5-590/2

5-590/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

30 JUIN 2012


Proposition de loi visant à adapter la perception du droit d'auteur à l'évolution technologique tout en préservant le droit à la vie privée des usagers d'Internet

Proposition de loi favorisant la protection de la création culturelle sur Internet


AUDITION


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR

MM. VAN ROMPUY ET SIQUET


I. INTRODUCTION

Le 11 mai 2011, la commission des Finances et des Affaires économiques a organisé une audition concernant:

a) la proposition de loi visant à adapter la perception du droit d'auteur à l'évolution technologique tout en préservant le droit à la vie privée des usagers d'Internet (de M. Jacky Morael et Mme Freya Piryns, doc. Sénat nº 5-590/1);

b) la proposition de loi favorisant la protection de la création culturelle sur Internet (de M. Richard Miller, doc. Sénat, nº 5-741/1).

MM. Peter Van Rompuy et Louis Siquet ont été désignés comme rapporteurs.

Les invités à cette audition étaient:

— Mme Séverine Dusollier, directrice, et Mme Caroline Colin, chercheuse, CRIDS, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur;

— M. Daniel Faucon, porte-parole de la NURPA;

— M. Frédéric Young, délégué général de la SACD-SCAM;

— M. Frans Wauters, directeur SAJ;

— M. Julek Jurowicz, administrateur délégué de SMART;

— Mme Isabelle De Vinck, ISPA Belgium Coordinator;

— M. Nico De Bie et Mme Caroline Koelman, représentants de Test Achats;

— M. Christophe Depreter, directeur général de la SABAM.

À la demande du ministre de l'Économie, le Conseil de la Propriété intellectuelle a remis, le 29 juin 2012, un avis sur les propositions de loi relatives à la défense des droits d'auteur et des droits voisins sur Internet.

Il était en effet nécessaire de développer une approche équilibrée de la problématique liée au respect des droits de propriété intellectuelle dans un environnement numérique. Il s'agit en outre d'une problématique complexe, pour laquelle il faut prendre en compte différents domaines juridiques, ainsi que les évolutions au niveau européen et les aspects technico-juridiques des différentes approches.

II. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DU 11 MAI 2011

II.1. Exposés introductifs

A. Exposé introductif de Mme Séverine Dusollier, directrice, et de Mme Caroline Colin, chercheuse, CRIDS, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur

Mme Dusollier indique qu'elle interviendra dans le débat en tant que chercheuse et qu'elle ne se bornera pas à commenter l'étude réalisée par le CRIDS (Centre de recherches informatique et droit) « Synthèse des premiers résultats de l'étude de faisabilité de système de licences pour les échanges d'œuvres sur Internet ».

Les deux propositions faisant l'objet de l'audition, posent un dilemme qui s'est posé à tous les spécialistes du droits d'auteurs.

La proposition de loi nº 5-590/1 tend à légitimer l'échange en peer-to-peer et la proposition de loi nº 5-741/1 essaie de poursuivre les internautes qui échangeraient sans autorisation.

Le dilemme est difficile à résoudre.

Mme Dusollier pointera quelques difficultés juridiques des deux propositions de loi. Ceci tout en rappelant que si on souhaite légitimer les échanges en peer-to-peer, il y a différents stades d'autorisation possible selon les droits d'auteur:

— soit prévoir une exception aux droits d'auteurs (différentes formes sont possibles: exception pure et simple (par exemple parodie), prévoir de licence obligatoire ou légal (par exemple la copie privée). Dans tous ces cas les auteurs perdent leur droit d'autoriser les échanges sur Internet;

— soit prévoir l'exercice du droits d'auteurs (différentes formes possibles: la gestion individuelle, regroupement en gestion collective: dans ce modèle: différentes formes existent: la gestion collective obligatoire (par exemple la retransmission des œuvres par cábles en droit européen), la gestion collective étendue (dans ce modèle, des sociétés collectives qui ont l'habitude d'accorder des autorisations, se voient accorder la possibilité par le législateur de représenter tous les auteurs d'une même catégorie, même si ceux-ci ne sont pas formellement membre de la société d'auteurs: ce modèle est connu dans les pays Nordiques).

La notion de « licence globale », utilisée dans la proposition de loi nº 5-590/1, n'est pas proprement juridique, mais vise surtout à expliquer que les usages sur Internet seraient autorisés globalement.

La proposition de loi nº 5-590/1 de M. Morael et Mme Piryns prévoit une « licence globale », une autorisation générale des échanges d'œuvres. Cette autorisation serait négociée entre les fournisseurs d'accès à Internet et les sociétés de gestion collective. Les fournisseurs Internet payeraient ainsi aux auteurs une compensation qu'ils prélèveraient sur le prix de l'abonnement à Internet.

Cette proposition de loi appelle les commentaires suivants:

— il n'est pas toujours claire de voir quel est le système qui est en réalité envisagé: il semble qu'il sera du ressort des sociétés de gestion collective d'autoriser ces échanges et qu'elles auront toute liberté contractuelle, à la fois pour l'autorisation et pour la détermination de la rémunération qui sera demandée; toutefois, à défaut d'accord, le Roi pourrait intervenir pour fixer le montant de la rémunération. Ceci rend le système assez hybride: on semble dire que c'est de la gestion collective « volontaire » tout en étant plus dans une optique d'exception aux droits d'auteur, par ce qu'en définitive, ce n'est pas les négociations entre les auteurs représentés par leur gestion collective et les fournisseurs d'accès Internet qui détermineraient la rémunération, mais le législateur. Le système proposé prévoit aussi le système collectif étendu, plutôt sur le modèle « cáble »: puisque les auteurs devront passer par une gestion collective obligatoire, les sociétés de gestion collective seront censées représenter tous les ayant-droits d'une même catégorie, même s'ils ne sont pas membres de la société de gestion collective.

Ensuite Mme Dusollier esquisse quelques contraintes et difficultés:

1º la conformité de ce modèle par rapport au cadre international qui régit le droits d'auteurs: conformité au test en trois étapes: ce test est un encadrement pour les législateurs nationaux qui prévoient des dérogations aux droits d'auteur:

— le seul cas où l'on peut prévoir une exception aux droits d'auteurs que si cela ne contrevient pas à l'exploitation normale des œuvres: si on autorise en Belgique les échanges d'œuvres sur les réseaux peer-to-peer, quelles conséquences aura-t-il sur les offres légales ? Est-ce que cela ne portera pas concurrence aux offres légales ? Si on estime que c'est le cas, on est en contradiction avec cette obligation internationale en matière de droits d'auteurs;

— si on envisage une véritable exception aux droits d'auteurs, la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, n'autorise pas le législateur national à préciser des nouvelles hypothèses d'exception;

— une des difficultés qui n'est pas évoquée par cette proposition de loi est de savoir si cette possibilité d'échange sur Internet est optionnelle ou non pour les internautes. Si elle est optionnelle, que fait-on des récalcitrants ? Il manque une sanction dans la proposition de loi nº 5-590/1;

2º comment implique-t-on les fournisseurs d'accès Internet dans ce système ? Leur volonté de négocier auprès de ceux-ci n'est pas certaine, à cause des coûts économiques. Ils bénéficient juridiquement d'un statut assez privilégié en droit européen d'exonération de responsabilité pour ce qui se passe sur leur réseaux. Il y a des affaires en cours au niveau européen qui vont encore donner aux fournisseurs accès Internet des garanties supplémentaires d'immunité concernant les échanges en peer-to-peer;

3º le texte de la proposition de loi nº 5-590/1 n'est pas assez clair en ce qui concerne le contenu de l'accord: quelles sont les œuvres concernées, aussi bien en termes géographiques qu'en terme de secteur (musique, film, livres, ...) ? Est-ce que les œuvres étrangères seront automatiquement englobées dans la gestion collective obligatoire qui sera ainsi imposée aux sociétés de gestion collectives et quelles seront les conséquences pour leurs relations avec leurs sociétés sœurs dans les autres pays ? Est-ce qu'on se rend bien compte de cette internationalisation du peer-to-peer ?

Sur la proposition de loi nº 5-741 de M. Miller, Mme Dusollier formule les remarques suivantes:

1º la mise à disposition d'œuvres par « opérateurs de base de données » devra se faire par une gestion collective obligatoire: qu'entend-on par les « opérateurs des bases de données »: s'agit-il des offres légales de téléchargement ou s'agit-il d'offres plus particulières ? Dans la première hypothèse, imposer la gestion collective obligatoire va quelque peu à l'encontre de ce qui s'est développé au niveau européen où depuis 2005, l'Union européenne a essayé de détricoter la gestion collective ou en tout cas d'autoriser d'autres modalités pour permettre la gestion des droits relatifs à la musique pour toutes les exploitations sur Internet;

2º la proposition donne aux sociétés de gestion collective la possibilité de conclure des accords avec les fournisseurs d'accès Internet pour autoriser les échanges en peer-to-peer. Mais le mandat est assez flou puisqu'il est simplement précisé que les limites et les conditions de ces autorisations devaient être fixés ultérieurement: la proposition de loi introduit ainsi une système Hadopi à la française mais sous une forme assouplie et elle introduit aussi des échanges en peer-to-peer, mais dans une ampleur assez minimale;

3º en introduisant le système de réponse graduée (Hadopi) assoupli, la proposition de loi répond en partie aux critiques adressées au modèle français, notamment par ce que la connexion Internet n'est pas complètement enlevée à l'internaute, mais son débit est simplement réduit;

4º il sera néanmoins difficile d'éviter l'opposition sociale à un outil de type Hadopi, même assoupli;

5º la proposition pose aussi des difficultés liées au traitement des données personnelles des internautes: quid de la conformité au principe de proportionnalité (CJUE) ?;

6º Mme Dusollier se pose aussi des question sur la conformité de la proposition de loi aux textes internationaux: la gestion collective obligatoire et étendue pour offres légales lui paraît poser des problèmes en termes de réduction du droit exclusif, ainsi qu'en termes de conformité au test des trois étapes;

7º il faut être vigilant aux implications de la proposition de loi pour les fournisseurs d'accès à Internet qui jouent un rôle très actif dans la réponse graduée (par exemple en France ou au Royaume Uni où les fournisseurs d'accès à Internet ont obtenu des compensations financières assez importantes de la part des ayants-droits pour participer à ce système de réponse graduée).

B. M. Daniel Faucon, porte-parole de la NURPA (Association de protection des droits des internautes)

M. Faucon débute son intervention en reconnaissant que la commission d'artiste est en danger à cause du partage de fichiers. Actuellement, les artistes souffrent économiquement à l'exception de quelques artistes hyper populaires. Mais la situation économique des artistes a toujours été difficile, même avant l'arrivée d'Internet arrive. Ce lien causale entre l'évolution Internet et le préjudice des artistes est souvent discuté sur la base d'études.

NURPA ne partage pas les conclusions de ces études et a conduit sa propre étude. Le fait qu'une étude dont plus de 51 % des données brutes viennent des acteurs intéressés économiquement dans le résultat de l'étude, ne saurait être qualifiée d'objective.

Le modèle Hadopi française a depuis lors été mis en place avec le peu d'efficacité qu'on lui connaît. Ailleurs en Europe et dans le monde, l'industrie du divertissement fait du lobbying auprès des gouvernements pour imposer ce modèle coûteux et ne favorisant en rien la création. D'autre part, on constate dans les faits que ladite industrie profite d'une perfusion d'argent public et refuse encore et toujours de se tourner vers l'avenir pour envisager ses nécessaires évolutions. Et pourtant, on verra rapidement que l'ensemble des études menées par l'industrie du divertissement pour prouver que ses prétendues pertes financières sont dues au partage de fichiers sur Internet partent de ce principe. En effet, la méthodologie universellement appliquée dans ces études est la suivante:

un échange hors marché = une vente d'album perdue.

