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2 JUILLET 2013
1. L'importance de l'apiculture
L'importance écologique et économique de l'abeille sauvage et de l'abeille mellifère peut difficilement être sous-estimée. En 2005, la valeur convertie, pour la production alimentaire européenne, de la pollinisation par l'abeille mellifère a été estimée à 14,2 milliards d'euros (1) . Dans un rapport de 2010 sur la biodiversité agronomique, l'Instituut voor landbouw- en visserijonderzoek précise qu'il y a une dizaine d'années environ, la valeur financière de la pollinisation naturelle en Belgique (et au Luxembourg) était estimée à 316 millions d'euros (2) . Des recherches scientifiques ont montré que la quote-part de la pollinisation par les insectes dans l'agriculture et l'horticulture pouvait représenter une plus-value qualitative et quantitative moyenne d'environ 40 %. En outre, les abeilles mellifères sont présentes dès les premiers jours du printemps, à un moment où les autres insectes floricoles sont encore peu actifs.
Il est malaisé de faire l'inventaire du secteur de l'apiculture. Kim Bach Nguyen (Université de Gembloux) précise qu'en 2009, la Belgique recensait environ 8 600 apiculteurs, mais que seulement 2 000 environ d'entre eux étaient enregistrés (3) . Selon le journal de qualité De Tijd, la Flandre compte en 2013 quelque 5 000 apiculteurs (4) . Le service public fédéral (SPF) Santé publique indique qu'outre les nombreux apiculteurs amateurs, la Belgique compte environ 3 000 travailleurs actifs dans le secteur de l'apiculture ou des produits apicoles (5) .
2. Les menaces qui pèsent sur l'apiculture
En dépit de son énorme valeur écologique et économique, l'existence de l'abeille sauvage et de l'abeille mellifère est menacée. Toutes les espèces animales sont, dans une certaine mesure, confrontées à des menaces spécifiques; une colonie d'abeilles peut ainsi être exposée à des maladies qui lui sont propres. Depuis les années 1990, l'apiculteur est cependant confronté à une mortalité massive de l'abeille mellifère au niveau mondial, dont l'ampleur et la globalité sont jusqu'à présent sans précédent. Pour les êtres humains, nous parlerions d'une pandémie; pour les animaux, il s'agit d'une épizootie.
2.1. Les constatations à propos de l'épizootie chez l'Apis mellifera
Force est de constater que les populations d'abeilles chutent dans le monde entier (6) , que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe (Belgique, France, Pays-Bas, Grèce, Italie, Portugal, Espagne et Royaume-Uni). Dans de grandes parties du territoire chinois et indien, la récente disparition des abeilles sauvages et des abeilles mellifères a contraint les hommes à procéder à une pollinisation ou à une fécondation artificielle des fleurs. Heureusement, l'Australie constitue une exception de taille; l'île n'est en effet pas contaminée par le varroa, un acarien parasite, et est dès lors devenue un important exportateur d'abeilles mellifères vers les États-Unis, ce qui induit à nouveau un risque de propagation d'autres maladies en provenance d'Australie et de dégradation du patrimoine génétique de l'abeille mellifère.
S'agissant de la mortalité chez les abeilles en Belgique, Kim Bach Nguyen (Université de Gembloux) affirme que le taux de mortalité dans notre pays était de 16,4 % en moyenne en 2004-2005 et de 7,3 % en 2006-2007 (7) . Ces dernières années, ce taux a cependant connu une hausse dramatique et est passé de 17 % en 2004 à 28 % en 2011 (8) . La propagation de ce phénomène varie en fonction des régions. D'après la Fédération des associations d'apiculteurs du Brabant flamand (Vlaams-Brabants Verbond van imkerverenigingen), l'année 2011 a été dramatique avec des pertes allant de 50 à 60 % dans le Brabant flamand, voire jusqu'à 80 % dans la région anversoise (9) . Selon le communiqué de presse diffusé lors de la présentation du Plan fédéral Abeilles par le secrétaire d'État Wathelet, la perte en colonies d'abeilles mellifères s'élèverait à 26 % en 2012, sans compter la disparition silencieuse et encore moins visible des abeilles sauvages et solitaires (10) . La mortalité chez les abeilles en Belgique est l'une des plus élevées d'Europe.
