4-1146/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

27 JANVIER 2009


Proposition de loi visant à lutter contre l'écart salarial entre les femmes et les hommes

(Déposée par Mme Sabine de Bethune et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


« L'égalité des chances » entre femmes et hommes est une forme de justice sociale simple. Le chemin pour y parvenir est semé d'embûches et nous ne sommes pas encore arrivés au terme du voyage. Les inégalités entre femmes et hommes étaient si importantes par le passé que de nombreuses difficultés se sont dressées sur la voie empruntée pour tenter de les corriger. L'égalité juridique et de principe est désormais acquise. Aujourd'hui, elle est généralement reconnue. L'égalité de fait entre femmes et hommes n'est cependant, sous de nombreux aspects encore, pas une réalité » (M. Michielsens, 175 ans de femmes — Égalité et inégalités en Belgique 1830-2005, Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes)

Bien que le principe « à travail égal, salaire égal » soit acquis depuis longtemps, la femme continue aujourd'hui encore à gagner en moyenne moins que l'homme. Ce problème de la différence de salaire, que l'on appelle l'écart salarial, est connu.

Les différentes études consacrées à l'écart salarial avancent des chiffres variables. Il n'existe en effet pas d'analyse univoque de l'écart salarial parce qu'il ne s'agit pas d'une donnée objective et que les résultats dépendent notamment de la notion de rémunération utilisée ainsi que de l'angle sous lequel l'étude aborde la question.

En 2006, le gouvernement fédéral a chargé l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes (ci-après dénommé l'IEFH) d'établir un rapport annuel sur l'écart salarial. Le deuxième rapport présentant les chiffres de 2005 vient d'être publié récemment (L'écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique — Rapport 2008, Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, 2008). Il étudie l'écart salarial de manière scientifique sous des angles différents et en tenant compte de divers facteurs. Les chiffres présentés par les auteurs de la présente proposition de loi sont donc issus de ce rapport.

Quelques chiffres sur l'écart salarial:

Femmes Hommes Écart salarial
Salaire mensuel brut moyen des travailleurs à temps plein 2 387 € 2 807 € 15 %
Salaire horaire brut moyen des travailleurs à temps plein 14,38 € 16,68 € 14 %
Salaire annuel brut moyen des travailleurs à temps plein 31 317 € 36 819 € 15 %
Salaire horaire brut moyen des travailleurs à temps plein et à temps partiel 13,78 € 16,54 € 17 %
Salaire mensuel brut moyen des travailleurs à temps plein et à temps partiel 2 049 € 2 720 € 25 %

Total Femmes Hommes
Masse salariale totale 86 541 415 000 € 36,68 % 63,32 %

Salaire horaire brut moyen des travailleurs à temps plein et à temps partiel selon le statut

Secteur privé Secteur public Total
Ouvriers Employés Contractuels Statutaires
Femmes 10,24 € 14,28 € 13,67 € 17,26 € 13,98 €
Hommes 12,50 € 20,19 € 15,01 € 17,24 € 16,00 €
Écart salarial 18 % 29 % 9 % 0 % 13 %

Quelles que soient la manière d'analyser les chiffres de l'écart salarial et la perspective choisie, la conclusion reste qu'il existe un écart salarial et que celui-ci n'a pas reculé ces dernières années, ou à peine.

« La lutte contre l'écart salarial reste une lutte pour plus d'égalité et de justice. »

(L'écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique — Rapport 2008, Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, 2008)

Seule une petite moitié du différentiel salarial (46 %) peut être expliquée par plusieurs facteurs. Ainsi, la situation familiale et le fait que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel, qu'elles sont plus souvent occupées dans des secteurs moins bien rémunérés (ségrégation horizontale) et qu'elles ont plus de difficultés à accéder aux fonctions supérieures (ségrégation verticale) sont autant de facteurs qui favorisent l'apparition de cette différence de salaire entre la femme et l'homme moyens. Cela ne signifie évidemment pas que l'on peut accepter et justifier la part de l'écart salarial qui s'explique de la sorte. Bien au contraire, certaines causes font justement partie du problème. On ne peut tolérer la présence d'un plafond de verre empêchant les femmes d'accéder aux fonctions supérieures. Un changement de mentalité est donc aussi une absolue nécessité. L'autre moitié de l'écart salarial (54 %) ne peut être expliquée.

L'Europe a été la première à introduire le principe « à travail égal, salaire égal ». L'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes était déjà prévue dans le Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne. Ce principe a été affiné sans cesse depuis dans le cadre législatif européen. La directive nº 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins imposait à tous les États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'abolir les discriminations entre les hommes et les femmes dans le domaine de l'égalité salariale. La Belgique a transposé cette directive dans la CCT nº 25 et dans la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. Cette directive soulignait notamment le problème de la ségrégation et l'importance de rechercher des méthodes d'évaluation des fonctions excluant les discriminations fondées sur le sexe.

