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5 MAI 2011
Rétroactes
En octobre 2006, 1 886 membres du personnel du cadre opérationnel de la police intégrée, représentés par leur syndicat, ont décidé d'assigner l'État belge en justice en vue de réclamer le paiement de la prime Copernic. Cette prime fut mise en place afin de compléter le pécule de vacances des membres du personnel employé dans le secteur public, de manière à ce que le montant total atteigne le niveau du pécule de vacances des travailleurs du secteur privé, soit 92 % du salaire brut de référence.
Le 28 septembre 2010, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné l'État belge à indemniser, sous peine d'astreintes, les quelque deux milles requérants au versement de la prime, majorée des intérêts moratoires et judiciaires y afférents, pour les années 2002 à 2007.
Le jugement prévoit en outre que non seulement tous les requérants ont droit à la prime mais également tous les autres fonctionnaires de la police, en fonction des phases de mise en uvre, à partir de 2002.
Un délai de cinq mois a été accordé à l'autorité pour calculer les montants à régulariser et pour les communiquer aux requérants. Un délai de sept mois a aussi été fixé pour le paiement de la prime, pour les années 2002 à 2007. Ces deux délais courent à partir de la signification du jugement. L'État belge a décidé d'interjeter appel contre ce jugement.
Depuis ce jugement, toutes les organisations syndicales représentatives ont lancé des citations contre l'État belge et les zones de police pour défendre environ vingt-six mille policiers qui souhaitent obtenir, à leur avantage, l'application du premier jugement.
In fine, toutes les zones de police du pays sont citées, en ce qui concerne le paiement de la prime Copernic, avec effet rétroactif.
Prime Copernic
Lors de la réforme Copernic, il avait été décidé d'augmenter le pécule de vacances (sous la forme de l'octroi de la prime Copernic) de tous les fonctionnaires fédéraux, y compris les auxiliaires administratifs de la police (les Calogs).
Ceci résultait des négociations sectorielles du 21 juin 2001. L'objectif était de tendre vers l'octroi d'un pécule de vacances, pour la fonction publique, qui serait plus ou moins semblable à ce qu'offre le secteur privé, soit 92 % d'un salaire mensuel brut de référence.
Comme le rappelle à juste titre la Cour constitutionnelle (1) : « bien que la prime Copernic, comme le constate le juge a quo, ne puisse être assimilée au pécule de vacances, cette prime a été instaurée afin de compléter le pécule de vacances de certains membres du personnel employé dans le secteur public pour atteindre le niveau de pécule de vacances des travailleurs du secteur privé. »
L'octroi de la prime Copernic s'est fait par phases. Dans un premier temps, les niveaux administratifs les plus bas (niveaux 3 et 4) ont été favorisés.
Dans un deuxième temps, le pécule de vacances devait être relevé progressivement à 92 % pour toutes les autres fonctions.
La mise en place d'une prime Copernic s'est d'abord traduite dans l'arrêté royal du 10 juillet 2002 (2) , qui a attribué une prime Copernic aux membres du personnel statutaires et contractuels des niveaux 4 (ou D), 3 (ou D) et 2 (ou C), appartenant aux:
1. services publics fédéraux ou aux services publics fédéraux de programmation ainsi qu'aux services qui en dépendent;
2. organismes d'intérêts publics soumis à l'arrêté royal du 8 janvier 1973 fixant le statut du personnel de certains organismes d'intérêt public;
3. organismes d'intérêt public suivants:
— l'Agence fédérale des demandeurs d'asile;
— l'Agence fédérale pour la sécurité alimentaire;
— l'Institut belge des services postaux et des télécommunications;
— l'Office belge du commerce extérieur;
— le Bureau fédéral du plan;
4. institutions publiques de sécurité sociale visées à l'article 3, § 2, de l'arrêté royal du 3 avril 1997 portant des mesures en vue de la responsabilisation des institutions publiques de sécurité sociale, en application de l'article 47 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pensions;
5. administrations et autres services des ministères fédéraux, aussi longtemps qu'ils ne sont pas remplacés par les services publics visés au point 1.
