3-2129/2

3-2129/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

10 AVRIL 2007


Projet de loi insérant un article 391sexies dans le Code pénal et modifiant certaines dispositions du Code civil en vue d'incriminer et d'élargir les moyens d'annuler le mariage forcé


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

M. MAHOUX


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport relève de la procédure bicamérale facultative et a été déposé initialement à la Chambre des représentants par le gouvernement (doc. Chambre, nº 51-2767/1).

Il a été adopté par la Chambre des représentants le 15 mars 2007 par 103 voix et 17 abstentions.

Il a été transmis au Sénat le 16 mars 2007 et évoqué le même jour.

La commission a examiné le projet de loi au cours de ses réunions des 28 mars et 10 avril 2007, en présence de la ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

Les mariages forcés en Belgique constituent une violation grave des droits de l'homme.

La ministre renvoie entre autres à l'article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, l'article 12 de la CEDH, l'article 23.3.du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, la recommandation Rec(2002)5 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, la Recommandation 1723 (2005), 5 octobre 2005 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la Convention du 10 décembre 1962 sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage et l'enregistrement des mariages, la convention du 18 décembre 1979 du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, etc.

Plusieurs études et témoignages démontrent l'existence des mariages forcés en Belgique, jusqu'à ce jour.

Il paraît dès lors nécessaire de rendre punissable le mariage forcé.

Il s'agit d'un délit contre l'ordre des familles et contre la moralité publique.

La Belgique sera le deuxième pays-membre du Conseil de l'Europe, après la Norvège pour inscrire dans son ordre juridique, une incrimination spécifique du mariage forcé.

Une telle violation des droits de l'homme justifie l'incrimination de la personne qui, par des violences ou des menaces, contraint quelqu'un à conclure un mariage, d'une peine d'emprisonnement d'un mois à deux ans ou d'une amende de 100 à 500 euros. La tentative de mariage forcé sera également punissable, plus spécifiquement d'un emprisonnement de quinze jours à un an ou d'une amende de 50 à 250 euros.

Ces peines sont exactement les mêmes que celles inscrites dans la loi du 12 janvier 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, en cas de mariage forcé lorsque ce phénomène se recoupe avec celui du mariage fictif.

En outre, certains articles du Code civil sont adaptés eu égard au principe selon lequel le criminel tient le civil en l'état et au principe de l'autorité de la chose jugée au répressif sur le procès civil ultérieur. La modification doit permettre d'agir également de façon plus efficace au plan civil contre le mariage forcé, comme c'est déjà le cas à l'égard du mariage fictif. En effet, le Code civil doit conférer au ministère public le droit de réclamer la nullité d'un mariage forcé devant les tribunaux civils.

La ministre veut accorder une attention particulière à cette problématique du mariage forcé qui est incompatible avec les principes fondateurs de notre état de droit démocratique.

Elle compte sur la collaboration du parlement pour mettre fin de façon ferme à de telles pratiques inhumaines.

III. DISCUSSION

M. Hugo Vandenberghe se réfère à la discussion qui s'est déroulée à la Chambre des représentants (doc. Chambre, nº 51-2767-003), au cours de laquelle on a déjà souligné que, selon le Conseil d'État, un mariage forcé peut déjà, actuellement, être sanctionné en vertu de l'incrimination d'autres comportements interdits auxquels ce mariage peut donner lieu, tels que les violences physiques ou psychiques, le viol ou les menaces.

Un mariage forcé qui est également un mariage fictif (dans le cadre duquel, donc, au moins un des époux n'avait manifestement pas l'intention de fonder une communauté de vie durable, mais souhaitait uniquement obtenir un avantage juridique en termes de séjour) et qui est assorti de violences ou de menaces, est aussi déjà punissable à l'heure actuelle sur la base de la loi du 12 janvier 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. Il apparaît qu'en 2006, cette loi n'a pas donné lieu à la moindre application.

L'intervenant demande comment la nouvelle réglementation pénale s'articule avec l'ancienne.

Un autre problème se situe sur le plan de la qualification des violences ou menaces exercées en vue de contracter mariage. Pour le Code civil, la violence, qu'elle soit physique ou psychique, constitue un vice du consentement. La notion de « violences ou menaces » utilisée dans le projet à l'examen doit-elle s'entendre au sens du Code civil ? Ou bien s'agit-il en l'occurrence d'une notion spécifique ?

L'intervenant demande s'il y a un lien entre l'insertion de l'article 391sexies dans le Code pénal et celle de l'article 146ter relatif au libre consentement. Tout mariage dissous ultérieurement pour défaut de libre consentement tombera-t-il sous le coup de la disposition pénale ?

Réponse de la ministre

À la remarque selon laquelle le mariage forcé peut déjà être sanctionné aujourd'hui par le biais de l'incrimination d'autres comportements interdits, la ministre répond que le but est de renforcer l'effet de signal par rapport à la volonté de combattre les mariages forcés. Le législateur adopte à cet égard la même attitude que pour la lutte contre les mariages fictifs. L'aspect préventif de la lutte contre les mariages forcés est également mis en évidence. L'intervenante se réfère notamment à la politique des parquets en la matière. Si la loi prévoit une incrimination spécifique, on peut espérer que les parquets aussi intensifieront la lutte contre les mariages forcés. Il ne faut pas oublier que ce type de mariage va à l'encontre de l'un des droits humains les plus fondamentaux, à savoir le libre consentement lors de l'un des choix les plus personnels de la vie.

