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2 SEPTEMBRE 2010
La présente proposition de résolution reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 28 février 2008 (doc. Sénat, nº 4-591/1 - 2007/2008).
Le 22 octobre 2004, un colloque a été organisé au Parlement à l'occasion du bicentenaire du Code civil belge, ce qui en fait tout doucement l'un des plus anciens d'Europe.
Le Bürgerliches Gesetzbuch allemand date de 1891, le Zivil Gesetzbuch suisse de 1909 et le Burgerlijk Wetboek néerlandais de 1991. Après la chute du rideau de fer, les pays d'Europe de l'Est ont, eux aussi, élaboré de nouveaux codes.
En France, une « Commission de réforme du Code civil » a été installée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Son rapport n'a toutefois jamais été coulé dans des textes de loi.
En 1879, le gouvernement belge a chargé le professeur gantois François Laurent de réécrire le Code civil belge. Au bout de deux ans de travail, ce dernier a présenté au gouvernement son « avant-projet de révision du Code civil », lequel n'a cependant jamais été examiné en raison de changements de majorité politique.
Lorsque Napoléon introduisit son Code civil, ce dernier constituait une charte régissant tous les rapports de droit privé dans la société civile.
Aujourd'hui, deux siècles plus tard, c'est déjà beaucoup moins le cas. De nouvelles branches du droit sont apparues et la législation en marge du Code civil a augmenté. Si le Code civil n'est plus LA bible juridique, il n'en joue pas moins encore un rôle clé dans la formation de tout juriste.
Cet âge mémorable pouvait dès lors être mis en exergue dans le cadre d'un colloque en l'honneur du bicentenaire. Simultanément, il a été fait usage de cette commémoration pour souligner quelques petits problèmes de vieillesse auxquels est confronté le Code civil.
Comme toutes les maisons qui ont 200 ans, le Code civil a également besoin, après toutes ces années, d'une rénovation en profondeur.
Quatre éminents juristes ont été invités pour passer le Code civil à la loupe. Tous les exposés ont tourné autour de la même question: le Code civil nécessite-t-il une modernisation ?
Dans son exposé, le professeur Vuye s'est penché sur la question de savoir si notre Code civil devait reprendre la structure du Code civil néerlandais. Sa conclusion a été que la structure et la terminologie néerlandaises laissaient souvent à désirer.
Le professeur Vuye a admis que le législateur néerlandais avait tenté de résoudre quelques problèmes juridiques profonds, comme la classification des biens incorporels en meubles et immeubles. Logiquement, seuls les biens corporels peuvent être répartis en meubles et immeubles. Il est en effet aisé d'appliquer le critère physique aux biens corporels: peuvent-ils être déplacés ou non ? Il est en revanche impossible d'appliquer ce critère de la mobilité aux biens incorporels. En effet, s'il est impossible de les toucher, il est également impossible de les déplacer (1) . En Belgique, H. De Page a déjà vivement critiqué cette classification (2) :
Nº 622: « Enfin, quelle que soit la valeur économique de la distinction qui nous occupe, son vice logique est indélébile. En érigeant cette distinction en une summa divisio rerum, on est forcé d'y inclure des biens qui n'ont rien à y voir, tels les biens incorporels, les droits. Quoi de moins rationnel que d'attribuer un caractère mobilier à une obligation de faire, et surtout de ne pas faire ? On ne peut donc que souscrire au jugement de Josserand lorsqu'il dit que la distinction de tous les biens en meubles et immeubles est l'un des points les plus faibles de l'œuvre du premier consul, l'un de ses côtés les plus surannés. Il suffit de la comparer sur ce point à des Codes plus récents pour s'en convaincre. »;
Nº 688: « Étant immatériels, ils ne sont, par leur nature, ni meubles, ni immeubles. Parler d'immeubles incorporels est donc un non-sens. Mais la loi nous oblige à le commettre. Esclave d'un article qui devrait être effacé du Code, — « tous les biens sont meubles ou immeubles » (art. 516) — [...] On reprochait à la théorie des immeubles par destination d'être subtile, celle des immeubles incorporels est arbitraire. »;
Nº 737: « Tout cet édifice procède d'une seule idée: que tout bien quelconque est nécessairement meuble ou immeuble (art. 516). Or, cette idée est fausse, désuète et néfaste. Elle est fausse, car il existe des biens qui ne sont ni meubles, ni immeubles: tous les biens incorporels. Elle est désuète, car elle supposait un état de droit plus simple que le nôtre, où « immeuble » était synonyme de chose précieuse, « meuble » de chose méprisable. Elle est néfaste, car elle oblige à verser dans la catégorie moins précieuse des meubles et les biens de nature incertaine eu égard aux bases de classification, et conduit ainsi à une foule de fictions. En somme, toute cette matière devrait être révisée, en commençant par la suppression de l'article 516. »
Le professeur Vuye a toutefois estimé que le législateur néerlandais s'était montré très maladroit pour résoudre ce problème et dès lors généré une confusion terminologique.