2.2. Les symptômes du syndrome d'effondrement des colonies (Colony Collapse Disorder)
Les caractéristiques de ce phénomène relativement neuf de disparition massive d'abeilles sont la mortalité massive des abeilles d'hiver ou la disparition de la colonie durant l'été. Cette disparition se caractérise par l'absence d'abeilles ouvrières, d'une part, et par la présence de la reine, de larves et d'une quantité suffisante de nourriture sous la forme de miel et de pollen, d'autre part (11) .
2.3. L'énumération des causes
Les causes potentielles découlent théoriquement de plusieurs facteurs: les pratiques des apiculteurs (migration, alimentation, traitements, etc.), des facteurs environnementaux (changements climatiques, nourriture disponible, biodiversité, etc.), des facteurs biologiques (parasites, virus, bactéries, etc.), des facteurs chimiques (pesticides, herbicides, acaricides, etc.), voire d'autres facteurs perturbants (rayonnement électromagnétique).
(1) Les pratiques des apiculteurs
Étant donné qu'aux États-Unis, une mortalité massive a été observée par les apiculteurs professionnels qui déplaçaient leurs abeilles sur de longues distances afin de polliniser certaines cultures intensives au cours des saisons de floraison, les scientifiques se sont longtemps demandé si la migration constante pouvait entraîner une diminution de la résistance, voire un stress mortel. D'autres scientifiques ont mis en avant un risque de contamination accrue en raison des migrations permanentes.
Le traitement de certaines maladies des abeilles par des antibiotiques pourrait s'avérer un facteur aggravant supplémentaire, principalement aux États-Unis. L'estomac des abeilles abrite cependant aussi des bactéries d'acide lactique qui combattent activement les infections touchant les colonies (12) .
Le Plan fédéral Abeilles mentionne également le remplacement du sirop de saccharose que les apiculteurs fabriquaient précédemment eux-mêmes et dont ils nourrissaient les abeilles durant l'hiver en échange du miel, par une nouvelle variante industrielle, générant des problèmes de digestibilité liés à la présence d'oligosaccharides (13) .
Ces pratiques sont pour la plupart observées depuis plusieurs années; même si, en soi, elles peuvent causer du stress et réduire la résistance des abeilles mellifères, elles ne peuvent cependant pas expliquer la mortalité massive au niveau mondial des colonies d'abeilles mellifères et des abeilles sauvages, moins étudiées.
(2) Les facteurs environnementaux
Les abeilles mellifères qui, pour se nourrir, se contentent d'une seule espèce végétale, sont moins résistantes que les abeilles qui butinent plusieurs types de plantes. Dans les régions de monocultures, par exemple celles où on ne cultive que le maïs, l'abeille mellifère reste ainsi sur sa faim.
Sous l'effet des changements climatiques, les saisons semblent également s'estomper, tandis que les monocultures peuvent entraîner de profondes variations en termes de denrées alimentaires disponibles, la nourriture disponible plus tard dans la saison pouvant ainsi n'être plus adaptée aux besoins du couvain. C'est ainsi par exemple que le choix de certaines espèces (comme les graines de moutarde et de colza) en tant qu'engrais verts n'est pas toujours heureux, car les abeilles ne reconnaissent plus l'automne, ne se préparent donc plus à l'hiver, ne constituent plus suffisamment de réserves et restenttrop longtemps actives. À cet égard, la culture de la luzerne serait plus adaptée (14) . Dans le cadre du Plan d'action flamand pour le maintien de l'abeille mellifère et de l'abeille sauvage en Flandre, l'administration flamande chargée des questions agricoles a établi une liste des couvre-sols respectueux des abeilles, pour lesquels les agriculteurs peuvent, depuis 2012, demander des subsides auprès de l'Agence pour l'agriculture et la pêche (Agentschap voor landbouw en visserij). Trois mille deux cent vingt-quatre agriculteurs l'ont effectivement fait, pour un total de 26 847 hectares (15) .
