3-648/4

3-648/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

27 MARS 2007


Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif

Proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR

M. DELPÉRÉE


TABLE DES MATIÈRE


I. PROCÉDURE
II. EXPOSÉS INTRODUCTIFS

A. Commentaire du projet de loi nº 3-648/1 par M. Vincent Van Quickenborne, secrétaire d'État à la Simplification administrative

B. Commentaire de la proposition de loi nº 3-464/1 par M. Hugo Vandenberghe


III. DISCUSSION D'ORIENTATION
IV. AUDITIONS

A. Magistrats

1. Exposés

1.1. M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage

1.2. M. Jean Spreutels, juge à la Cour d'arbitrage

1.3. M. Marc Lahousse, premier président de la Cour de cassation

1.4. M. Marc De Swaef, procureur général près la Cour de cassation

1.5. M. Robert Andersen, président du Conseil d'État

1.6. M. Philippe Bouvier, auditeur général au Conseil d'État

2. Échange de vues

B. Universitaires

1. Exposés

1.1. le professeur W. Voermans (Universiteit Leiden)

1.2. le professeur P. Popelier (Universiteit Antwerpen) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving) et M. J. Van Nieuwenhove (Katholieke Universiteit Leuven) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving)

1.3. le professeur F. Leurquin-De Visscher (Université Catholique de Louvain)

1.4. le professeur M. Van Damme (Vrije Universiteit Brussel)

1.5. le docteur K. Van Aeken (Universiteit Antwerpen)

1.6. M. N. Bernard (docteur en droit et assistant aux Facultés Universitaires Saint-Louis)

2. Échange de vues


V. DISCUSSION GÉNÉRALE
VI. DISCUSSION DES ARTICLES ET VOTES
VII. VOTE SUR L'ENSEMBLE

ANNEXES: notes du service d'Évaluation de la législation du Sénat


I. PROCÉDURE

Le projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, qui relève de la procédure bicamérale obligatoire, trouve son origine dans une proposition de loi que M. Daniel Bacquelaine a déposée à la Chambre des représentants le 26 juin 2003 (doc. Chambre, nº 51-29/1).

Après avoir été amendée, elle a été adoptée par l'assemblée plénière de la Chambre des représentants le 22 avril 2004, par 94 voix contre 14 et 7 abstentions, et transmise au Sénat le 26 avril 2004.

La commission des Affaires institutionnelles a discuté le projet de loi en question ainsi que la proposition de loi de M. Hugo Vandenberghe instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, nº 3-464/1), au cours de ses réunions des 21 octobre 2004, 18 mars 2005, 4 mai 2006, 25 janvier, 15 février et 1er mars 2007, en présence du secrétaire d'État à la Simplification administrative.

M. Delpérée a été désigné rapporteur et les exposés introductifs ont été tenus au cours de la réunion du 21 octobre 2004.

Après une première discussion préliminaire, des auditions ont eu lieu le 18 mars 2005 avec les magistrats dirigeants de la Cour d'arbitrage, de la Cour de cassation et du Conseil d'État, ainsi qu'avec divers universitaires spécialisés en évaluation de la législation.

Lors de la discussion générale du 4 mai 2006, la commission a décidé de soumettre le projet de loi nº 3-648/1 et la proposition de loi nº 3-464/1 pour avis au Conseil d'État.

Les 27 et 28 juillet 2006, le Conseil d'État a rendu ses avis respectivement sur la proposition et le projet de loi (cf. avis nº 40.389/2 — doc. Sénat, nº 3-464/2 et avis nº 40.390/2 — doc. Sénat, nº 3-648/2).

Après une période de réflexion, la commission a poursuivi la discussion générale au cours de sa réunion du 25 janvier 2007.

Lors de cette réunion, la commission a décidé que le projet de loi nº 3-648/1 instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif servirait de base pour la poursuite des discussions.

La discussion générale du projet de loi nº 3-648/1 a été poursuivie et clôturée le 15 février 2007.

La discussion des articles et les votes ont eu lieu au cours de la réunion du 1er mars 2007.

Le présent rapport a été soumis pour approbation à la commission le 27 mars 2007.


II. EXPOSÉS INTRODUCTIFS

A. Commentaire du projet de loi nº 3-648/1 par M. Vincent Van Quickenborne, secrétaire d'État à la Simplification administrative

Le projet à l'examen est l'un des XII travaux que l'accord de gouvernement fédéral de juillet 2003 a confiés au secrétaire d'État à la Simplification administrative. L'objectif fondamental de ces XII travaux est de réduire les tracasseries administratives et d'éviter que la nouvelle législation impose des charges administratives évitables aux citoyens et aux entreprises.

En ce qui concerne entre autres l'évaluation de la législation, l'Accord de gouvernement de juillet 2003 prévoit « qu'un système d'évaluation législative sera mis en place et consacré légalement au sein du Parlement afin de procéder à l'évaluation des lois en vigueur; efficacité, proportionnalité, transparence et cohérence seront les critères pris en compte » (Déclaration gouvernementale et accord de gouvernement, Du souffle pour le pays. Une Belgique créative et solidaire, juillet 2003, p. 78).

L'évaluation législative est capitale pour parvenir à une bonne réglementation.

Il va de soi que tous les niveaux de pouvoir doivent avoir à cœur de développer une réglementation de qualité.

Avec le « test Kafka », le gouvernement a déjà fait un pas dans la bonne direction. Ce test a pour but d'éviter que ne soient adoptées de nouvelles réglementations entraînant des surcharges administratives. Depuis le 1er octobre 2004, le Conseil des ministres soumet donc tous les projets de loi et d'arrêtés royaux à un test concernant les charges administratives.

En dehors de cette évaluation ex ante, il faut également réaliser une évaluation de la législation ex post. La réglementation actuelle peut ainsi être évaluée en fonction des principes de bonne gouvernance et de bonne législation. À cet égard, le parlement est l'organe le plus approprié.

Le projet de loi transmis par la Chambre des représentants prévoit l'instauration d'un Comité parlementaire chargé du suivi législatif. Ce comité sera composé paritairement de 11 membres du Sénat et de 11 membres de la Chambre des représentants.

Conformément à l'article 3 du projet, le Comité connaît des requêtes qui lui sont adressées dénonçant:

1º des difficultés d'application des lois en vigueur depuis au moins trois ans, liées à la complexité des textes, à leurs lacunes, à leurs incohérences ou erreurs, à leur manque de précision et à l'interprétation multiple qui en découle ou à leur caractère désuet ou contradictoire;

2º l'inadéquation des lois en vigueur depuis au moins trois ans aux situations qu'elles régissent.

Les requêtes d'évaluation peuvent émaner de nombreux intervenants, en l'occurrence:

1º tout service administratif chargé d'appliquer la loi ou toute autorité publique chargée de contrôler l'application de la loi;

2º toute personne physique et toute personne morale de droit public ou de droit privé;

3º les membres de la Chambre des représentants et les sénateurs (art. 4).

Le Comité peut également explorer d'autres sources. Ainsi, il se doit de prendre en considération, une fois par mois, les arrêts de la Cour d'arbitrage qui ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique (art. 9).

Le Comité traitera également les rapports adressés aux Chambres législatives fédérales par le procureur général près la Cour de cassation et par le Collège des procureurs généraux (art. 11), et analysera et synthétisera les rapports adressés par des organismes tiers aux Chambres législatives fédérales en vertu de la loi (art. 12).

Le gouvernement espère que le Sénat examinera le projet de loi transmis par la Chambre dans un réel esprit d'ouverture et qu'il sera attentif aux points positifs qu'il contient, tels que la composition paritaire du Comité et la possibilité pour les citoyens de déposer des requêtes auprès du Comité. Pour sa part, le gouvernement est ouvert à tout argument constructif.

La proposition de loi nº 3-464/1 de M. Hugo Vandenberghe instituant une procédure d'évaluation législative renferme également des éléments précieux qui pourraient éventuellement être intégrés au projet de loi nº 3-648/1.

Le secrétaire d'État formule dès lors le souhait que le Parlement puisse mener ce dossier à bon terme avant la fin de cette législature.

B. Commentaire de la proposition de loi nº 3-464/1 par M. Hugo Vandenberghe

1. Historique

La proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative, qui relève de la procédure bicamérale obligatoire, s'inspire du projet de loi que le gouvernement a déposé au Sénat le 17 avril 1998. Le 21 janvier 1999, au terme d'un examen approfondi au sein de la présente commission, l'assemblée plénière l'a adopté, après l'avoir amendé, à l'unanimité des 61 membres présents (doc. Sénat, nos 1-955/1-5).

Toutefois, par suite de la dissolution des Chambres le 5 mai 1999, la Chambre des représentants n'a pas été en mesure de clôturer l'examen du projet en question (doc. Chambre, 1998-1999, nos 1950/1-2). Après les élections du 13 juin 1999, celui-ci a été relevé de caducité (doc. Chambre, nº 50-372/1) par la loi du 24 décembre 1999 (Moniteur belge du 12 janvier 2000). Mais, cette fois, une législature complète n'a pas suffi à la Chambre pour achever l'examen du projet. Conformément à l'article 2 de la loi du 5 mai 1999 relative aux effets de la dissolution des Chambres législatives à l'égard des projets et propositions de loi dont elles sont saisies, la dissolution des Chambres le 10 avril 2003 impliquait que le projet devait être considéré comme nul et non avenu. Après les élections du 18 mai 2003, le projet n'a plus été relevé de caducité.

Par conséquent, M. Hugo Vandenberghe a décidé de le redéposer mais cette fois sous la forme d'une proposition de loi.

2. Objectif

La proposition de loi s'inspire du rôle que le constituant a confié au Sénat en 1993, qui est d'être le garant de la qualité de la législation. Pour ceux qui en douteraient, l'auteur renvoie aux travaux préparatoires des accords de la Saint-Michel et aux travaux parlementaires afférents à la révision de la Constitution issue des accords en question, en particulier les déclarations du premier ministre de l'époque, Jean-Luc Dehaene. Une des raisons qui fut déterminante pour le constituant fut le constat que la Chambre était davantage occupée à gérer les activités politiques au jour le jour et devait constamment travailler sous pression. En tant que Chambre de réflexion, le Sénat pourrait porter un regard plus distancié sur la législation et façonner la formulation des lois de manière à leur conférer l'impact et l'efficacité voulus. On oublie trop souvent que légiférer, ce n'est pas seulement voter des résolutions adoptées lors de congrès et les présenter ensuite sous la forme d'articles de loi. Légiférer, c'est aussi opérer constamment des choix politiques, cela va sans dire, mais en respectant certaines règles de l'art.

Au fil des ans, la législation a perdu en qualité. Les réglementations prolifèrent et s'internationalisent sous l'effet, entre autres, de la transposition du droit européen. Il y aussi la plaie des lois-programmes, qui ont forcé des juristes de l'opposition à introduire un recours en annulation auprès de la Cour d'arbitrage afin de faire valoir leurs objections.

D'aucuns ont reproché à l'intervenant de se livrer à une opposition juridique. Or, celui-ci constate que la Cour d'arbitrage lui a chaque fois donné raison à propos des objections qu'il avait formulées contre la loi antidiscrimination, les lois modifiant la législation électorale ou la loi sur les stupéfiants, et qu'elle a annulé ces lois sur certains points parce qu'elles ne répondaient pas aux exigences requises en matière de qualité du droit.

À cet égard, certains n'hésitent pas à parler d'un « gouvernement des juges ». Or, la démocratie, c'est bien plus que remporter des élections et mettre en œuvre un programme législatif selon son bon vouloir. La démocratie fonctionne dans un État de droit, ce qui implique notamment le respect des principes d'une législation de qualité.

C'est pourquoi, pour l'examen du projet de loi qui sous-tend la proposition de loi en discussion, la présente commission a fixé les dix commandements pour une bonne législation (voir le rapport de M. Caluwé, doc. Sénat, nº 1-955/3, pp. 11-14):

1. la sécurité juridique;

2. l'égalité juridique;

3. le principe de l'administration individualisée de la justice;

4. le principe du niveau adéquat — la subsidiarité;

5. le principe de la précision de l'objectif;

6. le principe de nécessité;

7. le principe d'applicabilité ou de durabilité;

8. le principe de l'effectivité et de l'efficacité;

9. le principe de la proportionnalité de l'impact et des objectifs;

10. l'effet social.

3. Le rôle du Sénat

Le rôle spécifique que le constituant a confié au Sénat en 1993 ne s'accorde pas avec la méthode proposée dans le projet de loi en question. La création d'un Comité parlementaire de coordination porte atteinte à la position constitutionnelle du Sénat en tant que première Chambre sur le plan de l'évaluation de la législation. En ce sens, le projet de loi contient une révision implicite et donc interdite de la Constitution.

N'ayant pas voulu à l'époque prendre son parti du projet déposé par le gouvernement, la Chambre a donc rédigé une nouvelle proposition visant à soustraire aux assemblées parlementaires la compétence d'évaluation de la législation et à la transférer à une nouvelle institution spécifique. Mais il y a déjà quantité de comités de toutes sortes. Pourquoi toujours créer de nouvelles institutions spécifiques, poussant chaque fois plus loin la répartition des compétences ? Cela revient à dépouiller les institutions existantes de leurs attributions et à méconnaître le sens des institutions. Le Roi est nu.

L'intervenant est convaincu que du point de vue démocratique, le Sénat a un rôle important à jouer. C'est pourquoi l'article 3 de la proposition prévoit que le Sénat est chargé de l'évaluation de la législation et dépose, chaque année, un rapport sur l'état de ses travaux à ce sujet. Conformément à l'article 4, cette évaluation s'opère notamment sur la base de deux rapports annuels établis, d'une part, par le procureur général près la Cour de cassation et le collège des procureurs généraux et, d'autre part, par le Conseil d'État.

Il convient d'observer que ces institutions ont déjà anticipé la chose. La Cour de cassation décrit ainsi dans son rapport annuel 2003-II les difficultés d'application et d'interprétation des lois qu'elle a rencontrées et elle indique comment remédier à ces problèmes de lege ferenda (op. cit., p. 334-350). Le Conseil d'État a, lui aussi, réagi aux initiatives législatives en matière d'évaluation de la législation.

Par ailleurs, il conviendrait aussi de mettre en place un suivi systématique des arrêts d'annulation prononcés par la Cour d'arbitrage et de vérifier, à intervalles réguliers, dans quelle mesure il peut être donné suite sur le plan législatif aux inconstitutionnalités constatées par la Cour.

L'intervenant ne cache pas que sa proposition, qui reprend un projet approuvé par le Sénat il y a cinq ans, est susceptible d'amélioration. En effet, le temps ne s'est pas arrêté. L'évaluation de la législation est devenue un sujet brûlant d'actualité dans la doctrine. De plus, il ne faut pas perdre de vue la dimension européenne. Les éléments qui sautent le plus aux yeux à cet égard sont en particulier le rôle des parlements nationaux et l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

L'article I-11 du traité établissant une Constitution pour l'Europe dispose à cet égard:

« 1. Le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences.

2. En vertu du principe d'attribution, l'Union agit dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans la Constitution pour atteindre les objectifs qu'elle établit. Toute compétence non attribuée à l'Union dans la Constitution appartient aux États membres.

3. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect de ce principe conformément à la procédure prévue dans ce protocole.

4. En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la Constitution.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. » (16 décembre 2004 FR Journal officiel de l'Union européenne C 310/15).

Aux termes de ce protocole, tout parlement national ou toute chambre de l'un de ces parlements peut, dans un délai de six semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif européen, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Il appartient à chaque parlement national ou à chaque chambre d'un parlement national de consulter, le cas échéant, les parlements régionaux possédant des pouvoirs législatifs.

Les institutions européennes dont émane le projet d'acte législatif tiennent compte des avis motivés que les parlements nationaux ou une chambre de ces parlements leur adressent.

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission, ainsi que, le cas échéant, le groupe d'États membres, la Cour de justice, la Banque centrale européenne ou la Banque européenne d'investissement, si le projet d'acte législatif émane d'eux, tiennent compte des avis motivés adressés par les parlements nationaux ou par une chambre de l'un de ces parlements.

Chaque parlement national dispose de deux voix, réparties en fonction du système parlementaire national. Dans un système parlementaire national bicaméral, chacune des deux chambres dispose d'une voix.

Dans le cas où les avis motivés sur le non-respect par un projet d'acte législatif européen du principe de subsidiarité représentent au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux, le projet doit être réexaminé. Ce seuil est un quart lorsqu'il s'agit d'un projet d'acte législatif européen présenté sur la base de l'article III-264 de la Constitution relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

À l'issue de ce réexamen, la Commission ou, le cas échéant, le groupe d'États membres, le Parlement européen, la Cour de justice, la Banque centrale européenne ou la Banque européenne d'investissement, si le projet d'acte législatif européen émane d'eux, peut décider, soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Cette décision doit être motivée (cf. protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne et protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, Journal officiel du 16 décembre 2004, C 310/201-210).

Il s'ensuit que les parlements nationaux vont non seulement devoir élaborer une méthode de travail interne leur permettant de réagir très rapidement, mais aussi organiser des concertations mutuelles afin de recueillir un nombre de voix suffisant pour que le projet d'acte législatif européen soit réexaminé.

4. Conclusion

La demande de suivi législatif a été propulsée au devant de la scène parce que l'on a pris conscience que le monde politique produit trop de lois et trop de lois de piètre qualité. La réflexion fait défaut. C'est comme ce ténor du barreau qui, par manque de préparation, conclut sa longue plaidoirie par ces mots: « M. le Président du Tribunal, Je m'excuse. J'étais beaucoup trop long, mais je n'avais pas le temps d'être court ». Le gouvernement et le parlement souffrent du même mal. Ils travaillent dans la précipitation.

L'évaluation de la législation doit rester une mission du parlement. L'idée que la problématique de la législation est extérieure au parlement et doit être la chasse gardée de spécialistes ne tient pas compte du fait que chaque choix technique est aussi un choix politique. Elle n'est jamais dépourvue de valeurs et absolument neutre. Mais cela n'exclut bien évidemment pas que des experts externes prêtent leur concours. Ces dernières années, le pouvoir législatif a déjà délégué trop de compétences au pouvoir exécutif, ce qui a entraîné une baisse de qualité de la législation. L'intervenant y voit une des causes de la perte d'autorité du monde politique et du parlement en particulier. Le secteur privé, qui s'impose des normes de qualité de plus en plus sévères, est confronté à un pouvoir législatif au sujet duquel il doit bien constater que le processus législatif qu'il met en œuvre prend des airs de loterie, faute d'attention suffisante apportée à la qualité du produit. En revanche, on compense par la quantité. Chaque année, le citoyen voit déferler sur lui une quantité de lois nouvelles comme s'il en pleuvait.


III. DISCUSSION D'ORIENTATION

M. Moureaux remercie M. Hugo Vandenberghe de son exposé introductif qui a le mérite de soulever une série de problèmes généraux que le parlement, dans sa propension de se focaliser sur le détail, semble perdre de vue.

1. Inflation législative

L'intervenant se rallie à la constatation que l'inflation législative est devenue un problème majeur dont souffrent non seulement les Parlements fédéraux, mais aussi les parlements de région et de communauté. Il s'étonne souvent de l'inquiétude des parlementaires lorsqu'il n'y a plus de projets ou de propositions de loi pour mettre à l'ordre du jour des réunions de commission. Cette mentalité très répandue est le signe d'une certaine schizophrénie. D'un côté, on exige que le débat parlementaire soit continuellement nourri d'un fleuve de projets et de propositions de loi, d'autre part, on se plaint de l'inflation législative.

2. Rôle du Sénat

En ce qui concerne le rôle du Sénat dans l'évaluation de la législation, M. Moureaux abonderait dans le sens de M. Vandenberghe, mais pour une raison circonstancielle. L'accord du gouvernement de 2003 prévoit un débat sur la réforme du bicamérisme et particulièrement du Sénat. Dans ces circonstances, il n'est pas opportun de modifier à la hâte les missions des Chambres fédérales alors que l'on arrivera peut-être à la conclusion que le rôle de chambre de réflexion du Sénat doit être renforcé.

Dans la logique de la réforme de 1993, la mission de l'évaluation de la législation incombe au Sénat. Toutefois, un aspect négatif de cette réforme est la facilité avec laquelle la navette de projets et propositions de loi entre la Chambre et le Sénat s'opère. La faiblesse du Sénat est que, suite à l'évocation que l'opposition utilise pour obtenir un deuxième débat ou pour retarder l'adoption d'un texte, cette navette se révèle inutile parce que le gouvernement n'accepte pas d'amendements. La volonté d'évoquer le plus possible de projets de loi empêche le Sénat de se consacrer à l'examen en profondeur de grands problèmes sociétaux.

3. Lois qui méritent d'être soumises à une évaluation

En tant que bourgmestre d'une commune bruxelloise, l'intervenant est confronté quotidiennement à des lois dont l'application pose problème. Il en cite deux à titre d'exemple.

— Tout le monde, du simple agent de police au chef de corps et au magistrat, s'accorde sur le fait que l'application de la loi sur la drogue se révèle absolument bancale. La règle par exemple selon laquelle on peut détenir une petit quantité de drogues, mais ne pas en acheter, est d'une absurdité stupéfiante.

Cette loi est un exemple parfait d'un mauvais compromis entre la nécessité de combattre les excès de l'utilisation de drogues et une certaine tolérance vis-à-vis des drogues douces. C'est sans doute pour cette raison que son sort a été provisoirement scellé.

— Une autre loi qui donnera lieu à une évaluation est celle du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, plus couramment appelée loi antiharcèlement. Dans des conflits avec leurs employeurs sur l'application du droit social, certains employés n'hésitent pas, faute d'autres moyens juridiques, à invoquer la loi antiharcèlement et portent plainte contre leur employeur. Il est vrai que la loi prévoit des filtres ainsi qu'une évaluation après deux ans. Il importe donc d'analyser l'évolution de la jurisprudence des tribunaux et des cours du travail. Il faut veiller à ce que l'application de cette loi s'inscrive dans sa ratio legis, à savoir combattre le harcèlement moral et sexuel, et ne soit pas utilisée pour des autres objectifs comme conjurer des conflits avec des collègues et les employeurs.

4. Sources d'information pour l'évaluation

Non seulement les rapports annuels établis par le procureur général près la Cour de cassation et le collège des procureurs généraux ainsi que par le Conseil d'État doivent être pris en considération, l'évaluation doit s'opérer également sur la base d'autres sources d'information. Par exemple, dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles le parquet a désigné des magistrats de référence qui entretiennent un dialogue constructif avec les autorités communales. L'évaluation suppose que le parlement doit se doter des moyens nécessaires pour mettre le thermomètre à la vie sociale et instituer une procédure de clignotants lorsque des lois s'avèrent inapplicables. Cela suppose que les administrations et les acteurs économiques et sociaux y soient impliqués.

Toutefois, il faut veiller à ce que l'organe chargé de l'évaluation de la législation ne sombre pas dans une situation où il devient une boîte aux réclamations individuelles de citoyens qui s'estiment victimes d'une loi.

5. Rôle de la Cour d'arbitrage

M. Moureaux ne partage pas tout à fait le point de vue de M. Vandenberghe selon lequel un système d'évaluation de la législation efficace conduirait à une diminution de recours devant la Cour d'arbitrage. Il est convaincu que, même dans cette hypothèse, des recours seront introduits à titre conservatoire parce qu'il n'est pas certain à l'heure actuelle que le parlement procédera à une évaluation et, dans l'affirmative, quels en seront les effets.

M. Delpérée souhaite savoir selon quelle procédure seront choisies les lois qui seront évaluées.

Mme Van de Casteele constate que les objectifs du projet de loi et ceux de la proposition de loi font l'objet d'un large consensus. L'inflation législative est un fait. En outre, la législation devient de plus en plus complexe. L'arsenal légal perd ainsi de sa consistance, ce qui engendre des injustices et une surcharge administrative.

La proposition de loi de M. Hugo Vandenberghe a naturellement ses mérites et a sa source dans le projet de loi que le gouvernement avait déposé au Sénat le 17 avril 1998. Vu le chevauchement avec la proposition de loi déposée par M. Bacquelaine à la Chambre le 26 juin 2003 et votée par celle-ci, il y a lieu, selon une habitude établie, de traiter ces deux initiatives en prenant le projet de loi comme base.

En ce qui concerne le rôle du Sénat, M. Vandenberghe justifie le monopole de cette assemblée en matière d'évaluation de la législation par son rôle de chambre de réflexion, tel qu'il a été ancré dans la Constitution par les accords de la Saint-Michel en 1993. Il perd toutefois de vue, à ce propos, que la majorité a conclu depuis lors de nouveaux accords qui, en ce qui concerne le bicaméralisme, dérogent à ce qui avait été convenu dans les accords de la Saint-Michel. Voici ce que précise à ce propos l'accord de gouvernement fédéral de juillet 2003: « Le gouvernement créera en outre un forum auquel seront associées les Régions et les Communautés. Ce forum préparera, partant de l'accord du 26 avril 2002, les propositions de révision de la Constitution et les projets de loi, qui devront mener entre autres à (1) la réforme du système bicaméral, (...) » (p. 80).

MM. Hugo Vandenberghe et Moureaux objectent que Mme Van de Casteele confond un accord purement politique qui n'est pas consacré par la Constitution ni par les lois spéciales, avec les accords de la Saint-Michel, qui s'inscrivent dans le cadre de la préparation de la révision de la Constitution de 1993. Tous deux n'ont donc pas la même valeur.

Mme Van de Casteele réplique qu'en tant que membre de la majorité, elle prend l'accord de gouvernement fédéral comme fil conducteur de son action politique. Elle estime qu'en adoptant la proposition de loi de M. Vandenberghe, le Sénat anticiperait sur la réforme prévue par la majorité. Elle ne souhaite donc pas suivre cette voie. Elle se dit plutôt favorable à l'examen du projet de loi transmis par la Chambre, lequel prévoit la création d'un comité bicaméral. Le Service d'évaluation de la législation du Sénat ferait alors office de service d'appui. Ce service, que la Chambre nous envie, a d'ailleurs rédigé deux notes critiques à partir desquelles le projet peut être amendé.

M. Moureaux a nourri la conviction, peut-être naïve, que cette question concerne à tel point l'intérêt général que, pendant la discussion, les groupes politiques pourraient bien dépasser les traditionnels clivages entre majorité et opposition. Si le gouvernement demande aux groupes de la majorité de se rallier au projet de loi, l'intervenant le fera évidemment, mais il espère qu'on n'en arrivera pas là et que les membres de cette commission pourront entamer le débat en toute liberté et en toute indépendance.

M. Collas partage l'opinion que personne ne conteste l'utilité et l'opportunité d'une évaluation de la législation. L'intervenant peut rejoindre les considérations que M. Vandenberghe a invoquées pour confier cette mission au Sénat. Toutefois, comme Mme Van de Casteele l'a indiqué, il faudra attendre les résultats du Forum qui débattrait sur le rôle du Sénat. Le groupe MR soutient dès lors le projet de loi transmis par la Chambre sans que le débat à ce sujet soit toutefois définitivement clos.

M. Van den Brande pour sa part souscrit à la proposition de loi de M. Vandenberghe.

Dans une perspective plus large, il constate que le souci d'une législation de qualité gagne en importance au niveau tant national qu'international. Cependant, le secrétaire d'État à la Simplification administrative perd de vue que la demande d'une simplification et d'une amélioration de la qualité de la réglementation ne date pas de son entrée en fonction. Elle a déjà soixante ans. De nombreuses commissions qui ont œuvré dans ce sens ont été mises en place, comme la Commission conform.

D'après l'intervenant, on commet toutefois une faute en abordant cette problématique du seul point de vue quantitatif. Par exemple, au niveau régional, certaines déclarations gouvernementales prévoient qu'une nouvelle règle peut uniquement être instaurée moyennant suppression d'une règle existante. Il est peut-être caractéristique de la structure de l'État belge que chaque entité essaie de se réaliser en exerçant autant que possible ses compétences par une réglementation propre. C'est dû également à une certaine méfiance envers les gouvernements. Des normes sont coulées sous forme de loi ou de décret, non seulement pour objectiver les principes de base, mais aussi pour avoir un point d'appui au milieu des aléas de la politique du pouvoir exécutif.

Un deuxième danger dont le parlement doit se garder est la simplification, celle-ci engendrant l'injustice.

Les deux initiatives législatives comprennent donc un contrôle des produits ou un test de la qualité des activités législatives. Cela soulève la question de savoir quelle est la référence qui servira à mesurer la qualité d'une loi et qui sera le référent, à savoir l'instance qui effectuera le test de qualité.

Les rapports annuels du procureur général près la Cour de cassation, du collège des procureurs généraux et du Conseil d'État seront évidemment des sources d'informations importantes. Toutefois, en ces temps de consumérisme, il faut aussi identifier les justiciables. L'instance chargée de l'évaluation de la législation devra, par conséquent, mettre au point un instrument de mesure qui permettra de vérifier la manière dont chaque entité ressent la législation qui a été édictée pour elle avec de bonnes intentions.

M. Van Hauthem se rallie également à l'objectif des deux initiatives législatives à l'examen.

Il reste toutefois une inconnue dans le processus d'évaluation. L'évaluation de la législation vise à contrôler si la législation est utilisable. Or, si une loi est manifestement inefficace ou inopérante, peut-on attendre de la part de parlementaires qui se sont opposés à la finalité politique de ladite loi qu'ils collaborent à des initiatives législatives pour la rendre utilisable ? Un bon exemple est la loi actuelle sur les stupéfiants qui dépénalise partiellement la consommation de stupéfiants mais dont certaines parties ont été annulées par la Cour d'arbitrage.

M. Vankrunkelsven souligne qu'avant la loi actuelle sur les stupéfiants, la situation était encore plus chaotique qu'elle ne l'est à présent et qu'elle favorisait les inégalités. L'avis négatif que la Cour d'arbitrage a rendu à son sujet impose que des corrections y soient apportées. Il estime que le retentissement de cette affaire est très exagéré.

En ce qui concerne la remarque de l'orateur précédent, M. Vankrunkelsven déclare que le poids des politiques est très important dans les deux initiatives. Dès lors, le danger que l'évaluation de la législation soit guidée par des considérations idéologiques est réel, ce qui éclipserait l'évaluation en tant que telle. Aussi peut-on se demander s'il ne convient pas d'accorder une plus grande place à un collège plus indépendant qui effectuerait le travail préparatoire. Un collège politique devrait trancher par la suite.

Concernant le rôle du Sénat, il faut constater que les deux initiatives sont diamétralement opposées. À cela s'ajoute que les partis de la majorité ont conclu, en avril 2002, un accord visant à réformer le Sénat. Afin de sortir de l'impasse, le projet de loi pourrait être adopté immédiatement, au risque de voir, dans quelques mois, la loi être en contradiction avec le nouveau rôle du Sénat. Une autre solution consisterait à ajourner l'examen de ces initiatives tant que la lumière n'aura pas été faite sur cette réforme.

Mme de T' Serclaes fait observer que seulement à l'issue d'une éventuelle réforme du Sénat, il s'avérera quel rôle sera réservé au Sénat dans l'évaluation de la législation.

En tout cas, quel que soit le système que l'on introduit, il y a lieu de se pencher sur la question de savoir dans quelle mesure la mission de l'organe parlementaire chargé de l'évaluation doit être délimitée par rapport au pouvoir du Parlement de modifier toute loi à tout moment. Cet organe peut-il à tout moment déclencher un débat politique sur les objectifs et l'efficacité d'une loi ? Il y a plusieurs exemples où le législateur a dû intervenir dans les mois suivant l'adoption d'une loi parce que l'application de celle-ci sur le terrain engendrait trop de problèmes.

La lecture du projet et de la proposition de loi ne permet pas à l'intervenante de décerner si la mission des organes parlementaires chargés de l'évaluation est plus politique que technique. Dans la première hypothèse, la question se pose de savoir pourquoi cet organe doit attendre trois ans avant de pouvoir procéder à une évaluation, alors que, dans la deuxième hypothèse, la question se pose de savoir pourquoi ces organes seront composés uniquement de parlementaires.

L'intervenante se réfère à la loi sur les ASBL dont on s'est très vite rendu compte que son application pose beaucoup de problèmes pratiques. Même constat pour la loi sur la tutelle des mineurs. La ministre de la Justice a effectué sa propre évaluation de ces deux lois et est convaincue qu'elles doivent être corrigées. Supposons que le comité parlementaire chargé du suivi est institué selon le modèle que propose le projet de loi, devra-t-il attendre trois ans avant de pouvoir procéder à une évaluation ? Quel sera le rôle du pouvoir exécutif dans la procédure ?

Mme de T' Serclaes estime qu'il y a lieu de répondre de manière adéquate à ces questions afin de pouvoir introduire un service performant.

Mme Talhaoui se rallie à la remarque de Mme Van de Casteele selon laquelle la commission doit d'abord prendre une décision au sujet de son plan de travail. Soit il faut attendre le débat sur la réforme du Sénat et, en particulier, le rôle qui pourrait être accordé à cette assemblée dans l'évaluation de la législation, soit la commission fait aboutir immédiatement l'examen des deux initiatives en question. L'impact d'une éventuelle réforme du Sénat sur la réglementation existante pourra être examiné ultérieurement.

En ce qui concerne le caractère idéologique ou non de l'organe chargé de l'évaluation de la législation, l'intervenante défend la position selon laquelle les parlementaires, en qualité de membres du pouvoir législatif, sont personnellement responsables des éventuelles imperfections qui se sont glissées dans les lois qu'ils ont eux-mêmes approuvées. Par conséquent, ils doivent remédier aux erreurs commises au cours du processus législatif et ne pas se décharger de cette responsabilité sur d'autres organes. Il est vrai que le parlement pourra avoir recours à des instances indépendantes, mais les deux initiatives prévoient cette possibilité. L'évaluation se base notamment sur les rapports annuels du collège des procureurs généraux, du procureur général près la Cour de cassation et du Conseil d'État.

M. Delpérée adhère entièrement à la dernière déclaration de Mme Talhaoui. En tant que producteur, le législateur est responsable du service après-vente. Il doit donc s'interroger continuellement sur l'efficacité des lois. Cette préoccupation n'est pas propre à la Belgique, elle est commune à tous les parlements en Europe. L'évaluation de la législation est actuellement le sujet le plus important dont les parlements doivent se saisir.

Mme Van de Casteele se rallie également à ce point de vue.

Elle souhaite que l'on mène le débat par-delà les clivages de partis et indique que son seul souci est que la commission puisse s'entendre sur la méthode la plus appropriée pour améliorer la qualité de la législation. Elle ajoute qu'à titre personnel, elle accorde la préférence au projet de loi parce qu'il assigne aussi un rôle à la Chambre des représentants. Elle précise que la Chambre dispose actuellement d'un pouvoir législatif plus large que le Sénat et qu'il ne serait donc pas normal qu'elle puisse se faire rappeler à l'ordre par le Sénat, qui est la seconde Chambre. Elle estime que les deux initiatives législatives présentent des avantages et des inconvénients. Une étude plus approfondie devra montrer quelle méthode il y a lieu de privilégier. L'intervenante ne peut donc pas souscrire à la proposition faite par M. Vankrunkelsven de reporter la discussion tant que le Forum ne se sera pas mis d'accord sur la position du Sénat.

M. Hugo Vandenberghe déclare que la proposition de loi qu'il a déposée reprend le texte du projet de loi adopté par le Sénat le 21 janvier 1998. Depuis lors, le thème de l'évaluation de la législation n'a cessé d'évoluer et ce, dans un sens positif.

Pourquoi confier exclusivement au Sénat la tâche d'évaluer la législation ?

Un premier argument est que le Sénat déploie une activité politique autre que celle de la Chambre, qui est l'assemblée politique par excellence et est chargée de contrôler l'action du gouvernement. Pour toutes sortes de raisons, elle est dénuée de la vision à moyen terme indispensable pour élaborer les lois d'une manière réfléchie.

L'intervenant se dit ensuite opposé à la création du comité paritaire telle qu'elle est proposée par le projet de loi parce qu'il s'agit d'un comité ad hoc étranger aux structures classiques de la Chambre et du Sénat. Il se réfère à la commission parlementaire de concertation visée à l'article 82 de la Constitution. L'intervenant siège dans cette commission depuis plusieurs années et est bien forcé de constater que le quorum de décision n'y est quasiment jamais atteint. Les membres présents tentent d'y remédier en élaborant chaque fois des solutions de consensus aux problèmes. À l'heure actuelle, les agendas des députés et des sénateurs sont déjà surchargés. Si un nouveau comité paritaire devait être créé, il y aurait fort à craindre que les membres fassent souvent défection, comme l'illustre parfaitement la commission paritaire du Renouveau politique, créée sous la législature précédente. Cette commission, dont il avait été convenu qu'elle se réunirait le lundi après-midi, a dû stopper ses travaux par manque d'intérêt. Tout cela est bien beau sur le papier mais, dans la réalité, il a fallu déchanter.

M. Delpérée déclare que même sur le papier, la situation est loin d'être idéale. Il fait référence à l'article 8, alinéa 2, du projet de loi transmis par la Chambre, qui prévoit que le Comité peut, le cas échéant, par consensus, annexer au rapport toute proposition d'initiative législative (doc. Chambre, nº 51-29/12). C'est inconstitutionnel: le droit d'initiative revient à la Chambre, au Sénat et au Roi mais pas à un comité paritaire.

M. Hugo Vandenberghe invoque un troisième argument en faveur du monopole du Sénat dans le domaine de l'évaluation de la législation: la loyauté entre les institutions. L'article 143 de la Constitution dispose que toutes les entités agissent dans le respect de la loyauté fédérale, en vue d'éviter des conflits d'intérêts. Dans notre système politique, les institutions aussi doivent faire preuve de loyauté les unes envers les autres.

