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7 JUIN 2011
Les forêts du Bassin du Congo couvrent plus de 172 millions d'hectares (dont plus de la moitié se situe dans un seul pays, la RDC) et constituent ainsi le deuxième plus grand massif de forêts tropicales humides de la planète après la forêt amazonienne. Ces forêts revêtent une importance capitale. En effet, en plus de contribuer à nourrir, loger ou encore soigner bon nombre de congolais, elles ont pour les communautés locales d'inestimables valeurs symboliques. En outre, un massif forestier largement intact d'une telle ampleur contribue à stocker et à accumuler le CO2. Il joue donc un rôle essentiel pour le climat et la biodiversité.
Malheureusement, de nombreux observateurs constatent que le développement industriel et économique de la République Démocratique du Congo ne profite pas forcément aux populations locales et qu'il se fait parfois en dépit de toutes considérations sociales et environnementales. Le cas de l'exploitation des forêts est à ce titre emblématique.
Les forêts congolaises sont soumises à de plus en plus de pression entre autre suite à l'expansion du réseau routier, des activités des industries forestières et extractives, ainsi qu'au développement de certaines cultures comme les palmiers à huile. Aujourd'hui, l'industrie du bois bénéficie au Congo de permis d'abattage pour quelques 15 millions d'hectares et ce nombre est toujours susceptible d'évoluer. À ce rythme, on estime que 40 % des forêts congolaises risquent de disparaitre d'ici 2050, d'autant plus que seulement 8,5 % des étendues de forêts tropicales humides encore intactes d'Afrique centrale bénéficient du statut de « forêt protégée ».
1. Les enjeux:
Les populations locales
Les forêts du Congo sont pour beaucoup de Congolais une source de revenu, de nourriture et un pan culturel important. Leur destruction signifie donc pour ces populations, la destruction de leur mode de vie, souvent sans consultation ni compensations. C'est pourquoi l'exploitation de ces forêts a souvent mené à de graves conflits sociaux. Effectivement, le rapport de Greenpeace de juillet 2010 sur la réforme forestière en RDC dénonce des abus de la part de certains exploitants forestiers sur le plan des droits humains (arrestations durant des manifestations pacifiques, tortures, confinements, détentions dans des conditions inhumaines).
Le Climat
Aujourd'hui, la destruction et la dégradation des forêts sont responsables, selon les sources, de 12 à 20 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Chaque année, une superficie équivalente à plus de quatre fois la Belgique disparaît.
Les forêts tropicales humides représentent donc d'importantes réserves de carbone et leur protection est essentielle pour maintenir le climat mondial en équilibre. La RDC détient à elle seule 8 % du carbone stocké au niveau mondial (quatrième plus grand stock mondial). La destruction de ces forêts implique donc qu'une grande quantité de CO2 sera libérée dans l'atmosphère, renforçant le réchauffement climatique. On estime que d'ici à 2050, la déforestation en RDC pourrait libérer jusqu'à 34,4 milliards de tonnes de CO2, soit l'équivalent des émissions du Royaume-Uni au cours des soixante dernières années.
La biodiversité
Le bassin du Congo abrite une large biodiversité; il concentre, d'après le World Ressource Institute (WRI), plus de la moitié des espèces animales et végétales terrestres. Plusieurs espèces animales sont directement menacées par la destruction de leur habitat. L'okapi, le gorille, le bonobo, le chimpanzé, l'éléphant des forêts sont autant d'espèces qui pourraient disparaître sans intervention pour limiter la pression forestière.
Une étude de 2008 intitulée « The cost of policy inaction (COPI): the case of not meeting the 2010 biodiversity target », commanditée par la Commission européenne, évalue le coût économique de cette perte de biodiversité à 50 milliards d'euros annuels en terme de services environnementaux qui devraient être mis en place pour réparer les dégâts causés par l'inaction.
Au sortir de l'année 2010 consacrée à la Biodiversité, l'accord de Nagoya — lors de la dixième Conférence des parties à la Convention sur la diversité — a mis en exergue l'importance et la richesse environnementale, sociale et économique de la diversité biologique à laquelle les forêts congolaises contribuent grandement.
La sécheresse, l'appauvrissement et la dégradation des sols
Les forêt s jouent un rôle essentiel pour le stockage, l'infiltration et le cycle de l'eau . En effet, lorsque les forêts sont coupées, l'humidité tend à baisser (conséquence de la disparition du phénomène de « transpiration » par lequel les arbres relâchent l'eau par leurs feuilles durant la photosynthèse). En conséquence, moins d'eau se concentre dans l'atmosphère et les pluies diminuent jusqu'à parfois atteindre la sécheresse la plus terrible. Or, l'assèchement des sols les rend beaucoup moins stables ce qui peut provoquer glissements de terrains et éboulements.
Au-delà des glissements de terrains, il faut également remarquer que l'érosion entraine également une forte diminution des récoltes de l'agriculture (problème d'autosuffisance alimentaire), des crues et décrues dévastatrices et un phénomène d'envasement des rivières (problèmes pour la pêche, les infrastructures d'irrigation, les projets hydroélectriques, ...), la destruction des infrastructures routières, etc.