Si, au niveau européen, le principe de l'égalité de rémunération est consacré par plusieurs documents, sa mise en œuvre fait également l'objet d'un suivi attentif et d'évaluations minutieuses. C'est ainsi que le Conseil européen a demandé à la Commission européenne de dresser un rapport annuel sur l'égalité des genres au sein de l'Union européenne. Dans le rapport 2008, on peut lire que le taux d'emploi des femmes a considérablement augmenté, mais que l'écart de rémunération est resté pratiquement au même niveau durant les dernières années (L'égalité entre les femmes et les hommes — 2008, Commission européenne). La Commission s'engage à s'attaquer à cette problématique.

La nécessité de suivre la problématique de l'écart salarial au niveau européen ressort notamment du fait que même les pays scandinaves sont confrontés à ce problème alors que ces pays font souvent figure d'exemple parce qu'ils allient efficacité économique et justice sociale et que la qualité de vie y est en règle générale excellente (cf., entre autres: Kan het Scandinavisch Model ons redden ? (Le modèle scandinave peut-il nous sauver ?), Vrouw & Maatschappij, 2007, p. 23).

Notre pays a suivi l'Europe dans la lutte contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Le principe « à travail égal, salaire égal » peut être rapporté à toutes les réglementations relatives au principe de non-discrimination. Ce dernier est un principe de base constitutionnel qui a été développé dans divers contextes plus spécifiques comme celui des conditions de travail ou, plus spécifiquement, celui de l'égalité hommes-femmes.

Ce n'est pourtant pas d'hier que les autorités belges se préoccupent de la problématique de l'écart salarial, puisqu'elles l'ont inscrite depuis des années à l'agenda politique. Des personnes comme Miet Smet, d'abord en tant que secrétaire d'État fédérale à l'Émancipation sociale (1985-1992) et ensuite comme ministre de l'Emploi et du Travail et de la Politique d'Égalité des chances (1992-1999), se sont intéressées à l'évaluation de fonction en tant qu'outil permettant d'atteindre l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. On ne peut toujours pas dire aujourd'hui que les classifications de fonctions sont neutres du point de vue de la problématique du genre.

Dans un système de classification de fonctions, diverses fonctions, subdivisées en différents niveaux, sont associées à un barème salarial. Le travailleur est dès lors classé dans un barème salarial donné selon sa fonction. De nombreuses entreprises tentent de mettre en place un mécanisme de rémunération objectif et transparent par le biais d'un système de classification de fonctions. Cependant, la surévaluation de fonctions typiquement masculines et la sous-évaluation de certaines compétences féminines rendent de nombreuses classifications de fonctions discriminatoires. C'est dans cette optique que l'on recherche depuis longtemps déjà des systèmes de classification de fonctions neutres sur le plan du genre.

Même les partenaires sociaux reconnaissent la problématique de l'écart salarial. Le 15 octobre 1975, le Conseil national du travail a conclu, en exécution de la directive européenne nº 75/117 (voir ci-dessus), la CCT nº 25 sur l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, modifiée par la CCT nº 25bis du 19 décembre 2001 et la CCT nº 25ter du 9 juillet 2008. Les accords interprofessionnels se sont également intéressés à l'écart salarial ces dernières années. Une CCT au niveau national et un accord interprofessionnel, qui n'a pas de valeur contraignante mais qui tente seulement de sensibiliser les partenaires sociaux, n'ont pas suffi pour arriver à une prise en charge effective de la problématique de l'écart salarial. Il est donc capital d'aborder la question de l'écart salarial chaque fois qu'une CCT est négociée, aussi bien au niveau sectoriel qu'au niveau de l'entreprise.

Le ministre des Pensions et de l'Intégration sociale ainsi que le ministre de l'Emploi se sont encore engagés, sous le gouvernement intérimaire (du 21 décembre 2007 au 20 mars 2008), à tout mettre en œuvre pour concrétiser les recommandations formulées dans le rapport 2008 sur l'écart salarial.

Enfin, le précédent gouvernement s'est engagé dans l'accord gouvernemental du 18 mars 2008 à oeuvrer pour l'égalité de rémunération entre hommes et femmes:

« Le gouvernement tirera les conclusions du rapport sur l'égalité salariale et prendra des mesures pour réaliser l'égalité entre hommes et femmes en ce domaine. » (p. 5 de l'accord de gouvernement du 18 mars 2008)

« Le gouvernement renforcera l'égalité des chances entre hommes et femmes. » (p. 21 de l'accord de gouvernement du 18 mars 2008)

Bien que cette problématique ait été au centre des préoccupations pendant des années et malgré son inscription à l'agenda politique, les résultats se font toujours attendre. Preuve s'il en est qu'un appel politique ne suffit pas.