La collaboration entre deux assemblées suppose une ouverture d'esprit de l'une vis-à-vis de l'autre, et un respect mutuel pour leur rôle et leur spécificité, tels qu'ils sont ancrés dans la Constitution.

À l'heure actuelle, ce manque de loyauté entre les institutions pose problème.

M. Moureaux estime qu'il serait inopérant, voire dangereux, de créer une instance séparée. Au départ, celle-ci sera tout de même composée par le parlement et aura de ce fait des connotations politiques. Si les majorités changent, il risque d'y avoir des conflits entre cette instance dont les membres ont été nommés par l'ancienne majorité, d'une part, et la nouvelle majorité, d'autre part. Pour cette raison, il se déclare partisan d'un organe parlementaire.

Deuxièmement, cet organe ne sera pas en mesure d'évaluer chaque loi au même moment. Il lui faudra un filtre pour sélectionner les lois qui peuvent être prises en compte pour une évaluation. Il faudra fixer alors des critères de sélection.

Enfin, dans la discussion du rôle qui sera réservé au Sénat dans l'évaluation des lois, il faudra tenir compte d'un facteur inconnu, à savoir l'éventuelle réforme du Sénat telle qu'elle est envisagée par le Forum. La commission devra tenir compte de cette difficulté lors de la discussion des deux initiatives législatives. L'intervenant estime qu'il serait aberrant d'anticiper une révision de la Constitution proposée par le Forum. La même constatation vaut pour des initiatives législatives. Si le Sénat devait attendre les résultats du Forum, il ne pourrait plus rien entreprendre sur le plan législatif. M. Moureaux se prononce dès lors en faveur de la poursuite des débats sans perdre de vue les travaux du Forum.

Sur le fond, il ne soutient pas totalement l'accord du 26 avril 2002 en ce qui concerne entre autres la réforme du système bicaméral, qui a été inclue dans l'accord gouvernemental de juillet 2003. Il partage l'idée que la navette entre la Chambre des représentants et le Sénat doit être allégée. Ce qui irrite le gouvernement et a amené le premier ministre à proposer cette réforme, est la facilité avec laquelle des projets de loi peuvent être évoqués. Le gouvernement est obligé de tenir compte de la navette pour tout projet de loi. Le retard ainsi causé se fait surtout sentir pour les projets de loi-programme qui sont déposés à la dernière minute. L'intervenant avoue que cette méthode de travail n'est pas convenable. En effet, elle oblige les parlementaires de la majorité à approuver ces projets sans examen approfondi par peur de découvrir des fautes, alors que les membres de l'opposition votent contre par principe.

Si l'on parvenait à rendre la procédure de l'évocation plus stricte et à délimiter mieux les textes qui doivent être adoptés par les deux Chambres, l'évaluation de la législation pourrait être réservée au Sénat. À partir du moment où la Chambre a la voix définitive pour la législation ordinaire, elle devra se rendre compte que l'autre chambre, à savoir le Sénat, pourra ultérieurement effectuer une évaluation de la qualité des lois adoptées par la Chambre.

M. Hugo Vandenberghe s'oppose à l'argument selon lequel le Sénat évoquerait un nombre trop important de projets de loi. Au cours de la présente législature, plus de la moitié des projets transmis par la Chambre n'ont pas été évoqués.

Mme de T' Serclaes peut se rallier aux considérations de M. Moureaux ainsi qu'à sa proposition de réserver au Sénat en contrepartie d'une perte d'attributions législatives la compétence en matière d'évaluation de la législation. Le Sénat serait « l'épéé dans les reins » lorsque la Chambre adopte dans la précipitation et sous la pression du gouvernement des propositions et des projets de loi.

En ce qui concerne les lois-programmes, M. Vankrunkelsven constate que plusieurs intervenants les citent en exemple pour illustrer la négligence qui caractérise parfois le travail législatif. Ne serait-il pas préférable, dès lors, de préciser dans la loi ce qui peut être réglé par une loi-programme et ce qui ne le peut pas ?

Il constate par ailleurs qu'avec l'examen de ces deux textes, la commission empiète déjà sur le terrain de la discussion imminente sur l'avenir du Sénat.

Sur le fond, il peut difficilement admettre l'idée que l'évaluation de la législation doive être confiée exclusivement au Sénat. Si l'on accorde à la Chambre la primauté sur le plan législatif, sans lui confier la moindre compétence en matière d'évaluation de la législation, on risque de faire apparaître, entre la Chambre et le Sénat, une antithèse qui compliquera le fonctionnement du bicaméralisme.

M. Delpérée réplique que l'assemblée qui pourra évaluer la législation qu'elle a adoptée aura peut-être tendance à émettre un jugement plutôt bienveillant sur sa propre œuvre.

M. Collas craint que si l'on procède vers un « Sénat des communautés et des régions », les sénateurs de communauté ne puissent pas assumer à fond et convenablement les tâches qui seront attribuées au Sénat.

Le secrétaire d'État à la Simplification administrative se réjouit du constat, tous partis confondus, selon lequel la qualité de la législation est susceptible d'amélioration. Cette tâche incombe non seulement au parlement, mais aussi au gouvernement. Ce dernier a développé à cet effet le « test Kafka », qui devrait devenir à terme une évaluation de la législation ex ante.

L'intervenant pense, comme M. Van den Brande, que ce n'est pas tellement la quantité de la législation qui est ici en cause. L'on peut d'ailleurs se demander, à ce propos, s'il pourrait en aller autrement dans une société complexe comme la nôtre. Quoi qu'il en soit, le but n'est pas d'en arriver à une vaste opération de dérégulation.

L'intervenant invite chacun à aborder cette question non pas en termes de majorité contre opposition, mais par voie de consensus.

Pour ce qui est du débat de la réforme du Sénat dans le cadre du Forum institutionnel, il demande avec insistance de ne pas faire le lien entre, d'une part, ce qui se déroule au sein du Forum et, d'autre part, le traitement des deux initiatives législatives à l'examen. Les deux textes en question ont été élaborés en fonction de la répartition actuelle des compétences entre la Chambre et le Sénat.

En ce qui concerne la proposition de loi de M. Hugo Vandenberghe, le gouvernement estime que le texte présente deux lacunes importantes.

Premièrement, la proposition de loi aborde l'évaluation de la législation sous un angle purement juridique. Lorsqu'on évalue la qualité d'une loi, il faut vérifier par exemple dans quelle mesure celle-ci est respectée sur le terrain et quels facteurs contribuent à son respect ou, au contraire, le rendent plus difficile ou y font obstacle. Une telle évaluation dépasse le seul aspect juridique.

Un deuxième problème tient au fait que la proposition de loi donne au Sénat le monopole de l'évaluation de la législation. Dans la thèse qu'il a présentée en 2002, M. Koen Van Aeken a expliqué à ce sujet que l'évaluation de la législation est absolument conforme au rôle de chambre de réflexion qui est celui du Sénat, mais qu'il paraît logique, dans le système bicaméral en vigueur, que les deux Chambres responsables de la législation soient associées à une évaluation du processus législatif. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a promis de soutenir la proposition de loi de M. Bacquelaine, qui confie l'évaluation de la législation à un comité composé paritairement de sénateurs et de députés (doc. Chambre, nº 51-29/1).


La commission décide d'organiser des auditions afin de voir comment se passe l'évaluation de la législation à l'étranger.

Elle décide également d'annexer au rapport les notes du Service d'évaluation de la législation du Sénat (1) .


IV. AUDITIONS

Le 18 mars 2005, la commission a organisé des auditions au cours desquelles elle a entendu, le matin, les magistrats à la tête de la Cour d'arbitrage, de la Cour de cassation et du Conseil d'État et, l'après-midi, divers universitaires spécialisés en évaluation de la législation.

A. Magistrats

1. Exposés

— M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage

— M. Jean Spreutels, juge à la Cour d'arbitrage

— M. Marc Lahousse, premier président de la Cour de cassation

— M. Marc De Swaef, procureur général près la Cour de cassation

— M. Robert Andersen, président du Conseil d'État

— M. Philippe Bouvier, auditeur général au Conseil d'État


1.1. M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage

L'évaluation de la législation, vue sous l'angle de la Cour d'arbitrage

1. Une tâche délicate

C'est une tâche particulièrement délicate pour moi, en tant que membre de la juridiction chargée du contrôle de la constitutionnalité des normes législatives, de présenter un « exposé » dans un « séminaire public » organisé par un législateur au sujet d'initiatives législatives relatives à la création de formes institutionnelles d'évaluation de la législation.

C'est donc uniquement à titre personnel et nullement en tant que président de la Cour d'arbitrage que je prends part aux travaux. Je le fais toutefois, en ma qualité de sénateur honoraire, avec un sentiment particulier de reconnaissance pour l'expérience considérable qu'il m'a été donné d'acquérir lors des travaux de la commission des Affaires institutionnelles et de la Révision de la Constitution ainsi que de la commission de la Justice auxquels j'ai été associé précédemment.

Le caractère délicat de mon intervention réside dans le fait que je respecte le principe aux termes duquel un juge doit s'abstenir de tout commentaire sur les sentences qu'il prononce mais que, dans le même temps, je suis invité à donner mon avis sur les textes à l'examen à la lumière de mon expérience à la Cour d'arbitrage.

2. Le contrôle de constitutionnalité dont est chargée la Cour d'arbitrage est-il une forme d'évaluation législative ?

Selon le sénateur H. Vandenberghe, l'évaluation législative consiste à « apprécier les lois en fonction de certains critères ». Selon un autre extrait de l'exposé introductif de l'auteur principal de la proposition visant à créer une Cellule d'évaluation de la législation figurant dans le rapport du Sénat (doc. Sénat, 1998/1999, nº 1-955/3, p. 11),

« ces critères ou exigences de qualité ne doivent toutefois pas être limités à un ensemble de techniques juridiques. En effet, le droit n'est pas une technique, mais un art, — ars aequi et boni. Le droit, c'est la recherche permanente d'un équilibre, la recherche de la justice [...] ».

Vue sous cet angle, la mission d'appréciation de la Cour d'arbitrage pourrait en quelque sorte être considérée elle aussi comme une forme d'évaluation législative.

Il existe, bien entendu, des différences essentielles mais aussi certaines similitudes:

— la mission de la Cour d'arbitrage se limite à un contrôle en fonction des règles répartitrices de compétences et des droits et libertés fondamentaux garantis par le Titre II de la Constitution ainsi que par les articles 170, 172 et 191 de celle-ci et porte par ailleurs sur toutes les normes ayant force de loi, qu'elles émanent de l'autorité fédérale ou d'une entité fédérée;

— la Cour d'arbitrage est consultée le plus souvent sur l'une ou l'autre disposition et plus rarement sur l'ensemble des dispositions d'une loi; or, l'intervention du Comité parlementaire chargé du suivi législatif serait elle aussi largement tributaire de requêtes qui pourraient être limitées et pourraient donner lieu à une réponse partielle, alors qu'il va sans dire que la procédure d'évaluation proposée devrait, conformément à son objectif, avoir une large portée afin de rétablir une approche synthétique, cohérente, dans la législation;

— Toutefois, l'examen et/ou l'appréciation d'une norme déterminée s'inscrivent toujours dans un cadre plus large. À l'instar de nombreux arrêts, les examens et rapports envisagés feront référence à un ou plusieurs objectifs et/ou conceptions sociales du législateur concerné.

Tout comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui se caractérise par une interprétation évolutive des droits fondamentaux, le contrôle réalisé par la Cour d'arbitrage tend à dépasser les limites strictes du domaine purement juridique; mais n'est-ce pas là précisément la finalité d'une évaluation législative complète telle qu'elle est envisagée dans les rapports parlementaires qui ont précédé les textes à l'examen, bien plus que dans ces textes eux-mêmes ?;

— contrairement aux propositions formulées en matière d'évaluation législative, les recours en annulation devant la Cour d'arbitrage doivent être introduits dans les six mois de la publication de la norme attaquée au Moniteur belge. En revanche, en ce qui concerne toutes les normes ayant force de loi, des questions préjudicielles peuvent être posées de longues années après leur promulgation. Et ce n'est pas tout: à l'heure actuelle, lorsqu'une violation est constatée, quiconque justifiant d'un intérêt peut introduire un recours en annulation de la norme concernée (article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, inséré par la loi spéciale du 9 mars 2003).

3. Différence en termes de résultat

La grande différence entre la Cour d'arbitrage et les institutions d'évaluation de la législation réside dans le résultat de leur activité respective.

Alors qu'en termes de résultat, la Cour d'arbitrage est censée se prononcer sur le maintien ou l'applicabilité d'une norme législative, les formes proposées en matière d'évaluation législative aboutissent à des « rapports » et, éventuellement, à des propositions de consensus.

D'un côté comme de l'autre, la règle est assurément la même: la quantité est l'ennemie de la qualité.

En fin de compte, seule la qualité des rapports ou des propositions pourra générer « l'autorité morale » requise pour avoir un impact effectif sur la législation.

Il ne m'appartient pas d'émettre un jugement de valeur sur la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, mais j'ose croire que la crainte du législateur, lors de la création de la Cour, de voir celle-ci s'ériger en un « gouvernement des juges » a manifestement fait place à la confiance, ce qui s'est concrétisé notamment par un élargissement des compétences de la Cour en 1988-1989 et en 2003 (2) .

Tous les arrêts de la Cour d'arbitrage sont publiés par extrait au Moniteur belge et portés dans leur intégralité à la connaissance des pouvoirs législatif et exécutif. Les arrêts sont exécutoires de plein droit. Selon l'article 115 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le Roi assure l'exécution des arrêts.

Quant à la suite concrète à donner aux arrêts de la Cour d'arbitrage, non seulement elle dépend de l'annulation prononcée ou non ou de la violation constatée ou non, mais elle peut aussi être spécifique pour chaque arrêt. La motivation sera le plus souvent un des éléments déterminants, a fortiori lorsque la constitutionnalité est uniquement admise sous réserve d'une interprétation déterminée ou lorsqu'il est question de lacunes dans la législation.

Il est curieux de constater qu'il ne faut pas nécessairement une modification formelle de la loi pour donner suite à un arrêt de la Cour d'arbitrage: ainsi, le ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l'administration a-t-il pris, par la circulaire nº 523, la décision suivante:

« Par son arrêt nº 82/2002 du 8 mai 2002, la Cour d'arbitrage a décidé que dans l'un et l'autre cas, qu'il s'agisse de la loi de 1967 ou de celle de 1971, il fallait, pour qu'il n'y ait pas de discrimination, que « les intérêts en cause prennent cours à la date à laquelle le droit aux indemnités est né. C'est cette interprétation qu'il conviendra de suivre désormais. Les intérêts sont donc dus dès la date de consolidation. » (Moniteur belge du 19 juin 2002).

Vu son importance, la question de la suite donnée aux arrêts sera commentée plus particulièrement par le juge et professeur J. Spreutels.

4. La Cour d'arbitrage est certainement demandeuse de formes d'évaluation législative ex ante

Les textes légaux proposés ne font pas explicitement référence à une évaluation législative ex ante. Or, d'après les travaux préparatoires, une grande attention y a été consacrée et il n'y a manifestement pas encore de consensus sur la question de savoir s'il faut retenir la forme d'évaluation législative ex ante. Pour le fonctionnement de la Cour d'arbitrage, ce serait un cadeau plus que bienvenu.

Le raisonnement — désormais un peu mieux connu — suivi lors de l'élaboration des arrêts de la Cour d'arbitrage sur le contentieux relatif à l'égalité et à la non-discrimination montre combien il est important:

— que l'objectif de la législation concernée soit formulé en termes précis;

— que la pertinence du critère de distinction pour la différence de traitement soit démontrée;

— que l'on puisse procéder à une estimation exacte des conséquences en fonction de l'objectif.

En complément des initiatives du gouvernement relatives à la fiche d'impact administratif et au test concernant les charges administratives, dont le secrétaire d'État à la Simplification administrative, adjoint au premier ministre, a fait mention dans son exposé lors de l'examen de la proposition de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif (doc. Chambre, 51-0029/009, p. 11), on pourrait exiger la rédaction d'un rapport décrivant avec précision l'objectif, la justification raisonnable et les conséquences escomptées de la norme législative, à l'instar des rapports d'incidence sur l'environnement requis à titre préalable.

Ainsi, en cas de litige devant la Cour d'arbitrage, le premier moyen de défense de la norme serait disponible d'emblée. Ce serait aussi une manière d'inciter les parlements à défendre eux-mêmes leur cause devant la Cour d'arbitrage. À l'heure actuelle, ce sont le plus souvent le Conseil des ministres fédéral ou les gouvernements des entités fédérées qui assurent la défense de la norme.

5. Qu'en sera-t-il en cas de procédures d'évaluation législative concomitantes ?

Il se pourrait que tant le Comité parlementaire que la Cellule d'évaluation de la législation et la Cour d'arbitrage examinent en même temps la même norme législative. Il serait regrettable que des juges, forts de leur expertise, rendent une décision qui s'avérerait par la suite contraire à un rapport d'évaluation législative publié pendant la même période ou non et rédigé sur la proposition d'experts.

Pourrait-on conclure des accords pour éviter d'en arriver là ?

6. Disponibilité de l'information

L'élaboration d'une norme législative suppose la rédaction d'un grand nombre de documents préparatoires. Lorsqu'il s'agit d'une initiative « purement » parlementaire, tous les documents sont censés être disponibles, à savoir la proposition comprenant des développements, les amendements avec justification, les rapports de commissions et les annales parlementaires. Lorsqu'il s'agit de projets gouvernementaux, il y a en principe différents stades de concertation préalable au cours desquels on recherche en cercle fermé des textes sur lesquels la majorité gouvernementale peut marquer son accord.

À ce stade du processus de décision, la collaboration d'experts internes et/ou externes est déjà sollicitée à plusieurs reprises.

Lorsque ces textes sont examinés au cours de réunions parlementaires aussi, il n'est pas rare que des experts internes rédigent des textes d'évaluation législative à l'intention soit de la présidence de l'assemblée ou de la commission, soit de l'administration.

Dans quelle mesure ces documents ainsi que d'autres documents non publics peuvent-ils être mis à disposition lors de l'évaluation législative ?

À cet égard, on peut se demander si les travaux du Comité parlementaire et/ou de la Cellule d'évaluation de la législation auront un caractère ouvert ou fermé.

Quoi qu'il en soit, la Cour d'arbitrage ne peut utiliser que les documents qui lui sont soumis par les parties ou qui sont publics et peuvent donc être connus de tous.

7. Collaboration entre les parlementaires et les experts

Il ressort de l'expérience de la Cour d'arbitrage, dont chaque groupe linguistique est composé paritairement, d'une part, de juges qui sont d'anciens parlementaires et, d'autre part, de magistrats issus des plus hautes juridictions ainsi que de professeurs, qu'en matière d'évaluation législative, pareille parité permet de concilier une approche strictement juridique avec une approche socialement pertinente.

À la Cour d'arbitrage, cette synthèse des approches est facilitée par le fait que les juges et les référendaires proviennent d'horizons différents. On pourrait dire qu'à la Cour d'arbitrage, le processus décisionnel est fondé, dans une certaine mesure, sur l'expérience réunie du Parlement, du Conseil des ministres, de la Cour de cassation, du Conseil d'État et des facultés de droit. Peut-être ce modèle comporte-t-il des éléments qui pourraient faire l'objet d'une collaboration entre experts au sein des organes d'évaluation législative. Des référendaires de la Cour d'arbitrage, des membres de l'auditorat du Conseil d'État, des référendaires de la Cour de cassation, des juristes des cours et tribunaux, entre autres, ne pourraient-ils pas être mis temporairement ou en permanence à la disposition des organes d'évaluation législative ?

Mon expérience de l'expertise à la Cour d'arbitrage m'a amené à l'apprécier à sa juste valeur. Sans elle, l'exécution de certaines tâches serait ardue, voire parfois trop ardue. Il faut toutefois souligner qu'un recours abusif aux experts risque de provoquer un glissement des responsabilités. L'expert fournit des instruments techniques et s'abstient de toute immixtion dans la prise de décisions. Le Parlement s'est gardé de conférer un véritable pouvoir décisionnel à des personnes qui ne pourraient pas être appelées à se justifier d'une manière démocratique ou ne pourraient l'être que difficilement.

Dans les textes à l'examen — abstraction faite de tout formalisme — ce n'est pas le processus décisionnel mais bien la décision sur les mesures prises qui incombe aux parlementaires. Un problème ne se pose-t-il pas en l'espèce si les parlementaires sont confrontés après un certain temps aux mêmes textes de loi que ceux qu'ils ont proposés, amendés, défendus ou combattus et qu'ils ont fini par adopter ou non ?

8. Prise en considération de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage

Le rapport rédigé par M. Caluwé au nom de la commission sénatoriale des Affaires institutionnelles concernant le projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative fait brièvement référence à la Cour d'arbitrage au chapitre 4, § 1er, de la partie IV relative à la discussion du projet de loi, en constatant que la Cour ne rédige pas de rapport annuel mais que les arrêts sont publiés au Moniteur belge (doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-955/3, p. 54).

En 2004, la Cour d'arbitrage, mue par un souci d'évaluation et d'ouverture, a pris l'initiative de publier un rapport annuel.

Alors que le projet en discussion ne fait pas spécifiquement référence à la Cour d'arbitrage, le projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, en revanche, évoque explicitement la Cour d'arbitrage, en particulier les articles 9 et 10.

En ce qui concerne l'article 9 de ce deuxième projet, permettez-moi de citer l'extrait suivant de l'exposé des motifs:

« Le texte proposé prévoit la désignation d'un rapporteur afin d'informer la Chambre et le Sénat de la nécessité de modifier la législation incriminée en tout ou en partie par le juge constitutionnel ». (doc. Chambre, SE. 2003, doc. 51-0029/001 p. 16)

Nous supposons que ce texte ne doit pas être interprété d'une manière trop littérale.

Selon le texte des articles 9 et 10, l'objectif serait double.

D'une part, le Comité prendrait en considération une fois par mois, dans un rapport, les arrêts de la Cour d'arbitrage qui — je cite un extrait de l'alinéa 1er de l'article 9 — « ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique ».

Selon l'article 6 de la même proposition de loi Bacquelaine (amendée), le Comité pourra donner la priorité à l'évaluation de lois dont — je cite — « l'inapplicabilité perturbe gravement la bonne marche de l'ordonnancement juridique ». On peut comprendre qu'un membre de la commission de la Chambre ait demandé des éclaircissements sur ce membre de phrase. L'intervenant a poursuivi son intervention en posant la question complémentaire suivante: « Une disposition contraire aux principes fondamentaux comme le principe d'égalité recevra-t-elle un examen prioritaire ? » (doc. Chambre, S.E. 2003, 51-0029/009, p. 28).

Ces questions sont visiblement restées sans réponse. Pourtant, il serait indiqué de préciser davantage le contexte et la signification exacte des libellés respectifs des articles 6 et 9.

Pour conclure, je voudrais citer une remarque figurant dans les développements de la proposition de loi Bacquelaine:

« Au surplus, la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage fait très peu de cas de la communication entre le géniteur et le censeur des textes légaux. La présente proposition prévoit de pallier cette lacune. » (doc. Chambre, SE. 2003, 51-0029/001, p. 9).

À supposer que cela soit conciliable avec le principe de la séparation ou plutôt de l'équilibre des pouvoirs, rien n'indique que cette suggestion ait été retenue dans la suite de la discussion ou les autres textes. Pour le reste, à l'exception des arrêts, l'expertise que la Cour d'arbitrage a acquise resterait pour ainsi dire confinée à l'intérieur de l'institution.

On pourrait s'inscrire en faux contre cette affirmation, compte tenu, notamment, des fonctions que des juges et des référendaires occupent dans l'enseignement et de leurs publications. À cet égard, ils maintiennent en général une distinction particulièrement subtile entre l'expertise et la discrétion que requiert la fonction.

Comme je l'ai dit, le professeur J. Spreutels interviendra plus loin au sujet de la suite donnée aux arrêts de la Cour d'arbitrage. Il se penchera donc aussi sur l'article 10 du texte à l'examen.

1.2. M. Jean Spreutels, juge à la Cour d'arbitrage

La nécessité de modifier les lois à la suite des arrêts de la Cour:

Communication au Sénat (article 10 du projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif (3)

1. La mesure dans laquelle les chambres législatives donnent une suite aux arrêts de la Cour est une donnée empirique qui ne peut être approchée qu'en examinant, arrêt par arrêt, quelle décision la Cour a prise et quels en ont été les effets (4) .

La définition de sa mission par le législateur spécial implique que celle-ci prend fin lors du prononcé et de la publication de l'arrêt. La Cour n'est appelée ni à intervenir dans les suites qui lui sont réservées ni à contrôler si ces suites sont conformes à la décision qu'elle a prise à moins que, comme cela est arrivé dans quelques affaires, une loi nouvelle soit adoptée à la suite de l'arrêt et que cette loi nouvelle fasse à son tour l'objet d'un recours en annulation ou d'une question préjudicielle.

Encore la Cour n'aura-t-elle pas à vérifier, dans cette hypothèse, la mesure dans laquelle il a été tenu compte de sa décision portant sur l'ancienne législation; il lui appartiendra, en revanche, de vérifier si les nouvelles dispositions sont conformes aux normes de référence qu'elle est habilitée à faire respecter.

2. Cela dit, l'intention du législateur spécial de voir qu'une suite soit réservée aux arrêts de la Cour apparaît des dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 qui règlent les effets des arrêts, en y distinguant les arrêts prononcés sur recours en annulation de ceux prononcés sur question préjudicielle.

Il peut, à première vue, être tentant de considérer que les arrêts qui, accueillant un recours, annulent une disposition législative sont ceux auxquels le législateur se doit de réagir, probablement sans délai, même s'il est vrai que la Cour peut maintenir provisoirement tous ou certains des effets d'une disposition annulée pour éviter un trouble trop important dans l'ordre juridique. Il reste que la disposition annulée disparaît de l'ordre juridique, qu'elle est même, par l'effet rétroactif de l'arrêt, censée ne jamais avoir existé et que les actes, règlements, décisions et jugements qui se fondent sur la loi annulée peuvent faire l'objet de recours. Ni les arrêts rendus sur question préjudicielle ni, bien sûr, ceux rejetant un recours en annulation ne produisent un tel effet.

3. Un examen plus attentif fait cependant apparaître que bon nombre d'arrêts de la Cour peuvent être de nature à requérir une suite législative.

Paradoxalement, certains arrêts d'annulation peuvent ne requérir aucune suite parlementaire. Ainsi, certaines lois amputées d'une partie de leurs dispositions peuvent parfaitement continuer à s'appliquer, ou continuer à s'appliquer dans l'avenir lorsque la Cour se borne à en censurer l'effet rétroactif. Il est arrivé que des mesures réglementaires suffisent à rétablir une situation critiquée par la Cour.

L'examen de la motivation et du dispositif de chaque arrêt doit indiquer quelle est la suite que devraient lui réserver les assemblées législatives. Les développements de la proposition de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif n'expriment pas autre chose lorsqu'ils indiquent, à propos de l'article 10, que le Comité aura pour objectif de dégager « les arrêts du juge constitutionnel qui sont susceptibles de porter préjudice à l'efficacité et à la cohérence de l'ordonnancement juridique » (Doc. parl., Chambre, 2003, doc. 51-0029/001, p. 16).

Tel est le cas des arrêts qui, rendus sur question préjudicielle, décident qu'une disposition législative est contraire à une norme de référence. La loi spéciale prévoit que les arrêts sur question préjudicielle s'imposent au juge qui a posé la question préjudicielle ainsi qu'à ceux qui, en appel par exemple, auraient à connaître de la même espèce. S'il est vrai que, dans cette hypothèse, la disposition législative continue d'exister et peut continuer à être appliquée par les juges voire par l'administration, il reste que son intégrité est atteinte et que le constat de violation va pouvoir se répandre par le biais, notamment, de la jurisprudence puisque les juges sauront que leurs décisions pourraient faire l'objet de recours si elles sont fondées sur des dispositions que la Cour a jugées contraires à la Constitution.

À vrai dire, même des arrêts qui décernent un brevet de constitutionnalité — que ce soit par un constat de non-violation à titre préjudiciel ou même par le rejet d'un recours en annulation — pourraient requérir une intervention du législateur qui, par exemple, estimerait que tel élément de la motivation ne correspond pas à la conception qu'il se fait de telle ou telle matière et qui jugerait par conséquent nécessaire d'intervenir d'une manière ou d'une autre. Tel est particulièrement le cas dans l'hypothèse où la Cour décide qu'une disposition viole la Constitution si elle est interprétée dans tel sens mais est conforme à la loi fondamentale si elle est interprétée dans un sens différent. Il appartient alors au législateur de vérifier si l'interprétation conforme que la Cour a adoptée (et que les juridictions pourront ou devront faire leur pour pouvoir appliquer cette loi) correspond à l'opinion qu'il se fait de la matière réglée par cette loi, voire d'autres lois que la Cour aurait prises en compte dans sa motivation.

4. En évoquant, à l'instant, la conception ou l'opinion que le législateur se fait des matières qu'il règle, l'on touche à la partie centrale de la question des suites qu'il réserve aux arrêts de la Cour. Il s'agit en effet d'une question d'opportunité, relevant du pouvoir d'appréciation dont il dispose en tant qu'assemblée élue. Le débat très actuel relatif à l'arrêt nº 73/2003 relatif à la législation électorale dans l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde le montre suffisamment.

Une question politique sensible fut celle du Pacte culturel (5) dont une disposition fut jugée discriminatoire par trois arrêts de la Cour rendus sur question préjudicielle (6) parce qu'elle « emport(ait) inévitablement que des agents puissent se voir défavorisés, en dépit de leurs mérites, en raison de leurs convictions idéologiques ou philosophiques » (7) . Malgré le dépôt d'une proposition de loi destinée à abroger la loi en se référant à l'arrêt (8) et à permettre, de plus, aux autorités investies du pouvoir de nomination, de savoir quelle attitude adopter lorsqu'elles exercent leurs compétences, la loi du 16 juillet 1973 n'a, à ce jour, pas été modifiée.

Dans un autre domaine, en revanche, la Cour a rendu un arrêt (9) jugeant discriminatoires les dispositions de la loi du 21 décembre 1998 relative à la sécurité lors des matches de football en tant qu'elles s'appliquent de manière identique aux majeurs et aux mineurs. Cet arrêt fut rendu au moment même où le législateur apportait diverses modifications à la loi après deux années d'application de celle-ci. Des amendements furent déposés et adoptés en vue de répondre à l'arrêt de la Cour ... qui est maintenant saisie d'un nouveau recours en annulation contre la loi modificative (10) .

Les exemples pourraient être multipliés. Il est intéressant de constater que si les décisions de la Cour s'abstiennent évidemment d'indiquer au législateur quelle mesure devrait être adoptée pour réparer l'inconstitutionnalité qu'elles dénoncent, leur motivation et leur dispositif peuvent, en indiquant en quoi consiste l'inconstitutionnalité, faire apparaître en filigrane la manière d'y remédier. L'arrêt nº 202/2004 en fournit un exemple récent lorsque la Cour annule des dispositions de la loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche, mais uniquement en ce qu'elles ne prévoient pas que la mise en œuvre des méthodes d'observation et d'infiltration est contrôlée par un juge indépendant et impartial. Et la Cour d'ajouter (B.29) que les dispositions attaquées « pourront être intégralement reprises, tant en ce qui concerne les méthodes qu'elles organisent qu'en ce qui concerne la confidentialité qui les entoure, pour autant que le législateur leur ajoute la désignation du juge, offrant toutes les garanties d'impartialité, auquel sera confié le contrôle de légalité ». L'arrêt maintient en outre les effets des dispositions annulées pendant le temps nécessaire au législateur pour instaurer, avant le 31 décembre 2005, le contrôle de légalité auquel l'arrêt se réfère.

5. Des exemples récents semblent indiquer que le législateur et le gouvernement ont considéré que les arrêts de la Cour n'étaient pas suffisamment suivis des effets qu'ils supposaient. Dans sa rédaction initiale, l'article 4 de la loi spéciale prévoyait en effet une réouverture des délais de recours en annulation contre les dispositions législatives dont la Cour constatait, dans un arrêt rendu sur question préjudicielle, qu'elles violaient les normes de contrôle qu'elle est habilitée à faire respecter. La loi spéciale limitait cependant la faculté d'introduire ce recours en annulation aux seuls gouvernements. Elle ne fut appliquée que de manière exceptionnelle et le législateur spécial décida, en 2003, d'ouvrir cette possibilité de recours aux présidents des assemblées législatives à la demande de deux tiers de leurs membres ainsi qu'à toute personne justifiant d'un intérêt (11) . À ce jour, il a déjà été fait plusieurs fois usage de cette possibilité.

6. Le gouvernement s'est lui aussi penché sur ces questions puisque des décisions récentes du Conseil des ministres chargent la Chancellerie du premier ministre d'attirer l'attention des membres du gouvernement sur les arrêts de la Cour censurant des dispositions législatives et prévoient, notamment, l'élaboration de projets de lois dites « de réparation » qui, selon le cas, seraient déposés sous forme globale lorsqu'il s'agit d'adaptations techniques (un premier avant-projet serait déjà élaboré) ou sous forme individuelle lorsqu'ils soulèvent des questions de principe (12) . Ces décisions prévoient aussi que soit communiqué aux membres du gouvernement l'inventaire dressé et mis à jour par le service juridique de la Chambre et portant sur les arrêts de la Cour censurant des dispositions législatives et sur les éventuelles réactions du législateur. Cet inventaire constitue vraisemblablement un prolongement de celui figurant en annexe d'un « Précis de droit parlementaire » réalisé par le service juridique de la Chambre des représentants et consacré à l'influence des arrêts de la Cour d'arbitrage sur le travail parlementaire (13) . Il est intéressant d'observer à cet égard que la banque-carrefour de législation mise sur pied récemment (14) pourrait constituer également un instrument permettant d'identifier les arrêts de la Cour requérant une suite législative.

7. Ces éléments montrent que le suivi des arrêts de la Cour fait désormais partie des préoccupations du législateur et il y a lieu de s'en réjouir.

Par ailleurs, il n'est sans doute pas sans intérêt de constater que la doctrine s'est déjà penchée sur les contours d'une éventuelle responsabilité de l'État législateur dans la mesure où une inconstitutionnalité pourrait devenir une faute en l'absence d'adaptation législative dans un délai raisonnable. Les cours et tribunaux ont déjà rendu certaines décisions en ce sens (15) .

La question mérite donc l'intérêt qu'y porte le législateur et dont témoignent également le projet et la proposition de loi à l'ordre du jour des travaux de votre Commission. Il appartient, en effet, au législateur de mettre un terme à l'insécurité juridique qui peut résulter de ce qu'une loi ait été jugée contraire à la Constitution. La motivation de l'arrêt constitue à cet égard, pour le législateur, un instrument utile qui lui permet de savoir, dans le cas d'espèce comme de manière générale, où la Cour place la frontière de la constitutionnalité, voire d'y trouver, lorsque cette frontière a été dépassée, comment cette constitutionnalité peut être restaurée.

1.3. M. Marc Lahousse, premier président de la Cour de cassation

M. Lahousse déclare ne pas pouvoir prendre la parole en sa qualité de premier président de la Cour de cassation. En effet, la Cour ne peut assumer des engagements dont l'exécution est susceptible de la mettre ultérieurement dans une situation de dépendance vis-à-vis du pouvoir législatif ou exécutif.

C'est pourquoi, par exemple, M. Hugo Vandenberghe, dans sa proposition de loi, charge non le premier président de la Cour, mais le procureur général près la Cour de cassation d'adresser un rapport au parlement et au gouvernement.

1.4. M. Marc De Swaef, procureur général près la Cour de cassation

1. Dans son Éloge des juges écrit par un avocat, Piero Calamandrei souligne que dans l'État de droit, qui est fondé sur la séparation des pouvoirs, la chose judiciaire doit rester strictement dissociée de la politique. La politique, poursuit-il, précède la loi dans la mesure où elle est le siège de la fièvre créatrice qui permet à une loi de naître, mais, une fois que la loi existe, le juge ne peut plus avoir d'yeux que pour elle. Il doit non seulement l'appliquer, mais aussi l'enrichir.

À mon sens, le pouvoir judiciaire doit veiller à cet égard à interpréter les règles de droit de manière telle qu'elles ne deviennent pas inopérantes et à apporter aux justiciables et à la société, grâce aux instruments dont il dispose, des réponses et des solutions acceptables et mesurées. Cet exercice n'est pas toujours évident et il est par conséquent dans l'intérêt de chacun qu'il y ait une évaluation de la législation.

Je m'attellerai, dans mon bref exposé, d'une part, à commenter le modèle existant d'évaluation de la législation par le parquet de la Cour de cassation et, d'autre part, à confronter celui-ci avec le nouveau système envisagé, qui ne concerne, il est vrai, que la législation fédérale.

2. Les deux initiatives législatives qui nous intéressent aujourd'hui ne sont pas les premiers textes à prévoir une intervention du pouvoir judiciaire dans l'évaluation de la législation. En effet, il y a eu d'abord une circulaire qui fut émise le 28 octobre 1846 par le baron d'Anethan, le ministre de la Justice de l'époque, dans laquelle celui-ci invitait le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d'appel à établir chaque année, dans la mesure du possible, un rapport sur les affaires « à l'occasion desquelles on aurait reconnu l'insuffisance ou les défauts de la législation en vigueur. » Ce système d'évaluation de la législation ne semble toutefois pas avoir donné lieu à l'établissement d'un grand nombre de rapports. En effet, le procureur général près la Cour de cassation n'en a émis qu'un seul en application de cette circulaire, et ce, en 1847. Il y a eu ensuite, plus d'un siècle plus tard, une circulaire qui fut émise le 26 juillet 1956 par M. Lilar, le ministre de la Justice de l'époque, dans laquelle celui-ci invitait le procureur général près la Cour de cassation, les procureurs généraux près les cours d'appel et l'auditeur général près la Cour militaire, à rédiger, en se fondant sur leurs constatations, un rapport concernant les manquements ou les lacunes de la législation, tout en laissant ouverte la possibilité d'effectuer, au terme de l'année judiciaire, une étude globale sur ce point, comme le prévoyait la circulaire de 1846.