En ce qui concerne l'incrimination des mariages fictifs dans le passé, la ministre fait clairement une distinction. Ces mariages fictifs sont sanctionnés depuis environ un an, dans la loi sur les étrangers, sous une triple forme. Il y a tout d'abord le mariage fictif simple, consistant à contracter un mariage pour des raisons totalement étrangères à la création d'un lien durable entre personnes, avec pour raison principale l'obtention d'un titre de séjour.

Ensuite, il y a le mariage fictif sanctionné plus lourdement par l'article 79bis de la loi du 15 décembre 1980, inséré par la loi du 12 janvier 2006, lorsqu'il s'opère contre paiement.

En troisième lieu, il y a l'incrimination de la combinaison du mariage fictif et du mariage forcé. En ce sens, on peut donc dire que le mariage forcé est effectivement visé par la loi du 12 janvier 2006, sauf que celle-ci n'envisage que la situation dans laquelle le mariage forcé se double d'un mariage fictif. Ne sont donc concernés que les mariages pour lesquels une contrainte est effectivement exercée, l'un des partenaires visant à obtenir un titre de séjour par le biais du mariage.

La loi du 12 janvier 2006 ne s'applique donc pas au mariage forcé conclu entre deux personnes résidant légalement en Belgique. L'intervenante cite l'exemple d'un mariage pour lequel une contrainte est exercée par les parents pour des raisons sociales ou religieuses.

En ce qui concerne le fait que l'on n'a encore enregistré aucune application de l'article 79bis de la loi sur les étrangers, la ministre déclare qu'il n'y a pas encore eu à ce jour de condamnation sur la base de cette disposition, mais que des poursuites ont bel et bien été intentées. Il ne faut pas perdre de vue que cet article ne date que du 12 janvier 2006 et que dans des matières aussi sensibles, la constitution d'un dossier judiciaire peut prendre un certain temps. Il n'est donc pas anormal que les poursuites n'aient toujours pas abouti à un jugement. Pour ce qui est du nombre de ces poursuites, la ministre indique que les statistiques allant jusqu'à juillet 2006 ne font malheureusement pas la distinction entre celles intentées pour cause de mariage fictif et celles qui le sont pour d'autres infractions à la loi sur les étrangers. Les parquets ont communiqués les chiffres suivants :

Le PR de Namur donne l'évaluation la plus détaillée:

48 dossiers ouverts sur base du seul article 79bis, dont :

— 22 dossiers tentatives de mariage blanc

— 26 dossiers mariages célébrés

pas de jugement jusqu'ici

problèmes:

— pas pour les « simples » mariages blancs

— problème de preuve si l'on veut qualifier le mariage de « mariage blanc sans versement d'argent »

— pas de combinaison mariage blanc et mariage forcé jusqu'ici (remarque: ceci prouve l'intérêt de rendre punissable le seul mariage forcé).

Le PR de Hasselt : 163 enquêtes en 2006. 46 classés sans suite. Le reste est poursuivi. 12 enquêtes entamées en 2007.

— Pas de combinaison mariage blanc et forcé

— 3 mariages forcés constatés en 2003 et 2004, refus de reconnaissance de la part de l'Officier de l'État civil.

Le PR d'Eupen: 8 dossiers ouverts en 2006, dont 5 sont clôturés faute de preuve. 2 dossiers avec suspicions importantes.

Le PR de Mons: 5 dossiers en information.

Le PR de Liège: pas de distinction avec autres poursuites sur la base de la loi de 1980; 550 dossiers ouverts en 2006 sur base de cette loi en sa totalité.

Le PR de Bruges: 3 dossiers classés sans suite faute de preuve, 3 dossiers encore en cours.

Le PR de Marche en Famenne: 3 dossiers en cours.

Les PR de Verviers et Arlon: 2 dossiers en cours.

Le PR de Charleroi: 1 dossier en cours.

Le PR de Tournai: 1 dossier en cours (par contre : 127 dossiers civils en cours).

Les PR de Gand, Ypres et Furnes, Neufchâteau, Malines (1) aucun dossier en cours.

Les PR de Termonde, Oudenaarde, Courtrai, Huy, Dinant, Anvers, Turnhout, Tongeren : en tout cas pas de jugements (dossiers en cours ?).

Concernant la charge de la preuve, la ministre déclare qu'en matière de mariages fictifs aussi, le juge est amené à statuer sur la base d'un ensemble cohérent de présomptions, qui ne peuvent toutefois jamais être prouvées de manière objective. Même si la preuve est plus difficile encore à rapporter pour les mariages forcés, le gouvernement entend néanmoins signifier clairement à la population, aux parquets et aux tribunaux que ces mariages seront passibles de sanctions dès l'instant où des éléments suffisamment convaincants sont réunis.

IV. VOTES

Le projet de loi a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 13 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Philippe MAHOUX. Hugo VANDENBERGHE.

Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet transmis par la Chambre des représentants (voir le doc. Chambre, nº 51-2767/04)


(1) Pour Malines : argumentation explicite que tout se fait au niveau préventif (par l'Officier de l'État civil : refuse de célébrer le mariage).