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2 MARS 2011
I. INTRODUCTION
La Commission a discuté des suites de l'arrêt Saldez au cours de ses réunions des 6, 13 et 20 octobre, 9 et 17 novembre 2010, en présence du ministre de la Justice.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE
II.1. Présentation générale de la problématique
La Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l'Homme (en abrégé, CEDH) a rendu le 27 novembre 2008 un arrêt dans l'affaire Salduz contre la Turquie (1) , sans nul doute un des arrêts les plus retentissants de ces dernières années.
Cet arrêt a été suivi de nombreuses autres décisions de la CEDH (2) .
Fondamentalement, la jurisprudence Salduz entraîne un glissement dans la jurisprudence de la CEDH, en l'occurrence d'une analyse (plus générale) de la nécessité d'une assistance par un avocat dans le cadre de la procédure dans son ensemble vers une disposition (plus stricte) d'assistance d'un avocat lors de la première audition.
En outre, alors que précédemment l'assistance d'un avocat supposait une attitude active de la part de l'inculpé dans la mesure où il devait lui-même demander à être assisté et qu'il y avait violation de l'article 6 de la CEDH si cette assistance lui avait été refusée par les autorités, la CEDH opte à présent pour une attitude plus active de la part des autorités en matière de garantie des droits de la défense.
La Cour estime que le droit de tout inculpé à avoir un accès effectif à un avocat dès le premier interrogatoire par la police constitue un des éléments fondamentaux d'un procès équitable, conformément à l'article 6 de la CEDH.
Cependant, le « principe Salduz » n'est pas un principe absolu puisque des raisons impérieuses peuvent justifier qu'il y soit dérogé, toutefois sans que cela puisse préjudicier au déroulement équitable du procès.
Depuis, beaucoup d'encre a coulé à propos de la portée et de l'interprétation exactes de ces différents arrêts entre les différents acteurs de la justice, aussi bien d'un point de vue doctrinal qu'au niveau de la jurisprudence, ce qui débouché sur une tendance dite minimaliste et une tendance dite maximaliste.
À ce jour, la discussion quant au contenu exact à conférer à la jurisprudence Salduz fait toujours rage: suppose-t-elle uniquement un droit de contact avec un avocat (droit dit de consultation) ou également le droit à l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires (présence physique, active ou passive) ? Cela vaut-il uniquement pour le premier interrogatoire ou pour tous les interrogatoires ? Cela vaut-il pour toutes les personnes interrogées quelle que soit leur qualité ou uniquement pour les inculpés qui sont privés de leur liberté ? Quels droits s'appliquent pour quelles affaires et quelles incriminations ? Faut-il ou non y associer l'accès au dossier dans une phase plus précoce de la procédure ? Etc.
Le fait que la CEDH doit rester dans les limites de ses compétences et n'est pas en mesure de statuer universellement et législativement permet de nourrir le débat.
Cela suscite par conséquent des critiques à l'égard du fonctionnement de la CEDH puisque, d'une part, cette Cour a développé une vaste jurisprudence qui pose très clairement le principe du « droit à l'assistance » d'un avocat dès les premiers interrogatoires par les services de police, mais que d'autre part, elle ne s'estime pas compétente pour définir de façon précise la portée de ce droit non « absolu » (3) .
Il revient aux États membres individuels de choisir de quelle manière ils souhaitent garantir la portée concrète de ce droit non absolu dans leur propre système juridique. La Convention elle-même ne précise pas les conditions d'exercice de ce droit (4) .
La Belgique n'a aucune disposition légale qui prévoit cette assistance dès le premier interrogatoire.
Seule une initiative législative permet dès lors de parer à la jurisprudence Salduz et de l'implémenter, puisque seul le législateur est habilité à déterminer les options nécessaires auxquelles l'assistance d'un avocat doit répondre ainsi que leurs modalités concrètes.
La démission du gouvernement a toutefois empêché que cette initiative législative indispensable soit prise.
Il résulte de tout ceci qu'il règne pour le moment une véritable impasse: la législation actuelle n'est pas conforme à la jurisprudence Salduz, mais des nouvelles règles de droit uniformes font encore défaut pour l'instant; par ailleurs, la jurisprudence Salduz est un fait et elle s'impose à nous.
Certes, la Belgique n'a pas encore été condamnée, mais elle a reçu un avertissement dans le cadre de l'arrêt Bouglame du 2 mars 2010 (5) , encore que chacun ne s'accorde pas non plus quant à la répercussion de cet arrêt sur la procédure pénale belge.
Les Ordres des barreaux soulignent l'effet direct de l'article 6 de la CEDH, qui en tant que norme de droit international prime sur le droit interne, ainsi que l'autorité interprétative de la chose jugée des arrêts de la CEDH, qui contraignent d'ores et déjà les juridictions belges à appliquer les principes et à faire abstraction de tout droit national contradictoire (6) .
Au vu de cette prise de position, il est à prévoir que de nombreuses procédures seront engagées auprès de la Cour européenne.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que celle-ci épouse une approche très prudente de cette problématique et se soucie sans doute de ne pas mettre purement et simplement en péril des enquêtes ou procédures pénales en cours.
Le moyen basé sur l'absence d'assistance d'un avocat pendant l'interrogatoire par les services de police et/ou le juge d'instruction, puisé (notamment) de la violation des articles 6.1 et/ou 6.3.c de la CEDH, a été invoqué par la Cour aussi bien dans des affaires de détention provisoire que dans des affaires où le juge du fond avait statué au fond sur l'action publique (7) .
Du côté de la magistrature aussi, la pression pour une mise en conformité aux effets de la jurisprudence de la Cour européenne ne cesse de grandir.
Ainsi, le 25 juin 2010, l'Association des Juges d'instruction a formulé par écrit une proposition personnelle quant à la manière de procéder, qui se veut être une expérience provisoire et n'est nullement contraignante pour les juges d'instructions individuels eu égard à l'indépendance de ceux-ci.
Cette proposition intègre les éléments suivants, lesquels sont uniquement valables pour les dossiers dont le juge d'instruction est saisi et dès lors uniquement pour les infractions pour lesquelles un mandat d'arrêt peut être délivré (passibles d'une peine d'emprisonnement d'1 an): faire état du droit de se taire et du droit à une consultation préalable par un avocat (délai d'attente: 2 heures, temps de consultation: 30 minutes), mais l'avocat ne peut assister à l'interrogatoire par la police proprement dit. La présence de l'avocat lors de l'interrogatoire chez le juge d'instruction est laissée à l'appréciation individuelle de chaque juge d'instruction.
Dans la pratique, il apparaît que la proposition informelle de l'Association des Juges d'instruction n'est pas appliquée de façon généralisée et qu'un certain nombre de juges d'instruction n'appliquent pas les éléments qu'elle contient ou les appliquent différemment (8) .
Le Collège des procureurs généraux a élaboré des directives provisoires (9) , tout en faisant remarquer explicitement qu'il ne peut se substituer au législateur. Aussi le Collège essaie-t-il de mieux cerner les droits de la défense dans les limites du cadre légal existant sans cependant réaliser la transposition effective de la jurisprudence européenne.
La circulaire prévoit notamment l'instauration du droit au silence (toute personne entendue est explicitement informée du fait qu'elle n'est pas tenue de répondre à chaque question) et demande également d'informer la personne entendue qu'elle a la possibilité de demander une nouvelle audition après concertation avec son conseil et que son avocat puisse assister à un interrogatoire récapitulatif. En outre, la circulaire souligne l'importance des constatations sur place et de la sécurisation des indices et des preuves matérielles et elle impose l'enregistrement audiovisuel de la première audition d'un suspect privé de liberté dans le cadre d'infractions graves (homicides et crimes non correctionnalisables).
Il en résulte que les services de police doivent chaque fois appliquer des règles différentes en fonction de l'arrondissement et combiner les instructions de diverses instances (dans le cadre d'une même affaire, respecter à la fois les instructions du juge d'instruction en charge du dossier et la circulaire du Collège).
Le syndicat libéral (SLFP) menace de déposer un préavis de grève et veut que la circulaire du Collège soit rapportée pour ce qui concerne l'enregistrement audiovisuel des auditions.
D'une manière générale, la police dénonce les difficultés d'ordre organisationnel pour boucler le tout dans le délai extrêmement court de 24 heures et souligne qu'elle aura besoin de plus de personnel et de moyens accrus.
L'absence de cadre législatif a donc eu pour conséquence que chaque groupe professionnel tente d'élaborer au sein de sa propre organisation une réglementation qui répond à la jurisprudence européenne en tenant compte de ses propres perspectives, mais cela a débouché sur diverses initiatives qui ne sont pas toujours correspondantes et convergentes entre elles, dont certaines sont en outre contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation, évoquée ci-avant.
Un chaos complet et une insécurité juridique totale règnent par conséquent sur le terrain actuellement.
Une intervention législative urgente est dès lors indispensable pour mettre un terme à toutes les initiatives et pour permettre un retour à l'uniformité.
Dans la mesure où cette problématique intervient pratiquement dans le cadre de chaque information-instruction judiciaire (dans chaque enquête, un suspect est d'abord entendu), elle se pose de façon très aiguë.
Même si une action législative et des règles de droit précises sont nécessaires d'urgence, une loi et des règles juridiques ne suffiront pas. Elles devront parallèlement aussi contenir déjà une solution pour tous les problèmes organisationnels et pratiques (infrastructures et moyens) au niveau des différents acteurs de la justice.
En effet, un travail législatif de qualité suppose aussi que la question soit posée de savoir si la loi pourra également être exécutée et maintenue dans la pratique.
La loi doit avoir un objectif d'effectivité et d'efficacité et tenir compte de la proportionnalité. Il convient de prendre en considération l'analyse des coûts et avantages (10) .
En d'autres termes, cette problématique ne sera pas du tout résolue en actant simplement sur papier l'octroi des droits les plus étendus; les contenus organisationnel et budgétaire sont à tout le moins aussi importants et l'un aura en outre inévitablement une influence sur l'autre.
L'assistance d'un avocat dans le délai des premières 24 heures de privation de liberté représente une réforme fondamentale de notre procédure pénale et un bouleversement fondamental au niveau du fonctionnement au quotidien de la justice à tous ses niveaux.
Une telle révolution requiert une préparation approfondie, pas uniquement auprès des différents acteurs de la justice, mais également la garantie que l'État pourra financer et organiser sa concrétisation.
Lorsque l'effectivité des droits accordés n'est pas garantie, et que dès lors il en résulte dans la pratique une non-application pour cause de manque de moyens personnels et budgétaires, il n'est pas davantage répondu à la jurisprudence de la CEDH et ceci est également susceptible de déboucher sur une condamnation.
La définition des contours du droit d'assistance devra donc nécessairement être couplée à la faisabilité de celui-ci, de préférence en procédant par étapes.
C'est également la méthode qui a été adoptée dans les pays qui nous entourent.
Il peut être renvoyé aux Pays-Bas, où le Journal officiel (Staatscourant) a publié une instruction le 16 mars 2010. Cette instruction a pour objectif d'organiser une adaptation dans l'attente d'une législation formelle (11) .
En France aussi, la manière de procéder a été progressive. De précédentes législations (12) avaient instauré l'obligation d'informer la personne de ses droits et le droit d'avoir un entretien confidentiel avec un avocat au début de la garde à vue ou au moment de la prolongation de celle-ci, ainsi que la possibilité de procéder à un enregistrement audiovisuel des interrogatoires.
Un nouveau projet de loi portant modification de la garde à vue, qui fait suite à l'arrêt rendu par le Conseil constitutionnel, entend à présent accorder des droits élargis.
En résumé, la transposition de la jurisprudence Salduz dans la législation et la pratique judiciaire belges requiert dès le départ un inventaire précis des conséquences organisationnelles et budgétaires ainsi que l'approbation des budgets nécessaires par le Conseil des ministres.
Idéalement, cette problématique devrait être intégrée dans le cadre des discussions budgétaires concernant la confection du budget 2011 et les économies projetées.
Le 26 juillet dernier déjà, le ministre de la Justice a adressé un courrier à ce sujet à l'ex-informateur Bart De Wever et à l'ex-préformateur Elio Di Rupo.
Une loi d'une telle importance doit en effet être bien préparée, ce qui est en totale opposition avec le caractère urgent de la problématique telle qu'elle se pose actuellement sur le terrain.
Afin de concilier tous ces objectifs, le ministre plaide pour une approche pragmatique par phases.
II.2. Proposition: Approche pragmatique par phases
Dans le dictionnaire, le mot PRAGMATIQUE est défini comme suit: 1) instructif grâce à l'application réelle dans la pratique; 2) n'émanant pas de théories rigides mais répondant à des données, à des faits tels qu'ils se produisent.
Cette approche nous permet d'opter en premier lieu pour l'élaboration d'une solution pratique, qui puisse être appliquée directement sur le terrain, au lieu de nous perdre d'abord dans un long débat de principe sur la traduction minimaliste ou maximaliste ou non à conférer à l'arrêt Salduz.
En effet, quelle que soit l'interprétation préconisée, il ressort incontestablement des arrêts de la CEDH que l'accès à un avocat, sous la forme d'une concertation préalable au premier interrogatoire, doit certainement être garanti pour qu'on puisse parler d'un procès équitable (Cf. Verbruggen, F., Magerman, K. et De Decker, S., Mensenrechten voor de Belgische strafrechtspraktijk: van sneeuwbal naar lawine, p. 21, nº 26).
L'objectif est, DANS UNE PREMIERE PHASE, de préparer et de faire approuver en urgence une loi qui réponde déjà aux exigences posées par la CEDH et ne suscite aucune contestation.
Cela permettra de remédier à l'insécurité juridique et au manque de clarté sur le terrain et d'éviter des condamnations inutiles par la CEDH.
Il s'agit d'une LOI PROVISOIRE ET TEMPORAIRE URGENTE.
Outre le fait d'apporter la sécurité juridique et la clarté, la méthode consistant à travailler par phases présente encore d'autres avantages:
— Cela permet à tous les acteurs de la justice de s'adapter progressivement à la toute nouvelle manière de procéder, de travailler et de penser imposée par la CEDH.
Les conséquences sur les plans organisationnel et budgétaire de cette première traduction minimale de la nouvelle jurisprudence de la CEDH permettront de se prononcer sur des réformes encore plus approfondies en meilleure connaissance de cause.
D'ailleurs, les maximalistes également savent qu'on ne pourra pas réaliser l'ensemble immédiatement, que les différents acteurs de la justice (police, barreau ...) n'y sont pas suffisamment préparés et qu'une APPROCHE ÉVOLUTIVE paraît plus indiquée.
— Cela comporte également des avantages sur le plan de la technique législative: dans l'application pratique, une telle révolution créera toujours des difficultés et des discussions. Dans la loi définitive, on pourra en tenir compte et mieux définir ou compléter les dispositions légales sur les points où cela s'avèrera nécessaire.
Pour être complet, il est à noter qu'au niveau de l'Union européenne également, les droits procéduraux font actuellement l'objet d'une importante évolution.
Cette évolution a été initiée en 2009 par la Décision du Conseil de l'Union européenne relative à la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Cette feuille de route contient cinq mesures qui feront l'objet chronologiquement de propositions de directives à négocier. Ces cinq mesures sont: 1) le droit à la traduction et à l'interprétation, 2) le droit à l'information dans le cadre des procédures penales 3) l'assistance d'un conseiller juridique et l'aide juridictionnelle, 4) la communication avec les proches, les employeurs et les autorités consulaires et 5) les garanties particulières pour les suspects ou personnes poursuivies qui sont vulnérables.
La première mesure est déjà négociée et la Directive sur le droit à un traducteur et à un interprète fera l'objet d'un vote au prochain Conseil JAI en octobre.
Les négociations relatives à la deuxième mesure — droit à l'information dans le cadre des procédures penales — sont entamées sous la présidence belge.
Naturellement, cette évolution et les négociations en cours seront également importantes pour d'autres adaptations de notre législation nationale.
Dans UNE DEUXIÈME PHASE, on pourra réfléchir à une RÉFORME GLOBALE DÉFINITIVE, à l'issue d'un débat approfondi et de travaux préparatoires.
Il s'agira de trouver une façon de rationaliser efficacement toutes les évolutions en cours tant au niveau national qu'au niveau de l'Union européenne et dans la jurisprudence de la CEDH.
Dans cette phase, il faudra pouvoir ouvrir le débat sur une révision plus profonde de notre système de droit pénal.
Les éléments suivants devront certainement être abordés:
1. La discussion de l'octroi de droits plus étendus comme la présence d'un avocat à l'audition.
La question de savoir si cette présence doit être active ou passive, pour quelles auditions et infractions, comment l'organiser d'un point de vue pratique pour que ce soit réalisable sur le plan budgétaire.
2. La question de savoir si le premier interrogatoire doit être concrétisé autrement par le juge d'instruction. Des propositions ont été émises visant à mener le débat en deux phases, à savoir un interrogatoire du suspect par le juge d'instruction en présence de l'avocat et ensuite un débat contradictoire sur la nécessité de décerner un mandat d'arrêt, stade auquel le procureur peut également être présent.
3. La question de savoir s'il est opportun de réaliser des enregistrements audiovisuels des auditions ou de certaines auditions, comment en régler les modalités précises (comparer avec l'article 112ter du Code d'instruction criminelle) mais également comment intégrer les garanties nécessaires pour la vie privée des policiers.
Cela demande également que les services de police et la magistrature reçoivent une formation solide sur l'interrogatoire de personnes et sur l'application de techniques d'enquête non suggestives.
4. L'octroi de droits tels que ceux prévus lors des arrestations administratives: le droit d'informer un proche concernant l'arrestation et le droit à un examen médical.
5. L'octroi de droits complémentaires entraînera aussi inévitablement un débat sur l'extension ou non du délai d'arrestation fixé dans la Constitution à 24 heures.
Il faudra décider de procéder ou non à une modification de la Constitution.
6. Last but not least, cela impliquera également que la réglementation relative à l'aide juridique de deuxième ligne devra être réexaminée dans son ensemble, voire soumise à de nouvelles pistes de réflexion.
II.3. ÉBAUCHE DE MODIFICATION DE LOI
A. Proposition de modification de loi
1. Modification de l'article 47bis du Code d'instruction criminelle
§ 1er. Lors de l'audition de personnes, entendues en quelque qualité que ce soit, l'on respectera au moins les règles suivantes:
1º. Au début de toute audition, il est communiqué à la personne interrogée:
a) qu'elle peut demander que toutes les questions qui lui sont posées et les réponses qu'elle donne soient actées dans les termes utilisés;
b) qu'elle peut demander qu'il soit procédé à tel acte d'information ou telle audition;
c) que ses déclarations peuvent êtres utilisées comme preuve en justice;
2º. Toute personne interrogée peut utiliser les documents en sa possession, sans que cela puisse entraîner le report de l'interrogatoire. Elle peut, lors de l'interrogatoire ou ultérieurement, exiger que ces documents soient joints au procès-verbal d'audition ou déposés au greffe.
3º. Le procès-verbal mentionne avec précision l'heure à laquelle l'audition prend cours, est éventuellement interrompue, reprend, et prend fin. Il mentionne avec précision l'identité des personnes qui interviennent à l'interrogatoire ou à une partie de celui-ci ainsi que le moment de leur arrivée et de leur départ. Il mentionne également les circonstances particulières et tout ce qui peut éclairer d'un jour particulier la déclaration ou les circonstances dans lesquelles elle a été faite.
4º. À la fin de l'audition, le procès-verbal est donné en lecture à la personne interrogée, à moins que celle-ci ne demande que lecture lui en soit faite. Il lui est demandé si ses déclarations ne doivent pas être corrigées ou complétées.
5º. Si la personne interrogée souhaite s'exprimer dans une autre langue que celle de la procédure, soit il est fait appel à un interprète assermenté, soit il est noté ses déclarations dans sa langue, soit il lui est demandé de noter elle-même sa déclaration. Si l'interrogatoire a lieu avec l'assistance d'un interprète, son identité et sa qualité sont mentionnées.
Lors de l'audition de personnes, entendues en quelque qualité que ce soit, l'on respectera au moins les règles suivantes:
§ 2. Avant de procéder à l'audition d'une personne concernant des infractions qui peuvent lui être imputées, il lui est communiqué:
1º qu'elle a le droit de refuser de répondre aux questions posées et de s'accuser elle-même;
2º qu'elle a le droit d'être informée succinctement de la nature des faits sur lesquels elle va être entendue;
3º qu'elle a le droit de se concerter avant le premier interrogatoire avec un avocat de son choix ou qui lui est attribué, sauf si elle renonce volontairement et délibérément à ce droit.
L'ensemble de ces éléments sont communiqués avant le début de l'audition, éventuellement déjà dans la convocation à l'audition qui, dans ce cas, devra être versée en copie au dossier.
En outre, l'ensemble de ces éléments devront être scrupuleusement enregistrés dans un procès-verbal avant le début de l'audition.
2. Insertion d'un nouvel article 2bis dans la loi relative à detention préventive
« Art. 2bis. § 1er. Quiconque est privé de sa liberté conformément aux articles 1er et 2 a le droit, dès ce moment et préalablement au premier interrogatoire par la police ou, à défaut, par le procureur du Roi ou le juge d'instruction, de se concerter confidentiellement avec un avocat de son choix. S'il n'a pas choisi d'avocat ou si celui-ci est empêché, contact est pris avec la permanence de l'Ordre des avocats qui désigne un avocat sur-le-champ. Le cas échant, le suspect peut faire appel à l'aide juridique gratuite, conformément aux articles 508/13 à 508/18 du Code judiciaire.
§ 2. Si la personne concernée est majeure, elle peut refuser le droit précité de se concerter préalablement avec un avocat; ce refus est mentionné dans le procès-verbal d'audition.
§ 3. Dès que contact est pris avec l'avocat choisi ou la permanence précitée, la concertation avec l'avocat doit avoir lieu dans les deux heures; à défaut, l'audition peut commencer.
L'entretien dure trente minutes maximum.
§ 4. Par décision motivée du procureur du Roi ou du juge d'instruction en charge, en cas de circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne, il peut être dérogé pour motifs impérieux au droit de concertation précité.
§ 5. Si, en raison de circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne, celle-ci n'a pas pu bénéficier de la concertation visée au § 1er avec son avocat ou ne pourra pas être entendue dans le délai prévu à l'article 1er, 1º, ou 2, de la présente loi, le procureur du Roi peut, conformément à l'article 28septies, § 2, du Code d'instruction criminelle, requérir une seule fois du juge d'instruction qu'il décerne dans ce délai un mandat à signifier à l'intéressé renouvelant le délai précité pour 24 heures.
Les circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne sont décrites dans le mandat.
3. Modification de l'article 28septies du Code d'instruction criminelle
§ 1er. Le procureur du Roi peut requérir du juge d'instruction l'accomplissement d'un acte d'instruction pour lequel seul le juge d'instruction est compétent, à l'exception du mandat d'arrêt tel qu'il est prévu à l'article 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, du témoignage anonyme complet tel qu'il est prévu à l'article 86bis, de la mesure de surveillance telle qu'elle est prévue à l'article 90ter, des actes d'instruction tels qu'ils sont prévus aux articles 56bis, alinéa 2, et 89ter ainsi que de la perquisition, sans qu'une instruction soit ouverte. Après l'exécution de l'acte d'instruction accompli par le juge d'instruction, celui-ci décide s'il renvoie le dossier au procureur du Roi qui est responsable de la poursuite de l'information ou si, au contraire, il continue lui-même l'enquête, auquel cas il est procédé conformément aux dispositions du Chapitre VI du présent Livre. Cette décision n'est susceptible d'aucun recours.
§ 2. Le procureur du Roi peut requérir du juge d'instruction qu'il décerne le mandat visé à l'article 2bis, 5º, de la loi relative à la détention préventive. Les circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne sont décrites dans la réquisition. Par dérogation au § 1er, le juge d'instruction, après avoir pris sa décision, renvoie le dossier au procureur du Roi qui est responsable de la poursuite de l'information.
B. Commentaire des differents articles
1. Introduction du droit de se taire (→ modification de l'article 47bis, § 2, 1º, du Code d'instruction criminelle)
Le droit de se taire est prévu expressis verbis à l'article 14, 3, g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques:
« 3. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:
g) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable. »
Le droit de se taire n'est pas explicitement prévu à l'article 6 de la CEDH mais découle d'une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le droit de se taire peut dès lors être considéré comme un principe général de droit qui est également en vigueur en Belgique (cf. jurisprudence de la Cour de cassation).
Le droit de se taire concerne uniquement la liberté de déclaration du suspect mais n'exclut pas que le suspect soit tenu de collaborer avec la justice et que des mesures contraignantes soient prises (prélèvement d'ADN par exemple).
Hormis la mention à l'article 47bis du Code d'instruction criminelle selon laquelle « ses déclarations peuvent êtres utilisées comme preuve en justice », le droit de se taire ne figure pas explicitement dans la législation belge.
Il n'est non plus nulle part prévu que le suspect doit être informé de ce droit par les services de police (obligation d'être informé de ses droits).
Nul ne conteste la nécessité d'un droit de se taire défini par la loi.
Le principe du droit de se taire figure également dans la circulaire COL 7/2000 du Collège des procureurs généraux et dans la méthode de travail proposée par l'Association des juges d'instruction et peut donc déjà être appliqué dans la pratique.
Dans la proposition de loi déposée par la sénatrice Mme Martine Taelman (13) , ce droit est incorporé dans l'article 47bis, 1, du Code d'instruction criminelle.
L'article 47bis du Code d'instruction criminelle concerne toutefois un article général qui s'applique à toutes les auditions de personnes entendues en quelque qualité que ce soit (donc également aux dénonciateurs, témoins, victimes, ...).
L'intégration de cette mention standard a cependant peu de sens pour les plaignants, les dénonciateurs, les témoins et les victimes (14) .
On peut en outre difficilement accorder le droit de se taire à des personnes qui sont légalement tenues de faire une déclaration, comme dans le cadre de témoignages par exemple, sous serment ou non.
« Contrairement au suspect, le témoin ne bénéficie pas du droit de se taire. Il est tenu de répondre aux questions du juge d'instruction. Si le témoin comparaît, prête serment mais refuse de faire une déclaration, il est assimilé à celui qui a refusé de comparaître. Il encourt donc la sanction pénale décrite à l'article 80 du Code d'instruction criminelle. » (15)
La jurisprudence et la réglementation européennes parlent du droit de se taire du suspect.
Aux Pays-Bas (16) et en France (17) également, ce droit est uniquement prévu pour le suspect.
En conséquence, il est proposé d'ajouter à l'article 47bis du Code d'instruction criminelle un paragraphe séparé (§ 2) qui énonce clairement les droits supplémentaires des suspects conformément à la jurisprudence Salduz.
S'il ressort de l'audition d'une personne non informée que celle-ci est impliquée dans la commission d'une infraction, on met tout simplement fin à l'audition et, après avoir procédé aux communications nécessaires, on entame une nouvelle audition dans le cadre de laquelle la personne entendue a alors la qualité de suspect et l'article 47bis, § 2, proposé du Code d'instruction criminelle est d'application.
2. Introduction du droit de se concerter avec un avocat préalablement au premier interrogatoire par la police (droit de consultation préalable)
• Le suspect n'est pas privé de sa liberté (→ modification de l'article 47bis, § 2, 3º, du Code d'instruction criminelle)
Vu que d'après la jurisprudence Salduz la concertation avec l'avocat vise en premier lieu à rendre effectif et à garantir le droit du suspect de se taire de manière à ce que l'intéressé puisse prendre, en connaissance de cause et sur la base d'informations objectives, la décision de faire ou non une déclaration, ce droit est également incorporé dans l'article 47bis, § 2, général du Code d'instruction criminelle.
Le droit de concertation préalable au premier interrogatoire est inscrit de manière générale dans l'article 47bis du Code d'instruction criminelle: les dispositions qui y figurent s'appliquent donc à tous les suspects.
Cela n'engendrera pas d'importantes difficultés dans la pratique. Il est indiqué de faire dorénavant mention dans chaque convocation à une audition du droit de se taire et du droit de se concerter préalablement avec un avocat. L'intéressé devra donc normalement avoir entrepris lui-même les démarches nécessaires avant de se présenter à l'audition.
Dans ce cas, la copie de la convocation doit être versée au dossier et cette obligation est explicitement intégrée dans la loi.
Toutefois, si l'intéressé n'a pas fait le nécessaire, l'audition peut exceptionnellement encore être reportée.
Il en va de même pour une audition qui n'a pas lieu sur convocation mais pour laquelle l'intéressé n'a pas été arrêté. Étant donné que l'intéressé jouit de la liberté d'aller et venir, l'audition peut, le cas échéant, être reportée ou on peut attendre l'arrivée de l'avocat. L'intégration de dispositions contraignantes en matière d'horaire n'apparaît dès lors pas nécessaire.
La Cour européenne des droits de l'homme accepte qu'il puisse être renoncé au droit à une concertation préalable avec un avocat.
Conformément à la jurisprudence européenne, il doit toutefois être clair que cette renonciation doit être volontaire et réfléchie. Vu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il n'est pas possible de renoncer à ce droit simplement au moyen d'un formulaire: l'intéressé doit pleinement mesurer toute la portée de ces droits (il doit savoir à quoi il renonce) et en cas de renonciation implicite due à l'attitude du suspect, il faudra démontrer que le suspect pouvait raisonnablement prévoir les conséquences de cette attitude (18) .
Les différents arrêts de la jurisprudence Salduz se concentrent principalement sur le premier interrogatoire vu la situation précaire de la personne entendue qui entre pour la première fois en contact avec les autorités policières et judiciaires.
La Cour européenne souligne que la phase initiale de l'enquête peut être déterminante pour la collecte de preuves et peut en ce sens influencer le reste de la procédure et le procès même. Le suspect se trouve ainsi dans une position particulièrement vulnérable, vulnérabilité qui ne peut être compensée que par l'assistance d'un avocat qui doit principalement veiller au droit de l'intéressé de ne pas s'accuser lui-même.
La situation est quelque peut différente lors d'une audition subséquente. Il appartient à l'intéressé d'entretenir régulièrement des contacts avec son avocat.
Si l'intéressé n'est pas arrêté, il jouit de la liberté d'aller et venir et peut prendre toutes les dispositions pour voir son avocat.
Si l'intéressé est arrêté, la loi relative à la détention préventive prévoit que dès le mandat d'arrêt (dans les 24 heures) l'intéressé reçoit l'assistance d'un avocat (article 16, § 4), qu'il peut communiquer librement avec lui et qu'une mise au secret du suspect vis-à-vis de l'avocat n'est pas possible (article 20).
L'objectif ne peut être que les services de police doivent garantir un droit de consultation préalable pour chaque audition subséquente.
Le suspect a toutefois le droit de demander à être réentendu après s'être concerté avec son avocat. Cela est déjà possible sur la base de la législation actuelle, à savoir l'article 47bis, 1, b), du Code d'instruction criminelle et dans le cadre d'une instruction en vertu de l'article 61quinquies du même Code.
• Le suspect est privé de sa liberté (→ article 2bis, §§ 1er à 4, de la loi relative à la détention préventive)
Il est évident que des règles plus spécifiques sont nécessaires pour un suspect qui est privé de sa liberté, rien déjà qu'en raison du délai d'arrestation de 24 heures extrêmement court en vigueur.
Les règles spécifiques qui s'appliquent additionnellement aux personnes arrêtées sont intégrées dans la loi relative à la détention préventive.
L'accès à un avocat doit être prévu dès la détention préventive, à savoir lorsque l'intéressé se voit imposer une limitation à sa liberté d'action, ce indépendamment qu'il soit effectivement interrogé ou non (19) .
Il s'agit plus particulièrement des éléments suivants:
— délai dans lequel la concertation avec l'avocat doit avoir lieu, à savoir dans les 2 heures;
— durée de l'entretien: 30 minutes maximum;
— aspect confidentiel de l'entretien (en dehors de la présence des services de police);
— exception générale: pas le droit de se concerter (par exemple, risque de collusion — dossiers terroristes, ...).
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dispose en effet que le droit d'accéder à un avocat doit être garanti dès le premier interrogatoire par la police, sauf s'il peut être démontré qu'il existe, à la lumière des circonstances particulières de l'affaire, des raisons impérieuses de restreindre ce droit.
Ces circonstances particulières et les raisons impérieuses doivent être décrites précisément dans la décision motivée du procureur.
L'option est donc prise de ne pas définir ces exceptions de manière générale dans la loi (par exemple, exception pour les dossiers terroristes, ...) mais de les motiver concrètement pour chaque dossier en utilisant la formulation de la jurisprudence européenne.
Cela implique toutefois que la Cour européenne des droits de l'homme pourra apprécier a posteriori si des raisons impérieuses particulières étaient bien présentes concrètement et si le droit à un procès équitable a été violé ou non;
— dispositions avec le barreau (service de permanence) et l'aide juridique de deuxième ligne;
— modalités de renonciation au droit d'assistance (réglementation en matière de renonciation).
En ce qui concerne ce dernier élément, la question a été posée de savoir si des conditions plus strictes ne devaient pas être posées en matière de renonciation compte tenu de la privation de liberté et de la gravité des faits de tels dossiers.
La Cour européenne dispose en effet que la sévérité des conditions posées en ce qui concerne les modalités d'interprétation du droit d'assistance doit être proportionnelle à la gravité du fait auquel la suspicion se rapporte ou à la vulnérabilité du suspect.
Il est finalement décidé d'accorder de toute manière au suspect le droit de se concerter préalablement avec un avocat en cas d'arrestation/d'arrêt.
Une réglementation en matière de renonciation n'est pas jugée souhaitable.
Le droit d'assistance est à ce point encouragé par la Cour européenne des droits de l'homme et le fait que la renonciation doit être réfléchie est tellement susceptible d'être contesté ultérieurement qu'il est préférable de parler d'un droit qui est de toute manière accordé lorsque l'intéressé se trouve dans une situation d'arrestation/d'arrêt précaire.
Le droit est donc accordé automatiquement, sauf si l'intéressé refuse d'être assisté. Cela n'est toutefois possible que pour les majeurs; les mineurs ne peuvent pas refuser d'être assistés.
Le refus doit figurer explicitement dans le procès-verbal et contient implicitement la notion de réflexion après information.
La préférence est donnée à une telle réglementation générale plutôt qu'à une réglementation qui part d'une qualification des faits (classification selon la gravité) car la qualification des faits par les services de police diffère souvent de celle donnée par la suite par le procureur. Il est risqué de faire correspondre des droits à des qualifications provisoires et il ne semble pas indiqué d'utiliser à nouveau de nouvelles listes d'infractions.
Remarques:
a) Le droit d'assistance implique pour un suspect le droit de se concerter avec un conseil préalablement à son premier interrogatoire par la police.
Exceptionnellement, il peut arriver qu'en raison de circonstances, le suspect n'ait pu être entendu par les services de police. Lorsque, dans ce cas, le suspect est pour la première fois entendu par le procureur du Roi ou par le juge d'instruction, le droit de consultation préalable doit bien entendu également être garanti.
Il en va de même dans le cas exceptionnel de l'article 59 du Code d'instruction criminelle où le juge d'instruction peut intervenir en cas de flagrant délit.
b) Il est en outre question d'une audition concernant des infractions qui peuvent être imputées: il ne s'agit donc pas par exemple d'une audition concernant l'identité, des renseignements ou la restitution de pièces à conviction mais bien d'une audition de contenu quant à une infraction incriminée (collecte d'éléments de preuve, ...).
c) Le droit de concertation implique que le suspect doit avoir la possibilité de se concerter avec un conseil sur la portée du droit de se taire, les informations de la procédure et ses droits en général, la discussion de l'affaire et l'organisation de la défense, la recherche de preuves à décharge, la préparation de l'interrogatoire, le soutien moral et le contrôle des conditions de détention (20) .
d) Les modalités d'organisation de la concertation, soit par téléphone, soit sur place, sont provisoirement laissées les plus libres possibles pour permettre à la pratique de dégager l'organisation la plus efficace possible.
e) Le droit de concertation n'implique donc pas le droit d'être présent aux interrogatoires par les services de police.
L'avocat ne peut pas non plus être présent au premier interrogatoire par le juge d'instruction.
En effet, dans le court délai d'arrestation de 24 heures, une très grande organisation sera déjà requise pour garantir le droit à se concerter préalablement au premier interrogatoire par la police.
Prévoir et organiser en plus systématiquement — dans le même délai — la possibilité pour l'avocat d'être présent à l'interrogatoire par le juge d'instruction sera souvent irréalisable d'un point de vue organisationnel. Cette option n'est pas non plus immédiatement visée par la nouvelle jurisprudence européenne.
f) Règlement concernant les frais liés à l'organisation du service de permanence et à la rémunération des prestations des avocats.
Tant que le gouvernement est en affaires courantes, le principe de la prudence budgétaire et de la discipline budgétaire vis-à-vis de nouvelles dépenses est d'application (circulaire du premier ministre du 26 avril 2010 et décision du Conseil des ministres du 7 mai 2010).
Cela signifie également que pour l'instant on ne peut agir que dans le cadre légal existant, à savoir l'article 508 du Code judiciaire, l'arrêté royal du 18 décembre 2003 et l'arrêté ministériel du 5 juin 2008. Dès que le droit de consultation sera prévu par la loi, ces prestations pourront toutefois être prévues complémentairement dans l'arrêté ministériel.
g) De nombreuses questions doivent encore être réglées.
Exemples:
— Un avocat peut-il assister plusieurs suspects dans une même affaire ?
— Comment la sécurité doit-elle être garantie et quelles mesures peuvent être prises à l'égard d'un avocat ?
— Le secret professionnel de l'avocat et les contacts avec la presse.
L'option prise est de laisser provisoirement au barreau lui-même ces questions comme relevant des règles déontologiques (21) .
3. Introduction du droit d'être informé des faits sur lesquels on est entendu (→ modification de l'article 47bis, § 2, 2º, du Code d'instruction criminelle)
Un droit de consultation préalable, comme décrit dans l'arrêt Dayanan, n'a de sens ou ne peut être pleinement exercé que si les personnes entendues savent également à quel sujet elles seront entendues.
La jurisprudence européenne exige d'ailleurs que les droits accordés soient « practical and effective » et non simplement « theoretical and illusory ».
Par conséquent, l'obligation pour les verbalisants d'informer de manière succincte le suspect à entendre quant à la nature des faits au sujet desquels il sera entendu est introduite à l'article 47bis.
L'objectif ne peut évidemment pas être d'obliger les services de police, dès avant le premier interrogatoire, à fournir des explications détaillées sur la matérialité des faits.
D'ailleurs, à ce stade la procédure les faits ne sont généralement pas encore établis mais souvent le premier interrogatoire a précisément pour but de reconstituer les faits, d'assembler les pièces du puzzle et de faire apparaître la vérité.
Les explications succinctes sur la nature des faits ont pour unique objectif d'informer la personne entendue quant au type de dossier sur lequel elle sera interrogée (p. ex. vol, coups et blessures, viol, ...), la définition/qualification juridique étant naturellement provisoire.
Pour le reste, il convient d'observer que si l'intéressé est placé sous mandat d'arrêt par le juge d'instruction, la loi relative à la détention préventive prévoit déjà dans le mandat d'arrêt, qui doit être signifié dans les 24 heures à l'intéressé, les éléments suivants: l'énoncé des faits pour lesquels le mandat d'arrêt est décerné, la disposition légale établissant que le fait constitue un crime ou un délit et les indices sérieux de culpabilité (art. 20, § 5, de la loi relative à la détention préventive).
4. Solution provisoire à la problématique de la brièveté du délai d'arrestation de vingt-quatre heures dans les limites de l'article 12 de la Constitution (→ article 2bis, § 5, de la loi relative à la détention préventive et article 28septies, § 2, du Code d'instruction criminelle).
4.1. Contexte et nécessité
L'article 12 de la Constitution dispose que nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures.
Depuis longtemps, les différents acteurs de la justice abordent la question de l'extrême brièveté du délai de 24 heures (22) .
La jurisprudence Salduz impose à présent de nouvelles obligations complémentaires, à remplir dans ce délai.
Dans de grandes enquêtes (p. ex. des enquêtes où une bande criminelle est écrouée et où des dizaines de personnes sont arrêtées), le respect du délai de 24 heures sera souvent problématique, d'autant qu'un avocat peut difficilement assister plusieurs personnes arrêtées dans un même dossier.
En d'autres termes, des dossiers de cette ampleur courent le risque de tourner court pour cause de violation du droit à un procès équitable. D'où l'importance de déjà y parer, d'une manière ou d'une autre, afin d'éviter les problèmes et l'indignation publique et de protéger de tels dossiers.
En France, un régime particulier a été prévu pour des dossiers importants de ce type (terrorisme, criminalité organisée, trafic de drogue), portant notamment la durée de la garde à vue à 72 heures. Ces dispositions ont été maintenues dans le nouveau projet de loi étant donné qu'elles n'ont pas été annulées par le Conseil constitutionnel dans son arrêt du 30 juillet 2010.
En Belgique, une telle solution impose toutefois une modification de la Constitution.
En attendant un débat approfondi sur une éventuelle modification de la Constitution, voici une solution compatible avec le prescrit actuel de l'article 12 de la Constitution.
Dans l'intervalle, l'article 12 de la Constitution a été inscrit dans la liste des articles susceptibles d'être soumis à révision.
4.2. Proposition
C'est le Conseil des procureurs du Roi qui, dans son avis au ministre de la Justice concernant la problématique Salduz, a formulé une proposition (23) , laquelle a été élaborée comme suit:
— Le nouvel article 2bis de la loi relative à la détention préventive, qui régit les nouveaux droits issus de l'arrêt Salduz pour les personnes arrêtées, est complété par un cinquième paragraphe, rédigé comme suit:
« § 5. Si, en raison de circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne, celle-ci n'a pas pu bénéficier de la concertation visée au § 1er avec son avocat ou ne pourra pas être entendue dans le délai prévu à l'article 1er, 1º, ou 2, de la présente loi, le procureur du Roi peut, conformément à l'article 28septies, § 2, du Code d'instruction criminelle, requérir une seule fois du juge d'instruction qu'il décerne dans ce délai un mandat à signifier à l'intéressé renouvelant le délai précité pour 24 heures.
Les circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne sont décrites dans le mandat. ».
Cet article vise le cas où une personne arrêtée n'a pas pu bénéficier d'une concertation préalable avec son avocat ou le cas où cette concertation n'a pu avoir lieu que très tardivement, ce qui a eu pour effet d'empêcher l'interrogatoire dans le délai de 24 heures prévu par la loi.
En raison des circonstances, cette personne n'a donc à vrai dire pas pu bénéficier des droits que la Cour européenne juge essentiels pour pouvoir parler d'un procès équitable.
Un élément comme celui-là met tout le monde dans une situation difficile: les autorités judiciaires seront confrontées à un dossier dans lequel les droits n'ont pas été respectés, avec tous les risques qui y sont liés quant à la poursuite de la procédure, l'opinion publique se montrera indignée dans certains dossiers face à la libération éventuelle d'une bande organisée spécialisée dans la drogue, par exemple au motif que toutes les obligations légales n'ont pas pu être remplies dans le délai de 24 heures, et l'intéressé y verra pour sa part une violation de ses droits de la défense.
Il est dès lors raisonnable qu'en pareils cas le procureur du Roi puisse demander au juge d'instruction le renouvellement du délai de 24 heures.
Cet article comporte les garanties suivantes:
— Le délai ne peut être renouvelé qu'en raison de circonstances particulières propres à l'affaire ou à la personne.
— Ces circonstances particulières doivent être décrites précisément dans la requête motivée du procureur. Le procureur n'est pas tenu de formuler une telle requête mais il juge en toute indépendance si le cas concret présente effectivement des circonstances particulières.
— Les circonstances particulières doivent également être décrites précisément dans l'ordonnance motivée du juge d'instruction. En sa qualité de juge indépendant, le juge d'instruction décide souverainement d'accéder ou non à la requête du procureur. En cas de refus, l'intéressé doit être remis en liberté.
— Le procureur du Roi ne peut formuler une telle requête qu'une seule fois dans un dossier.
— Une requête du procureur du Roi au juge d'instruction implique généralement l'ouverture d'une instruction et la poursuite de l'enquête par le juge d'instruction.
Cela pourrait toutefois engendrer à nouveau une augmentation sensible du nombre d'instructions — souvent dans des dossiers où finalement il n'y peut-être pas lieu de procéder à une arrestation ou d'imposer d'autres mesures de contrainte qui ne peuvent être ordonnées que par le juge d'instruction.
Davantage d'instructions implique également davantage de règlements de la procédure et donc des audiences supplémentaires de la chambre du conseil s'accompagnant de possibilités de recours devant la chambre des mises en accusation, ... Bref, la chaîne judiciaire et les délais de traitement augmenteront à nouveau sensiblement.
D'où la décision d'agir par le biais de la mini-instruction.
La loi du 12 mars 1998 a inséré dans le Code d'instruction criminelle l'article 28septies relatif à la mini-instruction.
Cet article prévoit que le procureur du Roi peut requérir du juge d'instruction l'accomplissement de certains actes d'instruction pour lesquels il est seul compétent, sans que cela n'entraîne nécessairement l'ouverture d'une instruction.
L'article 28septies énumère tous les actes qui ne peuvent pas être requis dans le cadre d'une mini-instruction (p. ex. mandat d'arrêt, perquisition, écoute). Pour tous les autres actes d'instruction, il peut être fait usage de l'article 28septies du Code d'instruction criminelle.
Tant que le juge d'instruction n'a pas pris de décision quant à la requête qui lui a été adressée, la situation de l'information reste inchangée. Si le juge d'instruction accomplit l'acte d'instruction requis, il peut renvoyer le dossier au procureur du Roi qui se charge de la poursuite de l'information en cours ou il peut lui-même, en qualité de juge d'instruction, poursuivre l'enquête dans son intégralité (droit d'évocation facultatif du juge d'instruction).
La proposition maintient comme principe général le fait que le mandat d'arrêt soit exclu de la mini-instruction.
Une exception à ce principe est proposée quant au renouvellement unique de 24 heures du délai d'arrestation dans l'hypothèse où la personne privée de sa liberté n'a pu, en raison de circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne, bénéficier de la concertation avec son avocat visée à l'article 2bis ou être entendue dans le délai d'arrestation.
Cette question est réglée comme suit dans un deuxième paragraphe complétant l'article 28septies du Code d'instruction criminelle:
« § 2. Le procureur du Roi peut requérir du juge d'instruction qu'il décerne le mandat visé à l'article 2bis, 5º, de la loi relative à la détention préventive. Les circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne sont décrites dans la réquisition. Par dérogation au § 1er, le juge d'instruction, après avoir pris sa décision, renvoie le dossier au procureur du Roi qui est responsable de la poursuite de l'information. ».
Outre pour des raisons de clarté et de transparence, le choix s'est porté sur un paragraphe séparé pour des motifs liés au droit d'évocation.
En effet, prévoir un droit d'évocation du juge d'instruction est moins indiqué dans ce cas.
Normalement, le juge d'instruction décide de faire usage ou non de son droit d'évocation après l'accomplissement de l'acte d'instruction requis (donc, après la concertation préalable avec l'avocat et l'interrogatoire de la personne arrêtée).
Cela impliquerait cependant pour le procureur du Roi l'impossibilité de libérer entre-temps l'intéressé, même si l'arrestation n'est plus nécessaire.
Prévoir le droit d'évocation du juge d'instruction à un stade antérieur (immédiatement après la requête du procureur) permet au juge d'instruction d'évoquer une affaire dans laquelle les droits de la défense n'ont pas été respectés par manque de temps. Il est improbable qu'un juge d'instruction envisage de faire usage de ce droit dans ces circonstances.
— Cette disposition est conforme à la Constitution.
Cette proposition ne viole pas le principe de l'article 12 de la Constitution, à savoir que l'arrestation ne peut excéder 24 heures sans ordonnance motivée du juge.
Il ne s'agit pas d'une extension générale du délai d'arrestation mais d'une possibilité exceptionnelle de le renouveler une seule fois pour une durée de 24 heures dans certains cas définis de manière restrictive, sous le contrôle d'un juge (le juge d'instruction).
Cette situation ne diffère d'ailleurs pas de celle du « mandat d'amener » (24) pour laquelle le délai est de 48 heures également si la personne arrêtée n'a pas encore pu être mise à la disposition du juge d'instruction. Cet article existant est censé être conforme à la Constitution. L'article 12 de la Constitution ne parle en effet que d'une ordonnance motivée du juge (sans spécification) qui doit être signifiée au plus tard dans les 24 heures.
Remarque
D'autres solutions sont encore proposées.
— Certains (25) proposent de suspendre dans certains cas le délai de privation de liberté de 24 heures
* durant trois heures maximum si le suspect a manifesté le souhait d'être assisté d'un avocat et attend l'arrivée de son avocat;
* pendant la durée de l'entretien entre l'avocat et le suspect.
Cette solution ne peut toutefois être introduite sans une adaptation de la Constitution.
— Une autre proposition consiste à adapter le mandat d'amener (26) . Cette proposition est conforme à la Constitution mais entraînera également une augmentation du nombre d'instructions là où ce n'est pas toujours nécessaire.
5. Mise en concordance avec d'autres articles de loi
Exemples:
— Art. 16 de la loi relative à la détention préventive
Suppression du § 4 ?
— Art. 20, § 1er, de la loi relative à la détention préventive
Indépendamment de la concertation visée à l'article 2bis, le suspect peut, immédiatement après la première audition menée par le juge d'instruction, communiquer librement avec son avocat.
Cet article a pour but d'éviter d'ordonner une mise au secret d'un suspect à l'égard de l'avocat
— Art. 216quater, § 1er, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle
Supprimer le droit de choisir un avocat et l'information du bâtonnier ?
— Art. 62 du Code pénal social
Cet article est conforme à l'article 47bis du Code d'instruction criminelle.
Article 47bis CIC
III. AUDITIONS
La Commission a organisé des auditions de:
— représentants de la Cour de cassation,
— représentants du Collège des procureurs généraux,
— représentants de l'Association des juges d'instruction,
— représentants de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone,
— représentants de l'Orde van Vlaamse balies,
— représentants du Conseil des procureurs du Roi,
— représentants de la police fédérale,
— représentants de la police locale,
— représentants du Conseil supérieur de la Justice,
— représentants de la Ligue des droits de l'Homme,
— M. Damien Vandermeersch, professeur de procédure pénale (UCL et FUSL),
— représentants de la « Liga voor Mensenrechten »,
— représentants du Syndicat libre de la Fonction publique- Police (SLFP-police),
— représentants du Syndicat national du personnel de Police et de Sécurité (SNPS),
— représentants de la centrale chrétienne des Services publics (CCSP),
— représentants de la Centrale générale des Services publics (CGSP).
Ces audtions ont eu lieu le ...
III.1. AUDITION DE M. MARC TIMPERMAN, AVOCAT GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION
A. Exposé de M. Marc Timperman
L'orateur déclare qu'en tant que corps dans son ensemble, le parquet de la Cour de cassation, tout comme la Cour elle-même d'ailleurs, n'adopte pas de point de vue in abstracto à l'égard de la doctrine résultant de l'arrêt Salduz. Il se borne à donner son avis dans des dossiers particuliers lors de l'instruction des moyens utilisés contre un arrêt attaqué et cela peut différer de magistrat à magistrat.
Jusqu'à présent, la Cour a abordé la problématique de manière très prudente. Les moyens auxquels elle se voyait confrontée, généralement déduits de la violation des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, étaient immanquablement rejetés. Ces griefs se développaient toujours relativement à l'absence d'assistance d'un avocat, soit dès le moment de la privation de liberté ou préalablement à la première audition de police, soit lors de l'audition par la police et/ou par le juge d'instruction.
Dans un seul cas, il a aussi été invoqué que le suspect n'avait pas été informé préalablement à l'audition de police de son droit de garder le silence.
