5-2138/1 | 5-2138/1 |
20 NOVEMBRE 2013
I. INTRODUCTION
Conformément à l'article 26 du règlement du Sénat, la commission de la Justice a décidé, lors de sa réunion du 14 mars 2012, de constituer un groupe de travail « Experts en matière pénale ». Ce groupe de travail était composé des membres suivants : Mme Faes, MM. Bousetta, Courtois, Torfs (à qui Mme Van Hoof a succédé) et Swennen, Mme Taelman (à qui M. Vastersavendts a succédé), M. Laeremans, Mme Khattabi et M. Delpérée. Mme Faes a été désignée comme présidente de ce groupe de travail.
Le groupe de travail a commencé ses travaux le 2 mai 2012 et a organisé plusieurs auditions pour prendre connaissance de tous les aspects de cette matière qui sont susceptibles de donner lieu à des modifications des normes légales.
Le groupe de travail a consacré cinq réunions à ces auditions, qui ont eu lieu le 30 mai, le 21 novembre, le 5 décembre 2012, le 16 janvier et le 27 mars 2013. Les personnes suivantes ont été entendues (dans l'ordre chronologique):
— M. Jean-Luc Cottyn, représentant du Conseil supérieur de la Justice;
— M. Jan De Kinder, directeur général de l'Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC);
— M. Christophe Mincke, directeur de la direction opérationnelle de criminologie de l'INCC;
— M. Bertrand Renard, chercheur à l'INCC;
— M. Kris Lavens, juge d'instruction à Malines;
— le professeur Werner Jacobs, Centrum voor gerechtelijke geneeskunde, UZA;
— M. Jean-François Marot, président du tribunal de première instance de Huy;
— M. Paul Cosyns, professeur émérite en psychiatrie, UZA;
— M. Carl De Ridder, président de la Chambre belge des experts chargés de missions judiciaires et d'arbitrages (CEJA);
— M. Joris Rycken, président de la commission Parquets auprès de la CEJA;
— M. Bart De Smet, substitut du procureur général près la cour d'appel d'Anvers;
— Mme Gerda Popleu, chef du service Frais de justice du SPF Justice;
— Mme Pamela Liekens, conseiller général, direction infrastructure et Service d'appui, SPF Justice.
Par ailleurs, le groupe de travail a eu un échange de vues avec Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice.
Le rapport fait au nom du groupe de travail par Mme Faes a été discuté en commission de la Justice les 16 juillet, 22 octobre et 22 novembre 2013.
II. RAPPORT FAIT AU NOM DU GROUPE DE TRAVAIL PAR MME FAES
II.1. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE MME FAES
Mme Faes esquisse brièvement les différents défis.
La jurisprudence et la doctrine dénoncent souvent le manque de clarté et de cohérence du droit de la procédure pénale. De nombreux aspects ne sont pas réglés et diverses dispositions sont tombées en désuétude ou sont dépassées par la jurisprudence européenne sur le droit à un procès équitable (dont l'arrêt Salduz est un bel exemple).
Cette faiblesse du fondement légal de notre procédure pénale est particulièrement perceptible dans le cadre de l'expertise. Le Code d'instruction criminelle est muet quant à la finalité de l'expertise, à la collaboration entre experts et parties et à la valeur probante du rapport d'expertise. En outre, aucune disposition ne prévoit un véritable statut d'expert dans le système juridique belge.
Les Pays-Bas recourent actuellement à un registre d'experts, ce qui leur permet de nous devancer en la matière.
Il y a donc plusieurs défis à relever:
1. Créer un véritable statut d'expert en matière pénale: l'absence de réglementation claire nuit à la qualité des rapports. Pour être expert aujourd'hui, il suffit parfois de se prétendre tel et d'avoir affaire à un magistrat bienveillant, ce qui ne devrait pas être possible dans notre société et notre organisation judiciaire actuelles.
2. Instaurer une procédure d'expertise convenable en droit de la procédure pénale: qui détient quelle compétence pour désigner des experts, et à quelles conditions ? Les conditions formelles, le contenu et l'exécution de la mission, la contradiction, le rapport et les coûts sont autant de points à examiner, au même titre que la supervision et même l'option de récusation.
3. Faire le lien avec les frais de justice: le budget des frais de justice est mis à mal. Une étude de la Commission de modernisation de l'ordre judiciaire a indiqué que les expertises représentaient 32 % de ce budget en 2011.
4. Défis techniques: outre les experts bien connus, comme les psychiatres ou les comptables, d'autres types d'experts font leur apparition dans des domaines plus techniques de notre société (ADN, polygraphie et autres techniques d'enquête).
5. La rémunération des experts: malgré le problème des frais de justice, il faut reconnaître que les barèmes d'honoraires des experts sont très peu élevés par rapport à ceux en vigueur chez nos voisins. La faiblesse des barèmes risque d'amener certains experts à « décrocher ». En outre, ils doivent parfois attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, avant d'être payés.
Mme Faes propose de créer un cadre général, au niveau de la procédure, en ce qui concerne la désignation d'un expert judiciaire.
Il est possible de vérifier par la suite, par catégorie d'experts, si des dérogations au régime général sont nécessaires. L'intervenante songe par exemple à la catégorie des experts techniques, tels que les experts en ADN, ou à la catégorie des traducteurs-interprètes.
Mme Taelman aimerait qu'on lui confirme que le groupe de travail entend s'atteler exclusivement au statut des experts en matière pénale. Les difficultés d'autres experts ne seraient donc pas examinées. Le but est-il également de créer un cadre légal pour les experts en matière pénale ? Qu'en est-il, par exemple, de la problématique des coûts ?
Mme Faes confirme que l'objectif est uniquement de discuter du statut de l'expert en matière pénale. Il s'agit de créer une loi-cadre réglant la procédure de désignation de l'expert en matière pénale. Il faut par exemple déterminer qui peut désigner l'expert, quels sont les motifs de récusation, etc. Des dérogations pourront être instaurées par la suite pour des catégories bien précises.
L'intervenante est consciente du fait que les frais de justice aussi posent souvent problème, mais elle ne pense pas qu'on puisse résoudre cette question par la voie législative.
La première phase consiste en la tenue d'auditions en vue de créer un cadre général. Ensuite, des groupes spécifiques pourront être entendus et des propositions de loi spécifiques pourront être examinées.
L'intervenante confirme que l'objectif est d'aboutir à une proposition de loi sur le statut et la procédure de désignation de l'expert en matière pénale.
Le gouvernement assistera aux travaux du groupe de travail.
II.2. AUDITIONS
A. Audition du 30 mai 2012
1. Échange de vues avec Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice
La ministre réagit à la note appuyant la demande de création d'un groupe de travail.
Elle estime qu'il serait particulièrement utile d'analyser le statut des experts dans les pays voisins.
Elle attire aussi l'attention sur le projet mené à la cour d'appel de Liège; il serait bon d'entendre le président de celle-ci afin de savoir comment les choses se passent.
Plusieurs pistes sont proposées afin de régler le statut de l'expert en matière pénale. La première question est de savoir si l'on procède de manière centralisée ou plutôt décentralisée, dans l'esprit des réformes à venir.
La ministre pense qu'il est important de laisser les expériences suivre leur cours sur le terrain.
M. Courtois indique qu'il y a actuellement un problème majeur en ce qui concerne le paiement des honoraires des experts. Le groupe de travail a-t-il l'intention de se pencher aussi sur ce problème ?
Certains juges disent qu'ils hésitent à désigner un expert parce qu'ils savent que celui-ci se heurtera à des problèmes pour obtenir le paiement de ses honoraires. Il va sans dire que pour le département de la Justice, il s'agit aussi d'une question de moyens.
Mme Faes pense qu'il serait bon que le groupe de travail examine la situation aux Pays-Bas où il semblerait que l'on travaille avec un registre.
Elle considère aussi qu'il serait intéressant d'entendre une personne de l'arrondissement de Liège afin de voir comment les choses se passent là-bas.
La rémunération des experts est effectivement un problème additionnel que l'on pourrait aborder après analyse de la question d'un statut général.
2. Audition de M. Jean-Luc Cottyn, représentant du Conseil supérieur de la Justice
M. Cottyn souligne que le statut des experts est un problème auquel le Conseil supérieur de la Justice attache une grande importance et dont il s'est saisi il y a déjà plus d'un an.
L'avis rendu par le Conseil supérieur de la Justice est pluridisciplinaire, vu la composition de celui-ci; des néerlandophones comme des francophones ont participé à sa rédaction.
Le Conseil supérieur est particulièrement bien placé pour émettre un avis sur cette problématique. Il l'avait d'ailleurs déjà fait une première fois le 9 octobre 2002. Le dernier avis émis en la matière date du 30 mars 2011; entre-temps, le Conseil supérieur avait encore eu l'occasion de faire connaître son point de vue, notamment le 14 mai 2003, le 18 avril 2008 dans une lettre adressée au ministre et dans le cadre de la loi de réparation de 2009.
Il est grand temps de régler cette problématique. Il faudrait dresser une liste d'experts.
Or, il faut savoir qu'il est de plus en plus difficile de désigner de bons experts, aptes à se prononcer sur la question de la responsabilité. C'est le cas notamment dans les affaires criminelles graves. Les experts n'étant pas rémunérés, les personnes qui possèdent l'expertise requise ne veulent plus être désignées comme telles. On en est donc réduit à devoir faire appel à des experts de second ordre.
L'intervenant fait référence au « Pieter Baan Centrum » (PBC) aux Pays-Bas.
Ce centre est la clinique psychiatrique d'observation du « Nederlands Instituut voor Forensische Psychiatrie en Psychologie » (NIFP) basé à Utrecht. Les personnes suspectées d'avoir commis des délits graves y sont placées en observation pendant plusieurs semaines afin d'y être examinées par des spécialistes du comportement. Le PBC a une mission spécifique: il émet des avis pro justitia au sujet de la responsabilité. Les spécialistes du comportement du PBC — il s'agit aussi bien de criminologues et de sociologues que de psychiatres et d'anthropologues — examinent les personnes suspectées d'avoir commis des délits graves et rendent ensuite un avis au juge ou au ministre de la Justice. Ils sont payés par l'État.
Aux Pays-Bas aussi, on distingue plusieurs degrés en matière de responsabilité: il y a la responsabilité atténuée, la demi-responsabilité et la responsabilité partielle. En outre, aux Pays-Bas, le degré de responsabilité se traduit au niveau non pas de la culpabilité, mais bien de la peine.
Il est quelque peu terrifiant d'entendre qu'en Belgique, des auteurs de délits graves peuvent être acquittés parce qu'ils sont jugés irresponsables de leurs actes. L'intervenant évoque une affaire de meurtre survenue à Gand. Un homme avait assassiné sa partenaire de vingt-deux coups de couteau au motif qu'au cours d'un repas de Saint-Valentin, celle-ci avait reçu un sms d'un homme dont il présumait qu'il était son amant. L'homme fut acquitté parce qu'il avait agi sous l'emprise d'une pulsion irrépressible.
Le PBC est un institut qui fait œuvre de pionnier. Il garantit la qualité et l'intégrité de l'expert. Le Conseil supérieur de la Justice estime que la Belgique aussi devrait se doter au plus vite d'un cadre législatif afin de pouvoir fournir les mêmes garanties. Ainsi, il a déjà été proposé de dresser une liste nationale d'experts certifiés. La certification a trait à la formation, à l'expérience professionnelle et aux connaissances.
L'intervenant renvoie à l'avis qui aborde plus en détail la gestion, l'accès, la liste pour le siège et la suspension. On y parle aussi du SSE (service Suivi de l'expertise).
L'intervenant renvoie également à la proposition de loi déposée à la Chambre des représentants par Mme Sonja Becq.
L'intervenant se dit fort intéressé par le problème soulevé. Il est dans l'intérêt général de désigner des experts compétents et intègres, c'est-à-dire des experts avec un grand E.
À l'heure actuelle, dans les affaires d'assises, on a le plus souvent affaire à des experts de second ordre.
3. Échange de vues
M. Courtois relève que l'avis du Conseil supérieur fait allusion aux travaux du groupe de travail « Expertise en matière civile » crée au sein de la commission de la justice de la Chambre en 2006. Qu'a-t-on fait depuis ? A-t-il été tenu compte des recommandations dudit groupe de travail ?
D'autre part, l'intervenant souligne que la procédure mise en place par le biais du Pieter Baan Centrum ne paraît pas respecter le caractère contradictoire de l'expertise. Le groupe de travail devrait obtenir de plus amples informations à ce sujet.
Enfin, M. Courtois revient à la problématique du financement des expertises. Il insiste pour que le groupe de travail tente d'aboutir à des conclusions non seulement sur le plan du statut des experts mais aussi sur les modes de financement des expertises. Il souligne à nouveau le fait que de nombreux experts ne sont pas payés et notamment qu'en matière de fraude fiscale, les magistrats ne désignent plus d'experts fiscaux. Par ailleurs, il s'inquiète du fait que la certification des experts ne garantisse pas toujours que ceux-ci soient les meilleurs spécialistes dans un domaine donné et plus particulièrement dans des domaines où l'évolution technique est rapide. Il faut éviter qu'en matière pénale, le criminel n'ait toujours « un coup d'avance » sur l'expert judiciaire.
M. Cottyn peut souscrire à ces observations. Le point soulevé est aussi l'une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de disposer d'une liste d'experts de qualité.
Mme Faes déclare être au courant de l'arriéré de rémunération des experts. Le Conseil supérieur de la Justice a-t-il un avis en matière de réglementation des honoraires des experts ?
Il n'est en effet pas facile d'instaurer une réglementation générale en ce qui concerne la rémunération des experts, car il existe différents experts. Il y a par exemple des experts médicolégaux, des experts en informatique et des experts en comptabilité, etc. Tous ces experts ne peuvent pas être mis sur le même pied.
M. Cottyn se réfère au cas du professeur Jacobs qui a vu 25 % de ses honoraires retenus pour cause de comportement diligent. Cet expert a introduit un recours auprès de la Commission des frais de justice.
Une solution doit être trouvée d'urgence en ce qui concerne les pathologistes médicolégaux. La Chambre des mises en accusation est régulièrement confrontée à des affaires dans lesquelles l'intéressé doit être remis en liberté parce que le dossier ne contient pas de rapport d'expertise (par exemple, un rapport sur la cause du décès ou un rapport psychiatrique). En effet, certains experts refusent de déposer leur rapport tant qu'ils n'ont pas été payés.
Mme Faes déclare avoir compris le signal.
B. Audition du 21 novembre 2012
1. Exposé de M. Bertrand Renard, chercheur à l'INCC
Introduction
M. Renard se propose de faire état des recherches menées au sein de l'INCC quant au statut de l'expert judiciaire en matière pénale.
L'intervenant constate que l'image de l'expert judiciaire est souvent idéalisée. L'expert judiciaire jouit d'une image positive dans les médias et cette image contribue à une certaine revalorisation de l'image de la justice elle-même. Enfin, il faut admettre que faire appel à la science pour asseoir une décision judiciaire est également un élément rassurant pour le justiciable car il permet d'objectiver une décision qui pourrait sembler subjective.
Ces éléments sont-ils pourtant pleinement établis ?
En Belgique, le constat est que toute personne peut a priori devenir expert judiciaire. Il suffit d'être désigné comme tel par un magistrat. Or, ce dernier est tout à fait libre d'apprécier le profil de la personne qui souhaite devenir expert judiciaire. Hormis quelques exceptions, il y a aujourd'hui une absence totale de critères. La question de la nécessité de l'adoption d'un statut de l'expert judiciaire est donc intimement liée à celle de l'adoption de critères pour devenir expert judiciaire.
À titre d'information, M. Renard indique qu'aux États-Unis, la Cour suprême a adopté un certain nombre de critères d'admissibilité de l'expertise en matière judiciaire. En 1923, l'arrêt « Frye vs United States » est l'occasion pour la Cour suprême d'élaborer ce qu'on appelle désormais un premier test d'admissibilité. En vertu de ce test, le témoignage de l'expert doit correspondre à ce qui est « généralement accepté » dans la communauté scientifique à laquelle il appartient. Il faudra attendre 1993 pour que la Cour affine sa jurisprudence de 1923 au travers de l'arrêt « Daubert Vs Merrel Dow Pharmaceuticals ». La Cour suprême des États-Unis confirme ses exigences en étoffant son « test de fiabilité scientifique » qui doit désormais porter non seulement sur le témoignage de l'expert, mais aussi sur les théories qu'il présente et les outils qu'il utilise. Selon l'arrêt « Daubert », le juge doit considérer un témoignage d'expert comme fiable et donc admissible si, et seulement si, la technique utilisée ou la théorie à laquelle il se réfère répond aux critères suivants:
— être publiée ou reconnue par ses pairs;
— inclure le taux d'erreur;
— être vérifiable et falsifiable;
— tout cela, en plus de la condition « Frey », qui est d'être généralement acceptée.
En France, un décret du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires prévoit une procédure très complexe qui repose essentiellement sur une appréciation par les magistrats eux-mêmes. Par ailleurs, l'expert judiciaire est considéré en France comme un auxiliaire de justice.
Aux Pays-Bas, la loi du 22 janvier 2009 réglemente entièrement la question de l'expertise en matière pénale et instaure un registre des experts. M. Renard précise que la situation d'avant 2009 était comparable à celle qui prévaut aujourd'hui en Belgique et que les Pays-Bas ont su mettre sur pied un nouveau système dans un délai assez court. Ce système est néanmoins lourd puisqu'il prévoit un organe central chargé d'évaluer les experts avant leur inscription sur une liste. Par contre, le législateur néerlandais a prévu une évaluation scientifique de ce nouveau système afin de le corriger. Ceci est positif.
En Belgique, il n'existe encore aucun critère d'acceptabilité. Certes, de nombreuses initiatives ont vu le jour mais aucune n'a abouti pour le moment. À l'heure actuelle, le débat relatif aux experts judiciaires est souvent lié à la question de leur rémunération. Or, l'enjeu d'un statut des experts dépasse celui de la question de leur rémunération.
Pourquoi un statut ?
M. Renard indique qu'il faut tout d'abord veiller à la qualité des expertises car de nombreuses plaintes y sont liées.
La formation des experts est également importante. Si de nombreuses formations sont proposées surtout en Flandre, elles ne sont pas obligatoires pour l'instant. Il n'existe aucune obligation légale de formation. Toutefois, un certain nombre d'arrondissements judiciaires ont décidé de faire uniquement figurer sur leur liste les experts qui ont suivi une ou plusieurs formations universitaires spécifiques.
Les associations d'experts organisent elles-mêmes des formations mais celles-ci sont de qualité très variable. Sans exigences minimales, il est difficile de se satisfaire de ce type de formations.
La question de la professionnalisation est également importante car il faut pouvoir s'assurer que l'on fait appel à des experts que l'on connaît et qui ont une certaine régularité dans leur pratique, et une expérience réelle dans le contexte judiciaire. Il y a encore aujourd'hui trop d'experts qui n'interviennent que de manière occasionnelle.
Enfin, la question de la rémunération n'intervient que comme contrepartie des trois exigences précitées.
La réalité belge:
— il y a une absence totale de statut légal et structuré. Les règles sont éclatées et difficilement compréhensibles par les experts;
— il existe une logique sectorielle. Ainsi, si des questions particulières surgissent dans un domaine précis, c'est dans celui-ci exclusivement que le législateur décide de légiférer. Cette approche met en évidence le fait que ceux qui ne sont pas visés par le champ d'application de cette réglementation restent en dehors de tout cadre normatif. L'exemple type est celui de l'ADN: il existe un corpus de règles intéressantes mais qui ne concernent qu'un domaine très spécifique.
Pour M. Renard, l'adoption d'un statut pour les experts judiciaires implique nécessairement que l'on se pose les trois questions suivantes:
— qui requérir ? Il faut définir les compétences et qualités requises (formation, savoir-faire, savoir être);
— quand et pourquoi le requérir ? Il faut définir le rôle de l'expert dans la procédure;
— comment le requérir ? Il faut définir les conditions de son intervention.
Or, pour pouvoir répondre à ces trois questions, il faut absolument être doté de connaissances sur les expertises. Il n'existe aucune statistique officielle sur les expertises hormis celles qui concernent le paiement des expertises. Il y a également peu d'efforts des universités dans ce domaine. C'est d'ailleurs à partir de ce constat que l'INCC a décidé de réaliser un certain nombre de recherches:
— cartographie des pratiques (2003), puisque certaines pratiques d'expertise, notamment policières peuvent être similaires sans constituer en tant que telles des expertises;
— statut de l'expert (2005);
— coût des expertises dans le domaine de l'ADN (2011);
— usage judiciaire des résultats d'expertise particulièrement en matière d'ADN;
— durée des expertises.
Les chiffres de la Commission de modernisation de l'Ordre judiciaire et les avis du Conseil supérieur de la Justice viennent compléter également l'information disponible.
Recherche de l'INCC sur le statut des experts
Cette mission, confiée par le ministre de la Justice, fut menée de juin 2004 à décembre 2005. La démarche méthodologique a consisté à adresser un questionnaire à 98 autorités judiciaires dont 50 ont répondu. Ce questionnaire a été complété par des interviews individuelles (25) et une analyse en groupe (22). Une enquête par questionnaire a également été envoyée à près de 4 500 experts payés en 2004 dont 780 ont répondu. Enfin, l'INCC a entamé une étude de droit comparé basée sur une analyse des systèmes existants dans différents pays européens.
