5-142/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2010

23 SEPTEMBRE 2010


Proposition de loi modifiant la loi relative à la police de la circulation routière, coordonnée le 16 mars 1968, en vue d'introduire, pour certaines infractions, une cause de justification dans le chef des médecins agissant en situation d'urgence

(Déposée par Mme Christine Defraigne)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 30 août 2007 (doc. Sénat, nº 4-174/1 - 2007/2008).

Le 10 décembre 2004, des médecins ont adressé une lettre ouverte aux ministres de la Justice, de l'Intérieur, de la Santé et de la Mobilité (1) . L'origine de cette lettre ouverte ? Des procédures judiciaires lancées à l'encontre de médecins qui ont commis des excès de vitesse pour se rendre au plus vite au chevet de leurs patients qui requièrent des soins urgents.

L'état de nécessité (2) invoqué par ces médecins est battu en brèche par les tribunaux estimant que « l'urgence est gérée par le SAMU et pas par les médecins de famille ». Or, comme le rappellent les auteurs de la lettre ouverte, « face à un appel urgent, aucun médecin ne peut déroger à la règle fondamentale d'aide à la personne en danger. »

Par ailleurs, considérer que seul le service d'aide médicale urgente (SAMU) doit gérer l'urgence fait fi de la réalité vécue tous les jours par ces médecins généralistes, qu'ils soient de garde ou médecins traitants.

En effet, en cas d'urgence, un patient aura très souvent le réflexe de s'adresser à son médecin traitant. Dans la majorité des cas, cette solution s'avère positive puisque le médecin traitant arrivera seul à soigner le patient, aucune hospitalisation n'interviendra, ce qui évitera de lourdes dépenses à la collectivité.

D'autre part, les médecins généralistes, par leur formation, sont à même de gérer les urgences. Il peut donc être utile, voire vital, qu'ils établissent le diagnostic, prodiguent les premiers soins avant que n'arrive le médecin urgentiste du SAMU.

Ce dernier disposera, dès son arrivée sur place, d'un premier compte-rendu, mais également d'éléments importants connus par le médecin traitant tels que, par exemple, les antécédents du patient.

Nous concluons avec les auteurs de la lettre ouverte que « le médecin généraliste doit toujours, et plus que jamais, être considéré comme un acteur élémentaire dans la politique d'urgence ».

Il s'avère que la jurisprudence actuelle ne prend pas en compte les circonstances qui ont poussé le médecin généraliste à commettre un excès de vitesse.

Certains exemples sont pourtant criants:

— une condamnation pour excès de vitesse concerne un médecin de la région verviétoise appelé pour un état de choc provoqué par une réaction allergique mortelle en quelques minutes. La cortisone devait être injectée le plus rapidement possible;

— en 2003, un médecin de Deinze a été condamné alors qu'il roulait à 92 km/h en agglomération. L'état de nécessité n'a pas été retenu, alors que son patient souffrait de graves problèmes respiratoires et se trouvait en danger de mort.

Par ailleurs, le médecin généraliste qui se déplace à domicile assure ainsi un service à la population. Comme le dénonçait un médecin de famille dans un quotidien (3) « le prix de la visite à domicile, qui est de 25-30 euros bruts ou 10 euros nets, ne correspond pas à des honoraires décents et peut être considéré comme une indemnité pour un service rendu ». Et d'exprimer ses craintes quant à l'avenir des visites à domicile.

La mission de médecine d'urgence est incontestablement l'une des prérogatives des médecins généralistes. Les moyens d'assurer cette mission, dans les meilleures conditions, doivent leur être donnés.

À cet effet, la présente proposition de loi introduit une cause de justification légale dans le chef des médecins lorsque, appelés pour une urgence, ils commettent un excès de vitesse.

Une distinction est réalisée entre le médecin de garde et le médecin qui ne l'est pas.

En ce qui concerne le médecin de garde visé à l'article 9 de l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de la profession des soins de santé, l'urgence est présumée. Il suffira qu'il démontre à la police soit lorsqu'il est intercepté par la police, soit lorsqu'il reçoit son procès-verbal qu'il était de garde. Le mode de preuve le plus simple est de communiquer le rôle des gardes.