En raison du manque de plantes à floraison tardive, la province de Flandre orientale distribue depuis 2009 des graines de ces plantes et a depuis lors été imitée par toutes les provinces flamandes, qui en distribuent désormais gratuitement. Par le biais de son Plan Maya, la Wallonie a mis sur pied, depuis respectivement 2011 et 2012, une initiative analogue auprès des communes et auprès des provinces.
Les modifications apportées à l'économie agricole s'accompagnent donc de nombreux inconvénients: l'instauration de la monoculture, la disparition des grands prés et des petits éléments paysagers (dont les haies), la lutte contre les « mauvaises herbes » (dont la cirse des champs) ou le fauchage trop précoce des plantes dans les accotements. Le Royaume-Uni nous fournit un exemple symptomatique en termes de différence entre la métropole de Londres et la campagne; les colonies d'abeilles mellifères prospèrent dans la capitale (en raison de l'énorme variété en jardinières et à la présence de parcs), tandis que ces mêmes colonies connaissent un taux de mortalité très élevé dans les zones rurales caractérisées par une agriculture intensive (monocultures, pesticides, etc.) (16) .
(3) Les facteurs biologiques: parasites, virus, bactéries et champignons
Les abeilles mellifères sont confrontées à un certain nombre de pathologies qui sont attribuables à d'autres organismes vivants, dont les parasites (notamment Acarapis woodi; le varroa; le petit coléoptère des ruches; etc.), les virus [notamment le Deformed Wing Virus (virus des ailes déformées); l'Acute Paralysis Virus; le Chronic Paralysis Virus; etc.], les bactéries (la loque américaine et la loque européenne) et les champignons (Ascosphera apis, Nosema apis, Nosema ceranea).
Il y a quelques années, les champignons Nosema apis et Nosema ceranea étaient traités par l'antibiotique Fumagilline, lequel a cependant été retiré du marché, car il ne disposait d'aucun agrément européen (17) .
Le varroa est apparu il y a relativement peu de temps dans nos contrées; sa présence a été constatée pour la première fois dans notre pays en 1983 (18) . La propagation mondiale de cette espèce s'expliquerait par l'introduction par les Néerlandais de l'abeille mellifère européenne en Indonésie (19) . Le varroa qui, jusqu'à ce moment, était resté confiné aux ruches de Java, se serait propagé à partir de là jusqu'en Russie, et ensuite en direction du continent européen, du Royaume-Uni et des États-Unis. L'apparition relativement récente au niveau mondial tant du varroa que du syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles fait que de nombreux spécialistes soupçonnent que le premier phénomène sous-tendrait le deuxième. Les ruches atteintes par le varroa ne sont pas toutes frappées automatiquement par le syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles et l'apparition de ce syndrome n'est pas systématiquement due à la présence du varroa.
Le Plan fédéral Abeilles précise que le varroa doit désormais être considéré comme endémique (et donc plus comme épidémique ou pandémique) (20) . La déclaration spécifique que tout apiculteur doit faire lorsqu'il soupçonne la présence de la maladie a dès lors été supprimée en 2009 dans l'arrêté royal du 7 mars 2007 relatif à la lutte contre les maladies contagieuses des abeilles.
Par ailleurs, le varroa pourrait également être l'hôte du virus des ailes déformées, menace supplémentaire pour l'abeille mellifère. La combinaison des deux pourrait s'avérer particulièrement létale pour une colonie d'abeilles.
(4) Les facteurs chimiques: pesticides, herbicides et fongicides
Deux études récentes et indépendantes (datées de mars 2012) indiquent que l'utilisation d'un type de pesticide relativement récent — les néonicotinoïdes (dont le clothianidine, le thiamethoxam et l'imidaclopride sont les principaux représentants) — dans le cadre de la lutte contre les insectes foliaires, sous la forme tant de graines traitées que d'une substance à pulvériser, constitue l'une des causes de la mortalité des abeilles (21) . Au cours de ces dernières décennies, la quote-part de ce type de pesticide dans le marché mondial des pesticides est passée de 0 % (au début des années 1990) à 24 % (en 2008) (22) .