L'enquête réalisée auprès des experts a permis d'établir une description socioprofessionnelle riche en enseignements. Il en ressort que:
— 80 % des experts sont issus du secteur privé;
— deux tiers d'entre eux exercent en qualité d'indépendant;
— 16 % n'ont suivi aucune formation continue;
— 10 % n'ont aucune expérience professionnelle préalable à leur première intervention en tant qu'expert judiciaire;
— 25 % des experts ont moins de cinq ans d'expérience avant d'intervenir comme expert judiciaire;
— 70 % d'entre eux interviennent dans maximum deux arrondissements judiciaires (peu de mobilité);
— 56 % des experts n'ont jamais suivi de formation en expertise ou en droit judiciaire;
— près d'un tiers de ceux qui ont suivi une formation l'ont fait il y a plus de dix ans;
— seuls 20 % des experts ont demandé à être expert judiciaire;
— seulement 16 % qui ont postulé pour devenir expert judiciaire ont reçu un questionnaire d'évaluation avant leur admission en tant qu'expert judiciaire;
— un tiers intervient plus de dix fois en deux ans, deux tiers n'intervenant que maximum dix fois en deux ans.
Il faut donc prendre en compte ces résultats au moment de légiférer car il faut tenir compte de cette réalité.
Recommandations
— Il faut connaître le terrain. M. Renard cite à titre d'exemple le fait que le Conseil supérieur de la justice propose de s'appuyer sur les associations d'experts pour créer des listes d'experts. Or, l'enquête précitée indique que 20 % des experts ne sont membres d'aucune association. De même, il n'existe pour l'instant au sein du SPF Justice aucun service qui se préoccupe de la question de l'expertise. D'éventuelles questions sont renvoyées vers le service « frais de justice » du SPF justice mais ce service n'a pas vocation à réfléchir sur la question d'un statut des experts judiciaires. Il faut donc créer un pôle de compétences au sein du SPF Justice.
— Il faut s'équiper. Il s'agit tout d'abord de mettre en place des outils d'aide à la gestion pour les magistrats et le SPF Justice. Les magistrats doivent savoir qui ils doivent désigner. À cet égard, il existe une initiative intéressante au sein de l'INCC où un « Conseiller Forensique » est à la disposition des juges afin de l'orienter dans les expertises à mener. Il faut permettre aux magistrats d'être outillés afin qu'ils puissent être informés sur la charge de travail des experts NCC et gérer les délais des expertises. Pour le SPF Justice, il est essentiel de doter les experts d'un « Identifiant » afin de les identifier de manière distincte et d'assurer un suivi et un contrôle. À l'heure actuelle, un expert est identifié sur la base de son numéro de compte. Un tel système permettra également d'avoir une vue sur les réquisitions. Aujourd'hui, il n'existe aucun suivi entre le moment où un magistrat ordonne une expertise et le moment où l'expert adresse sa facture au SPF Justice. Il est donc impossible de déterminer précisément le niveau d'engagement à un moment déterminé et donc de prévoir le moment où le budget sera épuisé.
— Enfin, il faut encadrer. Il convient de définir les qualités mixtes exigées de l'expert tant dans sa discipline que dans le contexte judiciaire. Contrairement au Conseil supérieur de la Justice, M. Renard ne plaide pas pour une autorégulation pure par le truchement des associations professionnelles d'experts. À terme, cela renforcerait la légitimité de ces associations ce qui risque de provoquer des hausses de tarifs lorsqu'il faudra négocier avec celles-ci. Enfin, il faut une reconnaissance officielle des formations postuniversitaires.
2. Exposé de M. De Kinder
M. De Kinder souhaite partager un certain nombre de réflexions. Elles ont probablement déjà été abordées en partie dans l'avis du Conseil supérieur de la Justice, mais l'intervenant aimerait les étayer en s'appuyant sur la pratique.
L'intervenant commence son exposé par une boutade. Si l'on tape le mot « deskundige » (« expert » en néerlandais) dans Google Images, un des premiers résultats de recherche est une caricature d'un expert disant en substance « D'après mes conclusions, l'avion est tombé du ciel », ce qui est révélateur de la faible considération dont jouissent les experts dans la société actuelle.
Il est donc urgent d'élaborer un meilleur cadre de fonctionnement et une meilleure définition de l'expert afin que des solutions puissent être trouvées pour les magistrats qui sollicitent une assistance technique.
À cet égard, l'importance d'une formation est incontestable. Mais reste à savoir si une formation unique est suffisante ou s'il est préférable de prévoir une sorte de formation continue, même si l'on ne sait pas toujours très bien comment la formation en question doit être dispensée. Les professeurs d'université ont un immense bagage de connaissances et sont hautement spécialisés, mais cela ne fait pas encore d'eux les meilleurs experts pour autant. Il est souvent difficile de transposer les résultats scientifiques à un dossier déterminé. L'intervenant cite l'exemple d'une demande d'expertise concernant la présence éventuelle de particules de poudre. Au moyen d'une analyse très précise, le scientifique pourra déterminer la quantité de particules de poudre présentant une composition consistante, relevées par exemple sur les mains de quelqu'un. Mais en quoi cette information sera-t-elle utile en soi au magistrat ? Le résultat obtenu prouve-t-il que l'intéressé a effectivement tiré avec l'arme à feu ? Une étape supplémentaire d'interprétation des résultats dans le contexte de l'expertise légale est indispensable. Les résultats d'analyse doivent être transposés dans une conclusion dans le cadre d'un dossier déterminé. Les connaissances techniques doivent donc être affinées.
L'intervenant se réfère également à l'attestation de « Certified Forensic Consultant » délivrée par l'American College of Forensic Examiners. Les attestations en question peuvent être achetées sur Internet et sont donc sans valeur.
Il faut donc être prudent lorsqu'on élabore une législation.
L'intervenant se réfère au dossier relatif au meurtre du carnaval de Helmond aux Pays-Bas. Un élément central dans ce dossier était l'expertise d'une empreinte de pas laissée dans du sang. C'est une expertise que ni l'Institut médicolégal néerlandais ni l'INCC n'avaient en leur sein. C'est ainsi qu'on a fait appel, à l'époque, à un spécialiste orthopédiste pour réaliser l'expertise, laquelle a permis d'aboutir à une condamnation. Un recours a été introduit auprès du Conseil supérieur, qui a rendu l'arrêt dit « du cordonnier ». Il s'agissait en l'occurrence de savoir si une personne jouissant d'une grande expertise et d'une solide expérience en matière de fabrication de chaussures orthopédiques pouvait aussi être considérée comme experte pour interpréter des traces de chaussures trouvées sur les lieux.
Le Conseil supérieur a estimé que la juridiction aurait dû s'assurer que l'expertise du fabricant de chaussures s'étendait bien à l'examen et à l'analyse de traces de chaussures et, le cas échéant, examiner la méthode utilisée par l'intéressé pour effectuer l'analyse ainsi que les raisons justifiant selon lui la fiabilité de cette méthode, et vérifier dans quelle mesure l'intéressé était à même d'appliquer cette méthode minutieusement. Avec tout le respect qu'il a pour le magistrat, l'intervenant estime que celui-ci n'est pas à même de répondre à ces questions spécialisées.
Comme cela a déjà été souligné précédemment, les Pays-Bas ont adopté la loi du 22 janvier 1999 qui a donné lieu à la création d'un registre des experts judiciaires. Un tel registre n'existe d'ailleurs pas seulement aux Pays-Bas. Le système est basé sur un certain nombre de commissions qui déterminent la compétence de l'expert. Ainsi, la commission consultative de normalisation détermine les normes de compétence auxquelles l'intéressé doit satisfaire. Une fois la norme établie, une commission consultative de vérification doit apprécier si un expert déterminé répond ou non à cette norme. Si l'intéressé n'est pas d'accord avec l'avis rendu, il peut saisir la commission consultative de réclamation. Pour l'instant, le registre néerlandais des experts judiciaires est opérationnel dans un certain nombre de domaines, notamment les recherches ADN, la graphologie, la psychiatrie et la psychologie légales, l'orthopédagogie, la toxicologie, les stupéfiants, les armes et les munitions, les pathologies et l'expertise comptable légale. Le registre d'experts englobe donc une grande diversité de spécialités, même si tous les domaines ne sont pas couverts. De plus, l'organisation est très lourde et lente dans sa manière de fonctionner.
Quelles sont alors les alternatives possibles ? L'intervenant fait référence à l'avis rendu d'office par le Conseil supérieur de la Justice sur le statut et la qualité de l'expert judiciaire. Il n'existe aucun standard international en matière d'expertise légale. Quelques standards sont toutefois disponibles et sont utilisés pour garantir des expertises de qualité. Le plus connu est la norme ISO 17025, à laquelle satisfont un grand nombre de laboratoires, y compris en Belgique. Tous les laboratoires d'expertise ADN agréés l'ont été conformément à ce standard. L'INCC dispose également de cette accréditation pour dix de ses douze laboratoires; pour les deux autres, ce n'est qu'une question de temps.
La norme ISO 17020 relève quant à elle plutôt d'un standard utilisable dans le cadre de la réalisation d'une expertise sur le terrain. La norme ISO 17025 cible spécifiquement les expertises en laboratoire. Actuellement, seul le laboratoire de médecine légale de la KULeuven est accrédité suivant la norme ISO 1720. À l'étranger, plusieurs organisations ont déjà obtenu cette accréditation.
La norme ISO 17024 est par ailleurs très intéressante pour définir la qualité de l'expert judiciaire. Elle permet en effet à des organisations de certifier des experts. BELAC, un organisme placé sous la responsabilité du SPF Économie, PME, Classes moyennes et Énergie, se charge d'accorder ces accréditations.
En quoi consiste exactement une telle accréditation ?
La formation et l'expérience de l'expert et des techniciens constituent un élément fondamental. Chaque personne est tenue de suivre un plan de formation. On vérifie donc si une personne est bien compétente pour exécuter sa mission. Et cette compétence est vérifiée à intervalles réguliers. L'intéressé a-t-il suivi une formation suffisante, a-t-il traité suffisamment de dossiers ? Les expertises auxquelles il a procédé ont-elles été contrôlées par une instance externe qui s'assure que le niveau de qualité est maintenu en permanence ?
Le partage des responsabilités et des táches au sein de l'organisation constitue une autre clé de voûte. Lorsqu'un technicien est malade dans un laboratoire, on ne peut pas simplement le remplacer par n'importe quel autre technicien. En effet, la personne choisie doit disposer de la formation et de l'expérience nécessaires pour pouvoir exécuter sa mission correctement.
La traçabilité des pièces à conviction constitue un autre élément fondamental. À l'avenir, cet aspect gagnera en importance dans toute la chaîne judiciaire. Le déroulement correct des expertises constitue aussi une facette essentielle. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire que des procédures et des méthodes décrivent les expertises de manière exhaustive.
Comment les réclamations sont-elles traitées ? Que se passe-t-il en cas d'erreur ? Qu'advient-il du suivi des magistrats requérants ? Est-il mis à profit pour améliorer la qualité des prestations ?
Le suivi des tests de compétences constitue un autre élément important. Ceux-ci permettent de vérifier le bon fonctionnement d'un laboratoire.
Enfin, il y a encore tout un volet technique sur le fonctionnement des appareils, leur entretien, les calibrages et les validations.
De très nombreuses questions soulevées dans l'arrêt néerlandais connu sous le nom de « schoenmakersarrest » (« l'arrêt du cordonnier ») ont trouvé leur réponse dans le cadre de cette accréditation.
Il s'agit également du cadre qui est utilisé au niveau international. Lorsqu'on examine le réseau européen des laboratoires de médecine légale, on constate que la norme ISO 17025 constitue actuellement une condition d'adhésion. Le futur membre qui ne dispose pas de cette accréditation est tenu de l'obtenir dans les trois ans.
La police d'accréditation indique clairement qu'une importance capitale est accordée au respect de cette norme et les laboratoires sont encouragés à en élargir le champ afin qu'elle couvre la majorité de leurs activités.
Compte tenu de cet élément, la Commission européenne ne pouvait pas non plus rester à la traîne. Dans le cadre de l'échange de données, elle a prévu pour les profils ADN et les empreintes digitales que les laboratoires devraient obtenir rapidement l'accréditation suivant la norme ISO 17025.
Son importance a encore été soulignée dans l'étude « Study on Obstacles to Cooperation and Information-sharing among Forensic Science Laboratories and other Relevant Bodies of Different Member States and between these and Counterparts in Third Countries ».
L'intervenant cite également l'ouvrage majeur publié aux États-Unis, « Strenghten forensic science in the United States », qui non seulement décrit la situation actuelle de façon très claire, mais énonce également les points qui restent à améliorer. L'un de ces points est l'accréditation des laboratoires, que l'on souhaite voir mise en œuvre le plus rapidement possible.
L'intervenant explique en quelques mots qu'il y a deux possibilités. Première option, la certification peut être organisée par les pouvoirs publics, comme aux Pays-Bas, où un registre national des experts judiciaires a été créé.
Deuxième option, il faudrait vérifier s'il n'est pas plus simple d'opter pour un marché autorégulé, où l'on obligerait les personnes qui se proposent comme experts à disposer d'une accréditation donnée; il incomberait alors aux pouvoirs publics de dresser la liste des personnes titulaires d'une accréditation donnée et de la mettre à la disposition des magistrats.
Comme le Sénat est un lieu propice à la réflexion et qu'il convient de réfléchir à la façon d'améliorer l'organisation du travail, l'intervenant évoque également le rôle du « conseiller forensique ».
Actuellement, l'INCC emploie deux conseillers forensiques, un francophone et un néerlandophone. Il faut dire qu'il est trop souvent constaté que les magistrats ne connaissent pas grand-chose à la médecine légale. Par contre, un conseiller forensique dispose d'une connaissance horizontale de tous les domaines de l'expertise légale et peut donc assister les magistrats dans les dossiers importants. Quelle est l'expertise la plus pertinente dans un dossier donné pour répondre aux questions en souffrance et quelles pièces à conviction le magistrat doit-il examiner ? En ciblant les pièces à conviction avec davantage de précision, l'on parviendra effectivement à réduire sensiblement le coût des expertises. Un conseiller forensique coûte environ 50 000 euros, mais en fait économiser près de neuf fois plus sur une base annuelle. Dans le futur, le conseiller forensique sera donc un personnage-clé pour le maintien sous contrôle des dépenses en matière d'expertises.
Pour terminer, l'intervenant cite les statuts de l'INCC, qui prévoient que ce dernier est tenu d'analyser, à la demande des autorités judiciaires compétentes, les données matérielles rassemblées à l'occasion de la constatation des infractions et des investigations auxquelles elles donnent lieu par le concours de diverses disciplines, techniques et méthodes scientifiques, ou, de l'accord de ces autorités judiciaires, de les faire analyser par des tiers soumis à un contrôle de qualité déterminé par l'Institut. Ce texte date de 1971, mais reste toujours d'une grande actualité. Il offre en effet la possibilité d'étendre la mission du conseiller forensique.
Dans le contexte international, l'intervenant fait référence à cet égard au Landestribunal de Düsseldorf, qui travaille déjà de cette manière. Il fait centraliser toutes les demandes au sein du laboratoire, qui vérifie quelle expertise est susceptible d'apporter la meilleure réponse. Un scientifique examine les demandes et redéfinit l'expertise en concertation avec le magistrat concerné. Il détermine ensuite si l'expertise peut être réalisée au sein même de l'organisation ou s'il vaut mieux la sous-traiter à l'extérieur, par exemple par manque de connaissances ou de capacités.
Dans le futur, l'INCC pourrait donc devenir une instance chargée de centraliser les expertises. Il est vrai que le conseiller forensique représente une plus-value pour le magistrat requérant. Il peut en outre se charger de choisir le meilleur prestataire de services et aider à l'interprétation des résultats. Il peut par ailleurs s'occuper de lancer les appels d'offres, comme c'est déjà le cas pour les identifications par analyse ADN en matière pénale. Il peut sélectionner sur le marché l'expertise au meilleur rapport qualité-prix.
Bien entendu, la question du financement des conseillers forensiques reste ouverte. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'ils sont également susceptibles de rapporter pas mal d'argent, de sorte que l'on pourrait opter pour un financement via les frais de justice. Le mieux serait donc d'imposer l'obligation légale de recourir à des conseillers forensiques, à tout le moins dans les dossiers d'une grande complexité.
3. Exposé de M. Lavens, juge d'instruction à Malines
M. Lavens se présente comme étant juge d'instruction à Malines depuis près de dix ans. Auparavant, il avait été magistrat du parquet pendant sept ans. C'est donc en qualité de praticien du droit qu'il présentera la manière dont on travaille actuellement avec les experts et qu'il exposera sa vision sur la manière dont il faudrait améliorer les choses pour l'avenir.
Il manque effectivement des règles légales en la matière. Il convient de remédier à cette lacune, eu égard à l'importance croissante de l'expertise. Une réglementation légale générale concernant le statut, la désignation et les modalités de fonctionnement des experts s'impose.
Une première recommandation est de ne pas trop rigidifier le cadre normatif en la matière. En effet, un cadre normatif trop strict risque d'entraîner de nombreuses limitations et pourrait conduire à un véritable « désert », c'est-à-dire à une situation où l'on ne trouverait plus d'experts qui satisfassent aux critères fixés. En outre, un cadre trop rigide risque de retarder les désignations d'experts, qui pourraient aussi devenir plus rares, ce qui hypothéquerait le travail de recherche de la vérité.
L'intervenant confirme qu'il travaille avec un groupe restreint d'experts, ce qui ne signifie toutefois pas qu'il ait ses « favoris ». En effet, très peu de personnes seulement sont disposées à effectuer le travail d'expert, et on en trouve encore moins qui font ce travail correctement. L'intervenant est confronté quotidiennement à cette réalité. Il faut en être bien conscient lorsqu'on élabore un cadre.
L'intervenant aborde la question des défis que le groupe de travail a mis sur papier en guise de fil conducteur.
Un premier point concerne la création d'un véritable statut d'expert. L'intervenant considère qu'il faudrait effectivement prévoir l'obligation de suivre une formation à part entière. L'expert en matière pénale doit connaître les règles auxquelles son travail est soumis et savoir exactement ce que l'on attend de lui dans le cadre des rapports à rédiger et de l'interaction entre les services de police et le juge d'instruction. Si tel n'est pas le cas, la crédibilité de ses constatations en pátira.
Dans ce domaine, l'intervenant évoque également les possibilités de formation qui existent déjà, du côté néerlandophone notamment, via les universités par exemple. Concernant les interprètes, par exemple, l'arrondissement ne désigne jamais un interprète qui n'a pas suivi la formation d'interprète juré. Ce n'est évidemment pas encore une formation légalement obligatoire pour l'instant. Cette obligation préalable n'est pas requise pour la désignation des experts, car la situation est telle qu'on peut déjà s'estimer heureux si l'on trouve un expert...
Pour ce qui est de la désignation, on pourrait effectivement établir un registre. L'intervenant estime cependant que l'on viserait trop haut si l'on établissait un registre national. Un expert d'Ostende, par exemple, ne voudra jamais se déplacer à Hasselt. L'intervenant estime dès lors qu'il serait préférable de se limiter à un registre par ressort de la cour d'appel, ce qui serait déjà une réelle amélioration. Si l'on établissait d'emblée un registre national, beaucoup d'experts pourraient arrêter. Il ne faut pas oublier qu'ils peuvent théoriquement être obligés d'effectuer l'expertise qu'on leur demande.
En ce qui concerne la procédure de désignation, l'intervenant renvoie également aux dispositions du Code d'instruction criminelle relatives à la prestation de serment. Il serait peut-être préférable de ne prévoir qu'une seule prestation de serment lors de la désignation, auprès du premier président de la cour d'appel. Par la suite, l'expert pourrait éventuellement être évalué périodiquement au niveau de la cour d'appel. Les arrondissements seront consultés.
L'intervenant envisage également une obligation d'inscription dans des services de garde. On éprouve en effet toutes les peines du monde à trouver des experts disponibles pour se rendre sur place immédiatement. La découverte de preuves en matière pénale doit souvent se faire très rapidement, car certaines traces peuvent déjà avoir disparu après trois ou quatre heures. Il importe donc de pouvoir disposer d'experts en mesure d'arriver rapidement sur les lieux. Malgré la bonne volonté de l'INCC, ce point reste problématique, car il est impossible de garantir vingt-quatre heures sur vingt-quatre qu'un expert se rendra immédiatement sur place. Or, cela est essentiel, par exemple, dans le cas d'une mort violente causée par une arme à feu.
Il est évident qu'il n'y a pas lieu de prévoir des services de garde pour chaque forme d'expertise; en revanche, c'est une nécessité dans le cadre des expertises de première ligne qui sont effectuées, par exemple, par des experts en matière de circulation routière, des médecins légistes et des experts en incendie et en armement.
Dans la pratique, la première crainte du juge d'instruction, lorsqu'il est appelé, par exemple, pour un décès par mort violente, est de ne pas trouver d'expert.
Il serait judicieux, pour certaines catégories d'experts, d'instaurer une sorte d'organe représentatif, même si cela avait des conséquences financières. À cet égard, l'intervenant pense en premier lieu aux médecins légistes. Il existe certes des formations spécialisées dans ce domaine, mais il n'en reste pas moins que chaque médecin est en droit de se proclamer médecin légiste. L'intervenant pense que si l'on veut garantir la qualité, on doit impérativement créer une instance indépendante et autorégulée. Elle pourrait intervenir en cas de dysfonctionnements ou de problèmes en rapport avec un expert déterminé.