Cette affirmation est doublement fausse.

Premièrement, rien ne garantit qu'une personne aurait acheté un album si elle n'avait pas eu la possibilité de le trouver sur Internet. De même, rien ne prouve que quelqu'un qui télécharge un film aurait été le voir en salle ou aurait acheté le DVD et une personne téléchargeant un jeu vidéo se serait probablement abstenue d'y jouer.

Deuxièmement, de nombreuses personnes partageant des fichiers sur Internet font également partie des plus gros consommateurs de produits culturels dans le circuit officiel.

Ils téléchargent souvent afin de découvrir un artiste, un album, un film ou un jeu et, s'ils l'apprécient, passent à la caisse dans le but de soutenir le créateur.

Un des manquements les plus flagrants de la proposition de loi n° 5-741/1 sur le plan de la rigueur intellectuelle est que, tout au long du texte introductif, les seules données chiffrées fournies par les auteurs de la proposition émanent directement de l'industrie du divertissement elle-même.

Il existe pourtant nombre d'études indépendantes commandées par des gouvernements ou des organismes d'intérêt public, sans compter que les données transmises par ladite industrie ont été remises en cause par rien de moins que le GAO (Government Acountability Office, la Cour des Comptes américaine) que l'on ne saurait accuser d'être par défaut favorable au partage de fichiers.

On peut comprendre que l'industrie tente de maintenir à tout prix un business model qui lui est actuellement plus que favorable, quitte à déformer la réalité, interpréter des faits de manière subjective voire défendre sans scrupule des contre-vérités, rien de moins.

La proposition de loi proprement dite ne tient aucun compte des opnions divergentes.

Elle n'offre aucun cadre pour l'amélioration de la situation des artistes qu'elle prétend défendre. Ceux-ci sont instrumentalisés par l'industrie alors même que nombre d'entre eux, qu'ils jouissent d'une renommée internationale ou qu'ils fassent partie de la masse de ceux qui sont ignorés totalement par les géants du secteur, remettent en cause le système actuel ainsi que les propositions de type « riposte graduée » !

La NURPA demande simplement, que l'ensemble des données du problème soient prises en considération.

Outre les intérêts des grands groupes de l'industrie, il faut aussi que soient pris en considération ceux des artistes et du public et l'intérêt de la culture au sens large dans le cadre du processus législatif. Des données biaisées ne sauraient aboutir à une loi équitable.

Votée en France le 12 juin 2009, la loi « Création et Internet » fait partie des premières initiatives européennes ayant pour but d'endiguer le partage de fichiers sur la toile. La proposition belge actuelle présente un certain nombre de similarités avec sa « grande sœur ». Parmi celles-ci, le fait notamment d'avoir été rédigée sur la seule base des chiffres de l'industrie (catastrophiques selon elle, bien qu'elle ne soit pas réellement en grand danger), l'instauration d'un système de « riposte graduée » et l'absence de cadre pour l'amélioration de la situation des artistes.

De nombreux éléments dans la loi française et dans la proposition belge sont discutables: possibilité de double peine, inversion de la charge de la preuve, responsabilité du fait d'autrui, identification par l'adresse IP (donnée peu fiable), facilité de contournement, etc. On remarquera dans l'exemple français l'impact énorme d'un tel dispositif sur les finances publiques et donc sur le contribuable, mais aussi sur les fournisseurs d'accès à Internet.

Quels sont les résultats engrangés par le système français Hadopi ?

Premièrement, si les échanges de fichiers sur les réseaux peer-to-peer ont effectivement baissé, on remarque une augmentation de la consommation de produits culturels hors du circuit officiel. Les pratiques ont évolué et les internautes se tournent vers des solutions différentes du peer-to-peer comme par exemple le streaming ou le téléchargement direct. Non seulement on quitte un mécanisme de partage pour entrer dans un système de consommation pure, mais de plus, la plupart des intervenants de ces nouveaux marchés proposent des offres payantes.

D'un système de partage culturel sans bénéfice, on est passé à un véritable marché noir. Ensuite, en analysant les chiffres des revenus du téléchargement légal, on se rend compte qu'ils n'ont aucunement bénéficié de la loi. Ils sont en augmentation mais suivent la courbe des années précédentes, ce qui est normal pour une solution technologique en expansion.

Le volet « pédagogique » de la loi, utilisé pour la vendre aux hésitants, est quant à lui sous-développé. Le processus de labellisation des offres légales n'en est nulle part et la seule action réalisée en ce sens est une distribution de tracts aux péages autoroutiers et dans des commerces bordelais.

Bref, malgré un budget annuel de 12 millions d'euros sans compter les investissements exigés par la loi et à charge des fournisseurs d'accès à Internet, le résultat est nul, voire contre-productif. L'exemple français le démontre, la « riposte graduée » est un système voué à l'échec.

Quelques autres éléments de réflexion:

— « Il s'agit de bloquer ce qu'on appelle le « haut débit » qui rend tout téléchargement extrêmement difficile en manière telle que le titulaire fautif sera découragé de recourir à cette technique. Par contre, cette limitation laisse intactes toutes les autres utilisations d'internet. » (doc. Sénat, nº 5-741/1, p. 13).

Cette affirmation montre bien la méconnaissance de la technologie dont font preuve les rédacteurs de cette proposition. Internet est loin de se limiter au web et à l'e-mail. De nombreuses applications parfaitement légales requièrent l'usage d'une connexion à haut débit.

Par exemple, comment feraient les utilisateurs de jeux en ligne, les professionnels du web, sans même parler des utilisateurs de ... plateformes de téléchargement légal, loin d'être incompatibles avec le partage de fichiers ! Ne parlons même pas de l'inconfort d'une connexion à bas débit. La NURPA invite les promoteurs de la proposition de loi nº 5-741/1 à souscrire à une offre 56K pour se rendre compte que la technologie a évolué à un point tel que leur utilisation en devient pénible.

On parle donc de pénaliser une famille entière voire un indépendant ou une entreprise pour les agissements d'un seul individu, à l'heure où l'utilisation d'Internet se fait de plus en plus indispensable pour chercher de l'emploi, effectuer des démarches administratives ou encore des recherches scolaires. Contrairement à ce que prétend le texte, il aggrave bel et bien la fracture numérique.

— « Les conditions et limites des échanges doivent donc faire l'objet de négociations entre les sociétés de gestion et les fournisseurs d'accès. » (doc. Sénat, nº 5-741/1, p. 13).

Ce type de négociations, dont on a appris récemment qu'elles étaient entre autres en cours au niveau européen, se font en dehors de tout contrôle démocratique et font peser une menace inacceptable sur la liberté et la neutralité de l'Internet. La NURPA est conscient que ces négociations sont à peu de choses près inévitables mais il est vital qu'elles se fassent dans un cadre démocratique et respectueux des droits des citoyens, en ce compris des internautes.

— « La licence globale consiste à véritablement exproprier le créateur de son œuvre. »

Toute considération pour ou contre la licence globale mise à part, cette affirmation est purement et simplement fausse. Les droits d'auteur ont toujours cours, la partie patrimoniale étant assurée, outre toutes les ventes effectives et l'exploitation publique de l'œuvre, par une redistribution selon un modèle proche de celui existant dans le cadre du droit à la copie privée, tandis que l'utilisation publique de l'œuvre est toujours soumise au droit moral de l'auteur et au versement de droits d'exploitation.

Ce bref tour d'horizon ne saurait, bien entendu, pas proposer un inventaire complet des arguments qui poussent les collectifs NURPA/Hadopi Mayonnaise à lutter contre le projet français de loi de M. Clarinval et consorts. Depuis avril 2010 et la proposition de loi nº 5-741/1 de M. Miller, les arguments n'ont que peu changé. Ils ont par contre eu le temps de mûrir et d'acquérir une légitimité plus grande encore à la lumière de l'expérience française.

Les membres de la NURPA ne sont pas les « pirates » que les promoteurs de ce texte décrivent. Ils sont amoureux de culture et la NURPA estime, comme de nombreux artistes, que celle-ci doit être abordée différemment d'un simple bien de consommation.

Plutôt que d'en passer par une législation à l'emporte-pièce qui, loin de résoudre quoi que ce soit, risque bel et bien d'empirer la situation, la NURPA désire un processus de concertation qui ne se limite pas aux représentants de l'industrie et des grandes entreprises du divertissement. Celui-ci doit les inclure, bien entendu, mais leur voix ne doit pas être plus forte que celles des artistes, qu'ils soient sous contrat avec l'industrie ou indépendants, et bien entendu des citoyens naviguant sur le Net.

Internet est un formidable vivier d'innovation et de promotion pour les artistes comme pour un grand nombre d'entreprises et de citoyens. Tenter de « civiliser » Internet ou de brider les possibilités d'échange n'est en aucun cas une solution aux problèmes existentiels d'une industrie qui peine à se renouveler.

M. Faucon pense qu'il est possible en se mettant autour de la table de parvenir à une évolution plutôt qu'à une vaine tentative de contrer les avancées technologiques rendues possibles par Internet.

Ce que la NURPA veut, c'est se tourner ensemble vers l'avenir pour profiter de ces possibilités sans que personne ne soit laissé sur le carreau.

C. M. Frédéric Young, délégué général de la SACD-SCAM

M. Young explique que la SACD, fondée en 1777, est la plus ancienne société d'auteurs au monde et compte aujourd'hui 50 000 membres environ. La SCAM vient de fêter ses trente ans et compte 30 000 membres. En Belgique, elle représente 5 000 auteurs, dont Hugo Claus, les frères Dardenne, Jacques De Decker, ...

Il est important de faire une distinction entre les échanges non-autorisées (peer-to-peer), la piraterie, organisée par un certain nombre d'opérateurs qui ont des sites et qui revendent les œuvres illégalement et les grands opérateurs qui montent des plateformes, bases de données de type « Google » et qui utilisent des œuvres téléchargés par les internautes, mais sans autorisation pour une large part.

1º Les échanges non-autorisés

M. Young remercie les auteurs des propositions de loi qui se sont saisis de ce dossier difficile, mais très important pour la circulation de la connaissance, pour le statut des auteurs et des autres partenaires de la création, producteurs, artistes-interprètes, éditeurs. Vu du succès des tablettes, tout le secteur de l'édition va basculer dans les mêmes problématiques que celui de la musique. Le secteur audio-visuel y est déjà, mais les capacités des réseaux risquent de poser des problèmes différents pour ce secteur.

Le SACD-SCAM a suivi pas-à-pas l'élaboration de la solution française qui a souvent été présentée de façon très caricaturale. L'objectif premier de cette solution est de faire baisser le volume de téléchargement non-autorisé et pas de réprimer les jeunes gens dans les campagnes.

Toutefois, en Belgique, la SACD-SCAM a élaboré une position spécifique parce que le cadre politique est différent et l'organisation a, entre-temps, pu tenir compte des expériences françaises, espagnoles et anglaises.

Ce qui a frappé la SACD-SCAM, quand les premières propositions de loi en question sont apparues, c'est qu'il manquait des analyses scientifiques sur ce sujet tant discuté et débattu.

Par conséquent, la SACD-SCAM a commandé deux études, de façon que la SACD-SCAM puisse apporter dans le débat une étude universitaire indépendante (CRIDS) sur ce qui est juridiquement possible. Ce travail a été achevé pour ce qui concerne sa première phase. Une seconde phase est en cours pour affiner les hypothèses de solutions possibles. Après cela, la SACD-SCAM définira un ou plusieurs modèles juridiques possibles et elle lancera une étude économique pour examiner quel serait l'impact économique d'une solution globale, sectorielle ou individuelle du problème des échanges non autorisées.