Des études antérieures ne mettent pas un type particulier de pesticide en cause, mais font plus généralement référence à l'utilisation globale de divers pesticides qui, sous l'effet de leur combinaison ou de leur accumulation, provoquent l'apparition d'un mélange létal pour les abeilles sauvages et les abeilles mellifères; ce phénomène est en règle générale connu sous l'appellation d'« effet cocktail des pesticides » (23) .
(5) D'éventuels autres facteurs polluants
En 2006, l'Université de Landau (près de Coblence) a réalisé une étude pilote à propos des effets non thermiques des radiofréquences sur les abeilles mellifères (24) . Nous pensons dans ce cadre non seulement aux stations de téléphonie sans fil, mais aussi aux poteaux électriques. La réflexion s'est orientée dans cette direction, car les ondes radio pourraient interférer avec les modes de communication des abeilles mellifères. Cette piste de recherche est très contestée et qualifiée par certains de spéculative.
(6) Les synergies entre différents facteurs
À première vue, aucune cause ne semble/ne semblait expliquer ce nouveau phénomène d'effondrement des colonies d'abeilles. Toutefois, à y regarder de plus près, une combinaison de différentes causes ou une interaction de celles-ci sous-tendrait l'apparition de ce phénomène mondial. C'est pourquoi les scientifiques et les pouvoirs publics penchent à cet égard pour un cocktail de pesticides ou pour des pesticides provoquant un effet sublétal sur l'abeille mellifère ou sapant à plus long terme son immunité, les parasites (dont le varroa, le champignon Nosema, etc.) leur donnant ensuite le coup de gráce.
2.4. Les causes en Belgique
S'agissant des causes de la mortalité des abeilles en Belgique, le SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement dresse dans le Plan fédéral Abeilles du 23 octobre 2012 une liste analogue des causes éventuelles de ce phénomène. Ce Plan fédéral Abeilles exclut dans un premier temps un certain nombre de causes. Dans nos contrées, les monocultures sont très peu présentes (page 8), tandis que les parasites comme le petit coléoptère des ruches (page 11), la mouche Apocephalus borealis (page 14) et le frelon asiatique (page 14) n'y sont pas (encore) observés. La maladie de la loque américaine n'est plus apparue depuis 2009 et le Nosema n'est du reste plus considéré comme la cause majeure du syndrome de l'effondrement des colonies (page 12). Le Plan fédéral Abeilles met avant tout le doigt sur la contamination chimique par les pesticides (pages 9-10), qui s'accompagnerait éventuellement d'un effet cocktail (page 13) et n'exclut pas (encore) la piste des semences OGM qui produisent leur propre pesticide.
3. La politique en matière d'apiculture
3.1. La politique européenne
L'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a dans l'intervalle confirmé sans ambiguïté les études françaises plus anciennes soulignant que les semences traitées de manière chimique au moyen de pesticides du type néonicotinoïdes induisent des risques énormes pour la santé des abeilles (25) (26) .
Récemment, l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) a publié une contribution consacrée à la structure historique des éléments de preuve scientifique concernant les risques liés à ces semences traitées chimiquement et au processus social qui a en définitive contribué à l'application du principe de précaution (27) . Dans cette étude, Laura Maxim et Jeroen Van der Sluijs ne se sont pas tant concentrés sur les constats objectifs des scientifiques indépendants français à propos des effets de certains pesticides sur les abeilles, mais ont davantage examiné la position dans laquelle ces scientifiques ont été placés dans le cadre d'un débat public et la manière dont leurs études ont été évaluées, c'est-à-dire dans l'optique de certains groupes d'intérêts économiques et politiques et non sur la base des normes en vigueur dans un processus scientifique de collecte de preuves. Les auteurs décrivent plus spécifiquement les courriers que les chercheurs et leurs supérieurs hiérarchiques ont reçus de la part d'avocats de certains fabricants de ces produits phytosanitaires, dans lesquels ils étaient menacés de procès et de dommages et intérêts pour cause d'atteinte portée à l'image de marque de ces fabricants. Ils fournissent en outre des exemples d'études auxquelles des supérieurs hiérarchiques ont soudainement mis un terme. Les auteurs révèlent les faiblesses du système de régulation et d'autorisation des produits phytosanitaires.
