3-1517/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

25 AVRIL 2007


« BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine)


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR

M. WILLE ET MME ZRIHEN


SOMMAIRE

  • I. INTRODUCTION
  • II. AUDITIONS
  • II.1. Chine
  • II.1.1. Introduction de M. Wille
  • II.1.2. Introduction de Mme Zrihen
  • II.1.3. Exposé de M. Sean Dougherty, économiste, China Desk, OEDE, Economics Department
  • II.1.4. Exposé de Mme Tanya Cox, Human Rights Watch, EU-Advocacy Coordinator
  • II.1.5. Exposé de Mme Zhang Qiyue, ambassadrice de la République populaire de Chine
  • II.1.6. Échange de vues
  • II.2. Russie
  • II.2.1. Exposé de M. Vadim Loukov, ambassadeur de la Fédération de Russie
  • II.2.2. Exposé de Mme Nina Bashkatov, journaliste indépendante et éditrice de www.russia-eurasia.net
  • II.2.3. Exposé de Mme Aude Merlin, titulaire du cours « La Chine et la Russie dans le vingtième siècle », ULB
  • II.2.4. Échange de vues
  • II.3. Inde
  • II.3.1. Exposé de M. Dipak Chatterjee, ambassadeur de la République de l'Inde
  • II.3.2. Exposé de M. Wouter Vandenhole, titulaire de la Chaire « Droits de l'enfant », Université d'Anvers
  • II.3.3. Exposé de M. Marc Cogen, professeur de droit international, Université de Gand
  • II.3.4. Exposé de M. Peter Van Wonterghem, chercheur, Jawarharlal Nehru Univeristé (JNU), New Delhi
  • II.3.5. Exposé de M. Lars Jacobsen, senior regional manager, ING
  • II.3.6. Exposé de M. Raneel De Wilde, chairman, AMI India Logistics
  • II.3.7. Échange de vues
  • II.4. Brésil
  • II.4.1. Exposé de M. Jean-Paul Marthoz, conseiller éditorial de la revue « Enjeux internationaux »
  • II.4.2. Exposé de M. Koen Warmenbol, coordinateur Amérique Latine, 11.11.11./Vlaamse Noord-Zuidbeweging
  • II.4.3. Échange de vues
  • III. CONCLUSION DE M. WILLE ET DE MME ZRIHEN, RAPPORTEURS
  • III.1. Présentation
  • III.2. Brésil, Russie, Inde et Chine: des puissances ?
  • III.2.1. Brésil
  • III.2.2. Russie
  • III.2.3. Chine
  • III.2.4. Inde
  • III.3. Inde-Chine: la course-poursuite de deux géants ?
  • III.4. Considérations
  • IV. PROPOSITION DE RECOMMANDATIONS
  • V. VOTES

  • I. INTRODUCTION

    Le 21 mars 2006, la commission des Relations extérieures et de la Défense a décidé d'entamer une étude approfondie sur les quatre nouvelles grandes puissances (le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine), pour en faire ensuite l'étude comparative. Cette ambitieuse analyse sera un des éléments essentiels qui détermineront l'attitude de la Belgique envers les pays BRIC.

    Le terme « BRIC » est utilisé pour désigner les quatre pays dont le potentiel économique est tel qu'ils pourraient devenir les quatre économies prédominantes à l'horizon 2050. Cette thèse fut proposée par J. O'Neill, économiste spécialiste de la mondialisation à la banque d'investissement Goldman Sachs. Selon lui, ce groupe de pays représentera plus de 40 % de la population mondiale et un PIB cumulé de 12,14 billions de dollars. Il constituera la première entité mondiale à presque tous les niveaux.

    Compte tenu de la croissance économique et des nombreuses mutations sociales en cours dans les quatre pays BRIC, il paraît essentiel, dans le contexte de la mondialisation, d'avoir une idée précise de ces évolutions. Nous recevons en effet continuellement des informations contradictoires sur la croissance de ces pays et sur les répercussions pour nos contrées. Ces pays ont déjà le vent en poupe depuis un certain temps, mais l'Occident y est de plus en plus souvent confronté directement. L'exemple le plus évident est celui de la Chine. La crainte suscitée par le textile chinois, le débat sur les droits de propriété intellectuelle ou la migration de Chinois en Europe ne sont que quelques aspects parmi d'autres. Il est en outre certain que ces phénomènes se produiront aussi dans les trois autres pays dans les années à venir.

    Il semble donc indiqué de réaliser une étude approfondie afin de mieux cerner la question.

    La commission discutera successivement de la Chine, de la Russie, de l'Inde et du Brésil, non seulement pour réaliser des analyses et formuler des résolutions ou recommandations politiques mais aussi pour mettre en avant des éléments comparatifs et dégager des conclusions comparatives en fonction de certaines sensibilités. Elle évaluera le développement durable dans ces quatre pays en étudiant notamment la qualité de la politique environnementale. La commission tentera d'évaluer les possibilités de développement durable dans tous les aspects de ce développement.

    La commission a d'abord tenu quatre auditions : le 9 mai 2006 (Chine), le 7 novembre 2006 (Russie), le 27 février 2007 (Inde) et le 27 mars 2007 (Brésil).

    Elle a ensuite dsicuté, les 24 et 25 avril 2007, les conclusions des rapporteurs et les recommandations.


    II. AUDITIONS


    II.1. CHINE

    Audition de:

    — S.E. Mme Zhang Qiyue, Ambassadeur de la République populaire de Chine;

    — Mme Tanya Cox, Human Rights Watch, EU-Advocacy Coordinator;

    — M. Sean Dougherty, économiste, China desk, OCDE, Economics Department;

    — M.Ruddy Doom, professeur, Unité de recherche « Studie van de Derde Wereld ».-


    1. Introduction de M. Wille

    Notre objectif est de réaliser une étude comparative sur quatre pays qui, à nos yeux, représenteront près de la moitié de la puissance économique mondiale dans trente ans.

    Pour les relations bilatérales d'un pays comme la Belgique, qui est présent dans divers organes internationaux, il importe de comprendre la qualité, la nature et la complexité de cette croissance et de bien évaluer sa dynamique et ses répercussions éventuelles pour notre pays et les structures où nous sommes actifs. M. Wille a présenté au Conseil de l'Europe un rapport sur la situation économique de la République populaire de Chine, qui a été adopté à l'unanimité moins deux voix. D'autres aspects que les aspects économiques sont également importants: la prééminence du droit, les droits de l'homme, les problèmes spécifiques de différentes régions, l'évolution de la politique démographique, l'agriculture et le déséquilibre entre grands pays.

    La Chine est à la fois une puissance économique (en chiffres absolus) et un pays en développement (chiffres par habitant). Les défis sont donc grands pour ce pays.

    La Chine abrite 21 % de la population mondiale mais ne dispose que de 7 % des terres arables et 7 % des réserves d'eau, problèmes encore exacerbés par la politique du passé. Quel que soit le mérite des grands dirigeants qui ont mis le pays sur la voie de la croissance, la conception de Deng Xiao Ping « No matter the colour of the cat, as long as it catches the mice » a été lourde de conséquences, notamment en ce qui concerne la politique environnementale.

    Depuis lors, la République populaire de Chine a mené une politique environnementale courageuse mais, malgré le caractère professionnel de l'épuration et de la distribution de l'eau, la durée de vie moyenne de la population peut présenter jusqu'à quinze années de différence selon la région et, dans les grandes provinces comptant 100 millions d'habitants, les corrections de la politique du passé font perdre jusqu'à 13 % du PIB.

    Il faut considérer par ailleurs le développement à court terme. Le dernier plan quinquennal présente, à renfort de chiffres impressionnants, la méthode que l'on compte appliquer dans le domaine de l'environnement.

    En ce qui concerne la population, on peut se demander si la République populaire de Chine continuera à appliquer son système de planning familial (la politique de l'enfant unique) ou procédera à des réorientations. Il faut à cet égard tenir compte des grands mouvements migratoires à l'intérieur de la Chine, bien plus importants que dans nos contrées.

    Chacun sait que les différences de qualité de vie entre la campagne et les mégalopoles sont importantes. Le dernier plan montre bien que les dirigeants du pays ont pris conscience de l'absolue nécessité d'une réorientation fondamentale et draconienne assurant également dans les campagnes une égalité des chances dans le domaine de l'enseignement et des soins de santé.

    Après la réforme de l'agriculture et la privatisation des entreprises d'État, la troisième grande évolution se situera dans le domaine financier. La poursuite du développement et de la croissance nécessite des réformes financières. La liaison au dollar a ainsi été remplacée par la liaison à une corbeille de devises et le benchmarking est appliqué dans les banques. Une des discussions fondamentales concerne la monnaie et son influence sur nos économies. Force est de constater que si la Chine, au moment où la précédente crise mondiale a éclaté, avait accepté de réévaluer fondamentalement sa monnaie, comme les États-Unis et l'Europe la pressaient de le faire, cela aurait eu des répercussions catastrophiques sur l'ensemble de l'Asie du Sud-Est. De nouvelles pressions sont exercées actuellement et il est certes probable que la monnaie chinoise soit sous-évaluée. La République populaire de Chine est maintenant membre de l'Organisation mondiale de Commerce (OMC) et nul n'ignore le problème du protectionnisme contre les importations de produits chinois.


    2. Introduction de Mme Zrihen

    Il nous faudra être particulièrement attentifs aux volets énergétique et environnemental, de même qu'à l'aspect relatif à l'OMC.

    La commission ne peut évidemment pas faire l'impasse sur des aspects aussi importants que les droits de l'homme et la place des minorités dans les États concernés mais doit évaluer les possibles contributions de la Belgique au maintien d'un équilibre mondial indispensable qui relève à la fois de l'économique, du social et du politique.


    3. Exposé de M. Sean Dougherty, économiste, China Desk OESO, Economics Department

    The Organisation of Economic Co-operation and Development has recently undertaken its first economic survey of China, in co-operation with Chinese authorities, principally the National Reform and Development Commission, but also with a whole range of institutions across the Chinese government. This differs from other reports that the OECD has made on China, many of which have been undertaken over the past 10 years but we often done on a much more unofficial and informal basis.

    This Economic Survey is something the OECD does for its member countries every two years. This is the first time that one has been undertaken for a non-member. China. This was done on an official basis. At the conclusion of the report Chinese officials and delegations from several different agencies at the Deputy minister level came to Paris to discuss it with our member countries. The work undertaken over about 18 months involved about 360 man days in China and a considerable amount of empirical analysis of economic data in co-operation with the statistical authorities in China.

    OECD's assessments as well as the principle recommendations were made to the Chinese Government and received substantial buy-in from the Chinese authorities. While the report itself is issued under the authority of the OECD's secretary general it went through a similar process that member countries go through. This means the OECD responded to any of the comments received from both member countries as well as from the Chinese authorities. This regarded not just facts but policy recommendations also.

    The OECD determined to be at the roots of the recent very impressive economic performance essentially involved three major areas. The first is accumulation of capital, the second is rapid deregulation and the third is profound restructuring.

    These have all led to very impressive economic growth of about 10 % per year over the past 20 years. This was only 9.5 % until last year when the national accounts were revised following the economic census which was undertaken with final results released in December.

    Despite China's very large economic scale which is now fourth largest in the world at market exchange rate it is second largest at purchasing power parity. It's per capita income still remains quite low despite their very rapid rate of increase.

    Capital accumulation, the first major driver behind the impressive economic performance manifests itself in a couple of ways. First human capital accumulation has been extremely rapid. Schooling has affected the workforce enormously. Entrants to the workforce now have about three times more schooling than those who are exiting the workforce. This is a profound transformation which is taking place and will continue to take place for some time.

    Visible capital is perhaps the more direct and obvious driver of economic growth and this is essentially transforming China from a situation where it has very low capital per worker to one where it will eventually catch up with much of the OECD, at least if it follows current trends.

    Visible capital is increasing by over 10 % per year, this promotes labour productivity at a very rapid pace. This is supported by a very high rate of savings. Much of it is driven by household saving rates which are based on a demographic shift which has occurred since the late 1970's and has essentially put a much larger share of its population at peak working age, where they tend to save at much higher rates. This only explains about half of the very high savings rates.

    Much of the remaining higher savings rates can be explained by high retained earnings in the business sector. This reflects some of the weaknesses in the financial system which does not allow those earnings to be re-circulated and to encourage businesses to save for future investments. Another important explanatory factor for the high saving rates is a very prudent government fiscal policy which does not take out very large deficits and which allows that capital to be used elsewhere in the economy.

    The second major force behind the very rapid growth is deregulation. This has involved everything from prices to ownership. Prices have moved from being almost entirely state controlled around the late 1970's to a profound shift in the 1990's towards a market-based pricing of goods in the economy.

    Today, about 90 % of transactions in the economy are occurring at market prices. This is setting the stage for a much more efficient and well balanced growth. It does not happen over night and ownership is perhaps even more important in terms of creating the proper incentives for growth. Here in fact a profound transformation has been seen over a shorter period.

    About 200,000 individual enterprises, were analysed over a period of 5 years in co-operation with the National Statistical Bureau in China. It was found that shareholder ownership was already over 50 % in the private sector in 1998 and it has moved quite rapidly upwards since then. It is estimated that the share of the economy in the private sector is well over two-thirds today. This is a huge transformation of an economy which was entirely in the public sector only 25 years ago.

    Individual performances of enterprises were also looked at. It was found that the private enterprises were substantially more productive than those in the public sector. This transfer of the share of ownership into the private sector has had a profound impact on the overall productivity of the economy and is enhancing growth potential.

    However a number of sectors remain which are still substantially dominated by the state. These include sectors with high profit rates such as petroleum and tobacco. Key service sectors, including the banking sector are still substantially controlled by the state although there have been some important shifts over the past couple of years here.

    Supporting this privatisation has led to a large increase in jobs. This is the motivation for the ideological shift which has allowed this transformation to happen. Almost all of the job creation that occurred over the past 5 years has essentially been in the private sector. The state sector has been continually downsizing over this period. The rate of job destruction has not been experienced in any other OECD economy. This is creating social tension in China but is also allowing the economy to undergo quite a dramatic transformation. This restructuring is not just happening between sectors but is also happening between rural and urban areas. The ongoing process of migration to urban areas has put a lot of strains on the urban infrastructure.

    What are the main challenges, given these overall driving forces for growth ? There are three major areas, firstly financial and monetary challenges, secondly the regulatory framework and thirdly constraints to organisations.

    In terms of monitoring and financial policies, financial policy and financial reform has substantially lagged behind reforms in the real economy. Market based instruments have been avoided for quite some time. This has caused difficulty in terms of managing the rates of loan growths as well as the rapid rates of investment which have been difficult when they have exceeded levels which were thought to be sustainable.

    They have been met with administrative methods which don't allow the kind of market-based allocation which would be preferable. However, there has been some shift towards using more market-based approaches. Other measures are much more important for controlling the current pace of lending.

    A lot of the difficulty in terms of using market-based measures in the monetary area is constrained by an exchange rate policy, which is gradually liberalising, but is extremely concerned with keeping the exchange rate to the dollar relatively fixed with a very slow rate of appreciation. This ongoing process requires a whole range of institutions to manage it if they want to move towards a more flexible exchange rate policy. This would require various types of derivative markets as well as exchange rate markets, many of these are being developed. Progress is being made.

    In terms of financial policies the banking system is one of the reasons why exchange rate policy has not moved so quickly. Capital markets as well as the banking system reforms have been much slower to reform than ownership.

    There has been an over reliance on bank financing in the economy. China relies about twice as much on bank financing than most other OECD economies. This is because there is not as much access to capital markets, particularly for private enterprises.

    The ratio of the tradable share of the stock exchange to GDP is less than 10 % which is very small. There are a lot of shares which are held up in non-tradable shares. Access of new private companies to the markets is still quite constrained and there have been very few new listings. Bond markets are also underdeveloped with only about 1 % of GDP in corporate bond markets.

    In terms of the Regulatory framework, this is another important area, which has limited the extent to which the private sector can flourish. As China moves from a planned economy which is substantiated in the state sector towards a more market-based economy it has rapidly adopted a whole range of laws and statutes that often resemble statues seen in many OECD economies. These cover everything from corporate law to bankruptcy to competition policy and basic regulatory and business frameworks. However, a number of these laws were lacking until quite recently and have only recently been reformed. The Corporate Law, first introduced in 1994, has just been substantially revised allowing smaller firms to expand into the Corporate form much more easily.

    Bankruptcy was only on the provisional form in the late 1980's, it is in its final form in terms of being revised and of being more broadly applicable to the sector but it still is not fully mature.

    Competition policy has been weak over quite a long period. There were some fears of regional balkanisation which appear to have been overcome through a quite aggressive approach from the government in trying to reduce interregional barriers to trade. This has stimulated quite a lot of competition.

    A key area which still needs to be developed is to make these statutory laws enforceable in practice. The enforcement of particular laws, particularly in the area of intellectual property rates has been quite weak, a lot of effort has been invested but this will take some time. It is an issue that even domestic companies complain about, as a barrier to growth. The Chinese government recognises this. It is something which is difficult and is intertwined with the whole administrative system in China because a lot of the problems come about because local governments are unwilling to enforce judgements.

    A recommendation has been made that more central funding be considered as an intermediate step to try to increase the extent to which these types of laws can be enforced. The IPR is an example of this, it happens in a number of other areas as well, just basic contract enforcement can also be weak in some cases.

    A third point is urbanisation. Urbanisation has happened very rapidly in China. It has been a real driver for a lot of the development in terms of increasing the labour force, as well as keeping wages relatively low.

    This has also been restrained by a number of policies. For a long time there were explicit barriers for rural people to move to cities, these have been phased out but are not fully gone yet. People can now move from the countryside to the cities if they can find a job in the city. However, they often do not have full access to public services such as education and healthcare and insurance for their children as well as for themselves.

    This lack of public services is not entirely a matter of central government policy but has a lot to do with the way the fiscal system is structured. Cities do not have enough funding to cover all of these responsibilities. The OECD has made another report, subsequent to this Economic Survey, which focuses specifically on the issue of public finances and how education policies and other public financial transfers can be enhanced to increase the capacity of local governments to carry out these kinds of duties.

    Another interesting issue is the issue of land rights. There has been a profound shift in terms of the constitutional amendment to recognise private property in 2004. This has been held up without a statutory law to support it. It is just a constitutional amendment, there are very few direct challenges to the constitution in China. There have been a couple of recent examples where there has been successful challenges. However, the recent legislation that would have enforced land rights was held up in the recent National Peoples Congress but hopefully it will be passed sometime in the near future. This is really a fundamental issue in terms of looking at the incentives in a market economy to really protect the private property rights. In the rural areas migrants are often very hesitant to move off their land because they don't have the full rights to be able to transfer it to other people, and to be able to use the capital from the land in more productive ways and to move to the cities permanently.

    A challenge which may cause problems in China's future is ageing. China's benefit is substantiating in terms of its rise and its household savings rates through a very rapid decrease in its dependency ratio or the share of its workforce which is at peak working age. However this very rapid increase in its workforce will also be met with a very rapid decrease in the near future. Essentially because of demographics, the Chinese baby boom will also potentially lower saving rates in the future.

    However, there is comforting evidence. Recent micro evidence suggests that Chinese people tend to save quite a lot even as they go into retirement. The savings rate may not decline as much as it would otherwise given previous experience.

    The overall assessment is that this very rapid pace of economic growth is likely to continue for some time. The basic policy framework is present, the pace of reform is astounding and if the authorities are able to sustain it, China should increase the lot of a very large part of the world population as well as the remaining poor very rapidly.


    4. Exposé de Mme Tanya Cox, Human Rights Watch, EU-Advocacy Coordinator

    For many years the International Community has argued that investment in China will lead to the rise of a middle class and that this middle class will demand more respect for the rule of law and better protection for human rights. Some progress has been seen but the disparities between the rich and the poor and between the urban and rural population are growing.

    While China is being seen as an important economical partner it is also crucial to remember that China systematically violates the human rights of its people. China is a one-party state which is extremely repressive, for example it controls internet rights, it bans trade unions, it represses minority rights such as those of the Tibetans and there is no independent judiciary.

    Under President Hu Jintao these violations of human rights have increased significantly. There is an increase in protests from workers, farmers, people evicted from their homes, victims of police abuse, HIV activists and so on. One of Human Rights Watches key concerns remains the massacre in Tiananmen Square in 1989. Why is this still a concern ? It is because the Chinese communist party still refuses to publish any information about the number of people killed, injured, disappeared, arrested. Relatives are not allow to mourn in public. There really is no information about what happened on that day.

    The EU in response to this massacre put in place an arms embargo on China although some EU member states would like to see it lifted, as would China.

    We are in favour of keeping it in place until certain conditions have been met. We need full information about what happened that day and an independent investigation into what happened as well as accountability for the army shooting at civilians. We would ask you not to let business interests come before the respective human rights.

    Four particular areas of concern will be looked at, because they are very key in the situation that is being seen today in a rising economy. The first is freedom of expression, for example the internet and religious repression. The second is HIV aids. The third is the issue of forced evictions which is linked to urbanisation. The fourth is China's role on the international stage, its foreign policy.

    Firstly, freedom of expression: concerning the internet China is creating today what is called the great firewall of China. There is a system of huge controls on the internet and its use, access to information is extremely limited and there are sophisticated filters. If you set up your own website you have personal liability for its content. Internet café users need to present ID in order to use the internet, they are given a user number which enables the Chinese authorities to track the sites been looked at.

    Global internet companies such as Google and Yahoo have been submitted to considerable pressure, have succumbed to this pressure and are now complicit in the ongoing repression. Google argue that you need to abide by the rules of the country you are operating in. This is not true.

    Over 50 people are in jail for using the internet for peaceful expression. It is not just the internet, it is also for e-mail and sms. This is going to create two internets, one internet for open societies and one for closed societies. The notion of worldwide web collapses. Instead a virtual iron curtain is being put in place.

    The second problem linked to this is that China is already exporting the technology that it uses to monitor the internet to other repressive countries like Zimbabwe. It is necessary for all private companies to start standing up to this pressure from China. Total freedom of information should be insisted upon.

    There is also considerable repression in the media. Chinese journalists not affiliated with official media outlets need a licence, to get it they must attend classes, they must pass an exam and they must submit a paper on ideology. People working for foreign journalists or papers run considerable risks, journalists have been put in jail, newspapers have been closed down. China should be urged to amend its criminal laws and national security laws so that they conform with international standards and they allow peaceful expressions of points of views, political or otherwise.

    China should be urged to stop jailing journalists, editors, internet users, to stop closing down the newspapers, journals, magazines and above all to remove restrictions from the internet.

    Moving unto religious repression, China's regulation on religious affairs came into effect in March 2005. They claim that this is a significant step forward in protecting Chinese citizens » religious freedoms. But in actual fact what is being seeing on the ground is that local officials continue to detain religious believers, to arrest them, and to repress religious activities, often arbitrarily. Children under a certain age are not allowed to receive religious education. There is a long list of activities which cannot take place without a special permission.

    All congregations, mosques, temples, churches, monasteries must be registered to be legal. If a group does not register it is not legal and can be closed down. However, if they do register they are exposed to considerable and severe monitoring and vetting. One of the key concerns regarding these regulations is that they are quite vague, intentionally so. One of the significant problems with this is that this arbitrary is literally written into the text of the regulations. Many of the terms used are undefined. They say « normal religious activities are permitted ». But what is a normal religious activity ?

    China only allows five belief systems: Buddhism, Deism, Islam, Catholicism and Protestantism. What about Judaism and the Orthodox Church ? Are these not normal religions ?

    We would ask that China respect International Law. China has signed, the International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR). When such a document has been signed it should be respected and this includes freedom of religion. Freedom of religion is not a right that should be granted by the state, but on the contrary the state should be protecting this right.

    We would urge China to release all religious prisoners from any form of detention. China argues that no person is incarcerated for their religious beliefs but only for breaking the law. This is a fiction.

    We would also urge China to stop using non-judicial methods of holding people for years in for example re-education through labour. One group particularly affected by this is the Falun Gong.

    We would urge China to adopt laws to ensure free and fair trial standards when trying those accused of crimes associated with religious beliefs.

    China faces, what could be the largest AIDS epidemic in the world. The country is showing growing awareness of the epidemic and the need to confront it. China is increasingly tolerant of NGO's who are working in this domain. A growing realisation is that NGO's have a lot to offer, they can reach far flung areas and they raise awareness.

    However, AIDS activists still face obstacles, and severe harassment. Regulations have meant that activists can not necessarily register their organisations or raise funds. The censorship on the internet is a big restriction in this domain, this is where a lot of people get their information on AIDS. Activists who try to raise media awareness about the problem of AIDS are particularly subjected to harassment.

    We would ask European governments, the Belgian government and of course China to remove these regulations especially concerning the operation of NGO's. We would ask China to prohibit discrimination against those with HIV AIDS and to cease detaining or to release those who have already been detained for advocating access to treatment and care.

    The third issue of forced evictions is closely linked to urbanisation. China is trying to modernise rapidly. In the process of modernising it needs land. Therefore, Chinese authorities are forcefully evicting hundreds of thousands of homeowners in cities, without due process and without proper compensation. The evicted residents and activists supporting them have taken to the streets to protest. They are facing considerable repression from the police. This is also happening in rural areas, farmers are objecting to the fact that community land, which is communally held is being sold. There is also an issue of how the farmers should be represented because it is communally held land.

    With the World Expo coming up in 2010 and the Olympics in 2008 a substantial rise is being seen in these forced evictions and we are very concerned about what will happen to the people once they have been evicted.

    We would urge China to implement legal reform. There has been a constitutional amendment to try to protect property rights and this is very welcome. This now needs to be incorporated into legislation. Unfortunately the Courts of Law can not enforce the constitution. The Court offers very little protection for those who have been evicted. The issue of compensation should also be addressed.

    China is becoming increasingly active. China is an incredibly important player on the world stage. One thing to note is that China believes in a policy of non-interference in other countries affairs. It trades and invests without regard to the human rights record of a particular country.

    This has an effect on Western policy. As Western governments are trying to use economic methods to improve human rights records in other countries if China then goes in to fill the gap this reduces the effect of Western methods. De-facto support for repressive governments is being seen.

    China's investments in Sudan's oil fields has given a huge funding to the Sudanese government. This has helped finance the militia. The militia together with the government is responsible for killing hundreds of thousands of people and for displacing over 2 million. Some of the funds coming from Chinese investment are used to buy arms.

    China is known for blocking independent UN investigations into countries. China was one of the countries responsible for blocking meaningful sanctions against Sudan. Burma is another example. China is Burma's largest investor and supplier of economic and military aid and it is a big supporter of the military junta.

    China failed to back the International Communities call for an international, independent investigation into what happened in Uzbekistan after the Andijon massacre in May 2005. On the contrary it greeted the Uzbek president days later with a 21-gun salute. China has qualified Andijon as a terrorist plot. This is false and we know it is false because we have been there and we have investigated this ourselves.

    Progress has been made, including on the human rights front. Now the term « human rights » is part of the daily vocabulary in China. China is willing to engage in human rights issues. It takes part in the EU human rights dialogue. However concerns remain on many fronts. We would urge Belgium not to put economic interest before the protection of human rights. There is a vital need to uphold international human rights standards and to put pressure on fellow EU member states to do so too.


    5. Exposé de Mme Zhang Qiyue, ambassadrice de la République populaire de Chine

    The fact that the Foreign affairs committee of the Senate is occupied with the matter of China's economic development and China's relations with Belgium itself shows the importance the Senate is attaching to Belgium and China's relationships. This year is the 35th anniversary of an establishment of diplomatic relations between the two countries.

    China is now in the news everyday. On the one hand there are politicians and statesmen who have a lot on in-depth international affairs. There are experts like Mr. Dougherty and Mr. Paul Wille who know more about China and who have more statistics and data about China than I do.

    I have been the Chinese ambassador for one year and four months and I have been talking to ordinary people around Belgium. Many Europeans and many Belgians do not know very much about China. Most Belgians when they started school learned about China through the adventures of Tintin (Ding Ding). The pictures, depicted in Tintin adventures, are really not the Chinese that you will meet today.

    To the ordinary Belgians the Chinese people are still quite unknown, are still very far away. In French when something is strange or difficult you say « C'est du chinois ». There is quite a big wall between the ordinary Chinese and Belgians. There are also people who refuse to learn about China and to understand about China and who are still in the state of mind of a cold-war period.

    Three points will be looked at concerning the China of today. The first point is that China has been going through profound and fundamental reform over the past 28 years. It must be stressed that this reform is not only economic reform, it is all around reform. This has brought about profound social changes, including political changes.

    This fact has been neglected by many. Over the past 28 years, since China adopted the policy of reform and opening up China has managed to replace the traditionally centrally planned economic system with a market economic system. Since market economy is characterised by division of labour, commodity exchanges between different owners and a dynamic non-public economic sector China has managed to replace the system featuring unitary public ownership with various forms of ownership. Private ownership is now almost two-thirds.

    The small and medium enterprises account for 99 % of all enterprises. Even with the various kinds of ownership, public ownership still plays a very important role. As a result of these changes China's society today is multi-faceted with the emergence of new social strata and with the private enterprises playing an important role in the economic and social life.

    As the market economy develops the old unitary society has been substituted with a diversified society. The old isolated and closed society has changed into an open society. In the past people could only have one job which they stayed in for their whole lives. Today Chinese people are faced with all kinds of choices. There is free movement from one job to another, from one city to another, from one rural area to another of millions of people.

    China is no longer a monolithic society but multidimensional. This can be seen from the clothing people wear, from the hairstyles people have, from the choices they have for religion, for political rights, for elections, for housing choices, for education, for hospitals and even for the use of internet. There are about one hundred million people who have access to the internet now.

    Such enormous changes have succeeded not only in bringing into full play the personal motivation of each Chinese individual but also in injecting unprecedented dynamism into an Asian society. This cannot be brought about without all around reform, especially political changes. Over the past year China has carried out much work in the building of a socialist democratic system. A lot of progress has been made in China's legislation, in the building and perfecting of its judicial system, in the policy making process and in the governing process and in systems like personnel, grass-root democracy and supervision.

    Over the years China has adopted numerous legislations at every level: at the state level, at the provincial level and at the national peoples » congress level. To the disappointment of some people China is still called a socialist country. We call this « building socialism with Chinese characteristics ». What are the socialist goals ? China feels that the most important thing for its government is to bring about a better life for the people on an economical, social, and political level.

    This is the aim of the country and the main task of the Chinese government. In order to do this China is determined to build a harmonious society characterised by democracy, rule of law, fairness and justice.

    Without this the Chinese government is fully aware that economic growth cannot be sustained and that social growth cannot be stable. China has, after 28 years of high economic growth, entered into a new stage of development. In order to achieve sustainable development China is trying to bring about harmony inside the country and is trying to work together with other countries to achieve peace, stability and development.

    Concerning the human rights developments in China I cannot accept the accusation that China is systematically violating human rights. On the contrary the Chinese government has substantially improved the human rights for Chinese people. There is still room for improvement and not everything is being done in a perfect way.

    China is a country of 1.3 billion people with very poor background, with very poor education and with very poor basic living conditions. If any government wanted to run China they would find it a huge task. It is easy to say to the Chinese government that they have to abide by certain laws. The Chinese government wants to do this but it is not an easy task. China is doing its best although there are many things that government officials are not satisfied with.

    China is still a developing country. It is a country with a great sense of responsibility for the world. China wants to achieve to have world peace and development together with all other countries. China has developed well economically and has created miracles. China has been able to feed 22 % of the world population with only 10 % of the arable land it possesses. Within the shortest span of time China has lifted 250 million people out of poverty. No other country has done this.

    Everyone in China is convinced that there is no other choice but to develop, not only economically but also socially.

    The only purpose for developing is to bring about better living standards for 1.3 billion people. Over the past 28 years, even though the world recognises China's achievement, China's leaders acknowledge that they have only just resolved the issue of feeding and clothing people even though, in terms of GDP, China is now officially the 6th or 7th in the world. In the Chinese situation it has to be remembered that there are 1.3 billion people. This means that China's per capita income is only 1/20th of Belgium today. If this is put in per capita terms than China is around the 100th country. This means that two thirds of the population (almost 900 million) still find themselves in poor rural areas. About 200 million people still live on less than 1 USD per day. The size of the problem China faces must be understood.

    Every year the Chinese government has to find at least 24 million jobs in order to keep the economy going. Per year, even with the policy of birth control, the size of the Belgium population is added to China. So the size of the problem has to be take into account.

    China understands that in order to feed it's population it has no one else to rely on but itself. Over the past 50 years this was the priority was to feed this enormous amount of people. How has China done this ? In 2005 and 2006 China produced 480 million tonne of cereal grain, this is enough to feed all of the Chinese people.

    Even if China was rich enough today to buy everything from the world market there would not be enough. There is only 300 million tonne of cereal available on the world market. The world cannot feed China. The Chinese government is very clear and aware of this. Since the first day of the founding of the new China the ability to feed its people has been its main task.

    Concerning the energy question the world can also not help China. China has to rely on itself. China has increased its import of oil over the past years. China is the number one coal producer exporter in the world. In 2005 China's energy reliance rate was 91.84 %. China is 90 % energy self-sufficient.

    China is still faced with billions of problems, growing gaps between rural and urban areas, environmental problems and social tensions. The government is fully conscious of these problems and is promulgating laws and policies to address this.

    The bilateral relationship between Belgium and China is very important not only for China but for Belgium also. The Chinese government attaches great importance to this relationship. China and Belgium already have 35 years of good relations. Last year China has created a new embassy to Brussels just for bilateral affairs. For China, the importance of Belgium far exceeds the geographical size as well as the population of Belgium. Belgium is an important country for Europe, it is fully behind integration. China feels that a growing EU as a whole is good for world peace and security and it is for this reason that China has attached more importance to Belgium itself.

    There are a number of plans for promoting this relationship in the coming years. A five-year plan has been worked out for cultural exchanges. In the coming years there will be several exhibitions of art and photography. China has been designated as the guest of honour for Europalia in 2009.

    There are several areas where China and Belgium can work together as far as business is concerned, as far as space technology is concerned, as far as student exchange is concerned and so on. Hopefully Belgium will also see the importance of its relationship with China. Belgium will greatly benefit from its relations with China. Over the past years, China while developing itself, has created a lot of opportunities for the world. It has created an immense market for the world. Since China's accession into the WTO China has been importing goods that are worth 500 billion from different parts of the world each year. The total trade volume between Belgium and China had almost come to 10 billion Euro by the end of last year.

    It is more important to have more cultural exchanges, to have more educational exchanges and co-operation so that people really understand each other. There will be a direct flight from Beijing to Brussels by the end of the summer. It will only take 11 hours. Business people will have no excuses for not travelling to China. China is not so far away.


    6. Échange de vues

    M. Galand rappele que la Reine Elisabeth a fait énormément pour favoriser les relations, notamment culturelles, entre la Chine et la Belgique. Les relations entre nos deux pays sont déjà anciennes. Le débat nous permettra de voir comment nous pouvons encore les renforcer.

    M. Collas se demande comment, face à l'essor impressionnant de son économie, la Chine envisage de diversifier ses sources d'approvisionnement énergétique afin de répondre à ses besoins croissants. A-t-elle une stratégie bien précise ? Quels sont les objectifs de la Chine en matière de production d'électricité par le biais de centrales nucléaires ? L'énorme importance du charbon et le rôle exportateur de la Chine ont été souligné. Comment concilier cette stratégie énergétique avec les impératifs écologiques ?

    La presse financière considère que le yuan est sous-évalué et que sa parité avec d'autres monnaies ne correspond pas à sa force économique. Le développement d'un pays exige des financements solides. La question du secteur bancaire est donc posée. Sans financements solides, il n'y a pas d'investissements solides et vice versa.

    Sur le plan international, quelle sera l'attitude de la Chine au Conseil de sécurité face aux propositions anglo-américaines de sanctions contre l'Iran ?

    En ce qui concerne la politique intérieure, M. Collas demande si la Chine a l'intention d'adopter une loi dans le domaine religieux. La liberté de croyance inscrite dans la Constitution implique la limitation de l'ingérence de l'État dans les affaires religieuses. Comment l'appliquer concrètement ? La séparation doit être clairement établie. Quel est l'état des relations avec le Vatican à propos du sort des chrétiens en Chine ?

    M. Lionel Vandenberghe estime que tous les aspects, les aspects économiques de la société, d'autres dans les relations interpersonnelles et d'autres encore dans la problématique des peuples ou les questions religieuses ont leur importance dans les relations entre les pays et les peuples. Nous observons avec beaucoup d'admiration l'évolution, voire la révolution qui est en cours en Chine actuellement, mais nous nous posons aussi des questions et formulons des réserves sur cette évolution.

    M. Vandenberghe renvoie à une visite prochaine du Dalaï Lama en Belgique. C'est une personne qui possède un charisme considérable pour diffuser son message spirituel. Ses discours sont très spirituels et n'abordent pratiquement pas la dimension politique. Rien ne dit que le Tibet aspire à l'indépendance. L'intervenant s'interroge donc sur l'attitude de la Chine à l'égard du Tibet.

    Les exigences de Taïwan ne sont pas non plus très révolutionnaires. Ces deux pays tentent de cohabiter de manière harmonieuse avec leur grand voisin.

    M. Vandenberghe demande aussi des précisions sur l'attitude de la Chine à l'égard de l'église chrétienne en Chine.

    M. Wille estime qu'un pays qui connaît une croissance économique aussi forte que la Chine doit veiller à son indépendance énergétique. Nous avons vite tendance à parler d'un ton pontifiant de la gestion des autres pays et à souligner que la Chine tire 91 % de son énergie des mines de charbon, avec tous les effets néfastes qui s'ensuivent pour l'environnement. Il existe même des projets visant à élargir l'exploitation des mines de charbon. Il a pourtant été rappelé à la réunion euro-asiatique, à Helsinki, que de nouvelles catastrophes écologiques ne pourront être évitées que si des pays comme la Chine et l'Inde n'étendent pas leur propre infrastructure énergétique. Cependant, lorsque la Chine, qui est membre de l'OMC, tente d'acquérir des entreprises aux États-Unis, les autorités américaines s'y opposent sous prétexte que cette opération irait à l'encontre de leur intérêt stratégique. L'étape suivante consiste bien naturellement à condamner la Chine lorsqu'elle lorgne des pays à orientation énergétique, comme le Nigeria, le Zimbabwe et certains pays d'Amérique latine. M. Wille préconise une attitude nuancée.

    Comment sortir du paradoxe qui considère que la Chine peut se développer mais pas à notre détriment ? L'énorme excédent de devises étrangères qu'a la Chine implique que plus le prix de l'énergie sera élevé, plus il sera facile à la Chine d'acheter cette énergie au détriment des pays pauvres d'Afrique. Les activités actuelles de la Chine en Afrique soulèvent déjà de nombreuses critiques en raison de leur caractère mercantile et politique, l'énergie étant échangée contre des armes. Ne serait-il pas possible à l'avenir qu'en nous appuyant sur notre passé colonial et notre expérience dans ce domaine, nous lancions conjointement avec la Chine des projets favorisant l'émancipation de l'Afrique, non pas dans un but mercantile mais dans l'intérêt général ?

    Mme Zrihen fait d'abord référence à la liberté d'expression et à l'article 2 qui, au niveau européen, stipule que pour tous les accords de coopération, le respect des droits de l'homme est fondamental et conditionne les rapports économiques avec d'autres pays.

    Certes, il n'est jamais agréable de se voir adresser des reproches que certains considèrent d'ailleurs comme des leçons, mais il est fondamental de rappeler que l'essence même de la construction européenne réside dans le respect des droits de l'homme et des citoyens, lequel conditionne la croissance économique.

    Quoi qu'il en soit, nous sommes bien conscients que la transformation de la Chine a débuté il y a 28 ans seulement et que certains éléments sont inscrits dans les textes. Nous reconnaissons la volonté de ce pays à s'inscrire dans une évolution positive, comme l'a affirmé Mme Cox.

    En ce qui concerne l'internet, l'intervenant constate un paradoxe: ici, nous considérons que l'accès à la communication par le net favorise la démocratie. Nous y voyons un élément moteur de la croissance économique. Dans un territoire aussi important que l'Europe, l'internet constitue un réseau moteur qui permet la recherche, le développement et l'innovation. Il serait intéressant que cela soit entendu ailleurs.

    Mme Zrihen aimerait obtenir de M. Dougherty quelques précisions en ce qui concerne le capital humain. L'investissement dans le capital humain passe par l'alphabétisation, aspect très important non seulement pour la citoyenneté et la démocratie mais également parce qu'il permet la croissance économique. Quels sont le niveau d'éducation, l'âge, les moyens accordés pour que l'éducation se développe le plus possible ?

    Un autre volet est la consommation de l'énergie, fondamentale pour la croissance mais préoccupante pour l'environnement. L'Europe s'est engagée, dans le cadre du protocole de Kyoto, à agir pour le développement durable, question cruciale s'il en est. Il faut refuser une croissance à tout prix aux dépens de l'environnement.

    Dans le cadre des objectifs du millénaire, la réduction du taux de pauvreté retient également toute notre attention et nous serions heureux d'obtenir des informations à cet égard.

    Un autre aspect est la situation des femmes dans le développement économique et social. Quelle est leur place dans cette immense population de 1 300 000 000 habitants ? Qu'en est-il de leur représentation politique, de leur positionnement économique et dans d'autres aspects, comme l'éducation et le social ?

    Le dialogue stratégique entre l'Europe et la Chine est extrêmement important. Nous avons souhaité cette étude sur les BRIC parce que nous souhaitons participer à la construction d'un équilibre mondial, contrairement à ceux qui n'imaginent que des relations conflictuelles.

    M. Galand estime que la Chine et l'Inde sont des réservoirs extraordinaires de ressources humaines. Les populations de ces deux pays sont en devenir. Le processus de Bologne, qui a trait à la refonte des universités en Europe, pourrait-il favoriser les relations entre universitaires et chercheurs européens et leurs homologues chinois ? Comment stimuler la construction de ce genre de réseau pour répondre aux besoins économiques et, surtout, aux besoins de développement social, de construction de l'État de droit et d'amélioration des institutions judiciaires ?

    Sur le plan religieux, comment le gouvernement chinois envisage-t-il de faire la séparation entre l'Église et l'État ? Quelles garanties a-t-il l'intention d'offrir aux citoyens à cet égard ?

    En ce qui concerne l'intense pollution de l'air à Pékin, l'intervenant souhaite savoir si la Chine se préoccupe des objectifs de Kyoto.