2º Quels que soient les résultats qu'apporteront ces études, la SACD-SCAM est d'avis qu'il faut partir d'un certain cadre. Le point de vues des auteurs n'est bien sûr pas neutre parce qu'ils vivent des revenus de leurs créations et parce qu' ils ont aussi le souci du respect moral de leurs œuvres (droits de paternité, droits à l'intégrité de leurs œuvres, ...).

Les auteurs se sont accordés sur les points minimaux suivants:

— le respect des droits exclusifs des auteurs, de façon à encourager les solutions de négociées;

— refuser les licences légales: l'expérience belge avec quatre licences légales (copie privée, reprographie, prêt publique et la licence portant sur l'utilisation des œuvres numérisées dans l'enseignement) a montré qu'il faut vraiment se trouver dans des situations très particulières pour favoriser ce genre de solutions: nous n'avons pas de modèle en Belgique pour accompagner l'évolution de ces systèmes de façon extrêmement performante. L'adaptation des tarifs de copie privée a été extrêmement difficile; la licence sur l'enseignement a été votée en 1998 et n'a toujours pas trouvé de rémunération pour les auteurs et les autres ayants-droits. Ces modèles sont des modèles qui dérogent aux intérêts des auteurs et parfois de façon très important;

— la SACD-SCAM s'oppose fortement aux licences globales. Pour connaître les secteurs d'activités, la SACD-SCAM s'est spécialisée en audio-visuel et littérature: la SACD-SCAM est d'avis qu'il faut travailler par secteur d'activités et que la vision globale n'est pas à recommander. Par exemple dans le secteur de l'audiovisuel, la chronologie des médias définit l'ordre et les délais d'exploitation d'une œuvre audiovisuelle: exploitation en salle → DVD → vidéo à la demande → télévision cryptée → télévision coproductrice → télévision gratuite. Ceci permet petit-à-petit de reconstituer le prix de l'œuvre, le coût de fabrication de l'œuvre, progressivement, sans faire peser sur un mode d'exploitation, l'ensemble du coût originel de l'œuvre qui est trop élevé. Ce respect de la chronologie des médias est très important. En matière de livres, on ne lit pas x-fois le même livre comme on écoute x-fois la même musique. Le fait d'épuiser un livre en une ou deux lectures, pose des questions tout-à-fait différentes par rapport à la répétition que donne le plaisir de réécouter des œuvres musicales;

— la SACD-SCAM estime qu'il faut favoriser l'offre légal autorisé et il faut favoriser les concertations sectorielles.

La réaction de la SACD-SCAM sur les deux propositions de loi:

1. nº 5-590/1. Une licence globale ne répond pas aux demandes des auteurs représentés par la SACD-SCAM.

2. nº 5-741/1. La proposition de loi de M. Miller apporte plus de solutions différentes: les sujets couverts par la proposition de loi sont les sujets qui devront se retrouver dans une législation ultérieure.

En guise de conclusion, la SACD-SCAM souligne l'importance pour le législateur de trouver l'équilibre entre les réseaux et les distributeurs et les créateurs et les producteurs. Cette équilibre n'est plus atteint dans la législation actuelle: il y a vraiment un problème: M. Young cite deux exemples:

— le livre français Modem le maudit montre comment le réseaux Internet a pu être financé et développé en imposant une gratuité des contenus. L'industrie du cáble a pompé la valeur du contenu pour diffuser rapidement et sans doute trois ou quatre fois plus vite que ce qu'aurait permis le développement de l'Internet, si les contenus n'avaient pas été gratuits. Ce transfert -là pose un problème lorsqu'il se maintient dans la durée;

— la lutte qui est en cours entre « libertés globales — Telenet » et les sociétés de gestion en matière des œuvres audiovisuels sur les réseaux est exactement du même ordre; c'est-à-dire qu'ils essaient de refouler vers les ayants-droits, le coût de son développement en tant que télédistributeur, opérateur de réseaux. C'est là où se trouve l'enjeu crucial de l'économie numérique. Comment est-ce que les revenus très importants des réseaux vont se retrouver pour une part vers l'amont, chez les gens qui les conçoivent, les imagent, les fabriquent et les produisent ?

D. M. Frans Wauters, directeur de la Société des auteurs journalistes (SAJ)

La SAJ, créée en 1995, répartit les droits — relevant du régime des licences légales — de reprographie, de la copie privée et du droit de prêt, et gère les droits d'auteur des journalistes tant salariés qu'indépendants.

Lorsque la SAJ a été créée, Internet n'en était qu'à ses balbutiements.

La perception des redevances sur les copies à usage privé (usage strictement personnel, au sein d'une entreprise ou dans le cadre de l'enseignement) d'œuvres protégées par le droit d'auteur, en l'occurrence d'œuvres journalistiques, est assurée par Reprobel, qui jouit d'un monopole légal sur la perception de droits sur la vente et l'usage de photocopieuses.

La SAJ perçoit les rémunérations relatives aux œuvres radiophoniques et télévisuelles par l'intermédiaire d'Auvibel, qui détient le monopole légal de la rémunération pour la copie électronique ou copie privée d'œuvres sonores et audiovisuelles.

En outre, la SAJ gère les droits d'auteur de différents journalistes, tant indépendants que salariés. Pour ces catégories, la SAJ tente de conclure des accords avec les éditeurs qui paient une redevance supplémentaire pour la réutilisation des œuvres de leurs journalistes sur d'autres supports. Dans le cas des journaux et des magazines, il s'agit principalement d'une utilisation des œuvres sur des sites web ou de la compilation d'articles et de photos dans des éditions spéciales. Les droits pour la première diffusion dans le journal ou sur un autre support sont supposés être inclus dans le salaire du journaliste.

1. Une législation dépassée

La législation actuelle est dépassée par les faits. Sous l'influence d'Internet et de la multiplication des supports électroniques, la copie papier est en perte de vitesse. Pourtant, Reprobel perçoit chaque année plus de 20 millions d'euros, dont une modeste partie est versée aux journalistes.

Cette rémunération pour la copie sur papier est mise en péril non seulement parce que l'on copie de moins en moins sur papier, mais surtout parce que la loi qui régit la copie d'un support papier sur un support électronique n'a toujours pas été mise en œuvre, faute de gouvernement.

La rapidité de cette évolution peut être illustrée de différentes manières. Lorsqu'en 2007, la SAJ a conclu avec un éditeur francophone un accord prévoyant une modeste rémunération pour la réutilisation de l'œuvre des journalistes sur le site web de l'éditeur, celui-ci n'a pas vu d'inconvénient à lier la rémunération au succès de son site web. L'éditeur de presse concerné avait toujours soutenu qu'il n'y avait pas d'argent à gagner avec Internet et que la réutilisation des textes journalistiques n'avait aucune valeur pécuniaire. Son site ne drainait alors que quelques milliers de visiteurs par jour.

L'éditeur a dès lors accepté de lier en partie la rémunération au succès croissant du site.

En quelques années à peine, le nombre de visiteurs quotidiens du site web du journal concerné est alors passé de dix mille à cent mille.

L'éditeur ne bronche pas. Le modèle de gestion sur Internet commence à porter ses fruits, et il y a bel et bien de l'argent à gagner.

C'est une bonne chose pour les quelques dizaines de journalistes qui bénéficient du contrat en question, mais les conséquences d'Internet sur les recettes de la SAJ ne sont pas aussi réjouissantes.

On copie de plus en plus à partir d'Internet. Chaque journal a son site web et chaque utilisateur de PC possède désormais un scanner. Les articles de journaux, de magazines ou de livres sont scannés en quelques secondes et diffusés entre personnes intéressées. À combien s'élève le manque à gagner pour le secteur ? Nul ne le sait, car l'étude qui devait l'établir reste dans les starting blocks parce que le gouvernement actuel est démissionnaire et que le ministre de l'Économie n'avalise pas le projet, pourtant prêt à démarrer depuis un bon moment.

D'autres éléments, comme la diminution des recettes annuelles de Reprobel pour les revues de presse, sont par contre bel et bien mesurables. Pour ces revues de presse, les administrations publiques et les grandes entreprises paient à Reprobel une redevance, dont la moitié est reversée aux journalistes et l'autre moitié aux éditeurs. Ces recettes accusent une baisse spectaculaire.

— Aperçu des perceptions sur les revues de presse par le biais de contrats, par année de consommation (hors TVA)

2004: 752 556 euros

2005: 940 232 euros

2006: 873 088 euros

2007: 710 158 euros

2008: 721 336 euros

2009: 652 581 euros

2010: 459 827 euros

Moyenne: 729 968 euros

Cette évolution ne s'explique pas par l'absence ou la diminution des diffusions de revues de presse, mais par le fait que ces revues de presse ne sont plus diffusées sur papier. Les éditeurs ont habilement exploité le vide législatif en la matière et diffusent eux-mêmes ces revues de presse par voie numérique ou fournissent, par voie numérique toujours, des contenus à des entreprises, qui les diffuseront auprès de leurs clients par le biais d'Internet. Pour une telle copie, Reprobel ne perçoit dès lors plus rien, contrairement à ce qui se fait pour les revues de presse sur support papier. En l'espèce, l'argent va directement dans la poche des éditeurs et les journalistes ne perçoivent plus leur dû.

Par ailleurs, d'innombrables revues de presse électroniques sont diffusées sans que les journalistes n'aient touché la moindre rémunération à cet égard. Cela vient du fait que les personnes qui font ces revues de presse n'ont jamais rémunéré les ayants droit et que ces revues de presse sont par conséquent élaborées de manière illégale.

Avec les sites web actuels des journaux, des amateurs et professionnels excellent dans l'art de rechercher les articles qui intéressent certains et de les diffuser ensuite par le biais d'Internet, moyennant ou non une rémunération pour le diffuseur, mais non pour les auteurs.

2. Google

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Google, le géant mondial des moteurs de recherche, vient d'être condamné. Google News plaçait et place encore sur ses serveurs les articles que les internautes avaient consultés au moyen du moteur de recherche; l'avantage de ce procédé est que les articles sont disponibles plus rapidement pour les personnes intéressées. Mais, en 2007 déjà, la justice avait estimé qu'il s'agissait de copies illégales n'ayant fait l'objet d'aucune demande d'autorisation auprès des journalistes et des éditeurs. Ce jugement vient d'être confirmé en appel. À l'époque, les éditeurs néerlandophones décidèrent de ne pas poursuivre Google en justice, estimant qu'à terme, la diffusion par Google de ces articles de journaux sur Internet pourrait se révéler avantageuse.

En revanche, les éditeurs francophones et germanophones décidèrent de mener campagne contre ces pratiques. Quiconque lit les articles sur Internet en utilisant Google ne peut pas prendre connaissance des messages publicitaires, qui sont une source de revenus vitale pour les journaux. À titre de compensation, Google doit demander l'autorisation pour réaliser des copies et verser une redevance. En tant que représentante à la fois des journalistes francophones et des journalistes néerlandophones, la SAJ a suivi les éditeurs, tout comme Assucopie, la société de gestion des auteurs scientifiques francophones.

Le jugement par lequel la société Google a été condamnée en première instance vient d'être confirmé en appel. À présent, il s'agit de déterminer le montant des dommages et intérêts. D'après les éditeurs, il pourrait osciller entre 60 et 100 millions d'euros. La SAJ aussi a déjà fait ses calculs et estime que le montant pourrait s'élever plus modestement à quelques dizaines de millions.