L'arrêté royal du 10 juillet 2002 accordant une prime Copernic à certains agents des administrations de l'État prévoit en outre que le montant de la prime Copernic est calculé en effectuant la différence entre:
— le montant du pécule de vacances brut liquidé l'année du paiement de la prime, conformément à l'article 4 de l'arrêté royal du 30 janvier 1979 relatif à l'octroi d'un pécule vacances aux agents de l'administration générale du Royaume; et
— un montant égal à 92 % d'un douzième du, ou des, traitement(s) annuel(s) lié(s) à l'indice des prix à la consommation, qui détermine le ou les traitements du(s) pour le mois de mars de l'année de paiement de la prime.
L'arrêté royal du 7 mai 2003 (3) a modifié l'arrêté royal du 10 juillet 2002 précité afin d'étendre l'avantage lié à la prime Copernic aux agents des niveaux A et B (1 et 2 +) des administrations de l'État. Par ailleurs, ces deux arrêtés royaux n'ont pas eu pour effet d'accorder une prime Copernic aux membres du personnel des services de police. L'arrêté royal du 16 janvier 2003 accordant une prime Copernic à certains membres du personnel du cadre administratif et logistique de la police intégrée, structurée à deux niveaux (4) a fourni un texte réglementaire qui porte sur les membres du personnel des services de police. En effet, celui-ci accorde une prime Copernic aux membres du personnel du cadre administratif et logistique de la police intégrée, structurée à deux niveaux des niveaux B, C et D de ce cadre.
L'arrêté royal du 1er septembre 2004 (5) , modifiant l'arrêté royal du 16 janvier 2003 précité, étend la prime aux membres du personnel du cadre administratif et logistique de niveau A, à partir du 1er mai 2003.
Depuis lors, l'arrêté royal du 16 janvier 2003 précité a été abrogé et remplacé par celui du 29 avril 2009 (6) , qui fixe désormais à 92 % le pécule de vacances au bénéfice, d'une part, des membres du personnel du cadre logistique et administratif et, d'autre part, du cadre opérationnel.
Étant donné que, désormais, le pécule de vacances est fixé à 92 % pour les deux catégories de personnel à la police, cela a pour effet de rendre obsolète l'octroi d'une prime Copernic pour le personnel Calog, d'où l'abrogation de l'arrêté royal du 16 janvier 2003.
L'octroi d'un pécule de vacances majoré, pour le cadre opérationnel, s'est fait de manière progressive et échelonnée dans le temps de la manière suivante:
— pour l'année 2009, seuls les agents de police, et uniquement les inspecteurs et les inspecteurs principaux qui ont atteint l'âge de cinquante-sept ans au 1er octobre 2008, ont pu bénéficier d'un pourcentage de 92 %; les autres membres du personnel du cadre opérationnel ont bénéficié, quant à eux, pour cette année-là, d'un pourcentage de 65 %;
— pour l'année 2010, seuls les agents de police, les inspecteurs, et uniquement les inspecteurs principaux qui ont atteint l'âge de cinquante-sept ans au 1er octobre 2008, ont pu bénéficier d'un pourcentage de 92 %; les autres membres du personnel du cadre opérationnel ont bénéficié, quant à eux, pour cette année-là, d'un pourcentage de 65 %;
— à partir de l'année 2011, le pourcentage de 92 % est d'application pour tous les membres du personnel du cadre opérationnel.
En conclusion, si, depuis 2009, l'ensemble du personnel du cadre opérationnel de la police intégrée bénéficie bien du pécule de vacances majoré, il n'en reste pas moins que les membres de ce cadre opérationnel n'ont jamais bénéficié de la prime Copernic entre 2002 et 2008, et ce contrairement à tous les autres agents de l'État, et notamment le personnel Calog de la police intégrée.
