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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 11 JUIN 2009 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean-Paul Procureur au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «le rappel de notre ambassadeur à Moscou et des sanctions éventuelles à son encontre» (nº 4-809)

M. Jean-Paul Procureur (cdH). - L'ambassadeur belge à Moscou, M. de Crombrugghe, a été rappelé à Bruxelles. Il aurait délivré des visas irréguliers pour des femmes thaïlandaises. Ces personnes avaient besoin d'un visa pour rejoindre la France via la Belgique.

Il s'agirait d'un service amical de l'ambassadeur pour le milliardaire russe Suleyman Kerimov. Les Thaïlandaises devaient accompagner M. Kerimov en France. L'ambassadeur était notamment invité à des fêtes sur le yacht de M. Kerimov à la Côte d'Azur.

Pour rappel, Suleyman Kerimov est connu pour avoir eu un grave accident avec sa Ferrari à Nice. Il avait été rapatrié vers Neder-Over-Heembeek à bord d'un avion de la Défense belge.

L'ambassadeur belge est actuellement en Belgique, officiellement pour raisons personnelles. Les Affaires étrangères minimisent ce cas et parlent pudiquement d'une erreur d'appréciation. Mais d'autres sources auprès du ministère de la Justice estiment que le dossier est grave et ne comprennent pas que les Affaires étrangères laissent aller les choses.

Monsieur le ministre, d'autres irrégularités ont déjà été constatées dans d'autres de nos ambassades - par exemple, le licenciement d'une employée à l'ambassade belge de Téhéran qui avait monnayé des visas belges en Iran - et la justice ne semble pas systématiquement alertée. Quelle est la procédure habituelle lorsque des irrégularités sont avérées dans nos ambassades ?

Comment la délivrance de visas belges peut-elle faire l'objet d'une « erreur d'appréciation » ? Les critères à remplir pour l'obtention de ceux-ci ne sont-ils pas objectifs ?

Comptez-vous prendre des sanctions à l'encontre du diplomate ? Allez-vous rencontrer votre collègue de la Justice à ce sujet ?

M. Karel De Gucht, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Monsieur le Président, j'ai été retenu à la Chambre où les mêmes questions m'étaient posées.

Que s'est-il passé à Moscou ? Notre ambassadeur, M. de Crombrugghe, est intervenu pour la délivrance de visas à cinq femmes de nationalité thaïlandaise, à la demande de M. Kerimov. En outre, il s'est rendu au Cap d'Antibes pour passer un week-end aux frais de M. Kerimov, au moyen d'un avion appartenant à ce dernier.

Nous avons été informés de ces éléments, mais au conditionnel et avec fort peu de détails, le 6 janvier 2009. En novembre 2008 déjà, une missive de la Sûreté de l'État comportait un paragraphe à ce sujet. Nous avions alors demandé un complément d'informations que nous avons obtenu le 6 janvier 2009, mais tout cela restait tout de même très vague.

Dès lors, j'ai appelé l'ambassadeur de Crombrugghe à Bruxelles et il fut entendu par le président des Affaires étrangères.

Au cours de cet interrogatoire, il a avoué la matérialité des faits. J'ai dès lors décidé de rappeler l'ambassadeur à Bruxelles. Dans une lettre qu'il m'a adressée, l'ambassadeur souligne avoir agi de sa propre initiative et admet qu'il ne peut plus assumer les responsabilités d'ambassadeur à Moscou. Il est désormais actif dans notre administration centrale, à Bruxelles.

Dès que nous avons eu connaissance du caractère plausible des faits reprochés, nous avons tout de suite réagi et rappelé l'ambassadeur à Bruxelles. Sur le plan administratif, j'estime donc que mon département a fait ce qu'il fallait.

Quant à l'aspect juridique de cette affaire, il est moins évident. S'il est question de traite d'êtres humains, la justice belge est compétente. Dans le cas contraire, elle ne peut intervenir. Le ministre de la Justice a été informé de l'affaire le 6 janvier 2009 et il lui appartient donc de prendre les initiatives qu'il juge utiles.

M. Jean-Paul Procureur (cdH). - Cette affaire ne peut être banalisée. Je note que le ministre n'a plus parlé d' « erreur d'appréciation ». Il me semble en effet qu'il s'agit en l'occurrence de bien plus qu'une simple erreur d'appréciation.

Je constate que sur notre territoire, les contacts que nous pouvons avoir avec l'Office des étrangers, par exemple, se caractérisent par une très grande sévérité, laquelle est tout à fait justifiée. Dans le cas qui nous occupe, il faut reconnaître que le comportement de l'ambassadeur n'est nullement acceptable eu égard à sa fonction et nous attendons donc de plus amples informations quant aux suites juridiques de l'affaire.