Cela donne une idée de l'ampleur du préjudice subi par les éditeurs et les journalistes en termes de ventes et de publicités et ce, par la faute d'un seul moteur de recherche. Et encore ne s'agit-il ici que de textes et de photos...

3. Non à la répétition du droit de prêt

La SAJ est donc favorable à l'idée d'imposer aux abonnés l'obligation de payer une rémunération en fonction de la capacité de connexion qu'ils souhaitent, ainsi que le préconisent M. Morael et Mme Piryns dans leur proposition de loi nº 5-590/1.

Le piratage sur Internet est déjà responsable de la disparition d'un pan entier du commerce de détail, à savoir les magasins de supports sonores et les vidéothèques. Les kiosques à journaux, revues et livres sont-ils eux aussi voués à disparaître de nos villes et villages ?

Il serait judicieux de subordonner la copie sur Internet au paiement d'une rémunération forfaitaire, mais le tout est de savoir quel doit être le montant de cette rémunération. Doit-elle avoir pour finalité de compenser l'intégralité des pertes subies par l'industrie de la musique, le secteur du journalisme et d'autres secteurs ? Si c'est le cas, Internet risque de revenir assez cher, surtout pour les utilisateurs qui ne font pas de copies illégales.

D'un autre côté, si elle est trop faible, la rémunération pourrait aussi avoir des conséquences très négatives pour les auteurs. Il suffit de penser au droit de prêt. Ainsi, en ce qui concerne les bibliothèques publiques, les pouvoirs publics n'octroient qu'un euro par membre majeur et 50 cents par membre mineur inscrits. Cela entraîne des phénomènes inattendus. Ainsi, le droit de prêt néerlandais procure aux auteurs flamands davantage de revenus que le droit de prêt en vigueur en Belgique, leur propre pays ! Le droit de prêt est une aumône qui ne compense en rien les pertes subies de par la diminution de la vente de livres.

Il serait donc préférable, selon nous, de considérer la rémunération comme une sorte de forfait pour la réalisation de copies à des fins privées, qu'il s'agisse de copies papier ou de copies sur support électronique. Mais il faut aussi, par ailleurs, encourager le commerce légal et réprimer la réalisation de copies illégales et leur diffusion à grande échelle.

4. Protection

La proposition de loi nº 5-741/1 de M. Richard Miller s'inscrit dans la ligne de la loi française Hadopi qui vise à sanctionner les contrevenants à la législation relative à Internet. En l'espèce, il y a un problème en ce qui concerne la protection de la vie privée et la quasi-impossibilité de faire respecter la loi.

À l'heure actuelle, il est possible de copier un film plus rapidement en utilisant un BitTorrent. Il s'agit d'un système qui permet d'échanger des données en pair à pair. Il fonctionne sur la base d'un serveur central qui coordonne les téléchargements mais qui ne fournit lui-même aucun fichier. Le téléchargement s'effectue de manière décentralisée et consiste à échanger des modules de fichiers entre tous les utilisateurs qui participent au même moment au téléchargement. Ce type de groupe coordonné est appelé « torrent ». Chaque participant à un torrent contribue donc au téléchargement d'un fichier. Une seule copie illégale a donc des dizaines de sources. Ce système a ceci de pervers qu'il incite les utilisateurs à uploader à leur tour. À défaut, ils risquent en effet d'être expulsés du groupe.

Les entreprises proposent de grandes capacités sur leurs serveurs. Ceux-ci sont situés quelque part dans le monde, hors de portée pour le législateur belge. Le client peut y stocker des copies sans que personne ne s'interroge sur la légalité de celles-ci. Il suffit de penser à Megaupload, Rapidshare. Sur ces sites de partage, l'internaute peut, bien loin de son propre PC, stocker ses fichiers gratuitement ou contre paiement d'un « loyer » annuel. Certains de ces sites vont jusqu'à accorder des réductions sur le prix de l'abonnement lorsque le volume de téléchargement atteint un niveau suffisant.

Les évolutions technologiques sont à ce point spectaculaires et incontrôlables qu'il paraît difficile de les contrer. Est-ce une raison pour laisser toute latitude au « consommateur » ? Selon la SAJ, la réponse est non.

Est-il normal que les clients de Belgacom aient reçu dans leur boîte aux lettres une publicité leur annonçant le lancement de « Belgacom Boost » et les informant de la possibilité qu'ils ont de télécharger 20 000 chansons et des milliers de films et ce, en versant quelques cents de plus en sus de leur abonnement ? Il faut noter que les pouvoirs publics sont un actionnaire de Belgacom et qu'ils s'emploient ouvertement à séduire le client en promouvant le circuit illégal.

La SAJ soutient donc résolument la proposition de M. Miller qui vise à mettre les fournisseurs devant leurs responsabilités et à leur imposer l'obligation d'aider les clients à trouver le produit qui leur convient dans les limites de l'offre légale disponible.

5. L'importance des droits d'auteur dans les revenus du journaliste

La part que représentent les droits d'auteur dans les revenus du journaliste est de plus en plus grande.

Depuis le 1er janvier 2008, les droits d'auteur sont imposés au taux forfaitaire et libératoire de 15 %; les frais déductibles sont fixés forfaitairement à 50 % pour une première tranche de 13 850 euros, et à 25 % pour une deuxième tranche du même montant. En décembre de l'année 2008, le ministre des Finances, M. Reynders, a toutefois déclaré qu'il était interdit de requalifier des revenus professionnels en droits d'auteur.

Alors que, pendant des années, les droits d'auteur ont fait grincer les dents des éditeurs de journaux qui refusaient de les verser, depuis l'entrée en vigueur de la loi, ceux-ci veulent uniquement payer leurs journalistes en droits d'auteur. Ils en tirent un bénéfice évident sous la forme d'un grand avantage fiscal qui leur permettra de ne pas devoir augmenter leurs tarifs pour leurs collaborateurs dans les prochaines années.

Ce sont les collaborateurs qui en subissent les inconvénients. Les journalistes indépendants sont obligés d'établir une facture pour la cession de leurs droits d'auteur qu'ils ne doivent plus déclarer au fisc après le prélèvement libératoire. Cependant, les contrôleurs fiscaux n'admettent pas que, d'une année à l'autre, un journaliste indépendant ne fournisse plus de prestations rémunérées mais reçoive uniquement des droits d'auteur. L'on procède alors à une régularisation et, dans le meilleur des cas, l'intéressé n'écope pas d'une amende parce qu'il est de bonne foi. Dans l'hypothèse où le fisc accepterait finalement cette évolution, les conséquences seraient encore plus désastreuses pour le journaliste réellement indépendant qui perdrait son statut social puisqu'il ne reçoit plus de revenus professionnels en tant qu'indépendant, et cela aurait des répercussions sur son assurance maladie et son dossier de pension.

Conjointement avec les éditeurs de journaux flamands, l'association flamande des journalistes (VVJ) a soumis au fisc une proposition visant à définir un régime dans le cadre duquel 70 % du revenu serait considéré comme une indemnité de prestation et 30 % comme une rémunération pour la cession des droits d'auteur. Le cabinet du ministre des Finances n'a pas réagi à cette proposition. L'administration des Finances a demandé récemment à la VVJ de lui faire parvenir une copie de l'accord en question. La SAJ espère que l'on élaborera un régime uniforme pour tous.

Du côté francophone, les éditeurs veulent réduire les salaires et compenser cette diminution en octroyant une rémunération pour la cession des droits d'auteurs. Une assurance groupe est également prévue pour compenser les pertes en matière de sécurité sociale, la perte des droits de pension et la diminution des allocations de l'assurance maladie. Cela revient, en quelque sorte, à privatiser la sécurité sociale. L'on pousse vivement les journalistes à accepter ce principe en les plaçant face au dilemme classique: soit ils acceptent, soit il y aura des restructurations avec des licenciements à la clé et, le cas échéant, une fournée de prépensions. Les éditeurs du côté flamand n'ont pas encore dévoilé leur jeu, mais pourquoi n'en feraient-ils pas autant si leurs homologues francophones réussissent dans leur entreprise ?

À la VRT, un accord conclu en 2008 prévoit que le personnel propre pourrait recevoir une partie des droits de diffusion. Les collaborateurs de la télévision publique flamande recevraient également une rémunération sous la forme de droits d'auteur. Voilà qui inverse partiellement la logique de la cession présumée des droits d'auteur, telle qu'elle est prévue dans la loi. La raison en est que des maisons de production concurrentes viennent débaucher les meilleurs éléments en leur proposant des rémunérations plus élevées sous la forme de droits d'auteur. Les journalistes de la VRT revendiquent, eux aussi, cette rémunération.

Tous ces faits montrent que les droits d'auteur finiront par constituer une partie essentielle du revenu, y compris pour les journalistes. La société de droits d'auteur SAJ constate aussi que ses membres demandent avec une impatience grandissante à quelle date les droits perçus annuellement sont versés. Cette somme relativement modique est vitale, en particulier pour les journalistes indépendants qui ont de plus en plus de difficultés à vivre de leur travail de journaliste à cause des tarifs peu élevés qu'on leur propose.

Les différentes rémunérations, comme celle qui a trait à la copie privée tant sur papier que sur support électronique, constituent désormais une petite prime de fin d'année pour le journaliste. Si une compensation était accordée de la même manière pour la copie sur internet, elle serait accueillie avec joie.

E. M. Julek Jurowicz, administrateur délégué de SMART

SMART est un acteur marginal dans la perception, la répartition des droits d'auteurs et la défense des intérêts qui sont prises en charge par les sociétés de gestion collectives.

SMART n'a peu de contact direct avec les problématiques que les deux propositions de loi essaient de réglementer.

De la pratique des artistes — en général des jeunes sans grand succès commercial — que SMART côtoie, SMART voit se développer des modèles économiques alternatifs dans la production. Les moyens techniques évoluent très vite et, notamment dans le domaine de la musique, on coupe dramatiquement les coûts de production et SMART assiste à l'émergence de contenus autoproduits, autopromus et à une espèce d'émergence de liberté de détermination de ce qui est gratuit et de ce qui est plutôt proposé à la vente. SMART croît que ces pratiques dans le domaine de la musique et dans l'audiovisuel probablement, vont se multiplier dans le paysage de la production artistique dans les décennies à venir.

F. Mme Isabelle De Vinck, coordinatrice à l'ISPA (Internet Service Providers Association Belgium)

L'ISPA partage le point de vue de nombre des acteurs selon lesquels il faut absolument débattre de la problématique du téléchargement illégal.

L'ISPA se réjouit également du point de vue de la SACD-SCAM et des initiatives de cette organisation pour alimenter le débat au moyen d'analyses scientifiquement fondées.

L'ISPA est l'association des fournisseurs de services Internet belges et représente tant les fournisseurs de services Internet (tels que Google, Microsoft) que les fournisseurs d'accès à l'Internet (tels que Belgacom, Telenet) ainsi que les entreprises d'hébergement qui stockent l'information et les entreprises qui règlent le transit par l'Internet (telles que les cáblodistributeurs, ...).

L'ISPA a pour mission de « réunir les sociétés de l'Internet pour construire une meilleure société de l'information à travers les services Internet ». L'ISPA plaide pour une discussion franche et constructive avec tous les acteurs, avec pour thème: l'innovation au lieu de la stagnation.

Il faut à la société de l'information, de l'innovation et un marché compétitif pour un « contenu en ligne »:

— plus d'Internet, de meilleure qualité et plus sûr;

— des modèles d'activité innovants;

— plus de services en ligne de meilleure qualité;

— une législation qui stimule l'innovation.