Il a cependant également dû constater que l'importance du Code civil belge s'amenuise par suite de la transposition de directives européennes dans des lois particulières, qui s'appliquent en sus du Code civil et créent de nouvelles dérogations (3) :
« Il aurait beaucoup mieux valu revoir l'ensemble du droit belge de la vente lors de la transposition de la directive sur la vente des biens de consommation et ne conserver qu'un seul régime. (...) Chacun sait que les directives peuvent effectivement contribuer à une certaine harmonisation au niveau européen, mais trop souvent, elles déstabilisent le droit national. La directive sur les biens de consommation en est un exemple. Il existe désormais non pas un système, mais bien deux systèmes. »
L'exposé du professeur Dubuisson portait sur le droit de la responsabilité. Il constata, lui aussi, que le Code civil était désuet sur certains points (4) :
« Ce n'est pas faire injure au Code civil que d'affirmer que les présomptions de responsabilité des parents et des instituteurs ont un parfum d'archaïsme. On se trouve mal à l'aise devant les appréciations du juge belge qui, pour exonérer les parents de la responsabilité présumée qui pèse sur eux, doit déterminer ce qui, selon lui, relève ou ne relève pas d'une bonne éducation. Il n'y aurait rien de choquant, selon nous, à faire de cette présomption une présomption irréfragable (...) si elle peut s'appuyer sur l'assurance R.C. familiale. Il faudrait probablement rendre celle-ci obligatoire pour la circonstance.
(...)
On s'est donc demandé si, de la même façon que pour la responsabilité du fait des choses, il n'était pas possible de déduire de l'article 1384, alinéa 1er, une présomption générale de responsabilité du fait d'autrui. À la différence de son homologue française, la Cour de cassation belge (...) a estimé (...) qu'il ne lui appartenait pas de faire œuvre de législateur. La balle est donc dans le camp de ce dernier.
(...)
Dans un but de rationalisation, l'article 1384, alinéa 1er, pourrait toutefois absorber l'article 1386 du Code civil. Il n'y a plus guère de justification à maintenir ce régime particulier conçu à l'origine pour les bâtiments en ruine, alors que l'article 1384, alinéa 1er, a vocation à régir l'ensemble des dommages causés par le fait des choses.
(...)
Il serait souhaitable également, pour plus de clarté, de rapatrier les dispositions légales consacrant des immunités civiles au profit des travailleurs dans le Code civil sous la règle générale de la responsabilité du fait personnel. »
Lui aussi déplorait la profusion de lois particulières en dehors du Code civil (5) .
« L'on peut sans doute regretter ce manque de cohérence et d'uniformité de ce pan important du droit civil.
(...)
À côté du Code civil, existe une profusion de textes disparates, dont la rédaction laisse trop souvent à désirer et qui mettent en place des responsabilités objectives ou aggravées. »
Le professeur Verbeke s'est ouvertement demandé s'il n'y avait pas lieu de recodifier le Code civil. Sa conclusion était que le législateur ne devait plus se livrer à un travail de rafistolage mais qu'il fallait procéder à une refonte globale et cohérente du droit des contrats, qui serait subdivisé en trois parties: partie 1: droit des obligations — droit supplétif; partie 2: droit des obligations — droit impératif; partie 3: les contrats spéciaux.
