primordial pour la Santé publique que la sécurité relative à l’usage des médicaments soit garantie. En Europe, l’EMA (European Medicines Agency) fait autorité en la matière. Elle se base sur les études cliniques réalisées par les firmes pharmaceutiques afin d’autoriser la commercialisation d’un médicament. En Belgique, la mise sur le marché des médicaments se fait en collaboration avec l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS). Après la mise sur le marché d’un médicament, l’EMA et le Centre Belge de Pharmacovigilance (CBPH, département de l’AFMPS) jouent également un rôle important en matière de pharmacovigilance. Ces deux institutions étudient les cas rapportés d’effets secondaires indésirables et d’interactions. L’enregistrement du médicament peut être supprimé le cas échéant.   

La réduction du nombre d’interactions médicamenteuses potentielles a fait l’objet de plusieurs suggestions dans la littérature (Riechelmann 2009, Lees 2011). Une recherche bibliographique plus poussée pourrait permettre, sur base de preuves scientifiques, la mise en évidence de l’efficacité de ces stratégies.  

Tout d’abord, il est crucial que le médecin traitant collecte, de façon exhaustive, l’information concernant les médicaments utilisés par le patient, y compris les médicaments en vente libre. Il sera donc recommandé au patient d’informer son médecin aussi complètement que possible sur l’ensemble de ses médications. En outre, il devrait y avoir une réelle collaboration entre les différents médecins responsables des traitements du patient, de telle sorte qu’une liste des médicaments prescrits puisse être communiquée à chacun d’entre eux. Une approche multidisciplinaire et une meilleure collaboration entre les différents acteurs médicaux impliqués est préconisée. Certains recommandent également de mieux impliquer les pharmaciens ou les infirmières dans cette problématique. Nous rappelons également que le KCE a publié en 2010 un rapport intitulé ‘Continuité du traitement médicamenteux entre l’hôpital et le domicile’. Dans ce rapport, un certain nombre de propositions ont été formulées pour faciliter le transfert des médicaments entre l’hôpital et le domicile (KCE rapport 131c).  

La littérature plaide pour une plus grande sensibilisation des médecins mais, également, pour l’utilisation d’applications informatiques détectant automatiquement les interactions médicamenteuses potentielles. De plus, les recommandations de bonnes pratiques cliniques pourraient être élaborées en tenant compte des interactions cliniquement pertinentes mais aussi des propositions d’alternatives sûres. Le patient doit ensuite être informé complètement et clairement sur les raisons de l’arrêt ou de la substitution de certains médicaments. Enfin, des interactions ne peuvent être évitées chez certains patients en raison de leur situation clinique particulière (Blower 2005). Ces patients requièrent une surveillance plus étroite.  

Dans un souci d’exhaustivité, il doit être fait mention des interactions potentielles entre, d’une part, les médicaments utilisés dans le traitement du cancer et des symptômes associés  et d’autre part, les produits utilisés en médecine alternative, les herbes et les plantes, les vitamines, certains aliments et compléments alimentaires. Bien que ces interactions potentielles ne fassent pas l’objet de cette note, elles ne peuvent pas être négligées.           