    Réponses

    Mrs Zhang Qiyue states that Mr Lionel Vandenberghe has asked several specific questions. The exchanges between our two countries should be multi-faceted. The Chinese embassy and government are trying to expand the areas of co-operation in the cultural, educational and scientific fields.

    Concerning the two issues raised. First of all on the question of Dalai Lama. The Chinese position on this issue is that we do not think that Dalai Lama is a religious leader. The activities he has been involved in are mainly for the purpose of achieving separation of Tibet from mainland China. This is something we are against. For China national sovereignty, territory and integrity are very important issues. Tibet is seen as an autonomous region in China and it has also developed very well and made a lot of progress. There is freedom of religion in China, what we are against is separation from the mainland China. We are not against religious expression but we are against the separatist activities against the Chinese country.

    Concerning the question of Taiwan. Taiwan is part of China, it is a province of China. In Hong-Kong and in Macao we have adopted the policy of one-country-two systems. The model worked out concerning the one-country-two systems is the model proposed to use in the Taiwan situation. The central government is doing everything it can to achieve peaceful reunification.

    For China the well-being and the welfare of people in Taiwan are also very important. After the SARS epidemic and the bird flu situation there has been frequent contact between the two sides of the Taiwan state. The Chinese government signed a memorandum of understanding with the WHO secretariat last year which means that from now on Taiwan can participate in all the technical activities related to medicine and public health. The experts and staff from the WHO can also visit Taiwan to provide technical assistance. If any serious public health issue should break out the WHO can directly send its experts to Taiwan. These concerns have also been taken care of and there have been more exchanges and contacts between the two sides.

    The central government is doing its best to promote closer links in every aspects: more direct air links, more direct communication, personnel exchanges. The personnel exchanges between China and Taiwan are very frequent now.

    Over the past few years about 3 million people would visit the mainland China each year and about 1 million people from mainland China would go to Taiwan. There is already a close relationship and we hope that the Taiwan side will also try to be more responsive to this type of policy and attitude.

    The question of energy has also been raised. There is a strong energy need for China's economic growth. The diversified sources of energy is part of China's policy. China is the biggest coal-producing country. At the same time China is working very hard to achieve diversity of energy consumption. In the coming years China will be expanding its hydropower facilities. China is putting a lot of effort into new and renewable energy development. China is one of the first countries that has such a large proportion of renewable energy. China is also planning to expand its nuclear energy. Belgium has special knowhow in this field so China would also like to promote possible co-operation in this field, in the research and use of nuclear energy.

    In the coming years China will try to lower the per unit GDP energy consumption. This is a very specific target that China has set for the coming years. One of the targets not met in China's past five-year programme is the lowering or reduction of the per unit GDP energy consumption.

    Starting from now the government is putting greater stress on environmental protection and is very much aware of the grave consequences that coal-producing has brought about to the country's environment. The per unit GDP energy consumption will be reduced by 20 % in the coming five years. The total volume of the main pollution emission will be reduced to 10 %. This has been specifically allocated to each province and each city. From now on the provincial leaders or the city officials will be judged not only by the economic growth rate of its region but also by the environment rate. This is going to be one of the targets for judging the achievement of any level government leader. China has already exceeded the Kyoto protocol and is a full member of the Kyoto protocol. China is doing everything it can to implement this protocol.

    Mr Sean Dougherty would just like to highlight that China has done something that is quite astounding over the past 25 years and that is to detach growth from environmental pollution. What we typically found in the experience of many OECD member countries is that as they develop the overall stock of pollution increases at least in step with GDP.

    China was able to reduce its overall emissions over a substantial period of the recent reform period. However, as the ambassador pointed out, in the past five years this trend has reversed in the wrong direction. The kinds of priorities that are now being placed on reducing emissions is exactly the direction that needs to be pushed. We would suggest that when these targets, particularly at the province level, are suggested that it is done in a market friendly direction. The allocation of pollutants across producers should use market type mechanisms such as CAP and trade. We found in recent reviews of environmental policy that it can be done much more efficiently and at a much lower cost if these types of approaches are used.

    In terms of literacy China has achieved almost universal adult literacy. Its achievements in the area of higher education, particularly in the recent period, have been astounding. Its number of tertiary graduates has tripled over the past 7 or 8 years leading to an overall contribution to the stock of higher educated population that exceeds the EU and the United States individually. This is contributing to the overall capacity of the economy.

    However the achievements at the primary and secondary level have been somewhat less impressive, particularly in rural areas where education has often been under funded. The recent five-year plan has emphasised increasing the expenditure in this area.

    China has relied to a much greater extent than many OECD economies on private financing of education, in both the primary as well as tertiary levels. This is not necessarily a bad thing, however covering for the impoverished who can not afford to send their children to school is really an important priority.

    The achievements in terms of poverty reduction for the lowest poverty threshold have been relatively impressive. But the achievements in terms of reducing the higher poverty rate have been less impressive. Perhaps government transfer government policies can make some contributions to this goal.

    Mr Wille think once again some of the main point have been stressed. Something to add to this is the issue of pension funds. The simple fact that health insurance is almost non-existent or is only open to a far too limited number of people who can afford it is also an important issue. The middle class is growing. Growth is necessary to finance health insurance and to get it on its feet.

    Mrs Tanya Cox thinks that China clearly has great energy needs. When China is investing in other countries to secure its energy needs it should not see this as a zero sum game. I would urge China to use it's huge influence to usefully put pressure on their partners for improvements on the human rights front. This will not negate investment because China is such an important player that countries need China's investment.

    Mrs Zhang Qiyue states that China is in favour of the universal principle of human rights. China has included the respect and implementation and guarantee of human rights in its constitution. China is working hard to guarantee the human rights of every individual. China has not just started the campaign to guarantee human rights. Ever since the founding of New China this has been one of the goals of the Chinese government. With more economic development and with more wealth in the hands of the individuals they can better exercise their human rights. With the economic development over the past 20 years people have been able to enjoy their life and their human rights. They have a much better choice of schools and other means of personal development and this goes to show they have more rights.

    The fact that men and women should enjoy equal rights has been included in the basic law. This is a state policy, every sector has to abide by it.

    In recent years there has been more focus on China's energy needs and energy exploration of African countries. The African-China relationship has existed for quite some time, it is nothing new. Our good relations and good co-operation has existed for 50 years. Last year we celebrated the 50th anniversary of this Sino-African relation.

    There are two main characteristics. First of all this is truly self-self co-operation. China tries to help African countries while African countries have helped China in many ways. The projects China have carried out in Africa are the projects that are designated by the African governments themselves. Secondly our co-operation is not tied to any political conditions or requirements.

    In the past three years China has helped African governments to train their government management personnel. China has trained over 10,000 people over the past 3 years and it will continue with this. China has waived debts that the least developed African governments have with China. China has given them the best non-tariff access into the Chinese market.

    China has provided assistance in every field. Over the past 50 years China has implemented over 800 projects: buildings, hospitals, schools, stadiums and textile factories. China has also provided medical help to African countries. There are many rich countries who would probably give technical or financial assistance but would not send personnel on the ground to help the poor villagers in Afrika. China has people who, with the risk of getting AIDS and other diseases, have been there on the ground helping more than a dozen countries. This is the kind of co-operation China has with African countries.

    As far as religion is concerned it should be said that China is not a religious country but China respects freedom of religion. This is included clearly and specifically in China's constitution. In China there are more religious believers in Belgium. There are 100 million religious believers altogether. People have the freedom of expression, of choosing their religion or of believing in a religion. Only those violating the criminal law are punished. The vast majority of people enjoy freedom of expression.

    China has taken part in more international human rights laws than more developed Western countries. However, China is targeted as a country that does not respect human rights. This is not the situation in its laws or on the ground. People need to visit the country to see what China has done over the years.


    II. 2. RUSSIE

    Audition de:

    — S.E.M. Vadim Loukov, ambassadeur de la Fédération de Russie;

    — Mme Nina Bachkatov, journaliste indépendante et éditrice de www.russia-eurasia.net;

    — Madame Aude Merlin, titulaire du cours « La Chine et la Russie dans le vingtième siècle » à l'ULB.


    1. Exposé de M. Vadim Loukov, ambassadeur de Russie

    M. Loukov exprime d'abord l'espoir que les appréciations et propositions contenues dans le rapport de la Commission seront à ce point objectives qu'elles renforceront les liens politiques et économiques entre la Belgique, la Russie et les autres pays BRIC. Une telle analyse constructive fait en effet défaut dans certains documents — politisés et parfois accusateurs — d'organisations parlementaires concernant les relations avec la Russie.

    Comme beaucoup d'autres définitions économiques et politiques, le concept « BRIC » est de pure convention. Les quatre pays BRIC ont tous une caractéristique commune: ensemble, ils forment le peloton de tête de la croissance économique en dehors de la zone de l'OCDE. Cependant, chacun de ces quatre pays est unique à sa manière et dispose d'une gamme inimitable de caractéristiques économiques, politiques et culturelles. L'exemple de la Russie est éclairant à cet égard.

    Les réalités géopolitiques:

    Primo, la Russie est membre du Conseil de sécurité de l'ONU et du G8, de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. La Russie occupe une place unique parmi les pays BRIC compte tenu de la profondeur des liens historiques et de l'intensité du dialogue politique avec la Belgique.

    Secundo, pour l'industrie de l'Union européenne, la Russie est le partenaire stratégiquement important le plus proche. Il s'agit de l'économie la plus diversifiée des pays BRIC qui rassemble, d'une part, les secteurs des hautes technologies, comme l'aérospatial, la défense, le nucléaire et, de l'autre, un puissant complexe dans le domaine énergétique et des matières premières et un secteur des services qui se développe intensément.

    Tertio, l'économie russe a une potentialité de ressources unique, non seulement pour les pays BRIC mais aussi pour l'ensemble de l'économie mondiale. De plus, il ne s'agit pas seulement des réserves bien connues d'hydrocarbures mais pratiquement de tous les minéraux que connaît la science.

    Quarto, la Russie se distingue aussi des autres pays BRIC par le fait que son système juridique est le plus proche de la législation économique de l'Union européenne. Cela provient de ce que le gouvernement et le parlement russes s'alignent sciemment sur les standards du droit économique européen.

    La situation politique russe présente les quatre caractéristiques suivantes:

    — consolidation de l'État de droit démocratique après la période de crise des années nonante;

    — démantèlement des tendances séparatistes dans le nord du Caucase et renforcement radical de l'intégrité territoriale de la Russie;

    — mise sur pied simultanée du multipartisme, où trouvent leur place des partis de centre-droit ainsi que des partis d'inspiration socialiste et libérale;

    — augmentation de l'efficacité du pouvoir exécutif grâce aux réformes administratives, responsabilité accrue des gouverneurs pour le pouvoir exécutif fédéral et les assemblées législatives locales par la mise en place d'un système équilibré de contrôle mutuel pour combattre l'influence du monde des affaires sur l'élaboration des politiques.

    La stabilité politique a été, ces six ou sept dernières années, le facteur essentiel d'une croissance économique durable, d'un début de solution aux problèmes sociaux et d'une modification du mental de la population. L'idéologie de crise fait place à une idéologie de l'optimisme et à une confiance croissante de la population dans les possibilités du pays.

    Depuis sept ans déjà, l'économie de la Russie connaît une croissance stable et assez rapide. À l'occasion de la visite de S.A.R le prince Philippe en Russie, la délagation belge a pu apprécier le dynamisme du développement de l'économie russe. Une visite semblable ayant eu lieu en 2001, il serait opportun d'effectuer la comparaison au vue des changements intervenus ces cinq dernières années dans l'économie de notre pays et dans ses liens avec la Belgique.

    Au cours de ces cinq années, l'économie russe a connu elle-même de profondes transformations. La période de stabilisation d'après-crise de 1999-2000 a été suivie d'un cycle de croissance économique de longue haleine. Au cours de ces années, le PIB russe a augmenté en moyenne de 6,4 % par an, le taux le plus élevé parmi les pays du G8 et des PECO.

    La croissance économique russe n'est due que partiellement à l'augmentation des prix mondiaux des ressources énergétiques et des métaux exportés par la Russie. Au premier semestre 2005, la part de l'extraction des hydrocarbures représentait 15 % du PIB russe, la part des services 28 % et celle du commerce de gros et de détail 22 %. Cela témoigne de la diminution de la dépendance de notre croissance économique du secteur des ressources énergétiques et des combustibles. Cette année, malgré la chute de 10 % du prix du pétrole au deuxième semestre, le taux de croissance de l'économie russe a augmenté de 0,2 à 0,3 % et passera de 6,7 à 6,8 %. La chute des prix du pétrole et du gaz témoigne de l'accélération renforcée du développement économique de la Russie. Cette année, nous nous attendons à un changement qualitatif de la structure de la croissance économique, le rôle de ses principales locomotives passant du secteur énergétique à celui des services, des constructions mécaniques et de la construction.

    Le budget public est consolidé de façon qualitative. Un Fonds de stabilisation a été créé afin d'assurer la Russie contre une nouvelle crise de type 98 et de contenir l'inflation.

    Le graphique à l'écran illustre l'envergure du Fonds de stabilisation et la dynamique de sa croissance. Si l'on a commencé modestement avec 4 milliards de dollars en 2004, ce chiffre devrait atteindre 70 milliards de dollars à la fin de l'année prochaine.

    Les réserves en devises s'accumulent rapidement. Début octobre, elles étaient de 266 milliards de dollars. Selon cet indice, la Russie est le troisième pays du monde après la Chine et le Japon. Les réserves en devises du gouvernement sont quatre fois plus importantes que les réserves américaines et dix fois plus importantes que les réserves italiennes. En août dernier, la Russie a payé avant les échéances toute sa dette aux membres du Club de Paris, auquel la Belgique appartient.

    La dette extérieure constitue aujourd'hui moins de 10 % du PIB, tandis qu'en 2000 ce chiffre dépassait 54 %. La Russie est maintenant prête à créditer les autres membres du Club de Paris. Les charges fiscales sur l'économie russe sont les plus basses des pays du G8 et constituent 29,3 % du PIB. Au sein de l'Union européenne, la moyenne est de 42 %.

    La croissance économique permettra d'augmenter le budget fédéral en 2007 de 12 %, jusqu'à 267 milliards de dollars.

    Cela étant, la majeure partie de cette augmentation sera utilisée pour la montée rapide du financement des priorités nationales. Les programmes annoncés par le président Poutine pour améliorer la santé publique connaîtront l'année prochaine une augmentation de 72 %, le budget des logements municipaux pour les jeunes augmentera de 71 %, le développement de l'agriculture connaîtra une croissance de 33 % et, enfin, l'enseignement public verra son budget augmenter de 45 %.

    Un seul exemple pratique mettant en relief l'ampleur du financement des priorités nationales: cette année, en Russie, des classes d'informatique s'ouvrent chaque semaine dans 500 écoles publiques, c'est-à-dire que vers la fin de l'année 60 000 écoles disposeront de ces classes.

    La capitalisation des principales sociétés russes progresse. En 2005, l'indice boursier essentiel de la bourse russe des marchandises et des matières premières RTBS a augmenté de 83 %, ce qui est un succès remarquable, même sur un fond de croissance dynamique de la capitalisation des pays BRIC.

    L'ambassadeur attire une attention particulière sur l'accroissement rapide des investissements étrangers. Au cours des neuf mois de cette année, leur volume a augmenté de 41,9 %, une augmentation sans précédent, aussi bien pour la Russie que pour l'économie mondiale en général. Au cours des neuf mois de cette année, les étrangers ont investi dans notre économie environ 29 milliards de dollars. Selon ce critère, la Russie a devancé des pays comme le Japon et le Canada.

    Les exportations des biens en provenance de Russie pendant les neuf premiers mois de cette année représentent 196 milliards de dollars, soit 28 % de plus que pour la période de janvier à août 2005.

    Cela crée des conditions favorables à la croissance durable de l'économie russe. En 2007 ou 2008, le PIB russe dépassera le trillion de dollars. D'après les calculs de la banque Goldman Sachs, la Russie deviendra l'économie la plus importante de l'Europe en 2027 et son PIB s'élèvera à trois trillions de dollars.

    L'ambassadeur constate avec satisfaction les progrès enregistrés dans nos relations économiques bilatérales. Entre 2001 et 2005, le commerce belgo-russe a connu une progression de 1,8 et a atteint, l'an dernier, le montant de 5,74 milliards d'euros. Le volume des investissements belges a décuplé et dépasse actuellement les 2 milliards d'euros.

    Les principaux investisseurs sont InBev, qui représente 17 % du marché russe de la bière, Glaverbel, qui, dans ses deux usines russes, produit 80 % des vitres de voiture pour les pays de la CEI, de même que l'unique verre de qualité pour l'industrie de la construction, et Barco, qui fournit des instruments d'électronique aérienne.

    En 2005, le portefeuille belge des investissements réalisés en Russie a augmenté de 38 %. C'est le record absolu de ces cinq dernières années.

    L'ampleur de la délégation d'entrepreneurs — environ 280 personnes — qui s'est rendue à Moscou avec le prince Philippe confirme l'intérêt croissant du monde belge de l'entreprise pour la collaboration avec la Russie. La liste des membres de la délégation ressemble d'ailleurs à un guide de l'économie belge.

    Malgré tous les progrès enregistrés ces dernières années par l'économie russe, tant le monde des affaires que le gouvernement de notre pays sont toujours confrontés à de nombreux problèmes pour assurer une croissance économique de qualité. Le grand défi consiste à mieux tenir compte des possibilités qu'offrent aux hommes d'affaires la croissance économique russe et le potentiel du partenaire de longue date qu'est la Belgique.

    Quelles possibilités faut-il mettre en exergue en premier lieu ? L'ambassadeur souligne tout d'abord la coopération russo-belge dans le domaine du gaz, compte tenu des intentions du gouvernement de la Belgique de libéraliser le marché gazier et de l'attention croissante portée par la société Gazprom à l'organisation du transit d'échelle du gaz russe sur le marché britannique. Il s'agit notamment de la création, en Belgique, d'un réservoir souterrain de gaz d'une capacité de stockage de quelque 300 millions de mètres cubes et de l'entrée possible du gaz russe sur le marché local de votre pays.

    Ensuite, l'ambassadeur renvoie à la collaboration dans le domaine aérospatial, au vu de la réalisation en Russie de programmes de création d'un avion de ligne régional russe et de la navette spatiale Clipper. La maquette de cette navette sera exposée à l'Eureka à Bruxelles, du 23 au 27 novembre 2006. En même temps, un séminaire scientifique et commercial sera consacré à trois projets russes dans le domaine du transport spatial. Il aura lieu dans les salons de l'ambassade le 23 novembre 2006 et à l'exposition le 24 novembre 2006, pour les sociétés belges et internationales. Il revient aux dirigeants de la grande société russe spatiale Energia de contacter les parlementaires belges et de discuter avec eux des problèmes d'intérêt mutuel.

    Une autre opportunité est la coopération sur le marché mondial des diamants. La Belgique est l'acheteur traditionnel des diamants russes. En 2005, des firmes locales ont acheté des diamants bruts à la compagnie ALROSA pour un montant de 560 millions de dollars.

    L'interaction dans le domaine de la production des pièces de rechange et de l'assemblage automobile présente une autre opportunité très intéressante de coopération. Le marché russe de l'automobile, en croissance rapide, en a fortement besoin et la production d'automobiles et leur importation en Russie se développent à un rythme sans précédent.

    La production nationale a augmenté de 9 % au cours des neuf premiers mois de cette année et la production d'automobiles par des sociétés étrangères en Russie a augmenté de 40 % pour la même période. Personnellement, l'ambassadeur doute que la rapidité de cette croissance présente tant d'avantages, vu les embouteillages énormes dans les rues de Moscou !

    Actuellement, neuf usines de production ou d'assemblage de marques étrangères fonctionnent en Russie et on négocie encore avec dix sociétés. Dans trois ans, la production des marques étrangères atteindra 800 000 pièces par an et sera égale à la production nationale. En même temps, ici en Belgique, à la suite de la délocalisation de la construction et de l'assemblage des automobiles, plusieurs producteurs de pièces de rechange d'automobiles se heurtent aux problèmes liés à la vente de leur production. Leurs principaux acheteurs se déplacent en Orient. Il serait donc logique de réorienter ces entreprises pour desservir le marché russe. Une synergie serait réellement nécessaire dans ce monde si dur de la concurrence globale.

    Une autre possibilité de coopération se situe dans le domaine de l'énergie nucléaire. L'ambassadeur met ici l'accent sur le dialogue productif entre la firme Belgonucléaire et l'Agence fédérale Rosenergoatom concernant l'utilisation de la technologie belge de la production de combustible nucléaire de plutonium d'origine militaire pour des centrales nucléaires.

    Venons-en enfin à la coopération dans le domaine chimique. Ici, on peut s'appuyer sur divers éléments: d'une part, l'expérience et le potentiel énorme, historique et moderne de la Belgique, la capacité d'absorption du marché russe et, d'autre part, une base de ressources naturelles et le besoin de modernisation de notre industrie chimique.

    L'industrie chimique russe est en plein essor. Les capacités de production de la période soviétique tournent pratiquement à plein. Il faut les élargir et les moderniser. Pourtant, il serait faux de voir les liens économiques en rose. Les parlementaires belges devraient tenir compte des points sensibles de la coopération commerciale et économique.

    Les entrepreneurs belges se montrent toujours trop timorés sur le marché russe. Si l'on compare avec les investissements à grande échelle réalisés par les quelques firmes importantes précitées, les hésitations et les inquiétudes des PME sont frappantes. Cela vaut surtout pour la Wallonie. On consacre beaucoup trop de temps à étudier le marché russe. Il est erroné de croire que vu l'ampleur du marché russe, il n'est jamais trop tard pour s'y aventurer.

    L'ambassadeur cite deux exemples. Pour les producteurs belges de logiciels bancaires, il est déjà cinq ou six ans trop tard pour pénétrer le marché russe. Entre-temps, ce marché a atteint une valeur équivalant à des millions d'euros. La même situation vaut pour les producteurs belges de matériaux de construction. Les meilleures places ont été conquises depuis des années par les Italiens, les Allemands et les Finlandais. Il pourrait en être de même du projet de parc industriel belge dans la région de Moscou. Les discussions concernant ce projet sont déjà en cours depuis un an. Entre-temps, le terrain disponible suscite de plus en plus l'intérêt des entrepreneurs russes et étrangers. Ils sont conscients de tous les avantages que l'implantation d'un site de production peut offrir, dans une région qui compte environ 20 millions d'habitants. Les conditions favorables dont le monde belge des affaires peut bénéficier dans cette région ne seront pas éternelles.

    Il est indéniable que les entrepreneurs russes intéressés par le marché belge sont effrayés par les tracasseries administratives propres à la Belgique et par la répartition compliquée des compétences entre les autorités fédérale, régionales et communales. En outre, les entrepreneurs russes ont du mal à obtenir un visa. Il est beaucoup plus facile pour les hommes d'affaires belges d'obtenir un visa pour la Russie.

    L'ambassadeur évoque l'accélération, durant les douze ou dix-huit derniers mois, du processus de ratification par la partie belge des accords bilatéraux importants pour le développement des relations économiques et commerciales, des échanges scientifiques et des échanges culturels. Cet entassement de documents, qui attendaient depuis cinq ans d'être ratifiés, a été liquidé grâce à la direction du SPF des Affaires étrangères et aux honorables parlementaires.

    L'ambassadeur espère que l'analyse constructive et pragmatique des problèmes et des perspectives du développement de la Russie et des relations bilatérales aidera les gouvernements des deux pays à promouvoir avec davantage de succès notre coopération pour le bien de nos peuples.


    2. Exposé de Mme Nina Bashkatov, journaliste indépendante et éditrice de www.russia-eurasia.net

    Depuis deux ou trois ans, les relations entre la Russie et les Occidentaux se sont nettement détériorées. Les relations de la Russie avec une série d'autres pays sont excellentes, voire meilleures que jamais. Le phénomène est donc essentiellement occidental.

    Les tensions actuelles entre les Occidentaux et la Russie sont, en partie, le résultat d'une série d'incompréhensions depuis l'écroulement de l'Union soviétique.

    Il y avait une vision caricaturale de ce qu'était le communisme, du pays et des gens qui étaient capables d'émerger après 70 ans de dictature d'un parti unique et d'une économie planifiée. Les Occidentaux s'attendaient à ce que les gens émergent de cette période légèrement « sonnés », incapables de prendre des initiatives faute d'habitude, que ce soit en politique ou que ce soit pour organiser une économie moderne. Ils pensaient que les Russes auraient besoin d'une armada de conseillers et d'acteurs de terrain étrangers pour pallier leurs insuffisances.

    À cet égard, la Trilatérale vient de publier un intéressant rapport sur le sujet. L'évolution est révélatrice. En fait, la population a fait preuve d'énormément d'initiative et d'une grande aptitude à se réorganiser pour profiter des possibilités nouvelles. Le succès a certes été inégal. Si certains ont su tirer parti des réformes, d'autres ont été laminés. Aujourd'hui encore, il existe un important fossé entre les générations qui ont mené les réformes économiques et les élites qui ont mené les réformes politiques. Dans l'économie, l'âge moyen du personnel dirigeant est de 35 ans alors que l'âge moyen du personnel politique se situe entre 45 et 50 ans. Cela explique en partie le décalage entre le développement et la réforme de l'économie et la progression dans la formation de la démocratie.

    Ce n'est pas la seule raison, mais elle est certainement importante. Par ailleurs, il est plus facile de mener, par exemple, des réformes bancaires que de décréter la mise en place d'un système démocratique performant, profitant à une population qui s'y intéresse.

    Un autre facteur qui a influencé les relations est le facteur géographique. Il est vrai que la géographie, beaucoup plus que la culture et l'histoire, influence la perception que les Russes ont de leur propre position dans le monde. C'est à partir de cette perception qu'ils ont élaboré leurs doctrines de politique étrangère, de sécurité et de défense. Cet élément est donc extrêmement important, y compris dans ce débat relatif aux BRIC: géographiquement, la Russie est proche de deux grands pays du BRIC, avec lesquels elle développe d'ailleurs d'excellentes relations.

    Toujours concernant la géographie, il est important de se rappeler que les frontières actuelles de la Russie ne correspondent à aucun épisode de son histoire. Ce sont des frontières artificielles à l'intérieur desquelles elle ne se sent pas du tout à l'aise. En effet, il s'agit de frontières immenses, indéfendables par des moyens militaires conventionnels. Par conséquent, la diplomatie russe s'attache à compenser le sentiment de vulnérabilité et d'encerclement que cette situation induit en essayant de développer le long de ses frontières un cercle de pays qui, s'ils ne sont pas amis, lui sont au moins relativement favorables. En conséquence — et cela explique une série de réactions à la politique européenne du nouveau voisinage — les Russes tendent à percevoir l'arrivée de nouveaux acteurs dans ce qu'ils considèrent comme leur ceinture de sécurité comme une intrusion ou en tout cas comme un danger potentiel. Cela peut, parfois, bien fonctionner, dans la mesure où cela se fait de manière claire et de façon non hostile.

    Exemple positif: l'installation des bases américaines en Asie centrale. On craignait de graves problèmes diplomatiques. Or, cette installation a été menée de façon très simple et naturelle, dans la mesure où elle s'inscrivait dans un objectif commun — la lutte contre le terrorisme — et qu'elle avait été négociée clairement entre les différents acteurs.

    Un autre exemple d'une « erreur de perception »: on a, d'un côté, l'Occident qui considère avoir gagné la guerre froide et, de l'autre côté, les Russes qui considèrent que la fin de l'Union soviétique résulte d'une démarche volontariste de leurs propres citoyens, désireux d'en finir avec le système communiste et de s'aligner sur les standards occidentaux. J'insiste sur le fait que l'Europe était perçue non pas comme une notion géographique, mais comme une manière différente de gouverner et de se gouverner.

    La troisième erreur résulte de la précédente: croire, comme au cours des années nonante, que le but des réformes menées en Russie était de la transformer en une sorte de pays occidental. C'était une profonde erreur. Il ne s'agissait pas de copier le modèle, mais d'essayer de l'adapter à la réalité russe.

    Les mauvaises perceptions occidentales enregistrées à cette époque sont bien entendu liées à la situation existant dans la première partie des années nonante: un petit groupe de démocrates — généreux, mais aussi très naïfs et très inexpérimentés en politique — ont cru qu'il était possible de démocratiser rapidement le pays. La démocratisation était vue comme une manière d'empêcher le parti communiste de revenir au pouvoir et ils pensaient qu'à partir du moment où le pays serait démocratisé sur le plan des institutions, tout se mettrait automatiquement en place: l'économie de marché apparaîtrait, les relations internationales seraient modifiées, etc. Bien entendu, les choses ne se sont pas passées comme cela. Ils ont détruit le système politique, ce qui était finalement une bonne chose, mais ils ont aussi détruit le système économique et le système social.

    En Russie, comme dans la plupart des autres républiques, les gens ne se souviennent plus de l'élan d'enthousiasme qui prévalait à la fin des années 80 et au début des années 90. Ils se souviennent des dévaluations qui ont ruiné tous les petits épargnants, des salaires et des pensions qui n'ont pas été payés, parfois pendant des années, de la perte de dignité que cela induisait et de la vision que cela créait, notamment auprès des investisseurs étrangers qui ont pu mettre la main, à des prix extrêmement bas, sur une série de richesses naturelles, puisqu'il n'y avait pas de concurrence du marché national.

    Si l'on peut comprendre la nostalgie occidentale pour cette période dite démocratique, on comprend aussi que le résultat a été — et il est très difficile pour la population de s'en remettre — une dévaluation de la notion de démocratie politique car elle était associée à des inconvénients.

    Au fil du temps, l'image de la société démocratique à l'occidentale a été dévaluée en Russie même. Ce phénomène n'est pas sans rappeler ce qui se passe actuellement dans les pays musulmans où les gens commencent à regarder notre société occidentale à travers un autre prisme. Ils la voient comme une société sans âme, égoïste, peu cultivée, dont le but est de gagner de l'argent et de consommer. Paradoxalement, cette vision beaucoup moins positive n'est pas créée, comme auparavant, par la propagande ou par le fait que les gens n'ont aucun contact avec la société occidentale mais, au contraire, par le fait qu'ils ont un contact avec notre société, à travers les voyages individuels, le cinéma, l'internet. Cela explique la grande confusion de beaucoup d'analystes occidentaux qui se demandent pourquoi toute une série de commentateurs, politiciens, journalistes qui étaient pro-occidentaux voici dix ans, sont devenus anti-occidentaux. Ils ont pris conscience des enjeux de leur propre société et des problèmes que nous connaissons chez nous. Ils ont donc opéré un réajustement intellectuel.

    Mme Bashkatov dresse d'abord un bref portrait d'une série de faits actuels.

    La situation économique est d'abord marquée par une tentative de réparer les excès des privatisations des années 90, en réintroduisant l'État, notamment dans des secteurs dits stratégiques. La seconde partie de cette stratégie consiste, à partir du moment où l'État a repris un certain degré de contrôle, à l'ouvrir à des participants étrangers, notamment via des IPO, très souvent situés à Londres.

    On constate également une approche de la gestion très moderne et très internationale. En effet, depuis ces dernières années, une série de grandes compagnies russes ont engagé des managers étrangers, malheureusement très peu d'Européens et beaucoup d'Américains, mais cela n'est la faute ni des Russes ni des Américains, d'ailleurs.

    Une nouvelle évolution réside dans l'investissement par les investisseurs russes. Il ne s'agit plus, comme avant, de blanchir de l'argent ou de faire de l'évasion fiscale mais bien de pratiquer de véritables investissements industriels. Ils se font à deux niveaux: d'abord à l'intérieur de la Russie, dans le but d'investir dans des secteurs nouveaux. Les investissements se font également au niveau international, ce qui suscite cette question récurrente en Occident: est-ce l'argent de la mafia qui est investi ? La plupart du temps, d'industriels suffisamment intelligents pour se rendre compte que, dans un monde globalisé, il faut sortir de Russie.

    Quant à l'agriculture, les chiffres qui ont été cités donnent l'impression d'une augmentation alors que l'agriculture est véritablement le secteur laissé-pour-compte, non seulement de l'économie mais également de la société russe. Le désespoir dans les campagnes est tout à fait perturbant. On peut également déplorer une absence complète de représentation politique des régions rurales, ce qui crée un déséquilibre dans la représentation politique russe.

    En politique intérieure, on constate une incapacité de voir se développer une opposition démocratique. Certes, il est courant d'accuser le pouvoir et ses manœuvres, mais le problème est essentiellement lié à l'incapacité des gens qui se disent démocrates de trouver un support public, même dans la classe moyenne qui se développe.

    Il est étonnant de constater que la classe moyenne qui est en train de se développer et qui supporte normalement les partis plus libéraux ou plus socialistes reste en fait attachée aux partis actuels qui sont pro-gouvernementaux.

    Les démocrates, comme on les appelle, ou les libéraux, continuent à véhiculer une image de l'intelligentsia russe tout à fait dépassée selon laquelle les intellectuels — ou une petite classe de la population — ont le droit et même le devoir d'interpréter les problèmes de la population. La Russie n'est plus du tout dans ce schéma.

    Un exemple: selon un sondage effectué en août dernier par une organisation réputée, le désenchantement du public à l'égard des partis d'opposition tient à une série de facteurs comme leur arrogance ou leur concentration sur leur propres intérêts mais surtout à leur incapacité à lancer de nouvelles idées capables de séduire l'électorat. Le problème est que faute d'opposition « normale », les communistes étant en recul constant, on a vu le pouvoir essayer d'organiser lui-même un système dual avec une opposition, l'idée étant de constituer un système de type américain ou britannique, avec deux partis qui s'opposent. Cela semble une utopie absolue parce qu'il est impossible de créer une opposition quand on est au pouvoir.

    En l'absence d'opposition, le risque existe de voir des partis extrêmes se développer et profiter du vide existant. Un deuxième risque est que l'opposition, qui n'a pas d'existence politique, se développe à l'intérieur du parti qui détient le pouvoir. C'est ce qui se passe actuellement. On observe des luttes de clans, des luttes personnelles à l'intérieur des structures du pouvoir. Le président se trouve donc constamment dans le rôle difficile d'arbitre, qui n'est finalement pas son pouvoir mais qui est une sorte de compensation au fait qu'il n'existe pas de vraie démocratie à l'occidentale.

    Il faut savoir aussi — on retombe là dans l'héritage communiste — que la démocratie reste suspecte aux yeux d'une vaste majorité de la population, et ce pour une raison très simple dont on ne parle pas suffisamment, à savoir qu'elle apparaît comme un facteur de désordre et de désunion sociale.

    Les gens disent que la démocratie, c'est tout le monde contre tout le monde, c'est diviser la population en classes d'intérêts, en classes d'âges, etc. Pour la majorité de la population, la démocratie devrait être un facteur de cohésion sociale. Pourquoi ? Parce que le communisme était perçu comme l'inverse, comme un système qui se consolidait en dressant une partie de la population contre l'autre. Dans la mentalité de nombreuses personnes, si on abandonne le communisme, on abandonne aussi cette notion de division sociale pour garder le pouvoir, alors que la démocratie devrait être l'inverse, c'est-à-dire une forme de cohésion.

    L'obsession des élites russes est clairement de ne plus permettre un retour à la situation qui existait en 2000, lorsque le président Poutine a pris le pouvoir, à savoir une Russie incertaine d'elle-même et dépourvue de pouvoir sur les grandes décisions internationales. D'ailleurs, certains chercheurs ont dit de la Russie qu'elle était un objet et qu'elle voulait devenir un sujet des nouvelles définitions de la politique internationale. Cela résume pratiquement tout le débat actuel sur le rôle que veulent jouer les Russes dans le monde. Accorder la priorité à l'économie est la façon de rendre sa grandeur à la Russie. Les diplomates russes à l'étranger ont comme mission de présenter leur pays comme une grande puissance économique attrayante et d'attirer les investisseurs.

    Il existe aussi une volonté de présence dans le monde entier. Depuis deux ans des délégations russes, y compris le président, visitent toute une série de pays dont la Russie était totalement absente depuis des années, notamment en Afrique et en Amérique latine. La Russie a également la volonté très claire de s'inscrire dans la globalisation.

    La Russie n'a pas peur de la globalisation, mais craint de rester en dehors de celle-ci.

    Les BRIC sont une réalité de la politique étrangère russe puisqu'un accent très important est mis sur les rapports avec la Chine et avec l'Inde sur le plan tant diplomatique qu'économique.

    L'an 2007 est marqué par plusieurs campagnes électorales: d'abord pour les élections parlementaires, ensuite pour les élections présidentielles. L'accent sera dès lors mis sur la réalisation des programmes en cours plutôt que sur le lancement de nouveaux projets ou d'initiatives nouvelles. On n'entre donc pas vraiment dans une période de stagnation, mais dans une période où il n'y a plus de grandes offensives lancées sur tous les plans.

    La transition se fera sous la forme d'une démocratie indirecte. Cela signifie que le président choisira lui-même son successeur. Il ne sera toutefois pas question de rapports personnels ou de quelques caprices, car le président teste la réaction de l'opinion publique vis-à-vis de certains noms qu'il pourrait lancer. Il tient compte de l'avis des citoyens à propos de son candidat.

    Les sondages montrent que, dans la mesure où 70 % de la population font confiance à leur président, les électeurs ratifieront le choix qu'il aura fait. C'est pour eux une façon de montrer qu'ils lui font confiance.

    À défaut de construire très rapidement une démocratie sur le modèle occidental, la population russe s'organise, sans ONG occidentales, pour défendre ses intérêts relativement immédiats. Il y a énormément de manifestations, de mouvements de support, de piquets, de blocus organisés par des citoyens généralement ordinaires, qui protestent contre une situation qu'ils jugent intenable.

    Fin 2006, à Moscou, un blocus a été lancé par des gens possédant des maisons dans un petit village au sud de la ville. On veut détruire leurs maisons pratiquement sans compensation avec la connivence des promoteurs et des autorités régionales ou municipales. Les gens campent sur place, protestent, empêchent les bulldozers de détruire leurs maisons. Les images passent à la télévision, on voit les policiers qui matraquent des personnes âgées, etc. C'est donc une réalité.

    Il y a aussi tout un mouvement d'appel aux tribunaux pour des questions de malfaçons ou d'erreurs médicales. Le droit des consommateurs est un élément important. On dit en riant que les juges tendent une oreille favorable aux plaintes des citoyens parce qu'ils sont eux-mêmes consommateurs.

    Tout un mouvement existe et il serait erroné de l'ignorer. La chambre publique avait été un objet de moquerie dans la presse occidentale et une partie de la presse russe. Or, dans le cas du village, les habitants ont fait appel à des membres de cette chambre, qui sont allés camper sur place avec eux, pour être certains qu'un maximum de publicité serait donné à leur action.

    Par ailleurs, si l'on peut admettre que la démocratisation prend du temps et être de ce fait quelque peu indulgents, le risque existe que le terrain politique soit occupé par des groupes assez sinistres, d'autant plus dangereux que la population est très peu politisée et n'a ni les armes pour répondre ni parfois la volonté de réagir.

    Mme Bashkatov se réfère aux mouvements d'extrême droite, aux mouvements de skinheads — leurs modèles sont les skinheads occidentaux — qui se sont maintenant emparés de la cause des immigrés illégaux et trouvent un terrain favorable dans une population exaspérée par l'immigration illégale.

    Le pouvoir ne peut pas non plus s'en laver les mains, dans la mesure où l'immigration illégale est en grande partie le résultat de la corruption de la police et des autorités municipales qui acceptent de fermer les yeux sur le nombre d'immigrés.

    Enfin, sur le plan international, la tension va persister entre, d'une part, la Russie et l'Union européenne et, d'autre part, la Russie et les États-Unis. En effet, ces derniers sont en campagne électorale et vont le rester. Puisque la plupart des démocrates adhèrent aujourd'hui aux reproches adressés au président Bush, sur les interventions en Afghanistan et en Irak ainsi que sur toute une série de politiques étrangères controversées, il est évidemment plus facile d'attaquer sa politique russe.

    La presse russe est en train de subir une transformation financière fondamentale, extrêmement discrète, portant sur la propriété. La presse russe ressemblera fortement à la presse occidentale dans quelques années car les titres passent les uns après les autres sous le contrôle de grands groupes financiers. Ceux-ci investissent par souci de rentabilité mais aussi parce qu'ils sont intéressés par le boum de la publicité en Russie. Cette explosion est due à la croissance très forte de la consommation.

    L'intérêt de ces groupes ne porte donc pas sur la liberté ou la qualité de la presse; il s'agit simplement d'un secteur rentable. On assiste à une convergence de groupes industriels russes, par exemple Profmedia qui vient de racheter plusieurs médias électroniques et qui est en train de construire un empire basé non pas sur l'établissement d'un climat politique intéressant pour le Kremlin mais sur la rentabilité. Et ils le font très bien. En outre, les concurrents des Russes, qui sont parfois leurs partenaires dans les groupes de presse, sont les mêmes grands groupes occidentaux contre lesquels nos propres journalistes se battent aujourd'hui pour la liberté de la presse.

    On saute l'étape de la liberté de la presse, telle que nous l'avons connue à une époque, pour passer directement à ce que nous connaissons aujourd'hui, c'est-à-dire une presse centrée sur ce qui est rentable: le magazine et le people, tant à la télévision que dans les radios.

    Bref, ceux qui parlent aujourd'hui des oligarches qui tenteraient de contrôler la presse pour créer un contexte électoral favorable au Kremlin, mènent un combat d'arrière-garde et les journalistes russes eux-mêmes commencent à réaliser que le danger est bel et bien réel pour le futur.

    Je suis frappée par le nombre de séminaires et de conférences qui sont actuellement organisés, notamment à Bruxelles, sur la coopération transatlantique pour l'énergie. Dans ce cas aussi, les Européens sont en train de se tromper de combat. La solidarité transatlantique doit être maintenue car il s'agit d'un simple réalisme politique mais, dans le domaine de l'énergie, nous sommes des concurrents.