« Si la distinction artificielle entre droit civil et droit commercial existe toujours en Belgique, elle a été supprimée dans de nombreux pays. Elle a par exemple disparu du Code civil néerlandais entré en vigueur en 1992. Il en va de même en ce qui concerne l'Italie et la Suisse. Ainsi que nous l'avons déjà indiqué plus haut, on gagne en cohérence et en clarté lorsque l'on inscrit, dans un seul et même Code, la réglementation relative à tous les types de contrat. » (6)
« Compte tenu des principes et des postulats énoncés au § 1er, nous osons prétendre qu'il eût été préférable de mettre la transposition de la directive à profit pour uniformiser le régime du droit de la vente. (...) De grands pans de la réglementation interne et internationale (comme c'est le cas en Israël) pourraient alors être similaires. » (7)
« On préconise la suppression du triptyque actuellement formé du mandat, du dépôt et de l'entreprise, pour que ces éléments soient englobés dans un seul contrat de services (y compris les services gratuits). Il y aurait donc un régime général unique, auquel viendraient se greffer certaines règles particulières visant un nombre limité de services (les services matériels et les éléments internes des services qui consistent à poser des actes de représentation). » (8)
« Les adaptations à la loi sur la construction d'habitations ne peuvent se limiter à un travail de rafistolage local en matière de vente couplée et de règles spécifiques relatives à la garantie. L'approche devra être globale et cohérente. » (9)
« Dans le droit fil des principes que nous avons énoncés, il pourrait être envisagé de supprimer la transaction au titre de contrat particulier séparé, comme cela a été fait aux Pays-Bas, et de tout ramener sous la forme, plus large, de contrat de constatation. » (10)
« Dans le cadre du contrat de leasing également, il est clair que l'application de nos postulats serait de nature à accroître fortement la simplicité et l'efficacité. À l'heure actuelle, il existe de nombreuses définitions ou exigences en matière de leasing dans la législation particulière. Il se recommande d'inscrire dans le Code civil une seule définition claire du leasing assortie de ses caractéristiques. » (11)
« Pour le contrat de franchisage, il se recommande dès lors, outre une description des caractéristiques de ce contrat spécial, de limiter la réglementation aux règles impératives en matière d'information. La loi modèle d'Unidroit pourrait servir d'exemple à cet effet. » (12)
Le professeur Ph. De Page a, quant à lui, formulé des propositions concrètes de modification du droit successoral (13) :
« Sans aucun doute, la réforme des règles du droit successoral pour rencontrer les aspirations modernes de programmation des patrimoines successoraux, est spécialement urgente:
a) de la part réservataire en nature, pour lui substituer facultativement — laissé à l'appréciation du testateur — une part successorale calculée et exprimée sous forme de créance successorale et,
b) de l'uniformisation des règles d'évaluation des biens devant être rapportés lors du partage entre les héritiers (meubles/immeubles) et de la consécration du principe du rapport en valeur.
La réforme suggérée doit:
— favoriser l'autonomie de la volonté dans les programmations successorales, dans l'intérêt bien compris de certains des enfants (à protéger plus que d'autres, par exemple);
— simplifier les opérations notariales de partage des actifs successoraux;
— limiter les pertes économiques liées à la création d'indivisions inappropriées dans le système actuel;
— alléger de ce fait le travail des tribunaux, les litiges étant réduits, de par cette réforme souhaitée. »
De nombreux passages du Code civil sont donc dépassés. Il n'est dès lors pas étonnant que la version actuelle de ce code ressemble encore beaucoup au projet original de Portalis.
En 1977, alors qu'il avait déjà atteint l'âge respectable de 173 ans, notre Code civil a été soumis à une analyse statistique (14) .
Cette analyse a révélé que sur les 2 281 articles originaux, 325 avaient été abrogés et 384 remplacés, tandis que le Code avait été complété par 88 nouveaux articles. Ainsi, en tout, 709 articles — soit 31 % — avaient été remplacés ou abrogés. Le Code civil belge présentait donc à l'époque une stabilité de 69 %.
Le professeur Bouckaert, de la RUG, a toutefois constaté avec étonnement que la stabilité du Code civil est inversement proportionnelle à son caractère de droit commun (15) .
Les branches du droit instables, qui ont donc subi d'importantes modifications, sont en grande partie toujours régies par le Code civil même. C'est ainsi que le droit de la famille a été largement adapté à la nouvelle réalité sociale: la femme mariée a acquis la capacité civile, l'autorité de l'homme à l'égard de sa femme et de ses enfants a été réduite, le droit d'hériter a été étendu aux enfants naturels, les possibilités d'adoption ont été élargies, ...
La refonte du droit de la famille dans le Code civil a eu pour effet positif que le Code a conservé en grande partie son caractère de droit commun en cette matière.
En revanche, les branches du droit dans lesquelles les articles du Code civil n'ont guère été modifiés, pour lesquelles le Code civil présente donc une très grande stabilité, sont de plus en plus souvent réglées par des lois particulières, en dehors du Code civil. C'est ainsi qu'un nombre croissant de lois particulières sont adoptées dans le domaine des droits réels, du droit des obligations, des contrats spéciaux, etc.: des lois de protection des consommateurs, des lois réglant la responsabilité objective dans un certain nombre de domaines, des lois qui créent des privilèges ne figurant pas dans la loi hypothécaire, etc.