Au Royaume-Uni, la Chambre basse a dans l'intervalle demandé à un fabricant de produits phytosanitaires de s'expliquer à propos des divergences au niveau des éléments de preuve scientifiques entre, d'une part, les scientifiques industriels et, d'autre part, les scientifiques indépendants (28) . Le 5 avril 2013, la Chambre basse a publié un rapport d'une commission d'enquête parlementaire qui demande à l'unanimité une interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes (29) .
À la suite des constats tirés par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le Commissaire européen chargé de la santé et des consommateurs, Tonio Borg, a demandé un moratoire de deux ans sur l'utilisation d'un certain nombre de ces pesticides (néonicotinoïdes) pour quatre cultures: le maïs, le tournesol, le colza et le coton. Toutefois, la proposition d'instaurer ce moratoire n'a pas encore obtenu une majorité suffisamment large; il n'entrerait en outre en vigueur au plus tôt que le 1er juillet 2013, c'est-à-dire essentiellement à partir de l'année agricole 2014.
3.2. La politique en Belgique
Le 20 mars 2013, le secrétaire d'État à l'Environnement, à l'Énergie et à la Mobilité, Melchior Wathelet, a lancé le Plan fédéral Abeilles contenant vingt-neuf actions, dont nous avons déjà fait mention à plusieurs reprises ci-dessus. Outre les actions qui concernent la politique (action 1), l'intégration des plans (actions 10-12), la recherche (actions 13-15), la sensibilisation et la communication (actions 16-20), ainsi que la coordination (actions 23-29), les actions les plus concrètes sur le terrain sont les mesures qui, dans le cadre de la prévention, sont axées contre l'utilisation de pesticides (actions 2 à 9) (30) .
Le 30 mai 2011 déjà, une table ronde consacrée à la « problématique de la disparition » dans le secteur apicole avait été organisée en Flandre. Avaient pris part à cette concertation des représentants des associations flamandes d'apiculteurs, des universités, des instituts de recherche, des associations de terrain et des provinces (31) . Les constats ont permis de dégager quatorze points d'action concrets, qui ont été intégrés dans un Plan d'action flamand pour la conservation de l'abeille mellifère et de l'abeille sauvage en Flandre. Ce plan d'action flamand a été approuvé par le Parlement flamand sous la forme d'une résolution (32) . À cet égard, nous estimons qu'il est regrettable que les auteurs du Plan fédéral Abeilles ne se soient aucunement concertés avec les régions et avec le secteur apicole, à tout le moins avec la Région flamande et le secteur apicole flamand, le Plan fédéral abeilles faisant en effet référence au Plan Maya wallon.
En commission Santé publique de la Chambre des représentants, Mme la ministre Laruelle a soutenu la proposition du Commissaire européen Tonio Borg, mais, pour l'une ou l'autre sombre raison, elle a cependant refusé d'introduire au niveau belge un moratoire ou une interdiction en l'absence de toute décision européenne à ce propos (33) — comme si les néonicotinoïdes seraient moins toxiques pour les abeilles mellifères avec un consensus au niveau européen.
En Flandre, le ministre-président M. Peeters s'est prononcé en commission, en tant que ministre chargé des questions agricoles, en faveur d'un moratoire européen et, en l'absence de toute décision européenne, il a plaidé pour une interdiction décrétée au niveau belge (34) .
Mme la ministre Laruelle ne serait pas davantage en faveur d'une interdiction, car le nombre de produits agréés serait, à ses dires, peu nombreux, ce qui rendrait donc toute interdiction superflue (35) . Cependant, en dépit du Programme fédéral de réduction des pesticides et des biocides (PRPB), dont l'objectif actuel est de réduire, d'ici 2012 (par rapport à la situation de 2001), de 25 % l'utilisation des pesticides dans le secteur agricole et de 50 % celle dans les autres secteurs, il est constaté dans le Plan fédéral Abeilles que la vente des pesticides, qui sont considérés comme étant responsables de la disparition des abeilles, augmente dans le cadre de leur utilisation à des fins professionnelles dans l'agriculture. S'agissant de l'utilisation par les particuliers, des études sont toujours en cours.
