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2 JUIN 2008
Rappelons avant tout que l'anorexie est une maladie. L'anorexie est un trouble du comportement qui se caractérise par un amaigrissement important associé à une aménorrhée, ainsi que par un rapport angoissé à l'alimentation, une obsession d'un surpoids supposé et une déformation de l'image corporelle.
Les répercussions somatiques de l'anorexie, à moyen ou à long terme, sont souvent graves. Elle peut en effet entraîner, notamment, une fatigue permanente, une anémie, une infertilité ou des problèmes durant la grossesse, une ostéoporose, la perte des capacités physiques et musculaires, voire la détérioration des organes vitaux et des problèmes cardiaques. Certaines personnes souffrant d'anorexie présentent aussi d'autres troubles tels que la dépression ou l'anxiété.
L'anorexie est une affection psychique, dont l'analyse des causes, sans doute multiples, est particulièrement complexe. De manière générale, certains spécialistes suggèrent que le comportement alimentaire pourrait dépendre de facteurs individuels, notamment d'ordre psychologique, qui agissent en étroite interaction avec des facteurs environnementaux et socioculturels.
Dans les pays occidentaux, la pression sociale véhiculée par les médias qui s'exerce sur les femmes autour de l'image du corps et du poids contribue au développement de pratiques alimentaires et corporelles abusives (régimes restrictifs draconiens, activité physique intense), qui favorisent, pour certaines femmes vulnérables, le début de conduites alimentaires pathologiques secondaires à l'instauration d'un régime.
Depuis quelques années tendent à se développer des incitations à une maigreur excessive, par des privations alimentaires prolongées, de façon directe ou à travers des médias divers et en particulier les sites Internet pro-anorexiques.
Apparue en France ces deux dernières années et désormais en Belgique, la communauté « pro-ana », pour « pro anorexique », représente un réel danger pour la santé des femmes tout particulièrement. Elle se manifeste de plus en plus par l'intermédiaire de sites Internet et de blogs qui font l'apologie de l'anorexie comme « mode de vie ».
En effet, les membres de ce mouvement « pro-ana » valorisent ouvertement l'anorexie et diffusent leurs idées à travers des forums ou des journaux personnels (blogs), qui sont souvent dédiés à « Ana », une personnification de l'anorexie, « Mia » étant souvent évoquée en parallèle pour la boulimie. On y trouve, par exemple, des recommandations aussi inquiétantes que: « Quand tu as faim, bois de l'eau glacée avec un citron et compte jusqu'à 100 dans ta tête, tu n'auras plus faim », « Tu dois jeûner, faire n'importe quoi qui puisse te rendre plus mince » ou encore « Tu ne mangeras point sans te punir après coup » ... Dans les cas les plus extrêmes, des pratiques à la limite de la manipulation mentale ne sont d'ailleurs pas sans évoquer certaines dérives sectaires, puisqu'il s'agit ouvertement de « communauté ».
L'anorexie comme fait de société; l'émergence du mouvement « pro-ana »:
« Malgré la multiplication des cas extrêmes et tragiques, l'anorexie reste une maladie désirable, voire un phénomène de mode. (...) Ainsi en témoigne le succès du mouvement pro-ana, qui signifie pro-anorexique. Le pro-ana, très répandu aux États-Unis et maintenant arrivé en France (Europe), est considéré comme tellement dangereux que les sociétés AOL et Yahoo se sont engagées à n'héberger aucun lien permettant de se connecter aux sites de ce mouvement. Son but est de rassembler par le net des jeunes filles atteintes de troubles du comportement alimentaire. Cette communauté propose une morale et un ensemble de règles et de valeurs qui régissent la vie quotidienne de ces jeunes filles: maigrir de plus en plus, et de plus en plus vite (...).
« La dictature des régimes rend les jeunes femmes anorexiques. L'anorexie est partout. Dans les magazines, dans la pub, dans les films, dans les défilés, dans la rue. L'anorexie, pathologie circonscrite aux névroses individuelles, est devenue une pathologie sociale. Certaines adolescentes ne s'alimentent plus, d'autres se font vomir, notamment parce qu'elles veulent être comme les filles des magazines. Face à cela, la famille se sent désemparée, impuissante. En effet, comment pourrait-elle lutter contre l'anorexie alors que la société prône constamment les valeurs qui sont à la source de l'anorexie ? » (1) .
Or, quel qu'en soit le support, de telles provocations présentent des risques importants pour la santé des personnes les plus fragiles, qui peuvent être incitées à adopter des comportements alimentaires de nature à compromettre gravement leur santé, et nécessitent dès lors d'être plus efficacement combattues, comme le prévoit la présente proposition de loi.
Afin notamment de lutter contre la diffusion de contenus médiatiques qui mettent en danger la santé des personnes fragiles, le plus souvent des mineurs, la proposition de loi institue un délit de provocation à la maigreur excessive. Il a à la fois une vocation répressive et dissuasive.
Il est ainsi proposé de sanctionner d'une peine maximum de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive, en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre sa santé. En outre, les peines seront portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende s'il apparaît que cette provocation a entraîné la mort de la personne concernée.
Parallèlement, il est en effet essentiel d'améliorer, notamment, l'offre de prise en charge des personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire dans un cadre adapté aux spécificités de leur pathologie, comme les maisons des adolescents, ainsi que la formation des professionnels de santé, le dépistage de cette affection, dans le cadre notamment des visites scolaires et universitaires, et le suivi médical des professionnels de l'image du corps et de la beauté. Mais il est aussi important de mieux en comprendre les ressorts profonds pour agir plus efficacement en termes de prévention, de diagnostic et de prise en charge.
Puisse cette proposition de loi contribuer également à promouvoir de telles initiatives et à ouvrir très largement le débat sur ce problème majeur de santé publique.
Le but du présent texte est de proposer une série de mesures de prévention, et de sensibilisation en vue de lutter contre l'anorexie restrictive, vantée via les sites pro-anorexiques, et de l'anorexie « socioculturelle » véhiculée par les images de maigreur dans le domaine de la mode.
Anne-Marie LIZIN. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans le Code pénal, il est inséré un article 421bis rédigé comme suit:
« Art. 421bis. — Sera puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de trente mille euros, celui qui provoque une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé.
Lorsque cette recherche de maigreur excessive a causé la mort de la personne, l'emprisonnement sera de trois ans et l'amende de quarante-cinq mille euros.
La propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de parvenir à une maigreur excessive ayant pour effet de compromettre directement la santé, est punie d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de trente mille euros. »
8 mai 2008.
Anne-Marie LIZIN Sabine de BETHUNE Dominique TILMANS Christiane VIENNE Olga ZRIHEN. |
(1) Source: Le corset invisible. Manifeste pour une nouvelle femme française, d'Éliette Abécassis et Caroline Bongrand (mars 2007).