    Il est assez extraordinaire de voir qu'aussi longtemps que le nouveau développement russe, par exemple à Shtokman et à Sakhaline, portait sur l'envoi de gaz liquide aux États-Unis, il n'y a jamais eu de protestation quant à la sécurité énergétique de l'Europe. Depuis qu'il a été décidé que des problèmes se posaient à Sakhaline, qu'il conviendrait de revoir le PSA, et que le gaz de Shtokman serait envoyé dans le pipeline nord baltique, vers l'Allemagne et l'Europe occidentale, tout à coup, des cris d'orfraie sont lancés d'un peu partout quant à la sécurité énergétique qui serait menacée. Nombre de conférenciers américains sont préoccupés par notre sécurité énergique ! Il ne faut pas se leurrer: il n'y aura pas de l'énergie pour tout le monde. Nous sommes tous en concurrence les uns par rapport aux autres.


    3. Exposé de Mme Aude Merlin, titulaire du cours « La Chine et la Russie dans le vingtième siècle », ULB

    Le mode de constitution de l'État russe a nécessité plusieurs étapes. Pour mieux comprendre les problèmes actuels, il fallait les réinscrire dans une perspective historique.

    Lorsque M. Poutine a reçu des experts et des chercheurs occidentaux à Moscou le 9 septembre 2006, il a souligné les défaillances du système pluripartite russe. L'adjoint du chef de l'administration russe, M. Sourkov, a fait un constat similaire.

    En revenant quinze ans en arrière, cela permet de réinscrire, dans l'histoire post-soviétique, les deux mandats de Vladimir Poutine, et d'examiner si l'on ne se situe pas davantage dans des logiques de continuité que dans des logiques de rupture.

    Ce qui est tout à fait fondamental c'est l'idée de désordre par rapport à la démocratie.

    Mme Merlin est opposée à toute forme de culturalisme. L'humanité se développe selon des critères économiques, sociaux, politiques. À la différence des pays d'Europe centrale et orientale qui ont connu le multipartisme durant l'entre-deux guerres, la Russie ne possède pas cette expérience. La Russie manque donc de repères historiques de partis qui ont déjà existé. L'idée de parti est très négative en Russie. Les sondages au début des années nonante montraient qu'en Russie, le parti était l'institution qui suscitait le plus de méfiance dans la population.

    Il faut ajouter à cela l'imbrication de deux logiques: la logique de transition et celle de la mutation politique qui, dans une vision eschatologique, idéale, de construction de la démocratie, a été mêlée à des réformes économiques. Or ces dernières ont été vécues par de larges pans de la société et des élites comme des diktats de l'Occident qui imposaient que l'on construise en même temps la démocratie et l'économie de marché, avec comme feuille de route pour l'économie de marché des réformes d'une brutalité inouïe accompagnée d'une paupérisation tout aussi inouïe de la population russe. Il fallait voir ce que vivait la population en Russie au début des années nonante sur le plan de la survie économique et matérielle avec parallèlement une grande perte de repères en termes d'identité en raison de ce décrochage successif des États anciennement satellites de l'Union soviétique.

    Il est absolument fondamental d'avoir tout cela en tête pour comprendre la suite. Il y eut donc, dès le début en quelque sorte, un discrédit de la démocratie comme concept dans la société russe. Cela n'a pas empêché cependant un certain nombre de réformes démocratiques d'être mises en œuvre, dont certaines avec un succès réel, d'autres avec des périodes de stagnation et de recul.

    On ne sait pas très bien dans quelle phase on se situe dans un temps long. Est-ce une période de reflux d'un certain nombre de critères ? La démocratisation reprendra-t-elle ou est-ce un moment de blocage ? C'est difficile à dire. Mais dès 1993 se posent la question de la séparation des pouvoirs, la question de la culture du dialogue politique et la question de la gestion des conflits. Car le conflit apparaît de façon légitime dans la société russe post-soviétique. Mais encore faut-il savoir le gérer par la culture du dialogue.

    Ainsi ce qui est produit comme texte fondamental pour réguler la vie post-soviétique, à savoir la Constitution, est le fruit d'une attaque armée du parlement. La Constitution résulte donc de cette confrontation armée qui avait pour objet les questions économiques et sociales, ce qui indique à quel point les problématiques économiques et politiques sont imbriquées. Les réformes économiques ont influé très fort sur la perception de la démocratie et de la vie politique. Le bombardement du parlement russe, un parlement élu avant la fin de l'Union soviétique, laisse donc des traces dans une Constitution qui donne de larges prérogatives au président, au pouvoir exécutif.

    D'après certains analystes russes, ce qui s'est passé en 1993 a cassé dans une très large mesure un certain nombre de limites ou de réticences qui auraient dû gérer les relations politiques.

    L'intervention militaire de large ampleur menée en Tchétchénie en décembre 94 était autorisée par ce qui s'était passé en 1993. La ville de Grozny a été bombardée à deux reprises en 1994 et en 1999.

    Quant à la construction du pluralisme politique, formellement, institutionnellement et dans la réalité politique, un ensemble de normes démocratiques sont avérées et mises en œuvre avec une pluralité de candidatures et de partis que le législateur a tenté d'encadrer progressivement. C'est un peu le sens du constat de M. Poutine en septembre 2006: notre multipartisme est déficitaire, déficient. Que faire pour consolider le pluralisme et la pluralité de l'expression politique ?

    Une loi adoptée en juillet 2001 visait à clarifier le statut des partis en tentant de renforcer et de sérier l'expression du pluralisme politique. Dans de nombreuses sociétés postsoviétiques, notamment la Géorgie, des dizaines de partis politiques locaux se créaient avec quelques membres et servaient souvent pour diverses formes de rétribution symbolique ou matérielle selon les enjeux locaux des leaders ou des fondateurs de ces partis. Cette loi dispose qu'un parti ne peut être reconnu que s'il existe réellement; il doit aussi avoir un minimum de membres.

    Un autre moment important de l'encadrement de la vie politique est le vote en 2004 d'un certain nombre d'amendements qui ont fait passer le seuil d'entrée à la Douma de 5 à 7 % et ont resserré le paysage du pluralisme partisan.

    Un autre élément semble fondamental pour comprendre la situation. Il y a ce discrédit démocratique dû au désordre et au fait que les démocrates ont rapidement perdu une certaine forme de légitimité ou d'adhésion dans la société russe car, au moment où ils développaient leur discours sur la démocratie, les familles russes souffraient beaucoup.

    Par ailleurs, si à la Douma, 225 députés sur 450 étaient élus au scrutin de liste, les citoyens ne pouvaient avoir qu'une mauvaise image de la représentation politique dans un parlement déjà affaibli par les institutions russes nées en 1993.

    Une autre conséquence de ce texte de la Constitution russe de 1993 est que, comme cela a été le cas en 1993 et en 1995 au moment des élections législatives, si un parti arrivait en tête, le président pouvait proposer au poste de premier ministre une personne qui n'appartenait pas au parti vainqueur.

    Avec les prérogatives constitutionnelles du président qui peut dissoudre, au bout du troisième refus de la Douma, on sait évidemment que c'est le choix du président qui passait et que celui-ci ne reflétait pas du tout l'élection. Quelle perception l'électorat pouvait-il avoir de l'élection et quelles sont les conséquences pratiques de l'acte d'élire ?

    Comment a évolué cet espace public, en particulier durant les premières années du deuxième mandat de Vladimir Poutine ? Peut-on établir un lien entre la reprise du conflit tchétchène et les évolutions politiques en Russie ?

    Il est intéressant de se poser des questions à ce sujet. Il y a à la fois des questions internes à la Russie et des questions liées à ce qui se passe à l'extérieur de ce pays, en particulier aux États-Unis. On l'a constaté dans les réponses de M. l'ambassadeur. On est parfois tenté de vouloir établir des comparaisons avec les États-Unis. Il est évident que ce que faisaient les États-Unis ou l'OTAN diminuait les réticences de certaines initiatives côté russe. On sait comment les interventions au Kosovo et en Tchétchénie ont été perçues en Russie. Les autorités russes ont adopté le raisonnement suivant: Les États-Unis et l'OTAN ont leur pré carré, nous aussi. Nous n'avons donc aucun problème à gérer ce que nous considérons à juste titre comme étant une affaire intérieure, contrairement à ce que pourraient dire les États-Unis.

    Là aussi, certains facteurs externes nous interpellent. Il y a la position du chercheur qui essaye de comprendre et d'analyser; la position des politiques qui s'interrogent quant à la manière de construire un partenariat et quant à leur rôle en se disant qu'ils ne sont pas là pour critiquer.

    Si l'on regarde l'évolution du paysage politique, médiatique, social ou sociétal en Russie et ce qui se passe dans le Caucase du nord, on constate qu'il existe certaines connexions, pas forcément directes. En effet, si l'on revoit le calendrier des événements, on s'aperçoit notamment que l'arsenal législatif adopté par le parlement russe l'a été à des moments cruciaux de l'évolution du Caucase du nord.

    L'on se souviendra l'arrivée du président Poutine — d'abord nommé premier ministre par Boris Eltsine, ensuite président faisant fonction et élu président en mars 2000 — s'est faite concomitamment à la reprise de la guerre. La réforme de mai 2000 pouvait être tout à fait souhaitable par rapport à la nécessité de la restauration de l'État et à la décennie nonante qui était une décennie de grand désordre à certains points de vue, y compris sur le plan du fédéralisme. Il y avait des négociations et des tractations bilatérales au sujet de la fédération entre les régions et le pouvoir fédéral qui, souvent, contournaient largement la Constitution et l'arsenal législatif. En mai 2000, le président Poutine a édicté un décret qui visait à créer sept super-régions et donc à centraliser en nommant des super-préfets et à mettre en place ce qu'il a appelé la verticale du pouvoir. Il y a eu aussi l'expression de la dictature de la loi et celle de la démocratie dirigée. Le président Poutine lui-même l'assume totalement en disant que la Russie n'est pas une démocratie à l'occidentale mais une démocratie dirigée. Pour lui, on n'est pas encore dans ce type de débat.

    Il y donc eu, en mai 2000, un décret sur la reprise en main des régions et cette mise en place de la verticale du pouvoir.

    En 2002, on adoptait une loi contre l'extrémisme. L'actualité internationale avait joué un rôle fondamental à cet égard — il s'agit des attentats du 11 septembre 2001 — permettant au président Poutine de dire que la reprise en 1999 de l'intervention de la Russie en Tchétchénie s'inscrivait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international.

    Une loi a été adoptée contre l'extrémisme, restreignant le champ de l'expression politique sur certaines questions. Par la suite, on en est arrivé à des interdictions ou répressions, comme pour le journal sur la société d'amitiés russo-tchétchènes de Nijni Novgorod, parce que celui-ci avait publié des appels aux négociations venant des autorités indépendantistes tchétchènes. On pouvait trouver toute une liste de défauts lorsque ces indépendantistes modérés existaient encore, mais la publication d'appels à la paix et d'appels aux négociations a causé des tracasseries administratives qui ont conduit à une fermeture du journal. Cette loi contre l'extrémisme a entraîné une réduction très importante des libertés publiques en Russie comme ce fut le cas aux États-Unis avec le Patriot Act et le War on Terror.

    La tragédie de Beslan, d'une odieuse violence, ne s'est pas produite par hasard mais s'inscrivait dans le cadre d'un conflit qui perdurait. C'est juste après Beslan que fut adoptée la proposition de réforme relative aux gouverneurs avec approbation par les doumas locales. Ces réformes ont également des effets sur la société russe qui perd des soldats et sur la perception de ce qu'est une société commune. Lorsque M. Poutine s'est très récemment prêté au jeu du show télévisé, j'ai entendu une dame à l'accent manifestement caucasien lui demander: « Pourquoi ne sommes-nous pas traités de la même façon que d'autres citoyens russes ? »

    En ce qui concerne la question des ONG, dans une situation de conflit, en 2004, le président Poutine avait déjà déclaré que « les ONG, ce n'était pas vraiment sa tasse de thé ». La loi qui a ensuite été adoptée et est entrée en vigueur au mois d'avril 2006, soulignait la nécessité de ré-enregistrement des filiales des internationales avant le 19 octobre, c'est-à-dire il y a une quinzaine de jours. À ce jour, seule une centaine sur cinq cents a pu se ré-enregistrer, les procédures étant très lourdes.


    4. Échange de vues

    M. Lionel Vandenberghe estime que l'ambassadeur accorde une grande attention aux aspects économiques. Personnellement, l'intervenant est davantage attachés aux autres aspects de la société. L'intervenant aimerait ainsi connaître la position adoptée par le gouvernement russe à l'égard d'organisations qui se mobilisent pour les droits de l'homme et des peuples et à l'égard d'organisations qui se préoccupent de la pauvreté dans certaines régions de Russie.

    M. Wille veut surtout apporter quelques éléments politiques dans la discussion.

    De tous les États membres du Conseil de l'Europe, la Fédération de Russie est de loin le plus grand pays avec, de loin également, la population la plus importante. Elle dispose en outre de la plupart des matières premières. Depuis 1990, ce pays a incontestablement fait d'énormes efforts pour stabiliser son économie et son système politique. Nombre de ces efforts vont dans le sens des valeurs européennes et d'une économie orientée vers le marché. D'un autre côté, la Russie a également connu d'importantes difficultés au cours de cette période, surtout en août 1998, lorsqu'une grave crise financière a touché le pays.

    Plusieurs réformes réussies ont depuis lors engendré une stabilité macro-économique et politique ainsi qu'une forte croissance. Le niveau de vie s'est ainsi élevé et le gouvernement a réussi à accroître la confiance de la population dans l'avenir. Aujourd'hui, la Russie est entrée dans une période dans laquelle elle peut fortement augmenter son potentiel.

    Le renforcement de l'économie russe doit déboucher sur une volonté ferme de mettre en place une collaboration stratégique forte entre la Russie et les autres pays européens autour de valeurs et d'intérêts communs. Ceux-ci doivent constituer la base d'une collaboration harmonieuse, non seulement entre les pays mais aussi entre les régions.

    Nos objectifs communs à court et à moyen terme sont, outre le développement économique, le renforcement du rule of law, la rationalisation des processus de réglementation dans différents domaines, l'amélioration de l'administration, le traitement adéquat du problème démographique, la poursuite de la modernisation de l'économie, etc.

    Tout le monde reconnaît que, ces dernières années, la Russie a globalement fortement progressé. L'économie dans son ensemble est devenue beaucoup plus forte mais reste assez concentrée et peu diversifiée. L'ambassadeur l'a également reconnu en décrivant l'évolution du marché de l'énergie dans l'économie russe.

    Le développement démographique de la Russie a été fortement ralenti pendant tout un temps par le grand nombre d'avortements, la mortalité élevée et, de surcroît, la forte émigration vers l'Ouest, le brain drain. Comment le gouvernement entend-il s'y attaquer ?

    Une deuxième question porte sur le nombre de Russes à l'étranger et surtout en Belgique. L'ambassadeur peut-il nous préciser combien de Russes séjournent en Belgique, où ils se sont établis et quelles activités ils exercent ?

    Comment le gouvernement russe entend supprimer les inégalités entre les économies régionales, surtout en Sibérie et plus généralement au far east du pays ? À Irkoutsk, on y fait des choses splendides, notamment pour la gestion de l'environnement. Ce n'est pas sans importance puisque le lac Baikal tout proche constitue la plus grande réserve d'eau potable au monde. Comment la Russie pense-t-elle, dans une démocratie moderne, s'attaquer aux inégalités géographiques et ethniques ?

    De plus, M. Wille souhaite connaître l'état de la situation concernant l'OMC. Il estime que les obstacles ne sont absolument pas soulevés par l'Europe. Quelles sont les perspectives relatives à l'adhésion finale ?

    Les principaux obstacles sont liés aux droits de propriété intellectuelle mais aussi aux douanes, aux subsides et à la fixation des prix de l'énergie. Pour cette dernière, on affirme souvent qu'en Russie, les prix du gaz pour un usage commercial sont aujourd'hui très proches de la réalité économique. Nous devons toutefois nous montrer critiques, par exemple vis-à-vis du doublement du prix pour la Géorgie et, plus récemment encore, pour l'Ukraine. Il s'agit peut-être d'un élément qui sera pris en compte par certains pays en vue du report de l'adhésion à l'OMC.

    Des économistes affirment que l'adhésion de votre pays entraînerait une explosion du chômage et affaiblirait certains secteurs économiques tels que l'industrie alimentaire, l'industrie de la viande, l'industrie laitière, l'industrie pharmaceutique et le secteur métallurgique. D'autres économistes estiment que les avantages corrigeraient ces inconvénients. L'intervenant est convaincu qu'une adhésion de la Russie à l'OMC stimulerait fortement les réformes internes et l'amélioration du climat des investissements. Dans les circonstances actuelles, il existe encore, pour les direct investments, une peur d'entrer en Russie, mais cela pourrait sensiblement changer après l'adhésion.

    M. Wille demande également des chiffres plus précis concernant les exportations en matière d'énergie.

    Certains intérêts, si on les évalue bien, donnent lieu à un investissement combiné dans leur propre pays et à l'étranger. La grande discussion avec les Britanniques porte sur le fait que la Russie n'entend garantir l'approvisionnement du Royaume Uni que si elle peut également, par le biais de sociétés privées, participer aux infrastructures de distribution et de transport. C'est une politique extrême. Cela signifie non seulement qu'on recherche un avantage sur le plan stratégique dans le fait de disposer d'énergie, mais aussi que l'on obtient un avantage commercial dans l'infrastructure de transport. Car le transport vers le Royaume-Uni passe par le port de Zeebrugge, cela est important pour la Belgique.

    M. Wille souhaite plus d'informations sur le Oil Stabilisation Fund qui recueille une partie des revenus de la vente d'énergie en vue de faire face à des circonstances moins favorables. Est-il raisonnable de ne pas investir tout de suite une partie des revenus plus élevés de la vente d'énergie dans des infrastructures de base qui sont nécessaires pour diversifier et renforcer l'économie ?

    Quel est enfin l'avis sur la libéralisation progressive des prix de l'énergie sur le marché intérieur ? Comment interprète-t-on la notion de « prix de l'énergie » en tant que donnée géopolitique pour le rétablissement de l'idée de la grande Russie et de la position de la Russie en tant que puissance mondiale ?

    Mme Zrihen souhaite savoir si le développement économique de la Russie amène une plus-value sociale sur le terrain.

    Une première question porte donc sur le passage de la situation politique des années 80 à celle des années 90. Un nouveau dispositif social de ce que nous appelons en Europe l'État providence a-t-il été mis en place ? Quels instruments permettent-ils aux citoyens russes d'éviter l'exclusion étant donné la nouvelle structure économique qui amène d'autres conditions de travail et de vie ?

    Une deuxième question porte sur un grand sujet d'actualité, à savoir le Protocole de Kyoto et le développement durable. Au parlement européen, nous avions constaté que la Russie acceptait, sans être trop regardante, des déchets nucléaires que l'Europe elle-même n'arrivait pas à évacuer. Des mesures de précaution ont-elles été prises ? Par exemple, les sous-marins nucléaires font-ils actuellement l'objet d'un traitement particulier ? La question de la mer d'Aral fait-elle l'objet de discussions ? Nous sommes en effet dans une démarche fondamentale de développement durable et de protection de notre environnement.

    Une question suivante porte sur la collaboration avec l'Europe. En fait, le dossier BRIC détermine dans quel rapport l'Union européenne se situe face à ses quatre partenaires. En termes de défense, une stratégie particulière est-elle développée ? Des aspects de collaboration sont-ils mis en place avec Europol et Eurojust ? Comme la Russie devient un partenaire privilégié étant donné la proximité géographique, a-t-elle la volonté de participer à la sécurité européenne ?

    La présidence finlandaise avait inscrit ses rapports avec la Russie dans son programme, en particulier dans le volet énergétique et certains autres aspects. Est-elle satisfaite du travail réalisé par la présidence finlandaise ? Qu'attend-elle de la présidence allemande ?

    Enfin, il n'est pas aisé d'avoir pour partenaires des anciens membres de l'Union soviétique. Mme Zrihen renvoie en particulier à la situation avec l'Ukraine. L'Union européenne essaie de développer des partenariats et des synergies, bien plus que la concurrence. Y a-t-il aussi une volonté de la part de la Russie d'établir des coopérations de manière à arriver à un développement économique harmonieux et, en tout cas, non concurrentiel ?

    M. Van den Brande partage entièrement l'avis selon lequel nous sommes trop prudents en Belgique. Cela s'applique à la Wallonie, mais également à la Flandre. Nous sommes beaucoup trop méfiants pour renforcer et approfondir les relations avec la Fédération de Russie, tant sur le plan économique que dans d'autres domaines. Nous avons un passé historique qui constitue une base pour d'autres contacts et sommes trop hésitants face aux possibilités qu'offre la Fédération de Russie.

    Les chiffres sont naturellement impressionnants, mais ils ne reflètent pas toujours toute la réalité. On vient de souligner un grand problème démographique. L'espérance de vie des hommes russes, par exemple, a notablement reculé ces quinze dernières années, mais semble maintenant se stabiliser.

    Une économie ne peut prospérer et une société ne peut progresser sur le plan économique que si une classe moyenne se développe. Une classe moyenne forte a en effet une grande importance non seulement économique et sociale, mais aussi fiscale et budgétaire. Comment cette classe moyenne se développe-t-elle dans la Fédération de Russie ?

    Au début de son exposé, l'ambassadeur a souligné que la Fédération de Russie offrait une belle image de stabilité. C'est un des grands mérites du président Poutine. L'intervenant doit cependant démentir que les organisations parlementaires internationales émettraient à tort des jugements accusateurs et politisés sur la Fédération de Russie. Depuis 1996, la Fédération de Russie est membre du Conseil de l'Europe. À l'heure actuelle, la Russie préside le comité des ministres du Conseil de l'Europe. Pour la première fois, elle préside une organisation européenne. C'est un grand défi, mais aussi un risque. Nous ne pouvons pas juger ce qui se passe dans d'autres pays, mais la Fédération de Russie doit respecter ses propres engagements. Des progrès doivent absolument être accomplis dans plusieurs domaines.

    Un premier problème est celui de la verticalité. L'ambassadeur considère cela comme un élément de stabilité. Dans quelle mesure cette verticalité respecte-t-elle l'autonomie constitutionnelle des différentes républiques et autres entités ?

    Deuxièmement, l'indépendance du pouvoir judiciaire est entravée par la place et la position de la prokuratura. Dans notre régime occidental classique des trois pouvoirs, nous ne retrouvons pas une telle prokuratura et nous ne discernons pas clairement quels sont son pouvoir et ses possibilités.

    Il y a aussi la question de l'indépendance des médias. Il faut instituer d'urgence un régulateur objectif pour les médias.

    Il y a le problème des minorités, des organisations de droits de l'homme et des organisations non gouvernementales. Il y a le problème de l'énergie en tant que moyen de pression politique. Et il y a surtout le problème que la Russie est le seul des 46 États membres du Conseil de l'Europe qui n'a pas encore ratifié le Protocole 6. Cela signifie que la peine de mort existe toujours en théorie, même si elle n'est pas exécutée.

    Nous n'avons en effet pas le droit de juger et de condamner. Nous sommes toutefois liés par une série de conventions et de traités, que nous avons conclus volontairement. L'intervenant plaide en faveur de progrès dans des dossiers comme les droits de l'homme, l'État de droit et la démocratie. Il n'y a pas dix définitions de la démocratie, mais peut être plusieurs variantes.

    La stabilité est très importante pour la prospérité et le bien-être des Russes eux-mêmes. L'ambassadeur va trop loin quand il dit que les objections exprimées au sujet des engagements de la Fédération de Russie n'émanent que de certaines organisations qui veulent jeter le discrédit sur la Russie. Certaines matières fondamentales doivent être sérieusement réformées. Cette réforme doit être compatible avec la stabilité et conciliable avec le développement économique que l'on souhaite. L'Europe a besoin de la Russie et la Russie de l'Europe. C'est le contexte dans lequel nous vivons. Si nous pouvons en faire un objectif commun, il y aura des progrès qui auront une influence positive sur les accords, les engagements et la coopération.

    M. Collas se réfère à deux secteurs de la coopération russo-belge, à savoir celui du gaz — on connaît les dernières évolutions et les intentions d'investissement en la matière — mais surtout celui de l'énergie nucléaire. En Belgique, 55 % de la production d'électricité proviennent de l'énergie nucléaire. Quelle part le nucléaire représente-t-il dans la production d'électricité par rapport aux énergies fossiles ? La Russie est très riche en matières premières, contrairement à la Belgique.

    En 2003, une loi prévoyant la cessation des activités de Tihange et de Doel entre 2015 et 2025 a été adoptée. Quel avenir a l'énergie nucléaire dans le cadre de l'approvisionnement de la Russie ? La coopération entre Belgonucléaire et l'Agence fédérale russe est qualifiée de très productive. Dès lors, l'orateur craint que notre knowhow nucléaire dont la réputation n'est plus à faire, ne disparaisse si nous maintenons le cap de la sortie du nucléaire. L'énergie nucléaire n'est pas l'avenir mais qu'il n'y a pas d'avenir sans le nucléaire.

    Enfin, M. Collas souhaite plus d'informations de la minorité relativement importante de langue allemande au Kazachstan. L'ambassadeur est-il en mesure de l'évaluer ? Comment ces personnes vivent-elles leur culture et qu'en est-il de l'enseignement ?

    M. Roelants du Vivier se réfère aux négociations en vue d'aboutir à un nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et la Russie, l'accord précédent expirant en 2007. Quels sont les souhaits et les attentes de la Russie en la matière ?

    M. Dubié se demande où en est l'enquête sur l'assassinat de la journaliste Mme Politkovskaïa. Quelle est la situation actuelle en Tchétchénie ? Quelle est la situation actuelle en Géorgie ? Comment ces dossiers vont-ils évoluer ?

    Réponses de M. Loukov

    Le gouvernement russe a introduit des changements profonds dans la société. Les valeurs de l'État de droit et les principes démocratiques sont très solidement enracinés dans la mentalité russe. Ce fait fondamental est trop souvent ignoré par les analystes étrangers, qui tentent de présenter le gouvernement et le système politique de la Russie moderne comme une Union soviétique en miniature. Ils parlent du « régime de Poutine », d'un gouvernement « conservateur », voire « oppressif ». Cette approche est erronée. En vérité, un système moderne de partis politiques est en plein développement. Le mois dernier a vu l'émergence d'un grand parti de centre gauche pour contrebalancer un parti très important de centre droit, « la Russie Unie ».

    Ce parti et « la Russie Unie » sont déjà dans une compétition acharnée. Les élections organisées dans neuf régions russes en témoignent. Ce n'est pas du tout un système de marionnettes. L'intensité de cette compétition — par exemple pour le poste de gouverneur de la ville de Samara — le démontre. Le parti d'opposition a obtenu ce poste. Le parlement russe compte à présent quatre factions: centre gauche, centre droite, nationalistes et communistes.

    Venons-en à un autre fait: la Russie compte plus de 60 000 ONG, très actives dans tous les domaines de la vie publique.

    Tout d'abord, le gouvernement a proposé d'établir une chambre civile, formée de représentants qui font autorité — plus de 200 personnes — et qui proviennent de tous les domaines professionnels et de toutes les régions du pays. L'objectif est d'enrichir le dialogue entre le gouvernement et la société civile. Cette chambre civile, dont le modèle est inspiré du Conseil socio-économique français, a déjà donné des résultats très concrets, par exemple en critiquant vivement le gouvernement pour son approche laxiste vis-à-vis des cas de crime brutal survenant au sein de l'armée ou de la problématique de la transplantation d'organes, qui a débouché sur un conflit juridique; le procès est d'ailleurs encore en cours. De ce fait, la plupart des transplantations d'organes sont, pour le moment, bloquées, ce qui inquiète beaucoup la société. La chambre civile a donc émis une critique très dure de notre gouvernement et de notre procuratura.

    Ensuite, le gouvernement russe a été abondamment critiqué pour la nouvelle loi introduisant l'enregistrement et le contrôle financier renforcé des ONG.

    À titre de comparaison: les ONG étrangères aux États-Unis. Elles doivent d'abord remplir un questionnaire de deux cents questions pour commencer le processus d'enregistrement. Son application peut être rejetée sans aucune explication. La loi américaine demande un contrôle complet et annuel du financement des organismes non gouvernementaux étrangers aux États-Unis.

    D'autre part, la Commission de Venise du Conseil de l'Europe a analysé la législation russe en ce qui concerne le contrôle financier des ONG et a reconnu que les provisions de cette législation étaient conformes aux standards du Conseil de l'Europe.

    La plupart des sociétés qui ont soumis leur demande d'enregistrement le mois dernier ont reçu une réponse positive. Les autres bénéficient d'une prolongation de trois mois, pour se mettre en conformité avec certaines normes fiscales et juridiques. Cela ne signifie nullement qu'elles soient définitivement exclues; elles poursuivent leur travail, sur une échelle réduite. Cette procédure est nécessaire pour favoriser le sens des responsabilités et la transparence qui doivent être les normes de toute ONG qui sert la société civile.

    En ce qui concerne le verticalisme, le président de la Fédération russe et le gouvernement attachent beaucoup d'importance au renforcement de la législation nationale uniforme à travers la Russie. Le gouvernement a initié le changement du système de nomination ou d'élection des gouverneurs des régions. Le gouvernement s'adresse de plus en plus fréquemment aux cours pour défendre les droits du centre fédéral ou des agences fédérales. Ces actions sont parfois critiqués à l'étranger.

    En ce qui concerne le verticalisme, les critiques oublient ou ignorent le fait que parallèlement au renforcement de l'efficacité des agences fédérales, le centre fédéral transfère aux régions des pouvoirs réels soutenus par des ressources financières très importantes. Pendant les années nonante, la situation était inverse. Des pouvoirs nominatifs très importants étaient délégués aux régions mais sans soutien financier. Il s'agissait d'un « démocratisme » symbolique. Cette fois, la démarche est sérieuse.

    Si l'on partage les ressources financières, le centre a le droit de demander que les ressources soient utilisées pour le bien-être de la population, ce qui n'était pas le cas dans plusieurs régions. Des mesures administratives, voire judiciaires, sont prises à l'encontre de plusieurs gouverneurs accusés de corruption et de gaspillage de ressources financières. Ce problème n'est toutefois pas propre à la Russie.

    L'ambassadeur souligne qu'en ce qui concerne le rôle des ONG et du gouvernement dans le combat contre la pauvreté, la pauvreté est le problème le plus douloureux et honteux de la Russie. Il ne s'agit pas d'un phénomène propre aux années nonante. La pauvreté existait déjà sous une forme déguisée pendant la période soviétique mais la grande force égalisatrice du pouvoir soviétique a contribué à atténuer les lourdes conséquences personnelles et sociétales de ce problème.

    Que fait le gouvernement avec l'assistance accrue des ONG pour combattre la pauvreté ?

    Primo, au cours des cinq dernières années, le taux des personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'est réduit de 30 à 23 %. Ce taux reste élevé mais la dynamique est enclenchée.

    Secundo, ce résultat a été obtenu grâce au relèvement des salaires des agents de l'État et des travailleurs du secteur privé, secteur contraint de suivre le mouvement pour des raisons de compétitivité, et par le déploiement d'un série de programmes ciblés. On a ainsi mis en œuvre des programmes d'aide aux orphelins. En Russie, chaque orphelin qui atteint l'âge de 17 ans reçoit un appartement ou bien une chambre dans un appartement communautaire. Il est en outre assuré de trouver un emploi. Pendant les années nonante, beaucoup de familles ont abandonné leurs enfants mais, grâce à la croissance du niveau de vie des ménages, de plus en plus de Russes commencent à adopter des enfants. Cette année, 100 000 orphelins ont été adoptés par des Russes, contre 7 000 par des étrangers alors que, dans les années nonante, la situation était inversée.

    Quel est l'apport des ONG ?

    Beaucoup d'ONG apportent assistance aux orphelinats et aux sans-abri. On observe une coopération accrue entre le gouvernement et les ONG dans ce domaine, de même que dans le domaine du rapatriement en Russie de nos compatriotes qui habitent dans d'autres pays de la CEI ou en Europe occidentale. Le gouvernement a mis en place à cette fin un programme soutenu par des ressources importantes. Des ONG, en Russie ou ici même, apportent une aide à ceux qui souhaitent retourner en Russie. Selon les estimations des organisations actives en Belgique, près de 3 000 personnes originaires de Russie, du Kazahkstan, d'Ouzbékistan et d'Ukraine souhaitent s'établir en Russie. Douze régions ont été choisies par le gouvernement comme régions d'accueil.

    Le bureau du procureur général est une institution très importante. En effet, il convenait d'organiser un contrôle strict, protégé des tentations corruptrices, régionalistes et idéologiques. Il devait s'agir d'un instrument de l'État visant à poursuivre les crimes majeurs. Dans plusieurs autres pays de la CEI, le bureau du procureur général est contrôlé par les gouverneurs régionaux. Ce n'est pas le cas en Russie. Le bureau du procureur général est un instrument de renforcement de l'unicité de notre espace juridique.

    Cela ne signifie pas que les juges dominent le système juridique. Ce sont les cours qui figurent aujourd'hui au centre de ce système. Le ministère de la Défense nationale a déjà perdu plusieurs procès devant nos cours. Une telle situation aurait été impensable voici quinze ans, ou sous MM. Gorbatchov ou Brejnev. C'est pourtant la réalité actuelle. Elle démontre l'indépendance des cours. Bien entendu, les membres de ces dernières sont des êtres humains. Dans plusieurs cas, les verdicts des cours d'assises sont étonnants voire scandaleux. Il faut évidemment bien peser les avantages et désavantages de l'utilisation d'un tel système. Il revient toutefois aux instances juridiques et au parlement de le faire.

    Le meurtre d'Anna Politkovskaya est un « crime haineux et affreux ». L'ambassadeur partage l'indignation de la plus grande partie de la société face à ce crime. La nature de la démocratie est de défendre les porteurs des opinions dissidentes des minorités malgré le désaccord total de la majorité avec ces opinions. Le bureau du procureur général contrôle directement cette enquête. Il a déjà obtenu des résultats concrets mais, pour des raisons opérationnelles évidentes, le procureur général ne peut les divulguer à la presse. Toutes les hypothèses concernant ce meurtre sont envisagées, notamment les causes professionnelles, personnelles ou commerciales.

    Le processus de mise sur pied d'un système étatique moderne est presque achevé en Tchétchénie. Le Parlement a été élu au suffrage universel direct. La Tchétchénie a déjà organisé deux élections présidentielles et des autorités municipales ont été mises en place sur la base de la Constitution de la République adoptée par référendum il y a deux ans.

    Il n'y a pas de guerre en Tchétchénie; il ne faut pas croire ce qu'en disent les journaux d'ici ou de l'étranger.

    Des photos peuvent montrer la manière déloyale dont certains présentent la politique menée en Tchétchénie. Une de ces photos — non datée —, qui montre la ville de Grozny en ruines, a paru dans un important journal francophone belge en février 2005. Le lecteur a l'impression qu'il s'agit d'une photo récente. Or, le gouvernement fédéral a investi 700 millions de dollars entre 2000 et 2005 dans la reconstruction de la Tchétchénie. Une photo actuelle peut démontrer le contraste étonnant entre la réalité en Tchétchénie et l'image qui en a été proposée par les détracteurs.

    En termes concrets, durant le premier semestre de cette année, un seul acte terroriste a été perpétré en Tchétchénie. Durant le premier semestre de 2005, cinq ont été commis. Il y a toujours des terroristes; 250 ou 300 sont cachés dans les forêts ou dans les caves. Le gouvernement, après la liquidation de Maskhadov et Basaïev, a offert l'amnistie à ceux qui continuaient leur combat inutile. Il en est résulté que trois cents d'entre eux ont déposé les armes et se sont rendus. Il n'existe pas de véritable réseau de cellules terroristes en Tchétchénie; il y a des cellules isolées et qui ne bénéficient pas du soutien de la population. L'offre d'amnistie a été prolongée jusqu'à janvier 2007 à la demande des familles de certains de ceux qui se cachent encore.

    L'ambassadeur se dit déçu par l'approche négative de principe de l'actualité russe adoptée par les journaux belges. Ainsi, un journal économique pilote de la Belgique francophone a écrit à la veille du voyage en Russie du prince Philippe qu'il serait accompagné d'une petite centaine d'entrepreneurs. Or, le prince était en réalité accompagné d'environ 280 personnes dont deux cents entrepreneurs.

    Le même journal francophone important, qui a publié la photo de la catastrophe et des ruines de Grozny, s'est permis de disculper un touriste belge qui avait sérieusement blessé avec son scooter nautique un citoyen russe qui se reposait en Turquie l'été passé. Le journaliste qui n'a jamais rencontré la victime l'accuse d'être un mafieux, un nouveau riche qui dicte sa loi à la police turque. Par contre le pauvre Belge n'était que la victime des caprices du méchant Russe. Un tel usage des stéréotypes négatifs constitue un exemple alarmant de l'étiquetage de tout un peuple si l'on voit dans chaque Russe, a priori, un maffioso ou un méchant Russe.

    Le même journal a fait preuve, par contre, de beaucoup plus de tact et de sagesse en faisant la couverture du meurtre d'un élève belge commis par des citoyens polonais à la gare Centrale de Bruxelles.

    Quelle est la politique énergétique de la Russie vis-à-vis de l'Union européenne ? La Russie est un fournisseur d'envergure et fiable de ressources énergétiques. Les chiffres suivants ont été fournis par M. Miller, le PDG de Gazprom, au prince Philippe. La Russie a vendu neuf trillions de mètres cubes, tandis que les contrats de vente de gaz conclus par les sociétés européennes jusqu'en 2025 portent sur un total de 2,5 trillions de mètres cubes. La production annuelle de Gazprom dépasse les cinq milliards de mètres cubes. L'exportation vers l'Union européenne se chiffre à 151 milliards de mètres cubes. Les réserves russes sont donc importantes.

    La Russie n'utilise pas le gaz et le pétrole comme armes politiques.

    La Russie demande à ses partenaires ukrainien, géorgien, moldave et biélorusse de rapprocher les prix du prix dominant du marché européen, sans pour autant qu'ils soient égaux. Le prix se situe entre 360 et 370 euros pour 1 000 mètres cubes de gaz. La Russie propose à la Géorgie 230 dollars US pour 1 000 mètres cubes de gaz. Pour l'Ukraine, le prix est de 250. Il est bien entendu plus ou moins symbolique car le prix réel, en ajoutant le prix du gaz du Turkménistan, est de 110 dollars US par mètre cube.

    Au cours de ces quinze dernières années, la Russie a subventionné l'économie ukrainienne à concurrence de trois à cinq milliards de dollars US chaque année, et ce à cause des prix ridicules du gaz.

    En ce qui concerne la coopération directe entre la Russie et la Belgique, un projet à grande échelle est en cours de réalisation, à savoir la construction d'un dépôt de stockage de gaz à Poderny qui sera un élément clé pour le transit du gaz vers l'Angleterre. La Russie renforcera l'exportation de gaz vers la Grande-Bretagne. Les exportations devraient passer de quatre milliards de m3 par an à dix milliards de m3 en l'an 2010 grâce au gazoduc situé en mer du Nord.

    La coopération entre Gazprom et Distrigaz — déjà très importante à l'heure actuelle — et entre Gazprom et Fluxys permettra d'approvisionner le marché intérieur belge et d'augmenter la capacité de liquéfaction de gaz à Zeebrugge pour organiser les transactions de SVOP en matière de gaz liquide entre la Russie, la Belgique et les marchés de l'Europe de l'Ouest et des États-Unis. L'on pourrait de cette manière réorienter les livraisons de gaz liquéfié algérien vers les États-Unis et utiliser le gaz russe pour le marché de l'Europe de l'Ouest.

    La charte énergétique ne peut être acceptée dans sa forme actuelle étant donné que celle-ci a été négociée à une époque où la faiblesse économique et financière de la Russie était telle qu'elle était déséquilibrée, imposant trop d'obligations aux fournisseurs de ressources énergétiques et protégeant de manière excessive les marchés intérieurs des pays consommateurs.

    La Russie ne voit aucun crime dans la proposition faite par Gazprom à Centrica ou à tout autre organisme privé gazier d'Europe de l'Ouest.

    La coopération avec E.ON en Allemagne est un exemple d'une solide interdépendance qui permet aux Allemands d'intégrer le cercle très fermé des copropriétaires de ressources de gaz dans Shtokman. D'autres partenaires ayant participé au concours organisé pour le projet Shtokman n'ont pas réussi à présenter des propositions suffisamment concrètes. Par conséquent, la Russie développera elle-mêmes ce gisement de gaz avec des sous-traitants.

    Quant à l'adhésion de la Russie à l'OMC, l'ambassadeur estime que ce n'est pas uniquement un problème relatif à la protection des droits intellectuels qui est au cœur du débat entre la Russie et les Américains.

    En ce qui concerne l'accès des organismes financiers américains sur le marché intérieur russe, le gouvernement américain impose des conditions à ce point « intrusives » qu'elles étonnent même les banques américaines, celles-ci avançant qu'elles n'ont pas besoin de tels privilèges et qu'elles ont bien d'autres chats à fouetter. Mais il s'agit d'une position politisée.

    L'autre sujet concerne les subventions agricoles accordées aux paysans russes et le contrôle phytosanitaire russe. La Russie prend très au sérieux la politique de protection de la santé publique car, à de multiples reprises, il y avait des affaires assez douteuses impliquant des fournisseurs américains de poulets ou de viande porcine, en Russie comme ailleurs.

    C'est également dans cette optique que s'inscrit la mesure de protection du marché intérieur contre les vins géorgiens et moldaves. Comment se peut-il que la Géorgie qui ne peut produire que 460 000 bouteilles de « Kindzmarauli », le vin préféré de Staline, en exporte près de 2,5 millions de bouteilles ? Le sous-sol de la Géorgie ou le palais du président Saakachvili contiendraient-ils un gisement de ce vin ?

    Les mesures économiques et de renforcement des contrôles migratoires sont dictées par la logique suivante.

    Primo, le gouvernement géorgien a décidé de renverser manu militari les gouvernements de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. À cette fin, le gouvernement géorgien se procure des masses d'armements modernes: des chars, des hélicoptères, des avions de combat. Il s'agit pourtant du pays le plus pauvre d'Europe, après la Moldavie. D'où vient l'argent ? Des recherches ont démontré que la plupart des ressources proviennent de Russie. C'est à la fois étonnant, affligeant et honteux pour nos services de police et de sécurité.

    L'ambassadeur cite deux exemples.

    Un groupe de criminels géorgiens a acquis le contrôle de la banque Vek et a réussi à transférer à l'étranger 7 milliards de dollars l'année dernière. L'organisateur de cette opération a annoncé à ses complices que ces sommes étaient nécesaires pour une petite guerre victorieuse. Quelle guerre ? Pour nous, la réponse est évidente.

