5-103COM | 5-103COM |
M. Gérard Deprez (MR). - « Si l'abeille venait à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quelques années à vivre ». Cette sentence, attribuée au célèbre physicien Albert Einstein, fait froid dans le dos. Elle paraît insensée, excessive, et pourtant elle reflète bien l'utilité exceptionnelle des abeilles. Or, depuis plus d'une dizaine d'années, des mortalités massives d'abeilles domestiques sont relevées un peu partout dans le monde, principalement aux États-Unis et en Europe.
En quelques mois, entre 60% et 90% des abeilles se sont volatilisées aux États-Unis, où les dernières estimations chiffrent à 1,5 million le nombre de colonies qui ont disparu dans vingt-sept États.
Dans la plupart des pays européens, c'est le même scénario. En ce qui concerne la Belgique, Etienne Bruneau, patron du Centre apicole de recherche et d'information, disait : « Les pertes d'abeilles s'élevaient ce printemps à 30 voire 40%. Il n'y a jamais eu autant de pertes. C'est catastrophique ! » Dans certaines régions, « les pertes vont jusqu'à 60%, voire 80% », indique Jacques Dinsart, président de la Fédération provinciale des unions professionnelles apicoles de Namur.
En mars dernier, un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement a recensé une dizaine de facteurs pouvant expliquer la mortalité des abeilles, surtout dans les pays industrialisés.
Cependant, d'après les travaux publiés tout récemment dans la revue PLoS ONE, l'interaction entre certains pesticides et un parasite naturel serait sans doute le cocktail mortel à l'origine du déclin de l'abeille.
Ces chercheurs se sont intéressés à deux molécules de deux familles très distinctes : le fipronil, principe actif du Régent de BASF, interdit en France depuis 2004, et le thiaclopride, commercialisé par Bayer sous l'appellation Calypso.
En exposant une dizaine de jours des abeilles saines à des doses très faibles de chacun de ces produits, les chercheurs n'ont pas relevé de mortalité importante. Par contre, en réitérant l'expérience sur des abeilles préalablement infectées par Nosema ceranae, un parasite intestinal très courant, les auteurs relèvent des mortalités d'environ 70% à 80% pour l'une ou l'autre molécule.
L'Italie, la Slovénie et même l'Allemagne, où est basé le principal fabriquant Bayer, ont déjà commencé à interdire certaines catégories de pesticides. Par contre, la France, sous la pression des puissantes industries chimiques, vient de renouveler pour un an l'autorisation commerciale d'un produit phare contenant une substance toxique pour les abeilles.
Il semblerait qu'en Belgique, un groupe de travail a été mis sur pied il y a six mois, à l'initiative du responsable du Programme de réduction des pesticides et des biocides. Ce groupe, essentiellement composé de scientifiques, aurait pour mission de réévaluer la relation pesticides-abeilles à la lumière des dernières informations disponibles.
Madame la ministre, disposez-vous déjà de certains résultats de la recherche effectuée par ce groupe de travail ?
La Belgique entend-elle définir un plan d'action pour combattre la mortalité des abeilles, notamment en interdisant ces pesticides mortels et certains agents phytosanitaires tels que le thiaméthoxame, l'imidaclopride, la clothianidine et le fipronil ?
Vos services encouragent-ils des mesures destinées à enrayer leur diminution, la réalisation d'aménagements en faveur des abeilles ou la restauration d'espaces riches en plantes attractives pour les insectes et dénués de pesticides, par exemple ?
Mme Sabine Laruelle, ministre des PME, des Indépendants, de l'Agriculture et de la Politique scientifique. - Monsieur le président, l'ensemble du monde politique et le monde scientifique partagent les préoccupations de M. Deprez. Voici quelques jours, j'ai par exemple remis un prix décerné par l'Institut Phytofar à un jeune chercheur ayant effectué des études comparatives, quantitatives et qualitatives, portant sur les effets des pesticides sur les abeilles. À l'échelon fédéral, nous travaillons en collaboration avec mon collègue, Paul Magnette, ministre de l'Environnement, qui élabore un Plan Abeille. Nous prendrons donc des mesures par rapport à cette problématique.