L'intervenant pense que si l'on parle du statut, on doit aussi aborder la question du personnel, notamment celui de l'INCC, du laboratoire de la police fédérale ou de la « Computer Crime Unit » (CCU). La situation actuelle est quelque peu ambiguë. D'une part, il y a les experts indépendants qui sont désignés parce qu'ils sont déjà connus du magistrat ou parce qu'ils lui proposent leurs services. D'autre part, il y a par exemple les personnes qui travaillent à la police fédérale, plus particulièrement au laboratoire ou au service de polygraphie (détecteur de mensonges) et qui sont quelquefois amenées à collaborer à certaines expertises (qui peuvent dans certains cas avoir trait à des faux en écriture). Il peut arriver aussi que des membres du personnel de l'INCC soient désignés comme experts alors qu'ils travaillent pour l'autorité fédérale. Les experts proviennent donc d'horizons différents et n'ont pas tous le même statut. L'intervenant conteste que la valeur probante accordée à un rapport d'expertise varie selon que celui-ci émane ou non de l'autorité fédérale. C'est au juge du fond qu'il revient d'évaluer, en son áme et conscience, la valeur probante d'un rapport. Il dispose de toute latitude dans ce domaine et il doit, selon l'intervenant, en demeurer ainsi.
L'intervenant pense aussi qu'il ne faut pas se montrer trop exclusif. Il arrive que certains experts ne soient désignés qu'une fois tous les trois ans. Il y a un expert, par exemple, qui s'est spécialisé dans l'analyse du verre; comme il s'agit d'un domaine très spécifique, il est probable que l'intéressé ne prendra jamais la peine de se faire enregistrer comme expert judiciaire. Il pourrait pourtant être d'une aide précieuse, car il pourrait, par exemple, déterminer si les éclats de verre prélevés sur un prévenu proviennent des vitres de la voiture-bélier qui a été utilisée. Pour certaines expertises, il pourrait arriver que les experts disponibles n'aient pas le statut requis. Il faudra toutefois veiller à ce que la désignation de cette catégorie d'experts demeure possible, d'autant qu'il faut souvent s'armer de patience lorsqu'on veut faire appel aux experts couramment désignés, car ils sont souvent surchargés. De plus, il arrive aussi qu'ils soient sollicités à titre privé par l'une des parties. Il faut donc prévoir la possibilité de travailler en dehors du cadre des experts statutaires, au moyen, par exemple, d'une ordonnance distincte et motivée qui attesterait que la première démarche a été de chercher un expert statutaire, mais qu'il a fallu se résoudre à sortir de ce cadre.
Un autre point qui mérite une attention particulière est la compétence. À l'heure actuelle, tant le juge d'instruction que le magistrat du parquet sont compétents pour désigner un expert. Toutefois, au niveau du parquet, on a plutôt tendance à considérer cela comme une démarche d'information; dans ce cas de figure, l'expert ne prête pas serment. En revanche, lorsque la désignation est effectuée par le juge d'instruction, il s'agit d'un expert à part entière. Cette distinction est ambiguë et ne sert plus à rien.
La réquisition de l'expert doit être faite par écrit. Il faudrait faire en sorte que les experts puissent aussi être désignés verbalement. Si le magistrat est appelé en pleine nuit pour un décès par mort violente, il n'est pas normal qu'il doive rédiger sa réquisition par ordinateur. Tout doit aller très vite; c'est pourquoi il faudrait que l'expert puisse dans ce cas être requis verbalement, à condition évidemment que sa désignation soit confirmée par écrit ultérieurement.
Vu notamment l'évolution observée au niveau de la Cour européenne de Justice, il serait souhaitable d'instaurer, dans une certaine mesure, le principe du contradictoire. Ce faisant, on ne peut cependant pas perdre de vue les spécificités de l'enquête pénale. La procédure contradictoire appliquée en matière civile ne peut pas être reprise telle quelle. Par ailleurs, le principe du contradictoire ne peut pas non plus être prévu dans tous les cas. L'intervenant se réfère au cas, déjà évoqué, du juge d'instruction appelé de nuit dans le cadre d'une mort violente. En l'occurrence, la victime est donc décédée, et le suspect est généralement inconnu.
Il faut aussi tenir compte du fait qu'en matière pénale, on est soumis à la pression du temps. Ainsi, certaines enquêtes ne peuvent pas traîner trop longtemps. Le délai raisonnable doit aussi être pris en considération. Le respect du principe du contradictoire peut être souhaitable et présenter des avantages, mais il ne peut pas faire perdre trop de temps. Dans certains cas, il arrive même qu'il permette de réduire la durée de la procédure. Dans le cadre d'examens psychiatriques, par exemple, il faut souvent attendre trois mois pour que le psychiatre rende son rapport. La réaction du suspect est souvent de désigner un expert de son choix, qui défend généralement une opinion contraire. Un collège doit ensuite être désigné. Le principe du contradictoire serait donc intéressant dans le cadre des examens psychiatriques. L'on pourrait prévoir que le magistrat informe les parties des expertises en cours et leur permette de s'adresser par écrit aux experts concernés. L'on pourrait également permettre aux experts désignés par les parties d'avoir accès à certains volets de l'enquête pénale, tels que des aspects techniques, des constatations médicales ou des pièces comptables.
Le principe du contradictoire a déjà été instauré, dans la loi Salduz, dans le cadre de la reconstitution. En effet, sur la base d'une formulation générale un peu particulière, on permet aux parties d'assister à la reconstitution. L'intervenant a déjà été confronté à la situation où les parties étaient présentes avec leur avocat respectif, mais auraient souhaité être aussi accompagnées d'un expert. Il n'a pas accédé à cette demande, car cela n'est pas prévu dans la loi. Plus il y a de parties présentes, plus le déroulement de la reconstitution est difficile. Il faudrait dès lors affiner la modification législative proposée: des experts peuvent être présents, dans le respect de certaines limites, dans la perspective d'une égalité des armes. La reconstitution doit garder une certaine utilité et il n'est pas nécessaire, par exemple, que les parties soient accompagnées de deux avocats. La disposition est formulée de manière tellement générale qu'il serait possible en pratique de saboter la reconstitution. La question est de savoir qui a un intérêt légitime à être associé à une enquête déterminée. Les enquêtes pénales ne portent bien souvent pas sur un seul fait, mais tous les intéressés n'ont pas un intérêt à intervenir dans l'enquête.
L'intervenant fait référence à un examen psychiatrique, dans le cadre duquel se pose la question de savoir s'il est dans l'intérêt de la victime d'intervenir à cet égard. Une partie civile a des intérêts civils et n'a en principe pas à s'immiscer dans l'enquête pénale proprement dite. Depuis la loi Franchimont, les parties civiles ont néanmoins leur mot à dire et peuvent, par exemple, demander l'accomplissement de certains devoirs d'enquête.
Le cas échéant, lors de l'élaboration de normes, il faut également veiller à ce qu'il ne soit pas possible d'abuser de la procédure pour échapper à un jugement. Les règles relatives à la désignation des experts et à l'expertise doivent être claires et prêter le moins possible à interprétation.
Il est aussi important de ne pas prévoir une procédure trop formaliste et d'instaurer un minimum de règles à peine de nullité. Il appartient au juge du fond de vérifier dans quelle mesure les règles ont été respectées en pratique et de déterminer les sanctions qui doivent être imposées en matière de nullité et de réduction de la force probante dans le cas où certaines règles n'auraient pas été respectées. La désignation d'un expert est quelque chose de très courant, de quotidien même. Or, plus les règles y afférentes sont formalisées, plus la procédure prend du temps et plus la charge de travail est importante.
En ce qui concerne la corrélation avec les frais de justice, l'intervenant souligne que les tarifs pratiqués par les experts vont probablement augmenter si l'on crée un statut et surtout si l'on instaure une opposabilité. Il faut également tenir compte du fait que de nombreuses personnes impliquées dans une enquête pénale ont droit à l'assistance judiciaire. Dans quelle mesure va-t-on considérer que se faire assister par un expert est un droit fondamental, de sorte qu'il soit possible d'avoir recours à l'assistance judiciaire ?
En ce qui concerne les défis techniques, l'intervenant souligne que les expertises couvrent un large éventail de domaines et sont susceptibles d'évoluer. Si l'on instaure une réglementation, il ne faut pas tenir compte exclusivement des expertises qui sont effectuées aujourd'hui, mais aussi laisser la porte ouverte aux expertises qui seront réalisées dans cinq à dix ans.
L'intervenant cite l'exemple des analyses ADN, qui sont désormais réglementées. Il faut également garder à l'esprit que l'introduction de restrictions peut avoir des conséquences en termes de manifestation de la vérité. Dans le cas des analyses ADN, par exemple, le juge d'instruction ne peut ordonner le prélèvement forcé d'un échantillon d'ADN que s'il sait qu'il dispose de matériel biologique. La découverte d'un mégot de cigarette sur le lieu de l'infraction, par exemple, ne suffit pas. Dans ce cas, l'intervenant doit attendre le rapport de l'expert pour être sûr qu'il y a bien des traces de salive. Dans l'intervalle, le suspect a souvent disparu.
Des expertises sont encore effectuées actuellement en dehors de tout cadre, par exemple des tests polygraphiques. On est néanmoins en droit de penser qu'une réglementation spécifique est également nécessaire en la matière.
Un autre point auquel il faut être attentif est la désignation possible d'un expert statutaire par des parties privées. L'intervenant souligne le fait qu'un expert désigné par une partie privée perçoit des honoraires beaucoup plus élevés. Si l'on se dirige vers une procédure contradictoire, les avocats seront de plus en plus enclins à chercher eux-mêmes des experts pour appuyer leur défense. Cela signifie qu'il sera de plus en plus difficile pour le magistrat de désigner un expert, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour la manifestation de la vérité.
L'intervenant attire également l'attention sur la responsabilité de l'expert qui se voit confier des pièces à conviction. Une bonne réglementation s'impose, sans quoi on risque d'assister à des discussions sur la valeur probante de ces pièces.
L'intervenant estime que l'initiative de l'INCC relative aux conseillers forensiques est louable. Il faut cependant se garder d'aborder les choses sous un angle trop national. Les laboratoires liés à la police fédérale au niveau des arrondissements devraient également disposer de conseillers forensiques. Une concertation est déjà menée actuellement avec ces conseillers, en matière d'analyses ADN par exemple, mais l'intervenant trouve qu'il serait dangereux d'inscrire cette collaboration dans un cadre légal strict et obligatoire. Par ailleurs, qu'est-ce qu'une « affaire importante » ? L'intervenant trouve que c'est une bonne chose que l'appui de l'INCC soit proposé dans la pratique aux juges d'instruction et aux magistrats du parquet.
Enfin, l'intervenant souligne qu'il faut faire preuve de prudence lorsqu'on fixe des règles normatives qui déterminent quand et pour quoi des experts sont désignés. Chaque enquête pénale est unique. Il appartient au magistrat de faire procéder aux expertises requises au moment opportun de l'enquête pénale. Il ne faut pas prévoir de règles trop strictes en la matière.
4. Échange de vues
M. Laeremans observe qu'il est souvent fait référence aux Pays-Bas. Il a l'impression qu'en matière de justice, la Belgique a des années de retard sur les Pays-Bas. C'est également le cas, entre autres, pour la mesure de la charge de travail, la formation des magistrats, etc.
En ce qui concerne l'accréditation, l'intervenant aimerait savoir où en est déjà la Belgique sur ce point. Existe-t-il une norme internationale ?
En ce qui concerne l'INCC, il semble assez logique qu'il devienne la cheville ouvrière du soutien à l'expertise judiciaire. L'intervenant aimerait toutefois en savoir plus sur l'institution proprement dite; combien de personnes emploie-t-elle, à combien s'élève son budget actuel ? Qu'adviendra-t-il si l'INCC devient le centre d'expertise auxquels les magistrats recourent systématiquement ? Quelles en seront les implications en matière budgétaire et en termes de main-d'œuvre ? Y a-t-il des alternatives ? D'autres pays font-ils par exemple appel à des établissements privés indépendants ?
En ce qui concerne l'accréditation internationale, M. De Kinder cite la norme ISO 17025, appliquée dans le monde entier. Cette norme est appliquée par des bureaux d'accréditation, comme BELAC en Belgique et le « Raad voor accreditatie » (Conseil d'accréditation) aux Pays-Bas. Chaque pays a donc ses propres bureaux d'accréditation, mais ces derniers collaborent aussi entre eux et se reconnaissent mutuellement. Un laboratoire reconnu par le Conseil néerlandais d'accréditation sera également reconnu en Belgique. C'est un élément important, car il y a de plus en plus d'infractions transfrontalières et de pièces à conviction à analyser.
La Belgique impose déjà à tous les laboratoires qui effectuent des analyses ADN de disposer de cette accréditation; actuellement, neuf laboratoires sont agréés. C'est la seule obligation en vigueur pour le moment. Toutefois, l'on dénombre également plusieurs laboratoires universitaires et sociétés privées qui ont choisi délibérément d'obtenir cette accréditation. L'intervenant se réjouit d'une telle démarche, qui montre qu'un grand nombre d'experts souhaitent investir dans la qualité de la prestation de services.
Actuellement, l'INCC emploie cent cinquante personnes et dispose d'un budget de 4,3 millions d'euros. C'est entre autres nettement moins que l'institut néerlandais de médecine légale, qui emploie plus de cinq cents personnes et dispose, pour ses frais de personnel, d'un budget sept fois plus élevé.
Il y a bien entendu des différences fondamentales entre ces deux pays sur le plan de l'organisation de l'expertise. Aux Pays-Bas, la quasi-totalité des expertises passent par l'institut de médecine légale, tandis qu'en Belgique, le marché est caractérisé par une multitude d'acteurs proposant des prestations de médecine légale, en l'occurrence des laboratoires universitaires, des personnes privées, des entreprises, l'INCC et la police fédérale.
En Allemagne, presque toutes les expertises sont réalisées par les LKA et par le BKA. Au Royaume-Uni, l'on retrouve l'exemple typique d'un marché concurrentiel. La situation de la France est très proche de celle de la Belgique. Les pays du Nord connaissent généralement un laboratoire central de médecine légale, qui fait partie soit de la police, soit de la Justice, ou qui occupe une place indépendante comme l'INCC.
L'intervenant ne préconise pas de recourir à l'INCC en tant que laboratoire central et prestataire public unique. En effet, un marché concurrentiel offre également de nombreux avantages. Il est important de pouvoir consulter plusieurs partenaires et d'opter ainsi pour le meilleur service. De nombreuses expertises doivent être pratiquées dans l'urgence et il est donc capital d'avoir une offre étendue à sa disposition. Mais il est excessif de disposer, comme c'est le cas en Belgique, de neuf laboratoires. Cela crée des problèmes d'automatisation, de capacité et d'offre de services au prix le plus bas possible. Il faudrait trouver un juste milieu.
Mme Faes se demande s'il faut que la réglementation relative au statut des experts s'applique également aux interprètes.
L'intervenante se réfère ensuite aux normes ISO. Est-il indiqué de prévoir une norme scientifique spécifique pour l'expertise médicolégale ?
L'intervenante aimerait connaître la durée approximative de la procédure d'accréditation. En quoi consiste exactement son volet administratif ? L'accréditation pourrait-elle également être un facteur susceptible de retarder la Justice ?
À la première question, M. Renard répond qu'il sera difficile d'exclure toutes les interprètes de ce statut. Bien qu'il soit malaisé de trouver le dénominateur commun à toutes ces professions, il faudra élaborer un statut à partir des compétences communes à toutes professions, avec bien sûr des règles particulières pour certains domaines comme celui des interprètes.
M. De Kinder renvoie au registre néerlandais des experts judiciaires. Ici aussi, il est fait preuve d'une certaine souplesse. Dans certaines circonstances, le juge-commissaire peut décider de ne pas se conformer à la liste établie et désigner quand même un autre expert. Il est toutefois tenu de motiver cette désignation.
En ce qui concerne les normes, l'intervenant confirme qu'en matière d'expertise légale, il n'y a pas de norme ISO spécifique. Pour les laboratoires d'essais, on applique la norme générale ISO 17025. L'intervenant pense néanmoins que l'on finira par adopter une norme spécifique pour l'expertise légale, même s'il faudra sans doute attendre encore dix à quinze ans. La norme ISO 17025 est une norme générale et il est exact que pour l'expertise légale, il peut y avoir des documents complémentaires à utiliser. Tout récemment, le Comité européen de normalisation a pris également une initiative en vue d'instaurer une norme spécifique régissant certains aspects de l'expertise légale. On songe, par exemple, aux modalités de conservation des pièces à conviction. L'utilisation des banques de données en matière d'expertise légale mériterait, elle aussi, qu'on lui accorde davantage d'attention.
En ce qui concerne la durée de la procédure d'accréditation, l'intervenant répond qu'il s'écoule environ six mois entre l'introduction de la demande auprès de BELAC et la réalisation d'un audit. Ce délai est relatif étant donné qu'il y aussi l'accréditation à préparer. Or, c'est précisément cette phase de préparation qui est administrativement la plus lourde dans toute la procédure. Il faut en effet que l'instance puisse attester de sa compétence sous toutes ses facettes, documenter sa méthode de travail et valider ses techniques. Il est donc difficile de dire combien de temps dure cette phase de préparation.
On dit que la Justice travaille lentement et qu'elle accuse du retard dans ses paiements, mais l'intervenant indique que cela n'est dû en rien à la procédure d'accréditation.
M. Vastersavendts renvoie à l'intervention du juge d'instruction qui a précisé que l'expert qu'il désigne est contredit quasi systématiquement par l'expert désigné ultérieurement par le prévenu. C'est une situation que l'intervenant connaît également. Si l'on veut court-circuiter cette discussion qui doit, le cas échéant, être menée devant le juge du fond, on devrait, selon lui, réfléchir à l'opportunité de conférer un caractère plus contradictoire à la procédure, comme cela se fait en matière civile, notamment dans les procédures de liquidation-partage.
L'intervenant est conscient du fait qu'en accentuant le caractère contradictoire de la procédure, on risque de compliquer un tant soit peu la phase de l'instruction. Mais cela se traduira a posteriori par un gain de temps. La solution serait peut-être de désigner d'emblée un collège d'experts. Un expert pourrait alors être désigné par le juge d'instruction et un autre le serait par la partie qui pourrait y avoir intérêt. Un troisième expert pourrait alors être désigné, d'un commun accord, par ces deux experts. De par son caractère contradictoire, la procédure pourrait contribuer à une bonne administration de la justice, plus particulièrement sur le plan de la recherche de la vérité et du jugement.
M. Lavens confirme que l'instauration du principe de la contradiction dans l'expertise en matière pénale pourrait être bénéfique à terme. Si la procédure de l'enquête pénale pourrait certes s'allonger quelque peu, la procédure au fond s'en trouvera, quant à elle, raccourcie. L'intervenant n'est donc absolument pas opposé à l'introduction du principe de la contradiction dans l'expertise si cela présente un intérêt manifeste. Dans le cadre de l'enquête comptable par exemple, le juge d'instruction reçoit généralement un contre-rapport. Le juge n'est évidemment pas obligé de procéder à la désignation d'un collège. Si le magistrat désigne un expert, c'est uniquement dans le but d'oeuvrer à la recherche de la vérité.
M. Vastersavendts dit avoir eu connaissance de cas où le juge d'instruction savait parfaitement dans quelle direction il voulait aller (par exemple, l'internement ou le renvoi) et a désigné l'expert dans cette optique précise.
M. Lavens maintient que le juge d'instruction a exclusivement pour mission de découvrir la vérité; il se peut qu'il ait pris l'habitude de désigner tel ou tel expert. L'intervenant pense que l'intégration, au sein d'un collège, d'un expert désigné par l'une des parties serait une manière quelque peu curieuse de procéder. Le rôle des parties n'est pas d'oeuvrer à la recherche de la vérité, contrairement à ce qui est le cas pour le juge d'instruction. L'intervenant pense que cette manière de procéder pourrait nuire gravement à l'indépendance de l'expertise. Les parties peuvent certes apporter leur contribution et faire part de leurs observations; c'est d'ailleurs ce qui se passe dans la pratique. Il arrive que les parties puissent prendre connaissance de l'expertise dès la phase de l'instruction, moyennant l'accord du parquet. Elles transmettent alors leurs observations au juge d'instruction qui, à son tour, les communique à l'expert. Le problème à cet égard est qu'en général, l'expert s'en tiendra à son rapport.
Mais ce n'est pas toujours le cas; l'intervenant lui-même en a fait l'expérience. Il arrive en effet que l'expert revienne sur ses conclusions. L'intervenant pense qu'il faudrait appliquer plus largement le principe de l'opposabilité, sans arriver pour autant à ce que l'expert désigné par les parties doive aussi, en fait, être désigné par le juge d'instruction. On serait alors confronté à un conflit d'intérêts majeur.
M. Renard précise que si on met en place un système par lequel l'INCC désignerait l'expert, le problème évoqué n'existerait plus. Le magistrat ne désignera plus l'expert en fonction du résultat qu'il souhaite obtenir.
M. Lavens ne partage pas cette analyse.
C. Audition du 5 décembre 2012
1. Exposé du professeur Werner Jacobs, Centrum voor Gerechtelijke Geneeskunde, UZA (Centre anversois de médecine légale)
Le professeur Jacobs précise que son point de vue concerne avant tout les experts judiciaires dits « médecins légistes », bien que nombre de ses remarques s'appliquent également aux disciplines médicolégales directement apparentées, telles que la psychiatrie, la toxicologie et l'analyse ADN médicolégale.
Ses observations sont principalement des réflexions personnelles qu'il formule après vingt ans de carrière comme expert judiciaire en matière pénale. Bien qu'il n'ait lui-même aucun mandat formel dans d'autres catégories professionnelles d'experts judiciaires, comme les psychiatres, les toxicologues et les experts en ADN, l'intervenant estime que les nombreuses discussions qu'il a eues avec ces derniers sur la problématique des experts judiciaires lui permettent d'affirmer que son analyse en la matière reflète aussi, pour une grande part, leurs aspirations.