La Cour estime — et, sur ce point, elle est fort critiquée par la doctrine — que les dispositions de droit interne ne violent pas en elles-mêmes le droit à un procès équitable, que le défaut d'assistance d'un avocat ne porte pas atteinte de manière irréparable au droit à un procès équitable et qu'il y a lieu d'examiner concrètement et à la lumière de la procédure dans son ensemble si ce défaut soulevé dans le grief a rendu la procédure invalide.
Cela n'empêche pas que la Cour, confrontée au problème, a suggéré dans plusieurs arrêts, sur des conclusions conformes du ministère public, que le législateur doit intervenir de manière urgente.
La Cour souligne par exemple que l'organisation de l'assistance fournie au suspect par un avocat durant la période de privation de liberté telle que visée à l'article 12, alinéa 3, de la Constitution, requiert une réforme fondamentale des règles de la procédure et que l'article 5 de la Convention « n'entraîne pas que la Cour, même au vu de l'article 16 de la loi du 20 juillet 1990 sur la détention préventive, puisse se substituer au législateur, en prévoyant elle-même la mesure et les conditions de l'intervention de l'avocat dans le délai initial de privation de liberté de 24 heures ».
Il n'appartient pas au parquet de la Cour de faire des propositions concrètes au législateur quant à la législation à élaborer. Cela ne l'empêche toutefois pas de formuler quelques réflexions pouvant s'avérer utiles au travail législatif.
En tout cas, une réponse toute faite à la jurisprudence de la Cour européenne n'est pas évidente et une réglementation légale relative à l'assistance obligatoire d'un avocat dès la première audition ne l'est pas davantage.
Changer la loi n'est pas chose facile car la jurisprudence Salduz a des conséquences qui vont bien au-delà d'une simple adaptation technique. L'intervenant établit la comparaison suivante.
Dans l'Antiquité, l'on se représentait le Cosmos comme une grande boîte fermée, avec la Terre inerte en son milieu. Il était constaté empiriquement que toutes les autres planètes et étoiles étaient en mouvement, et, compte tenu de la théorie de départ, elles devaient forcément tourner autour de la Terre. Le prototype du mouvement était le mouvement circulaire uniforme. Mais les observations des astronomes ne cadraient pas avec leur théorie de départ, avec leur modèle. Ils ont donc imaginé des formules mathématiques prouvant l'exactitude de leurs constatations. Il est bien connu que Copernic et Kepler ont fait voler ce modèle en éclats et que Newton et Einstein l'ont remplacé par celui d'un Cosmos quantique, où l'univers s'étend à l'infini, où le mouvement rectiligne uniforme est le prototype du changement et où la Terre n'est qu'une petite planète tournant elle-même autour du Soleil. La transition d'un paradigme à l'autre ne s'est pas déroulée sans coup férir; des gens ont été mis sur le chevalet, mis sur le bûcher, torturés. L'on ne pouvait plus transposer ou tenter de transposer purement et simplement d'un système à l'autre les lois et théories physiques et mathématiques jusque-là considérées comme objectives.
Dans le domaine de l'instruction préparatoire, l'on distingue le modèle inquisitoire et le modèle accusatoire. Nous connaissons le modèle inquisitoire, lequel a été amélioré notamment par les droits que la loi du 12 mars 1998 a accordés à l'inculpé. Mais lorsqu'elle interprète les dispositions de la Convention, la Cour européenne des droits de l'homme raisonne invariablement à partir d'un modèle purement accusatoire. Quand la Cour force le législateur à mettre la loi interne en conformité avec ses interprétations, tout en lui laissant une très faible marge de manuvre, elle l'oblige à introduire dans un système inquisitoire des éléments et des règles d'un système accusatoire. Ceci ne fera qu'alourdir encore l'instruction préparatoire pourtant déjà complexifiée à l'extrême à la suite de l'évolution enregistrée au cours des dernières années. Pareille situation ne sera donc pas tenable à long terme et nous finirons par devoir faire table rase pour passer à un modèle purement accusatoire.
Dans le prolongement de la jurisprudence de Strasbourg, il conviendra en tout cas d'articuler la législation future autour de certains axes. La personne à entendre devra être informée de son droit de garder le silence et de se faire assister par un avocat, ce qui ne posera pas de difficultés. Prévoir l'assistance d'un avocat a un triple objectif: contrôler les conditions de détention pour ainsi soustraire l'inculpé aux pressions exercées par les autorités, avoir la possibilité d'échafauder une stratégie de défense et empêcher l'auto-incrimination.
Ces trois objectifs sont des notions élastiques. Qu'entend-on par auto-incrimination ? S'agit-il de faire délibérément une déclaration d'aveux ? Ou s'agit-il, comme certains l'affirment, de faire n'importe quelle déclaration dont le juge pourra ensuite extraire des éléments à charge ?
L'intervenant souhaite attirer l'attention sur les dangers inhérents à l'introduction d'éléments étrangers dans un système existant et recommande la plus grande prudence.
Il semble donc souhaitable que le législateur intervienne par phases. Après avoir élaboré une assistance de consultation, c'est-à-dire la consultation d'un avocat préalablement à l'audition lors de laquelle l'avocat ne sera pas présent, on peut passer à un système d'assistance à l'audition, qui implique la présence de l'avocat au cours de l'audition et qui, dans une première phase, serait lié à une sorte de principe de proportionnalité, l'assistance d'un avocat étant limitée à certaines infractions graves ou aux cas dans lesquels la pression des autorités sur l'individu est considérée comme la plus forte.
Ainsi, le législateur pourrait rapidement entreprendre une première démarche sans trop d'implications budgétaires, ce qui permettrait une réflexion sereine en vue de déterminer le contenu exact qui pourrait y être donné et les conséquences procédurales qui devraient y être associées.
Cela permettrait aux acteurs au sein du système de procédure pénale de s'adapter progressivement aux nouvelles exigences, aux changements de culture et aux changements de paradigme qui approchent lentement mais sûrement. Cela renforcerait aussi l'assise de l'interprétation que donne actuellement la Cour européenne de l'article 6 de la Convention.
L'intervenant précise qu'au sujet des propositions déposées, il ne peut ni ne veut — rebus sic standibus — formuler de longs commentaires. Il déclare n'avoir aucune objection à ce que l'obligation d'informer le prévenu soit étendue, mais qu'en ce qui concerne les modalités d'application du droit à l'assistance d'un avocat, il a le sentiment que le texte est trop général.
En revanche, l'ébauche de modification légale dans le texte introductif du ministre lui paraît être un pas important dans la bonne direction afin de répondre aux exigences de la CEDH à Strasbourg, même si ce n'est qu'un premier pas.
Dans le cadre de l'élaboration d'un système conformément à l'article 6 de la CEDH, les règles appliquées et les procédures employées ne soulevaient aucun problème jusqu'en octobre 2008. Puis, les choses ont changé du jour au lendemain. Notre système n'est pas en accord avec l'interprétation de Strasbourg. L'un des obstacles majeurs à l'élaboration d'un nouveau système conforme aux exigences de Strasbourg semble être la durée limitée de la « garde à vue ». D'autres intervenants auront sans doute l'occasion d'expliquer pourquoi.
B. Échange de vues
M. Delpérée note que l'orateur a évoqué le principe de proportionnalité et la possibilité de l'appliquer au problème de l'assistance d'un avocat dès le premier interrogatoire. Il a envisagé l'application d'un régime différent suivant que les infractions soient légères ou plus graves. L'intervenant aimerait lui demander de développer ce raisonnement et de voir quelles en sont les limites.
M. Timperman déclare qu'il s'est basé sur la procédure que les Pays-Bas commencent à appliquer pour exécuter l'arrêt Salduz. Comme le font nos voisins, il fait une distinction entre l'assistance de consultation et l'assistance à l'audition.
Aux Pays-Bas, on fait certaines concessions en ce qui concerne les crimes qualifiés de « crimes de sang ». L'intervenant pense que l'assistance peut être liée à certaines qualifications. Les crimes qui relèvent des priorités de la politique en matière de poursuites telle que fixée par les pouvoirs publics pourraient aussi être pris en considération, étant donné que l'arrêt se fait également l'écho de l'inquiétude par rapport à la pression que les pouvoirs publics peuvent exercer sur le prévenu ou sur la personne à entendre. L'intervenant cite l'exemple de la criminalité liée aux hormones contre laquelle les pouvoirs publics ont lutté intensivement pendant cinq ans. Si une personne d'un circuit déterminé est entendue, la pression des pouvoirs publics peut parfois être énorme. C'est à cela que l'intervenant pensait lorsqu'il évoquait le principe de proportionnalité. Il faut toutefois veiller à évaluer le problème de la manière la plus objective possible. Dans la loi, on pourrait éventuellement prévoir aussi que le procureur du Roi peut accorder une assistance ou que les parties peuvent la demander, même si, au regard d'un critère objectif, elles n'y ont pas droit. Il serait dès lors toujours possible de refuser l'assistance sur la base d'une motivation déterminée.
M. Delpérée en déduit que ce sont davantage les choix de politique criminelle qui déterminent la réalisation d'une audition plutôt que les classifications du Code pénal, par exemple.
M.Timperman répond que, de toute façon, il faudra fixer un critère objectif. Il renvoie à la qualification prévue dans le Code pénal. De plus, on peut examiner comment objectiver les priorités de la politique en matière de poursuites. C'est le rôle du législateur. Laissons l'imagination au pouvoir.
M.Torfs relève qu'au début de son exposé, M. Timperman a insisté sur la nécessité d'évoluer progressivement vers un système accusatoire. Ne pouvons-nous vraiment pas nous passer de ce système ? En principe, chaque pays dispose d'une grande marge d'appréciation et ce n'est pas à la Cour européenne qu'il revient d'amener tous les pays à opter pour un système identique. Faut-il craindre que l'uniformité, qui ne cadre pas avec l'esprit de la CEDH, soit vraiment inévitable à long terme ?
Mme Defraigne formule une réflexion qui s'inscrit dans la foulée des propos de M. Delpérée sur le principe de proportionnalité. M. l'avocat général a dit chercher « een objectieve drempel tussen zware en lichte misdrijven ».
Or la convocation à un interrogatoire peut toujours avoir une issue imprévisible. Une instruction peut démarrer d'un fait mineur pour déboucher sur une affaire plus importante. Opérer la distinction qu'il préconise semble donc risqué.
M. Timperman estime que c'est effectivement quelque chose à craindre.
Contrairement à ce que dit M. Torfs, le législateur interne ne dispose plus que d'une marge de manuvre réduite en ce qui concerne l'arrêt Salduz. Il doit se livrer à un délicat exercice d'équilibriste. Ce fut déjà le cas par le passé.
L'intervenant cite l'exemple de l'interprétation que la Cour européenne fait des principes de la « contradiction » et du « droit de la défense ». Dans notre système, les droits de l'inculpé sont respectés à partir du moment où un débat contradictoire peut être mené sur la déposition d'un témoin à charge, qui a été consignée dans un procès-verbal régulier et versée au dossier.
Mais les juges de Strasbourg estiment que ce n'est pas suffisant. Selon la Cour européenne, l'inculpé a droit non seulement à un débat contradictoire sur la déposition du témoin à charge mais doit également pouvoir interroger lui-même le témoin en question ou l'expert. Il doit en quelque sorte être présent. Nos juges du fond méconnaissent presque systématiquement cette exigence et la Cour de cassation ne trouve rien à y redire. Ils reconnaissent qu'à la lumière de la jurisprudence de Strasbourg, notre système juridique présente une petite lacune à ce niveau, mais ils arguent que celle-ci est largement compensée par d'autres éléments et qu'il faut examiner la procédure dans son ensemble pour savoir si les droits de la défense ont été violés ou non, et, ce faisant, ils se réfèrent même à la Cour européenne.
En réponse à la question de Mme Defraigne, l'intervenant cite l'exemple d'un interrogatoire à la suite d'un vol dans un grand magasin au cours duquel il apparaît que les faits peuvent être qualifiés d'attaque à main armée. Dans un système objectivé, il est évident que la formule de l'assistance s'appliquerait en pareil cas. Un fait mineur ne peut cependant pas servir de prétexte pour interroger quelqu'un sur d'autres faits.
III.2. AUDITION DE MM. YVES LIÉGEOIS ET FRANK SCHUERMANS
A. Audition de M. Yves Liégeois, représentant du Collège des procureurs généraux, avocat général à Anvers, président du réseau d'expertise procédure pénale
M. Liégeois abonde d'emblée dans le sens du préopinant. Même s'ils ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde, il reconnaît que leurs points de vue sont cette fois quand même assez proches.
L'intervenant dégage d'abord quelques points de réflexion sur l'évolution de la pratique belge. Le réseau d'expertise procédure pénale du Collège des procureurs généraux a longtemps cherché la façon de résoudre le problème de l'assistance d'un avocat. Il est très rapidement apparu que les thèses défendues par les différents acteurs de terrain étaient fort divergentes. Les positions de la police et du barreau étaient diamétralement opposées.
Les controverses étaient si vives que le ministère public se voyait dans l'impossibilité d'adopter une interprétation prétorienne. En outre, dès le début, les répercussions organisationnelles et budgétaires sur les différents acteurs étaient trop importantes pour permettre une mise en uvre rapide.
Les différents acteurs ne parvenaient pas non plus à se mettre d'accord sur ce que l'on entendait par « assistance d'un avocat ».
Ensuite, il y a eu la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans plusieurs arrêts, la cour a estimé que le fait d'être privé de l'assistance d'un avocat lors de la première audition ne suffisait pas pour conclure automatiquement à une violation du droit à un procès équitable ou à une atteinte irrémédiable portée aux droits de la défense. La cour est revenue au sens du procès équitable à la lumière de la procédure pénale globale. En outre, dans des arrêts de la Cour de cassation il est souligné explicitement qu'il n'incombe pas au juge de se substituer au législateur et que l'assistance d'un avocat a tellement d'implications majeures, notamment sur le plan organisationnel, que le législateur lui-même doit intervenir. Dans certains arrêts, la cour a en outre mis en garde contre la violation du secret de l'enquête en cas d'organisation d'une assistance. L'intervenant ne comprend pas bien ce point de vue, qui s'avère non fondé au vu des développements de la jurisprudence de la CEDH.
Les directives du Collège des procureurs généraux se bornaient donc à tenter d'améliorer les droits de la défense en partant des dispositions existantes. Ainsi, le droit au silence a été précisé et il a été prévu que le suspect soit réentendu aussi vite que possible après concertation avec un avocat.
Pendant ce temps, les juges d'instruction ont également pris des initiatives pour mettre en uvre l'assistance de l'avocat, d'abord de façon globale; par la suite, il s'est avéré que de nombreux juges d'instruction adoptaient des positions divergentes sur la question. On s'est donc trouvé dans une situation très particulière, où les intéressés se contredisaient l'un l'autre. En outre, les directives du Collège ont également rencontré des résistances. En effet, lorsqu'il a par exemple été demandé d'organiser une nouvelle audition le plus rapidement possible après que le suspect s'était concerté avec son avocat, c'est-à-dire passé le délai de 24 heures, la réaction n'a pas toujours été positive. Une demande d'enregistrer les auditions à l'aide de moyens audiovisuels a parfois conduit au dépôt d'un préavis de grève par la police locale, qui estimait que filmer les auditions constituait une violation de la vie privée des agents, mais pas de celle du suspect. Comprenne qui pourra.
Cette situation a mené à une immense insécurité juridique et à une confusion inimaginable sur le terrain en raison d'un manque d'intervention du législateur.
Quelle est la position du Collège de lege ferenda sur la norme que la Cour européenne veut imposer pour d'innombrables arrêts déjà rendus ? La jurisprudence de la Cour européenne concerne un suspect en situation précaire parce qu'il a été arrêté et est donc soumis, durant les premières heures après les faits, à une première audition de police, et qui fait des déclarations incriminantes qui risquent bien entendu d'influencer toute sa défense jusqu'à la fin du procès. Pourtant, il existe plusieurs droits d'application générale dont il faut tenir compte et qui ne sont pas inscrits dans la loi, songeons par exemple à la notification explicite du droit au silence. Notre loi ne prévoit aucune obligation d'informer une personne susceptible de se voir imputer des délits qu'elle a le droit au silence, qu'elle n'est pas tenue de répondre à toutes les questions qui lui sont posées et qu'elle n'a pas à s'auto-incriminer. Cette obligation a été introduite par le biais d'une directive, mais elle devrait au fond faire l'objet d'une stipulation légale.
De même, la loi reste muette sur la notification de la nature des faits. Il va de soi qu'avant d'être entendu, un suspect doit être informé, fût-ce brièvement, de la nature des faits qui lui sont reprochés. Cela revêt une importance fondamentale pour sa défense. L'intervenant fait ici référence à une proposition de directive du Parlement européen.
Il ressort très clairement de la jurisprudence européenne que la personne arrêtée doit pouvoir invoquer son droit à une concertation préalable avec l'avocat. L'intervenant est d'avis que ce droit doit être garanti de lege ferenda à tout suspect avant qu'il soit soumis à une première audition de police. Lorsque le suspect est libre, il a évidemment davantage de possibilités de consulter un avocat. Il doit alors également être possible que ce suspect décide volontairement, après mûre réflexion, de renoncer à ce droit. L'intervenant estime toutefois qu'en cas d'arrestation, les droits doivent être définis de manière plus précise. Il veut également attirer l'attention sur la déclaration de droits (letter of rights). Compte tenu du caractère extrêmement complexe de notre procédure, le collège des procureurs généraux estime qu'il ne serait plus superflu de remettre à chaque suspect, lors de sa première audition, une brochure lui décrivant clairement ses droits dans un langage compréhensible. Ici aussi, l'intervenant renvoie à la proposition de directive du Parlement européen. Le Collège des procureurs généraux a déjà mis en place une telle mesure pour les droits des condamnés par défaut, pour lesquels il a lui-mêmes élaboré pareille brochure, donnant une première impulsion à la modification de l'article 187.
Il est donc impératif de pouvoir généraliser cette mesure.
Ensuite, il y a l'arrestation. Il est clair qu'une arrestation place une personne dans une situation très précaire. Dans des dizaines d'arrêts, la CEDH a tellement plaidé en faveur de l'assistance de l'avocat et y a associé des conséquences procédurales si catégoriques qu'il paraît aujourd'hui difficilement acceptable qu'une personne arrêtée puisse renoncer à ce droit. D'après la Cour européenne, lorsqu'une personne n'est plus libre de ses mouvements, elle pourrait encore renoncer à ce droit après mûre réflexion. Le Collège des procureurs généraux ne partage pas cette thèse. Lorsqu'il est jugé nécessaire qu'une personne arrêtée bénéficie de l'assistance d'un avocat, elle ne doit pas pouvoir renoncer à ce droit compte tenu des conséquences d'un tel choix. La renonciation à ce droit, même dans un formulaire où la personne arrêtée certifie avoir dûment pesé sa décision, donnera toujours lieu, en cours de procédure, à des situations critiquables.
Le Collège est d'avis qu'il faut recommander au législateur d'inscrire dans la loi un droit automatique, pour la personne arrêtée, à une concertation confidentielle avec un avocat, sauf si l'intéressé refuse cette assistance. Tout citoyen a bien entendu le droit de déclarer qu'il refuse de voir un avocat. Dans un tel cas, il aura certainement bien pesé sa décision. D'après le Collège, la proposition de la Cour européenne consacre un droit automatique à une assistance en cas d'arrestation. Cette assistance peut être refusée, hypothèse qui, selon le Collège, ne peut pas être envisagée pour les mineurs ou les personnes atteintes d'une déficience mentale.
Pour le Collège, l'on ne peut pas faire dépendre les droits d'une personne arrêtée d'une qualification provisoire. L'on a déjà fait remarquer à juste titre qu'au début d'une information, toutes les possibilités sont ouvertes. L'on part d'une qualification déterminée et il s'avère en pratique que ce qui est acté par la police est finalement autre chose. On commence par exemple par un fait très grave et l'on finit par quelque chose de beaucoup moins grave, ou vice versa. Prenons le cas d'un voleur à l'étalage qui fonce sur un inspecteur avec son caddie et est arrêté pour vol avec violences. Après son audition sans l'assistance d'un avocat, le supermarché appelle pour dire qu'un deuxième inspecteur a été retrouvé poignardé au fond d'un congélateur. Finalement, la bonne qualification était donc le meurtre commis pour faciliter le vol. Les listes de qualifications montrent ici leurs limites. Il vaut mieux accorder un droit automatique à toute personne arrêtée et ne pas procéder par qualifications provisoires.
En ce qui concerne le temps passé à attendre un avocat ou la concertation, la loi devra également prévoir des normes minimales. Celles-ci ne peuvent plus être fixées par directive parce que tout le monde en Belgique s'y oppose. Le législateur devra inscrire des normes minimales dans la loi pour empêcher toute contestation ultérieure. De plus, la Cour européenne a estimé que la concertation préalable avec un avocat ne constitue pas un droit absolu. On doit pouvoir y déroger. Par conséquent, le texte de loi devra aussi prévoir la possibilité qu'en raison de circonstances particulières propres à la cause ou de motifs graves propres à la personne, le magistrat du parquet ou le juge d'instruction saisi décide qu'on peut déroger en la matière en interdisant la concertation préalable. La décision devra être scrupuleusement motivée car elle sera mise en balance avec les droits de la défense. Le terrorisme est un exemple flagrant car les risques encourus par d'autres personnes peuvent être si importants que l'enquête doit continuer et ne peut souffrir aucun retard. L'impasse faite sur la concertation devra résister à une analyse ultérieure. Il existe des dizaines d'arrêts de la Cour européenne en la matière.
L'intervenant souhaite s'attarder sur un autre élément, en l'occurrence le délai de 24 heures. Des études internationales, dont les références figurent dans la documentation du Collège, ont montré que le délai de 24 heures n'est aujourd'hui plus suffisant pour mener une instruction préparatoire correcte, ce qui a pour effet que l'on doit plus souvent recourir à la détention préventive. S'il n'est pas possible de terminer l'instruction préparatoire dans ce délai, il est plus facile de demander un mandat.
Dans le cas d'une affaire simple, par exemple un vol à l'étalage, il sera assez facile de trouver à temps un avocat pour permettre la concertation. En revanche, dans des affaires plus complexes et beaucoup plus graves, comme celles qui relèvent de la criminalité organisée, avec un grand nombre de suspects nécessitant le recours à des interprètes et le déplacement de plusieurs avocats, le délai de 24 heures sera intenable. Nous devons dès lors être très vigilants. Si nous ne procédons pas, en Belgique, à une prolongation unique du délai de 24 heures, c'est précisément dans les affaires les plus lourdes que les droits de la défense seront justement violés par manque de temps, avec les conséquences très graves que la CEDH y assortit, en l'occurrence l'annulation.
L'on pourrait modifier l'article 12 de la Constitution, mais le Parlement ne semble pas y être favorable. La meilleure solution consisterait toutefois à créer une ouverture dans cet article, de manière à pouvoir prolonger le délai. Le barreau propose une suspension mais cette solution n'est possible qu'en modifiant la Constitution.
Il existe peut-être une alternative. L'article 3 de la loi relative à la détention préventive donne au juge d'instruction la possibilité de décerner un mandat d'amener lorsque la personne qu'il souhaite entendre a été arrêtée dans un autre arrondissement. Cette personne ne se trouve donc pas à la disposition du juge d'instruction. Il délivre un mandat d'amener dans les 24 heures, qui donnera alors lieu à l'ouverture d'un nouveau délai de 24 heures. Le juge d'instruction doit entendre la personne dans ce délai et au besoin délivrer et signifier son mandat d'arrêt. C'est ce que prévoit la loi belge actuelle.
Sans modifier la Constitution et par analogie avec le mandat d'amener, l'on pourrait donc imaginer un système dans lequel le procureur du Roi demanderait par exemple au juge d'instruction de prolonger une seule fois le délai de 24 heures, pour des circonstances particulières propres à la cause ou à la personne, parce qu'en raison de ces circonstances, cette personne ne peut pas bénéficier dans les 24 heures de la concertation avec un avocat ni de son assistance, et ne peut donc être entendue de la manière prescrite par la CEDH. Il s'agirait donc d'une extension très limitée: des circonstances particulières définies par le législateur et à préciser par rapport à la cause, qui peuvent être vérifiées et doivent permettre le déroulement d'une procédure d'information de qualité. Pareille modification profitera en premier lieu au suspect. Plus la qualité de l'information augmente, plus il y a de chances qu'elle ne débouche pas sur une arrestation.
Dans les affaires les plus graves et les plus complexes, celles qui émeuvent l'opinion publique, l'instauration de tous les nouveaux droits sans possibilité d'une prolongation unique du délai de 24 heures entraînera des fiascos procéduraux. Au législateur de prendre ses responsabilités.
En ce qui concerne la jurisprudence de la CEDH, l'intervenant souhaite souligner la gravité de la situation. La CEDH a estimé qu'il y a violation du droit à un procès équitable dès l'instant où une loi empêche systématiquement qu'un suspect qui a été privé de sa liberté puisse bénéficier de l'assistance d'un conseil, même si cette personne se fonde totalement sur son droit au silence.
L'empêchement systématique équivaut à une violation de la Convention européenne.
Dans l'affaire Bouglame c/ Belgique, la Cour avait déjà évoqué l'existence, dans la législation belge, d'une telle entrave systématique à l'assistance d'un avocat. Autrement dit, si la Belgique ne modifie pas rapidement son droit de la procédure pénale, elle court tout droit à la catastrophe car elle subira condamnation sur condamnation. Le législateur doit donc intervenir de toute urgence.
L'instauration d'une concertation préalable avec l'avocat lors de l'audition de police, comme le prévoit le texte de la cellule stratégique, constituera à n'en pas douter une solution partielle qui permettra d'éviter les condamnations systématiques.
En ce qui concerne l'assistance d'un avocat lors d'une audition et son enregistrement éventuel, l'on a déjà invoqué à plusieurs reprises l'arrêt Shabelnik. Dans sa publication au CBR (Centrum voor Beroepsvervolmaking in de rechten), le professeur Joachim Meese a indiqué qu'il n'est pas exclu qu'une réglementation légale apportant uniquement une réponse minimaliste s'avérera par la suite insuffisante.
Sur ce point, il n'y a pas de réaction formelle de la CEDH. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'avocat doit non seulement définir la stratégie de défense et informer son client quant à ses droits, mais qu'il doit aussi vérifier que la police a bien respecté le droit au silence de son client, qu'elle ne l'a pas soumis à des pressions ou contraintes illicites et qu'elle l'a bien traité.
Dans son avis du 19 mars 2010, le Collège des procureurs généraux a déjà proposé de concevoir l'assistance de l'avocat comme étant la charge de suivre passivement l'audition, dans un local contigu ou derrière un écran, avec il est vrai la possibilité d'intervenir si l'autorité de police ne respecte pas le droit au silence de son client ou si elle exerce sur lui des pressions ou contraintes illicites.
Bien entendu, le procureur du Roi doit pouvoir demander d'enregistrer l'audition de police à l'aide de moyens audiovisuels, à titre de pur contrôle. L'intervenant demande aussi explicitement de ne pas imposer l'obligation de retranscrire intégralement l'audition. En effet, il faut huit heures pour retranscrire une audition d'une heure. Ce serait insensé, d'autant plus que dans notre société moderne, tout le monde a la possibilité de visionner un dvd ou d'écouter un cd.
L'intervenant n'ignore pas que la police locale, qui a déposé un préavis de grève, invoquera une violation de la vie privée de ses agents. Les parlementaires devront trancher la question. Quoi qu'il en soit, le législateur doit élaborer d'urgence une réglementation pour mettre en place la concertation préalable.
Un autre point à aborder est la sanction à imposer en cas d'absence d'assistance d'un avocat lors d'une audition. De très nombreux juristes ont estimé que cette sanction serait de prononcer la nullité de l'audition. Cette position est totalement inexacte. S'il est vrai qu'il existe un droit au silence, il n'existe pas d'interdiction de s'exprimer ou d'obligation de se taire. En d'autres termes, toute personne arrêtée a le droit, lors de sa première déclaration, même en dehors de la présence d'un avocat, d'invoquer des éléments à décharge. Parfois, il est nécessaire qu'il avance d'urgence un élément permettant de prouver son innocence.
Il a le droit, et personne ne pourra jamais le lui retirer, d'invoquer cette déclaration pour en extraire les éléments à décharge, tout comme les inculpés ont le droit d'invoquer cette déclaration en cours de procédure pour prouver leur innocence sur la base de ces éléments à décharge. La nullité n'est donc pas possible. Il faut veiller à ne pas tomber dans ce piège juridique. La Cour européenne a seulement indiqué clairement que cette déclaration ne peut pas être utilisée à l'appui d'une condamnation et qu'elle ne peut donc pas être employée à charge. Nous ne devons pas aller au-delà de cette exigence, sans quoi nous serons confrontés à des problèmes juridiques inextricables.
M. Liégeois termine en précisant que le Collège a effectivement formulé des conditions à une modification légale.
Il tient néanmoins à rappeler que le Collège guidera la modification légale par ses directives et l'encadrera de toutes les manières possibles. Pour y parvenir, il faut toutefois créer la possibilité d'une prolongation unique, c'est-à-dire un renouvellement du délai de 24 heures. À défaut, les affaires graves risquent en effet d'être entachées d'incidents de procédure pouvant se transformer en véritables fiascos. Ce n'est pas ce que veut le Parlement et encore moins le Collège. Une telle décision ne nuira pas aux droits des intéressés, certainement pas si elle est encadrée par des directives précises.
Il faut donc toujours garder à l'esprit que l'on dispose de 24 heures pour mener une information complète, entendre les suspects et témoins, procéder aux confrontations, rédiger le procès-verbal, relever les indices, organiser l'audition par le juge d'instruction, le cas échéant, délivrer et signifier un mandat d'arrestation, en ajoutant à tout cela la communication de tous les droits possibles. Ce délai est d'ores et déjà limite. Nous devons veiller à ce que la modification légale ne nous fasse pas tomber de Charybde en Scylla.
La conclusion de l'intervenant est donc très simple. Il est nécessaire de répondre aux conséquences de l'arrêt Salduz. La concertation préalable s'impose également, de manière absolue et urgente. Mais l'arrêt Salduz a aussi fait prendre conscience de la nécessité de réformer l'ensemble du droit de la procédure pénale en Belgique. Le système inquisitorial est soumis à d'énormes pressions. Pour l'intervenant, il est même moribond. Il devra donc être sérieusement adapté. Mais si nous continuons à n'apporter que quelques retouches à un système archaïque, déjà tant décrié pour ses dysfonctionnements, nous courons à la catastrophe.
Le Collège des procureurs généraux examine à nouveau son inquiétude et souligne qu'il faut absolument adopter d'urgence une modification légale qu'il entend piloter concrètement de la meilleure manière possible. L'intervenant appelle tous les acteurs de la chaîne pénale à collaborer de la manière la plus positive possible pour que sur le terrain, la mise en uvre de la modification légale soit une réussite. Les procureurs généraux y sont en tout cas disposés.
B. Audition de M. Frank Schuermans, professeur à la VUB, avocat général à Gand
M. Schuermans déclare qu'il sera bref, qu'il élargira le débat et qu'il ne formulera que deux remarques.
La CEDH est allée très loin ces dernières décennies. Peut-être le Sénat est-il un forum adéquat pour mener une réflexion approfondie sur la question de savoir dans quelle mesure notre système doit tenir compte de la jurisprudence de la CEDH. À ce propos, l'intervenant renvoie à une analyse du président de la Cour constitutionnelle concernant le droit d'asile et d'immigration, où l'on rencontre un problème similaire.
L'intervenant évoque également la contribution particulièrement intéressante de Lord Hoffman de la Chambre des Lords britannique et en a extrait une citation à propos de la Cour de Strasbourg: « It has been unable to resist the temptation to aggrandize its jurisdiction and to impose uniform rules on Member States. It considers itself the equivalent of the Supreme Court of the United States laying down a federal law of Europe. ». Il s'agit d'une remarque fondamentale aux yeux de l'intervenant.
Nous devons bien garder à l'esprit que la jurisprudence Salduz n'est absolument pas neutre d'un point de vue politique. À qui profite le plus la présence d'un avocat dès les premiers instants de l'enquête: au voleur à l'étalage ou au criminel en col blanc chevronné ? Pour quel type d'affaires pense-t-on que l'assistance d'un avocat lors d'une audition de police bien préparée est essentielle du point de vue du suspect: pour les affaires de petite criminalité ou pour les affaires graves ? Il serait temps que ces éléments soient approfondis sur le plan politique.
Il en va de même pour le rôle des parlements nationaux. Force est de constater à l'heure actuelle qu'ils sont pour ainsi dire menés à la baguette par les juges de Strasbourg.
L'intervenant pense en outre que nous sommes arrivés au bout de notre système et se réjouit que la Cour de cassation confirme ce point de vue. Notre procédure pénale actuelle est devenue un imbroglio de procédures et de sous-procédures ou, pour reprendre les termes du président de section émérite Luc Huybrechts, un « divertissement » à des lieues des objectifs initiaux. Nous sommes confrontés actuellement au brassage disgracieux d'un système inquisitoire et d'un système accusatoire. Selon le Collège des procureurs généraux, l'arrêt Salduz constitue réellement l'argument ultime pour quitter définitivement ce système et passer, comme la grande majorité des 27 États membres de l'UE, à un système accusatoire dans lequel l'investigation est menée par le ministère public et le respect des droits fondamentaux est assuré par un juge d'instruction.
Comme les Pays-Bas, l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre et pratiquement tous les pays de l'ancien bloc de l'Est, nous devons supprimer certaines instances: le juge d'instruction, les juridictions d'instruction, la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation. L'actualité démontre une fois de plus que des sous-procédures sont ouvertes au sein des procédures au niveau des juridictions d'instruction, tout ceci avant que l'affaire n'arrive devant le juge du fond.
C'est de ce contexte plus large que le Parlement doit débattre de toute urgence. Un nouveau cadre permettrait d'économiser considérablement les capacités, de contribuer à une meilleure efficacité et à une plus grande responsabilité budgétaire, et de faire comparaître les personnes ayant commis des crimes graves devant le juge dans un délai raisonnable, de préférence court. Bien entendu, la règle actuelle des 24 heures n'est plus adaptée. La Belgique est l'un des rares pays à encore employer ce système.
Évidemment, cela ne concerne pas uniquement la procédure pénale; notre système judiciaire doit, lui aussi, être réformé en profondeur.
Enfin, l'intervenant estime que le passage à un système juridique ayant cours dans la plupart des 27 États membres de l'UE correspond également au souhait et à la vision politique de l'UE, qui consistent à aboutir à une bien meilleure reconnaissance des décisions des uns et des autres et à une collaboration bien plus approfondie en matière de criminalité transnationale. À ce propos, il est manifeste que la criminalité s'internationalise de plus en plus. En fin de compte, le suspect aura plus de droits dans une forme de système accusatoire que dans le système actuel. Dans ces conditions, pareil système accusatoire ne pose plus vraiment de problèmes; une série d'affaires contradictoires pourront être introduites.
C. Échange de vues
M. Torfs demande s'il suffira de prévoir une prolongation unique permettant de porter le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures. M. Liégeois vient de préciser que plus les affaires étaient complexes, plus il était difficile d'aboutir à un résultat dans les vingt-quatre heures.
Si le procureur demande une prolongation de vingt-quatre heures, le juge d'instruction peut-il alors s'approprier complètement l'affaire et, éventuellement, délivrer des mandats d'arrêt et utiliser des méthodes particulières de recherche ?
M. Laeremans a plusieurs questions à poser à M. Liégeois, selon lequel le droit à un avocat ne peut être abandonné, mais bien être refusé.
Il y aurait lieu d'expliciter cette infime nuance.
L'aménagement d'une salle adjacente au local d'audition représente une modification plutôt importante. L'intervenant s'imagine bien que de nombreuses auditions sont encore effectuées aujourd'hui dans un lieu qui ne permet pas à une personne placée dans une salle adjacente de suivre ce qui se passe dans la salle d'audition par une glace sans tain. Cette obligation s'appliquerait-elle à toutes les auditions ? Un avocat devra-t-il être présent lors de chaque audition ? À l'heure actuelle, les enquêteurs font sortir un suspect de sa cellule à des heures impossibles, et ce pour toutes sortes de raisons. Ne pourront-ils plus le faire à l'avenir en raison de l'indisponibilité d'un avocat ? Ou bien est-ce que la présence d'un avocat ne sera requise que pour la première audition ?
Le Collège des procureurs généraux voudrait permettre au procureur de faire procéder à l'enregistrement audiovisuel de l'audition initiale. N'y a-t-il pas de possibilité de le faire aujourd'hui ou est-ce interdit ? Faut-il que cela devienne la règle pour les affaires graves ou pour l'ensemble des affaires ? La mise en place d'un tel système nécessite une profonde modification de l'infrastructure: des caméras devront être installées dans chaque commissariat de police, et il faudra former du personnel. L'impact financier sera gigantesque. M. Liégeois envisage-t-il une lente évolution dans ce sens ou veut-il introduire un tel dispositif immédiatement pour certaines catégories de délits ?
M. Mahoux ne souhaite pas revenir sur la discussion du « Grand Franchimont ». Cette proposition avait été longuement débattue et avait donné lieu à un vote pratiquement unanime au Sénat, avant d'être balayée à la Chambre en raison d'objections apparemment liées au parquet.
L'orateur s'étonne cependant que le rééquilibrage des droits de la défense depuis l'arrêt Salduz se traduise par un allongement de la durée de la garde à vue. Il n'a entendu aucun argument capable de le convaincre de la nécessité d'une telle mesure.
Mme Faes demande si le Collège des procureurs généraux a déjà pris position officiellement sur le texte proposé par le ministre de la Justice concernant cette problématique.
M. Liégeois précise que le Collège demande la possibilité de prolonger de 24 heures et rien de plus. Est-ce suffisant ? Les études internationales auxquelles l'intervenant renvoie dans son texte et qui figurent dans l'avis du Collège des procureurs généraux du 29 mars concluent que nous pourrions même facilement aller jusqu'à 72 heures. L'intervenant a néanmoins conscience qu'il est particulièrement difficile de passer en une seule fois à des prolongations beaucoup plus importantes, même si elles existent dans beaucoup de pays. Le Collège entend dès lors procéder avec circonspection et faire marcher tout le monde au pas au moyen de directives contraignantes du Collège des procureurs généraux. Il veut faire le maximum en un minimum de temps. Cela ne signifie pas qu'il tienne absolument à un délai de 48 heures, mais bien qu'il veuille éviter que des accidents ne se produisent en raison de ce délai trop court de 24 heures. Avec un certain sens des réalités à propos de ce qui est possible en la matière au Parlement, le Collège demande uniquement d'instaurer une possibilité de prolongation qui sera limitée et motivée et qui fera l'objet d'un suivi afin de garantir qu'elle sera également mise en pratique d'une manière aussi limitée que possible, ce qui sera déjà suffisamment difficile.
À la question de savoir si 24 ou 48 heures sont suffisantes, la réponse est évidente: plus on a du temps, mieux c'est. Toutefois, cela ne peut constituer un point de départ. S'agissant d'une personne arrêtée, il convient de procéder sans attendre et il est inconcevable de prolonger sans cesse le délai. Ce sera surtout dans les affaires les plus graves que ce délai de 24 heures ne sera pas respecté, au même titre que les droits de la défense. De ce fait, les terroristes et les auteurs de crimes graves pourront immédiatement rentrer chez eux à cause de l'impossibilité de respecter les délais. Ils seront plus vite rentrés chez eux que les policiers. Si c'est ce que le Sénat veut, il doit voter pour ...
Saisir un juge d'instruction et recourir à l'évocation lorsque le délai doit être prolongé, ne semble pas être une bonne idée parce que, dans ce cas, le juge d'instruction doit prendre en main une affaire qui n'est pas en ordre. Le but est précisément de lui confier une information avec toutes les possibilités d'assistance par un avocat, avec une procédure qui se déroule selon la « nouvelle » jurisprudence de la CEDH, afin que le juge d'instruction n'ait plus à travailler sous pression parce qu'il doit délivrer un mandat dans les 24 heures tout en faisant en sorte que tous ces droits soient garantis. Le Collège opte pour un nouveau régime prévoyant une possibilité de prolongation motivée et soumise à contrôle, qui ne peut intervenir que dans des circonstances particulières, propres à l'affaire ou à la personne. Le juge d'instruction travaille aussi vite que possible, mais dans le respect des droits de la défense.
L'évocation n'a pas de sens parce que l'on peut difficilement évoquer une affaire dont le déroulement est entaché d'irrégularité.
Par ailleurs, l'intervenant précise ce qu'il entend par les notions « refus et renonciation ». La différence entre la renonciation et le refus n'est pas infime. Au contraire, elle est immense. Dans le cadre de l'information, afin de pouvoir travailler plus vite, un juge d'instruction peut demander au suspect s'il veut réellement l'assistance d'un avocat. Le suspect peut alors signer un document dans lequel il déclare qu'il a renoncé en connaissance de cause à l'assistance judiciaire. S'il consulte tout de même un avocat par la suite, ce dernier peut lui dire qu'il n'aurait jamais dû faire cela.
Un procès équitable est à présent considéré comme un droit fondamental. Dans les arrêts les plus récents de la CEDH, il est indiqué que le droit à un procès équitable est violé par le seul fait que le suspect n'a pas pu se concerter avec un avocat. La CEDH considère qu'une personne arrêtée est intimidée. Elle est, en effet, sous pression. Elle est confrontée à la police. Elle peut toutefois renoncer en connaissance de cause à l'assistance d'un avocat. Or comment pouvons-nous prouver qu'une personne a renoncé en connaissance de cause à l'assistance judiciaire ? C'est d'autant plus difficile lorsque l'affaire est portée devant la cour d'assises deux ans plus tard, par exemple. L'intervenant ne croit pas en cette possibilité. En outre, cette règle sera une source de difficultés dans la pratique.
Le Collège propose l'inverse: on ne dit pas à la personne en état d'arrestation qu'elle peut renoncer à l'assistance d'un avocat, mais, au contraire, qu'elle y a automatiquement droit et qu'un avocat est appelé via le barreau. Si la personne arrêtée dit qu'elle ne veut pas d'avocat, elle devra refuser l'assistance de ce dernier. De cette manière, elle a donc automatiquement droit à l'assistance. Cela n'est nullement contesté. Un mineur ou un faible d'esprit ne peut, de surcroît, pas refuser le droit à l'assistance. Il y a, par conséquent, un monde de différence entre la renonciation et le refus. La position du Collège va beaucoup plus loin que celle de la CEDH parce qu'il estime qu'une renonciation en connaissance de cause n'est pas possible.
Le Collège des procureurs généraux a proposé le « local adjacent » comme une possibilité si l'on opte dès à présent pour l'assistance au moment de l'audition. Il est clair que ce n'est pas l'avocat qui est entendu, mais bien le suspect. Le suspect devra répondre aux questions posées, mais après avoir pu se concerter avec son avocat. Le problème est que les polices locale et fédérale ne disposent pas toujours de l'infrastructure nécessaire pour aménager un local adjacent. Il est évidemment toujours possible d'offrir une chaise à quelqu'un près de la porte pour qu'il puisse suivre l'audition.
Dernièrement, l'intervenant a assisté à l'inauguration d'un centre d'audition audiovisuelle à Genk. Ce centre a dix ans d'avance sur la plupart des services de police en Belgique. Il y a de beaux locaux et tout peut être suivi sur un écran de télévision à l'extérieur du local. Ce genre de local est excellent pour l'avocat qui assiste le suspect. Cependant, il est impossible de fournir une telle infrastructure partout à court terme.
Est-il toujours nécessaire de prévoir une telle infrastructure ? Les arrêts de la CEDH concernent chacun le tout début d'une information, c'est-à-dire les premières auditions par la police. Durant ces auditions, le suspect, en position de faiblesse, doit faire face aux enquêteurs qui sont parfois très intrusifs. Par conséquent, le Collège est pour l'heure en faveur d'une limitation à la première audition.
Est-ce la vision d'avenir pour la législation ? Non. L'intervenant renvoie à son article dans le liber amicorum de Luc Huybrechts: « De wet voorbij », dans lequel il affirme que notre système est devenu si lourd qu'il n'est plus praticable. Il y propose un nouveau système.
Un nouveau système doit toujours générer des droits automatiquement. Il ne peut être question de droits qui s'obtiennent à l'issue de mille et une procédures, en ce compris l'appel et la cassation, et qui se soldent malgré tout à la fin par une réponse négative. Le dossier Franchimont, qui n'apporte aucune solution, en est un exemple. L'intervenant cite l'exemple d'une séance concernant un dossier énorme, faisant l'objet de multiples demandes d'information complémentaire. La réponse a toujours été négative, même après un appel, également après que tous les recours eurent été épuisés. Lorsque l'affaire arrive enfin chez le juge de fond qui prend le dossier de l'information, qui est un petit dossier, il dit que ce que l'intéressé a demandé depuis le début doit être fait. Entre-temps, une année s'est écoulée. Mais, en réalité, il ne s'est rien passé d'autre que l'attribution de droits qui ne sont pas effectifs. En Belgique, il faut sortir du tableau de la contrainte dans lequel l'on accorde des droits effectifs par le truchement de procédures. Des droits effectifs sont donnés en mettant les personnes autour de la table et en demandant ce qu'elles pensent de l'information et ce qu'elles souhaitent voir réalisé. Une discussion débutera et l'on pourra parler de droits effectifs sans qu'une procédure soit encore nécessaire. Nous ne disposons toutefois pas encore d'un tel système. Le Parlement devra prendre une décision à ce sujet au cours des prochaines années. L'intervenant ne croit dès lors pas en des codes comprenant d'innombrables procédures et voies de recours, mais qui n'ont finalement jamais créé aucun droit effectif. Sur papier bien, mais pas dans la réalité.
Pourquoi le procureur doit-il avoir la possibilité de faire enregistrer une audition et pourquoi cette possibilité n'existe-t-elle pas actuellement ? Elle existe évidemment, parce que, conformément à l'article 112ter du Code d'instruction criminelle, le procureur du Roi peut demander un enregistrement audiovisuel de l'audition qui donne lieu à un autre type de procès-verbal qui est décrit dans la loi. Il n'y a ni audition ni PV normaux, il est limité à un certain nombre de synthèses et une disquette est disponible. Tout le monde peut demander que l'audition soit transcrite. Si l'on procède de la sorte dans les 24 heures suivant l'arrestation d'une personne, il nous faudra peut-être bien deux jours pour transcrire cette audition audiovisuelle, qui a duré quelques heures, et, dans ce cas, ce délai de 24 heures sera à coup sûr dépassé. La loi belge est ainsi faite. Le Collège a demandé une loi de réparation, qui n'a d'ailleurs pas vu le jour, simplement pour faire en sorte que la disquette puisse être visionnée afin de ne pas devoir transcrire l'audition. Lorsqu'une personne arrêtée est déférée dans les 24 heures devant le juge d'instruction, elle apprécie de pouvoir disposer d'un document écrit et, par conséquent, un simple procès-verbal est dressé. En droit belge, nous nous trouvons dès lors bel et bien dans un no man's land. L'article 112ter ne résout pas du tout ce problème; il va à l'encontre de la volonté de l'intervenant, à savoir l'enregistrement d'une audition ordinaire avec un procès-verbal ordinaire, qui est enregistré et déposé pour contrôle, de sorte que toutes les personnes impliquées dans l'affaire puissent en prendre connaissance.
En ce qui concerne l'infrastructure pour les moyens audiovisuels, l'impasse est très simple. Les polices locale et fédérale ont été immédiatement impliquées dans le réseau d'expertise. Elles se plaignent de ne pas avoir de moyens étant donné que chaque arrondissement ne dispose pas d'une caméra panoramique. L'infrastructure nécessaire requiert tout un investissement. Les polices locale et fédérale n'ont pas suffisamment de moyens, et il faudra au moins dix-huit mois, dix-huit ans selon l'intervenant, pour que tout le monde soit doté de l'infrastructure nécessaire. L'on perçoit donc clairement les difficultés organisationnelles auxquelles les procureurs généraux sont confrontés lorsqu'ils veulent rédiger une directive. L'intervenant a demandé à tout le monde d'incorporer cette directive dans sa façon de penser. Or les moyens ne sont pas disponibles et ne seront pas suffisants au cours des prochaines années. Nous nous trouvons dès lors dans une impasse.
En ce qui concerne la question de M. Mahoux, l'intervenant ne veut pas discuter du grand Franchimont. Il a écrit 1 600 pages à ce sujet dans lesquelles se trouvent toutes les critiques qu'il n'a jamais pu formuler envers le Code en question. L'intervenant y a travaillé des jours et des nuits pendant des années. Au cours des six derniers mois de la commission pour le droit de la procédure pénale, l'intervenant a d'ailleurs été mandaté, ainsi que Jean-Baptiste Andries, par le Collège pour ajouter encore plusieurs améliorations au projet. Toutes les critiques que l'intervenant a émises dès le premier jour ont fait l'effet d'une bombe lors des premiers débats et auditions à la Chambre. Cela a fait déraper l'ensemble du Code. Des années plus tard, force est de constater que ce Code ne résout pas le problème Salduz. L'intervenant avait déjà fait remarquer à M. Franchimont que les articles se contredisaient mutuellement en ce qui concerne l'assistance proposée de l'avocat; l'article relatif à l'audition ordinaire ne correspond pas tout à fait à celui concernant la détention préventive. Il concernait un autre système et l'un n'était pas conciliable avec l'autre.
Si l'on déposait aujourd'hui ces propositions sur la table, elles seraient annulées par la CEDH au motif qu'elles ne tiennent pas compte de ce que la Cour demande. Compte tenu de l'évolution de notre droit, ce Code n'est plus adapté. Il n'a plus du tout sa place dans un État moderne compte tenu des dérives qu'il engendre: multiplication des pourvois en cassation immédiats, saga des méthodes particulières de recherche, cassation sur cassation.
S'agissant de la période de 24 heures, la question est de savoir si elle a un rapport avec la jurisprudence de la CEDH et l'octroi de droits supplémentaires. Si l'on adopte la politique de l'autruche, on peut évidemment affirmer que l'octroi de droits supplémentaires n'a rien à voir avec le délai. C'est en effet ce que l'on serait tenté de penser à première vue. Mais le délai de 24 heures ne suffit pas pour réaliser une information digne de ce nom. Il s'ensuit un allongement de la détention préventive parce qu'en cas de doute, on tirera la sonnette d'alarme et on demandera un mandat au juge d'instruction afin de pouvoir effectuer les devoirs d'enquête supplémentaires qui n'ont pas encore pu être réalisés. La prolongation de la période de 24 heures se traduira donc par moins de détentions préventives. Il faut prolonger ce délai si l'on veut réduire la population carcérale. Réduire ce délai la fera par contre augmenter.
Le délai de vingt-quatre heures est une notion figée. Mais plus on veut en faire durant ces 24 heures, plus ce délai devient court. Il n'est déjà pas suffisant pour réaliser une information digne de ce nom. Tout se fait à la hâte parce que l'on veut aller chez le juge d'instruction. Ce ne sera pas la première fois que le juge d'instruction reçoit son dossier à la 23e heure et qu'il doit en prendre connaissance rapidement pour pouvoir mettre des affaires importantes à l'instruction. Gardons donc les deux pieds sur terre et évitons les idées irréalistes.
L'instauration de l'assistance dès la première audition a bel et bien des conséquences. L'intervenant prend l'exemple d'un dossier important de criminalité organisée: cinq malabars originaires d'Europe de l'Est sont impliqués dans plusieurs affaires, notamment de traite des êtres humains, et doivent chacun être entendus avec un interprète. Les moyens dont dispose la police ne sont malheureusement pas infinis. Non seulement toutes ces personnes doivent être entendues individuellement, mais elles doivent aussi avoir la possibilité de se concerter individuellement avec un avocat. Ce dernier a aussi besoin d'un bon interprète. Que se passera-t-il si des enquêteurs sont confrontés à une série de suspects, dans le cadre d'une affaire complexe, qui, de manière systématique, sont censés pouvoir se concerter individuellement avec leur propre avocat ? Le délai de 24 heures ne sera pas respecté et les intéressés devront être remis en liberté. Conformément à la CEDH, force est de constater que le principe du procès équitable est violé en raison de l'absence d'assistance d'un avocat. Le tout est de savoir s'il est encore possible de rectifier le tir. Il est dit dans l'affaire Bouglame que ce droit à l'assistance est violé systématiquement dans notre pays.