    Parmi le million et demi de Géorgiens qui travaillent en Russie, 15 % seulement paient des impôts en Russie. Un quart du PIB géorgien résulte de transferts illégaux d'argent de la Russie vers la Géorgie. Cela enrichit le gouvernement militariste. Nous ne pouvons pas cofinancer une nouvelle tragédie. Nous avons déjà eu deux nettoyages ethniques géorgiens en Ossétie du Sud, où ne vivent que 46 000 personnes, et en Abkazie, où ne vivent que 320 000 personnes. Pour ces nations minuscules, la Géorgie, dont la population est supérieure à cinq millions de personnes, est une superpuissance. Voilà où se situe le vrai problème.

    L'ambassadeur aborde ensuite le problème des droits de l'homme.

    Selon le ministère belge de l'Intérieur, 13 500 ressortissants russes habitent légalement en Belgique. Selon des estimations russes, il y aurait en Belgique entre 50 000 et 60 000 russophones venant d'Asie centrale, d'Ukraine, de Moldavie, des pays baltes, etc. Pourquoi y a-t-il autant de réfugiés politiques provenant de Russie en Belgique ? L'immense majorité d'entre eux sont de nationalité tchétchène. L'ambassadeur est convaincu que la plupart de ces réfugiés abusent de la confiance et de la bonne volonté du gouvernement belge. En réalité, il s'agit d'immigrés économiques tout à fait banals.

    Selon la convention de Genève et le statut de réfugié politique en vigueur en Belgique, un réfugié politique ne peut contacter les ambassades des pays d'exode et solliciter la coopération des représentants officiels de ces pays. Les Tchétchènes qui demandent l'asile politique en Belgique décrivent dans les couleurs les plus menaçantes les terreurs de l'armée fédérale en Tchétchénie et l'oppression à laquelle ils ont été soumis. Un très grand nombre de ressortissants tchétchènes se rendent à l'ambassade de Russie à Bruxelles pour obtenir des apostilles sur leurs documents, pour enregistrer leurs enfants dans la citoyenneté russe ou pour obtenir de nouvelles pièces d'identité. De quoi s'agit-il ?

    L'ambassade est au courant de l'existence de voyages en Russie de « réfugiés politiques » en provenance de Tchétchénie. Il s'agit de pratiques massives. Quelles méthodes sont-elles utilisées ? Le « réfugié » présente à la municipalité communautaire son titre de séjour et demande un titre de voyage pour une personne sans citoyenneté. Il se présente avec ce document à l'ambassade d'Ukraine, où un visa lui est accordé permettant d'entrer dans leur pays, à la suite de quoi ce « réfugié politique » traverse la Pologne et l'Ukraine, où il retire son passeport russe prétendument perdu — voire brûlé dans les ruines de la ville de Grozny — et franchit sans aucun problème la frontière russe, grâce à la libre circulation des ressortissants russes et ukrainiens.

    Plusieurs de ces soi-disant réfugiés se rendent en Tchétchénie où ils sont prétendument menacés de mort par les pouvoirs « oppressifs » locaux. De quoi s'agit-il ? D'une profanation du droit d'asile. L'ambassade a informé les ministères belges des Affaires étrangères et de l'Intérieur de ces pratiques.

    Ces pratiques de voyages sans entraves exercées par les ressortissants tchétchènes démontrent le caractère erroné de l'affirmation selon laquelle la Tchétchénie est encore en guerre. Les « réfugiés » démontrent par leurs actes la nature fausse de ces affirmations.

    Mme Zrihen conclut que la vision qu'ils nous ont livrée de la Fédération de Russie et de sa société est à la fois interpellante et dynamique. Elle justifie encore davantage tout le travail de la commission au sujet des pays BRIC. Il est fondamental que la connaissance augmente et surtout que les visions s'ajustent, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, pour que les partenariats — inévitables dans la structuration de la mondialisation — aient pour objectif un certain équilibre mondial. L'énergie risque d'être un domaine extrêmement difficile, un domaine générateur de tensions. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions, sur un même continent, en train de nous tromper de cible ou en tout cas d'objectif. L'Europe se construit avec des frontières particulières. La Russie doit être l'un des partenaires. Ce caractère inévitable ne doit pas être considéré comme une fatalité, mais bien plus comme un élément dynamique.

    En même temps, ce sont nos sociétés qui nous intéressent. Le développement économique peut se réguler, se moduler et s'organiser, mais le développement des sociétés et des valeurs européennes qui les pilotent sont au cœur même de notre travail. C'est cet élément qu'il faut mettre en avant.


    II. 3. INDE

    Audition de:

    — S.E. M. Dipak Chatterjee, ambassadeur de la République de l'Inde;

    — M. Wouter Vandenhole, titulaire de la Chaire « Droits de l'enfant », Université d'Anvers;

    — M. Marc Cogen, professeur de droit international, Université de Gand;

    — M. Peter Van Wonterghem, chercheur, université Jawarharlal Nehru (JNU), New Delhi;

    — M. Lars Jacobsen, Senior regional manager, ING;

    — Captain Ranell De Wilde, Chairman, AMI India Logistics.


    II.3.1. Exposé de M. Dipak Chatterjee, ambassadeur de la République de l'Inde

    Mr Dipak Chatterjee states that the relations between India and Europe are a factor in political and economic future of his coutnry and also the evolving future picture of the world. The latest report of Goldman Sachs had coined the phrase BRIC- which included the fast emerging or reemerging economies of Brazil, Russia India and China.

    India, in 2007, may be described as a country which is poised to make its rightful contribution to the increasingly interdependent and rapidly globalizing world of the 21st century. Today, the world is changing at an unprecedented pace. India's dramatic socio-economic transformation is comparatively more striking than the developed world because India is trying to catch up with the world in a short time. Thanks to globalisation, the interdependence among the nations is increasing at the same time as national boundaries are becoming less relevant. What in my view must be the focus for policy makers in the emerging world is the « people ».

    Three phrases which characterize India of today are that they will be the fastest growing free market democracy, a pluralistic society and are endowed with a growing civil society. Our young population is our biggest resource as it is our main focus. We are making all attempts to ensure that the economic development translates into better quality of life for our vast population. There is a huge percentage of population which is not fully equipped to make the most of the opportunities which are coming their way as India makes rapid strides in its economic growth. Provision of quality education and healthcare is, in our view, the key to convert this vicious cycle into a virtuous one.

    India adopted a universal adult franchise when some sections of society in the world's oldest democracy, the United States, had no voting rights. India is proud of the fact that since our independence 59 years ago there has always been a peaceful transfer of power. India's Élection Commission has been asked to assist in the conduct of free and fair elections in a few countries as well which speaks a lot of its international credibility.

    India's strength lies in its free media, arguably the freest in the world, its independent judiciary and our commitment to rule of law. The secular credentials of our state and the society are well established and we value our heterogeneity as a factor of strength. The quality of our vast pool of qualified and skilled workforce has been recognized by the world and is going to be India's most crucial contribution to the globalised world economy.

    India's economy is on an ever increasing growth curve. With positive indicators such as a stable 8 per cent annual growth, rising foreign exchange reserves, a booming capital market, and a more than 25 per cent surge in exports, it is easy to understand why India is a leading destination for foreign investment. India has emerged as the world's fastest growing wealth creator, thanks to a buoyant stock market and higher earnings.

    Forty-four per cent of Top 100 Fortune 500 companies are already present in India.

    One and a half decades into the process of economic liberalisation and global integration, India, today, is well established as a credible business partner, preferred investment destination, rapidly growing market, provider of quality services and manufactured products; and stands on the threshold of sustained and unprecedented growth. With its manufacturing and services sector on a searing growth path, India's economy may soon touch the coveted 10 per cent growth figure. This is the subject of the new Goldman Sachs report.

    In this backdrop there are challenges for India which it cannot tackle alone. The issue of energy security is vital for India's economic and political future and is closely interlinked with issues of global warming, cleaner technologies and the economics of it all. India's civilian nuclear program must be seen on this background. Not to mention in the same breath that India being a responsible nuclear power is a factor of peace and stability for South Asian region and the world.

    Despite the distance and apparent differences in size Belgium figures very high on the India-EU trade list. It has consistently been in the top three partners in Europe, with our bilateral trade reaching 7.5 billion Euros in 2005. I must, however, add that this trade is dominated to a large extent by diamonds. As you are aware, Belgium has a significant presence of the Indian diamond companies who are contributing constructively to the Belgian economy.

    What is even more pleasing is the vote of confidence given to Belgium by the Indian corporations who are looking at new opportunities in Europe, both for manufacturing and for distribution. Belgium has an advantage given its location and openness, and the familiarity brought about by the presence of the Indian community here. It is not surprising that both the UK and Belgium, with a sizeable Indian presence are the chief destinations of indian investments. It is noteworthy that during 2006 Indian companies invested upwards of 1 billion Euros in eight Belgian Companies. These were mergers, acquisitions and joint ventures all put together. Many other sectors and industries are being looked at. This made India perhaps the second largest foreign investor in Belgium in 2006, without not including the much talked about Mittal Arcelor merger. This would have been unthinkable only a few years ago.

    Similarly India's relations with the EU are also undergoing dramatic changes. Starting in 2000 with a Summit level interaction we have now become the latest Strategic partner of the EU, since 2004. A very ambitious Joint Action Plan covering all aspects of bilateral relations — political, trade, economic, development cooperation, science and technology, and education and culture has been established. We are also working towards a launch of negotiations for free trade and investment relations by the middle of this year, and we feel that these developments will have a dramatic impact on the global economy. Similarly India and EU partnership is crucial for the success of the Doha round.

    India which is home to one-sixth of humanity and is a multi-religious, multi-ethnic and multi-lingual society is an experiment in which the whole world has a stake.

    Today, more than ever before. In the backdrop of the growing threat of international terrorism, religious intolerance, xenophobia and right-wing activism, it is important for the world that a pluralistic society such as India is encouraged to become a role model for others. India appreciates the European project and believes that the success of the European dream augurs well for the peace and prosperity in the world. It looks at the emergence of the European pole in an inevitable multi-polar world order as a basis of peace and stability. The major actors of the world are deeply conscious that the current architecture is unsustainable and are also aware that the international framework and institutions which seek to manage global affairs need to change to accommodate new realities.

    Indeed, the emergence of the European Union after centuries of conflict was one of the most remarkable and positive developments of the twentieth century. Our region presents a disturbing picture currently but I believe it will change once all the regional governments fully understand the benefits of cooperating closely. Afghanistan has been turned into a perpetual battleground and consequently a supplier of illicit drugs to the world. Most of the heroin sold in European and American market has its origin in Afghanistan. Pakistan's support in tackling the Afghanistan issue has been far from encouraging. And its own record in controlling terrorist acts from its territories have been lacking and these have been well documented by international observers. Bangladesh has also seen a rise in violence. Intelligence agencies have pointed to the emergence of terror networks within that country, which are targeting both the local population and have established links with the wider network around the globe. Nepal is still emerging from its violent internal struggle. Srilanka's civil strife has been one of the bloodiest and has included some very high profile assassinations making it a source for concern not only for India but for the entire international community.

    It is in this context, that India is attempting to focus on its economic and social development because what we see as are our biggest challenge is ensuring a better quality of life for our vast population. Our sustained economic growth will act as a catalyst for peace and prosperity in the South Asian region primarily but not only for the citizens of India. It will have a positive influence for the people of the region and the world at large. Once, India is able to fully channelise the energies and talents of its vast population it will be able to ensure that it plays its rightful role in the comity of nations.

    The recent update on the BRIC report of Goldman Sachs has concluded that India's full economic potential is yet to be tapped, and it is on the threshold of even more explosive growth. The summary of the report makes the following significant points:

    — India's high growth rate since 2003 represents a structural increase rather than simply a cyclical upturn. We project India's potential or sustainable growth rate at about 8 % until 2020.

    — The recent growth spurt was achieved primarily through a surge in productivity, which Goldman Sachs believes can be sustained.

    — India is well-positioned to reap the benefits of favourable demographics, including an « urbanization bonus », and a further rise in capital accumulation, in part from an upsurge in foreign direct investment.

    — The risks to growth are: political risk, including a rise in protectionism; supply-side constraints, including business climate, education, and labour market reforms; and environmental degradation.

    — Our assessment suggests that India's influence on the world economy will be bigger and quicker than implied in our previously published BRICs research.


    II.3.2. Exposé de M. Wouter Vandenhole, titulaire de la Chaire « Droits de l'enfant », Université d'Anvers

    L'Inde est parfois appelée — à juste titre — la plus grande démocratie du monde. Elle bénéficie aussi d'une longue tradition constitutionnelle dans laquelle c'est la rule of law qui prévaut et non la rule of men. Il y a en outre une société civile active et animée. La Constitution indienne garantit tant les droits civils et politiques classiques et le droit à l'égalité et à la liberté d'expression et de réunion que les droits fondamentaux sociaux et économiques, comme le droit à des conditions de travail décentes et à l'enseignement.

    Non seulement la Constitution indienne contient une série de garanties relatives aux droits de l'homme, mais l'Inde est aussi partie contractante à la plupart des traités internationaux en matière de droits de l'homme: le traité international en matière de droits civils et politiques, le traité en matière de droits économiques, sociaux et culturels, le traité concernant la discrimination raciale et celle à l'égard des femmes, ainsi que le traité des droits de l'enfant. Il est frappant de constater qu'elle n'a pas ratifié le traité contre la torture et les peines et traitements inhumains et dégradants, malgré les innombrables rapports sur la torture, les brutalités et la violence sexuelle envers notamment des femmes et des enfants maintenus dans des centres de détention.

    À l'une ou l'autre exception près, l'Inde dispose des normes nécessaires en matière de droits de l'homme, mais c'est la concrétisation de ces normes qui pose problème. Il est difficile de les traduire dans la législation et dans la politique et lorsqu'elles le sont, souvent la législation n'est pas appliquée ou la politique n'est pas exécutée.

    On peut toutefois recourir à la justice pour faire valoir les droits fondamentaux. Malgré d'évidents problèmes d'accessibilité, d'arriéré judiciaire et d'indépendance des juges aux échelons inférieurs, le pouvoir judiciaire — et certainement la Cour suprême — est très indépendant vis-à-vis du pouvoir exécutif.

    Ces dernières décennies la Cour suprême a, dans un certain nombre d'arrêts, admonesté le pouvoir exécutif pour violation des droits de l'homme, notamment en matière de privation arbitraire de liberté, de travail des enfants et de travail forcé. La Cour est toutefois elle-même confrontée à des difficultés découlant du manque de concrétisation précité. Les instructions et les arrêts du juge sont souvent exécutés partiellement, voire ne le sont pas du tout. La concrétisation des normes, de la législation et de la politique relatives aux droits de l'homme constitue donc, en Inde, un important point névralgique.

    Deuxième grand problème, l'inégalité sociale et la discrimination, toutes deux profondément enracinées et qui frappent toujours les mêmes groupes vulnérables comme les intouchables, les femmes et les enfants. La discrimination est souvent multiple: les femmes hors caste sont victimes de discrimination et de violence parce qu'elles sont à la fois des intouchables et des femmes. Le gouvernement indien refuse de reconnaître la discrimination fondée sur la caste comme une forme de discrimination raciale. L'Inde s'est récemment entretenue à ce sujet avec le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale. La discrimination et la ségrégation des intouchables ne s'exercent pas tant de jure mais surtout de facto. Ce n'est donc pas tant une législation nouvelle et meilleure qui est avant tout nécessaire, mais la mise en œuvre et des changements sociaux par l'application des lois.

    En tant que titulaire de la chaire « droits de l'enfant » de l'UNICEF, récemment créée à l'Université d'Anvers, l'orateur se limiteras à quelques-uns des principaux problèmes: l'enseignement, le travail des enfants, le travail forcé, le registre des naissances et les mauvais traitements carcéraux

    Le droit à l'enseignement figure dans la Constitution indienne. Depuis 2002, l'enseignement gratuit est garanti à tous les enfants entre 6 et 14 ans mais l'accès à l'enseignement est toujours problématique pour les enfants Dalit. Ils sont peu nombreux à s'inscrire dans l'enseignement secondaire et supérieur, le décrochage scolaire est important et le simple accès physique aux écoles est parfois problématique, surtout quand ces enfants vivent dans un quartier principalement habité par une caste dominante. Bien que l'analphabétisme soit en recul parmi les membres des tribus, appelées tribes, le fossé s'élargit entre le taux d'alphabétisation de ces tribus et celui de la population indienne en général. L'alphabétisation augmente donc dans la population indienne, y compris dans les tribes, mais de manière proportionnellement plus lente dans celles-ci. Les filles également — a fortiori si elles appartiennent à la caste des intouchables — souffrent de discrimination en matière d'enseignement. On évalue à 60 millions le nombre d'enfants qui ne fréquentent toujours pas l'école primaire. Il est pourtant apparu que dans l'État de Kerala, par exemple, l'accès général à l'enseignement réduit le travail des enfants.

    Le deuxième problème est le travail des enfants. Les estimations du nombre d'enfants qui effectuent un travail interdit vont de 10 millions selon le gouvernement indien à 50 millions selon les ONG et les Nations unies. L'information que donne le présent exposé est uniquement basée sur les documents des Nations unies, d'institutions spécialisées, afin d'éviter les informations peu fiables ou tendancieuses.

    La Constitution indienne interdit le travail des enfants de moins de 14 ans dans les mines, les usines ou d'autres endroits dangereux. Une loi de 1986 précise les interdictions et réglemente le travail autorisé. La loi de 1986 concernant le travail des enfants a été renforcée en octobre 2006; le travail à domicile et les restaurants ont également été exclus du champ d'action professionnel des enfants. On a en outre prévu des sanctions judiciaires pour les employeurs qui bravent l'interdiction.

    Outre l'élargissement des interdictions en la matière, la concrétisation de la législation existante est également demandée. On ne respecte pas suffisamment les limites d'âge et les enfants font souvent des travaux dangereux malgré l'interdiction formelle. Les employeurs qui recourent illégalement au travail des enfants sont fort peu poursuivis.

    Le travail forcé en paiement de dettes, appelé bonded labour, est étroitement lié à cette question. C'est en Inde que le nombre d'enfants soumis à cette pratique est le plus élevé. Le bonded labour ne se limite cependant pas aux enfants mais concerne aussi les adultes. Selon certaines sources, 15 millions d'enfants sont concernés, principalement issus des parias. Le travail forcé en paiement de dettes est interdit par l'article 23 de la Constitution indienne et par une loi de 1976, mais l'imposition du respect de l'interdiction, notamment par l'instauration de poursuites judiciaires, reste faible.

    L'un des défis auxquels les autorités indiennes sont confrontées est le développement d'un système contraignant d'enregistrement des naissances. En 2003, jusqu'à 46 % des enfants n'étaient pas enregistrés immédiatement à la naissance. Les conséquences sont souvent graves. Ne pas disposer d'une date de naissance exacte empêche par exemple l'application correcte de la législation qui protège les filles contre l'exploitation sexuelle et la traite des êtres humains. De même, il est difficile d'appliquer correctement la législation sur le travail des enfants, faute de savoir si ces enfants ont ou n'ont pas 14 ans accomplis.

    La torture, les mauvais traitements et les abus sexuels restent une réalité quotidienne dans les centres de détention indiens. La situation n'est pas différente pour les enfants: il est souvent fait état de mauvais traitements, de tortures et d'abus sexuels en milieu carcéral, parfois même d'assassinats d'enfants par des agents de police. Ces faits, auxquels il faut ajouter les longues périodes de détention préventive, posent problème aux autorités indiennes et constituent un défi majeur. La ratification de la Convention des Nations unies contre la torture, que l'Inde a signée en 1997, pourrait être un premier pas vers une amélioration dans ce domaine.

    La croissance économique, parfois spectaculaire, de la dernière décennie n'a guère entraîné d'amélioration pour les pauvres, les enfants pauvres en particulier. Près de 2 millions d'enfants meurent encore chaque année de malnutrition et de maladies évitables. Le taux de malnutrition des enfants (47 %) est même plus élevé que celui de la plupart des enfants d'Afrique subsaharienne.

    Du point de vue des droits de l'homme, l'État porte une lourde responsabilité, d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici de pénurie alimentaire. L'Inde est autosuffisante en la matière et dispose d'un système bien développé de réserves alimentaires. Le problème réside dans la répartition et la distribution, raison pour laquelle les ménages n'ont aucune sécurité alimentaire.

    Depuis la libéralisation partielle de l'agriculture et la nouvelle orientation — au milieu des années nonante — de la politique de répartition des réserves alimentaires, l'insécurité alimentaire des plus pauvres, c'est-à-dire la majeure partie de la population, s'est accrue. Femmes, enfants et membres des castes et tribus enregistrées sont le plus durement touchés par la réforme du système de distribution alimentaire. La nourriture n'est plus mise à la disposition de tous, mais seulement de groupes cibles déterminés, ce qui a augmenté l'insécurité alimentaire et la malnutrition. Étrangement, le système semble plus onéreux pour les autorités si on observe le pourcentage du PNB consacré à la distribution alimentaire. S'attaquer à la sous-alimentation indépendamment de toute idéologie et dans le respect des obligations en matière de droits de l'homme peut donc constituer une situation win-win pour l'Inde: intérêt financier pour l'État et estomacs pleins pour les populations.


    II.3.3. Exposé de M. Marc Cogen, professeur de droit international, Université de Gand

    India is a huge country with a population of 1.1 billion people. Its most outstanding characteristic is its long-standing democracy which makes India exceptional in the Asian region. We cannot overestimate the value of India's democracy in a continent that is still hesitant to embrace this form of government. Moreover, its English-speaking population is the connecting factor that integrates India in the global system and creates good relations with high-income countries, even at personal level such as families living abroad. The political system of India is open and receptive to good governance standards. Its legal system is developed on the basis of the English common law, creating an understandable system for foreign investors. These factors work to the advantage of India.

    At the same time India is challenged because of its population size, provoking deforestation, overgrazing, air and water pollution. High medical risks result from this situation such as water-related diseases (diarrhoea and hepatitis). The Indian economy is still to a large extent a rural economy where three fifths of the population earns a living. Their development is seriously hampered by lack of adequate basic infrastructure and schools. On the other hand highly skilled professionals, living in big cities, are the driving force of India's economic growth, making cities even more attractive to young professional people.

    In terms of external relations and security, India suffers from porous borders with Pakistan and Bangladesh. In order to secure its borders India established long fences alongside these borders: the 2 500 kilometre long fence with Bangladesh and the 550 kilometre long fence along the line of control in Kashmir. As a matter of fact, infiltrations by militia operating from Bangladesh, maintaining ties with Taliban and Al Qaeda, pose a serious security threat, not only for India but also for many other countries. The wider public outside India is not well aware of these security threats that India is facing. Finally, India has abandoned its antiquated policies of non-alignment and has dramatically improved relations with the USA.

    By law human rights are well protected throughout India. It illustrates the democratic nature of India's political system. Indeed, a democracy is characterised by three elements combined: fair and general elections, the freedom to establish associations (in particular political parties and trade unions), and the freedom of expression, including the right to express unpopular and even shocking opinions. These political criteria of a democracy are met.

    India is a federal state that acknowledges the diversity of religions and populations. Indian federalism owns much to the Punjab state that was at the forefront of a movement to claim autonomous rights during the 1970's and 1980's. Federalism was finally adopted by the 73rd and 74th constitutional amendments of 1992/93. Punjab is now an example of a well governed federated state of India. It has a good basic infrastructure and is the richest federated state of India.

    According to a recent World Bank study, Indian decentralisation is a success on account of its legislation, although India performs poorly with regard to fiscal autonomy of the federated states and the modernisation of the federated administrations. Bad representation of low-income classes in local government is another problem to be solved according to the World Bank study.

    Let us look at the problems faced by local governments. It is my opinion that future political stability of India increasingly depends on the question whether local governments will be able to launch modernisation and good governance, also taking into account that traditional rural societies continue to exist in these states.

    Indeed, in contrast to the central government, which can rely on well trained and educated civil servants maintaining a modern code of conduct, some federated states have more difficulties modernising their government. Especially northern federated states witness intra-communal violence from time to time. Although the central government is the final decision-maker with regard to security in the country, federated states too bear responsibility in developing harmonious intra-communal relations and preventing violence.

    One area of great concern is the equality between men and women. It is true that India is known for having several women at the head of politics. But they came from the high-income class and this fact demonstrates that equality between men and women is really tested with regard to middle-income and low-income social emancipation.

    To give some examples. Child marriage is popular in some parts of India such as in Rajasthan where even feudal traditions continue to exist. according to a New York Times report 56 % of women are married before they reach the age of 15 years. Indian NGO's also conduct a campaign « Stop violence against women ». In rural areas women often are discriminated by the combination of sex, class, religion and marriage. Often land rights are involved, especially when the woman becomes a widow. Indian law prohibits discrimination but the authorities should do more to carry out programmes and training of civil servants, police forces and magistrates to enforce these rights. It is advisable that national programmes can be adopted to induce local governments to start with these badly needed social action programmes. Fiscal and budgetary incentives can become a major tool to achieve this goal.


    II.3.4. Exposé de M. Peter Van Wonterghem, chercheur, Jawarharlal Nehru University (JNU) New Delhi

    L'Inde, qui offre une telle diversité de personnes et de domaines culturels, peut difficilement être cernée par qui que ce soit, même par les Indiens qui y vivent.

    Toutes les visions de l'Inde sont nécessairement de nature très personnelle et quiconque s'est déjà rendu en Inde ne comprend que trop bien à quel point il est difficile parler de l'Inde à des personnes qui n'y sont jamais allées.

    En 1947, l'Inde est décolonisée et divisée en deux États: le Pakistan occidental et oriental et l'Inde. À une exception près, les 564 États princiers deviennent indiens l'un après l'autre. Un an plus tard, la guerre du Cachemire éclate. Quinze millions de personnes changent de pays. On estime à un million et demi le nombre de morts. Encore un an plus tard, le Père de la Nation, plus connu chez nous sous le nom de Gandhi, est assassiné par des extrémistes hindous.

    En 1947, le gouvernement dirigé par le Parti du Congrès arrive au pouvoir sous la direction de Jawaharlal Nehru et de ses camarades. Celui-ci gouverne jusqu'à sa mort en 1964. Le Parti du Congrès domine tous les gouvernements jusqu'à la fin des années 1960.

    En 1961, Goa, jusqu'alors colonie portugaise, est annexée par l'État indien. Un an plus tard, une guerre éclate avec la Chine; les traces de ce conflit sont encore visibles aujourd'hui. Les mêmes régions sont ainsi indiquées comme chinoises sur une carte chinoise et indiennes sur une carte indienne.

    Indira Gandhi, issue de la dynastie Nehru, prend le pouvoir et doit faire face en 1965 à une guerre avec le Pakistan. Une autre guerre éclate en 1971 lorsqu'elle fait participer l'armée à la libération du Pakistan oriental qui devient alors le Bangladesh.

    Le Parti du Congrès mène dans les années 1970 une politique populiste vis-à-vis des pauvres, des OBC (Other Backward Classes) et des minorités. Dans ce qu'on appelle le Kitchen Cabinet, le pouvoir est centralisé autour d'Indira Gandhi. Elle est aussi au pouvoir lorsqu'en 1974, l'Inde fait exploser sa première bombe atomique, soi-disant à des fins pacifiques.

    En 1975, le Sikkim est annexé après une querelle interne. La même année, dans la plus grande démocratie du monde, Indira Gandhi décrète l'état d'urgence qui dure jusqu'en 1977.

    Deux ans plus tard, lors des élections de 1977, Indira Gandhi est toutefois sanctionnée. Le Parti du Congrès perd face aux partis d'opposition et un nouveau gouvernement arrive au pouvoir sous la direction du parti Janata Dal. Celui-ci ne se maintient cependant que deux ans. Ensuite, Indira Gandhi remporte à nouveau les élections. En 1984, elle envoie l'armée au Temple d'Or des sikhs au Panjâb. Quiconque a récemment visité ce temple peut difficilement s'imaginer à quoi il ressemblait après l'opération Blue Star: il était complètement réduit en miettes. Heureusement, les sikhs peuvent compter sur une riche diaspora pour rassembler les centaines de millions nécessaires à l'achat des centaines de kilos d'or destinés à sa reconstruction. Indira Gandhi ne peut toutefois pas jouir longtemps de sa victoire car, la même année, elle est assassinée devant son domicile par un garde du corps sikh. Son fils Rajiv devient premier ministre.

    Entre 1970 et 1980, un autre fait marquant fait la une de l'actualité. La « révolution verte » a pour effet que l'agriculture produit jusqu'à trois fois plus. L'Inde n'a donc plus besoin de la nourriture importée de l'étranger. Ce sont aussi les années de l'ascension des Other Backward Classes, des partis de castes, des conflits entre castes, des partis politiques ruraux et des déplacements d'agriculteurs. Le gouvernement dirigé par le Parti du Congrès donne en même temps un coup de barre à droite et c'est l'émergence de la Great Indian Middle Class.

    Le Parti du Congrès ne peut toutefois rester au pouvoir et, en 1989 et 1990, il doit à nouveau céder le flambeau à un gouvernement de coalition, le « gouvernement de front national ». Celui-ci, sous la direction de V.P. Singh, génère un véritable bouleversement. Il décide notamment d'appliquer les recommandations de la Commission Mandal qui entend offrir certaines garanties aux castes reléguées au second plan. En 1991, Rajiv Gandhi est assassiné par des militants du LTTE (Tigres de libération de l'Eelam tamoul). Vient alors une nouvelle administration qui défend la globalisation, la privatisation et la libéralisation.

    Cinq ans plus tard, le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti hindouiste nationaliste, arrive pour la première fois au pouvoir, même si ce n'est que pour treize jours. Il ne peut donc pas marquer de son empreinte la politique du gouvernement. Il fait toutefois en sorte qu'une mosquée soit détruite à mains nues, le jour de la Saint-Nicolas de 1992, à Ayodhya, dans l'actuel Uttar Pradesh. On dit que la mosquée était bâtie sur le temple où la naissance du dieu Râma était commémorée. Cette démolition engendre des troubles qui causent des milliers de morts, surtout musulmans, non seulement en Inde mais aussi dans les pays voisins.

    En 1996, la coalition du Front Uni forme le gouvernement avec des partis régionaux, de gauche et représentant des castes, mais un an plus tard il tombe.

    C'est alors à nouveau le tour du BJP, sous la direction du premier ministre Atal Bihari Vajpayee. Ce gouvernement exécute, conformément à ses promesses électorales, un essai nucléaire suivi une semaine plus tard, en mai 1998, par l'essai nucléaire du Pakistan.

    Le ministre de la Défense affirme clairement que l'ennemi numéro un de l'Inde est la Chine et non le Pakistan. Les États-Unis décident d'imposer des sanctions tant au Pakistan qu'à l'Inde. En 1999, on déploie la « diplomatie du bus »: pour la première fois depuis 1947, une liaison entre l'Inde et le Pakistan est créée et inaugurée par le président Nawaz Sharif et le premier ministre Vajpayee à Lahore.

    En 1999 éclate le conflit frontalier de Kargil à la suite d'infiltrations du Pakistan au Jammu et au Cachemire. Quelques partenaires de la coalition font tomber le BJP. Lors des élections qui s'ensuivent, le Parti du Congrès obtient ses plus mauvais résultats depuis l'indépendance. Après des décennies de monopole, il perd sa position de force. De nouveaux partis politiques et des partis de castes entament une régionalisation du pouvoir politique. Entre-temps se développe une atmosphère qui se retourne contre les minorités. Alors que le BJP et divers partis de coalition sont au pouvoir se produisent des attaques contre les minorités chrétiennes et musulmanes, sans que le gouvernement ne réagisse.

    En 2001, une nouvelle rencontre a lieu entre le premier ministre Vajpayee et celui qui est entre-temps devenu le président pakistanais, Musharaf. Le terrorisme frontalier gâche hélas tout. Les États-Unis envahissent l'Afghanistan après le 11 septembre et en Inde le parlement est attaqué au cœur même de New Delhi. Les coupables n'ont toujours pas été jugés et on ne sait toujours pas clairement de quel côté venait l'attaque. En 2002, l'Inde et le Pakistan sont à nouveau sur le pied de guerre au sujet du Cachemire et du terrorisme. Le Gujarat connaît les plus grandes émeutes ayant jamais eu lieu entre les musulmans et les hindous. Elles font environ deux mille morts et des dizaines de milliers de personnes sont chassées de chez elles. Aujourd'hui elles vivent toujours dans des camps.

    En Inde, depuis l'indépendance et surtout depuis les années 1970, on s'est toujours attaqué à toutes sortes de problèmes afin d'éviter de devoir se préoccuper de la pauvreté et du manque d'attention à l'égard des minorités. Ces problèmes ont été à l'ordre du jour à chaque élection mais aucun gouvernement n'a jamais vraiment voulu aider la majorité de la population qui vit véritablement dans la misère.

    En 1947, Jawaharlal Nehru était le seul leader politique qui estimait que la plus grande menace pour la nouvelle Inde démocratique n'était pas le communisme mais le « communalisme », autrement dit la confrontation des intérêts des différentes minorités — politiques, économiques, culturelles et sociales —, et le fanatisme religieux qui y est lié.

    Où se trouvent les problèmes d'après les Indiens et quelles sont les solutions ?

    Les raisons directes des tensions qui découlent du « communalisme » ne sont pas de nature religieuse mais sont liées au pays, à la propriété et au commerce.

    De nombreux préjugés existent entre les différents groupes de la population. Ceux-ci ne vivent pas ensemble mais à côté les uns des autres. Chaque religion connaît ses abus mais chaque religion prône l'amour du prochain. La plupart des Indiens appliquent des normes différentes à l'égard des différentes religions.

    La concurrence sur le marché du travail suscite également des tensions. Les minorités en sont toujours victimes.

    Ce sont avant tout les préjugés qui doivent être éliminés. Chaque religion a le droit d'exister en Inde. En fait, les seuls « vrais » Indiens sont les Adhivasi, les premiers habitants, qui ont été quasiment exterminés.

    Un autre moyen pour supprimer les tensions consiste à stimuler la croissance économique. Cependant, cela présente aussi des désavantages. La politique du gouvernement à l'égard des tribus et castes inférieures de la population — les scheduled castes and scheduled tribes — n'est en effet pas appliquée par le secteur privé.

    L'accès aux logements, aux écoles ou aux clubs ne devrait pas être réservé à certains groupes de la population.

    Les médias doivent rester objectifs et ne pas diffuser des émissions spéciales pour un groupe spécifique.

    Les minorités doivent être représentées au sein des forces de police.

    Les fauteurs de troubles doivent immédiatement être jugés. Il faut parfois plus de dix ans pour traiter certaines affaires judiciaires.

    Enfin, on devrait accepter que l'Inde est un État séculier. C'est en effet précisé dans la Constitution. L'Église et l'État doivent être totalement séparés. Nehru a donné l'exemple sur ce plan.

    Par ailleurs, toutes les religions doivent être respectées. Cela donne parfois lieu à des spectacles hypocrites. D'un côté, les musulmans et les hindous se combattent mais de l'autre, ils prennent part aux fêtes religieuses de l'autre communauté.

    Les hommes politiques ne peuvent pas afficher leur foi en public. Nehru ne l'a jamais fait, mais Indira Gandhi a dérogé à cette règle.


    II.3.5. Exposé de M. Lars Jacobsen, senior regional manager, ING

    L'Inde est un continent très varié, comprenant beaucoup de peuples et de langues. Il a une histoire et une culture très riches ainsi que différentes religions. Nous associons l'Inde au végétarisme, aux castes, à la réincarnation, aux vaches sacrées, au Kamasoutra, aux charmeurs de serpents, à Mère Theresa, à Sœur Jeanne Devos. Tout est présent en Inde.

    L'Inde connaît une énorme croissance. En 1947, 400 millions de personnes vivaient en Inde avec une espérance de vie moyenne de 34 ans. À l'heure actuelle, il y a plus d'un milliard d'habitants. Le produit national brut est près du double de celui de la Belgique. La croissance annuelle moyenne de la population est de 1,7 %, l'espérance de vie moyenne de 64 ans. Il y a des multinationales, aux mains tant de l'État que du privé. Le produit intérieur brut croît chaque année de 8,5 %. Le gouvernement veut faire augmenter le PIB de 10 % par an. La classe moyenne, qui est le moteur de tout ce qui se passe en Inde, se développe très vite.

    Par rapport à la Chine, l'Inde a connu une croissance plus lente. Elle en est fière car, selon les Indiens, elle n'a de ce fait pas connu les mêmes problèmes que la Thaïlande ou la Corée. L'Inde n'a jamais connu de révolution et c'est un point positif. Elle considère qu'elle vit une lente révolution. La roupie n'étant pas entièrement convertible, l'Inde a échappé aux crises asiatiques.

    Avec dix millions d'habitants, la Belgique ne compte même pas 1 % du nombre d'habitants de l'Inde. Il fut un temps où le produit national brut de la Belgique était plus élevé que celui de l'Inde mais ce temps est révolu.

    L'Inde est une jeune démocratie qui connaît une très grande diversité. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles tout n'y est pas parfait. Malgré la diversité, la démocratie fonctionne très bien.

    Le pouvoir judiciaire est de très grande qualité, surtout la Cour suprême. Aux échelons inférieurs, le système fonctionne moins bien. Les écoles sont aussi bonnes qu'en Belgique mais il y a trop peu d'écoles primaires et les castes inférieures y accèdent trop peu.

    L'Inde est autosuffisante pour son ravitaillement. La production industrielle augmente rapidement; l'industrie des programmes informatiques est très importante. En 1958, la part de l'agriculture dans le PNB s'élevait à 58 %, celle de l'industrie à 15 % et celle des services à 28 %. En 2003, il s'agissait respectivement de 22 %, 27 % et 51 %. L'Inde est particulièrement forte parce que le secteur des services est celui de l'avenir. Elle est aussi très performante sur le plan des logiciels informatiques et des applications TI. Au plan industriel, aussi, la croissance est très importante. Les ingénieurs sont particulièrement bons. Quant aux entreprises de pointe, l'Inde est au même niveau que la Belgique. Elle dispose déjà de missiles et a fabriqué depuis longtemps une bombe atomique.

    L'Inde est toutefois en retard au plan des infrastructures: routes, ports, écoles, aéroports. Beaucoup de choses se sont cependant améliorées. Il y a aussi beaucoup à faire en matière de soins de santé, bien que le pays dispose d'hôpitaux de classe mondiale où les plus fortunés des émirats et de toute l'Asie se font soigner selon les techniques les plus avancées.

    La croissance économique s'élève à quelque 9 %. L'Inde veut la porter à 10 %. Il y a déjà quelques problèmes de surchauffe mais le gouvernement maîtrise l'inflation. Les infrastructures constituent aussi un frein à l'accélération de la croissance.

    La bourse explose, tout comme le marché immobilier. L'orateur estime toutefois qu'une croissance de 8 % peut être maintenue. Cela peut contribuer au progrès de la justice sociale.

    Le PNB des États-Unis s'élève à 28,2 % du produit mondial brut, celui du Japon à 10,8 %, celui de l'Allemagne à 6,3 %, celui de la Chine à 5,1 % et celui de l'Inde à 1,7 %.

    Selon The Economist, en 2025, la part des États-Unis s'élèverait à 27,3 %. Celle de la Chine serait de 13,7 % et ce pays deviendrait ainsi la deuxième plus grande puissance économique mondiale. Le Japon descendrait à 6 % et l'Allemagne à 4,5 %. L'Inde occuperait la cinquième place avec 4,2 %.

    L'Inde a du retard sur la Chine en matière d'IDE, investissements directs à l'étranger. C'est peut-être un avantage pour l'Inde. La croissance est due aux entreprises indiennes qui ont investi leurs propres capitaux. Cette croissance est donc plus stable. La croissance de la Chine résulte principalement de celle de l'industrie manufacturière, où les moyens proviennent d'entreprises étrangères qui effectuent une partie de leur production en Chine. C'est moins stable et cela rapporte moins d'argent.

    La croissance démographique rapide est un point positif en Inde. Selon une étude des Nations unies, l'Inde tirera beaucoup d'avantages du fait qu'il s'agit d'un pays jeune avec beaucoup de forces vives qui poursuivent des études et arriveront sur le marché du travail. Cet avantage durera jusqu'en 2050. Ce n'est pas le cas de la Chine, qui connaîtra une croissance démographique moins rapide et qui, en raison de la politique de l'enfant unique, sera confrontée aux mêmes problèmes de vieillissement et de charge des retraites que la Belgique. L'Inde ne connaît pas ce problème et a un dividende démographique. La population jeune, qui croît rapidement, et les universités de haut niveau sont aussi un avantage pour le secteur des services, comme celui des TI. Pour développer le talent existant, il est très important que tous les jeunes puissent aller à l'école et aient la possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur.

    Un des moteurs de croissance de l'économie indienne est la consommation de la classe moyenne qui se développe rapidement et représente 150 à 200 millions de la population. Le capital étranger a une influence importante en Inde. Les étrangers, mais aussi les riches Indiens à l'étranger, achètent des actions et font des investissements. Cet apport de capital est suffisant pour stabiliser la majeure partie de l'importation de biens de consommation. C'est pourquoi la roupie est également stable et renforce même encore sa position à l'égard du dollar US. L'inflation augmente mais est sous contrôle.

    L'Inde a donc d'énormes possibilités de croissance. La croissance s'élève à quelque 8 %. Elle approche celle de la Chine et est stable. Le secteur de l'agriculture est le seul qui connaît du retard. C'est un problème puisqu'une grande partie de la population vit de l'agriculture.

    Les énormes déficits budgétaires du gouvernement fédéral sont plus ou moins sous contrôle. Ils augmentent moins parce que l'économie croît rapidement, de même que les recettes fiscales.

    Avec une inflation de quelque 5,5 %, l'intérêt sur les obligations d'État d'une durée de dix ans est de 7 à 7,5 %, soit à peine plus que l'inflation. C'est donc assez positif.

    Les entreprises belges suivantes sont déjà actives en Inde depuis des années: Barco, Bekaert, Extraction Desmet. Les trois grandes banques belges y sont représentées: ING, KBC (avec la Banque diamantaire) et Fortis. En outre, les entreprises suivantes y sont également actives: Janssens Pharmaceutica, Samsonite et Tele Atlas. Tractebel y a un très grand bureau d'études où travaillent 650 personnes et KBC avec ValueSource y fait de l'outsourcing de ses propres activités, surtout en TI.