Dans notre pays, ce sont les partenaires sociaux qui s'occupent de cette matière. Mais les auteurs de la présente proposition ont pour dessein d'obliger les partenaires sociaux à prendre l'écart salarial au sérieux et à s'attaquer réellement au problème.

Ils veulent que des mesures volontaristes soient prises pour mettre en œuvre l'accord de gouvernement et souhaitent imposer aux partenaires sociaux une obligation de mener une négociation à ce sujet et aux employeurs une obligation de faire rapport. Ces initiatives n'ont rien de nouveau. Une obligation de négociation comparable figure notamment dans le Code du travail français. Une obligation de faire rapport est notamment imposée aux employeurs italiens et portugais (J. Plantenga et C. Remery (Éd.), The gender pay gap — Origins and policy responses. A comparative review of 30 European countries, Commission européenne, 2006).

Naturellement, la présente proposition peut ne constituer qu'un aspect modeste d'une politique globale d'intégration dans laquelle les initiatives nécessaires doivent être prises à tous les niveaux pour aboutir à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Le 31 mars 2008, ABVV-Vrouwen a organisé, pour la quatrième fois de suite, en collaboration avec ZIJ-KANT, une Equal Pay Day, c'est-à-dire une journée d'action annuelle pour réclamer davantage d'égalité salariale entre les femmes et les hommes, suivant en cela l'exemple américain. Les KAV et l'ACV ont également organisé une Equal Pay Day pour la seconde fois, mais ce fut le 17 mars 2008. Il est important de confronter les gens à la problématique actuelle afin d'induire un changement de mentalités, pas seulement vis-à-vis des femmes (par exemple, pour qu'elles puissent être perçues comme des figures dirigeantes), mais aussi pour les femmes elles-mêmes (par exemple, pour qu'elles puissent se montrer plus âpres dans la négociation concernant leurs conditions salariales).

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Articles 2 et 3

Ces articles visent à intégrer dans le bilan social les données salariales des travailleurs, en les ventilant entre hommes et femmes. Les auteurs de la proposition de loi entendent ainsi sensibiliser les employeurs à la politique salariale qu'ils mènent et aux écarts salariaux qui pourraient exister entre travailleurs féminins et masculins.

En outre, une meilleure ventilation des données (par type de contrat, par niveau d'études et par catégorie professionnelle) permettrait de récolter des statistiques pour réaliser une étude approfondie et fouillée de la problématique.

Articles 4 et 5

Ces articles visent à mettre obligatoirement la problématique de l'écart salarial sur la table des négociations des partenaires sociaux. La loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité prévoit que les partenaires sociaux doivent examiner à tous les niveaux des thèmes tels que les mesures en faveur de l'emploi et l'évolution du coût salarial et traduire le résultat des négociations dans des accords.

Les auteurs de la présente proposition de loi trouvent dès lors opportun d'ajouter à ces thèmes la problématique des écarts salariaux entre les femmes et les hommes.

Vu qu'une classification de fonctions neutre sur le plan du genre est un instrument indispensable pour les entreprises dans la lutte contre l'écart salarial, elle est reprise explicitement dans la proposition de loi.

Sabine de BETHUNE.
Miet SMET.
Nahima LANJRI.
Elke TINDEMANS.
Els SCHELFHOUT.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 45, alinéa 1er, de la loi du 22 décembre 1995 portant des mesures visant à exécuter le plan pluriannuel pour l'emploi, est complété par la disposition suivante:

« — et des données salariales des travailleurs, ventilées en fonction du sexe. »

Art. 3

À l'article 45 de la même loi, l'alinéa suivant est inséré entre les alinéas 2 et 3:

« L'aperçu des données salariales des travailleurs visé à l'alinéa 1er reprend le salaire mensuel moyen ventilé en fonction du sexe, du type de contrat, du niveau d'études et de la catégorie professionnelle. »

Art. 4

Dans l'article 6, § 1er, de la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, est ajoutée la phrase suivante:

« Une attention spécifique est également accordée à la lutte contre l'écart salarial entre les femmes et les hommes par la négociation de mesures visant plus particulièrement à revoir la classification de fonctions. ».

Art. 5

Après l'article 8, § 1er, première phrase, de la même loi, est ajoutée la phrase suivante:

« Des conventions collectives de travail sont également conclues en ce qui concerne la lutte contre l'écart salarial entre les femmes et les hommes, et plus particulièrement en ce qui concerne les mesures visant à revoir la classification de fonctions. ».

25 avril 2008.

Sabine de BETHUNE.
Miet SMET.
Nahima LANJRI.
Elke TINDEMANS.
Els SCHELFHOUT.