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M. Richard Miller (MR). - L'armée belge est en droit de revendre des anciens équipements dans le cadre du renouvellement de son matériel. Les procédures de vente de la Défense doivent néanmoins être fiables. Ainsi, lorsqu'il s'agit de matériel sensible, à savoir des véhicules blindés, des hélicoptères ou des avions, l'administration ne peut retenir que les acquéreurs potentiels répondant à des critères stricts.
La loi spéciale du 12 août 2003 qui a maintenu la compétence fédérale en matière d'importation, d'exportation et de transit d'armes et de matériel pour l'armée et pour les forces de l'ordre, ainsi que les critères définis par le Code de conduite de l'Union européenne en matière d'exportation d'armement sont sans équivoque à cet égard.
Lors de l'achat et de la vente de matériel militaire par la Défense, le fabricant exige l'établissement d'un certificat d'utilisateur final confirmant quels en seront les destinataires.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé le 30 mars 2011 au sujet du respect de la loi du 12 août 2003 et du Code de conduite de l'Union européenne en matière d'exportation d'armement. Plusieurs reventes importantes avaient eu lieu, si je ne m'abuse, entre 2002 et 2010 : seize chasseurs bombardiers à la Jordanie, des frégates à la Bulgarie, 166 blindés au Maroc, soit des contrats non négligeables.
J'en avais conclu que la réglementation était trop peu contraignante au regard des réglementations régissant l'octroi des licences d'exportation et d'importation d'armes ne concernant pas notre Défense nationale. En outre, dans son édition du 27 avril dernier, le quotidien La Libre Belgique révèle des informations plutôt inquiétantes : l'armée belge aurait vendu, entre 2009 et 2012, trente-cinq hélicoptères et deux avions Airbus à une société dont le directeur est soupçonné par les services ad hoc de blanchiment d'argent et de trafic d'armes.
La firme aurait par la suite exporté une partie de l'équipement à Madagascar, où la situation politique est loin d'être apaisée - sans en informer les autorités et sans demander la licence régionale d'exportation.
Ces révélations, si elles sont confirmées, nous amènent à réfléchir à la façon dont la Défense procède dans la revente d'équipements militaires. Cette firme, dont le siège social se trouve en Belgique, a exporté une partie du matériel sans en demander l'autorisation au fabricant ou à la Défense nationale. Elle aurait signé pour elle-même le certificat d'utilisateur final lors du rachat d'équipement militaire à l'armée belge. En réexportant son équipement sans en informer les autorités et sans demander la licence d'exportation, cette firme n'a pas respecté les clauses d'exportation édictées dans le code de conduite de l'Union européenne.
Enfin, la Défense n'aurait pas vérifié si cet acheteur était connu des services de police ou de renseignement. Or le parquet fédéral entretenait des soupçons à l'égard du directeur de cette firme au sujet duquel la police judiciaire de Charleroi aurait fait état d'indices sérieux de blanchiment d'argent. De surcroît, l'ADIV disposait d'informations sur cet individu au sujet, notamment, d'un trafic de véhicules militaires volés en France.
Vos services étaient-ils au courant que cette firme exportait ces équipements malgré l'absence de certificat d'utilisateur final ? Il s'agit pourtant d'une règle absolue dans le domaine des exportations d'armes. Dans l'affirmative, je souhaiterais connaître les raisons pour lesquelles la Défense et cette firme ont continué à collaborer malgré l'absence de licence.
Pour quelles raisons l'ADIV, malgré les informations dont il disposait, n'a-t-il pas prévenu l'administration de la Défense ? Je souhaiterais savoir si la Défense était informée des soupçons qu'entretenait le parquet fédéral à l'encontre du directeur de cette firme.
M. Pieter De Crem, vice-premier ministre et ministre de la Défense. - Les ventes en question ont fait l'objet de plusieurs explications au sein du parlement, entre autres le 1er et le 8 juillet 2009 en réponse à des questions de M. Flahaut, de Mme Boulet et de Mme Wiaux, le 5 octobre 2009 en réponse à une question de M. Vijnck et le 10 juillet 2012 en réponse à une question de M. Van der Maelen. Je vous ai en outre répondu le 30 mars 2011.
Je constate que l'on parvient à faire un scoop en vendant du vent et en se basant sur de l'information réchauffée. Mais bon !
Cela étant dit, je signale pour rappel qu'au total, douze hélicoptères A109 démilitarisés (huit en 2009 et quatre en 2012), vingt-trois hélicoptères Alouette II démilitarisés (en 2009) et deux avions Airbus A310 non militaires (si je ne me trompe pas, en 2010) ont été vendus à la firme belge MAD Africa Distribution dans l'état où ils se trouvaient et cela, à l'issue d'une procédure de vente publique.
La base légale de l'aliénation du matériel prévu et du matériel devenu excédentaire est le cavalier budgétaire, à savoir l'article 2.16.22 de la loi budgétaire du ministère de la Défense. Ce cavalier budgétaire autorise donc la Défense à vendre du matériel excédentaire. L'aliénation, en l'occurrence la procédure de vente, ne tombe toutefois pas dans le champ d'application de la législation en matière de marchés publics mais la Défense travaille par analogie.