    Les expériences d'investissements d'entreprises indiennes en Belgique sont très positives. On peut à peine évaluer à quel point c'est important. Une entreprise comme Pauwels Trafo était au plus mal en raison de la forte concurrence et des coûts salariaux élevés. Depuis la fusion avec l'excellente société indienne Crompton Greaves, les deux entreprises ont le vent en poupe: transfert de knowhow pour la firme indienne et nouveaux marchés pour Pauwels, qui entraînent de nouveaux investissements et de nouveaux emplois. Docpharma est également repris par une entreprise indienne pour ses vastes connaissances dans l'industrie pharmaceutique. Hansen Transmissions, qui est l'une de nos perles, a aussi été reprise par une entreprise indienne et ce sera sans doute une bonne affaire pour l'entreprise. UCO de Gand travaille maintenant avec le fabricant de jeans indien Raymond. Ils sont devenus ensemble le plus grand fabricant de jeans; UCO produit la meilleure qualité et Raymond la moins bonne.

    De telles opérations sont très importantes pour l'emploi en Belgique. Il faut remarquer que la collaboration entre l'Inde et la Belgique en général est très positive. C'est pourquoi il importe de suivre cette collaboration de près et de l'encourager.

    D'autres entreprises, comme Infosys et Tata Consultancy, sont présentes en Inde depuis longtemps et y poursuivent leurs activités.

    En conclusion, M. Jacobsen fait remarquer qu'investir en Inde était difficile au début, a fortiori pour les premières entreprises. Maintenant, cela va beaucoup mieux et celui qui veut y investir peut recevoir une aide appréciable de l'ambassade indienne et de l'ambassade belge sur place. La mentalité belge n'est pas très différente de l'indienne. Elle est à tout le moins comparable à celle des différents groupes de population indienne. Il est clair que la collaboration est fructueuse pour les deux pays.


    II.3.6. Exposé de M. Raneel De Wilde, chairman, AMI India Logistics

    En Inde, la logistique pose problème car le pays est énorme. L'Inde compte douze grands ports et environ 110 plus petits, mais dans tous les cas la communication avec l'intérieur du pays est mauvaise. En échange, l'Inde peut se prévaloir d'une solide industrie locale et d'économies particulièrement stratégiques. Elle exporte notamment du textile, des pierres précieuses, des biens d'ingénierie, des produits chimiques, des machines et des outils, et importe entre autres des biens de consommation, des produits métallurgiques, chimiques et pharmaceutiques.

    Il reste beaucoup à faire en matière d'infrastructure. Dans son nouveau plan quinquennal, le gouvernement indien consent dès lors d'importants efforts pour améliorer ses infrastructures portuaires et routières.

    La libéralisation de la logistique en est encore à ses débuts. Un système de transport efficace est une condition préalable à l'établissement d'une bonne logistique.

    L'Inde caresse d'ambitieux projets d'extension de ses ports, par lesquels transitent déjà 3,8 millions de tonnes de marchandises par an, une évolution en constante augmentation.

    De nombreuses entreprises, ainsi que des sociétés de logistique, s'établissent en Inde. Outre AMI, Ahlers y compte six bureaux. Toutes les grandes compagnies maritimes y ont une agence ou y sont représentées. D'un point de vue géographique et stratégique, l'Inde jouit également d'une situation idéale d'escale sur la route qui relie l'Europe à l'Extrême-Orient.

    Beaucoup de ports plus petits sont partiellement privatisés mais l'État exerce encore sa tutelle sur les grands ports. De très nombreux opérateurs portuaires, comme Maersk et P&O, créent quand même des sociétés locales. Les container freight stations (CFS) sont en pleine expansion mais sont exploitées par des entreprises d'État.

    Le grand problème est celui du réseau routier. Les grandes routes représentent environ 1,7 % de l'ensemble du réseau indien, mais 40 % du volume total des marchandises y passent, ce qui entraîne de nombreux problèmes. De grands travaux d'infrastructure ont été annoncés sur les axes nord-sud et est-ouest, depuis les ports indiens les plus importants, mais c'est évidemment une entreprise de très longue haleine. Des sociétés belges sont très bien placées pour effectuer de tels travaux. Ceci vaut aussi pour les travaux sur les voies d'eau, comme par exemple Jan De Nul et Dredging International.

    L'Inde a un potentiel formidable également dans le domaine logistique. Les exportations représentent environ 55 millions de tonnes par an et les importations plus ou moins 60 millions de tonnes. Une déclaration de douane est nécessaire pour toutes ces marchandises. Quatorze pour cent du PIB est généré par l'industrie logistique, le fret maritime et le fret aérien non compris. En outre, 23 % des coûts de productions sont consacrés à la logistique.

    Pour opérer dans la logistique, il est presque nécessaire de s'associer avec un partenaire indien. La législation est en effet très différente de la nôtre et une entreprise doit être bien au courant des habitudes locales. En outre, la bureaucratie est terriblement lourde. C'est un vestige de l'époque anglaise auquel on n'a malheureusement pas changé grand-chose.

    Sur le marché indien, on dénombre 2 000 à 2 500 opérateurs logistiques locaux. C'est un nombre terriblement élevé, surtout par comparaison avec un port comme Anvers qui compte peut-être cinq ou six grands opérateurs. Les sociétés logistiques locales sont très petites et ont peu d'expérience. On manque d'infrastructures, les temps d'attente sont très longs et l'obtention de tous les documents requis prend un temps fou.

    Les clients accordent très peu d'importance à la logistique. Ils pensent que la custom clearance est simple comme bonjour. Il y a en outre une très grande résistance au changement et à la procédure qui doit être suivie lors de l'importation de marchandises. Celui qui entame une activité dans le domaine logistique doit être conscient de ces choses et savoir ce qu'il peut faire contre elles.

    Pour résoudre ces problèmes, la politique du gouvernement en matière de libéralisation doit changer. Les importations devraient être libéralisées. Le gouvernement doit utiliser des systèmes mieux structurés. Il faut aussi créer des canaux de décision plus rapides car pour l'instant, il faut attendre terriblement longtemps avant qu'on ne prenne une décision en Inde.

    La participation privée aux grands projets est une nécessité absolue et il faudrait accélérer la réalisation des travaux de voirie. Le gouvernement a inscrit ce point dans ses priorités.

    Il faudrait ensuite s'occuper de la gestion de documents, des emballages, de la palettisation, de l'enlèvement et des points de livraison, de la gestion d'entrepôts, de la custom clearance, des assurances et du suivi des projets.

    Pour les clients, il faut raccourcir les temps d'attente, diminuer le nombre d'inventaires, économiser les coûts, améliorer la coordination et augmenter sensiblement le sens des responsabilités. Cela présente d'ailleurs aussi des avantages pour les opérateurs logistiques qui peuvent dès lors être plus compétitifs, établir un meilleur lien avec leurs clients et augmenter leurs marges bénéficiaires et leur part de marché.


    II.3.7. Échange de vues

    Mr Paul Wille. — The question on India's strengths and weaknesses cannot be judged by a small nation like Belgium. The BRICs Exercise is just an attempt to try and understand the consequences of the growth of a number of nations for Europe and Belgium.

    The Goldman Sachs Exercise was calling India an emerging nation but India is no longer an emerging nation. It is a world player economically and diplomatically.

    The 100 year anniversary of the Mahatma Gandhi march in South Africa was a very clear indication of the influence that India has in larger parts of the world and also reflected the Gandhian philosophy of looking for peace.

    Economy is a major element in the ranking of nations but this commission is not basing its judgements on economy alone.

    India is a growing nation just like China.

    China will exceed the Gross Product of the United States in 2035. India will exceed the Japanese one in 2020. There are a few major differences and similarities, like for example India's degree of dependence or independence on energy. The diplomatic progress of China, with producers such as South Africa, Iran, Venezuela and Nigeria, has made China a less independent State. China's dependence on foreign energy supply will be 75 % in 2035 whereas India will be 95 % dependent on foreign energy.

    Most people say that China is « the workshop of the world » and that India is the « office of the world ». Of course this is too black and white. It does not taking into account the dynamic aspect of what is happening and what is going to happen.

    Demography is definitely in India's advantage. The one child policy and the ageing population in China on the one hand and the culture of birth in India on the other hand gives India a major element of growth which is definitely not the case in China.

    Education is one of the major concerns in India: the average education years of schooling is 5 or less years for 53 % of the students. In China it is 98 %. Research and development and education are areas that the Indian government will have to involve themselves in.

    The development of India's bilateral relationship with China may not be a love-affair but there are many things that China and India can do together.

    The recent visit of the Chinese prime minister to India was a request for a free bilateral exchange which India highly favoured.

    On the other hand, some of the opinions made on the state of Arunachal Pradesh by the Chinese definitely did not make future cooperation easier. Major decisions as far as infrastructure is concerned for the linkage between India and the Yunnan provinces as a gate into China is one of the major things to achieve.

    The deal between the United States of America and India, creating a strategic partnership, allows India as a country a status of nuclear weapons power. It allows India to buy nuclear power materials and technology that up till now it was not entitled to receive because it failed to sign the Nuclear Non-proliferation Treaty

    The world criticises this deal because of the creation of a so-called double standard, that on the one side legitimises an Indian weapons programme that only 8 years ago led Washington to impose huge sanctions, while at the same time in Iran and North Korea the United States have demanded that they give up their capacity of making nuclear fuel.

    Besides this new development with the United States, Russia has sold 60 tonnes of nuclear fuel to India in the recent past.

    The military expenses of India are quite substantial, being up to 3 % of the GDP which goes on helicopters, submarines, satellites, etc.

    It includes the implementation of a maritime strategy to ensure the security of all routes in the Indian oceans.

    What are India's ideas about the construction of a Chinese seaport at Gwadar in Pakistan ?

    Is this, in China's opinion, a major problem for the near future ?

    What is the goal of acquiring an air transporter from Russian production called « The Admiral Ghorskov » that will be in India's waters from 2008 and the recent purchase of French Scorpène submarines. In what type of policy does this fit ?

    Finally, in the frame of India's ballistic missile program, which is a far reaching missile program for up to 3000 km, is this not more of a Chinese orientated policy than a Pakistani orientated policy ?

    Since the United States has suddenly become a player, how does India feel about the fact that the United States policy to Pakistan is on a different level than the one with India ?

    As far as schooling is concerned, it is very well known that the « haves » of the country, those who have the finances, are allowed into very famed institutes, the Institute for Technology, the Institutes of Management and major Business Schools. What is to be said about 2 major elements of development being on the one hand that India's private schools are mushrooming, not only in expensive boarding schools but equally in the very low end of education ?

    Now there is even a payment from 1-3 $ a month in the very low schools. The absence of teachers is up to 25 % and in many of the governmental schools » teachers are coming to school but are not always teaching. This is a major point of concern. If it is so, that in a number of states — Maharashtra, Uttar Pradesh, Tamil Nadu — the cost of private schools has gone up from 1.2 % of the per capita income to 6.3 % in urban areas how is this going to develop ? Does India have a policy that will insure the right of education for a larger number of people so that they will have more equal rights ?

    India has apparently up to 40 % of the worlds poor and is the second largest in the HIV suffering population.

    A positive point is that in local politics a rate of 33 % of women has been imposed in local councils. This will most probably lead to much more attention for elements like healthcare and education.

    India makes it quite difficult for foreign investment to enter its local economic frame. It allows foreign countries into its distribution system of wholesale but not into the retail.

    As far as retail is concerned, there is a very high lack of stockage capacity and of refrigerating infrastructure, and bad packaging.


    Mme Olga Zrihen aimerait comprendre en quoi les pays du BRIC peuvent être déterminants dans une nouvelle géopolitique stratégique qui se met en place. Dans ce cadre, le rapport au temps et au développement n'ont pas les mêmes valeurs ni les mêmes rythmes. Les représentations que l'on avait, il y a quelques années encore, de l'Inde, de la Russie, du Brésil ou de la Chine sont largement dépassées. Les images sont différentes mais surtout les participations sur la scène mondiale sont extrêmement importantes.

    Mme Zrihen constate un grand paradoxe. L'Inde est une puissance en développement assez exponentiel et particulièrement interpellant. Elle posséde des intelligences et des capacités techniques telles que l'Allemagne était prête à soudoyer honteusement tous les informaticiens pour les attirer. Par ailleurs, la classe moyenne, en pleine expansion, crée un appel d'air économique tout à fait remarquable. Mais à l'inverse, dans un contraste assez brutal, la population du secteur agricole qui représente près de 70 % et qui produit 22 % du produit intérieur brut, semble laissée à la périphérie de toutes les grandes agglomérations.

    En ce qui concerne la consommation énergétique, l'Inde est le troisième consommateur de pétrole, après les États-Unis et la Chine. L'essentiel de la production vient de l'Afrique et du Moyen-Orient. L'Inde est un partenaire précieux pour la construction de la cinquième centrale finlandaise. L'inde orientera-t-elle son approvisionnement énergétique vers une certaine autonomie qui la rangerait parmi les puissances productrices d'énergie nucléaire ? Cela risquerait de changer la donne au niveau mondial.

    Une deuxième question concerne les zones franches en Asie. L'Inde en aurait quelques-unes. Est-ce une nouvelle manière d'envisager un développement économique plus régional ? Comment l'Inde intégre-t-elle dans cette optique ?

    En ce qui concerne l'agriculture, l'Inde a, dans le groupe du G20, pris le leadership pour le positionnement et la défense des droits de certains pays. Compte-t-elle mener ce rôle ? Lors de la dernière rencontre de l'OMC, l'Inde était plus en retrait. Envisage-t-elle de prendre une position, comme elle a fait avec le Brésil pour les médicaments, qui pouvait induire une nouvelle vision des pôles en matière d'économie ?

    En matière nucléaire, l'accord conclu avec les États-Unis confère une certaine légitimité à l'Inde mais ce pays n'a toujours pas signé le traité de non-prolifération, ce qui nous inquiète énormément. Qu'en est-il ?

    Le sort des femmes restait peu enviable en Inde. Une société qui n'accorde pas aux femmes la place qui leur revient ne saurait connaître un développement durable. L'Inde envisage-t-elle d'adopter une politique volontariste pour permettre aux filles d'accéder à l'éducation ?

    The first question of Mr. Roelants du Vivier concerns the demographic policy of India and the question of the balance between the North and South of India. How will India anticipate the needs in terms of education and health for this immense number of people ? What is India's policy regarding its demography ?

    His second question concerns foreign direct investments. The foreign direct investments in 2005 were a little more than $ 6.5 billion whereas in China the number was about 73 billion. What explains this discrepancy and what does the Indian government do to attract more foreign investments ?


    Réponses de M. Dipak Chatterjee

    Mr Dipak Chatterjee states that it is very difficult to understand India, even if you stay there for a lifetime. India is a very diverse country. In terms of languages there are almost the same number of languages, which are official languages listed in the constitution, as the number of member states you have, plus innumerable variations of these languages which are cherished very dearly by the people.

    The culture is also widely different. Attitudes are widely different. This comes out in the society which emerges with its own diversity, with its own complex problems and with attitudes towards every issue which is mentioned, towards women, towards children, towards religion.

    Having seen rural India, having experienced pratical India, doesn't mean knowing the whole of India.

    It is very difficult to make a judgement and to draw a total picture which describes India. It is a country full of diversity, full of contradictions, different attitudes, different beliefs and different religious faiths.

    Why does child labour occur ? It is essentially an economic problem. Why does a family, a father or a mother, convince his child to start working at the age of 7 ? It is because they cannot feed him. That little which he gets from working is an addition to the income of the family. It is a necessity which they are compelled into out of poverty. The government does not hold any brief for this. This problem cannot be eradicated by making laws, or by asking for laws to be implemented. What needs to be tackled is development and to ensure that the poorest of the poor come up in society. What is India's record in development ? 15 years ago close to 50 % of the population were on the poverty line. The poverty line is where the income of the family is just enough for them to have two square meals a day and nothing more.

    This is what is called minimum poverty, it is the barest minimum a family would need. This affected 50 % of India's population 15 years ago. Today this is down to 22 % but it is a fact that 22 % of Indian people are still below the poverty line. What will happen to these people ? One estimate is that if this goes on at the current rate of progress it is hoped to totally remove people from the poverty line in 15 years, we expect that everyone will have 2 square meals a day. Will everybody send their children to school thereafter ? This cannot be answered.

    How can drop-outs be prevented ? India has had universally free primary education ever since India's constitution came into being in 1950. Then why is there less than 5 years of schooling ? Why are there huge drop-out rates in rural areas ? Number 1: A child has to come back to its family to add to its income.

    Number 2: What does a child do in school ? Can the school provide a square meal for him, can the school look after him ?

    There is a wide difference between private and government-run schools.

    First of all, there are not enough schools.

    The two biggest problems facing India are education and health and in health safe guaranteed drinking water is included. These are the two biggest challenges for the government. It is impossible for any government to spend 90 % or 98 % of its total budgetary resources on education. India needs to spend more on education but it does not have enough resources. This is one of the reasons why India approached the European Union for assistance and requested € 2 billion euro over a 5 year period. But the Commission has its own budget problems, it cannot provide enough. The Commission is increasing its assistance to India but it is not enough.

    India acknowledges that it has a serious problem and it is trying to do the best possible within the limited resources.

    When talking about inefficient administration down at the state level the pattern differs.

    There are some states which are much better managed.

    There is a new programme « The Integrated Child Development Programme » where poor children are supposed to get free meals, free education, free health coverage, including inoculations and vaccinations, up until the age of 10 or 12 years.

    This programme is being implemented differently in different states. It was an abject criticism in a few states. At the same time down South in Tamil Nadu the programme is a model one and is working out very well. It is a problem of implementation of this programme in those few states.

    Why is there prejudice against women in some states ? And there is none down South in Kerala where literacy is close to 98 %. There is no prejudice against women in the North-east or east where in certain states literacy is 100 %. It is literacy, and the spread of education which helps people overcome these social prejudices. There is a strong correlation.

    There are states that are backwards and it is here where there are prejudices. These prejudices are not only directed against women. They are often connected with caste and religion, but also with human nature.

    In the state of West Bengal, Marxist have been in power since 1978.

    They have assimilated themselves to the Indian democratic system. They no longer preach about revolution as a means to actual progress. They talk about achieving their objectives through the democratic set-up.

    One of the die-hard Marxist said that everything about Marxism is theoretically prefect. One factor Karl Marx did not take into account was human nature and that every human being is essentially selfish. The same thing drives a millionaire and a poor man and this is selfishness. Karl Marx did not account for this. Had selfishness not been there then Marxism would have succeeded. A millionaire never stops making money, he expands his business, he likes to achieve other objectives and profit drives him.

    This happens with religion also. It was mentioned that India should strive to get a secular State. This is in India's constitution. There is total freedom of religion in the constitution for any person to preach and practice. At the same time there are sporadic incidents of violence, against Muslims, against Christians. These are aberrations. Just as there is petty theft and burglary in Belgium or racial prejudice in the West despite all the social sanctions against these there are in a silimar way violations of the law in India. Since India's numbers are large in absolute figure the cases seem numerous. But by and large and taking the global picture India is generally a very peaceful society, where people have co-existed for centuries, Muslims, Hindus, Christians, Zoroastrians. The average man is not swayed by emotions. They tolerate other religions.

    India is trying to do in 50 to 60 years what has not happened in the West in 150 years. When did universal suffrage for women come into the West ? In the early twentieth century, maybe 1920's and 1930's in some countries. It took a span of between 150 and 160 years, starting with the Industrial Revolution before universal suffrage for women occurred. This time is too short given the poverty and large ignorance in which the Indian population live.

    In fact some of the population live almost in the same mental framework in which Europe was living in in the eighteenth century which explains some of the attitudes and beliefs people have.

    India's FDI is much less than that of China. At the same time the figures are not comparable because the way China and India compute FDI is quite different. But even then there is a significant difference. India's FDI's go from 6.5 to about 13 or 14 billion and China's is 73 billion, 5 times more.

    Does India need this type of FDI ? In its opinion it does not. This is one of the essential elements of the BRIC report. This pointed out that whatever FDI is coming to India has been made use of much more efficiently.

    The priority of capital is much higher in India, this is why the FDI is not needed. India can't absorb it. This does not mean that India does not want FDI's. It wants foreign direct investments in areas where it feels its development needs exist. The point was made about retail trade. The government needs to weigh up carefully whether opening up retail trade entirely to FDI will effect the livelihood of ordinary businessmen. India has an innumerable number of small stores. It is difficult to assess if these stores would be wiped out. It is a fact that in Thailand small stores were initially wiped out until the government took some steps to allow some preference to roadside hawking. This is an experience which India cannot forget or ignore. India is admittedly, not very fast in reform. India has been very careful, it has not opened it capital flows very easily, this is how India avoided the Dot Com Bust and the Asian currency crisis, because the Indian Central bank has been extremely cautious. The Indian government is very cautious and slow and takes steady and calibrated steps when handling FDI's.

    If India can achieve a 9 % growth by this slow calibrated fashion then this is preferable to striving to obtain 10 % or 15 % by doing something suddenly and then facing a problem later on.

    Agriculture is a priority. It is a fact that today almost two thirds of the population are still dependent on agriculture whereas the share of agriculture in GDP has come down to slightly less than 25 %. It is going to decrease.

    It seems as if the Indian government have been relaxing and reclining back because of the Green Revolution which took place in the late 70's, early 80's.

    India became self-sufficient in food grains. But the government has found that this is not lasting security. With rising incomes and increasing development there is more purchasing power available. People are no longer satisfied with two square meals a day. Earlier families who could barely afford two meals a day have moved into a higher income bracket. They want better quality food so that they can consume more. India needs to do something about its agriculture immediately. It needs to be made more efficient and modernised. What is needed is agricultural infrastructure, cold chains, cold storages, efficient marketing. From last year onwards a lot of attention has been paid to this.

    Certain fiscal incentives are being given. The Indian retail chains are also helping to bring this about by assuring minimum prices to producers of quality good. Hopefully things will change over a period of time. This can not happen overnight but the signs are there that this will happen.

    It was mentioned that India has the second largest number of HIV sufferers in the world. The government is going ahead with a huge national programme on HIV.


    Mme Zrihen déclare que les négociations relatives à l'agriculture au sein de l'OMC sont au point mort. Au début, l'Inde s'était montrée très active. Compte tenu du fait que le secteur occupe 70 % de la population, l'Inde est-elle prête à relancer les discussions ? Convoquera-t-elle une nouvelle conférence ou attendra-t-elle qu'un autre pays prenne l'initiative ?

    Mr Chatterjee states that since two thirds of India's population depends on agriculture and India has what is known as subsistence farming, where the majority of the farmers own less than one hectare of land, India has to protect its farmers from prices which are low by virtue of subsidies given by the European Union and the United States. India had to take a strong stand because it was convinced that allowing entry of subsidised agricultural products was pitting its farmers, not against a farmer in the USA or a farmer in Europe, but often against big companies because the system of farming is totally different in these areas compared to farming in India..

    Most of India's farmers consume what they produce. They have no marketable surplus. This is essentially a livelihood security for them. This was repeatedly asserted by India at WTN which really drove the Indian position. Whether India took a leadership role is not certain but it had a group of countries who had the same thoughts on this issue.

    If you look at the history of trade negotiations starting from 1948 when GATT came into being India was afraid of being pushed into a corner by an understanding between the United States and European Union and this being handed down as a solution to the rest of the world. India did not want this and therefore had to find a large number of likeminded countries.

    India has not given up its original stand on agriculture and nor has it stopped discussions.

    India's primary intention is to protect its farmers from ruination, this is of the utmost priority. At the same time, subsidies in agriculture are at the heart of the problem and are affecting people elsewhere. The huge subsidies given by the United States to cotton is something which is beneficial to India because it imports cotton. Nevertheless, India went along with Sub-Saharan Africa to demand a special treatment for cotton and it is not likely that India will give up this stand. It is not India's intention to be inflexible but to remain true to its belief and cause that the Doha Round should not only benefit India but be beneficial to all developing countries. This is a philosophy which will continue.

    The EU has accepted India's concerns and respects them. India is hoping for a breakthrough. Time seems to be running out which will be a tragedy because India is a firm believer in the rule-based multilateral trading system. It is important that the WTO continues to exist and prosper. Otherwise, it will be disastrous for international trade. This is India's belief. Notwithstanding any other bilateral trade routes which will follow India is a firm believer in the multilateral trading system. India takes the bilateral route because it believes that bilateral elements complement the multilateral route. They have done so historically.

    Women have a role in Indian democracy. There has been a female prime minister. She was the third prime minister and was in power for a long time. It is to her credit that when she realised she needed to get a mandate, she went in for a ballot and people voted her out. She took this in her stride and came back to power later on. India has a very high regard for women. Today, India has one chief minister who is a woman. It has had at least two more chief ministers who were women. There has not been a woman president in India as yet but the day will come when India will elect a female president. In India the President is a political person, a person of eminence.

    It is difficult to believe that in a country with a female prime minister that attempts are not made by the government to protect women's rights. Social stigmas do continue, child marriages do they take place, despite there being laws against it and people being prosecuted.

    India is in GDP terms percentage wise one of the lowest, it is much less than China and much less than Pakistan.

    In the case of China there is still a grey area on how accurate the defence figure expenditure is.

    Mr Amar Sinha states that the economic picture of India seems much better than the social picture, which India believes to be a good trend. India believes that the cake must grow bigger before distributing it. A lot of the social evils result from underdevelopment or poverty and have their roots over a long period of time. Underdevelopment has not just appeared overnight. The causes are much deeper.

    India is an old nation but a new country. The confusion rises here as people tend to become impatient towards India because they have known India since the time of Columbus or before. It has been in people's consciousness, they have known about it, they have interacted closely with it. They start comparing India with the west of today. What is important here is that India has the power of making its own policies only for the last 60 years. Achievements have been really tremendous during this time. India is already very conscious about its lack of infrastructure or the agricultural sector which has lagged behind. It is making efforts to correct this. Infrastructure, cold chains and logistics are the weak points and these are the sectors where European companies need to penetrate. India feels at times that its FDI policy is very calibrated. The question is should India open up its most lucrative sectors first or should it open up the sectors where it most needs the FDI.

    India now has an annual summit with China. Last year the President of China came to India. Earlier this year, in the trilateral context, the Foreign minister of China visited, along with the Russian Prime minister.

    In March, China will join, along with the EU for the first time, in the SAARC summit as an observer.

    In addition to the bilateral track, which is a conscious decision on both parts, which has nothing to do with either love or hate, the border dispute has continued but a conscious decision has been taken to allow this to take the backburner. A high level expert group will be set up which will work on identification. Substantial work on demarcating the land borders and exchanging new maps has been carried out. This is a step in the right direction.

    India does not think that the port that China is building at Gwadar is a particularly unfriendly act. It is obviously not friendly if it is seen from a strategic point of view that bases are being built both on the East and the West, both in Myanmar's Coco Islands as well as in Pakistan.

    What would be more troubling after the Gwadar port is completed is that China would try to establish a road link through the Karakoram path which is under illegal occupation to Gwadar port. This would have more legal complications. India has not yet taken a stand on China's building of this port for Pakistani use.

    The defence expenditure of 3 % is really low. Even if this is 3 % a very minuscule percentage goes to the acquisition of new defence systems. India has a million strong standing voluntary army. The majority of the defence expenditure goes to pay and salaries and allowances. This takes up a huge portion. India is evidently not splurging on armaments and weaponry.

    That the world has not criticised the NPT and the deal with America. Some of the members of the EU have welcomed it, France has, UK has, Russia has. These are among the prominent five of the Security Council. The EU is a divided house as far as NPT and nuclear energy is concerned. India is working with individual governments. India looks at NPT in a totally different light. India does not think that the deal with the US is a discriminatory policy. It feels that NPT itself is discriminatory and this is why it has not signed the deal. It is NPT that has created two classes of people who have acquired weapons before a certain arbitrarily decided date while it does not allow similar facilities to other countries. The principle opposition to NPT is its discriminatory nature.

    Having said this, India have voluntarily accepted most of the obligations of NPT. No other nuclear weapon state has this record. India still believes it needs to work on the other aspect of the NPT treaty which is total disarmament.

    India has a declared policy of no-first use. It has declared that it will never use nuclear weapons in offence and will never be used against countries which do not have nuclear weapons.

    These elements put together makes India a great candidate, perhaps an example, that though it has stayed out of NPT it has not only observed it in principle but has gone beyond.

    India has made it very clear that Iran is in violation of its obligations under NPT. It is a signatory of NPT whilst India is not. When India went for testing it was not violating any international undertaking that it had taken. The Indian government has said that it does not want Iran to become nuclear because it feels that there is no justification. There are ample supplies of gas and oil. Iran are suppliers to major parts of the world.

    India does not feel that energy requirement is really a motivating factor.

    Concerning the issue about the general perception that China is the manufacturing base of the world and India is the Office, China is definitely the manufacturing base. This however is due to the fact that Indian development is being led completely by the services sector or the Information Technology (IT) sector.

    India's growth story has been identified with the IT sector. The fact is that the growth rate which has gone up from 5.7 to 8.9 has been led completely by manufacturing and this not only increases investments but leads to tremendous achievements in efficiency in manufacturing. The new BRICs report, which came out in January, has carried out detailed economic analyses of why this has happened and how the efficiency of the private sector in India is leading to greater confidence, profitability, surplus capital, availability of credit and the confidence of stepping out in the world. These are all interlinked. It is why they have projected that India can sustain a growth of 8.5 % at the base level, i.e. at the current level of investment and FDIs. If India has to go up to 10 % it will have to increase its own investment rates by at least 16 % of the GDP according tot the BRICs report.

    India is said to quadruple its GDP in the next 13 years and per capita income. It will go up 4 times according to the BRICs projections. This means there will be a tremendous upsurge in consumer demand. Organisation of products and resources and its effect will create its own pressures and have its own fall-out effects because of the tremendous growth in domestic demand. This also partially explains the difference between the Chinese and Indian growth model.

    Chinese growth is totally trade dependent, and the trade of goods needs manufacturing facilities. It requires higher levels of investments while Indian FDIs seem to have come into the service sector, whether it is R&D facilities, setting up labs or IT software where the amount of investment in infrastructure is much smaller. This focuses more on the hiring of people rather than on setting up huge manufacturing, production and machinery plants. This is the reason why the number in FDIs are also different.

    The salvation for India and its youth lies in the service sector. The service sector has led to acquisition of higher knowledge and skills which has a beneficial effect on manufacturing efficiencies also. The real salvation lies in an increase in manufacturing as this is what provides large-scale employment. The Indian government is absolutely committed to this.

    The need for access to education and more importantly the quality of education is very clear. The policy makers are very aware that these are two issues that they have to focus on. India has a Universal Education Programme which is a mission mode when the government takes up programmes in a specific five year period and wants to achieve fast results. This is where all the resources are being placed. India has sought assistance from the EU. The EU has been assisting but India wants a slightly more concentrated and frontloaded assistance in these sectors so that it is up to India's own development efforts.

    India does favour denuclearisation provided it is non-discriminatory.

    India is highly dependent on foreign imports of energy. The Indian policy makers and planning commission are not striving for autonomy, having learned from the WTO and the globalised economy there is no such thing in today's world. What India is really looking for is diversifying. Overall dependence on oil and gas has to be reduced. India is one of the second largest coal-reserves. Coal is a major source of energy in India. Since it is dirty, India is working very closely both with the US and the EU on clean coal technologies for India's coal-base plants. India feels it has reserves for the next few decades but these needs to be utilised in a manner that does not adversely effect the environment. India feels hydropower is a huge potential. It is a clean and renewable energy source. There is a constituency which is against large hydropower plants. This is essential if India is to move away from oil, gas and coal. This is where India feels the nuclear deal with the US is very important. It is not important in terms of India's nuclear weapon programme at all. This illusion or misconception needs to be removed. This deal tends to correct the historical discriminatory policies which were set up by the NSG (Nuclear Supplier Group) which were targeting India specifically. This was a technology denial regime. It recognises that India is a responsible nuclear weapon state and can be trusted with dual-use technology. The US have already accepted a method of fast-tracking supplies of dual-use technology and equipment to all Indian companies and entities which have a proven track record. Otherwise it was on presumption of denial that the applications were looked at. This took a lot of time.

    One of the important fallouts of the deal has been that it will have beneficial effects in every sector.

    India is working as one of the six founding partners of the International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) fusion project which is a futuristic project. India is working with the EU on a range of issues. India has formed a very high level energy panel with the European company because they both feel that their energy profile and dependence is very similar. While India will reach 85 % dependence by 2020 Europe will also be around the same point in terms of import dependence.

    Concerning demographics, one of the critical factors here was the impatience of Sanjay Gandhi, with the rising growth of population. He wanted to impose a system which was not very participatory and democratic in nature. He also wanted to impose, like China, a kind of a one-child or two-child policy which really backfired.

    India's policy today is not focused on forcing any particular measure but persuading in a gentle manner in terms of higher education, i.e. on women's education. It's family welfare policies focused on mother and child.

    One of the reasons for people having more children was that children were not only a mouth to feed but were two additional hands for the family who were earning money. Due to the higher mortality rate people tended to have more children as an assurance in case one of their children died. Experience in Kerala has shown that the rate of growth is directly related to the level of education. The emphasis is on education and on more particularly women's education.

    It is not the policy of the government of India to proliferate in terms of numbers but to control this through education and health measures.

    North-South divide relates to governance at the level of provinces. There are a few states which have really lagged behind but they have to catch up. Most of these states have had regime changes and are desperately trying to catch up with the Southern states which have done much better in terms of attracting FDI or even meeting better social targets.

    Intracommunal violence in Kashmir is very like ethnic cleansing. The terrorists have really targeted the Hindu's to force them to get out of there. This has to be linked up to the demand for a plebicide. They want to change the composition of the population itself, so that when there is a plebicide there will be no opposition. All of the Hindu's have been removed. They have been living in camps for the last 10 or 15 years in abysmal conditions.

    It was mentioned that Punjab had taken the lead in decentralisation. Perhaps it was this way except that the move for decentralisation was overtaken by the militant diaspora outside. The diaspora and certain inimical powers made it into a movement for Independence. This lasted for 10 years until the terrorists lost total sympathy because of the same aggression against their own.

    Maybe decentralisation is the solution for Kashmir. This tends however to be confused with a demand for autonomy and independence.

    Mr Dipak Chatterjee states that it is a fact that manufacturing has played much less of a role in India's development. If you look at China it took about 15 years of FDI for their manufacturing to emerge as a powerhouse and for China's economy to grow at 8, 9 and 10 % plus rate. This began in the late 1980's. India started opening up in 1991 and it tackled the problem of manufacturing even later.

    Today's growth is largely on account of manufacture. Manufacturing will provide the impetus and sustenance for India's economic growth in years to come. It will probably be possible to see the results of what happens to manufacturing in India in due course. There are signs that FDI is now entering critical manufacturing sectors. Large companies are setting up manufacturing bases, beginning with Motorola, and Nokia.

    Today's shared nuclear energy is only 2 % or less.

    What the Indian government needed was a breakthrough in nuclear technology so that India can go up to 10 or 11 %. India has a lot of nuclear fuel in its country but unfortunately it is largely tolium for which the fast breather technology is needed. Though India's scientists are confident of having the first commercially operated fast breather reactor in another 4 or 5 years time, it also needs nuclear fuel in order to take it to 10 % or 11 %. If the fast breather technology succeeds then who knows what will happen to the energy dependence of India in the future. It must be emphasised that 90 % of the world's tolium reserves are in India and this should be harnessed.


    II.4. BRÉSIL

    Audition de:

    — M. Jean-Paul Marthoz, conseiller éditorial de la revue « Enjeux internationaux »;

    — M. Koen Warmenbol, coordinateur Amérique Latine, 11.11.11./Vlaamse Noord-Zuidbeweging.


    II.4.1.  Exposé de M. Jean-Paul Marthoz, conseiller éditorial de la revue « Enjeux internationaux »

    Contrairement à la Chine et — un peu moins — l'Inde, le Brésil n'apparaît pratiquement jamais comme une menace pour nos industries, notre standing et notre statut international. Le Brésil est considéré comme une puissance mais d'un autre niveau.

    Le débat suscité par le Brésil porte davantage sur la nature politique de son régime que sur sa politique étrangère ou sa politique économique internationale. La plupart des observateurs du Brésil tentent de résoudre la grande question qui déchire les milieux de gauche depuis quelques années: qui est Lula ? Est-il encore de gauche ? Ou est-il du centre ? Préfère-t-il le forum économique mondial de Davos au forum social de Porto Alegre ? Ces questions apparaissent dans l'ensemble des articles, des documents, des rapports sur le Brésil.

    Le Brésil a toujours suscité pas mal d'espoirs d'une grande puissance. Cependant, ces espoirs ont été très souvent déçus. L'histoire du Brésil est une histoire de progrès et de déceptions. Le Brésil connaît-il ces dernières années un développement qui pourrait lui faire occuper une place au sein de l'économie internationale et de la diplomatie à la hauteur de sa puissance actuelle ?

    Selon le PNUD, le Brésil est la onzième puissance industrielle du monde. Le Brésil exporte majoritairement des produits industriels manufacturés ou semi-finis et est aussi une puissance agricole exceptionnelle. Dans tous les dossiers agricoles, le pays conserve toujours une longueur d'avance. Il est certainement aussi l'un des défenseurs les plus importants, et parfois les plus hargneux d'ailleurs, de ses propres intérêts au sein de l'OMC dans le domaine agricole.

    Un certain nombre de points semblent indiquer que le Brésil est aujourd'hui beaucoup plus capable de développer ses atouts naturels, à savoir une population immense, un territoire gigantesque, des ressources minières et agricoles très importantes, et une main-d'œuvre ayant un certain niveau de formation.

    On utilise souvent l'expression « Belindia » en parlant du Brésil, un mélange des termes Belgique et Inde. Ce terme est apparu dans les années 50. La Belgique désignait un petit pays symbole de développement et l'Inde, pays immense, était un symbole de misère. On soulignait ainsi dans le même pays deux types d'économie, deux types de rationalité, deux types de réalité sociale.

    Le Brésil semble aujourd'hui mieux armé qu'il ne l'était dans les années 60 ou les années 70 pour réaliser l'ambition qui a toujours été la sienne, être un pays important, sinon au niveau international, du moins au niveau de l'Amérique latine.

    On assiste au Brésil à une certaine stabilisation des institutions politiques. Depuis la présidence de Fernando Henrique Cardoso en 2002 et jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Lula, il y a une continuité importante en termes institutionnels. L'État de droit est certainement renforcé, même si ce pays n'est pas encore capable d'assumer ses responsabilités dans ses fonctions essentielles. Mais il semble y avoir un progrès réel dans l'institutionnalisation du système démocratique, de l'alternance et de la séparation des pouvoirs. C'est un élément très important pour un pays qui a connu au cours de son histoire de nombreux cafouillages au niveau politique avec l'apparition de régimes civils autoritaires mais aussi de régimes militaires très autoritaires ou de régimes civils un peu anarchiques ou chaotiques, comme ce fut le cas sous la présidence de Color.

    Le deuxième point, contesté par certains et apprécié dans certains cénacles, est que le Brésil est marqué par une forte orthodoxie en matière économique. Il a réussi à rétablir les grands équilibres. Le président Cardoso était d'une certaine manière l'enfant chéri du monde économique international, et il l'est toujours d'ailleurs puisqu'il a eu une seconde vie après ses deux présidences. Mais Lula semble être encore davantage célébré par les milieux économiques internationaux. Comme aurait dit Michel Rocard: « Il a mieux géré le capitalisme que les capitalistes », et il a réussi, sur un certain nombre de points, à améliorer les grands critères sur lesquels on juge un pays. Par exemple, concernant le risque-pays, le Brésil est passé de 2 436 points en 2002 à 216 points aujourd'hui. La confiance des investisseurs internationaux dans le Brésil est donc renforcée.

    La dette a été fortement réduite. Sous Cardoso qui faisait pourtant figure d'excellent gestionnaire, elle était passée de 148 milliards en 1994 à 227 milliards en 2002; elle a été ramenée 169 milliards en 2006.

    Les réserves monétaires se sont fortement accrues. Elles sont passées de 16 milliards en 2002 à 53 milliards en 2006. Ainsi le Brésil a-t-il pu procéder au remboursement anticipé de sa dette à l'égard du Fonds monétaire international, ce qui constitue un symbole exceptionnel dans le cadre des relations de l'Amérique latine avec le FMI.

    Ce panorama comporte toutefois des zones moins brillantes et, tout d'abord, la croissance extrêmement modeste sous la présidence de Lula. Bien plus modeste que l'ensemble de l'Amérique latine et nettement plus modeste que la croissance des autres pays BRIC, notamment de la Chine et de l'Inde. On parle, pour le Brésil, d'une moyenne de 2,3 alors que l'on se situe dans des chiffres de 6, 7, 8 et davantage encore pour la Chine, au cours des ans.

    La politique financière du Brésil est fortement critiquée, les taux d'intérêts y sont élevés et constituent, d'une certaine manière, un obstacle à l'investissement productif. C'est une des faiblesses de l'actuelle politique économique.

    Globalement, il y a, d'un côté, une stabilisation constitutionnelle et, de l'autre, une « orthodoxie » économique appréciée par les acteurs économiques internationaux, qui font du Brésil un partenaire particulièrement recherché.

    Un autre aspect extrêmement important peut, selon l'angle d'où on l'observe, prêter à critiques ou, au contraire, récolter des louanges: l'extraordinaire inégalité sociale qui caractérise le Brésil et qui, voici cinq ans, situait celui-ci au troisième rang d'inégalité dans le classement du CNUD. Le Brésil est fortement marqué par une très grande tension entre une minorité de population extrêmement riche et une vaste population très pauvre: 49 millions de Brésiliens sont situés sous la barre de la pauvreté. De l'avis de nombreux économistes, il s'agit là d'un élément extrêmement négatif pour toute perspective à long terme de développement durable de ce pays.

    Lula n'a pas attaqué de front ce phénomène d'inégalité, qui est un peu la faiblesse structurelle du Brésil. Il a davantage compté sur un accroissement des ressources de l'État — notamment au travers de la conjoncture très favorable dans le domaine économique pour les matières premières et les produits agricoles du Brésil — pour lutter contre la faim et la pauvreté. Il a lancé des programmes de lutte contre la pauvreté et contre la faim qui ont été critiqués, notamment sur sa gauche, mais qui ont donné des résultats. En effet, les revenus les plus pauvres au Brésil ont augmenté en chiffres réels, tandis que l'inégalité a quelque peu reculé puisque le Brésil est passé du troisième au dixième rang selon le classement du CNUD.

