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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 25 AVRIL 2013 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Benoit Hellings au ministre des Finances, chargé de la Fonction publique sur «l'impact politique des études économiques erronées de Reinhart et Rogoff relatives au lien entre dette publique et croissance» (no 5-961)

M. Benoit Hellings (Ecolo). - Depuis la crise financière de 2008 qui a eu les conséquences économiques, politiques, budgétaires et donc sociales que l'on sait, de très nombreux dirigeants européens - dont quelques-uns dans cette assemblée - ont pris fait et cause pour le concept d'austérité. À leurs yeux, la rigueur budgétaire est censée être la seule voie possible pour le redéploiement économique de l'Europe.

Les tenants de cette idéologie ont été grandement confortés par des travaux d'universitaires extrêmement réputés. L'étude la plus marquante à ce propos est indéniablement celle des économistes d'Harvard, Reinhart et Rogoff, tous deux anciens du FMI. Dans un article intitulé Growth in a Time of Debt - il fut publié en 2010 et eut un énorme impact -, ils étudiaient la corrélation entre dette publique importante et croissance faible.

Cette étude a eu une influence politique considérable. La plupart des tenants de l'austérité l'ont citée, notamment le commissaire européen aux Affaires économiques, Olli Rehn. Les dirigeants occidentaux se sont appuyés sur ces travaux pour tisser un lien de causalité entre endettement et récession, le premier étant supposé être la cause de la seconde. Cela justifiait donc « scientifiquement » les politiques de rigueur actuellement menées partout en Europe et donc dans notre pays.

Mais patatras ! En analysant les statistiques brutes utilisées par Reinhart et Rogoff, un autre chercheur américain, Thomas Herndon, a révélé qu'ils avaient exclu certains pays et années de leur panel. L'erreur la plus notable concerne aussi la Belgique. En effet, cinq pays, dont la Belgique, ont été écartés du calcul du taux de croissance moyen quand la dette souveraine dépassait 90%. Or, pour ce qui concerne la Belgique, son endettement élevé ne l'a pas empêchée de connaître un taux de croissance plus important que la moyenne des pays européens analysés.

Fort heureusement à mes yeux, on assiste aujourd'hui de manière assez générale à un retournement de position de nombreux acteurs internationaux envers la politique d'austérité menée entre autres par l'Union européenne.

Aux Pays-Bas, l'un des rares pays au triple A, il a été décidé de prendre des distances par rapport à la politique d'austérité menée depuis des années.

Le G20, l'OCDE et les États-Unis pressent l'Union européenne d'alléger le fardeau de l'austérité, car celle-ci oppresse les populations et l'économie mondiale. Le taux de chômage qui a atteint un niveau record dans la zone euro depuis sa création est un indicateur de cette oppression.

Cette péripétie de l'étude frelatée - si je puis dire - vous incite-t-elle à changer d'avis par rapport aux mesures d'austérité déjà prises par ce gouvernement ou qu'il envisage encore de prendre ? Comment les mesures de relance envisagées pour l'avenir et dont la presse s'est fait l'écho hier intègrent-elles cette remise en question fondamentale des politiques d'austérité ?

Par ailleurs, la Belgique, comme d'autres pays, est contrainte par le cadre fixé au niveau européen. Envisagez-vous un revirement structurel de cette politique européenne ? Quelle position notre gouvernement défendra-t-il au Conseil européen, dans les prochains mois, pour infléchir cette politique ? Entendez-vous prendre des contacts préalables, avec la France ou les Pays-Bas, afin de donner un nouveau cap à la politique économique ?

M. Koen Geens, ministre des Finances, chargé de la Fonction publique. - Vous comprendrez aisément que j'aurais préféré ne pas devoir répondre à l'improviste à cette question fort intéressante. Je vous donnerai toutefois une réponse, comme le doit un ministre des Finances.

Il est vrai que la fameuse étude de Reinhart et Rogoff, Growth in a Time of Debt, sur le lien entre dette publique et croissance économique est actuellement sous le feu des critiques en raison d'un certain nombre d'erreurs méthodologiques.