Si le délai de 24 heures ne peut pas être prolongé, il s'ensuivra que nous serons contraints de relâcher des criminels ayant commis des faits graves.
Si tel est le point de vue du Parlement, qu'il en soit ainsi. En tant que magistrat, l'intervenant ne peut que témoigner de la réalité. Il espère que l'on se rend bien compte que lorsque le procureur général dit le fond de sa pensée, il le fait sans arrière-pensée. L'intervenant n'est pas venu ici pour que la malheureuse personne qui a été arrêtée soit détenue 24 heures de plus. Il s'agit ici de l'État de droit, des droits que nous voulons accorder et que nous accorderons, et dont nous assurerons le suivi.
L'intervenant entend mettre toutes les circulaires sur la table et assurer un suivi ordonné de toutes les modifications législatives. Le Collège l'a également fait avec le petit Franchimont, sans quoi cela aurait tourné à la catastrophe.
Est-ce le point de vue officiel du Collège par rapport au texte du ministre ? Le Collège se réjouit particulièrement du fait que le ministre de la Justice prenne la responsabilité de rédiger un texte dans une période d'affaires courantes.
Si le Parlement approuve ce texte, la Belgique sera déjà délivrée des problèmes causés par l'arrêt Salduz. Le Collège apportera toute l'aide possible afin de passer à un autre système. Toutefois, ce point doit absolument être réglé. Il applaudit par conséquent à l'initiative du ministre. Si cela ne tenait qu'à lui, l'intervenant approuverait le texte, mais c'est du ressort des parlementaires.
III.3. AUDITION DE REPRÉSENTANTS DE L'ASSOCIATION DES JUGES D'INSTRUCTION
A. Audition de M. Van Cauwenberghe, juge d'instruction à Anvers
M. Van Cauwenberghe estime qu'il est très important que les juges d'instruction soient entendus lorsque le Parlement envisage d'apporter d'importants changements à la législation. Les intervenants précédents ont déjà ouvert le débat à des thèmes qui vont plus loin que ne le faisait la proposition du ministre concernant les suites de l'arrêt Salduz.
L'intervenant souligne que l'augmentation du nombre d'éléments accusatoires dans le système inquisitoire a déjà fait l'objet de commentaires et qu'il s'en réjouit. En effet, il y a plus d'un an, il avait lui-même lancé une mise en garde contre le risque de faire éclater le système inquisitoire en le surchargeant d'éléments accusatoires. Le système inquisitoire comporte déjà plusieurs éléments accusatoires, comme la contradiction lors de l'expertise et au cours de l'instruction.
L'intervenant précise qu'il se bornera dans son exposé à formuler quelques considérations pratiques au sujet de la proposition. Initialement, les juges d'instruction ne voulaient pas s'impliquer dans le dossier parce que les exigences de la CEDH à la suite des premiers arrêts manquaient de clarté. Petit à petit, il est apparu, à la lumière des arrêts successifs, qu'il était urgent de prendre des mesures.
En juin 2010, les juges d'instruction ont organisé, en collaboration avec l'Institut de formation judiciaire, une formation spécifique à laquelle ils ont aussi convié des collègues de France et des Pays-Bas. Ce fut l'occasion de constater qu'un problème se pose bel et bien et que les pratiques doivent être adaptées au plus vite. Les juges d'instruction ont élaboré une proposition afin de répondre autant que possible dans la pratique aux exigences de la CEDH. Dans les arrondissements de petite dimension, ils sont parvenus à appliquer un nouveau système. Pour des raisons pratiques, cela n'a pas encore été possible dans les grands arrondissements. Les juges d'instruction ont essayé, conjointement avec les parquets et les barreaux, de définir des modalités pratiques sur la base de la jurisprudence européenne non équivoque, mais sans qu'une modification n'ait été introduite dans la législation belge.
À Anvers, leur demande a malheureusement été rejetée; dans d'autres arrondissements, on est parvenu à organiser l'assistance d'avocats lors de la première audition. C'est ainsi que dans l'arrondissement d'Audenarde, un juge d'instruction a autorisé cette procédure dans une affaire où un homme était soupçonné du meurtre de son bébé. Cet homme a été entendu après avoir bénéficié de l'assistance d'un avocat et a fait des aveux complets. Le juge d'instruction était satisfait: il n'avait certes pas d'éléments matériels, mais, après une consultation préalable d'un avocat, il disposait d'une déclaration précise. Nous pouvons donc considérer que lors des phases ultérieures de la procédure, l'audition franchira avec succès le cap du contrôle de la légalité.
L'intervenant poursuit son exposé en abordant les propositions concrètes. Il estime que l'adaptation de l'article 47bis ne pose aucun problème s'il est précisé qu'une personne a le droit de refuser de répondre aux questions posées et le droit de ne pas s'accuser elle-même.
Le seul problème dans la pratique est que l'on ne sait pas toujours avec précision si l'on auditionne un suspect ou non. Il est déjà arrivé dans certains cas que l'on commence à auditionner un témoin et qu'au fil de l'audition, on se rende compte que cette personne avait quelque chose à cacher et qu'il faut donc lui attribuer un autre statut, à savoir celui d'inculpé. Il faut donc tenir compte du fait que lorsqu'on change de cadre, on doit accorder des droits supplémentaires à cet inculpé. Ce problème pourrait peut-être être réglé par le biais de l'encadrement et des directives.
Dans l'alinéa 1er du paragraphe 2 proposé de l'article 47bis, il est précisé que l'intéressé a le droit d'être informé succinctement des faits et de se concerter avec un avocat avant la première audition. L'intervenant estime que cette formulation n'est pas claire. Vu la jurisprudence européenne, cela devrait être une obligation et être inscrit comme tel dans la législation. Il s'agit d'une petite adaptation textuelle, mais qui a toute son importance.
Le délai de 24 heures semble particulièrement problématique, surtout pour le juge d'instruction. Après douze ans d'expérience en tant que juge d'instruction, l'intervenant pourrait citer des centaines d'exemples. Il n'est pas rare durant une permanence qu'un dossier n'aboutisse sur le bureau du juge d'instruction qu'au cours de la vingt-troisième heure. Dans le court laps de temps qui lui reste, le juge d'instruction doit donc lire le dossier, entendre la personne, en faisant appel ou non à un interprète, et prendre la décision de délivrer ou non un mandat d'arrêt sur la base d'auditions particulièrement limitées. Si le juge prend la décision de décerner un mandat d'arrêt, il faut encore qu'il la motive, l'imprime et la signifie. On comprend qu'en l'état actuel des choses, cela soit déjà très problématique.
Le bon déroulement de la procédure relève de la responsabilité de toutes les personnes impliquées dans la chaîne pénale: depuis la police, qui procède à l'arrestation, jusqu'au parquet, qui confirme l'arrestation, assure la comparution de la personne et décide de transférer celle-ci au plus vite après l'audition. Lorsqu'une personne est prise en flagrant délit et est arrêtée vers l'heure de midi, on contacte le parquet, qui confirme l'arrestation, et on procède à l'audition. Dans le meilleur des cas, des témoins sont encore entendus le jour même. Durant la nuit, l'intéressé est dans sa cellule et les choses restent en l'état. Le lendemain, il est présenté aux autorités judiciaires. À 9 heures, il est transféré au palais de justice. Il faut savoir toutefois que, dans certains cas, les transferts peuvent être problématiques. Le parquet doit alors traiter le dossier et faire en sorte qu'il soit porté devant le juge d'instruction. À ce stade, les 24 heures sont donc déjà presque écoulées. S'il y a plusieurs suspects, le délai devient alors tout à fait problématique et l'est encore plus lorsqu'il faut faire appel à des interprètes. Il est facile de trouver un interprète pour l'anglais et le français et, à Anvers, un interprète pour l'arabe se trouve aussi très facilement. Par contre, lorsqu'il s'agit d'une langue moins fréquemment parlée, les choses peuvent parfois prendre assez bien de temps.
Le délai de 24 heures est-il suffisant ? En dépit des multiples difficultés, les juges d'instruction parviennent quand même encore, si besoin est, à décerner un mandat d'arrêt dans les 24 heures. Peuvent-ils accomplir un travail de qualité ? Non, et les juges d'instruction en sont pleinement conscients, mais ils s'efforcent d'agir avec les moyens du bord.
L'arrêt Salduz impose-t-il un allongement de ce délai ? C'est là une autre question. On ne peut pas décider purement et simplement d'allonger ce délai de 24 heures pour permettre au suspect de bénéficier de l'assistance préalable d'un avocat. Il faut examiner et évaluer les choses de manière très approfondie. D'un point de vue pratique, on peut opter pour un allongement du délai jusqu'à 48 heures, mais l'intervenant estime que dans ce cas, il faudra procéder à une révision de la Constitution pour adapter le délai de 24 heures, qui est bétonné dans cette dernière. La proposition actuelle qui prévoit d'inscrire dans l'article 28septies du Code d'instruction criminelle relatif à la mini-instruction que le juge d'instruction doit ordonner d'allonger ce délai de 24 heures, semble compliquée et sera inapplicable dans les parquets de grande dimension. Les dossiers seront soumis à une navette incessante, ce qui ne sera pas tenable sur le plan administratif. On perdra encore plus de temps parce qu'il faudra requérir le juge d'instruction, qui devra examiner si un allongement du délai est raisonnable et nécessaire et qui devra aussi de surcroît motiver sa décision.
L'intervenant comprend que l'on veuille adopter en l'espèce une approche pragmatique, mais il a le sentiment que cela n'est pas conforme à la Constitution ni au prescrit de l'article 28septies. Celui-ci trouve son origine dans ce que l'on appelle le « petit Franchimont » et dispose explicitement que le procureur du Roi peut requérir du juge d'instruction l'accomplissement de certains actes d'instruction, sauf la délivrance d'un mandat d'arrêt, d'un mandat de perquisition et d'un mandat autorisant des écoutes téléphoniques. À l'époque, ces trois actes d'instruction ont été expressément exclus. L'intervenant ne voit donc pas très bien comment on pourrait compléter cet article par une disposition prévoyant que dans le cadre d'une mini-instruction, on peut demander à un juge d'instruction de prolonger un mandat. Cette construction paraît bancale et soulèvera de nombreux problèmes dans la pratique.
Ce sont là des aspects concrets sur lesquels il faut pouvoir s'entendre. Qu'il soit clair aussi que les juges d'instruction sont tout à fait d'accord sur le fait de donner à une personne la possibilité après son arrestation de consulter un avocat avant la première audition par la police. Sur ce point, les choses sont tout à fait claires. C'est une solution qui est essentielle, qui doit rapidement être mise en uvre et ancrée dans un cadre législatif. Cela ne nécessitera probablement pas beaucoup de travail. L'application pratique posera sans doute plus de difficultés et ses modalités doivent aussi faire l'objet d'un examen préalable approfondi. L'intervenant pense surtout aux barreaux. Comment doivent-ils s'organiser pour répondre à cette exigence et être rapidement sur les lieux ? L'intervenant est d'avis qu'ils s'y emploient pleinement et que cela est réalisable.
Tous les autres aspects qui sont abordés à présent requièrent une réforme beaucoup plus approfondie. L'intervenant renvoie à l'exposé où il fut question de la suppression définitive du juge d'instruction. C'est un spectre qui refait surface régulièrement, à chaque occasion, dès qu'une modification de notre procédure pénale est envisagée. Conscient qu'il parle pour sa propre chapelle, l'intervenant estime que les juges d'instruction peuvent être fiers d'être parvenus à maintenir le système des juges d'instruction jusqu'à aujourd'hui. Si on veut modifier celui-ci, c'est toute la procédure qu'il faudra revoir en profondeur, ce qui nécessitera beaucoup plus de temps et de réflexion.
Les juges d'instruction approuvent pleinement le principe de la consultation préalable et souhaitent, dans la mesure du possible, contribuer à son application et ce, compte tenu du délai de 24 heures. Si cela s'avère irréalisable, alors seule une révision de la Constitution pourra régler le problème. Plus on a de temps, plus on a cependant tendance à en perdre. Il peut se passer beaucoup de choses en 24 heures.
Il ne faut pas s'attendre non plus à ce que toute la procédure d'information soit clôturée au cours des premières 24 heures. Pour pouvoir se prononcer sur l'opportunité de décerner un mandat d'arrêt, un juge d'instruction a besoin de disposer du plus grand nombre de données possible. Pour placer une personne en détention préventive, il faut des indices sérieux de culpabilité.
On a dit qu'en cas de doute, le juge d'instruction devrait décerner sans délai un mandat d'arrêt afin de permettre la poursuite de l'enquête. L'intervenant ne pense pas que, de nos jours, le juge d'instruction veuille travailler de la sorte.
L'intervenant souligne qu'il clôture ici son exposé sur les aspects pratiques et qu'il cède la parole à ses collègues de Bruxelles, qui ne manqueront pas de le compléter à l'aune de leur propre expérience.
B. Audition de M. Hervé Louveaux
M. Louveaux déclare que l'Association nationale des juges d'instruction a pris connaissance du texte du ministre voici quelques jours seulement. Il est donc difficile de donner une opinion détaillée et assurée sur les diverses propositions. Il faut être prudent.
Les juges d'instruction mènent déjà une réflexion depuis un an sur ces questions. Au fil du temps, ils ont adapté leur mentalité et se sont faits à l'idée que l'assistance de l'avocat est impérative et urgente. Comme l'a rappelé monsieur le procureur général Liégeois, la Belgique prend des risques en tardant à adapter la pratique des policiers et des juges d'instruction aux exigences internationales. Les juges d'instruction en ont pris conscience, au point que, sur une base relativement concertée au sein de l'association, certains d'entre eux ont modifié leurs pratiques. Depuis quelques mois, ils entendent les personnes suspectées et privées de liberté en présence de leur avocat, après la consultation préalable de l'avocat.
Le texte présenté par le ministre de la Justice propose une réforme en deux phases.
L'orateur souhaite tout d'abord formuler quelques rappels. Il y a, d'une part, le droit de consultation préalable d'un avocat et, d'autre part, le droit d'être assisté par un avocat durant une audition ou un interrogatoire. Lorsque l'on va vers une privation de liberté et qu'il y a audition par la police et interrogatoire par le juge d'instruction, les cas peuvent être différents.
Premier cas: les dossiers arrivent chez le juge d'instruction sans qu'il sache à l'avance ce qui va se passer, c'est-à-dire que le dossier se construit et que la privation de liberté est prononcée par le procureur du Roi sans l'intervention d'un juge d'instruction. Le dossier arrive donc « tout cuit »; le juge d'instruction doit alors le lire, souvent très rapidement. M. Van Cauwenberghe a précisé qu'un dossier arrivait souvent à la 23e heure du délai de 24 heures de privation de liberté. Le juge d'instruction n'a alors guère l'occasion de lancer des devoirs ni de rechercher la vérité avant de prendre une position sur l'inculpation et la privation de liberté. La seule chose qu'il puisse et doive faire est d'interroger l'inculpé, ce qui lui permet souvent de faire avancer les choses.
Deuxième cas: les privations de liberté qui interviennent dans le cadre d'instructions qui existent déjà et dans lesquelles le juge d'instruction a généralement ordonné ce que l'on appelle des « opérations » pouvant comporter des perquisitions et, en tout cas, l'interpellation de suspects. Ces derniers arrivent alors que le juge d'instruction a lui-même construit le dossier. C'est donc très différent.
Dans ce deuxième cas, le juge d'instruction peut donner des instructions aux policiers et leur demander, alors que l'opération peut avoir été planifiée depuis plusieurs jours, de lui présenter tel suspect à telle heure. Il aura donc tout le temps de l'interroger voire d'ordonner des devoirs complémentaires en cours de route.
Le projet du ministre a l'avantage de souligner l'urgence de la situation, de permettre au juge d'instruction, qui va être appelé à priver la personne de liberté par la voie d'un mandat d'arrêt dans le délai de 24 heures, de régler la question de l'assistance de l'avocat dans des termes qui paraissent correspondre sur le fond à ce que les juges d'instruction ont eux-mêmes préconisé comme attitude depuis le mois de juin 2010.
On traite séparément de la question de l'audition par la police. C'est évidemment un paradoxe puisqu'à la lecture de l'arrêt Salduz, on découvre que c'est au moment de la première audition qui suit la privation de liberté que ces droits doivent être reconnus.
Il appartiendra au législateur de prendre position, mais il faut faire preuve d'un certain réalisme. C'est en tout cas ce qu'a fait le ministre en se disant que l'on ne pourra pas créer immédiatement des pools d'avocats qui seront présents dans tous les commissariats de police du Royaume où l'on amène des gens, de nuit comme de jour et le week-end comme la semaine, et où l'on doit les informer de leur droit d'être entendus avant ou durant la privation de liberté.
Cela dépasse les juges d'instruction et leur expérience, même si ce sont quand même les juges d'instruction qui se retrouveront avec des dossiers ayant donné lieu à des auditions avec ou sans l'assistance d'un avocat, et qui devront, après le procureur du Roi, apprécier ces preuves: un aveu, des déclarations faites par un suspect sans l'assistance d'un avocat dans un commissariat de police...
Les juges d'instruction sont donc, malgré tout, concernés et, sur la base de leur expérience, ils peuvent donner un avis sur la question.
Ce qui fait partie de la logique du projet du ministre, c'est de ne pas prévoir l'assistance d'un avocat à l'audition de police, mais de prévoir un droit de consultation préalable. Le texte ne précise pas comment — par téléphone, par déplacement de l'avocat au commissariat de police ? — ni dans quels délais. Dans quelle proportion devra-t-on prolonger le temps précédant l'audition par les services de police pour permettre ce droit de consultation préalable ? Le principe est que seul ce droit de consultation préalable ait lieu à ce stade et pas le droit d'assistance de l'avocat au moment de l'audition par la police.
S'y ajoute la question, également évoquée dans le projet, de l'enregistrement de l'audition par la police et celle de la formation qui devrait être donnée aux policiers, comme aux magistrats d'ailleurs, pour mieux interroger les personnes. En lisant le projet, on a l'impression que ce qui se passe à l'heure actuelle ne serait pas présentable et que si on veut enregistrer les auditions, il va falloir former les personnes qui y procèdent. On peut espérer que, dans le système actuel, les choses se passent de façon assez correcte pour être dignes d'un enregistrement !
L'idée de former les policiers et des magistrats paraît excellente. On se trouve devant une instruction du jour au lendemain, sans jamais avoir été formé à ce genre de chose... La formation est certainement souhaitable, mais c'est une autre question.
Après la consultation préalable au stade du passage par le commissariat, après l'audition, le suspect est déféré. Il n'est pas toujours déféré au juge d'instruction. Il passe d'abord par le stade « procureur du Roi » et ce dernier peut entendre le suspect. Il semble que le texte ne précise pas ce que le procureur du Roi doit faire. Il serait peut-être souhaitable d'aborder également cet aspect et de préciser que si le procureur du Roi décide d'entendre le suspect privé de liberté, ce dernier aura aussi le droit d'être assisté par un avocat et de bénéficier de la consultation préalable.
En tout cas, chez le juge d'instruction, ces droits sont reconnus dans le projet. Cela correspond aux aspirations des juges d'instruction, qui avaient attiré l'attention du ministre sur l'urgence de ces questions.
Certes, l'exercice de ces deux droits par le juge d'instruction, voire par le procureur du Roi, impose un certain nombre de contraintes qu'il serait vivement souhaitable de régler rapidement. Il faut en premier lieu tenir compte des exigences en matière de locaux: l'entretien préalable entre un avocat et son client ne s'improvise pas dans un couloir entre deux policiers: les aspects de sécurité doivent être pris en considération.
Alors qu'à Bruxelles, les juges d'instruction évaluent, avec le procureur du Roi, la possibilité d'exercer ces droits, sans attendre l'élaboration d'un texte, en se prévalant de l'application directe de la jurisprudence Salduz et autres arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, la question de savoir où pourrait avoir lieu cet entretien préalable pose problème. Des changements s'imposeront.
Se pose également le problème des traductions. Bon nombre de personnes privées de liberté ne parlent aucune des langues nationales. Pour la procédure, on est obligé de recourir à des traducteurs qui seraient vraisemblablement les mêmes, en ce qui concerne l'entretien avec un avocat, que ceux auxquels on a recours pour les interrogatoires d'inculpés. Certaines difficultés sont liées au pool d'avocats qui devront être présents dans les palais de justice.
On se pose encore la question de savoir, à Bruxelles où ont lieu un certain nombre de privations de liberté par jour, combien d'avocats seront nécessaires. Des incompatibilités ont été évoquées: on ne peut pas défendre à la fois X et Y qui s'accusent mutuellement dans un même dossier, même s'il s'agit simplement de l'assistance lors de l'interrogatoire. Lorsqu'un dossier concerne dix personnes différentes, va-t-on imposer la présence de dix avocats, parfois de nuit ou durant le week-end, dans nos palais de justice ? La question de l'indemnisation des avocats doit également être évoquée. Les ordres des avocats évoqueront sans doute cette question.
En ce qui concerne l'accès au dossier, deux positions ont été défendues à ce sujet lors d'une réunion au ministère de la Justice. Si l'on adopte une vision maximaliste de l'exercice des droits de la défense au niveau des auditions et des interrogatoires: l'avocat aurait connaissance des pièces du dossier au moment de la consultation préalable et au moment de l'assistance qu'il apporte lors de l'audition ou de l'interrogatoire. Pour les praticiens de l'instruction, ce droit d'accès au dossier doit être écarté. Quand ces devoirs ont lieu — audition, interrogatoire — l'instruction est toujours en cours. La loi actuelle, en cas de privation de liberté, permet que pendant cinq jours — en réalité quatre jours, puisque la veille de l'audience, le dossier est accessible à la défense — le juge d'instruction dispose encore du secret des éléments de l'instruction afin de faire avancer l'enquête, délai particulièrement nécessaire, notamment dans des affaires de criminalité organisée.
Cela étant, il arrive que l'on s'abstienne d'arrêter telle personne, afin qu'elle ne puisse pas avoir accès au dossier dans les cinq jours. Pour les intérêts prioritaires de l'enquête, on veut en effet éviter que quiconque ait connaissance de certains éléments parce que l'enquête n'est pas suffisamment aboutie et que la procédure devra s'étendre à d'autres suspects. Au regard des instructions, ce serait une profonde erreur de donner accès au dossier à un inculpé et à un suspect, dès le moment où un juge d'instruction, le procureur du Roi ou la police est amené à le rencontrer.
L'idée de renforcer les droits de la défense est séduisante mais, alors, il faudrait prolonger la durée de privation de liberté. Même s'ils éprouvent les pires difficultés à le respecter, les juges d'instruction sont très attachés au délai de vingt-quatre heures. Le projet du ministre prévoit un délai supplémentaire de deux heures pour la consultation préalable afin de donner le temps à l'avocat d'arriver au palais de justice et d'assister à l'interrogatoire de l'inculpé, ce qui amènera inévitablement à dépasser le délai de vingt-quatre heures.
On pourrait imaginer une intervention du magistrat habituel, familier des questions relatives aux droits fondamentaux des individus, moyennant une limitation. Dans l'arsenal législatif, c'est au juge d'instruction que l'on fait confiance pour les écoutes téléphoniques, les perquisitions, les privations de liberté, etc. La prolongation du délai de vingt-quatre heures pourrait être décidée par le biais d'une ordonnance prise dans les termes de l'article 12 de la Constitution. Il s'agit d'une décision grave. Pourquoi ne pas la réserver purement et simplement au juge d'instruction ?
La formule reprise dans le texte ne semble pas très heureuse en ce sens qu'elle suppose le recours à la mini-instruction. Dans ce cas de figure, le procureur du Roi, qui reste maître de son enquête, demande au juge d'instruction de poser un acte précis, par exemple d'effectuer des repérages téléphoniques. Après avoir consulté le dossier pour s'assurer que la mesure est sensée, logique, raisonnable, le juge d'instruction l'ordonne, bien sûr. Les juges d'instruction respectent la loi mais quand les mini-instructions se multiplient, ils deviennent des chambres d'entérinement des décisions du procureur du Roi, puisqu'ils n'ont pas la maîtrise de l'instruction alors qu'elle oriente l'enquête. Le texte prévoit d'étendre ce schéma, dans lequel le juge d'instruction est simplement prié, alors qu'il ne maîtrise pas l'enquête, de prolonger le délai de vingt-quatre heures, le dossier retournant ensuite chez le procureur du Roi.
Les juges d'instruction sont d'avis qu'il ne faut pas étendre les cas de mini-instructions. Il existe une alternative, qui présente d'ailleurs davantage de garanties: prévoir que le procureur du Roi, constatant que le délai de vingt-quatre heures va être atteint, saisit le juge d'instruction et lui envoie le dossier. Les garanties pourraient être renforcées en stipulant que c'est à la requête du procureur du Roi, sur ordonnance du juge d'instruction, que le délai est prolongé.
L'expression « dans les circonstances particulières propres à l'affaire » revient dans plusieurs articles du projet. Si l'on veut que la prolongation du délai de vingt-quatre heures soit vraiment exceptionnelle, il faut non seulement prévoir la prérogative du juge d'instruction mais aussi énumérer les cas dans lesquels cela sera exceptionnellement admissible. S'en référer purement et simplement aux circonstances particulières propres à l'affaire semble un peu court. Il faudrait peut-être préciser sur la base de quels critères un juge d'instruction pourra décider que le délai peut être prolongé.
Au sujet de ces critères, selon le texte, c'est en raison de l'exercice des droits de défense et d'assistance de l'avocat que l'on va conclure en l'insuffisance du délai de 24 heures. Il semble impossible de séparer ce critère des autres aspects de l'instruction. L'intervenant cite l'hypothèse dans laquelle une personne suspectée de coups et blessures envers un tiers, faits assez sérieux ayant entraîné une incapacité de travail, est déférée. La victime se trouve provisoirement dans le coma ou est, en tout cas, incapable d'être entendue. Le juge d'instruction constate l'existence d'une série d'indices, sur la base desquels il devrait faire entendre la victime pour établir si celle-ci reconnaît le suspect comme étant l'auteur des faits. Imaginons que cette personne se réveille à la dix-huitième heure. Il faudra l'informer de ses droits, procéder à l'audition, prévoir la défense du suspect, actes qui prendront un certain temps. Dans un tel cas, quel élément convaincra-t-il le juge d'instruction de prolonger le délai de 24 heures pour être certain de disposer de l'élément essentiel que constitue la reconnaissance par la victime ? L'exercice du droit de la défense s'imposera-t-il dans tous les cas ou le juge d'instruction sera-t-il persuadé de devoir procéder à des devoirs complémentaires pour recueillir plus d'éléments afin d'établir la vérité ?
L'on ne peut séparer la nécessité de l'exercice des droits de la défense comme justifiant le recours à 24 heures supplémentaires des autres aspects de la réalité rencontrée à ce moment-là.
Il serait néanmoins souhaitable que la loi précise les critères auxquels on peut recourir pour allonger le délai de 24 heures, et cela de façon à garantir le caractère exceptionnel de ce recours.
Le texte présenté suscite aussi la crainte de voir arriver dans les services des juges d'instruction, eu égard aux circonstances exceptionnelles et particulières propres au dossier, une quantité de réquisitoires du procureur du Roi demandant de prolonger le délai de privation de liberté. Le juge d'instruction devra, à ce moment-là, avoir la maîtrise de son dossier.
L'intervenant formule une dernière autre réflexion très concrète. Si un juge d'instruction envisage de prolonger le délai de privation de liberté de 24 heures, voire de quelques heures, le temps de parvenir à une décision, ne faut-il pas qu'il ait autorité sur les services de police qui procèdent aux auditions ? Il doit pouvoir leur dire qu'ils ont, par exemple, exactement une heure, et pas deux, pour entendre la victime et lui soumettre la photo du suspect. Il faut qu'il ait ce pouvoir d'injonction sur les services de police. S'il n'en dispose pas, on lui demande un blanc-seing, afin qu'il octroie 24 heures supplémentaires. Est-ce vraiment le rôle du juge d'instruction ?
C. Audition de Mme Geneviève Tassin, juge d'instruction
Mme Geneviève Tassin ajoute que les juges d'instruction se réjouissent que l'on aborde le problème par ce qui est le point central des droits de la défense: l'audition à la police.
L'oratrice participe actuellement aux travaux d'une sorte de commission qui, à Bruxelles, essaie de déterminer, entre le barreau et les juges d'instruction, les modalités d'une présence de l'avocat dans les cabinets des juges d'instruction.
Tout d'abord, on met clairement un emplâtre sur une jambe de bois si la première audition à la police s'est déroulée sans la présence de l'avocat. Ensuite, cette base volontaire nécessite une collaboration de tous les acteurs concernés. C'est dire que les juges d'instruction sont confrontés à d'importants problèmes pratiques.
À Bruxelles actuellement, le tribunal et le barreau sont partants pour permettre la présence de l'avocat dans les cabinets d'instruction, mais il faut que le parquet donne aussi les instructions pour permettre la consultation préalable qui devrait de préférence avoir lieu dans le cellulaire du palais de justice.
Or, les juges d'instruction n'ont pas l'autorité sur les services de police qui gèrent le cellulaire. Il faudrait des effectifs supplémentaires et un portique de détection. Il faudrait également aménager des locaux pour que les avocats puissent rencontrer leurs clients. La situation est donc difficile.
En ce qui concerne le texte proposé par le ministre, l'oratrice formule deux observations. Tout d'abord, elle n'aperçoit pas clairement ce qui, en cas de circonstances particulières inhérentes à l'affaire ou à la personne, permet soit de déroger au droit de concertation soit de demander une prolongation du délai. Ce sont, semble-t-il, les mêmes circonstances qui justifient l'une et l'autre hypothèse. Dans quel cas renonce-t-on au droit de concertation ou, au contraire, décide-t-on d'une prolongation du délai ?
Les juges d'instruction partagent le même avis: il leur paraît difficilement envisageable que la demande de prorogation ne puisse intervenir qu'à la requête du parquet. En outre, le texte tel que libellé néglige l'hypothèse dans laquelle le juge d'instruction, ayant enclenché l'opération, aurait besoin lui aussi d'une prorogation du délai pour permettre la présence de l'avocat. On a cité l'exemple de l'unique interprète urdu de l'arrondissement qui devra assister dix avocats dans une concertation préalable, à la police. Il est impossible d'y parvenir en vingt-quatre heures.
Par ailleurs, le premier alinéa qui prévoit la concertation avec « un avocat de son choix ou de permanence » pose problème. Cette difficulté a également été évoquée lors des travaux de la commission Tribunal-Barreau à Bruxelles. On constate qu'il est très difficile d'organiser une concertation avec l'avocat choisi par son client. En raison de divers problèmes pratiques, c'est le système de la permanence qui est actuellement retenu. Cette méthode est appliquée depuis de nombreuses années au tribunal de la jeunesse.
D. Échange de vues
M. Mahoux note une considération très intéressante: la prolongation pourrait éventuellement être demandée, pour des raisons particulières, par le juge d'instruction.
L'intervenant aurait préféré que l'information ne se limite pas à une seule proposition mais qu'elle soit davantage d'ordre général. Il souhaiterait une approche plus théorique, qui mette en exergue une situation optimale et ses contraintes. La question des locaux a été évoquée. Cette contingence est certes une réalité mais elle ne peut être mise en balance avec l'idée d'un procès équitable.
Par ailleurs, la présence de l'avocat, y compris au moment de l'interrogatoire de police et évidemment plus tard, sera-t-elle de nature à modifier les appréciations de la Cour européenne en matière de procès équitable ?
La Cour de Strasbourg dira qu'il faut une présence et qu'à défaut de cette présence, la suite de la procédure n'est pas équitable.
Il faut certes avoir une approche critique par rapport à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg mais il ne faut pas considérer qu'une application partielle pourrait être une solution provisoire. Si la solution provisoire trouvée devait entraîner les mêmes conséquences du point de vue de la Cour de Strasbourg, cela signifierait que l'on a rien fait d'autre qu'uniformiser une situation qui sera considérée comme non équitable par cette Cour. Ce n'est pas parce que la non-équité sera généralisée que les choses s'amélioreront. Quelle est l'opinion des orateurs à ce sujet ?
Les positions des uns et des autres sont fonction de l'endroit où ils travaillent. Plus la densité de travail y est élevée, ce qui dépend de la densité démographique ainsi que de la densité de la délinquance et donc du nombre d'affaires à traiter, plus les obstacles à la mise en uvre mais aussi les difficultés de praticabilité seront grands. La situation n'étant pas partout la même, les positions et les réponses peuvent être différenciées, non pas en droit, mais en fonction de l'endroit où les problèmes se posent.
On a toujours tendance — et c'est une réalité du parquet général — à mettre en avant le worst case et donc, sur le plan géographique, les endroits où se posent les problèmes majeurs et où, de toute façon, rien n'est applicable. En fonction de cela, on a tendance à établir des règles qui valent partout, y compris dans des endroits où il est possible d'obtenir le strict respect de la législation. L'orateur n'a pas le sentiment que les problèmes se posent exactement de la même manière partout.
Les orateurs n'ont-ils pas l'impression que de toute manière, s'ils ont la possibilité de prolonger la garde à vue pendant vingt-quatre heures, ils obtiendront systématiquement les dossiers à la vingt-troisième heure ? Cette question ne se veut aucunement insidieuse. Cependant, on ne peut exclure que dans les faits, le dossier pourrait être conservé de manière légitime par le parquet pendant la durée légalement autorisée.
M. Van Cauwenberghe souligne que la position de la Cour européenne de Strasbourg est impossible à contourner.
Avec l'arrêt Salduz, la situation n'était pas encore aussi claire. Il s'agissait d'une situation très spécifique, celle d'un mineur d'âge, qui avait fait une déposition contenant des aveux sans être assisté par un avocat, qui s'était ensuite immédiatement rétracté et qui avait été condamné sur la base de sa première déclaration.
Les arrêts suivants vont beaucoup plus loin. L'arrêt Bouglame rendu en mars signifie pour la Belgique que notre loi sur la détention préventive constitue déjà en soi une violation du droit à un procès équitable, en ce que l'assistance d'un avocat lors de la première audition est systématiquement refusée. La Belgique n'a d'autre choix que de tenir compte de cet arrêt.
La solution proposée offre une échappatoire, même si l'organisation pratique sera plus difficile dans les grands arrondissements que dans les petits.
M. Mahoux répond que d'aucuns sont tentés de faire la démarche inverse, de considérer que, comme ce n'est pas applicable à certains endroits, on ne peut pas modifier la législation dans le sens souhaité. C'est autre chose que d'affirmer que l'on va élaborer des législations différentes suivant les endroits.
M. Louveaux répond à la première question posée, évoquant l'idée que si on n'a pas tout fait, on n'a rien fait !
Si on n'a pas prévu que, dès l'audition par les services de police, on bénéficie de tous les droits, dont l'assistance d'un avocat, la vision maximaliste qu'on pourrait avoir des possibilités de légiférer — il appartient à la commission d'apprécier — consisterait, dans la perspective de la jurisprudence de la Cour de justice, à accorder cette assistance.
Il faut toutefois se rendre compte des implications. Il a été dit tout à l'heure que dans les commissariats de police, on travaillait jour et nuit, que le nombre de suspects dépendait de la conjoncture et que, dans un même commissariat, vingt personnes étaient parfois entendues en même temps. Il faut en tenir compte pour envisager les possibilités.
Dire que le « système Salduz » imposerait cette assistance est une question d'interprétation de la jurisprudence. Selon l'orateur, cette interprétation doit être réaliste. Cet aspect du projet du ministre de la Justice est tout à fait respectable.
On ne prévoit donc pas cette assistance dans les commissariats de police. Faut-il en déduire que rien n'est prévu ? L'orateur ne le croit pas.
L'avocat est présent au plus tard dans le cabinet du juge d'instruction. Ce dernier ou le procureur du Roi avant lui peut constater, au vu du dossier, que la personne concernée n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat — elle a fait des aveux complets que l'on n'a pas pris soin de vérifier ou de corroborer par d'autres preuves —, et considérer que ses déclarations ne valent rien. C'est l'appréciation du magistrat qui intervient après les policiers.
Ce n'est pas parce que l'audition à la police a eu lieu sans l'assistance d'un avocat qu'il faudra considérer a posteriori que toute la procédure est nulle. Le juge d'instruction et le procureur du Roi doivent s'assurer que la procédure est valable, y compris au regard de la jurisprudence Salduz.
Les choses peuvent être corrigées au niveau de l'interrogatoire. L'avocat est présent, l'entretien préalable a eu lieu et le juge d'instruction peut vérifier si le suspect persiste dans ses déclarations telles qu'elles ont été transcrites par la police. C'est déjà ce qu'il fait systématiquement, mais sans la présence d'un avocat. Cela se fera dorénavant en présence d'un avocat.
Selon l'auteur, le fait qu'un mandat d'arrêt décerné ait été attaqué ou que les poursuites soient contestées au motif que la personne n'était pas assistée d'un avocat au commissariat de police, est un argument qui ne sera probablement pas pris en compte si la procédure est appliquée correctement par la suite.
M. Vanlouwe souligne que dans la pratique, les services de police procèdent souvent à une audition détaillée et que le suspect, lorsqu'il comparaît ensuite devant le juge d'instruction, se réfère à cette première audition. Le juge d'instruction demande alors souvent au suspect s'il maintient les déclarations qu'il a faites à la police.
Le nouveau système impose uniquement une assistance en justice devant le juge d'instruction. La question qui se pose est de savoir si les principes de l'arrêt Salduz sont respectés lorsque le juge d'instruction demande au suspect s'il maintient ses premières déclarations.
M. Van Cauwenberghe répond que le principe le plus important de l'arrêt Salduz est qu'une concertation doit avoir lieu immédiatement après l'arrestation, avant la première audition.
C'est aussi la raison pour laquelle les juges d'instruction ont adapté leur manière de procéder et on ne lira plus jamais dans leur procès-verbal d'audition: « Je confirme mes déclarations faites à la police ». Le juge d'instruction fera déposer une nouvelle déclaration au suspect et lui fera ajouter expressément qu'il « est maintenant disposé à faire une déclaration, sans consulter préalablement un avocat », et ce, afin de prendre le moins de risques possible. Il s'agit d'une solution provisoire qui n'est, bien entendu, pas conforme à l'arrêt Salduz.
III.4. AUDITION DE REPRÉSENTANTS DES BARREAUX
A. Exposé de M. Chevalier, président de l'Ordre des barreaux francophone et germanophone
M Chevalier souligne que l'OBFG entend formuler certaines observations à la suite du dépôt d'un projet de texte initié par le ministre de la Justice.
Préalablement, l'OBFG souligne qu'elle a conscience des périls que la situation actuelle engendre: d'une part, nombre de devoirs d'enquêtes risquent de ne pas pouvoir être pris en considération du fait de leur non-conformité à la jurisprudence de la CEDH; d'autre part, les avocats, défenseurs naturels des suspects mais également des victimes, craignent que ces dernières succombent dans la reconnaissance de leur souffrance et de leur dommage en raison des vices de procédure liés à la violation des conditions posées par cette même jurisprudence.
Il n'est pas téméraire de considérer que des victimes évincées puissent mettre en cause la responsabilité de l'État parce qu'il n'aurait pas transposé dans son droit interne les obligations liées aux droits de la défense et à la présence de l'avocat dès la première audition.
1. Le développement de la jurisprudence de la CEDH
L'arrêt Salduz a été prononcé le 27 novembre 2008.
Il a été suivi par de nombreuses autres décisions qui sont venues préciser les contours de la garantie du procès équitable au regard de la présence de l'avocat aux côtés de la personne privée de sa liberté, dès sa première audition (art. 6.3.c. de la Convention).
2. L'enseignement n'est pas susceptible d'interprétation
La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme ne peut s'interpréter qu'au sens où il faut pourvoir à la présence de l'avocat dès la première audition et à chacune de celles-ci, que ce soit devant les autorités de police, face au procureur du Roi ou devant le juge d'instruction.
Il s'agit donc d'une présence au cours de l'audition et non pas uniquement d'un contact préalable avant audition que pourrait avoir la personne arrêtée sans que l'avocat ne puisse assister à l'audition.
Il ne s'agit pas d'une exigence purement formelle en manière telle que la présence de l'avocat en cours d'audition doit être précédée d'un contact de l'avocat avec son client. L'avocat doit être en mesure de prendre connaissance, à tout le moins, des éléments essentiels du dossier.
Tout discours qui soutient que la jurisprudence de la Cour n'est pas claire, ne rend pas compte de sa réalité.
3. L'évolution des mentalités
Dans un souci de colmater les brèches ouvertes par cette jurisprudence dans la validité de nombre de devoirs accomplis, doctrine et jurisprudence et, plus singulièrement, celle de la Cour de cassation, se sont ingéniées à soutenir que les dispositions du Code d'instruction criminelle étaient suffisantes pour assurer le respect des exigences de la jurisprudence de la CEDH.
Il était, de la sorte, obvié à la nécessité de la présence de l'avocat.
Cette attitude de la Cour suprême tranche singulièrement avec celle qu'elle avait adoptée en d'autres circonstances, notamment à la suite de l'arrêt Taxquet. La Cour avait alors rapidement embrayé et annulé les décisions des cours d'assises qui manquaient à leur devoir de motivation tel qu'il avait été dégagé par la jurisprudence de Strasbourg.
Les juridictions de fond semblent de plus en plus rétives à cette interprétation restrictive de la jurisprudence de la Cour européenne qui, par l'effet de la chose interprétée, s'impose en droit interne, au même titre que la Convention elle-même.
Certaines refusent, en effet, de condamner sur la base de déclarations incriminantes recueillies hors la présence d'un avocat (Liège, 6e Chambre, 15 septembre 2010 confirmant Correctionnelle Liège 14 avril 2010, en cause O. contre M.P).
La doctrine envisage de plus en plus lucidement les exigences que contient la jurisprudence de la CEDH. Comme le dit M. Michiels, conseiller à la cour d'appel de Liège, en conclusion de son commentaire de l'arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2010: « ... la Cour de cassation ne peut, pour l'instant, que tenter de repousser l'échéance. Pour combien de temps encore ? Car nul n'ignore plus que la messe est dite; il faudra garantir l'accès à un avocat dès le premier interrogatoire du suspect privé de sa liberté » (voir JLMB, 2010, pages 1274 et suivantes).
L'OBFG se réjouit que le ministre en a lui-même convenu lors de son audition par la commission de la justice du Sénat le 6 octobre 2010: « ... (la) Cour (européenne des Droits de l'Homme) a développé une vaste jurisprudence qui pose très clairement le principe du « droit à l'assistance » d'un avocat dès les premiers interrogatoires par les services de police ».
4. Le constat enfin clairement posé, encore faut-il en définir les contours
Ceux-ci ont été tout aussi clairement exprimés par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Il s'agit d'assurer la présence de l'avocat au cours des auditions et non pas uniquement en préalable de celles-ci, sans possibilité d'être assisté par son avocat en cours d'audition.
5. Sur le terrain
Jugulés par les deux circulaires du Collège des procureurs généraux des 4 mai 2010 (7/2010) et 14 juillet 2010 (15/2010), les acteurs de terrain ont été mis dans l'impossibilité de réagir de façon concertée et unanime. Les expériences diverses mises en place donnent ce sentiment de chaos judiciaire souligné par certains.
Là où les autorités judiciaires ont pris des initiatives, les Ordres d'avocats ressortissant de l'OBFG ont été présents. Ils ont organisé les permanences permettant d'assurer la présence d'un avocat lors des auditions.
Ces permanences sont organisées au sein des Ordres des avocats d'Arlon, de Charleroi, de Dinant, d'Eupen, de Marche, de Mons et de Tournai, soit la moitié des barreaux de l'OBFG.
Force est toutefois de constater que même là où il est mis en place, ce système génère des inégalités entre arrondissements judiciaires ou au sein même de certains de ceux-ci.
À Eupen, l'avocat peut rencontrer son client avant sa première audition par les services de police; il est également présent lors de l'audition chez le juge d'instruction.
À Dinant, l'avocat peut rencontrer son client avant son audition par le juge d'instruction. Dans les autres arrondissements judiciaires, l'avocat assiste aux auditions dans le cabinet du juge d'instruction.
Mais au sein même de certains de ces arrondissements judiciaires, des inégalités subsistent car certains juges d'instruction sont rétifs à la présence de l'avocat, acceptée par d'autres collègues. Ainsi en va-t-il à Mons et à Tournai.
Là où les autorités judiciaires n'ont formulé aucune proposition, les Ordres n'ont eu de cesse d'indiquer à celles-ci qu'elles étaient prêtes à organiser ces permanences. Ainsi en est-il des barreaux de Huy, Namur, Nivelles, Liège et Verviers.
L'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a mis en place une organisation qui est prête à faire face à la demande des juges d'instruction. Sa mise en uvre, d'abord prévue au début du mois d'octobre, a dû être repoussée à plus tard par les autorités judiciaires en raison de l'opposition du parquet.
Ces situations disparates sont juridiquement et socialement inéquitables. Ainsi, il vaudra mieux être arrêté à Eupen qu'à Charleroi ou déféré devant le juge d'instruction de Charleroi que celui de Nivelles. Quant aux parties civiles, elles échapperont plus aisément à l'annulation des poursuites ou d'auditions des auteurs poursuivis à Mons ou Marche qu'à Nivelles ou Namur !
Les réticences manifestées par certains n'ont aucune raison d'être tant la satisfaction de tous les acteurs de terrain se manifeste à l'occasion de ces aménagements.
6. Les limites de la situation actuelle
L'OBFG entend dès lors insister sur les carences et les limites inadmissibles du système actuel. Les propositions de modifications législatives « initiées » par le ministre de la justice n'y répondent pas à suffisance.
— L'OBFG constate, tout d'abord, que la transposition en droit belge de l'enseignement de la CEDH par le biais de la chose interprétée a pris un retard considérable que la situation politique actuelle ne justifie pas. L'arrêt Salduz remonte au 28 novembre 2008. Les travaux parlementaires se sont arrêtés à la fin du mois d'avril 2010.
Il était évidemment possible de prendre la mesure des réformes que la jurisprudence européenne imposait, d'autant que de nombreux cris d'alarmes avaient été lancés.
— La situation chaotique dénoncée introduit des inégalités inacceptables et particulièrement choquantes entre les personnes privées de leur liberté et auditionnées par des services de police ou autres. Cette situation porte en elle-même le fruit d'autres recours pour violation d'instruments internationaux auxquels la Belgique a souscrit ou de règles de droit interne.
— La situation actuelle démontre les manquements des trois pouvoirs dans la gestion de cette problématique: les pouvoirs législatifs (en matière d'initiative parlementaire), exécutif (en matière de budget de l'aide juridique) et judiciaire (en recherche d'un consensus fonctionnel) sont gravement défaillants.
— Les 14 barreaux francophones et germanophone ont tous pris leurs dispositions pour répondre aux appels lancés par les autorités judiciaires qui le demandaient ou pour être prêts à y répondre dès qu'il aurait été fait appel à eux.
Les avocats, conscients de l'importante avancée que représentait en termes de droit de la défense et de respect des droits des victimes la jurisprudence de la CEDH, ont voulu et ont pu démontrer qu'ils étaient partis prenantes des modifications à mettre en place.
Les barreaux de l'OBFG soulignent que, depuis cet été 2010, les permanences fonctionnent sur la base d'un volontariat puisque les prestations qui y sont accomplies ne sont à ce jour pas rémunérées et que le ministre de la justice a très clairement indiqué qu'elles ne pouvaient l'être, en l'état, dans le cadre de l'aide juridique.
— Dès l'origine, les avocats ont attiré l'attention du ministre de la justice sur l'impact financier évident que ces nouvelles exigences allaient avoir en terme de budget de l'aide juridique.
Nonobstant les carences des pouvoirs législatif et exécutif, ils ont décidé de participer aux permanences organisées.
Cependant, à terme, cette situation deviendra rapidement intenable pour les avocats qui doivent être disponibles 24h/24h, en manière telle que l'OBFG n'est pas à même d'assurer la pérennité du système mis en place puisqu'il se fonde sur les seules bonnes volontés des avocats qui y participent.
— L'OBFG se réjouit de constater que dans sa communication du 6 octobre 2010, le ministre de la justice fait le constat de ce que la transposition en droit positif interne nécessitera la mise en place d'un système et de moyens complémentaires dans le cadre de l'aide juridique.
Dans un courrier adressé au ministre le 4 août dernier, l'OBFG invitait celui-ci à prendre les mesures financières nécessaires que la situation commandait, dans le cadre du budget de l'aide juridique.
L'OBFG y signalait qu'à défaut d'initiative dans un délai de trois mois, il prendrait toutes les initiatives qu'il jugerait opportunes.
7. Sur les propositions du ministre
Le ministre propose l'adoption, via une proposition de loi, d'une législation urgente et provisoire dont il définit le cadre dans sa note du 6 octobre 2010.
On aura compris à la lecture de ce qui précède que, en aucun cas, cette proposition de modification législative ne peut être entérinée par l'OBFG. Elle ne rencontre pas les constats que pose la note ministérielle dans l'analyse de la jurisprudence de la Cour européenne.
— Article 57bis du CIC.
Cette disposition ne prévoit qu'un droit de « concertation » avec un avocat avant le premier interrogatoire.
Cette mesure ne répond pas aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Pour rappel, la France, qui mettait en pratique cette mesure lors de la garde à vue, a vu cette disposition critiquée par la décision du 30 juillet 2010 de son Conseil constitutionnel. Celui-ci imposait que le gouvernement initie des réformes législatives dans un délai d'un an, afin que la personne interrogée bénéficie de l'aide effective d'un avocat.
Quant au parquet général près la Cour de cassation française, il vient de recommander, le 7 octobre dernier, de déclarer les dispositions actuelles régissant la présence de l'avocat lors de la garde à vue non-conformes aux règles européennes, y compris pour les régimes dérogatoires. La Cour de cassation prononcera son arrêt le 19 octobre prochain.
— Article 2bis de la loi relative à la détention préventive
À nouveau, ce texte ne prévoit qu'une concertation préalable au premier interrogatoire par la police où à défaut par le procureur du Roi ou par le juge d'instruction sans présence à l'audition, ce qui est en contradiction flagrante avec la jurisprudence de la CEDH.
En outre, il est prévu des délais d'attente (2h00) et de consultation (30 minutes) sur lesquels aucune concertation avec le barreau n'a été envisagée, notamment quand à la faisabilité.
Il n'est pas non plus prévu que l'avocat puisse avoir accès aux pièces du dossier.
Le paragraphe 4 introduit un régime dérogatoire que le Parquet général à la Cour de cassation française vient de condamner.
Le paragraphe 5 de cet article 2bis prévoit la possibilité pour le juge d'instruction, sur réquisition du parquet, de renouveler pour 24 heures le délai de garde à vue.
L'OBFG est défavorable à l'extension du délai de 24 heures. Il y est question de la liberté d'une personne, principe essentiel d'un état démocratique qui doit s'apprécier en proportionnalité avec les causes des restrictions qu'on veut lui imposer.
Il estime que quel que soit le délai, les dernières heures de celui-ci sont propices à l'exécution des devoirs que la délivrance d'un mandat requiert. Prévoir une possibilité de prorogation risquera donc de reporter l'accomplissement de ces devoirs jusqu'au terme ultime du mandat renouvelé. Les devoirs exécutés la 23e heure risquent de l'être la 47e.
De surcroît, la motivation de l'extension de ce délai ne saurait trouver son fondement dan l'intervention de l'avocat lors de l'audition, celle-ci devant de toute façon avoir lieu.
On constatera, d'ailleurs, que cette prolongation est également prévue dans l'hypothèse où la personne ne pourrait être entendue dans le délai de 24 heures sans que cela ne soit imputable à la nécessité de la concertation avec l'avocat.