    Ces trois éléments, assez importants dans l'appréciation que l'on peut avoir de ce pays et de sa capacité à s'imposer sur la scène internationale, interviennent dans un contexte international lui-même profondément modifié. Les rapports de force mondiaux sont évidemment en flux. Le Brésil cherche à en profiter dans le cadre d'une politique internationale bien plus ouverte qu'elle ne le fut sous le régime militaire et sous les régimes civils qui se sont succédé de 1984 à 2002. On assiste à une émergence de la Chine et de l'Inde. De plus, la distance est bien plus grande entre les États-Unis et l'Amérique latine que lors des décennies précédentes. Comme on l'a vu, le premier grand voyage du président Bush vient seulement d'avoir lieu, alors qu'il en est à sa sixième année de présidence. Cela indique la négligence témoignée à l'égard du continent, ce qui, d'une certaine manière, a ouvert des possibilités pour un pays comme le Brésil qui, malgré son souhait de ne pas être une puissance trop pesante dans la région, a toujours eu l'ambition d'exercer un réel ascendant sur l'ensemble du continent.

    Le Brésil s'est toujours considéré comme un grand pays. Il dispose d'un corps diplomatique extrêmement élitiste, qui est reconnu pour sa compétence et pour sa vision relativement constante de ce que sont les intérêts nationaux du Brésil et de la manière dont ceux-ci doivent s'exprimer. Il y a toujours eu au Brésil une forte volonté d'animer une politique extérieure — qu'elle soit économique ou qu'elle concerne les relations avec les autres pays du monde — pour renforcer les intérêts nationaux qui, à leur tour, comprennent une forme d'influence régionale, une volonté d'apparaître comme le pays de référence pour l'Amérique latine.

    Comme le disait Alain Rouquier, ancien ambassadeur de France au Brésil et professeur spécialiste de l'Amérique latine, au-delà des avatars de la politique brésilienne et de sa diplomatie, une même mission s'est imposée: préserver l'autonomie de décision du pays et peser sur les règles du jeu mondial au service du développement national. C'est la définition même de ce qu'est la diplomatie brésilienne.

    À l'échelon international, les deux présidences exercées par Fernando Henrique Cardoso, qui appartenait au parti social démocrate brésilien, parti de centre droite et non de centre gauche, comme son nom pourrait le laisser entendre, ont été appréciées.

    Le président Cardoso s'est efforcé d'inscrire le Brésil dans une démarche positive au sein de la mondialisation. Il se sentait très proche du président Clinton et du premier ministre Blair. Il faisait partie de la « troisième voie » qui avait cherché à se lancer à la fin des années nonante et qui s'est quelque peu effilochée depuis lors. Il partageait cette volonté d'être en phase avec la mondialisation et de soutenir une politique extérieure modérée, donc évitant toute confrontation, tant avec les États-Unis qu'avec le monde financier international. Il était sensible aux susceptibilités et aux suspicions des pays voisins.

    Une rupture douce s'est produite entre la présidence de Cardoso et celle de Lula. En matière économique, Lula a, comme Cardoso, respecté l'orthodoxie; il est même allé plus loin. Aspect plus original, qualifié par certains de retour en arrière: Lula a cherché à restaurer le rôle moteur des institutions d'État — par exemple la Banque nationale — dans la gestion de l'économie, et cela pour guider le développement du pays, fragilisé par la politique antérieure. Il a également mis un frein aux privatisations, décrétées à partir des années nonante, jusqu'à 2002. Il a aussi favorisé, dans le cadre de relations très complexes et très difficiles, des rapports plus conviviaux avec les énormes mouvements sociaux brésiliens. Comme vous le savez, le Brésil est marqué par la mobilisation sociale, notamment dans le domaine agraire. Lula est d'ailleurs lui-même l'expression d'un mouvement social, le syndicalisme des années septante et quatre-vingt.

    Le président Lula a replacé le Brésil dans un contexte de leadership régional.

    Au lieu de faire comme Cardoso — chercher à s'inscrire dans une logique de mondialisation relativement conviviale avec les dirigeants de cette mondialisation, avec les institutions internationales ou les pays les plus importants ou les plus riches — Lula, malgré le fait qu'il ne paraît pas respecter les engagements qu'il semblait avoir pris avec le mouvement altermondialiste ou le Forum social mondial, en se plaçant à droite de la logique de ce mouvement, a clairement développé une politique qui replace le Brésil dans une logique de leadership, au moins régional. Il a voulu que le Brésil représente l'Amérique latine et obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Il a également cherché à développer, en Amérique latine, une politique diplomatique et surtout une politique économique qui placent le Brésil au centre de l'Amérique latine, qui fassent du Brésil le Paris de la France, autour duquel s'organisent les grands réseaux d'infrastructure, les réseaux énergétiques. Il est ainsi entré en collision avec deux propositions différentes.

    La première est celle des États-Unis. Le Brésil, d'une manière très courtoise, a tout fait pour éviter que le projet lancé à l'époque du Président Clinton d'une zone de libre échange des Amériques ne voit le jour. Il a préféré favoriser une politique bien plus sud-américaine, notamment autour du Mercosur, une ébauche de marché commun des pays du sud, qu'il a utilisé comme une arme dans son rapport de force avec l'autre projet, la zone de libre échange des Amériques qui, comme vous le savez, n'a pu se développer. L'un des échecs les plus importants des deux mandats du Président Bush est certainement de ne pas avoir réussi à faire progresser cette zone de libre échange. Le Président Bush a décidé de négocier bilatéralement, avec les pays concernés, des accords de libre échange, ce qui complique d'ailleurs fortement la politique de l'ensemble de l'Amérique latine et sa volonté d'intégration économique ou énergétique. Le projet des États-Unis ne correspond sans doute pas beaucoup à la stratégie du Brésil.

    La deuxième proposition est le projet bolivarien du Président Chavez où l'on constate un jeu extrêmement complexe entre le Brésil et le Venezuela. Ces deux pays tentent, à la fois, de ne pas entrer dans une logique de confrontation sur les projets de type politique mais aussi intégrationniste de l'Amérique latine, tout en essayant d'affirmer des stratégies d'intérêts nationaux. Il existe des contradictions importantes entre le projet bolivarien présenté par Hugo Chavez et le projet de la Communauté sud-américaine des Nations poussé par le Brésil. C'est d'ailleurs un des enjeux les plus importants pour ce pays.

    Le Brésil aussi veut devenir un acteur mondial et faire partie du cénacle des grands, non seulement comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi en prenant la tête du combat nord-sud renouvelé, c'est-à-dire en étant l'une des nations les plus actives au sein du G20. Lors des négociations de Cancun pour l'OMC, le Brésil a, en quelque sorte, donné le ton lors des négociations et a uni des pays qui représentent 60 % de la population mondiale et 22 % de la production agricole mondiale.

    Cet activisme n'a pas toujours plu, ni aux États-Unis ni à l'Union européenne, car il impliquait une remise en cause des politiques agricoles et notamment de subventions des exportations agricoles de l'Union européenne. Ceci constitue certainement l'un des dossiers les plus compliqués dans le cadre de ce qui est souvent présenté comme « la relation amoureuse parfaite entre Bruxelles et Brasilia ». En fait, le dossier agricole complique tout et il n'est pas certain que l'Union européenne soit dans la meilleure situation pour négocier avec le Brésil dans ce cas.

    En fait, le Brésil place toute sa politique dans une stratégie de renforcement de ses intérêts nationaux et, dans le contexte actuel, parie énormément sur la multipolarité et le multilatéralisme. C'est ainsi que des convergences ont pu se créer sur certains dossiers entre le Brésil et des unions telles que l'Union européenne, le Brésil estimant important, dans le contexte international, de favoriser une diplomatie fondée sur le multilatéralisme.

    Le Brésil a donc été extrêmement négatif à l'égard de la politique de l'administration Bush, notamment à l'occasion de l'invasion de l'Irak. Il a alors marqué très nettement son désaccord, même si Lula a tellement surpris par sa modération qu'il est plus populaire à Washington que ne l'a jamais été son prédécesseur.

    Sur certains dossiers, le Brésil ose affronter Washington. Cette opposition se fait en douceur, ce qui ne laisse pas d'étonner dans le contexte de l'histoire de l'Amérique latine qui est faite de tensions entre Washington et les autres capitales de la région.

    En fait, l'exercice de Lula au Brésil a suscité parfois l'admiration, notamment de la part du monde financier international, du monde des entreprises en général, et d'une partie de la gauche. Jorge Castaneda, ancien ministre des Relations extérieures du Mexique, a distingué deux types de gauche en Amérique latine: d'un côté, la gauche « sérieuse », représentée par Michèle Bachelet au Chili, par Tabaré Vazquez en Uruguay et par Lula au Brésil, et la gauche plus « populiste », représentée par Hugo Chavez au Venezuela, Evo Morales en Bolivie et Rafael Correa en Équateur. Cette vision, si elle est contestable, permet de voir comment les cercles internationaux — et Castaneda est certainement une des personnalités les mieux introduites au sein de l'establishment américain — décodent ce qui se passe en Amérique latine.

    L'expérience actuelle au Brésil suscite bien sûr aussi des déceptions. Même à gauche, certains sont déçus, estimant que les promesses formulées par le Parti des travailleurs, un des partis les plus structurés de l'Amérique latine et les plus en phase avec le mouvement social, notamment les promesses de lutte beaucoup plus forte et plus rapide contre les inégalités et d'extension de la réforme agraire (un des éléments cruciaux du développement social au Brésil), n'ont pas été honorées.

    Certains économistes de gauche soutiennent même que, parce qu'il ne s'est pas attaqué de manière plus forte aux inégalités, Lula risque de retomber dans une des malédictions du Brésil: la tolérance d'un niveau d'inégalité qui est débilitant pour toute perspective de développement durable, même selon des normes économiques libérales à long terme.

    Par ailleurs, la situation du Brésil déçoit aussi certains pays, entre autre les pays les plus pauvres, notamment d'Afrique subsaharienne, qui, lors des négociations de l'OMC, se sont sentis frustrés par le G20 dans leurs priorités. Pour eux, le G20 représente les intérêts des pays les plus riches au sein du Sud.

    En raison de sa puissance, de son discours et de certaines de ses politiques et de ses prétentions, le Brésil fait parfois peur en Amérique latine. Alors que le régime militaire était en place, certains n'hésitaient pas à dénoncer un sous-impérialisme brésilien, comme si le Brésil était le relais des États-Unis dans la région.

    Actuellement, on parle d'hégémonisme brésilien et plus du tout de sa relation avec les États-Unis, mais le Brésil est craint en tant que pays, notamment en Argentine — traditionnelle rivale du Brésil — pour sa puissance et pour la création d'une relation asymétrique d'un pays fortement développé qui se trouve en rapport de forces permanent avec des petits pays ou des pays moins importants. On l'a vu notamment dans le cadre de la négociation des contrats gaziers ou pétroliers avec la Bolivie. Cette négociation s'est finalement relativement bien passée mais il y a quand même eu pas mal de tensions, de difficultés et de doutes à propos de la politique brésilienne et de ses intérêts nationaux.

    C'est surtout l'Argentine qui, d'une certaine manière, est la plus nerveuse face à l'apparition du Brésil en tant que puissance pouvant se considérer comme le centre de l'Amérique latine et avoir une périphérie plus ou moins dépendante.

    C'est la raison pour laquelle le Mercosour est en crise. La plupart des analystes conviennent que la politique brésilienne très unilatérale dans ce cas-ci a imposé aux pays plus faibles du Mercosour des relations asymétriques qui expliquent les difficultés actuelles dans lesquelles se trouve le Mercosour. Celui-ci pourrait d'ailleurs n'être qu'une étape provisoire dans la politique que poursuit le Brésil au niveau de l'Amérique du Sud.

    Il y a une série de points qui continuent à poser problème.

    Primo, les inégalités sociales restent un écueil fondamental pour ce pays. Les revenus des 20 % les plus riches sont 33 fois plus importants que ceux des 20 % les plus pauvres alors que ce rapport est de 1 à 8 en France et de 1 à 10 aux États-Unis. Cet élément est dénoncé par la plupart des économistes, pas seulement de gauche, comme étant une entrave profonde à la possibilité de développement à long terme du Brésil.

    Secundo, la violence et la délinquance donnent du Brésil une vision très « cliché » mais sont un élément profondément perturbateur du développement. Selon une étude publiée par la Banque interaméricaine, la violence qui règne au Brésil est « un assaut contre le développement ». Entre 2004 et 2006, près de 19 000 personnes ont été assassinées dans le seul État de Rio de Janeiro. Dans une petite ville de 12 000 habitants, située dans le Mato Grosso — capitale mondiale de l'homicide —, on enregistre 165 meurtres par 100 000 habitants contre 6,8 aux États-Unis.

    Le coût de la délinquance est estimé en Amérique latine à 145 milliards de dollars par an. Au Brésil, la délinquance et la violence représentent près de 10 % du PIB, ce qui donne une idée de l'obstacle que cela représente pour le développement. La violence est aussi un danger pour la démocratie parce qu'à terme, elle favorise par son ampleur un appel à la main dure (mano dura) et à la violation des lois et des droits humains. La police brésilienne est connue pour ne pas respecter parfaitement la Déclaration universelle des droits de l'homme. On connaît beaucoup de cas d'assassinats, de règlements de compte, de tortures dans les commissariats. Ces faits sont régulièrement dénoncés par les associations de défense des droits de l'homme.

    Tertio, le Brésil n'a pas résolu sa question raciale. Il faut voir la représentation dérisoire des noirs et de la population métisse dans les cercles de pouvoir et dans les cercles économiques.

    Lula est le premier président à avoir réellement tenté de promouvoir une plus grande égalité pour cette majorité de la population brésilienne noire ou métisse.

    Enfin, on dénonce souvent la corruption qui règne au Brésil et la faiblesse de l'État de droit. Par exemple, 5 % seulement des homicides qui sont commis à Sao Paulo sont élucidés. Le Brésil est à la septantième place dans le classement de la perception de corruption de Transparency International.

    L'extraordinaire corruption du parlement est une des raisons pour lesquelles Lula et Cardoso n'ont pas réussi à mener une politique très cohérente. Le parti des travailleurs de Lula n'a obtenu, lors des élections de 2002, que 20 % des voix. Il a donc dû négocier au parlement avec une cascade de partis politiques dont la plupart représentent des groupes financiers. En outre, au Brésil, un parlementaire sur trois change de parti en cours de législature et un sur quatre plusieurs fois pendant une législature.


    II.4. 2. Exposé de M. Koen Warmenbol, coordinateur Amérique Latine, 11.11.11./Vlaamse Noord-Zuidbeweging

    Le développement durable est un aspect central du fonctionnement des ONG en Amérique latine et au Brésil en particulier. En effet, même si le Brésil est un pays à revenus moyens, diverses ONG y sont encore présentes parce que le pays est toujours confronté au défi majeur que constituent la réduction des inégalités sociales et la lutte contre la pauvreté.

    Plus que tout autre pays du Sud, le Brésil dispose d'un vaste potentiel de développement économique et social, d'une source quasi inépuisable de richesses naturelles, dans tous les secteurs. En outre, le Brésil a mis en branle relativement plus vite que les autres pays du Sud un processus d'industrialisation après la crise des années trente. L'État a joué un rôle capital dans ce processus. C'est dans les années cinquante que les principales institutions publiques ont été créées afin de développer de nouveaux secteurs économiques, comme l'exploitation pétrolière via Petrobas et la sidérurgie. La Banque nationale de développement socio-économique y a joué un rôle de premier plan. Elle disposait de capitaux considérables permettant de financer de grands travaux d'infrastructure, le développement industriel et l'intégration du pays. Dans les années soixante et septante, la politique de tous les pays d'Amérique latine a clairement été axée sur la substitution des importations pour que ces pays ne soient pas seulement exportateurs de matières premières bon marché et évoluent vers une économie industrialisée.

    Les années septante ont été marquées par une croissance économique remarquable de près de 10 % en moyenne. Cette croissance est comparable à celle de la Chine aujourd'hui. Le modèle s'est pourtant rapidement essoufflé et s'est trouvé en crise, surtout en raison de la dette extérieure, phénomène qui a touché également les autres pays d'Amérique latine dans les années quatre-vingt. Les années quatre-vingt sont donc considérées comme une « décennie perdue ».

    Pendant les années nonante s'est dessinée une importante politique de réforme, caractérisée par la libéralisation, la privatisation et le rétablissement de la compétitivité de l'économie brésilienne. C'est seulement dans les années 2000 que l'économie a pu redémarrer. Durant toutes les années nonante, l'économie a certes crû de 1,6 % mais cela n'équivalait qu'à une croissance de 0,2 % par habitant malgré d'importantes réformes économiques et sociales. La croissance économique parvenait donc à peine à suivre la croissance démographique. Il a fallu attendre vingt ans pour que l'on puisse à nouveau parler d'une véritable croissance. Nous observons une croissance modérée depuis 2003-2004. La croissance a été de 0,9 % par habitant en 2005 et est estimée à 2,6 % en 2006. Ce niveau est inférieur à la croissance moyenne des pays en voie de développement. Le développement économique du Brésil pose donc toujours problème.

    Cela explique également qu'entre 1990 et 2005, le revenu ait à peine crû (de 3 000 à 3 500 dollars par personne). Cette progression est même plus faible que la moyenne de l'Amérique latine.

    En 2002, le pays était proche de la banqueroute financière en raison de la charge considérable de sa dette. C'est seulement au prix de coupes sombres dans le budget de l'État et d'un rééchelonnement de la charge de la dette que le pays a pu échapper à la banqueroute.

    Les intérêts de la dette publique continuent à grever le produit national brut et les dépenses publiques. En 2005, ils ont représenté 7,6 % du PNB. Il faut savoir que la dette publique est essentiellement aux mains de créanciers nationaux. La dette extérieure a diminué sensiblement, est soumise à un taux d'intérêt relativement peu élevé et ne pose donc plus problème. La dette intérieure a gonflé et est frappée d'un intérêt de non moins de 17 %. L'amortissement de la dette absorbe pour ainsi dire tout excédent que dégage le Brésil et fait obstacle à une croissance plus rapide de l'économie brésilienne. Pourtant, les exportations ont doublé en cinq ans, ce qui est un résultat spectaculaire.

    Tant le gouvernement Cardoso que le gouvernement Lula ont mené une politique macroéconomique très rigoureuse. Ils ont tenté de dégager un excédent budgétaire afin de pouvoir rembourser la dette.

    Après deux décennies de crise, le Brésil a connu un redressement économique très difficile. Malgré des processus importants de privatisation et de libéralisation dans les années nonante, sous le gouvernement Cardoso, l'État et le gouvernement jouent encore un rôle directeur dans l'économie, en particulier la Banque nationale de développement économique et social. Elle intervient pour développer les infrastructures et attirer les investissements. La situation est fort différente dans les autres pays d'Amérique latine.

    Le gros problème du Brésil réside dans les grandes inégalités sociales. Le pays est, depuis des décennies, le champion du monde des inégalités. On note une légère amélioration mais aujourd'hui encore, les 10 % les plus riches détiennent 28 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Le coefficient de Gini est deux fois plus élevé que celui de l'Europe. Cela n'est pas tenable à terme. Depuis 2001, on observe, pour la première fois en quarante ans, un petit renversement de tendance, en ce sens que les inégalités n'augmentent plus mais diminuent légèrement. Cette évolution s'explique surtout par l'accroissement du budget de la politique sociale sous le gouvernement Lula.

    Les chiffres de la pauvreté démontrent que le Brésil se situe dans la moyenne de l'Amérique latine pour les années 80 et 90. Au début des années 90, près de la moitié de la population vivait dans la pauvreté et un quart, dans une pauvreté extrême, ce qui, pour un pays tel que le Brésil, est vraiment inacceptable. Fin des anneés 90 on constate une amélioration de la situation, mais lors du gouvernement Lula, la pauvreté globale ne diminue plus de façon aussi sensible. Les indicateurs stagnent autour de 35 à 36 %. La pauvreté extrême a fortement diminué, surtout comparé aux années 90. Depuis l'an 2000, elle continue à baisser. Cependant, la situation pourrait encore s'améliorer, surtout à la lumière des chiffres de croissance des dernières années.

    La pauvreté persistante s'explique en majeure partie par la structure du marché de l'emploi. Soixante pour cent de la population doit gagner sa vie via le secteur informel. Cela implique des contrats de travail temporaires et une insécurité professionnelle permanente. Le secteur informel englobe toutes sortes de petits boulots, du cireur de chaussures au vendeur de rue, boulots qui permettent à peine aux gens de survivre. De plus, les travailleurs de ce secteur ne sont pas couverts par la sécurité sociale. Voilà l'explication essentielle des inégalités sociales persistantes.

    Une évolution positive se dessine. Grâce aux exportations et à la croissance économique, 4 millions d'emplois supplémentaires ont été créés dans le secteur formel entre 2003 et 2005. C'est beaucoup plus que durant la période précédente.

    L'enseignement est le principal levier en matière de développement positif et de lutte contre la pauvreté et les inégalités, et constitue le point prioritaire du programme social de Lula. Ce programme « Faim Zéro » concerne 11 millions de familles, c'est-à-dire quasiment toutes les familles qui vivent dans une pauvreté extrême. Outre un subside pour l'achat de nourriture en vue d'assurer la sécurité alimentaire de ces familles, ce programme est axé sur l'obligation scolaire pour les enfants. Lula essaye ainsi de s'attaquer au grand déficit en matière d'enseignement.

    Une partie relativement importante du PNB est consacrée à l'enseignement mais les chiffres sur la participation à l'enseignement sont peu élevés pour un pays avec un certain niveau de développement, qui doit pouvoir supporter la concurrence sur le marché mondialisé. Le degré d'instruction est insuffisant: 35 % de la population ont terminé les études secondaires et 10 % ont obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur. Les chiffres révèlent cependant une évolution positive. Près de 98 % des jeunes sont inscrits dans une école, ce qui ne signifie naturellement pas encore qu'ils termineront le cycle d'enseignement primaire. La participation à l'enseignement secondaire est passée à 76 % des jeunes. Le niveau d'instruction des adultes s'est également amélioré au cours des 25 dernières années. Dans les années 80, 70 % de la population urbaine et 96 % de la population rurale n'avaient pas terminé leurs études secondaires. Cette proportion est passée à 36 % dans les villes et à 77 % dans les villages. Néanmoins, il subsiste un écart important entre zones urbaines et rurales en ce qui concerne l'accès aux études primaires et secondaires et la réussite de ces études. Cela reste un défi important pour le gouvernement actuel et ceux qui suivront.

    Comment le Brésil remplit-il ses obligations vis-à-vis des Nations unies et des objectifs du Millénaire ? Étant donné que la situation évolue depuis les années nonante, le Brésil atteindra quasiment chacun de ces objectifs sans trop de difficulté. Il a déjà réduit l'extrême pauvreté de plus de la moitié. En matière de sous-alimentation, l'objectif devrait être atteint grâce au programme « Faim Zéro ».

    Un important problème subsiste en ce qui concerne l'accès à l'eau potable, essentiellement en zone rurale. Le chômage reste préoccupant. Le Brésil peut atteindre les objectifs du Millénaire relativement aisément, mais il peut et doit se montrer plus ambitieux.

    La fiscalité est un des moyens de corriger les inégalités. Le gouvernement Cardoso a accru les recettes fiscales de 24 à 34 % du PNB, taux comparable à celui de l'Espagne et des USA. La marge d'augmentation des recettes fiscales est donc quasi nulle. Le système fiscal est en outre très inéquitable puisque un tiers seulement des recettes fiscales proviennent des impôts directs et 20 % de l'impôt sur les revenus. À peine 4 % des ménages paient des impôts directs. Les impôts indirects affectent donc beaucoup trop les revenus les plus faibles. On a pensé que Lula mènerait à bien une seconde réforme fiscale pour assurer une répartition plus efficace des richesses mais il ne l'a pas fait. Les réformes de Lula ne suffisent pas à élargir la base des impôts directs et à réduire les inégalités.

    Les grandes inégalités sociales au Brésil se manifestent particulièrement dans l'agriculture. Le secteur agricole brésilien est très dynamique et assure un revenu et un emploi à 20 % de la population. Les exportations agricoles ont doublé en quatre ans. Aujourd'hui, les exportations stagnent, sans doute parce que les cours mondiaux augmentent plus rapidement que les années précédentes.

    Depuis la période coloniale, le secteur agricole a toujours été celui où les inégalités sociales étaient les plus grandes; la concentration de la propriété des terres agricoles s'y est encore renforcée au cours des quatre dernières années. Près de 1,7 % des propriétaires terriens possèdent 44 % des terres agricoles, alors que les petits paysans possédant des terres ne dépassant pas 5 hectares représentent 74 % de la population mais seulement 12 % des terres agricoles.

    Ces trente dernières années, on a observé 9 000 conflits autour des terres. La mainmise des propriétaires fonciers conservateurs sur le parlement a empêché l'adoption de toute proposition de loi de réforme agraire. C'est pourquoi les mouvements sociaux ont connu une forte progression dans les milieux agraires. Le mouvement MST est sans doute le plus important d'Amérique latine.

    Quelques concessions ont été faites sous le gouvernement Cardoso et 250 000 familles ont reçu une nouvelle parcelle de terre mais l'opération n'a pas suffi à enrayer l'exode rural. Elle n'a pas été en mesure de satisfaire les besoins de 1,5 millions de paysans dépourvus de terre.

    Lula n'a pas atteint les objectifs qu'il s'était lui-même fixés et a déçu les attentes qu'il avait générées. Pendant la première législature, il aurait dû offrir une terre à 400 000 familles. Selon MST et certaines sources universitaires critiques, seulement 79 000 paysans ont obtenu satisfaction, résultat inférieur à celui qu'avait atteint la réforme agraire de Cardoso. Le président Lula a donc encore du pain sur la planche.

    Il faut certes reconnaître que le gouvernement a triplé le montant budgété des aides à l'agriculture familiale. Une grande partie des 5 millions de familles de petits agriculteurs peuvent maintenant prétendre à un crédit agricole subventionné pour commercialiser leurs produits et à une assistance technique générale. C'est un progrès sensible.

    Les biocarburants constituent un des principaux défis. Depuis les années septante déjà, le Brésil produit de l'éthanol à partir de cannes à sucre dans un souci d'autosuffisance. Les exportations d'éthanol sont donc passées en quelques années de 600 millions de litres en 2002 à 17 milliards de litres en 2005.

    Reste à savoir quelles seront les conséquences pour l'agriculture familiale d'un élargissement de la production agro-industrielle de cannes à sucre et d'autres biocarburants. L'agriculture familiale survivra-t-elle ? Une augmentation de la demande entraîne en effet une hausse des prix et un renchérissement des terres. On peut en outre se demander si l'Amazonie survivra au développement de la production agricole, surtout d'huile de palme, qui assurément s'intensifiera encore à l'avenir. La communauté internationale doit en tout cas veiller à ce que l'accroissement de la production de biocarburants ne se fasse pas au détriment de l'environnement.

    Le Mercosur est en crise. Vu le grand enthousiasme qu'il a suscité au départ, nous avions espéré une intégration rapide des marchés et la création d'une union politique et monétaire mais on en est resté à une zone de libre-échange pour quelques produits et à une union douanière.

    Les échanges commerciaux au sein des pays du Mercosur ont cru moins vite que les exportations globales. Dans ces pays, les exportations ont connu une croissance exponentielle allant jusqu'à 20 % en 1995 pour stagner par la suite à 12-13 %. Ces dernières années, la dynamique a plutôt été axée sur les exportations vers les pays extérieurs au Mercosur que sur l'intégration du marché, en dépit des tentatives de création de la Communauté des nations d'Amérique du Sud en 2004 et de la signature d'un accord limité de libre-échange entre le Mercosur et le CAN.

    Des progrès sont réalisés mais sont trop lents. Le principal blocage réside dans la non-réalisation simultanée du développement institutionnel de la régulation et dans l'absence de nouveaux accords visant à concrétiser l'intégration sud-américaine, le rêve de Bolivar.


    II.4.3. Échange de vues

    M. Paul Wille déplore l'absence de la délégation officielle du Brésil. La plupart des questions relatives à la qualité du développement durable et aux conséquences de ce développement pour notre pays et pour l'Europe ne sont pas adressées aux orateurs présents.

    Dès le début, M. Wille s'est interrogé sur la qualité du développement durable de ce pays. L'absence des représentants officiels n'a pas rassuré. Après l'exercice américain de la période démocratique où l'on essaya de former un modèle économique à l'instar de celui de l'Union européenne, et qui a pris fin avec l'apparition d'une nouvelle sorte de systèmes démocratiquement élus, très à gauche dans le champ politique, la position du Brésil n'est pas claire.

    Un deuxième point concerne l'évolution des inégalités. La pauvreté extrême a peut-être diminué mais de ce fait, les inégalités structurelles ne sont pas supprimées. Une classe moyenne pourrait contribuer à l'augmentation des ressources budgétaires et fiscales, ce qui permettrait de traiter de manière plus équitable les couches les plus défavorisées de la population. Il existe également un lien entre, d'une part, ce développement défaillant et, d'autre part, la délinquance et la criminalité, tant organisée que moins organisée. Résoudre ce problème est un des plus grands défis de la politique au Brésil. D'un côté, on a une gauche très motivée, émancipée sur le plan politique. D'un autre côté, comme dans de nombreux pays où la marginalité existe, on voit se développer une idéologie de droite qui peut bénéficier relativement rapidement d'un soutien politique.

    On n'a guère d'informations sur la qualité des investissements étrangers directs. Certains secteurs économiques ont périclité plutôt que de se développer. Quelle est l'évolution concrète des différents secteurs, tant pour les importations que pour les exportations ? Dans quelle mesure le « Foreign Direct Investment » contribue à l'augmentation de la consommation intérieure ? Ou des devises sont-elles créées (comme dans des pays comme l'Inde et la Chine) ?

    Le biodiesel sera discuté de façon tout à fait différente à Porto Alegre par rapport à Davos, mais l'intervenant aurait volontiers discuté avec l'ambassadeur de l'influence du biodiesel sur l'environnement et la concentration d'activités agricoles dans ce secteur.

    Il serait quand même curieux que le Brésil contribue à résoudre, par un développement unilatéral de son agriculture, les problèmes des gros pays industrialisés, tout en négligeant sa population, en particulier, les couches les plus défavorisées.

    Il existe très peu de données sur l'instauration de règles légales et d'une bonne gouvernance. L'appareil policier est extrêmement corrompu et la criminalité sous toutes ses formes est répandue. Quelques privilégiés disposent de petites milices. Cette évolution va à contre-courant d'une politique de gauche. Quand les autorités vont-elles réellement s'attaquer à ces dysfonctionnements et imposer des règles ?

    Un pays émergent, qui réalise d'excellentes performances économiques et commence à influer sur la politique financière et de devises, revendique souvent un rôle directeur dans la région.

    Nous ne savons pas grand-chose sur les conséquences qu'aura la forte croissance du Brésil sur les rapports de ce pays avec ses voisins, si ce n'est que le développement du Brésil irrite quelque peu l'Argentine. C'est regrettable, d'autant plus que le pays a des aspirations qu'il traduira tôt ou tard dans ses structures. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles nous devons observer avec un plus grand scepticisme la durabilité et la qualité de la croissance brésilienne que le développement d'autres pays.

    Mme Olga Zrihen constate une évolution très intéressante au Brésil. Que ce dernier a récemment pris une position de leadership, a pu être évalué au niveau sein de l'Organisation mondiale du commerce, en particulier en ce qui concerne le volet des ADPICS et la manière dont l'intégration régionale est tentée actuellement en Amérique latine.

    Lors de la dernière conférence de l'OMC, la position du Brésil semblait plutôt rentrante et peu explicite. Au moment où des débats ont lieu et des évaluations sont faites, le volet sur l'agriculture paraît extrêmement faible ou plutôt ambigu. Lorsque cela l'arrange, le Brésil se considère comme pays émergent pouvant bénéficier d'une série de services ou d'aides et à d'autres moments il se positionne plutôt comme leader, surtout sur le plan économique.

    L'expertise dans l'utilisation de biocarburants nous interpelle, et la déforestation de l'Amazonie reste une question fondamentale qui n'est pas posée en termes de danger pour cette zone ni pour nous.

    Par ailleurs, dans cette sorte de partage que le Brésil, l'Inde et la Chine sont en train d'organiser, si l'on peut dire de la Chine qu'elle est l'atelier du monde et que l'Inde est le pourvoyeur de services du monde, quel est le qualificatif qu'il faudrait attribuer au Brésil ?

    Par rapport à d'autres puissances régionales comme le Chili et le Mexique, comment l'intégration régionale se déroulera-t-elle ? Dans les dix prochaines années, le Brésil pourra jouer un rôle comme l'Afrique du Sud en Afrique ? Ou risque-t-il d'être contrecarré par le Venezuela ?

    Le continent africain nous importe particulièrement en Belgique. Mais les États-Unis, la Chine, la Russie et l'Inde ont aussi un intérêt soudain pour ce continent. Est-ce l'or noir qui les attire ou les richesses minérales ? Le Brésil a-t-il une position particulière par rapport au pétrole ? A-t-il un rôle dirigeant à l'égard du Venezuela ? Ou essaie-t-il d'avoir un comportement énergétique plus autonome ? Dans la situation géopolitique d'aujourd'hui cela paraît important si l'on veut avoir un rôle de leader économique et participer aux négociations au niveau mondial.

    Enfin, on a beaucoup parlé de la violence. Les favelas sont des zones de non-droit. Le modèle de démocratie participative tout à fait particulier, d'association au budget, est mis sous pression dans des villes où la population est extrêmement précarisée. À Porto Alegre, on a essayé de donner un rôle d'acteur aux habitants.

    Mme Zrihen est frappée par l'enthousiasme et l'énergie de ces Brésiliens qui ont pu faire la distinction entre la corruption de certains membres du gouvernement et la capacité d'autres membres du gouvernement de créer un vrai projet politique, un vrai défi dans ce pays d'Amérique latine où l'histoire nous a montré que certains pouvoirs impérialistes avaient un fâcheuse tendance à intervenir pour changer les règles.

    M. Pierre Galand souligne que plus que partout ailleurs, le Brésil se caractérise par un endettement croissant de la population; celle-ci achète tout à crédit. Combien de temps un tel modèle d'endettement intérieur peut-il tenir ? Une croissance qui repose uniquement sur du crédit ne tient pas longtemps. Le Brésil n'est-il pas en train d'échanger sa dette extérieure contre une dette intérieure ?

    Au Brésil, les églises évangélistes et pentecôtistes occupent un espace de plus en plus important. Ceci est préoccupant parce qu'elles amènent les gens à adopter des comportements complètement irrationnels par rapport au contexte social existant.

    On va en arriver à ce que les grands prédicateurs influencent le politique. Ils induisent déjà une série d'options socio-politiques. C'est d'autant plus interpellant que, depuis un certain temps, les nouveaux prédicateurs évangélistes qui arrivent chez nous sont des Brésiliens. Comment arrivent-ils en Belgique et avec quel mandat ? Ce phénomène du religieux peut se comprendre, mais il peut prendre des allures inquiétantes.

    Réponses de M. Jean-Paul Marthoz

    En ce que concerne le phénomène de la montée des pasteurs évangéliques, l'orateur se réfère au dernier numéro de la revue « Enjeux internationaux » que contient une enquête sur la stratégie du Vatican face à la mondialisation, face aux pays du BRIC, notamment le rôle joué par le Brésil. Cet article, écrit par le directeur de la revue « Le monde des religions », précise qu'il y avait 83 % de Brésiliens catholiques au Brésil en 1991 contre 67 % aujourd'hui. L'Église catholique perd chaque année 1 % de ses fidèles au profit de l'Église évangélique dans un pays qui compte désormais deux pasteurs évangéliques pour un prêtre catholique.

    Ces chiffres montrent l'évolution extrêmement rapide de la présence des pasteurs évangéliques dans le système social et politique brésilien. Les pasteurs évangéliques jouent un rôle politique. C'est un élément avec lequel les partis politiques doivent jouer avec prudence. En effet, même dans l'environnement du PT, il subsiste une imprécision quant à la manière dont une organisation de gauche, sortie essentiellement du monde syndical, mais aussi des comités de base catholiques, peut gérer ce phénomène populaire auquel il faut répondre lorsqu'on est un parti très proche du mouvement social et que l'on fait partie du gouvernement.

    Le phénomène des pasteurs évangéliques est certainement un élément extrêmement important dans l'évolution politique du Brésil. L'analyse générale des politologues brésiliens concernant cette présence croissante est plutôt négative, dans la mesure où celle-ci a entraîné une démobilisation politique et sociale d'une partie de la population, ce qui a des effets sur la manière dont un gouvernement peut répondre, notamment, au grave défi de l'inégalité.

    Tous les pasteurs évangéliques ne sont pas semblables — il existe des différences entre certaines dénominations et d'autres — mais ils ont généralement, face à la pauvreté et à l'inégalité, une attitude plutôt différente de celle que propose un parti comme le PT, voire un parti comme le parti social démocrate du président Cardoso.

    L'orateur est extrêmement sceptique quant à la capacité de l'Amérique latine d'avancer vers l'intégration à l'échelon de l'ensemble du continent. Il y a de plus en plus deux « Amérique latine », d'une part, une Amérique du Nord, dans laquelle se trouve le Mexique et, d'autre part, la majorité des pays d'Amérique centrale et des Caraïbes. La question de l'intégration de l'Amérique latine concerne essentiellement l'Amérique du Sud et non plus l'ensemble de l'Amérique latine. L'adhésion du Mexique à l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) en 1994 a été, quoi qu'en dise le Mexique, l'arrêt de mort du processus d'intégration du continent latino-américain.

    Concernant la relation avec le Venezuela, bien que ce pays ait rejoint le Mercosur, il existe une tension permanente et qui durera longtemps entre deux projets différents: celui porté par le Brésil et celui porté par Hugo Chavez. Cet élément affaiblit évidemment la capacité de l'Amérique du Sud à s'inscrire dans une véritable logique d'intégration. Le conflit n'est pas seulement stratégique, mais aussi nettement idéologique, quant à la manière dont se conçoivent les projets politiques du XXIe siècle. Il existe actuellement une concurrence idéologique très forte, qui a des conséquences sur les capacités d'intégration.

    Par ailleurs, le Brésil a également des intérêts nationaux et ses relations avec les pays voisins sont parfois difficiles, même si une solution a été trouvée à propos de la nationalisation des intérêts gaziers du Brésil en Bolivie. En 2003, le président bolivien Sanchez de Lozada s'étonnait, à propos des exportations de gaz de son pays vers le Brésil, d'être traité par le Brésil comme « celui-ci déplorait de l'être par les pays industrialisés ».

    Il y a cette accusation permanente de la part des pays les plus faibles de la région. Le déséquilibre est énorme entre le Brésil, pays extrêmement développé, du moins pour une partie — c'est un pays extrêmement dual — et de petits pays comme la Bolivie, le Paraguay, même l'Uruguay, mais aussi le Pérou. Cette situation d'infériorité crée une véritable tension.

    Au même titre que la Chine est considérée comme l'atelier du monde, on pourrait dire que le Brésil est le grenier du monde. La politique actuelle pourrait se résumer par un « tout à l'agriculture ». Il y a un projet industriel au Brésil mais la volonté de l'État de jouer un rôle important dans la guidance économique rappelle un peu les modèles de ce que l'on appelé le national-développementalisme des années '50. On dénonce assez souvent au Brésil l'accent mis sur le secteur primaire, la primarisation de l'économie brésilienne, c'est-à-dire la volonté de développer l'immense frontière agricole brésilienne qui compte près de 90 000 000 de terres disponibles, selon les chiffres brésiliens, soit autant que les terres actuellement cultivées aux États-Unis. Selon le Brésil, la frontière est énorme mais cela a des conséquences environnementales extrêmement importantes. On peut saluer le Brésil dans sa politique de promotion des biocarburants. L'extension de la frontière agricole a des conséquences environnementales et sociales. La stratégie économique brésilienne de développement de l'agriculture a des conséquences sur l'environnement. Lors des nécessaires négociations au sein de l'OMC avec le Brésil, les pays de l'Union européenne pourraient utilement inclure cette dimension.

    Le Brésil et le pétrole. Le Brésil exporte un peu de pétrole mais il reste un pays se situant encore dans une logique de pays consommateur et importateur de pétrole. Dans les relations avec la Bolivie, le Brésil a une stratégie nationale de prospection, de développement, qui se passe selon des critères qui ne sont pas nécessairement différents parce que le Brésil serait un pays du sud et en tant que tel aurait une politique plus progressiste dans ses relations internationales que les pays du nord. Le Brésil est présent au Soudan et cela a eu des conséquences sur la manière dont le Brésil s'est positionné notamment au sein du Conseil des droits de l'Homme à plusieurs reprises lorsque le problème du Soudan s'est posé. Le Brésil se retrouve en quelque sorte dans la logique de la Chine qui préfère ne pas trop troubler ou irriter un pays qui fait partie de ses fournisseurs d'énergie.

    Réponses de M. Koen Warmenbol

    C'est en définitive l'énergie qui sera l'élément clé de l'intégration de l'Amérique latine. Les pays latino-américains étaient fortement axés sur les exportations de matières premières vers les marchés du Nord. Aujourd'hui, les accords énergétiques et échanges de produits énergétiques entre pays latino-américains se développent. Par exemple: un pipeline est ainsi en construction entre le Venezuela et l'Argentine.

    Les pays d'Amérique latine se complètent mutuellement et ne se soucient plus seulement du marché nordique mais aussi des débouchés latino-américains. Il en résultera une plus grande intégration des économies globales. L'intégration énergétique constitue un tampon important dans le conflit politique entre l'approche plutôt gauchiste, caractérisée par le projet Alba, et l'approche plus modérée du président Lula. Elle permettra peut-être de trouver des compromis relatifs à d'autres aspects de l'intégration sociale et économique de la région.