2. La politique de coopération au développement avec la République Démocratique du Congo
La coopération au développement bilatérale entre la Belgique et le Congo a été relancée en 2000, après neuf années de suspension. La Belgique était alors active dans plusieurs secteurs: infrastructures, soins de santé, appui institutionnel et bonne gouvernance, développement communautaire et enseignement.
Un nouveau Programme indicatif de coopération (PIC) bilatérale pour la période 2010-2013 a été élaboré dans le cadre des travaux de la commission mixte de développement entre le Royaume de Belgique et la RDC, qui s'est réunie à Bruxelles les 14 et 15 décembre 2009. Le budget annuel pour la période 2010-2013 a été relevé à 75 millions d'euros par an. Depuis 2010, le programme se concentre sur trois secteurs: l'agriculture, le développement rural et l'enseignement technique et professionnel.
Même si le PIC avec la RDC pour la période 2010-2013 a gardé un thème transversal appelé « gestion durable de l'environnement » qui traite en grande partie de la question forestière, il a exclu le chapitre « forêts » qui était pourtant pris en compte antérieurement. En outre, il faut constater qu'une seule page sur les trente-trois que compte le PIC est consacrée à cette problématique.
Dans le PIC, le chapitre consacré à la gestion durable de l'environnement stipule que: « la coopération belgo-congolaise veillera pro-activement à ce que la mise en uvre du PIC soit respectueuse de l'environnement et n'hypothèque pas l'intégrité du patrimoine forestier. Cette coopération veillera notamment à prévenir ou à réduire un éventuel impact environnemental négatif de ses programmes de désenclavement ».
Malheureusement, différents rapports et de nombreux témoignages démontrent que ces déclarations ne sont pas suivies dans les faits. Et, puisque le PIC met fortement l'accent sur la « réalisation de projets concrets », la sauvegarde de la forêt congolaise pourrait constituer un objectif à court, moyen et long terme.
Philippe MAHOUX Marie ARENA Olga ZRIHEN. |
Le Sénat,
A. considérant le rôle important des forêts congolaises sur le plan économique, social, environnemental et culturel;
B. considérant que ces forêts revêtent une importance capitale pour le quotidien d'un grand nombre de congolais;
C. considérant les impacts considérables de la déforestation en matière de dégradation de la biodiversité et de l'habitat, d'érosion des sols, d'inondations et de changements climatiques;
D. vu les impacts sociaux négatifs que peuvent avoir les déforestations sur les populations locales, parfois victimes d'accaparement de terres sans contrepartie ou très peu de la part des exploitants forestiers résultant de négociations non équilibrées entre acteurs inégaux, comme l'indique la Résolution relative à l'accaparement des terres et à la gouvernance foncière dans les pays en développement votée au Sénat le 5 mai 2011 (5-337);
E. considérant que le développement industriel, minier, agricole ou encore routier doit être permis mais qu'il doit, grâce à une gestion rigoureuse, éviter les destructions forestières;
F. considérant que d'ici à 2050, la déforestation en RDC pourrait libérer jusqu'à 34,4 milliards de tonnes de CO2;
G. considérant les engagements de la Belgique vis-à-vis des forêts congolaises dans le Programme indicatif de coopération (PIC) 2010-2013;
H. considérant les divers engagements de la Belgique pour le climat au niveau international (Kyoto, Copenhague, Cancún, Partenariat REDD+) et européen, ainsi que pour la protection de la biodiversité à la 10e Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique de Nagoya;
I. considérant le manque de moyens des autorités congolaises pour contrôler efficacement les activités de l'industrie forestière, minière ou agricole,
demande au gouvernement,
1. Par la coopération bilatérale directe et indirecte, de soutenir les décideurs congolais nationaux et locaux dans la mise en uvre et le respect du Code forestier et de ses textes d'application qui promeuvent une bonne gestion forestière, respectueuse à la fois des besoins des populations, de l'environnement et de la biodiversité, et de les soutenir dans leurs différents engagements internationaux qui concernent les forêts, le climat et la biodiversité;
2. De veiller à ce que l'aide apportée via la coopération au développement serve à mener des projets qui contribuent à la sauvegarde des forêts congolaises et non pas à soutenir des initiatives qui conduisent à des destructions abusives;
3. De soutenir toute volonté congolaise d'élargir la surface des aires protégées sur son territoire;
4. De prôner une gestion durable des forêts en collaboration étroite avec les populations autochtones et les communautés locales, dont l'autonomie est ainsi renforcée, en se basant sur un modèle d'exploitation forestier respectueux des normes légales et en particulier des clauses sociales prévues dans les cahiers des charges;
5. De réaffirmer les engagements pris en matière de protection du patrimoine forestier dans le « Programme indicatif de coopération 2010-2013 (8.4) » sur le plan de la prévention (identification et analyse des impacts directs et indirect), de l'atténuation des impacts environnementaux, de la planification et du suivi;
6. De réintégrer un chapitre « forêts » dans le Programme Indicatif de Coopération;
7. De mettre l'arrêt du pillage des forêts de RDC comme dossier prioritaire à la fois de sa coopération bilatérale et multilatérale mais aussi du mécanisme européen FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) qui lutte contre l'importation de bois illégal;
8. D'intégrer la problématique de la protection des forêts dans la prochaine loi relative à la coopération internationale belge.
28 avril 2011.
Philippe MAHOUX Marie ARENA Olga ZRIHEN. |