Dans le Plan fédéral Abeilles, le SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement veut, par le biais de son action 6, moduler les redevances des matières premières et de tous les produits pesticides (produits phytopharmaceutiques et biocides) au regard du risque d'atteinte à la biodiversité (pollinisation) (36) . Une telle forme de « risque moral » doit être précisée. À quoi ces redevances devraient-elles servir ? Devraient-elles prévoir un volet compensations pour l'apiculteur amateur ou devraient-elles venir gonfler les caisses publiques, alors que la pollution se poursuivrait ? Les décideurs européens mettent de plus en plus souvent l'accent sur le principe dit du « pollueur payeur ». Le parti auquel appartiennent les auteurs de la présente proposition veulent une interdiction immédiate de ces substances toxiques pour l'abeille sauvage et l'abeille mellifère, même si un prélèvement sur les entreprises en question est justifié en raison de la pollution environnementale déjà causée. Cette dernière a essentiellement été rendue possible par les opinions mensongères avancées par les entreprises sur la base des résultats scientifiques à propos de l'éventuelle toxicité de leurs produits, présentés par des scientifiques d'entreprise, alors que les scientifiques indépendants payés par les pouvoirs publics arrivent à d'autres conclusions.
Le Plan fédéral Abeilles souhaite sensibiliser tous les acteurs. Nous sommes d'avis que la meilleure campagne de sensibilisation serait une interdiction totale des pesticides du type néonicotinoïdes, c'est-à-dire une interdiction pour toutes les cultures. Il est impossible de donner un signal plus fort; cette mesure serait également assortie d'une sécurité juridique tant pour les producteurs que pour les acquéreurs de ces produits.
Patrick DE GROOTE. |
Huub BROERS. |
Lieve MAES. |
Elke SLEURS. |
Sabine VERMEULEN. |
Le Sénat,
A. eu égard à l'importance écologique de la pollinisation par les abeilles mellifères et les abeilles sauvages pour la biodiversité et l'ensemble de l'écosystème;
B. eu égard à l'importance économique de la pollinisation par les abeilles mellifères et les abeilles sauvages pour la production agricole, en plus de l'importance économique des sous-produits spécifiques du miel (miel, cire, propolis et venin d'abeille);
C. vu la mortalité massive, observée au niveau mondial, chez l'abeille mellifère et l'abeille sauvage;
D. vu la nocivité avérée de certains pesticides dans l'environnement pour l'abeille mellifère et l'abeille sauvage;
E eu égard au programme européen de réduction de l'utilisation des pesticides;
F. considérant qu'il existe encore des lacunes importantes dans les connaissances biologiques à propos des abeilles, dans les connaissances à propos de la toxicité de substances actives et de leurs effets à long terme sur les systèmes écologiques, car les systèmes écologiques sont à ce point complexes qu'en termes de conséquences, aucune étude unilatérale et distincte portant sur l'utilisation ou la nocivité d'un pesticide particulier ne pourra jamais donner une idée globale des incidences sur les abeilles résultant de l'accumulation de doses toxiques, des effets cocktail ou des effets sublétaux des pesticides;
G. considérant que le principe de précaution constitue la mesure la plus indiquée dans le cadre d'un développement durable de l'environnement et de l'agriculture;
H. vu les signes d'exercice de pressions illicites exercées sur des scientifiques indépendants par des avocats de fabricants de pesticides;
I. considérant que la réglementation européenne en matière d'environnement postule le principe du « pollueur payeur »,
Demande au gouvernement,
1. d'apporter son appui au commissaire européen Tonio Borg qui a proposé de décréter un moratoire de deux ans sur l'utilisation, dans le cadre de la lutte contre les insectes foliaires, de neurotoxines du type néonicotinoïdes (dont le clothianidine, le thiamethoxam et l'imidaclopride) pour quatre plantes agricoles qui sont importantes pour l'agriculture (maïs, tournesol, colza et coton) et pour qu'il prenne des mesures supplémentaires en vue d'interdire les néonicotinoïdes;