    La dette publique a été fortement réduite. Les charges d'intérêt et les amortissements ne grèvent plus autant le budget total. Fin 2005, le Brésil a même pu anticiper le remboursement des prêts consentis par le FMI. Il s'agissait d'un geste éminemment politique dont l'objectif était de se libérer du joug des mesures politiques imposées par le FMI. La médaille avait cependant un revers: la dette extérieure a été transformée en dette intérieure. Les différences entre les taux d'intérêt sont tellement grandes que l'on peut se demander si ce remboursement anticipé est vraiment une bonne chose pour l'action contre l'endettement. À court terme, cette décision peut engloutir une grande part du budget du développement du Brésil. Les paiements d'intérêts ont grimpé en flèche au cours des dernières années, ne serait-ce qu'en raison du règlement de la dette extérieure.


    III. CONCLUSION DE M. WILLE ET DE MME ZRIHEN, RAPPORTEURS


    III.1. PRÉSENTATION

    Les pays du BRIC sont les quatre plus grands pays en développement: le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Ces pays sont au cœur de l'actualité économique. Pas un jour ne passe sans qu'un événement ne leur soit associé, de près ou de loin.

    Le Rapport de Goldman Sachs

    Le rapport de Goldman Sachs prévoit que la Chine et l'Inde (retrouvant le poids qui était le leur avant la révolution industrielle) se hisseront respectivement aux premier et troisième rangs mondiaux en 2050, les États-Unis et le Japon se trouvant relégués aux deuxième et quatrième places. Si la Russie connaît une évolution moins spectaculaire, elle est néanmoins appelée à devenir la 1ère puissance européenne, devant l'Allemagne. La démographie n'est pas le facteur déterminant pour expliquer l'émergence de ces nouveaux géants. En effet, les projections réalisées par l'ONU montrent que la structure de la population mondiale ne devrait pas évoluer fortement sur cette période. Si le poids de la Chine dans la population mondiale est appelé à diminuer, celui de l'Inde devrait se stabiliser. Le modèle de Goldman Sachs repose en fait sur une hypothèse forte de convergence progressive des niveaux de vie.

    Le PIB par habitant augmentant, l'écart entre les pays du BRIC et les économies développées devrait se resserrer. Cette convergence n'en sera pas moins lente et si les écarts de niveau de vie devraient être réduits en 2050, ils n'auront pas disparu pour autant. L'étude de Goldman Sachs ne constitue en aucun cas une prévision exacte de la croissance mondiale sur les 50 prochaines années. L'étude propose un scénario, lequel repose sur un certain nombre de conditions fondamentales. Elle suppose que les facteurs qui ont permis à des pays comme la Corée, Taiwan ou le Portugal d'accéder, en une génération, au statut de pays industrialisés pourront être transposés à une toute autre échelle à la Chine, l'Inde ou la Russie. Ainsi le rattrapage des BRICs est largement conditionné par un ensemble de facteurs autant internes qu'externes: 1. Le développement du capital humain, 2. L'accès aux ressources naturelles, 3. L'absence de grands conflits internationaux, 4. La mise en place d'institutions et de politiques appropriées, 5. Le maintien de l'ouverture des marchés internationaux.

    Plusieurs questions se posent, qu'est-ce une puissance ? Peut-on dire que les BRIC sont des puissances régionales ou mondiales ? Quelles sont les interractions entre eux ? Y-a-t-il une forme de main mise des BRIC sur l'Afrique ?


    III.2. BRÉSIL, RUSSIE, INDE ET CHINE: DES PUISSANCES ?


    III.2.1. Le Brésil

    8,5 millions de km2, 188 millions d'habitants, 31 millions de jeunes (15-30 ans), une économie parmi les dix plus puissantes mondiales. Pays présenté comme acteur incontournable, il semble avoir les atouts pour accéder au rang de puissance. Mais qu'attend-t-il pour s'affirmer ? Quelles marges de manoeuvre possibles à sa montée en puissance ? Aujourd'hui, la croissance économique (+3,1 % en 2006) ajoutée au poids de sa politique étrangère sont des illustrations du désir et de l'affirmation du Brésil sur la scène internationale.

    D'un rapport du faible au fort, le Brésil veut s'imposer aujourd'hui sur la scène internationale comme un fort parmi les forts.

    Socle de la puissance brésilienne

    L'émergence du Brésil au cours des dernières années tient en premier lieu à un certains nombre de facteurs. Avant de parler de contexte politique ou international, il faut tout d'abord se pencher sur la puissance géographique, démographique et économique du Brésil.

    Le Brésil est avant tout une puissance géographique. C'est le cinquième pays au rang mondial, tant par sa superficie (plus de 8,5 millions de km²) que par sa démographie (188 millions d'habitants). Cette situation rend le Brésil incontournable dès que l'on parle de l'Amérique latine. Ce pays représente la moitié du continent en termes de superficie et de population, et possède des frontières avec tous les pays du continent, exception faite du Chili et de l'Equateur.

    Ressources territoriales

    Hydrocarbures

    Sa situation géographique lui permet de profiter de nombreuses ressources en matières premières, et en particulier en ce qui concerne les ressources énergétiques, véritable enjeu de puissance au niveau international. Le 21 avril 2006, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva annonce l'autosuffisance du Brésil en pétrole: cette déclaration est intervenue dans le cadre de la mise en opération de la plateforme pétrolière « offshore » P50, au large de l'État de Rio de Janeiro.

    L'autosuffisance, atteinte avec une production égale ou supérieure à cette demande, permet de mettre le pays à l'abri de trop fortes volatilités internationales des prix du pétrole. Elle le protège de plus contre une baisse d'approvisionnement d'un produit aussi stratégique que le pétrole. Selon Petrobras, l'autosuffisance du pays en pétrole est assurée pour les 10 prochaines années, grâce aux ressources naturelles.

    D'un point de vue international, le gouvernement brésilien est par ailleurs conscient que la stabilité énergétique améliore l'image du Brésil. Il y a 30 ans, le pays devait importer la totalité du pétrole nécessaire à sa consommation. Aujourd'hui, il dégage un excédent d'au moins 3 milliards de dollars par an grâce aux exportations d'hydrocarbures. Petrobras prévoit une production de 2,3 millions de barils/jour en 2010. Dorénavant, le Brésil peut concurrencer d'autres états pétroliers latino-américains qui ont une production excédentaire, tels que le Venezuela ou le Mexique.

    Nucléaire

    L'autosuffisance énergétique passe aussi par la maîtrise de l'énergie nucléaire. Le Brésil possède une centrale nucléaire avec deux réacteurs (Angra I et Angra II) et des pourparlers sont en cours pour la construction d'un troisième. Cette énergie ne représente qu'une faible part (4,3 %). Néanmoins, le Brésil met l'accent sur ce domaine technologique en développant une technique originale d'enrichissement de l'uranium. Le Brésil entre ainsi dans le petit club des pays dominant cette technologie: les États-Unis, la France, la Russie, le Royaume Uni, le Japon et la Hollande. L'atout du nucléaire est doublement important pour le Brésil puisqu'il est le 6e exportateur d'uranium mondial alors que seulement 1/3 de son territoire a été sondé. En enrichissant son uranium, le Brésil peut vendre directement au consommateur tel que la Chine, le Japon, ou l'Inde.

    Éthanol

    Par ailleurs, le Brésil est aussi le premier producteur mondial d'éthanol (154 millions d'hectolitres par an) à destination des filières de biocarburant. Cette culture démarre suite aux chocs pétroliers puis est mise en veille, car peu rentable, avec la baisse des cours du pétrole. Mais avec l'envolée récente du prix du baril, les biocarburants sont à nouveau rentables pour le consommateur brésilien.

    Ces biocarburants sont d'autant plus appréciés que les constructeurs automobiles proposent désormais des moteurs dits « flex fuel » qui utilisent indifféremment le diesel ou l'éthanol. Le consommateur s'adapte donc au marché et n'a plus à choisir l'une ou l'autre des solutions. Le Brésil a encore une énorme capacité d'augmentation de production de canne à sucre. À la fois technologiquement en pointe et force de production, le Brésil se positionne, aujourd'hui, comme un acteur majeur sur ce segment. D'autant qu'en Europe la canne à sucre ne pousse pas alors que la commission fixe à la part des biocarburants à 5,75 % à l'horizon 2010. Le gouvernement inscrit le flex fuel dans une politique de développement durable. Mais il est à mettre en regard avec les cultures intensives dopées par les engrais et les pesticides face aux problèmes pollution des sols et de déforestation qui gangrènent le pays à long terme.

    Agriculture

    Sa superficie et sa localisation géographique font de l'agriculture brésilienne l'une des plus puissantes au monde: premier producteur mondiale de sucre de canne, café, fruits tropicaux, premier cheptel bovin au monde avec 170 millions de têtes, second producteur mondial de soja. La balance commerciale des exportations agricoles vers les États-Unis est de 38 milliards de dollars en 2005 (en comparaison, la balance commerciale totale du Brésil est de 44 milliards de dollars sur la même période).

    L'agrobusiness du pays est redoutable à l'exportation.

    L'Union européenne et les États-Unis, conscients de la puissance de feu par les prix de l'agriculture brésilienne, tentent de limiter son impact en protégeant leurs marchés et leurs agricultures internes par des droits de douanes élevés. Par exemple, un taux de douanes de 177 % pour le boeuf brésilien à l'entrée sur le marché européen. Afin de conforter son poids sur la scène internationale, le Brésil s'appuie sur les organisations commerciales internationales pour une plus grande libéralisation des marchés. Au travers du G20, le Brésil lutte pour l'aboutissement des négociations sur le cycle de Doha. Ces négociations sont le théâtre d'une confrontation entre les puissances économiques « traditionnelles » (UE, États-Unis) et les puissances émergeantes, Brésil en tête.

    Toutefois, d'autres pays émergeants comme la Chine et l'Inde possèdent de réelles perspectives de croissance. Même si les capacités de production du Brésil sont déjà élevées, ces dernières peuvent fortement augmenter pour répondre à une demande bien supérieure. Ce développement implique un recul de la forêt amazonienne et des recours à de nouvelles technologies comme les OGM. Avec les alliances stratégiques et économiques qu'il a réussi à tisser au sein du G20, le Brésil peut se prévaloir de devenir un acteur incontournable de l'échiquier géopolitique dès que les problématiques liées à l'agriculture seront maîtrisées.

    Eau

    En plus du pétrole, sa géographie a permis au Brésil de bénéficier de fortes ressources en eau.

    Ceci lui a permis de se doter du plus grand parc hydroélectrique mondial qui fournit plus de 80 % de ses besoins en électricité. De plus, le Brésil est aussi le pays le plus riche en eau douce en Amérique du sud. Dans la région, on observe une forte implantation d'entreprises privées, cherchant à prendre en charge la gestion, le traitement et la fourniture de l'eau dans un contexte de crise de l'eau douce en Amérique du sud. On observe une croissance de 116 % des concessions d'exploitation de sources d'eau minérale et au cours de l'été de 2003.

    Des partenaires internationaux

    Au regard de l'importance de ces ressources au niveau international, les autres puissances mondiales s'intéressent également à ce pays. En 2003, un rapport de la prestigieuse banque d'investissement Goldman Sachs inclut le Brésil dans les 4 puissances économiques émergentes qui vont dépasser les puissances établies. Brésil, Russie, Chine et Inde aspirent toujours plus de capitaux étrangers pour financer leur développement, de 10 milliards de dollars en 1996, jusqu'à 18 milliards en 2004. Les synergies entre ces quatre pays sont fortes. Le Brésil et la Russie sont riches en matières premières alors que l'Inde et la Chine sont très demandeuse. La Chine a d'ailleurs signé en 2004 plusieurs contrats d'investissement avec le Brésil, entre autres dans l'extraction de fer, et a entreprit une coopération dans le secteur spatial.

    Par ailleurs, l'Union européenne voit dans l'Amérique latine un partenaire de choix et organise dès 1999 un sommet UE — Amérique latine, suivi par 3 autres sommets en 2002, 2004 et 2006 respectivement à Madrid, Guadalajara et Vienne. Ces sommets visent à établir un dialogue et à engager une coopération économique et culturelle forte. La proximité du modèle politique du Mercosur avec l'UE est un point important, mais la domination brésilienne et argentine dans cette entité ne motivent pas les autres pays à la rejoindre.

    Le Brésil voit en l'Europe un formidable marché pour son énorme production agricole, mais les subventions européennes ainsi que les droits de douanes empêchent sa compétitivité de s'exprimer pleinement. Indépendamment des réussites politiques, les grands groupes européens n'ont pas attendu pour partir à l'assaut de ce continent. L'Europe est déjà le premier investisseur étranger au Brésil avec près de 50 % en 2000.

    Enfin, la récente flambée des prix des matières premières permet au Brésil de réaliser un important excédent commercial. Il a doublé son exportation entre 1999 et 2004 tandis que l'importation n'augmentait que de 20 %. Cette manne financière permet au Brésil de rembourser ses nombreuses dettes. En décembre 2005, c'est le FMI qui récupère ses fonds (15 milliards de dollars) et le Président Lula annonce pour janvier 2006 le remboursement du club de Paris ainsi que des Nations unies. Ainsi libéré de la pression de ses créanciers, le Brésil économise près de 100 millions de dollars, lui permettant de financer ces prétentions de développement de sa défense nationale.

    La force militaire brésilienne

    Évolution du budget

    Près de 20 ans après la fin de la dictature militaire, les militaires brésiliens ont continuellement perdu du terrain dans les arènes du pouvoir. Le budget militaire est passé de 20 % du budget fédéral en 1970 à 1.3 % en 1993, ce qui se traduit par une chute de 1,5 % du PIB à 0,3 %. Néanmoins, ces chiffres sont à prendre avec précaution dans la mesure où des fonds complémentaires provenant d'autres sources sont alloués à certains projets particuliers. De même les forts taux inflationnistes et l'instabilité économique qui ont secoué à plusieurs reprises le pays compliquent les comparatifs. Cette faiblesse budgétaire est à replacer dans son contexte géopolitique. En effet, la taille et le poids économique du Brésil en font en 1993, le 19e pays sur 166 en terme de dépense militaire et représente 9,2 milliards de dollars en 2004, soit plus que l'ensemble des pays d'Amérique latine. De même la stabilisation des pays voisins et surtout plusieurs de ses partenariats avec l'Argentine ont pour l'instant éloigné les menaces physiques pesant sur le Brésil. Enfin, avec l'embellie des résultats économiques et la stabilisation de l'inflation, le budget retrouve une marge de manoeuvre sur le plan international.

    Influence diplomatique du Brésil

    Le poids de la construction communautaire

    Pour comprendre la politique actuelle du Brésil, revenons sur celui qui en est à sa tête. Dans les années 80, Lula se lance dans la politique en créant le Parti des Travailleurs. Enfin en 2002, il accède à la présidence après plusieurs échecs aux précédentes élections.

    La manifestation d'un président d'origine ouvrière, qui a su transmettre au monde sa sensibilité sociale, avec des formules chocs, un franc parler simple, a permis de hisser le Brésil dans le débat mondialisé. L'empathie suscitée par Lula l'a conduit au rang des personnalités marquantes de l'actualité mondiale.

    Lula entend changer la géopolitique du Brésil. Cela commence assez fort, avec Cancùn en 2003, et sa présentation à l'OMC de l'association du G20. Lula a effectivement contribué à établir son nouveau rapport de force entre les pays du Nord et ceux du Sud.

    Issue d'une gauche très « antiaméricaine », Lula ne veut pas pour autant faire d'idéologie avec les relations politiques et commerciales du Brésil, au contraire de son homologue vénézuélien Chàvez. Malgré le soutient à l'élection du 18 septembre 2005 du leader syndicaliste bolivien Evo Morales à la présidence, ce dernier va basculer vers Chàvez. Le Venezuela annonce peu de temps après, la nationalisation de son secteur du gaz naturel et Morales en rajoute en augmentant le prix de vente de son gaz. Ce qui a pour cause d'entraîner un affaiblissement du secteur gazier brésilien, particulièrement pour Petrobras. Dans cette affaire, Lula n'a pas joué un rôle précis; la participation américaine à hauteur de 49 % dans le capital de Petrobras, pourrait être une des raisons de cette inaction.

    Le frein argentin et l'ambiguïté du MERCOSUR

    Dans le cadre du Mercosur, pilier de la politique régionale de Lula, le Brésil signe avec l'Argentine le 1er février 2006 un accord pour protéger ses secteurs de production qui pourraient être trop durement affectés par la compétition du pays voisin, l'objectif étant de renforcer les barrières à l'entrée: il s'agit du Mécanisme d'Adaptation Compétitive (MAC). Le MAC permet de protéger les secteurs de production menacés en fixant des droits de douane sur le produit « trop compétitif » du pays voisin pour trois ans, renouvelable une fois. La Déclaration de Cuzco prévoit son intégration progressive dans la Communauté sud-américaine des nations (CSAN).

    La constitution du Mercosur a entraîné un développement des échanges entre les différents États membres mais plus particulièrement entre les deux poids lourds que sont le Brésil et l'Argentine. Répondant au nouveau contexte international de régionalisation et de globalisation, cette construction réunificatrice dans le processus d'intégration latino-américain se traduit par un régionalisme ouvert, soit une libéralisation commerciale et une réinsertion compétitive dans le marché mondial. Il subsiste cependant encore des entraves au commerce intra-zone avec un degré de protectionnisme interne très significatif tant en ce qui concerne les États membres que les pays tiers.

    Diplomatie régionale: le paradoxe brésilien

    L'action diplomatique du Brésil se concrétise par plusieurs volontés. Tout d'abord, celle de renforcer le Mercosur. Le pays compte en effet rebondir sur l'intégration régionale pour se projeter à l'échelle internationale et défendre les intérêts brésiliens face aux États-Unis et à l'Union européenne. Les ambitions brésiliennes sont fermes dans la mesure où le pays a pour projet d'être le moteur de l'intégration et le leader de l'Amérique du Sud. Le gouvernement est convaincu que pour rivaliser avec les capitales occidentales et prétendre à un siège permanent au Conseil de sécurité, il doit devenir le porte-parole de l'Amérique du Sud.

    La volonté du Brésil de s'imposer au sein du continent est cependant paradoxale. Le pays recherche une reconnaissance internationale et une acceptation par ses pairs régionaux. Cette volonté s'est illustrée par exemple dans son intervention pour régler des crises régionales, en Colombie, au Venezuela, en Bolivie et à Haïti. Depuis juin 2004, le commandement de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti est assuré par le Brésil, mandaté par le Conseil de sécurité.

    Le président brésilien Lula s'est dit convaincu, à de multiples reprises, que le Mercosur allait signer un accord commercial avec l'Union européenne. Il souligne par ailleurs que son pays en aurait besoin autant que l'UE. Cette déclaration laisse présager la stratégie de puissance du Brésil pour les années à venir: faire du Brésil, leader des pays en développement, un partenaire commercial des pays développés, servant de ce fait d'exemple à ses voisins régionaux.

    Les enjeux de l'ONU et les implications en termes de développement et d'actions diplomatiques

    Une grande partie de l'activité diplomatique brésilienne et des voyages présidentiels à l'étranger est consacrée à gagner des soutiens dans sa candidature à un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Résultat pour le moment stérile, sachant que cette campagne de propagande indispose d'autres grands pays comme l'Argentine et le Mexique, peu disposés à voir le Brésil les représenter.

    D'où la réplique sud-américaine avec le projet du G4, qui vise à faire passer le Conseil de sécurité de 15 à 25 membres, avec six nouveaux sièges permanents et quatre non permanents. L'élargissement du Conseil de sécurité est souhaité par de nombreux pays et par l'ancien secrétaire général, Kofi Annan, pour lui permettre de mieux refléter les réalités du monde d'aujourd'hui et donner une présence accrue au tiers-monde. De nombreux problèmes subsistent au sein de l'entente du G4, venant en particulier de certains pays africains (Afrique du Sud, Nigéria et Egypte).

    Afin de renforcer cette « bonne conjoncture », le Brésil a annoncé son soutien mutuel avec l'Allemagne pour obtenir le statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies; alliance qui, comme on s'en doute, est plus que tactique.

    L'émergence d'une nouvelle conception des relations internationales

    L'opération IBAS: Inde, Brésil, Afrique du Sud. Cet instrument de coopération Sud/Sud, créé au lendemain de l'investiture de Lula, est bienvenu d'autant que l'Inde et l'Afrique du Sud ont été négligées par le Brésil depuis plus d'un demi-siècle. Proposant un rapprochement des états semblables, sans arrières pensées, on voit là une rupture avec les soi-disant « aide au développement » défendue par les pays développés.

    La Communauté sud-américaine des Nations (CSAN) est le fruit de la fusion du Mercosur avec la Communauté andine (Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou et Bolivie) et de l'intégration du Chili, de la Guyane et du Suriname. Le 17 décembre 2004, trois nouveaux membres sont associés: l'Équateur, la Colombie et le Venezuela. La CSAN représente 360 millions de personnes sur 17 millions de km2 (environ 45 % du continent américain). Ce territoire est riche en pétrole, gaz, ressources minières, en eau et en forêt (8 millions de km2). Le projet de la CSAN n'a pas que des visées commerciales: « le processus d'intégration ne doit pas se limiter à des accords commerciaux. Il doit y avoir une intégration politique et physique, avec la volonté d'entraîner une intégration macroéconomique ». Ce projet de CSAN entre dans la stratégie de regroupement des pays en développement autour du leader brésilien, notamment grâce à leur proximité géographique (à l'exception de l'Équateur et du Chili). La CSAN est une tentative brésilienne très nette d'arracher la zone pacifico-caribéenne à la sphère d'influence des États-Unis. Dans cette dynamique, le président Lula a joué un grand rôle.

    Perspectives

    La longue liste des actions entreprises par le gouvernement de Lula sur les dernières années ont pour objectif d'affirmer la présence du Brésil dans le jeu des puissances mondiales.

    Il existe une politique duale au sein du Brésil, qui renforce les contradictions internes du pays. Par exemple, la politique sociale de Lula, présentée dès son élection en octobre 2002 sur le thème du « pacte social », semblait annoncer d'importants changements concernant tout autant les bases électorales, que les orientations et les méthodes du gouvernement. Lula promit par exemple de s'attaquer au problème de la sécurité alimentaire avec la mise en place du programme « Faim Zéro » (Fome Zero). Il forma un gouvernement d'union nationale et créa, sur le modèle français, un « Conseil de Développement Economique et Social ».

    Un discours économique et social contradictoire

    La contradiction naît entre un discours économique libéral et une politique sociale progressiste: Lula prévoit de poursuivre la politique économique mise en pratique par son prédécesseur. Cependant, cette politique réduit considérablement les sources de revenus publics pour réaliser la partie sociale du programme, qui prévoyait l'augmentation significative des revenus les plus bas, l'éradication de la faim, la réforme agraire, l'augmentation de la population couverte par la sécurité sociale et la réforme progressiste de l'impôt.

    Insécurité Intérieure

    Le Brésil est un pays où l'insécurité intérieure est grandissante. En effet, le pays est connu pour ses taux de criminalité records: avec plus de 50 000 homicides en moyenne, dont 36 000 par arme à feu commis chaque année, le Brésil se place au troisième rang mondial derrière la Colombie et la Russie. De nombreuses attaques à mains armées, dans la mesure où l'on estime à plus de 17 millions le nombre d'armes à feu circulant dans le pays aujourd'hui. On observe aussi un important trafic de drogue ainsi que des kidnappings fréquents.

    Une pauvreté croissante, génératrice d'inégalités

    Le taux de pauvreté, de 37 % selon un calcul fondé sur un panier de consommation, est supérieur à celui du Chili (20 %) et de l'Argentine (30 %, avant la crise de 2002). Environ 15 % des Brésiliens vivent dans des conditions d'indigence. L'importance de la population recensée comme pauvre est le reflet d'un problème distributif.

    Avec plus de 21 millions d'hectares dédiées au soja et plus de 160 millions de têtes de bétail, l'agriculture et l'élevage brésilien font peser une forte pression sur l'Amazonie. Cette forêt grande de 4,2 millions de km2 à déjà perdu près de 20 % de sa surface suite à la déforestation. Si le Brésil ne mène pas une politique environnementale plus stricte, il risque d'être soumis à la pression internationale et de subir les effets du dérèglement climatique. Pour pérenniser son développement, le Brésil devra exploiter avec attention et intelligence les immenses ressources qui lui ont été alloués. Ainsi, le Brésil a construit une belle façade montrant son efficacité industrielle, ses vastes réserves agricoles, ses projets technologiques et ses ressources naturelles enfouies sous l'immensité verte de l'Amazonie.


    III.2.2. La Russie

    De forts atouts mais des enjeux de taille

    L'économie russe est aujourd'hui largement soutenue par l'importance de la production des matières premières, dans un contexte de prix historiquement élevés. La Russie est aujourd'hui le premier pays producteur de gaz (elle détient 1/4 des réserves mondiales) et le second pour le pétrole. Si les matières premières constituent certes un atout considérable dans un monde qui en manque, elles sont également un facteur de risque.

    Au final, la Russie risque de se retrouver dans une situation similaire à celle aujourd'hui du Venezuela, avec un secteur rentier certes extrêmement prospère, mais avec un secteur industriel « traditionnel » atrophié du fait même de son manque de compétitivité. Les autorités russes ont pris conscience de ces difficultés et ont conduit de nombreuses réformes afin de dynamiser leur développement économique et de réduire la dépendance au prix des matières premières. La Russie s'est ainsi engagée dans un processus accéléré de remboursement de sa dette. Elle a également constitué en 2004 un fonds de stabilisation alimenté par les surprofits provenant des ventes de pétrole, fonds qui pourrait s'élever à 800 millions de dollars en 2030 selon l'OCDE.

    À l'enjeu économique s'ajoute l'enjeu démographique. Selon les projections de l'ONU, la population russe devrait passer de 143 millions d'habitants à 110 millions en 2050. La Russie a une natalité de pays développés et une mortalité de pays en développement. La Russie se mobilise autour de la dépopulation et investit à nouveau dans son système de santé, mais elle ne restera pas durablement un pays attractif pour les investisseurs sans une inflexion de sa situation démographique.

    Se pose également la question des institutions et du rôle de l'État dans l'économie russe. Ainsi la reprise en main de certains grands groupes stratégiques, opérée depuis quelques années, loin d'être un gage de modernisation accélérée, peut au contraire contribuer à la dégradation de la gestion de ces entreprises.

    La question de l'identité nationale constitue également un fort enjeu pour la Russie. En effet, la Russie n'a de cesse, depuis l'effondrement de l'empire soviétique, de chercher à reconstruire une identité, recherche qui repose sur des non-dits. Mais si ces facteurs de crispation identitaires sont un sujet de préoccupation pour l'avenir, force est de constater que nombreux sont les Russes qui aspirent à plus de prospérité.

    Enfin, la Russie est aujourd'hui un pays européen. 80 % de sa population vit à l'ouest de l'Oural. Plus de la moitié des échanges commerciaux sont réalisés avec l'Union européenne. Or, la Chine et l'Inde devraient prendre de plus en plus de poids. La Chine est d'ores et déjà le deuxième partenaire commercial de la Russie (derrière l'Allemagne) et le centre de gravité économique de la Russie devrait basculer de l'Europe vers l'Asie.

    La diplomatie russe en Europe.

    Moscou a subit une perte de puissance accélérée suite à l'effondrement de l'Union soviétique, dont les conséquences sont encore durement ressenties par les dirigeants et responsables politiques. Afin de retrouver le statut de puissance mondiale qu'elle considère mériter, la Russie s'emploie à développer son économie, qui est devenue le moyen incontournable pour asseoir une stratégie de puissance globale. Or, c'est dans le domaine économique qu'elle est la plus faible: en effet, son produit intérieur brut la situe entre les Pays-Bas et la Belgique, alors que sur le plan diplomatique, elle réussit à s'imposer comme un acteur de poids dans la plupart des grands dossiers internationaux (l'Iran, dans une certaine mesure la Corée du Nord, la lutte contre le terrorisme islamiste, etc.).

    Pour réaliser l'objectif de développement économique, considéré comme primordial, elle s'appuie sur ses ressources naturelles, en particulier le pétrole (dont elle est le second producteur mondial — il faut savoir qu'en 2004, elle était même au premier rang, devant l'Arabie Saoudite) et le gaz naturel, dont elle est le premier producteur mondial, disposant également des plus grandes réserves au monde). Moscou s'impose donc aujourd'hui comme une puissance énergétique de premier plan, en raison à la fois de son poids sur le marché énergétique mondial et de la volonté de ses dirigeants d'utiliser le facteur énergétique comme un instrument de puissance vis-à-vis de l'extérieur.

    La situation actuelle sur les marchés mondiaux de l'énergie est une des raisons qui accroît sensiblement ce vecteur de puissance russe. Sur le plan structurel, l'accroissement de la demande, entraîné par une croissance économique soutenue des pays émergeants (principalement la Chine et l'Inde) et la hausse de la demande aux États-Unis, fait apparaître une probable multiplication des luttes d'influence et guerres pour l'accès aux hydrocarbures (c'est le cas, respectivement, dans la mer Caspienne et en Irak).

    Points faibles

    La Russie est largement dépendante, sur le plan financier, de la manne pétrolière actuelle: en effet, sa croissance repose essentiellement sur un cours élevé du baril (cette dépendance est souligné dans un rapport récent de l'OCDE). En outre, l'Europe est son premier client, ce qui lui donne potentiellement la possibilité d'exploiter cet atout pour améliorer sa position dans les négociations. Il faut cependant admettre que pour le moment, le manque d'unité des pays européens les a privé de l'utilisation de cette position qui pourrait se révéler favorable, afin d'aboutir à la conclusion de contrats plus avantageux pour les intérêts européens. Gazprom, qui a saisi l'opportunité de la libéralisation du secteur énergétique au sein de l'Union, se positionne chaque jour davantage sur le marché européen.

    Mais l'état de l'infrastructure de transport du brut russe est dans un mauvais état, car elle a été construite dans les années 1960 et 1970 et commence à vieillir. En outre, le manque d'entretien, notamment pendant les années 1990, va finir par entraîner des incertitudes quant à la livraison effective des hydrocarbures. Moscou essaie de palier à ces difficultés en lançant des projets de construction d'oléoducs, de terminaux pétroliers et d'installations portuaires, afin d'augmenter ses capacités d'exportation.

    La volonté russe d'intervenir sur le marché énergétique européen révèle, enfin, une contradiction que les pays de l'Union européenne n'ont pas encore su exploiter. Le fait de profiter de la libéralisation des marchés en Europe pour s'y implanter et accroître ses gains financiers, tout en verrouillant davantage ses propres marchés, ne respecte pas le principe de réciprocité. La partie russe justifie cela en soulignant qu'elle fournit à l'Europe l'énergie (en particulier le gaz) dont elle a besoin: il s'agit de la « sécurité énergétique ». Toutefois, il ne faut pas omettre que les Russes sont bénéficiaires de la manne financière en retour, dont ils sont de plus en plus dépendants.

    Cependant, assurer une véritable sécurité énergétique pour les Européens passe nécessairement par l'intervention en amont. Des prises de participation dans l'offre énergétique permettront le financement des infrastructures nécessaires pour répondre à l'accroissement de la demande en Europe et constituera un pendant aux prises de participation de Gazprom en aval des marchés. Les Russes sont conscients des limites de leur politique actuelle et de la nécessité d'ouvrir leur marché aux Occidentaux.

    Prises de participations dans EADS

    La hausse du coût des matières premières (pétrole, gaz) dont la Russie est un exportateur traditionnel, lui a permis de rembourser ses dettes par anticipation aux pays riches et aux organisations internationales. La Russie dispose aujourd'hui d'une rente confortable pour mettre en place une stratégie de puissance dans un rapport géopolitique continental. La Russie a toujours eu une volonté de domination en Europe occidentale, les visées militaires se sont progressivement transformées en ambitions géoéconomiques. Depuis la crise financière de 1998, la Russie dispose d'un bras armé pour assouvir ses besoins de conquête économique, la manne énergétique.

    Les récentes prises de participation de l'État russe dans EADS et son souhait affiché d'intégrer le conseil d'administration du premier avionneur et entreprise de défense européenne semblent montrer au monde la stratégie d'un rapprochement militaro-industriel sur le continent eurasiatique. Cependant l'Union européenne est-elle réellement dépendante de Moscou ? La Russie a-t-elle une volonté géostratégique de domination en Europe ou ne cherche-t-elle pas simplement un partenariat commercial majeur ?

    Conclusion

    Chacun sait que la Russie pèse de nouveau dans le jeu international grâce à ses ressources naturelles. C'est par se biais, au-delà des convergences idéologiques, qu'elle approfondi ses relations avec la Chine dans son approvisionnement gazier et pétrolier.

    L'intervention en Afghanistan et en Irak a permis à la Russie de récupérer les pays antiaméricain et de nouer de nouveaux partenariats. Tel en est la relation avec l'Iran dans le domaine indirect du nucléaire, par la livraison de missiles tactiques. La croissance exponentielle de la Fédération de Russie dans le monde n'a pas laissé d'autre choix à l'Europe et aux États-Unis que de renforcer un partenariat énergétique. Cependant, certains problèmes demeurent pour le nouvel empire russe. En effet, ce dernier souffre d'une structure trop opaque, de violations des droits de l'homme, d'inégalités sociales, de la présence accrue du crime organisé, de mesures pour la protection de l'environnement faibles.

    La Russie s'est replacée, sous la présidence de Vladimir Poutine, sur la scène internationale. Ce réaliste, issu du KGB, s'appuie principalement sur les ressources naturelles et certains secteurs de haute technologie comme l'aéronautique, dont les grands succès datent de l'époque soviétique, pour imposer au monde un pays dont les élites considèrent qu'il a naturellement sa place parmi le concert des puissances.

    Toutefois, cette stature de puissance retrouvée repose largement sur des facteurs exogènes que les Russes ont su, il faut l'admettre, optimiser. Mais les incertitudes demeurent sur l'avenir de la politique russe après 2008: en effet, ce pays dispose de partenariats avec l'Union européenne, les États-Unis, mais également la Chine. Cette multitude de partenaires ne doit pas cacher le manque d'allié véritable et il est impossible de prédire si cette situation peut à terme durer, ni à fortiori si elle peut constituer un atout pour Moscou.

    Le risque d'une Russie tournée vers l'Asie ne doit pas occulter les difficultés de la relation entre ce dernier et Pékin. Ainsi, leur rivalité traditionnelle, avec comme point culminant les guerres pour la domination de la Sibérie, de l'Extrême-Orient et de l'Asie centrale, risque de ressurgir à nouveau. Les signaux faibles sont déjà là: expansion économique et démographique chinoise en Sibérie, luttes d'influence dans les ex-républiques soviétiques en Asie centrale, etc. Les craintes russes concernant ses frontières orientales ne cessent de croître dans le contexte de montée en puissance continue de Pékin, dans la mesure où l'étendue de la Sibérie, le peu de population présente et les ressources naturelles, dorénavant stratégiques pour la pérennisation d'une économie gourmande, posent la Chine comme potentiel concurrent de la Russie sur cet espace. Il serait donc intéressant d'introduire une nouvelle variable, à savoir la Chine, dans la relation russo-européenne, afin de voir comment les Européens pourraient en tirer avantage car Moscou est obligé de maintenir des liens suffisamment étroits avec l'UE pour pouvoir éventuellement contrer Pékin, dont les intentions stratégiques demeurent incertaines.


    III.2.3. Chine

    Ces derniers temps, aucun pays émergent n'a été plus observé et plus analysé que la Chine.

    L'ouverture du pays au monde extérieur a donné des résultats spectaculaires et a attiré des investissements étrangers directs. La grande opération de privatisations a aussi radicalement modifié le schéma de pensée économique.

    La Chine est aussi devenue l'atelier de production du monde, ce qui a provoqué d'importants phénomènes environnementaux, mais également la constitution d'énormes réserves de devises et une sous-évaluation de la monnaie locale.

    Le niveau de vie de centaines de millions de personnes s'est amélioré, c'est indéniable. Mais il y a des champs de tension considérables entre le nord et le sud, entre l'ouest rural et la zone côtière, ainsi qu'entre riches et pauvres.

    Économie

    Protéger la propriété privée au moyen d'une législation praticable est une nécessité absolue.

    L'impôt des sociétés est uniformisé à 25 % et s'inscrit dans l'ambition chinoise d'avoir un modèle de marché assorti de corrections sociales et écologiques.

    Entre-temps, la Chine découvre, avec désenchantement, les conséquences écologiques d'une croissance effrénée et prend conscience du coût énorme qu'engendreront la pollution du sol et les rivières mortes.

    La distribution et le commerce de détail dans les pays clients constituent désormais le prochain objectif, car on s'est rendu compte que les centres de profit se trouvaient en grande partie dans ces secteurs.

    Les relations commerciales avec l'UE ne sont pas parfaites, à l'instar des relations commerciales avec les États-Unis qui génèrent un excédent commercial d'un niveau malsain.

    Les autorités chinoises sont soumises à une pression hors du commun pour les inciter à modifier leur politique monétaire et à réévaluer leur monnaie. La Chine a réformé en profondeur sa politique financière et monétaire, et exclut provisoirement toute réévaluation. Les placements considérables en bons du Trésor américain confèrent à la Chine un rôle particulier dans la politique américaine et dans le cours du dollar américain. Par ailleurs, les établissements financiers, les compagnies d'assurance et les banques d'épargne ouvrent de plus en plus leurs portes aux capitaux étrangers et au benchmarking international.

    De cette manière, l'arrivée de nouveaux actionnaires internationaux permet de pallier en partie le besoin criant de savoir-faire et d'expérience pratique dans des secteurs ayant accumulé un certain retard (assurance maladie, constitution de pension, …).

    L'intérêt marqué pour le secteur des services contredit aujourd'hui l'ancienne analyse selon laquelle la Chine axerait uniquement ses efforts sur la production.

    La dispersion géographique du potentiel économique profitera à de nouvelles régions et rendra la Chine plus équilibrée à court terme, permettant ainsi d'éviter de grandes vagues migratoires internes.

    Enfin, l'on notera que la Chine investit massivement dans la recherche et le développement, ce qui portera assurément ses fruits à terme et ne manquera pas d'éveiller l'intérêt de la Chine pour la protection du potentiel économique et scientifique.

    Agriculture

    Le grand mécontentement de la Chine rurale ne pourra être apaisé qu'en garantissant une compensation équitable en cas d'expropriation et en permettant aussi aux habitants des zones rurales de devenir propriétaires des terrains qu'ils cultivent.

    Le souhait de la Chine est de conserver une superficie garantie de 120 millions d'hectares pour l'agriculture et l'élevage, mais elle est déjà arrivée au niveau alarmant de 122,5 millions d'hectares.

    Armée

    Le budget de l'armée, qui augmentait en moyenne de 10 % par an, affiche aujourd'hui une croissance allant jusqu'à 15 %, soit une croissance supérieure à celle du budget social. La Chine affirme que ses dépenses militaires ont une orientation purement défensive et qu'elle peut présenter un rapport historique parfait en matière militaire.

    Dans ce cadre, la discussion sur l'avenir de la province de Taiwan est cruciale, car la Chine réclame la levée de l'embargo sur les armes. Cette levée de l'embargo sur les armes ne peut être profitable que si elle est soumise à des conditions déontologiques strictes. Dans le cas contraire, il ne faut pas exclure l'espionnage industriel et ensuite la vente à l'échelle mondiale d'armes de fabrication chinoise.

    En attendant, l'Europe reste conséquente et s'en tient à sa politique d'une Chine unique.

    La Chine revendiquera certainement un rôle de premier plan dans sa région et au sein des organisations internationales.

    Environnement

    Comme l'a concédé l'AEPE en tant que régulateur environnemental, l'année 2006 fut, pour la Chine, la plus mauvaise année de son histoire.

    La seule façon d'améliorer la situation est de soumettre à un contrôle strict les administrations provinciales et locales qui continuent de renier les autorités centrales en vue de faciliter des réalisations à court terme. C'est le cas principalement dans des secteurs polluants tels que l'acier, l'électricité, le charbon et la métallurgie.

    L'éducation environnementale est une priorité absolue tant pour le Parti que pour les ONG et les médias. À l'avenir, l'évaluation des acteurs du monde politique et industriel devra clairement comprendre un volet environnemental et un volet anticorruption.

    En ce qui concerne le bois dur tropical, la Chine doit revoir son rôle de plus grand importateur et réexportateur en tenant compte de l'environnement.

    China — USA

    Il est préférable que le dialogue économico-stratégique ne reste pas cantonné aux aspects commerciaux et financiers et qu'il soit également envisagé sous l'angle militaire et stratégique et sous l'angle écologique. À cet égard, il vaudrait mieux généraliser la politique d'une Chine unique.

    Dans la sphère économique, le savoir-faire qui existe incontestablement aux États-Unis en matière d'assurance-maladie, de leviers sanitaires, de constitution de pension et d'assainissement du secteur financier global, peut représenter un grand défi qui débouchera sur une situation gagnant-gagnant globale.

    Pauvreté

    Bien que des centaines de millions de personnes soient sorties de l'extrême pauvreté, on peut néanmoins affirmer que le fossé entre riches et pauvres s'est creusé; dans le même temps, le pouvoir d'achat n'a pas augmenté en milieu rural. En Chine, les plus pauvres sont les migrants internes.

    Il faudra rétablir la sécurité sociale qui existait avant la réforme, surtout parce que la pauvreté a souvent un caractère temporaire et parce qu'elle est due à la privatisation d'entreprises d'État et à des maladies individuelles.

    La généralisation de l'assurance-maladie, un enseignement de bon niveau, la formation et les services de base dans les zones rurales sont une nécessité absolue.

    Veillissement

    Dans ce domaine, la Chine connaît des tensions entre sa politique de l'enfant unique et l'augmentation de l'espérance de vie. Les réserves pour faire face au vieillissement sont totalement insuffisantes. Une adaptation de la politique démographique est en train de se préparer en toute discrétion, une immigration massive n'étant pas vraiment une alternative attrayante. Il s'agit ici d'un défi majeur, tant du point de vue financier que social.


    III.2.4. Indie

    On dit de l'Inde — et l'Inde le dit d'ailleurs elle-même — qu'elle est le marché libre qui enregistre la croissance la plus rapide et la démocratie qui parvient à développer continuellement le sens de la citoyenneté dans une société pluraliste.

    Soutenue par une population jeune, l'Inde essaie de transformer la croissance en une croissance pour le plus grand nombre possible de citoyens, ce qui implique un engagement le plus vaste possible dans les soins de santé et l'enseignement.

    Le choix fondamental qui a été fait d'opter pour un état laïc, conjugué à une liberté d'expression exemplaire, est garant de la stabilité politique. Il s'agit d'une société qui repose sur le multilinguisme, la liberté de culte et la multiethnicité.