Il existe cependant d'autres études qui montrent une corrélation négative claire entre, d'une part, le niveau de la dette publique et, d'autre part, l'augmentation du PIB. Il s'agit notamment d'un document de travail du FMI, de Kumar et Woo, Public Debt and Growth, de 2010 dont il ressort que les pays développés ayant un ratio d'endettement inférieur à 30% du PIB ont vu, durant la période 1970-2007, leur PIB par habitant augmenter en prix constants de 3,2% par an. Dans les économies évoluées ayant un niveau d'endettement de plus de 90%, comme la nôtre, cette augmentation s'est limitée à 1,9%.

Par ailleurs, de nombreuses études confirment l'existence d'une relation de causalité négative et non linéaire entre la dette et le PIB. Elles aboutissent à la conclusion qu'à partir d'un certain niveau, la dette a une influence négative sur la croissance. Selon ces études, le niveau d'endettement critique se situerait entre 90 et 100% du PIB.

Il est évident que la restauration de la confiance des consommateurs et des investisseurs, en particulier dans la zone euro, passe par l'exigence d'une garantie de la viabilité structurelle des finances publiques. C'est tout particulièrement le cas de la Belgique dont la dette publique se situe toujours à un niveau élevé.

Lorsque l'on nourrit des doutes quant à la détermination avec laquelle on veut réduire cette dette, les familles, notamment, s'inquiètent de la viabilité future des pensions et des soins de santé, du coût du vieillissement, ce qui les incite à accroître leur épargne de précaution et donc à dépenser moins, plombant ainsi la croissance économique.

Par le passé, nous avons d'ailleurs pu constater que la réduction de la dette publique de plus de 130% du PIB dans les années quatre-vingts et nonante à environ 85% du PIB avant la crise financière et la crise de la dette souveraine s'est accompagnée d'une diminution de la propension des familles à économiser parce que leur confiance en l'avenir avait augmenté gráce à l'amélioration de la viabilité budgétaire.

Il n'en demeure pas moins que le gouvernement est convaincu que la politique d'assainissement des finances publiques doit être accompagnée d'une politique de renforcement de la croissance économique et de l'emploi. La sauvegarde de la compétitivité au sens large et la promotion de l'emploi restent donc des objectifs prioritaires. C'est pourquoi le gouvernement en a tenu compte lors du contrôle budgétaire. C'est ce taux d'équilibre s'appuyant à la fois sur l'assainissement du budget en tant que moyen de sécuriser l'avenir de notre bien-être et sur l'encouragement du potentiel de croissance et de l'emploi qui continuera à inspirer le gouvernement lors des délibérations au niveau européen.

M. Benoit Hellings (Ecolo). - Nous n'allons pas nous affronter à coup d'études tout l'après-midi. Je signale toutefois que l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a reconnu, quant à lui, avoir sous-estimé l'impact des mesures d'austérité sur la croissance. Au mois d'octobre, il avait dit qu'un point retiré des dépenses publiques ferait chuter le PIB de 0,5%, mais il reconnaît aujourd'hui que l'incidence est trois fois supérieure.

En tout cas, il est essentiel, comme vous l'avez indiqué, de donner confiance aux citoyens et aux investisseurs. Au-delà d'un horizon d'austérité, il faut leur donner des perspectives d'investissement. Or ce gouvernement a décidé de supprimer les déductions fiscales pour les investissements économiseurs d'énergie ou de rénovation de bátiments. On sait pourtant que le bátiment est un secteur porteur d'emplois.

Il est grand temps de donner à nouveau des perspectives alors qu'à l'inverse, ce gouvernement demande aux citoyens, en particulier aux plus faibles, de se serrer la ceinture. On pense à la dégressivité des allocations de chômage mais peut-être aussi, dans le futur, à une réforme de l'indexation.

Il faut offrir un horizon aux citoyens ; la discipline budgétaire n'en est pas un ; elle n'a jamais été un projet politique et ne le sera jamais. Les études frelatées l'ont démontré.