L'ISPA distingue les obstacles suivants à l'innovation:

— la taxe sur l'Internet: l'ISPA est absolument opposée à une taxe sur l'Internet, mais peut envisager une licence. Il importe que le consommateur obtienne quelque chose en échange, ce qui est possible par le biais de licences;

— il est absurde d'investir dans des mesures techniques rapidement dépassées: l'Internet a été conçu pour être ouvert. Le caractère ouvert de l'Internet est la raison de son succès ! On parle en anglais de « the resilient nature of the Internet ». Les mécanismes de blocage et les filtres ne sont donc pas une bonne chose, d'autant qu'ils sont très vite dépassés;

— l'ISPA estime que les fournisseurs de services Internet (ISP) n'ont pas à jouer le rôle de gendarme sur la toile;

— l'ISPA ne veut donc pas que les fournisseurs de services Internet aient une responsabilité dans la détection de comportements illégaux.

Le rôle des fournisseurs de services Internet est:

— de construire des autoroutes sur lesquelles circule l'information;

— d'offrir de meilleurs services à un meilleur prix;

— de rendre possible de nouveaux services innovants.

Le rôle des fournisseurs de services Internet n'est pas:

— d'espionner les clients;

— de juger de ce qui est légal ou non;

— de s'ingérer inutilement dans le trafic Internet.

En ce qui concerne la réglementation, Mme De Vinck souligne que la Commission européenne publiera sa « Stratégie en matière de droits de propriété intellectuelle (DPI) » le 23 mai 2011. Ce texte constituera une base solide pour la suite des discussions. L'ISPA est également favorable à une réglementation européenne en la matière.

Les deux propositions de loi à l'examen doivent encore être examinées en profondeur avec tous les acteurs concernés quant à leur faisabilité.

Enfin, Mme De Vinck signale que la Cour de justice de l'Union européenne est saisie de deux affaires et que la décision qu'elle rendra dans celles-ci sera particulièrement déterminante pour la législation à élaborer concernant la responsabilité des fournisseurs d'accès à l'Internet.

En guise de conclusion, Mme De Vinck indique encore qu'il n'y a pas de solutions magiques ou simples permettant de réconcilier les droits intellectuels et l'Internet.

L'ISPA est, en tout cas, prête à collaborer à la construction d'un véritable marché numérique qui rapprochera l'artiste et le consommateur et qui veillera à ce que rien n'entrave l'innovation.

G. M. Nico De Bie et Mme Caroline Koelman, Test Achats

M. De Bie indique que si l'on télécharge illégalement à l'heure actuelle, c'est parce qu'il y a une demande qui n'est pas satisfaite.

Test Achats plaide dès lors pour le développement d'une plateforme légale, plutôt que de traiter chaque consommateur comme un criminel potentiel.

Mme Koelman, experte « droits d'auteurs » auprès de Test Achats, souligne que dans le débat la relation entre l'auteur et l'utilisateur est primordial.

Internet et les nouvelles technologies ont ouvert les portes d'une autre forme de consommation des œuvres. Internet offre la possibilité aux utilisateurs d'accéder rapidement et facilement à des œuvres musicales, audiovisuelles, littéraires, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment, en réponse à une demande de plus en plus croissante. Le consommateur acquiert désormais une œuvre numérique « dématérialisée », nature qui favorise sa copie sur différents supports mais également sa diffusion.

1) La relation entre l'auteur et l'utilisateur

L'utilisateur a toujours été celui qui se trouve au bout du processus créatif: c'est lui qui apprécie (ou non) l'œuvre in fine, continue à dépenser pour la culturel, juge, partage son expérience, fait connaître l'œuvre à d'autres, ...

Test Achats reconnait que les droits d'auteur, et de manière plus générale, les droits de propriété intellectuelle, doivent être respectés pour assurer un développement approprié à notre héritage culturel et permettre à la création de perdurer et de se renouveler. Les auteurs doivent être rémunérés pour leurs créations et il est indispensable de poursuivre et de punir sévèrement ceux qui violent de tels droits, à savoir, ceux qui obtiennent des gains illicites de la vente de produits et de contenus piratés, en poursuivant un but commercial. Si Internet est un espace de liberté, il n'en est pas pour autant un espace de non-droit.

Néanmoins, si le droit d'auteur doit être respecté, il en va de même pour les principes élémentaires pour l'utilisateur de conditions justes de licences et du respect de sa vie privée.

Il ne faudrait pas commettre l'erreur de raisonnement consistant à mesurer les soi-disant « dommages causés par la piraterie numérique et multimédia » en nous limitant à établir que la baisse de profits de l'industrie audiovisuelle est uniquement imputable à la propagation de nouvelles technologies numériques et de multimédia (et dès lors, aux nouvelles dynamiques de circulation de contenus culturels sur Internet).

Il existe une crainte grandissante chez les consommateurs et utilisateurs « moyens » de produits numériques et de services culturels à l'idée que de nouvelles réglementations d'une nature pénalisante et répressive soient adoptées en vue de lutter contre le phénomène qualifié de piraterie des contenus digitaux et multimédias — dont la définition et l'esquisse demeurent évanescentes — sans qu'il soit traité, dans le même temps, du problème plus large de la promotion de l'offre légale de tels produits et services culturels sur l'Internet à un prix raisonnable. La piraterie est un aspect (1) pathologique d'un phénomène plus large qu'est la circulation du contenu culturel en forme numérique par l'Internet.

Il convient de ne pas minimiser (voire effacer) l'importance des liens entre l'auteur et l'utilisateur final, propre « client » du divertissement et de la culture, qui ne doit pas être criminalisé. Il semble clair que le droit d'auteur, tel qu'il existe actuellement, ne soit pas outillé pour répondre à cette relation d'une nature nouvelle.

Test Achats constate que l'offre légale actuelle n'est pas représentative de la diversité des contenus.

La seule véritable alternative est de créer une offre légale qui soit suffisamment attractive pour rivaliser avec le téléchargement libre. Les systèmes de VOD et autres ne satisfont pas entièrement les consommateurs, notamment en raison de leur coût ou de la limitation dans la possibilité de visualiser ou de réaliser une copie (privée) de l'œuvre.

Test Achats demande dès lors qu'une réponse adéquate soit donnée à l'absence de diversité de l'offre culturelle sur Internet, pour que les offres de téléchargement légal soient multipliées à des prix abordables et attractives pour le consommateur, tant par leur diversité que par leur coût.

Le modèle de la licence collective étendue

Test Achats pense qu'un système volontaire basé sur une licence collective étendue constitue à première vue la meilleure solution pour réconcilier les intérêts des ayants droit et des consommateurs. Les premiers bénéficieraient d'une rémunération équitable pour l'utilisation de leurs œuvres, les seconds auraient la garantie d'un accès de qualité à la culture et à un tarif raisonnable.

Ces accords collectifs et globaux seraient conclus entre les sociétés de droit d'auteur et les autres acteurs concernés.

Ce modèle alternatif présente les aspects positifs:

a. d'être directement légitimé par le considérant 18 de la directive droits d'auteurs (2) ;

b. de ne pas réduire le droit légal exclusif d'exploitation du simple droit à compensation (financière); et

c. de rendre légalement possible l'accès et l'utilisation de toutes les œuvres protégées circulant sur Internet, en ce compris celles circulant sur les réseaux d'échange de fichiers et celles ne figurant pas dans les répertoires des sociétés de gestion collective. Ce système impliquerait la perception d'un montant sur les abonnements d'accès Internet pour un accès illimité aux œuvres protégées par le droit d'auteur. Les internautes auraient le droit d'échanger entre eux (sans but lucratif) des fichiers d'œuvres protégées.

2) Discussion des propositions de loi nº 5-741/1 et nº 5-590/1

Pour les raisons évoquées ci-dessus, Test Achats ne peut que s'opposer à la proposition de loi nº 5-741/1 déposée par Monsieur Miller.

Cette proposition pose en outre des problèmes légistiques. En voici quelques exemples:

Article 6

Cet article vise à instaurer une nouvelle pratique déloyale, alors que la directive 2005/29 du 11 mai 2005 sur les pratiques déloyales, d'harmonisation maximale, contient une liste noire prédéfinie des pratiques considérées comme déloyales.

Article 14

Test Achats regrette le fait que la voie choisie soit celle d'une loi-sanction, purement répressive et intrusive, ayant pour vocation de surveiller le comportement des internautes sur Internet, en portant atteinte à leur vie privée.

De plus, cette proposition fait l'amalgame entre le téléchargement à petite échelle par des particuliers pour leur usage personnel, celui à grande échelle, dans un but commercial (soit le piratage proprement dit) et les éditeurs de contenus ou plates-formes de téléchargement illégal.

Rien n'est prévu dans ladite proposition pour sanctionner spécifiquement les sites Internet illégaux où bien souvent le consommateur est lui-même lésé puisqu'il paie pour télécharger des œuvres (voir l'article « Les magasins de musique en ligne » — Test-Achats magazine nº 538, janvier 2010).

Articles 15, 16 et 17

Ce texte vise à rechercher (et à sanctionner) le titulaire de l'adresse IP correspondant à la connexion s'étant livré à cet échange prétendu illégal, soit à instaurer une présomption d'imputabilité de l'acte illégal en matière répressive. Ce système s'en prend non pas à celui qui téléchargerait illégalement mais à l'abonné qui n'aurait pas su empêcher que l'adresse IP attachée à sa ligne, figure sur les réseaux peer-to-peer.

Or, modifier son adresse IP ou usurper celle d'un tiers est aujourd'hui à la portée d'un grand nombre et n'importe qui peut télécharger depuis une connexion WIFI. Dès lors, les génies de l'informatique pourront mettre en place des mécanismes de masquage de leur adresse IP, voire faire attribuer des actes illicites à une personne totalement étrangère. Rien ne permet donc de garantir l'identification de l'auteur de l'infraction via son adresse IP.

Articles 18 et 19

Test Achats est d'avis que la sanction appliquée (la suspension voire la limitation de l'accès à Internet, en plus du paiement du prix de l'abonnement et/ou d'amendes) est totalement disproportionné au regard de l'infraction. Ce système peut empêcher l'accès à Internet, un service universel (directive « service universel »).

En ce qui concerne la proposition de loi nº 5-590/1 de Madame Piryns et de Monsieur Morael, même si la proposition va dans le sens d'une licence globale et d'une protection de la vie privée des usagers, le texte, tel que déposé actuellement, pose encore beaucoup de questionnements et mérite d'être éclairci, notamment quant à la façon dont le système sera financé et à la mise en œuvre d'un tel système, qui ne devrait pas in fine revenir à l'instauration d'une licence légale, où le consommateur aurait à supporter une nouvelle redevance (dont le montant ne serait pas encore fixé ou fixé par le législateur).

Par ailleurs, l'article 3 de la proposition semble peu convaincant. Même si Test Achats partage le souci d'éviter que la facture du consommateur n'explose, il n'en reste pas moins qu'il s'est opposé à un blocage des prix qui risque de tuer la concurrence (avec pour conséquence que les « petits » opérateurs quittent le marché). Test Achats est d'avis que cette solution est extrême et qu'il existe d'autres solutions à envisager (comme la séparation fonctionnelle).

Test Achats espère dès lors que des discussions seront menées, impliquant tous les acteurs concernés, afin de dégager un modèle économique qui puisse respecter au mieux l'équilibre entre les revendications des utilisateurs, le respect de leur vie privée et la rémunération équitable des ayants-droits.

Entre-temps, Test Achats suggère que ces propositions de loi soient soumises au Conseil d'État pour examen.