3. Indépendamment de ces initiatives, l'on a vu se développer une évaluation de la législation institutionnalisée mais officieuse, dans le cadre de laquelle le ministère public près la Cour de cassation joue un rôle de premier plan. Depuis l'an 2000, les rapports annuels de la Cour de cassation comportent en effet une rubrique contenant des propositions de lege ferenda. Il s'agit d'un chapitre du rapport annuel qui indique, à la lumière du fonctionnement de la cour et des arrêts rendus au cours de l'année judiciaire, les réformes législatives souhaitables. Ce chapitre énumère plus particulièrement les problèmes juridiques que la cour a rencontrés et indique aussi les problèmes résultant de divergences de jurisprudence qui engendrent l'insécurité juridique et que le législateur doit dès lors résoudre. Il signale en outre les problèmes liés au fonctionnement du pouvoir judiciaire en général et de la Cour de cassation en particulier, pour lesquels une modification législative paraît souhaitable (16) . Eu égard au principe de la séparation des pouvoirs, il va de soi que ce chapitre, qui est rédigé par le procureur général en collaboration avec les avocats généraux, n'exprime pas l'avis de la Cour et ne l'engage en rien.

En France aussi, le rapport annuel de la Cour de cassation contient d'ailleurs un chapitre intitulé « suggestions de modifications législatives ou réglementaires » qui est rédigé par le bureau de la Cour de cassation et dans lequel le ministère public près la cour peut aussi suggérer des modifications, comme il l'a fait, par exemple, dans le rapport annuel 2003.

4. On constate que, depuis que les rapports de la Cour de cassation comportent une rubrique de propositions de lege ferenda, de nombreuses propositions ont déjà été formulées. Le rapport annuel 2000 contient par exemple onze propositions; les rapports des années 2001, 2002 et 2003 en contiennent respectivement dix, neuf et treize nouvelles. Le rapport annuel 2004 à paraître prochainement en contiendra deux. L'on a en outre parfois estimé souhaitable de reprendre dans un rapport certaines propositions anciennes qui étaient restées sans suite.

Les matières sur lesquelles ces propositions portent sont variées. Elles mettent cependant l'accent sur des propositions de modification du Code judiciaire dont une part concerne l'organisation et le fonctionnement de la Cour de cassation, ainsi que la procédure devant la cour et, notamment, la procédure en matière d'assistance judiciaire. Nombreuses sont toutefois aussi les propositions concernant d'autres dispositions du Code judiciaire qui ne concernent pas spécifiquement la Cour de cassation, comme celles concernant la récusation des juges, le règlement collectif de dettes, la fixation des délais pour conclure ou la procédure de divorce.

Il convient ensuite aussi de mentionner les propositions sur les règles de procédure pénale, telles que celles relatives aux articles 443 et 447 du Code d'instruction criminelle sur les demandes en révision, aux articles 525 à 540 du même code sur les règlements de juges, à la procédure par défaut ou à la loi sur la détention préventive.

L'on peut enfin encore citer les propositions de lege ferenda relatives notamment aux affaires disciplinaires, à l'action directe du sous-traitant, au régime de protection du délégué syndical suppléant, à la protection de la jeunesse et à la législation de défense sociale.

Les suites législatives effectives de ces propositions varient cependant fortement de l'une à l'autre. Dans bien des cas, les propositions formulées par la cour dans son rapport annuel font l'objet de propositions de loi et, parfois même, de plusieurs propositions de loi consécutives. L'on peut citer, à titre d'exemple, les propositions de loi relatives à l'article 652 du Code judiciaire sur le dessaisissement du juge lorsque celui-ci néglige pendant plus de six mois de juger la cause qu'il a prise en délibéré, celles relatives au régime des délais pour conclure, celles relatives à l'article 1107 du Code judiciaire concernant la procédure qui doit être suivie en cassation après que l'on a répondu à une question préjudicielle de la cour ou encore celles relatives à l'obligation de signifier le recours en cassation, dans les affaires pénales, conformément à l'article 418 du Code d'instruction criminelle. Parmi les propositions formulées dans le rapport annuel 2000, trois ont ainsi donné lieu à une ou plusieurs propositions de loi. Pour ce qui est des années 2001 et 2002, quatre propositions de lege ferenda ont fait l'objet chacune d'une ou de plusieurs propositions de loi. Des propositions formulées dans le rapport annuel 2003, sept ont même été suivies d'initiatives législatives.

En revanche, les cas où les propositions de lege ferenda formulées à la cour par le ministère public ont vraiment donné lieu à une modification de la législation sont beaucoup moins nombreux. Trois seulement des propositions formulées dans le rapport annuel 2000 ont finalement donné lieu à une modification de la législation et une seule de celles qui ont été formulées dans le rapport annuel 2001. De même, une seule proposition de lege ferenda du rapport annuel 2002 a été suivie d'une modification légale, mais sans que l'on ait tenu compte du commentaire que contenait le rapport annuel à ce propos.

L'on peut citer, comme exemple du résultat d'un suivi positif, le fait que l'on a complété l'article 837 du Code judiciaire de manière à supprimer le caractère suspensif de la demande de récusation n'émanant d'une partie ni du ministère public. L'insertion d'un article 19ter dans la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de certains délits sexuels, a également été décidée à la suite d'une proposition formulée dans le rapport annuel 2000. Désormais, le pourvoi en cassation contre la décision de la Commission supérieure de défense sociale confirmant la décision de rejet de la demande de mise en liberté de l'interné ou déclarant fondée l'opposition du procureur du Roi contre la décision de mise en liberté de l'interné ne peut être formé que par l'avocat de l'interné.

5. J'en arrive maintenant aux deux initiatives législatives à l'examen aujourd'hui. Elles prévoient que le procureur général près la Cour de cassation et le Collège des procureurs généraux établissent un rapport annuel. De prime abord, l'on ne voit toutefois pas très bien — du moins si l'on s'en tient au texte du projet de loi nº 3-648/1 — s'il est question d'un rapport commun ou de deux rapports distincts dont l'un doit être établi par le procureur général près la Cour de cassation et par le Collège des procureurs généraux (17) . Il s'agirait en outre d'un rapport annuel. À cet égard se pose à la question de savoir si un rapport annuel est un instrument suffisant pour apporter une réponse à tous les problèmes qui se posent. Sans doute que non. Dans bien des cas, une modification légale urgente sera souhaitable, si bien qu'un rapport annuel suggérant des modifications de la législation risque en partie de courir après les faits.

Voici quatre exemples qui illustrent mon propos.

Premièrement, il y a les modifications légales qui s'imposent à la suite d'arrêts de la Cour d'arbitrage, plus précisément, d'arrêts sur une question préjudicielle et de recours en annulation. C'est ainsi qu'à la suite de l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 30 juin 2004, la modification urgente de l'article 418 du Code d'instruction criminelle concernant la notification du recours en cassation dans les affaires pénales, qu'elle y a déclaré inconstitutionnel, s'est avérée nécessaire. Il faudra également modifier d'urgence la nouvelle loi sur la circulation routière, dont certaines dispositions ont été jugées contraires à la Constitution par la Cour d'arbitrage le 23 février 2005, en particulier parce qu'elles s'appliquent à des infractions commises avant le 1er mars 2004.

Deuxièmement, il arrive que se glisse dans la législation une erreur, qu'il y a lieu de corriger d'urgence. C'est ainsi que l'article 179 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, a complété l'article 20 de la loi relative à la détention, préventive de manière telle qu'il en est devenu incohérent (18) . À l'occasion de cette modification, qui concerne l'interdiction pour l'inculpé de communiquer avec d'autres personnes que son avocat, l'on a commis une erreur au niveau des références aux divers paragraphes de cet article qui a fait disparaître la possibilité pour l'inculpé d'introduire un recours contre pareille décision du juge d'instruction.

Troisièmement, il y a les modifications légales que rendent indispensables les arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Une intervention d'urgence est aussi souvent souhaitable dans ce cas et un rapport annuel qui attirerait l'attention sur la nécessité de modifier la législation en question risquerait d'arriver systématiquement en retard. C'est ainsi que, dans son arrêt du 13 janvier 2005, la Cour européenne des Droits de l'Homme a indiqué que l'article 6, § 2, de la CEDH a été violé par la disposition de l'article 28, § 1er, b), de la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante. En vertu de cette dernière disposition, peut prétendre à une indemnité toute personne qui aura été détenue préventivement pendant plus de huit jours sans que cette détention ou son maintien ait été provoqué par son propre comportement, si après avoir bénéficié d'une ordonnance ou d'un arrêt de non-lieu, elle justifie d'éléments de fait ou de droit démontrant son innocence. Or, le fait qu'il soit prévu que, pour pouvoir prétendre à une indemnité sur cette base, la personne doit justifier d'éléments démontrant son innocence, a été considéré par la Cour européenne des Droits de l'Homme comme une atteinte à la présomption d'innocence.

Quatrièmement enfin, il convient de se demander s'il ne serait pas souhaitable d'associer régulièrement des représentants du pouvoir judiciaire à l'évaluation de la législation en vigueur avant de la modifier. Cela permettrait sans doute au législateur de mieux se rendre compte de la nécessité ou non de modifier ou d'adapter certains articles de loi. On pourrait notamment se demander ainsi s'il n'eût pas été préférable de réaliser une évaluation circonstanciée et globale du « petit Franchimont », c'est-à-dire la loi du 12 mars 1998, avant de s'atteler au « grand Franchimont », c'est-à-dire à la proposition de Code de procédure pénale.

6. Je conclurai en disant qu'il va de soi qu'une forme d'évaluation de la législation est en tout cas indispensable, comme en témoignent à eux seuls les exemples qui viennent d'être cités et les nombreuses propositions de lege ferenda qui ont déjà été formulées dans le cadre des rapports annuels de la Cour de cassation. Un rapport annuel tel que le prévoient les deux initiatives législatives sur l'évaluation de la législation qui sont sur la table, répond probablement en partie à la nécessité d'une pareille évaluation de la législation. À côté de cela continuera à se faire sentir la nécessité de prendre des initiatives en vue de modifier la législation de manière urgente et ponctuelle. Pareilles initiatives pourraient peut-être aussi être proposées par le ministère public par l'entremise du ministre de la Justice. Dans cette perspective, on attendrait évidemment du législateur qu'il donne suite rapidement aux propositions transmises.

1.5. M. Robert Andersen, président du Conseil d'État (19)

M. Andersen remplace M. Deroover, premier président du Conseil d'État, qui a été empêché in extremis. Le 22 novembre 2005, M. Robert Andersen a succédé à M. Deroover comme premier président.

1. Nécessité d'une évaluation de la législation ex ante

L'évaluation de la législation ex ante présente un intérêt primordial. Il vaut, en effet, mieux prévenir que guérir. Il vaut mieux soigner le mal à la base avant de devoir intervenir de manière chirurgicale.

La constatation a déjà été faite à plusieurs reprises — et je m'excuse de devoir le rappeler dans cette noble assemblée — que les lois sont de plus en plus mal faites. Elles deviennent des objets à jeter ou des méthodes d'expérimentation. Leur durée de vie est aussi éphémère que celle des papillons. La loi est à peine votée que déjà elle est modifiée et que des nouvelles lois sont prévues qui viendront s'y substituer.

Il est temps que l'on mette l'accent sur la nécessité impérieuse de revoir le travail législatif. Cela suppose qu'avant son élévation au statut de loi, il y ait un travail de préparation et d'élaboration, qui soit le plus soigneux et précis possible.

L'évaluation de la législation ne peut être un domaine réservé aux juristes. Loin s'en faut. L'évaluation suppose la prise en compte de tout un ensemble de données dont l'élément juridique n'est qu'un aspect.

Sans doute des efforts ont déjà été faits, nécessités par le besoin de mesurer les ressources nécessaires en vue de l'élaboration de la loi et surtout de son application concrète.

La Belgique est souvent admirée pour sa merveilleuse législation qui est trois siècles en avance sur les autres. Mais interrogé sur son applicabilité, on est obligé d'admettre que cette législation n'est même pas d'application faute de ressources suffisantes. La loi Lejeune et les lois sur la protection de la jeunesse sont de merveilleux exemples de lois que tout le monde nous envie, mais dont peu savent qu'elles ne sont pas réalistes en ce sens qu'elles n'ont qu'un effet d'annonce.

En ce moment, on envisage d'introduire un test de charge administrative ou la clause anti-kafka, ce qui exprime de manière succincte l'objectif de ce test.

Avant de se mettre au travail, le législateur devrait donc prendre en compte une multitude de données et de facteurs.

Dans la mécanique complexe du processus législatif, le Conseil d'État, et en particulier sa section de législation, jouent un rôle essentiel.

Une multitude de données et de facteurs devraient donc être prises en considération avant que le législateur ne décide d'adopter une loi. Dans l'engrenage que constitue le travail législatif, le Conseil d'État et surtout la section de législation jouent un rôle important.

Sans aborder l'apport de la section de législation, il y a lieu de rappeler, comme M. Hugo Vandenberghe l'a déjà fait, que les avis juridiques sont ce qu'ils sont. Souvent on en tient compte lorsqu'ils s'inscrivent dans les intentions de l'auteur d'un projet ou une proposition de loi, et on les critique, sinon on les voue aux gémonies, lorsqu'ils défendent une autre opinion.

Toujours est-il que le travail préparatoire effectué par la section de législation du Conseil d'État est apprécié par les hautes assemblées.

Il faudrait sans doute faire en sorte que ce travail puisse être accompli dans des conditions optimales. Qu'il soit permis de faire remarquer, à cet égard, que ce ne sont pas des lois fourre-tout ou des lois mosaïques qui sont de nature à améliorer la lisibilité et l'efficacité des textes. Et ce n'est pas non plus en impartissant au Conseil d'État des délais extrêmement brefs que l'on peut s'attendre à pouvoir disposer d'avis motivés et éclairants sur des projets de loi comptant des centaines d'articles. Dans ces circonstances, la consultation du Conseil d'État relève d'une obligation purement formelle.

2. L'évaluation de la législation ex post

Les observations qui suivront, s'inscrivent dans le commentaire que M. Andersen a eu l'honneur de présenter à cette commission, le 7 octobre 1998, à l'occasion de l'examen du projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative (voir le rapport de M. Ludwig Caluwé du 14 janvier 1999, doc. Sénat, nº 1-955/3, pp. 49-52).

Il ne fait aucun doute que le Conseil d'État est de nature à apporter aux assemblées législatives une aide précieuse dans certains domaines.

a. Bureau de coordination

À cet égard, il faut penser d'abord au bureau de coordination qui a subi récemment une cure de rajeunissement. D'aucuns, moins bien intentionnés, la qualifieront d'une cure d'amaigrissement. Toujours est-il que ce bureau a notamment pour mission de tenir à jour l'état de la législation. À cette fin, la Chambre des représentants, le Sénat, la Cour de cassation, la Cour d'arbitrage, le Conseil d'État et le gouvernement fédéral ont institué le 8 mars 2005 la Banque Carrefour de la Législation. Cette banque permettra au bureau de coordination de fournir de manière plus systématisée un ensemble de renseignements qui serait d'une grande utilité pour le travail législatif en général et pour le Sénat en particulier. Pensons notamment aux abrogations explicites et parfois implicites. En d'autres termes, tout ce qui n'est pas compatible avec une nouvelle loi, doit être abrogé. Ainsi on laisse aux juristes le soin de jouer ou bien les Cassandre ou bien Madame Soleil.

À partir de cette recherche, la possibilité se présente de mettre en exergue un certain nombre de cohérences ou d'incohérences dans la législation.

Ainsi, la Banque Carrefour de la Législation constitue une mine de renseignements qui pourrait être exploitée moyennant les ressources suffisantes. Cette remarque relève de l'évaluation ex ante. En effet, il n'est pas possible de confier à une institution de nouvelles missions si les moyens humains et autres ne sont pas mis à sa disposition.

b. Section de législation

Cette section pourrait rendre des services très utiles non seulement au stade ex ante, mais aussi au stade ex post.

M. Ph. Bouvier, auditeur général du Conseil d'État, développera ce thème plus en détail.

3. Examen des textes

a. Discrimination du Conseil d'État

Il ressort de la lecture des textes ce qui peut paraître une curiosité, voire une discrimination vis-à-vis du Conseil d'État. En effet, alors que la proposition de loi de M. Hugo Vandenberghe prévoit dans son article 4, alinéa premier, que « cette évaluation s'opère notamment sur la base de deux rapports annuels établis, d'une part, par le procureur général près la Cour de cassation et le collège des procureurs généraux et, d'autre part, par le Conseil d'État » (doc. Sénat, nº 3-464/1, p. 6), le projet de loi transmis par la Chambre n'a dans son article 11 pas retenu cette possibilité en ce qui concerne le Conseil d'État (doc. Chambre, nº 51-29/12) et ceci à la suite d'un amendement inspiré de la justification suivante: « Enfin, en ce qui concerne le Conseil d'État, il (un membre) craint qu'il (le Conseil d'État) ne puisse que répéter ce qu'il a dit dans ses avis. Une polémique ne risque-t-elle pas de naître à propos de ses avis qui n'ont pas été suivis ? Il formule dès lors des réserves à ce propos vu que le Conseil d'État est déjà intervenu a priori » (voir le rapport fait au nom du groupe de travail de la commission de révision de la Constitution chargé de l'examen de propositions concernant l'évaluation des lois par M. Borginon, doc. Chambre, nº 51-29/9, p. 34).

Outre le fait que le Conseil d'État ne consiste pas seulement en la section de législation, il ne convient pas d'assimiler une discussion juridique à une querelle entre galopins. Il est nécessaire que la section de législation puisse, fût-ce d'une manière générale, mettre en exergue certaines déficiences de la législation sans pour autant entrer dans une polémique qui n'est évidemment pas de mise en la circonstance.

La suppression de la possibilité pour la juridiction elle-même de faire des observations sur la législation qu'elle est amenée à appliquer, revient à s'opposer diamétralement au but recherché. La suppression de ce volet de la réforme serait totalement contre-productive.

b. Saisine du Comité parlementaire chargé du suivi législatif

L'article 4, alinéa premier, 2º, du projet de loi transmis par la Chambre prévoit que toute personne physique et toute personne morale de droit public ou de droit privé peut saisir le Comité afin de porter à sa connaissance des incohérences, des inadéquations ou, oserait-on le dire, des injustices auxquelles l'application de la législation peut donner lieu.

Ce souci de démocratie mérite d'être salué. Mais il faudrait se garder de susciter des espoirs qui s'avéreraient ensuite déçus. L'article susmentionné ne peut induire chez le justiciable ou l'administré la fallacieuse impression que s'ouvre ainsi à lui une voie de recours extraordinaire ou supplémentaire qui viendrait s'ajouter à celles déjà existantes. À cette fin, des filtres sont prévus. Par exemple, conformément à l'article 6, le Comité peut sélectionner les requêtes sur lesquelles portera son examen. Au surplus, aucune assurance ne peut être donnée au requérant que sa plainte sera prise en considération par le législateur.

De ce point de vue, il faut dès lors que le signal soit donné de façon à ce qu'il n'y ait pas de malentendu entre le citoyen et les élus.

4. Conclusion

Le Conseil d'État est tout à fait disposé à contribuer à l'évaluation de la législation, mais cela suppose que les moyens nécessaires à l'accomplissement de cette mission sont mis à sa disposition.

1.6. M. Philippe Bouvier, auditeur général du Conseil d'État

Réflexions en trois temps sur un thème: l'évaluation législative

Lus sous le prisme d'un pensionnaire du Conseil d'État que je suis, la proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, 2003-2004, nº 3-464/1) et le projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif (doc. Sénat, 2003-2004, nº 3-648/1) nourrissent une réflexion en trois temps. Elle est d'ailleurs largement inspirée de l'avis L.26.894/2 donné par la section de législation du Conseil d'État le 6 février 1998 sur un projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, 1997-1998, nº 1-955/1), par l'exposé de feu le Premier Président Paul Tapie fait en 1993 devant la sous-commission de la Chambre et par l'audition du Président Robert Andersen, le 7 octobre 1998, devant la commission des Affaires institutionnelles du Sénat au sujet du dernier projet cité.

1. Dans la proposition nº 3-464, l'évaluation législative ex post s'opère au départ, notamment, d'un rapport annuel établi par le Conseil d'État et contenant un relevé des normes juridiques fédérales pour lesquelles des difficultés d'application ou d'interprétation ont été rencontrées. La proposition devenue le projet nº 3-648 contenait à l'origine une disposition identique, abandonnée en cours de route par la Chambre pour une raison que l'on retrouve dans le rapport fait au nom du groupe de travail de la commission de révision de la Constitution chargé de l'examen de propositions concernant l'évaluation des lois (doc. Chambre, 2003-2004, nº 51 0029/009, p. 34). En substance, les députés ont craint que le Conseil d'État ne puisse que répéter ce qu'il a dit dans ses avis et se sont inquiétés de la survenance de polémiques alimentées par le fait que ceux-ci n'auraient pas été suivis.

Cette observation, qui n'est certes pas dénuée de pertinence, ne vaut que pour la section de législation du Conseil d'État. Elle ne concerne pas sa section d'administration. N'est-ce pourtant pas celle-ci qui, au premier chef, est amenée à déceler, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, des dispositions législatives qui posent problème ? Au reste, je n'oserais pas exclure totalement l'hypothèse où, accomplissant sa mission consultative, la section de législation pourrait s'apercevoir qu'une règle de droit positif suscite des difficultés, indépendamment du projet de texte sur lequel elle est amenée à se prononcer.

Reproduire en tout ou partie des avis de la section de législation dans un rapport destiné au Parlement serait assurément une dangereuse confusion de genres, sans parler de la circonstance que la publicité des avis connaît toujours des limites. Dès lors que le champ d'action du Conseil d'État est plus vaste, cette constatation ne suffit pas à justifier le texte finalement adopté par la Chambre des représentants.

2. Encore s'agit-il de savoir si le Conseil d'État est outillé pour accomplir l'exercice annuel dont le charge la proposition nº 3-464.

Sur le papier, cela paraît être le cas. Au regard du principe de la séparation des pouvoirs, les conseillers d'État ne sont peut-être pas les personnes les mieux indiquées pour établir le rapport. Cette position était celle de la section de législation dans son avis du 16 février 1998, même si elle n'a pas totalement convaincu les auteurs de la proposition soumise à son examen.

Il reste que l'article 119 des lois coordonnées sur le Conseil d'État le charge déjà d'établir un rapport annuel essentiellement centré sur ses activités, que l'article 76 des mêmes lois confie à l'Auditorat le soin de tenir à jour la documentation relative aux arrêts et aux avis du Conseil d'État, que la même disposition attribue à un membre de l'Auditorat la coordination du traitement de la documentation et que l'article 77 des mêmes lois charge le Bureau de coordination de tenir à jour l'état de la législation et de préparer la coordination, la codification et la simplification de la législation.

Au départ de ces instruments, le Conseil d'État ne devrait guère avoir de difficultés pour établir annuellement un inventaire des normes à problème. Ceci est malheureusement un voeu pieux. Jamais jusqu'à ce jour, il n'a disposé et ne dispose des moyens humains suffisants pour les faire fonctionner pleinement. Pire encore, si la section de législation ne connaît pas d'arriéré en dépit de périodes de travail souvent intenses, l'arriéré juridictionnel a littéralement explosé ces dernières années. Quelques chiffres. Il y a aujourd'hui plus de 40 000 affaires contentieuses en souffrance, ce qui représente, à moyens humains constants, plusieurs années de travail. Le nombre de requêtes est passé de 6 021 en 1997-1998 à 20 223 en 2000-2002 et n'est plus jamais redescendu en dessous de cette barre depuis. Le référé administratif et le contentieux des étrangers sont à l'origine de cette situation dramatique. Pour être complet, j'ajoute que le nombre de demandes d'avis avoisine les 2 000 par an.

Parmi les critères d'évaluation des lois figure celui de l'adéquation des moyens aux objectifs assignés. Le Conseil d'État n'a jamais reçu, à ce jour, des moyens proportionnels aux défis qu'il doit relever. Il serait déraisonnable de lui assigner de nouvelles tâches sans veiller à lui permettre de les accomplir toutes.

3. Le projet nº 3-648 se singularise par la faculté qu'il offre au plus grand nombre la possibilité d'évoquer les lois à problèmes au comité parlementaire qu'il institue. Cette innovation répond au souci maintes fois exprimé de ne pas limiter l'évaluation ex post aux difficultés technico-juridiques que les lois peuvent engendrer, mais également de mesurer leur impact sur les réalités sociales. L'ensemble des sources ménagées par ce projet tend à garantir une évaluation pluridisciplinaire. Cette ouverture était appelée par la section de législation elle-même dans son avis précité.

Pour autant, et comme le rappelait le même avis, il ne faudrait pas négliger toutes les virtualités qu'offre l'évaluation ex ante. Il serait profitable, disait à cette occasion la section de législation, « que les ressources de l'administration consultative soient, dès à présent, mieux exploitées. À cette fin, il importe que les avis soient demandés à temps et, à tout le moins, pris sérieusement en considération par les auteurs des projets ».

Sans doute la fonction instrumentale de nombreux textes ne s'accommode-t-elle du temps qui va. Sans doute leur remise en question par leurs auteurs est-elle rendue difficile en raison du fait qu'ils sont souvent « le produit d'âpres et complexes négociations politiques » (E. Gillet et consorts: Démocratie ou particratie, Labor, 2003, p. 102).

Pourtant, le Sénateur Henrion avait-il tort d'affirmer que « le droit est une discipline de raisonnement qui demande de la rigueur et du temps avant de prendre parti ». Et les auteurs précités ne méritent-ils pas d'être écoutés quand ils disent « que le résultat des négociations politiques doit, au bout du chemin, prendre une forme juridique et s'insérer dans un ensemble normatif qui doit rester cohérent » ?

Dans le rapport fait au nom de la commission de révision de la Constitution et de la réforme des institutions de la Chambre, la question s'est posée de savoir s'il ne conviendrait pas de demander l'avis de la section de législation du Conseil d'État sur ce qui est devenu le projet 3-648. Les députés ont jugé que cela n'était pas opportun, ou en tout cas qu'une saisine était prématurée (doc. Chambre, 2003-2004, nº 51 0029/011, p. 29). Un texte consacré à l'évaluation ex post devrait-il échapper à une évaluation ex ante. Que mon impertinence soit pardonnée !

2. Échange de vues

À la question de savoir quelle importance la Cour d'arbitrage accorde à l'évaluation législative ex ante, M. Arts répond que la Cour est favorable à une telle évaluation par un comité parlementaire d'évaluation ou par une cellule de suivi de la législation. Dans ce cas, la Cour disposerait, lors de l'évaluation d'un recours en annulation ou d'une question préjudicielle, d'un rapport de ce comité ou de cette cellule analysant non seulement les choix politiques qui ont mené à la norme législative contestée, mais aussi sa formulation juridique. Actuellement, ces informations ne figurent toujours pas dans les travaux préparatoires.

C'est la raison pour laquelle M. Arts a souligné dans son exposé « qu'en cas de litige devant la Cour d'arbitrage (avec en support les rapports du comité parlementaire d'évaluation ou de la cellule d'évaluation de la législation), la première défense de la norme serait déjà disponible d'emblée ».

Toutefois, l'objectif ne saurait être de charger la Cour d'arbitrage de cette évaluation ni d'associer la Cour en tant que telle à l'élaboration de la législation. Ce n'est qu'à ce stade que l'on pourrait parler d'un « gouvernement des juges ».

M. Delpérée en déduit qu'actuellement, l'exposé des motifs d'un projet ou les développements d'une proposition de loi sont apparemment considérés comme de la littérature politique, plutôt que comme une assise juridique sur laquelle reposent les normes proposées.

Mme de T' Serclaes émet des doutes sur la faisabilité d'un contrôle parlementaire de constitutionnalité ex ante. Lors des travaux préparatoires, on a régulièrement souligné qu'une disposition proposée se heurtait à une norme de référence dont la Cour d'arbitrage contrôle le respect. L'une des règles du jeu politique est que le gouvernement rejette souvent cette objection et préfère courir le risque que la disposition soit attaquée devant la Cour d'arbitrage puis annulée par cette dernière.

Par ailleurs, l'intervenante voudrait savoir quelle est, en pratique, la méthode la plus efficace d'évaluation de la législation. La discussion sur ce point et sur le rôle pouvant être joué par le Sénat dure depuis des années, sans qu'une solution structurelle puisse être dégagée. Il convient donc de trouver une méthode applicable immédiatement. Actuellement, le parlement dispose déjà des rapports annuels de la Cour d'arbitrage et de la Cour de cassation. Par conséquent, il faudrait tout d'abord élaborer une méthode permettant de transposer rapidement et efficacement dans la législation les recommandations formulées dans ces rapports. Le projet de loi transmis par la Chambre va plus loin encore, mais la discussion à ce sujet promet d'être animée.

M. Delpérée fait remarquer que les arrêts d'annulation de la Cour d'arbitrage intéressent non seulement les assemblées, mais aussi les différents gouvernements. Entre-temps, sa courte expérience de sénateur lui a appris que les initiatives législatives qui émanent de parlementaires sont peu nombreuses à atteindre le cap de la publication au Moniteur belge.

M. Arts, président de la Cour d'arbitrage, serait choqué si le parlement devait décider d'abandonner à la Cour d'arbitrage le contrôle du respect de la Constitution. Il estime qu'une telle attitude est inconciliable avec la mission conférée au législateur par la Constitution.

M. Delpérée partage totalement ce point de vue et déclare qu'il n'aura de cesse de veiller à ce que le parlement respecte la Constitution.

Selon M. Hugo Vandenberghe, l'objet du débat n'est pas tant la question de savoir s'il convient de créer d'autres commissions en plus du Conseil d'État pour veiller à la qualité de la législation. Le nœud du problème est de savoir dans quelle mesure un argument juridique joue encore aujourd'hui un rôle politiquement pertinent dans le débat parlementaire. Il ne peut se résigner à l'idée que des observations juridiques pertinentes ne puissent plus être formulées qu'en dehors du parlement.

Mais si le parlement ignore un avis du Conseil d'État qui conclut à l'inconstitutionnalité d'une disposition proposée et s'en remet à l'avis de la Cour d'arbitrage, on aura beau multiplier les commissions d'évaluation de la législation, rien n'y fera. Le problème auquel le parlement est actuellement confronté est que le parlementaire soucieux de la qualité de la législation n'y occupe plus le devant de la scène. Son rôle est délibérément marginalisé.

En d'autres termes, le parlement n'accorde plus assez d'importance à la qualité de la législation. Et le problème persistera tant que l'on ne parviendra pas à faire comprendre à l'opinion publique que les questions de législation ont une dimension politique.

Mme Talhaoui se rallie à l'appel lancé par la Cour d'arbitrage à l'adresse du parlement pour lui demander d'élaborer une législation de qualité. Un tel objectif suppose entre autres une évaluation ex ante. Néanmoins, certains parlementaires s'étonnent parfois que des juridictions, et en particulier la Cour d'arbitrage, méconnaissent la volonté du législateur. Bien que le législateur cherche à adopter une législation juridiquement correcte, le débat politique a ceci de caractéristique qu'il suppose la conclusion de compromis. Il arrive donc parfois que les juridictions décèlent dans une loi des objectifs que le parlement n'avait pas à l'esprit. L'intervenante demande au président de la Cour d'arbitrage si en particulier les juges près la Cour qui ont jadis siégé au sein d'une assemblée, en tiennent suffisamment compte.

M. Delpérée fait remarquer que « la volonté du législateur » n'est pas aussi univoque que le laisse entendre Mme Talhaoui. Lorsque des parlementaires adoptent une proposition de loi à une large majorité, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils sont tous guidés par les mêmes motifs. Dans ce cas, la volonté du législateur est celle des parlementaires qui ont participé au vote. Chacun d'eux pèse le pour et le contre avant de décider de soutenir éventuellement la proposition. On peut difficilement dire a posteriori qu'un seul et unique objectif sous-tend une loi.

On peut dès lors difficilement reprocher à la Cour d'arbitrage de ne pas respecter la volonté du législateur.

Le président de la Cour d'arbitrage se rallie à ce point de vue. C'est la raison pour laquelle, dans son exposé, il a défendu la thèse selon laquelle la recherche, par la Cour, des objectifs d'une loi, transcende l'aspect juridique. La Cour d'arbitrage considère comme une priorité de vérifier si les textes sont conformes au principe d'égalité, mais ce principe n'a aucune portée strictement juridique.

Mme Nyssens constate que des tentatives sont déjà entreprises pour se conformer à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage.

Ainsi, la Chambre des représentants a constitué une sous-commission qui examine, il est vrai très péniblement, la manière de mettre la législation relative à la filiation en conformité avec la jurisprudence de la Cour.

Le Sénat dispose quant à lui du service d'Évaluation de la législation qui réalise des études préparatoires pour les commissions.

L'intervenante ne voit cependant pas comment la commission paritaire d'évaluation, proposée par la Chambre, pourra remplir pratiquement la tâche qui lui est assignée. Les parlementaires concernés qui siégeraient au sein de cette commission disposeront-ils de suffisamment de temps pour réaliser une évaluation approfondie des lois qui leur sont soumises ? L'exemple français est éclairant à cet égard. Depuis sa constitution, en 1996, l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, qui est composé paritairement de membres de l'Assemblée nationale et du Sénat, n'a publié que deux rapports (cf. www.assemblee-nationale.fr). Au fond, on n'a donc pas recours à ses services. Il ne faut pas s'en étonner. Les parlementaires doivent trouver un équilibre entre des considérations d'ordre politique et leur expertise technique. Mais force est de constater que dans l'arène politique, l'expertise n'est plus appréciée à sa juste valeur parce qu'elle n'est pas porteuse au niveau électoral.

En ce qui concerne la demande du procureur général près la Cour de cassation de traduire en textes de loi les propositions urgentes et ponctuelles de lege ferenda de la Cour sans attendre que celle-ci publie son rapport annuel, M. Hugo Vandenberghe est d'avis que les rapports annuels du procureur général près la Cour conserveront leur valeur parce qu'ils dressent un tableau général des difficultés survenues lors de la mise en œuvre et de l'interprétation de la législation.

À l'appui de sa thèse selon laquelle il n'y a pas lieu d'attendre le rapport annuel lorsque des modifications législatives urgentes s'imposent, le procureur général a indiqué qu'il eût peut-être été préférable de procéder d'abord à l'évaluation du « petit Franchimont », c'est-à-dire de la loi du 12 mars 1998, avant de s'atteler au « grand Franchimont », c'est-à-dire au projet de Code de procédure pénale.

M. Vandenberghe est d'avis que, dans son rapport annuel, le procureur général pourrait lui-même proposer une évaluation à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation. L'évaluation de la législation est un exercice permanent. Il faudrait donc confier à un observatoire permanent la tâche de veiller à la qualité de la législation. Le rapport annuel du procureur général pourrait aborder la question et devrait être pour le législateur le signal qu'il est temps d'agir.

M. De Swaef, procureur général près la Cour de cassation, peut se rallier à ce point de vue.

Mme de T' Serclaes attire l'attention sur le fait que, lors de l'examen à la Chambre de la proposition de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, le secrétaire d'État à la Simplification administrative a déclaré à propos de l'évaluation de la législation ex ante que « 80 % des lois proviennent de l'initiative du gouvernement et que très peu de propositions de loi sont adoptées » (rapport de M. Borginon, doc. Chambre, nº 51-29/9, p. 11). Cela signifie que la balle est dans le camp du gouvernement, qui doit veiller à déposer au parlement des projets de loi de la meilleure qualité possible. À la Chambre, le secrétaire d'État a indiqué que l'administration dispose à cet effet de deux instruments, à savoir la fiche d'impact administratif et le test concernant les charges administratives (op.cit. pp. 11-12).

Toutefois, la vocation du parlement reste d'examiner les projets de loi du gouvernement d'un oeil critique et de les affiner si besoin est. Cependant, il arrive encore trop souvent qu'un parlementaire qui demande au gouvernement quels moyens il dégagera en vue de mettre en œuvre la législation en projet s'entende répondre qu'il s'agit d'une question budgétaire qui ne le concerne pas en tant que parlementaire. Le parlement en est donc réduit à espérer que le gouvernement prévoira les moyens nécessaires.

Ce n'est pas une bonne manière de procéder. L'impact budgétaire d'un projet de loi devrait systématiquement être abordé dans le cadre des travaux parlementaires préparatoires. C'est pourquoi, dans la phase préparatoire, le gouvernement devrait également établir une fiche d'impact financier et la communiquer au parlement.

Une autre conséquence du fait que 80 % de la législation résulte d'initiatives gouvernementales est que le Conseil d'État a émis un avis sur chaque avant-projet de loi. Lorsque le parlement est alors critiqué en raison de la piètre qualité de la législation, on peut se demander si ce n'est pas plutôt au gouvernement qu'il faudrait adresser des reproches parce qu'il n'a guère tenu compte des avis du Conseil d'État. L'intervenante se demande comment elle pourrait en tant que parlementaire amener le gouvernement à modifier un projet de loi alors que même les éminents juristes du Conseil d'État n'y sont pas parvenus.