2. de ne pas attendre un moratoire européen pour décréter une interdiction totale en Belgique de l'utilisation, dans le cadre de la lutte contre les insectes foliaires, de neurotoxines du type néonicotinoïdes (dont le clothianidine, le thiamethoxam et l'imidaclopride), c'est-à-dire d'interdire ces néonicotinoïdes pour toutes les plantes ou pour toutes les autres applications, tant pour les particuliers que pour l'agriculture professionnelle, afin que la vente des néonicotinoïdes précités sur le marché belge des pesticides diminue immédiatement et pour que plus aucune plante agricole traitée aux néonicotinoïdes précités ne soit mise sur le marché à partir du 1er janvier 2014;
3. de proposer aux décideurs et aux institutions européens de diligenter une enquête à propos de la responsabilité juridique des fabricants de produits phytosanitaires dans le cadre d'une indemnisation pour la perte causée à l'apiculture et pour la dissimulation de renseignements scientifiques à propos de la toxicité de leurs produits;
4. de se concerter avec les régions et avec le secteur apicole et d'harmoniser le Plan d'action fédéral Abeilles avec les actions qui sont déjà mises en œuvre au niveau régional.
2 mai 2013.
Patrick DE GROOTE. |
Huub BROERS. |
Lieve MAES. |
Elke SLEURS. |
Sabine VERMEULEN. |
(1) Ce chiffre de 14,2 milliards est toujours utilisé, notamment dans le Plan fédéral Abeilles récemment publié « La santé des abeilles, notre santé aussi. Actions supplémentaires 2012-2014 », 23 octobre 2012, p. 7-8.
(2) D. Draulans, « Groene jongens vervangen imkers. De teloorgang van de bij », dans Knack, 9 mai 2012, p. 80-84.
(3) Fourth Zagreb meeting proceedings, Zagreb, 3-4 mars 2008, p. 8.
(4) P. De Groote, « Een verdwijntruc van 153 miljard », in De Tijd, 30 mars 2013, p. 50-51.
(5) Un plan « Abeilles » ambitieux, communiqué de presse SPF Santé publique, 20 mars 2013.
(6) J. Erskine, Who killed the honey bee ?, documentaire de la BBC, 2009.
(7) Fourth Zagreb meeting proceedings, Zagreb, 3-4 mars 2008, p. 8.
(8) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement (SPSCAE), 23 octobre 2012, p. 6.
(9) D. Draulans, o.c., cite Michel Asperges de la Vlaams-Brabants Verbond van imkersverenigingen.
(10) Un plan « Abeilles » ambitieux, communiqué de presse, SPF SPSCAE, 20 mars 2012.
(11) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 6-7.
(12) D. Draulans, o.c., cite une analyse de la revue professionnelle Public Library of Science ONE.
(13) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 15.
(14) D. Draulans, o.c.
(15) Parlement flamand, Beleidsbrief Landbouw, Visserij en Plattelandsbeleid. Beleidsprioriteiten 2012-2013, no 1753/1, 19 octobre 2012, p. 48.
(16) J. Erskine, Who killed the honey bee ?, documentaire de la BBC, 2009.
(17) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 13.
(18) D. Draulans, o.c.
(19) P. De Groote, « Een verdwijntruc van 153 miljard », in De Tijd, 30 mars 2013, p. 50-51: une interview avec Frans Jacobs, professeur émérite et fondateur dans les années 1970 du département Abeille à l'Université de Gand.
(20) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 29.
(21) Deux études qui sont parues en mars 2012 sur le site Internet de Science et ont ensuite été publiées dans Science Magazine: M. Henry, M. Beguin, F. Requier, O. Rollin, J.-Fr. Odoux, P. Aupinel, J. Aptel, S. Tchamitchian et A. Decourtye, « A common pesticide decreases foraging success and survival in honey bees », dans Science, vol. 336, n° 6079, p. 348-350. P. Whitehorn, S. O'Connor, F.L. Wackers, D. Goulson, « Neonicotinoid pesticide reduces bumble bee colony growth and queen production », dans Science, 20 avril 2012, vol. 336, n° 6079, p. 351-352.