Nous sommes évidemment en possession des résultats des recherches effectuées par le groupe de travail. Ils sont actuellement en cours d'examen. Les dernières activités de ce groupe se sont concentrées sur la méthode d'évaluation du risque que représentent les produits phytopharmaceutiques pour les abeilles, et ce préalablement à leur mise sur le marché. Cette méthode est en cours de révision à l'échelon européen. Nous étudions la question afin de transmettre, en 2012, nos conclusions au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale de la Commission européenne. C'est en effet à cet échelon que des modifications essentielles doivent être apportées pour la prise en compte des risques que les insecticides systémiques font courir aux abeilles.
Ces substances font l'objet d'une autorisation au niveau européen. Un État membre ne peut donc en interdire l'usage. Néanmoins, ces produits sont évalués en Belgique par un comité d'agréation qui peut prendre des mesures de restriction ou imposer des conditions d'utilisation plus strictes. La Belgique oblige par exemple les firmes phytopharmaceutiques à établir un monitoring des effets néfastes sur les abeilles exposées aux produits incriminés. Nous prenons également certaines mesures afin de mieux encadrer l'utilisation de ces substances et d'en limiter les effets pour l'homme et l'environnement.
Les mesures que vous envisagez dans votre dernière question relèvent exclusivement des compétences régionales. Le dépérissement des abeilles nécessite donc une action coordonnée entre les autorités fédérales, régionales et communautaires. C'est ce que nous faisons via le Plan Abeille.
En ce qui concerne les compétences fédérales, nous avons pris, dans le cadre du programme de réduction des pesticides et des biocides, des dispositions en vue de réduire le risque pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs.
Je mentionnerai deux actions majeures. Dès 2012, le marché des produits phytopharmaceutiques sera scindé en un marché professionnel et un marché amateur. Pour le marché amateur, les produits autorisés seront nettement moins risqués et les informations sur le bon usage des produits et les risques qu'ils présentent seront disponibles sur le lieu de la vente. Pour le marché professionnel, une certification des connaissances, la phytolicence, sera mise en place dès 2013. Les utilisateurs professionnels de produits phytopharmaceutiques doivent déjà être agréés mais, à partir de 2013, ils devront se soumettre à une formation permanente pour actualiser régulièrement leurs connaissances. Les risques de mauvaises applications des produits phytopharmaceutiques sera dès lors réduit. À partir de 2015, tout achat de produit phytopharmaceutique par un professionnel sera conditionné à cette phytolicence.
J'invite par ailleurs M. Deprez à prendre connaissance des éléments spécifiques transmis à M. Seminara au mois de mars 2011 en réponse à sa question.
M. Gérard Deprez (MR). - Je remercie Mme la ministre pour sa réponse détaillée. Je me réjouis d'apprendre que le gouvernement se préoccupe du problème. Si j'ai bien compris, un Plan Abeille est en cours d'élaboration à l'échelon fédéral, sous la responsabilité du ministre Magnette ?
Mme Sabine Laruelle, ministre des PME, des Indépendants, de l'Agriculture et de la Politique scientifique. - En effet. Nous collaborons aussi avec les autres niveaux de pouvoir.
M. Gérard Deprez (MR). - Ce plan serait donc déposé en 2012 ?
Mme Sabine Laruelle, ministre des PME, des Indépendants, de l'Agriculture et de la Politique scientifique. - Il devrait être déposé incessamment. Il s'agit d'un plan d'une certaine ampleur, qui engagera l'avenir. Or nous sommes en affaires courantes. Nous le déposerons dès que nous pourrons.
M. Gérard Deprez (MR). - Vous avez dit que l'Italie, l'Allemagne et la Slovénie interdisaient désormais l'utilisation de certaines catégories de pesticides. J'ai cependant cru comprendre que toute mesure d'interdiction était soumise à l'aval de l'Union européenne.
Mme Sabine Laruelle, ministre des PME, des Indépendants, de l'Agriculture et de la Politique scientifique. - Quand une substance fait l'objet d'une autorisation de l'Union européenne, nous ne pouvons en interdire purement et simplement l'usage. En revanche, nous pouvons soumettre son utilisation au respect de certaines conditions. C'est ce que nous faisons, à la fois pour son utilisation et l'évaluation permanente de son impact potentiel sur les abeilles.