M. Andersen, président du Conseil d'État, salue la pertinence des remarques de Mme de T' Serclaes. Si le gouvernement souhaite mettre en place un suivi législatif, il doit prévoir les moyens nécessaires à cet effet. À l'heure actuelle, il y a déjà plusieurs règles à respecter en ce qui concerne la rédaction d'un projet de loi. Ainsi faut-il préciser l'état de la législation et les modifications que l'on compte apporter à celle-ci. De plus, il faut recueillir l'avis de l'Inspection des Finances. D'un autre côté, il arrive que le gouvernement ne veuille pas communiquer les données, de nature sociologique et économique par exemple, dont il dispose. C'est donc au gouvernement qu'il incombe en premier lieu de s'acquitter de cette mission d'information, non seulement vis-à-vis du parlement, qui est quand même le représentant de la nation, mais aussi vis-à-vis du Conseil d'État. Cela permettrait à ces institutions de mieux situer les initiatives législatives du gouvernement et d'amener celui-ci à accorder davantage d'attention à l'évaluation de la législation.

M. Delpérée en déduit que, pour chaque projet de loi, le gouvernement sera tenu d'indiquer sur la fiche d'impact financier les moyens avec lesquels il financera l'évaluation de la loi en chantier.

M. Van Nieuwenhove, auditeur au Conseil d'État, comprend le désespoir des parlementaires qui, tout comme la section de législation du Conseil d'État, ne découvrent un projet de loi que lorsque le processus de décision politique est achevé et qu'un texte a été déposé. De plus, du côté du gouvernement, on n'hésite pas à exercer des pressions politiques afin d'obtenir que les projets soient votés au plus vite.

C'est donc dans la phase préparatoire du projet qu'il faudrait améliorer la qualité des textes législatifs et les formuler de manière adéquate. Cette tâche devrait nécessairement être confiée au pouvoir exécutif puisqu'il domine le processus de décision politique.

Il y a déjà plusieurs projets sur la table en matière d'évaluation ex ante de la législation. La question est de savoir pourquoi ils restent au point mort.

Sans prétendre être exhaustif, l'intervenant cite deux exemples.

1. Une première méthode consiste à s'auto-questionner à l'aide d'un formulaire à compléter avant la rédaction des textes de loi ou d'arrêté. Ce questionnaire fait l'objet de discussions au sein de diverses commissions depuis des années. Actuellement, l'évaluation de la législation ex ante n'est appliquée que de manière rudimentaire, par le biais du test concernant les charges administratives. Or, si l'on veut évaluer correctement la législation ainsi que ses effets, il faut travailler sur une base beaucoup plus large que ne le permet ce test.

2. La section de législation du Conseil d'État constate régulièrement que les textes normatifs sont rédigés par des fonctionnaires qui ne maîtrisent pas la pratique de la doctrine légistique. Il faut par conséquent les familiariser avec cette matière et les faire bénéficier en outre d'un soutien administratif structurel, dont il appartient au pouvoir exécutif de déterminer les modalités idéales. Mais rien n'est fait actuellement, même si le gouvernement a donné une première impulsion dans ce sens. À l'occasion d'une récente réforme de la section de législation du Conseil d'État, le Conseil des ministres a décidé de désigner des fonctionnaires législatifs au sein de chaque département fédéral, mais cette décision n'est pas encore opérationnelle. Cela est peut-être dû à des problèmes budgétaires, mais l'intervenant ne peut imaginer que le gouvernement ne soit pas conscient de la nécessité d'une évaluation de la législation, comme en sont conscients les parlementaires et les hautes juridictions du pays. Le seul fait de se demander pourquoi on est si peu actif dans ce domaine devrait inciter les parlementaires à interpeller le gouvernement sur ce point avec encore plus d'insistance. En effet, les hautes juridictions que sont la Cour d'arbitrage, la Cour de cassation et le Conseil d'État sont beaucoup moins en mesure que les parlementaires de contraindre le gouvernement à prendre des initiatives concrètes. Tel n'est d'ailleurs pas leur rôle.

M. Hugo Vandenberghe s'oppose à la première observation de l'orateur précédent. Ce dernier a fait valoir un point de désaccord classique selon lequel les problèmes de nature juridico-technique doivent être résolus par le gouvernement parce que le parlement n'est pas en mesure de le faire. Cela équivaut dans les faits à une abdication du parlement, ce qu'on ne saurait attendre d'une telle institution, d'autant plus que la Constitution attribue le pouvoir législatif aux assemblées élues.

Le parlement doit aujourd'hui faire face à l'entêtement de principe d'un pouvoir exécutif qui refuse de tenir compte des remarques d'une assemblée. Il est déjà arrivé plus d'une fois qu'après un avis du Conseil d'État et après examen à la Chambre des représentants, le Sénat découvre encore des erreurs évidentes lors de la discussion d'une loi-programme. Or, les amendements que l'opposition dépose dans ce cas pour rectifier les erreurs décelées sont systématiquement rejetés, à la demande du gouvernement. Par la suite, ce même gouvernement n'hésite pas à reprendre les amendements en question dans un projet de loi-programme suivant, afin de rectifier les erreurs commises dans la loi précédente.

Une telle façon de procéder est tout à fait inacceptable et témoigne d'une culture politique incorrecte.

Par ailleurs, on ne peut admettre purement et simplement, dans cette discussion, qu'il existe une nette distinction entre un problème juridique et un problème politique. L'angle d'approche juridique implique souvent aussi une option politique, une certaine sensibilité à une valeur qui est plus vive par rapport à un point que par rapport à un autre. En ce sens, l'évaluation de la législation revêt toujours une dimension politique. Au sein du parlement, il faut donner suffisamment de poids à cet aspect, faute de quoi notre système politique évoluera vers une situation de manipulation de la législation et de l'opinion publique par le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif dispose en effet de techniciens, véritables magiciens capables de rédiger la législation au moyen de formules tellement complexes que le parlement ne pourra plus y réagir à temps.

C'est pourquoi il est vital pour la démocratie que la compétence législative reste aux mains du parlement.

En ce qui concerne l'évaluation de la législation ex ante, M. Vandenberghe aborde un aspect qui n'a pas encore été évoqué à ce jour, à savoir le fait qu'au moins 50 % de notre législation est d'origine européenne. Il résulte de cette dimension européenne qu'il faudra étendre le débat sur l'évaluation de la législation au niveau européen. En effet, la Constitution européenne accorde aux parlements nationaux la compétence d'effectuer un test de subsidiarité dans un délai de six semaines, ce qui nécessite un suivi rapide des projets de règlement et de directive. Il est on ne peut plus évident que l'évaluation de la législation et le test de subsidiarité sont indissociablement liés. Cela suppose que le service d'Évaluation de la législation du Sénat soit mieux pourvu en personnel, afin qu'il puisse, en concertation avec la section de législation du Conseil d'État, par exemple, apporter une contribution utile à la mise en lumière des choix politiques qui sont faits en ce qui concerne les problèmes juridiques.

B. Professeurs d'université

1. Exposés

— le professeur W. Voermans (Universiteit Leiden)

— le professeur P. Popelier (Universiteit Antwerpen) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving)

— M. J. Van Nieuwenhove (Katholieke Universiteit Leuven) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving)

— le professeur F. Leurquin-De Visscher (Université Catholique de Louvain)

— le professeur M. Van Damme (Vrije Universiteit Brussel)

— le docteur K. Van Aeken (Universiteit Antwerpen)

— M. N. Bernard (docteur en droit et assistant aux Facultés Universitaires Saint-Louis)


1.1. Le professeur W. Voermans (Universiteit Leiden)

Le professeur Voermans remercie la commission pour le privilège qui lui est accordé de pouvoir présenter l'étude qu'il a effectuée sur les conditions nécessaires à une législation européenne de qualité et sur le rôle que l'évaluation de la législation peut jouer dans ce domaine.

Il félicite le parlement belge pour les deux initiatives qui ont été prises pour donner une base institutionnelle à l'évaluation de la législation.

L'exposé ci-après est structuré en deux parties. À partir du concept de l'évaluation de la législation, on examine tout d'abord l'expérience néerlandaise en matière d'évaluation de la législation nationale (a).

Ensuite, on traite plus en détail les projets européens en matière d'évaluation de la législation européenne et les conséquences de la qualité de la législation européenne pour son application et son maintien dans les États membres (b).

a. Le concept de l'évaluation de la législation et son apparition aux Pays-Bas

1. Contexte

Aux Pays-Bas, le débat sur l'évaluation de la législation est en cours depuis quinze ans déjà. À différents moments, le gouvernement a été mis au défi d'élaborer une politique en matière d'évaluation de la législation. L'évaluation de la législation est certes fort appréciée et régulièrement utilisée mais toujours sur une base ad hoc.

Par ailleurs, le sentiment dominant est que l'évaluation de la législation ne fournit pas les résultats auxquels on est en droit de s'attendre. Tantôt la politique ne tient pas compte des résultats d'une évaluation, tantôt l'évaluation ne commence pas au moment escompté ou elle commence trop tard.

Les propositions belges peuvent servir d'exemple pour les Pays-Bas parce que l'organe parlementaire compétent peut être saisi par voie de requêtes.

2. Définition

Aux Pays-Bas, sous l'impulsion du professeur Heinrich Winter (Rijksuniversiteit Groningen), il s'est dégagé un consensus qui veut que, par évaluation de la législation, on entende la collecte et l'analyse systématiques et ciblées des données concernant le fonctionnement de la réglementation légale dans la pratique et son évaluation à la lumière des intentions du législateur.

Différents projets en matière d'évaluation de la législation y ont déjà été réalisés avec des succès divers.

3. Fonctions

L'évaluation de la législation peut viser différents objectifs.

En premier lieu, on essaie d'objectiver les choses, c'est-à-dire de mesurer leur effet et leur rétroaction.

Aux Pays-Bas, l'évaluation de la législation a encore d'autres fonctions auxquelles certains risques sont liés.

Dans les débats politiques, l'évaluation de la législation est ainsi parfois utilisée comme monnaie d'échange ou moyen de persuasion. Il arrive que l'on remédie à des objections ou à des hésitations de certains partis politiques en convenant de vérifier dans un délai de cinq ans, par exemple, quel aura été l'effet d'une loi et d'agir en conséquence.

Dans le même esprit, l'évaluation de la législation est parfois utilisée comme un instrument de stratégie politique. Des partis qui, pour toutes sortes de raisons, votent une législation donnée bien qu'ils y soient opposés justifieront leur action auprès de leur électorat en soulignant qu'ils ont donné leur accord sous réserve d'évaluation de la législation.

L'évaluation de la législation peut aussi avoir une fonction légitimante. Le fait d'annoncer que les effets d'une loi seront mesurés et évalués peut renforcer son acceptation sociale.

4. Risques

Aux Pays-Bas, un rapport de la Cour des comptes a déclenché un débat au début des années 1990 sur les risques que comporte l'évaluation de la législation.

Le premier danger est de voir des deniers publics être gaspillés à la légère dans des projets d'évaluation de grande envergure qui ne sont rien de plus qu'un rituel.

Le deuxième risque, auquel il a déjà été fait allusion ci-dessus, est de voir l'obligation d'évaluation être inscrite dans une loi, dans le but de provoquer un second tour dans le cadre du débat sur les objectifs de la loi en question.

Un parti qui sent qu'il ne pourra pas empêcher l'adoption d'une proposition de loi tentera d'y faire insérer une disposition en matière d'évaluation. Il recourra à l'évaluation pour relancer le débat sur la loi en question afin d'essayer de l'abolir.

Le troisième risque encouru est l'instabilité de la législation. Ces dernières années, les Pays-Bas ont lancé quelques projets législatifs de grande envergure, comme l'« l'Algemene Wet Bestuursrecht » et la révision de l'organisation judiciaire. Ils ont opté à cet égard pour une approche en plusieurs phases, l'adoption de chaque nouvelle législation étant immédiatement suivie par l'évaluation de ses effets. De cette manière, la seconde phase du processus législatif peut tenir compte des résultats de la première. D'après le professeur Voermans, qui a participé aux deux projets précités, cette méthode donne d'excellents résultats. En revanche, cette approche suscite une certaine nervosité auprès des organes exécutifs et du public, qui dénoncent une instabilité législative. En procédant à des évaluations trop précoces, on risque de devoir modifier et adapter la législation en permanence.

5. Types

Aux Pays-Bas, on distingue plusieurs types d'évaluation de la législation. Parmi les types les plus connus, il y a l'évaluation ex ante et l'évaluation ex post.

— L'évaluation ex ante

La politique législative prévoit qu'il faut procéder à plusieurs contrôles avant de pouvoir adopter une proposition de loi. Ainsi, on vérifie que la proposition n'augmente pas, par exemple, les charges financières et économiques qui pèsent sur les institutions et les entreprises, quelles dépenses elle génère en matière d'environnement, etc.

— L'évaluation ex post

Après un certain délai, par exemple après cinq ans, on vérifie si les objectifs qui sont à la base de la loi ont été réalisés concrètement.

L'étude du professeur Voermans, portant notamment sur la politique législative européenne, a démontré qu'une évaluation systématique ex ante des effets liés à l'application d'une loi permet d'éviter de nombreux problèmes qui peuvent être mis en évidence lors d'une évaluation ex post. L'une des grandes difficultés rencontrées par les évaluateurs est que le législateur n'a pas toujours indiqué clairement quels sont les objectifs d'une loi. C'est la raison pour laquelle il doit définir avec précision la ratio legis et déterminer les critères sur la base desquels on pourra mesurer le succès d'une loi. Si le législateur néglige de le faire, les évaluateurs seront forcés d'identifier eux-mêmes les objectifs de la loi et de mettre au point un instrument de mesure. Mais cela coûte du temps et de l'argent. De plus, le législateur ne pourra pas faire grand-chose des résultats d'une évaluation reposant sur des bases instables.

Aux Pays-Bas, on essaie à présent d'enregistrer des progrès dans ce domaine.

b. Étude sur la politique législative européenne

Autour de l'an 2000, les Néerlandais se sont quelque peu inquiétés de la qualité de la législation européenne, et des possibles effets négatifs de celle-ci sur son exécution dans les États membres de l'Union. Une étude scientifique a donc été menée pour identifier un éventuel lien de cause à effet entre les deux éléments en question. Les résultats de cette étude ont été commentés dans l'analyse réalisée par le groupe Mandelkern.

L'étude a mis en évidence plusieurs constatations étonnantes.

Non seulement aux Pays-Bas, mais aussi dans d'autres États membres de l'UE, la réglementation européenne n'est pas toujours soumise systématiquement à une évaluation, comme c'est le cas pour la réglementation nationale.

Dans le cadre de son contrôle de l'exécution de la réglementation européenne, la Commission européenne demande aux États membres de l'informer, au bout d'un certain délai, de leurs expériences à propos de cette réglementation. Généralement, les États membres n'entreprennent pas d'évaluation approfondie, comme ils le font pour leur propre réglementation, mais se contentent de considérations générales, souvent superficielles.

L'étude scientifique a créé encore plus de surprise en concluant que plusieurs dispositions européennes s'avéraient inexécutables. Exemple typique: le traitement des déchets de bois imprégné, en l'espèce le bois dur tropical, traité à l'aide de produits chimiques qui le rendent très résistant, mais en même temps très polluant. C'est pourquoi il a été décidé que ce bois ne pouvait pas être traité comme un déchet, mais qu'il fallait le recycler. Pour ce faire, le Parlement européen a proposé d'établir une distinction selon que ce bois avait été produit à l'intérieur ou en dehors de l'Union européenne.

Mais dans la pratique, il s'est avéré impossible, pour les services d'inspection, de déterminer, par exemple lors de la démolition d'un ancien logement, l'origine de chaque essence de bois se retrouvant dans les déchets de démolition.

Cette anecdote a mis en évidence un autre processus.

En effet, les problèmes d'application ne concernent pas uniquement la réglementation européenne. Ils n'épargnent pas non plus la législation néerlandaise. Mais dans ce cas, les instances d'exécution néerlandaises peuvent tirer la sonnette d'alarme et signaler le problème en question auprès du ministère compétent, c'est-à-dire le « Ministerie van Volkshuisvesting, Ruimtelijke Ordening en Milieubeheer » (VROM), qui étudiera alors l'affaire en détail et pourra proposer les solutions qui s'imposent. Un tel circuit n'existe pas au niveau du droit européen. Lorsque la réglementation européenne a été correctement transposée en droit néerlandais, à la grande satisfaction de la Commission européenne, le ministère néerlandais du VROM ne veut plus d'histoires. Cette culture écrite de la transposition de la réglementation européenne sur le papier se retrouve dans tous les États membres. Cela explique le fort déficit de transposition non identifié. Les processus en matière de politique européenne sont relativement unidimensionnels. La politique est d'abord développée, puis exécutée. Cela ne va pas plus loin.

En outre, les États membres ne sont pas enclins à faire savoir à la Commission européenne qu'ils ne parviennent pas à mettre en œuvre les textes réglementaires de l'UE. La Commission peut en effet, en vertu de l'article 226 du Traité instituant la Communauté européenne, engager la procédure d'infraction contre un État membre qui a manqué à ses obligations d'exécution du Traité. Dans la pratique, les relations entre la Commission et les États membres ne sont pas aussi virulentes. Mais il n'y a en tout cas pas de prime à la non-exécution de la réglementation de l'UE. La doctrine néerlandaise utilise à cet égard la notion de « stille verliezen » (pertes passives).

On parle de « pertes passives » lorsque, en raison notamment de problèmes liés à la qualité de la législation européenne, les instances nationales compétentes se trouvent dans l'impossibilité d'en assurer la mise en œuvre ou d'en contrôler l'application, d'exécuter une législation européenne ou d'en assurer le maintien, alors que la mise en œuvre de cette législation ne pose aucun problème sur le papier.

Comment les effets de la législation européenne sont-ils mesurés et analysés ?

Jusqu'à la fin des années '80, cette mission de contrôle était confiée à la Commission. Avec le développement d'une politique européenne de l'environnement, on a progressivement inséré dans la législation européenne des dispositions relatives à l'évaluation. C'était un élément nouveau. En effet, la mise en œuvre de la législation européenne posait déjà problème depuis longtemps. Outre le manque de contrôle, des carences étaient aussi à déplorer au niveau du maintien de la législation. C'est pourquoi le groupe Mandelkern fut chargé de déterminer si l'on ne pouvait pas élaborer une meilleure politique législative au sein de l'Union européenne.

L'un des principaux problèmes que ce groupe pointa du doigt était le manque de contrôle et d'évaluation de la législation européenne. Cette idée avait déjà été formulée dans le Livre blanc sur la Gouvernance européenne (COM (2001) — 428 final). La nouvelle stratégie officielle était qu'il fallait tendre vers la simplification et l'amélioration de la qualité de la législation, ce qui impliquait une culture du feedback, assortie d'une évaluation plus structurée de la législation et d'un meilleur contrôle de son application.

On trouve des traces de cette nouvelle stratégie dans la politique législative européenne. Ainsi, la Commission a adopté en 2002 le Plan d'action « Simplifier et améliorer l'environnement réglementaire » (Com/2002/278), qui précise notamment qu'il faut tendre non seulement vers une bonne évaluation ex ante (évaluation d'impact de la réglementation), mais aussi vers une évaluation ex post efficace.

Dans la foulée a été conclu, en juin 2003, l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » (2003/C 321/01), qui met l'accent sur la nécessité d'une évaluation ex ante précoce des propositions législatives de la Commission.

En application de cet accord, la Commission a créé en son sein une unité « Amélioration de la réglementation », qui planche actuellement, avec un succès inégal, sur la procédure d'évaluation d'impact, dans le cadre d'une évaluation ex ante, l'objectif étant d'y soumettre toutes les propositions législatives de la Commission et les initiatives politiques importantes. L'analyse portera en particulier sur les effets économiques et sociaux ainsi que sur l'impact environnemental.

Étant donné la capacité encore limitée de la Commission, cette unité n'a pu examiner, durant la première année d'activité, en 2003, que 20 % du volume total des propositions, soit 45 textes. En 2004, on avait tablé sur 65 propositions, mais ce chiffre n'a apparemment pas été atteint. Les progrès réalisés par la Commission dans ce domaine sont à mettre largement à l'actif du Royaume-Uni, où le gouvernement Blair accorde une grande attention à une meilleure réglementation et à l'étude (par le biais d'évaluations d'impact) des effets des réglementations projetées notamment sur les petites et moyennes entreprises. Cette méthode s'intègre progressivement dans le processus législatif européen, sous l'impulsion des Britanniques.

Dans la pratique, la procédure d'évaluation d'impact se déroule dans un contexte assez mal défini, même s'il existe un plan précisant les différentes étapes à suivre. Il faut vérifier, notamment, quelles pourraient être les alternatives à la réglementation projetée. Ce plan indique en outre comment évaluer les effets de la réglementation en question sur les plans économique et social et dans le domaine de l'environnement.

Tout cela relève de l'évaluation ex ante.

Mais il manque toujours aux institutions européennes une évaluation ex post efficace, qui permette de réduire les pertes dites « passives » dans les États membres. Il faudrait donc ébaucher, à l'instar de ce qui se fait pour la réglementation nationale, un circuit permettant aux États membres de communiquer à la Commission européenne les résultats de leur évaluation de l'application et du maintien des directives transposées.

Deux dernières remarques pour conclure.

Selon le professeur Voermans, le législateur fédéral belge est confronté à un grand défi consistant à vérifier dans quelle mesure on pourrait intégrer dans le cycle d'évaluation belge l'évaluation des effets du droit européen dans l'ordre juridique interne. Il ne sera pas simple de trouver dans la procédure un point de rattachement qui permette de prendre également en compte la dimension européenne de la législation, à la lumière de l'objectif d'une directive européenne.

D'autre part, il ne faut pas négliger la grande aspiration à une politique factuelle, qui est actuellement très en vogue dans la littérature juridique anglo-saxonne. Plus les informations disponibles seront objectives, meilleure sera la qualité des arguments invoqués lorsque l'on met en balance les diverses alternatives politiques et meilleure sera également la qualité du résultat. Une approche scientifique de l'évaluation ex ante et de l'évaluation ex post ne peut qu'y contribuer.

1.2. Le professeur Patricia Popelier (Universiteit Antwerpen) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving) et M. Jeroen Van Nieuwenhove (Katholieke Universiteit Leuven) (Interuniversitair Centrum voor Wetgeving)

Introduction

Le professeur Popelier et M. Van Nieuwenhove remercient à leur tour la commission de les avoir invités à cette audition, qui s'inscrit parfaitement dans le contexte des auditions qu'elle a organisées au cours de la session 1998-1999 sur le projet de loi du gouvernement instituant une procédure d'évaluation législative (voir le rapport de M. Caluwé du 14 janvier 1999, doc. Sénat, nº 1-955/3). C'est précisément ce projet de loi qui a inspiré la proposition de loi nº 3-464 actuellement à l'examen.

En procédant à ce très large tour de table, le Sénat fait en tout cas preuve d'une plus grande sagesse que la Chambre.

Interuniversitair Centrum voor Wetgeving

Le professeur Popelier et M. Van Nieuwenhove représentent l'« Interuniversitair Centrum voor Wetgeving », qui a été créé en 2004 afin de mettre en commun l'expertise académique des différentes universités flamandes en matière de législation. Le centre joue un rôle moteur en matière d'études scientifiques sur des questions de législation, organise des activités de formation à l'intention des pouvoirs publics et essaie de sensibiliser les décideurs politiques à cette thématique.

Ce centre à vocation pluridisciplinaire se compose de membres effectifs issus du monde universitaire et de correspondants issus d'institutions et de services publics qui s'intéressent à la législation, tels que les différentes assemblées et les hautes juridictions.

Le centre se tient à la disposition des pouvoirs publics en général et du parlement en particulier, pour effectuer des études en matière d'évaluation de la législation. Il peut aussi, sur demande, prêter son concours à des évaluations spécifiques.

Discussion du projet de loi et de la proposition de loi

Considérations générales

1. L'approche belge

L'approche belge de l'évaluation de la législation contraste vivement avec l'approche néerlandaise. Notre pays n'a pratiquement aucune expérience en matière de méthodologie dans le domaine de l'évaluation de la législation, mais il essaie de se doter d'emblée d'un régime structurel à ce niveau. Son manque d'expérience pratique constitue toutefois une faiblesse. Aux Pays-Bas, c'est exactement l'inverse. Au fil des ans, ce pays a accumulé une solide expérience en matière d'évaluation de la législation, mais il procède toujours sur une base ad hoc. C'est seulement maintenant que nos voisins du nord envisagent de mettre en place une base institutionnelle. Cette méthode offre l'avantage de permettre aux Pays-Bas de tirer les leçons des évaluations déjà effectuées.

2. Évaluation ex post et ex ante

Un bonne politique législative requiert, entre autres, un contrôle permanent de la qualité de la législation, et ce, aussi bien au cours de son élaboration (ex ante) qu'au cours des phases ultérieures (ex post). L'institutionnalisation de l'évaluation de la législation ex post, comme elle est prévue par le projet de loi et par la proposition de loi, serait une chose positive et l'idée de la réaliser mérite d'être soutenue.

Toutefois, l'évaluation de la législation ex post ne peut pas être dissociée d'une évaluation ex ante, et ce, pour deux raisons.

1) L'évaluation de la législation ex post porte sur des lois existantes qui sortissent déjà leurs effets dans l'ordre juridique. Elle est importante, mais il est au moins aussi important de procéder à une évaluation de la législation au départ, au moment où elle est élaborée. À propos de la qualité de la législation, il y a également lieu d'appliquer le principe selon lequel il vaut mieux prévenir que guérir: il est préférable d'assurer la qualité de la législation avant qu'elle n'entre en vigueur.

2) Pour pouvoir réaliser une bonne évaluation de la législation ex post, il faut disposer de données concernant la situation qui existait avant son entrée en vigueur. On peut se rendre compte ainsi d'une manière méthodologiquement fondée de l'impact effectif de la loi. Les données en question peuvent être inventoriées dans le cadre d'une évaluation ex ante et, dans le cadre de celle-ci, on précise les objectifs et on évalue les conséquences possibles. Ces données permettent de déterminer avec précision les éléments sur lesquels l'évaluation ex post doit porter.

Étant donné que l'évaluation ex ante doit accompagner l'ensemble du processus d'élaboration de la législation dès la phase de préparation et que l'essentiel de la législation résulte d'initiatives du gouvernement, c'est celui-ci qui est le premier responsable de l'exécution d'une évaluation ex ante. Le parlement peut toutefois y apporter sa contribution:

1) en incitant le gouvernement à intégrer une évaluation ex ante dans le processus décisionnel, par exemple sous la forme d'une analyse d'impact de la réglementation (AIR) (20) ;

2) en veillant à ce que, lors de l'examen d'un projet de loi, l'évaluation réalisée fasse l'objet d'un compte rendu écrit et de qualité.

Une évaluation ex ante oblige l'auteur de la législation concernée à préciser quels sont les objectifs poursuivis et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. L'évaluation ex ante contribue aussi de la sorte à rendre le processus législatif plus transparent et à rendre plus effectif le contrôle parlementaire des initiatives gouvernementales.

3. Évaluation par une seule chambre ou par les deux chambres

Il y a une différence frappante entre la proposition de loi et le projet de loi en ce sens que, selon la proposition de loi, l'évaluation de la législation doit être confiée au Sénat, alors que, selon le projet de loi, les deux chambres du parlement fédéral ont un rôle à jouer à cet égard.

Le choix entre ces deux options est avant tout un choix politique, dont il faut espérer qu'il n'aura pas pour effet de continuer à retarder la solution du problème qui se pose en matière d'évaluation de la législation.

Les arguments qui peuvent être invoqués à l'appui de ce choix politique ont trait principalement à la répartition constitutionnelle des tâches entre les deux chambres (21) . Au terme de la réforme du bicaméralisme en 1993, le Sénat s'est vu confier un rôle mixte. La concentration du pouvoir de contrôle politique à la Chambre des représentants devait permettre au Sénat de se consacrer surtout à son nouveau rôle de chambre de réflexion en matière de législation et de chambre de concertation entre les entités fédérées. Mais force est de constater que, dans les faits, le Sénat ne s'illustre pas suffisamment dans ce nouveau rôle.

Le Sénat pourrait invoquer son rôle de chambre de réflexion pour exiger une compétence exclusive en matière d'évaluation de la législation, comme le prévoit d'ailleurs la proposition de loi. Il convient toutefois de noter à cet égard que le législateur ne peut pas interdire à la Chambre des représentants d'organiser elle aussi, si elle le souhaite, une évaluation ex post de la législation, éventuellement en prévoyant des dispositions dans ce sens dans son règlement. En outre — et c'est, bien entendu, un aspect encore plus pertinent — il faudra que la Chambre adopte la proposition de loi et, à cet égard, les choses sont incertaines, dans la mesure où, au cours de la législature précédente, elle s'est désintéressée du projet de loi Vande Lanotte au bénéfice de sa propre proposition de loi.

Enfin, il faut faire référence aussi aux propositions récentes de réforme du système bicaméral, qui prévoient que le Sénat serait composé intégralement de représentants des entités fédérées et que ses compétences se limiteraient aux matières intéressant celles-ci. Le sort de ces propositions est incertain, même si l'on en a tenu compte lors de la rédaction de la déclaration de révision. Quoi qu'il en soit, si la composition et les compétences du Sénat étaient modifiées dans le sens évoqué, aucun argument ne pourrait plus justifier que l'on confie au Sénat un rôle exclusif en matière d'évaluation de la législation, au contraire. Cela étant, on ne peut évidemment pas attendre non plus du législateur qu'il anticipe cette réforme.

4. L'intérêt de l'interdisciplinarité

Le projet de loi et la proposition de loi ont tous deux été conçus dans un esprit juridique. Tant la sélection des projets d'évaluation que les études d'évaluation proprement dites sont effectuées sur la base de critères juridiques. L'accent est mis sur les difficultés éprouvées par les juridictions lors de l'interprétation et de l'application de la législation, dans le cadre de litiges entre justiciables. Cette façon de faire ignore néanmoins les autres aspects qui peuvent être pris en compte lors de l'évaluation de l'efficacité d'une loi. C'est la raison pour laquelle certaines voix réclament un élargissement des critères pouvant servir de base à la sélection des projets d'évaluation. Cela implique qu'il faut confier l'étude d'évaluation proprement dite non seulement à des juristes mais aussi à des représentants d'autres disciplines, tels que des économistes et des sociologues. D'ailleurs, jusqu'à présent, la plupart des réflexions en matière d'évaluation de la législation sont dues aux milieux socio-scientifiques et économiques. La mesure dans laquelle les représentants de toutes ces disciplines seront associés à l'étude dépendra de la nature de la loi, de l'objet et de la méthode d'évaluation. Pour certaines lois, une analyse par exemple plus juridique s'avérera plus indiquée. Mais même dans ce cas, il est recommandé de mener l'étude de manière interdisciplinaire.

Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif (doc. Sénat, nº 3-648/1)

Article 2

1. Cet article indique qui sera chargé de l'évaluation des lois. Cette question est essentielle. Il y a plusieurs possibilités à cet égard:

1) Le gouvernement, qui élabore la grande majorité des lois, procède également à leur évaluation.

2) Le parlement procède à une évaluation.

3) Un organe indépendant procède à une évaluation.

4) L'évaluation est confiée à des groupes de travail ad hoc, pouvant se composer de représentants de l'administration, de parties concernées et d'évaluateurs indépendants. Il est également possible de sous-traiter l'évaluation de certains projets à des évaluateurs indépendants.

Concernant l'évaluation ex post, on insiste généralement, dans la doctrine, pour qu'il soit fait appel à un évaluateur indépendant (22) .

L'indépendance de l'évaluateur est nécessaire pour les raisons suivantes:

1) L'évaluateur doit pouvoir développer lui-même des initiatives, par exemple autour de projets qui ne font pas partie des priorités politiques. Il doit être ouvert à des sources de toutes sortes permettant de signaler l'existence d'un problème, sans être influencé immédiatement par une appréciation politique;

2) L'évaluateur doit disposer d'une liberté de mouvement suffisante pour pouvoir procéder à des évaluations sur la base de méthodes scientifiques, à l'abri de toute influence visant à orienter leurs résultats dans un sens déterminé.

Il faut par ailleurs veiller à ce qu'il y ait un lien suffisamment étroit avec le législateur, à qui il appartient en fin de compte de mettre en œuvre les résultats de l'évaluation.

Cela aussi peut se faire de diverses manières.

En Afrique du Sud, par exemple, la Law Commission est un organe indépendant, qui est composé de membres indépendants — notamment de magistrats — et dont certains collaborateurs ont des liens étroits avec le ministère de la Justice. La commission élabore elle-même un programme d'évaluation, mais le ministre doit l'approuver et il peut l'amender, le supprimer et le compléter (23) .

Aux Pays-Bas, les ministères dressent des programmes d'évaluation, mais on crée, pour l'élaboration des projets concrets, des groupes de travail qui sous-traitent souvent l'examen proprement dit des choses. Cela suppose toutefois que les départements disposent eux-mêmes de l'expertise nécessaire pour assurer le suivi de cet examen et pour veiller à la qualité (24) du travail qui est accompli.

2. Dans le cas qui nous intéresse, on a opté pour une évaluation, au niveau parlementaire, par un organe politique, à savoir un comité parlementaire composé de onze députés et de onze sénateurs.

Cela ressemble fortement au modèle français (25) , auquel il est également fait référence dans les développements (26) , mais qui n'est pas un exemple à suivre. L'Office parlementaire français d'évaluation de la législation n'a en effet réalisé que fort peu de choses. Il n'a publié que deux rapports peu impressionnants du point de vue de la méthodologie, sur des questions peu importantes. Selon des commentaires français, cet Office était déjà mort trois ans après sa création (27) . L'échec de cette initiative a probablement eu des causes spécifiques. La commission d'évaluation était très dépendante d'autres commissions parlementaires en ce qui concerne l'apport d'informations, et il s'est avéré difficile de la composer paritairement de députés et de sénateurs dans les cas ou la majorité à la Chambre était différente de celle du Sénat (28) . Il nous semble qu'il y a des leçons à tirer de l'expérience française. Le fait de charger un organe politique de l'évaluation de la législation présente assurément des avantages intrinsèques, mais aussi un inconvénient majeur, et peut-être même fatal: les résultats concrets (et, donc, le succès de l'entreprise) dépendent et de la volonté politique, et de l'intérêt des parlementaires qui siègent au sein de la commission d'évaluation (29) . Les parlementaires sont-ils sûrs de pouvoir (continuer à) s'intéresser dans une mesure suffisante à cette matière ? Il serait extrêmement regrettable que l'on suive l'exemple français sans avoir réfléchi profondément à la question et que la réglementation en question subisse ensuite le même sort qu'en France.

Le modèle français n'est heureusement pas copié dans son intégralité. Grâce aux larges possibilités d'accès à la commission, qui peut aussi être saisie par des personnes privées, le comité pourrait peut-être se faire une idée plus large des choses que celle qui serait fondée exclusivement sur une optique politique. Voilà un point qui est examiné plus avant dans le texte en question. Il n'est toutefois pas sûr du tout que les adaptations prévues puissent continuer à assurer le succès de l'entreprise et il semble qu'il faudrait reconsidérer sérieusement la composition de l'organe d'évaluation.

3. Indépendamment des considérations concernant la composition de l'organe d'évaluation, il y a lieu d'attirer l'attention sur les risques qui résultent d'une influence trop grande de la politique dans la sélection et dans l'évaluation des projets. L'évaluation nécessite une méthodologie scientifique. De plus, il ne faut pas perdre de vue qu'une évaluation n'est pas une entreprise purement juridique et qu'elle suppose une approche multidisciplinaire. En conséquence, il serait erroné de ne confier le travail proprement dit qu'à des collaborateurs juristes ou à des services juridiques. Des projets d'évaluation peuvent éventuellement être sous-traités (voir l'art. 7) (30) , mais, dans ce cas-là également, il y a lieu de soumettre à un contrôle, et la méthode d'évaluation, et le travail effectué. L'organe d'évaluation à proprement parler doit être composé de manière interdisciplinaire et de manière à garantir une démarche méthodologique correcte.

L'intervention des mandataires politiques devrait surtout être axée sur l'approbation du programme d'évaluation, la mise à la disposition des moyens nécessaires et la réception, puis la mise en œuvre des résultats. Cette suggestion ne doit pas être interprétée comme constituant un réflexe scientifique et technocratique. Il s'agit de concilier les préoccupations démocratiques et les exigences que doit remplir une évaluation adéquate du point de vue scientifique.

Il semble acceptable d'orienter politiquement la sélection des lois à soumettre à évaluation, dans la mesure où l'on peut éviter ainsi d'investir du temps et de l'argent dans des projets qui n'ont aucune chance d'être mis en œuvre, soit par manque d'intérêt de la part des politiques, soit en raison de la trop grande sensibilité politique du thème en question. Cependant, il faut éviter que la sélection soit purement politique, si l'on veut que l'éventail des lois pouvant faire l'objet d'une évaluation puisse être aussi large et aussi diversifié que possible. Toute influence politique visant à orienter l'évaluation proprement dite est inacceptable, parce qu'il y a lieu de garantir l'objectivité de celle-ci.

Il vaudrait donc mieux concevoir le Comité parlementaire chargé du suivi législatif comme un organe qui exerce un contrôle sur la sélection des projets d'évaluation en approuvant chaque année un programme de propositions concernant de nouveaux projets d'évaluation (étant entendu qu'il devrait avoir le droit de rejeter des projets spécifiques et d'en ajouter), sans s'immiscer directement dans l'examen subséquent des projets d'évaluation en cours de réalisation. En ce qui concerne l'évaluation à proprement parler, il serait préférable d'instituer un service interdisciplinaire pouvant, si nécessaire, sous-traiter des projets d'évaluation, mais disposant en tout cas de la connaissance et de l'expertise suffisantes pour pouvoir apprécier la qualité du travail sous-traité et pour pouvoir effectuer lui-même un certain nombre d'évaluations.