Le texte proposé étend en outre à d'autres hypothèses que celles inhérentes à la présence de l'avocat la possibilité d'étendre le délai de 24 heurs, ce qui est inadmissible.
— Modification de l'article 28septies du CIC permet le renouvellement du délai de 24 heures
On se référera à ce qui a été dit ci-dessus puisqu'il s'agit d'étendre la saisine du juge d'instruction dans le cadre de la « petite instruction » à l'extension pour 24 heures, du délai de garde à vue.
Conclusions
L'OBFG sollicite des instances parlementaires:
— Qu'elles refusent l'adoption d'une législation provisoire qui ne transpose pas en droit interne toutes les exigences de la jurisprudence de la CEDH.
— Qu'au contraire, dès à présent, elles prévoient la présence de l'avocat aux auditions tant auprès des autorités de police que du parquet et du juge d'instruction.
— Que cette présence s'accompagne des garanties nécessaires à l'exercice des droits de la défense: consultation du client avant les auditions; consultation du dossier.
— Que cette modification intervienne dans l'urgence, pour mettre fin à la situation chaotique et inéquitable que l'on connaît actuellement.
— Que, concomitamment à cette réforme, les moyens financiers indispensables à assurer la présence des avocats intervenants dans le cadre de l'aide juridique soient mis à disposition, après analyse de ses implications.
B. Exposé de M. Stevens, président de l'Ordre des barreaux flamands (OVB)
M. Stevens renvoie au dossier qu'il a mis à la disposition des parlementaires, comprenant une série de documents, dont la note intitulée « Salduz of de syllabus errorum ». Ce « syllabus errorum » se penche sur des extraits d'arrêts et épingle un certain nombre de malentendus propagés dans les décisions rendues par les cours et tribunaux. En effet, pas moins de 66 arrêts ont été rendus depuis l'affaire Salduz. Ces arrêts ne constituent pas une quantité négligeable mais, au contraire, une jurisprudence constante. Nous constatons que la Cour européenne des droits de l'homme se réfère régulièrement à ses précédents arrêts et qu'elle recourt aux mêmes formules que celles utilisées précédemment pour souligner que cette jurisprudence est bien établie et ne sera pas remise en cause. À la lecture des arrêts en question, on peut difficilement prétendre qu'il subsiste un quelconque problème ou une quelconque incertitude quant à leur signification. En outre, ces arrêts ont le plus souvent été rendus à l'unanimité. De plus, ils ne sont pas tombés du ciel, comme en témoignent la décision-cadre du Conseil de l'Europe relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales ou le Comite européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui s'est déjà rendu plusieurs fois en Belgique pour attirer l'attention sur cette problématique, sans oublier la jurisprudence des tribunaux internationaux, tel que celui pour l'ex-Yougoslavie, qui posent les mêmes exigences que la Cour des droits de l'homme et auxquels celle-ci se réfère d'ailleurs.
Lorsque nous nous apercevons que rien n'a été fait près de deux ans après l'arrêt Salduz, nous ne pouvons que constater que les autorités ont manqué à leur devoir, étant donné que nous n'avons d'autre choix que d'appliquer cette jurisprudence.
L'Ordre des barreaux flamands a déjà fait connaître son point de vue à plusieurs reprises. Il l'a d'ailleurs fait immédiatement après l'arrêt Salduz, en janvier 2009 pour la première fois, et n'a, jusqu'à présent, pas eu à modifier sa position d'un iota. Autrement dit, les 66 arrêts qui ont suivi ont confirmé ce que nous avions déjà lu dans les deux premiers arrêts. Des articles ont aussi été régulièrement publiés pour relayer le point de vue de l'Ordre et des avocats flamands. Il existe toutefois un monde de différence entre la jurisprudence et la doctrine. En effet, quelle que soit la doctrine examinée, on peut se faire une petite idée de la manière dont la doctrine se positionne vis-à-vis des arrêts concernés. L'intervenant fait également référence au dernier livre auquel l'Ordre a apporté sa collaboration: « De advocaat bij het verhoor. Een stand van zaken ». Un dessin humoristique figure sur la page de couverture. On y voit un policier demander à un prévenu, qui a tout l'air d'un criminel, s'il souhaite la présence d'un avocat au premier interrogatoire. L'homme lui répond que c'est un point qui n'a pas encore été tranché au sein du monde judiciaire. De fait, la question est toujours une pomme de discorde, mais l'intervenant espère que ce ne sera plus le cas longtemps.
Il estime que les tribunaux et les cours de ce pays ont mené jusqu'à présent une politique kamikaze et de court terme. Nous l'avons encore vu. En effet, on a rappelé l'arrêt Taxquet et la problématique des arrêts d'assises, qui, selon l'Europe, devaient être motivés. Dans un premier temps, la Cour de cassation s'y est opposée, mais elle a ensuite commencé à casser des arrêts. Nous avons constaté la même évolution avec l'arrêt Lecompte et avec les arrêts affirmant que des garanties devaient être accordées dans les affaires disciplinaires de ce genre.
Dans ces affaires également, on a pu observer une période de quatre ans pendant laquelle la Cour de cassation n'a pas voulu s'incliner devant la jurisprudence européenne. On avait par le passé déjà connu une situation identique avec l'arrêt Marckx rendu le 13 juin 1979 par la Cour européenne, qui condamnait la Belgique en matière de droits successoraux des enfants naturels. Il a fallu attendre le 29 novembre 1991 et une nouvelle condamnation dans le cadre de l'arrêt Vermeire pour que la Cour de cassation capitule et daigne reconnaître qu'elle devait se conformer à cette jurisprudence supranationale.
Une règle de la jurisprudence belge, en particulier celle de la Cour de cassation, prévoit pourtant que le juge national doit respecter sans discussion et sans délai les arrêts de la Cour européenne en Belgique et qu'il ne peut pas appliquer la loi belge qui y serait contraire. Il est donc étonnant de constater que l'on s'écarte maintenant de sa propre jurisprudence et de la jurisprudence de la CEDH pour décider de ne pas suivre celle-ci. Chacun fait comme bon lui semble, en attendant que le législateur résolve le problème.
Un certain nombre d'éléments ont été avancés dans un premier temps, avant d'être contredits par la jurisprudence de la CEDH. Un premier argument était que l'arrêt n'était pas pertinent car il visait les mineurs d'âge. Sur les 66 arrêts rendus, 5 concernaient des mineurs. Le deuxième argument était qu'il s'agissait d'un droit dérogatoire, pour la Turquie, Chypre, l'Ukraine, la Pologne, la Russie et la Croatie. Finalement, la Belgique a été virtuellement condamnée dans l'arrêt Bouglame rendu le 2 mars 2010, la Cour ayant estimé que le système belge était contraire aux droits de l'homme. L'ancrage d'un système dans la loi est suffisant pour que celui-ci soit à chaque fois déclaré contraire aux droits de l'homme.
On a ensuite prétendu que la jurisprudence concernée ne s'appliquait que pour des faits et condamnations graves. L'intervenant constate qu'une affaire au moins (Zaichenko contre la Russie) portait sur un vol de carburant. Un principe de proportionnalité trouve cependant à s'appliquer, lequel est l'inverse du principe de proportionnalité belge suivi dans le cadre de la théorie d'Antigone, en ce qui concerne la nullité et l'exclusion des preuves obtenues illégalement. L'intérêt de la poursuite pénale et l'intérêt de l'inculpé doivent être mis en balance, étant entendu que plus les faits sont graves, plus la balance penchera en faveur de la poursuite pénale. La CEDH suit un principe de proportionnalité inverse: plus les faits sont graves, plus la personne mise en cause doit bénéficier de garanties quant à l'exercice de ses droits de la défense. Compte tenu de ce principe de proportionnalité, l'Ordre des barreaux flamands a transmis le 30 août 2010 au ministre de la Justice et aux chefs de corps une note plaidant pour l'instauration d'un système de catégorisation des infractions. Le droit à l'assistance, l'obligation d'information et l'éventuelle renonciation à des droits s'exercent différemment suivant l'infraction commise. Cela est expliqué dans le synopsis Salduz très détaillé que l'Ordre des barreaux flamands a également remis au ministre et aux chefs de corps le 30 août.
Une autre remarque qui a été formulée était que le droit à la consultation d'un avocat et à l'assistance d'un avocat pendant l'audition n'était pas absolu et pouvait faire l'objet de restrictions nationales. Cela est exact et ressort expressément des 66 arrêts rendus dans le sillage de l'affaire Salduz. Jusqu'à présent, on n'a cependant encore jamais dérogé aux garanties. On pense que cela pourrait être le cas par exemple en cas de terrorisme ou de menace physique.
Nous en arrivons à la problématique de l'accès/assistance ou de l'assistance à la consultation/assistance à l'audition. Il serait actuellement question d'une première étape à titre provisoire et de voir par la suite ce qu'il y aura lieu de faire. On va, dans un premier temps, accorder au suspect une sorte de discussion préalable d'une demi-heure — ce qui est très peu pour des affaires importantes, sans compter qu'on ne sait pas encore si le dossier pourra être consulté lors de cette discussion — et puis, par le biais d'une nouvelle loi éventuellement, on décidera que l'inculpé pourra être assisté d'un avocat lors de l'audition.
L'intervenant a inclus dans sa note plusieurs textes relatifs à la problématique de l'assistance lors de la consultation et de l'assistance lors de l'audition. S'agit-il d'une entrevue préalable ou d'une assistance pendant l'audition même ? De nombreux arrêts précisent expressément ce qui suit:
« did not have access to a lawyer during his interrogation by the police and the public prosecutor », « the absence of a lawyer during his police interrogation », « il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque les déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans l'assistance d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation », « il n'a pas été assisté par un avocat lorsqu'il a effectué ses déclarations ni lorsque les actes d'enquête ont été effectués », « that his testimony has been given in the absence of a lawyer »
Il suffit de lire les 66 arrêts pour savoir de quoi il s'agit; pas besoin de continuer à philosopher là-dessus.
Lorsque l'on parle de l'assistance d'un avocat, il ne s'agit pas d'une assistance dans une petite pièce séparée avec vue sur le local d'audition, mais bien d'une assistance par un avocat qui joue réellement son rôle d'avocat. Tel est ce qui ressort clairement de l'arrêt Demirkaya qui énumère les services que l'avocat peut fournir à son client. Un avocat n'est pas présent comme témoin ou pour veiller à ce que son client ne soit pas maltraité; il est présent pour assister son client.
Le 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel français a jugé anticonstitutionnel le fait que la loi française autorise, d'une part, qu'une garde à vue soit prolongée de 24 heures « sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité » mais ne permet pas, d'autre part, « à la personne ainsi interrogée, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ».
C'est donc clairement l'assistance pendant l'audition qui est visée. De plus, on a déposé très récemment en France un projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue, qui prévoit à la fois une assistance consultative et une assistance au cours de l'audition. L'article 73-19 du projet de loi en question énonce que « la personne gardée à vue peut demander que l'avocat assiste aux auditions dont elle fait l'objet au cours de la mesure dès le début de celle-ci ». Le gouvernement français a choisi d'appliquer intégralement la doctrine Salduz telle qu'elle ressort des différents arrêts. Plutôt que de proposer un expédient, il a demandé l'application complète. En revanche, la Belgique pense toujours qu'elle peut encore attendre un peu ou qu'elle peut faire une petite avancée aujourd'hui et repousser l'application complète à plus tard.
Dans des circonstances similaires, la France a choisi de donner pleinement suite aux enseignements de l'arrêt Salduz.
Si la Belgique n'a pas été condamnée dans l'affaire Bouglame, c'est pour la seule et unique raison que la CEDH a constaté que l'intéressé avait finalement été acquitté en appel. Cet arrêt de la Cour condamne néanmoins explicitement le système belge en ce qu'il n'autorise pas l'assistance d'un conseil. Tant que la législation belge n'aura pas été modifiée, notre pays continuera à se faire condamer à chaque fois. Bon nombre d'arrêts soulignent qu'il ne suffit pas que le suspect puisse consulter un conseil à un stade ultérieur et que des garanties suffisantes soient prévues dans la suite de la procédure. Le problème se situe au début de la procédure, lorsque l'intéressé vient d'être arrêté. C'est à ce niveau qu'il convient de légiférer.
D'aucuns pensent aussi que la jurisprudence ne trouve à s'appliquer que lorsque le droit national prévoit que les aveux ont une influence déterminante et ne peuvent pas être retirés. La jurisprudence démontre à suffisance que ce n'est pas non plus la question.
L'on affirme aussi parfois que la doctrine est applicable uniquement lorsque le suspect fait des aveux. Des arrêts déjà rendus insistent sur le fait que la réglementation doit aussi s'appliquer en l'absence d'aveux. L'absence d'aveux ne change rien au fait qu'il faut permettre l'assistance préalable d'un avocat. Si cette assistance n'a pas été possible, il faut en conclure que les droits de l'homme n'ont pas été respectés, ce qui conduit à la condamnation de l'État concerné.
Certains déclarent encore que la jurisprudence soulève de nombreuses questions qui restent sans réponse. Le doute n'est pratiquement plus permis à ce sujet depuis la quasi-condamnation de la Belgique dans l'affaire Bouglame.
L'organisation inadaptée du barreau est même citée comme l'une des causes du problème. Cela fait déjà deux ans que l'Ordre des barreaux flamands insiste pour que l'on adopte des règles en la matière. Le procureur général d'Anvers a déjà indiqué qu'à défaut d'une réglementation en la matière, la Belgique ne faisait qu'accumuler des enquêtes dans lesquelles on trouvera un vice de procédure par la suite. Il s'agit en l'occurrence d'un vice très grave: une violation des droits de l'homme.
Dans l'arrêt dit « Antigone », la Cour de cassation a souligné qu'une violation des droits de l'homme constituait un vice irrémédiable, même si l'on a assoupli la sanction infligée lorsque des preuves sont recueillies de manière irrégulière. Des violations des droits de l'homme sont systématiquement observées dans le système actuel. C'est le système dans son ensemble qui se délite; plus longtemps on le conservera, plus il y aura de dossiers entachés d'un vice. Le gouvernement français s'est engagé à modifier la législation avant l'été de l'année prochaine. Si la Belgique reste à la traîne, elle sera isolée et l'on aura sur les bras un tas de dossiers à l'issue incertaine.
L'intervenant demande expressément au Parlement de rédiger une loi conforme aux principes énoncés dans les différents arrêts. Les parlementaires sont invités à analyser les motivations du gouvernement et du parlement français. La France a un poids important à la CEDH (les grands pays ont plus de poids), et la Belgique pourra donc difficilement rester sur la touche. Ce n'est pas la Cour de cassation belge, mais la CEDH qui décidera en fin de compte si la réglementation belge répond aux exigences de l'arrêt Salduz.
Nous pouvons certes retarder quelque peu la réforme, mais cela ne fera qu'augmenter le nombre de dossiers entachés d'un vice qualifié d'« irrémédiable » par la Cour de cassation. Cela revient à dire que l'on constituera des dossiers en violation des droits de l'homme. Il ne fait dès lors aucun doute que la loi sera contestée devant la Cour constitutionnelle. Cette dernière suit en effet les interprétations de la Cour européenne des droits de l'homme; elle considère aussi que la CEDH et la Constitution belge forment un ensemble indissociable. Selon notre Cour constitutionnelle, la violation d'un droit fondamental revient ipso facto à une violation du principe d'égalité, comme le montre l'arrêt du 22 juillet 2004 de la Cour.
Il est du reste déjà arrivé que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie de dossiers sur lesquels la Cour de cassation avait statué. De plus en plus d'intéressés iront contester la jurisprudence devant le Cour européenne de Strasbourg. C'est la raison pour laquelle il faut trouver une solution de toute urgence, mais la version minimaliste proposée est loin d'être une solution satisfaisante.
C. Échange de vues
Le ministre voudrait savoir si une concertation est menée au niveau européen entre les différents barreaux et ordres, en vue d'analyser comment fonctionnent la France, les Pays-Bas et l'Allemagne dans ce domaine, et surtout aussi compte tenu du fait qu'une méthode est développée actuellement dans le cadre des droits du citoyen dans le but de prendre également une initiative européenne à très court terme. La Commission européenne formulera peut-être une proposition relative à cette problématique. La Commission n'a pas encore pris de position à cet égard, mais il est important qu'elle prévoie de le faire. L'intervenant a demandé d'accélérer tout le processus de manière à éviter autant que possible les querelles entre les différents pays.
M. Stevens répond que l'OVB s'entretient régulièrement avec l'Ordre néerlandais des avocats et l'Ordre français, et il suppose que l'OBFG fait de même. L'OVB se concerte aussi avec The Law Society en Angleterre. Dans ce cadre, tout le monde se base sur son propre fonctionnement et ses acquis. En France, par exemple, il existe une sorte de mini-système. En Angleterre, le système s'inscrit dans la procédure normale. Les Pays-Bas appliquent, eux aussi, un mini-système étendu, dont s'est inspiré l'OVB pour élaborer sa feuille de route qui a été distribuée le 30 août. En d'autres termes, il y a bien une concertation, mais les avis sont très différents quant à la mise en uvre concrète du système.
M. Vanlouwe renvoie aux discussions qui sont manifestement menées actuellement avec le ministre à propos des rémunérations qui seront accordées. Si l'intervenant a bien compris, de nombreuses personnes seront engagées dans le cadre de l'aide de deuxième ligne. Nombreux sont cependant les avocats à redouter une diminution de la valeur des points. Ils craignent d'être moins bien rémunérés pour d'autres prestations. La permanence pour l'audition des détenus nécessite en effet un grand volume d'assistance. A-t-on déjà fait une estimation du budget nécessaire à cet effet sur la base des chiffres des deux dernières années ?
Mme Faes a encore une question à poser sur l'assistance qui est fournie actuellement. Elle a compris que des permanences étaient déjà organisées à titre expérimental et elle a également pris connaissance de l'initiative de l'Ordre des avocats d'Anvers. Cette initiative consiste à rechercher des avocats disposés à organiser cette permanence en pratique. En attendant une règle de financement définitive, l'avocat qui a fourni l'assistance en question lors de l'audition du suspect est désigné comme conseil pour la suite de l'affaire dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. L'intervenante suppose que l'avocat qui a fourni l'assistance lors des premières auditions est parfois remplacé par un avocat rémunéré pour la suite de la procédure; de ce fait, il court le risque de ne pas percevoir de rémunération. Elle souhaiterait avoir des précisions sur une solution éventuelle à ce problème.
Mme Defraigne note que les barreaux ont clairement pris position en faveur de l'accès au dossier. Les juges d'instruction sont parfois, pour les nécessités de l'enquête, réticents vis-à-vis de l'accès au dossier, d'une part, pour ne pas ruiner l'enquête et, d'autre part, parce qu'il leur arrive de ne pas délivrer des mandats d'arrêt pour permettre à l'enquête de se poursuivre. Pensez-vous qu'une solution de compromis pourrait être trouvée ?
Avez-vous connaissance d'actions en responsabilité qui seraient intentées contre l'État belge ou contre d'autres États qui n'auraient pas mis en exécution la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ? On peut imaginer le cas de figure dans lequel les parties civiles verraient les procédures mises à néant et où leurs droits s'effaceraient ipso facto.
L'intervenante s'associe aussi aux questions posées concernant les indemnités à prévoir et l'enveloppe de l'aide juridique de première ligne. Lors de son exposé, M. Chevalier a souligné que le zèle des avocats qui assument les permanences de manière bénévole allait diminuer et que ce n'était évidemment pas une solution tenable à terme.
Mme Defraigne demande au ministre s'il est, d'une part, possible de donner une estimation de l'enveloppe à prévoir pour augmenter l'aide juridique et, d'autre part, si c'est réalisable sur le plan budgétaire ?
Elle s'interroge ensuite sur l'organisation pratique de ces permanences. Les juges d'instruction ont précisé qu'une dizaine de personnes pouvaient être entendues, arrêtées administrativement dans le cadre d'un même dossier. Une telle situation entraîne évidemment certaines difficultés, les intérêts des différents suspects peuvent être contradictoires et les intéressés peuvent par exemple s'accuser mutuellement. Sera-t-il nécessaire de prévoir la présence de dix avocats dans une même affaire ? N'y aura-t-il pas dans ce cas un problème en termes de nombre ?
Par ailleurs, une fois que l'assistance a été donnée lors des interrogatoires, la personne arrêtée peut souhaiter éventuellement faire appel à un autre avocat. Que fait-on en pareil cas ? Peut-on adopter un système selon lequel un avocat payant succéderait à un avocat dit pro deo ? Ce serait peut-être beaucoup plus systématique que dans le cadre du pro deo traditionnel.
M. Chevalier répond qu'en ce qui concerne la première question, il n'a pas connaissance d'actions en responsabilité. Il est encore beaucoup trop tôt, mais cela peut évidemment se concevoir. Il cite l'hypothèse d'une partie civile qui serait confiante dans l'organisation pénale de son procès et n'assignerait pas au civil dans les cinq années, soit le délai de prescription ordinaire, alors que le procès pénal durerait plus de cinq ans. Après un délai de sept ans, par exemple, un arrêt pourrait intervenir en degré d'appel qui annulerait des procès-verbaux, des poursuites et acquitterait le prévenu. La partie civile, qui aurait ainsi dépassé le délai pour agir au civil, pourrait envisager d'agir contre l'État belge car il n'a pas transposé dans son droit interne les exigences de la Cour européenne.
La deuxième question concerne l'accès au dossier: il semble inconcevable, pour un avocat, de défendre quelqu'un sans savoir pourquoi il est poursuivi et quels sont les éléments qui ont déjà été recueillis à sa charge. Il est donc nécessaire d'organiser une forme d'information et une forme d'accès au dossier qui permettent à l'avocat de ne pas être, un « pot de fleurs ». L'orateur reconnaît que cela ne sera pas facile à organiser mais cela doit faire l'objet de discussions.
Cela peut poser problème — ce fut évoqué dans la commission pénale de l'OBFG —, par exemple, pour les très gros dossiers financiers ou économiques pour lesquels des mandats d'arrêt peuvent être lancés bien après l'ouverture de l'instruction.
Il faut y réfléchir, en discuter et trouver des possibilités pour l'avocat d'être informé de la même façon que son interlocuteur. Sinon, il n'y a pas de défense possible. C'est un aspect qui pourrait faire l'objet de critiques par la Cour européenne.
La troisième question concernait l'organisation pratique. Dans sa circulaire du 4 mai dernier, le Collège des procureurs généraux estimait que les barreaux n'étaient pas prêts à organiser la présence de l'avocat. Les barreaux de l'OBFG ont démontré le contraire.
Il faut savoir que le barreau de Bruxelles est prêt alors que le parquet, lui, ne l'est pas. Ce barreau a prévu soixante avocats par semaine, soit 240 avocats par mois, qui assurent des permanences sur une base volontaire. Cette implication dépasse le cadre des avocats de l'aide juridique en droit pénal.
La quatrième question concerne le changement d'avocat. Tout d'abord, la commission Droit pénal de l'OBFG, suivie par son assemblée générale, est favorable au droit de suite. L'avocat qui sera désigné, parce qu'il est de permanence « Salduz », pour assister aux premières auditions, pourra bénéficier d'un droit de suite et continuer à suivre son client dans les autres phases de l'information, de l'instruction voire du procès au fond. Cette décision a dû être prise car elle n'était pas totalement conforme à l'ensemble des pratiques en vigueur au barreau.
Si une succession a lieu par la suite, elle correspondra à la liberté du client de choisir son avocat.
À la question du coût de l'aide juridique, l'intervenant répond que l'OBFG a reçu du cabinet du ministre les statistiques établies par le parquet général d'Anvers. Il est difficile d'extrapoler à partir de ces statistiques afin de savoir ce qui va se passer dans les arrondissements francophones en ce compris l'arrondissement francophone de Bruxelles.
Actuellement, nous sommes relativement dans le flou. Ce qui est vrai, c'est que cela va demander beaucoup de prestations. À Bruxelles, il faudra 240 avocats de permanence sur un mois pour répondre aux exigences de l'arrêt Salduz ! Donner des statistiques aujourd'hui est totalement impossible. Le ministre a suggéré que l'on revoie la nomenclature des points et la répartition. Nous sommes effectivement partis dans de très grands chantiers. Le barreau est prêt à participer à ces travaux. Le barreau a montré depuis le début du mois d'août qu'il était prêt à toute réflexion, à toute action proactive dans ce dossier mais il est trop tôt pour donner des chiffres.
À la question relative aux budgets, M. Stevens répond qu'il craint une diminution de la valeur des points dans le cadre du système d'aide juridique en vigueur. Comme l'intervenant précédent l'a déjà dit, il règne une certaine confusion dans ce domaine parce que la Justice ne dispose pas non plus de chiffres précis. Les premiers chiffres viennent d'Anvers, mais on ne dispose d'aucun chiffre pour l'ensemble du pays. On ne sait donc pas encore avec précision ce vers quoi l'on se dirige. Il va sans dire que cela dépendra aussi du travail législatif.
Ce qui est certain, c'est que les barreaux veilleront à consigner leurs données dans un « registre » centralisé de manière à pouvoir suivre l'évolution de la situation. On fera aussi en sorte que la valeur des points ne diminue pas. À cet égard, l'intervenant se dit quelque peu conforté dans son opinion par le point de vue adopté par la Bundesverfassungsgericht, qui devrait servir d'exemple à toutes les cours constitutionnelles européennes. Celle-ci a en effet décidé que le système de points instauré dans le cadre de l'aide juridique subventionnée par l'État ne pouvait subir aucune baisse soudaine parce que cela va à l'encontre de la liberté du travail des avocats et de la participation obligatoire ou partielle à ce système. Si un avocat est obligé de participer au système, on ne peut pas décider du jour au lendemain qu'il devra travailler pour la moitié ou le tiers du prix. C'est contraire aux droits constitutionnels des avocats, du moins en Allemagne. Il est rassurant de pouvoir faire se référer à ce précédent.
En ce qui concerne l'accès au dossier, les choses doivent être nuancées. Le projet du gouvernement français prévoit certaines exceptions à la communication immédiate du dossier. Peut-être pourrait-on s'en inspirer dans une certaine mesure.
En ce qui concerne la responsabilité de l'État, il est évident, selon l'intervenant, que l'État est responsable lorsque les droits de l'homme ne sont pas respectés, y compris lorsque c'est un juge qui ne respecte pas ces droits. C'est ce qui figure purement et simplement dans la jurisprudence de notre juridiction suprême. Le 19 décembre 1991 déjà, la Cour de cassation énonçait dans l'arrêt Anca que l'État belge est responsable lorsque les juges belges n'appliquent pas la Convention européenne des droits de l'homme conformément à l'interprétation que la Cour européenne des droits de l'homme confère à celle-ci.
Si un juge n'applique pas l'article 6, ce moyen peut servir à fonder une action en responsabilité contre l'État belge et celui-ci pourra être condamné au paiement de dommages-intérêts.
Actuellement, les permanences se mettent progressivement en place. À Bruxelles, la situation est quasiment sous contrôle. À Anvers, on recherche activement des volontaires afin d'assurer les permanences. L'intervenant est convaincu que l'on parviendra à atteindre l'objectif, du moins si le problème relatif à la rémunération est clarifié. Il n'est pas facile d'impliquer un grand nombre de personnes dans un système quand on n'est pas en mesure de leur dire quand elles seront rémunérées et à hauteur de quel montant. La juridiction suprême de même que les instances juridiques européennes ont estimé que les avocats sont des entrepreneurs et pas simplement des personnes impliquées comme volontaires dans toutes sortes de systèmes. Les avocats ont une activité économique. Il faut donc leur dire quelle sera leur rémunération, quand ils la percevront et à quelles conditions. Pour faire en sorte que les barreaux continuent à s'investir avec enthousiasme dans ce domaine, il faut définir un cadre au plus vite.
III.5. AUDITION DE M. SABBE, PRÉSIDENT DU CONSEIL DES PROCUREURS DU ROI
A. Exposé de M. Sabbe
M. Sabbe estime qu'une tâche particulièrement importante attend les parlementaires, une tâche qui aurait déjà pu être entreprise à partir de novembre 2008. Le Conseil des procureurs insiste auprès des parlementaires pour qu'une décision soit prise rapidement dans un sens ou dans l'autre. Nous ne pouvons plus ignorer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il existe un consensus sur le droit au silence, sur la communication aux suspects des faits qui leur sont imputés, ainsi que sur le droit à la consultation d'un avocat ou l'accès à un avocat. Les discussions ne portent plus que sur la manière dont ces aspects doivent être transposés dans la législation. Les approches minimaliste et maximaliste doivent être étudiées à l'aune des possibilités de mise en uvre sur le terrain.
La question est de savoir ce qui est réalisable aujourd'hui et dans quel délai. Les propositions des bâtonniers sont intéressantes, mais elles doivent être réalisables. Notre législation interne ne satisfait pas aux prescriptions de la CEDH, et il faut y remédier d'urgence. Il ne fait aucun doute que de nombreuses procédures seront engagées devant la CEDH. Tout suspect doit avoir accès à un avocat le plus tôt possible. Il faut néanmoins disposer de moyens pour financer une modification de la législation, et tout le monde sait que la Justice est en proie à des problèmes budgétaires.
L'intervenant peut dès lors tout à fait se rallier aux propos du ministre de la Justice qui affirme que l'arrêt Salduz et tous les autres arrêts qui l'ont suivi doivent être intégrés à notre législation, et ceci plutôt aujourd'hui que demain. Il est question ici du droit au silence, de la communication des faits imputés et du droit à la consultation d'un avocat. L'approche maximaliste suscitera encore bien des discussions, mais elle finira sans doute par être mise en uvre. L'intervenant craint toutefois que ce ne soit pas pour bientôt. Il faudra à cet effet étudier beaucoup plus en profondeur et en détail le contenu précis de l'arrêt Salduz, et voir dans quelle mesure nous devons le mettre en uvre.
En ce qui concerne les droits de la défense, les propositions du ministre de la Justice nous placent au niveau de la France et des Pays-Bas, des pays avec lesquels nous nous comparons généralement. C'est une bonne évolution, mais ce ne sera probablement pas suffisant. Il faudra encore aller plus loin, mais l'essentiel actuellement est de veiller à ne pas ouvrir d'enquêtes, quelle que soit leur importance, auxquelles on reprochera par la suite le fait que les droits de la défense n'ont pas été respectés.
Le Conseil des procureurs du Roi avait déjà signalé, le 6 mai 2009, au Collège des procureurs généraux et au ministre de la Justice que la jurisprudence de la CEDH, en tant que norme de droit international, primait le droit national et qu'il fallait examiner d'urgence si notre jurisprudence était conforme à celle de la CEDH.
Un an plus tard, le 4 mai 2010, le Collège des procureurs généraux a publié sa circulaire COL7 dans laquelle il tente de remédier aux problèmes les plus graves concernant les droits de la défense. À ce propos, il faut bien comprendre qu'il est impossible de satisfaire à la jurisprudence européenne en dérogeant à notre droit interne. Tant le Conseil des procureurs que le Collège des procureurs généraux soulignent qu'il est nécessaire à cet effet de prendre une initiative législative.
Certes, tout juge a le droit de vérifier qu'une enquête a été menée correctement et en toute régularité et de contrôler si le suspect a joui des droits reconnus à la défense, mais, dans ces mêmes matières, un service de police ou un juge d'instruction ne peut ou ne doit pas déroger au droit national. Ce principe garantit le secret de l'instruction et détermine aussi les cas spécifiques dans lesquels on peut y déroger. Le juge d'instruction et les services de police ne peuvent jamais déroger d'office de leur propre initiative, au droit national. Une initiative législative s'avère absolument nécessaire au vu de toutes les raisons précitées.
La circulaire COL7, publiée le 4 mai 2010, a pour but de régler une série de problèmes sans toutefois déroger aux principes de notre législation nationale. Elle prévoit qu'un droit au silence puisse être notifié, que la recherche d'indices fasse l'objet d'une attention plus poussée, que l'on procède à l'enregistrement des auditions de manière à pouvoir réfuter l'exercice de pressions ou de contraintes illicites, et que le mandat d'arrêt tienne compte le moins possible des déclarations faites sans qu'il n'y ait eu consultation préalable d'un avocat.
On s'est indéniablement rendu compte que la circulaire COL7 n'allait pas assez loin par rapport à la portée de l'arrêt Salduz. En effet, la législation nationale et la jurisprudence de la CEDH sont en contradiction. C'est la raison pour laquelle des initiatives ont malheureusement été prises dans plusieurs domaines par différents acteurs de la Justice. Comme l'a déjà précisé le bâtonnier du barreau francophone, les initiatives qui sont prises généralement par le juge d'instruction en concertation avec les barreaux, n'ont pas toutes la même portée.
Les juges d'instruction wallons appliquent trois systèmes: certains juges d'instruction demandent aux services de police d'organiser une concertation préalablement au premier interrogatoire de police; d'autres autorisent une concertation entre le suspect et l'avocat avant l'audition par le juge d'instruction; d'autres encore acceptent qu'une assistance soit fournie au cours de l'audition par le juge d'instruction. Si la Cour de cassation était amenée à se prononcer dans l'une ou l'autre affaire, elle devrait constater une violation d'un principe de base de notre législation, à savoir le secret de l'instruction. L'intervenant insiste donc à nouveau pour que l'on prenne une initiative législative de toute urgence, afin de tenir compte autant que possible de la jurisprudence de la CEDH.
Le Collège des procureurs souscrit en grande partie au contenu du projet de loi actuel. Le droit au silence, la notification des faits imputés, ainsi que la concertation avec l'avocat préalablement au premier interrogatoire de police ne donneront guère lieu à contestation. Il convient toutefois de préciser à cet égard que la concertation avec un avocat entraînera indubitablement des problèmes de mise en uvre sur le terrain, en particulier si le suspect a été privé de sa liberté.
Jusqu'à présent, personne ne peut être privé de liberté plus longtemps que 24 heures sans qu'une ordonnance judiciaire ne soit délivrée et signifiée au suspect dans le délai de 24 heures. L'intervenant donne un exemple simple qui vaut pour la plupart des dossiers. Une personne commet un vol dans une voiture et est surprise en flagrant délit par un témoin qui avertit la police. La police arrive sur place et parvient à arrêter et à interpeller la personne qui a entre-temps pris la fuite à pied. C'est un exemple issu de la pratique quotidienne. Supposons que cela se passe à 3 heures du matin. À partir de cet instant (3 heures du matin donc), le juge d'instruction dispose de 24 heures pour décider en définitive si la personne doit être ou non privée de sa liberté dans le cadre de la législation sur la détention préventive.
Même dans un dossier aussi simple, tout doit se passer en 24 heures. Le suspect est privé de sa liberté. La garde à vue doit être confirmée par le procureur du Roi, et il en est dressé un procès-verbal. Le laboratoire doit se rendre sur place pour rechercher des indices sur le véhicule volé, ce qui n'est possible que si le véhicule est sec. En hiver, le véhicule devra donc d'abord être remorqué pour être mis à l'abri.
De plus, les témoins doivent être entendus et leur audition doit être consignée dans un procès-verbal. Il faut aussi procéder à une enquête de voisinage, à la recherche d'autres témoins, à une confrontation entre les témoins et les suspects, à l'identification et à l'audition de la personne lésée, et éventuellement à une perquisition de la résidence du suspect, moyennant autorisation. Tous ces actes font l'objet d'un procès-verbal transmis au procureur du Roi, lequel doit prendre connaissance du dossier, saisir le juge d'instruction et lui transmettre le dossier; le but étant de permettre au juge d'instruction de procéder éventuellement à une arrestation.
Ensuite, le juge d'instruction doit à nouveau prendre connaissance du dossier avant de pouvoir procéder enfin à l'audition du suspect et d'ordonner éventuellement son arrestation, ceci en délivrant un mandat d'arrêt motivé qui doit être signifié dans les 24 heures. Cela signifie qu'un dossier simple nécessite en fait énormément d'actes d'instruction qui doivent, de surcroît, tous être posés dans les 24 heures.
Dans le cas d'un dossier beaucoup plus complexe où il y a par exemple quatre, cinq ou six suspects dans la même affaire, ce qui est généralement le cas dans le domaine du crime organisé, le délai de 24 heures est le même que s'il n'y avait qu'un seul suspect. Il faut donc poser les mêmes actes d'instruction quatre, cinq ou six fois pendant les 24 heures. En outre, le juge d'instruction doit avoir la possibilité d'entendre les quatre, cinq ou six suspects avant l'expiration du délai de 24 heures.
Le Conseil des procureurs juge dès lors que dans certains cas, qui hélas correspondent généralement aux affaires les plus graves et les plus complexes, le juge d'instruction ne sera pas toujours en mesure de respecter les règles inscrites dans la Constitution, à savoir procéder à l'audition des suspects dans les 24 heures, surtout s'il faut encore prévoir une concertation avec l'avocat.
La concertation en question nécessite une certaine organisation de la part des services de police concernés, qui doivent veiller à ce que les avocats puissent être présents à temps. Si des intérêts contraires sont en jeu, ce qui est très souvent le cas lorsqu'il y a plusieurs suspects, il faut convoquer plusieurs avocats.
Si les suspects parlent une langue étrangère, il faut alors faire appel à des interprètes, ce qui n'est pas souvent évident; il n'est en effet pas toujours facile de trouver en Belgique des interprètes pour le lituanien ou le finnois par exemple. Voilà pourquoi la mise à disposition des interprètes, tant pour les avocats que pour les services de police et les juges d'instruction, rendra assurément le délai de 24 heures difficile à respecter dans un dossier concernant de nombreux suspects.
C'est la raison pour laquelle le Conseil des procureurs a déjà proposé, dans un avis du 6 mai 2009, de souscrire explicitement au principe du délai de 24 heures, qui sera suffisant dans 95 à 99 % des cas, tout en envisageant dans certains cas de prévoir un filet de sécurité pour la mise en uvre des dispositions légales existantes. Dans certains cas, il sera impossible de poser tous les actes d'instruction endéans 24 heures.
L'intervenant cite un exemple qui lui a été donné par son collègue Johan Delmulle: dans une certaine affaire, il a fallu procéder à 25 perquisitions et interpeller 17 personnes qui ont toutes été privées de leur liberté. Dans les 24 heures, le juge d'instruction a dû décider si ces personnes devaient ou non être déférées devant lui. Dans cet exemple concret, il s'agissait de personnes parlant une langue étrangère, et il était très difficile de trouver des interprètes. Tous les suspects ont dû être entendus par l'intermédiaire d'un ou de deux interprètes par les services de police et ensuite par le juge d'instruction.
Les règles peuvent donner lieu à d'innombrables complications dans certains dossiers. Voilà pourquoi l'intervenant insiste pour que l'on développe une méthode prévoyant, moyennant l'intervention du juge d'instruction la possibilité d'autoriser, dans le cadre de la mini-instruction, un seul renouvellement du délai de 24 heures de manière justifiée et dans des circonstances particulières propres à la nature ou à la personne du suspect, en vue de permettre la concertation avec l'avocat et l'audition du suspect.
Pourquoi parler de mini-instruction ? Il est important que le dossier reste au parquet dans le cadre des différentes enquêtes. Il faut que cela reste une information. Dans les rares cas où l'on autoriserait un délai de 48 heures, une enquête approfondie devrait pouvoir être menée de manière à ce que le parquet puisse juger s'il est nécessaire de procéder à une instruction judiciaire, c'est-à-dire une enquête menée par le juge d'instruction. Dans de nombreux cas, l'enquête pourra être achevée dans le délai de 48 heures. On pourra encore envisager ensuite de procéder éventuellement à une instruction judiciaire.
Si l'on permettait systématiquement au juge d'instruction de se saisir de l'enquête, l'on aurait affaire à une autre procédure, à savoir la procédure de l'instruction judiciaire qui est soumise à une série de conditions. En ce qui concerne la procédure, l'affaire devrait alors être réglée par la chambre du conseil, avec la possibilité d'un recours devant la chambre des mises en accusation. C'est une procédure beaucoup plus lourde que l'information.
Une information permet en outre au procureur du Roi de décider que le suspect peut disposer dans les 48 heures, voire dans les 24 heures dans la plupart des cas, et d'autoriser le recours à des mesures alternatives. La procédure accélérée est de plus en plus utilisée. À Gand, elle a été appliquée environ deux cents fois depuis le début de l'année.
Le Conseil des procureurs du Roi estime qu'une initiative parlementaire doit être prise le plus vite possible et souscrit en grande partie à la proposition déposée.
B. Échange de vues
M. Delpérée souhaite faire une observation générale. Les différents intervenants ont évoqué un ensemble de décisions de justice: celles de la Cour européenne des droits de l'homme, du Bundesverfassungsgericht, de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel, et de la Cour constitutionnelle, etc.
Ne faudrait-il pas, pour faire avancer la discussion, sérier un peu mieux les arguments que l'on tire de ces différentes décisions ?
Ainsi par exemple, on a cité la décision 14/22 du 30 juillet 2010 du Conseil constitutionnel français; décision rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, sur la base de la nouvelle procédure en vigueur devant le Conseil constitutionnel. Cependant, dans cette décision, on ne cite nulle part la Cour européenne des droits de l'homme, ni l'arrêt Salduz, ni les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, et pour cause, puisque le Conseil constitutionnel se borne à vérifier si les dispositions d'une loi sont conformes aux dispositions de la Constitution française.
M. Delpérée trouve dès lors inopérant d'utiliser cette décision dans le cadre de la présente discussion.
Un second exemple: dans l'arrêt Bouglame du 2 mars 2010 de la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour déclare la requête et le recours irrecevables.
On y trouve des considérants, des obiter dicta, dont on peut essayer de tirer des enseignements mais si on se contente de commenter ou d'interpréter, cette décision n'aura pas la même portée que, par exemple, l'arrêt Salduz.
Enfin, un troisième exemple: au cours de son intervention, M. Sabbe a évoqué les nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que des arrêts de nos juridictions internes. Le Conseil des procureurs du Roi a pourtant eu raison de rappeler qu'un arrêt de la Cour de Strasbourg ne modifie pas automatiquement le droit belge. Ce n'est qu'en modifiant notre législation que nous pourrons respecter la jurisprudence, et c'est la raison de notre présence ici.
Certains intervenants ont tellement bien plaidé l'affaire Salduz aujourd'hui qu'on a l'impression qu'il n'est plus nécessaire de légiférer et que cet arrêt serait en quelque sorte d'application immédiate en droit belge. Le Conseil des procureurs du Roi a eu la sagesse de nous rappeler qu'il était nécessaire de légiférer d'urgence dans le sens de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme.
Mme Faes estime avoir surtout entendu un plaidoyer pour une prolongation du délai de 24 heures. Elle ne se prononcera pas sur l'opportunité de le faire ou non, mais elle ne peut se défaire de l'impression que l'on se sert de l'arrêt Salduz pour plaider en faveur de cette prolongation.
En tant qu'avocate, elle se rend parfaitement compte que de nombreux actes d'instruction doivent être posés durant ces 24 heures, en particulier dans le cadre des dossiers très graves impliquant un grand nombre d'inculpés. L'intervenante pense néanmoins que l'organisation de l'assistance d'un avocat, qui constitue le véritable objet de l'arrêt Salduz, peut se faire en même temps que les actes d'instruction. Le délai de 24 heures ne sera pas réduit davantage parce qu'un avocat doit être présent lors des auditions. L'intervenante a également l'impression que l'assistance d'un avocat est utilisée comme argument pour justifier la prolongation de ce délai. Or l'accomplissement d'actes d'instruction et l'assistance d'un avocat peuvent parfaitement se faire simultanément.
M. Mahoux souhaite souligner une forme de confusion des arguments. C'est comme si l'arrêt de la Cour européenne n'était que subsidiaire face aux arguments avancés depuis très longtemps, notamment par le parquet. Or, ces derniers n'ont rencontré l'assentiment ni du législateur ni du parquet général ni des juges d'instruction ni de la magistrature assise ni de l'ensemble des représentants de la défense. Nous avons donc déjà entendu les arguments présentés par M. Sabbe. De plus, ils n'ont pas de véritable rapport avec l'obligation qui nous est imposée par la Cour européenne. Pourquoi l'urgence est-elle plus grande aujourd'hui ? J'ai entendu que l'arrêt Salduz ajoute un élément supplémentaire au bien-fondé de la revendication historique en faveur de la prolongation de la garde à vue. Quelle est donc la spécificité de cet arrêt ?
Une traduction en droit belge est nécessaire. C'est un peu la même situation que lorsqu'il faut appliquer une directive européenne.
L'orateur constate par ailleurs, que sur ce sujet, l'opposition est totale entre le parquet, la défense et les juges d'instruction. Même en affaires courantes, le ministre tente de trouver une solution provisoire. L'intervenant se demande pourquoi répondre dans l'urgence, de manière très partielle et insuffisante à ce que nous impose peu ou prou l'arrêt de la Cour européenne. On peut prendre le temps d'y répondre. L'opposition qui se manifeste dans le monde judiciaire face aux adaptations nécessaires de notre législation existe aussi dans le monde politique.
Le rôle du législateur est de trouver un texte qui permette d'avancer et qui ne se heurte pas à l'opposition catégorique et définitive d'une partie de ceux qui vont être chargés de l'appliquer. Cela signifie aussi qu'à suivre le point de vue du ministre, on adopterait une solution partielle allant dans le sens du parquet mais non dans celui des barreaux et des représentants des juges d'instruction. Puisque tous ces gens de justice sont réunis ici, on peut essayer de voir si ces points de vue sont conciliables au sein de l'ordre judiciaire.
Le ministre fait remarquer qu'il insiste sur l'urgence à agir pour éviter que ne perdure le chaos actuel. Nous ne savons pas quand la Belgique risque d'être condamnée ni même si des procédures sont en cours. Le président de l'OVB vient d'en parler.
Quoi qu'il en soit, à un moment donné la situation deviendra critique et il faut anticiper pour éviter la crise.
Étant donné que le gouvernement ne gère que les affaires courantes, le ministre s'est mis à la disposition du parlement et n'a pas déposé de projet de loi. Il a proposé un texte qui doit être considéré comme une amorce de débat, un « non paper ». Le ministre admet qu'il existe d'autres propositions. C'est aux parlementaires qu'il revient d'écouter les positions des uns et des autres et de voir comment les concilier.
L'intervenant répète qu'il faut toutefois faire la différence entre une solution immédiate et suffisamment en concordance avec la jurisprudence de la CEDH et une solution qui sortirait d'un débat de fond sur le système judiciaire. Ce qu'il nous faut de toute manière, c'est d'abord une solution à court terme.
M. Vanlouwe souligne que de nombreux juristes sont ici présents et que les points de vue divergent néanmoins. Il serait d'ailleurs très étonnant que les barreaux et le Conseil des procureurs du Roi défendent le même point de vue.
L'intervenant constate que la discussion sur l'arrêt Salduz a dévié sur la question de la prolongation à 48 heures du délai de 24 heures dans lequel un mandat d'arrêt doit être décerné par le juge d'instruction.
D'autres délais existent parallèlement au délai précité de 24 ou 48 heures. Par exemple, le suspect doit comparaître devant la chambre du conseil dans les cinq jours, puis tous les mois. Ce délai de cinq jours doit-il également être prolongé ? En effet, il arrive souvent que, le jour où ils peuvent consulter le dossier au greffe de la chambre du conseil, les avocats constatent que de nouveaux rapports d'audition et de nouvelles pièces y ont été versés.
L'intervenant sait que cette question s'écarte de l'objet des présentes auditions, mais il faudra également parler des délais dans la phase ultérieure.
M. Sabbe souhaite tout d'abord répondre aux questions sur les délais. Qu'ajoutent l'arrêt Salduz et la jurisprudence subséquente par rapport à la motivation des procureurs du Roi justifiant la prolongation du délai de 24 heures dans certains cas exceptionnels ?Nous sommes parfois confrontés à des affaires très graves impliquant plusieurs suspects, dans lesquelles il faut faire appel aux services d'un interprète ou dans lesquelles l'un des suspects est immobilisé. De telles affaires exigent de toute façon une succession d'actes d'instruction.Si une concertation doit en outre être organisée entre le suspect et son avocat, il sera difficile, dans certains cas, de tout boucler dans le délai de 24 heures, a fortiori pour les affaires mettant en cause plusieurs suspects ou des suspects parlant une langue étrangère.Ce sont des difficultés que l'on rencontre souvent sur le terrain. Tant qu'un seul suspect est impliqué dans une affaire, cela ne pose pas problème. Les difficultés surgissent lorsqu'il y a plusieurs suspects et qu'ils doivent tous faire appel aux services d'un même interprète ou de plusieurs interprètes.
Les parlementaires devront prendre leurs responsabilités. Le Conseil des procureurs du Roi propose une solution qui ne requiert pas de modifier la Constitution. Notre proposition prévoit un filet de sécurité en permettant, à titre tout à fait exceptionnel et moyennant l'intervention d'un juge et une motivation solide fondée sur la nature des faits et la personnalité des suspects, que le délai de 24 heures soit prolongé une seule fois. Les procureurs eux-mêmes ne sont pas demandeurs d'une prolongation du délai de 24 heures, sauf dans les cas exceptionnels où il est impossible d'organiser la comparution du suspect devant le juge d'instruction dans les 24 heures. Si le suspect ne comparaît pas dans les 24 heures devant le juge d'instruction, celui-ci ne peut pas procéder à l'arrestation. Dans certains cas, le juge d'instruction n'aura dès lors pas d'autre choix que de laisser partir les suspects.
Un délai de 24 heures semble une bonne chose sur papier, mais il faut tenir compte du fait que le juge d'instruction a aussi d'autres affaires à traiter et d'autres auditions à mener. Sans oublier qu'il doit également pouvoir dormir. Si un cas se présente à 3 heures du matin, cela signifie que le délai de 24 heures se terminera également à 3 heures, la nuit suivante. Dans ce cas, le juge d'instruction s'efforcera d'entendre le suspect la veille au soir. Dans les faits, le délai de 24 heures n'est donc jamais ou presque jamais vraiment de 24 heures. Il faut dès lors tenir compte des affaires qui, dans le prolongement de la jurisprudence Salduz, requièrent des démarches organisationnelles supplémentaires.
Il est clair qu'il existe des divergences de vue entre les différents acteurs. En effet, tout le monde sent la procédure s'alourdir de plus en plus. Chaque intervenant tente par conséquent de donner des incitants afin de limiter autant que possible cette lourdeur, de ne pas introduire trop d'éléments accusatoires dans le système inquisitoire et de faire en sorte que l'accomplissement des actes d'instruction reste réalisable dans les stricts délais impartis dans le cadre des droits de la défense.
Le Conseil des procureurs ne veut pas porter préjudice aux droits de la défense. Au contraire, les procureurs étaient les premiers à demander que l'on s'assure de la conformité de notre législation à la jurisprudence Salduz. C'est toutefois notre législation qui doit être modifiée, et non notre jurisprudence. En tant qu'exécutants de la loi, les procureurs doivent en effet se conformer à la lettre de la loi. Ils demandent dès lors instamment au législateur de modifier la législation afin que celle-ci puisse être examinée à la lumière de la jurisprudence de la CEDH.
III.6. AUDITION DE REPRÉSENTANTS DE LA POLICE
A. Exposé de M. Van Thielen, directeur général de la police judiciaire fédérale
M. Van Thielen souligne que cet important sujet intéresse vivement la police locale, la police fédérale et la police judiciaire car il a déjà à l'heure actuelle un impact considérable sur la manière dont celles-ci fonctionnent.
Tous les acteurs concernés sont d'accord pour dire qu'il faut clarifier la situation, de préférence au moyen d'une initiative législative. En effet, la jurisprudence de Salduz va à l'encontre de notre procédure pénale. Si nous faisons le choix de répondre à ce que la jurisprudence européenne semble exiger, nous nous plaçons en porte-à-faux avec nos propres procédures, notamment avec celle qui impose le secret de l'instruction. Si, en revanche, nous décidons d'appliquer notre législation nationale, nous n'avons absolument plus la certitude de respecter les exigences de la Cour européenne.