    Si ce pays veut s'assurer un développement durable, il devra toutefois relever une série de défis d'envergure.

    Agriculture

    Depuis 1990, l'Inde a pensé remédier à ses problèmes par une libéralisation partielle et une réorientation de la répartition des stocks alimentaires. Cette politique a échoué parce que la sous-alimentation et l'insécurité alimentaire ont augmenté. De surcroît, l'opération s'est également révélée être une dépense plus onéreuse que prévu pour les pouvoirs publics au niveau du PIB.

    Parallèlement, la part de l'agriculture dans le PIB a continué à baisser jusqu'à 25 % alors que les deux tiers de la population travaillent toujours dans ce secteur. Seules la modernisation et une efficacité accrue permettront éventuellement de répondre aux nouveaux besoins alimentaires, de même que des investissements dans les techniques du froid et les canaux de distribution.

    L'Inde prévoit des prix minimums garantis à condition que les produits soient de qualité.

    À l'heure actuelle, le pays consomme sa production agricole et il est un fervent partisan du commerce multilatéral. Il joue également un rôle de premier plan dans les débats de l'OMC dans ce domaine.

    Énergie

    La dépendance de l'Inde aux importations est sans nul doute l'un des principaux problèmes. Ce pays est le troisième plus gros consommateur de pétrole du monde et ses importations proviennent essentiellement d'Afrique et du Moyen-Orient. Cette dépendance est d'autant plus préoccupante que les grandes réserves en charbon sont vues d'un oeil très critique dans le contexte du réchauffement de la planète.

    Actuellement, le nucléaire ne représente que 2 % de la production d'énergie. Toutefois, il existe un programme d'expansion visant à amener cette part à 11 %. À cet égard, il est essentiel que la technologie résolve un certain nombre de problèmes en vue de l'exploitation du thorium dont 90 % des réserves sont concentrées en Inde.

    Économie

    La croissance annuelle de l'économie indienne atteint désormais 8 %; cette croissance est non pas cyclique mais bien structurelle; il y a des réserves croissantes de devises étrangères et le marché des capitaux est en pleine expansion. Les exportations ont augmenté de 25 %. L'Inde jouit d'une bonne réputation en ce qui concerne la qualité de ses biens et de ses services. Depuis 2004, elle est devenue un partenaire stratégique de l'UE.

    Ce pays est devenu un facteur de stabilité régionale. Ses points faibles se situent au niveau de l'environnement et du risque d'instabilité sociale. Ses points forts sont le secteur des services, sa jeunesse et une classe moyenne en augmentation. En dépit du sentiment qu'il faut protéger cette classe moyenne, une ouverture de la distribution, du commerce et du commerce de détail est nécessaire et inévitable.

    La quantité d'investissements étrangers directs est sensiblement inférieure par rapport à la Chine, mais il s'agit clairement d'un choix politique. L'Inde se demande si ces investissements étrangers directs doivent se situer dans les secteurs les plus rentables ou dans les secteurs qui en ont le plus besoin.

    Les progrès considérables engrangés dans l'industrie dopent la confiance des entrepreneurs et des consommateurs. Il en résulte une rentabilité accrue et un afflux de capitaux et d'épargne provenant aussi bien de l'intérieur du pays que de l'étranger. C'est précisément pour ces raisons que la croissance indienne paraît plus durable que dans d'autres pays émergents. De plus, elle est moins axée sur le commerce. La diversification devra désormais être le mot d'ordre.

    Dépenses militaires

    La politique militaire est influencée par plusieurs conflits frontaliers, sur fond de frontières poreuses avec le Pakistan et le Bengladesh.

    Après le refus de l'Inde de signer le traité de non-prolifération des armes nucléaires, la conclusion d'un accord avec les États-Unis fut une décision vivement critiquée. Les critiques formulées par les États-Unis à l'encontre de la Corée du Nord et de l'Iran sont ici remplacées par une attitude de « deux poids, deux mesures ». L'Inde considère que son attitude est justifiée par le caractère discriminatoire du traité précité.

    Le pays effectue aujourd'hui des dépenses militaires considérables dans l'achat d'hélicoptères, de sous-marins, de satellites, etc. Le fait que l'Inde organise des exercices communs avec la Chine est un élément encourageant, mais le doute subsiste quant à l'évolution à long terme des relations avec l'Empire du Milieu.

    La discussion relative aux infrastructures dans la région frontalière du Karakoram est une source potentielle de conflit.

    Droits de l'homme

    Les droits de l'homme sont bien ancrés et reconnus au niveau international, mais la Convention contre la torture et les traitements et sanctions inhumains et dégradants (principalement à l'encontre des femmes et des enfants) n'a pas été ratifiée. Les normes en matière de droits de l'homme existent, mais elle ne sont pas mises en œuvre correctement. Privations de liberté arbitraires, travail des enfants et travail forcé sont des réalités en Inde. Les sans-caste, les femmes et les enfants y font encore l'objet de discriminations.

    Les droits de l'enfant et la servitude pour dettes

    Bien que le chiffre varie selon les sources, 10 à 50 millions d'enfants sont concernés par la servitude pour dettes, en dépit du fait que le nombre d'interdictions augmente sans cesse. La cause de ce phénomène est clairement économique, et il y a un lien évident avec le problème d'extrême pauvreté. L'ampleur du phénomène a été ramenée de 50 à 22 %; le problème pourrait disparaître d'ici une quinzaine d'années.

    Il y a lieu de mettre en œuvre dans tous les États de l'Inde un « integrated child development program ».

    Permis

    Même si le droit à l'enseignement est inscrit dans la Constitution, il n'en reste pas moins que, sur le terrain, l'enseignement de haut niveau est réservé à un petit pourcentage de la population indienne. En outre, le taux d'absentéisme des professeurs de l'enseignement officiel est très élevé; quant à l'enseignement privé, il s'améliore de plus en plus, mais devient aussi de plus en plus coûteux.


    III.3. INDE-CHINE: LA COURSE-POURSUITE DE DEUX GÉANTS

    L'Inde et la Chine représentent plus du tiers de la population mondiale. Plus important encore, leur taux de croissance économique ne cesse de s'accélérer depuis 1965 pour atteindre actuellement 8-10 % en Chine et environ 7-8 % en Inde. Mais cette différence de croissance a suffi pour qu'un fossé se soit creusé entre ces deux pays: avec le même PIB il y a 25 ans, la Chine a aujourd'hui trois fois le PIB de l'Inde. Si de nombreux économistes parlent aujourd'hui de l'économie de l'Inde et de la Chine comme s'ils s'agissaient de deux pays comparables, ils ne jouent pas en réalité dans la même ligue.

    Leur point commun par contre est d'avoir engagé une série de réformes de marché à peu près au même moment au cours de la décennie 80. Plus précoces, les réformes en Chine ont en outre été basées essentiellement sur l'ouverture externe pour compenser le défaut d'entreprises domestiques véritables. L'Inde, à la même époque, a également engagé un certain nombre de réformes, mais elles ont consisté avant tout à libéraliser le marché domestique.

    Alors qu'on a tendance souvent à privilégier une explication en termes de changement idéologique, dans les deux cas, les réformes engagées sont largement une réponse aux défis démographiques, liés d'ailleurs non pas tant à l'évolution globale de la population qu'à la transition démographique en cours dans ces deux pays. Pour bénéficier à plein du potentiel économique ainsi dégagé en ressources humaines, l'Inde comme la Chine ont du engager des réformes essentielles pour absorber l'afflux de main d'œuvre sur le marché du travail, éviter des troubles sociaux.

    La conséquence pour l'économie mondiale est que ces deux géants asiatiques, ouverts désormais sur le monde, apportent une quantité de travail qui bouleverse les équilibres mondiaux. Depuis 1980, la Chine a apporté environ 300 millions d'actifs sur le marché du travail. En Chine, comme en Inde, il y a 200 millions de 15-24 ans en train d'arriver sur le marché du travail. Il ne faudrait pas croire toutefois que la population active de demain se situe moins en Chine qu'en Inde. Seule importe en effet la population active dans les zones urbaines, celle qui travaille effectivement dans les secteurs économiques modernes. Or, 70 % de la population indienne demeure rurale et n'est de ce fait que très peu intégrée à l'économie internationale ou domestique. La population urbaine chinoise, quant à elle, devrait continuer à croître régulièrement entre 2005 et 2025 et, en raison notamment de l'exode rural, 30 millions d'emplois devraient être créés chaque année dans le secteur moderne pour faire face à la demande de travail. Si les courbes de population active totale de la Chine et de l'Inde devaient se rejoindre en 2025, même à cette date, la Chine compterait deux fois plus d'emplois urbains que l'Inde.

    La Chine restera donc « l'usine du monde » et l'impact de l'Inde devrait rester plus limité, même s'il devrait se faire sentir fortement dans certains domaines. L'Inde a ainsi développé une stratégie offensive dans les services qui lui a permis de conquérir près de la moitié de l'outsourcing offshore mondial. Compte tenu de la nouvelle tendance dans ce domaine, rien ne permet de minimiser le choc indien sur les entreprises informatiques et de services aux entreprises plus largement. Mais comment développer une économie moderne alors que 50 % de la population est analphabète ?

    Autre différence notoire entre les deux pays est leur géographie économique. L'Inde est un pays fédéral, autocentré et structuré autour d'un axe de croissance situé entre Delhi et Bangalore au sud, en gros là encore une géographie tournée vers l'intérieur. La démocratie indienne a d'autres impératifs que la Chine qui s'est, quant à elle, intégrée à la division asiatique du travail en développant exclusivement ses zones côtières.

    L'Inde et la Chine sont souvent décrites comme les super puissances du XXIe siècle. La lente croissance indienne en comparaison des dragons asiatiques, lui vaudra le qualificatif d'« éléphant ». Au premier trimestre 2006, l'Inde affichait pourtant un taux de croissance de 9,6 % par rapport au premier trimestre 2005 et le FMI prévoit pour 2007 une croissance du PIB de 7,3 %. Les yeux rivés sur ces chiffres, les médias occidentaux semblent découvrir le géant indien toujours sur les mêmes psalmodies: « plus grande démocratie du monde », contraste entre industries de pointe et pauvreté extrême, « Bollywood » et les charmeurs de serpents ... Mais l'Inde est un pays complexe où modernité et tradition coexistent. La culture millénaire indienne est le ciment fondamental de la force indienne et de la fascination qui en découle.

    Si l'Inde attire tant de curiosité, c'est que le pays regroupe à la fois une population dont 40 % vit en dessous du seuil de pauvreté et des technologies de pointes et informaticiens parmi les mieux formés ... Cette constante dichotomie complexifie la grille de lecture de la puissance indienne. Néanmoins, il faut s'interroger sur la volonté réelle de l'Inde. Tout se passe comme si l'Inde, par des causes culturelles profondes, ne devait pas suivre un chemin traditionnel de puissance. Étudier la puissance indienne, implique forcément de remettre en cause la conception que l'on a de la puissance. L'Inde ne se place pas dans un schéma offensif de conquête, mais plutôt sous le signe du rayonnement et de la force tranquille d'Asie.

    Force de frappe démographique

    Quel signe pouvait mieux traduire la montée en puissance de l'Inde que le cap du milliard d'habitants franchi en 2000 ? L'Inde représente désormais un peu plus de 16 % de la population mondiale, proportion qui continuera à augmenter. En effet, l'Inde, dont le tiers de la population a moins de 15 ans, n'a pas achevé sa transition démographique et sa population dépassera celle de la Chine d'ici 2025.

    La pauvreté de cette population à 70 % rurale, avec un taux d'alphabétisation de 61 % seulement, colle à raison à l'image de l'Inde. Et, si les déséquilibres sociaux sont continuellement dans les préoccupations politiques indiennes, la force du nombre fait que la constitution des classes moyennes sert un marché intérieur en pleine expansion. Malgré ces déséquilibres et ces inégalités, les indiens sont unis dans une idée commune de leur nation.

    Éducation et inégalités

    Les universités indiennes manquent aujourd'hui de moyens. De ce fait, elles peinent à endiguer le départ des deux tiers de ses jeunes les plus brillants pour l'étranger. Les États-Unis accueillent plus de 80 % des étudiants indiens décidant de poursuivre des études de troisième cycle dans un pays de l'OCDE (représentant ainsi 76 503 étudiants inscrits en 2005-2006). De ce point de vue, l'Inde est exposée à la fuite de ses têtes éduquées, d'où les incitations gouvernementales pour faire revenir la diaspora indienne. En parallèle, la fuite des cerveaux permet un transfert de connaissances en phase avec l'attitude indienne décomplexée vis-à-vis des apports extérieurs.

    Afin de répondre à l'essor de son économie, l'Inde doit soutenir ses filières d'enseignement supérieur.

    L'Inde forme chaque année 400 000 ingénieurs pour répondre aux besoins d'un marché en forte croissance. Sur les 4 années à venir, le nombre d'emploi dans le secteur informatique devrait ainsi doubler. Par exemple, la sous-traitance logicielle a cette année enregistré une hausse de l'ordre de 30 %. Le système maîtrise encore mal sa croissance et éprouve des difficultés à satisfaire, quantitativement et qualitativement, la demande en éducation. Les écoles privées sont surtout ouvertes aux enfants issus des milieux favorisés. Si l'Inde faisait en sorte que toutes les castes aient un accès égal à l'éducation, en prenant en compte que d'ici 25 ans l'Inde sera le pays produisant le plus de jeunes diplômés au monde, nous pourrions voir apparaître une « armée de cerveaux » fort puissante.

    Politique extérieure

    En Afrique, les entreprises indiennes ont commencé à se développer et ne comptent pas laisser la Chine représenter seule l'Asie sur ce continent. Les réseaux de la diaspora indienne ainsi que les importants crédits des banques indiennes soutiennent leur développement en Afrique. La création d'un Standing Committee on Oil Diplomacy for Energy Security par l'État en 2004 a pour but de développer et sécuriser les contrats de ses entreprises pétrolières en Afrique. Ceci démontre bien l'importance stratégique que l'Inde accorde à son indépendance énergétique. Les entreprises indiennes ont ainsi réussi différentes grosses opérations en Libye, au Soudan, en Ethiopie et au Nigeria, toutes pour des approvisionnements en pétrole.

    Le 11 septembre a permis un rapprochement entre l'Inde et les États-Unis. Ce rapprochement n'a pas été immédiat, les États-Unis jugeant le Pakistan mieux placé pour servir de base arrière aux opérations en Afghanistan. Ce choix indisposa New Delhi, mais après un attentat attribué aux fondamentalistes musulmans indiens (décembre 2001), l'Inde a pu exercé des pressions pour que Washington inscrive les groupes islamistes pakistanais dans la liste des organisations terroristes. Si le Pakistan est un allié tactique dans la lutte contre les réseaux islamistes, l'Inde apparaît comme un allié stratégique qui partage les mêmes objectifs sécuritaires.

    Le revirement de la politique américaine à l'égard de l'Inde est en partie dû à l'influente diaspora indienne. Aujourd'hui, Washington voit en l'Inde le pôle de stabilité dans la région et le point d'appui essentiel à sa politique de sécurité en Asie. Son rôle de police dans l'Océan Indien et de contre poids face à la Chine, a conduit les États-Unis à se résigner à la nucléarisation de la force de frappe indienne. Dans ce prolongement, les États-Unis et l'Inde ont signé un partenariat sur le nucléaire civil. L'Inde possède déjà huit centrales nucléaires (quinze réacteurs).

    C'est pourquoi le partenariat stratégique avec les États-Unis, avalisé par le congrès américain le 9 décembre 2006, revêt une importance stratégique capitale. Ce partenariat, redouté par les Chinois, doit permettre à l'Inde de résoudre ses problèmes d'approvisionnement en électricité. Il existe certes des centrales hydroélectriques et des centrales à charbon, mais les besoins électriques sont trop importants pour que, couplées aux réacteurs existants, elles se suffisent à elles-mêmes.

    Un enjeu cependant demeure: le conflit latent entre l'Inde et son frère ennemi, le Pakistan. On notera que le pays qui a popularisé la théorie non-violente possède une armée de plus de 1,2 millions de soldats et un budget militaire de 11 milliards de dollars (lorsque le Pakistan dispose de 600 000 hommes et d'un budget de 2,7 milliards de dollars).

    Dépendance énergétique

    La présence de ressources naturelles comme le fer (5e rang mondial) garantit à l'Inde une industrie sidérurgique solide. Ses importantes ressources en charbon (4e rang mondial) lui garantissent un matelas de sécurité au niveau énergétique. Mais, aujourd'hui, les préoccupations de l'Inde se tournent davantage vers les secteurs du gaz et du pétrole. Sa production nationale est trop faible pour satisfaire ses besoins. En 2006, l'Inde importe entre 30 et 40 % de pétrole de plus par rapport à 2005.

    L'Inde ne peut plus se contenter d'une simple stratégie de relation bilatérale avec ses fournisseurs. Le Pakistan et le Bengladesh sont des points de passages stratégiques pour de futurs oléoducs et gazoducs: l'un vers l'Est, l'autre vers l'Ouest. Cette problématique relève surtout du domaine géopolitique car ces dossiers sont traitées au plus haut niveau de l'État. L'Inde et la Chine développent ainsi des forces navales capables d'assurer la défense de leurs intérêts stratégiques et la sécurité de leurs voies d'approvisionnement maritimes. Ceci les incite à acquérir des forces navales modernes et performantes, à la fois par des acquisitions étrangères et des constructions nationales.

    La Chine, elle, reste très active dans le sud de l'Asie. Bien qu'un accord énergétique ait été signé avec l'Inde, les deux grandes puissances de la région sont en compétition constante pour acquérir de nouvelles concessions. La Chine coupe les ailes de l'Inde dans la région en tissant sa propre toile d'influence, principalement au Pakistan et au Bengladesh. Cette stratégie chinoise d'encerclement de l'Inde, connue sous le nom de « stratégie du collier de perle » pourrait créer des tensions et compliquer le développement d'une politique énergétique de l'Inde avec ses voisins.

    Inde et Chine: rivalités ?

    Pour comprendre les relations entre l'Inde et la Chine, il faut revenir à leur histoire commune. Celle-ci a été marquée par des différends historiques. Elles ont connu des bouleversements fondamentaux souvent aux mêmes moments et ont développé leur puissance économique et militaire sur la même période — même si de façon différente — chacune en fonction de leurs savoir faire et cultures respectifs.

    Le conflit frontalier qui les a opposé en 1962 a stigmatisé leurs relations et ainsi brouillé la communication entre les deux pays. Malgré sa brièveté, le conflit a été révélateur de la supériorité militaire de la Chine. L'Inde, touchée dans son orgueil, a alors entrepris d'accroître sa puissance militaire en procédant à des essais nucléaires.

    C'est uniquement parce que ces deux pays sont en plein développement économique, qu'un conflit ouvert a été évité. Contre toute attente, le dialogue reprend et va même jusqu'à s'intensifier. Bien que ces deux pays aient pris conscience de la nécessité d'un rapprochement qui servirait leurs intérêts communs, des tensions existent. Celles-ci sont liées à la fois aux différences culturelles, historiques et aux enjeux économiques communs.

    La bataille de l'énergie

    L'Inde et la Chine sont aussi grands (de part leur développement économique, leur démographie et leur potentiel de puissance) qu'ils sont pauvres en ressources naturelles (notamment pour le pétrole). Certes, ces deux pays sont assis sur des réserves colossales de charbon, mais cela ne saurait suffire à satisfaire leurs besoins: les enjeux pour ces deux géants sont énormes et laissent présager une relation offensive. La preuve en est le combat que se livrent ces deux pays sur le marché africain. Cette stratégie de développement est une tentative de prise de pouvoir sur l'échiquier géo-économique africain face à l'Europe et aux États-Unis.

    Conclusion

    L'Inde et la Chine ont développés des outils de puissance remarquables par leur modernité et leur efficacité, pourtant des difficultés internes (avec le poids du secteur agricole, des infrastructures inadaptées et une bureaucratie considérable) laissent planer un doute sur son potentiel en terme d'influence. Les droits de l'homme et en particulier les droits de la femme y sont bafoués. Le travail forcé et en particulier de travail des enfants vont à l'encontre de l'image qu'essaye de se donner ces deux pays à l'extérieure.

    L'Inde et la Chine dans cette nouvelle gouvernance mondiale repositionnent leurs pions sur l'échiquier géopolitique international. Ils usent de la séduction mais aussi de la ruse pour faire jouer des alliances stratégiques leur permettant de devenir des acteurs regardés, écoutés et influent sur la scène mondiale.

    Pour réussir là où l'Inde pèche, elle se rapproche peu à peu de la superpuissance américaine, développe ses relations avec son dit concurrent chinois, et place ses pions politiques en Afrique.

    L'économie mondiale a été fortement bouleversée ces 25 dernières années, bouleversements que les pays développés peinent à comprendre. De nouveaux acteurs, de nouveaux types de capitalisme ont rapidement émergé depuis la fin du communisme notamment. Les pays du BRIC jouent bien désormais un rôle prééminent, même s'il ne faudrait pas occulter des pays ou des ensembles d'importance potentiellement comparable à la Russie ou au Brésil, comme le Mexique ou la Corée.

    Mais les projections à très long terme doivent être considérées avec prudence. De nombreuses incertitudes démographiques subsistent. Sans parler des incertitudes qui pèsent sur les conditions et le rythme du rattrapage économique à long terme. Il semble donc préférable de les combiner avec des exercices en termes de scénarios. Ce qui nous ramène alors en général à un raccourcissement de la période de projection. Une vision des pays du BRIC à l'horizon 2015 fait ainsi apparaître des évolutions sensibles, mais beaucoup moins spectaculaires.


    III.4. Considérations

    a. Pour une libre circulation des connaissances dans les pays du BRIC également

    L'économie de la connaissance et les investissements dans la recherche et le développement participent incontestablement d'un choix politique prioritaire qui a été fait dans notre pays et dans l'UE.

    Notre pays doit toutefois être prêt à militer pour la libre circulation des connaissances et à aider les pays émergents à relever les grands défis auxquels ils doivent faire face.

    b. Bonne gouvernance

    La notion de bonne gouvernance et la législation y afférente revêtent une importance particulière, mais aussi la réalité sur le terrain.

    Étant donné les grands déséquilibres constatés dans les pays du BRIC, il est en outre capital d'assurer une représentation suffisante des bas revenus, des femmes et des habitants des régions rurales, afin que les décisions politiques importantes bénéficient partout d'une large assise sociale. Dans ce cadre, une plus grande égalité des sexes est essentielle.

    Seule une représentation équilibrée à tous les niveaux de pouvoir permettra de compenser les diverses formes de marginalisations fondées sur le sexe, la religion, la classe sociale et l'état civil.

    c. Investissements

    Jusqu'à présent, la forte croissance continue dans les pays émergents s'est trop rarement accompagnée d'une ouverture de leurs marchés.

    Les excédents considérables affichés par les balances commerciales se sont d'abord cristallisés dans des réserves importantes de devises étrangères. Par exemple, la Chine a acheté en masse des bons du Trésor américain. Ces achats ont temporairement aidé les États-Unis à réduire leur déficit structurel, mais les pays émergents exercent une influence énorme sur une monnaie mondiale telle que le dollar américain. En cas de changement soudain, une hausse des taux d'intérêt serait inévitable dans la première économie mondiale, en raison d'un sérieux risque d'inflation pouvant mener à une crise économique à l'échelle mondiale.

    Dans ce cadre, nous plaidons pour une augmentation des IED dans nos économies, en particulier dans nos secteurs de la distribution et du commerce. Cette évolution s'est déjà amorcée, partant de la constatation qu'une grande partie de l'activité lucrative se situait dans les secteurs de la distribution et du commerce. Il serait intéressant que ces IED portent également sur l'immobilier, la logistique, les infrastructures, les entrepôts douaniers ainsi que sur l'économie de la connaissance en Occident.

    Le renforcement et le développement des réseaux de distribution permettront aux pays émergents d'améliorer leur compétitivité internationale et d'accroître leur expertise en management. En outre, ils seront ainsi en mesure de contrôler en partie les matières premières nécessaires, les technologies de pointe et un certain nombre de marques de qualité dans le monde.

    Dans ce contexte, la Belgique n'adoptera pas une attitude défensive, mais jouera plutôt un rôle résolument offensif, grâce à:

    — une politique de prix de revient avantageux

    — un cadre juridique fort

    — une situation géographique idéale

    — une réduction considérable des tracasseries administratives

    — une infrastructure robuste

    — un niveau élevé d'éducation, de formation et de connaissances des langues

    — une série d'atouts financiers (régimes de holdings et intérêts notionnels).

    d. Énergie

    Il faut inciter les pays émergents à ne pas développer leur propre approvisionnement de façon unilatérale, au détriment de plusieurs pays pauvres, mais plutôt à le réaliser de façon multilatérale.

    On ne peut pas résoudre le problème du réchauffement climatique en tentant unilatéralement d'acquérir des sources d'énergie supplémentaires, mais il faut pour cela plutôt opter pour une approche consistant à augmenter l'efficacité de l'extraction et de l'utilisation des ressources énergétiques.

    e. Relations entre l'Inde et la Chine

    De nombreux indicateurs montrent que les relations entre l'Inde et la Chine connaissent un revirement historique:

    — un partenariat stratégique

    — l'organisation de manœuvres militaires communes

    — le règlement de la question Sikhe au profit de l'Inde

    — la conclusion possible d'un accord de libre-échange

    — la construction d'infrastructures entre le nord-ouest de l'Inde et le sud-ouest de la Chine

    — la coopération entre les services de sécurité en matière de nationalisme et de terrorisme.

    Mais on aperçoit mal si cette tendance positive est irréversible, étant donné que la dynamique de la croissance des deux pays peut toujours provoquer une altération de leurs relations.

    Depuis peu, on envisage surtout un partenariat entre les États-Unis et l'Inde, d'une part, et entre la Chine et l'Europe, d'autre part. L'approche américaine de l'Inde est le résultat d'une politique de deux poids deux mesures par rapport aux puissances nucléaires.

    L'expansion militaire de la Chine se manifeste non seulement au travers d'une forte augmentation des dépenses militaires, mais aussi au travers d'une expansion territoriale aux Maldives, au Pakistan et au Myanmar.

    L'expansion militaire de l'Inde semble plutôt viser une hégémonie sur l'océan Indien.

    La dépendance énergétique croissante de la Chine (75 %) sera moins problématique que celle de l'Inde (95 %).

    Dans une analyse SWOT objective, les deux pays peuvent présenter un profil temporaire : la Chine est « l'atelier du monde » et l'Inde « le backoffice du monde ».

    Dans le cadre de la nécessité de diversifier leurs activités, l'informatique et les biotechnologies par exemple seront un point de rivalité entre les deux pays.

    Mais la croissance enregistrée dans les deux pays est totalement différente.

    L'Inde est un État laïque qui considère l'hétérogénéité comme un atout, elle est considérée comme un partenaire commercial fiable et un pays à recommander pour les IDE, tant pour les services que pour les biens de production. Pour la Belgique, c'est le deuxième plus gros investisseur. Depuis 2004, elle est devenue un partenaire stratégique de l'UE.

    L'Inde est un pays multireligieux, multiethnique et multilingue.

    Le récent rapport d'actualisation de la banque Goldman Sachs relatif aux pays du BRIC souligne le caractère structurel de la croissance qui repose essentiellement sur une productivité accrue et sur le développement démographique, considéré comme un facteur de croissance durable, ainsi que sur un effet positif de l'urbanisation.

    De l'autre côté de la balance, il y a un risque politique réel et une tendance au protectionnisme, auxquels s'ajoutent des problèmes relatifs à l'offre et des réformes sociales urgentes dans le cadre de la protection des plus faibles.

    Pour l'Inde, attirer des investissements étrangers n'est pas la plus grande priorité.

    La principale caractéristique de l'Inde est toutefois qu'elle pourra maintenir une croissance durable de 8,5 % au minimum, à taux d'investissement et IED constants.

    La Chine obtiendra de meilleurs résultats sur le plan de la diversification grâce à un enseignement et à une formation beaucoup plus développés.

    L'Inde présente un avantage démographique qui est un atout si des progrès sont réalisés pour résoudre le problème de la formation et de l'enseignement.

    Une durabilité ne semble garantie qu'à condition que la croissance se maintienne pendant longtemps et qu'elle ne provoque pas davantage de déséquilibres.

    Toute intervention, qu'elle soit multilatérale ou belge, ne peut en aucun cas viser à accentuer cette réalité.

    Notre pays peut notamment user de son autorité en Afrique pour mettre tout le monde sur la même voie de la croissance solidaire.

    f. Afrique

    La présence de certains pays émergents en Afrique procède historiquement de considérations à caractère très idéologique. Tel fut notamment le cas pour la Chine, ce qui s'est traduit principalement par de nombreuses bourses d'études, par le soutien aux mouvements de libération et par des ventes d'armes. Par la suite, l'attention s'est déplacée vers le commerce extérieur et, après 2000, une stratégie, dont le Forum Chine-Afrique est l'instrument, vu le jour dans le but de briser l'hégémonie occidentale.

    La Chine est devenue le deuxième plus grand importateur de pétrole (25 %) et elle investit même dans l'extraction du pétrole en Afrique. La Chine fournit de l'aide en Afrique sans contrepartie politique, à l'exception de la problématique de Taiwan. De plus, la Chine importe des matières premières, telles que le cobalt, le plomb, le minerai de fer, le tabac, le cuivre et le bois dur tropical, entre autres, en échange d'une aide financière et militaire.

    La Chine, quant à elle, exporte massivement des biens de consommation vers l'Afrique, ce qui est d'ailleurs bénéfique pour le consommateur africain. Cette augmentation est exponentielle mais la balance commerciale est à l'avantage de l'Afrique. Qui plus est, la demande importante de matières premières et les débouchés chinois ont entraîné une augmentation sensible de leur prix et, par conséquent, du revenu de base en Afrique.

    Une croissance moyenne de 4 % représente un résultat sans précédent en Afrique. Cette croissance est exponentielle.

    Ce modèle peut tabler sur une grande réussite en Afrique et il est mis en opposition par rapport au modèle occidental et, plus exactement, à l'attitude européenne.

    Comme les autres pays émergents demandeurs d'énergie empruntent aussi cette voie à présent, ce système est une source de danger.

    Seuls quelques pays africains sont exportateurs de matières premières, les autres sont également des importateurs nets de matières premières et ils n'exportent que des produits agricoles. Les recettes provenant des matières premières devraient plutôt être affectées à la diversification, à la lutte contre l'extrême pauvreté et à l'instauration d'une bonne gouvernance. En outre, on peut exiger que des investissements industriels soient réalisés dans des secteurs autres que ceux liés aux matières premières.

    Ce n'est que par:

    — une diversification des exportations

    — le maintien des prix d'importation peu élevés au profit du consommateur;

    — l'afflux de capitaux ne provenant pas exclusivement des pays occidentaux;

    que les avantages existants permettront de renforcer l'indépendance et d'améliorer la qualité de vie.

    g. Du point de vue économique

    Les nouvelles puissances dirigeantes pourraient mieux gérer que les anciennes l'accroissement de la prospérité dans le pays proprement dit, dans les régions qui les composent et dans les structures géopolitiques telles que les Nations unies et l'OMC

    Elles peuvent le faire notamment en jouant un rôle de pionnier dans la réalisation des objectifs du Millénaire et en accordant une grande attention à des problématiques comme le désarmement, l'environnement, etc.

    Parallèlement aux IED, on pourrait aussi avoir une approche qualitative afin d'éviter de créer ou de pérenniser des asymétries économiques.

    On ne soulignera jamais assez la nécessité de consacrer suffisamment d'attention et de moyens à la recherche et au développement.

    La protection de l'environnement et l'utilisation efficace des matières premières en vue de lutter contre la pollution et le réchauffement de la terre peuvent réduire la dépendance énergétique des pays émergents.

    L'internationalisation de secteurs stratégiques est une nécessité absolue.

    Eu égard aux grands déséquilibres structurels, chaque pays émergent s'emploiera à corriger les inégalités régionales, ethniques, économiques ainsi que les inégalités liées au genre.

    On risque sinon de voir apparaître une spirale pauvreté-santé-enseignement-qualité de vie-environnement-équipements minimums et vieillissement, qui accentuera les inégalités et augmentera sensiblement le risque de conflits internes et internationaux.

    Il faudra veiller à ce que chacun soit sensibilisé à l'importance de consacrer la primauté du droit et de lutter sans relâche contre la corruption interne et internationale et contre la traite des êtres humains.

    Il faudra aussi plaider en faveur d'un nouveau système de commerce multilatéral fort qui soit le garant d'une croissance économique mondiale durable.

    Cela n'empêche nullement la Belgique de chercher à conclure des accords bilatéraux solides avec les pays émergents.

    Notre pays exercera aussi une forte influence sur l'application des règles du droit international privé (protection des droits de propriété intellectuelle). En effet, si la législation est déjà en vigueur, elle n'est que trop rarement appliquée.


    IV. PROPOSITION DE RECOMMANDATIONS

    Le Sénat,

    Demande au gouvernement:

    1. d'œuvrer afin que la Belgique puisse dans les années à venir continuer à participer à l'essor des quatre pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), en tenant compte de critères sociaux et environnementaux;

    2. d'adopter des stratégies de politique étrangère spécifiques pour chaque pays du BRIC et de considérer ces stratégies comme un instrument de travail qui doit constamment être mis à jour et adapté aux circonstances en tenant compte des progrès sociaux et environnementaux réalisés dans ces pays;

    3. de s'assurer que lors des discussions bilatérales et multilatérales, l'esprit de la bonne gouvernance soit abordé, et ce afin de défendre les intérêts des populations locales;

    4. en ce qui concerne les investissements, de respecter l'autodétermination en général et, de manière plus spécifique, de créer la réciprocité des investissements qui doivent se concentrer sur le secteur immobilier, la logistique, les infrastructures, les « custom bonded warehouses » et l'économie de la connaissance;

    5. de créer un environnement propice aux FDI (foreign direct investments);

    6. d'encourager les nouvelles puissances à gérer plus efficacement que les puissances économiques classiques l'accroissement de la prospérité dans leur propre pays, dans leur propre région et dans des structures géopolitiques telles que les Nations unies et l'OMC. Dans ce cadre, l'internationalisation des secteurs énergétiques stratégiques est une nécessité absolue. À défaut, on risque de voir apparaître une spirale impliquant pauvreté, santé, enseignement, qualité de vie, environnement, équipements minimums et vieillissement, qui accentuera les inégalités et augmentera sensiblement le risque de conflits internes et internationaux;

    7. d'examiner de quelle manière les relations multilatérales avec les pays du BRIC au sein de l'OMC peuvent s'organiser en tenant compte de la nécessité de la libre circulation de la connaissance, de la bonne gouvernance, et ce afin que les relations économiques et les investissements servent à la fois les objectifs du millénaire (ODM) et un développement du marché qui permette à l'Union européenne d'être un partenaire à part entière; si les pays du BRIC ne font pas ce choix de développement, cela ne fera qu'aggraver les inégalités existantes;

    8. de plaider en faveur d'un nouveau système de commerce multilatéral solide qui soit le pilier d'une croissance économique mondiale durable;

    9. d'inciter les pays émergents à ne pas développer leur propre approvisionnement de façon unilatérale, au détriment de certains pays pauvres, mais plutôt à le réaliser de façon multilatérale. Il faut encourager les pays du BRIC à résoudre le problème du réchauffement de la Terre non pas en œuvrant unilatéralement à l'acquisition de sources d'énergie complémentaires mais plutôt en améliorant la rentabilité de l'exploitation et de l'utilisation de sources énergétiques;

    10. de concentrer ses efforts dans ses contacts bilatéraux et multilatéraux afin que l'Afrique, le seul continent absent dans le BRIC, ne soit pas pillé de ses ressources naturelles, ce qui compromettrait gravement son développement et qui irait à l'encontre de notre politique de coopération au développement dans la région;

    11. d'insister pour que les recettes provenant des matières premières soient affectées à la diversification, à la lutte contre l'extrême pauvreté et à la mise en place d'une bonne gouvernance et pour qu'en outre, des investissements industriels soient réalisés dans des secteurs autres que ceux liés aux matières premières;

    12. d'accorder une attention particulière à la situation des droits de l'homme dans les pays du BRIC et de veiller à en faire part lors de visites officielles ou lors de missions économiques; dans le cadre de cette attention accordée aux droits de l'homme, d'insister sur le respect des droits de la femme et des droits de l'enfant;

    13. de soutenir dans le cadre de nos coopérations avec les pays du BRIC la mise en place d'institutions et de politiques appropriées afin que ces derniers se développent en tenant compte de critères sociaux et environnementaux;

    14. d'être attentif à la mutation que connaît chacun des pays dans ses objectifs économiques; l' idée de la Chine « workshop » et de l'Inde « back-office » est totalement dépassée par les développements internes de ces pays; la qualité du développement de la démocratie indienne nous paraît plus prometteuse en termes de développement durable que le choix économique fait par la Chine;

    15. d'œuvrer au sein de l'Union européenne afin que les sujets concernant les droits des travailleurs puissent être à l'ordre du jour de l'OIT dans le cadre de nos relations avec les pays du BRIC;

    16. d'œuvrer dans les enceintes internationales afin que les pays du BRIC prennent des engagements fermes en ce qui concerne la protection de l'environnement et la réduction des émissions de gaz à effet de serre;

    17. d'accorder par rapport aux pays du BRIC une attention particulière au dossier sur les ADPIC au sein de l'OMC;

    18. de faire en sorte que notre pays soit prêt à promouvoir la libre circulation des connaissances et à contribuer à apporter une solution aux défis majeurs auxquels les pays émergents sont confrontés, et ce en dépit du fait que notre pays et l'Union européenne considèrent l'économie de la connaissance et les investissements en recherche et développement comme un choix politique;

    19. d'encourager la Chine à parvenir à une solution pacifique en ce qui concerne Taiwan, sur la base d'un système d'unité dans la diversité qui soit compatible avec les principes de la démocratie;

    20. d'encourager chacun des pays émergents à garantir la plus grande transparence possible en ce qui concerne le financement, la reconnaissance et l'interdiction de partis politiques ainsi que la liberté des médias;

    21. de faire en sorte que les inégalités internes et régionales soient, sinon éliminées complètement, du moins réduites considérablement par le biais de la collaboration économique;

    22. de s'attaquer de manière pragmatique au problème de la migration afin de créer une situation « gagnante-gagnante » qui permette d'éviter, d'une part, que les pays d'origine ne soient confrontés à une fuite des cerveaux et, d'autre part, que les pays de destination ne soient confrontés à un afflux de migrants;

    23. de soutenir les pays émergents dans leurs ambitions politiques régionales et mondiales, pour autant que celles-ci puissent conduire à une plus grande stabilité politique régionale et mondiale;

    24. de faire en sorte que l'Europe en général, et la Belgique en particulier, accordent davantage d'attention à des partenariats responsables et à des conventions multilatérales plutôt qu'à des initiatives bilatérales;

    25. de motiver les pays émergents à déployer les initiatives nécessaires afin d'être en mesure de faire face en temps voulu aux conséquences du vieillissement de la population.


    V. VOTES

    Les recommandations ont été adoptées à l'unanimité des 11 membres présents.

    Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

    Les rapporteurs, Le président,
    Paul WILLE.
    Olga ZRIHEN.
    François ROELANTS du VIVIER.

    Tekst aangenomen door de commissie Zie stuk Senaat, nr. 3-1517/2


    ANNEXE


    BRIC: comparaisons

    Brazil Russia India China
    HDI 1975 0,647 0,413 0,527
    HDI 1980 0,684 0,439 0,560
    HDI 1985 0,699 0,477 0,596
    HDI 1990 0,720 0,818 0,515 0,628
    HDI 1995 0,749 0,771 0,548 0,685
    HDI 2000 0,785 0,785 0,577 0,730
    HDI 2004 0,792 0,797 0,611 0,768
    Life expectancy at birth 2004 70,8 65,2 63,6 71,9
    Adult literacy rate 2004 88,6 99,4 61,0 90,9
    Combined gross enrolment (primary, secondary and tertiary schools) 2004 86 88 62 70
    GDP per capita (US$) 8,195 9,902 3,138 5,896
    Life expectancy index 0,76 0,67 0,64 0,78
    Education index 0,88 0,95 0,61 0,84
    GDP index 0,74 0,77 0,58 0,68
    GDP per capita (PPP US$) rank minus HDI rank -5 -6 -9 9
    HDI rank 69 65 126 81
    Human Poverty Index rank 22 55 26
    Human Poverty Index value ( %) 10,1 31,3 11,7
    Children underweight for age (« 96-'04) 6 3 47 8
    People living below 1$ a day ( %) (1990-2004) 7,5 2,0 34,7 16,6
    People living below 2$ a day ( %) (1990-2004)21,2 12,1 79,9 46,7
    Total population (millions) 1975 108,1 134,2 620,7 927,8
    Total population (millions) 2004 183,9 143,9 1087,1 1308
    Total population (millions) 2015 209,4 136,7 1260,4 1393
    Annual Population Growth rate ( %) (1975-2004) 1,8 0,2 1,9 1,2
    Annual Population Growth rate ( %) (2004-2015) 1,2 -0,5 1,3 0,6
    Urban Population ( % of total) 1975 61,7 66,9 21,3 17,4
    Urban Population ( % of total) 2004 83,7 73,1 28,5 39,5
    Urban Population ( % of total) 2015 88,2 72,6 32,0 49,2
    Population under age 15 ( % of total) 2004 28,1 15,7 32,5 22,0
    Population under age 15 ( % of total) 2015 25,4 16,4 28,0 18,5
    Population ages 65 and older ( % of total) 2004 6,0 13,6 5,2 7,5
    Population ages 65 and older ( % of total) 2015 7,8 13,3 6,2 9,6
    Total Fertility Rate (births per woman) 1970-75 4,7 2,0 5,4 4,9
    Total Fertility Rate (births per woman) 2000-05 2,3 1,3 3,1 1,7
    Physicians (per 100,000 people) 1990-2004 115 425 60 106
    HIV prevalence ( % ages 15-49) 2005 0,5 1,1 0,9 0,1
    Cellular subscribers (per 1,000 people) 2003 357 517 44 258
    Internet users (per 1,000 people) 2003 120 111 32 73
    Total armed forces (thousands) 287 1027 1325 2255
    Year women received right to vote 1932 1918 1950 1949
    Source: UNDP. — Bron: UNDP.