Les observations du professeur Jacobs sur le statut des experts judiciaires seront limitées aux experts judiciaires qui exercent en matière pénale, parce qu'il s'agit à la fois de son domaine de compétence principal et du groupe cible qui rencontre les problèmes les plus criants.
Le débat relatif à la compétence et aux normes de qualité des experts qui travaillent pour la Justice est évidemment très pertinent si l'on repense au temps, pas si lointain, où il suffisait d'être en bons termes avec le magistrat pour pouvoir, en fin de compte, être désigné comme expert, dès lors que ce magistrat avait toute liberté pour désigner son expert. L'intervenant renvoie à cet égard au Code d'instruction criminelle, dont l'article 43 dispose: « Le procureur du Roi se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou du délit. »
Et l'on ne parle même pas ici de médecins ni, a fortiori, de médecins légistes. Il n'empêche que ces dix à quinze dernières années, les magistrats ont tout de même eu tendance à faire appel de plus en plus souvent à des experts dont la compétence était manifeste, du fait soit de leur expérience professionnelle, soit d'une formation ou d'un recyclage dans leur domaine spécifique d'expertise.
L'intervenant souligne qu'il y a eu, ces dix dernières années, d'importantes tentatives en vue de moderniser une médecine légale belge qui n'avait plus beaucoup évolué depuis le XIXe siècle. L'on peut affirmer que la Belgique a formé de bons médecins légistes en 2012, gráce notamment aux critères de formation fixés aussi bien par le SPF Justice que par le SPF Santé publique. Un certain nombre de centres médicolégaux de notre pays sont en mesure d'offrir une médecine légale de qualité, à la pointe de la modernité. Malheureusement, il n'en va pas encore ainsi sur l'ensemble du territoire, même si notre pays a consenti d'importants efforts, au cours des dernières années, pour professionnaliser la médecine légale et les disciplines médicolégales apparentées.
Mais des difficultés subsistent en ce qui concerne l'expertise judiciaire en général, et la médecine légale en particulier.
Force est de constater, en 2012, que la Justice dispose à peine des moyens financiers nécessaires pour effectuer des expertises judiciaires de qualité. Les experts judiciaires en matière pénale ont déjà exprimé leur mécontentement à plusieurs reprises, en vain. C'est à peine s'ils sont encore rémunérés pour leurs activités, à cause du manque de moyens financiers et des dysfonctionnements du service des Frais de justice. D'aucuns affirment que les coûts en matière de frais de justice ont connu une hausse exponentielle au cours des dernières années. C'est incontestable, mais selon l'intervenant, cette augmentation n'est imputable ni au coût des expertises judiciaires, ni à la rémunération des experts judiciaires.
L'intervenant souhaite profiter de l'occasion pour remettre le sujet sur le tapis. Les arriérés de paiement de deux ans ou plus sont aujourd'hui chose courante et n'ont plus rien d'exceptionnel pour les experts judiciaires, non seulement pour les experts proprement dits, mais aussi pour les interprètes, par exemple, en dépit des déclarations de la ministre, qui soutient que des efforts sont faits pour résoudre le problème. L'intervenant constate que, même si la ministre ne nie pas le problème en tant que tel, toutes les initiatives prises en la matière ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan, pour amadouer temporairement les experts judiciaires mécontents. De nombreux experts ne sont pas payés depuis des mois, voire des années; lorsqu'ils élèvent un peu le ton, on les calme un court instant par quelques versements, pour leur faire croire qu'on met tout en œuvre pour rémunérer malgré tout les experts judiciaires. Mais pour l'intervenant, ce n'est que de la poudre aux yeux.
L'intervenant déplore également le fait que certains états d'honoraires d'experts fassent encore l'objet de contestations par le service des Frais de justice deux à trois ans après le dépôt du rapport d'expertise. L'intervenant y voit une manoeuvre destinée à reléguer une nouvelle fois le paiement aux calendes grecques, en attendant la procédure de recours.
Les experts judiciaires doivent, de surcroît, endurer ce qu'on laisse entendre à leur sujet dans les médias, à savoir qu'ils seraient, d'après certains « conseillers », incompétents, qu'ils ne travailleraient pas assez rapidement, qu'ils entraveraient la bonne marche de la Justice, voire qu'ils agiraient de manière frauduleuse.
L'intervenant renvoie à cet égard à une étude récente de deux chercheurs de l'INCC (MM. Bertrand Renard et Patrick Jeuniaux) intitulée « Les coûts de l'ADN. Les dépenses en matière d'expertises génétiques dans le système pénal belge, de 2000 à 2010 ». Cette étude porte sur les laboratoires d'ADN et laisse entendre, sans la moindre preuve à l'appui, que ces laboratoires auraient effectué des opérations financières à l'aide de plusieurs comptes en banque dans le but de réaliser des montages frauduleux. Toutefois, pour que les choses soient claires, les deux chercheurs disent bien dans leur rapport qu'il n'y a jamais eu de preuve d'éventuels agissements frauduleux de la part des laboratoires. La rumeur n'en a pas moins été lancée, sans le moindre élément de preuve. Rien d'étonnant à ce que ce rapport d'étude ait été supprimé du site Internet de l'INCC à la suite des protestations émises par les laboratoires d'ADN. Le but de la suppression était soi-disant de préserver la sérénité du débat et ce, alors que ces chercheurs n'ont jamais prouvé leurs allégations ni, a fortiori, nuancé ou retiré celles-ci.
Régulièrement aussi, on laisse entendre que les expertises prendraient trop de temps parce que les experts ne remettraient pas leurs rapports dans les délais. L'intervenant ne nie pas que certains experts déposent leur rapport tardivement, mais ce que l'on ne peut ou que l'on n'ose pas dire à l'évidence, c'est que cela peut être dû aux exigences déraisonnables des magistrats et/ou des avocats.
Force est donc de constater que les experts sont payés désespérément tard pour les prestations qu'ils effectuent, sauf à considérer qu'il est normal que le paiement des factures intervienne plus de deux à trois ans après le dépôt du rapport, que ces factures fassent encore l'objet de contestations après ce délai de la part du service des Frais de justice, ou que les tarifs appliqués pour rétribuer les prestations des experts soient des tarifs de misère à côté de ceux qui sont pratiqués dans les pays voisins.
La manière désobligeante dont les experts sont présentés dans les médias et les rumeurs au sujet de prétendues pratiques frauduleuses ont pour conséquence qu'il est de plus en plus difficile de persuader les experts judiciaires de continuer à exercer leur métier et, a fortiori, de convaincre des jeunes à s'engager dans cette voie.
Le professeur Jacobs ne trouve pas normal que ces experts judiciaires dont la Justice a besoin, en particulier les médecins légistes, doivent être financés par les organisations professionnelles elles-mêmes. L'intervenant explique qu'il avait un jour demandé au SPF Justice s'il était disposé à financer la formation de cinq ans d'un médecin spécialiste en médecine légale. On a lui répondu laconiquement que la formation des médecins ne relève pas de la Justice et qu'il devait s'adresser au SPF Santé publique.
Lorsqu'il a posé la même question au SPF Santé publique, on lui a répondu de manière tout aussi laconique que les médecins légistes ne relèvent pas du SPF Santé publique parce qu'ils travaillent pour le SPF Justice et qu'il devait donc s'adresser à ce dernier. Le résultat de tout ceci est qu'aujourd'hui encore, les jeunes qui veulent suivre une formation d'expert judiciaire, en particulier dans le domaine de la médecine légale, doivent la payer de leur poche. En d'autres termes, ce sont les experts judiciaires eux-mêmes qui doivent répondre aux besoins de la Justice et les financer.
Il ne faut dès lors pas s'étonner qu'à l'heure actuelle, il y ait davantage d'experts en médecine légale qui renoncent à l'exercice de la profession que de candidats désireux d'exercer celle-ci. Il n'y a plus guère de jeunes qui veulent s'engager dans cette voie. L'intervenant estime dès lors que les questions liées aux critères de qualité ou à l'établissement de listes d'experts compétents ne sont pas prioritaires.
L'élaboration de critères de qualité et de listes d'experts n'est pas vraiment la première priorité du SPF Justice, actuellement. L'intervenant pense que la grande priorité du moment, pour le SPF, est de veiller à conserver les rares experts judiciaires qui sont encore disposés à travailler pour la Justice et qui possèdent encore une grande compétence.
Les psychiatres judiciaires ont déjà renoncé en grand nombre; si demain, deux ou trois médecins légistes devaient encore arrêter de travailler pour la Justice — et cette hypothèse n'a rien d'irréaliste —, le professeur Jacobs craint la disparition pure et simple d'une médecine légale de qualité dans ce pays, ce qui nous obligerait à en revenir à une médecine légale digne du XIXe siècle, où l'on verrait un médecin généraliste, proche d'un magistrat et non dépourvu de certaines connaissances en la matière, tenter de résoudre les problèmes de la Justice par « hobby ».
Le professeur Jacobs regrette tout autant le rôle très ambigu, pour ne pas dire inélégant, joué dans cette discussion par l'Institut national de criminalistique et de criminologie, dont la táche est de conseiller la ministre de la Justice. Il faut savoir, au demeurant, que les chercheurs et les collaborateurs de l'INCC nous rappellent régulièrement que les experts judiciaires indépendants sont incompétents, alors que force est de constater que l'INCC lui-même ne parvient pour ainsi dire pas à fournir des services d'expertise judiciaire adéquats et fonctionnels aux magistrats requérants, malgré le financement dont il bénéficie de la part de la Justice.
L'intervenant ne peut que constater que l'INCC a, au cours des dernières années, consacré plus d'énergie à se mettre en valeur par des opérations de relations publiques qu'à rendre opérationnelles ses missions fondamentales. Le professeur Jacobs pense par exemple à la présentation dans les médias d'un labo mobile, une camionnette qui permettrait aux collaborateurs de l'INCC de se rendre directement sur les lieux d'un délit pour y effectuer immédiatement un examen d'empreintes pour la police et les magistrats. Ce fut une belle publicité, selon le professeur Jacobs, mais à l'époque, tout expert judiciaire qui prenait son travail au sérieux et qui pouvait parler de son métier en connaissance de cause n'avait pu s'empêcher de froncer les sourcils. Il est en effet impossible de réaliser une analyse d'empreintes sans risque de contamination dans une camionnette stationnée sur les lieux du délit.
Le professeur Jacobs conclut en affirmant que le problème ne se situe pas, actuellement, au niveau de la compétence et de l'accréditation. En 2012, il s'agit surtout de juguler l'hémorragie qui menace au sein du petit groupe d'experts judiciaires encore disposés aujourd'hui à travailler pour le SPF Justice, malgré les conditions de travail particulièrement déplorables. L'intervenant estime que, pour l'heure, la première chose à faire pour garantir l'avenir de l'expertise judiciaire est de mettre en place une forme de « damage control » en vue de conserver les rares experts véritablement compétents qui travaillent encore pour la Justice actuellement, et ce en leur accordant les moyens et la rémunération correspondant au travail qu'ils effectuent dans des circonstances souvent difficiles. Toute autre discussion, notamment celle portant sur les normes de qualité, mérite assurément d'être menée, mais pas avant que la crise actuelle ait à tout le moins été jugulée. En effet, s'il ne reste plus guère d'experts, toute discussion relative à l'établissement de listes d'experts perdra toute sa pertinence.
2. Exposé de M. Paul Cosyns, professeur émérite en psychiatrie, UZA
M. Cosyns souligne que le problème pour les experts psychiatres en matière pénale est analogue, dans une certaine mesure, à celui des experts en médecine légale, mais qu'il est aussi différent et même pire, d'un certain point de vue.
La grande différence réside dans le fait qu'en matière pénale, on doit se prononcer sur la responsabilité de l'inculpé ou du prévenu et vérifier dans quelle mesure la loi sur l'internement s'applique ou non. Il ne s'agit donc pas tant d'une estimation de dommage, matière pour laquelle des formations peuvent être suivies. Le problème de la responsabilité est en réalité un problème moral, et non un problème médical en soi. Il y a déjà une discussion concernant les questions qui peuvent être posées à un expert. Personne n'est satisfait de la manière dont la loi sur l'internement est appliquée. Une nouvelle loi a été publiée au Moniteur belge le 27 avril 2007, mais elle n'a jamais été applicable en ce qui concerne l'exécution de l'internement, ce dont l'intervenant se réjouit d'ailleurs. De janvier 2007 à ce jour, cette loi de 2007 a été rectifiée à plusieurs reprises, mais ces dispositions réparatrices ne sont toujours pas d'application. L'intervenant évoque la question de la reconnaissance, par le ministre compétent, des psychiatres pouvant agir en qualité d'experts en matière pénale. Par ailleurs, il est également prévu qu'un modèle de rapport sera défini par arrêté royal, ce qui témoigne d'un souci d'amélioration de la qualité, notamment par le biais de l'accréditation obligatoire des experts par le ministre compétent (le ministre de la Santé publique, selon le texte initial) et du contrôle de la qualité du rapport, rendu possible par le modèle imposé. L'intervenant se réfère au système appliqué dans d'autres pays disposant d'une commission centrale des psychiatres, qui peuvent lire tous les rapports et formuler des remarques. La loi de 2007 est et reste manifestement en « réparation ».
Quels sont les problèmes fondamentaux en matière d'expertise psychiatrique pénale, en particulier en ce qui concerne l'internement ?
Un très grand problème se pose tout d'abord en termes de formation. Aucune formation n'est prévue. Vu l'absence de psychiatres légistes dans les facultés de médecine, aucune formation n'est dispensée dans cette branche. De même, aucune recherche n'est effectuée en la matière. Il en résulte que cette branche de la médecine ne se développe pas. Une évolution favorable s'esquisse néanmoins depuis quelques mois: une personne a été nommée en psychiatrie légale à l'Université d'Anvers (UA), tout au moins pour un petit pourcentage de son horaire, à savoir 10 %. L'UA n'en demeure pas moins la seule faculté de médecine du pays à organiser cette formation pour le moment. La plupart des psychiatres n'ont donc jamais entendu parler de psychiatrie légale au cours de leur formation ni effectué la moindre expertise. Il n'est dès lors guère étonnant que le psychiatre qui se lance ensuite dans une expertise ne soit pas des plus performants. L'intervenant plaide depuis des années pour que la psychiatrie légale soit reconnue comme une sous-discipline de la psychiatrie. Le titre devrait être reconnu; des critères seraient ainsi fixés et une formation prévue.
Vu son intérêt personnel pour la psychiatrie légale, l'intervenant a déjà formé par le passé des assistants à l'expertise au sein de l'hôpital universitaire d'Anvers (UZA). Malheureusement, les honoraires restent scandaleusement bas. Le service de l'intervenant au sein de l'UZA a dû allonger lui-même des fonds pour permettre à des assistants d'effectuer une expertise. C'est le monde à l'envers !
Un expert dans une affaire pénale reçoit un montant forfaitaire. Dans les gros dossiers, il en arrive à travailler à un tarif horaire scandaleusement bas. L'intervenant cite l'exemple de l'affaire Pandy, dans laquelle il a travaillé pour 2 euros de l'heure.
Le salaire horaire moyen pour une expertise psychiatrique est tellement bas qu'on préfère ne pas commencer une telle expertise ou la boucler rapidement. Il en résulte par ailleurs que les personnes qui réalisent effectivement des expertises psychiatriques le font à la chaîne et se montrent créatives dans l'établissement de leurs notes d'honoraires (par exemple, concertation avec le psychologue, consultation du dossier, etc.).
Heureusement, le service des affaires pénitentiaires s'est aussi souvent montré disposé à rémunérer l'assistant pour qu'il se familiarise avec le travail sur place. On remarque que les assistants en psychiatrie qui ont travaillé un an en psychiatrie légale pendant leur formation continuent par la suite à exercer dans le domaine de la justice et des établissements pénitentiaires. L'expérience est donc positive puisque les assistants sont motivés à travailler dans ce domaine passionnant. Les honoraires ne sont pas simplement médiocres, mais quasi inexistants. Parfois, cela ne vaut même pas la peine d'établir une note.
Des améliorations doivent donc être apportées en ce qui concerne la formation et les honoraires.
Afin d'améliorer la qualité, il faudrait également s'atteler à la création du Centre pénitentiaire de recherche et d'observation clinique (CPROC) que l'on réclame de longue date. Ce centre a été créé sur papier, dans un arrêté royal de 1999, mais n'a jamais vu le jour en pratique. On en trouve même la trace dans le budget de la Justice. La réalisation d'une expertise dans un dossier complexe suppose que l'intéressé puisse être mis en observation et faire l'objet d'un examen approfondi pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois.
L'intervenant cite l'exemple de l'affaire De Gelder. Comment peut-on condamner de la sorte une personne après quelques courtes visites ? La loi prévoit donc la possibilité d'une mise en observation, mais il n'existe aucun lieu permettant de le faire. Cela serait pourtant vraiment nécessaire et serait d'une grande utilité à l'administration pénitentiaire dans les cas particulièrement délicats (tels que celui de Farid le Fou).
C'est une bonne chose que la loi de 2007 et les lois de réparation prévoient que le ministre compétent dresse un registre des médecins qui réalisent des expertises et fixera des critères à respecter à cet égard. Le modèle de rapport est également un élément positif. Il en va de même de la possibilité de réaliser une expertise multidisciplinaire. Une équipe composée d'un psychiatre et d'un psychologue, tous deux axés sur la discipline forensique, est une piste intéressante. Cela se fait déjà dans la pratique, mais n'est pas prévu dans la loi. Il serait utile de prévoir la possibilité de désigner un collège permanent pour réaliser l'expertise.
La loi de réparation comprend des points sur lesquels l'intervenant ne peut marquer son accord, par exemple en ce qui concerne le statut de l'expert.
3. Exposé de M. Jean-François Marot, président du tribunal de première instance de Huy
M. Marot confirme que depuis longtemps déjà l'ensemble de la magistrature constate des difficultés en matière d'expertise judiciaire. Outre des difficultés liées à l'incompétence de certains experts ou aux délais dans lesquels certains rapports d'experts sont déposés, l'intervenant dénonce surtout l'archaïsme du système actuel qui n'est ni objectif ni transparent, que ce soit en termes de désignation d'experts, d'admission sur des listes ou d'évaluation de leur travail.
Partant de ce constat, une réflexion a donc été menée au sein de la conférence des présidents des tribunaux de première instance du ressort de la cour d'appel de Liège. Cette conférence a décidé de centraliser toutes les listes d'experts existantes au sein des différents tribunaux du ressort (neuf arrondissements):
— l'ensemble des listes réceptionnées ont été fusionnées afin de créer une liste unique de neuf cents experts;
— un courrier ainsi qu'une fiche signalétique ont été adressés à ces neuf cents experts en les invitant à reprendre sur ladite fiche leurs coordonnées, leur formation scolaire et universitaire, leur formation en expertise judiciaire, leur expérience professionnelle, le nombre de désignations en qualité d'expert judicaire avec indication des juridictions dans lesquelles ils ont été désignés, leur qualification actuelle, leur éventuelle fonction de conseiller technique exercée à titre accessoire pour compte de compagnies d'assurances ou d'administrations afin d'éviter un éventuel conflit d'intérêts, le domaine dans lequel la spécialisation est sollicitée, le barème horaire pratiqué, l'assujettissement ou non à la TVA, l'accord de l'expert sur la procédure d'expertise simplifiée, leur disponibilité, leur accord quant à une désignation en matière pénale et l'arrondissement pour lequel l'inscription est demandée;
— après examen de toutes les fiches signalétiques reçues, seules trois cents fiches signalétiques ont été sélectionnées. Elles composent actuellement la seule liste en vigueur dans le ressort de la cour d'appel de Liège qui reprend l'ensemble des coordonnées des experts, leur discipline, l'arrondissement judiciaire dans lequel l'expert a choisi de travailler et son barème horaire;
— cette liste a été communiquée à tous les présidents des tribunaux du ressort avec invitation à la communiquer à tous les magistrats du ressort.
Quant à la procédure visant à admettre de nouveaux experts et à contrôler le travail des experts déjà admis, celle-ci est actuellement prévue par un règlement. Ce règlement prévoit la création d'une commission en charge de la « gestion » des listes. La commission est composée d'un représentant par tribunal de première instance, soit neuf magistrats au total. Cette gestion recouvre d'une part l'admission des nouveaux experts et, d'autre part, l'évaluation des expertises en cours.
L'admission
Les conditions minimales sont les suivantes: l'enquête de moralité, une expérience professionnelle d'au moins cinq ans dans la spécialité de l'expert et la réussite d'une formation spécifique en droit judiciaire pour ceux qui n'en disposent pas encore.
La commission en charge de l'admission de nouveaux experts est composée de trois magistrats, d'un professeur de droit judiciaire et d'un expert concerné par la matière de l'expert. Un entretien a lieu avec le candidat en question afin de vérifier ses compétences professionnelles mais aussi, et c'est important, ses connaissances de la procédure judiciaire. En effet, dans de nombreux cas, le candidat ignore même le principe du contradictoire de l'expertise judiciaire. Dans ce cas, il est invité à suivre une formation en expertise judiciaire. Depuis la mise en place de la commission en 2011, trente-cinq candidats ont été auditionnés. Seuls quinze candidats ont été retenus. La commission rend des décisions motivées qui sont notifiées aux candidats.
M. Marot souligne toutefois que dans la mesure où la liste finale n'est pas officielle, chaque magistrat peut toujours continuer à désigner une personne ne figurant pas sur ladite liste. Cependant, la commission indiquera au candidat qu'elle estime recommander au magistrat du ressort de ne pas le désigner.