Certains acteurs prennent des initiatives radicales et vont parfois jusqu'à exiger la présence d'un avocat lors d'une audition. Si nous défendons des visions différentes, nous créerons une zone de tension entre des acteurs qui sont pourtant censés assurer en partenariat la sécurité de notre société. Il faut éviter à tout prix d'en arriver là. C'est pourquoi l'intervenant est très favorable à l'initiative en discussion.
Avant toute chose, il souhaite dissiper un malentendu général en rappelant avec insistance — ainsi que la police doit le faire par trois fois lors de la formation — que l'audition par la police n'est pas destinée à obtenir des aveux. Au contraire, elle est centrée sur la découverte de la vérité. Toute autoaccusation injustifiée est à proscrire.
Or, ainsi que l'intervenant a déjà pu le constater par lui-même à plusieurs reprises et comme en attestent aussi des dossiers ouverts à l'étranger, il arrive que des personnes s'accusent elles-mêmes de manière injustifiée. La police en a conscience et en tient compte dans le cadre de ses activités. Le but est de découvrir la vérité et de rechercher des éléments de preuve.
La manifestation de la vérité est dans l'intérêt des victimes. Il faut en effet que la justice puisse triompher et que le vrai coupable écope de la peine qu'il mérite.
Il va sans dire que la recherche de la vérité doit se dérouler dans le respect des droits de la défense, mais il faut savoir qu'à vouloir étendre à l'extrême les droits de la défense, on risque de compliquer voire d'empêcher la découverte de la vérité. Dans la réponse législative qu'elle devra apporter à l'arrêt Salduz, la Belgique devra donc trouver un équilibre et s'y tenir.
D'après l'analyse de l'intervenant, l'essence de la jurisprudence Salduz réside dans l'application concrète du principe général du procès honnête et équitable durant la phase de l'instruction et, plus particulièrement, dans la protection du suspect lors de ses premiers contacts avec la police et la justice. Il souligne que la police a affaire assez souvent à des récidivistes qui ne se trouvent pas vraiment dans une situation précaire lorsqu'ils sont confrontés à la police pour la énième fois. Toutefois, l'intervenant est bien conscient qu'il n'est pas possible de faire la distinction entre des récidivistes et des personnes qui se retrouvent devant la police pour la toute première fois.
On imagine aisément que lorsqu'il s'agit d'un premier contact, les personnes arrêtées puissent être particulièrement vulnérables, influençables et sensibles aux pressions au point de faire des aveux injustifiés. Peut-être faut-il effectivement instaurer un dispositif afin d'y remédier. Quoi qu'il en soit, aucune condamnation ne peut être fondée exclusivement sur un aveu qui est fait dans de telles circonstances, qui est retiré par la suite et qui n'est étayé par aucune preuve matérielle. L'intervenant met les commissaires au défi de trouver une seule affaire dans la jurisprudence belge où une telle condamnation aurait été prononcée. À titre personnel, il n'en connaît aucune.
Cela étant, la jurisprudence européenne vise à protéger la personne arrêtée qui se trouve dans cette situation de grande faiblesse. Un élément essentiel à cet égard est le fait qu'elle peut se concerter avec son conseil au sujet de la stratégie de défense à adopter. En outre, le conseil doit aussi contrôler les circonstances de la prise de corps.
L'intervenant tient à souligner que les policiers ne sont pas des juristes. Ils ont certes reçu une formation professionnelle, mais les difficultés auxquelles ils sont confrontés sur le terrain sont souvent complexes et de nature très diverse. L'intervenant insiste dès lors fortement sur la nécessité de veiller à ce que la réglementation demeure la plus simple possible.
La principale demande que l'on a adressée à l'intervenant est d'examiner quelles répercussions le projet aura sur le terrain. Selon lui, celles-ci se situeront dans quatre domaines: la logistique, la sécurité, la capacité et l'organisation.
— la logistique
La concertation avec le conseil est confidentielle et il va sans dire que l'agent de police ne peut pas entendre ce qui se dit. Il doit toutefois veiller à ce que la personne arrêtée ne prenne pas la fuite ni n'agresse le conseil. Il faut donc qu'il puisse voir ce qui se passe mais sans rien entendre, et que l'entretien se déroule dans un local dont il soit impossible de s'échapper. Un tel local n'est pas disponible partout. L'intervenant espère aussi que la police ne rencontrera pas trop de difficultés pour prendre contact avec un avocat qui est de permanence. Les policiers espèrent qu'il y aura un point de contact, un numéro de téléphone, un fax et une adresse e-mail uniques ainsi qu'un système ACK de confirmation écrite du contact et ce, afin d'éviter tout problème ultérieur. Pour cela, il faut définir une méthode de travail claire et uniforme.
— la sécurité
Faut-il donner aux agents de police la possibilité d'identifier et de fouiller le conseil ? En cas de contact téléphonique — il semble judicieux de prévoir cette possibilité — l'identification n'est pas évidente. En cas de contact physique, la question est de savoir si l'on peut soumettre le conseil à une fouille afin d'éviter, par exemple, qu'il ne conserve sur lui un appareil d'enregistrement, comme l'est en fait tout gsm. Pouvons-nous demander à l'avocat de laisser son gsm à l'extérieur du local ? Il ne serait pas judicieux en l'espèce de s'en remettre à la déontologie et aux bonnes ou mauvaises dispositions des acteurs concernés. Il vaut mieux régler la question en élaborant une réglementation précise et générale. Il n'est peut-être pas nécessaire d'élaborer une loi à cet effet, mais ce qu'il faudrait certainement, c'est une mesure d'exécution.
L'intervenant a d'ailleurs le sentiment que le risque de collusion est réel. Il a cru comprendre que la réglementation française mentionne explicitement le devoir de réserve pour l'avocat et prévoit une disposition pénale sanctionnant le non-respect de celui-ci.
— la capacité
La charge de travail supplémentaire ne doit pas être sous-estimée. Aux Pays-Bas, on a élaboré un système similaire qui prévoit un délai d'attente de deux heures et une concertation de trente minutes. Cela entraîne un coût supplémentaire de 105 à 192 équivalents temps plein. En Belgique, le coût supplémentaire sera à peu près équivalent. En effet, des règles statutaires supplémentaires seront fixées. Dans le cadre des services qui sont prévus, on ne peut pas, par exemple, obliger les agents à travailler plus de dix heures. Si les choses se prolongent au-delà de ce délai, les agents doivent être remplacés. Même dans le cas d'une affaire simple, il faudra prévoir une deuxième équipe afin de poursuivre l'audition.
— l'organisation
Dans le cas où il n'y a qu'un seul auteur, il est encore assez facile d'organiser la concertation avec un conseil mais, lorsqu'il s'agit d'une bande, les choses se compliquent singulièrement. Il est déjà difficile à l'heure actuelle de clôturer toute la procédure dans le délai imparti. On a déjà souligné précédemment que certaines auditions ont lieu en dehors du commissariat de police, à l'hôpital, par exemple. Dans ce cas-là aussi, il faut plus de temps.
L'intervenant souhaiterait livrer encore quelques réflexions au sujet du projet de texte du ministre et formuler quelques propositions en vue de le simplifier. Il préconise une extension du droit de garder le silence aux témoins et aux victimes. Pour un agent de police, les choses sont beaucoup plus simples si le principe du droit de garder le silence est appliqué lors de chaque audition. Les formules prévues par la loi Franchimont ont été programmées dans les ordinateurs, traduites en plusieurs langues (même en lituanien, par exemple) et peuvent être simplement soumises à la personne qui est entendue. Toutefois, comme on ne sait pas toujours avec précision qui est l'auteur, on ignore quelle formule il faut appliquer et à qui. Le membre de phrase relatif à l'obligation de parler sous serment ne vaut pas pour l'audition de police puisque la police ne procède jamais à une audition sous serment.
L'intervevant propose aussi de supprimer le membre de phrase « elle a le droit de refuser de répondre aux questions posées et de s'accuser elle-même », car cela fait double emploi avec le droit général de garder le silence. Une autoaccusation n'est pas toujours et n'est même que très rarement contraire à la découverte de la vérité. Une autoaccusation n'est pas mauvaise en soi en tant qu'elle correspond à la réalité. L'intervenant dit avoir parfois l'impression que, depuis l'arrêt Salduz, on redoute qu'une personne fasse des aveux lors d'une première audition parce que l'on craint de rencontrer des problèmes au niveau européen.
La proposition crée une catégorie de suspects non arrêtés.
Cela complique inutilement les choses pour la police. Il est évident que la possibilité de se concerter avec un conseil ne doit être réglée que pour les personnes qui ont été arrêtées. Quiconque n'a pas été arrêté est par définition libre de se lever, de partir et de consulter un conseil. Pour cette catégorie de suspects, il n'y a donc pas lieu d'expliciter et encore moins d'organiser le droit de se concerter avec un avocat. Ils peuvent toujours prendre eux-mêmes une initiative à cet effet. L'intervenant est d'avis que cela pourrait valoir aussi pour les délits mineurs. Dans ce cas, en effet, le suspect ne sera probablement pas arrêté et le procureur ordonnera sur-le-champ la tenue d'une audition mais pas dans le cadre d'une procédure judiciaire. La proposition n'a manifestement pas pour vocation de régler aussi l'organisation de la concertation avec l'avocat pour de tels cas de figure.
Un point de la proposition qui doit encore être clarifié porte sur la question de savoir ce qu'il faut faire si le conseil se présente lorsque le délai de deux heures est écoulé. Faut-il encore autoriser l'avocat à intervenir s'il se présente avec un quart d'heure de retard parce qu'il était bloqué dans les embouteillages ?
Enfin, il y a encore la question de savoir comment la proposition à l'examen cadrera avec la circulaire COL 7/2010 du Collège des procureurs généraux qui avait pour but de limiter le préjudice. La police reste-t-elle soumise à l'obligation d'effectuer un enregistrement audiovisuel des auditions en cas de faits graves ? Comme on le sait, un des syndicats s'y oppose. Personnellement, l'intervenant ne pense pas que cette procédure mette en péril le bien-être des enquêteurs, à condition que les enregistrements soient déposés au greffe, ne soient pas copiés et ne soient consultables que par les parties concernées. En ce qui concerne ce dernier point, une exception peut être prévue lorsque la partie adverse peut mettre en uvre des contre-stratégies, lancer des menaces ou entreprendre d'autres actions contre la personne entendue, par analogie avec ce qui est prévu dans la réglementation concernant les verbalisants anonymes pour les faits vraiment graves de criminalité organisée et de terrorisme.
L'intervenant fait encore remarquer que l'audition audiovisuelle telle qu'elle est prévue par la circulaire COL 7/2010 est indépendante de l'audition audiovisuelle (c'est-à-dire par le biais d'une vidéoconférence ou d'un circuit de télévision fermé) prévue à l'article 112 du Code d'instruction criminelle. Il s'agit de deux auditions totalement différentes. L'audition prévue dans le Code d'instruction criminelle est une audition où l'on met en quelque sorte l'ordinateur de côté et où l'interaction avec la personne qui procède à l'audition est intensive. L'enregistrement a pour but de déterminer de manière très précise comment l'intéressé réagit du point de vue verbal et non verbal et de permettre une retranscription éventuelle de l'audition dans son intégralité. L'enregistrement de l'audition sur support vidéo, tel qu'il est prévu dans la circulaire COL 7/2010, peut fournir un moyen de contrôle permettant de vérifier qu'aucune pression illicite n'a été exercée au cours de l'audition et que tout s'est déroulé dans les règles. La machine à écrire reste la même et l'audition se clôture de la même manière, après lecture du procès-verbal, par la formule « Persiste et signe ». L'intéressé appose ici aussi sa signature au bas du procès-verbal d'audition transcrit sur papier.
L'intervenant résume sa position en cinq points:
— une initiative législative est nécessaire;
— la réglementation doit rester simple;
— la découverte de la vérité est un élément à ne pas perdre de vue;
— il faut tenir compte des difficultés organisationnelles en matière de capacité, de sécurité, d'organisation et de logistique;
— il faut tenir compte des modifications proposées par la police.
S'agissant de la question de savoir s'il est justifié d'autoriser la présence active ou passive du conseil lors de l'audition, l'intervenant souhaiterait formuler quelques réflexions, en complément aux arguments déjà énoncés dans la proposition. Le résultat d'une audition dépend en très grande partie de l'interaction entre la personne qui procède à l'audition et la personne qui y est soumise. De par le climat qu'elle crée durant l'audition, de par le fait qu'elle revient sur les contradictions et qu'elle est attentive aux points sur lesquels la personne auditionnée manifeste de la nervosité, la police peut parvenir plus aisément à établir la vérité. Grâce à cette interaction, elle parvient quelquefois à convaincre un auteur — qui n'est bien sûr pas enclin à dire spontanément la vérité — à avouer les faits. La présence d'un conseil ne sera pas bénéfique à la procédure et elle aura plutôt tendance à la ralentir, ne fût-ce que parce que le suspect estime devoir garder tous les atouts en main de sorte que son conseil ne doit pas modifier sa stratégie. Même lorsqu'une audition se déroule en présence d'un interprète — l'interaction s'opère donc dans ce cas par le biais d'un tiers — les choses sont plus compliquées.
Si les auditions se déroulent en présence d'un avocat, il faudra que la police reçoive une tout autre formation en matière de techniques d'audition. Ainsi, il deviendra impossible d'appliquer la technique du récit libre qui consiste à poser une question ouverte sur l'emploi du temps. La police technique et scientifique aura un rôle encore plus important. Il faudra donc réaliser davantage d'investissements.
B. Exposé de M. Steelandt, Commission permanente de la police locale
M. Steelandt intervient sous l'angle de l'expérience des services de police de première ligne. Ceux-ci ne sont pas nécessairement confrontés à des affaires importantes, mais plutôt à une diversité d'infractions mineures. Pour la personne concernée, toute affaire est évidemment importante.
L'intervenant souhaite tout d'abord délimiter le sujet de la discussion. Le dossier Salduz concerne les thèmes les plus divers, comme le droit de garder le silence, les enregistrements audiovisuels, la communication d'informations à la personne entendue, la communication de la personne entendue avec le monde extérieur, l'aide médicale, et entre-temps on prépare des directives en vue d'accorder encore plus de droits. Qu'allons-nous garder de tout cela ? Dans l'exposé des deux ordres, l'intervenant n'a rien entendu, par exemple, à propos de l'enregistrement audiovisuel, qui est pourtant imposé dans la circulaire des procureurs généraux. Cette obligation sera-t-elle maintenue ou non ? Quels moyens et quelles techniques choisira-t-on ?
Cette question peut englober certains aspects bien concrets. Pour l'instant, de très nombreux services de la police locale sont en effet en train de planifier l'achat de matériel d'enregistrement audiovisuel, par exemple. Évitons les coûts inutiles.
Il est tout aussi important de définir le champ d'application. Les différentes propositions de texte sont formulées de manière très générale. Aucune distinction n'est faite entre les crimes, les délits et les contraventions. Appliquerons-nous les principes dont nous discutons aujourd'hui à toutes les infractions ou allons-nous définir un type d'infraction bien précis ? Cette question se pose avec beaucoup d'acuité pour les services de la police locale.
Il ne faut pas oublier que le législateur punit un très grand nombre de comportements humains. Ainsi, une simple contravention au code de la route constitue une infraction dans la plupart des cas. Dès lors, un accident de la route est généralement la conséquence d'une infraction, de sorte qu'il faut prévoir un maximum de garanties pour tous les cas, ainsi que l'application d'un principe de proportionnalité. L'audition d'un suspect relève de la pratique quotidienne d'un service de police de première ligne. Ces auditions ne sont pas préparées; un agent de police locale ne va pas organiser à l'avance la façon dont il va mener l'audition ni la stratégie qu'il développera, car il doit faire vite.
L'audition changera fondamentalement. L'arrêt Salduz introduit un élément de contradiction dans l'audition, qui deviendra beaucoup plus formelle. Pour les services de police, il s'agit là d'une véritable révolution copernicienne. Ces services auront besoin de temps pour s'adapter. Il faudra que la préparation soit optimale si l'on veut susciter le même enthousiasme chez les policiers qu'au barreau. Il est également préférable d'introduire les changements en plusieurs phases. Il s'agit de bien vérifier s'il faut appliquer le maximum de garanties à toutes les infractions. Si tel est le cas, les services de police et les avocats seront confrontés à des situations plutôt singulières, comme une simple infraction au code de la route, où les policiers devront dire aux contrevenants qu'ils ont le droit de demander un avocat. Ne sous-estimons pas les conséquences pratiques. Si l'on applique d'un seul coup toutes les règles à tous les faits, on obtiendra — du moins dans une première phase transitoire — l'effet contraire à celui recherché. Les conséquences pratiques sont importantes mais pas insurmontables: il faut dégager des budgets et donner des formations. Au cours de cette audition, l'intervenant a eu de plus en plus l'impression que le principal problème est d'ordre organisationnel, ce qui le préoccupe. Il se demande en effet si toute la chaîne pénale est bien en mesure d'intégrer à court terme toutes les modifications souhaitées.
Dans le tableau qui a été brossé, l'intervenant regrette qu'on ait oublié une partie, à savoir la victime. Les droits du suspect sont étendus, mais, en tant que policier, l'intervenant n'a aucun jugement à formuler à cet égard. Il se demande si la victime n'a pas besoin d'un conseil juridique, si tant est que l'objectif est vraiment d'en arriver à un procès équitable.
Il faut certes respecter les principes, mais il faut également prévoir des exceptions, que ce soit sous contrôle judiciaire ou sur décision d'un juge. Le risque de collusion est bien réel. Dans des affaires impliquant plusieurs suspects et nécessitant des perquisitions et des saisies, un juge devrait tout de même pouvoir décider que l'accès à un avocat est temporairement suspendu, mais uniquement lorsque la gravité des circonstances l'exige et à condition que la suspension de l'accès à l'avocat soit dûment motivée.
La situation actuelle est clairement inacceptable. S'il y a bien une chose que les policiers détestent, ce sont les instructions contradictoires et imprécises. Certains policiers locaux sont confrontés à des réquisitions contradictoires du parquet et du juge d'instruction. Il faut résoudre ce problème dès que possible.
L'intervenant conclut dès lors en soulignant la nécessité de bien définir le champ d'application, afin que l'on sache clairement quelles garanties sont prévues pour quels suspects. Plusieurs critères sont possibles: arrestation ou non, possibilité d'arrestation ou non. Il convient d'être attentif aux conséquences pratiques. Elles peuvent toutes être résolues de manière pragmatique, même si cela requiert plus de 24 heures. Si tous les acteurs coopèrent dans un bon esprit de concertation, il doit être possible d'élaborer des règles qui fassent l'unanimité.
C. Échange de vues
M. Mahoux comprend que les policiers n'aient pas envie de travailler pour rien et qu'ils aient donc besoin d'une sécurité juridique maximale. Il y a dès lors intérêt à pratiquer une prévention maximale.
Si le travail des policiers est frappé de nullité parce l'avocat n'était pas présent lors de l'interrogatoire, ce serait dommageable pour la police, mais surtout pour les victimes pour lesquelles la justice ne serait pas rendue.
L'intervenant demande aux représentants de la police s'ils pensent que l'application de l'arrêt — à savoir la présence de l'avocat — constituera une entrave à l'émergence de la vérité.
M. Torfs déclare être très sensible à l'appel lancé par les deux intervenants précédents, en vue de l'élaboration d'une solution simple. Il a également trouvé intéressant qu'ils demandent si toutes les infractions devront être assorties des mêmes garanties. Toutefois, le problème réside dans le fait que l'inspecteur qui effectue une constatation ne dispose pas toujours des qualifications juridiques requises pour déterminer si une infraction constitue une contravention, un délit ou un crime. Souvent, cette qualification sera donnée à un stade ultérieur. Il est également possible que la découverte ultérieure de toutes sortes d'éléments modifie la qualification initiale, et qu'un fait qui semblait d'abord constituer une contravention soit ensuite requalifié en délit. L'intervenant ne voit pas bien comment résoudre cette difficulté.
Mme Defraigne note que les représentants de la police estiment que la présence de l'avocat va entraver la recherche de la vérité. De quelle manière ? Comment, concrètement, l'intervention de l'avocat au tout début du processus peut-elle empêcher de rechercher et de trouver cette vérité ?
M. Van Thielen confirme que la police n'aime pas faire un travail inutile. Nombre de policiers ont tendance à réduire la première audition au strict minimum et à attendre que le suspect ait pu s'entretenir une première fois avec son avocat. L'ennui avec ce type de règlements, c'est qu'ils proposent une procédure générale couvrant toute une série de scénarios différents. Si la réglementation est trop générale, il devient difficile de l'appliquer à tous les cas de figure.
Certains ont souligné la nécessité de faire preuve de prudence durant la première phase. Dans les affaires d'homicide par exemple, les premières 24 heures revêtent une importance cruciale. C'est au cours de ces premières 24 heures qu'il faut souvent creuser plus profondément et envisager toutes les hypothèses. Des initiatives cruciales doivent être prises à ce stade de l'enquête. L'on pourrait imposer une restriction supplémentaire. L'intéressé est au commissariat et la police veut commencer son audition, mais elle est tout de suite reportée de deux heures et demie parce que l'intéressé veut attendre l'arrivée son avocat. Dans l'intervalle, les policiers sont confrontés à diverses informations fournies par des témoins et des voisins. Dans un tel cas, une première audition pourrait déjà donner une première orientation.
Quant à savoir ce que pensent les barreaux du risque de collusion, les intervenants suggèrent que les représentants de ces derniers répondent eux-mêmes à cette question.
Il a également été demandé si la présence de l'avocat n'entraverait pas la manifestation de la vérité. L'intervenant pense qu'il y a des scénarios où cela pourrait effectivement être le cas. Supposons que le suspect soit effectivement l'auteur des faits et qu'il puisse se concerter avec son avocat. L'on ignore si le suspect dira la vérité à son avocat. Une stratégie de défense sera élaborée lors de cette concertation. L'intervenant s'attend à ce que l'avocat dise à son client que la vérité est sa meilleure alliée parce qu'au cours de l'enquête, il sera toujours confronté à ses premières déclarations. Mais si le suspect a menti, il sera confronté à ses mensonges. L'on peut cependant aussi supposer que la présence de l'avocat freine la spontanéité de son client.
En ce qui concerne l'observation formulée par rapport à la complexité en opposition avec le calibrage, l'intervenant fait une simple proposition. Une arrestation est une arrestation. Dans ce cas, il y a des droits qui jouent. Une non-arrestation n'est pas une arrestation. Lorsqu'une personne est suspectée et entendue sans être arrêtée, elle doit prendre elle-même l'initiative de faire appel à un conseil et de faire interrompre l'audition.
L'on peut envisager des scénarios où les choses ne seront pas aussi simples. L'intervenant pense à un simple vol à l'étalage, à du vandalisme, à une rixe familiale, c'est-à-dire des affaires dont le policier et le procureur savent qu'elles ne déboucheront pas sur une instruction, mais dans lesquelles le procureur du Roi charge les policiers de procéder à une audition et de lui téléphoner ensuite. Dans un scénario aussi compliqué, doit-on permettre à l'intéressé de se faire assister par un avocat ? L'intervenant pense que non car l'intéressé n'a pas été arrêté et est libre d'aller et venir. L'arrestation constitue pour les policiers un critère simple à utiliser, que l'on pourra aussi inscrire facilement dans le texte de loi.
En réponse au sénateur Torfs, M. Steelandt peut dire que la qualification provisoire constitue à la fois un vrai et un faux problème. Dans la pratique, il est relativement facile d'identifier de grandes catégories d'infractions. Le tout est de trouver le bon critère. Un critère précis a déjà été proposé.
M. Mahoux relève des déclarations des préopinants que l'auto-incrimination ne devait pas nécessairement être écartée. Il s'interroge plutôt sur la nature de l'incrimination et sur les conséquences qu'elle peut avoir par rapport à des aveux. Lorsqu'une personne avoue, elle reconnaît des faits; elle peut le faire avec des nuances qui détermineront une incrimination différente. La personne ne reconnaît pas nécessairement une incrimination. Par rapport à la vérité recherchée, les conséquences des aveux peuvent être très différentes, à la fois pour la personne qui sera condamnée et pour les victimes.
M. Van Thielen a encore une remarque pratique à formuler, qui a en même temps valeur de recommandation pour les conseils.
Souvent, la police peut tirer avantage d'une première audition où les mensonges sont légion. C'est la meilleure chose qui puisse lui arriver. Dans de nombreux dossiers, la police connaît parfaitement l'emploi du temps d'un suspect parce que son téléphone est sur écoute ou parce qu'il fait l'objet d'une surveillance. En revanche, l'intéressé ignore ce que la police sait sur lui. S'il a menti comme un arracheur de dents lors de sa première audition, on pourra facilement revenir sur ces mensonges lors de la seconde audition.
III.7. AUDITION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA JUSTICE
A. Exposé de Mme De Vroede, présidente du CSJ
Mme De Vroede rappelle que le Conseil supérieur de la Justice a, à la demande du ministre de la Justice, rendu un avis le 24 juin 2009 sur une proposition de loi visant à conférer de nouveaux droits au moment de l'arrestation. Cet avis est limité à la phase « police » et à la place de l'avocat au moment de l'arrestation.
De nombreuses discussions ont eu lieu au sein du Conseil et des opinions différentes ont été émises quant au rôle de l'avocat lors du premier interrogatoire. Le Conseil supérieur de la Justice, qui est composé d'avocats, de magistrats et de représentants de la société civile, est parvenu à un consensus.
Nous avons analysé l'arrêt Salduz et les quelques arrêts rendus par la suite. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il ne subsistait pas de doute: il faut prévoir l'accès à un avocat dès la première audition.
La Belgique n'ayant rien prévu en matière d'assistance d'avocat, nous nous sommes penchés sur ce qui se passe dans les pays voisins.
Nous avons tout d'abord invité un fonctionnaire du ministère de la Justice des Pays-Bas. Il a présenté un projet-pilote lancé au mois de juillet 2008. Les Pays-Bas ont en effet choisi de travailler de cette manière avant de légiférer, après évaluation. Ce projet-pilote, limité au départ à deux arrondissements, est à présent étendu à l'ensemble du pays.
Un avocat est appelé immédiatement après l'arrestation. Il s'entretient avec son client, pendant une heure maximum. Ensuite, il assiste à l'audition effectuée par les services de police. Pendant l'audition, son rôle est relativement passif, sauf s'il constate des pratiques illégales. Au terme de l'audition, il peut faire des observations, qui sont versées au dossier de la procédure.
En France, il existe actuellement un projet de modification de la procédure pénale. Au mois d'avril 2009, une avocate du barreau de Lille a présenté le système français aux membres du CSJ. Elle a expliqué que la procédure fonctionnait bien avec les services de police. Au départ, c'était difficile, mais la collaboration s'est mise progressivement en place.
Naturellement, l'assistance de l'avocat est très limitée. Le contact préalable à l'audition dure au maximum trente minutes. L'avocat n'a pas accès au dossier. La police l'informe simplement de la nature des faits reprochés à la personne arrêtée et de la date à laquelle ils ont été commis. L'objectif principal est de vérifier les conditions de l'arrestation pour s'assurer que la personne n'a pas été molestée. Si l'avocat constate des irrégularités, il remplit un formulaire qui est versé au dossier.
La procédure est régulière pour la France dès que le procès-verbal mentionne que l'avocat a été contacté et ce, même s'il ne se présente pas. Il s'agit d'une assistance relativement limitée mais notre invitée était d'avis que le système fonctionnait. Une permanence « gardes à vue » a été mise en place et, en général, c'est un des avocats qui assure cette permanence qui se présente plutôt qu'un avocat désigné par le suspect.
Le Conseil supérieur de la Justice a, dans une seconde étape, réexaminé le système belge et plus particulièrement l'article 47bis du Code d'instruction criminelle, qui prévoit un certain nombre de règles minimales à respecter lors de l'audition, non seulement du suspect, mais également de la victime et du témoin. Le Conseil a aussi examiné la procédure prévue à l'article 28quinquies, qui permet de délivrer une copie du PV, et y a constaté des lacunes, dans le cadre de collaborations avec d'autres pays. Nous avons été informés de cet élément important, qui n'a pas encore été abordé aujourd'hui, par des juges d'instruction que nous avons entendus par la suite. Lors de commissions rogatoires internationales qu'ils doivent exécuter, de nombreux pays exigent la présence de l'avocat devant le juge d'instruction, ce qui pose problème aux juges d'instruction belges. Autre lacune: la Cour pénale internationale exige aussi la présence de l'avocat lorsqu'elle demande une audition de personnes.
Le Conseil a ensuite invité des personnes de terrain:
— des avocats pénalistes et des avocats de la jeunesse. Dans ce dernier secteur en effet, l'avocat est présent dans le cabinet du juge depuis un certain nombre d'années et le système fonctionne très bien;
— un membre de la police locale, plus précisément un chef de zone. Il s'agissait de la zone Schaerbeek-Saint-Josse-ten-Noode-Evere;
— un membre de l'Inspection générale;
— plusieurs juges d'instruction et un avocat général près la Cour de cassation, anciennement juge d'instruction, M. Vandermeersch;
— deux professeurs de droit pénal et de procédure pénale, MM. Masset et Paul De Hert.
Le Conseil a consacré un certain temps à ces auditions et tenu compte de toutes les observations formulées.
Que peut-on en conclure ? Tout d'abord, que l'entretien de l'avocat avec le suspect avant l'audition est indispensable et incontournable; tous les acteurs s'accordent sur ce point, y compris les services de police.
Quant à la présence de l'avocat pendant l'interrogatoire, la plupart des acteurs consultés estiment qu'elle ne constitue pas une plus-value, qu'elle n'est pas la meilleure manière de garantir le respect d'une procédure équitable. Aux Pays-Bas, cette présence de l'avocat serait passive, muette. Au Conseil supérieur de la Justice, nous estimons également qu'elle ne représente pas une plus-value, au contraire même, puisqu'elle engendre un risque de confusion des rôles. En effet, l'avocat a-t-il un rôle d'avocat ou de témoin ? Ne risque-t-il pas d'être un « alibi » par rapport aux services de police ? Ces réflexions ont été formulées non seulement par les membres du Conseil, mais aussi par les personnes auditionnées.
Donc, tant le juge d'instruction que les services de police ne sont pas favorables à la présence de l'avocat lors de l'audition. D'ailleurs, si cette présence est admise lors de la première audition, il serait logique de l'envisager lors des auditions suivantes. Il faut penser à l'aspect « praticabilité » et ne pas oublier qu'au Conseil supérieur de la Justice, notre but est aussi d'améliorer le fonctionnement de la justice. Il faut donc veiller à ne pas complexifier celui-ci au point de le rendre inopérant.
Que propose, très concrètement, le Conseil supérieur de la Justice en ce qui concerne la phase en amont, à l'échelon de la police ? Après chaque arrestation, on procède immédiatement à une première et très courte audition: on détermine la langue de la procédure avec le suspect, on l'informe qu'il a droit à l'assistance d'un avocat, on lui donne la lecture de tous ses droits, mais le fond n'est pas abordé. Il s'agit plutôt d'un PV. Ensuite, on prévient l'avocat choisi par le suspect ou l'avocat de permanence. L'audition ne peut débuter qu'après l'arrivée de ce dernier, un délai raisonnable de deux heures ayant été fixé, au-delà duquel l'audition est entamée. L'intéressé peut renoncer à l'assistance d'un avocat, mais la plus grande prudence s'impose à cet égard, car aucune pression ne doit être exercée; il doit s'agir d'une renonciation volontaire.
Le Conseil supérieur propose deux mesures: la possibilité pour la personne d'avoir un contact téléphonique avec l'avocat et/ou la rédaction d'un petit procès-verbal d'audition dans lequel on informe l'intéressé de ses droits et où il pourrait éventuellement renoncer volontairement au droit en question. Ce procès-verbal serait signé par la personne entendue.
La durée de l'entretien avec un avocat est fixée à trente minutes et celui-ci a lieu dans un endroit garantissant la confidentialité. Les services de police avaient à l'époque signalé des problèmes d'infrastructure. Tous les services ne disposent pas de locaux adéquats pour que cet entretien ait lieu dans des conditions satisfaisantes, notamment de confidentialité. Sans vouloir critiquer la procédure française, l'entretien ne doit pas se limiter, comme en France, à s'assurer que la personne est en bonne santé et que l'arrestation s'est passée dans des conditions correctes. Il doit permettre d'informer la personne de ses droits, notamment celui de garder le silence. Il faut lui conseiller de relire le procès-verbal avant de le signer, lui expliquer les suites de la procédure. Il faut que cet entretien apporte une plus-value à la personne concernée.
En ce qui concerne l'audition par la police, le Conseil supérieur estime qu'un enregistrement audiovisuel constituerait la meilleure solution, parce qu'il limite la pression exercée sur le suspect et parce qu'il permet d'éviter le dépôt parfois un peu léger de plaintes contre la police. La transcription n'aurait pas lieu systématiquement. Un procès-verbal d'audition classique serait rédigé et gardé jusqu'à la fin de la procédure, jusqu'au jugement ou à l'arrêt définitif, tant au pénal qu'au civil.
Lors des auditions, certains acteurs ont insisté sur la nécessité des sanctions si l'avocat n'est pas contacté ou si la loi n'est pas respectée. Si le procès-verbal ne mentionne pas les motifs de cette absence de contact, il doit être frappé de nullité.
Mme De Vroede termine son exposé par quelques considérations générales.
Il faut bien sûr rappeler la nécessité de se donner les moyens. Rien qu'au niveau des services de police, il faut prévoir l'enregistrement, l'infrastructure et une collaboration parfaite du barreau, ce qui suppose, au-delà de la bonne volonté annoncée, des services de garde efficaces. Sans moyens supplémentaires, la réforme serait impossible.
Au Conseil supérieur de la Justice, nous avons pour objectif de réfléchir à l'amélioration du fonctionnement de la justice. Les modifications proposées pourraient rendre le système un peu plus complexe mais nous pensons vraiment qu'une garantie supplémentaire pourrait ainsi être offerte au citoyen. Le Conseil souhaite dès lors vivement que cette réforme soit mise en uvre.
Mme De Vroede souligne ensuite le fait que le Conseil supérieur n'a pas du tout étudié, dans son avis, la question de l'assistance par un avocat sous l'angle du juge d'instruction.
Mme De Vroede suggère de prendre d'emblée les mesures les plus urgentes, pour se conformer aux arrêts de la Cour européenne, à savoir assurer la présence de l'avocat au moment de l'audition de police. On pourrait, dans un second temps, envisager cette présence devant le juge d'instruction.
L'intervenante lance cette idée sans affirmer qu'il s'agit de la meilleure des formules, mais il existe déjà des projets pilotes. Cela présente des avantages mais aussi des inconvénients en ce sens que les pratiques sont différentes selon les arrondissements, d'où une inégalité. Néanmoins, ces initiatives existent et il pourrait être intéressant de les évaluer, sans trop attendre. Dans pas mal de matières en effet, le législateur a voté une loi en fonction de projets pilotes qui avaient fait leurs preuves.
Comme souligné dans l'avis, la présence de l'avocat devant le juge d'instruction soulève de nombreuses questions et notamment celle de savoir si la présence du magistrat du parquet n'est pas nécessaire. Si l'avocat est présent devant le juge d'instruction et qu'il y a tout un débat sur le mandat d'arrêt — il est vrai que le parquet l'a requis dans des réquisitions écrites — il n'a pas la possibilité, au nom du principe d'égalité des armes, de pouvoir aussi donner ses arguments.
Mme De Vroede est également consciente du fait que l'avocat peut se montrer plus efficace et apporter de meilleurs arguments s'il a pu prendre connaissance du dossier auparavant. Cela pose cependant problème quant au principe du secret de l'instruction. La présence de l'avocat chez le juge d'instruction est un problème complexe. Il ne peut pas être gommé mais le Conseil supérieur ne l'a pas abordé. Le Conseil est cependant disposé à rendre un avis complémentaire pour cette phase de la procédure.
Mme De Vroede clôture son exposé en abordant la question du délai de garde à vue de 24 heures. Le Conseil supérieur de la Justice n'est pas du tout favorable à un prolongement automatique de délai de 24 heures. Le Conseil supérieur de la Justice estime que la présence de l'avocat, même en amont, peut dans certains cas poser quelques problèmes en termes de délai, étant donné l'attente éventuelle de deux heures, deux heures et demie. Le Conseil pense surtout — mais cela n'entre peut-être pas dans le cadre de l'arrêt Salduz — que dans l'intérêt d'avoir une enquête de qualité et pour éviter des mandats d'arrêt qui, si l'enquête est bien faite, ne seront peut-être pas décernés, ce délai pourrait être prolongé jusqu'à 48 heures de façon exceptionnelle et aucunement automatique, et ce sur la base d'une décision motivée d'un magistrat du parquet ou du juge d'instruction. Le Conseil supérieur n'est cependant pas du tout pour ce prolongement.
B. Échange de vues
Mme Defraigne pense qu'il serait intéressant que le Conseil supérieur de la Justice rende un avis complémentaire relatif à la présence de l'avocat chez le juge d'instruction. Puisque le Conseil s'est penché sur l'amont de la procédure, autant qu'il continue le travail.
Dans la foulée, le Conseil pourrait également se prononcer sur la prolongation du délai de garde à vue.
Mme De Vroede souligne que cette dernière question est déjà abordée dans l'avis du 24 juin 2009.
Mme Defraigne rappelle la position des juges d'instruction: dans certains cas exceptionnels, on peut envisager de prolonger le délai de garde à vue de 24 heures mais pas nécessairement pour atteindre 48 heures. La prolongation pourrait être limitée dans le temps...
Mme De Vroede répond que le Conseil supérieur de la Justice s'est prononcé pour un délai de 48 heures maximum. Mais, contrairement à la procédure française qui est automatique pour certaines matières, le Conseil supérieur estime qu'il faut agir au cas par cas, vraiment dans l'intérêt de l'enquête, pour qu'elle soit la plus complète possible. L'arrêt Salduz pourra avoir pour conséquence que, dans certains cas, le délai de 24 heures sera un peu trop court pour permettre toute l'enquête préalable et l'audition de la personne.
Puisque le Conseil supérieur de la Justice considère que des problèmes se posent à la suite de l'arrêt Salduz, M. Mahoux demande, si l'on peut envisager de porter la garde à vue de 24 à 26 heures.
Pour ce qui concerne la phase d'instruction, il serait intéressant de savoir ce qu'il en est de la présence d'un avocat, de caméras ou d'autres moyens d'enregistrement.
Qui peut le plus peut le moins, dit-on. Comme la question se pose lors du premier interrogatoire par la police, il semble que la logique suivie à ce stade doit l'être également en aval. Quel est le sentiment du Conseil à cet égard ?
Mme De Vroede répond qu'elle soumettra ces questions à la commission d'avis et d'enquête afin qu'elle se prononce dans les délais les plus brefs (la Commission d'avis et d'enquête réunie du CSJ a rendu le 25 novembre 2010 un avis complémentaire en urgence portant sur l'assistance de l'avocat au cours de l'interrogatoire par le juge d'instruction (voir: www.csj.be)).
III.8. AUDITION DE M. RÉGINAL DE BECO, LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
A. Exposé de M. Réginald de Beco
M. de Beco précise qu'il s'exprimera essentiellement en son nom personnel. Il est un représentant de la Ligue des droits de l'Homme, mais la proposition qu'il va présenter ne reflète pas nécessairement les points de vue de cette organisation.
Cette proposition se justifie par le fait que l'orateur a l'impression d'assister depuis très longtemps à des réformes qui n'en sont pas vraiment. Il a connu celles de 1973, de 1990, de 2005.
Depuis des années, deux sujets sont récurrents: la nécessité d'un débat contradictoire devant le juge d'instruction au moment où celui-ci est amené à délivrer un éventuel mandat d'arrêt et l'usage abusif de la détention préventive.
Indépendamment de ses activités à la Ligue des droits de l'Homme, l'orateur préside la commission de surveillance de la prison de Forest-Berkendael où une petite étude a été réalisée sur le flux au sein de la prison. On a analysé les sorties en octobre, novembre, décembre 2007 et janvier 2008. Voici brièvement quelques résultats très instructifs: 33 % des personnes libérées l'ont été dans les deux semaines suivant le jour de leur arrivée; 48,23 % ont été libérées dans le mois suivant le jour de leur arrivée, 70 % ont été libérées dans les deux mois et 90,80 % ont été libérées dans les six mois. C'est inquiétant. Quel est le sens d'une détention de deux semaines ? Quel est l'intérêt de ces détentions préventives ?
En 1852, lors d'une grande réforme, on a opté pour les termes de « circonstances graves et exceptionnelles ». En 1990, à l'occasion d'une nouvelle grande réforme, ces mots quelque peu ambigus, ont été remplacés par la notion « d'absolue nécessité », non moins ambiguë.
Par ailleurs, le législateur avait assorti la loi sur la détention préventive d'une série de verrous, à savoir des affirmations claires, nettes qui ne devraient pas faire l'ombre d'une discussion. Or, force est de constater que ces dispositions n'ont absolument aucun effet. Prenons l'article 16, paragraphe 1er: « La délivrance du mandat d'arrêt ne peut être prise dans le but d'exercer un moyen de contrainte ».
L'expérience de l'orateur — et tous les avocats pénalistes s'accordent sur ce point — lui permet d'affirmer que la détention préventive est largement utilisée pour amener les inculpés à passer aux aveux. Ainsi, lorsqu'il se rend chez un juge d'instruction pour lui demander la libération de son client, il s'entend parfois proposer de revenir lorsque mon client sera revenu à de meilleurs sentiments. C'est une manière très claire de signifier qu'une libération ne pourra s'envisager qu'après l'obtention d'aveux. N'est-ce pas la preuve que la détention préventive est un moyen de contrainte ?
En outre, l'article précise également que la détention préventive ne peut être une mesure de répression immédiate. Un juge d'instruction auditionné par la présente commission aurait déclaré que, compte tenu des délais de comparution d'un prévenu devant un tribunal pour être jugé et éventuellement condamné, il fallait réagir immédiatement.
L'orateur pense également à une déclaration de Patricia Jaspis dans les médias: elle estime que la détention préventive est bien un « coup d'arrêt ». Qu'est-ce, sinon une répression immédiate ? Les parlementaires doivent être bien conscients que si les prisons connaissent une telle surpopulation et si le nombre de détentions préventives est trop élevé, c'est parce que les juges d'instruction ont décidé unanimement de placer sous mandat d'arrêt dans l'unique but — ils ne s'en cachent d'ailleurs pas — d'exercer une répression immédiate indispensable à un arrêt de la délinquance.
En ce qui concerne l'assistance d'un avocat, celle-ci est absolument indispensable. L'orateur rappelle que le 2 février 1994, une loi a été adoptée qui autorise les mineurs amenés au tribunal de la jeunesse à être assistés d'un avocat. Cela ne pose aucun problème. Il existe depuis 1994 une permanence d'avocats spécialisés dans défense des mineurs, qui sont donc à la disposition des juges de la jeunesse; ils peuvent d'abord s'entretenir avec leur client mineur et intervenir ensuite devant le juge de la jeunesse.
Cette assistance d'un avocat soulève des réticences de la part du barreau quant à son organisation et surtout quant au budget qu'elle nécessite du côté du BAJ. Il est indispensable de prévoir ce budget.
En outre, il faut que le suspect puisse s'entretenir avec son avocat et étudier avec lui son dossier. L'orateur rappelle aux parlementaires qu'avant la loi de 1990, la Chambre avait adopté à l'unanimité une proposition de loi prévoyant la présence d'un avocat devant le juge d'instruction, à côté du suspect inculpé susceptible de faire l'objet d'un mandat d'arrêt, mais interdisant à l'avocat de s'entretenir avec son client et lui refusant l'accès au dossier. En un mot comme en cent, cet avocat n'avait absolument aucune utilité.
À l'époque, le ministre de la Justice, Melchior Wathelet senior, avait alors déposé un projet de loi balayant ces dispositions en disant que la possibilité qui serait donnée au juge d'instruction de libérer, dans les cinq jours avant la comparution devant la chambre du conseil, l'inculpé qu'il venait de placer sous mandat d'arrêt était une forme de débat contradictoire. Il est évident que demander à un juge d'instruction de libérer un inculpé qui est déjà en prison est bien autre chose que d'intervenir devant le juge d'instruction avant l'incarcération de l'inculpé. La différence est énorme.
L'orateur a été surpris du fait que des policiers ont évoqué récemment le risque de collusion entre l'avocat et l'inculpé. En 1990 déjà, il a été question de lever l'interdiction de communiquer avec quelqu'un d'extérieur à la prison, notamment avec l'avocat.
En d'autres termes, avant 1990, quand le juge d'instruction prenait une ordonnance d'interdiction de communiquer, ce que l'on appelle une mise au secret, celle-ci visait tout le monde, y compris l'avocat. En 1990, on a voulu lever cette interdiction à l'égard de l'avocat. Jean Gol et d'autres parlementaires se sont alors insurgés en disant qu'il y avait un réel danger de collusion ou d'intervention de cet avocat. Heureusement, ils n'ont pas été suivis et depuis 1990, l'avocat n'est plus visé par cette disposition. Cela ne pose aucun problème, aucune plainte n'a jamais été déposée contre un avocat pour collusion.
L'avocat doit intervenir à tous les stades de la procédure. L'orateur renvoie à cet égard au paragraphe 45 d'un arrêt rendu jeudi dernier par la Cour européenne des droits de l'homme, l'arrêt Brusco contre France du 14 octobre 2010, requête nº 1466/07: « La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires ... ». On ne peut être plus clair. La semaine dernière, les discussions ont mis l'accent sur les complications éventuelles, notamment le fait que dans un délai de garde à vue, cette présence de l'avocat risquait d'être impossible. Ces considérations doivent céder le pas devant la jurisprudence très claire de la Cour européenne des droits de l'homme.
Quel est l'intérêt de cette présence ? D'expérience, l'orateur peut affirmer que cette présence doit être effective. Il faut que cet avocat puisse intervenir sinon sa présence n'a strictement aucun intérêt. Devant la commission d'enquête Outreau, les accusés, qui ont été définitivement acquittés, ont rappelé avec force que l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires devant le juge d'instruction n'avait véritablement aucune effectivité à partir du moment où, dès que l'avocat voulait prendre la parole, le juge d'instruction l'interrompait en disant « maître, vous aurez la parole quand je vous la donnerai tout à l'heure ».
Il est évident que c'est pendant l'interrogatoire qu'un avocat peut et doit intervenir, tout simplement parce que des questions peuvent être suggestives et des réponses très peu claires. Dernièrement, un client d'origine néerlandophone s'est mal exprimé en français en disant au juge d'instruction, à propos d'un fait extrêmement grave, « j'ai commis une bêtise ». Sans doute pensait-il au terme néerlandais stommiteit. Un avocat aurait pu intervenir à ce moment-là en demandant que cet homme puisse préciser sa pensée et exprimer ce qu'il voulait réellement dire. Il faut être conscient que c'est le genre de mot qui peut coller à la personne, qui peut donner une coloration à ses propos. À la cour d'assises, on lui dira: devant le juge d'instruction, tout ce que vous avez trouvé à dire c'est « j'ai commis une bêtise ». Or, ce n'était pas du tout son idée. C'est un exemple parmi d'autres.
L'orateur évoque aussi le cas d'une femme qui s'était enfermée pour empêcher son mari buveur et violent de la massacrer. Finalement, le mari a cassé la porte et la femme l'a tué pour se défendre. Elle fut d'ailleurs acquittée pour légitime défense. Cependant, devant le juge d'instruction, elle avait utilisé une expression tout à fait malheureuse en déclarant « « ai voulu en finir une fois pour toutes. »
À quel propos a-t-elle dit cela ? Était-ce en parlant du tir ou du moment où elle s'était enfermée ? Cette phrase l'a en tous cas poursuivie pendant six mois: en détention préventive, devant la chambre du conseil et devant la chambre des mises en accusation. Partout, on lui a rappelé qu'elle avait reconnu avoir tué cet homme parce qu'elle voulait en finir avec la vie qu'elle menait. Cela démontre qu'il est indispensable qu'un avocat puisse demander à la personne de préciser sa pensée. Dans l'exemple cité, cette femme voulait en effet dire qu'elle s'était enfermée et qu'une fois pour toutes, elle ne voulait plus que son mari l'approche quand il était ivre, et c'est d'ailleurs ce que la cour a retenu lorsqu'elle l'a acquittée.
L'orateur a, récemment encore, découvert l'interrogatoire d'un inculpé, où l'on trouve des expressions qui prêtent à l'interrogation. En effet, l'inculpé répond au juge d'instruction: « Je conçois avec vous que ... », « Je me rends bien compte que ... », « Vous avez raison de me dire ... », « Je crois effectivement que ... », « J'admets avec vous que ... ». Qui a dit quoi ? Le juge d'instruction a-t-il affirmé quelque chose et l'inculpé, dans un état que l'on peut imaginer — il est à la fin de sa garde à vue, il est épuisé —, a-t-il consenti ? Ces expressions sont censées avoir été prononcées par l'inculpé lui-même mais on sait bien, comme l'expliquera plus tard ce dernier, qu'il s'est en fait très peu exprimé et s'est contenté de prononcer des « oui » et des « non ». D'où des phrases que le juge d'instruction a lui-même formulées.
De même, il est indispensable que certaines auditions, surtout celles qui peuvent avoir des conséquences extrêmement lourdes sur la détermination de la culpabilité, puissent être enregistrées sur un support audio ou vidéo. Il convient en effet de tenir compte non seulement de ce qui est dit et consigné dans un procès-verbal mais aussi des mimiques, de la gestuelle, des hésitations et des silences. On le constate lors des auditions de mineurs. Les mineurs qui sont abusés sexuellement et qui sont entendus sur ce qu'ils ont vécu, sont auditionnés dans un cadre particulier, avec une assistance psychologique et l'aide de spécialistes. Toute l'audition est filmée, ce qui permet au tribunal de se rendre véritablement compte de ce que le mineur a dit ou a voulu dire. Il y a des silences et des mimiques qui sont autrement plus significatifs et plus parlants que ce qui est repris dans un procès-verbal.
Le législateur, dans la loi « Franchimont » de 1998, a prévu la possibilité pour la personne entendue d'exiger que les questions qui lui sont posées et les réponses qu'elle donne soient actées dans les termes utilisés. Cela permet de garantir que les propos de la personne entendue sont textuellement rapportés et qu'on ne puisse pas trahir ce qu'elle a dit. Autrefois — et cela se passe encore aujourd'hui, malheureusement —, au terme d'une discussion parfois longue entre un suspect et un policier, ce dernier s'installe son ordinateur et traduit ce qu'il a compris de ce que le suspect a dit. Celui-ci reçoit ensuite sa déclaration imprimée. Quel est le suspect qui demande à la lire avant de la signer ? Quel est celui qui ose dire qu'il n'est pas d'accord avec les expressions utilisées et qu'il souhaite les changer ?
Cette question fait d'ailleurs l'objet d'âpres discussions. De plus, les policiers ont changé de technique: avant, ils corrigeaient directement le procès-verbal. Aujourd'hui, ils font de plus en plus souvent un ajout indiquant que la personne leur demande d'apporter une correction. Cela donne l'impression que le suspect s'est rendu compte qu'il a dit quelque chose qu'il n'aurait pas dû.
C'est pourquoi l'orateur demande avec insistance qu'il soit prévu dans une réforme fondamentale de la loi sur la détention préventive que l'on retienne dorénavant cette manière d'entendre.
Le Sénat et la Chambre ont tout intérêt à procéder aujourd'hui à une réforme fondamentale de la loi sur la détention préventive car une petite réforme très limitée n'aurait aucun intérêt.
Il est indispensable de séparer radicalement l'instruction du volet relatif à la privation de liberté.
L'orateur ne comprend pas comment on peut affirmer qu'un juge d'instruction instruit à charge et à décharge et est donc totalement impartial, alors qu'il est pour l'inculpé celui qui l'a placé sous mandat d'arrêt, celui qui, depuis la réforme de 2005, peut le libérer à tout moment sans opposition du parquet et, par conséquent, s'il reste en prison, celui qui refuse sa libération. Il s'agit là d'un effet pervers.
