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Question écrite n° 5-5776

de Bert Anciaux (sp.a) du 2 mars 2012

à la vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales

"Médecine factuelle" - Comportement prescripteur - Industrie pharmaceutique - Études - Critères scientifiques - Données de recherche

médecine
médicament
industrie pharmaceutique

Chronologie

2/3/2012Envoi question
5/3/2013Réponse

Question n° 5-5776 du 2 mars 2012 : (Question posée en néerlandais)

Dans une récente interview (De Morgen, 25 février) le psychiatre et expert en psychopharmacologie réputé , David Healy, émet un verdict sévère à propos du concept de médecine factuelle cher à de nombreux scientifiques. Dans sa simplicité, ce concept paraît clair et solide : la pratique médicale doit être basée sur les preuves qui sont déduites de manière empirique de la collecte, de l'étude, de l'analyse et de l'interprétation systématiques et scientifiques de faits. M. Healy constate que de nombreux médecins continuent en effet à légitimer leur comportement prescripteur en invoquant les études disponibles concernant la médication, en particulier par les psychotropes, alors que ce sont précisément ces études qui doivent être fondamentalement mises en doute. D'une part, ces études sont quasiment toujours lancées, financées et réalisées par l'industrie pharmaceutique, avec, il est vrai, la participation de scientifiques. Cela crée à tout le moins la suspicion d'être à la fois juge et partie, avec le risque que les importants intérêts financiers de l'industrie pharmaceutique l'emportent sur la déontologie scientifique. D'autre part, David Healy constate que les données sur lesquelles sont basées ces études ne sont jamais rendues publiques. Cela signifie que l'on peut prendre connaissance des conclusions présentées comme scientifiques mais pas des données de recherche qui prouveraient ces conclusions. Voilà qui anéantit aussi l'important critère scientifique de la « vérifiabilité » sans parler de la « falsifiabilité ».

1) La ministre partage-t-elle l'analyse critique du psychiatre et psychopharmacologue David Healy qui affirme que la médecine factuelle doit être abordée avec beaucoup de réserve parce que les preuves sont recueillies et interprétées par des acteurs liés à l'industrie pharmaceutique et que les données de recherche ne sont pas rendues disponibles ?

2) Comment apprécie-t-elle la critique de David Healy selon laquelle ces défauts pèsent surtout sur les études scientifiques qui sont à la base de la prescription d'antidépresseurs et antipsychotiques ?

3) Comment la santé publique peut-elle se protéger contre cette menace, d'autant que l'on constate une augmentation inquiétante de l'utilisation de ces médicaments parmi les adultes mais aussi particulièrement parmi les jeunes ? Quelles mesures, stratégies et instruments la ministre peut-elle mettre en œuvre ?

Réponse reçue le 5 mars 2013 :

Evidence based medicine et menaces 

L’evidence based medicine est une méthode pour sélectionner le meilleur traitement médical sur base des données scientifiques disponibles. La qualité de la conclusion dépend des données disponibles. L'application de l’evidence based medicine prend déjà en compte ceci puisqu’une distinction est faite entre les différents niveaux d’évidence, en fonction de la nature des études sur lesquelles la conclusion est basée. 

D’autre part, on ne peut nier que la plupart des études cliniques sont financées par l’industrie pharmaceutique. Cela n’est pas nécessairement un problème en soi, pour autant qu’un partenaire qui aurait des intérêts importants dans les résultats d’une étude n’ait pas le monopole de cette étude. Cette question renvoie à la problématique plus vaste des conflits d’intérêt. Il est également exact que les conclusions d’études ayant un résultat négatif ne sont généralement pas publiées, ce qui influence la qualité d’une analyse sur base des données publiées. 

Face à cette problématique, l’Agence fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) agit à différents niveaux :   

Il est vrai qu’il existe, en particulier pour les antidépresseurs, une grande inquiétude concernant la fiabilité des résultats d’études publiés. Cela a déjà été discuté dans deux des revues médicales les plus prestigieuses : le New England Journal of Medicine (2008) et le British Medical Journal (2003). 

Vu les différents avis relatifs aux psychotropes j’ai créé en 2012 une plate-forme scientifique « Psychotropes » et ce, par analogie au groupe de pilotage Belgian Antibiotic Policy Coordination Committee (BAPCOC) pour les antibiotiques. Ce Comité est composé de représentants du Service public fédéral Santé publique, de l’AFMPS et de l’Institut national d’Assurance Maladie Invalidité (INAMI) ainsi que d’experts, avec une forte représentation des médecins généralistes. Ce Comité a pour mission de coordonner la politique en matière de psychotropes et d’élaborer des actions concrètes en vue d’une diminution de la consommation de ces médicaments et d’une utilisation plus efficace de ceux-ci. L’utilisation d’antipsychotiques, entre autres chez les jeunes, est l’un des éléments qui sera traité par ce Comité. L’établissement de directives médicales constitue également l’une des actions possibles qui peuvent être entreprises par ce Comité. 

L’utilisation d’antidépresseurs et d’antipsychotiques chez les enfants constitue un point d’attention particulier. L’extrapolation aux enfants des résultats d’études cliniques sur des adultes n’est souvent pas justifiée, entre autres parce que l’on connaît peu la pharmacocinétique de ces produits chez les enfants, parce que les seuils d’effets indésirables pourraient être différents et parce qu’on doit tenir compte de leur influence sur le cerveau en développement. C’est pourquoi, l’AFMPS a lancé une réévaluation des notices des antipsychotiques existants avec une attention spéciale pour l’utilisation chez les enfants.