Enfin, l'intervenant signale que si cette commission devait être pérennisée, il conviendrait de prévoir pour les professeurs qui siègent dans cette commission un jeton de présence ou à tout le moins une indemnisation de leurs frais de déplacement.
Évaluation
Pour l'évaluation des experts figurant déjà sur la liste, c'est la commission plénière (neuf magistrats) qui est compétente. Afin toutefois de donner une certaine légitimité à cette démarche, il a été demandé aux présidents des tribunaux de faire remonter les problèmes rencontrés avec des experts par le truchement des assemblées générales annuelles. Les difficultés peuvent concerner des dépassements de délais dans le dépôt du rapport d'expertise ou des honoraires exagérés. Dans ce cas, les experts sont invités à venir s'expliquer devant la commission.
M. Marot estime que si cette pratique devait être généralisée à l'ensemble des ressorts, il y aurait déjà un progrès notable dans l'objectivation de la désignation des experts.
Sur la question des honoraires, l'intervenant souligne également qu'en matière civile, il existe également de grandes disparités dans les tarifs pratiqués par les experts. Des médecins demandent par exemple 250 euros par heure alors que des ingénieurs civils ne réclament que 150 euros par heure. Aussi, des représentants de ces professions ont donc aussi été invités à éclairer la commission sur les barèmes pratiqués dans un secteur particulier. Mais pour la commission, il s'agit toujours d'agir en concertation et non pas en confrontation.
Pour l'avenir, M. Marot estime que l'établissement de listes est recommandable mais que celles-ci devraient se limiter au ressort de la cour d'appel. Une liste nationale, dans l'hypothèse où le magistrat se verrait imposer l'obligation de désigner un expert figurant sur ladite liste, créerait le risque d'aboutir à la désignation d'un expert dont le juge n'a jamais entendu parler et qui réside à 120 km. À son avis, les magistrats devraient participer à l'élaboration desdites listes au même titre que les associations professionnelles. Pour ces dernières, le problème de leur représentativité se posera toutefois car il existe différentes associations professionnelles.
Pour le surplus, la pratique développée dans le ressort de la cour d'appel de Liège est une des pistes dont pourrait s'inspirer le législateur. Mais ladite liste pourrait aussi être élaborée par l'assemblée générale des cours d'appel sur la base de renseignements mis à sa disposition avec éventuellement le concours d'associations professionnelles. Enfin, l'intervenant signale l'existence d'une pratique similaire au sein du ressort de la cour d'appel d'Anvers.
4. Échange de vues
Mme Talhaoui demande quelle est la proportion exacte entre le recours à l'Institut national, qui dispose manifestement de ses propres experts, et le recours à des spécialistes, inscrits ou non sur une liste. Il y a visiblement des tensions entre les deux systèmes. Les deux premiers intervenants peuvent-ils adhérer à l'exposé de M. Marot ?
L'intervenant observe également qu'en matière d'honoraires, il y a des différences entre l'expertise en droit civil et l'expertise en droit pénal. Quelle en est la cause et comment éliminer de telles discriminations ?
M. Laeremans remercie tous les intervenants dont les exposés courageux dépassent les craintes les plus folles. De toute évidence, les experts sont bien mal lotis, tant en nombre qu'en rémunération.
L'intervenant est interloqué par les déclarations du professeur Cosyns à propos des manquements dans le secteur de la psychiatrie légale. Le professeur Cosyns semble également dénoncer l'insuffisance de formation dans ce secteur. Est-ce bien la réalité ? Comment prépare-t-on alors l'ouverture de deux nouveaux centres pénitentiaires à Anvers et à Gand ? Si l'on veut pouvoir disposer d'un personnel psychiatrique suffisant, tant en termes de médecins qu'en termes d'infirmiers, il convient que ceux-ci soient formés à temps. L'intervenant a déjà introduit plusieurs demandes d'explications à ce sujet et dans leurs réponses, les ministres de la Justice de l'époque ont toujours laissé entendre que cette formation était en préparation, du moins pour ce qui concerne les infirmiers. Mais était-ce vraiment le cas ? Faudra-t-il recruter le personnel de ces institutions aux Pays-Bas ?
L'intervenant aimerait aussi en savoir plus sur le fonctionnement des experts aux Pays-Bas. Possèdent-ils l'expérience requise ? Y a-t-il là-bas surabondance de personnes qualifiées ? L'intervenant ne le pense pas, de sorte qu'il ne faudra pas compter sur nos voisins du Nord pour remplir le cadre nécessaire pour Anvers et Gand.
L'intervenant demande aussi quels sont les budgets à prévoir pour pouvoir disposer de suffisamment d'experts en matière pénale et pour couvrir les frais de mise en route et de fonctionnement des institutions précitées.
M. Vastersavendts renvoie à l'exposé de M. Cosyns en ce qu'il a fait référence à plusieurs affaires dans le domaine de la psychiatrie légale, dont la presse s'est fait l'écho. Il est vrai que le tribunal désigne des experts judiciaires afin de déterminer la responsabilité ou non de l'auteur, et qu'il est fréquent qu'une contre-expertise aboutisse à des conclusions diamétralement opposées. M. Cosyns propose que dans de telles affaires, le tribunal désigne d'emblée un collège d'experts. Comment entrevoit-il la chose ? Comment le collège sera-t-il constitué ? L'intéressé pourra-t-il proposer son propre expert et le juge d'instruction le sien ? Le troisième expert sera-t-il désigné conjointement par ces personnes ?
En ce qui concerne les disparités en matière d'honoraires, le professeur Jacobs répond que les honoraires en matière pénale sont publiés chaque année. Le tarif horaire est de 55 euros pour un universitaire, 65 euros pour un médecin spécialisé en médecine légale et 84 euros pour un professeur d'université. Ces tarifs ne sont pas négociables, ils sont à prendre ou à laisser. Chez nos voisins, les honoraires cités de l'ordre de 150 à 200 euros par heure sont monnaie courante, y compris en matière civile, où les tarifs sont libres.
Pour ce qui est de la proportion de recours à l'INCC, l'intervenant souligne que cet institut aimerait devenir l'institution belge de référence en matière d'expertise légale. Mais l'ambition ne rime pas nécessairement avec la capacité. Il est impensable qu'une institution qui se veut l'autorité de référence en matière d'expertise légale ne soit disponible que du lundi au vendredi, de neuf heures à seize heures; en effet, la majorité des crimes et des faits criminels sont commis en dehors de ces heures. Il n'est pas non plus acceptable que des personnes qui relèvent d'un statut protégé acquièrent d'office la qualité d'expert alors que des confrères qui ont des années d'expérience sont qualifiés d'incompétents. L'INCC a incontestablement un rôle à jouer en la matière étant donné qu'il est l'interlocuteur direct du ministre. De ce fait, il n'a même pas à se préoccuper de ce qu'en pensent les autres acteurs. L'intervenant estime donc qu'au cours des dernières années, l'institut a plutôt privilégié les relations publiques que les compétences opérationnelles.
Le professeur Cosyns n'a aucune objection en ce qui concerne le fonctionnement de l'INCC, qui ne s'occupe d'ailleurs pas de psychiatrie. L'intervenant a même collaboré avec l'INCC dans le cadre d'un projet.
Concernant la formation en psychiatrie légale, l'intervenant confirme qu'il est effectivement directeur du centre médicolégal universitaire de l' UZ Antwerpen. Une dotation accordée par la ministre de la Justice est prévue pour cette fonction thérapeutique, dont le rôle est de traiter les délinquants sexuels vivant au sein de la société, après leur peine de prison ou leur condamnation. Ce centre est un cas unique parmi les hôpitaux universitaires en Belgique; aucun autre hôpital universitaire n'est doté d'un service de consultation légale.
Deux centres de psychiatrie légale sont en effet prévus, respectivement à Gand et à Anvers. La construction du centre de Gand, d'une capacité de deux cent septante places, a déjà commencé. À Anvers, les problèmes avec le maître d'ouvrage concernant la vue et la sécurité du bátiment sont résolus. Ce centre devrait accueillir cent quatre-vingt personnes. Quoi qu'il en soit, les deux centres verront le jour. Les budgets pour leur construction ont d'ailleurs déjà été prévus par la ministre Onkelinx, même si le coût final dépassera les prévisions.
L'intervenant indique que les deux centres totalisent quatre cent cinquante places alors que plus de mille personnes incarcérées se trouvent actuellement sur une liste d'attente. Le problème ne sera donc pas résolu.
Il est dramatique que l'on ne sache toujours pas, à l'heure actuelle, comment ces centres seront exploités et par qui. Pour l'intervenant, c'est un véritable scandale. Il y a déjà des ASBL, à Gand et à Anvers, qui sont disposées à exploiter les centres, mais elles ne peuvent pas se faire connaître car le cahier des charges n'est pas encore connu. Il faut éviter de prêter le flanc à d'éventuels reproches de confusions d'intérêts. On se trouve donc dans une impasse, et il faut que la ministre publie d'urgence le cahier des charges. L'intervenant part du principe que les centres fonctionneront comme un hôpital et non comme une prison dispensant des soins supplémentaires. Toutefois, on ne dispose encore d'aucune garantie sur papier. Si les choses durent si longtemps, c'est notamment parce que, dans l'hypothèse où les deux centres fonctionneraient comme un hôpital, l'INAMI devra intervenir. Les paiements seront effectués par le biais de l'INAMI, qui a d'ailleurs déjà effectué les calculs nécessaires et est donc prêt. Ce projet nécessite de gros moyens financiers, mais il est réalisable si l'on considère l'ensemble des budgets de l'INAMI. L'intervenant demande aux politiques de prévoir également une évaluation et un accompagnement scientifiques du projet dans les budgets. L'intervenant estime qu'il faut mettre en place une commission scientifique chargée de suivre le projet et de veiller à ce que les objectifs fixés soient atteints.
Il est vrai qu'une ouverture du centre à très court terme entraînerait aussi une fermeture rapide, étant donné qu'il n'y a pas de personnel disponible actuellement. L'intervenant demande dès lors que les modalités de la sous-traitance soient clarifiées, afin que les mesures nécessaires puissent être prises. Un module spécial de formation en psychiatrie légale a déjà été lancé cette année, en collaboration avec l'université et les hautes écoles de Gand. L'organisation de ce cycle est clairement une préparation à l'ouverture du centre. Une initiative analogue est également en cours à Anvers; il s'agit d'une formation en sciences du comportement légales.
L'intervenant craint que de nombreux psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux actuellement actifs dans les prisons ne demandent leur mutation dans les centres de psychiatrie. Il craint donc, en quelque sorte, une fuite de cette expertise des prisons vers les centres de psychiatrie.
Concernant la comparaison avec les Pays-Bas, l'intervenant évoque les cliniques de psychiatrie légale (tbs-klinieken) qui existent dans ce pays. Il y a manifestement eu une mauvaise estimation, car il y a de nombreux lits inoccupés, tant dans les prisons que dans les cliniques de psychiatrie légale. La situation aux Pays-Bas est donc riche d'enseignements, notamment pour voir ce qu'il ne faut pas faire. Pour le traitement des psychopathes, par exemple, les Pays-Bas dépensent 15 000 anciens francs belges, ce qui, selon l'intervenant, n'est qu'un emplátre sur une jambe de bois. Il serait préférable que l'argent disponible pour nos centres soit consacré au traitement adéquat des schizophrènes, des délinquants sexuels, etc. On peut s'inspirer de ce que font les Pays-Bas, mais il ne faut pas les copier. Le système des cliniques de psychiatrie légale (TBS) aux Pays-Bas est d'ailleurs remis en cause. Les magistrats recommandent de moins en moins ce système, ce qui explique aussi en partie le départ massif des experts.
Mme Talhaoui demande plus de précisions sur les ASBL qui sont susceptibles d'exploiter les centres de psychiatrie légale à Gand et à Anvers.
Le professeur Cosyns confirme que deux ASBL sont candidates pour exploiter ces centres de psychiatrie légale. Ces ASBL regroupent les structures psychiatriques provinciales de Gand et d'Anvers. Tous les acteurs en soins psychiatriques se sont donc réunis au sein d'une plateforme pour exploiter les centres en question. Les ASBL ont vu leurs statuts publiés au Moniteur belge, mais elles doivent maintenant patienter car les conditions d'exploitation de ces centres ne sont pas encore connues. Elles ne peuvent donc prendre aucune initiative pour le moment.
Selon l'intervenant, on a parfois l'impression à la Justice, en ce qui concerne les collèges d'experts, que la désignation de trois psychiatres multipliera par trois la qualité du rapport or ce n'est pas le cas. L'intervenant voit néanmoins d'un bon oeil la possibilité de créer une « équipe » qui serait composée d'un expert dirigeant, prestataire de soins-psychiatre, assisté d'un psychologue ou d'un autre intervenant. La plupart des psychiatres travaillent d'ailleurs en collaboration avec un psychologue, du moins en matière pénale. L'intervenant ne voit aucune objection à ce que cette équipe soit directement désignée comme telle par le juge.
M. Vastersavendts revient sur la problématique de l'expert désigné dont le rapport est ensuite contredit par une contre-expertise. La psychiatrie n'est pas une science exacte, mais l'on est trop souvent confronté en matière pénale, à Louvain par exemple, à des rapports d'expertise diamétralement opposés selon qu'ils ont été rédigés par tel ou tel psychiatre. Quel expert le magistrat doit-il croire dans ce cas ?
Si l'on désigne un collège d'experts, les trois psychiatres doivent, en tout état de cause, présenter un rapport unique. La garantie du contradictoire au sein du collège permet d'éviter toutes sortes d'ennuis par la suite. Il est important, singulièrement en matière pénale, de garantir un degré élevé de sécurité juridique. Si des rapports d'expertise sont contradictoires, sur la question de la responsabilité par exemple, il en restera toujours quelque chose dans l'opinion publique.
Le professeur Cosyns observe qu'une première question porte sur la valeur qualitative d'une expertise. En Norvège, par exemple, il existe une commission centrale qui peut vérifier, dans toutes les expertises psychiatriques, si la décision est suffisamment étayée.
Une deuxième question concerne la responsabilité de l'auteur des faits. La responsabilité est un concept dimensionnel. Notre droit pénal a ceci de particulier qu'il prévoit que l'on est réputé soit responsable, soit irresponsable des actes commis. En Belgique, soit on est interné, et il n'est pas question d'une peine, soit on est puni. Des personnes atteintes d'un trouble mental sévère, qui pourraient être responsables pour une petite partie, sont internées. Aux Pays-Bas, il y a par exemple cinq degrés de responsabilité et le juge peut combiner la mesure « TBS » au prononcé d'une peine. Les magistrats du groupe de travail qui s'est penché sur la modification de la loi relative à l'internement n'étaient visiblement pas favorables à la possibilité de combiner peine et traitement. À titre personnel, l'intervenant trouve lui aussi déplacé de considérer que le traitement constitue, pour ainsi dire, une modalité d'exécution de la peine.
M. Vastersavendts maintient qu'il est important que le magistrat, à qui il appartient de se prononcer, puisse recevoir un rapport d'expertise univoque. Le contradictoire est alors garanti au stade même de l'expertise et ne doit donc plus avoir lieu devant le magistrat. L'intervenant renvoie à l'expertise judiciaire en matière civile.
Le professeur Jacobs estime qu'il ne faut pas surestimer la contre-expertise. Un contre-expert n'intervient que lorsque les conclusions du premier rapport d'expertise ne conviennent pas à l'une des parties.
Si l'on veut garantir le contradictoire au stade même de l'expertise, il faut au moins doubler, voire tripler les délais.
Il n'est pas normal que l'on réclame soudainement une contre-expertise deux semaines avant le procès d'assises, alors que le rapport d'expertise est déjà disponible depuis deux ou trois ans. Une des manœuvres stratégiques utilisées par de nombreux avocats consiste à ne demander cette contre-expertise qu'au dernier moment.
Le professeur Cosyns souligne que l'instruction en matière pénale est, par tradition, inquisitoire et qu'elle n'est donc pas contradictoire. La tendance est à l'instauration du contradictoire. Un article a d'ailleurs été inséré en ce sens dans les propositions de loi de réparation de la loi de 2007. Cet article prévoit que les experts désignés par le juge d'instruction doivent communiquer leurs conclusions à l'avocat du prévenu avant de déposer leur rapport. L'avocat peut alors répondre à bref délai et les experts doivent tenir compte de cette réponse et la mentionner dans leur rapport. Il s'agit, en quelque sorte, d'une forme de contradictoire. Il n'est pas envisageable, en revanche, d'instaurer en matière pénale la même forme de contradictoire qu'en matière civile.
D'ailleurs, il se peut aussi qu'un des membres du collège de trois experts ne soit pas d'accord.
M. Marot rappelle qu'en matière civile le juge du fond doit taxer les honoraires et reste donc compétent pour assurer un certain contrôle en cas de contestations d'honoraires d'experts. Pour l'expertise pénale, elle reste au stade de l'instruction non contradictoire dans l'état actuel du droit mais dans les dossiers les plus compliqués, il est fréquent que les juges du fond désignent des collèges d'experts afin d'asseoir, mieux encore, l'autorité de l'expertise par rapport à l'avis d'un autre conseiller technique. Cette collégialité existe d'ailleurs souvent en matière de responsabilité médicale. Ceci étant, l'avis de l'expert judiciaire ne restera qu'un avis pour le juge du fond qui devra toujours rencontrer les objections du conseiller technique qui sera présenté par la défense et ce jusqu'à la fin du procès. En matière pénale, il est difficile de rendre l'expertise contradictoire très tôt dans la procédure.
Le professeur Cosyns renvoie au système qui existe dans d'autres pays et qui prévoit que le rapport du collège est soumis aussi au juge d'instruction requérant. En Belgique, les experts travaillent en solitaire, sans aucun contact avec le monde extérieur et coupés de toute réalité juridique. Dans certains pays, il serait d'usage que l'expert et le magistrat requérant se concertent afin de s'assurer que l'expertise est bien conforme à la réalité juridique. L'intervenant indique qu'il ne dispose d'aucune expérience en la matière, mais qu'il se peut bien que ce système soit efficace.
M. Vastersavendts pense que le principe de la contradiction ne s'applique pas à l'analyse d'empreintes proprement dite, qui est un constat objectif, mais qu'il vaut pour l'interprétation des données générées par cette analyse.
D. Audition du 16 janvier 2013
1. Exposé de MM. Carl De Ridder, président de la Chambre belge des experts chargés de missions judiciaires et d'arbitrages (CEJA) et Joris Rycken, président de la commission Parquet de la CEJA
La Chambre belge des experts chargés de missions judiciaires et d'arbitrages (CEJA-KGSO) est une association pluridisciplinaire d'experts judiciaires. Il s'agit d'une ASBL dotée de statuts, d'un règlement d'ordre intérieur et d'un code de déontologie, et qui est composée d'une commission d'Admission, d'une commission de Déontologie (Conseil disciplinaire) et d'une commission Parquet.
La CEJA édite une revue trimestrielle, organise chaque mois des sessions de formation permanente qui portent sur des aspects tant professionnels que juridiques, et a instauré un système de points. Elle tient à jour une liste bisannuelle de ses membres, qui comporte une mention séparée des experts de parquet et des arbitres.
La CEJA et FEBEX, la fédération dont elle fait partie, plaident en faveur de l'instauration d'un statut pour l'expert et soutiennent pleinement la proposition de loi de Mme Sonja Becq, députée, et celle que M. Rik Torfs, sénateur, vient de déposer dans le but d'instaurer un registre national des experts judiciaires.
La CEJA entretient des contacts réguliers avec les cours, les tribunaux et les parquets de Bruxelles, d'Anvers, de Gand, de Termonde et de Liège. Elle prend part à des initiatives qui visent à promouvoir la collaboration entre les experts et les tribunaux. C'est ainsi qu'elle a participé au projet du service Suivi des experts du tribunal de première instance d'Anvers, récemment couronné par le prix européen « Balance de cristal ».
En ce qui concerne la problématique du statut de l'expert en matière pénale, qui est actuellement en discussion, et à la suite de la note de travail de Mme Faes, à laquelle la CEJA adhère d'ailleurs pleinement, M. De Ridder souhaiterait formuler les propositions suivantes:
— tous les experts judiciaires ne sont pas des experts en matière pénale ou des experts de parquet; en revanche, tout expert en matière pénale doit être un expert judiciaire reconnu. La CEJA propose dès lors que sur la liste officielle des experts judiciaires à établir, on ajoute une mention séparée à côté du nom des experts reconnus comme experts en matière pénale;
— il faudrait adapter et compléter les dispositions du Code pénal en vue d'intégrer l'expertise, comme on l'a fait pour le Code judiciaire (articles 962 à 991);
— il y aurait lieu d'insérer, dans le Code pénal, une disposition prévoyant qu'il doit pouvoir être procédé sereinement au relevé des constatations et que celles-ci peuvent éventuellement être soumises au prévenu, lors d'une confrontation en présence d'un officier de police chargé de dresser le procès-verbal. On pourrait ainsi appliquer le principe du contradictoire avant même que l'expert ne remette son rapport. M. Rycken souligne que dans le cadre de ses missions, il a toujours pris la peine d'entendre le prévenu ou des témoins, une fois le relevé des constatations terminé et avant la remise de son rapport. Cette confrontation sous la forme d'une audition en présence des services de police, préalablement au dépôt du rapport, a ceci d'avantageux qu'il est encore possible de modifier ce rapport si besoin est;
— il faudrait veiller aussi à définir les missions de manière plus précise: les termes sont parfois trop vagues. Il faudrait que le juge d'instruction et l'expert spécialisé puissent se concerter préalablement afin de définir la mission avec toute la précision requise. Le magistrat demeure avant tout un juriste et peut difficilement être un spécialiste dans toutes les matières. C'est un grand problème dans la pratique car cela a pour conséquence que l'expert se voit attribuer une mission trop générale;
— il existe, entre les différents arrondissements judiciaires, une différence culturelle majeure en ce qui concerne la collaboration entre l'expert et le juge d'instruction, les parquets et les services de police. La mise en place de l'une ou l'autre forme de concertation intermédiaire serait bénéfique à cet égard;
— la CEJA est favorable à l'instauration d'un contrôle des experts, mais la question est de savoir par qui il sera exercé;
— il faut absolument revoir les barèmes d'honoraires si l'on veut conserver des experts compétents en matière pénale. Il arrive que les honoraires en matière pénale soient inférieurs de moitié à ceux qui sont appliqués en matière civile;
— la CEJA a eu à cet égard des contacts constructifs avec le service des Frais de justice du SPF Justice, au cours desquels il fut question du dépôt des états d'honoraires et de frais et de leur gestion par la Commission des Frais de Justice;
— en ce qui concerne le suivi des expertises de longue durée, comme les expertises comptables dans le domaine financier par exemple, la CEJA propose d'imposer à l'expert l'obligation de remettre chaque mois un rapport de prestations au juge d'instruction, ce qui permettrait à ce dernier de suivre l'état d'avancement du travail de l'expert, de voir combien de temps celui-ci consacre au dossier et de savoir ce qu'il fait exactement;
— un expert compétent répond aux exigences fixées par l'association agréée; celles-ci portent sur l'expérience professionnelle, la pratique de l'expertise, la formation permanente sur le plan juridique et professionnel, la formation spécialisée et continue dans les universités et les instituts reconnus. Cela exige quand même de sa part un investissement de tous les instants.
