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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 7 NOVEMBRE 2013 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Éloge funèbre de M. Wilfried Martens, ministre d'État

Mme la présidente. - Le ministre d'État Wilfried Martens évoquait, dans l'ultime chapitre de ses mémoires, un étonnement rétrospectif. L'annonce de son décès, un jeudi matin du mois d'octobre, a étonné nombre d'entre nous. En même temps, elle a d'emblée éveillé en nous un sentiment rétrospectif d'admiration, de respect et de reconnaissance envers Wilfried Martens.

Évoquer la vie de Wilfried Martens, c'est retracer presque soixante ans d'engagement public. Dans chacune des fonctions qu'il a exercées, il fut une personnalité qui a marqué notre pays comme nulle autre, que ce soit comme leader étudiant, président des Jeunes CVP, président du CVP, premier ministre, chef du groupe PPE au Parlement européen ou comme fondateur et président du Parti populaire européen.

Wilfried Martens alliait une autorité naturelle à une intelligence aiguisée, et était doté d'une force de travail hors du commun. Cette conjonction de talents lui a permis, en dépit d'une santé précaire durant l'enfance, de se hisser très jeune déjà à l'avant-plan de la vie publique et de jouer jusqu'au bout un rôle de pionnier.

Vouloir esquisser le portrait de l'homme politique qu'était Wilfried Martens, c'est aboutir bien vite à un constat singulier : chez lui, la distinction entre la pensée et l'action est quasi inexistante ; convictions personnelles, engagement social et action politique ne font qu'un.

Adolescent déjà, il défend l'ABN, l'Algemeen Beschaafd Nederlands, ou le néerlandais standardisé. Il ne s'agit alors que d'un premier pas timide vers un plus grand idéal : l'émancipation flamande. Ce combat prend ensuite la forme d'un engagement social : Martens devient président du Comité des jeunes Flamands pour l'Exposition universelle, leader étudiant, membre du bureau du Vlaamse Volksbeweging, le Mouvement populaire flamand, avant de s'engager en politique, le forum par excellence où il pourra concrètement donner corps à ses convictions. Manu Ruys définit l'engagement de Wilfried Martens comme « le changement dans la continuité », des mots que Martens lui-même citait volontiers.

La conviction qui, plus que toute autre, orientera son action politique est le fédéralisme. S'appuyant sur les idées portées par Maurits Coppieters, Michiel Vandekerckhove et le politologue allemand Carl Friedrich, Wilfried Martens sera un fervent défenseur du fédéralisme d'union, qu'il se plaira à résumer par cette formule parlante : « L'autonomie là où cela est possible, un pouvoir central fort là où c'est nécessaire ». Wilfried Martens est toujours parti du principe que pour instaurer un nouvel équilibre en Belgique, il était indispensable, d'une part, de créer une autonomie forte pour la Flandre et la Wallonie et, d'autre part, de consentir à entourer le processus décisionnel central de certaines garanties. Et, toute sa vie, il restera fidèle à cette conception de l'État. À ses yeux, le fédéralisme ne peut pas être un ferment de séparation, mais doit au contraire rassembler.

C'est précisément la fédéralisation de la structure étatique belge qui porte Wilfried Martens aux commandes du gouvernement. Avec l'échec du Pacte d'Egmont-Stuyvenberg, la Belgique s'était enlisée en 1979 dans une véritable impasse communautaire. Martens guidera le pays à travers les profondes réformes de l'État de 1980 et 1988, qui donneront corps à l'autonomie des régions et des communautés. Douze années durant, il présidera aux destinées du gouvernement. Lorsqu'il quitte le 16 rue de la Loi, début 1992, les fondements de la Belgique fédérale sont en place. Mais Wilfried Martens sait aussi que les structures politiques seules ne suffisent pas. La grande mission des hommes et des femmes politiques, disait-il, est de susciter chez les citoyens un état d'esprit qui les amène à considérer la loyauté fédérale comme une évidence.

Mais il serait un peu court de réduire le bilan des gouvernements Martens à la réforme de l'État. La politique de relance économique, par le biais de la dévaluation du franc belge et d'économies budgétaires, est une autre réussite à mettre à leur actif. Wilfried Martens considérait d'ailleurs sa victoire électorale de 1985, obtenue pourtant après une politique de forte austérité, comme l'une des plus belles reconnaissances de son engagement politique.

Rétrospectivement, les turbulences qui ont marqué la période charnière au cours de laquelle Wilfried Martens fut premier ministre de notre pays font frémir : la restructuration de Cockerill-Sambre, la fermeture des mines du Limbourg, le drame du Heysel, les tueurs du Brabant, les CCC, la question des missiles, la question fouronnaise, la loi sur l'interruption volontaire de grossesse et la mini-question royale qu'elle a provoquée, la guerre du Golfe, la liaison du franc belge au mark allemand. Pendant une période particulièrement agitée, les gouvernements Martens sont parvenus à aiguiser le sens des responsabilités de l'élite politique. Wilfried Martens a ainsi été le manager de crise qui a jeté les bases d'un dialogue intercommunautaire constructif et du redressement de l'économie belge.

S'il fallait épingler une coupure dans sa carrière politique, ce seraient les élections de 1991, car il quittera la politique nationale peu de temps après celles-ci.