Ainsi, conformément à l'arrêté royal du 8 janvier 1996 relatif aux marchés publics, une firme ne peut être exclue de la procédure que si elle fait l'objet d'un jugement coulé en force de chose jugée, dont le pouvoir adjudicateur a connaissance et ce, pour participation à une organisation criminelle, corruption, fraude ou blanchiment de capitaux.
À ce jour, les services de renseignement militaire et le service d'achats de la Défense ne sont pas au courant d'une condamnation ou d'une enquête concernant la firme MAD Africa Distribution. Comme l'a communiqué la Sécurité militaire, l'existence de certaines allégations datant de 2003 envers l'administrateur concerné, qui était alors actif dans d'autres entreprises, n'avait rien à voir avec la firme MAD Africa Distribution et n'a, à la connaissance de la Défense, jamais mené à une condamnation.
Par conséquent, il n'y avait aucun fondement légal pour exclure la firme MAD Africa Distribution de la procédure de vente publique, et ce par analogie avec l'article 43 de l'arrêté royal déjà mentionné.
En vue de la vente, il a été procédé à la démilitarisation des appareils ; les équipements militaires ont donc été démontés. Le matériel vendu n'est donc plus du matériel militaire. Les firmes qui ne sont pas concernées par un de ces délits doivent, en fonction des conditions de vente définies par la Défense et/ou imposées par le producteur, obtenir les documents nécessaires, comme la licence d'importation et d'exportation s'il s'agit d'un soumissionnaire étranger, l'autorisation du transfert à un tiers (third party transfer) si le producteur l'impose, et elles doivent signer un certificat d'utilisateur final (EUC). Les conditions de vente doivent être remplies avant la signature du contrat. La vente est attribuée à la firme qui a déposé la meilleure offre.
En tant qu'entreprise ayant son siège social en Belgique, MAD Africa Distribution a dû signer un certificat d'utilisateur final (EUC) pour chacune des ventes en question. Dans chaque contrat de vente et dans chaque EUC signé par cette société, il est mentionné clairement qu'en tant que nouveau propriétaire, MAD Africa Distribution doit obtenir avant toute exportation l'accord des autorités belges compétentes.
En ce qui concerne les A109, le contrat d'achat, par le biais duquel la Défense a acheté en son temps les appareils, mentionnait une obligation supplémentaire ; cette obligation a été reprise dans le end user certificate, à savoir qu'un third party transfer devait être demandé au ministre italien des Affaires étrangères si le matériel venait à quitter le territoire belge à l'occasion d'une réexportation, d'une revente ou d'un transfert de propriété.
Une fois les contrats et les end user certificates signés par l'acheteur, par le biais desquels ce dernier se déclare d'accord avec les conditions susmentionnées, la vente peut se poursuivre.
Lors d'une éventuelle revente ou demande de revente et/ou d'exportation ultérieure de ce matériel démilitarisé, la Défense n'est plus concernée et n'est donc plus tenue au courant de l'identité d'un éventuel nouvel utilisateur final. La Défense a entrepris toutes les actions nécessaires afin que l'acheteur sache quelles demandes doivent être introduites lors d'une éventuelle exportation ou revente.
Quant au dossier concerné, la Défense ne sait donc pas si MAD Africa Distribution a introduit effectivement une demande d'autorisation d'exportation. Les services compétents n'ont jamais communiqué à la Défense l'existence d'une quelconque infraction dans ce dossier.
M. Richard Miller (MR). - Je remercie M. le ministre de sa réponse extrêmement complète. Pour qu'il ne subsiste aucune ambiguïté, je précise que mon objectif n'est pas de mettre en évidence un problème particulier lié à cette firme. Par ailleurs, je ne suspecte en rien le département de la Défense d'avoir commis une quelconque infraction. Cependant, après vous avoir entendu et m'inspirant de mon expérience comme sénateur de communauté sur tous les dossiers d'exportation d'armes discutés au parlement wallon, je reste persuadé qu'il serait intéressant de revoir toute cette procédure.
Selon vous, à partir du moment où les contrats ont été finalisés avec la société en question et que celle-ci a signé les end user certificates, la Défense ne s'occupe plus de rien ; c'est insuffisant. Il s'agit quand même de matériel militaire, même si l'on dit qu'il est démilitarisé ! Expliquez-moi alors pourquoi on achèterait des tanks ou des avions bombardiers s'ils sont totalement démilitarisés. Le risque est trop grand d'aboutir à des situations malheureuses comme celle donnée en exemple. Sans vouloir créer ici un incident ou stigmatiser la Défense, je pense que nous devrions réfléchir à tête reposée à la procédure.
M. Pieter De Crem, vice-premier ministre et ministre de la Défense. - Je soutiens les réflexions de M. Miller à ce sujet et reste ouvert à toutes les suggestions.