Nous pensons que cette façon de faire permet de mieux concilier et, surtout, de concilier d'une manière plus réaliste que l'actuel projet de loi, la primauté indispensable de la politique, d'une part, et la nécessité de l'expertise scientifique et de l'indépendance de l'organe qui en est chargé, d'autre part.

Articles 3-5

1. Le fait de rendre l'organe d'évaluation largement accessible, autrement dit de renforcer la fonction de signal, est une bonne idée. On peut supposer qu'en fin de compte, seules les requêtes fondées sur un dossier présentant un projet d'évaluation bien étayé seront retenues. Cela signifie que des matières qui ne figurent pas en haut de l'agenda politique pourraient quand même être prises en compte pour peu qu'elles présentent un intérêt jugé suffisant d'un point de vue sociétal.

2. À l'article 3, 1º, il est question de « difficultés d'application des lois en vigueur ». Or, la législation est souvent indissociable de certains arrêtés. C'est pourquoi il semble indiqué aussi d'incorporer expressément les arrêtés d'exécution des lois dans la réglementation en question. On permettrait ainsi au parlement de fournir au gouvernement des indications quant aux adaptations à apporter aux arrêtés d'exécution (31) .

3. L'article 3 énumère les difficultés qui pourraient être évoquées. On ne voit pas très bien pourquoi l'énumération est limitative. Il est possible, par exemple, qu'une loi soit « adaptée » à la situation qu'elle règle, mais qu'elle ait des effets secondaires imprévus. Le problème en question peut-il être considéré comme une « erreur » au sens de l'article 3, 1º, ou est-il « inévocable » par principe ? L'article 6 donne la priorité à l'évaluation de lois qui engendrent des charges administratives excessives. L'article 3, 1º, n'offre en tout cas aucune possibilité d'évoquer ce problème. Faut-il considérer qu'il constitue une « inadéquation » au sens de l'article 3, 2º ? Il serait donc sage semble-t-il d'assouplir ou d'élargir les critères énumérés.

4. La requête ne peut concerner que des lois qui sont en vigueur depuis au moins trois ans. On part en effet du principe que, pour pouvoir être évaluées valablement, les lois doivent être mises à exécution dans une mesure suffisante.

Les avis divergent à propos de la durée idéale de ce délai, mais il est clair qu'elle peut varier d'une réglementation à l'autre. La doctrine retient un délai de cinq ans en ce qui concerne la mesure de l'impact, mais une évaluation plus rapide pourrait déjà fournir des informations sur la mise à exécution de la loi et sur les principales difficultés qu'elle engendre (32) . Il y a aussi des lois qui suivent un rythme spécifique, comme les lois électorales qui n'ont un impact qu'au cours de périodes spécifiques (comme les périodes électorales) (33) .

Si l'on veut instaurer un délai d'attente de manière que l'application d'une loi puisse atteindre sa vitesse de croisière, alors il serait peut-être préférable d'en inscrire le principe dans un règlement, un manuel ou un scénario plutôt que dans la loi même, et d'autoriser explicitement des exceptions, car il pourrait parfois s'avérer souhaitable de procéder à une évaluation avant l'expiration de ce délai.

5. Le fonctionnement du Comité dépend du dépôt de requêtes. Mais pourquoi le Comité ne peut-il pas proposer des projets lui-même et en son nom propre — c'est-à-dire non pas au nom de plusieurs de ses membres —, par exemple sur la base des rapports qui doivent être examinés en vertu des articles 11 et 12 ?

À cet effet, on pourrait insérer un nouvel article 6bis rédigé comme suit:

« Art. 6bis. Le Comité peut décider [à la majorité de ses membres] d'évaluer lui-même des textes de loi, conformément aux articles 7 et 8, alinéas 1er et 2. »

Article 6

L'évaluation de la législation est une activité qui prend du temps et qui est aussi souvent onéreuse. Il faut donc opérer une sélection. Il est bon de préciser les objectifs ou les critères que l'on privilégie.

Il s'agit en l'espèce de la bonne marche de l'ordonnancement juridique et de la réduction des charges administratives, mais il y a d'autres critères qui jouent un rôle, comme celui du personnel disponible et celui de la capacité financière. Il n'est pas indiqué de décider à propos de chaque requête prise séparément si l'on y donnera suite et de notifier ensuite directement la décision au requérant.

Il vaut mieux établir chaque année un programme d'évaluations définissant des priorités. À cette occasion, on peut tenir compte des moyens disponibles et mesurer la gravité relative des plaintes formulées dans les diverses requêtes en les comparant entre elles. On peut aussi considérer que plusieurs requêtes contenant les mêmes remarques ont plus de poids qu'une seule.

Dans cette optique, il n'est pas nécessaire non plus de motiver chaque refus de procéder à une évaluation visée dans une requête, sinon le Comité pourrait avoir à faire face à une « charge administrative excessive ». Il est préférable d'expliquer les raisons du choix du programme d'évaluation en question et des priorités qui sont fixées dans le cadre de celui-ci. Il va de soi que, dans ce cas, la notification du refus de donner suite à une requête, avec référence à ce programme, doit être maintenue.

Article 7

1. Il ne faut pas indiquer préalablement quelles sont les requêtes qui seront examinées ni ce qui sera précisément évalué et certainement pas si une suite sera donnée ou non à une requête individuelle; ces précisions doivent être fournies clairement dans le programme d'évaluations annuel dans lequel sont présentés les projets d'évaluation concrets. Il y a lieu d'indiquer, pour chaque projet d'évaluation, quel est l'objectif poursuivi (mesure de l'efficacité, de l'efficience, de l'impact ...), et de choisir la méthode de travail en fonction de cet objectif. Par conséquent, la sélection des requêtes ainsi que le choix de l'objectif et de la méthode de travail doivent faire l'objet d'une nouvelle disposition (remplaçant l'article 6 et le premier alinéa de l'article 7), concernant la rédaction du programme d'évaluations annuel.

2. La question de savoir si les moyens mis en œuvre permettent de produire les effets attendus et d'atteindre les objectifs assignés doit être posée dans le cadre d'une évaluation ex ante et non pas dans celui d'une évaluation ex post. On vérifie ex post si la loi produit les effets attendus et si elle atteint les objectifs assignés. La formulation utilisée dans l'alinéa 1er est trop restrictive. Une évaluation ex post permet de démontrer notamment qu'une loi peut produire les effets attendus et permet d'atteindre les objectifs assignés, dans la mesure où elle ne pose pas problème en soi, mais où son exécution pose problème. Il semble souhaitable que le parlement puisse examiner également ce genre de problèmes dans le cadre de la mission de contrôle qui est la sienne. Il faudrait à tout le moins supprimer le mot « permettent » dans le texte français et adapter le texte néerlandais en conséquence en y supprimant à chaque fois le mot « kunnen ».

3. La possibilité de faire appel à des experts va de soi, dès l'instant où l'analyse doit être effectuée de manière scientifique. Nous renvoyons à cet égard aux observations qui ont déjà été faites à propos de la composition du Comité. L'alinéa 2 mériterait en tout cas d'être développé et il serait même préférable d'en faire un nouvel article distinct.

4. Ce qui importe en ce qui concerne l'évaluation ex post, c'est la publicité de la procédure, que l'OCDE recommande d'ailleurs comme moyen d'améliorer la participation. La consultation des services, des professions et des personnes concernées est donc à encourager. Cette consultation et les résultats de celle-ci doivent être rendus publics. Il serait préférable d'inscrire ce principe dans le projet de loi.

5. Il est indispensable de disposer d'informations pour pouvoir procéder à des évaluations. Dès lors, des mesures contraignantes sont parfois nécessaires, par exemple pour obliger les institutions à en fournir ou pour faire en sorte que des informations soient générées par exemple par le biais de contrôles de police ou d'inspections. Il paraît être souhaitable dès lors d'attribuer à l'organe évaluateur des compétences lui permettant plus explicitement d'obtenir ces informations, tant auprès du pouvoir exécutif qu'auprès de particuliers, d'institutions, de services, etc. concernés.

Qui veillera à la tenue à jour et à l'analyse systématiques des données nécessaires ? Dès le moment où une nouvelle loi est élaborée, il y a lieu d'examiner quelles sont les données qu'il faut conserver pour permettre une évaluation ultérieure et il faut veiller à ce que ces données soient effectivement conservées et tenues à jour.

Article 8

La publicité de l'évaluation est une autre garantie importante que la loi devrait offrir. Qui a exécuté le projet d'évaluation, quels étaient les objectifs de celui-ci, qui a été consulté, quelle méthode a-t-on suivi ? Il conviendrait, dès lors, que chaque projet d'évaluation fasse l'objet d'un rapport et que ce rapport soit publié.

Articles 9 et 10

1. L'idée de procéder à une analyse systématique des arrêts de la Cour d'arbitrage est intéressante. Il s'agit d'ailleurs d'une tâche dont le service d'Évaluation de la législation du Sénat et le service juridique de la Chambre s'occupent déjà (34) . L'expression « qui ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique » n'est toutefois pas claire. Dans les développements de la proposition de loi, il n'est question que de lacunes résultant du fait que des dispositions ne peuvent plus être appliquées, parce qu'elles ont été déclarées inconstitutionnelles ou qu'elles ont été annulées (35) . Ces vides juridiques doivent dès lors « être comblés » au moyen d'initiatives législatives.

Mais il y a plus que cela:

a) la déclaration d'inconstitutionnalité dans un arrêt préjudiciel implique que la disposition ne peut pas être appliquée dans le cadre du litige en cause, mais qu'elle subsiste néanmoins. Le législateur doit abroger les dispositions en question. Cette hypothèse est celle visée dans le projet de loi;

b) L'annulation d'une disposition rend l'abrogation par le législateur inutile, car elle vaut erga omnes. En revanche, il est possible que, par suite de l'annulation de la disposition, le texte restant devienne incohérent. Il faut évaluer les choses à cet égard, tant dans le cadre de l'hypothèse visée ici que dans le cadre de l'hypothèse a), c'est-à-dire la deuxième hypothèse visée dans le projet de loi;

c) la Cour d'arbitrage constate parfois que l'inconstitutionnalité vient non pas de la disposition attaquée, mais du fait qu'il y a une lacune dans la législation. Une initiative législative s'impose dans ce cas;

d) la Cour d'arbitrage constate parfois que la disposition attaquée est inconstitutionnelle dans la mesure où elle est inapplicable à une catégorie déterminée. Dans ce cas, elle doit être abrogée ou étendue à la catégorie en question;

e) la Cour d'arbitrage constate parfois qu'une loi ou une disposition légale est encore constitutionnelle, mais qu'en raison de certaines évolutions, elle finira vite par violer le principe d'égalité; elle constate aussi parfois qu'on continue à faire en sorte qu'une loi reste conforme à la Constitution à condition que l'on ait prévu de l'adapter à l'occasion de la première modification de la Constitution qui serait opérée;

f) il arrive que la Cour d'arbitrage donne d'une disposition une interprétation qui est, certes, conforme à la Constitution, mais qui ne ressort pas clairement de la loi; c'est ainsi qu'elle a interprété le terme « famille » qui figure à l'article 632 du Code civil à la lumière de traités qui ont été conclus après son entrée en vigueur, d'une part, et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, d'autre part, si bien qu'il vaut également pour désigner un groupe de personnes qui s'est constitué hors mariage, dans la mesure où il ressort d'une lecture littérale que le législateur pensait effectivement aux familles constituées sur la base d'un mariage (36) . Il est possible — et même parfois opportun — d'inscrire cette interprétation dans le texte de loi, notamment dans l'intérêt de la sécurité juridique;

g) la Cour d'arbitrage constate parfois que les griefs invoqués concernent l'application de la loi et non pas le texte de la loi. On peut très bien s'imaginer qu'en pareil cas le législateur puisse souhaiter lui-même remédier à la situation en ajoutant quelque chose au texte légal.

2. Pourquoi un consensus est-il nécessaire dans l'éventualité où une proposition d'initiative législative est faite ? On ne voit pas très bien pourquoi il faudrait déroger au principe de la décision à la majorité.

Articles 11 et 12

La jurisprudence de la Cour d'arbitrage et celle des cours et tribunaux ne sont pas les seules qui puissent rendre nécessaire une initiative législative. La jurisprudence du Conseil d'État, de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice peuvent avoir le même effet.

Le fait qu'il ne soit pas question du Conseil d'État dans cet article constitue une lacune (37) . L'argument selon lequel le Conseil ne ferait que répéter les considérations émises par la section de législation et déclencherait une polémique à propos des avis qui n'auraient pas été suivis par le législateur (38) ne tient pas. Il s'agit d'une crainte qui témoigne d'une méfiance malsaine et qui ne saurait en aucun cas justifier que les informations utiles que peut fournir la section d'administration restent inexploitées.

La section de législation du Conseil d'État peut aussi être mentionnée ici. Il arrive régulièrement qu'elle fasse remarquer, dans des avis sur des arrêtés d'exécution, que certaines dispositions légales qui sont par exemple invoquées comme fondement juridique posent problème pour l'une ou l'autre raison. Il paraît souhaitable d'attirer l'attention du législateur sur les problèmes en question, et ce, par le biais d'un rapport du Conseil d'État.

En outre, une loi ou une lacune dans la législation peut constituer une atteinte à la CEDH ou au droit communautaire européen. À cet égard, la condamnation d'un autre État peut également être considérée comme un avertissement pour la Belgique. Il conviendrait d'organiser un contrôle systématique des cas en question.

Article 13

1. En l'occurrence, le délai de trois ans constitue également une limitation inutile.

2. En ce qui concerne l'exigence du consensus, référence est faite à la deuxième observation concernant les articles 9 et 10.

Proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, nº 3-464/1)

Articles 2 et 3

1. L'évaluation de la législation est liée à la compétence législative. En soi, l'article 2 n'ajoute rien à ce principe; au contraire, il limite plutôt les possibilités d'évaluation en énumérant les objectifs. L'article 3 prévoit en fait l'institutionnalisation d'une procédure d'évaluation spécifique réservée au Sénat, ce qui n'empêcherait en rien les députés de procéder également à une évaluation des lois en vigueur.

L'accord de gouvernement prévoit une réforme fondamentale du Sénat au cours de l'actuelle législature. Si l'on s'attelait effectivement à cette réforme, il vaudrait sans doute mieux attendre de savoir si le Sénat continuera à jouer le rôle de chambre de réflexion qui est actuellement le sien et qui est invoqué dans les développements de la proposition pour expliquer pourquoi elle le charge de l'évaluation (voir aussi la deuxième remarque générale).

2.  Le Sénat peut procéder, selon les développements (p. 4), à une évaluation sur la base de problèmes signalés par « d'autres acteurs du monde juridique ». Il est évident qu'en mettant l'accent sur les acteurs « juridiques », la proposition vise surtout à une évaluation juridique.

C'est un choix politique légitime, mais il faut bien savoir que, ce faisant, on n'institue qu'une évaluation très limitée. Si l'on ouvre aux « justiciables », l'accès au Sénat agissant en qualité d'évaluateur de la législation, il s'avérera rapidement que les problèmes dont il est question à l'article 2 ne concernent pas toujours la qualité juridique des lois ou des règlements visés. De plus, on peut avoir parfois une obligation juridique de procéder à une évaluation plus poussée, par exemple pour pouvoir vérifier si une mesure est toujours appropriée au bout d'un certain temps, dans un contexte changé. L'examen nécessaire à cet effet doit être plus qu'une analyse purement juridique. On devrait en conclure qu'eu égard ne fût-ce qu'au devoir d'amélioration ou d'amendement du législateur, une évaluation purement juridique ne suffit pas.

3. Le Sénat peut procéder lui-même à une évaluation, mais il peut aussi confier la réalisation proprement dite de celle-ci à une commission spéciale ou la sous-traiter (cf. développements p. 4).

Aucune garantie n'est prévue pour ce qui est de l'indépendance de l'analyse, du caractère scientifique de la méthode utilisée et de la transparence du processus d'évaluation, ni aucune procédure de sélection, ni aucune transparence concernant les critères sur la base desquels le Sénat décidera d'examiner ou éventuellement de ne pas examiner l'un ou l'autre dossier. Le Sénat doit cependant déposer chaque année un rapport sur l'état de ses travaux. Il serait bon aussi d'établir chaque année un programme d'évaluation, pour que l'on sache clairement quels sont les dossiers qui ont la priorité (voir notamment à ce sujet l'observation concernant l'article 6 du projet de loi nº 3-648/1).

Article 4

La proposition de loi prévoit l'obligation, pour le procureur général près la Cour de cassation et le Collège des procureurs généraux, ainsi que le Conseil d'État, d'établir un rapport sur les difficultés d'application ou d'interprétation des lois qui ont été rencontrées par les cours et tribunaux et par le Conseil d'État.

Prévoir que seules les deux juridictions précitées et le Conseil d'État ont l'obligation d'apporter des informations sous une forme structurelle est insuffisant pour deux raisons:

1) les juridictions et le Conseil d'État ne connaissent qu'un nombre limité de cas d'application, à savoir les cas dans lesquels il est question d'un conflit juridique ou dans lesquels le demandeur souhaite attaquer le contenu d'une décision. Les premiers à avoir à appliquer la législation, ce sont toutefois les justiciables eux-mêmes et les instances administratives. Dans cette optique, des rapports établis par l'administration pourraient apporter des informations intéressantes.

2) La Cour d'arbitrage peut elle aussi fournir des informations importantes. En contrôlant la législation, on l'interprète aussi. La Cour d'arbitrage encourage également les initiatives législatives et l'amendement de la législation (voir les observations formulées à propos du projet de loi nº 3-648/1).

1.3. Mme Françoise Leurquin — De Visscher, professeur à l'Université catholique de Louvain

Certaines idées, bien que particulièrement séduisantes, ne parviennent que difficilement à s'inscrire dans la réalité. Tel est le cas de l'évaluation des lois fédérales. Définie comme étant l'analyse, à l'aide de méthodes scientifiques, des effets les plus significatifs des choix exercés par le législateur, l'évaluation législative piétine. En 2004 en effet, les études méthodiques étayées par des faits objectifs et des raisonnements reproductibles pour mesurer les effets prévisibles ou avérés des normes législatives ne trouvent pas encore leur ancrage dans le processus d'élaboration des lois en Belgique.

Et pourtant, depuis 1990, les projets et propositions de loi destinés à prendre en compte la démarche évaluative n'ont pas manqué. Leurs auteurs n'ont pas non plus bridé leur imagination pour intégrer cette préoccupation dans le droit fédéral. Pour les uns, c'est tantôt la réforme des règles de procédure qui gouvernent l'élaboration des lois qui est préconisée. Il conviendrait dès lors d'instituer « une évaluation triennale de la législation » (39) , voire « une procédure d'évaluation législative » (40) . Pour d'autres, il serait préférable de confier la mission à un organe spécialisé, dénommé tour à tour « commission nationale chargée de la coordination et de la simplification de la législation » (41) , « comité parlementaire chargé du suivi législatif » (42) , « cellule d'évaluation de la législation » (43) , « office de la législation » (44) ou encore « conseil législatif » (45) . Une troisième tendance enfin juge plus judicieux d'aborder le problème du suivi de la législation en s'adjoignant l'expertise des hautes juridictions (46) .

Le fait qu'aucune de ces initiatives, comme d'ailleurs aucune déclaration faite en faveur de l'évaluation des lois par les gouvernements qui se sont succédé depuis la marche blanche (47) n'ait jusqu'à présent abouti, interpelle. Quelles sont donc les raisons de cet immobilisme ? Pourquoi l'idée d'« améliorer le contenu des lois en prenant en compte les effets de tout ordre qu'elles suscitent » (48) a-t-elle tellement de difficulté à se concrétiser ?

Il semble bien que la manière dont le thème de l'évaluation a été abordé en Belgique jusqu'à présent souffre de deux défauts opposés. D'une part, il suscite une attente excessive et conduit ses partisans à faire croire que l'évaluation constitue le remède à l'ensemble des maux relevés par ce que d'aucuns ont qualifié de pathologie législative (49) . D'autre part et à l'inverse, il pâtit d'une banalisation exagérée, ce qui permet aux adversaires d'une institutionnalisation de la démarche évaluative de faire valoir que cette dernière est et a toujours été pratiquée et qu'il ne s'agit en réalité que d'un effet de mode. Entre ces deux points de vue extrêmes, il existe cependant une position médiane qui donne à l'évaluation son exacte portée. Celle-ci ne peut toutefois être bien comprise qu'après avoir mené une réflexion sur les enjeux de l'évaluation, c'est-à-dire les objectifs qui doivent lui être assigné (§ 1er L'enjeu politique de l'évaluation des lois), les exigences scientifiques qui la sous-tendent (§ 2 L'enjeu scientifique de l'évaluation des lois) ainsi que les institutions qui seraient à même d'en assumer la responsabilité (§ 3 L'enjeu institutionnel de l'évaluation des lois).

§ 1er. L'enjeu politique de l'évaluation des lois

La première question qui vient à l'esprit est celle du « pourquoi ? ». Pourquoi importe-t-il d'introduire dans le processus d'élaboration des lois une démarche évaluative ? Et, comme toute intervention du législateur trouve son origine dans un écart jugé inacceptable entre une situation de fait et une situation idéale, la question se dédouble. Il convient de s'interroger dans un premier temps sur la situation dénoncée. Il faut se demander ensuite si l'évaluation des lois constitue une réponse politique adéquate à celle-ci.

La détermination des objectifs qui sont à assigner à l'évaluation des lois ne fait pas l'unanimité. Pour le gouvernement actuel, le but à atteindre en mettant sur pied un système d'évaluation législative est la réduction de la paperasserie. L'accord gouvernemental présenté devant la Chambre des représentants le 14 juillet 2003 (50) prévoit en effet « douze actions de simplification concrètes » destinées à lutter contre la surabondance de formalités administratives qui asphyxient les indépendants et les entreprises. C'est ainsi qu'au nombre de ces « XII Œuvres » (51) figurent, sur un même pied, la suppression du certificat de bonne vie et mœurs, la suppression de la certification conforme de copies, la suppression du pointage pour les chômeurs, la suppression des timbres fiscaux pour les permis de conduire, l'extension de Tax-on-web et la déclaration d'impôt préremplie, l'introduction de la collecte unique de données des citoyens, l'introduction du formulaire unique pour les entreprises débutantes, la suppression des attestations et des certificats pour les marchés publics, la réduction des délais d'archivage électronique, l'introduction du numéro unique d'entreprise, l'introduction de la collecte unique de données des entreprises et ..., tel le douzième exploit d'Hercule dont la mission consiste à ramener le chien Cerbère des Enfers, l'introduction d'un système d'évaluation législative. Même si la déclaration ajoute que l'efficacité, la proportionnalité, la transparence et la cohérence seront les critères pris en compte, l'objectif visé déconcerte. Sauf à ne soumettre à évaluation que les quelques rares articles de lois qui, par eux-mêmes, imposent des charges administratives, on aperçoit mal en effet la place qu'occupe l'évaluation des lois dans cette liste et le rôle qu'elle peut tenir dans la lutte contre la paperasserie.

Plus sérieux semble être l'objectif qui vise à « garantir la qualité de la réglementation ». Il a été énoncé par le Conseil des ministres du 18 juillet 1997, il a été repris dans l'accord gouvernemental de juillet 1999, on le retrouve également comme finalité de multiples projets et propositions qui ont fait l'objet de discussion au sein des assemblées fédérales. Le constat est connu: non seulement la législation apparaît comme étant pléthorique mais elle souffre également de graves défauts de nature qualitative. Deux déficiences, qui, passé un certain seuil, finissent par porter atteinte à certaines valeurs essentielles d'un État démocratique. Face à cette dégradation croissante de la réglementation, l'évaluation des lois fait alors office de solution (52) .

Tant la situation dénoncée que le remède à y apporter méritent cependant réflexion. On peut en effet se demander si une partie des critiques adressées à l'état de la réglementation n'est pas à mettre sur le compte d'une certaine nostalgie d'un passé révolu. L'inflation législative est, pour une large part tributaire de choix de société difficilement réversibles: l'internationalisation de l'État, sa fédéralisation et son rôle régulateur dans des domaines de plus en plus nombreux n'en sont que des exemples. Quant à la qualité des règles, elle doit pouvoir s'accommoder des exigences de rapidité et de mutabilité propres au XXIe siècle.

Même si ce qui vient d'être dit relativise quelque peu les défectuosités dénoncées, il reste que celles-ci demeurent importantes, ce qui est d'autant moins admissible que le citoyen se trouve précisément confronté à une législation abondante et complexe.

Une analyse des différents reproches formulés à l'encontre des lois permet toutefois de constater que ceux-ci sont de deux ordres. Les uns sont de nature formelle. C'est le système de communication entre le législateur et le citoyen qui est déficient. Le message législatif est mal rédigé, mal transmis ou mal reçu. Ce peut être tantôt la rédaction qui est imparfaite pour la raison que les auteurs de la loi ne sont pas obligatoirement assistés, tout au long de la procédure d'élaboration du texte, par des légistes professionnels ou par des traducteurs expérimentés. Ce peut être aussi la transmission de la volonté du législateur qui ne se réalise pas de manière optimale. Le message envoyé est par exemple tronqué parce qu'il prend la forme de lois-programmes ou de textes modificatifs qui ne permettent pas de disposer d'emblée de l'ensemble de la législation applicable à une matière déterminée. Ce peut être enfin la prise de connaissance des textes qui se révèle inadaptée. Le Moniteur belge ne peut plus aujourd'hui constituer le seul moyen d'information officielle pour le citoyen. Un service public minimum consisterait à lui mettre à disposition non seulement l'ensemble de la législation belge coordonnée mais également des moteurs de recherche performants et des fiches d'informations fiables réalisées avec l'aide de spécialistes en communication.

D'autres reproches adressés à la législation sont de nature matérielle. Ils sont liés au contenu du message législatif. De sa conception à sa disparition, la règle doit avoir été pensée (53) . Or, il n'est pas rare que des approximations voire des erreurs de perception entachent l'une ou l'autre étape qui jalonne le processus décisionnel. Il peut arriver en effet que le problème de départ ait été mal appréhendé, que les objectifs n'aient pas été exactement cernés, que les alternatives n'aient pas été envisagées, que les effets potentiels des mesures n'aient pas été analysés, que des problèmes d'exécution ou d'application aient empêché la règle de développer ses virtualités ou encore qu'un suivi régulier n'ait pas été effectué. Tous défauts qui nuisent à l'efficacité, à l'effectivité ou à l'efficience de la législation (54) .

Si la distinction qui vient d'être opérée est quelque peu artificielle en ce sens qu'il existe toujours des influences réciproques entre la forme d'un message et son contenu, il n'en demeure pas moins qu'elle permet de montrer que l'évaluation des lois, qu'elle s'exerce ex ante ou ex post, est une démarche qui n'est pas à rattacher au système communicationnel mais bien plutôt, comme le dit Ch.-A. Morand, au « système d'action que représente la législation » (55) . À elle seule, la démarche évaluative serait donc incapable de résoudre toutes les déficiences dont souffre la législation actuelle.

En réalité, l'objectif qu'il semble raisonnable d'assigner à l'évaluation législative est l'amélioration de la qualité du travail de fond effectué par les parlementaires en assurant une plus grande objectivité dans les choix qu'ils sont amenés à faire. Il s'agit de permettre aux auteurs de la loi d'appuyer leurs décisions sur des connaissances fiables, de leur fournir des indications de nature scientifique tant sur les effets potentiels d'un texte en projet que sur les effets réellement produits par une loi mise en œuvre.

Il importe de remarquer que pareil objectif n'est pas sans implications. Il exige des autorités législatives un changement complet de culture dans la manière de prendre les décisions. Il faut qu'elles admettent que leurs choix ne puissent plus êtres basés sur des impressions ou des diktats. Il est également indispensable qu'elles acceptent de ne pas instrumentaliser l'évaluation et qu'elles assument pleinement le risque de conclusions qui déplaisent. Dans ces conditions, on peut raisonnablement penser que les solutions législatives seront plus rationnelles, plus cohérentes et plus efficaces, ce qui devrait normalement conduire le citoyen à se faire une idée plus positive de l'institution parlementaire.

Au-delà de l'aide à la décision qui constitue l'objectif premier, il n'est pas exclu de penser qu'à plus ou moins long terme, l'évaluation puisse s'inscrire dans une finalité plus vaste. Pour autant que les résultats des analyses aient été communiqués à l'opinion publique en des termes accessibles, elle devient alors outil démocratique. Elle permet en effet aux citoyens forts de ces informations de participer à un débat public aux enjeux clarifiés.

Vus sous l'angle de l'enjeu politique de l'évaluation, les deux textes qui font l'objet des auditions du Sénat (56) s'attachent uniquement à remédier aux problèmes que pose l'application des lois fédérales. Les dispositions envisagées font en effet abstraction de toutes les mesures préventives qui pourraient mettre fin aux problèmes liés à la production de la loi (surproduction ou production de mauvaise qualité). Il faut également constater que le remède préconisé par la proposition nº 3-648/1 — à savoir l'institution d'une procédure d'évaluation législative — n'est pas parfaitement adapté aux maux qu'elle dénonce (sauf à englober dans le terme évaluation toute la légistique formelle).

§ 2. L'enjeu scientifique de l'évaluation des lois

Si les parlementaires belges sont nombreux à appeler de leurs vœux une évaluation législative, force est cependant de constater que rares sont leurs initiatives qui prennent en compte les modes d'analyses spécifiques qui font partie intégrante de cette notion: la dimension scientifique de l'évaluation se voit en effet quasi totalement occultée (57) .

Pourtant les définitions avancées par les spécialistes de la matière ne font pas mystère de cet élément essentiel. Ainsi, pour L. Mader, « De manière très générale, ce terme couvre l'ensemble des analyses basées sur l'emploi de méthodes scientifiques et portant sur la mise en œuvre et les effets d'actes législatifs » (58) . Pour J. Chevallier, « l'évaluation législative suppose (...) que les parlementaires fassent appel à des scientifiques, capables de recourir à des méthodes rigoureuses d'analyse pour apprécier les effets des politiques suivies; c'est à cette condition, et à cette condition seulement, qu'on peut réellement parler d'évaluation. L'évaluation doit donc être soigneusement distinguée des simples jugements évaluatifs portés par les parlementaires sur le contenu des politiques suivies » (59) . Enfin, pour M. Adams, entendu le 7 octobre 1998 par la commission chargée de faire rapport sur le projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative, il faut entendre « par évaluation de la législation: l'évaluation des lois au sens large du terme, sur la base de certains critères, en se fondant notamment sur des données empiriques et en appliquant des méthodes scientifiques » (60) .

Au-delà des définitions, la pratique étrangère montre également qu'il est parfaitement possible de saisir les effets d'une loi autrement que sous forme intuitive. Des outils d'analyse existent, même s'ils restent encore largement ignorés en Belgique. Ils sont susceptibles d'épauler les parlementaires lors des différentes options qui sont à prendre, de la conception à la disparition de la loi, qu'il s'agisse de la définition du problème à régler, de la détermination des objectifs à poursuivre, de l'établissement des scénarios alternatifs, du choix des solutions, de l'appréciation des effets probables d'une règle, de sa mise en œuvre ou de la mesure des effets produits par celle-ci (61) . Chacune des étapes qui balisent la durée de vie de la loi est ainsi assortie de techniques de recherche appropriées. On citera, parmi les méthodes de collectes de données proposées, l'analyse de documents, le sondage, la statistique, l'interview, l'observation participative, la discussion en groupe ... Pour l'exploitation des données, l'évaluateur a le choix entre l'étude de documentation, l'analyse statistique, la modélisation, les simulations, l'expérimentation ... toutes techniques aujourd'hui de mieux en mieux maîtrisées, notamment par les spécialistes de l'évaluation des politiques publiques.

À cet égard, il y a lieu d'observer que cela fait déjà un certain nombre d'années que les autres pouvoirs de l'État fédéral ont intégré cette dimension scientifique. Ainsi, un nombre de plus en plus conséquent de décisions judiciaires prennent appui sur des expertises et des analyses scientifiques en tout genre: la recherche d'ADN, les analyses balistiques, le taping, les expertises médicales ou comptables, n'en sont que les exemples les plus visibles. Une tendance identique se fait jour au sein de l'exécutif. L'enquête menée par S. Jacob et F. Varone auprès des organismes publics fédéraux tend à montrer que la pratique de l'évaluation des politiques publiques (62) est loin d'être marginale. « La majorité des répondants (56 %) affirme pratiquer l'évaluation, du moins de manière occasionnelle ». Et les auteurs d'ajouter: « Ce résultat va à l'encontre de la conception classique de l'évaluation des politiques publiques en Belgique qui considère que l'administration fédérale et d'autres acteurs publics n'appliquent pas cette méthode » (63) . N'est-il dès lors pas temps que le pouvoir législatif tente lui-aussi de rationaliser son action ?

Encore convient-il, avant de recourir à l'évaluation législative, de mesurer les exigences qui sont liées à la démarche scientifique et méthodique qui soutient la notion. Plusieurs observations peuvent être avancées à ce propos. Tout d'abord, la réalisation technique de l'évaluation postule des qualités scientifiques qui ne relèvent pas au premier chef de la compétence des parlementaires. Seuls des professionnels sont à même de maîtriser l'ensemble des méthodes et des procédés d'évaluation et de les adapter à un sujet déterminé. Est-ce à dire que les parlementaires se voient évincés du processus ? Rien n'est moins vrai. Le rôle de commanditaire de l'évaluation leur revient. C'est dire qu'ils auront à déterminer l'opportunité de procéder à une évaluation particulière ainsi que l'objet de celle-ci. Il leur faudra également présider à la rédaction d'un cahier des charges précis, à la sélection de l'équipe, interne ou externe, qui sera chargée de conduire l'étude et à son accompagnement tout au long de sa mission. Il leur appartiendra enfin de porter un jugement sur base des matériaux qui leur seront remis et de veiller à assurer la valorisation des résultats.

L'impératif de professionnalisme qui, pour une large part, contribue à la fiabilité des évaluations peut être atteint en confiant la mission tantôt à un organisme externe, tantôt à un service interne. Le recours à des évaluations externes présente l'avantage de pouvoir choisir parmi un large éventail de compétence. Il permet également de penser que l'existence d'une distance par rapport à l'objet de la recherche peut plus facilement donner naissance à des idées neuves. Il est vrai aussi que la procédure externe se révèle plus lourde lorsque les assemblées parlementaires se voient contraintes de respecter les règles relatives aux marchés publics de service (64) . Il est également possible de créer un service interne spécialisé dans l'évaluation. Composé de fonctionnaires engagés sur base de leur expertise en la matière, ce service serait à même de mieux comprendre l'environnement institutionnel qu'un organisme externe. Sa localisation lui permettrait en outre d'avoir plus facilement accès aux diverses données disponibles au sein de l'institution parlementaire. Le risque de dépendance par rapport au pouvoir politique a toutefois conduit un certain nombre d'observateurs à rejeter pareille solution (65) .

Le temps et le coût liés au caractère scientifique de la démarche évaluative sont également à prendre en considération. Un délai de deux ans est généralement avancé comme étant une moyenne pour réaliser une évaluation digne de ce nom. Il est d'autre part raisonnable d'attendre que la loi soit appliquée depuis un certain temps pour initier une évaluation rétrospective. Les expériences étrangères montrent à cet égard qu'une période de trois ans constitue une bonne mesure. Des conflits avec les impératifs liés au calendrier politique sont donc à prévoir. L'évaluation a aussi un prix et il est regrettable qu'aucune des initiatives parlementaire ou gouvernementale ne fasse mention de cet élément. Il n'est cependant pas interdit de croire que le coût de l'évaluation, immédiatement chiffrable, est largement inférieur aux coûts humains et financiers, directs et indirects, qui peuvent être engendré par une loi qui n'aurait pas été bien pensée au départ ou qui n'aurait pas fait l'objet d'un suivi régulier (66) .

La dernière observation qu'il importe de formuler à propos de la dimension scientifique de l'évaluation est relative à l'articulation entre le discours des experts et celui des politiques. Une mutuelle compréhension des attentes comme des cheminements de la pensée se révèle en effet indispensable. Pour cela, il paraît nécessaire qu'un comité d'accompagnement soit désigné pour suivre l'équipe des évaluateurs tout au long de son étude et assume de la sorte le rôle d'interface. Il leur reviendra de fournir aux évaluateurs des renseignements plus précis sur leur mission, de leur rendre plus aisé l'accès aux données pertinentes, de discuter avec eux des rapports intermédiaires et de voir comment rendre compte des résultats de manière optimale. Une bonne communication entre les équipes scientifiques et les parlementaires est le gage d'une valorisation des résultats.

Pour revenir aux textes analysés par le Sénat, il faut bien constater que l'aspect scientifique de l'évaluation et les exigences qui en découlent n'ont, jusqu'à présent, jamais fait l'objet d'un véritable débat parlementaire. Il serait vraiment regrettable que la dimension essentielle de l'évaluation ne soit prise en compte que dans le règlement d'ordre intérieur du Comité parlementaire que projette d'instaurer le projet en discussion.

§ 3. L'enjeu institutionnel de l'évaluation des lois

Si, depuis plus d'une décennie, la question de l'intégration de la démarche évaluative dans le processus d'élaboration de la loi fédérale fait l'objet de nombreuses discussions, aucune des solutions qui ont été proposées n'a cependant jusqu'à présent été retenue. Il faut bien reconnaître que la question est complexe. Elle implique qu'au préalable l'on ait pris l'exacte mesure des changements qui affectent la nature de la loi d'une part et le rôle des chambres législatives de l'autre. Or, sur ces deux éléments essentiels à la réflexion, les visions claires font défaut.