Il trace alors les contours d'un nouveau projet qui traduit à la fois son dynamisme et son humilité : l'unification européenne. Il transforme le PPE et parvient à en faire le plus grand et le plus influent des partis politiques européens. Mais il n'est pas pour autant en totale rupture avec son passé.

Ainsi qu'il l'avait fait pour la Belgique, il esquisse un projet fédéral pour l'Europe. Pour lui, la structure fédérale est la seule qui permette de réaliser l'unité dans la diversité et la diversité dans l'unité. Le fédéralisme adossé aux principes de subsidiarité et de solidarité est pour la Belgique et pour l'Europe la voie qui mène à la tolérance et à l'ouverture.

Selon l'eurodéputée Marianne Thyssen, « si Martens était un fédéraliste européen, il n'était pas un utopiste : son expérience en Belgique lui avait appris que la transformation vers le fédéralisme devait s'opérer graduellement ». Elle attribue l'engagement de Wilfried Martens à sa jeunesse durant la Seconde Guerre mondiale : « Il faisait partie des nombreuses personnes de cette génération qui étaient animées par un sens aigu de la paix et de la stabilité comme condition pour améliorer le niveau de vie du plus grand nombre. »

En qualité de premier ministre belge, il joua un rôle majeur dans l'élaboration du traité de Maastricht qui fit évoluer la Communauté européenne vers l'Union européenne et jeta les bases de l'union économique et de l'introduction de l'euro. En tant que président du PPE, il s'est employé après la chute du mur de Berlin au rapprochement avec l'Europe de l'Est et les Balkans afin de transmettre les valeurs de son parti à ces pays et de les accompagner sur la voie de la démocratie.

Dans ses volumineux mémoires, il s'adresse aux Flamands et leur propose une devise : « La Flandre est le pays de nos racines, notre Heimat, la Belgique notre patrie et l'Europe notre avenir ». Chers collègues, loin d'être seulement une devise, ces propos résument à eux seuls la vie politique de Wilfried Martens.

Wilfried Martens croyait en ses idéaux. Cette foi, mais aussi son sens des responsabilités et sa conscience professionnelle lui ont permis de toujours garder le cap. À chaque tournant décisif de sa carrière, il a fait passer l'intérêt général avant l'intérêt particulier. Il a assis son engagement sur la pensée démocrate-chrétienne et sur des choix éthiques fortement inspirés par des philosophes tels que le Louvaniste Albert Dondeyne et le Français Paul Ricoeur.

En quoi l'homme politique Wilfried Martens était-il unique ? Voilà assurément une question à laquelle chacun répondra à sa façon. Le sens du devoir. Le respect de la parole donnée. L'approche rationnelle. La capacité à jouer les médiateurs, à concilier, à dégager des compromis. La symbiose entre idéalisme et pragmatisme. La faculté de mobiliser des gens autour d'un projet. Wilfried Martens aura en tout cas montré qu'un engagement authentique permet de réaliser des idéaux personnels.

À son épouse la ministre d'État Miet Smet, à ses enfants - Ann Martens est parmi nous aujourd'hui - et à sa famille - qui est également présente ici -, la Haute Assemblée renouvelle ses condoléances très émues.

À l'épouse de Wilfried Martens, à ses enfants, à sa famille proche, représentée en nombre parmi nous cet après-midi, la Haute Assemblée renouvelle ses condoléances très émues.

De heer Elio Di Rupo, eerste minister. - Beste collega's, met Wilfried Martens is een grote figuur uit ons politieke leven heengegaan.

Sa disparition est une perte pour notre pays mais aussi pour l'Europe.

Wilfried Martens heeft zijn stempel gedrukt op een tijdperk. Zo heeft hij in de jaren tachtig als eerste minister de hoogste verantwoordelijkheid van ons land op zich genomen. Daarbij heeft hij altijd in het algemeen belang gehandeld, in een zeer moeilijke economische en communautaire context. Maar met veel geduld en luisterbereidheid heeft hij ons land door zware beproevingen geleid en heeft hij België opnieuw op de weg naar welvaart gezet.

Wilfried Martens was ook een van de grote architecten van het federalisme. Hij heeft de deelstaten steeds belangrijkere bevoegdheden verleend en hun ontwikkeling bevorderd. Hij was tegelijk een overtuigd federalist en een staatsman die zeer gehecht was aan de eenheid van ons land.

Later, als Europees parlementslid en als voorzitter van de EVP, is Wilfried Martens op dezelfde weg verder gegaan. Ook daar heeft hij sterk bijgedragen aan het ontstaan van een Europees federalisme. Dankzij een staatsman als hij heeft Europa zich kunnen ontwikkelen en heeft het de verschillende lidstaten dichter bij elkaar kunnen brengen.

À titre personnel, je n'oublie pas l'aide discrète apportée par Wilfried Martens dans les négociations en vue de former l'actuel gouvernement.

Notre pays était en crise et il s'est mis immédiatement à son service. Nous avons beaucoup apprécié sa connaissance des dossiers et sa vision stratégique. Jusqu'au bout, il aura fait le maximum pour servir notre pays.

Ik breng hulde aan Wilfried Martens. Namens de regering betuig ik mijn medeleven aan zijn echtgenote, Miet Smet, en aan zijn familie.

(L'assemblée debout observe une minute de silence.)