2. Exposé de M. Bart De Smet, substitut du procureur général près la cour d'appel d'Anvers
Réglementation obsolète en matière d'expertise
L'intervenant souligne qu'aujourd'hui, la désignation d'un expert est très problématique. Le Code date de 1808 et a donc été écrit à une période où l'on partait du principe qu'il était possible de procéder à un maximum de constats de flagrant délit. On a donc développé une réglementation approfondie autour de la notion du flagrant délit (articles 30 à 46 du Code d'instruction criminelle), bien que les cas de flagrant de délit revêtent un caractère très exceptionnel. La disposition relative à la désignation de l'expert figure curieusement parmi les articles relatifs aux cas de flagrant délit, articles qui ont été formulés à la lumière des prérogatives du procureur du Roi.
Le Code ne dit mot de la compétence du juge d'instruction, de la chambre des mises en accusation ou de la juridiction de jugement de désigner des experts. C'est là une sérieuse lacune, d'autant que l'article 12 de la Constitution dispose que chacun a le droit d'être jugé — surtout en matière pénale — selon des règles clairement définies. Il est donc urgent de prévoir une disposition en vue d'adapter la compétence relative à la désignation d'un expert.
L'intervenant signale d'ailleurs qu'il a publié un livre à ce sujet en 2001, intitulé Deskundigenonderzoek in strafzaken.
L'éditeur ne lui a pas encore demandé d'actualiser l'ouvrage puisqu'aucun changement législatif n'est intervenu depuis 2001, à quelques adaptations près (cf. article 509quater du Code pénal). La jurisprudence non plus n'a pas subi de grands changements.
Problématique de la contradiction
La contradiction dans l'expertise est un élément essentiel en matière pénale car nombreux sont les avocats qui s'en remettent sur ce point à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'absence de contradiction est susceptible de constituer une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Telle est la conclusion que la Cour européenne des droits de l'homme a tirée dans l'arrêt « Mantovanelli c/ France ». Il peut y avoir des problèmes au regard des droits de la défense lorsqu'un prévenu est reconnu coupable sur la base de preuves reposant exclusivement sur l'expertise. Pour que le prévenu puisse bénéficier d'un procès équitable, il faut lui donner la possibilité, en pareil cas, de se saisir des conclusions de l'expert. Il faut appliquer le principe du contradictoire durant la phase de l'expertise.
L'article 2 du Code judiciaire prévoit que les règles énoncées dans ce Code s'appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes du droit dont l'application n'est pas compatible avec celles des dispositions du Code judiciaire. Autrement dit, la question qui se pose est de savoir si les dispositions du Code judiciaire, et partant, les dispositions relatives à l'expertise, doivent être appliquées en matière pénale.
L'article 2 du Code judiciaire comporte toutefois une exception lorsque les principes du Code judiciaire sont incompatibles avec la structure inquisitoire du procès pénal. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de procéder à cette « transplantation » de règles et ce sont les règles spécifiques de la procédure pénale qui sont d'application.
Cette problématique est très complexe; la preuve en est que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour de cassation se contredisent sur ce point.
Ainsi, dans son arrêt du 30 avril 1997, la Cour d'arbitrage a estimé qu'il existe une différence de traitement entre les parties selon qu'elles comparaissent devant une juridiction civile ou devant une juridiction pénale en ce que l'obligation de respecter les règles du contradictoire dans le déroulement de l'expertise ordonnée par le juge ne vaut que devant les juridictions civiles. Il se peut que la différence de traitement repose sur un critère objectif, mais il n'en reste pas moins que la Cour ne voit aucune justification raisonnable à cette différence. La partie civile qui défend sa cause devant le juge pénal a en effet les mêmes intérêts que la partie civile qui comparaît devant le tribunal civil après la procédure pénale. Il y a violation du principe d'égalité si seule cette dernière peut bénéficier d'une expertise contradictoire. On incite donc la juridiction de jugement à appliquer tous les articles du Code judiciaire à l'expertise en matière pénale.
La Cour de cassation a estimé, pour sa part, dans un arrêt du 8 février 2000 que pour les expertises ordonnées par la juridiction de jugement en matière pénale, qui sont pertinentes tant pour l'action pénale que pour l'action civile, seules deux dispositions sont applicables. Elles concernent la participation aux opérations effectuées par l'expert et le contradictoire limité en ce qui concerne le premier rapport de l'expert (articles 973 et 978 du Code judiciaire). Mais il faut donc qu'une partie civile soit présente. Pour le reste, on admet que l'expertise est confidentielle et qu'elle ne se déroule pas selon les règles du contradictoire.
Dans la pratique, cela crée une certaine confusion, ainsi que M. Rycken l'a indiqué. Il est difficile pour le juge de définir la mission de l'expert dans certaines affaires pénales, par exemple dans le domaine financier. En pareil cas, il faut déjà disposer soi-même de connaissances préalables très étendues en comptabilité pour être capable de définir avec exactitude les contours d'une mission. On résout le problème en conviant l'expert à un entretien préalable et en donnant aux parties la possibilité de formuler des observations durant la phase de l'expertise.
Le Sénat a créé un cadre concernant le caractère contradictoire de l'expertise en matière pénale, lors de la discussion relative au « grand Franchimont ». Ce caractère contradictoire de l'expertise est réglé dans les articles 98 et 208 du projet de loi, qui prévoient que les expertises sont en principe contradictoires, même si le magistrat instructeur peut autoriser des dérogations, par décision motivée.
Le « grand Franchimont » a mis en avant deux points qui rejoignent la jurisprudence de la Cour de cassation. Premièrement, la garantie de pouvoir assister aux opérations de l'expert. Deuxièmement, la garantie du droit de formuler, en tant que partie, des observations au sujet du premier rapport de l'expert. Les parties ont donc le temps de formuler des observations et l'expert est tenu de les mentionner et d'y répondre dans son rapport final.
L'intervenant s'interroge toutefois quant à la première garantie. Comment appliquer cette mesure dans des affaires qui nécessitent des expertises en laboratoire ? Les parties et leur conseil pourront-ils y accéder sans autre formalité ?
La même observation vaut pour les analyses corporelles ou pour les expertises comptables. Le conseil d'une partie sera-t-il constamment présent aux côtés de l'expert pour contrôler les pièces que ce dernier consulte ?
L'on peut partir du principe que toutes les dispositions du Code judiciaire ne peuvent pas être appliquées telles quelles en matière pénale (par exemple la disposition relative à la conciliation par l'expert).
Compétence d'établissement d'une liste d'experts
M. De Smet confirme qu'il existe un consensus au sujet de la nécessité d'établir des normes de qualité en ce qui concerne les experts. L'intervenant constate une fois de plus une lacune dans la réglementation actuelle.
L'article 43 du Code d'instruction criminelle dispose: « Le Procureur du Roi se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes présumées, par leur art ou profession, capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou du délit. »
L'article 44 prévoit également que « s'il s'agit d'une mort violente ou d'une mort dont la cause soit inconnue et suspecte, le procureur du Roi se fera assister d'un ou de deux médecins qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l'état du cadavre ».
Ces articles ne traitent d'aucune autre forme d'expertise.
Qui est expert ? En matière pénale, l'expert est la personne qui est considérée comme tel par le magistrat instructeur. Celui-ci a donc tout le loisir de choisir une personne et de qualifier cette dernière d'expert judiciaire.
Par souci d'uniformité et de qualité de l'expertise, il semble opportun d'organiser tout de même un contrôle de qualité minimum. L'intervenant souscrit à l'avis du Conseil supérieur de la Justice sur le statut et la qualité des experts, qui plaide en faveur de normes et d'agréments des experts, fondés sur les connaissances pratiques et théoriques de ceux-ci.
Qui est le plus à même de délivrer de tels certificats aux experts ?
De nombreuses listes sont actuellement tenues au niveau des arrondissements. Mais des listes qui sont tenues par des parquets éveillent toujours chez les parties civiles et les prévenus le sentiment que les experts sont reconnus en fonction du résultat (c'est-à-dire que ce sont surtout les experts qui apportent des éléments à charge qui sont considérés comme compétents par les parquets et qui peuvent rester sur cette liste). Il est donc souhaitable de ne plus confier cette compétence à des magistrats du parquet mais à la magistrature assise, comme c'est le cas en France. C'était d'ailleurs ce que prévoyait l'ancien article 991 du Code judiciaire: « Les cours et tribunaux peuvent établir des listes d'experts selon les règles fixées par le Roi. »
Cet article a été abrogé par la loi du 15 mai 2007. Se pose maintenant la question de savoir si les listes doivent être organisées par ressort ou par arrondissement.
Vu la réforme actuelle annoncée par la ministre de la Justice, l'intervenant est d'avis qu'il s'indique de tenir ces listes par ressort. L'on pourrait élaborer un système dans lequel les cours d'appel se chargeraient de l'établissement des listes.
Une autre possibilité serait de donner un rôle plus important à l'INCC et d'établir des critères pour le recrutement d'experts. Le professeur Van de Voorde vient aussi avec une proposition, dans son article: « De positie van de deskundige vandaag », dans Van pionier naar onmisbaar. Over dertig jaar Panopticon paru en 2009.
Une dernière possibilité consisterait à prévoir un système national d'agrément, qui habiliterait les associations professionnelles à délivrer les agréments. Ce système est appliqué aux Pays-Bas, où il existe un registre national d'experts judiciaires (subdivisé par type d'expertise).
Pour le surplus, l'intervenant renvoie à un article du professeur Hans Nijboer, « De wet deskundige in strafzaken », paru dans Van pionier naar onmisbaar. Over dertig jaar Panopticon.
M. De Smet pense que la reconnaissance du statut de l'expert judiciaire est une bonne chose. Il faut en finir avec le principe qui veut que tout magistrat peut désigner qui bon lui semble en qualité d'expert judiciaire. Les affaires pénales d'envergure ont tendance à se multiplier et elles sont importantes non seulement pour la société mais aussi pour les victimes et les prévenus. Il est du droit de chaque partie de pouvoir compter sur une expertise objective.
L'intervenant plaide aussi pour que l'on dispense des formations sur la procédure pénale. Il faudrait imposer à chaque candidat-expert l'obligation de suivre une formation en ce qui concerne les modalités de l'expertise en matière pénale. Il s'agit, en effet, d'une matière où les écueils sont nombreux: il faut tenir compte des règles relatives à la législation linguistique, à la prestation de serment, à la rédaction du rapport, à la contradiction ou encore à la cession.
Aujourd'hui encore, l'expert est la personne de confiance du magistrat. Il est donc désigné personnellement par le magistrat instructeur. Le magistrat n'est donc pas autorisé à désigner un laboratoire mais doit nommer, dans son ordonnance, l'expert attaché à ce laboratoire. L'expert ne peut pas déléguer sa mission à un autre expert sans l'accord du juge, sous peine de voir son rapport déclaré nul. Il ne peut le faire que s'il constate qu'il ne dispose pas lui-même de la compétence requise pour accomplir toutes les táches de l'expertise. Dans ce cas, il peut se mettre à la recherche d'un autre expert.
Indemnités des experts
Au nom de son chef de corps, le procureur général Liegeois, M. De Smet souhaite attirer l'attention sur un problème à régler d'urgence, à savoir celui de la faiblesse des tarifs pour les indemnités des experts en matière pénale. Il y a actuellement plusieurs experts éminents qui menacent de mettre un terme à leur activité en raison du montant peu élevé des indemnités et du retard dans les paiements. Si cela devait se produire, la qualité des procédures pénales en pátirait gravement. Les délits graves sont commis le plus souvent le week-end ou pendant la nuit. Il faut donc pouvoir compter sur des experts qui soient disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme les services du professeur Van de Voorde de la KULeuven ou du professeur Jacobs de l'UIA.
Un arrêté royal du 27 avril 2007 (Moniteur belge du 25 mai 2007) fixait de nouveaux tarifs pour les experts. Il a été annulé par l'arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 2008. Il en résulte que pour les indemnités des experts, il faut encore se référer à l'arrêté royal du 28 décembre 1950. Jusqu'à présent, les barèmes de 1950 ont simplement été indexés.
Dans ces circonstances, le procureur général d'Anvers envisage d'invoquer l'article 66 de l'arrêté royal du 28 décembre 1950, qui dispose ce qui suit:
« Art. 66. — Lorsque l'instruction d'une procédure exige des dépenses extraordinaires et non prévues par le présent règlement, elles ne peuvent être faites qu'avec l'autorisation soit des procureurs généraux près les cours d'appel, (...), soit avec l'autorisation des présidents des Cours d'assises, dans le cas où ceux-ci agissent en vertu de leur pouvoir discrétionnaire. »
Il s'agit certes d'une disposition que la Commission des frais de justice accepte rarement parce que la liste tarifaire de 1950 constitue la base de la rémunération des experts. L'article 66 doit rester une exception.
L'intervenant préconise un mouvement de rattrapage sur ce point. Il rappelle à la commission que les frais de l'expertise en matière pénale ne doivent pas nécessairement être supportés par l'État belge. L'article 162 du Code d'instruction criminelle énonce en effet ce qui suit:
« Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction, les condamnera aux frais, même envers la partie publique.
La partie civile qui succombera pourra être condamnée à tout ou partie des frais envers l'État et envers le prévenu. Elle sera condamnée à tous les frais exposés par l'État et par le prévenu en cas de citation directe ou lorsqu'une instruction a été ouverte suite à la constitution de partie civile. Les frais seront liquidés par le jugement. »
Une augmentation des tarifs n'a donc pas nécessairement un impact négatif sur le budget du gouvernement. L'État n'interviendra financièrement que si l'auteur n'est pas connu ou si la procédure pénale s'éteint pour cause de prescription ou par suite du décès de l'auteur.
3. Échange de vues
M. Laeremans remercie les intervenants pour leur exposé. Il dit avoir déjà posé plusieurs questions à la ministre au sujet de la rétribution des experts, mais pense que celle-ci ne mesure pas la gravité de la situation et qu'elle ne comprend pas le mécontentement profond qui règne parmi les experts. Il espère que la commission apportera sa pierre au règlement du problème.
L'intervenant demande comment la CEJA parvient à persuader les experts de suivre des cours alors que ceux-ci ne sont pas obligés de s'affilier auprès d'elle.
Quel rôle la CEJA entrevoit-elle de jouer dans un système organisé différemment ? Souhaite-t-elle un statut pour l'expert qui soit analogue à celui des huissiers ou des notaires, un Ordre comme il en existe pour les barreaux, une simple compétence consultative ou une compétence consultative doublée d'une compétence disciplinaire ?
Enfin, M. Laeremans se demande si M. De Smet pourrait prêter son concours à l'élaboration de propositions de loi futures qui seraient ensuite portées par la commission. Ce pourrait être une solution rapide.
M. De Ridder répond que la CEJA ne peut effectivement pas contraindre les milliers d'experts actuels à s'affilier auprès d'elle. Elle peut exercer un certain contrôle sur ses membres en examinant si ceux-ci suivent régulièrement les sessions de formation permanente (contrôle bisannuel pour le maintien ou non de leur statut de « membre P »).
À la cour d'appel d'Anvers, il existe un groupe de travail qui est compétent pour l'établissement d'une liste d'experts « agréés ». L'une des conditions requises pour figurer sur cette liste est de suivre les sessions de la formation permanente. Cette liste est en cours de finalisation.
La CEJA a élaboré un code de déontologie. Elle s'est dotée d'une commission de déontologie qui est compétente lorsqu'un tiers dépose plainte contre l'un de ses experts affiliés. La commission est compétente aussi en cas de différends entre les membres. C'est là tout ce qu'elle peut faire. L'obtention du titre d'expert judiciaire agréé pourrait amener les dizaines de milliers d'experts qui figurent actuellement sur les listes officielles ou officieuses des tribunaux à suivre les sessions de formation continue. La CEJA et FEBEX, la fédération dont elle fait partie, plaident depuis des années en faveur de l'instauration d'un titre d'expert et d'un titre d'expert judiciaire. La CEJA préconise toutefois une reconnaissance au niveau national.
M. de Smet indique qu'il ne peut répondre favorablement à la proposition de M. Laeremans. Il ajoute qu'il continuera toutefois à suivre de près la question des experts en matière pénale et qu'il ne manquera pas de l'évoquer au sein du collège des procureurs généraux.
En ce qui concerne la question des indemnités, l'intervenant pense que celle-ci devrait être la première priorité. Il faut s'assurer qu'il y ait encore suffisamment d'experts désireux de travailler pour la Justice. À quoi servirait un statut si l'on ne trouve plus d'experts judiciaires ? Si l'offre d'experts augmente, les fédérations professionnelles pourront alors opérer une sélection et accorder un agrément à ceux qui possèdent le plus de spécialisations et de diplômes.
L'intervenant souligne que le Conseil d'État a annulé l'arrêté royal du 27 avril 2007 pour des raisons exclusivement procédurales. Le contenu lui-même n'a pas été remis en cause. On pourrait donc instaurer des tarifs plus élevés au moyen d'un arrêté royal analogue. D'ailleurs, quand on regarde l'arrêté royal de 1950, on constate d'emblée qu'il énumère seulement les tarifs applicables aux types d'expertises qui existaient à l'époque. Dans ce texte, on ne trouvera donc rien au sujet des analyses ADN, des analyses de poussières ou de microfibres.
M. Torfs déplore que l'on parvienne à trouver des moyens pour la mise en œuvre de la législation Salduz mais pas pour cette problématique. Ne serait-il pas judicieux, s'agissant de la liste des experts, de prévoir la possibilité de désigner aussi des experts ne figurant pas sur cette liste ? Cette liste doit-elle, en d'autres termes, être exhaustive ?
L'intervenant se demande aussi dans quelle mesure le caractère intuitu personae de la désignation d'un expert doit être respecté.
M. De Smet estime que la liste doit être composée de telle sorte qu'elle comprenne des experts susceptibles de procéder à toutes les expertises possibles. Bien sûr, il y aura toujours des affaires pénales à caractère exceptionnel qui nécessiteront le recours à des experts spécifiques ne figurant pas sur la liste. Cette possibilité de faire appel à des experts extérieurs doit évidemment être maintenue dans l'intérêt de la recherche de la vérité. On pourrait prévoir une disposition « passe-partout », analogue à celle de l'article 66 de l'arrêté royal du 28 décembre 1950, afin de donner la possibilité au magistrat instructeur, avec l'autorisation ou non du ministre ou du procureur général, de nommer un expert non repris sur la liste dans une affaire pénale concrète nécessitant une expertise. Les moyens évoluent et les techniques de recherche policières gagnent en complexité sans que le Code d'instruction criminelle soit adapté à l'avenant. Il faut donc une certaine flexibilité pour accomplir un travail de qualité.
L'intervenant confirme que la désignation de l'expert revêt aujourd'hui encore un caractère intuitu personae. L'expert doit en effet être nommé par le magistrat. L'intervenant se demande toutefois pourquoi un laboratoire agréé pour les analyses d'ADN ne peut pas être repris comme tel dans l'ordonnance du juge d'instruction. En général, le magistrat instructeur a davantage confiance dans le laboratoire agréé que dans l'expert individuel qui y travaille. L'intervenant plaide dès lors pour une adaptation du caractère intuitu personae.
M. Rycken plaide en faveur de l'établissement d'une liste exhaustive d'experts agréés et de la possibilité, pour l'expert judiciaire, de désigner un autre expert lorsque des analyses très spécialisées sont requises. Ce dernier ne doit pas être lui-même un expert judiciaire, mais il travaillera sous la direction d'un expert judiciaire.
L'intervenant estime que le caractère intuitu personae ne doit pas empêcher l'expert de se faire aider par ses propres collaborateurs dans des dossiers qui demandent beaucoup de temps, comme dans les affaires pénales à caractère financier.
Enfin, l'intervenant souligne que l'arrêté royal du 28 décembre 1950 présente aussi des lacunes puisqu'il ne prévoit une indemnisation que pour des actes techniques et matériels. Tout le travail d'étude et de réflexion qui va de pair avec ces actes techniques n'est pas rétribué. Quant aux médecins légistes, il n'en est même pas fait mention.