(22) L. Maxim et J. Van Der Sluijs, Seed-dressing systemic insecticides and honeybees. In Late lessons from early warnings: science, precaution, innovation, Rapport EEA, n° 1/2013, p. 26 (résumé) et pp. 401-438.
(23) J. Erskine, Who killed the honey bee ?, documentaire de la BBC, 2009: interview avec Maryann Frazier de la Penn State University. Le Plan fédéral Abeilles signale également cet effet cocktail; voir: La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 17.
(24) W. Harst, J. Kuhn, H. Stever, « Can electromagnetic exposure cause a change in behaviour ? Studying possible non-thermal influences on honey bees. An approach within the framework of educational informatics », Acta Systemica, 6, 2006. Voir également: La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 11.
(25) « Assessment of the scientific information from the Italian project « APENET » investigating effects on honeybees of coated maize seeds with some neonicotinoids and fipronil, dans: EFSA Journal, 10, 26 p.
(26) « Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment for bees for the active substance clothianidin », dans EFSA Journal, 11, 16 janvier 2013; version amendée du 14 mars 2013, 58 p.
(27) L. Maxim et J. Van Der Sluijs, « Seed-dressing systemic insecticides and honeybees. », in Late lessons from early warnings: science, precaution, innovation, Rapport EEA, n° 1/2013, p. 26 (résumé) et p. 401-438.
(28) D. Carrington, « Insecticide « unacceptable » danger to bees, report finds », in The Guardian, 16 janvier 2013.
(29) Chambre des Communes (House of Commons), Pollinators and pesticides, no HC 668, 5 avril 2013, 306 pp.
(30) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, 62 p.
(31) Parlement flamand, Beleidsbrief Landbouw, Visserij en Plattelandsbeleid. Beleidsprioriteiten 2012-2013, n° 1753/1, 19 octobre 2012, p. 48.
(32) Parlement flamand, Voorstel van resolutie betreffende een actieplan voor het behoud van de honingbij en van de wilde bij in Vlaanderen, n° 1340/1-3, 27 octobre 2011-14 décembre 2011.
(33) La Chambre, Compte rendu intégral, commission de la Santé publique, de l'Environnement et du Renouveau de la société, n° 696, 13 mars 2013, pp. 4-10 (ministre Laruelle: « La France a interdit la commercialisation du Cruiser pour le colza mais pas pour le maïs. L'Italie et l'Allemagne interdisent les trois pesticides pour le maïs, mais pas pour le colza. Les Pays-Bas l'ont interdit pour les cultures attirant les abeilles. La Slovénie l'a totalement interdit. Je reste favorable à des mesures à l'échelon européen, plutôt que de mesures diverses à l'échelon national [, qui ne sont pas toujours dictées par des motifs ayant trait à la protection des abeilles]. »)
(34) Parlement flamand, Annales de la commission pour l'Agriculture, la Pêche et la Concertation rurale, n° C111, 6 février 2013, pp. 5-9; le ministre-président Peeters: « La concertation avec les autorités fédérales est bonne. Je n'ai aucune indication qui me laisse à penser que les autorités fédérales ne suivraient pas l'Europe. Si l'Europe parvient à prendre une décision, les autorités fédérales la mettront de toute évidence en œuvre. La situation dans laquelle les autorités fédérales ne parviendraient pas à prendre une décision et dans laquelle chaque État membre serait libre de prendre ses propres décisions serait problématique. Nous devrions alors prendre ce rapport de l'EFSA au sérieux et imposer nous-mêmes des interdictions et, étant donné que nous ne disposons pas de la compétence pour prendre de telles décisions, nous les aborderons avec les autorités fédérales. »(traduction).
(35) La Chambre, Compte rendu intégral, commission de la Santé publique, de l'Environnement et du Renouveau de la société, n° 696, 13 mars 2103, p. 4-10.
(36) La santé des abeilles, notre santé aussi, SPF SPSCAE, 23 octobre 2012, p. 41.