La différence de traitement entre le personnel policier est aujourd'hui dénoncée par les policiers auprès des tribunaux. Les policiers estiment que cette différence ne repose pas sur un critère objectif et qu'elle n'est pas raisonnablement justifiée. Ils considèrent que la non-attribution de la prime Copernic ne peut être justifiée ni par le fait que les membres du personnel du cadre opérationnel des services de police perçoivent un traitement plus élevé que les membres du personnel du cadre administratif et logistique, ni par le fait que les membres du cadre opérationnel bénéficient de toutes sortes d'allocations et d'indemnités en raison de certaines prestations. Saisie d'une question préjudicielle portant sur cette différence de traitement, la Cour constitutionnelle (7) , a estimé, concernant cet arrêté royal du 16 janvier 2003 qu'elle n'est pas compétente pour trancher le litige. Selon la Cour, cette différence de traitement ne résulte pas de dispositions légales mais de l'action du Roi; par conséquent, « il revient au juge compétent en la matière de contrôler la compatibilité de l'arrêté royal concerné avec les articles 10 et 11 de la Constitution (8) ».
La Cour relève le point suivant: « la circonstance que les dispositions en cause prévoient un statut distinct pour le personnel du cadre opérationnel, d'une part, et du cadre administratif et logistique, d'autre part, de la police intégrée, structurée à deux niveaux — ce qui eu égard à la nature différente des missions des catégories de personnel concernées, n'est pas en soi dénué de justification raisonnable — ne permet pas de déduire que le législateur aurait dispensé le Roi de respecter le principe d'égalité et de non-discrimination lors de la fixation des modalités du statut des deux cadres. En effet, lorsque le législateur délègue, il faut supposer — sauf indications contraires — qu'il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution. »
L'auteur n'entend pas juger du bien-fondé de l'action entreprise par les policiers. Mais il demande que le pouvoir fédéral prenne, de toute urgence, toutes les mesures utiles et nécessaires pour que, en cas de condamnation, les zones de police soient financièrement aidées concernant le surcoût lié à l'obtention de la prime.
Répercussions financières à charge des communes
En réponse à une demande d'explications du 22 février 2010 en commission de l'Intérieur au Sénat, la ministre de l'Intérieur a estimé que les coûts totaux s'élevaient respectivement à 130 millions d'euros pour la police fédérale et à 263 millions d'euros pour les cent nonante-cinq corps de police locaux.
Raisons pour lesquelles l'auteur estime que ces répercussions financières ne doivent pas être assumées par les communes.
Pour l'auteur, il n'appartient pas aux communes d'assumer seules cette charge financière, et ce pour les deux raisons suivantes.
Engagement de l'État fédéral
Le pouvoir fédéral s'était engagé, lors de la Réforme des polices, en 2000, à garantir le principe de la neutralité budgétaire. Or, on constate que la charge financière des polices locales creuse un déficit incontrôlable dans les finances de très nombreuses communes. Et que cette tendance ne cesse de s'aggraver.
À ce sujet, l'étude menée par Dexia (9) , en juin 2009, démontre que les communes présentent un déficit, à l'exercice propre de 2009, de 153,2 millions d'euros, en hausse de 49,3 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Le nombre de communes qui présentent un déficit à l'exercice propre au cours de la période 2000-2009 fluctue ainsi entre 40 % et 62 % pour l'ensemble du pays.
Bon nombre de communes de notre pays connaissent donc déjà de grandes difficultés financières et, si les communes devaient assumer seules le versement de la prime Copernic, cela reviendrait à programmer leur faillite. Alors que le pouvoir fédéral avait promis que, d'une part, la réforme ne coûterait rien aux zones de police et que, d'autre part, le mécanisme de financement des zones de police, devenu obsolète, serait revu en profondeur, ce qui n'a pas été fait.
Le pouvoir de décision en matière d'avantages salariaux est dans les mains de l'État fédéral
Même si les cent nonante-cinq zones de police du pays concentrent à elles seules 75 % des effectifs (10) policiers, c'est le fédéral, et lui seul, qui négocie les avantages salariaux.