E. Audition du 27 mars 2013
1. Audition de Mme Gerda Popleu, chef du service « Frais de justice » au SPF Justice, et de Mme Pamela Liekens, conseillère générale, direction Infrastructure et Services d'appui, SPF Justice
Mme Popleu souhaite tout d'abord donner un aperçu de la réglementation actuelle.
1.1. Réglementation
Loi-programme du 27 décembre 2006
L'article 2 de la loi-programme du 27 décembre 2006 définit et énumère les frais de justice:
— frais engendrés par toute procédure pénale (phase d'information, d'instruction et de jugement);
— frais engendrés par toute procédure dans laquelle le parquet agit d'office;
— frais engendrés par la loi du 17 mai 2006 (exécution des peines);
— frais engendrés par la loi du 1er juillet 1964 (de défense sociale);
— frais engendrés par toute procédure dans le cadre de l'assistance judiciaire (pas les avocats pro deo);
— frais engendrés par l'article 508/10 du Code judiciaire (loi du 15 juillet 2006).
Il s'agit donc d'une définition très large.
Art. 3 — Le rôle du magistrat
L'article 3 concerne la définition de la mission du prestataire de service et la fixation du délai dont il dispose, par le magistrat requérant.
Après accomplissement de la mission, le magistrat requérant vérifie la qualité de la prestation et contrôle sa conformité à la tarification (circulaire ministérielle). En cas, notamment, de retard dans l'exécution de la prestation, de sa mauvaise exécution ou de facturation exagérée par le prestataire de service, quelle que soit la nature de la mission, le magistrat peut réduire l'état de frais par décision motivée. Celle-ci prend généralement la forme d'une ordonnance.
L'ordonnance doit être transmise dans les plus brefs délais, accompagnée de toutes les pièces utiles, au service des Frais de justice, qui entame la procédure administrative de réduction sur la base de l'ordonnance prise par l'autorité requérante. Le service des Frais de justice procède donc à un acte administratif de réduction sur la base de l'ordonnance du magistrat.
Art. 4 — Procédure de mise en paiement et de réduction par le ministre
§ 1er. Après taxation, les états de frais sont mis en paiement.
Si le ministre ou son délégué approuve la réduction de l'état de frais par le magistrat, il le notifie au prestataire de service qui peut introduire le recours visé au § 2, alinéa 2.
§ 2. En cas de contestation, par le ministre de la Justice ou son délégué, d'un état de frais déjà taxé et non payé, celui-ci notifie le refus de la mise en paiement au prestataire de service.
Le service des Frais de justice a donc le droit d'encore réduire l'état de frais en deuxième ligne. C'est important dans la pratique, étant donné que le magistrat n'est pas toujours familiarisé avec cette matière. Lui seul peut cependant juger de la qualité du rapport.
L'expert judiciaire dispose d'un délai d'un mois pour introduire un recours auprès de la Commission des Frais de justice.
Art. 5 — Création de la Commission des Frais de justice (définition de la composition de la Commission et de la procédure à suivre)
Art. 6 — Mesures d'exécution
Arrêté royal des 26 avril 2007 (Commission) et 27 avril 2007 (Règlement général des frais de justice; annulé par le Conseil d'État).
Arrêté royal du 28 décembre 1950
C'est cet arrêté royal portant « règlement général sur les frais de justice en matière répressive » qui est appliqué aujourd'hui, à la suite de l'annulation de l'arrêté royal du 27 avril 2007.
Arrêté ministériel du 20 novembre 1980 (établissant le taux normal des honoraires des personnes requises en raison de leur art ou profession, en matière répressive)
Cet arrêté pris en exécution de l'arrêté royal de 1950 est donc également d'application. Les montants qu'il contient n'étant plus d'actualité, une solution intermédiaire a été trouvée gráce à des circulaires ministérielles.
Circulaires ministérielles nos 131, 131bis, 131ter et 131quater
La liste des tarifs prévus pour les indemnités en matière pénale se trouve dans l'annexe aux circulaires. Ces tarifs sont indexés annuellement.
Arrêté d'exécution relatif à la délégation de pouvoir
L'arrêté ministériel du 4 mai 2007 a accordé la délégation de pouvoir en matière de frais de justice au directeur général de l'Organisation judiciaire et au chef du service des Frais de justice:
« Article 1er. Délégation est donnée, en matière de vérification des Frais de justice et, le cas échéant, de réduction des états de frais des prestataires de services, au directeur général de l'Organisation judiciaire et au chef du service des Frais de justice qu'il désigne. »
1.2. Procédure en matière de frais de justice
La procédure prévoit trois étapes distinctes: la réquisition (verbale ou écrite) par le magistrat ou la police; l'indemnisation et l'état de frais; la budgétisation par le service Frais de justice.
Procédure en matière de paiement des frais de justice à effectuer par le SPF Justice :
— les experts déposent auprès du magistrat requérant leur rapport d'expertise, accompagné de leur état de frais établi conformément aux tarifs en vigueur et d'une copie du réquisitoire;
— l'administration du magistrat requérant vérifie si toutes les pièces à contrôler sont présentes. Si ce n'est pas le cas, l'expert sera contacté pour fournir les pièces manquantes;
— l'autorité requérante applique ensuite l'article 3 de la loi-programme (contrôle de la qualité du rapport); les états de frais sont examinés à la lumière de la tarification prévue par la circulaire ministérielle nº 131;
— le magistrat a ensuite le choix entre deux options: soit la budgétisation de l'état de frais, soit une réduction par le biais d'une ordonnance motivée;
— les états de créance approuvés et les ordonnances de réduction motivées sont envoyées le mois suivant au service Frais de justice du SPF Justice;
— avant de procéder au paiement, le service Frais de justice vérifie encore une fois si les états de frais sont corrects et si toutes les pièces requises sont présentes;
— si toutes les pièces requises ne sont pas présentes, le dossier est renvoyé au magistrat (et pas directement à l'expert);
— si la budgétisation est correcte et que toutes les pièces requises sont présentes, l'état de frais est mis en paiement;
— l'acte de réduction est porté à la connaissance de l'expert (par lettre recommandée) et du magistrat requérant (par courriel). L'ordonnance de réduction du magistrat est également notifiée à l'expert;
— à compter de la réception de l'acte administratif, l'expert judiciaire dispose d'un délai d'un mois pour introduire un recours auprès de la Commission des frais de justice;
— même si le magistrat n'a pas transmis d'ordonnance de réduction, le service Frais de justice peut, en deuxième instance, prendre l'initiative d'un acte administratif de réduction (application de l'article 4, § 2, de la loi du 27 décembre 2006). Le montant non contesté est mis en paiement. Mme Popleu souligne que son service a une vue d'ensemble de tous les arrondissements et peut ainsi estimer le coût « normal » d'un dossier. Son service dispose donc d'un ensemble d'éléments de comparaison, mais en cas de contestation, il contacte de toute façon le magistrat pour lui poser toutes les questions utiles concernant le dossier. Contrairement à la Commission des frais de justice, le service Frais de justice ne possède aucune copie du dossier répressif;
— l'acte de réduction est porté à la connaissance de l'expert et du magistrat requérant;
— à compter de la réception de l'acte administratif, l'expert judiciaire dispose d'un délai d'un mois pour introduire un recours auprès de la Commission des frais de justice.
La Commission des frais de justice
La Commission des frais de justice est une juridiction administrative qui a été créée par la loi-programme (II) du 27 décembre 2006 et dont le fonctionnement est réglé par l'arrêté royal du 26 avril 2007. Cette Commission connaît des recours dirigés contre les décisions relatives au montant des frais de justice.
Après réception du recours, le secrétaire inscrit le dossier au rôle et le soumet au président en vue de la désignation d'un rapporteur. La désignation d'un rapporteur peut aussi être déléguée au secrétaire. Ce rapporteur est chargé de l'examen préalable du dossier.
Le recours est également porté à la connaissance de la partie adverse, à savoir le SPF Justice (service Frais de justice), qui dispose de trente jours à dater de la réception de la lettre de la Commission pour présenter ses observations éventuelles.
La procédure est essentiellement écrite, mais les parties peuvent aussi être entendues verbalement en leurs observations. Cette procédure est entièrement gratuite pour l'expert.
Finalement, le dossier est examiné et la Commission prend une décision. Celle-ci est portée à la connaissance du prestataire de services. Elle n'est pas susceptible d'appel, mais peut seulement faire l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'État.
Réductions effectuées en 2010
En 2010, 951 ordonnances de réduction ont été prises. 602 recours ont été introduits auprès de la Commission des frais de justice et celle-ci a rendu 501 décisions finales:
— 36 non recevable;
— 222 non fondé;
— 194 partiellement fondé;
— 49 fondé (le service Frais de justice a donc été mis dans son tort).
Réductions effectuées en 2011
En 2011, 438 ordonnances de réduction ont été prises. 211 recours ont été introduits auprès de la Commission des frais de justice et celle-ci a rendu 290 décisions finales:
— 8 non recevable;
— 69 non fondé;
— 194 partiellement fondé;
— 19 fondé.
Réductions effectuées en 2012
En 2012, 511 ordonnances de réduction ont été prises (sur un total de plus ou moins 60 000 dossiers). 196 recours ont été introduits auprès de la Commission des frais de justice et celle-ci a rendu 208 décisions finales:
— 14 non recevable;
— 24 non fondé;
— 145 partiellement fondé;
— 25 fondé.
Les décisions de la Commission sont importantes car elles ont valeur de directive pour le service Frais de justice. Une jurisprudence peut ainsi voir le jour.
2. Échange de vues
Un membre demande ce qu'il faut entendre par « fondé ». Est-ce le dossier ou le recours qui est déclaré fondé ?
Mme Popleu répond qu'il s'agit en l'espèce du recours.
L'intervenante souligne que l'on a instauré la possibilité de former un recours dans une matière qui n'est pas encore très connue et au sujet de laquelle le service des Frais de justice dispose de peu d'informations. Dès lors, si le recours est déclaré fondé, cela donne une indication au service. Pour le reste, les experts sont peu nombreux (cinq environ) à avoir introduit un recours en cassation auprès du Conseil d'État.
L'expert est informé aussi très rapidement de la décision de sorte qu'il a la possibilité d'interpeller également d'autres instances, comme l'administration de la TVA. Il a en effet payé la TVA sur la base d'une facture qui a été réduite entre-temps.
Un autre membre constate que le nombre de décisions de diminution est faible par rapport au nombre total d'états d'honoraires déposés par les experts judiciaires. Quel est en moyenne le temps nécessaire pour payer les experts ? Quels sont les impératifs en la matière ?
Mme Popleu répond que l'état de frais « disparaît » parfois dans le dossier pénal et qu'il suit donc tout le parcours du dossier pénal. Il importe donc que le greffe retire l'état de frais du dossier pénal car si l'expert ne demande pas à être payé, personne ne remarquera qu'un état de frais n'a pas été payé. Aujourd'hui, cela reste cependant l'exception.
Il faut aussi tenir compte du fait que les états de créance approuvés ne sont envoyés que le mois suivant au service Frais de justice du SPF Justice. L'absence de pièce(s) fait aussi obstacle à la mise en paiement.
Une fois que la facture a été mise en paiement, il appartient au SPF Justice d'effectuer le versement. Mais comme le SPF travaille avec des douzièmes provisoires, les crédits sont épuisés pour l'instant.
Mme Faes demande si le nombre de réductions tient aussi compte de celles effectuées par ordonnance du magistrat. Mme Popleu répond que les chiffres contiennent toutes les réductions (ordonnance et acte administratif).
L'intervenante souligne qu'il est important de sensibiliser les magistrats et le personnel des greffes à la problématique des frais de justice.
Mme Popleu répond que cela se fait déjà. Plusieurs « roadshows » sont organisés chaque année dans plusieurs arrondissements. Mais il est vrai que cette formation n'est pas obligatoire.
En revanche, les magistrats de référence « frais de justice » sont presque obligés d'être présents étant donné qu'ils sont les premiers points de contact. Ils appellent d'ailleurs aussi souvent le service Frais de justice en cas de problème. Le service essaie alors de trouver une solution pourvu que les moyens financiers soient disponibles.
L'acte administratif de réduction doit aussi être motivé. C'est la raison pour laquelle l'ordonnance est envoyée d'abord au service Frais de justice et pas directement à l'expert.
Mme Faes relève qu'il subsiste encore un nombre important de recours « partiellement fondés ».
Mme Popleu répond qu'avant que la commission se soit prononcée sur un dossier déterminé, un expert a parfois déjà rentré des dizaines d'états de frais de la même manière. S'il obtient (en partie) gain de cause dans le premier dossier, cela s'applique aussi à tous les autres.
À la question de Mme Faes, Mme Liekens répond que les statistiques ne peuvent pas être ventilées par région.
Un membre demande des précisions quant au pourcentage des frais de justice effectivement récupérés par l'État à charge de la partie condamnée.
Mme Liekens précise que ces frais sont récupérés par le service public fédéral Finances et non par le service public fédéral Justice de sorte qu'il lui est difficile de répondre à cette question. Par ailleurs, il semblerait que le service public fédéral Finances n'opère pas de distinction entre les amendes pénales et les frais de justice.
II.3. CONSTATS
A. Absence de statut légal
En Belgique, tout le monde peut en principe devenir expert judiciaire. Il suffit d'être désigné comme tel par un magistrat. Exception faite de certaines situations, il n'existe actuellement aucun critère. Le statut d'expert judiciaire n'est donc pas réglé par la loi.
Il n'existe aucune réglementation légale non plus en ce qui concerne le mode de désignation et le fonctionnement des experts judiciaires en matière pénale, sauf le cas — exceptionnel — de flagrant délit (articles 43 et 44 du Code d'instruction criminelle). Selon la Cour de cassation, la réglementation en matière civile (articles 962 à 991bis du Code judiciaire) ne trouve pas non plus à s'appliquer, à l'exception des articles 973 et 978 (participation aux opérations effectuées par l'expert et contradictoire limité en ce qui concerne le premier rapport de l'expert).
Les Pays-Bas ont connu une situation similaire, jusqu'à ce qu'ils adoptent la loi du 22 janvier 2009, laquelle instaure une réglementation légale relative aux experts en matière pénale, établit un registre des experts et met sur pied une évaluation de l'ensemble du système. Au cours des auditions du groupe de travail, on a souligné les avantages de ce registre d'experts, mais aussi la nécessité de veiller à ne pas s'enfermer dans une procédure trop lourde et trop stricte.
B. Absence de règles claires concernant la désignation d'un expert judiciaire
L'absence de statut légal n'est pas la seule lacune à déplorer; il n'existe pas non plus de règles claires concernant la désignation des experts. La pratique montre que les magistrats travaillent bien souvent avec le même expert. Plusieurs raisons ont été évoquées à ce sujet au cours des auditions. Il est notamment difficile, en l'absence de tout critère, de vérifier la qualité de nouvel expert et peu d'experts judiciaires sont familiarisés avec la procédure judiciaire. Le choix d'un expert judiciaire n'est donc pas encadré par des critères clairs. Il n'existe pas non plus de système de contrôle et d'évaluation, sauf si un tel système est mis en place par l'organisation professionnelle de l'expert judiciaire concerné.
Au cours des auditions, on a souligné l'importance d'élaborer des règles de désignation qui tiennent compte de la réalité des faits, à savoir qu'il est parfois difficile de trouver des experts judiciaires en suffisance, que certains experts ne sont que rarement désignés et qu'il ne sera pas nécessairement possible de trouver pour chaque expertise un expert qui satisfasse à tous les critères. On a aussi évoqué le cas de figure problématique dans lequel les rares experts disponibles sont déjà engagés par l'une des parties dans un dossier pénal. Dans ce cas, il est plus difficile pour le magistrat de trouver encore un bon expert. Le système choisi doit donc être assez flexible pour permettre de faire face à cette situation.
C. Absence de règles claires régissant le fonctionnement des experts judiciaires
La réalité du terrain montre que les experts judiciaires ne savent pas toujours clairement ce que l'on attend d'eux. Lors des auditions, d'aucuns ont fait remarquer que cela est dû au fait que la mission confiée par le magistrat requérant (procureur du Roi ou juge d'instruction) manque parfois de clarté (ou de réalisme) ou au fait que certains experts ne sont pas suffisamment familiarisés avec la procédure judiciaire. En outre, certains experts judiciaires ne respectent pas les délais convenus pour le dépôt de leur rapport.
À cela s'ajoutent les difficultés liées aux missions d'expertise de longue durée (comme en matière fiscale) dans le cadre desquelles le magistrat requérant n'a pas toujours une vision d'ensemble des activités de l'expert et ne peut pas suffisamment ajuster la mission d'expertise si nécessaire.
Un autre problème qui a été évoqué est le fait que seule une personne physique peut être désignée comme expert. Dans certains cas, le magistrat requérant devrait pouvoir désigner une personne morale (par exemple un laboratoire). Il est également nécessaire d'élaborer des règles claires quant aux conditions moyennant lesquelles un expert pourrait se faire aider par des assistants et aux conditions dans lesquelles une équipe pluridisciplinaire pourrait être désignée.
Enfin, les choses ne sont pas claires concernant le caractère contradictoire d'une expertise en matière pénale. En principe, l'expertise est régie par la règle générale prévoyant que l'enquête pénale est secrète et non contradictoire. La Cour européenne des droits de l'homme a cependant estimé qu'une absence de contradiction est susceptible de constituer une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (arrêt « Mantovanelli c/ France »).
D. Besoin de formations reconnues
Actuellement, il n'est pas exigé de l'expert judiciaire qu'il possède un niveau de formation spécifique, bien que certains arrondissements judiciaires le demandent. L'expert judiciaire n'a pas non plus à faire la preuve d'une formation spécifique en tant qu'expert judiciaire. Par conséquent, de nombreux experts judiciaires ne maîtrisent pas suffisamment la procédure judiciaire. Les différentes associations professionnelles organisent leurs propres formations, mais la qualité est fort variable. En outre, tous les experts judiciaires ne sont pas membres d'une association professionnelle.
L'absence de formations reconnues pose problème, notamment dans le secteur de la médecine forensique, et spécifiquement dans celui de la psychiatrie forensique. La plupart des facultés de médecine de notre pays ne disposent pas de professeurs spécialisés en psychiatrie forensique, si bien que dans ce domaine, elles ne sont pas à même de proposer une formation ou une expertise de qualité supérieure. Il y a donc lieu de tout mettre en œuvre pour que l'on reconnaisse la formation en psychiatrie forensique en tant que sous-discipline de la médecine forensique.
E. Rémunération
La Justice ne dispose pas de moyens financiers en suffisance pour financer correctement les expertises forensiques. Les experts judiciaires sont dès lors sous-rémunérés pour les prestations qu'ils fournissent. Lors des auditions, de nombreux intervenants ont souligné que l'indemnité forfaitaire d'un expert judiciaire en matière pénale ne correspond plus aux prestations fournies, surtout par comparaison avec les tarifs pratiqués chez nos voisins (55 à 85 euros en Belgique, contre 150 à 200 euros à l'étranger). L'indemnité allouée actuellement aux experts judiciaires se base sur l'arrêté royal du 28 décembre 1950, dont les barèmes sont seulement indexés. L'arrêté royal du 27 avril 2007, qui instaurait de nouveaux barèmes, a toutefois été annulé pour vice de procédure par le Conseil d'État dans son arrêt du 17 décembre 2008.
Les auditions ont mis en exergue l'arriéré de paiement que la Justice peine à rattraper et le fait que le service des Frais de justice met parfois plusieurs années à contester les états d'honoraires de certains experts. Toutefois, ce service ne possède pas toujours l'expertise requise pour vérifier les états d'honoraires, pas plus d'ailleurs que les magistrats requérants (juge d'instruction ou procureur du Roi).
Par conséquent, les experts qui acceptent encore des missions judiciaires sont de moins en moins nombreux.
F. Absence de statistiques
Il n'existe pas de statistiques officielles et exhaustives sur les experts judiciaires. Les seuls chiffres disponibles sont ceux du service des Frais de justice du SPF Justice. Mais ledit service se base seulement sur le numéro de compte de l'expert concerné, alors que de nombreux experts en utilisent plusieurs. Il est dès lors impossible d'établir des statistiques uniformes.
De même, les études universitaires consacrées à cette thématique sont relativement rares (voyez toutefois: B. De Smet, Deskundigenonderzoek in strafzaken, 2001, Éd. Story-Scientia, Anvers).
Au sein de la Justice, l'Institut national de criminalistique et de criminologie, la Commission de modernisation de l'ordre judiciaire et le Conseil supérieur de la Justice se sont penchés sur cette matière, générant entre autres les deux références suivantes:
— INCC, Le statut de l'expert judiciaire en matière pénale, 2005, Rapport final de recherche nº 15a;
— CSJ, Avis d'office sur le statut et la qualité des experts judiciaires, 30 mars 2011.
L'étude de l'Institut national de criminalistique et de criminologie a tiré les conclusions suivantes, qui pèseront sur l'élaboration d'une nouvelle politique:
— 80 % des experts judiciaires en matière pénale sont issus du secteur privé;
— 20 % des experts judiciaires ne sont pas membres d'une organisation professionnelle;
— 16 % d'entre eux ne suivent aucune formation continue;
— 56 % des experts n'ont jamais suivi de formation en expertise ou en droit judiciaire; un tiers des experts en ont suivi une, mais qui remonte à plus de dix ans;
— 10 % des experts n'ont aucune expérience professionnelle préalable avant leur première intervention en cette qualité;
— 25 % des experts avaient moins de cinq ans d'expérience lors de leur première désignation;
— 70 % des experts interviennent dans deux arrondissements maximum (faible mobilité);
— un tiers des experts effectuent plus de dix interventions en deux ans, deux tiers n'effectuent pas plus de dix interventions en deux ans;
— seulement 20 % d'entre eux ont demandé eux-mêmes à figurer sur une liste d'experts requérables; seulement 16 % d'entre eux ont reçu un formulaire d'évaluation avant d'être admis.