Certes, plus personne n'ignore que l'acte fait par le pouvoir législatif au sens constitutionnel du terme a complètement muté et que la conception classique qui faisait de la prééminence de la loi, de sa permanence et de sa généralité des caractéristiques essentielles (67) est largement dépassée. Aujourd'hui, la loi n'est plus que le mode d'expression du seul pouvoir législatif fédéral belge. Elle subit des contrôles juridictionnels et sa légitimité dépend, pour une large part, de sa capacité à accomplir les performances escomptées (68) . Anciennement faite pour durer, elle est maintenant l'instrument qui règle une situation perçue comme étant contingente et qui s'ajuste sans cesse au gré de l'évolution de cette dernière. Quant aux altérations de sa généralité, elle se marque dans l'hypernormativité: la loi ne comprend plus les seules règles fondamentales, elle foisonne de détails qui devraient normalement relever de la compétence de l'exécutif.

Face à cette mutation, n'y a-t-il pas lieu de repenser en profondeur un mode de production de la loi qui, à vrai dire, n'a guère évolué depuis 1946, date de la création de la section de législation du Conseil d'État ? La réponse à l'évaluation législative ne serait dès lors pas à trouver dans quelques aménagements de fortune, mais devrait s'inscrire dans une problématique beaucoup plus large qui prendrait en compte l'ensemble des éléments indispensables à l'élaboration de la loi du XXIe siècle.

La réforme du système bicaméral, actuellement sur le métier du gouvernement fédéral constitue le second motif d'irrésolution. L'accord « Renouveau politique » conclu le 26 avril 2002 prévoit en effet « d'adapter définitivement les institutions à la structure fédérale de l'État ». Pour faire bref, un nouveau Sénat verrait le jour. Composé de délégués issus des communautés et des régions, il devrait être compétent pour la Constitution, les lois spéciales et l'approbation des traités mixtes comme des accords de coopération multilatéraux. Quant à la Chambre des représentants, elle deviendrait l'unique chambre qualifiée pour la politique fédérale. Dans le cadre de cet accord, dix dispositions constitutionnelles ont été inscrites sur la liste des articles soumis à révision (69) . La déclaration gouvernementale du 14 juillet 2003 prévoit par ailleurs de confier à un forum auquel seront associées les régions et les communautés le soin de préparer, en partant de l'accord du 26 avril 2002, les propositions de révision de la Constitution et les projets de loi qui devront mener entre autres à la réforme du système bicaméral (70) .

Une solution institutionnelle au problème de l'évaluation peut-elle être envisagée alors que les institutions parlementaires fédérales sont en passe d'être remodelées ? La prudence élémentaire pourrait en effet commander d'attendre que les articles constitutionnels aient été modifiés. Ou plutôt, ne conviendrait-il pas de mener les deux réflexions de concert, de réfléchir sur une meilleure spécialisation des tâches de chacune des deux assemblées, évaluation comprise, et, après que les textes constitutionnels auront été votés, d'œuvrer à l'amélioration des lois à l'aide d'institutions et de techniques adaptées.

Toutes ces incertitudes n'ont cependant pas empêché que des propositions soient avancées pour institutionnaliser peu ou prou l'évaluation législative. Les options défendues se distribuent autour de deux axes.

Il y a d'abord celles que l'on pourrait qualifier d'évaluation diffuse. Ces solutions, qui s'inscrivent dans la continuité de ce qui existe déjà, consistent à inviter chaque auteur de projet ou de proposition de loi à assortir son initiative d'une note qui devrait apporter réponse à certaines questions-type formulées dans le but de pouvoir apprécier les effets potentiels d'une législation (71) .

Elles se complètent, pour l'évaluation ex post, en confiant aux commissions permanentes de chacune des assemblées législatives le soin de « décider de l'évaluation de telle ou telle loi et d'en analyser les résultats » (72) .

Cette manière d'intégrer l'analyse des effets de la loi au sein du processus de son élaboration a incontestablement le mérite de conscientiser l'ensemble des parlementaires sur la nécessité de porter un regard évaluatif sur leurs décisions. Elle présente toutefois l'inconvénient de permettre aux différents protagonistes d'échapper tantôt à l'évaluation elle-même, tantôt à sa dimension scientifique. Elle se prive surtout de l'expertise et des impulsions qu'on est en droit d'attendre d'un organe spécialement chargé de cette mission.

C'est pourquoi, d'autres propositions préfèrent privilégier la création d'un service spécialisé qui serait à même de procurer toute l'aide que nécessite l'élaboration d'une législation de qualité, l'évaluation comprise. Pareil service doit-il être rattaché au Parlement ou à l'administration ? Le choix d'un service parlementaire paraît être le meilleur. Un service d'évaluation placé sous la responsabilité des chambres législatives permettrait par ailleurs d'amorcer un rééquilibrage des rapports entre le Parlement et l'exécutif. Les parlementaires pourraient ainsi bénéficier de leurs propres sources d'information et s'affranchir sur ce point de leur dépendance à l'égard des instances gouvernementales. Leur fonction de contrôle en serait par le même renforcée.

Et s'il doit s'agir d'un service interne au Parlement, faut-il alors préférer un seul service commun aux deux assemblées ? Deux services ? L'un rattaché à la Chambre et l'autre au Sénat. Ou encore un seul service qui serait placé sous la responsabilité soit de la Chambre soit du Sénat ? Les réformes constitutionnelles de 1994 ayant mis fin au bicaméralisme égalitaire intégral, il est donc aujourd'hui possible de se poser la question de savoir si l'amélioration de la qualité des lois revient en propre à l'une des deux assemblées. Dans le système actuel, la Chambre des représentants a le mérite de voter toutes les lois fédérales contrairement au Sénat qui a vu sa compétence normative amputée. La Chambre a en outre pour mission d'exercer le contrôle politique, ce qui lui donne un titre particulier pour intervenir lorsque les problèmes d'application des lois sont liés à leur exécution. Quant au Sénat, il est devenu la chambre de réflexion. Est-ce à dire qu'à ce titre, il lui appartient de veiller à la qualité de la législation et donc d'opérer la mainmise sur toutes mesures destinées à améliorer les lois fédérales ? Nous ne le croyons pas. Ce qui est demandé au Sénat dans ce cadre, c'est de mener une réflexion approfondie sur les grands problèmes de société, mission qu'il accomplit d'ailleurs à la satisfaction de tous.

La solution retenue par la proposition nº 3-464/1 et qui charge le Sénat de l'évaluation des lois et règlements fédéraux ne paraît donc pas être en conformité avec les révisions constitutionnelles de 1994. D'une part, elle prive la Chambre d'une partie de ses prérogatives constitutionnelles en matière normative. D'autre part, en proposant d'évaluer les règlements, elle empiète sur la compétence de contrôle politique dévolu à la Chambre. Quant à la solution développée sur ce point dans le projet instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, elle présente plusieurs mérites. Elle fait une fleur au Sénat en l'associant paritairement alors que ce dernier n'a plus qu'une fonction normative limitée. Elle devrait permettre d'éviter de désastreuses concurrences entre les deux assemblées. Elle concentre en outre, en un seul lieu, à la fois les ressources et l'expertise.

Si l'on en vient maintenant à la manière dont le projet nº 3-648/1 envisage la composition, la compétence et le fonctionnement du Comité parlementaire chargé du suivi législatif, plusieurs observations (73) peuvent être faites.

Les premières concernent la composition du Comité: 11 députés et 11 sénateurs. Si la composition est paritaire, elle n'est toutefois pas proportionnelle au nombre de membres que compte chacune des assemblées. Il faut être conscient que plus de 15 % (15,4 %) des sénateurs (74) seront requis pour faire partie du Comité et que la charge de travail qui découlera de cette participation sera loin d'être négligeable. Il est dès lors légitime de se poser la question de savoir si le Sénat dispose du potentiel humain nécessaire pour faire fonctionner efficacement un comité dont les compétences ne sont pas directement électoralement rentables. Dans le même ordre d'idées, on peut également regretter que le projet ne fasse aucune mention de l'équipe de fonctionnaires et d'experts indispensable pour épauler le Comité dans la réalisation des tâches qui lui incombent.

La deuxième série d'observations est à rattacher à la compétence du Comité. Il convient de déplorer d'abord que, compétente uniquement pour le suivi législatif, l'institution se voit par là même privée de la faculté de développer une stratégie rationnelle destinée à réduire le risque d'échec des règles en projet. L'objectif n'est donc pas d'éviter que les lois soient mal conçues ou incompréhensibles pour leurs destinataires, il consiste simplement à corriger les imperfections d'une règle législative en vigueur.

Pour assurer la mise en œuvre de sa compétence, le Comité peut utiliser des critères d'analyse très larges. Son travail dépasse la simple légistique formelle (communication du message). Il peut s'attacher à étudier les différentes phases du processus législatif et procéder à l'évaluation au sens où la doctrine l'entend. Reste toutefois que l'aspect scientifique des analyses n'apparaît que très marginalement dans le texte.

Enfin, de peur que l'ensemble des rapports du Comité n'aboutisse dans les rayons des travaux inutiles, le projet prévoit que l'organe interparlementaire puisse, par consensus, prendre les initiatives législatives qui préciseraient les modifications susceptibles de remédier aux problèmes dénoncés. S'il faut reconnaître que l'idée de permettre à l'institution de traduire concrètement certaines de ses conclusions sous forme de propositions de loi possède assurément le mérite de l'efficacité, s'il est également vrai qu'une proposition émanant du Comité chargé du suivi législatif devrait, en principe, avoir un poids plus important que celui d'une initiative parlementaire classique, il convient cependant de s'interroger sur la constitutionnalité d'un tel procédé. L'article 75, alinéa 1er de la Constitution précise que « Le droit d'initiative appartient à chacune des branches du pouvoir législatif ». Il s'agit par conséquent d'un droit réservé à chacun des membres de chacune des chambres ainsi qu'aux membres du gouvernement agissant au nom du Roi. La disposition constitutionnelle n'exclut-elle pas que le droit d'initiative soit reconnu à une institution, fût-elle parlementaire (75)  ? Que penser d'autre part de la possible immixtion des sénateurs, par le biais du Comité, dans des domaines qui relèvent de la compétence exclusive de la Chambre des représentants ? À défaut d'inscrire la question du droit d'initiative du Comité parlementaire chargé du suivi législatif au programme de révision constitutionnelle, à tout le moins faudrait-il modifier les règlements de la Chambre et du Sénat qui actuellement ne reconnaissent le droit de faire des propositions qu'à leurs seuls membres respectifs (76) .

La dernière observation est à mettre en relation avec le fonctionnement du Comité. Il paraît indispensable d'associer la troisième branche du pouvoir législatif aux travaux du Comité. Différentes dispositions du projet prévoient d'informer le ministre qui a la matière dans ses attributions. L'article 16 du projet prévoit que « le Comité peut demander aux membres du gouvernement d'assister à ses réunions et ceux-ci peuvent demander à être entendus ». C'est assurément une bonne chose. En revanche, il convient de se demander s'il ne serait pas opportun de prévoir que le rapport d'activités annuel soit également transmis au Roi.

Conclusion

Appréciées au regard des trois enjeux qui viennent d'être étudiés, les propositions aujourd'hui à l'étude en matière d'évaluation des lois accusent certaines faiblesses. Celles-ci portent en premier lieu sur les objectifs recherchés. Que veut-on au juste ? Mettre l'accent sur la qualité du message législatif ou sur la valeur du contenu de la loi ? Entend-on intervenir en aval ou en amont de la décision ? Souhaite-t-on éliminer de l'arsenal législatif les lois inutiles ou réduire les charges administratives qui pèsent sur le citoyen ? Si tous ces objectifs sont assurément dignes d'être poursuivis, il n'en reste pas moins que chacun postule des moyens appropriés pour sa réalisation. Il apparaît clairement à cet égard que sous peine de dénaturer la notion d'évaluation (77) , la démarche évaluative ne présente d'utilité que pour aider les titulaires de la fonction législative à améliorer le contenu des règles, qu'il s'agisse de celles qu'ils envisagent de prendre ou de celles qui ont déjà été adoptées.

D'autres déficiences des textes en projet sont à rattacher au caractère scientifique de l'évaluation. Ambitionner d'évaluer la loi, c'est vouloir que les décideurs soient à même de fonder leurs choix politiques sur des analyses basées sur des méthodes scientifiques. Il s'agit donc de mener une réflexion approfondie sur le statut des experts qui réaliseront ces études. Il convient également de prendre la mesure du temps et du coût de leurs interventions, d'articuler les rapports qu'ils entretiendront avec leurs commanditaires, de s'interroger sur le suivi de leurs conclusions, ... Autant de questions sur lesquelles les discussions menées actuellement font largement l'impasse.

Seul l'enjeu institutionnel de l'évaluation a, jusqu'à présent, véritablement retenu l'attention. La création d'un Comité parlementaire mixte chargé du suivi législatif (78) recueille aujourd'hui les préférences des députés. Si cette idée se révèle à bien des égards pertinente, sa concrétisation mériterait néanmoins que des justifications claires soient apportées à la fois aux missions de cette institution et à son fondement juridique. On aperçoit mal tout d'abord les raisons qui justifient que les fonctions du Comité soient de nature uniquement curative et ne puissent s'étendre à toute l'assistance en matière de légistique formelle et matérielle que les parlementaires sont en droit d'attendre pour faire aboutir leurs propositions de lois.

Il y aurait lieu ensuite de se demander si, à l'instar de la Commission parlementaire de concertation, il ne serait pas opportun de constitutionnaliser l'institution de manière à renforcer à la fois son autorité et ses compétences.

1.4. Professeur Marnix VAN DAMME, président de chambre au Conseil d'État, professeur extraordinaire à la VUB (79)

En sa qualité de président de la Commission chargé de formuler des observations sur le projet de guide de légistique formelle et de finaliser ce dernier, M. Van Damme a déjà été entendu le 19 février 1998 par la commission des Affaires institutionnelles dans le cadre de la discussion du projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative (voir le rapport de M. Caluwé fait au nom de la commission des Affaires institutionnelles, doc. Sénat, nº 1-955/3).

A. Proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, nº 3-464/1)

1. La proposition de loi vise à institutionnaliser une forme spécifique d'évaluation législative ex post, à savoir une évaluation de nature juridico-technique. Sa finalité est essentiellement d'améliorer la qualité matérielle de la législation, sans chercher à déterminer, par exemple, dans quelle mesure la législation fédérale parvient à réaliser les objectifs qui en constituent le fondement. Pareille forme « édulcorée » d'évaluation de la législation est plus facile à réaliser parce qu'elle n'implique en principe pas une évaluation de longue haleine systématique, empirique et interdisciplinaire et qu'elle est de nature à produire des résultats relativement vite et à moindres frais.

Ainsi conçue, la mission d'évaluation me semble pouvoir être remplie efficacement par les chambres législatives ou — comme le prévoit la proposition — par le Sénat. Dans ce dernier cas, la Chambre des représentants reste évidemment habilitée, elle aussi, à exercer un contrôle permanent de la qualité et des effets des règles légales et à les modifier le cas échéant, étant donné qu'il s'agit là d'une mission inhérente à l'activité législative proprement dite. Reste qu'il faudra intégrer l'évaluation institutionnalisée dans le cadre défini par la proposition de loi — le Sénat.

2. La proposition de loi est quelque peu ambiguë à propos de la compétence précise du Sénat: alors qu'il est question, à l'article 2, de l'évaluation des « lois et règlements fédéraux », l'article 3 charge le Sénat de l'évaluation de la « législation ». Se pose dès lors la question de savoir si l'évaluation par le Sénat doit se limiter aux lois formelles, à l'exclusion des normes émanant du pouvoir exécutif (cette ambiguïté a déjà été signalée dans la doctrine; voir J. Van Nieuwenhove, Wetsevaluatie in België, Kluwer, Deventer, 2002, 38).

Le texte de la proposition de loi ne devrait à mon sens pas laisser planer le moindre doute sur le fait que la mission d'évaluation du Sénat porte bien sur l'ensemble des textes visés à l'article 2 (« lois et règlements fédéraux »). Les lois font en effet partie d'un processus d'ordonnancement juridique plus vaste qui fait que, si l'on veut qu'une évaluation soit efficace, on ne peut en aucun cas la limiter au texte de loi au sens strict, mais il faut prendre aussi en considération le mode d'exécution, tel qu'il est réglé dans des arrêtés d'exécution, ainsi que leur interprétation, telle qu'elle ressort de la jurisprudence. Les objectifs visés par l'évaluation se situent d'ailleurs en grande majorité au niveau de l'exécution (voir l'art. 2), tandis que les rapports annuels des instances visées à l'article 4 reposeront notamment sur l'expérience issue de l'application de textes réglementaires (il convient de se demander à cet égard s'il ne faudrait pas mentionner la Cour d'arbitrage à l'article 4 de la proposition).

Une évaluation par le Sénat peut, en pratique, aboutir à une intervention législative, mais peut tout aussi bien nécessiter l'adaptation d'un arrêté d'exécution ou simplement une autre application de la réglementation en question, sans que l'on doive pour autant modifier formellement le moindre texte normatif. Le rapport annuel du Sénat aura par conséquent aussi une fonction signalétique importante vis-à-vis du pouvoir exécutif. Bien entendu, il appartiendra ensuite au seul pouvoir exécutif de tenir compte ou non des manquements signalés par le Sénat, voire d'y remédier. Le commentaire de l'article 3 de la proposition précise que le Sénat est chargé d'examiner les rapports déposés par le procureur général près la Cour de cassation et par le Conseil d'État et « de rédiger des propositions ». Cette dernière expression semble renvoyer à la rédaction de « propositions de loi »; la fonction signalétique à l'égard du pouvoir exécutif que l'on vient d'évoquer ne pourra évidemment pas revêtir la forme d'une « proposition », mais devrait néanmoins trouver son expression dans le rapport annuel du Sénat visé à l'article 3.

3. Il convient de se demander si la finalité de la proposition de loi, telle qu'elle est décrite à l'article 2, n'est pas en l'espèce identique à celle qui sous-tend la compétence en matière de simplification de la législation conférée au Conseil d'État par la loi du 4 août 1996. L'article 6bis des lois coordonnées sur le Conseil d'État mentionne, outre les techniques de coordination et de codification de la législation qui existent de longue date, un procédé nouveau, à savoir celui de la « simplification de la législation » (80) (à propos de ce procédé, voir notre contribution « Een nieuw procédé: de vereenvoudiging van wetgeving », in Liber Amicorum Jozef Van Den Heuvel, Kluwer Rechtswetenschappen, Anvers, 1999, 679-690).

Au cours des travaux préparatoires de la loi du 4 août 1996, la simplification de la législation a été définie comme un moyen technico-juridique d'adapter de manière ordonnée des normes juridiques dépassées ou dont l'exécution, l'interprétation ou l'application soulève de sérieuses difficultés (doc. Sénat, 1995-1996, nº 1-321/1, p. 5). Cette définition présente d'évidentes similitudes avec les dispositions de l'article 2 de la proposition. Cela ne devrait poser aucun problème en soi dans la mesure où il existe évidemment, à côté du Conseil d'État, d'autres organes susceptibles d'être chargés de la simplification de la législation.

La réglementation en matière d'évaluation de la législation prévue par la proposition de loi pourrait néanmoins aussi être considérée comme complémentaire de la nouvelle mission de simplification du Conseil d'État, en ce sens qu'en application de l'article 6bis des lois coordonnées sur le Conseil d'État, le Conseil pourrait être appelé à simplifier les lois ou arrêtés qui, d'après l'évaluation, nécessiteraient une adaptation eu égard aux constatations du Sénat après évaluation. Cela permettrait de centraliser le procédé de simplification après évaluation au sein d'un seul organe, lequel pourrait par conséquent acquérir une certaine expérience en la matière. Le lien avec la compétence existante du Conseil d'État pourrait alors être explicité dans le texte de la proposition de loi au moyen d'un renvoi à la disposition correspondante des lois coordonnées sur le Conseil d'État.

Le procédé existant de simplification de la législation par le Conseil d'État n'a pas encore été appliqué à ce jour. Une application fréquente pourrait d'ailleurs se heurter à des difficultés pratiques dans la mesure où l'article 6bis des lois coordonnées sur le Conseil d'État confie la mission de simplification au bureau de coordination, dont le nombre de membres a cependant été réduit sensiblement en vertu de la loi du 2 avril 2003. L'« activation » de la mission de simplification implique dès lors l'existence de plusieurs mesures d'accompagnement au niveau des effectifs. Indépendamment de cette question, il me semble que la compétence qui est déjà celle du Conseil d'État en matière de simplification de la législation est complémentaire de la réglementation en matière d'évaluation de la législation élaborée par la proposition de loi.

B. Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif (doc. Sénat, nº 3-648/1)

1. L'évaluation que tend à instaurer le projet de loi nº 3-648/1 a une portée plus large que l'évaluation juridico-technique qui est réglée par la proposition de loi nº 3-464/1. Quand bien même l'article 3, alinéa 1er, 2º, du projet de loi pourrait être formulé de manière plus explicite et plus claire, il ressort néanmoins de cette disposition que l'évaluation qui est envisagée n'est pas que juridico-technique, mais qu'elle consiste aussi à examiner dans quelle mesure les lois atteignent le but pour lequel elles ont été créées. L'on constate d'emblée qu'il s'agit d'une forme « plus dense » d'évaluation, qui incitera le plus souvent à mener une enquête empirique ou socio-scientifique approfondie, au risque de requérir un intense labeur et d'importants moyens financiers.

La question est par conséquent de savoir s'il ne serait pas plus opportun que le projet de loi mette l'accent sur la contribution politique que le Comité parlementaire peut apporter dans le domaine de l'évaluation de la législation (en tranchant des questions portant sur l'opportunité d'une évaluation, la forme de l'évaluation, l'instance chargée de la réaliser concrètement, etc.), plutôt que de charger, par principe, le Comité lui-même de l'exécution de l'évaluation de la législation (dénommée dans le projet de loi « examen de la requête »), avec ou sans l'assistance d'experts. En effet, les membres du Comité parlementaire sont-ils suffisamment armés pour pouvoir procéder à des évaluations, disposent-ils de suffisamment de temps et de moyens, et leur intérêt pour les évaluations est-il constant (l'évaluation de la législation sera souvent une tâche ingrate, exécutée dans l'ombre) ? La mission du Comité parlementaire n'entraînera-t-elle pas une forte augmentation des effectifs du parlement ?

2. La finalité essentielle de l'évaluation de la législation est essentiellement d'améliorer la qualité de la législation ou l'efficacité de la loi. Le système de requêtes élaboré par le projet de loi risque de manquer ces deux objectifs. Citons deux exemples: 1º le Comité parlementaire sera éventuellement amené à déclarer une requête irrecevable pour des raisons de forme, alors qu'il peut très bien s'agir d'une loi qui mériterait effectivement d'être évaluée; 2º les requérants pourront dans certains cas faire entrer en considération leurs propres expériences subjectives vis-à-vis d'une disposition légale, ce qui risque d'entraîner un usage abusif de la procédure de requête.

La question est dès lors de savoir si la procédure de requête élaborée par le projet de loi n'est pas trop complexe et ne donnera pas souvent lieu à des requêtes inutiles. Il semble plus approprié en l'espèce de mentionner beaucoup plus succinctement la possibilité, pour les administrations publiques, les personnes physiques, pour ne citer qu'elles, de signaler d'éventuelles difficultés d'application de la législation. La mission d'évaluation devrait en outre pouvoir être exercée d'office par le Comité parlementaire qui ne serait dès lors pas entièrement dépendant de l'introduction d'une requête à cet effet.

3. Malgré l'élaboration du cadre de la réglementation relative aux requêtes, il n'est pas exclu que la disposition de l'article 6, alinéa 2, devienne la règle. Vu la nature de l'évaluation que l'on voudrait instaurer, il convient en effet de se demander combien d'évaluations pourront être organisées en pratique (outre le « contentieux » de requêtes encore à traiter et les autres missions incombant au Comité). L'élément clé de la réglementation n'est-il pas la compétence en matière de sélection du Comité parlementaire, auquel l'article 6, alinéa 2, laisse à cet effet une marge d'appréciation définie de manière assez générale ?

Il s'agira d'objectiver la sélection et de se garder de la soumettre à des options purement politiques, pour éviter de passer aussi à côté des deux objectifs de l'évaluation législative qui viennent d'être évoqués. La compétence en matière de sélection du Comité parlementaire doit en outre être réelle, ce qui ne serait pas le cas si, au cours de la genèse d'une loi, on considérait l'évaluation future comme une concession aux opposants politiques peu enclins à voter la loi, pour que celle-ci puisse enfin voir le jour.

4. Quelques autres remarques encore sur le projet de loi: celui-ci devrait être conçu comme une réglementation en matière d'évaluation de la législation en tant que telle, et non comme un ensemble de dispositions relatives à l'examen de requêtes (ce n'est bien souvent qu'après ce dernier examen que commencera le véritable travail d'évaluation); pourquoi limiter la « prise en considération » de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage aux arrêts « qui ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique » (art. 9), une notion qui est d'ailleurs elle-même sujette à plusieurs interprétations; le Conseil d'État peut lui aussi signaler des problèmes d'application ou d'interprétation, au sens de l'article 11 du projet de loi; quel rôle réserve-t-on au service d'Évaluation de la législation du Sénat, à restructurer ou non, dans le cadre de la réglementation en projet ?

C. Considération finale

L'évaluation de la législation est une tâche importante, la législation devenant de plus en plus instrumentale. Il est dès lors recommandé d'institutionnaliser l'évaluation de la législation, avec un réalisme pragmatique qui ne suscite pas de vaines attentes. Les deux initiatives législatives constituent plus ou moins un premier pas dans la bonne direction.

1.5. M. Koen Van Aeken (Universiteit Antwerpen — Centrum voor Rechtssociologie)

Évaluation de la législation: intentions et défis au niveau de la Chambre et du Sénat.

Examen de quelques facettes du projet de loi instaurant un comité parlementaire chargé du suivi législatif (doc. Sénat, nº 3-648/1) et de la proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, nº 3-464/1) dans une perspective sociologique et méthodologique.

La présente contribution vise en premier lieu à préciser les raisons pour lesquelles les deux initiatives à l'examen méritent d'être encouragées. L'intégration d'une phase d'évaluation de la législation dans les procédures législatives fédérales est, en effet, une intention louable et ce, à plusieurs égards.

Après ces considérations d'ordre général, nous évaluerons quelques aspects des initiatives concrètes dans une perspective socio-scientifique, en l'occurrence celle de l'évaluateur politique. Cela nous permettra de dégager quelques-unes des principales caractéristiques de l'évaluation législative (par rapport à l'évaluation politique) et d'apporter un éclairage nouveau sur le rôle des acteurs identifiés dans la proposition et le projet à l'examen.

En guise de conclusion, on formulera quelques avertissements et on mettra en exergue un certain nombre de points essentiels auxquels il y aurait lieu d'être attentifs dans la future politique d'évaluation législative et qui ont été oubliés ou n'ont pas été suffisamment abordés dans les documents à l'examen.

1. Perspective

La perspective dans laquelle j'examine le projet et la proposition de loi soumis à mon appréciation est une perspective résolument socio-scientifique. Dans ce cadre, je mets l'accent sur deux éléments. Le premier — et il est primordial — est l'importance de choisir une bonne méthode d'évaluation scientifique. Le second concerne les aspects de la présente contribution qui relèvent de la sociologie des organisations. Je laisserai bien sûr aux juristes spécialisés dans le domaine de l'évaluation législative le soin d'analyser les aspects légistiques des intentions parlementaires contenues dans le texte à l'examen. Ma vision de l'évaluation législative participe donc d'une approche socio-scientifique, qui complète l'approche juridique. Il est bon de préciser à cet égard que les opinions exprimées dans la présente contribution ne sont pas que le reflet de la riche littérature relative à la sociologie du droit et de la politique, mais qu'elles découlent aussi et surtout des expériences d'évaluations concrètes que j'ai accumulées dans le cadre d'un doctorat (81) . Les enseignements tirés de ces expériences pratiques apporteront sans doute une contribution innovante au débat qui, jusqu'ici, a été mené surtout en termes abstraits (82) .

2. Considération générale: l'ère de l'évaluateur

Pendant une bonne partie du XXe siècle, l'ingénieur a été la métaphore qui incarnait l'essence de la société occidentale. Il était à la fois le symbole de l'affranchissement par rapport à la nature et à ses ténèbres, et le héraut d'un avenir nouveau nimbé de technique et de technologie. Ce paradigme de libération et de renouveau a progressivement émigré du domaine des sciences appliquées vers la sphère de la société. Les pouvoirs publics ont repris à leur compte le rôle de direction et d'orientation qui caractérisait si bien l'ingénieur. C'est ainsi qu'est née la notion d'ingénierie sociale (83) .

Dans les années '70, le rôle de l'ingénieur a progressivement perdu de son éclat. L'on vit alors émerger un nouvel idéal, celui du « comptable », de l'« auditeur » ou encore de l'évaluateur. D'après des spécialistes en la matière, nous vivons dans une société d'audit (Leeuw, 1999). Tout semble devoir être radiographié et évalué (Swanborn, 1999, 9). D'autres affirment que le monde entier réalise des évaluations (Rogers, 2002, 431). Ces évaluations ont trait aux programmes, aux domaines politiques, aux aspects politiques et, dans le contexte spécifique de la présente contribution, à la législation. C'est vers le milieu de ces années que le discours relatif à l'évaluation législative a vraiment « décollé » en Belgique: on a donc vu apparaître ce terme de plus en plus souvent dans les accords de gouvernement, les déclarations politiques, les notes politiques ainsi que les propositions et projets de loi. L'intention d'évaluer est donc manifestement présente à divers niveaux de pouvoir et sous divers angles organisationnels.

La présente contribution se penchera sur les intentions formulées dans la proposition et le projet de loi les plus récents qui ont pour objets respectifs l'institution d'une procédure d'évaluation de la législation au Sénat et la création d'un comité parlementaire chargé du suivi législatif. Cela implique automatiquement que l'évaluation ait lieu au niveau fédéral. Ce point sera également abordé sous l'angle parlementaire.

Si l'on compte en temps parlementaire, les deux documents susvisés ont déjà un long parcours derrière eux: les débats ont connu un changement de législature, auquel ils ont survécu. De plus, le chemin parcouru a été tortueux. Ce parcours a été marqué par exemple par la création au Sénat d'un service d'évaluation de la législation. Même aujourd'hui, les opinions sur le rôle, le contenu et la répartition des tâches entre les divers acteurs concernés ne sont pas toujours claires et convergentes. Mais il ne faut pas y voir un reproche car la culture d'évaluation n'en est encore qu'à un stade embryonnaire dans notre pays. D'autres pays tels que les États-Unis ont introduit, dès les années cinquante, une réflexion systématique sur le fonctionnement des grands programmes censés donner un visage plus humain à la société américaine. Ces premières évaluations étaient motivées par une considération toute simple: l'État devait justifier l'affectation de l'argent du contribuable. Outre l'obligation d'être utiles, les programmes devaient aussi permettre d'atteindre les objectifs fixés avec un minimum de moyens. En d'autres termes, l'exigence d'efficacité et d'efficience primait (Rossi, Freeman & Lipsey, 1999, pp. 10-11).

Cette genèse qui s'étend sur plusieurs décennies explique en partie pourquoi l'évaluation des initiatives publiques est si développée aux États-Unis, mais aussi au Canada, en Australie et, plus près de chez nous et plus récemment, en Suisse et aux Pays-Bas. À titre d'illustration: le congrès américain a voté en 2002 une législation fédérale prévoyant que l'évaluation (certes limitée au domaine de l'enseignement) doit satisfaire à une série de normes minimales en matière de recherche. Ces normes sont les suivantes:

« Tendre vers les normes de qualité les plus élevées en ce qui concerne la structure de la recherche et les analyses statistiques;

Utiliser des modèles expérimentaux avec attribution aléatoire ou, lorsque la randomisation n'est pas possible, d'autres méthodologies de recherche qui permettent la plus grande interférence causale possible;

Étudier la mise en œuvre des programmes par une combinaison de méthodes scientifiquement valables et fiables. » (cité dans Ginsburg et Rhett, 2003, 489).

L'intégration de pareilles directives méthodologiques dans des textes législatifs témoigne d'une forte culture d'évaluation qui fait encore défaut pour l'heure en Belgique. En effet, l'institutionnalisation des évaluations, à laquelle j'associe non seulement l'intégration de l'évaluation législative dans des procédures et des institutions, mais aussi un réflexe d'évaluation « internalisée » naturelle et spontanée en tant qu'expression d'une culture vivante d'évaluation, n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements dans notre pays.

3. Félicitations au Parlement

Les propositions à l'examen visent, chacune à sa manière, à donner forme à la procédure d'évaluation au niveau de la Chambre et du Sénat. L'évaluation portera dès lors sur la législation, mais au sens le plus large, dans les limites des délimitations de compétences (84) .

La proposition et le projet privilégient donc dans leur approche les lois au sens large. Dans ce contexte, la loi est déjà plus proche de la politique. C'est pourquoi il est tentant, du point de vue socio-scientifique, de considérer l'évaluation législative comme une forme particulière d'évaluation politique. Il faut pourtant bien se garder d'assimiler complètement l'évaluation politique et l'évaluation législative. Les lois s'inscrivent dans un ensemble de mesures visant à traiter un problème déterminé. Elles ne constituent donc qu'une forme spécifique de politique à côté de beaucoup d'autres (comme les subventions, l'autorégulation, les campagnes médiatiques, ...), mais elles sont plus « délicates » à évaluer que les politiques. Les lois sont en effet le produit d'une joute politique. La portée d'une loi à l'issue de son processus d'élaboration diffère souvent des objectifs initiaux. Il arrive en outre que l'on se contente délibérément d'objectifs vagues ou ambigus qui rendent toute analyse d'efficacité quasiment impossible. De plus, l'évaluation ne doit pas se limiter à l'efficience et à l'efficacité, elle doit aussi tenir compte de tout un éventail de critères juridico-techniques et légistiques, tels que la cohérence avec d'autres lois, la constitutionnalité, la subsidiarité, etc.

Bref, du point de vue de l'évaluateur politique qui est habitué à des formulations plus ou moins neutres des problèmes auxquels il applique une technique de recherche socio-scientifique, l'évaluation législative sera plus embarrassante, plus difficile, à cause de la teneur politique de l'objet de l'examen, à savoir la loi. Cela soulève toute une série de problèmes de recherche et de points d'attention supplémentaires, allant des obstacles méthodologiques aux critères d'évaluation autres que socio-scientifiques, en l'occurrence les critères juridiques. Qu'il soit économiste, sociologue, méthodologue ou statisticien, le scientifique social est peu familiarisé avec cette forme « juridicisée » d'évaluation politique. Sa préférence va en effet à des questions formulées de manière « neutre » et claire.

Il n'est dès lors nullement saugrenu de situer l'évaluation législative au niveau du Parlement. Les députés et les sénateurs sont en effet souvent des juristes qui, par nature, connaissent (ou devraient connaître) les caractéristiques juridiques d'une « bonne » réglementation. De plus, le Parlement est l'endroit où on légifère au sens le plus originel du terme. C'est aussi au Parlement qu'incombe la tâche de soumettre la législation à un contrôle de qualité effectif.

L'ancrage dans une procédure ou au sein d'un organe offre par ailleurs un avantage supplémentaire, en ce sens que l'on peut parler d'institutionnalisation. J'expliquerai brièvement ci-dessous pourquoi cela peut être une bonne chose de manière générale. Pour être complet, j'énumérerai aussi une série de dangers liés à une institutionnalisation irréfléchie.

Les avantages de l'institutionnalisation

De l'avis de la plupart des observateurs, l'institutionnalisation revêt une importance essentielle pour garantir la qualité de l'évaluation. L'absence d'une infrastructure bien pensée aboutit en effet rapidement à un régime dans lequel on ne réalise une évaluation que lorsque la situation s'y prête. Cette constatation découle d'une comparaison du degré d'organisation de l'évaluation dans divers pays industrialisés (de Leeuw, 1993, 35). Les pays qui ont une forte tradition dans le domaine de l'évaluation politique, comme le Canada, les États-Unis ou l'Australie, se sont dotés d'outils institutionnels permettant d'assurer le monitorage des évaluations. Les Pays-Bas, qui réalisent de nombreuses évaluations ad hoc depuis les années '80, ressentent néanmoins eux aussi la nécessité d'une institutionnalisation. C'est ainsi que la Cour des Comptes néerlandaise (Algemene Rekenkamer) a fait réaliser en 1999 une enquête nationale concernant l'organisation de l'évaluation politique (Deuxième Chambre, 1999-2000, 27 065, nº 1). La volonté d'intégrer l'évaluation dans des procédures et des organisations permanentes est donc révélatrice d'une culture d'évaluation développée. Ces constatations contrastent violemment avec la situation qui existe en Belgique, où l'évaluation (politique) ad hoc prédomine, tout en étant assez rare (Jacob, 2004, Van Aeken, 2002).

De plus, l'institutionnalisation de l'évaluation compense une série d'effets inéluctables de l'organisation politique du processus décisionnel. Comme le gouvernement et le parlement sont liés à des législatures, les objectifs politiques ne sont généralement programmés que sur quatre ans. Les résultats d'une évaluation, qui prend au moins un an en moyenne, ne sont dès lors souvent disponibles qu'au cours d'une législature suivante. L'institutionnalisation garantit dans une certaine mesure la diffusion et l'utilisation des résultats de l'évaluation. Cela vaut non seulement pour les évaluations ex post, mais aussi pour les évaluation prospectives (dans le cadre de la préparation de la politique). En raison du peu de temps dont on dispose généralement pour rédiger les notes de politique et les lois, il est souvent impossible de réunir les données nécessaires et de réaliser des évaluations ex ante (Brans, Facon & Hoet, 2003, 55).