H. M. Christian Depreter, directeur général de la SABAM

Au nom de la SABAM, M. Depreter souhaite faire part des constats suivants:

1º la musique, les produits audiovisuels et la photographie n'ont jamais été aussi présents qu'aujourd'hui: la consommation de ces produits n'a jamais été aussi importante;

2º de 2002 à 2010, les artistes, auteurs, compositeurs et autres membres de la SABAM ont subi, au total, un manque à gagner d'environ 2,5 à 3 millions d'euros par an. En 2002, la SABAM a touché, pour l'ensemble de ses membres, 28 millions d'euros de droits d'auteur pour les créations de CD et de DVD, contre seulement 8,2 millions environ en 2010. La diminution des ventes de CD et de DVD fait perdre à l'ensemble des membres de la SABAM quelque 20 millions d'euros de revenus par an;

3º la consommation n'a certainement pas diminué, mais un déplacement s'est opéré. Alors que dans le passé, on produisait beaucoup de CD et de DVD, cette production affiche à présent un net recul. La musique et les films ne sont plus diffusés sous la forme de CD ou de DVD, mais en ligne. Les fournisseurs d'accès à Internet sont donc devenus les nouveaux fournisseurs de ces produits. Or, ils ne paient pas de droits d'auteur, contrairement aux producteurs dans le passé. La législation en vigueur n'apporte pas de réponse satisfaisante à cette nouvelle donne.

En d'autres termes, le marché de la diffusion des produits culturels s'est déplacé;

4º la SABAM estime cependant que les concepts de base du droit d'auteur, tels que le droit de reproduction et le droit de diffusion publique, ne sont pas des concepts obsolètes, même si leur application doit évoluer. La législation actuelle se heurte à une série d'obstacles en la matière, mais la SABAM estime que d'un point de vue juridique, ces obstacles sont superficiels, voire inexistants;

5º quoi qu'il en soit, les évolutions technologiques rattrapent le droit en général et le droit d'auteur en particulier.

Vu les constats précités, la SABAM est d'avis que toute nouvelle législation devra être novatrice et avoir un champ d'application très large;

6º l'accès gratuit à l'ensemble des créations ruine toute initiative commerciale consistant à mettre ces créations à la disposition du consommateur moyennant paiement;

7º les initiatives permettant de télécharger très rapidement un CD ou un DVD pour 1 euro sèment la confusion dans l'esprit du public: les consommateurs pensent qu'en payant cet euro, ils agissent dans la stricte légalité et dans le respect de la loi relative au droit d'auteur.

Sur la base de ces sept constats, la SABAM formule les trois propositions suivantes:

1º il convient d'agir vite en vue de la préservation des créations culturelles;

2º les fournisseurs d'accès à Internet doivent être considérés comme l'équivalent des cáblodistributeurs: s'ils diffusent activement des créations culturelles par le biais de leurs réseaux, ils sont tenus de demander une licence globale aux ayants droit, car la dérogation prévue dans la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique ne s'applique plus, vu leur rôle actif;

3º la SABAM propose dès lors l'instauration d'une licence pour les distributeurs de créations culturelles, dont la mise en œuvre sera assurée par les fournisseurs d'accès. En guise de période transitoire, elle propose un moratoire de deux ans au cours duquel l'utilisateur final ne sera plus visé, car cela ne serait plus raisonnable.

La SABAM plaide pour que l'élaboration de la nouvelle réglementation s'accompagne d'une réflexion approfondie:

1º Hadopi: la SABAM n'est pas favorable à ce système français, qui est très coûteux et qui sera très vite dépassé sur le plan technique;

2º en 2003, la SABAM a tenté d'obtenir d'un des plus grands fournisseurs d'accès à Internet européens la mise en place d'un système de filtrage. Elle attend toujours la décision de la Cour européenne de Justice dans cette affaire, mais sans grand espoir, vu l'avis négatif de l'avocat général;

3º une autre solution envisageable serait d'élargir le système de copie privée aux consommateurs;

4º une licence globale ne peut pas couvrir l'ensemble des applications: Apple iTunes paie actuellement à la SABAM — et c'est pratiquement l'unique source de revenus — quelque 800 000 à 1 000 000 d'euros de droits d'auteur par an, alors que le chiffre d'affaires de la SABAM ne dépasse pas 1,4 million d'euros par an. Il faut veiller à ce qu'une telle licence globale ne tarisse pas l'unique source de revenus de la SABAM.

II.2. Échange de vues

1. Questions et observations des membres

Mme Arena remercie les intervenants pour avoir contribué à amorcer le débat de société sur cette problématique.

Elle s'interroge sur la position de l'Union européenne (UE) à l'égard du marché TIC. Celle-ci considère en effet d'un oeil très méfiant toute forme d'aide financière des pouvoirs publics en faveur du secteur culturel car elle y voit une aide d'État illicite à l'industrie culturelle.

L'intervenante relève aussi que, dans leurs exposés, les orateurs ont défendu l'idée de laisser aux marchés TIC la liberté de s'autoréguler. On ne souhaite pas réglementer un marché libre et gratuit.

Mme Arena craint que, dans ce cas, il n'y ait plus de diversité culturelle possible. On évoluera de plus en plus vers une société « MTV » dominée par une pensée culturelle unique, où il n'y aurait place que pour quelques grands opérateurs.

En outre, l'intervenante admet la nécessité de trouver un équilibre entre le libre accès pour le consommateur et une rémunération correcte pour les auteurs, les compositeurs, les artistes, etc.

Mme Arena estime aussi que la pratique de plus en plus courante, qui consiste à mettre de la musique à disposition sur Internet en adressant au consommateur le message « pay what you want », est très dangereuse pour le maintien de la diversité culturelle.

Ayant entendu l'intervention de Mme De Vinck, de l'ISPA, Mme Arena se dit convaincue de la nécessité de rechercher un équilibre entre les différents intérêts en présence, à savoir celui de l'usager-consommateur, celui des fournisseurs d'accès aux créations et celui des créateurs. Si les créateurs ne sont pas correctement rémunérés pour leur œuvre, l'offre diminuera.

L'intervenante demande à la représentante des fournisseurs d'accès à l'Internet quelle solution elle entrevoit. Elle constate que l'on privilégie l'instauration d'une licence. Or, d'autres intervenants ont rejeté ce système en raison des nombreuses objections et difficultés qu'il soulève.

Enfin, Mme Arena se dit surprise par l'intervention du représentant de SMART, une organisation qui regroupe pas moins de ving-cinq mille créateurs ! Ces personnes ont pourtant déjà déclaré à plusieurs reprises que leurs plans d'entreprise rencontrent des difficultés en raison des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il faut trouver des solutions.

M. Morael remercie les intervenants pour leur exposé et souhaite avant tout faire une mise au point:

1º aucune des deux propositions de loi ne vise à instaurer une nouvelle taxe; la proposition de loi nº 5-590/1 prévoit d'intégrer une contribution dans le prix de l'abonnement tout en plafonnant les prix. Au-delà de la question de la qualité sur Internet, il ne faut pas oublier en effet qu'en Belgique, les prix des abonnements donnant accès à Internet sont particulièrement élevés, en comparaison avec ceux des pays voisins. L'intervenant aimerait savoir pourquoi;

2º on a défendu ici l'idée qu'il fallait laisser toute liberté au secteur, mais force est de constater que celui-ci n'est toujours pas parvenu à ce jour à s'autoréguler. Comment l'expliquer ? Pourquoi les négociations proposées par secteur n'ont-elles pas encore eu lieu ?

3º en réaction à l'analyse de Mme Dusollier, qui a estimé que la proposition de loi nº 5-590/1 présentait un caractère hybride en ce qu'elle place les pouvoirs publics devant leurs responsabilités, d'une part, et laisse une marge de négociation, d'autre part, M. Morael tient à préciser que pour concevoir sa proposition de loi, il s'est inspiré du modèle de concertation sociale belge.

Tout le monde s'accorde à dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. La consommation culturelle a subi un profond redéploiement: alors que les téléchargements sur Internet ont explosé, les créateurs voient leurs revenus diminuer de plus en plus. Les FSI (fournisseurs de services Internet) font tout ce qu'ils peuvent pour accélérer et étendre le téléchargement. Mais on ne conçoit pas que le consommateur paie des droits d'auteur classiques à cet effet. Ce n'est pas tenable.

M. Morael se réjouit que l'on ait ouvert la discussion sur ce thème et espère que l'on parviendra à trouver une solution équilibrée.

M. De Croo retient essentiellement de l'exposé de Mme De Vinck que l'ISPA attache une grande importance à l'innovation dans l'ensemble du secteur de l'électronique. C'est un point que l'on ne soulignera jamais assez.

L'innovation permet de faire preuve de davantage de créativité dans les périodes où les choses vont mal sur le plan économique.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le problème du téléchargement illégal ne date pas d'hier, pas plus d'ailleurs que les mises en garde contre le risque de voir toute créativité disparaître. Il ressort des évolutions récentes que l'offre culturelle n'a pas diminué, bien au contraire. La participation culturelle a fortement augmenté et s'est également diversifiée. On constate aussi que le prix a chuté pour le consommateur.

L'inconvénient de la proposition de loi nº 5-590/1, qui prévoit l'instauration d'une licence globale, est qu'elle obligerait tout le monde à payer à cause des agissements d'un groupe qui a tendance, en termes relatifs, à se restreindre de plus en plus.

L'intervenant estime que l'affirmation selon laquelle les abonnés à l'Internet qui consomment plusieurs gigabytes seraient, par définition, des personnes qui se livrent à du téléchargement illégal, est fausse. Tous les utilisateurs de multimédias ne sont pas par définition des utilisateurs de multimédias illégaux.

En outre, M. De Croo se demande si la proposition de loi prévoyant l'instauration d'une licence globale n'est pas déjà dépassée. Dans plusieurs États membres de l'Union européenne, il existe en effet un produit appelé « Spotify » qui donne un accès illimité à une bibliothèque musicale très complète, contre paiement d'un montant mensuel.

Cette offre commerciale n'équivaut-elle pas dans les faits à une licence ?

M. Miller remercie tous les intervenants et souligne que lorsqu'il a déposé sa proposition de loi nº 5-741/1, son premier objectif était d'ouvrir le débat. Toutes les améliorations possibles à la proposition de loi sont donc les bienvenues. Il s'agit de trouver en commission le consensus le plus large possible autour d'une réglementation légale répondant au mieux à l'ensemble des problèmes.

La difficulté majeure à résoudre est qu'actuellement, les artistes ne sont pas du tout rémunérés correctement pour leurs créations. Il est vrai que chaque création intellectuelle, culturelle et artistique est précédée d'un travail considérable de création, de répétitions, de promotion, etc., qu'il convient de rémunérer et de protéger correctement.

Il faut veiller à réactualiser correctement la législation sur le droit d'auteur en tenant compte des nouvelles technologies et des défis qu'elles représentent.

M. Miller partage avec Mme Arena le souci de préserver la diversité culturelle face au risque actuel de l'uniformisation. C'est précisément dans le but de garantir la diversité culturelle que la législation sur le droit d'auteur a vu le jour. Mais les évolutions technologiques mettent à mal ce principe.

M. Miller souhaite par ailleurs poser les questions suivantes:

— il aimerait obtenir, du représentant de la SABAM, des précisions sur le moratoire proposé pour deux ans;

— il retient des différentes interventions que le chapitre V de sa proposition de loi, qui traite « de la réponse graduée en cas de non-respect des conditions dans lesquelles le titulaire peut échanger des œuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin et en cas de téléchargements d'œuvres non autorisées », a été vertement critiqué. Les auteurs de ces critiques ont souvent fait référence au système français correspondant, la loi « Hadopi ».

Plutôt que de soumettre dès maintenant les propositions de loi à l'avis au Conseil d'État, l'intervenant plaide pour que l'on établisse d'abord un texte de consensus, qui pourra ensuite être soumis à l'évaluation de la haute instance.