Ce monopole est, d'ailleurs, vivement critiqué par les trois associations des villes et communes du pays. L'Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) (11) rappelle à cette occasion: « dès l'adoption du statut mammouth en 2001, le fédéral a pendant de longues années, joué cavalier seul dans les négociations avec les syndicats de police et quasiment tous les efforts financiers fédéraux qui ont résulté de ces négociations se sont limités à la seule police fédérale, laissant les coûts de ces décisions unilatérales à charge des cent nonante-cinq zones de police, pour tout le personnel de police locale (derniers exemples en date: l'allocation de fin d'année, et bien sûr le pécule de vacances qui sera porté, pour l'ensemble, en 2011, à 92 % d'un douzième du traitement annuel, ...). »
Un point essentiel de la réforme des polices était qu'elle ne pouvait pas entraîner de frais supplémentaires pour les communes. Or, il n'en est rien. Comme l'indique l'Association des villes et communes de Bruxelles: « Les frais de personnel continuent à augmenter, sans aucun élargissement du financement par l'État fédéral. Les conséquences sont claires: si les moyens des zones n'augmentent pas, tandis que les frais de personnel continuent de croître, les zones de police seront obligées de rogner sur les recrutements et les achats de matériel. » À moyen terme, c'est la sécurité des concitoyens qui est mise à mal.
L'auteur insiste, dès lors, pour que le pouvoir fédéral prenne toutes les mesures nécessaires pour aider les zones de police, en cas de condamnation par la Justice, au versement de la prime Copernic.
Vanessa MATZ. |
Le Sénat,
A. considérant que, lors de la réforme des services de police, l'État s'était engagé à garantir le « principe de neutralité budgétaire » vis-à-vis des communes;
B. considérant que l'État fédéral est toujours en défaut quant à la révision du mécanisme de financement des zones de polices, qui est pourtant devenu obsolète aux yeux de tous depuis de nombreuses années;
C. considérant le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 28 septembre 2010, condamnant l'État belge au paiement de la prime Copernic pour les années 2002 à 2007;
D. considérant que ce jugement déclare que tous les fonctionnaires de police appartenant au cadre opérationnel ont droit à la prime;
E. considérant que, depuis ce jugement, toutes les zones de police du pays ont été citées en justice par leurs préposés appartenant au cadre opérationnel du personnel de police, car ils souhaitent obtenir l'avantage du premier jugement;
F. considérant que le coût, en cas de condamnation, est estimé, pour les zones de polices, à environ 263 millions d'euros;
G. considérant le déficit budgétaire auquel doit faire face la majorité des communes,
Demande au gouvernement:
1. de prévoir une dotation fédérale spéciale en cas de condamnation des zones de police au paiement d'une prime Copernic, majorée des intérêts moratoires et judiciaires;
2. d'intégrer les coûts supplémentaires qui attendent les zones de polices locales dans le processus d'un nouveau mécanisme de financement des zones de police;
3. de prévoir, systématiquement, une estimation des coûts et des effets sur la situation des communes, chaque fois que des avantages sont négociés à charge des zones de police;
4. de prévoir un mécanisme de compensation en faveur des zones de police lorsque le fédéral octroie unilatéralement des avantages au personnel policier;
5. d'organiser immédiatement des réunions de coordination avec la commission permanente de la police locale ainsi que les associations des villes et communes, en vue de passer des accords pratiques pour gérer au mieux ce contentieux, tant au niveau des autorités locales que fédérales.
11 avril 2011.
Vanessa MATZ. |
(1) Cour constitutionnelle, arrêt du 14 mai 2009 no 82/2009, considérant B.3.1.
(2) Moniteur belge du 1er août 2002.
(3) Moniteur belge du 13 mai 2003.
(4) Moniteur belge du 13 février 2003.
(5) Moniteur belge du 27 septembre 2004. Il est à noter que le pourcentage prévu pour ce cadre est fixé à 80 au lieu de 92 pour les années 2003 et 2004.
(6) Moniteur belge du 8 mai 2009. Cet arrêté royal produit ses effets dès le 1er janvier 2009.
(7) Arrêt précité du 14 mai 2009 no 82/2009.
(8) Considérant B.5 de l'arrêt précité de la Cour constitutionnelle.
(9) Dexia, Finances locales, communes et provinces, Juin 2009.
(10) Les policiers opérationnels du pays se composent comme suit: — 9 500 policiers fédéraux; — 27 000 policiers locaux.
(11) Prime Copernic: l'UVCW et VVSG disent non au paiement par les zones de police.