II.4. RECOMMANDATIONS
A. Vers un statut légal pour les experts judiciaires
1. Il convient d'élaborer une réglementation légale pour les experts judiciaires en matière pénale, par analogie avec ce que prévoit le Code judiciaire pour les experts judiciaires en matière civile. Cette loi, qui devra tenir compte de la spécificité pénale, doit apporter une réponse à la question du statut, de la désignation et du rôle de l'expert, ainsi qu'au problème du caractère contradictoire de l'expertise. L'on peut s'inspirer du projet de loi contenant le Code de procédure pénale (doc. Chambre, nº 51-2138/001).
B. Désignation: Registre national des experts judiciaires
2. Il est créé un registre des experts judiciaires, destiné avant tout aux experts en matière pénale, mais aussi, éventuellement, aux experts en matière civile. Ce registre recensera avant tout les experts établis en Belgique. Il conviendra d'examiner par ailleurs si ce registre peut être étendu à des experts établis à l'étranger et, si oui, selon quelles modalités.
Ce registre, auquel tout magistrat a accès, doit être utilisé tant par les magistrats du ministère public que par les magistrats du siège. En cas d'urgence ou si aucune personne inscrite au registre ne peut remplir la mission d'expert, une autre personne qualifiée peut être désignée. On optera alors de préférence pour des personnes investies d'une charge publique ou des personnes exerçant une activité scientifique dans une institution d'enseignement supérieur ou de recherche, organisée ou subventionnée par les pouvoirs publics. Le magistrat requérant doit alors motiver le choix d'un autre expert, ainsi que la qualité de l'expertise de ce dernier.
Compte tenu des auditions et de la réforme annoncée du paysage judiciaire, ce registre serait développé au niveau national et soutenu sur le plan technologique par le SPF Justice, mais serait géré au niveau du ressort judiciaire par le président de la cour d'appel. Pour l'insertion ou la suppression de données relatives à un expert, le président de la cour d'appel se concerte avec le procureur général, les présidents des tribunaux, les procureurs du Roi, les auditeurs du travail, les juges d'instruction, les bátonniers des arrondissements qui font partie du ressort concerné et les associations professionnelles accréditées, et ce conformément aux modalités fixées par le Roi. En ce qui concerne l'organisation de cette concertation, l'on peut s'inspirer du projet-pilote de la cour d'appel de Liège.
Le registre national contient les données nécessaires relatives à chaque expert, comme ses coordonnées, son niveau de formation, les formations qu'il a suivies pour devenir expert, son expérience professionnelle utile, les langues qu'il maîtrise, ses domaines d'expertise et ses disponibilités.
3. Les associations professionnelles accréditées certifient la qualité et l'intégrité de l'expert. L'association professionnelle doit vérifier si l'expert satisfait à certaines normes minimales, définies par arrêté royal. Ces normes devraient concerner, entre autres, les connaissances et l'expérience professionnelle de l'expert dans sa spécialité, ainsi que sa connaissance de la procédure judiciaire et l'exigence que l'expert souscrive, lui-même ou par l'intermédiaire de son association professionnelle, une ou plusieurs assurances au titre de son action en tant qu'expert en matière pénale.
Les associations professionnelles habilitées à délivrer les certificats doivent être accréditées selon la norme ISO 17024 (Évaluation de la conformité — Exigences générales pour les organismes procédant à la certification de personnes). Cette accréditation ne peut être donnée que par un organisme d'accréditation agréé (par exemple BELAC).
L'expert qui remplit ces conditions reçoit un certificat qui lui donne le droit de s'inscrire sur la liste nationale. Un refus d'octroi de certificat est susceptible de recours auprès d'une commission professionnelle indépendante, à créer.
Un régime dérogatoire peut être prévu pour certaines catégories d'experts. Ainsi, un expert qui prouve qu'il est attaché à un laboratoire accrédité selon la norme ISO 17025 (Exigences générales concernant la compétence des laboratoires d'étalonnages et d'essais) pourrait aussi figurer sur la liste nationale sans certification par une association professionnelle, car cette norme ISO fixe des conditions strictes en matière de qualité et d'intégrité du personnel expert des laboratoires.
À côté de cela, il convient également de tenir compte du statut des membres du personnel de l'autorité fédérale (INCC, laboratoire de la police fédérale ou Computer Crime Unit), qui doivent aussi être ajoutés au registre national.
4. Les experts qui figurent sur la liste nationale ne doivent prêter serment qu'une seule fois devant le tribunal de première instance de l'arrondissement de leur domicile. Ce serment devrait alors être valable pour toutes les missions qu'ils accomplissent en tant qu'experts judiciaires.
5. Il est également prévu une instance d'appel pour les contestations relatives au registre national des experts judiciaires.
6. La désignation d'un expert judiciaire se fait par écrit (en ce compris les courriels), sauf en cas d'urgence. Dans ce cas, une désignation orale doit être possible, moyennant confirmation écrite a posteriori.
7. Des mesures transitoires doivent être prévues. Ces mesures doivent, d'une part, permettre d'éviter que des experts judiciaires qui sont régulièrement désignés ne puissent plus l'être du jour au lendemain et que l'on manque d'experts judiciaires. Elles doivent, d'autre part, permettre aux associations professionnelles d'experts existantes de disposer de suffisamment de temps pour s'adapter aux exigences des/de la norme(s) ISO applicable(s) en vue de l'accréditation.
8. En ce qui concerne la psychiatrie forensique, le Centre pénitentiaire de recherche et d'observation clinique (CPROC), prévu par l'arrêté royal du 19 avril 1999 portant création du Centre pénitentiaire de recherche et d'observation clinique, doit être créé sans délai. Les personnes suspectées d'avoir commis de graves délits peuvent y être examinées pendant plusieurs semaines par des spécialistes du comportement (criminologues, sociologues, psychiatres et anthropologues), par analogie avec ce qui se fait au « Pieter Baan Centrum » aux Pays-Bas (Clinique psychiatrique d'observation de l'Institut néerlandais de psychologie et de psychiatrie légales (NIFP)). Ces experts rendent ensuite un avis au juge ou au ministère public.
C. Des règles claires pour définir le rôle de l'expert
9. De nouvelles règles s'imposent pour la définition de la mission de l'expert par le magistrat requérant (le magistrat du parquet ou le juge d'instruction). À cet effet, une concertation préalable est proposée entre le magistrat requérant et l'expert, si nécessaire avec l'aide d'un conseiller forensique du SPF Justice. Cette concertation doit permettre au magistrat requérant d'indiquer clairement ce qu'il attend, dans les limites du secret de l'information ou de l'enquête judiciaire. Cela doit aussi permettre à l'expert de signaler des difficultés éventuelles ou de faire des suggestions. Enfin, le magistrat requérant et l'expert peuvent convenir d'un délai réaliste pour le dépôt du rapport. En cas d'expertises de longue durée, le magistrat requérant devrait pouvoir demander un rapport périodique des prestations, de préférence sur une base mensuelle.
10. Il convient d'élaborer des directives claires pour les experts en matière pénale, en concertation avec des représentants du siège, du parquet, du SPF Justice et des organisations professionnelles d'experts. Ces directives doivent tenir compte en particulier du rôle de ces experts dans la procédure pénale et être assorties de règles claires pour le traitement des pièces à conviction, en vue de préserver leur valeur probante.
11. L'expert devrait pouvoir désigner une équipe pluridisciplinaire si cela s'avère utile à l'exécution de sa mission, et ce uniquement après avoir reçu l'assentiment du magistrat requérant, à condition que l'expert assume toujours la responsabilité finale de la mission d'expertise et que les noms et les actes des membres de l'équipe pluridisciplinaire soient mentionnés dans le rapport.
12. Le magistrat requérant devrait aussi pouvoir désigner une personne morale (par exemple un laboratoire) à la condition que l'on sache clairement qui, au sein de cette personne morale, assume la responsabilité finale de l'expertise. Il convient aussi d'examiner si ces personnes morales peuvent être reprises dans le registre national des experts judiciaires à créer.
13. En concertation avec des représentants du siège, du parquet, du SPF Justice et des associations professionnelles d'experts, il convient d'examiner pour quelles expertises il y a lieu de mettre en place un service de garde permanent pour les expertises urgentes de première ligne (effectuées par exemple par des experts en matière de circulation routière, ou des médecins légistes).
14. Une procédure de contradiction de l'expertise est instaurée afin de mettre notre législation en concordance avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. À cet égard, il faut toutefois tenir compte du caractère inquisitoire de l'enquête pénale et éviter tout abus de procédure.
D. Organisation et agrément de formations
15. Il y a lieu d'organiser pour les experts repris dans le registre national une formation obligatoire consacrée au rôle de l'expert en matière pénale, au fonctionnement de la justice et aux règles de la procédure pénale. Cette formation pourrait être organisée par les organisations professionnelles agréées, les établissements universitaires ou l'Institut de formation judiciaire.
16. Pour les magistrats, il faudrait prévoir une formation concernant l'expertise et, en particulier, la définition de la mission des experts, le suivi et, le cas échéant, l'adaptation de cette mission, ainsi que le caractère contradictoire de l'expertise. Il faudrait aussi encourager les magistrats à recourir à des médecins formés en médecine forensique.
17. Il y a lieu de reconnaître la formation en psychiatrie forensique comme sous-discipline de la médecine forensique.
E. Rétribution rapide et correcte de l'expert
18. Les experts en matière pénale ont droit à une rémunération correcte par rapport au travail accompli. L'arrêté royal du 27 avril 2007, qui fixe de nouveaux barèmes d'honoraires et qui avait été annulé, devra être rétabli à court terme.
19. Il y aurait lieu de prévoir une nouvelle réglementation concernant la rémunération des experts en matière pénale, afin de résoudre la question de manière définitive et réaliste. Il conviendra de vérifier à cet égard si le système actuel des échelles d'honoraires tient suffisamment compte de la charge de travail qui est très variable d'un dossier à l'autre. Pour atteindre cet objectif, la ministre de la Justice devrait créer un groupe de travail réunissant tous les acteurs de terrain.
20. Les litiges portant sur les indemnités doivent pouvoir être tranchés le plus rapidement possible afin de donner à l'expert la certitude d'être rémunéré pour les prestations fournies. Après une décision en révision, le service des Frais de justice du SPF Justice doit communiquer sa décision ainsi que sa motivation au magistrat requérant.
F. Vers des statistiques uniformes et un meilleur soutien scientifique
21. Si l'on veut pouvoir disposer de meilleures statistiques, il faut un numéro d'identification par expert. Cela pourra être réalisé notamment par la création d'un registre national des experts judiciaires.
22. Il convient de créer un centre d'expertise au sein du SPF Justice. Ce centre, qui pourrait être adjoint à l'Institut national de criminalistique et de criminologie, serait chargé entre autres des missions suivantes:
(1) fournir des avis aux magistrats, par le biais de conseillers légistes, dans le cadre de l'élaboration de la mission d'expertise;
(2) contrôler et traiter les contestations relatives aux états de frais de l'expertise. La réalisation d'un contrôle de première ligne pourrait être confiée à un service de Suivi en matière d'expertise créé au niveau de chaque ressort et placé sous la direction générale du premier président de la cour d'appel.
III. DISCUSSION AU SEIN DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE
1. Questions et observations des membres
M. Laeremans se réfère aux auditions extrêmement intéressantes organisées par le groupe de travail. À la suite de celles-ci, l'intervenant a déjà adressé une demande d'explications à la ministre sur la rémunération de l'expert.
Pour l'intervenant, les conclusions et recommandations du groupe de travail qui sont à l'examen sont trop complaisantes et trop informelles, surtout concernant l'aspect financier.
Les expertises prennent souvent trop de temps et la qualité n'est pas toujours au rendez-vous, justement parce que les personnes les plus expertes sont aux abonnés absents. Plus personne ne veut travailler pour la Justice. Les professeurs auditionnés ont même lancé une mise en garde: si la Justice ne veille pas à offrir une rémunération suffisante, par comparaison aux tarifs appliqués chez nos voisins, l'on court droit à la catastrophe.
L'arrêté royal du 27 avril 2007 actualisant le barème des honoraires des experts a été annulé par le Conseil d'État et doit être remis en vigueur. L'intervenant avait aussi interrogé la ministre à ce sujet, mais n'a pas reçu de réponse claire.
Il est indiqué de formuler une recommandation claire sur l'augmentation des honoraires et sur le rattrapage par rapport aux niveaux pratiqués à l'étranger. Le politique s'est contenté de demander la mise en place d'un groupe de travail. L'intervenant craint que l'on perde beaucoup trop de temps et qu'il n'en ressorte pas grand-chose compte tenu de l'imminence de la campagne électorale.
Au même moment, les experts (médecins légistes) publient une lettre ouverte dans laquelle ils se disent très inquiets des diverses mesures que compte prendre la ministre et qui ne vont même pas dans le sens d'un maintien des honoraires actuels, mais visent au contraire à les abaisser. Ils craignent que la Belgique fasse cavalier seul par rapport au reste de l'Europe. Réclamer une augmentation de la qualité tout en imposant davantage de travail et des délais plus serrés est incompatible avec une réduction des rémunérations. Les barèmes des prestations de nuit seraient par exemple revus à la baisse. Aux Pays-Bas, le médecin légiste facture une autopsie 12 000 euros, contre 2 000 euros pour son confrère belge. Une descente sur les lieux du délit vaut 7 707 euros aux Pays-Bas et 300 euros en Belgique. C'est carrément le monde à l'envers et parfaitement incompréhensible. En Belgique, le barème des honoraires est clairement inadapté, si bien que l'on ne trouve plus personne qui accepte d'assumer la fonction d'expert.
Dans ces circonstances, comment la ministre compte-t-elle attirer les jeunes médecins vers une spécialisation supplémentaire de cinq ans en médecine judiciaire ?
Les recommandations pourront encore être modulées sur la base des réponses de la ministre. Il ne suffit pas de se contenter de créer un groupe de travail et de reporter ainsi la problématique à la législature suivante. Il faut que le gouvernement donne de réelles garanties d'amélioration et d'actualisation des honoraires.
À l'étranger, le coût des écoutes téléphoniques, par exemple, est répercuté sur les sociétés de téléphonie. Si cela est possible, des moyens seront libérés pour rémunérer les expertises de façon correcte, à des tarifs actualisés et en ligne avec ceux pratiqués à l'étranger.
Dorénavant, des analyses ADN seront également effectuées à l'étranger puisqu'il s'avère qu'elles y sont moins coûteuses. Bien entendu, cette situation est également due au manque d'expertise et de possibilités en Belgique du fait des tarifs indécents octroyés pendant des années et de l'approche inefficace.
L'intervenant demande la réaction de la ministre à la lettre ouverte des médecins légistes et aux propositions de recommandations formulées par le groupe de travail.
Mme Faes répond que le rapport du groupe de travail a clairement mis en évidence la faiblesse des honoraires des experts judiciaires. Mais il ne s'agit là que d'une des nombreuses facettes examinées par le groupe de travail. Il a en effet analysé le statut de l'expert en matière pénale et son objectif était de vérifier s'il ne serait pas possible d'introduire un véritable statut définissant le fonctionnement de l'expert en matière pénale. La rémunération est certes un aspect non négligeable, mais il ne s'agit que d'une facette parmi d'autres.
Pour M. Swennen, qui a participé aux travaux du groupe de travail dont il souligne l'intérêt incontestable, un débat approfondi s'impose, surtout à propos des recommandations.
M. Bousetta souhaite connaître la réaction de la ministre quant aux recommandations du groupe de travail car certaines d'entre elles ont une implication budgétaire. L'intervenant s'interroge quant aux éventuelles initiatives de la ministre en la matière.
Mme Faes précise à M.Bousetta que la ministre a été tenue informée des travaux dès lors qu'un représentant de son cabinet était présent lors des réunions du groupe de travail.
2. Réponses de la ministre
Sur la question du registre national, la ministre indique que la création d'un tel registre constitue un projet à long terme pour lequel aucune estimation financière n'a, pour l'instant, été effectuée. Mais sa création impliquera sans nul doute un coût. Par ailleurs, il faudra également renforcer les services administratifs et informatiques afin de gérer ce registre et de l'alimenter en données.
En ce qui concerne le caractère contradictoire de l'expertise, la ministre rappelle tout d'abord que les frais de justice sont déjà élevés et augmentent encore d'année en année. Ensuite, l'expertise pénale reste, au stade de l'instruction, non contradictoire. Or, aujourd'hui, l'expertise demandée par une partie civile n'est financée par l'État que si une décision (pro deo) l'autorise. Si l'expertise pénale devient contradictoire, l'ensemble de l'expertise devra être financée par l'État. Il importe donc de définir clairement ce que l'on entend par procédure contradictoire de l'expertise: cela implique-t-il une contre-expertise à la demande des parties ? Le risque réside dans la multiplication des expertises avec nécessairement un accroissement des coûts.
En ce qui concerne la rétribution rapide et correcte de l'expert, personne ne conteste que les experts en matière pénale ont droit à une rémunération correcte par rapport au travail accompli. Si le rapport du groupe de travail recommande à cet égard que l'arrêté royal du 27 avril 2007 soit rétabli à court terme, la ministre précise que cet arrêté posait toutefois des difficultés d'ordre juridique, de sorte qu'il ne pourrait entrer en vigueur avant que ces difficultés n'aient été réglées. Par ailleurs, de nouveaux barèmes plus favorables aux experts ne pourront être prévus sans une augmentation concomitante de l'enveloppe budgétaire.
3. Répliques
M. Bousetta se dit conforté dans l'idée qu'il faudra un budget complémentaire pour pouvoir mettre en œuvre les recommandations du groupe de travail.
M. Courtois soulève également la question du paiement tardif des experts qui risque d'amener les experts à refuser à l'avenir leur collaboration.
La ministre est consciente de ce problème et informe la commission que le gouvernement se penche actuellement sur ce dossier. Elle signale aussi que les frais de justice augmentent également en raison de l'évolution technologique et de la multiplication d'expertises possibles. Il y a donc un problème conjoncturel mais aussi structurel. En vue de stabiliser quelque peu la hausse de ces frais, la ministre a pris des mesures comme la renégociation des tarifs appliqués par les opérateurs de téléphonie et le lancement d'un appel d'offres pour les analyses de profils ADN. Cet appel d'offres a permis d'obtenir à l'étranger un prix unitaire de 30 euros au lieu de 300 euros précédemment.
M. Mahoux s'étonne effectivement qu'en Belgique le prix unitaire n'ait pas diminué alors que l'augmentation des demandes d'expertise aurait dû faire baisser le prix de revient. L'intervenant souhaite aussi pointer le fait que dans la problématique discutée, il faut à un moment donné pouvoir scinder le coût lié au devoir « initial » de l'expert judiciaire du coût lié aux devoirs complémentaires demandés au cours de l'instruction. Sans avoir procédé à une analyse des frais d'expertise en matière pénale, il a également la conviction que l'honoraire lié à la compétence de l'expert n'est qu'une partie de la note finale de l'expert.
M. Laaouej tient à rappeler que l'expertise judiciaire peut également rapporter de l'argent. C'est le cas par exemple en matière de criminalité financière ou de fraude fiscale où le produit de la fraude peut être plus rapidement détecté et saisi. De manière connexe, il faut financer certains devoirs comme l'envoi de commissions rogatoires qui permettent, dans le cadre d'affaires de blanchiment d'argent, de percevoir des montants bloqués à l'étranger au profit de l'État belge. Enfin, M.Laaouej précise que si la ministre estime que la procédure liée à la désignation et au paiement des experts n'est pas assez efficace ou transparente, elle peut confier une mission d'audit à la Cour des comptes.
La ministre précise qu'un système de vidéo-conférence a déjà été installé au parquet fédéral et sera prochainement installé dans chaque arrondissement en vue de réduire le nombre de commissions rogatoires.
Sur le retard de paiement, la ministre précise que le SPF Justice peut effectivement tarder à payer si à un moment donné son budget est épuisé mais aussi en raison de la vérification de certaines notes d'honoraires. Un rapport de la commission de modernisation de l'Ordre judiciaire a d'ailleurs pointé le fait qu'il existait, pour des prestations similaires, des différences sensibles entre arrondissements. Une procédure de contrôle et de vérification s'impose donc. Enfin, il convient également d'avoir à l'esprit que le magistrat au cours de l'instruction est indépendant et décide seul de la mission de l'expert ou du nombre d'analyses ADN qu'il convient d'effectuer.
M. Courtois est surpris du fait que l'apparition de nouvelles technologies engendre finalement une augmentation du budget des frais de justice. La ministre rétorque toutefois que ces nouvelles technologies, toujours plus nombreuses, permettent d'obtenir de nouvelles preuves, de rouvrir d'anciens dossiers et d'entamer de nouveaux procès.
Mme Faes souligne que le présent rapport est la synthèse de l'ensemble des auditions tenues au sein du groupe de travail accompagnée d'une série de recommandations. Si la phase suivante consiste en la rédaction d'une ou de plusieurs propositions de loi, il importe maintenant de pouvoir clôturer formellement les travaux du groupe de travail en adoptant ce rapport.
IV. VOTE
Le rapport du groupe de travail a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.
Confiance a été donnée à M. Vastersavendts pour la rédaction du présent rapport.
Le rapporteur, | Le président, |
Yoeri VASTERSAVENDTS. | Alain COURTOIS. |