Il faut se mettre à la place d'un inculpé qui clame son innocence. Il a été placé sous mandat d'arrêt par un juge d'instruction, il réclame à de multiples reprises sa libération et le juge d'instruction, qui peut l'ordonner à tout moment sans opposition du parquet, la refuse. Pour l'inculpé incarcéré, ce juge d'instruction n'est pas totalement impartial. Il est un peu comme l'ennemi, celui qui le maintient en prison. On ne peut parler d'instruire à charge et à décharge en ayant en même temps ce pouvoir exorbitant.
L'orateur propose, quant à lui, de séparer nettement les deux volets en prévoyant que dorénavant, la décision de mettre sous mandat d'arrêt ne soit plus prise par le juge d'instruction mais par une juridiction que l'on pourrait appeler « chambre des libertés ».
Cette proposition présente nombre d'avantages, le premier étant de maintenir le délai de garde à vue à 24 heures. En effet, dans ce cas, on peut envisager sans difficulté que toute la phase antérieure à l'interrogatoire du juge d'instruction, se déroule en 24 heures, comme c'est le cas actuellement.
On peut alors imaginer que le juge d'instruction, dans ce délai de 24 heures, inculpe et que son rôle s'arrête là. Il inculpe, communique le dossier au parquet, qui peut sur base de cette inculpation, décider éventuellement de requérir la délivrance d'un mandat d'arrêt.
Sachez qu'aujourd'hui, le parquet prend des réquisitions de mise à l'instruction et de décernement de tout mandat, s'il échet, c'est-à-dire qu'il laisse au juge d'instruction le soin de décider s'il va ou non délivrer un mandat d'arrêt.
Ici, ce serait une décision du procureur du Roi qui, au vu du dossier et de l'interrogatoire de l'inculpé, prendrait ses réquisitions. Dans le délai de 24 heures, dans cette proposition, le président de la chambre des libertés ou l'un de ses assesseurs pourrait alors prendre une ordonnance de mise à la disposition de la chambre des libertés. Cette ordonnance prise dans les 24 heures répond au prescrit constitutionnel puisque c'est une décision prise par un juge. Cette ordonnance est prise uniquement sur la base du dossier, c'est-à-dire que le président de la chambre des libertés constate uniquement que la procédure et l'interrogatoire de l'inculpé sont réguliers. Sans débat contradictoire, il prend la décision de mise à la disposition de la chambre des libertés et, dans les 24 heures qui suivent, un débat contradictoire s'engage devant cette chambre des libertés avec l'assistance d'un avocat et la présence du procureur du Roi, mais hors de la présence du juge d'instruction.
L'orateur insiste sur la nécessité d'une réforme fondamentale de la loi sur la détention préventive.
Il dit avoir vécu de manière extraordinaire la réforme introduite en 1990 par l'article 18 qui impose qu'au moment de la signification du mandat d'arrêt, une copie du procès-verbal d'audition par le juge d'instruction et une copie des autres pièces soient remises à l'inculpé. En 1990, le projet avait suscité une levée de boucliers de toutes parts. De nombreux greffiers objectaient qu'on leur faisait perdre du temps considérable, en les obligeant à accomplir un travail impossible et totalement inutile, puisque la plupart des inculpés ne feraient aucun usage des documents qui leur seront remis. »
Les avocats se sont au contraire rendus compte qu'à chaque visite à la prison, lorsqu'ils font appeler un détenu qui vient d'être placé sous mandat d'arrêt, ce détenu arrive d'initiative avec tous les papiers qu'il a reçus du juge d'instruction. Cela permet d'assurer véritablement sa défense. Auparavant, les avocats ne disposaient d'aucune pièce, ils ignoraient ce que leur client avait et les arguments que le juge d'instruction lui avait opposés.
L'orateur a déjà évoqué l'interdiction de communiquer. Mais il se dit surpris de voir que dans l'article 20bis de la loi, qui traite du mandat d'arrêt en vue d'une comparution immédiate et qui a été délaissé à cause d'une série d'annulations prononcées par la Cour d'arbitrage, le législateur avait néanmoins prévu que le prévenu avait le droit de s'entretenir avec son avocat préalablement à sa comparution devant le juge d'instruction que le juge pouvait décerner un mandat d'arrêt après avoir entendu la personne et, sauf refus de celle-ci d'être assistée, les observations de son avocat. C'est dire qu'en 2000, cette réforme était déjà prévue par le législateur dans ce cas tout à fait particulier.
La situation est semblable avec l'article 22 traitant de l'interrogatoire récapitulatif, qui est la possibilité offerte à l'inculpé de demander à être entendu par le juge d'instruction avec l'assistance de son avocat durant sa détention préventive. À l'époque, on a dit que l'on allait encombrer les juridictions avec ce genre de procédures. Ce n'est pas ce qui s'est produit: cette procédure est couramment utilisée sans difficulté.
B. Échange de vues
M. Vanlouwe se demande si la dernière proposition de réforme en profondeur de la loi relative à la détention préventive est réaliste. D'un point de vue pratique, le délai de 24 heures pour priver quelqu'un de sa liberté ne semble pas tenable.
L'intervenant résume la situation. La police interroge un suspect. Elle entre ensuite en contact avec le parquet, puis avec le juge d'instruction, qui peut inculper le suspect. Le dossier retourne ensuite au parquet, après quoi un débat contradictoire devrait encore avoir lieu au sein d'une juridiction dans un délai de 24 heures. Si l'intervenant a bien compris, l'objectif est de ramener à 24 heures le délai de cinq jours dont dispose la chambre du conseil pour mener à bien sa mission, qui est de contrôler le mandat d'arrêt délivré par le juge d'instruction.
Lors d'une précédente réunion, l'on a soutenu ici à plusieurs reprises que le délai de 24 heures était trop court pour pouvoir se prononcer sur le mandat d'arrêt. Aujourd'hui, certains semblent affirmer qu'il doit être possible de mener un débat contradictoire dans les 24 heures de l'audition de police.
L'intervenant sait parfaitement que les juges d'instruction assurent un service de garde. Reste à savoir s'il sera toujours possible, dans le cadre de ce service de garde, de convoquer des juges d'instruction pour mener, dans les vingt-quatre heures, un débat contradictoire en présence du président de la juridiction, du parquet et des avocats. L'intervenant pense que dans la pratique, le délai proposé ne sera pas tenable.
M. Mahoux s'accorde avec l'interprétation des multiples arrêt de Strasbourg faite par l'orateur. Ces arrêts paraissent parfaitement clairs, y compris le dernier en date. L'intervenant s'interroge cependant sur l'apparente mise en cause par l'orateur de l'impartialité du juge d'instruction.
Par ailleurs, tout mandat d'arrêt est suivi d'une confirmation par la chambre du conseil, dans les délais prévus par la procédure, avec une possibilité de recours devant la chambre des mises en accusation, pour une durée limitée. On aurait observé des libérations « anormales » par rapport à l'importance des faits, simplement parce que la procédure n'aurait pas été suivie.
L'intervenant s'interroge donc quelque peu sur la complexification que la proposition formulée par l'orateur introduit dans la procédure, alors que le système actuel semblerait quand même comporter des garanties.
L'orateur semble dire que, puisque le juge d'instruction n'use pas, à un moment donné, de son pouvoir de libérer la personne intéressée, sa démarche est de nature positive. Intellectuellement, cette approche paraît contestable: comme le magistrat instructeur ne prend pas de mesure négative par rapport à l'ordonnance de la chambre du conseil, l'orateur considère que sa démarche est une démarche de maintien. On pourrait voir ainsi, dans la procédure actuelle, la décision, ou la non-décision — puisqu'il ne change rien — du juge d'instruction.
L'introduction, peut-être justifiée, d'un élément juridictionnel supplémentaire par rapport au juge d'instruction n'augmente-t-elle pas la complexité de la procédure ?
M. Delpérée rappelle que l'on dit parfois du juge d'instruction qu'il est l'homme le plus puissant du Royaume, une vieille formule qui remonterait au temps de Napoléon.
On constate aussi que ce juge d'instruction est un homme ou une femme seul(e). Pourquoi ne pas introduire ici le principe de collégialité, par exemple deux personnes, ce qui donnerait l'occasion d'un débat et ce, sans aller nécessairement jusqu'à la création d'un tribunal des libertés ?
Mme Turan n'est pas étonnée que la proposition exposée par M. de Beco soit très proche de celle formulée par les ordres.
La question de l'intervenante porte également sur la confirmation du mandat d'arrêt dans les 24 heures. L'intervenante fait référence à la situation en matière de jeunesse où la situation n'est pas idéale. Il y a plein de choses qui vont de travers. Il arrive qu'un avocat d'un pool d'avocats se voie confier un dossier à la dernière minute pour défendre au pied levé les droits d'un mineur. C'est plus une formalité qu'autre chose. L'on n'a pour ainsi dire pas le temps de traiter du fond. C'est mathématiquement impossible en l'espace de vingt-quatre heures et même en l'espace de quarante-huit heures.
Et si la compétence en matière de mandat d'arrêt était confiée à un tribunal, M. de Beco camperait-il sur sa proposition ou préférerait-il qu'un avocat dispose de suffisamment de temps avant et pendant l'audition pour assurer les droits de la défense ? Que choisirait M. de Beco ?
Mme Defraigne constate, avec M. Mahoux, que, si on n'a pas encore compris, après la lecture des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, qu'il est nécessaire de légiférer et que la solution adoptée doit être claire, nette et répondre au prescrit de ladite Cour, c'est qu'on se voile la face.
Ces arrêts impliquent une présence de l'avocat dès la privation de liberté, version « garde à vue ». Cette présence doit être effective et ne pas se limiter à de la figuration. Il y a une nuance importante dans ce que les juges d'instruction ont expliqué par rapport à l'accès au dossier.
Pour ce qui concerne les enregistrements sonores et vidéo, l'intervenante souscrit aux propos de l'orateur. En effet, les silences et la gestuelle sont parfois plus éloquents que les retranscriptions dans les procès-verbaux.
Le point crucial est le délai de 24 heures. Il faudra décider si on s'en tient à ce délai, tel que prévu par la Constitution, ou si on l'allonge et dans quelle mesure. Cela suppose bien évidemment une modification constitutionnelle, ce qui, il faut en convenir, n'est pas évident dans la situation politique actuelle.
Si l'on allonge le délai, faut-il le faire passer à 48 heures ? L'intervenante ne le pense pas car, comme l'ont expliqué les juges d'instruction, c'est généralement à la 23e heure qu'on délivre le mandat d'arrêt et qu'on se dépêche de régler les problèmes. Il y a lieu de craindre, si l'on passe à 48 heures, que les choses bougent à partir de la 47e heure et que l'urgence se déplace. On le sait, quand on dispose de plus de temps, on en prend aussi davantage.
La question qui se pose — et c'est pourquoi l'audition de M. Vandermeersch est prévue — consiste à savoir si l'on peut prolonger le délai de deux heures sans violer la Constitution. Dans le texte du ministre de la Justice, ces deux heures représentent en fait le temps nécessaire pour appeler l'avocat.
L'orateur a déclaré aujourd'hui ne pas être partisan d'une « réformette ». Il a dit souhaiter que l'on en profite pour réformer toute la question de la détention préventive. Si l'on peut admettre que, telle qu'elle est pratiquée actuellement, la détention préventive ne répond pas au prescrit constitutionnel et que c'est une façon de faire passer aux aveux une personne qui est emprisonnée, il faut bien constater que c'est aussi une manière d'anticiper sur la peine finale car on sait que l'on n'exécute pas les courtes peines de prison.
L'oratrice a le sentiment que l'orateur vient plaider pour une modification draconienne du rôle du juge d'instruction qui peut inculper mais pas délivrer le mandat d'arrêt, ce qui implique le recours à une juridiction des libertés.
Or, le mieux est parfois l'ennemi du bien.
Il faut en tout cas résoudre le problème dans l'intérêt de l'État belge qui risque d'être condamné par la Cour européenne des droits de l'homme. L'exigence de l'orateur semble aller à l'encontre de la réforme que l'on essaie de mettre en place. Mais peut-être demande-t-il plus pour obtenir au moins ce qu'il souhaite. Toutefois, l'intervenante craint que cette exigence ne soit dangereuse et délicate, alors qu'il y a un problème précis à résoudre.
M. de Beco répond tout d'abord à M. Mahoux qu'il a une confiance totale dans les juges d'instruction.
D'autre part, il faut entendre aussi bien les inculpés que les victimes. Lorsqu'un inculpé n'est pas placé sous mandat d'arrêt, les victimes protestent et mettent en cause le juge d'instruction. Lorsque ce dernier libère un inculpé, trop tôt selon les victimes, celles-ci réagissent aussi très mal.
Par ailleurs, lorsqu'un inculpé clame son innocence et est placé sous mandat d'arrêt, il en conclut que le juge d'instruction est convaincu de sa culpabilité. L'orateur n'a pas voulu exprimer sa défiance vis-à-vis du juge d'instruction, mais simplement expliquer comment les choses sont perçues par l'inculpé. En outre, comme avocat, l'orateur est le porte-parole tantôt des victimes, tantôt des inculpés.
À propos de l'inculpé placé sous mandat d'arrêt alors qu'il hurle son innocence et qui n'est pas libéré, M. Mahoux a évoque à juste titre la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation. Ce qui n'est pas nécessairement un acte positif de la part du juge d'instruction est cependant vécu comme tel par l'inculpé.
La proposition de l'orateur libérerait aussi quasiment 60 % du temps des juges d'instruction. À l'heure actuelle, ces derniers perdent un temps considérable à discuter de la détention préventive. Tous les jours, ils passent des matinées entières aux audiences de la chambre du conseil. S'ils pouvaient consacrer tout leur temps à l'instruction, ils ne seraient pas débordés comme ils le sont aujourd'hui.
Quant au délai de garde à vue, l'orateur pense qu'il s'est mal exprimé. Il demande le maintien du délai de garde à vue de 24 heures, jusqu'à l'interrogatoire de l'inculpé. Aujourd'hui, cela ne pose pas de problème. Il convient cependant d'éviter que cet interrogatoire intervienne à la 23e heure du délai. C'est tout à fait possible, pour peu que la police veille à transmettre à temps les procès verbaux.
On garde donc le délai de 24 heures prévu par la Constitution. La majorité des inculpés le sont dans les 24 heures, et sont libérés par le juge d'instruction. Ce n'est que lorsque le procureur du Roi exige la délivrance d'un mandat d'arrêt qu'il saisit, dans les 24 heures, un membre de la chambre des libertés en lui demandant de prendre, sans débat, une ordonnance de mise à la disposition de cette chambre. Cette ordonnance répond au prescrit constitutionnel puisqu'il faut que la décision soit prise par un juge.
Dans les 24 heures qui suivent, il faut prévoir une audience comportant un débat contradictoire, la possibilité pour l'avocat de voir son client, de consulter le dossier et de préparer la défense. Ce serait donc dans les 24 heures qui suivent que la chambre des libertés délivrerait éventuellement un mandat d'arrêt, mais le prescrit constitutionnel est tout à fait respecté, puisque l'ordonnance de mise à disposition est une ordonnance de privation de liberté prise par un juge.
Enfin, l'orateur se rallie aux propos de Mme Defraigne en ce qui concerne l'allongement du délai à 48 heures, et le risque de déplacement de l'urgence qu'il comporte. En prolongeant le délai de garde à vue de 24 à 48 heures, de nombreux suspects qui auraient été inculpés seraient libérés au terme des 48 heures, alors que la proposition de l'orateur prévoit un terme de 24 heures. Pour des gens qui travaillent, une absence de 24 heures est encore acceptable, mais, une absence de 48 heures ne l'est plus du tout.
L'orateur se demande donc pas d'allonger le délai, mais suggère simplement que le débat sur la liberté se fasse dans un second délai de 24 heures.
M. Delpérée a évoqué la possibilité d'une collégialité des juges d'instruction. C'est un autre système.
L'orateur continue à déplorer que les juges d'instruction restent en même temps en charge de l'instruction et de la privation de liberté. Son expérience lui permet de dire que c'est inacceptable.
En effet, en chambre du conseil, surtout, le juge d'instruction vient justifier sa décision de délivrer un mandat d'arrêt. En mettant le mandat d'arrêt en cause, on met le juge d'instruction en cause. L'homme étant ce qu'il est, il se sent personnellement agressé quand on lui demande comment il a pu placer une personne sous mandat d'arrêt dans telles et telles conditions.
Mais, même si les juges d'instruction étaient déchargés du débat sur la privation de liberté, et se contentaient d'instruire, ils devraient être au moins trois dans les affaires importantes. L'orateur est d'accord avec M. Delpérée à cet égard.
Mme Turan insiste sur le fait que dans la pratique, deux fois 24 heures ne suffiront pas non plus. Elle demande à M. de Beco ce qu'il préfère. Soit un avocat qui a la possibilité de bien préparer le dossier, d'assister à l'audition et d'être garant des droits de la défense. Soit se retrouver, dans les 24 heures qui suivent ces premières 24 heures, devant un autre tribunal qui confirmera ou non l'arrestation à l'issue d'un débat contradictoire.
M. de Beco répond qu'il était au conseil de l'ordre et assurait la présidence du BCD, l'actuel BAJ, en 1994, quand la loi a été discutée. Des réunions ont eu lieu avec des juges de la jeunesse qui estimaient eux aussi, que l' système serait impossible à appliquer et que la présence de l'avocat serait purement formelle.
L'orateur se souvient avoir dit alors aux juges de la jeunesse que de toute façon, étant donné que la loi allait être votée, la seule chose à faire était d'organiser ces comparutions. Une permanence « Avocats des jeunes » a été mise sur pied. Elle est actuellement dirigée, de façon remarquable, par Me Amaury de Terwangne. Une série d'avocats spécialisés interviennent dans ce cadre, et il ne s'agit pas d'une présence purement formelle: c'est une vraie présence active, où l'avocat discute avec le juge de la jeunesse des possibilités de prise en charge. L'orateur a d'ailleurs participé à plusieurs reprises à de telles discussions. Que faut-il faire lorsqu'un mineur commet un fait grave ? À quelles conditions ? L'avocat joue là un rôle très actif et fort apprécié par les juges de la jeunesse.
III.9. AUDITION DE M. DAMIEN VANDERMEERSCH, PROFESSEUR
A. Exposé de M. Damien Vandermeersch
M. Vandermeersch déclare que la prolongation du délai de vingt-quatre heures dépend du contenu que l'on donnera à l'intervention de l'avocat.
Il y a deux stades: le stade du contact préalable à l'audition par les fonctionnaires de police, et dans un deuxième temps, quand un mandat d'arrêt est envisagé, l'assistance éventuelle de l'avocat lors de la comparution devant le juge d'instruction et, peut-être, un débat préalable au mandat d'arrêt, contradictoire ou non, devant le juge d'instruction.
Passer d'un délai de vingt-quatre heures à un délai de quarante-huit heures permettrait de disposer de plus de temps pour organiser un contact suffisamment efficace avec l'avocat. Cela s'appliquerait indistinctement à toutes les situations. C'est une première option. D'autres pays ont un délai de garde à vue plus long que le nôtre. L'autre option est l'intervention du juge, puisque c'est une exigence constitutionnelle si l'on maintient la disposition telle quelle, donc l'ordonnance motivée d'un juge prolongeant la période; juge qui dans l'état actuel de notre système serait le juge d'instruction.
On a évoqué une prolongation de deux heures. L'orateur pense que tout dépend de ce que l'on veut faire durant cette prolongation. Il y a, une fois encore, différentes options. Il y a tout d'abord une option générale, consistant à faire cela de façon indistincte, notamment dans le cadre d'une mini-instruction, mais l'orateur se demande s'il ne faudrait pas modifier la Constitution pour être cohérent, puisque cela s'appliquerait de façon indistincte, eu égard aux circonstances concrètes, toujours difficiles à prévoir. Si l'on envisage l'intervention d'un avocat, il faut qu'elle soit réelle et efficace, ce qui demande inévitablement du temps. L'orateur croit que l'on pourrait réserver la possibilité d'une prolongation du délai constitutionnel de vingt-quatre heures. Cette disposition devrait s'inscrire dans le cadre de l'article 12 de la Constitution si ce dernier n'est pas modifié. Il faudrait peut-être réserver cette procédure aux situations où le procureur du Roi requiert un mandat d'arrêt. La phase policière ou phase d'information resterait limitée à vingt-quatre heures. Mais dans l'hypothèse où un acte important serait demandé au terme de ces vingt-quatre heures — la délivrance d'un mandat d'arrêt —, ce qui impliquerait d'autres formalités puisque cela obligerait le juge d'instruction à entendre personnellement l'inculpé sur les faits et sur le mandat d'arrêt, ce qui pourrait impliquer un nouveau contact préalable avec l'avocat et sa présence lors de l'audition par le juge, il conviendrait d'envisager un débat contradictoire devant le juge.
La présence de l'avocat semble surtout utile en matière de conseil, de contact préalable, en termes non seulement de stratégie de défense, mais aussi de débat contradictoire.
Le débat contradictoire, soyons clairs, ne doit pas être mené devant le fonctionnaire de police. Le policier n'est pas armé pour discuter d'éléments du dossier. Il faut, au contraire, l'éviter. Ce n'est pas le lieu adéquat pour un débat qui risque de dégénérer en confrontation. C'est devant le juge que doit éventuellement avoir lieu le débat contradictoire préalable au mandat d'arrêt.
Il peut être tout à fait justifié de travailler en deux temps. Dans un premier stade, le dossier est examiné et la personne, entendue avec, bien évidemment, au minimum, un contact avec l'avocat, préalable à l'audition par les fonctionnaires de police. Au terme de cette première phase de vingt-quatre heures, soit la personne est libérée et il n'y a donc pas lieu de prolonger le délai, soit on requiert la délivrance d'un mandat d'arrêt, hypothèse dans laquelle la contradiction doit être organisée de façon sérieuse, ce qui prendra un certain temps. Quant à la suite de la procédure, il ne s'agira pas d'un mandat d'amener, puisqu'en l'occurrence, la logique n'est pas d'amener l'intéressé devant le juge mais d'organiser ses droits en matière de défense, ce qui implique une concertation avec son avocat et la présence de ce dernier à l'audition. Cette présence doit être efficace, en ce sens que l'avocat doit également pouvoir faire part de certains éléments quant à l'encontre de la délivrance d'un mandat d'arrêt. Rappelons que le législateur a toujours été soucieux de limiter le nombre de détentions préventives. Cette façon de procéder peut même aider le juge d'instruction à prendre sa décision. Si l'intervention de l'avocat permettait au juge de disposer de certaines garanties et pouvait éviter quelques mandats d'arrêt, la mesure aurait tout son sens.
B. Échange de vues
M. Mahoux relève que l'orateur a évoqué une alternative à la situation actuelle. L'intervenant en voit en tout cas une, qui consiste à ne rien changer au système actuel de garde à vue. Il tient à signaler que l'augmentation de la durée de la garde à vue ne fait pas l'unanimité.
Concernant la procédure pénale de manière générale, il souhaite poser quatre questions.
Tout d'abord, l'arrêt de Strasbourg n'est-il pas clair quant à la présence de l'avocat, y compris au moment du premier interrogatoire ? L'intervenant aimerait connaître l'avis de l'orateur à ce sujet. À la relecture d'un arrêt récent, il ne semble pas y avoir d'équivoque sur ce point.
L'intervenant aborde la deuxième question. Selon le système proposé par l'orateur, on ne pourrait prolonger la garde à vue que dans le cas d'un réquisitoire de mandat d'arrêt. Cela constituerait une forme d'alternative. Le juge d'instruction pourrait ainsi gagner 24 heures. Est-ce bien cela ?
Enfin, quelles nuances l'orateur apporte-t-il aux notions de présence et de débat contradictoire aux différentes étapes de la procédure ? Cet élément important devra en effet être débattu.
Il semble considérer — et c'est intéressant — que les policiers ne sont pas nécessairement armés pour assurer le caractère contradictoire, stricto sensu, de la procédure à son début, contrairement aux juges d'instruction. Une autre hypothèse est de prévoir une présence de l'avocat, sans débat contradictoire.
Enfin, quelle que soit l'option retenue, l'orateur semble estimer préférable de modifier la Constitution, dès qu'il s'agit de modifier les règles de la garde à vue. Est-ce bien cela qu'il faut comprendre ? Ou bien faut-il considérer qu'une simple modalisation de la prolongation de la garde à vue ne nécessiterait pas de modification de la Constitution ?
M. Delpérée voudrait s'assurer de bien comprendre le système que propose M. Vandermeersch.
À un premier stade, la délivrance d'un mandat d'arrêt serait demandée au procureur du Roi, dans les 24 heures.
Deuxièmement, toujours dans les mêmes 24 heures, une ordonnance motivée serait délivrée par le juge d'instruction, non sur la question de la liberté de la personne, mais sur la prolongation de son mandat d'arrêt.
Troisièmement, la deuxième série de 24 heures commencerait.
Quatrièmement, une nouvelle ordonnance motivée serait émise par le juge d'instruction pour priver la personne de sa liberté.
Ainsi, deux ordonnances motivées seraient délivrées en 48 heures. Une interprétation de la Constitution établirait que les premières 24 heures devraient faire l'objet d'une ordonnance motivée et les premières 48 heures de deux ordonnances motivées.
Ce résumé est sans doute quelque peu arithmétique, mais est-ce bien de cela qu'il s'agit ?
Mme Defraigne constate que les arrêts de la Cour européenne des Droits de l'homme tombent comme des guillotines, toujours plus clairs et explicites. On a rappelé l'attendu 45, extrêmement limpide, qui condamne la France.
L'orateur a parlé d'une présence de l'avocat, effective, efficace et réelle. Pas de figuration, donc — ce terme a été utilisé à plusieurs reprises au cours de nos auditions.
Quid de l'accès au dossier ? C'est une question fondamentale dont le principe a été rejeté, non par les avocats, mais par les juges d'instruction.
Par ailleurs, dans l'hypothèse maximaliste de la présence de l'avocat effective et réelle dès la privation de liberté, est-il possible de rencontrer toutes les contraintes en question, dans un délai de 24 heures ? Il faut en effet prévoir la présence effective et réelle de l'avocat dès le début, avec les conditions matérielles adéquates, et celle d'éventuels interprètes. Si plusieurs personnes sont en état d'arrestation, il faut prévoir plusieurs avocats, etc. Est-ce réaliste ?
Les juges d'instruction nous ont expliqué que le mandat était rédigé, à la hâte, à la vingt-troisième heure. Si l'on allonge le délai de 24 heures, n'est-ce pas à la quarante-septième heure que l'on s'empressera de rédiger le mandat ? La nature humaine est ainsi faite.
M. Vandermeersch répond tout d'abord qu'il incombe au législateur de faire certains choix. Il peut seulement expliquer certaines possibilités en se fondant sur l'expérience acquise durant les seize années où il a été juge d'instruction, faire état d'une sensibilité qui alimente la réflexion sur cette question, et cerner la portée et la praticabilité de certaines réformes envisagées.
La première question rejoint un peu la dernière. L'orateur craint que l'intervention de l'avocat reste purement formelle, que l'avocat doive « courir derrière » les étapes de la procédure, vu le délai de 24 heures et la dictature de l'horaire. Quel contenu veut-on donner à l'intervention de l'avocat ? Veut-on une intervention formelle, c'est-à-dire une intervention qui veille au respect des règles, au droit au silence, à l'interdiction de traitements tout en préparant un peu la défense ou bien veut-on davantage de contradiction ? Tel est le choix que doit opérer le législateur.
La deuxième question est la plus ennuyeuse: comment interpréter les arrêts de la Cour européenne, lesquels évoluent chaque jour ? L'orateur renvoie aux nombreux auteurs qui ont écrit sur la question. S'il est une question qui a donné lieu à une littérature abondante en si peu de temps, c'est bien celle-là. Il s'agit d'un problème bien réel. La Cour européenne a rendu plusieurs arrêts dans des dossiers juridiques ou sur des systèmes juridiques différents et particuliers. La question est difficile parce que la Cour européenne évalue un système dans son ensemble. En l'occurrence, ce n'est pas le système ou la procédure dans son ensemble qui est en jeu mais une période que la Cour elle-même qualifie de cruciale, la période de garde à vue.
L'orateur estime qu'une période de garde à vue plus courte offre davantage de garanties qu'une période plus longue. La Cour européenne a d'ailleurs toujours précisé qu'il appartenait au législateur national de voir comment mettre en uvre le caractère équitable du procès. On connaît ses trois soucis à cet égard: le respect du droit au silence, l'assistance de l'avocat quant à la préparation de la défense et à l'égalité des armes, l'interdiction de toute forme de contrainte ou de traitement contraire aux dispositions de la Convention.
À partir du moment où ces objectifs sont posés, c'est au législateur à agir. L'orateur ne peut qu'observer que dans l'arrêt Bouglame, la Cour européenne a bien laissé entendre que notre système ne semblait plus compatible avec ses standards. C'est une position nouvelle: pendant des années, la Cour européenne a connu de certaines de nos procédures ou de celles de pays voisins sans soulever la question qui nous occupe aujourd'hui. C'est une évolution dont nous devons tenir compte.
Quant au contenu de l'assistance, les choses sont encore assez vagues. Elles se précisent peu à peu mais l'orateur estime qu'il faut considérer cette question dans un système d'ensemble.
Évidemment, il faudra faire des choix. Les avocats ne sont guère demandeurs d'une présence à l'audition policière. Ils sont conscients de l'importance de la charge en termes quantitatifs. Par ailleurs, si leur présence se limite à un rôle complètement passif, cela pose évidemment problème.
On peut évidemment imaginer une présence de l'avocat qui serait le garant du droit de se taire et qui pourrait organiser la défense. On peut aussi se demander si aucune autre piste n'est envisageable. Dans une étude parue dans le liber amicorum Huybrechts, l'orateur a abordé la question de la recherche des équilibres. Il pense que le contact préalable avec l'avocat est le minimum minimorum, mais l'enregistrement pourrait offrir une garantie quant au déroulement de l'audition, ce qui contribuerait à en améliorer la qualité.
Il faut éviter les situations de justice à deux vitesses où, dans certains cas, les avocats seraient suffisamment disponibles pour assister aux auditions de police, ce qui exigerait beaucoup de leur temps, tandis que dans d'autres cas, les avocats seraient moins disponibles et leur intervention moins systématique.
Il faudra trancher cette difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Si un contact préalable a lieu avec l'avocat et, éventuellement, une audition devant la police qui pourrait être considérée comme une audition exploratoire, on pourrait aussi imaginer que cette audition puisse servir de preuve par la suite dans le cas d'une audition devant le juge en présence de l'avocat. À défaut, elle pourrait servir à titre de renseignement pour certaines orientations de l'enquête.
Pour faire ces choix, il faudra s'interroger sur le contenu de l'assistance et sur le fait de savoir s'il faut prévoir l'assistance de l'avocat au niveau policier, ce qui nécessitera des dispositions et des moyens très importants. Il faudra décider également si l'on prévoit cette assistance pour toutes les auditions. Il suffit de faire un inventaire du nombre d'auditions en vingt-quatre heures pour se rendre compte que le système sera particulièrement lourd. Reste alors à se poser la question de la plus-value des garanties sur le fond, qui interpelle particulièrement l'orateur. Il apprécie les garanties de forme mais je préfère les garanties de fond, qui permettent aux personnes d'être mieux défendues.
Il craint que si l'on veut vraiment une défense efficace dans les vingt-quatre heures, on ne soit davantage soumis à la dictature des heures et de l'échéance, avec la conséquence éventuelle que les acteurs pourraient travailler moins bien qu'actuellement.
La décision à laquelle il faut aboutir est cruciale puisqu'il s'agit de la délivrance d'un mandat d'arrêt. Cette phase-là ne semble pas à l'orateur pouvoir être bâclée, ce qui rejoint l'esprit de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Pour ce qui est du contenu, il lui semble que l'inculpé mérite mieux qu'une assistance purement formelle, derrière une vitre. Si l'on recherche vraiment une plus-value pour tous les acteurs, il pense que le fait de donner une dimension plus contradictoire contribuera à améliorer le débat sur le fond et permettra au juge d'instruction de statuer, au terme des auditions, davantage en connaissance de cause.
L'accès de l'avocat au dossier fait l'objet d'un choix. Selon la logique du secret de l'instruction, il vient un moment où celui-ci est de mise. Par contre, on sait que dès qu'on entre dans le cadre de la détention préventive, le secret de l'instruction est tout à fait relatif car, à l'heure actuelle, l'accès au dossier dans les cinq jours est général et ne souffre aucune exception.
Si l'on veut mener un débat contradictoire devant le juge d'instruction, un accès rapide doit faire l'objet d'une discussion car, même avec un délai prolongé, l'accès ne sera jamais pareil à celui qu'on peut avoir ultérieurement. L'accès aux éléments essentiels pourrait être limité dans le temps. On le limite bien pour la première comparution devant la chambre du conseil à un jour et non deux comme ultérieurement pour des nécessités de délai.
Si l'on ne souhaite pas mener de débat devant le juge d'instruction et si l'avocat ne fait qu'assister, car il ne doit pas intervenir sur le fond, l'accès au dossier se justifie beaucoup moins.
Si l'on procède à un débat sur le fond, il faut opter ou non pour l'accès au dossier. Entre-temps, l'avocat aura reçu la copie des auditions devant les forces de police, ce qui lui permettra d'avoir déjà une certaine connaissance des faits.
Tout dépend de la portée qu'on veut donner aux notions d'assistance et de contradiction. Si l'on veut la contradiction, il est préférable qu'elle soit éclairée de toutes parts et qu'on ne doive pas émettre des réserves par rapport à des éléments qui seraient inconnus.
Pour ce qui est du délai de 24 heures, on connaît déjà la situation du mandat d'amener. Il s'agit de l'ordonnance motivée qui est suivie dans les 24 heures du mandat d'arrêt. Cela n'a jamais posé de problème. C'est une situation de lege lata qui figure dans les textes.
La question est la suivante: modifie-t-on un délai de manière générale et pour toutes les affaires afin de se donner plus de temps ? On risque toutefois d'en arriver aux 47 heures. Un dossier peut être très bien préparé avant l'interpellation d'une personne, mais son audition apporte une plus-value à l'enquête car elle permet d'envisager d'autres éléments qui peuvent être vérifiés, recoupés avec des témoins, etc.
Tout ce travail doit-il absolument être réalisé avant de saisir le juge d'instruction ? On risque alors effectivement d'atteindre les 47 heures ou de se donner plus de temps pour délivrer un mandat d'arrêt parce qu'il y a toujours matière à enquêter.
Ou alors on s'en tient au délai de 24 heures parce que c'est une garantie démocratique, dont on peut être fier. Tout citoyen a la garantie de l'intervention d'un juge dans les 24 heures et elle est d'ailleurs actuellement imposée par la Constitution.
Selon l'orateur, si le juge intervient, ce doit être avec les garanties liées à son statut. Il est donc moins partisan de la mini-instruction, qui est une sorte de parenthèse et qui peut donner l'impression qu'on accorde à ce délai de garde à vue une portée différente de cette limite absolue des 24 heures. En revanche, d'un point de vue strictement légaliste, l'ordonnance est réservée aux situations exceptionnelles — c'est dans ce sens que cette solution diffère d'une modification de la Constitution.
Si l'on modifie la Constitution, l'ordonnance s'appliquerait indistinctement à toutes les situations.
Mais si l'ordonnance se limite aux cas où le procureur du Roi estime qu'il y a matière à délivrance d'un mandat d'arrêt, le juge aurait au moins, sur la base des pièces qui lui seraient soumises, l'obligation de vérifier si une détention préventive se justifie.
Par conséquent, cette ordonnance motivée ne serait pas purement formelle. Le juge aura examiné si, compte tenu des données de l'affaire, il y a lieu de maintenir la privation de liberté en vue d'envisager la délivrance d'un mandat d'arrêt.
On peut imaginer que certains juges estimeront de prime abord qu'il n'y a pas matière à détention préventive et ordonneront une remise en liberté immédiate.
Ne feraient l'objet de cette ordonnance motivée de prolongation du délai que les personnes pour lesquelles le procureur du Roi comme le juge d'instruction auraient estimé qu'il existe des indices sérieux de culpabilité, que la délivrance d'un mandat d'arrêt est indispensable pour des raisons de sécurité publique. Un premier contrôle serait donc déjà effectué à ce niveau.
C'est alors qu'interviendrait la contradiction mais une véritable contradiction requiert plus de 24 heures, sinon il ne s'agirait que d'une pseudo-contradiction, dans laquelle l'intervention de l'avocat serait purement formelle.
M. Mahoux cite un exemple qui lui semble éloquent: à Namur, le barreau organise des gardes alors que le parquet a décidé qu'il est hors de question que l'avocat soit présent à ce stade.
Une personne s'est présentée dans un commissariat de police accompagnée de son avocat mais le parquet, interrogé à ce sujet, a refusé la présence de cet avocat.
Le barreau organise donc des permanences en sachant parfaitement qu'il ne sera pas appelé. Cela confine à l'absurde.
L'orateur suppose que les situations peuvent différer en fonction des lieux et du nombre d'affaires.
En fonction des contingences que M. Vandermeersch a évoquées au niveau de l'interrogatoire de police, il semble en effet très compliqué d'organiser une contradiction. Mais même en l'absence d'une véritable contradiction, l'avocat n'apporte-t-il pas une valeur ajoutée au moment de cet interrogatoire ?
M. Vandermeersch répond qu'indépendamment des questions matérielles et d'organisation pratique qu'implique la présence de l'avocat lors de l'audition par des fonctionnaires de police, il conviendrait d'en déterminer le champ d'application. Si ce système doit être instauré pour toutes les affaires de roulage, il deviendra plus que lourd. Ce champ d'application serait au minimum celui de la détention préventive; sont donc concernées les infractions d'un an ou plus. Ce champ serait donc extrêmement large.
L'avocat pourrait avoir un contact préalable à l'audition et rassurer ainsi son client. Pour le reste, le législateur doit déterminer les limites de l'intervention ou plutôt de la non-intervention de l'avocat lors de l'audition. Si cette dernière se déroule à la manière d'un débat devant un juge, elle risque de tourner à une confrontation et il n'y aura pas d'arbitre. Le juge a l'avantage d'avoir pour mission d'arbitrer les conflits, contrairement au policier. Il faut donc éviter que des conflits apparaissent devant la police. Il serait en effet alors difficile de faire appel à un juge pour résoudre le problème.
L'intervention de l'avocat peut être utile pour une concertation avec son client en cours d'audition. Quant aux mauvais traitements, ils seront tout aussi bien prévenus par un enregistrement.
Cette concertation, plutôt que de dégénérer en conflit, pourrait déboucher sur l'exercice du droit au silence. On attendrait alors l'audition par le juge d'instruction.
L'avocat pourrait également vérifier que ce qui a été dit est bien noté, mais l'enregistrement permet la même chose et restitue l'audition de façon complète.
Cependant, personne n'est devin quant à l'attitude de la cour européenne. On parle ici d'une concertation préalable à l'audition de police, d'un enregistrement de cette audition, d'une concertation avec l'avocat avant le passage devant le juge d'instruction et de l'audition contradictoire devant ce dernier. Lors de celle-ci, on vérifierait si l'audition par la police constitue un élément pouvant être retenu. Il s'agit là d'une procédure que l'on peut qualifier de système original représentant un progrès important par rapport à la situation actuelle.
Cet ensemble de garanties pourrait présenter une certaine cohérence. Cela passera-t-il la rampe de la Cour européenne ou non ? L'orateur rappelle l'affaire Gäfgen où des traitements inhumains infligés lors de l'audition ont été à moitié acceptés. La Cour européenne tient aussi compte des législations nationales, de l'ensemble des garanties et des circonstances particulières de l'affaire.
Dans ce domaine spécifique, où règnent de nombreuses particularités nationales aussi développées, il est difficile d'établir des règles générales à partir de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
On aimerait que la Cour soit plus claire. Elle admet en effet ne pas être le législateur, mais elle donne tout de même des signaux qui ne sont pas toujours simples à décoder.
M. Delpérée revient à l'application de l'article 12 de la Constitution et au délai de 24 heures.
Il est assez rare de voir figurer des nombres dans un texte constitutionnel; on y trouve bien sûr l'âge d'accession à la citoyenneté, 18 ans ... Mais il n'y en a pas beaucoup.
Pour ce qui concerne le chiffre de 24 heures, il faut se poser la question de savoir si plusieurs ordonnances motivées successives ne pourraient pas permettre de dépasser ce délai. Autrement dit, n'y aurait-il pas ainsi une forme de détournement de la procédure ? L'intervenant esquisse deux réponses.
La première consisterait à dire qu'une première ordonnance motivée doit intervenir dans un premier délai de 24 heures. Après, il y aura d'autres décisions de la chambre du conseil, de la chambre des mises en accusation, etc. Il n'y a donc pas de problème de ce point de vue.
Un problème se pose néanmoins lorsqu'on dit qu'il faut une ordonnance motivée. M. Vandermeersch a commencé à esquisser le contenu de cette motivation. Mais la motivation pourrait-elle être: « j'ai besoin de plus de temps » ou bien « j'ai une demande du procureur du Roi de mandat d'arrêt » ? Ou encore la motivation de l'ordonnance doit-elle porter sur le fond du problème, sur la privation de liberté ?
Mme Faes souhaite poser quelques questions qui rejoignent celles de M. Delpérée.
Comment le juge d'instruction doit-il motiver la prolongation du délai ? Prévoyez-vous également la possibilité d'introduire un recours contre cette décision ?
M. Vandermeersch déclare que la réponse à la seconde question sera brève: en dehors du contrôle de la motivation du mandat d'arrêt, il n'y a selon lui guère de contrôle possible, comme c'est déjà le cas pour le mandat d'amener. Cela ne vaut que pour un second délai de 24 heures.
Les vraies garanties se situent dans l'intervention du juge. L'obligation de motivation est une garantie en soi. La teneur de cette motivation ne doit pas se limiter au constat formel que le procureur du Roi demande la délivrance d'un mandat d'arrêt. L'objectif est de savoir si cette prolongation se justifie ou non et si elle est conforme à la Constitution. L'intervenant n'est pas professeur de droit constitutionnel, mais il imagine que la motivation pourrait porter sur un examen prima facie des conditions légales de délivrance d'un mandat d'arrêt. L'évaluation de ces conditions n'est pas définitive, mais s'effectue après l'audition de l'intéressé, en présence de son avocat. Le juge d'instruction dispose alors d'un pouvoir d'appréciation et la prolongation n'est pas automatique. C'est précisément la garantie qu'apporte l'intervention du juge: le délai de 24 heures demeure la règle, mais le juge peut, à titre exceptionnel et si les conditions de la détention préventive sont remplies, délivrer une ordonnance motivée prolongeant ce délai.
M. Delpérée demande pourquoi, dans le système proposé par M. Vandermeersch, et dans l'hypothèse où il s'agit d'une analyse prima facie, il faut encore une deuxième ordonnance
M. Vandermeersch répond qu'elle est nécessaire parce qu'elle se passe après un interrogatoire en présence de l'avocat et, le cas échéant, après avoir entendu celui-ci. Si l'on pense que le juge dira la même chose, c'est que l'intervention de l'avocat ne sert strictement à rien. On peut espérer que l'intervention de l'avocat ait une plus-value pour tous les acteurs. L'orateur peut affirmer, d'expérience, que des avocats l'ont fait changer d'avis, et c'est heureux. En chambre du conseil, entendre un avocat plaider peut être interpellant. Inconsciemment ou consciemment, l'orateur aurait peut-être souhaité que cette plaidoirie se place un peu plus tôt.
En effet, il est beaucoup plus difficile de délier ce qui a été lié, que de lier ce qui n'est pas encore lié.
Aux yeux de l'orateur, le mandat d'arrêt est un moment clé.
Le plus souvent, le juge d'instruction essaye d'être responsable en maintenant l'équilibre entre les différentes questions qui lui sont posées, entre des valeurs, entre des risques. Il doit apprécier les faits reprochés, la condition sine qua non d'indices sérieux de culpabilité, mais au-delà, son pouvoir d'appréciation est très important. Cela dépend évidemment du tri qui est fait par le procureur du Roi; parfois, il ne délivre pas de mandat d'arrêt — dans 50 à 60 % des cas — ce qui se passe aujourd'hui sans intervention de l'avocat.
À ce moment clé de la délivrance ou non du mandat, le juge se sent parfois un peu seul. Il voudrait que le service des mesures alternatives soit à proximité, pour examiner une éventuelle possibilité. Il pourrait souhaiter que l'avocat qui assurera le suivi de l'intéressé — car l'affaire n'est pas finie — vienne lui donner certaines garanties. Le risque de rechute est par ailleurs toujours présent.
Motiver un mandat d'arrêt n'est pas tellement difficile, car des critères légaux existent, comme l'absolue nécessité pour la sécurité publique. Par contre, il n'est pas toujours aisé d'avoir une attitude responsable pour rencontrer le problème réel d'une personne qui ne va pas bien, qui aurait — il faut respecter la présomption d'innocence ! — commis des faits. Il en va de même des indices sérieux, mais il faut toutefois envisager l'hypothèse où la personne aurait commis les faits, sinon il faudrait supprimer tout le système !
L'intervention de l'avocat, comme la présence auprès de chaque juge d'instruction du service des mesures alternatives, permettrait peut-être de faire l'économie de certains mandats d'arrêt et de toute la procédure lourde qui s'ensuit.
Le juge d'instruction a un pouvoir d'appréciation très important, voulu par le législateur, parce que ce juge constitue une garantie. Encore doit-il disposer des outils pour se rassurer, rassurer l'opinion, rassurer les victimes et prendre la meilleure décision possible. En libérant quelqu'un, le juge prend un risque; en le mettant sous mandat d'arrêt, il prend un autre type de risque. Il est essentiel qu'il soit aidé dans cette prise de risques ! L'intervention de l'avocat peut aider à cet égard. Certains avocats apportent des solutions, des garanties, qu'il n'appartient pas au juge d'offrir.
Le juge d'instruction est parfois privé de certaines informations que l'avocat pourrait apporter, qu'il aurait obtenues très rapidement après un contact avec la famille: un réseau familial qui se mobilise, c'est une garantie qui peut être offerte au juge.
M. Vandermeersch rappelle qu'il s'exprimé à titre personnel. Les questions qui se posent portent davantage sur la praticabilité et les choix appartiennent avant tout au législateur. Les magistrats appliqueront tout à fait loyalement le nouveau cadre qui sera éventuellement mis en place.
III.10. AUDITION DE M. PATTYN, DE LA « LIGA VOOR MENSENRECHTEN »
Au nom de la « Liga voor mensenrechten », M. Pattyn remercie la commission du Sénat de vouloir également entendre une autre voix dans le débat relatif à l'assistance par un avocat.
L'intervenant souhaite tout d'abord faire une brève analyse critique de la jurisprudence rendue jusqu'à présent. Quelle est la situation actuelle en droit belge et quelles sont les conséquences de l'arrêt Salduz à ce jour ? Il présentera ensuite un certain nombre de desiderata de la « Liga voor mensenrechten ».
Dans ses notes, l'intervenant considère la jurisprudence de la Cour de cassation comme une « occasion manquée ». La doctrine Salduz n'est pas apparue du jour au lendemain, mais est l'aboutissement d'une évolution. Dans l'arrêt John Murray c. Royaume-Uni rendu en 1996, la CEDH estimait déjà qu'il était primordial pour les droits de la défense que le suspect puisse bénéficier de l'assistance d'un conseil, en particulier avant la première audition par la police. En outre, les rapports du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe soulignent, depuis 1993 déjà, qu'il est souhaitable que les droits des suspects soient garantis et qu'un avocat devrait être présent dès le premier interrogatoire de police.
Il ressort d'arrêts récents que la Cour de cassation a dû chercher un motif pour ne pas autoriser la présence d'un avocat lors d'un interrogatoire de police et ne pas appliquer directement la doctrine Salduz, lourde de conséquences pour notre système judiciaire.
Dans une première série d'arrêts, la Cour de cassation s'est principalement référée à la loi sur la détention préventive pour considérer que la présence d'un avocat n'était pas prévue dans un premier stade. Dans ses derniers arrêts, en particulier les arrêts du 5 mai 2010 et du 26 mai 2010, la Cour de cassation a considéré que le secret de l'instruction faisait obstacle à la présence d'un avocat lors de l'audition de police.
La Cour reconnaît toutefois qu'il y a un problème. Elle souligne expressément que la CEDH et la législation existante ont une conception différente de la présence d'un avocat.
La Cour formule un certain nombre de réflexions. D'une part, le suspect bénéficie déjà de nombreuses garanties, notamment la brièveté du délai (24 heures) dans lequel il doit comparaître devant le juge. D'autre part, la Cour soulève aussi la question importante de savoir si autoriser un avocat à assister à l'audience de police ne revient pas à accorder à l'une des parties au procès, le suspect, un traitement plus favorable que celui réservé aux autres parties. Ainsi, la partie civile qui dépose une plainte pourrait elle aussi avoir intérêt à être représentée par une personne de confiance ou un avocat.
La Cour de cassation prend acte de cette lacune et conclut que le droit belge ne fournit aucun motif permettant d'affirmer que la présence d'un avocat est requise d'une manière générale à chaque audition de police. Le juge doit apprécier au cas pas cas si l'absence d'un avocat à un interrogatoire de police doit être sanctionnée. Nous en arrivons à la règle d'exclusion des preuves, à savoir à la jurisprudence dite « Antigone ». Dans l'état actuel du droit belge, le juge doit vérifier si le fait qu'un avocat n'était pas présent constitue une violation du droit à un procès équitable.
Jusqu'à présent, la Cour de cassation a chaque fois considéré que tel n'était pas le cas. On ne connaît par conséquent aucune décision cassant un arrêt. La Cour a toujours estimé que le droit à un procès équitable n'avait pas été violé par le fait qu'aucun avocat n'ait assisté à l'interrogatoire de police.
La jurisprudence précitée pose cependant des problèmes sur le plan juridique. Le secret de l'instruction reste le point de départ. La question qui se pose est de savoir si ce principe doit être interprété à ce point strictement qu'il exclut la présence d'un avocat à une audition de police. Selon l'intervenant, une telle interprétation est très dangereuse. Il n'est précisé nulle part dans le Code d'instruction criminelle qu'aucun avocat ne peut être présent. Ce point n'est tout simplement pas réglé. La « Liga voor mensenrechten » ne peut pas affirmer qu'un avocat doit être présent, mais rien ne permet d'affirmer non plus que cette présence est exclue.
Il s'agit d'une interprétation de la Cour de cassation et cette interprétation peut encore évoluer. En sa qualité d'avocat général, M. Vandermeersch a déjà indiqué à maintes reprises dans ses conclusions devant la Cour que celle-ci devait peut-être adapter sa jurisprudence et considérer que l'absence d'un avocat pose bel et bien un problème. Selon l'intervenant, la jurisprudence de la Cour de cassation semble plutôt guidée par le souci de garantir la sécurité juridique, le maintien de l'ordre et les droits des parties civiles. La « Liga voor mensenrechten » partage cette préoccupation. Il ne se conçoit pas que des dizaines de procédures pénales soient déclarées irrecevables et que de nombreuses parties civiles restent sur le carreau.
Du reste, la logique du secret de l'instruction peut être poussée jusqu'à l'absurde. On pourrait ainsi soutenir qu'il n'existe aucune base juridique autorisant la police à diffuser un avis de recherche. Le Code d'instruction criminelle est muet à ce sujet. Cela montre à quel point il est bancal de considérer le secret de l'instruction comme une base juridique.
Le juge n'est pas obligé de procéder à l'exclusion de preuves, mais il doit faire le test Antigone. Ce test est pourtant dénué lui aussi de fondement légal. En outre, il s'agit dans une large mesure d'une obligation de motivation incombant au juge. Si le juge décide de tenir ou de ne pas tenir compte d'une preuve potentiellement irrégulière, il doit, selon la Cour de cassation, motiver sa décision sur la base du test Antigone. La décision d'exclure ou non certaines pièces revient au juge du fond.