M. Miller annonce donc qu'il a l'intention d'amender sa proposition de loi.

M. Van Rompuy se réjouit de l'ouverture de ce débat indispensable sur la valorisation, dans un monde nouveau, du capital et du travail de nature intellectuelle, culturelle et artistique. Personnellement, il a du mal à appuyer toute tentative de transposition, sous une forme numérique, des modèles qui existent dans le monde réel. Dans le monde réel, l'existence même de la propriété intellectuelle permet d'exclure certaines personnes, alors que dans le monde numérique, l'objectif doit justement être d'offrir un accès universel. Les principes de base qui régissent ces deux mondes ne sont pas purement et simplement interchangeables.

L'intervenant ne croit pas que les modèles présentés dans les propositions de loi résolvent le problème de la façon la plus appropriée. Il n'est pas davantage pessimiste au point d'affirmer que le risque d'appauvrissement culturel est réel. Il ressort par exemple du principe du Long Tail (3) , que dans un monde gratuit, des petits projets peuvent également ouvrir de larges perspectives. Il comprend néanmoins la nécessité d'intervenir, mais pense qu'il faut continuer à rechercher des solutions plus créatives et plus appropriées.

Mme Piryns se réjouit de constater que bon nombre des intervenants présents semblent malgré tout d'accord de partir du principe qu'il faut rendre la culture accessible à un maximum de gens en utilisant un maximum de canaux différents.

Mais elle estime qu'il faut aussi veiller à rémunérer les créateurs de la manière la plus correcte possible. Actuellement, de plus en plus d'auteurs, d'artistes, etc., éprouvent des difficultés à continuer à créer.

La préoccupation d'une bonne rémunération est à la base de la proposition de loi nº 5-590/1 qu'elle a déposée avec M. Morael. Les auteurs de la proposition de loi ont également tenu à élaborer une nouvelle réglementation conforme aux règles de protection de la vie privée. C'est la raison pour laquelle ils sont farouchement opposés à toute réglementation qui irait dans le sens de la loi Hadopi.

L'intervenante se déclare également prête à envisager l'adoption d'amendements à la proposition de loi 5-590/1, après un débat approfondi.

D'autre part, elle trouve que durant les auditions de ce jour, une voix n'a pas été suffisamment entendue: celle des artistes eux-mêmes. Elle propose donc d'inviter ultérieurement un représentant de la BEA (Belgian Entertainment Association) dans le cadre d'une nouvelle audition. De plus, personne n'ignore que le téléchargement est encouragé de différentes façons par les FAI, mais aussi par les pouvoirs publics. En contrepartie, il convient de prévoir une rémunération pour les créateurs.

En réponse aux propos tenus par la coordinatrice de l'ISPA, qui peut envisager une licence, mais s'oppose au paiement d'une taxe compensatoire, Mme Piryns l'invite à proposer une alternative à la licence globale. Aujourd'hui, ce sont finalement les fournisseurs d'accès qui se remplissent les poches. Pourtant, ils ont eux aussi besoin d'un contenu de qualité à proposer sur leurs canaux.

Enfin, Mme Piryns déclare souscrire à la suggestion de M. De Croo d'étudier les meilleures pratiques en vogue chez nos voisins.Elle est par ailleurs convaincue que des acteurs de qualité, comme iTunes, pourront parfaitement subsister après l'instauration d'une licence globale. Mais elle pense que certains utilisateurs continueront toujours à chercher malgré tout des possibilités de téléchargement gratuit, d'où sa proposition d'instaurer la licence globale.

Mme Maes déclare que la N-VA aussi estime que les nouveaux modèles économiques, tels que Spotify, constituent un bon exemple, mais elle attire l'attention sur le fait qu'ils ne sont pas encore au point. L'intervenante aimerait que Mme De Vinck (ISPA) l'informe quant au délai nécessaire au secteur pour rendre pareils modèles économiques parfaitement opérationnels. Y a-t-il une possibilité de garantir les droits d'auteur par l'intermédiaire de ces modèles ?

M. Laaouej retient des différentes interventions que la problématique est parfois envisagée à trop court terme. Il estime, comme Mme Arena, que la diversité culturelle ne peut survivre que gráce à des aides publiques. Mais il va de soi que les fonds publics sont trop limités pour satisfaire toutes les demandes, ce qui conduira malheureusement à la perte de talents. D'autre part, il faut bien constater que les FAI récoltent bien facilement des profits financiers gráce à ces produits culturels, sans offrir la moindre forme de rémunération aux créateurs concernés. Selon lui, il est erroné de soutenir qu'il n'y a aucun recul de la création culturelle, malgré l'existence de l'Internet. Qu'arriverait-il si les aides publiques venaient à disparaître ?

2. Réponses des invités

Mme Dusollier, CRIDS, répond à la question de M. De Croo que toute la discussion du peer-to-peer va de pair avec une discussion sur la promotion et le développement des offres légales. Le panorama en Europe est très diversifié, avec des récriminations parfois des consommateurs par rapport à une œuvre qu'ils n'obtiennent pas en Belgique alors que dans les autres pays cette offre leurs est proposée. Tout débat sur le peer-to-peer doit réfléchir aussi à une intervention pour favoriser le développement des offres légales. Ce développement d'offres légales est également empêché par certaines contraintes économiques et juridiques. Sur ce thème-là, le débat est en train d'évoluer énormément sur le plan européen. Ceci ne veut pas dire qu'il enlève la possibilité d'intervention aux parlements nationaux, mais les parlements nationaux doivent trouver des solutions dans le cadre législatif européen qui se développe.

En effet, dans la pratique, on constate l'émergence de toute une série d'offres proposant énormément de choses aux consommateurs. Il faut espérer que ces offres se développent et que le peer- to-peer devienne de plus en plus marginal.

En répondant aux questions nombreuses sur le rôle des intermédiaires, Mme Dusollier est convaincue que le rôle des intermédiaires est fondamental, par ce que, d'un point de vue économique, personne ne peut nier qu'ils se sont développés sur les échanges d'œuvres et qu'ils offrent implicitement et parfois même explicitement les facilités de téléchargement.

Le rôle des intermédiaires doit également être envisagé, même s'il va de soi que la position que le droit européen est en train de leur octroyer, les met dans une position assez confortable.

Mme De Vinck, ISPA, ne se dit pas surprise des différentes questions adressées à l'ISPA.

Elle souhaite néanmoins clarifier un certain nombre de choses:

Les fournisseurs d'accès à Internet ne gagnent rien au téléchargement illégal. Celui-ci ne leur rapporte pas plus que le téléchargement légal. Ils n'ont donc aucun intérêt à ce que les internautes effectuent en masse des téléchargements illégaux. Contrairement à ce qui est souvent prétendu, les fournisseurs d'accès ne promeuvent pas le téléchargement illégal, mais font seulement de la publicité pour les limites de téléchargement. Les techniciens peuvent prouver sans problème que le téléchargement illégal de musique, par exemple, ne représente qu'une part limitée du trafic Internet global. Le courrier électronique et l'échange de documents, de programmes tels que Google et Microsoft ou de différentes applications de ces programmes constituent la principale utilisation de l'Internet.

Les quatre premières positions du top dix de l'utilisation de l'Internet en termes de volume sont occupées par Facebook, Skype, Google et Microsoft.

Un fournisseur d'accès à Internet (FAI) va chercher l'information sur le nuage internet pour la mettre à la disposition des clients. Plus il charge d'informations, plus c'est cher. Les FAI cherchent à proposer aux utilisateurs la capacité de téléchargement la plus élevée possible, et ce dans l'optique d'optimiser le service général à la clientèle et non pas de promouvoir le téléchargement illégal.

Mme De Vinck souligne même que les FAI ne sortent pas gagnants du téléchargement illégal. En effet, celui-ci pollue les réseaux.

L'ISPA est elle aussi favorable à ce que les auteurs, artistes, etc., touchent une rémunération correcte pour leurs créations. Les modalités selon lesquelles celle-ci doit être organisée font débat. On peut télécharger légalement de la musique sur Internet, par le biais d'iTunes ou d'Aweyer, par exemple. L'offre de téléchargement légal doit être élargie considérablement afin que les artistes puissent toucher une rémunération plus correcte.

Les fournisseurs d'accès à Internet doivent être considérés comme ceux qui mettent les autoroutes à disposition, à ne pas confondre avec les fournisseurs de services Internet, car il s'agit d'acteurs différents. iTunes, par exemple, est un fournisseur de service Internet.

En d'autres termes, les fournisseurs d'accès n'engloutissent pas l'argent des artistes.

En ce qui concerne les remarques des sénateurs De Croo et Van Rompuy, Mme De Vinck souligne que les fournisseurs d'accès ne sont pas les nouveaux « cáblodistributeurs » de l'ère numérique. Ils ne contrôlent aucunement ce qui transite par les réseaux.

Tous les internautes sont incontestablement demandeurs d'une augmentation de la capacité de téléchargement. La première raison en est que les applications Internet modernes nécessitent une grande capacité. La préoccupation première des internautes n'est pas de télécharger plus souvent de la musique, des films ou des livres. Pour la nouvelle génération Internet, appelée « cloud generation », cela signifie que tout ce que l'utilisateur a sur son disque dur sera à l'avenir disponible en permanence par le biais du « nuage ».Pour cela, les utilisateurs ont besoin d'une capacité de téléchargement très élevée.

La Commission européenne encourage également les fournisseurs d'accès à continuer d'augmenter la capacité et la vitesse de téléchargement.

L'ISPA n'est pas opposée à toute forme de régulation, mais elle estime qu'une régulation ne peut être élaborée sans qu'il soit tenu compte de l'importance et de la nécessité de l'innovation, ainsi que de la spécificité technique du secteur de l'Internet.

Mme De Vinck reconnaît que les créateurs ont perdu une grande partie de leurs sources de rémunération: tandis que des vidéothèques ont fermé leurs portes, les ventes de CD et de DVD diminuent. L'ISPA estime que les deux propositions de loi à l'examen contiennent de bonnes idées et se félicite de l'ouverture du débat. Elle pense toutefois que le débat n'est pas épuisé et qu'il serait par conséquent prématuré de prendre déjà des mesures légales concrètes.

Pourquoi l'ISPA est-elle opposée à une taxe sur l'Internet ? Parce que cela aurait inéluctablement un impact sur les prix facturés aux utilisateurs par les fournisseurs d'accès. C'est la réalité du marché.

Mme De Vinck n'a pas de réponse à la question de savoir pourquoi une entreprise telle que Spotify n'est pas présente sur le marché belge. Elle constate seulement que cela n'intéresse pas de telles entreprises et que cette attitude ne devrait pas changer avant un certain temps. Comme l'intervenante l'a expliqué précédemment, beaucoup de choses sont toutefois en train d'évoluer au niveau des fournisseurs de services Internet.

Enfin, Mme Devinck déclare partager le souci de la diversité culturelle, mais estime que cette diversité est justement stimulée par l'Internet. On vend beaucoup de musique en ligne sur Internet. Il existe en effet de nombreux catalogues de musiciens dont l'œuvre n'a jamais été enregistrée et qui ne vendent donc pas de CD, et cela fonctionne très bien. C'est aussi un moyen de promouvoir très rapidement et efficacement de jeunes artistes qui n'ont pas l'argent pour enregistrer un CD.

L'intervenante souligne une fois encore que le seul rôle joué par les fournisseurs d'accès dans de tels processus consiste à assurer le transit des données. Ils ne contrôlent pas les contenus et ne souhaitent nullement devoir endosser le rôle de police de l'Internet.