Enfin, les constatations scientifiques découlant de l'analyse institutionnelle montrent qu'il est essentiel de mettre en place des dispositifs institutionnels pour orienter le comportement des individus (de Leeuw, 1993, 39). Le secteur public ne dispose en effet que de quelques rares mécanismes permettant d'inciter les fonctionnaires publics à mener, à intervalles réguliers, une réflexion sur la politique menée. D'aucuns considèrent que ces réserves à l'égard des évaluations viennent de la crainte de voir la politique menée évaluée négativement, avec un blâme personnel pour conséquence (Estievenart, 2000: 8). Une politique d'évaluation systématique permettrait de créer des incitants à la réflexion, notamment parce que l'évaluation porterait plutôt sur des programmes généraux et des réglementations générales que sur des personnes ou des initiatives personnelles (Geva-May et Thorngate, 2003, 205).

Les dangers d'une institutionnalisation irréfléchie

Par ailleurs, une institutionnalisation irréfléchie de l'évaluation législative risque d'entraîner une utilisation inappropriée des évaluations. La popularité de la culture des audits ferait presque oublier les risques inhérents à toute évaluation. L'évaluation risque tout d'abord d'interférer dans le processus de décision politique. En imposant une évaluation obligatoire, on risque en effet de ralentir le processus de décision politique (postponement) (Lewis, 2001, 39). D'autre part, certains partis de la coalition gouvernementale risquent de faire passer des règles moins populaires ou moins bonnes avec la promesse de les soumettre à une évaluation pour endormir les critiques (eyewash) (Winter, 1997, 137). Par ailleurs, le risque est réel que des évaluations soient réalisées dans le but de saper les fondements de la politique menée (submarine) (Lewis, 2001, 39). L'utilisation stratégique de « pseudo-évaluations » sera toutefois nettement plus difficile si l'on définit une politique d'évaluation globale et systématique. Outre qu'une évaluation de moins bonne qualité peut avoir des effets négatifs pour ce qui est de la qualité de la législation, elle risque de réduire à néant la crédibilité du projet d'évaluation dans son intégralité (Winter, 1996, 331). Une institutionnalisation bien pensée offre par conséquent des garanties quant à la qualité méthodologique des évaluations. L'intégration de normes de qualité dans la législation fédérale américaine (voir supra) est exemplaire à cet égard.

4. Un regard sur la proposition de loi

La proposition de loi qui a été votée au Sénat en 1999 et qui refait surface, instaure une procédure d'évaluation de la législation. Cette procédure est ainsi conçue qu'elle s'inscrit dans le cadre du renforcement du rôle du Sénat en tant que chambre de réflexion et elle met explicitement l'accent sur le caractère juridique de l'évaluation législative. Elle confirme la différence de perspective précitée entre l'évaluation de la politique et l'évaluation de la législation.

La simplicité de la proposition réside dans le fait qu'elle exprime un nombre limité de degrés de liberté: seules l'évaluation ex post et la dimension juridique de l'évaluation législative sont envisagées. Cette proposition n'est pas conciliable avec l'idée scientifique d'une approche intégrale de l'évaluation législative, qui se définit comme une évaluation de la réglementation existante et de la réglementation future sur la base de critères spécifiques de recherche juridique et socio-scientifique selon des normes scientifiques (Van Aeken, 2002, 99). La restriction administrative en vertu de laquelle l'évaluation doit être soit prospective soit rétrospective est en effet dénuée de sens. Une politique d'évaluation exclusivement ex post peut conduire rapidement à des améliorations apparentes de la politique, mais, en l'absence de mesures ex ante, elles reviennent à « passer la serpillière en laissant le robinet grand ouvert » (Van Humbeeck, 2004, 222). En se contentant de prendre des mesures ex ante, on se prive de toute possibilité d'amélioration et de toute possibilité de feed-back. Ces deux formes sont donc complémentaires (85) .

Tentative d'explication de cette approche restrictive

Depuis les années 80, un nombre considérable de propositions de loi relatives à l'évaluation législative ont été déposées à la Chambre et au Sénat. Les plus récentes sont à l'examen. Les problèmes récurrents que soulève l'organisation des évaluations par le Parlement viennent du fait que l'on donne à l'évaluation technique juridique la primauté par rapport à l'étude d'incidence socio-scientifique et que l'intérêt va souvent unilatéralement soit à une évaluation ex ante soit à une évaluation ex post. Dans son travail quotidien, le Parlement a traditionnellement négligé l'évaluation ex post, lui préférant naturellement l'examen prospectif (Van der Biesen, 2004, 249); de plus, la proposition actuelle met l'accent sur l'évaluation ex post — sans doute dans l'idée que l'évaluation ex ante sera effectuée d'office par le Sénat.

Le fait que le Parlement privilégie l'examen juridique ex ante de la réglementation n'est en tout cas pas difficile à comprendre. La plupart des parlementaires sont des juristes. Comme ils sont peu familiarisés avec l'approche socio-scientifique, ils se focalisent surtout sur les aspects légistiques et juridiques de la réglementation. Plusieurs propositions prônent cependant l'instauration d'un système de mesure des effets de la réglementation; le dernier accord de gouvernement qui a été conclu au niveau fédéral affirme lui aussi que l'évaluation législative doit étudier notamment les effets de la législation (86) .

La création du Service d'évaluation de la législation au Sénat illustre parfaitement cette approche unilatérale. Ce service qui a été mis sur pied en 2000 se compose de cinq juristes et d'un collaborateur administratif (Annales, Sénat, 21 janvier 1999, 70 000; décision de créer, au sein des services du Sénat, un Service d'évaluation de la législation, doc. Sénat, 1998-1999, nº 643/7). L'intention était, dès le départ, de confier à ce service la réalisation à la fois des évaluations ex ante et des évaluations ex post en se basant sur des critères tels que la sécurité juridique, la subsidiarité, l'effectivité et l'efficience (Van der Biesen, 2004, 244-247). Or, dans la pratique, ce service n'effectue aucune mesure empirique de l'effectivité. Il concentre ses activités sur les aspects juridiques et techniques de la réglementation, qui ont inévitablement des points communs avec l'évaluation selon des critères qui ne sont pas strictement juridiques et qu'il est convenu de qualifier de critères mixtes (voir Adams & Van Aeken, 1998).

Bref, si l'on veut introduire un contrôle juridique technique dans l'arène politique, c'est au Sénat qu'il est le plus indiqué de confier le travail d'évaluation, eu égard à son rôle de chambre de réflexion. Comme les contraintes politiques auxquelles ils sont soumis leur en laissent le temps, les sénateurs peuvent mettre leur expertise juridique à profit pour évaluer la législation sur la base de critères qui sont censés leur être familiers. Par rapport à ce que devrait être une politique d'évaluation intégrale, cette proposition ne prévoit toutefois rien d'autre qu'une première forme légère d'institutionnalisation, ce qui ne répond pas à l'aspiration fondamentale à une meilleure politique législative. La principale cause réside dans le fait que la proposition de loi à l'examen accorde une importance différente à la dimension ex post et à la dimension juridique de l'évaluation législative.

5. Un regard sur le projet de loi

Bien que ce que prévoit le projet de loi corresponde davantage à l'approche intégrale proposée de l'évaluation législative, il contient aussi des éléments qui peuvent nuire à celle-ci, comme le montrera une courte discussion de quelques-uns de ses articles. Comme nous l'avons déjà dit, nous ne nous préoccuperons pas ici des aspects formels d'ordre juridique, comme celui que constitue le concept de la « requête ». L'on a intérêt à consulter à leur égard les experts en la matière.

Prépondérance de l'approche ex post (art. 3) et ambiguïté ex ante/ex post (art. 7)

Le projet prévient les évaluations trop hâtives en prévoyant un délai de trois ans (art. 3.2.). Cette prudence est une excellente chose, parce qu'un examen empirique suppose qu'après l'entrée en vigueur de la loi, on dispose de suffisamment de points de mesure pour pouvoir procéder à l'analyse. De plus, il faut généralement attendre plusieurs années avant que l'application d'une loi atteigne son rythme de croisière ou, autrement dit, il faut un certain temps avant que l'effet de la loi soit perceptible dans les faits. Enfin, le délai de trois ans permettra d'évaluer la loi dans une atmosphère plus sereine, dans la mesure où le tumulte qui entoure souvent l'adoption de lois peu populaires ou controversées aura pu être apaisé en grande partie.

En soi, l'instauration d'un « embargo » de trois ans dont il faut atteindre le terme avant de pouvoir procéder à une évaluation est une excellente chose, mais elle présente malheureusement aussi deux inconvénients.

Le premier vient de ce qu'on se limite à l'évaluation ex post, ce qui — je le répète — est contraire à l'idéal scientifique d'une évaluation intégrale.

Le deuxième réside dans le fait que fixer un délai absolu pour la période d'embargo n'a guère de sens, pour la simple raison que, d'un point de vue méthodologique, il est parfaitement possible d'évaluer certaines lois au bout de deux ans, alors que d'autres ne se prêtent à une évaluation qu'au bout de cinq ans ou plus (87) .

D'autre part, il est compréhensible que l'on donne la préférence à l'évaluation ex post: elle offre en effet des résultats rapides tout en étant d'une plus grande simplicité méthodologique que l'évaluation ex ante qui revient en fait à prédire l'avenir et qui requiert dès lors une très grande expertise.

Par ailleurs, il semble que le projet de loi soit assez ambigu à propos du caractère prospectif ou rétrospectif de l'évaluation. Selon l'article 7, alinéa 1er, il y a lieu de « vérifier si les moyens mis en œuvre permettent de produire les effets attendus et d'atteindre les objectifs assignés », ce qui donne à penser qu'il pourrait également y avoir des évaluations ex ante. Sans doute les formulations brumeuses de ce type ont-elles leur raison d'être, mais elles ne sont pas vraiment compatibles avec le principe de transparence auquel répond toute bonne réglementation. Force est de constater que le texte de l'article 7, alinéa 1er, bat en brèche l'intention qui l'a inspiré, puisque le critère de la « transparence » y est inscrit comme critère d'évaluation.

Une interprétation politique de la sélection des lois à évaluer (art. 6)

Par l'emploi des mots « perturbe gravement le bon fonctionnement de l'ordonnancement juridique » et « les lois dont l'application engendre des charges administratives démesurées pour les citoyens ou pour les entreprises », l'article 6 opère déjà une première sélection des lois à évaluer. Une politique d'évaluation idéale se base sur des critères de sélection généraux et neutres, tels que l'urgence éventuelle et l'ampleur de l'incidence sur le budget et sur la société (88) .

Si la procédure d'évaluation a lieu à la Chambre et au Sénat, il est sans doute inévitable que la détermination des domaines à évaluer par priorité corresponde à un choix politique. Cette constatation découle de la primauté de la politique qui se ferait manifestement sentir jusque dans une éventuelle stratégie d'évaluation. Le travail scientifique et, dans son sillage, la sélection des thèmes pouvant être soumis à une analyse scientifique sont au service des strates politiques, car seules ces dernières peuvent se prévaloir d'une légitimité démocratique directe. Il est néanmoins conseillé de soumettre le choix des thèmes d'évaluation à une pondération raisonnablement neutre des sujets.

Critères d'évaluation arbitraires (article 7)

Dans l'ouvrage intitulé « Een creatief en solidair België. Zuurstof voor het land » (Une Belgique créative et solidaire, oxygène du pays), l'effectivité, la proportionnalité, la transparence et la cohérence (8 juillet 2003, p. 17) sont considérées comme constituant les bases de l'évaluation législative par le Parlement. Le projet reprend ces quatre critères, à ceci près que l'effectivité y est désignée par son synonyme « efficacité ».

La référence à l'accord de gouvernement explique pourquoi on s'est limité à ces quatre critères, mais, si l'on veut optimaliser les politiques d'évaluation, il est préférable de se baser sur une liste non exhaustive de critères ou sur une définition générique de l'évaluation législative. La définition de l'évaluation législative citée ci-dessus est un exemple de définition générique: « l'évaluation de la réglementation sur la base de critères spécifiques de recherche juridique et socio-scientifique » (Van Aeken, 2002, 99).

La limitation du nombre de critères exclut une série de contrôles. C'est ainsi qu'une loi totalement inadaptée aux développements sociaux actuels pourra échapper à l'évaluation si elle permet d'atteindre les objectifs (dépassés) qui sont les siens d'une manière efficace, transparente et cohérente.

Quelques points forts

Selon l'article 7, alinéa 2, le comité peut faire appel à des experts. À la lumière des défis méthodologiques de l'évaluation législative (voir infra), cette possibilité d'externalisation ou d'association d'experts à l'évaluation est une évidence. Les sénateurs et les députés ne pourraient en effet pas effectuer eux-mêmes toutes les évaluations. Le manque de temps, mais aussi l'accumulation et la transmission des connaissances méthodologiques dans l'enceinte d'un forum d'orientation plutôt juridique constituent des défis énormes à relever dans le cadre de la mise en œuvre d'une politique d'évaluation intégrale.

Ce même alinéa prévoit également la possibilité de faire participer les catégories professionnelles ou les groupes de population concernés. La participation des personnes concernées (« stakeholders ») aux moments d'évaluation est devenue absolument nécessaire à l'évaluation (Rossi, Freeman, Lipsey, 1999, 54). L'association de diverses parties concernées au processus d'évaluation conduit à une forme d'évaluation qui peut être qualifiée d'« évaluation pluraliste » (Commission européenne, 1999b: 19). Cette forme d'approche collective améliore l'ouverture et la transparence de l'évaluation, ce qui accroît la teneur démocratique de l'ensemble du processus de décision.

6. Questions restées sans réponse: éléments d'une politique d'évaluation durable et réalisable

La proposition et le projet de loi à l'examen ont été conçus dans le contexte des activités de la Chambre et du Sénat. Le développement d'une culture d'évaluation s'inscrit toutefois dans un cadre beaucoup plus vaste: outre le Parlement, les principaux intervenants en la matière sont le gouvernement et ses ministères, les administrations, les multiples instances de contrôle (Cour d'arbitrage, Cour de cassation, Cour des comptes), les organes de planification (Bureau fédéral du plan) et toute une série d'instances régionales (les parlements et les gouvernements régionaux, la cellule flamande de simplification administrative, le département de planification et de statistiques, ...).

Ce chapitre final aborde brièvement une série d'éléments d'une politique d'évaluation systématique qui transcende les limites des compétences parlementaires, l'idée prédominante étant toujours celle d'une évaluation intégrale. Rappelons qu'une évaluation intégrale implique que l'on procède tant ex ante que ex post, dans une optique juridique et socio-scientifique. Comme cette approche transcende les compétences parlementaires, on jette une passerelle vers l'évaluation politique.

Une approche de bas en haut au niveau de l'administration

Une étude empirique récente effectuée auprès des services publics fédéraux, qui visait à « cartographier » la pratique de l'évaluation de la politique, a montré que 56 % des services publics ont répondu qu'ils appliquaient une forme ou une autre d'évaluation (Jacob & Varonne, 2003; Van Aeken, Jacob & Varonne, 2003) (89) . Ces résultats corroborent les conclusions d'une étude exploratoire réalisée en 2001 au sein des ministères fédéraux, qui a montré qu'une évaluation était, certes, effectuée dans certains ministères, mais seulement sur une base ad hoc et généralement par des évaluateurs externes (Van Aeken, 2002: 384-386).

Plusieurs conclusions importantes peuvent être tirées de ces enquêtes:

— la pratique actuelle présente un caractère ad hoc poussé;

— des projets d'évaluation voient le jour si des (groupes de) fonctionnaires veulent bien s'atteler à les mettre au point;

— les raisons de ne pas procéder à une évaluation sont, par ordre d'importance:

• l'absence de budget;

• l'absence de compétences en matière de méthodologie;

• l'absence de compétences légales.

Une bonne politique d'évaluation permettrait donc de pallier les carences précitées par le biais d'une institutionnalisation mûrement réfléchie, d'une part, et par le biais du développement et du renforcement des connaissances méthodologiques, d'autre part. Dans ce sens, il faut applaudir à la réorganisation prévue dans le cadre du plan Copernic: ce plan présente en effet de grandes similitudes avec la situation néerlandaise où la stimulation et la coordination des évaluations ont été confiées à une unité organisationnelle centrale au sein de chaque ministère, afin de garantir l'indépendance de ceux qui définissent la politique et de ceux qui la mettent en œuvre.

L'institutionnalisation de l'évaluation législative est un processus

Rome n'a pas été construite en un jour et la mise en place d'une politique d'évaluation systématique au sein des pouvoirs publics n'est pas non plus tâche qui peut être réalisée rapidement. Tout dépend du soutien politique, de la motivation des administrations, des budgets octroyés, des développements internationaux (comme la pression croissante exercée par les institutions européennes sur les États membres, afin qu'ils instaurent des RIA (90) et d'autres formes d'évaluation), de la coopération des groupes cibles à évaluer, des réglementations fédérale et régionale en matière d'évaluation, des développements techniques en matière de méthodologie, etc.

Une comparaison internationale montre clairement que l'approche systématique de l'évaluation politique est encore embryonnaire en Belgique. Mais il ne faut pas se décourager pour autant. Au contraire, l'expérience acquise dans d'autres pays peut être une source d'inspiration dans le cadre d'une « politique de meilleures pratiques » (EC, 1999a). On pourrait, par exemple, tirer, de l'expertise acquise à l'étranger, des leçons en ce qui concerne la relation entre l'administration et les évaluateurs (Brans, Facon, Hoet, 2003), la relation avec le système politique (Jacob, 2004) ou l'identification des principaux critères d'évaluation (Scharreborg, 2004). De plus, comme la Belgique n'est pas pionnière dans le domaine en question, elle ne subit pas non plus l'effet inhibiteur que subissent les pays qui le sont. Elle se trouve donc dans une situation qui offre des opportunités exceptionnelles (91) . Le retard pris en l'espèce en ce qui concerne l'institutionnalisation peut, par exemple, avoir un effet rafraîchissant dans le cadre de l'élaboration de stratégies visant à prévenir l'apparition d'évaluations « rituelles » (dont on n'a pas l'intention d'utiliser les résultats) (Lewis, 2001: 391) ou de pseudo-évaluations (qui servent uniquement à satisfaire aux formalités prescrites). Il permet aussi d'évaluer les effets négatifs de la société d'audit et de prévenir les effets indésirables des évaluations, tels que le ralentissement de l'innovation, la paralysie organisationnelle et l'aggravation de la bureaucratisation (Leeuw, 2002: 9). Une comparaison avec l'étranger permet également d'éviter l'absence de vision à long terme dans le cadre de la pratique d'évaluation, par exemple en consacrant plus d'attention aux caractéristiques de la mise en œuvre de la politique (Rossi, Freeman & Lipsey, 1999) ou en renforçant la capacité d'évaluation des fonctionnaires (McDonald, Rogers& Kefford, 2003: 9).

L'indispensable coordination des efforts

L'intérêt actuel pour la « culture d'audit » conduit déjà à une prolifération des organes compétents en matière d'évaluation de la politique. L'organisation politique de la Belgique contribue de manière structurelle à cette prolifération. Pour éviter que l'arbre ne cache la forêt, il paraît indiqué de regrouper tous les acteurs concernés. Les partis politiques, les instances de contrôle (Cour des comptes, inspection des Finances), les organes de planification (le Bureau fédéral du plan, le SPF Finances) et les établissements de recherche pourraient faire partie d'États généraux consacrés à l'évaluation. Ceux-ci pourraient commencer par dresser l'inventaire des efforts qui sont accomplis à l'heure actuelle, et pourraient ensuite élaborer une politique de coordination. Parallèlement, on pourrait créer, au sein de l'administration fédérale, un groupe de coordination transversale entre les secteurs, qui serait chargé de planifier les évaluations et d'assurer la diffusion des connaissances et des expériences acquises (Van Aeken, Jacob & Varonne, 2003: 36).

Eu égard à la structure fédérale actuelle de la Belgique, il y a en tout cas lieu de développer un modèle de coopération à plusieurs niveaux. Il serait absurde de cantonner à un seul niveau de pouvoir l'évaluation de réglementations complexes qui ont souvent une portée supra-régionale. Un modèle à plusieurs niveaux permet d'assurer une coordination optimale entre les divers niveaux de pouvoir, dans le respect du principe de subsidiarité.

Amélioration des connaissances méthodologiques et de la collecte des données

Alors que les considérations qui précèdent concernaient essentiellement le cadre organisationnel de l'évaluation, nous tenons, dans le cadre de notre conclusion, situer les méthodes et les techniques d'évaluation dans une perspective (d'avenir) nourrie des évaluations concrètes qui ont déjà été réalisées.

J'ai déjà expliqué en détail que les évaluateurs doivent souvent mettre en œuvre des techniques très complexes pour résoudre des problèmes simples en apparence, même s'ils attachent beaucoup d'importance à la simplification des choses (Van Aeken, 2002). C'est ainsi que la réponse à la question de savoir, par exemple, si le renforcement, en 1994, de la législation relative à la conduite sous influence a eu un effet sur la sécurité routière ne fut pas aussi simple qu'on eût pu le penser. Il suffisait d'avoir un peu d'expérience dans le domaine de la recherche socio-scientifique pour pouvoir comprendre qu'elle serait (hélas) complexe. Le lien de causalité donne des cheveux gris à plus d'un chercheur. La diminution du nombre de victimes de la route qui a été enregistrée a-t-elle pu être réalisée dans le cas d'espèce grâce à la politique menée par les pouvoirs publics en matière de circulation routière ou y a-t-il d'autres facteurs qui ont joué, comme une amélioration de l'infrastructure routière ou une généralisation de la réprobation sociale contre la conduite sous influence ? De plus, on est toujours obligé d'interpréter les résultats éventuels à la lumière de données rarement fiables. Les statistiques officielles, par exemple, sous-estiment systématiquement le nombre réel de victimes de la route (92) .

Une culture d'évaluation a donc besoin de données fiables et de méthodologies robustes. La collecte d'informations fiables et pertinentes est une première exigence. La voiture de course la plus rapide n'avancera pas d'un centimètre sans un carburant performant. On peut développer un système de collecte structurée d'informations, notamment en définissant des indicateurs par secteur public et en motivant les administrations pour qu'elles prennent à cœur la tâche en question. Dans ce sens, il importe que les fonctionnaires concernés possèdent au moins une connaissance élémentaire en matière de statistiques. On pourrait s'en assurer dans le cadre du renforcement de la capacité d'évaluation de l'administration même (Ginsburg & Rhett, 2003).

En ce qui concerne la deuxième composante de l'évaluation proprement dite, à savoir la méthodologie, la plupart des chercheurs s'accordent à dire qu'il faut lui accorder une importance plus grande en tant que discipline universitaire autonome (Scriven, 2002: 305; Lewis, 2001: 394; Rogers, 2002: 431; Ginsburg & Rhett, 2003: 489; Van Aeken, 2002: 388). En Belgique, il n'existe guère de formations (post-)universitaires dans le domaine de l'évaluation politique. La demande de formations de ce type augmentera à mesure que progressera la rationalisation de la politique des pouvoirs publics. Autre constat passionnant: aux Pays-Bas, un manuel de base concernant les méthodes et techniques s'intéresse explicitement aux évaluations qui sont considérées comme une forme fréquente de contrôle (Baarde & De Goede, 2001). Cette intégration de la méthodologie de l'évaluation dans une formation de base relative aux méthodes et aux techniques est l'un des éléments qui expliquent la réussite du développement d'une culture d'évaluation aux Pays-Bas.

Une initiation approfondie aux évaluations dépasse bien entendu le cadre d'une telle introduction. Il conviendrait d'y consacrer des modules distincts dans les programmes de cours, en combinaison avec des formations universitaires avancées. Ces formations devraient couvrir un large spectre de techniques d'évaluation incluant les méthodes quantitatives et qualitatives. Il est en effet très plausible que l'on base une grande partie de la recherche future sur un mélange de techniques en vue d'exploiter toutes les informations possibles (Greene, Benjamin & Goodyear, 2001; Kushner, 2002). L'idéal serait d'ailleurs que l'on jette aux oubliettes l'ancienne rivalité entre les méthodes d'évaluation d'ici 2010 (Rogers, 2001: 433).

Outre l'enseignement de la méthodologie d'évaluation, la diffusion des connaissances pratiques concernant les techniques d'évaluation est un élément dont l'existence est une condition importante de la professionnalisation des évaluations (Van Aeken, Jacob & Varonne, 2003: 37). La plupart des pays ont leur société d'évaluation: il y a la UK Evaluation Society au Royaume-Uni, la Deutsche Gesellschaft für Evaluation en Allemagne, la Société française de l'Évaluation en France, la Swiss Evaluation Society en Suisse, etc. (http://www.evaluation.org.uk/Pub_library/Evaluation_societies.htm).

La pratique en question est tellement bien implantée que même certains des pays les plus pauvres du monde, tels que le Malawi ou le Bangladesh, ont leur propre association professionnelle d'évaluateurs. Il est dès lors presque inconcevable que l'on n'ait pas encore créé de société d'évaluation en Belgique. Il faut savoir en effet que la SEWP, qui fut créée en 1999, résulte d'une initiative wallonne et non pas fédérale.

Outre le développement de l'enseignement et la mise en place de forums d'évaluation, les publications scientifiques concernant les méthodes et les techniques générales ainsi que leurs applications pratiques constituent d'autres éléments déterminants puissants pour ce qui est du renforcement d'une culture d'évaluation. La création d'une revue spécialisée peut jouer un rôle important à cet égard, comme en attestent les revues American Journal of Evaluation (Elsevier) ou Evaluation (Sage). Dans ce sens, le présent inventaire des dispositifs permettant de mesurer les effets des politiques mises en œuvre est un élément de stimulation unique et nécessaire qui permet de développer une véritable culture d'évaluation en Belgique.

7. Bibliographie

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1.6. Nicolas Bernard, docteur en droit et assistant aux Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)

Pour une évaluation législative qui réhabilite cet effet qu'on dit pervers

L'exemple du logement

INTRODUCTION

Florissant, le thème de l'évaluation législative requiert traditionnellement du titulaire de la fonction normative qu'il recueille les effets produits par sa loi sur le terrain afin, le cas échéant, de rectifier la règle. La problématique, en tout cas, connaît un succès grandissant depuis une vingtaine d'années, les développements de la doctrine en la matière (93) débouchant parfois même sur de stimulantes réalisations politiques (94) . C'est que la figure de l'évaluation répond opportunément à une crise persistante de la loi, observée tant sur le plan quantitatif (inflation législative (95) ) que qualitatif (norme imprécise dans sa forme et/ou ambiguë dans son contenu (96) ). Les deux phénomènes s'alimentent d'ailleurs mutuellement, la prolifération des réglementations entraînant souvent en effet une diminution corrélative de la qualité des textes. Conséquence: la loi, trop souvent inadéquate et impraticable, reste fâcheusement inexécutée (97) . « De larges franges du droit », synthétise ainsi Jacques Chevallier, « sont vouées à rester inappliquées » (98) .

Par ailleurs, quand elle est effectivement mise en œuvre, la législation produit souvent de regrettables effets pervers (99) . De fait, pas toujours au fait des spécificités de la population marginalisée, le législateur peine parfois à décoder certaines demandes sociales, et en assure dès lors une transposition normative inappropriée (100) . Quoi qu'il en soit, l'irruption de ces difficultés imprévues sur le chemin de l'application de la loi conduit souvent à envoyer par le fond les initiatives sociales plus louables (101) .

On le voit, « la crise de la législation est aussi — et peut-être surtout — une crise de sa mise en œuvre et de ses effets », résume Luzius Mader (102) . Si l'évaluation s'impose avec force aujourd'hui, c'est donc parce que la loi connaît des difficultés importantes à l'occasion de son application. Si ces obstacles sont apparus avec les premières législations finalisées produites par l'État providence, la crise actuelle de celui-ci ne semble pas devoir affaiblir la nécessité de l'évaluation, au contraire semble-t-il. En tout état de cause, l'évaluation ne sert pas à réduire l'incertitude, mais à mieux l'assumer.

Pour procéder à l'évaluation d'une loi, l'observateur dispose d'une palette élargie de nuances chromatiques. Le concept — protéiforme — d'évaluation législative se décline en effet en une myriade de tonalités. On peut, par exemple, évaluer l'effectivité d'une loi (c'est-à-dire relever les comportements individuels observés au sein de la population), sa mise en œuvre (par l'administration), son efficacité (qui renvoie, sur un plan macro-social, au succès général de la norme) ou encore son efficience (rendement financier). Il s'agit donc d'opérer un choix, qui reflète en définitive le projet que l'on nourrit.

Le présent article ne fournira cependant pas au lecteur une grille exhaustive des différents standards d'évaluation (laquelle, du reste, n'existe pas en tant que tel (103) ). L'intérêt semble ailleurs; il réside plutôt, à notre estime, dans l'identification des matrices évaluatives les plus appropriées à la question précise qui nous occupe, à savoir la faible congruence des lois d'inspiration sociale avec leur public cible. Dans ce cadre, une double clef de lecture s'impose naturellement: l'évaluation dite pluraliste d'impact.

Dissocions un instant la dyade. L'évaluation d'impact présente cette singularité de ne pas se voir conditionnée, dans sa recherche des effets de la loi, par des attentes trop précises, et ce contrairement aux autres types d'évaluation, focalisées eux sur certains aspects particuliers et rendus aveugles de ce fait à toutes les conséquences imprévues. Ainsi, l'évaluation d'impact semble être la plus à même de débusquer les effets inattendus que charrient, en nombre, les législations parmi les mieux intentionnées.

Vient opportunément compléter ce dispositif l'évaluation pluraliste. Pour éviter en effet que l'évaluateur d'impact, affranchi d'objectifs trop contraignants, ne compense la perte de cette grille de références conventionnelle en y substituant son propre système de valeurs, il est invité à épouser, autant que faire se peut, le point de vue des personnes directement concernées par la réglementation. C'est en se plaçant au niveau des administrés concrets, et en premier lieu auprès des plus défavorisés, que l'évaluateur pluraliste appréciera les effets des lois. Ce faisant, il se rend apte à fournir au législateur les informations les plus précieuses quant au sort de la norme sur le terrain, lesquelles indications permettront alors au titulaire de la fonction réglementaire de « suivre » efficacement sa loi et de la parfaire s'il échet.

1. L'ÉVALUATION D'IMPACT

Parce qu'elles se focalisent sur certains aspects seulement des effets législatifs, les évaluations traditionnelles restent désespérément aveugles aux conséquences imprévues, que celles-ci soient malsaines ou bénéfiques d'ailleurs. Or, l'identification de ces pierres d'achoppement inopinées (et trop petites pour pouvoir être visibles à l'oeil nu de la puissance publique) permettrait opportunément aux autorités de dégager le chemin de l'application de la norme. Raison pour laquelle, connoté péjorativement d'ordinaire, le vocable « effet pervers » semble impropre. Car, même néfaste, le résultat imprévu fournit toujours au législateur soucieux d'épouser au plus près les mouvements du corps social une information véritablement irremplaçable. Détaillons.

Un critère global et résiduel

Les différents types d'évaluation recensés jusqu'ici se sont focalisés sur un aspect particulier de la question des effets de la loi. Certaines évaluations se sont intéressées en effet aux comportements des particuliers (effectivité) ou de l'administration (mise en œuvre). D'autres en revanche ont examiné la réussite globale de la norme (efficacité) ou encore son rapport coût-bénéfice (efficience). Toutes pertinentes, ces évaluations n'en sont pas moins étroitement limitées en ce qu'elles ne couvrent qu'une dimension restreinte du problème. Lorsqu'elles scrutent le réel à la recherche des conséquences dues à une législation, ces démarches évaluatrices sont en effet intimement conditionnées par une série d'attentes particulières, de sorte qu'elles ne trouvent jamais rien d'autre en fait que les effets espérés ou redoutés, c'est-à-dire ceux qu'elles postulaient dès le départ, et rien d'autre.

Or, la législation produit une foule d'effets inattendus et échappe régulièrement aux prévisions faites à son endroit. En sélectionnant donc certaines catégories des conséquences au détriment d'autres, et en déterminant par avance les résultats à trouver, les différentes évaluations mentionnées restent dans le domaine du pronostic raisonnable et s'interdisent par conséquent d'appréhender le fait social dans toute sa complexité. « De manière générale », ramasse Jean-Daniel Delley, « le choix des mesures les plus appropriées doit prendre en considération, au-delà des effets voulus, l'impact prévisible, c'est-à-dire l'ensemble des effets possibles sur les destinataires directement visés et sur d'autres publics » (104) .

En quelque sorte, les différents types d'évaluation identifiés jusqu'ici agissent comme l'oiseleur de Platon, c'est-à-dire qu'ils cherchent ce qu'ils connaissent — au moins implicitement — déjà, ce qui ne peut dès lors que les téléguider étroitement dans leur investigation (105) . Nous militons au contraire en faveur d'une quête affranchie de directives et pour une prospection décomplexée qui s'octroie le droit à l'errance.

On connaît trop bien le « maquis des relations causales » (106) qui empêche d'attribuer avec certitude tel effet à telle norme, tout comme est désormais patent le fait que la loi elle-même ne représente plus qu'un facteur d'évolution sociale parmi d'autres. Il est temps, à présent, d'assumer cette posture intellectuelle et d'adopter une démarche évaluatrice qui veille à prendre en compte, autant que faire se peut, l'ensemble des conséquences -intentionnelles ou non- induites par la réglementation. Cette entreprise, qu'on dit centrée sur « l'impact » de la mesure, propose un critère d'évaluation des lois qui se veut à la fois global, car non conditionné, et résiduel, en ce sens qu'il vient compléter les autres évaluations lorsque celles-ci butent sur des effets imprévus. La tâche, on le voit, est assurément complexe, sans être irréalisable pour autant. « Que l'évaluation des effets soit une opération délicate ne signifie nullement qu'il faille y renoncer », précise Charles-Albert Morand. « Une évaluation effectuée dans des conditions de rationalité limitée est un progrès non négligeable [...] » (107) .

Exemples de conséquences imprévues, qu'elles soient néfastes ...

Relevons à présent quelques exemples de lois aux effets imprévus (que ceux-ci se révèlent fâcheux ou heureux), en commençant par pointer ici les conséquences néfastes. Ainsi, de nombreuses de lois sociales dans le domaine de la santé ont bel et bien amélioré la situation des malades mais, parce qu'elles n'ont fait en quelque sorte que déplacer le problème en aval, ont entraîné une inflation incontrôlée des dépenses, mettant en péril l'équilibre même d'un système menacé de s'effondrer sous son propre poids. Épinglons également le cas des lois successorales françaises qui, parce qu'elles attribuaient la possession de la ferme à l'aîné de la famille, ont incité à une certaine époque les agriculteurs à n'avoir qu'un seul enfant (108) . Autant d'effets inattendus que seule une évaluation d'impact est à même de relever adéquatement.

Dans la matière du logement, les illustrations sont particulièrement éloquentes. Ainsi de l'accès à la propriété qui, en raison de la stabilité que l'attribut apporte, est résolument encouragé, notamment à l'égard des personnes démunies.

Et pourtant, une politique trop incitative dans ce sens risque d'être nocive pour l'équilibre environnemental global, ne serait-ce que parce que les réserves foncières ne sont pas extensibles à l'infini. Si l'idéal de la propriété est légitime, il ne saurait, et ce n'est pas le moindre de ses paradoxes, s'appliquer à tout le monde. Une promotion tous azimuts de la petite propriété individuelle induirait des effets catastrophiques en termes d'aménagement du territoire et d'environnement, tout en entraînant par ailleurs un phénomène bien connu de désurbanisation. « Nous ne mesurons pas suffisamment que le modèle d'accès à la propriété, depuis l'après-guerre, est un des facteurs principaux de la désurbanisation des villes », ramasse le rapporteur du colloque européen des 24-25 septembre 2001 sur le logement comme outil de cohésion sociale (109) . Saluons dans ce cadre la décision rendue en 1997 par le tribunal de première instance de Termonde, qui a refusé de faire primer le droit à un logement convenable sur la réglementation en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme (110) .

À nouveau, seule une étude d'impact sérieuse est capable de débusquer les effets imprévus dissimulés au sein des lois apparemment couronnées de succès dans leur strict champ de compétence tout en exerçant de malsains effets sur d'autres plans. Au demeurant, comme l'a montré officiellement la Commission externe d'évaluation des politiques publiques du Canton de Genève, l'encouragement public de l'accession à la propriété a entraîné comme conséquence inattendue et néfaste (était-elle réellement inattendue cependant ?) une augmentation généralisée des loyers et une éviction subséquente des locataires les plus fragiles hors du quartier (111) .

Enfin, le suicide d'un jeune homme dans un foyer d'accueil remarquablement restauré et offrant un confort idéal a jeté un trouble profond chez les responsables du système. Même si la coïncidence (entre la rénovation du centre d'hébergement et le décès) est peut-être fortuite, elle est suffisamment troublante toutefois pour susciter la réflexion chez les gestionnaires de maisons de transit. Lesquels se sont alors aperçus que les opérations de réhabilitation immobilière, menées à grands frais, avaient pour effet inattendu d'accentuer le sentiment de solitude qui frappe déjà les plus démunis et marginaux (112) .

Désormais, au nom d'une certaine idée du progrès social, chacun doit disposer dans ces nouveaux refuges de sa propre chambre, ce qui implique un indéniable tarissement des échanges sociaux. Or, les personnes qui atterrissent dans les foyers d'accueil échouent là précisément parce que leurs liens sociaux sont atomisés et qu'elles ne peuvent pas compter sur le soutien d'une collectivité familiale ou affective.