Il n'est dès lors pas exclu qu'une cour d'assises, dans des affaires très importantes, constate l'existence d'un problème. Une déclaration peut par exemple avoir été faite sans l'assistance d'un avocat. Une telle déclaration peut avoir donné lieu à une perquisition. En conséquence, la cour peut estimer que toutes les preuves qui découlent de l'audition en question doivent être exclues et qu'il y a lieu de conclure à l'irrecevabilité de la procédure pénale. Si cette décision est bien motivée, elle ne peut pas être cassée par la Cour de cassation. En d'autres termes, le droit à l'assistance par un avocat fait déjà partie du droit belge et est déjà contrôlé. Il a également déjà donné lieu à quelques acquittements.
Enfin, la Cour constitutionnelle se penche en ce moment sur une question préjudicielle dans le cadre de laquelle la constitutionnalité du test Antigone est contrôlée. Il s'agit de l'affaire inscrite sous le numéro de rôle 4888, dont les plaidoiries ont eu lieu le mercredi 13 octobre. La question préjudicielle porte sur un article de la loi sur la fonction de police, plus particulièrement sur la régularité et la constitutionnalité de la différence de traitement lors d'un contrôle d'identité illégal. D'une part, le Code d'instruction criminelle contient un certain nombre de dispositions dont l'inobservation est explicitement sanctionnée de nullité. Il s'agit souvent de dispositions dont il n'apparaît pas clairement pourquoi leur non-respect conduit automatiquement à la nullité. Il s'agit également souvent de dispositions pouvant être régularisées par la suite.
D'autre part, le Code d'instruction criminelle contient de nombreuses dispositions visant à garantir les droits fondamentaux, dont le respect n'est pas prescrit à peine de nullité et dans le cadre desquelles il faut chaque fois procéder au test Antigone, si bien qu'une preuve obtenue en méconnaissance d'un droit fondamental peut malgré tout être admise en définitive. Concrètement, il est donc possible que dans un mois, la Cour constitutionnelle déclare le test Antigone anticonstitutionnel ou le reformule de telle manière qu'il ne soit plus possible à l'avenir d'écarter des auditions réalisées sans l'assistance d'un avocat.
En d'autres termes, on a manqué une occasion. Il est incompréhensible que deux ans après l'arrêt Salduz, rendu en novembre 2008, aucun juge n'ai encore adressé de question préjudicielle à ce sujet à la Cour constitutionnelle. On aurait pu chercher à savoir si la Cour de cassation avait raison d'écarter une audition réalisée sans la présence d'un avocat. Il est possible que la Cour constitutionnelle ait une lecture différente, conforme à la Constitution et aux autres traités, des dispositions concernées. Une question préjudicielle aurait eu le grand avantage de permettre à la Cour constitutionnelle de prévoir une période transitoire. La loi sur les méthodes particulières de recherche, par exemple, n'a pas été annulée sur-le-champ, mais la possibilité a été donnée d'adapter la loi ou de reporter son application de quelques années.
On a toutefois opté pour la confrontation, ce que l'intervenant déplore. En l'occurrence, il a l'impression que certains magistrats discréditent en quelque sorte la Cour européenne en affirmant qu'elle se substitue au législateur. D'un point de vue juridique, on aurait parfaitement pu résoudre ce problème, mais on ne l'a pas fait. L'intervenant déplore à cet égard que le pouvoir judiciaire n'ait pas pris ses responsabilités et qu'il ait refilé la patate chaude au législateur.
Cela amène l'intervenant à se demander si la loi doit être adaptée. À vrai dire, elle ne doit pas l'être pour ce qui concerne l'obligation d'information de l'intéressé. Qu'est-ce qui empêche un agent de police de communiquer, pendant l'audition, à la personne entendue qu'elle a le droit de garder le silence et celui de ne pas s'auto-incriminer ? En agissant de la sorte, aucun agent de police ne s'exposera à une sanction déontologique. Pourtant, cela ne se fait pas dans la pratique. Il n'est donc pas nécessaire de prendre une initiative législative à cet égard. Il ne faut rien de plus que du courage, celui-là même qui a toutefois fait défaut jusqu'à présent.
Le juge a l'obligation d'interpréter la loi conformément à la Constitution et aux traités. Pour ce motif également, il n'est pas indispensable que le législateur intervienne dans l'immédiat.
L'intervenant estime néanmoins qu'il est nécessaire de légiférer pour instaurer des mesures transitoires. La ligue estime que la sécurité juridique est l'un des droits fondamentaux les plus importants, tant pour les responsables du maintien de l'ordre public que pour les parties civiles. Personne n'a intérêt à voir des parties civiles privées de leur droit à une indemnisation en raison d'erreurs commises au cours de l'instruction.
C'est pourquoi nous demandons qu'une initiative législative soit prise d'urgence pour compenser le manque d'initiative du pouvoir judiciaire.
L'intervenant en vient à la seconde partie de son exposé, consacrée au contenu de la doctrine Salduz. Avant toute chose, cette doctrine doit être resituée dans le cadre de la protection générale offerte par la Convention européenne des droits de l'homme. La doctrine Salduz ne constitue qu'un élément parmi d'autres garantissant le droit à un procès équitable, à savoir le droit de se défendre des accusations portées contre soi.
Pour ce faire, on peut contester les éléments de preuve sur le fond, mais on peut aussi contester la légalité de l'administration de la preuve ou de l'instruction. Dans la pratique belge, on reçoit le dossier pénal, les preuves, mais on ne sait pas pour autant de quelle manière les actes d'instruction ont été accomplis. Il n'y a pas d'avocat présent lors des auditions, reconstitutions ou examens psychiatriques. L'avocat de l'intéressé reçoit uniquement les rapports, les résumés et les conséquences qui découlent de ces actes d'instruction. Il existe en l'espèce une certaine tension avec la CEDH étant donné que l'administration de la preuve doit pouvoir être contrôlée dans une certaine mesure, ce qui n'est pas possible actuellement.
Il ne faut pas oublier non plus que le droit à un procès équitable n'est pas limité aux affaires pénales, mais qu'il s'applique également aux affaires civiles et au contentieux administratif. La doctrine Salduz aura donc également des conséquences en dehors du droit pénal. La ligue souhaite dès lors élargir le débat aux affaires ou procédures qui ne relèvent pas du droit pénal.
Le droit à un procès équitable inclut le droit de garder le silence, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et à sa propre condamnation. L'assistance d'un avocat est donc requise chaque fois que ce droit est, d'une manière ou d'une autre, mis sous pression, afin de compenser cette pression. On a déjà rappelé plusieurs fois ce que dit la doctrine Salduz. ll faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction ne doit pas indûment préjudicier aux droits de l'accusé. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.
En réalité, la doctrine Salduz comporte trois éléments: premièrement l'obligation d'information (informer le suspect de ses droits), deuxièmement l'assistance d'un avocat et troisièmement les conséquences de la méconnaissance de ces éléments.
La Ligue plaide pour que l'on précise au maximum la doctrine Salduz. Le terme « suspect » signifie tout suspect, y compris celui qui n'a pas été arrêté. Le droit à un procès équitable s'applique tant aux personnes arrêtées qu'à celles qui ne le sont pas. Si le champ d'application est limité aux personnes arrêtées ou à celles qui le sont potentiellement, il y a un problème au niveau de l'égalité.
Il faut également éviter d'interpréter le terme « audition » de manière trop stricte. L'assistance d'un conseil est souhaitable à chaque fois que le droit de garder le silence est menacé. Il en va de même dans le cas des reconstitutions. Grâce à un dossier auquel la Ligue était partie, l'intervenant sait qu'en France des avocats peuvent, pour la même raison, assister à une reconstitution. Dans une affaire d'assises, on ne se rendra jamais avec tout le jury sur les lieux du délit pour demander à l'accusé de reconstituer ce qui s'est passé. En tout cas, cela ne se fait pour ainsi dire jamais. Un avocat n'a donc aucune idée de la manière dont s'est déroulée une reconstitution. Si l'on veut que le droit à un procès équitable puisse être effectif, il faut permettre à l'avocat d'assister aux reconstitutions.
Cela vaut également pour les examens psychiatriques. Actuellement, la manière dont les psychiatres travaillent est très critiquée en Belgique. Nous pensons que la présence d'un avocat peut apporter une plus-value, ne serait-ce que pour mettre à l'aise le client qui pourrait se trouver dans un état de démence. Enfin, l'avocat est une personne de confiance qui peut convaincre le prévenu ou l'inculpé de se montrer coopératif lors de l'examen psychiatrique.
L'assistance d'un avocat ne se limite donc pas à faire de la figuration, c'est-à-dire à être présent uniquement pour voir si la police « ne brandit pas l'annuaire téléphonique ».
Il est également question du contrôle des conditions de détention, de la situation dans laquelle le suspect se trouve, du contrôle des circonstances de l'audition et de l'assistance du conseil, y compris en matière de jeunesse. L'intervenant rappelle que c'est la condamnation d'un mineur qui est à l'origine de l'arrêt Salduz. Il ne voit pas pourquoi un mineur, qui est par définition incapable et qui se trouve dans une situation de grande vulnérabilité, pourrait se voir refuser le droit à l'assistance d'un avocat. L'intervenant pense même qu'il faut aller jusqu'à exclure l'hypothèse qu'un mineur renonce à ce droit.
Il faut interpréter les exceptions à cette assistance de manière très stricte, comme le préconise la Cour européenne, et il faut à chaque fois les examiner à la lumière des circonstances concrètes de la cause. L'intervenant met en garde contre la tentation d'exclure automatiquement certaines catégories d'infractions du droit à l'assistance d'un avocat. Il comprend que la Sûreté de l'État préfère que l'avocat ne soit pas présent à l'audition dans le cas d'infractions terroristes et qu'il n'ait pas connaissance de tous les éléments mis au jour dans ce cadre. Mais lorsqu'on tient l'avocat à l'écart de telles affaires, on entre inévitablement en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne.
Il faut aussi que l'assistance soit appliquée avec une grande loyauté. L'initiative législative dont il est question ici ne suffira vraisemblablement pas. Il faudra également évaluer la manière dont les textes législatifs seront appliqués. L'intervenant met en garde contre des scénarios que l'on rencontre déjà dans la jurisprudence et la doctrine et dans lesquels l'arrêt Salduz n'est pas appliqué avec loyauté. Un cas de figure qui se produit parfois consiste à entendre un suspect très longtemps ou toujours en tant que témoin, jusqu'à ce qu'il soit finalement cité à comparaître et qu'il apparaisse comme le véritable suspect. Aux Pays-Bas, le Hoge Raad a rendu plusieurs arrêts qui étaient précédés d'une conclusion dans laquelle les avocats généraux établissaient une distinction très subtile entre le questioning, c'est-à-dire l'interrogatoire sans pression excessive, et l'interrogation, c'est-à-dire l'audition. Une telle distinction ne peut pas être instaurée car elle est dénuée de tout fondement. Une autre piste pourrait consister en une distinction entre les auditions où l'on se limite à examiner les éléments matériels de l'infraction et les auditions qui concernent la question de la culpabilité. Il s'agit là, néanmoins, d'une distinction artificielle.
Il est, par ailleurs, également possible d'entendre plusieurs suspects sans la présence d'un conseil et de confronter leurs déclarations respectives. La Cour de cassation a déjà déclaré qu'un suspect ne pouvait pas invoquer le défaut d'assistance judiciaire d'un autre suspect pour rejeter les déclarations de ce dernier. En ce sens, il ne s'agit pas d'un droit absolu mais d'un droit relatif. Seul le suspect lui-même peut invoquer le droit à l'assistance d'un conseil.
L'intervenant espère de tout cur que cette jurisprudence sera appliquée en toute transparence, que l'assistance du conseil sera autorisée et que l'on ne se rabattra pas sur les scénarios précités pour contourner ces dispositions légales.
Nous nous posons aussi plusieurs questions sur l'obligation d'information. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, cette obligation d'information doit porter tout autant sur le droit de garder le silence que sur le droit à l'assistance d'un avocat. Au Royaume-Uni, par exempe, le suspect est en outre informé de la situation dans laquelle il se trouve. On lui dit par exemple: « Vous n'êtes pas en état d'arrestation. Vous pouvez quitter cette audition à tout moment ». Si l'on procède de la sorte, c'est parce qu'une audition ou un interrogatoire baigne souvent dans une certaine atmosphère d'intimidation. On dit souvent aux personnes interrogées qu'elles ne peuvent pas utiliser de GSM et qu'elles ne peuvent pas avertir leur famille, alors qu'on ne peut pas refuser tout cela à une personne qui n'est pas arrêtée. La personne est libre de faire ce qu'elle veut, mais on utilise souvent ce contexte quelque peu ambigu de l'audition comme moyen de pression pour obtenir des déclarations. Le but n'est pas directement d'obtenir des aveux, mais bien d'amener l'intéressé à se montrer plus coopératif.
Il serait bon d'intégrer l'obligation de faire savoir aux personnes entendues si elles sont ou non en état d'arrestation et si elles ont le droit de quitter l'audition.
La Ligue des droits de l'homme se réjouit particulièrement de la doctrine Salduz parce qu'elle contribue à la découverte de la vérité. Elle obligera la police à enquêter autrement. Des déclarations de témoins sont de toute façon des moyens de preuve peu fiables.
M. Laeremans demande si M. Pattyn trouve que les témoins ne sont pas fiables.
M. Pattyn répond que l'esprit humain est rarement en mesure de reconstituer les événements avec précision, même lorsque ceux-ci viennent de se produire. Il en va de même, a fortiori, lorsqu'une juridiction pénale invite une personne à renouveler les déclarations qu'elle a faites, des années auparavant, lors d'un interrogatoire.
L'avocat qui était présent à l'audition et qui sera vraisemblablement aussi présent lorsque l'affaire sera examinée au fond, pourra expliquer les déclarations devant le juge. La doctrine Salduz obligera également la police à enquêter d'une manière plus scientifique. Il est inquiétant que la police se fonde encore souvent sur des témoignages au lieu de se baser sur des preuves matérielles, comme des empreintes digitales, un test ADN, etc.
En respectant la doctrine Salduz, on contribuera à garantir la dignité humaine. Dans notre pays, les suspects ne sont ni torturés ni frappés lorsqu'ils sont entendus par la police, mais la dignité humaine ne se limite pas à l'absence de tortures et de coups. L'intervenant donne un exemple concret: la Suisse a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme au motif qu'une personne qui s'était souillée lors d'une descente de police n'a pas pu se changer avant d'être interrogée. En tant qu'avocat, l'intervenant a parfois affaire à des personnes qui comparaissent à l'audience en tenue de prisonnier. Un interrogatoire dans un bureau de police qui n'est pas suffisamment chauffé, et au cours duquel la personne entendue n'est pas suffisamment habillée, est contraire à la dignité humaine. La présence d'un conseil permettra de signaler, à un stade précoce de la procédure, ces manquements observés lors de l'interrogatoire et de demander que des mesures soient prises pour y remédier.
La procédure pénale gagnera beaucoup en efficacité. Dans nos cours et tribunaux, on gaspille encore beaucoup de papier et de temps à chercher à savoir ce que le suspect a voulu dire ou ne pas dire par telle ou telle déclaration et dans quelles circonstances a eu lieu l'audition. Ce débat sera avancé au début de l'instruction. Le suspect sera obligé de réagir immédiatement et il ne pourra plus se plaindre ultérieurement, au moment de comparaître devant le juge, des circonstances de son interrogatoire. L'efficacité s'en trouvera dès lors renforcée.
Comme M. Vandermeersch l'a déjà dit, une réglementation conforme à la doctrine Salduz permettra également au juge d'instruction de prendre sa décision quant à la détention préventive en meilleure connaissance de cause. Un avocat qui, à l'issue de l'audition, a la possibilité d'ajouter des éléments, pourra par exemple proposer des conditions en vue de la libération conditionnelle d'une personne, moyennant des garanties suffisantes pour l'ordre public. Dans ce sens, la doctrine Salduz contribue à la protection de la liberté de la personne; par ailleurs, l'intervenant espère qu'elle permettra aussi de recourir moins souvent à la détention préventive, trop fréquemment appliquée dans notre pays.
Enfin la doctrine Salduz contribue à renforcer la présomption d'innocence. Dans la pratique du droit, nous sommes encore confrontés à des communiqués de presse ou à des fuites d'enquêtes auxquels l'avocat n'est pas vraiment en mesure de réagir.
L'intervenant admet que l'avocat n'est pas l'attaché de presse du prévenu et qu'il ne s'agit donc pas pour lui d'organiser une conférence de presse dans un hôtel après chaque audition pour révéler ce qui s'y est dit. Un avocat qui agirait de la sorte méconnaîtrait les règles de déontologie; mais si fuite il y a eu, l'avocat doit quand même être en mesure de réfuter ce qui a été dit, afin de préserver le droit de la défense de son client. À cet égard, l'intervenant pense concrètement aux affaires d'assises. Il existe un certain risque de manipulation des jurés potentiels par la diffusion d'informations stratégiques dans la presse. Un avocat ne peut pas encore s'y opposer à ce stade. La présomption d'innocence sort renforcée lorsqu'on donne à l'avocat la possibilité de prendre connaissance du dossier plus tôt, voire dès le départ, et de faire à ce moment-là des déclarations en connaissance de cause.
La Ligue souhaite formuler quelques suggestions en vue de la future loi. Elle demande tout d'abord que le délai de 24 heures reste inchangé. Elle n'est pas convaincue que l'assistance d'un conseil entraînera des difficultés telles que ce délai doive être prolongé. La proposition actuelle prévoit que l'on pourra attendre un avocat pendant deux heures et qu'il y aura un droit de consultation durant une demi-heure, ce qui signifie donc que la procédure pourra éventuellement être retardée de 2h30. L'intervenant ne perçoit pas bien le rapport entre ce retard potentiel et le fait de doubler le délai constitutionnel de 24 heures. Enfin, le juge d'instruction doit statuer sur la présence d'indices sérieux de culpabilité. Lors d'une audition précédente, on a cité un exemple où il était question de 28 perquisitions et de 17 suspects. Toutefois, il s'agissait là du résultat de plusieurs années d'enquête, sous le contrôle d'un juge d'instruction, parce que c'est lui qui avait délivré le mandat de perquisition. Comme ce juge d'instruction connaît le dossier, il sait également s'il y a des indices sérieux de culpabilité et il n'est donc pas vraiment nécessaire de prolonger ce délai pour lui permettre de s'assurer de l'existence de ces indices sérieux de culpabilité. La seule chose qui puisse encore être en cause à ce moment-là est la nécessité de l'arrestation pour des raisons d'ordre public, mais c'est évidemment l'avocat qui pourra, lors de l'audition, avancer un certain nombre d'éléments montrant qu'il n'est peut-être pas nécessaire d'arrêter le suspect. Nous vous demandons par conséquent de ne pas modifier ce délai de 24 heures.
Il est évident qu'avant de procéder à l'audition du suspect et de l'informer qu'il a la possibilité de renoncer à son droit à l'assistance d'un avocat, il faut l'informer des faits qui lui sont reprochés. La pratique actuelle montre que le prévenu est souvent laissé dans l'ignorance des faits qui lui sont reprochés. Il faudrait donc ajouter une certaine dose de transparence pour lui permettre d'apprécier, en connaissance de cause, s'il a besoin ou non de l'assistance d'un avocat. Il va de soi qu'une personne interpellée pour un meurtre sera probablement plus encline à demander l'assistance d'un conseil qu'une personne interpellée pour ivresse sur la voie publique, pour une infraction routière ou pour d'autres infractions. Il faut prendre une décision sur le droit de consulter le dossier. L'intervenant trouve l'intervention de M. Vandermeersch tout à fait pertinente. Un avocat ne pourra effectivement pas assister son client sans avoir pu prendre connaissance du dossier; pour permettre un débat contradictoire, il convient donc que la décision de lui accorder un droit de consultation soit prise au moins avant que le juge d'instruction entende le suspect et qu'il statue sur le mandat d'arrestation. En ce qui concerne la personne du suspect, la Ligue demande explicitement qu'un mineur ne puisse pas renoncer à son droit à l'assistance d'un conseil, aussi bien en cas de faits qualifiés infractions qu'en cas de situations éducationnelles problématiques. Il est vrai que dans ce cadre également, le mineur est souvent d'abord entendu par la police, même s'il est la victime. Selon l'intervenant, de telles affaires requièrent également la présence d'un avocat.
Le législateur devrait peut-être prescrire une série de formalités à remplir pour pouvoir renoncer au droit à l'assistance d'un avocat.
La Ligue demande explicitement que l'assistance d'un conseil soit prescrite à peine de nullité. Si le législateur ne répond pas favorablement à cette demande, l'intervenant craint que rien ne change dans la pratique en Belgique. L'on sera alors à nouveau confronté à une disposition légale qui existe mais qui est méconnue dans toute une série de cas, et l'on tentera de justifier cette irrégularité par la doctrine Antigone. Cela n'est pas acceptable. La Cour européenne affirme clairement que l'assistance d'un avocat est indispensable. Ce devoir d'assistance est réel et doit être prescrit à peine de nullité. Les choses seront alors claires pour tout le monde, y compris pour le juge, qui se retrouve parfois confronté à des faits graves, mais aussi à une partie qui invoque l'irrecevabilité de la procédure pénale parce qu'elle n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat. Imaginez un juge qui entend un suspect et qui dispose de preuves suffisantes pour conclure à sa culpabilité. Pour ce juge, il est particulièrement difficile de ne pas condamner l'intéressé et d'écarter la preuve irrégulière, s'il ne peut pas se fonder pour ce faire sur un texte de loi. Dans ce cas de figure, le juge n'appliquera sans doute pas cette sanction.
La Ligue demande aussi au législateur de ne pas prévoir d'exceptions pour les délits de terrorisme. En instituant de telles exceptions, le législateur entrerait directement en conflit avec la Cour européenne des droits de l'homme qui dénoncerait les situations où l'assistance d'un conseil a été exclue. Ce cas peut se présenter lorsqu'une personne soupçonnée de terrorisme est arrêtée et suspectée d'avoir caché quelque part une bombe susceptible d'exploser à tout moment. Il est clair qu'en pareil cas, il faut pouvoir interroger cette personne sur-le-champ pour pouvoir prévenir l'attentat. Dans ce genre de situations, il ne faut pas attendre l'arrivée d'un conseil, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut pas prévoir d'autres garanties. Le conseil doit en tout cas être averti. L'on peut déjà commencer l'audition et lorsque le conseil est arrivé, il faut la reprendre en sa présence. Si aucun avocat n'est disponible, il faudrait pouvoir enregistrer l'audition à l'aide de moyens audiovisuels pour pouvoir réentendre les déclarations de l'intéressé ultérieurement. Dans ce cas, l'on pourrait aussi limiter l'interrogatoire aux éléments matériels du délit. En l'absence d'un conseil, la recommandation faite à la police de ne pas demander au suspect s'il est personnellement impliqué dans les faits constitue une garantie supplémentaire pour le droit à un procès équitable.
Le conseil doit pouvoir faire acter ses observations et disposer de certains moyens de fonctionnement. Dans le cas d'un long interrogatoire, cela signifie non seulement qu'il doit pouvoir disposer d'une boisson et d'un repas, mais aussi de moyens de communication, afin de pouvoir par exemple entrer en contact avec le magistrat du parquet de service.
Enfin, la Ligue demande une évaluation de la législation qui aura été adoptée et un contrôle adéquat du non-respect du droit à l'assistance d'un conseil. D'après l'intervenant, c'est ce rôle que l'on pourrait confier au Comité P.
En guise de conclusion, l'intervenant se dit convaincu que la présence d'un conseil contribuera à améliorer la procédure pénale.
L'expérience à l'étranger corroborent ce point. La doctrine Salduz n'a rien de révolutionnaire. Dans l'Union européenne, dix-sept pays permettent au suspect de bénéficier de l'assistance d'un conseil. Aux Pays-Bas, le suspect entre en contact avec un conseil au moment de la mise en garde à vue. En France, il a le droit de consulter un conseil après quelques heures de garde à vue.
La CEDH n'a pas voulu sanctionner les pays qui ne prévoient pas cette assistance. Elle tente seulement d'instaurer un règlement uniforme dans les pays membres du Conseil de l'Europe. Vue sous cet angle, cette doctrine n'a donc rien de révolutionnaire.
L'impact de l'assistance du conseil ne sera peut-être pas aussi dramatique qu'on ne le présente. À l'étranger, certains pays ont déjà mis en place cette assistance. L'on ne peut pas dire que la tenue du procès pénal y soit devenue impossible à cause de la présence d'un avocat lors des auditions.
M. Pattyn comprend que la tentation soit grande de compenser le renforcement de la position du suspect lié à la présence du conseil en l'affaiblissant à un autre niveau, par exemple en renforçant les droits des forces de l'ordre. La Ligue ne juge le pas utile. Actuellement, l'on observe déjà un grand déséquilibre entre les forces de l'ordre et la défense, cette dernière étant plus déforcée pour ce qui est du principe de l'égalité des armes. Grâce à l'arrêt, la balance va désormais pencher un peu plus en faveur du suspect. Cela ne signifie certainement pas que la présence d'un conseil mettra le suspect dans une position plus confortable que les autres parties. Une audition sera toujours une épreuve difficile pour le suspect, même en présence d'un conseil.
L'intervenant appelle à ne pas compenser le renforcement des droits du suspect en donnant plus de moyens aux forces de l'ordre ou en affaiblissant les droits du suspect sur d'autres points.
M. Laeremans souligne qu'une concertation a également eu lieu cette après-midi avec des juristes et des intervenants de terrain sur les implications de la présente législation. Quelqu'un a dit que le législateur devait bien évaluer les implications des nouvelles dispositions.
Une interprétation maximaliste à l'extrême de l'arrêt Salduz, comme celle que la Ligue propose, pour toutes auditions, toutes procédures et en toutes circonstances, même pour des disputes de comptoirs ou des petits larcins, nous obligera à mobiliser une armée d'avocats. Il faut savoir qu'à Anvers, par exemple, on recense environ quatre-vingts arrestations dans la nuit du samedi au dimanche. Certains se réfèrent à ce qui se passe à l'étranger, mais l'intervenant est convaincu que nos voisins ne poussent pas l'interprétation aussi loin.
La Ligue a-t-elle une quelconque idée du nombre d'heures-avocat qui seront nécessaires ? Pense-t-elle que notre pays compte un nombre suffisant d'avocats pour le cas où la loi serait adoptée et entrerait en vigueur ? Ne pensez-vous pas que la police risque d'être confrontée pendant la nuit à un goulot d'étranglement qui la mettrait dans l'impossibilité de remplir sa mission, par manque d'avocats ? A-t-on pensé au coût que cela représente pour la collectivité ? Même si, dans la plupart des cas, on fera appel à des avocats pro deo.
Rien qu'en frais d'avocats, cela représente une petite fortune pour la collectivité.
L'intervenant a été agréablement surpris par le début de l'exposé de M. Pattyn, car celui-ci a émis un point de vue nuancé et a affirmé que les auteurs ne sont pas les seuls à devoir être protégés. Mais aux yeux de l'intervenant, ce qu'il prône revient à surprotéger les auteurs. Il faut en effet s'intéresser aussi au sort des parties civiles et des victimes. Elles ont également droit à l'assistance d'un avocat. Or, on constate actuellement qu'elles sont trop souvent abandonnées à leur sort. Elles doivent supporter elles-mêmes les frais d'avocat. Elles ne bénéficient pas automatiquement du droit à un avocat pro deo.
M. Pattyn a fait de nombreuses suggestions pour améliorer la situation juridique du suspect. A-t-il également des propositions concrètes à formuler pour rétablir l'équilibre pour les victimes et les parties civiles ?
M. Pattyn répond que la situation juridique de la partie civile dans le procès pénal n'est pas comparable à celle du suspect. La partie civile est soutenue dans sa demande par l'intervention du ministère public et des forces de l'ordre. La police réunira des preuves au bénéfice des parties civiles. Les intérêts des forces de l'ordre et des parties civiles se rejoignent fortement. En outre, la partie civile bénéficie déjà de certains droits qui renforcent sa position juridique. Le titre préliminaire du Code de procédure pénale prévoit que les parties civiles doivent être traitées de façon correcte et consciencieuse. L'intervenant pense en fait qu'il n'y a pas que l'avocat de la partie civile qui doit pouvoir assister à la première audition, mais que cette possibilité doit être offerte aussi à toute personne de confiance. Il est vrai que dans les affaires de murs, il est très difficile et très accablant pour la victime de faire une déclaration. La déposition est souvent effectuée de nuit, juste après les faits, à un moment où la victime est encore traumatisée et stressée. Dans l'intérêt de l'enquête, il faudrait qu'à ce moment, la victime puisse faire appel non seulement à un conseil, mais à toute personne de confiance susceptible de l'assister.
L'intervenant ne pense pas que les conséquences budgétaires de l'assistance judiciaire seront insurmontables. La Ligue n'a pas pu réaliser elle-même une estimation, mais elle s'en remet aux chiffres présentés par les représentants de la police à la commission. Ils ont parlé d'une augmentation de la charge de travail correspondant à 172 équivalents temps plein. L'Ordre des barreaux flamands a lui aussi déjà établi une proposition de budget. L'intervenant pense que le coût de l'assistance restera supportable.
Dans sa pratique d'avocat, il a appris lors de contacts avec des confrères anglais que les ténors des pénalistes anglais intervenaient plus longtemps lors des auditions de police que lors des procès. En Angleterre, la majorité des affaires — l'intervenant pense qu'il s'agit de 90 % d'entre elles — se terminent à l'issue d'une procédure accélérée. Il s'agit de cas où le suspect a avoué sa culpabilité et où le juge se borne à la constater et à prononcer une sanction. Pendant l'audition, un grand nombre de suspects choisissent de se faire assister par un avocat rémunéré. Je ne sais donc pas si tout suspect en Belgique ou toute personne entendue fera nécessairement le choix d'un avocat pro deo. Certains avocats se spécialiseront dans l'assistance à apporter — contre paiement — aux suspects lors d'une première audition. Il estime dès lors que le système n'aura pas un grand impact budgétaire.
L'intervenant établit la comparaison suivante. Dans les procès d'assises, la plupart des avocats sont des conseils spécialisés qui perçoivent pour leur intervention des honoraires très confortables de la part du suspect ou des membres de sa famille. Il en ira de même lors des arrestations: les avocats n'interviendront pas souvent comme pro deo.
L'intervenant juge pertinente l'observation formulée à propos du goulot d'étranglement qui affectera la police. Toutefois, il ne s'en inquiète guère car le nombre d'arrestations et d'enquêtes judiciaires ne représente que 5 % du total des affaires pénales. 95 % des enquêtes sont programmées. L'intervenant estime donc que l'on pourrait convenir avec le suspect et son conseil de l'heure à laquelle il sera entendu. Dans la pratique, il faut d'ailleurs généralement un certain temps pour que le suspect soit entendu, et il n'est pas conduit devant le juge d'instruction juste après sa première audition. La plupart du temps,il est interrogé dans les deux premières heures de son interpellation et n'est conduit auprès du juge d'instruction qu'aux environs de la 22e heure. L'intervenant ne pense donc pas que les problèmes d'ordre pratique seront insurmontables. Il partage néanmoins l'opinion que la phase transitoire sera la plus critique mais qu'à terme, toutes les difficultés seront levées.
III.11. AUDITION DE REPRÉSENTANTS, DU SYNDICAT LIBRE DE LA FONCTION PUBLIQUE- POLICE (SLFP-POLICE), DU SYNDICAT NATIONAL DU PERSONNEL DE POLICE ET DE SÉCURITÉ (SNPS), DE LA CENTRALE CHRÉTIENNE DES SERVICES PUBLICS (CCSP), ET DE LA CENTRALE GÉNÉRALE DES SERVICES PUBLICS (CGSP)
A. Audition de représentants du syndicat libre de la Fonction publique-Police (SLFP-police)
M. Gilles expose que les circulaires du Collège des Procureurs généraux posent plusieurs problèmes. La première difficulté tient à la nature même de la circulaire qui est une simple recommandation. De ce fait, on constate une « géométrie variable » dans l'application de ces circulaires et par conséquent un risque accru de fautes procédurales qui pourront être soulevées par les avocats. La seconde difficulté tient à l'enregistrement audiovisuel qui est perçu comme un contrôle à l'égard des policiers. Si la Col.7/2010 fait référence sur certains points à l'article 112 du Code d'instruction criminelle qui prévoit l'enregistrement audiovisuel dans des cas et des conditions particulières, elle s'en écarte également sur d'autres. A nouveau, cette « géométrie variable » démontre, selon l'orateur, que l'objet principal desdites circulaires n'est pas de trouver une réponse à l'arrêt Salduz mais d'instaurer un nouveau contrôle sur la police.
Par ailleurs, la mise en uvre technique de cette recommandation pose également des soucis dès lors que les salles d'audition vidéo-filmées sont agencées différemment selon les commissariats: la caméra est parfois orientée vers le policier, parfois vers la personne auditionnée et parfois filme le policier et la personne auditionnée. Dans ce cas, le SLFP estime que les droits du policier en tant que citoyen sont purement et simplement violés. Le SLFP revendique dès lors une suspension de la Col 7/2010 dans l'attente que le législateur adopte un texte décrivant une procédure claire devant être appliquée de manière uniforme sur tout le territoire.
M. Houssin souligne que la COL 7 se borne à formuler des recommandations et est donc dénuée de toute valeur légale. En raison des multiples problèmes pratiques qu'elle soulève, elle est remise en cause par de nombreux acteurs de terrain.
Ainsi, il ne faut pas perdre de vue qu'il est procédé à la première audition par des membres de la police de première ligne, c'est-à-dire par des agents qui opèrent sur le terrain. On donne ici l'impression que ce sont des membres de la police judiciaire qui procèdent à la première audition, ce qui ne correspond absolument pas à la réalité. Il faut savoir que des problèmes pratiques se posent en termes de capacité; les équipes d'intervention n'ont pas été formées à la technique de l'audition et elles n'ont d'ailleurs pas le temps de s'en charger.
En outre, la COL 7 s'appuie sur le principe de l'inversion de la charge de la preuve. Elle vise à faire contrôler que l'audition s'est déroulée dans les règles. Le policier qui opère sur le terrain est considéré comme un coupable. La question des droits de l'agent est donc posée. Un problème connexe à cet égard est celui du consentement de l'intéressé. À ce sujet, l'intervenant renvoie à la législation sur la protection de la vie privée. La circulaire énonce clairement que l'enregistrement de l'audition ne doit pas s'entendre au sens de l'article 112 du Code d'instruction criminelle. Le problème est que l'on ne précise nulle part dans quel cadre cet enregistrement s'inscrit. Aucun cadre légal n'est donc prévu. Cela signifie qu'il faut obtenir le consentement du policier et du suspect lui-même.
De nombreux enquêteurs, surtout en deuxième ligne, craignent que les images ne fassent l'objet d'une utilisation abusive. En effet, contrairement à ce qui est prévu à l'article 112, on ne sait pas du tout en l'espèce quelles sont au juste les conditions à remplir pour pouvoir demander ou utiliser les images. L'intervenant renvoie à titre d'exemple à l' interview de Mme Clottemans, diffusée sur Telefacts, dans laquelle celle-ci déclarait franchement que son conseil lui avait demandé de visionner toutes les images et d'écarter toutes les questions subjectives ou suggestives. C'est ainsi que les enquêteurs furent publiquement humiliés.
La COL 7 précise qu'en ce qui concerne l'enregistrement des auditions, la priorité est donnée aux homicides. Qu'est-ce à dire au juste ? Cela semble impliquer qu'en cas d'infraction, un suspect aussi pourrait éventuellement invoquer la COL 7.
La COL 7 manque à ce point de cohérence qu'elle soulève de multiples questions et risque d'entraîner de très nombreuses erreurs de procédure.
Le procureur général demande qu'une initiative législative soit prise eu égard à l'absence d'égalité et de sécurité juridique suffisante. Il souligne aussi que les preuves matérielles revêtiront une importance considérable dans le futur. L'intervenant attire l'attention sur le problème de capacité auquel les laboratoires sont confrontés en raison d'un manque cruel d'effectifs.
Une dernière remarque concerne l'aspect financier. Les barreaux sont prêts à organiser les permanences, mais la question est de savoir qui paiera tout cela. Il est inacceptable de s'adresser à la police sous prétexte que l'on ne peut pas rémunérer les avocats. Cet aspect aussi doit être réglementé au plus vite.
Les enregistrements systématiques ne sont pas acceptables pour la police.
B. Audition de représentants du Syndicat national du personnel de Police et de Sécurité (SNPS)
M. Allard remercie la commission et souligne que les initiatives proposées auront un impact considérable sur le fonctionnement journalier de la police. Les organisations syndicales ont donc quelques remarques à formuler.
L'intervenant expose brièvement les problèmes qui pourraient se poser sur le terrain et renvoie à l'intervention du SLFP au sujet des difficultés que la COL 7 soulève pour les policiers de terrain. Cette circulaire se borne à formuler des recommandations et n'est pas appliquée partout de la même manière, pour ne pas parler des magistrats instructeurs qui ne souhaitent pas apporter leur contribution en l'espèce.
Quoi qu'il en soit, la COL 7 ne répond pas de manière satisfaisante aux exigences posées par l'arrêt Salduz relatives à l'assistance d'un avocat. Elle est centrée sur l'enregistrement audiovisuel de l'audition. L'article 112 du Code d'instruction criminelle définit les modalités de la procédure particulière de l'enregistrement audiovisuel de l'audition. L'intervenant souhaite que dans le cadre des auditions dont il est question ici, l'on ne déroge pas à cet article et que l'on n'en profite pas pour se doter de moyens de contrôle supplémentaires que la police percevrait comme des moyens de contrôler son comportement.
L'intervenant est bien conscient de l'obligation qu'a le législateur de répondre aux exigences de l'arrêt Salduz relatives à l'assistance d'un avocat, mais il ne peut accepter que l'on émette toutes sortes de directives imprécises qui sèment la confusion parmi le personnel de la police. De surcroît, ces directives mettent la police dans une situation juridique délicate car elle risque de commettre des erreurs de procédure et de voir son comportement critiqué alors que tel n'était pas le but initial.
Il est nécessaire de prendre une initiative législative afin de définir avec plus de précision ce qu'il faut entendre par l'assistance d'un avocat. Est-ce à dire que celui-ci doit être présent physiquement, assister à l'audition et exercer éventuellement un contrôle sur la procédure, ou veut-on aller plus loin ? L'avocat est-il choisi par l'intéressé lui-même ou est-il désigné par le barreau ? Dans quel délai l'avocat sera-t-il à la disposition des personnes qui procèdent à l'audition ? Sera-t-il possible de procéder à toutes les démarches dans le délai imparti de 24 heures ? Qui paiera l'avocat ? Qu'en sera-t-il des interprètes et des implications sur l'infrastructure des locaux d'audition et la sécurité du personnel présent ? Qu'en sera-t-il si l'avocat et la personne auditionnée parlent la même langue alors que la personne qui procède à l'audition en parle une autre ? Les avocats peuvent-ils ou non être soumis à une fouille lorsqu'ils pénètrent dans le bureau de police ? En effet, on ne peut pas exclure le risque que l'avocat — a fortiori lorsqu'il est désigné par son client — ne soit pas animé par de bonnes intentions. Le cas échéant, il faut pouvoir garantir la sécurité des policiers.
Un autre aspect à clarifier est le fait de savoir qui au juste pourra bénéficier de l'assistance d'un avocat. Les suspects seulement ou bien les témoins aussi ?
Tous ces éléments auront un impact énorme sur les besoins qu'aura la police en termes de capacité et sur les conditions de sécurité à assurer. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les policiers n'ont pas été formés à cette tâche et qu'en plus, les moyens font défaut.
Le but ne saurait être de filmer systématiquement toutes les auditions. La vie privée du policier est un aspect dont il faut également tenir compte.
Monsieur Barbier expose qu'une privation de liberté peut également intervenir lors d'une perquisition. Or, il faut savoir qu'une première audition a lieu à ce moment là, ne fut-ce que pour établir la liste des objets saisis et emportés. À cet instant, la police est à l'extérieur de ses locaux et il sera donc impossible de procéder à une audition vidéo filmée.
En termes d'infrastructures, il existe actuellement peu de moyens afin de procéder à des auditions enregistrées, même au sein d'une unité de police judiciaire fédérale de moyenne importance. Or, il n'est pas rare que dans le cadre d'une opération programmée, une vingtaine de suspects sont interpellés en même temps; ce qui suppose a priori 15 à 20 locaux. De plus, l'investissement humain sera très important. À cet égard, l'orateur rappelle qu'actuellement deux policiers au moins sont présents pour une personne auditionnée. Par ailleurs, en termes de surveillance, il faudra créer des locaux adaptés et sécurisés devant garantir la confidentialité des entretiens entre l'avocat et son client.
Les mêmes dispositifs devront être prévus dans les palais de justice puisque la police est chargée là aussi de la surveillance de la personne privée de liberté.
Enfin, l'orateur précise que peu de collègues sont actuellement formés pour procéder à une audition vidéo filmée. En outre, le délai de privation de liberté de 24 H est relativement court pour permettre l'exécution de tous les devoirs demandés et plus particulièrement la rédaction de tous les procès-verbaux avant la comparution devant le magistrat.
C. Audition d'un représentant du syndicat chrétien police (CSC)
Monsieur Deldicque souhaite tout d'abord attirer l'attention des membres de la commission sur les paragraphes nos 54 et 55 de l'arrêt Salduz.
La Cour estime (paragraphe 55) que, « pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6, § 1, demeure suffisamment « concret et effectif » (paragraphe 51 ci-dessus), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction — quelle que soit sa justification — ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ».
Pour répondre à cet arrêt, le Collège des Procureurs a rédigé deux circulaires: la COL 7/2010 du 4 mai 2010, complétée par la COL 15/2010 du 14 juillet 2010. M. Deldicque souligne le constat préalable fait par le Collège quant au manque de moyens des services de police: « les services de police sont confrontés à un manque de capacité les empêchant de rechercher correctement des indices dans toute affaire importante et donc de procéder à toutes les constatations matérielles essentielles. Les laboratoires chargés de ces missions au niveau de ces arrondissements sont en sous-effectifs ».
L'intervenant pense que trois éléments de la Col 7/2010 doivent être relevés: le premier vise le délai de 24 heures qui se fonde sur l'article 12 de la Constitution et qui ne peut donc être revu immédiatement. Le second vise l'importance que revêt pour un procès la phase au cours de laquelle des constatations sont effectuées sur place et par conséquent l'effort particulier à consentir par les services de police au cours de cette phase. Enfin, concernant l'enregistrement de la première audition d'un suspect privé de liberté, le Collège souligne que « la personne à entendre est préalablement informée que l'enregistrement est effectué uniquement aux fins de contrôler la manière dont l'audition s'est déroulée. Il ne s'agit pas d'un enregistrement au sens de l'article 112ter du Code d'instruction criminelle. Le consentement préalable de la personne n'est pas requis. L'enregistrement est déposé au greffe correctionnel ».
Dans la Col 15/2010 le Collège des procureurs généraux met une nouvelle fois en exergue le manque de moyens et par conséquent l'impossibilité matérielle de procéder à un enregistrement audiovisuel et sonore à chaque arrestation. Le Collège précise que l'enregistrement est uniquement recommandé au titre de moyen de contrôle fut-ce-t-il à une finalité judiciaire qui s'inscrit manifestement dans les missions de police judiciaire. À ce titre, une annexe a été jointe et reprend la liste des faits où l'enregistrement devrait être effectué.
L'orateur souligne ensuite les paradoxes que contiennent ces textes.
Premièrement, le Collège fait le constat d'un manque de moyens humains au sein des services de police en général et dans les laboratoires en particulier. Ce constat a d'ailleurs été rappelé par la ministre de l'Intérieur en Commission de l'Intérieur du 20 octobre dernier et figurait déjà dans le rapport annuel 2003 du Comité P. L'orateur illustre son propos par deux chiffres repris dans le rapport annuel d'activités 2008 de la Police fédérale et relatifs aux interventions desdits laboratoires sur l'ensemble du territoire: 50 522 interventions, soit 1 800 interventions par laboratoire. Le nombre d'heures prestées est de 1 727 830 heures, soit un équivalent temps plein de 1 136 personnes. Or, on relève une diminution systématique des budgets alloués à la police fédérale. De plus, une gestion quantitative et qualitative est demandée avec des budgets diminués. La qualité du travail se fait donc ressentir, ce qui n'est pas acceptable sur le long terme.
Deuxièmement, l'orateur estime que si l'enregistrement audiovisuel de la première audition est recommandé, les circulaires ne précisent pas de quelle première déclaration il s'agit. Une audition lors d'une perquisition fait-elle partie de cette « première » audition ? Il s'agit d'un point crucial à préciser.
L'objectif poursuivi par cet enregistrement est clair puisqu'il vise à préserver et à garantir les droits de toute personne arrêtée ainsi que les intérêts de l'action publique. L'orateur rappelle que des enregistrements audiovisuels sont déjà effectués depuis plus de dix ans par des enquêteurs spécialement formés à cet effet et ont trait soit à des mineurs d'âge victimes ou témoins de faits de murs ou de violences (enregistrements TAM) soit à toute personne (enregistrements TAEV). Par ailleurs, des enregistrements du test polygraphique (détecteur de mensonges) sont également réalisés. À titre illustratif, une audition de type TAM se déroulera idéalement dans un laps de temps compris entre 20 et 40 minutes. Une audition TAEV pourra voir étendre sa limite de temps au delà de l'heure.
La retranscription d'une audition prend également de nombreuses heures de travail. À titre d'exemple, une audition TAM de 30 minutes prendra 10 à 15 h de travail en cas de retranscription intégrale. L'enregistrement audiovisuel pour des préventions supplémentaires va donc générer un surcroît de travail difficilement gérable et ce d'autant plus que jusqu'à présent la plupart des enregistrements sont programmés et ne se déroulent pas dans un délai contraignant. En amont, les enquêteurs disposent déjà d'éléments recueillis au cours de l'information de sorte que leur travail est facilité. Or, en l'espèce, on vise la première déclaration effectuée dans un laps de temps défini et contraignant de sorte que l'orateur s'interroge sur la qualité et la plus value de cette audition au regard de l'enquête judiciaire.
Enfin, l'enregistrement ne peut servir qu'au titre de moyen de contrôle sur le déroulement de l'audition (article 47 du Code d'instruction criminelle) et est un élément de l'enquête dans le respect des principes énoncés à l'article 15 de la loi sur la fonction de police et l'article 8 du Code d'instruction criminelle. Par conséquent, il convient de ne pas s'étonner que les services de police considèrent cet enregistrement comme un moyen de contrôle supplémentaire à leur égard. Mais on peut limiter la question de l'enregistrement sous le seul prisme d'un moyen contraignant de contrôle à l'égard du policier.
Quant à la mise en place du système, l'orateur estime que l'enregistrement doit se baser sur des structures existantes et rappelle que des locaux spécifiques et du personnel qualifié existent déjà même s'ils sont insuffisants à l'heure actuelle. En outre, une évaluation permanente de ce système devra être réalisée par chaque autorité afin qu'elle décide d'étendre, s'il échet, l'offre de locaux et de formation. D'autre part, l'accessibilité à du personnel formé doit être améliorée.
L'intervenant plaide, sur la base de ces éléments, pour qu'un groupe non négligeable d'enquêteurs fédéraux et locaux puissent bénéficier, à court terme, de cette formation. À ce titre, la formation TAEV répond-t-elle aux attentes ? Par ailleurs, il est recommandé d'étendre ces formations aux policiers de « première ligne »/
Enfin, il conviendra de se pencher sur la question de la prorogation du délai de privation de liberté de 24 heures et éventuellement de s'inspirer des législations étrangères en la matière.
En conclusion, les conséquences de l'arrêt Salduz et l'éventualité de traduire dans des textes législatifs la possibilité d'une première audition enregistrée apparaissent difficile à réaliser. La présence d'un avocat lors de la première audition va poser problèmes vu l'absence de cadre normatif quant aux prérogatives du policier par rapport à l'avocat ne fut-ce qu'en termes de sécurité.
D. Audition de représentants de la Centrale générale des Services publics (CGSP)
Mme Lemauvais rappelle que le respect des droits de l'homme et des droits de la défense sont essentiels aux yeux de la CGSP et qu'ils doivent donc à ce titre être pris en compte. Toutefois, si des textes législatifs sont modifiés, il sera essentiel que les moyens humains et financiers soient donnés « au terrain » afin que ces nouvelles obligations puissent être respectées. A défaut, on peut craindre un certain nombre de recours qui aurait pour effet de déprécier le travail des enquêteurs et de la police et engendrer un risque d'impunité. Il faudra donc des moyens humains, financiers et techniques. À cet égard, Mme Lemauvais souligne l'importance de former les policiers à ces nouvelles techniques et de leur assurer des conditions de travail en adéquation avec leur statut administratif actuel. Donc aucune surcharge de travail ne peut être envisagée suite à une modification de la loi.
En conclusion, la CGSP n'est pas réfractaire à la présence de l'avocat lors de la première audition ni à l'enregistrement audiovisuel mais à la condition que les garanties précitées soient respectées.
E. Exposé de M. Pickeur
M. Pickeur commente la note suivante qui présente le point de vue de la CGSP au sujet de la problématique relative aux directives concernant l'assistance d'un avocat lors de la première audition policière d'un suspect, vu la jurisprudence récente de la CEDH
La CGSP se réjouit que les représentants de son organisation soient entendus par la commission de la Justice du Sénat, et ce, après intervention de M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice.
La CGSP a en outre pris connaissance de diverses initiatives législatives prises tant au Sénat qu'à la Chambre.
Le ministre de la Justice aussi a transmis au Sénat une proposition visant à accorder aux avocats le droit de consulter leur client avant le début du premier interrogatoire.
Au vu de tout cela, il ne faut donc pas s'étonner que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) concernant l'intervention des avocats lors du premier interrogatoire policier ait causé de tels remous. Il n'y a aucune vision uniforme. Les policiers, qui sont confrontés au quotidien à cette donne, sont par conséquent frustrés.
I. Introduction
Lors de la fixation de sa position, la CGSP a été inspirée par plusieurs dispositions que les agents de police doivent respecter dans l'exercice de leur fonction.
— Ils respectent et s'attachent à faire respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales. (27)
— Dans l'exercice de leurs missions de police administrative ou judiciaire, les services de police veillent au respect et contribuent à la protection des droits et des libertés individuels, ainsi qu'au développement démocratique de la société (28) .
— Les membres du personnel sont attentifs au respect des règles de procédure contenue dans le Code d'instruction criminelle, dans les autres prescrits légaux et règlementaires, dans les circulaires ministérielles et dans les directives des parquets. Ils garantissent ainsi les droits des justiciables, ils offrent aux magistrats compétents la possibilité d'exercer efficacement leur fonction et ils favorisent un déroulement harmonieux des constats, des enquêtes et des poursuites pénales (29) .
Cette prise de position ne signifie nullement que l'organisation ne peut avoir aucune critique à l'encontre de la règlementation actuelle ou de son application sur le terrain.
II. L'arrêt Salduz et ses conséquences
Le 27 novembre 2008, la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a prononcé un arrêt dans l'affaire Salduz c. Turquie, qui a eu un écho retentissant dans les milieux juridiques. Dix-sept juges ont décidé à l'unanimité que pour un suspect, l'accès à un avocat doit être possible dès le premier interrogatoire policier (30) . Les motifs de l'arrêt mettent en avant quelques principes généraux (§ 50 à 55) applicables à toute procédure pénale. Par facilité, ils sont reproduits ci-dessous (31) :
§ 50. La Cour rappelle que si l'article 6 a pour finalité principale, au pénal, d'assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l'accusation », il n'en résulte pas qu'il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, l'article 6 — spécialement son paragraphe 3 — peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité du procès (Imbrioscia, précité, § 36). Ainsi qu'il est établi dans la jurisprudence de la Cour, le droit énoncé au paragraphe 3 c) de l'article 6 constitue un élément parmi d'autres de la notion de procès équitable en matière pénale contenue au paragraphe 1 (Imbrioscia, précité, § 37, et Brennan, précité, § 45).