Le médecin qui est intervenu en dehors d'une garde devra, quant à lui, prouver, pour bénéficier de la cause de justification légale, qu'il se rendait auprès d'un patient qu'il estimait être en danger ou justifier d'une urgence médicale. Cette dernière hypothèse vise tout médecin appelé en urgence comme, par exemple, le chirurgien qui doit greffer un cœur, le neurologue appelé à la suite d'un accident grave, le gynécologue devant réaliser un accouchement se présentant mal.

Les juges seront dorénavant légalement tenus de prendre en compte les circonstances qui ont amené le médecin à violer la loi.

Pour apporter cette preuve, différents moyens qui ne violent pas le secret professionnel sont à la disposition du médecin. Ainsi, il peut, par exemple, demander le témoignage de la personne l'ayant appelé au chevet du patient. Il peut également demander à son patient de confirmer la cause de l'excès de vitesse. C'est en effet au patient qu'appartient le secret médical, il peut le divulguer.

Il est important de ne pas réserver la cause de justification uniquement au cas où l'urgence est avérée. En effet, il arrive que, sur base d'un appel téléphonique, le médecin traitant estime qu'il y ait urgence et, qu'une fois sur les lieux, il doive constater que le patient n'est heureusement pas en danger. Dès lors, il suffira, pour qu'il puisse bénéficier de la cause de justification, qu'il démontre que, suite aux indications qu'il avait eues sur l'état de santé de son patient, il avait de bonnes raisons de croire que ce dernier était en danger imminent.

Par ailleurs, l'instauration de cette cause de justification dans des conditions bien déterminées — danger imminent, urgence médicale, le fait d'être de garde — dans le chef des médecins ne les dispense pas de respecter les règles normales de circulation. Tout comme les véhicules prioritaires, ne pas adapter leur vitesse en fonction de la densité de la circulation, par exemple, engagera leur responsabilité lorsqu'un lien de causalité entre cette infraction et l'accident causé sera établi. Ils seront également tenus par l'obligation générale de prudence prévue à l'article 1382 du Code civil.

Les auteurs de la lettre ouverte exprimaient également leur « ras-le-bol » des contraventions dont ils font l'objet lorsque, toujours dans des cas urgents, ils ont recours à un stationnement illégal afin d'être le plus rapidement au domicile de leur patient. Ces stationnements illégaux ne présentant, par ailleurs, aucun danger.

Et de se poser une question cruciale: qui accepterait qu'un généraliste appelé pour une urgence arrive un quart d'heure trop tard sous prétexte qu'il a cherché un parking ?

En ce qui concerne le stationnement, des solutions sont trouvées dans certaines agglomérations. Ainsi, à Bruxelles, une proposition de convention est en cours d'élaboration. Cette convention conclue entre le procureur du Roi, l'Ordre des médecins, la Fédération des associations des médecins généralistes de Bruxelles (FAMGB) et le Vlaamse wachtdienst van huisartsen (VWD) préciserait, que « lors des visites médicales urgentes à domicile, moyennant l'apposition de façon visible et identifiable d'une affichette prédéterminée sur le véhicule, il serait expressément demandé à l'autorité verbalisante de faire preuve d'une tolérance accrue quant aux infractions au code de la route en matière de stationnement (4)  ».

Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans le titre V de la loi relative à la police de la circulation routière, coordonnée le 16 mars 1968, il est inséré un chapitre IIter, intitulé « Cause de justification ».

Art. 3

Dans le chapitre IIter inséré par l'article 2, il est inséré un article 65quater rédigé comme suit:

« Art. 65quater. — Il n'y a pas d'infraction d'excès de vitesse dans le chef du médecin lorsque le fait a été commis pour se rendre auprès d'une personne qu'il pouvait raisonnablement croire en danger imminent ou lorsqu'il est justifié par une urgence médicale.

L'urgence est présumée lorsque le médecin est de garde au sens de l'article 9 de l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de la profession des soins de santé. »

20 juillet 2010.

Christine DEFRAIGNE.

(1) Le Journal des médecins, 10 décembre 2004, pp. 1 à 3.

(2) L'état de nécessité est une cause de justification jurisprudentielle. Paul Foriers, dans son livre « De l'état de nécessité en droit pénal » le définit comme une situation dans laquelle se trouve une personne qui ne peut raisonnablement sauver un bien, un intérêt ou un droit que par la commission d'un acte qui, s'il était détaché des circonstances qui l'entourent, serait délictueux.

(3) A. Marchandise, « Opinion Loi sur la sécurité routière », La Libre Belgique, 27 mars 2004.

(4) Flash FAMGB, no 8, décembre 2004, p. 3.