L'ISPA reste en tout cas disposée à continuer d'alimenter le débat qui est ouvert.

M. Young, SACD-SCAM, souhaite insister une fois encore sur le fait que les auteurs, pour ne citer qu'eux, pátissent de la situation actuelle.

Les gens qui travaillent comme professionnels dans la culture, dans la création souffrent. Leur revenu diminue. C'est le cas dans le secteur audiovisuel, le secteur des bandes dessinées, le secteur de la musique, ...

Certes, il faut des solutions et c'est claire que le débat est complexe par ce qu'il faut balancer différents droits: le droit à l'accès à l'information, le droit à l'accès à la culture (diversité et démocratie culturelle), ...

L'étude du CRIDS, commandée par la SACD-SCAM démontre que les licences globales légales ne sont pas possibles juridiquement dans le cadre juridique mondial actuel.

La solution pourrait se trouver dans des mécanismes d'aide à la négociation. Mais cette proposition bute sur le régime de faveur accordé aux fournisseurs d'accès Internet dans les directives européennes. Comment peut-on amener les fournisseurs d'accès à une réelle négociation avec les représentants des créateurs, des producteurs, des éditeurs, etc. ? Ces négociations devraient porter sur les enjeux économiques.

La SACD-SCAM a confié au CRIDS la mission de voir comment formuler des propositions réalistes juridiquement. Le secteur aura besoin de l'aide du pouvoir législatif pour créer un cadre légal qui favorise la négociation. La licence collective étendue est effectivement une des hypothèses le plus probantes parce que, sur la base de sociétés réellement représentatives des auteurs, des artistes, des artistes, des producteurs, des éditeurs, qui passeraient des accords avec des opérateurs, on pourrait après, gráce à un dispositif légal étendre l'effet de ces mesures et créer, pour le consommateur comme pour le créateur, une sécurité juridique et économique.

M. Young propose de prévoir une phase précontractuelle avec les autorités publiques. Certains pouvoirs publics sont actionnaires de certaines sociétés — opérateurs ou ont les moyens d'inciter des sociétés comme Telenet, qui sont en monopole sur la cáblodistribution ou l'accès à Internet sur certaines zones, de venir à la table de négociation et de négocier sérieusement. Ainsi, un certain nombres de points communs pourraient se dégager. Il faudra également utiliser les ressources universitaires pour définir quelles sont les valeurs économiques engagées, comment on peut créer des modèles économiques sérieux, jusqu'où on ira dans une certaine mutualisation, s'il y a un retours vers les pouvoirs publiques qui sont financés en amont dans un système de mutualisation comme en copie-privée, ...

Dans sa réponse à la question de M. Miller au sujet du moratoire proposé pour deux ans, M. Depreter, représentant de la SABAM, précise que les acteurs de l'Internet peuvent être répartis très schématiquement en trois catégories:

— ceux qui proposent des services sur Internet gratuitement ou moyennant paiement, comme Google, Apple i-Tunes ou Youtube par exemple, et n'importe quel internaute qui donne accès d'une manière ou d'une autre à son disque dur et aux données qu'il contient;

— les opérateurs téléphoniques et les entreprises qui donnent accès à l'Internet et qui proposent aux fournisseurs de services les moyens nécessaires pour mettre à la disposition du public l'ensemble des produits qu'ils souhaitent; ces fournisseurs d'accès exploitent également les œuvres qui circulent via leur réseau, et ils sont dès lors redevables d'une rémunération aux créateurs de ces œuvres.

L'intervenant partage l'avis de l'ISPA selon lequel la largeur de bande utilisée pour télécharger de la musique est effectivement négligeable. En effet, les 20 millions d'euros de manque à gagner sur les droits d'auteur que la SABAM enregistre annuellement sont une bagatelle par rapport aux marges bénéficiaires de Belgacom, par exemple. Mais pour les auteurs, ces revenus sont vitaux;

— le particulier qui télécharge divers services chez lui gráce aux fournisseurs.

Conformément à la loi sur les droits d'auteur, ces trois catégories doivent payer des droits d'auteur. La SABAM plaide pour l'instauration d'une licence globale au profit du fournisseur de services Internet et propose provisoirement de ne plus percevoir de droits d'auteur auprès de la personne qui télécharge, et ce en attendant la mise en place d'une solution définitive en concertation avec les différents acteurs concernés.

Le représentant de la SMART, M. Jurowizc, précise que la SMART doit être considérée non pas comme un syndicat, mais comme une association professionnelle.

La SMART estime que le débat qui est mené en commission n'est pas dans l'intérêt du développement des artistes. Elle constate que ses membres subissent de lourdes pertes financières, mais cela n'est pas nouveau, puisque ce fut déjà le cas avant le phénomène Internet.

Il ne faut pas perdre de vue que le chiffre d'affaires dont la SABAM fait état ne reflète pas vraiment la réalité belge, car une grande partie de ce chiffre est réalisée à l'étranger. Les moyens distribués en Belgique sont relativement limités. Il est un fait que les revenus que les artistes tirent des droits d'auteur en Belgique sont en recul, mais il s'agit de montants relativement marginaux.

Cela ne signifie pas — bien au contraire — que la SMART ne considère pas le téléchargement et la copie illégale à des fins commerciales comme des pratiques tout à fait répréhensibles. Mais ses membres, principalement les musiciens, cherchent d'autres manières de compenser leurs pertes de revenus, par exemple en se produisant davantage, en développant le merchandising, ...

L'intervenant a l'impression que le secteur de la bande dessinée est vraiment en difficulté.

Enfin, il déclare souscrire à l'observation suivante de M. De Croo lorsqu'il considère que l'offre culturelle et la production artistique ne sont pas en récession, elles sont en forte progression. Les jeunes artistes sont parfaitement au courant qu'ils vont mener une vie de galère. Mais c'est une galère acceptée et soutenue par l'État: la Belgique est à cet égard un pays extrêmement généreux.

Finalement les chiffres français suivants sont cités: en vingt ans, le nombre d'artistes a été multipliés par quatre, le nombre d'heures rétribuées a été multipliées par trois et les revenus globaux des artistes a été multipliée par deux. Sans le soutien de l'État, certains artistes devraient chercher une autre occupation.

En ce concerne la problématique des budgets culturels, SMART voit à tous les niveaux décisionnels qu'on s'attend à des coupes plus ou moins drastiques dans les budgets de la culture.

SMART estime que ce sujet le préoccupe grandement et aimerait bien avoir un prélèvement sur les trafics Internet mais pas nécessairement pour créer une grosse machine de redistribution qui serait imparfaite, mais ces prélèvements devraient servir à améliorer les budgets des politiques culturelles.

SMART préconise des modèles « small is beautiful » ou « cheap is beautiful ». Une productivité énorme peut en sortir, qui doit être valorisée. Des outils sont en train de se développer, comme par exemple fundraising, crowdfunding, ...

3. Répliques

M. Miller annonce, en guise de conclusion, qu'il déposera un amendement à la proposition de loi nº 5-741/1, visant à en supprimer les articles 14 à 24 relatifs à la réponse graduée.

III. LIGNES DE FORCE GÉNÉRALES ET POINTS DE VUE EXPOSÉS DANS L'AVIS DU CONSEIL DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU 29 JUIN 2012

1. Il importe, dans l'intérêt général, de s'assurer que le droit d'auteur et les droits voisins soient effectivement respectés pour les différentes formes d'exploitation des œuvres et des prestations sur Internet. Le maintien de la situation actuelle serait préjudiciable aux auteurs et autres ayants droit.

2. Les moyens juridiques visant à faire respecter le droit d'auteur sur Internet doivent être proportionnés à l'objectif légitime poursuivi, qui est de permettre aux titulaires de droits de valoriser également sur Internet leurs oeuvres et prestations. Ces mesures ne peuvent être absolues et doivent, comme l'a indiqué la Cour de Justice de l'Union européenne, tenir compte d'autres libertés et droits fondamentaux tels que la liberté d'expression, la liberté d'entreprendre, la protection de la vie privée et le droit à un procès équitable. Elles doivent en outre être conformes au régime spécifique de responsabilité pour certaines activités des intermédiaires prestataires de services Internet, tel que prévu par le droit européen.

3. Les moyens juridiques visant à faire respecter le droit d'auteur sur Internet devraient être complémentaires aux mesures qui stimulent l'offre légale d'oeuvres protégées sur Internet et doivent contribuer, avec d'autres types de mesures (voir chapitre 3), au développement et à la protection d'une telle offre.

4. Les moyens juridiques visant à faire respecter le droit d'auteur sur Internet doivent offrir une sécurité et une prévisibilité juridiques à l'ensemble des acteurs concernés: titulaires de droits, fournisseurs de contenus, intermédiaires prestataires de services Internet, utilisateurs et consommateurs. Un simple statu quo serait préjudiciable aux auteurs et autres ayants droit.

5. Il convient d'analyser le cadre juridique existant afin d'éviter les duplications et les chevauchements de moyens juridiques.

6. Il n'existe pas de modèle juridique unique permettant d'assurer le respect effectif du droit d'auteur sur Internet.

En tenant compte des dispositifs juridiques existants, il s'agit plutôt d'envisager un bouquet de mesures visant le côté « mise à disposition illicite d'oeuvres et de prestations protégées » (mesures en amont) et le côté « réception/reproduction d'œuvres et de prestations protégées mis illicitement en ligne » (mesures en aval) (voir chapitre 2).

La priorité doit être donnée à des mesures permettant de faire cesser les activités consistant à mettre à disposition de manière manifestement illicite et à grande échelle, d'un point de vue quantitatif ou qualitatif, des oeuvres et des prestations protégées sur Internet.

Concernant les mesures relatives aux consommateurs, le Conseil est d'avis qu'une approche pédagogique doit être privilégiée, par exemple sous forme d'avertissement, plutôt qu'une approche répressive généralisée que le Conseil considère comme non appropriée.

Dans le respect des libertés et droits fondamentaux, ces mesures devraient notamment prendre la forme de procédures de « notification et action » et si possible se fonder sur une coopération étroite et active entre titulaires de droits, prestataires de services Internet et autorités publiques. Afin d'assurer le principe de proportionnalité, les mesures doivent être suffisamment précises.

7. Concernant la question de savoir si l'exception de copie privée couvre la reproduction d'oeuvres mises illicitement à disposition sur Internet, il n'y a pas de consensus au sein du Conseil.

8. Bien que le Conseil partage les objectifs poursuivis par les propositions de loi déposées au Parlement, à savoir assurer le respect du droit d'auteur sur Internet, le Conseil est également d'avis que certains éléments essentiels des propositions de loi soulèvent des questions juridiques délicates et sont susceptibles de méconnaître les obligations internationales et européennes que la Belgique doit respecter.

Pour le rapport complet, voir le site Internet du Conseil de la propriété intellectuelle:

http://economie.fgov.be/fr/entreprises/propriete_intellectuelle/Aspects_institutionnels_et_pratiques/Conseil_Propriete_intellectuelle/avis/Avis_29_06_2012/.

Les rapporteurs, Le président,
Peter VAN ROMPUY. Louis SIQUET. Ludo SANNEN.

(1) Voir à cet égard l'étude « La loi Création et Internet: une mauvaise solution à un faux problème »: synthèse des constats de l'UFC Que Choisir — http://www.quechoisir.oreciocument/loi-creation-et-internet.pdf.

(2) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001.

(3) Théorie selon laquelle des produits qui ne trouvent que peu d'acquéreurs ou pour lesquels la demande est faible peuvent conquérir conjointement une part de marché plus importante que les grands « hits » de l'industrie, pour autant que le magasin ou le canal de distribution soit suffisamment grand.