§ 51. La Cour réaffirme par ailleurs que, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 34, série A nº 277-A, et Demebukov c. Bulgarie, nº 68020/01, § 50, 28 février 2008). Cela étant, l'article 6 § 3 c) ne précise pas les conditions d'exercice du droit qu'il consacre. Il laisse ainsi aux États contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, la tâche de la Cour consistant à rechercher si la voie qu'ils ont empruntée cadre avec les exigences d'un procès équitable. À cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la nomination d'un conseil n'assure pas à elle seule l'effectivité de l'assistance qu'il peut procurer à l'accusé (Imbrioscia, précité, § 38).
§ 52. Une législation nationale peut attacher à l'attitude d'un prévenu à la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure. En pareil cas, l'article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit, que la Convention n'énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables. Il s'agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l'affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l'accusé d'un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances (voir John Murray, précité, § 63, Brennan, précité, § 45, et Magee, précité, § 44).
§ 53. Les principes décrits au paragraphe 52 ci-dessus cadrent également avec les normes internationales généralement reconnues en matière de droits de l'homme (paragraphes 37-42 ci-dessus) qui se trouvent au cur de la notion de procès équitable et dont la raison d'être tient notamment à la nécessité de protéger l'accusé contre toute coercition abusive de la part des autorités. Ils contribuent à la prévention des erreurs judiciaires et à la réalisation des buts poursuivis par l'article 6, notamment l'égalité des armes entre les autorités d'enquête ou de poursuite et l'accusé.
§ 54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (Can c. Autriche, nº 9300/81, rapport de la Commission du 12 juillet 1984, § 50, série A nº 96).
Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé (Jalloh c. Allemagne [GC], nº 54810/00, § 100, CEDH 2006- ..., et Kolu c. Turquie, nº 35811/97, § 51, 2 août 2005). Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (voir, mutatis mutandis, Jalloh, précité, § 101). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (paragraphes 39-40 ci-dessus) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.
§ 55. Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (paragraphe 51 ci-dessus), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction — quelle que soit sa justification — ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandis, Magee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.
Les positions défendues dans l'arrêt Salduz ont entre-temps été retenues dans divers arrêts, de sorte que l'on peut assurément parler d'une « jurisprudence constante ». On en compte actuellement plus de 60 (32) . Le fil rouge de tous ces arrêts est que tous les suspects n'avaient pas bénéficié d'une assistance juridique lors de leur interrogatoire et que leur condamnation au pénal doit être considérée comme étant manifestement inéquitable selon la CEDH (33) .
Dans le cadre de cet exposé, il n'est pas indiqué de passer en revue tous ces arrêts. Toutefois, deux d'entre eux méritent une attention toute particulière parce qu'ils sont importants pour la situation belge.
Un premier arrêt concerne l'arrêt Bouglame du 2 mars 2010 (34) . L'intervenant se contentera ici de citer ce que Tom De Meester dit à ce sujet pendant son discours prononcé lors de la séance d'ouverture solennelle de la Conférence flamande du Barreau à Anvers le 15 octobre 2010:
« Dans l'affaire Bouglame contre la Belgique, la Cour a réaffirmé le 2 mars 2010, mais cette fois dans le contexte belge, que le report systématique sur une base légale de l'accès à un avocat au moment qui suit le premier interrogatoire, constitue ipso facto une violation de l'article 6 de la CEDH. Cette indication indubitable de la loi belge sur la détention préventive peut être considérée comme un dernier avertissement à l'attention du législateur belge. La décision d'irrecevabilité dans cette affaire était uniquement due à l'acquittement du plaignant et due au fait qu'il avait donc automatiquement bénéficié du meilleur redressement en droit. Elle a par ailleurs été souscrite par le juge présenté par la Belgique, dont on peut supposer qu'elle connait bien la situation et les traditions belges. » (35)
Le deuxième arrêt sur lequel l'intervenant souhaite attirer l'attention est récent et a déjà été abordé par Tom Decaigny et Paul De Hert, respectivement en tant qu'assistant et professeur liés à l'unité d'enseignement et de recherche criminologie de la VUB, sous le titre « EHRM doorkruist Salduzdiscussie Senaatscommissie Justitie » (36) . Il s'agit ici d'un arrêt du 14 octobre 2010 de la CEDH, à savoir l'arrêt Brusco c. France. Cet arrêt est important pour la Belgique parce que le règlement en vigueur en France est comparable à notre règlementation. Les auteurs de l'article affirment clairement que cet arrêt montre une nouvelle fois qu'un simple droit de consultation ne suffit pas. Le suspect a bel et bien droit à une assistance juridique et ce, dès le premier interrogatoire par la police.
En réaction aux remous provoqués par la jurisprudence de la CEDH, le Collège des procureurs généraux a promulgué, le 4 mai 2010, des directives provisoires auprès des cours d'appel concernant l'assistance d'un avocat dès le premier interrogatoire de police d'un suspect. Il s'agit ici de la circulaire nº COL 7/2010. Un addendum à cette circulaire est paru le 14 juillet 2010 dans la circulaire nº COL 15/2010.
Dans ces deux circulaires, le Collège des Procureurs généraux défend la position selon laquelle une initiative légale est requise pour introduire dans le droit de procédure pénale belge la position adoptée par la CEDH. Trois problèmes se posent à cet égard (37) :
— Une modification de l'article 12 de la Constitution est nécessaire pour pouvoir modifier le règlement de 24 heures. Lors d'une arrestation, on dispose par ailleurs de peu de temps pour organiser une concertation sérieuse ou une assistance d'un avocat.
— Il y a un manque d'infrastructures pour procéder à des interrogatoires sur support vidéo.
— L'assistance d'un avocat créerait des problèmes organisationnels pour les barreaux qui ne sont pas équipés pour cela.
Dans l'attente d'une législation, les directives suivantes sont imposées aux services de police:
— communication du droit de garder le silence à chaque personne interrogée;
— importance des constats sur place et de la sécurisation des indices et des preuves matérielles;
— enregistrement du premier interrogatoire d'un suspect privé de sa liberté.
La circulaire COL 15/2010 donne de plus amples explications concernant les délits susceptibles de donner lieu à l'application de ces directives.
Le ministre de la Justice a déposé une proposition de modification de loi afin que le Sénat puisse procéder à l'approbation d'une loi urgente provisoire. La proposition du ministre comprendrait les points suivants:
— dès le début de l'interrogatoire, il faut informer toutes les personnes suspectes d'avoir commis un délit qu'elles ont le droit de garder le silence;
— ces personnes ont le droit de savoir pour quels types de faits elles sont interrogées;
— elles peuvent avoir une concertation préalable avec leur avocat. Si elles sont privées de leur liberté, cette concertation doit avoir lieu dans les deux heures et peut durer au maximum 30 minutes;
— l'avocat ne peut pas être présent pendant l'interrogatoire;
— le délai de 24 heures peut être prolongé une fois de 24h.
Le ministre de la Justice a en partie fondé sa proposition sur l'avis donné le 24 juin 2009 par le Conseil supérieur de la Justice concernant la proposition de loi modifiant l'article 1er de la loi du 20 juillet relative à la détention préventive, afin d'octroyer au moment de l'arrestation de nouveaux droits à la personne privée de sa liberté (38) .
Il est à noter que les représentants du barreau ont immédiatement rejeté la proposition du ministre. À ce propos, il faut signaler ici que l'on peut trouver, sur le site de l'Ordre du Barreau Flamand, un projet de « conclusion concernant la violation de l'arrêt Salduz », qui a vraisemblablement déjà été utilisé dans bon nombre de causes.
Dans cette conclusion, on peut lire notamment:
« Les verbalisateurs ont, nonobstant leur connaissance de l'arrêt Salduz et visiblement dans le respect d'instructions édictées contra legem par le ministère public, sciemment omis de respecter les droits fondamentaux du concluant, à savoir en lui refusant l'assistance d'un défenseur, en ne lui ayant à tout le moins pas offert la possibilité de s'assurer l'assistance effective d'un défenseur nonobstant le fait que ces droits lui sont conférés de plein droit par l'effet direct de la CEDH, ainsi interprétés selon la jurisprudence de la CEDH, même si l'arsenal légal national n'a toujours pas expressément statué en matière de protection juridique supranationale. »
On est dès lors en droit de se demander si, au vu de la formulation de cette conclusion, la police — à savoir le policier ou la policière — peut encore procéder sur le terrain à l'interrogatoire de suspects. Que penser de l'argumentation avancée par le Président de l'Ordre du Barreau Flamand dans sa lettre du 12 juin 2010 adressée au Président du Collège des procureurs généraux concernant la COL 7/2010 (39) . Nous citons:
« L'autorité de la chose jugée attribuée aux arrêts de la CEDH oblige tout juge belge à ne pas appliquer des lois contraires à ceux-ci et lui interdit même d'attendre une modification de loi avant d'appliquer ces principes dans son jugement (Cass. 10 mai 1989, arrêt Lamy: Cass 16 mars 1999; Cass 9 mars 1999: CEDH 29 novembre 1991, Vermeire c. Belgique).
La pertinence de cette thèse vient d'être récemment démontrée dans le cadre de l'application d'un autre arrêt de la CEDH, à savoir l'arrêt Taxquet du 13 janvier 2009 dans lequel il est prévu l'obligation pour le jury de motiver son verdict. Les cours d'assises en ont tenu compte avant même l'adaptation de la législation belge. La Cour de cassation aussi a annulé deux jugements au début de 2009 parce qu'ils n'étaient pas motivés alors que la législation à l'époque n'avait toujours pas été adaptée.
Vu les principes idéologiques qui ont déjà été évoqués en préambule, la police ne peut poser aucun acte sur le terrain qui soit contraire à l'article 6 de la CEDH. Dans son avis du 24 juin 2009, l'une des conclusions du Conseil supérieur de la Justice était la suivante:
« Un interrogatoire préalable aura lieu immédiatement après qu'une personne est privée de liberté, dont le seul but sera d'interroger l'intéressé sur son choix de la langue et de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat. Par ailleurs, à cette occasion, il sera également donné lecture des droits de l'intéressé. Cet interrogatoire ne traitera, cependant, pas du fond de l'affaire. » (40)
Dans une note de bas de page, le Conseil supérieur de la Justice précise que la loi relative à la détention provisoire prévoit également en son article 1, 4º, que le procureur du Roi est lui aussi averti immédiatement. l'intervenant pense que, dans les circonstances données, ses interventions doivent se limiter à cela. On peut difficilement attendre du personnel opérationnel qu'il procède à des interrogatoires qui soient contraires à la réglementation qu'il est précisément appelé à défendre.
Que doit faire la police sur le terrain lorsqu'un suspect manifeste dès l'entame de l'interrogatoire son souhait de recourir à l'assistance d'un avocat comme le prévoit l'arrêt de la CEDH et l'article 6 de la CEDH ? Que se passe-t-il si le policier ou la policière y donne suite ? S'expose-t-il/elle à des poursuites pénales et disciplinaires ? En fin de compte, force est de constater ici qu'il/elle ne fait que donner suite à une convention européenne et au jugement qui en découle. Il est évident que la police se retrouve dans un vide juridique en ce qui concerne ses interventions. Il est plus que nécessaire d'instaurer des directives et une législation qui ne soient pas contraires aux principes généraux du droit.
Les propositions de loi qui ont été déposées et qui sont actuellement en discussion au Sénat en vue de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence du CEDH, prévoient les éléments suivants:
— le droit au silence;
— le droit de se faire assister par un avocat;
— le droit de s'entretenir avec un avocat;
— enregistrement audiovisuel de chaque interrogatoire (41) .
La CGSP n'a aucune objection à ce que notre législation soit adaptée en ce sens, mais, il reste un certain nombre de choses à améliorer.
— Les propositions déposées passent outre la règle des 24 heures qui est d'application lors de l'arrestation d'une personne telle qu'elle est prescrite à l'article 2 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention provisoire. Les représentants du Parquet ont très justement fait remarquer à la commission de la Justice du Sénat qu'il doit être possible de prolonger ce délai. Il semble légitime que ce délai soit à tout le moins prolongé de la durée temps nécessaire à la notification de l'interrogatoire, à l'arrivée de l'avocat et à l'entretien préalable avec le suspect.
— Aucune des propositions, ne précise le délai dont l'avocat dispose pour arriver sur place. Dire que cela doit être dans un délai raisonnable est trop vague et donnera indéniablement lieu à des chicaneries juridiques. Il paraît opportun de le définir clairement dans la législation. Il paraît également logique de pouvoir commencer l'interrogatoire au terme de ce délai.
— Les propositions de loi prévoient qu'un entretien avec l'avocat doit être possible préalablement à l'interrogatoire. Ici aussi, il paraît utile de préciser combien de temps cet entretien peut durer. Par ailleurs, il faudra déterminer si l'interrogatoire peut être interrompu pour permettre au suspect de consulter son avocat.
— Il va de soi que le suspect peut renoncer à son droit à l'assistance d'un avocat. Les propositions ne disent pas si le suspect a quand même encore la possibilité de faire appel à un défenseur en cours d'interrogatoire.
— L'article 1er du Code pénal répartit les délits en trois catégories, à savoir les crimes, les délits et les infractions. Le droit à l'entretien avec un avocat et à l'assistance d'un avocat vaut-il pour tous les types de délit ? Ne serait-ce pas violer le principe d'égalité que d'exclure certains délits ? Il est évident que les avocats seront favorables à une limitation. Ils ont en effet d'autres choses à faire encore que d'assister à un interrogatoire.
— Le Directeur général de la police fédérale Van Thielen a déclaré à la commission de la Justice du Sénat que, pour organiser tout cela, il faudrait 192 policiers supplémentaire. L'autorité sera-t-elle disposée à faire pareil effort en période d'économies ?
— Rien n'est prévu dans la formation d'un policier ou d'une policière concernant des interrogatoires en présence d'un avocat. Aussi, une modification aussi drastique suscite-t-elle des réticences sur le terrain. Un recyclage de tous les policiers sera dès lors nécessaire. La CGSP demande dès lors que des sessions de formation soient d'ores et déjà lancées.
— Il conviendra de libérer un espace pour permettre à l'avocat et au suspect de se rencontrer dans des conditions de sécurité. Or, beaucoup de zones de police et de services de la police fédérale manquent d'espace . Il faudra là aussi que l'autorité investisse.
— À propos des droits de la défense, il faudra décider si l'avocat et le suspect peuvent prendre connaissance préalablement du contenu du dossier. Le principe de lutte à armes égales n'est pas étranger à cet aspect des choses.
— Dans la COL 7/2010, il est précisé qu'à l'avenir, l'examen des empreintes va gagner en importance. Ce qui signifie qu'il faudra investir davantage dans la police scientifique. Or, les laboratoires de la police scientifique sont d'ores et déjà confrontés à une énorme pénurie de personnel. Il conviendra à tout le moins de doubler ce personnel.
— Concernant l'enregistrement audiovisuel et auditif des interrogatoires, la CGSP affirme qu'elle n'y est pas opposée. En dépit des remous que l'idée suscite pour l'heure sur les lieux de travail, elle est persuadée que toutes les parties concernées y gagneront et est d'accord avec Tom De Meester lorsqu'il dit que d'éventuelles imprécisions peuvent être contrôlées en toute objectivité sur le moment et par la suite par les verbalisateurs, par l'avocat et par le juge du fond (42) . Ici aussi, il fraudra prévoir une formation pour tous les policiers. Au vu des articles 91bis à 101 et de l'article 112ter du Code d'instruction criminelle, on peut dire qu'une expertise est déjà disponible au sein de la police.
III. Conclusion
L'arrêt Salduz de la CEDH et les arrêts suivants qui confirment la doctrine de cet arrêt suscitent des remous depuis pas mal de temps dans le monde judiciaire et policier. Il n'empêche que la doctrine Salduz devra être transposée dans la législation belge. Cette transposition devra tenir compte des principes suivants:
— le droit au silence;
— le droit de se faire assister par un avocat;
— le droit à un entretien avec un avocat;
— l'enregistrement audiovisuel de chaque interrogatoire.
Une législation claire devra faire en sorte que toutes les parties impliquées puissent appliquer les règles du jeu de façon univoque.
Les services de police devront s'adapter en termes d'infrastructure et de personnel. L'autorité devra libérer les fonds nécessaires à cet effet.
F. Échange de vues
Mme Faes est quelque peu surprise par le contenu des exposés. Elle pensait en effet que le but était que les intervenants viennent exposer leur point de vue concernant le droit à la vie privée dans le cadre de l'enregistrement audiovisuel de l'audition. Les exposés ont toutefois porté essentiellement sur les circulaires COL 7 et 15, sur la question de savoir qui allait payer les avocats, etc. Le noeud du problème n'a été abordé que brièvement. Aucun argument concret n'a été cité pour interdire l'enregistrement audiovisuel dans un souci de respect du droit à la vie privée. L'intervenante juge en effet qu'il n'y pas une grande différence à cet égard entre une audition enregistrée et une audition ordinaire sans enregistrement audiovisuel. Dans les deux cas, les policiers sont nommément cités et sont directement en contact avec le suspect. Les policiers de la région où habite l'intervenante ne voient pas non plus d'inconvénient à un éventuel enregistrement audiovisuel. En outre, l'audition pourrait être organisée de telle manière que le policier n'apparaisse pas à l'image et que l'on ne voie que son dos. Le suspect serait alors face à la caméra.
On part, semble-t-il, du principe que la majorité des auditions devront être enregistrées, ce qui ne sera pas le cas selon l'intervenante. Dès lors que l'assistance de l'avocat sera organisée, celui-ci pourra en effet contrôler si l'audition s'est déroulée correctement. Un enregistrement audiovisuel supplémentaire sera alors superflu.
Les barreaux étant prêts à organiser l'assistance, il n'y aura pas beaucoup de problèmes sur le terrain. Comme pour toute nouvelle législation, il faudra néanmoins procéder à une évaluation.
En ce qui concerne le manque de moyens, tant en termes financiers qu'en termes d'effectifs, l'intervenante pense que le ministre de l'Intérieur doit prendre ses responsabilités. Il faut tenir compte du fait qu'une condamnation éventuelle aurait aussi des conséquences sur le plan financier.
M. Gilles précise qu'un chef de corps avait proposé d'installer une caméra mobile sur le couvre-chef des policiers mais que le ministre de l'Intérieur a conclu à l'illégalité d'une telle mesure. Sur la base de cet avis, le syndicat estime par analogie que l'enregistrement audiovisuel impliquant le policier serait également illégal.
M. Deldicque souligne que l'enregistrement audiovisuel impose que l'enquêteur dispose d'éléments de preuve afin de mener correctement son audition. Or, si le service compétent n'a pas la capacité de le faire, il est à craindre que l'enregistrement audiovisuel de cette première audition n'aura que peu d'utilité pour l'enquête. Enfin, pour procéder à une audition avec un enregistrement audiovisuel, l'orateur insiste une fois de plus sur l'impérieuse nécessité d'avoir suivi une formation ad hoc.
M. Laeremans se félicite que les intervenants aient élargi le débat à d'autres aspects que la seule problématique de la vie privée. Ce sont précisément les policiers de terrain qui peuvent aider le législateur à élaborer une législation réalisable dans la pratique, compte tenu de la pénurie de moyens.
L'intervenant voudrait surtout savoir si les mesures proposées, dont la prolongation éventuelle du délai, auraient pour effet de ralentir le travail policier sur le terrain. Un samedi ordinaire à Anvers, par exemple, on effectue parfois 80 à 90 arrestations sur une seule nuit. Le fait de devoir en plus engager à chaque fois un avocat entraînera assurément d'énormes problèmes pratiques aux dépens de l'efficacité. Cela ne risque-t-il pas de conduire à une diminution du nombre d'auditions dans la pratique ? Existe-t-il des alternatives à l'éventuelle présence physique d'un avocat lors de l'audition ? L'on a déjà suggéré que l'avocat pourrait suivre l'audition derrière une vitre, de telle sorte qu'il ne puisse pas intervenir. De nombreux problèmes juridiques peuvent se poser si un avocat parle la langue du suspect, alors que l'interrogateur ne maîtrise pas cette langue. L'intervenant souhaite savoir si la présence systématique d'un avocat à chaque audition paraît faisable aux yeux des policiers. Sont-ils d'accord avec le nombre de policiers supplémentaires qui est proposé, à savoir 192, ou estiment-ils ce nombre insuffisant pour faire face au surplus de travail engendré ?
M. Pickeur estime que l'assistance d'un avocat derrière une vitre est contraire à l'esprit de la jurisprudence de la CEDH. La CEDH a souligné en effet que l'avocat devait pouvoir fournir une assistance pendant l'audition. Cela signifie qu'il doit pouvoir parler avec son client. S'il se trouve derrière une vitre, l'avocat n'a qu'un rôle passif, ce qui a été refusé par la Cour européenne. L'intervenant juge que la police sera incapable d'accomplir sa mission avec ses effectifs actuels si l'on veut proposer une assistance à chaque audition et pour chaque délit, a fortiori si cette assistance ne se limite pas au suspect mais qu'elle est aussi proposée aux témoins et aux victimes. L'enregistrement vidéo entraînera certainement des retards; d'où la demande de prolonger le délai de 24 heures. Selon l'intervenant, il s'agit de trouver un compromis en ne prévoyant l'assistance d'un avocat que pour certains délits, quitte à prendre le risque que la Cour européenne condamne un jour la Belgique pour ce choix. Si l'on veut organiser l'assistance pour chaque audition et pour chaque délit, il faudra au moins doubler la capacité policière. Les tâches de la police ne se limitent en outre pas à procéder à des auditions.
M. Allard ajoute qu'il lui semble tout à fait impossible d'appliquer les mesures proposées, surtout dans le délai imparti de 24 heures. Les auditions qui font actuellement l'objet d'un enregistrement audiovisuel, conformément à l'article 112ter du Code d'instruction criminelle, sont des auditions programmées, bien préparées et minutées. Cela requiert des efforts importants en termes de capacité, d'engagement personnel et de planification. Rien qu'en appliquant pareil système aux délits graves, les conséquences seraient déjà énormes pour le fonctionnement et l'organisation des services de police, sans oublier la nécessité d'une formation. Il ne faut donc pas décider à la légère, afin d'éviter les vices de procédure par la suite. L'intervenant ignore sur quoi se base M. Van Thielen pour demander une capacité supplémentaire de 192 policiers. L'intervenant craint que ce nombre ne soit pas suffisant.
M. Deldicque souhaite préciser que le chiffre de 192 personnes qui est avancé par M. Van Thielen résulte de l'enveloppe budgétaire attribuée mais aucunement d'une analyse quant aux besoins opérationnels. À ce jour, il n'est pas possible de maintenir un service de qualité alors que les budgets sont en constante diminution et que le personnel sur le terrain n'est pas suffisamment remplacé.
M. Barbier rappelle également les moyens humains nécessaires à la retranscription des auditions et les besoins importants en formation (60 heures de formation pour l'audition TAEV et 80 heures pour l'audition TAM).
M. Pickeur estime qu'il s'impose de faire la distinction par rapport aux auditions filmées existantes, telles qu'elles sont régies par le Code d'instruction criminelle. En effet, les enregistrements actuels concernent des auditions qui requièrent une réelle expertise et les enquêteurs qui s'en chargent ont suivi une formation spécialisée. À côté de la salle d'audition est aussi prévue une régie technique où peuvent prendre place des psychologues, psychiatres, analystes criminels et autres intervenants. Mais toutes les auditions n'auront pas lieu de cette manière à l'avenir.
Il faut évidemment s'attendre à ce que l'enregistrement crée un certain malaise, tant chez le policier que chez le suspect. Un des inconvénients de l'audition filmée est qu'elle risque de provoquer un bloquage chez les personnes filmées, ce qui pourrait empêcher l'enquête d'atteindre son objectif.
Filmer toutes les auditions entraînerait des coûts exorbitants. Il est vrai qu'un seul local vidéo ne suffirait pas car chaque policier qui aurait des personnes à entendre devrait pouvoir disposer d'un espace spécialement équipé, ce qui est irréalisable. En revanche, il serait envisageable de se limiter à un enregistrement sonore de l'audition. En outre, il faut que la loi désigne clairement les personnes qui pourront visionner ou écouter les enregistrements et à quel moment. L'intervenant pense que cela sera utile en cas de doute sur la transcription d'une audition. Il faudrait alors pouvoir se référer à l'enregistrement.
M. Courtois plaide pour une approche prudente lors de la mise en uvre en droit belge de la jurisprudence Salduz. Or, les pistes de solutions proposées s'apparentent, aux yeux de l'orateur, à un conte qui serait intitulé « la Justice au pays des merveilles ». Les solutions évoquées nécessiteraient des moyens humains, matériels, techniques, etc. dont le département ne dispose pas. Certes, on ne peut nier l'arrêt Salduz de la Cour européenne. Il faut cependant profiter des débats liés à la mise en uvre de cette jurisprudence pour remettre en avant les problèmes en matière de personnel, de moyens budgétaires et de suivi des procédures. Par ailleurs, le délai d'arrestation limité à 24 heures est également trop bref.
L'intervenant souligne que ceux qui ont fait des weekends de service au sein d'un parquet ou d'un service de police savent que des dizaines de personnes sont présentées. Il doute qu'un nombre suffisant d'avocats sera présent pour assister aux nombreux interrogatoires. M. Courtois déclare qu'il s'opposera à toute législation qui serait inapplicable sur le terrain.
M. Delpérée s'étonne des dernières remarques de M. Courtois. Lors de leur audition, les représentants des barreaux francophones et germanophone ainsi que des barreaux flamands ont tous confirmé qu'ils étaient prêts à mettre en place les permanences d'avocats. Des expériences sont par ailleurs en cours dans certains tribunaux et cela semble fonctionner correctement sur le terrain. Il pense que les permanences des avocats ne constituent pas un problème essentiel. Par contre, celui du délai d'arrestation limité à 24 heures est plus délicat.
Mme Defraigne précise que l'article 12 de la Constitution est soumis à révision. Rien n'empêche la commission des réformes institutionnelles d'entamer le débat sur ce point.
Sur la question de l'enregistrement des auditions, l'intervenante pense que cela ne doit pas modifier la retranscription des auditions. L'enregistrement devrait se faire à partir de la privation de liberté, c'est-à-dire au départ de la garde à vue. L'enregistrement ne devrait pas amener de charge de travail supplémentaire. C'est un instrument qui serait à disposition en cas de difficulté, par exemple lorsque la personne entendue se plaint devant le juge du fond que la retranscription de l'audition ne reflète pas fidèlement le contenu de celle-ci.
Pour ce qui concerne les formations des policiers, ce point pourrait être délégué au Roi.
Mme Khattabi réagit aux propos de M. Courtois. Si le législateur décide de mettre en uvre une politique, il doit veiller à ce que les moyens nécessaires à sa réalisation soient dégagés. C'est un choix politique.
La ministre tient à faire observer que si les barreaux déclarent être prêts pour l'organisation de l'assistance et les services de permanence, cela vaut uniquement pour les auditions réalisées chez le juge d'instruction. L'intervenant communiquera les chiffres qui montrent que 13 796 dossiers arrivent chez le juge d'instruction sur un total de 95 000 dossiers dans lesquels il y a eu privation de liberté. Elle cite l'exemple d'un voleur pris en flagrant délit. La police arrête l'intéressé et doit immédiatement téléphoner au procureur, qui confirme généralement l'arrestation, demande à entendre la personne, etc. Après cette première audition, au cours de laquelle l'assistance d'un avocat est donc déjà requise, le procureur décide de laisser le suspect repartir ou de le faire amener au palais de justice (on parle alors de « mise à la disposition du parquet »). Un certain nombre de suspects sont ainsi amenés au palais de justice. Le procureur lit le dossier et décide de libérer l'intéressé, de le citer immédiatement à comparaître ou de mettre le dossier à l'instruction chez le juge d'instruction. À son tour, celui-ci libère encore quelques personnes. Le nombre de dossiers de privation de liberté est par conséquent beaucoup plus élevé que le nombre de personnes arrêtées qui sont effectivement présentées au juge d'instruction. Les barreaux sont uniquement prêts pour la phase de l'audition chez le juge d'instruction, ce qui ne représente qu'un nombre limité de cas.
M. Courtois précise qu'il visait tous les cas de mise à disposition. Le parquet de Bruxelles doit faire face à environ 400 000 nouveaux dossiers par an. Lors des permanences du weekend, le nombre de premières auditions effectués par le parquet est très élevé. Il doute que les barreaux puissent assurer les permanences nécessaires.
Sur la question des moyens de la police et de la justice, des progrès ont certes été réalisés, mais beaucoup reste à faire. L'orateur pense notamment à la question de l'informatisation de la justice qui est un chantier dont on attend la réalisation depuis plus de vingt ans.
Si l'on veut mettre en place les mesures qui ont été suggérées par d'aucuns, il faut être conscient que les moyens nécessaires n'existent pas. C'est la raison pour laquelle il faut, lors du présent débat, oser aborder la question des moyens. Il faudra probablement établir un plan à long terme.
Mme Taelman rejoint l'intervenant précédent sur deux points.
Elle estime que l'on n'aura d'autre choix que de porter le délai de 24 heures à 48 heures. L'article de la Constitution y afférent a d'ailleurs été déclaré ouvert à révision. Il est également urgent d'entamer le débat à ce sujet. Sur ce point, l'intervenante n'est pas d'accord avec le ministre, qui souhaite plutôt se limiter au strict nécessaire, le débat relatif à la prolongation du délai précité n'en faisant pas partie selon lui.
L'intervenante estime également que l'adoption d'une législation suppose que l'on dispose des moyens nécessaires. Elle craint néanmoins que nous n'ayons guère le choix en l'espèce: la jurisprudence de la Cour européenne doit être mise en uvre. Il faudra trouver les moyens nécessaires.
Forte de ses nombreux contacts avec les services de police de sa région, l'intervenante peut affirmer que dans l'arrondissement de Turnhout, la première audition, tout comme la première audition chez le juge d'instruction, a lieu sans l'assistance d'un avocat. Mais si le juge d'instruction décide de procéder à une privation de liberté, il faut tout recommencer depuis le début. L'intervenante ne trouve guère efficace cette manière d'utiliser les moyens et le personnel de police. La présence d'un avocat dès le départ permettrait d'éviter ce gaspillage d'efforts et de moyens.
L'intervenante est d'avis que l'on ne peut pas perdre de temps et que l'on doit se résoudre au plus vite à organiser l'assistance d'un avocat dès la première audition et à porter le délai à 48 heures.
M. Bousetta souhaite revenir à la question de l'enregistrement des auditions. À l'heure actuelle, des auditions sont enregistrées dans les hypothèses visées à l'article 112 du Code d'instruction criminelle. Ces expériences sont-elles problématiques dans la saisie ou dans l'exploitation des enregistrements ?
M. Deldicque rappelle que les auditions audiovisuelles qui sont menées à l'heure actuelle le sont dans le cadre d'une information ou d'une instruction menée depuis un certain temps. Lorsque le procureur du Roi ou le magistrat instructeur demandent aux services de police de procéder à une audition audiovisuelle d'un suspect ou d'un témoin, l'enquêteur prépare son audition et fixe une sorte de trame. Il dispose d'éléments de preuve, des éléments d'enquête, etc. Il s'inspire de ces éléments pour orienter l'audition vers des objectifs qui ont été fixés de commun accord avec le magistrat requérant.
La dynamique d'une audition audiovisuelle et le rapport de force qui s'installe, surtout lorsque c'est un prévenu qui est entendu, ne sont pas faciles à gérer. Les formations données aux enquêteurs sont des boîtes à outils leur permettant de gérer ces situations. La dynamique et le déroulement d'une audition audiovisuelle sont totalement différents de ce qui se passe lors d'une audition classique.
En ce qui concerne la retranscription des auditions, l'intervenant souligne que l'enquêteur qui établit le procès-verbal de retranscription partielle va lui-même devoir opérer une sélection des éléments qu'il retient et de ceux qu'il élimine. Cela peut poser problème car cela peut être utilisé pour remettre l'impartialité de l'enquêteur en cause. Par ailleurs, la retranscription des auditions est une opération très lourde qui prend beaucoup de temps. Il y a en outre une grande disparité sur le terrain quant aux moyens matériels dont disposent les unités.
Pour répondre à l'arrêt Salduz, le Collège des procureurs généraux a préconisé l'enregistrement des auditions. Il ne l'a pas imposé. Comme la jurisprudence de la Cour européenne sur la présence de l'avocat n'est pas encore traduite en droit belge, l'intervenant préconise l'enregistrement d'audition ou de première déclaration. Il faut cependant être conscient des obstacles pratiques que cela soulève.
M. Houssin fait remarquer que la loi relative à la protection de la vie privée est très claire. Elle prévoit en son article 5 un consentement individuel préalable et indubitable. La circulaire COL 7 ne précise rien à ce sujet, ce qui pose problème. Qu'adviendra-t-il si les policiers ou le suspect ne souhaitent pas donner leur consentement ? Que faire si le suspect déclare formellement à l'entrée du local qu'il refuse d'être filmé ? La circulaire COL 7 ne tient pas compte de l'article 5. Si l'on soutient qu'il faut filmer toutes les auditions de police, l'intervenant se demande pourquoi il ne faudrait pas en faire autant pour les auditions menées par le juge d'instruction. Si la loi relative à la protection de la vie privée est sans effet dans le bureau de police, il en va de même dans le cabinet du juge d'instruction. La police est soumise à une multitude de moyens de contrôle. La circulaire COL 7 indique également que l'enregistrement est un moyen de contrôle du déroulement correct de l'audition.
Mme Faes peut comprendre les griefs exprimés par les policiers, mais estime que le rôle de cette commission n'est pas de critiquer les directives COL 7 et COL 15. La seule chose qui est demandée au législateur, c'est de savoir comment donner suite à l'arrêt Salduz. Le policier occupe une fonction publique qui va de pair avec certaines responsabilités; si l'on inscrit dans la loi que les auditions devront dorénavant être filmées, les policiers, comme les suspects, devront s'incliner. C'est le législateur qui doit fixer les règles.
M. Allard se rallie à l'intervention de Mme Taelman sur l'efficacité de la première audition de police. Il faudrait peut-être faire l'impasse sur cette première audition et se limiter à une notification des droits et obligations. Le juge d'instruction ou le magistrat qui doit se prononcer sur la privation de liberté pourrait alors se charger de la première audition de fond, en présence d'un avocat. Les barreaux y sont aussi clairement favorables. Si l'on impose cette assistance dès la première audition de police, le policier se retrouvera dans une situation conflictuelle sur le plan déontologique. Si l'on fait l'impasse sur la première audition par la police, cette dernière aura plus de temps pour se concentrer sur les constatations matérielles et l'administration de la preuve matérielle.
M. Pickeur ajoute que la circulaire COL 7 est en fait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne et qu'elle ne devrait en principe pas être appliquée. Le débat se focalise sans arrêt sur la nécessité de filmer ou non les auditions, alors que l'arrêt Salduz n'en parle même pas. La doctrine Salduz prescrit qu'il faut attirer l'attention de l'intéressé sur son droit de garder le silence, de s'entretenir au préalable avec un avocat et de bénéficier également de l'assistance d'un avocat pendant l'interrogatoire. Les moyens nécessaires pour filmer les auditions font d'ailleurs clairement défaut; les effectifs sont insuffisants et la formation requise nécessitera du temps et de l'argent. L'intervenant estime dès lors qu'il vaut mieux renoncer à l'idée de filmer les auditions.
IV. NOTE DE MME MARIE-AUDE BEERNAERT, PROFESSEUR À L'UCL
Les suites de l'arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l'homme.
La présente note a un objectif strictement limité: il ne s'agit pas de revenir en détails sur le texte des différentes propositions soumises à la commission de la Justice du Sénat, mais simplement d'éclairer celle-ci sur un aspect essentiel de la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne des droits de l'homme.
Les différents textes actuellement sur la table de la commission de la Justice divergent en effet sur un point crucial: certains proposent de reconnaître aux suspects le droit à l'assistance d'un avocat lors de leurs interrogatoires, là où d'autres ne reconnaissent qu'un droit d'accès à l'avocat sous la forme d'une concertation préalable au premier interrogatoire (cette deuxième option étant notamment défendue par le ministre de la Justice, au moins dans une première phase, temporaire et provisoire).
Cette divergence d'approches soulève une question de principe: le fait de garantir aux suspects un simple entretien préalable avec un avocat suffit-il encore à se conformer aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme ?
Nous ne le pensons pas.
S'il est vrai que l'arrêt Salduz c. Turquie ne précisait pas ce qu'il fallait entendre par « assistance d'un avocat » ou « accès à un avocat » et autorisait encore deux lectures (l'une, minimaliste, consistant à considérer que cet accès ou cette assistance supposaient simplement de pouvoir consulter un avocat avant les premiers interrogatoires de police, l'autre, maximaliste, interprétant au contraire ces mêmes notions comme impliquant que l'avocat puisse être physiquement présent lors des interrogatoires (43) ), la jurisprudence récente de la Cour européenne, par contre, ne permet plus le doute et exige de toute évidence que l'avocat puisse assister aux interrogatoires aux côtés de son client.
Nous attirons expressément, à cet égard, l'attention des membres de la commission sur le récent arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010.
Dans cet arrêt, prononcé à l'unanimité (44) , la Cour européenne précise en effet explicitement que « la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires » (§ 45) et, pour conclure à une violation de l'article 6, elle relève que l'avocat du requérant n'avait pas été en mesure « ni de l'informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s'auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l'assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l'exige l'article 6 de la Convention » (§ 54).
C'est également dans ce sens que la Cour de cassation française s'est tout récemment prononcée.
Saisie d'un pourvoi contre un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Agen qui avait prononcé l'annulation de procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenues pendant celle-ci, au motif que la personne en garde à vue avait certes pu s'entretenir confidentiellement avec son avocat dès le début de la mesure et avant même son interrogatoire par les services de police, mais qu'elle n'avait par contre pas pu bénéficier de l'assistance de l'avocat lors de ses interrogatoires, la Cour de cassation française a, dans un arrêt nº 5700 du 19 octobre 2010 jugé « qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Eu égard à ces développements récents, nous sommes convaincue que la seule instauration du droit à un entretien préalable avec un avocat avant les premiers interrogatoires du suspect sera insuffisante pour éviter à la Belgique de futures condamnations à Strasbourg.
Louvain-la-Neuve, le 29 octobre 2010
Marie-Aude Beernaert
Professeur à l'UCL
V. VOTE
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 12 membres présents.
Les rapporteurs, | La présidente, |
Zakia KHATTABI. Karl VANLOUWE. | Christine DEFRAIGNE. |
(1) CEDH 27 novembre 2008 (Grande Chambre), no 36391/02, Salduz c. Turquie.
(2) Aperçu de la jurisprudence européenne jusqu'à la date du 31 juillet 2010: CEDH 14 décembre 1999, no 44738/98, Dougan c. Royaume-Uni; CEDH 2 mai 2000, no 35718/97, Condron. Royaume-Uni; CEDH 26 avril 2007, no 36391/02, Salduz c. Turquie; CEDH 27 novembre 2008 (Grande Chambre), no 36391/02, Salduz c. Turquie; CEDH 11 décembre 2008, no 4268/04, Panovits c. Chypre; CEDH 13 janvier 2009, no 25720/02, Amer c. Turquie; CEDH 20 janvier 2009, no 70337/01, Guvec c. Turquie; CEDH 3 février 2009, no 5138/04, Amutgan c. Turquie; CEDH 3 février 2009, no 4661/02, Sukran Yildiz c. Turquie; CEDH 3 février 2009, no 19582/02, Cimen c.Turquie; CEDH 5 février 2009, Affaire Sakhnovskiy c. Russie — renvoyée à la Grande Chambre le 14 septembre; CEDH 17 février 2009, no 6058/02 et no 18074/03, Ek et Siktas c. Turquie; CEDH 17 février 2009, no 38940/02 et no 5197/03, Aslan et Demir c. Turquie; CEDH 19 février 2009, no 16404/03, Shabelnik c. Ukraine; CEDH 3 mars 2009, no 7638/02 et no 24146/04, Aba c. Turquie; CEDH 3 mars 2009, no 16943/03, Tascigil c. Turquie; CEDH 10 mars 2009, no 71912/01, no 26968/02 et no 36397/03, Böke et Kandemir c. Turquie; CEDH 31 mars 2009, no 20310/02, Plonka c. Pologne; CEDH 21 avril 2009, no 47368/99, Soykan c. Turquie; CEDH 16 juin 2009, no 43422/02, Bilgin et Bulga c. Turquie; CEDH 16 juin 2009, no 19914/03, Gülçer et Aslım c. Turquie; CEDH 16 juin 2009, no 5256/02, Karabil c. Turquie; CEDH 23 juin 2009, no 15737/02, Öngün c. Turquie; CEDH 7 juillet 2009, no 71864/01, Tağaç et autres c. Turquie; CEDH 16 juillet 2009, no 12550/03, Çimen Işık c. Turquie; CEDH 16 juillet 2009, no 6094/03, Elçiçek et autres c. Turquie; CEDH 28 juillet 2009, no 74307/01, Gök et Güler c. Turquie; CEDH 28 juillet 2009, no 25381/02, Seyithan Demir c. Turquie; CEDH 28 juillet 2009, no 10324/05, İzzet Özcan c. Turquie; CEDH 28 juillet 2009, no 6318/02, Zeki Bayhan c. Turquie; CEDH 15 septembre 2009, no 1915/03, Arzu c. Turquie; CEDH 22 septembre 2009, no 24739/04, Ahmet Arslan c. Turquie; CEDH 22 septembre 2009, no 2910/04, Çelebi et autres c. Turquie; CEDH 22 septembre 2009, no 22922/03, Halil Kaya c. Turquie; CEDH 24 septembre 2009, no 7025/04, Pishchalnikov c. Russie; CEDH 6 octobre 2009, no 30235/03, Ozcan Colak c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 31721/02, Demirkaya c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 18532/05, Fatma Tunç c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 24829/03, Fikret Çetin c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 13918/03, Oğraş c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 8748/02 et no 34509/03, Geçgel & Çelik c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 16486/04, Güvenilir c. Turquie; CEDH 13 octobre 2009, no 7377/03, Dayanan c. Turquie; CEDH 15 octobre 2009, no 50700/07, Kuralic c. Croatie; CEDH 20 octobre 2009, no 24744/03, Yunus Aktas et autres c. Turquie; CEDH 20 octobre 2009, no 7070/03, Ballıktaş c. Turquie; CEDH 20 octobre 2009, no 29503/03, Colakoglu c. Turquie; CEDH 20 octobre 2009, no 32705/02, Atti & Tedik c. Turquie; CEDH 18 février 2010, no 39660/02, Aleksendr Zaichencko c. Russie; CEDH 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz c. Pologne; CEDH, 2 mars 2010, Décision sur la recevabilité de la requête 16147 Bouglame c. Belgique; CEDH 29 juin 2010, no 12976/05, Karadag c. Turquie.
(3) Avis du 22 mars 2010 du Collège des procureurs généraux au ministre de la Justice.
(4) Cass., 31 mars 2010, AR P.10 0504.F.
(5) CEDH 2 mars 2010, Bouglame c. Belgique.
(6) Avis du 3 avril 2009 de l'Ordre des Barreaux flamands au ministre de la Justice.
(7) Aperçu de la jurisprudence de la Cour de cassation jusqu'au 30 juin 2010: Cass., 29 décembre 2009, AR P.09 1826.F; Cass., 13 janvier 2010, AR P.09 1908.F., avec conclusion de l'avocat général Vandermeersch; Cass., 24 février 2010, A.R. P.10 0298.F.; Cass., 23 mars 2010, A.R. P.10 0474.N; Cass., 31 mars 2010, AR P.10 0504.F.; Cass., 5 mai 2010, AR P.10 0257.F., avec conclusion de l'avocat général Vandermeersch; Cass., 11 mai 2010, AR P. 10 0801.N (non publié); Cass., 26 mai 2010, AR P.10 0503.F.; Cass., 26 mai 2010, A.R. P. 10 0292.F. (non publié); Cass., 2 juin 2010, AR P.10 0872.N; Cass., 2 juin 2010, AR P. 10 0765.F. (non publié); Cass., 22 juin 2010, AR P.10 0872.N.; Cass., 23 juin 2010, AR P.10 1009.F.
(8) Par exemple à Marche-en Famenne, où le système suivant est appliqué: possibilité de voir l'avocat pendant 30 minutes avant l'audition par le juge d'instruction et, dans ce cas, aussi présence lors de l'interrogatoire par le juge d'instruction. Rien n'est dit en fait à propos de l'interrogatoire par la police.
(9) Circulaire COL 7/2010 du 4 mai 2010 du Collège des Procureurs généraux et circulaire COL 15/2010 du 14 juillet 2010 du Collège des Procureurs généraux (addendum à la circulaire COL 7/2010).
(10) Sénat, Annales no 1-238.
(11) Aux Pays-Bas, il est possible de procéder par le biais d'une instruction dans la mesure où le Collège y dispose de compétences plus étendues, notamment d'une autonomie financière qui permet de gérer les coûts et de conclure des accords avec d'autres acteurs.
(12) Loi du 15 juin 2000, loi du 4 mars 2002, loi du 18 mars 2003, loi du 9 mars 2004, et loi du 5 mars 2007.
(13) Sénat, no 5-58/1.
(14) M., Bockstaele, « Voorlopige richtlijnen van het college van procureurs-generaal inzake de bijstand van een advocaat bij het eerste politionele verhoor van een verdachte », Panopticon, 2010.4., p. 72.
(15) R., Verstraeten, Handboek voor Strafvordering, 4e édition remaniée, p. 436, no 851.
(16) Article 29, 2o, du Code d'instruction criminelle néerlandais: « voor het verhoor wordt de verdachte meegedeeld dat hij niet verplicht is te antwoorden ».
(17) Récent projet de loi visant à réformer « les gardes à vue »: article 73-5, 2o, « La personne gardée à vue est informée au début de son audition qu'elle a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire; ».
(18) Cour européenne des droits de l'homme, 1er avril 2010, Pavlenko c. Russie, § 12.
(19) Arrêts Dayanan, Zaichenko et Adamkiewicz.
(20) Cour européenne des droits de l'homme, 13 octobre 2009, no 7377/03, Dayanan c. Turquie.
(21) Voir article De Jaegere, Ph. En Verstraeten A., « Het recht op bijstand bij het verhoor. Een deontologische benadering van de taak van de advocaat. », Ad Rem, 3/2010.
(22) Doc Chambre, Session 2003-2004, no 51-1317.
(23) Avis du Conseil des procureurs du Roi au ministre de la Justice du 6 mai 2009.
(24) Le mandat d'amener est une ordonnance motivée du juge d'instruction qui vise à amener devant lui une personne, si nécessaire sous la contrainte, aux fins de l'interroger. Si la personne a déjà été privée de sa liberté, le mandat d'amener doit être signifié dans les 24 heures à compter de la privation de liberté effective. À compter de la signification, le mandat d'amener couvre une période de prise de corps de 24 heures. Dans ces 24 heures, le juge d'instruction doit procéder à l'interrogatoire et signifier un mandat d'arrêt. Le délai est donc de 48 heures maximum. Un mandat d'amener ne peut être décerné que si le suspect n'a pas encore été mis à la disposition du juge d'instruction (article 3 de la loi relative à la détention préventive). La « mise à disposition » doit être entendue au sens de la proximité immédiate, de manière à ce que le magistrat puisse interroger le suspect. Ce n'est par exemple pas le cas si le suspect se trouve dans un autre arrondissement.
(25) Dossier documentaire remis par l'Orde van Vlaamse Balies lors de la réunion de concertation du 30 août 2010 avec le ministre de la Justice.
(26) La proposition de modification consiste dès lors à ne plus interpréter uniquement la notion de mise à disposition du juge d'un point de vue géographique mais de l'étendre. Une personne qui n'a pas pu bénéficier d'une concertation préalable avec un avocat et/ou qui n'a pas encore pu être entendue (pas d'avocat, pas d'interprète, délais trop courts, ...) est considérée comme n'ayant pas été mise à la disposition du juge d'instruction.
(27) Article 123, alinéa 2, de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux.
(28) Article 1er, alinéa 2, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police.
(29) Article 47, code de déontologie joint en annexe à l'arrêté royal du 10 mai 2006 fixant le code de déontologie des services de police.
(30) CEDH 27 novembre 2008, no 36391/2, Salduz c. Turquie.
(31) Nous utilisons ici la traduction libre que l'on peut trouver dans la position de l'Ordre des barreaux flamands du 21 avril 2010.
(32) On peut trouver une énumération des principaux arrêts dans la position de l'Ordre des barreaux flamands du 21 avril 2010, dont il a déjà été question précédemment et dans la proposition de loi modifiant l'article 47bis du Code d'instruction criminelle du 2 septembre 2010 (doc. Sénat, no 5-58/1). Il ressort d'un communiqué à la presse de l'Ordre des barreaux flamands du 18 octobre 2010 suite à l'arrêt Brusco que la CEDH avait déjà prononcé 69 arrêts.
(33) De Meester Tom. Maître, aidez-moi. Un plaidoyer en faveur de l'assistance juridique lors de l'audition. Discours prononcé lors de la séance d'ouverture solennelle de la Conférence flamande du Barreau d'Anvers le 15 octobre 2010 (balieantwerpen.be/ordeadvocaten/files/File/rede_rede.docx).
(34) CEDH, 2 mars 2010, Bouglame c. Belgique.
(35) De Meester Tom. Maître, aidez-moi. Un plaidoyer en faveur de l'assistance juridique lors de l'interrogatoire. Discours prononcé lors de la séance d'ouverture solennelle de la Conférence flamande du Barreau d'Anvers le 15 octobre 2010 (balieantwerpen.be/ordeadvocaten/files/File/rede_rede.docx).
(36) Decaigny Tom et De Hert Paul, EHRM doorkruist Salduzdiscussie Senaatscommissie Justitie (www.legalord.be).
(37) Bockstaele Marc, « Opname eerste verhoor- bijstand advocaat », Infolegis no 15, 1 juin 2010.
(38) L'avis figure sur le site web csj.be. La proposition de loi fait l'objet du document 4-1079/1 du 17 décembre 2008. La proposition de loi n'avait pas été votée suite à la dissolution des deux chambres.
(39) La lettre se trouve sur le site www.advocaat.be.
(40) Conseil supérieur de la Justice, Avis sur la proposition de loi portant modification de l'article 1er de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention provisoire, afin d'octroyer des droits nouveaux à la personne qui est privée de liberté au moment de son arrestation, 24 juin 2009, p. 12.
(41) N'est repris que dans la proposition de loi déposée par Zakia Khattabi et Freya Piryns (doc. Sénat, no 5-341/1 du 14 octobre 2010).
(42) De Meester, Tom, Maître assistez-moi. Un plaidoyer en faveur de l'assistance juridique lors d'un interrogatoire. Discours tenu à la séance d'ouverture solennelle de la Conférence flamande au barreau d'Anvers le 15 octobre 2010.
(43) À propos de ces deux lectures, voy. M.A. Beernaert, « Salduz et le droit à l'assistance d'un avocat dès les premiers interrogatoires de police », Rev. dr. pén. crim., 2009, pp. 974-977. Nous soulignions déjà, à l'époque, que même si les deux interprétations étaient possibles, la thèse maximaliste nous paraissait plus convaincante s'agissant de garantir, de manière effective, l'égalité des armes, le droit au silence et la protection contre des pressions indues. Il faut reconnaître en effet que, limitée à un entretien préalable de 30 minutes, l'assistance d'un avocat ne serait guère plus qu'une « visite de courtoisie » ...
(44) Par une chambre composée notamment du propre président de la Cour européenne — le juge Jean-Paul Costa.