2. Lors d’une interaction, l’activité d’une substance donnée (un autre médicament, un aliment ou un produit à base de plantes, etc.) influencera celle d’un médicament lorsqu’ils sont administrés simultanément. La plupart des interactions sont de nature pharmacocinétique, ce qui signifie que l’absorption, la distribution, la métabolisation et/ou l’excrétion du médicament sera modifiée, ce qui changera donc la concentration du médicament dans le sang. Une modification du taux d’acidité de l’estomac peut ainsi entraîner une augmentation ou une diminution de l’absorption du médicament. La forme la plus courante d’interactions pharmacocinétiques se situe toutefois au niveau de la métabolisation du médicament. Il est important de préciser ici que la superfamille des enzymes cytochromes P450 est de loin la plus impliquée dans la métabolisation des médicaments (ces enzymes sont responsables d’environ 75% de toutes les réactions de métabolisation). Certains médicaments/substances alimentaires/extraits de plantes peuvent induire ces enzymes ou au contraire les inhiber. De manière générale, une induction entraînera une concentration plasmatique du médicament plus faible que si le médicament était administré seul, ce qui pourrait réduire l’activité du médicament. A contrario, une inhibition enzymatique augmentera la concentration du médicament en question dans le sang, ce qui pourrait entraîner plus d’effets secondaires (et même des effets secondaires potentiellement létaux). Un autre type d’interaction est l’interaction pharmacodynamique : l’organisme réagit d’une manière différente au médicament, par exemple lorsque les deux substances interagissent avec un même récepteur, s’influençant ainsi mutuellement. Cette interaction pharmacodynamique peut être synergique (lorsque l’activité du médicament est accrue), antagonique (lorsque l’activité du médicament est réduite), ou encore entraîner un nouvel effet, différent de ceux produits par les deux substances lorsqu’elles sont administrées isolément. 

On connaît depuis longtemps l’existence de ces interactions qui font automatiquement partie de l’étude que les firmes pharmaceutiques doivent effectuer avant qu’un médicament soit soumis pour enregistrement. Ces études sont très approfondies et, si nécessaire, des études supplémentaires sont demandées afin de connaître toutes les interactions potentielles du nouveau médicament. Il s’agit aussi bien d’interactions avec d’autres médicaments (influence du nouveau médicament sur des médicaments existants et inversement, influence de médicaments existants sur le nouveau médicament), qu’avec des médicaments à base de plantes ou de la nourriture/des boissons dont l’ingestion simultanée est possible. Lorsqu’au cours de ces études d’interaction médicamenteuse, une interaction cliniquement significative est enregistrée, cela peut entraîner des modifications de la notice scientifique telles qu’une adaptation de la posologie, la nécessité d’un contrôle thérapeutique supplémentaire, l’ajout de contre-indications en cas d’ingestion simultanée ou encore d’autres mesures afin de limiter le risque d’interactions. Cette notice scientifique et la notice patient correspondante sont toujours à la disposition du prescripteur et du patient (les deux peuvent être consultées sur le site web de l’AFMPS http://www.fagg-afmps.be/fr/humain/medicaments/medicaments/notices/index.jsp). Cela signifie que le médecin traitant est toujours au courant des interactions potentielles. À la suite des informations fournies par le patient sur l’éventuelle utilisation concomitante d’autres médicaments, il en tiendra compte pour fournir ainsi un traitement optimal.  

Il est toutefois possible que certaines interactions ne soient découvertes qu’après la mise sur le marché du nouveau médicament. Dans ce cas, la pharmacovigilance (assurée en Belgique par le Centre belge de pharmacovigilance (CBPH) de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS)) collectera et examinera les données, et, si nécessaire, prendra des mesures telles que l’adaptation de la notice scientifique.

Les interactions peuvent également avoir lieu avec certains extraits de plantes. C’est pourquoi il est très important que le patient informe son médecin traitant de tous les médicaments et suppléments alimentaires, y compris ceux à base de plantes, qu’il prend simultanément à son traitement. 

Enfin, il faut souligner que cette interaction ne concerne pas seulement les produits oncologiques, mais tout l’arsenal des médicaments et que l’administration simultanée de médicaments (ou d’autres substances) doit toujours se faire en prenant les précautions nécessaires. Toutefois, un phénomène courant chez les patients cancéreux est qu’ils reçoivent souvent de nombreux médicaments pour limiter la toxicité liée au traitement, maîtriser les symptômes et traiter les maladies liées au cancer, en plus des éventuels autres traitements pour les maladies non liées au cancer (maladies cardiovasculaires, diabète, arthrite, etc.). Il est donc essentiel d’avoir une vue d’ensemble sur tous ces médicaments, sur prescription ou non, avant d’entamer le traitement afin de limiter ou d’exclure ainsi le risque d’interactions.