Dans ces branches du droit, la grande stabilité du Code civil lui a fait perdre de son caractère de droit commun.
Il a donc perdu de son importance en tant que référence globale pour les relations de droit privé entre les citoyens. Un code clair de droit commun facilite pourtant la diffusion des connaissances juridiques parmi de larges couches de la population, ce qui serait tout profit pour l'idée de l'État de droit.
Nous demandons dès lors au gouvernement d'instituer une commission de juristes chargée de réécrire de grandes parties du Code civil.
Martine TAELMAN. |
Le Sénat,
A. considérant qu'il ressort de la doctrine que, sur de nombreux points, le Code civil est vieilli et désuet; que, sur ces points, le Code civil doit être revu de manière globale, sans retomber dans le travers des lois de réparation;
B. considérant qu'au fil du temps, ont vu le jour en marge du Code civil d'innombrables lois particulières prévoyant des régimes dérogatoires et des régimes spéciaux en plus de ceux prévus par le Code et générant un ensemble confus et complexe de règles de droit qui entravent une bonne connaissance du droit civil. Il est indiqué de réintroduire nombre de ces lois dans le Code civil en révisant de grandes parties de celui-ci;
C. considérant qu'au fil du temps, de nouveaux concepts juridiques importants ont vu le jour dans le domaine du commerce international, concepts qui ne sont pas régis par notre Code civil;
D. considérant que la jurisprudence a elle aussi développé, au fil des années, de nouvelles figures juridiques et a dû découvrir le droit afin de combler les lacunes du Code civil. Pour qu'ils puissent contribuer à une meilleure connaissance du droit, ces éléments doivent être intégrés dans le Code civil;
E. considérant que notre pays fait partie de l'Union européenne, caractérisée par un marché intérieur et la libre circulation. Que, dès lors, les droits européens convergent, surtout sur le plan des obligations, des conventions et du commerce. Que cette convergence ne se reflète pas suffisamment dans le Code civil. Que cette situation complique le cadre juridique pour nos entreprises;
Demande au gouvernement:
1. de désigner une commission de juristes;
2. de charger cette commission:
a. de déterminer quels points du Code civil sont devenus obsolètes;
b. d'étudier la manière dont les lois particulières peuvent être intégrées au Code civil afin que celui-ci redevienne un ensemble cohérent et puisse de nouveau servir de fil conducteur au droit civil;
c. d'étudier la manière dont la jurisprudence constante de la Cour de cassation peut être intégrée au Code civil;
d. d'examiner comment le Code civil peut être adapté afin de faciliter la connaissance du droit;
e. d'étudier la manière dont la législation européenne pourrait être mieux intégrée au Code civil;
3. de charger la commission de proposer, dans son rapport final, des textes concrets visant à répondre aux questions soulevées.
20 juillet 2010.
Martine TAELMAN. |
(1) Vuye, H., « Bicentenaire du Code civil », Colloque du parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 6-7 « Notre pragmatisme belge ne doit cependant pas nous faire oublier que, comme le professeur Van Neste l'a souligné, il serait beaucoup plus précis d'utiliser le terme « zaak » lorsqu'on fait référence à un objet matériel, alors que le terme « goederen » renvoie aux droits patrimoniaux qui appartiennent à un sujet de droit déterminé.
(2) De Page, H. et Dekkers, R., Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 1975, V.
(3) Vuye, H., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 10-11.
(4) Dubuisson, B. « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 47-50.
(5) Dubuisson, B., « Bicentenaire du Code civil », Colloque du parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 62.
(6) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque du parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 70.
(7) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque du parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 75.
(8) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 77.
(9) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 79.
(10) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 81.
(11) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 84.
(12) Verbeke, A., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 86.
(13) De Page, Ph., « Bicentenaire du Code civil », Colloque parlement fédéral, 22 octobre 2004, p. 70.
(14) Delva, W., De metamorfose van het Belgische civielrecht, Tjeenk-Willink, 1977, p. 25.
(15) Bouckaert, B., « De herziening van het Burgerlijk Wetboek: een tweede adem voor de rechtstaat ? » in Liber Memorialis François Laurent, Bruxelles, Story-Scientia, 1989, p. 242, 259.