« Le caractère privé de l'espace ne garantit pas l'intimité », explique Michel Conan, qui rapporte le cas (113) . L'intimité suppose en fait que l'on se sente chez soi dans le logement. Et quand habite-t-on, dans le sens plein du terme, son lieu de vie ? Lorsque celui-ci procure à son occupant une certaine liberté. Le foyer d'accueil en l'espèce, avec son règlement d'ordre intérieur draconien et ses petites cellules individuelles, a beau être confortable, il n'en reste pas moins vécu comme oppressant par ses habitants. A contrario, les foyers qui trouvent grâce aux yeux des marginaux sont ceux précisément qui comportent des studios de deux personnes, aux aménagements différenciés, et qui permettent aux résidents de réagencer leur espace à leur manière (changer les meubles de place, en acheter de nouveaux, les construire éventuellement, etc.). À cet égard, la cohabitation n'est paradoxalement pas perçue comme attentatoire à l'autonomie, du moment qu'elle s'inscrive dans un accord respectueux et mutuellement consenti. La liberté en définitive revient à se choisir certaines limites, qui ont du sens, et à les assumer en adulte responsable. La fonctionnalité n'est donc pas tout; c'est le vivre ensemble et la restauration du lien social qui doivent bien plutôt être recherchés dans les maisons d'accueil.

... ou neutres, voire bénéfiques

Dans le même ordre d'idées, soulignons que les effets inattendus ne sont pas toujours néfastes; ils peuvent même apparaître bénéfiques à l'examen. Ainsi du droit de réquisition d'immeubles précité, quasiment inexploité (114) .

Ont freiné considérablement la procédure des obstacles d'ordre pratique (un inventaire de l'ensemble des immeubles abandonnés sur le territoire de la commune est préalablement requis (115) ) et politique (la réquisition d'immeubles privés n'est autorisée que dans l'hypothèse où la commune et le centre public d'aide sociale ne disposent pas eux-mêmes de logements vides). De sorte qu'une seule décision de réquisition seulement a, pour l'instant, été prise (116) . Mais l'effet de cette loi a d'abord été dissuasif et préventif: anticipant la réquisition, qu'ils craignaient, de nombreux propriétaires se sont en effet mis spontanément « en règle » (en rénovant leur bien, quand ils ne l'ont pas mis en location ou vendu), afin d'échapper à la procédure judiciaire (117) .

Ainsi également du droit suisse qui offre aux organisations de protection de l'environnement un droit de recours contre les décisions publiques potentiellement irrespectueuses du droit à l'environnement. Las, il n'est fait qu'un usage marginal de cette possibilité. Mais, comme Alexandre Flückiger, Charles-Albert Morand et Thierry Tanquerel l'ont bien pointé, cette relative absence de résultats, loin de démontrer par l'absurde l'inutilité du procédé, s'explique de la manière suivante: redoutant les recours, les autorités ont préféré anticiper les griefs qui pourraient leur être faits et ont sagement conformé leurs décisions à la nouvelle donne (118) . En la matière on le voit, la peur du gendarme a porté ses fruits.

Par ailleurs, la loi québécoise sur le dépôt volontaire, présumée aider les personnes pauvres à s'extraire du surendettement, n'a pas été couronnée d'un large succès immédiat, tant s'en faut. Elle n'en a pas moins rempli une importante fonction d'intégration sociale en contribuant, pour l'avenir, à ravauder le tissu social et à normaliser les rapports entre créanciers et débiteurs en difficulté, invités par la réglementation à reprendre langue (119) .

Pointons également le cas des coopératives résidentielles suédoises (lilla kollektivhus) qui permettent aux habitants d'édicter eux-mêmes les règles relatives aux aspects matériels de la vie communautaire (entretien des espaces collectifs, gestion des services communs, etc.).

L'honnêteté commande toutefois de préciser que la mobilisation du groupe pour élaborer ces codes de bonne conduite a largement échoué. Ce qui n'empêche par contre pas le système coopératif, dans un pays où la timidité en public est proverbiale, de parvenir à construire du lien social. Car on se parle désormais au sein de ces communautés de vie, où les voisins ont contracté l'habitude de s'aider mutuellement. Et cette revitalisation des échanges semble bien plus importante encore que l'adoption d'un quelconque règlement d'ordre intérieur (120) .

Enfin, des études ont montré que l'interdiction du tabac dans les prisons avait eu pour effet imprévu une intensification sensible de la contrebande de cigarettes. Pareil résultat pourrait a priori s'assimiler à une conséquence négative, si ce n'est que ce commerce se développe, en fait, au détriment d'autres trafics (drogue, armes et alcool par exemple) autrement ravageurs (121) .

On le voit, c'est une démarche de type évaluation d'impact qui a contribué à éclairer ces réglementations d'un jour nouveau, tout comme elle permet de comprendre pourquoi a été pérennisée la loi anglaise instituant à Londres un régime d'autorisation en matière de création de bureaux. Malgré le fait qu'elle ait atteint son objectif depuis longtemps (limiter la congestion de la ville), cette réglementation n'en a pas moins été prolongée par la municipalité, en raison des nombreux et précieux emplois qu'elle prodigue dans certains quartiers défavorisés (122) .

De la même manière, dictée à l'origine pour favoriser les économies d'énergie en période de crise pétrolière, l'imposition de la limitation de vitesse automobile a été maintenue dans la plupart des pays en dépit de l'éloignement du risque de pénurie, vu les résultats bénéfiques qu'elle produisait en effet sur le nombre d'accidents de la route mortels (123) .

Cet effet qu'on dit « pervers » ...

Évoquant ces conséquences inattendues, l'observateur tend à utiliser l'expression « effets pervers ». La formulation cependant semble réductrice. D'abord parce qu'elle occulte la complexité de la réalité sociale. Les effets des lois se décomposent en effet en une myriade de binômes (effets visés et non intentionnels, effets prévus et imprévus, effets directs et indirects, effets immédiats et différés, ...) dont le couple effets pervers/effets bénéfiques ne représente finalement qu'un élément parmi d'autres (124) . Par ailleurs, la critique des effets pervers, pour séduisante qu'elle soit sur le plan spéculatif, rappelle par certains aspects les attaques des ultra-libéraux à l'encontre des programmes sociaux, assimilés à de la gabegie (125) . Enfin, et beaucoup plus fondamentalement, cet effet qu'on dit pervers constitue en réalité pour le législateur la plus précieuse source d'information sur la pertinence empirique de sa norme.

Dès lors que la crise de la législation est avant tout, comme on l'a dit plus haut, celle de son application, la bonne exécution de la norme par ses destinataires présumés représente actuellement la question centrale des politiques publiques. Combien de lois sociales, en raison d'un ciblage inadéquat ou à défaut de moyens appropriés, ne restent-elles pas en effet dramatiquement inappliquées, tombant progressivement en désuétude ? Avant même dès lors de songer à en créer de nouvelles, il importe de comprendre l'échec des premières, et d'en corriger les imperfections le cas échéant.

Parce qu'il n'est ni omniscient ni devin, le législateur est condamné à voir sa réglementation, dans une plus ou moins large proportion, mise en échec sur le terrain par des éléments imprévus sinon imprévisibles. Partant, la localisation et l'identification de ces points de blocage représentent un exercice incontournable pour le législateur consciencieux qui ne veut pas voir le processus de mise en œuvre de sa réglementation définitivement entravé. Loin d'apparaître par conséquent comme perverse, la survenance d'une conséquence inattendue constitue une réelle chance pour l'autorité législative en perpétuel tâtonnement rationnel.

Pourquoi les responsables politiques continuent-ils dès lors à taxer l'imprévu de perversité ? Probablement en fait pour refouler cet indépassable élément d'incertitude, alors qu'il s'agit bien plutôt de l'assumer et de le prendre en compte.

« Ce qu'on dénie en employant cette expression, c'est l'intelligence inattendue de l'autre », expliquent Jacques Ardoino et Guy Berger, « c'est l'émergence de l'imprévu, les contre-stratégies, le non respect des événements et des comportements attendus et programmés » (126) .

Une expression qui trahit un dédouanement de responsabilité

Les destinataires concrets d'une réglementation ne réagissent jamais conformément aux prévisions — élaborées en chambre — des spécialistes, et c'est heureux. Les pauvres, par exemple, déploient une série de « stratégies de résistance à la misère » pour protéger leur quant à soi des normes trop intrusives (127) . Il est plus commode cependant pour le législateur confronté à l'échec de sa norme de rejeter sur le public cible visé la responsabilité de l'insuccès plutôt que de confesser ses limites en termes de prédictibilité sociale. Puisqu'il ne saurait admettre cette finitude (qui reviendrait, croit-il, à saper sa légitimité), le titulaire de la fonction normative cherche à se dédouaner en qualifiant de pervers ces éléments qu'il n'a pas eu l'intuition de prendre en compte ! Tout ce qui échappe aux prévisions ne peut fatalement, dans ce cadre, qu'avoir une origine malsaine, suspecte. À défaut de pouvoir maîtriser l'entièreté du champ social, le rédacteur de la loi recourt à des arguments d'autorité qui cachent mal cependant son embarras devant l'irruption de ce qu'il n'avait pas imaginé. L'alibi est tout trouvé: la déviance constatée sur le terrain relève forcément de la pathologie, laquelle comme on le sait n'est pas du ressort de ceux qui font la loi ou conseillent le législateur.

Celui qui dispose du pouvoir d'édicter la règle doit donc se montrer extrêmement attentif à la survenance de l'imprévu et le recueillir soigneusement, au lieu de le récuser en le taxant de pervers.

Ces résultats inattendus fournissent au législateur qui veut bien s'y intéresser des indications irremplaçables sur la manière dont sa loi est appliquée dans la pratique. « La variable, l'imprévisible, l'incertain ne constituent plus dans un tel système le problème que nous redoutons habituellement, menaçant le modèle à atteindre, mais bien les éléments moteurs de l'efficacité », observe en ce sens Alexandre Flückiger (128) .

Si l'exécution déficiente des réglementations trouve son origine principale dans une connaissance imparfaite des spécificités du public cible par le législateur, la solution qui s'impose d'elle-même doit consister précisément à sonder le terrain. Car le monde de la précarité, notamment, véhicule certaines logiques souterraines susceptibles d'envoyer par le fond les réglementations les mieux intentionnées (129) . « Ce qu'on baptise effet pervers correspond à l'irruption d'une autre dimension, à la fois celle de l'ordre de l'autre et d'un autre ordre » (130) .

Faire échec à l'incommensurabilité, ou comment amener à penser l'impensable ?

En un mot, l'intrusion de l'inattendu dans les programmes planifiés a pour effet inestimable de mettre en échec l'incommensurabilité qui, selon Feyerabend, caractérise l'abîme quasi infranchissable qui sépare un observateur d'une réalité donnée (131) .

Non seulement le législateur maîtrise mal la réalité sociale, mais surtout ne soupçonne même pas la complexité de celle-ci. Il ne sait pas qu'il ne sait pas, en somme. Enfermé dans sa logique particulière, le titulaire de la fonction normative ne parvient pas à concevoir qu'il existe un autre ordre de pensée que le sien.

L'irruption de l'inattendu le force alors à penser l'impensable, à imaginer l'inimaginable. « L'événement circonstanciel », analyse ainsi Alexandre Flückiger, « n'est plus ce qui, inattendu, risque de faire capoter le plan suivi mais devient précisément grâce à sa mobilité ce qui peut être mis à profit pour faire infléchir la situation » (132) . « C'est l'indécidable qui fait sens », généralise François Ost, « c'est l'incertitude même de la connaissance qui est garante de sa fécondité » (133) .

Un rapide exemple permet d'illustrer les développements précédents. Soucieux de réduire le taux d'accidents mortels sur la route, le gouvernement fédéral américain a pris, dans les années septante, une batterie de mesures destinées à consolider les équipements de sécurité sur les voitures (carrosserie renforcée, etc.) Si, du fait de la réglementation, la proportion de conducteurs tués a effectivement décru, le nombre d'accrochages impliquant des piétons s'est, lui, apprécié de manière sensible (134) . Il y a donc toujours autant de victimes de la vitesse sur la route, les piétons prenant la place des automobilistes en quelque sorte. Comment expliquer ce tragique effet inattendu ? Quelle logique particulière anime ainsi les conducteurs ? Une étude d'évaluation législative d'impact a donc été mise sur pied, qui a livré l'enseignement suivant: lorsqu'ils se sentent en sécurité, les automobilistes ont tendance à rouler plus vite, amplifiant ainsi le risque de collision avec les non motorisés. CQFD.

Dégager le vocable « effets pervers » de son interprétation traditionnellement péjorative

Pour l'ensemble de ces raisons, on veillera à dégager le vocable « effets pervers » de son interprétation traditionnelle, laquelle traduit à notre estime une vision conservatrice et statique du monde. Sous cette expression, que l'on continuera cependant à véhiculer pour des raisons de commodité pratique, il faudra donc entendre une idée plus dynamique qui évoque, en termes neutres, l'ensemble des effets inattendus qui surgissent lors de l'application de la loi, que ceux-ci se révèlent fâcheux ou heureux. Il convient en quelque sorte de faire retour vers Raymond Boudon qui, dans son célèbre ouvrage Effets pervers et ordre social, a le premier dessiné les contours théoriques de la question des conséquences non intentionnelles (135) . Le sociologue français prend soin de n'associer à la formulation « effet pervers » aucune connotation négative (ni positive du reste), se contentant de viser par là les résultats non explicitement recherchés. On se bornera, dans cette ligne, à ne conférer à l'adjectif « pervers » d'autre sens que celui que lui prête l'étymologie, qui désigne sobrement par ce terme tout ce qui est « détourné de sa fin, non conforme au résultat escompté » (136) . En définitive, il semble que la locution « effet pervers » ait elle-même été ... pervertie !

Exploiter le potentiel de la situation

À ce stade du raisonnement, un rapide détour par l'extrême Orient — et la stratégie guerrière — s'impose. Observant l'art chinois de la guerre, François Jullien a remarqué que les généraux de l'Empire du Milieu vont au combat sans tactique prédéterminée. Ce qui ne signifie pas pour autant que la soldatesque livre bataille en ordre dispersé ou de manière anarchique, tant s'en faut. En fait, plutôt que de se référer à un modèle abstrait duquel ils déduiraient les préceptes à respecter, comme nos esprits empreints de rationalité occidentale ont tendance à le faire, les commandants préfèrent, dans un premier temps, laisser faire la troupe et observer la situation. C'est en se montrant ainsi extrêmement attentifs aux évolutions du combat qu'ils pourront, au besoin, (ré)orienter leurs troupes (137) . La réussite alors découle moins de la fidélité à un schéma préconstruit, note Alexandre Flückiger, que de la capacité acquise par les chefs de guerre à détecter, sur le champ de bataille même, les facteurs susceptibles de faire évoluer favorablement le cours des choses (138) . Il s'agit, en d'autres termes, de s'appuyer sur ce qui est porteur et d'exploiter le potentiel qu'offre la situation, plutôt que de vouloir forcer la réalité. Dépourvue de détermination préalable, la manoeuvre ne prend donc forme que dans le fil des événements.

De la même manière, il paraît contre-productif pour le législateur d'adopter des programmes normatifs trop « achevés », exclusivement inférés de modèles théoriques.

Des réglementations plus souples, qui laissent du jeu aux différents intervenants, semblent davantage indiquées, pour peu naturellement que la puissance publique s'engage à rester vigilante et à « suivre » sa norme. Attentives face aux réactions émanant du terrain, les autorités sauront alors intégrer dans le processus de mise en œuvre les enseignements empiriques les plus significatifs. L'efficacité, dans ce cadre, consiste donc moins à appliquer mécaniquement un paradigme, qu'à détecter suffisamment tôt (et à anticiper) les signes avant-coureurs d'une situation qui est en train d'évoluer, et ce afin de faire prendre à celle-ci le tour -favorable- désiré.

Faire rupture, dans une certaine mesure, avec les législations finalisées

Pour le titulaire de l'activité normative, une telle démarche implique en tout état de cause de faire rupture, dans une certaine proportion, avec les législations étroitement finalisées que produit en abondance l'État providence (plans de lutte contre le chômage, programme de résorption de l'exclusion, etc.) Dès lors en effet que le raisonnement en termes d'objectifs laisse toujours subsister, par nature, un hiatus significatif entre le but visé et le résultat effectivement atteint, il conviendrait peut-être de faire le deuil de l'idée de déductibilité absolue pour lui préférer une approche dynamique, évolutive et diachronique. Il ne s'agit donc pas de provoquer l'effet espéré ou de le rechercher directement; il faut, au contraire, le laisser advenir pour ensuite le façonner et le récolter tel qu'on l'a escompté.

La notion de finalité, pour autant, ne s'en trouve pas escamotée; elle demeure, mais à la périphérie, dans l'ombre et dans l'attente d'une impulsion décisive. « La transformation continuelle de la réalité, l'ajustement incessant des imbrications entre différents réseaux, la complexité résultant de rationalités divergentes, l'incertitude qui en découle ne sont pas les chausse-trappes des politiques publiques que l'État a vocation à piloter, mais les briques même de l'efficacité », rassure Flückiger.

« Un changement de perspective qui devrait rendre plus sereins les observateurs déstabilisés par la description d'un monde complexe, et d'un droit qui n'en est que l'élémentaire reflet » (139) .

2. L'ÉVALUATION PLURALISTE

S'il est, en quelque sorte, amené à se débarrasser de ses oeillères cognitives, l'évaluateur d'impact doit également éviter de verser dans l'extrême opposé et de se laisser exclusivement guider par son propre système de valeurs. C'est pour conjurer ce risque que l'observateur est invité, par l'évaluation pluraliste cette fois, à adopter autant que faire se peut le point de vue des destinataires de la norme avant de livrer un jugement sur la pertinence pratique de la loi. Accomplie sinon avec le concours des personnes directement touchées par la loi, du moins avec leurs lumières, la démarche évaluative est dite pluraliste en ce qu'elle veille à diversifier ses sources de renseignement. En somme, l'évaluation d'impact ne saurait être promue indépendamment de l'évaluation pluraliste, considérée comme son complément idéal.

Correctement menée, l'évaluation pluraliste fournit en tout cas au législateur, qui en manque singulièrement, une connaissance qualitative essentielle de la société tout en jetant un éclairage inédit sur les retombées concrètes produites par la réglementation au cœur même de la population. Au demeurant, une évaluation n'a de sens que si ses promoteurs laissent au public évalué la possibilité de se réapproprier ses conclusions, à peine de faire de l'instrument évaluatif un outil d'oppression symbolique plutôt qu'un levier d'émancipation sociale.

Éviter la substitution des systèmes des valeurs

L'évaluation d'impact telle que prônée dans la section précédente cultive donc l'irremplaçable avantage « d'éliminer les biais perceptuels liés à la connaissance préalable des attentes ». « Cette précaution », résume Éric Monnier, « permet d'éviter une « vision-tunnel » et d'ôter les connotations négatives à l'égard des effets inattendus » (140) . Affranchie d'objectifs trop contraignants, cette procédure comporte toutefois un danger majeur, dont il s'agit de prendre la mesure. Non conditionné en effet par des espérances particulières, l'évaluateur risque alors de substituer son propre système de valeurs à celui de la réalité qu'il scrute, et d'écraser sous son prisme d'appréhension du fait social la grille de lecture des personnes qu'il est censé ausculter (décideurs et destinataires).

En fait, une évaluation n'est jamais entièrement neutre; elle n'est que prétendument « affranchie des objectifs ». L'observateur qui réussirait à se déprendre des vues de l'esprit induites par la législation finalisée pourrait bien, en fin de compte, se retrouver — insensiblement — téléguidé par des espérances particulières, tout autant en somme que s'il s'était tenu à examiner un aspect particulier de la loi (effectivité, efficacité, etc.), mais il s'agira cette fois de ses attentes à lui.

L'évaluateur, en quelque sorte, ne s'extrait d'un « biais perceptuel » que pour retomber dans un autre, avec la circonstance aggravante qu'il n'en est pas conscient cette fois.

Pour empêcher qu'un tel glissement ne se produise, une solution se dessine, avec insistance: l'évaluation pluraliste (141) . S'il convient, dans le chef de l'évaluateur, de se distancier des objectifs explicites d'une législation, c'est alors uniquement pour se placer du point de vue des acteurs sociaux. S'il existe, en effet, une pluralité de systèmes de valeurs au sein de la société, c'est celui des destinataires de la loi qui sera prioritairement pris en considération pour apprécier la pertinence sociale de la norme (142) . « L'évaluation traditionnelle demeure marquée par une conception positiviste du droit », estime Yannis Papadopoulos, « et les seules questions qu'elle pose ont trait au respect des intentions du législateur: n'y a-t-il pas déficit de mise en œuvre ou dénaturation de la loi dans son application ? Les moyens mis en œuvre permettent-ils d'atteindre au moindre coût les objectifs fixés ? Les effets réels correspondent-ils aux effets escomptés ? Autant de questions cardinales, mais qui privilégient le point de vue du décideur et ignorent ceux des autres acteurs qui peuvent être concernés » (143) .

Et s'opère alors une sorte de révolution copernicienne. Contrairement à une croyance solidement ancrée, l'indépendance institutionnelle de l'observateur par rapport à la réalité auscultée ne semble plus constituer la meilleure garantie de l'objectivité requise par l'entreprise d'évaluation.

La distance, en somme, ne procure plus la légitimité; c'est la proximité de l'analyste avec son objet d'étude qui, à l'inverse, fournit les assises épistémologiques les plus solides (144) . « Ce à quoi l'évaluateur est tenu », conclut Michel Juffé », « c'est de ne pas projeter ses désirs et ses craintes sur ceux de l'évalué, et de ne pas se substituer à lui dans le mouvement d'élucidation d'une situation. C'est percevoir la place de l'autre sans chercher à la lui prendre » (145) .

Une connaissance qualitative essentielle

Un double mobile peut justifier l'option prise en faveur de l'évaluation pluraliste. La connaissance du terrain et des difficultés concrètes d'application représente tout d'abord, quoi qu'on puisse en dire, le meilleur prisme pour évaluer la congruence des dispositifs réglementaires avec la situation concrète sur laquelle la loi entend précisément agir. Au fond, on n'a toujours rien trouvé de mieux pour éprouver la valeur pratique d'une règle que de solliciter l'avis des premiers concernés, à savoir les destinataires. « Les évaluations conduites dans une complète extériorité manquent de la connaissance qualitative essentielle », observe Éric Monnier (146) . Dit autrement, le risque pour l'évaluateur de fournir une interprétation erronée du donné empirique et de se livrer ainsi à de fâcheux contresens dans l'appréciation d'une pratique sociale est inversement proportionnel au degré de son implication dans le vécu des personnes concernées. « Les modèles à prétention universelle importés de l'extérieur ou élaborés loin des pratiques sociales sont inappropriés et ne servent en fait que les intérêts de ceux qui les ont conçus », ose même François Le Poultier (147) .

Les usagers des normes possèdent donc ces clefs irremplaçables sans lesquelles il devient vite hasardeux de décrypter l'impact d'une loi sur son public cible et d'en décoder les éventuelles conséquences inattendues. « La découverte des effets pervers d'une législation passe avant tout par la réaction des personnes particulièrement touchées », pose en ce sens Luzius Mader (148) . Sans compter que les usagers véhiculent souvent des logiques souterraines inconnues des pouvoirs publics et propres à court-circuiter définitivement les législations les mieux intentionnées (149) .

On le voit, seul l'observateur bien au fait des spécificités du terrain est capable de déceler ces raisonnements atypiques. Difficile de l'extérieur, en effet, de comprendre la rationalité -parfois singulière il est vrai- qui caractérise les comportements des plus démunis. Or, si le législateur n'apprend pas à décoder adéquatement ce genre d'attitude, il se condamne lui-même à ne pouvoir édicter jamais que des réglementations au mieux inadaptées, au pire contre productives (150) .

Dans ce cadre, « l'évaluation pluraliste des politiques publiques [...] permet d'accroître la capacité du système politique à développer de l'empathie pour le fonctionnement des autres systèmes: comprendre leurs codages particuliers », note judicieusement Yannis Papadopoulos. « Accepter cette évaluation, c'est accepter les limites du travail législatif, s'imprégner d'un éthos de modestie face aux capacités de perturbations des différents systèmes » (151) .

Il reste cependant bien des mentalités à faire évoluer avant de voir advenir un tel changement de paradigme, ce qui fait dire à certains que l'évolution relève du voeu pieux. « L'utopie consisterait à vouloir introduire [dans la démarche] le tiers absent de l'évaluation, l'usager, qui rendrait compte, par son vécu, des effets bénéfiques que les techniciens et technocrates s'obstinent à lui faire subir » (152) .

Encore faudrait-il veiller, en toute hypothèse, à ce que cette proximité entre l'évaluateur et le groupe étudié ne devienne pas trop étroite, si l'on veut éviter de décrédibiliser complètement l'opération aux yeux des autres acteurs (pouvoirs publics par exemple ou communauté scientifique). Un juste équilibre devra donc être atteint en la matière.

Une utilité sociale qui réside avant tout dans la réappropriation des conclusions

Par ailleurs, l'utilité d'une évaluation s'apprécie, à notre estime, moins en fonction de sa justesse interne qu'en regard de la réappropriation possible de ses conclusions par son « objet d'étude ». Une évaluation n'a de sens, en d'autres termes, que si elle conduit à éclairer les différents acteurs évalués sur leurs possibilités d'action et, in fine, à les émanciper. La seule démarche évaluatrice pleinement respectueuse des personnes ainsi placées sous le projecteur scientifique est donc celle qui apporte un surcroît de connaissance non seulement aux individus qui la mettent en œuvre (les commanditaires) mais également — et surtout — à ceux qui en fournissent la matière, les destinataires des normes. « La conception pluraliste [de l'évaluation] voit avant tout dans l'évaluation le moyen de créer un espace public de discussion [...] et un instrument d'apprentissage », ramasse Charles-Albert Morand (153) .

Une évaluation n'est donc crédible que si elle est utile socialement. Et elle n'est socialement utile qu'à partir du moment où elle peut se targuer d'être légitime aux yeux des différents acteurs sociaux. Seule, en définitive, cette nouvelle légitimité persuadera l'agent de faire sien les éventuelles suggestions proposées par l'évaluation et, partant, d'infléchir son comportement. « La mise en œuvre d'une action d'évaluation participe à la reformulation de la légitimité de l'intervention sociale », résume Michel Tachon (154) .

Aussi sophistiquée qu'elle soit, si l'évaluation n'est pas assimilée par ceux qui en sont l'objet, elle se révèle vite inutile (155) . « C'est ce qui se passe après [l'évaluation] qui importe. Une évaluation est réussie seulement si elle est prise en compte, si elle modifie les positions et les références de l'évalué », synthétise Michel Juffé. « L'évaluateur est un agent catalytique: il disparaît une fois le travail fini, sans laisser de trace » (156) .

Quoi qu'il en soit, l'assimilation des recommandations par le public évalué est loin d'être chose aisée ou automatique. Philippe Laurent ne voit-il pas d'ailleurs dans le procédé une « alchimie savante de l'appropriation des conclusions » (157) , tandis que, pour sa part, Henry Noguès mobilise l'image de la « greffe » (158) , comme pour mieux souligner l'important risque de rejet ?

À cet égard, il semble donc qu'aucune autre méthode n'agrège mieux le public évalué autour de ses conclusions que l'évaluation pluraliste, c'est-à-dire celle qu'on mène à partir des préoccupations des gens qui éprouvent la loi au quotidien. Dès lors, les commanditaires des évaluations pluralistes doivent progressivement faire le deuil des conclusions trop rigoureuses et apprendre à négocier des recommandations souples avec les personnes mêmes qui seront appelées à mettre celles-ci en œuvre (159) .

Entre l'oppression symbolique et l'instrumentalisation

A contrario, comme le déplore Jean Defferrard, l'évaluation d'un sous-groupe social menée, sans coopération, par un autre sous-groupe social risque d'induire une véritable « oppression symbolique ». Parce qu'en effet elle « renforce les processus de marginalisation », « augmente la distance entre les uns et les autres » et correspond en définitive « à l'exercice d'un pouvoir des uns sur les autres », cette démarche unilatérale ne poursuit assurément pas une visée émancipatrice (160) . Partant, elle engendrera à coup sûr des mécanismes -parfois violents- de défense dans le chef des individus qui ont tout intérêt à se défier de cette emprise. Face à ce « risque de monopolisation de l'évaluation au profit des experts et des technocrates », rassure cependant François Rangeon, « une conception « démocratique et pluraliste » de l'évaluation est présentée comme un antidote » (161) .

En sens inverse, une participation contrainte des usagers à une démarche évaluatrice imposée de l'extérieur ferait probablement planer le soupçon d'une évaluation-alibi. À travers l'assentiment -arraché- des destinataires de la norme, les promoteurs de l'évaluation ne chercheraient en fait, dans ce cas de figure, que la caution commode apportée ex post à une politique sociale qui ne s'était nullement souciée auparavant de solliciter l'avis de ceux qu'elle touche (162) .

« Dans sa version a minima, [la participation] est seulement un moyen de vaincre les réticences des citoyens ou de vérifier l'acceptabilité sociale d'une décision », dénonce en ce sens Jean-Claude Hélin (163) . « L'objectif inavouable de toute évaluation n'est-il pas de maîtriser une potentielle déflagration violente ? », enchérit Guy Cauquill (164) .

En la matière, l'évaluation pluraliste doit donc reposer avant tout sur une base volontaire si l'on veut éviter qu'elle ne soit récupérée/instrumentalisée par les pouvoirs publics. Il restera alors à endosser sérieusement, pour pouvoir mieux y répondre, le constat massif et embarrassant suivant lequel les démarches participatives non contraignantes restent, en fait, très peu exploitées par les personnes en situation de difficulté matérielle (165) .

Exemple: le confort des logements

L'évaluation pluraliste repose donc, comme on l'a vu, sur l'idée qu'il existe une multiplicité des modes d'appréhension du réel. Autrement dit, le point de vue des personnes directement touchées par une réglementation complète opportunément la vision d'un législateur tenu, s'il veut profiler adéquatement son action, de saisir la réalité sociale dans sa complexité. La question du confort des logements illustre de manière particulièrement éloquente cette pluralité de systèmes de valeurs. Quel habitat peut-il ainsi revendiquer l'appellation de « confortable » ? À quelles conditions accède-t-il à ce statut ? L'interrogation, on s'en doute, est piégée car n'appelant pas de réponse univoque. De fait, le concept de confort se révèle être à géométrie variable et se remplit différemment suivant les angles d'approche. Pour les autorités par exemple, le logement doit satisfaire, pour mériter son label de qualité, à une batterie d'exigences techniques, prédéfinies et non négociables. Par conséquent, une famille nombreuse se verra invariablement refuser l'entrée dans le parc locatif public si le logement social qu'elle postule ne réserve pas, au moins, une chambre par enfant. Dans ces conditions, la probabilité pour ce ménage d'intégrer un jour l'habitat social devient infime, dès lors que le parc immobilier de l'État ne compte qu'une proportion minime de grands logements. Et la tendance est dégressive à cet égard (166) .

Par ailleurs, les critères de salubrité liés aux allocations déménagement-installation-loyer (A.D.I.L.) (167) atteignent un niveau d'exigence tel que rares sont les ménages susceptibles d'en profiter. Comblant la différence entre le loyer de départ et le loyer — plafonné — d'arrivée, ces allocations sont censées inciter les ménages habitant un logement vétuste à migrer vers un habitat sain. Seulement voilà, parce que les pouvoirs publics n'entendent pas dissocier le versement de cette aide publique de l'objectif général de promotion du progrès social, le logement salubre d'élection doit répondre à des normes de qualité draconiennes. La mesure vise, en dernière instance, l'amélioration du cadre de vie des plus démunis. Il faut à tout prix éviter, en d'autres termes, que l'allocation ne termine sa course entre les mains de propriétaires indélicats qui retirent un profit locatif indu de leurs taudis invivables (168) . Si les logements — sains — concernés par la réglementation existent bien, ils sont cependant totalement hors d'atteinte des moyens financiers des individus paupérisés qui, précisément, n'ont d'autre choix matériel que de se cramponner à ces logements disqualifiés dont les autorités essaient désespérément de les extraire ... Ces subventions ne remplissent donc qu'une utilité marginale dès lors qu'elles obéissent à des critères de qualité à ce point rigides qu'ils excluent de facto de leur champ d'application les logements dégradés, ceux-là mêmes qui constituent pourtant le créneau obligé des personnes à bas revenus ... Le cercle vicieux se referme, on le voit (169) .

La notion de confort est donc éminemment relative; son contenu dépend en fait du système de référence adopté. Doté d'une valeur intrinsèque, le logement recèle également une validité contextuelle qui se trouve directement conditionnée par le choix de l'appareil de valeurs retenu pour appréhender la réalité. Ainsi le juriste développe-t-il une idée du « bon logement » qui n'est pas nécessairement la même que celle qu'un médecin, préoccupé avant tout par les aspects sanitaires liés à l'habitat (170) , peut élaborer par exemple, pas plus que ce schéma de logement idéal ne coïncidera avec l'image que s'en fait le sociologue (soucieux plutôt, lui, de la localisation du bien dans un quartier ne favorisant pas la délinquance) ou encore de l'environnementaliste (attentif davantage à la proximité du logement par rapport aux services collectifs et au lieu de travail), etc.

L'action des pouvoirs publics en matière d'habitat sera donc lue (et appréciée) différemment en fonction des multiples contextes qui définissent autant de systèmes de valeurs. Pour expliquer, du reste, la faillite qu'a connue l'équivalent américain des A.D.I.L., Éric Monnier relevait semblablement que « les membres du Congrès n'ont pas les mêmes critères pour définir un logement confortable que les principaux intéressés, les familles à bas revenus » (171) .

Pour une graduation — temporaire — des normes de qualité

Quoi qu'il en soit, les plus pauvres refusent d'endosser une responsabilité qui n'est pas la leur et ne veulent pas devenir les victimes d'une grille de lecture du réel inadaptée à leur situation. À un système de référence conventionnel (reposant sur des normes fixées a priori) ils cherchent, en fait, à substituer un complexe de valeurs factuelles, établies a posteriori. Aussi essentielle qu'elle soit, la lutte contre l'insalubrité, échafaudée par des hommes et des femmes qui ont la chance de vivre dans des logements sains, ne saurait se faire en effet au détriment des plus fragiles. Il convient d'éviter que la lutte contre la pauvreté ne se retourne contre les pauvres, ceux qu'elle entend affranchir précisément.

C'est pourquoi les personnes précarisées militent énergiquement en faveur d'une ventilation — temporaire — des critères de salubrité, lesquels s'étageraient entre des conditions minimales d'une part et, de l'autre, des exigences élevées de qualité. Les premières, normes minimales absolues ne tolérant aucune exception, sont censées interdire aux propriétaires de mettre leurs taudis sur le marché (172) . Les secondes, plus souples, n'empêcheraient pas le candidat locataire d'habiter le logement en infraction mais offriraient au contraire à l'occupant qui le désire la faculté de remédier lui-même, tout en restant dans les lieux, à l'état d'insalubrité. Et à l'instar de ce qui est prévu dans le cadre du bail de rénovation, une remise de loyer viendrait sanctionner la situation par exemple (173) . Quant au parc immobilier public et aux logements construits, achetés ou rénovés avec l'argent de la collectivité (primes à la rénovation, prêts du Fonds du logement, etc.), le second type de normes serait, là, de stricte application naturellement.

Progressivement toutefois, ces standards supérieurs de qualité devraient se généraliser et remplacer, à terme, les premières. Les exigences particularistes des plus démunis ne sauraient, en effet, aboutir à entraver définitivement le progrès social. « Si la réalisation de l'égalité des chances implique de rompre l'égalité des droits par l'instauration de mesures spécifiquement destinées aux personnes défavorisées », précise Frédérique Pollet-Rouyer, « encore faut-il pour un traitement réparateur de l'exclusion sociale, que cette discrimination positive tende vers une égalisation minimale des conditions de vie » (174) . Et ce même si, bien évidemment, les souffrances les plus aiguës doivent être soulagées toutes affaires cessantes. « Renoncer au présupposé de l'unité de connaissance, et adopter d'autres critères ne conduisent certes pas à conclure que tout se vaut ou que tout peut finalement être tenu pour « une autre forme de science » », résume Jean-Léon Beauvois (175) .

Il convient donc, de manière générale, de cumuler deux types d'intervention sociale, en les faisant se succéder dans le temps. On cherchera, dans une première phase, à rencontrer les besoins les plus criants, à l'aide d'un sous statut au besoin, avant de passer, dans une seconde étape et une fois la menace sociale dissipée, à une mesure universelle, seule susceptible de rétablir la dignité des récipiendaires.

Coproduction du sens de l'espace bâti

Par-delà les exemples précédents liés au confort du logement, la question du pluralisme de valeurs aboutit à une remise en cause d'une certaine idée de la production — unilatérale — du sens afférent à l'espace bâti. Contrairement en effet à une croyance largement répandue au sein de l'administration, le logis ne renferme pas un sens univoque. Ce sont les habitants, en réalité, qui font l'habitat et se réapproprient l'espace, conférant ainsi au bâtiment un sens qui n'est pas toujours celui qui était imaginé par les concepteurs (176) . On assiste là en tout cas à ce que Michel Conan appelle la « coproduction » de l'espace bâti, évoquant par ce vocable la « contribution des consommateurs à la réalisation du bien public dont ils sont bénéficiaires » (177) .

Façonné par les habitants, le sens de l'espace bâti est logiquement appelé à connaître des « bougés », au gré de l'évolution mentale des occupants. Ainsi d'un immeuble de logement social français implanté à Ivry et résolument novateur dans son dessin. Présentant la particularité de ne voir aucun de ses murs se croiser à angle droit, cet ensemble aux formes inhabituelles et aux pièces d'habitation asymétriques a, dans un premier temps, suscité un rejet virulent de la part des résidents. Avec le temps cependant, ceux-ci ont appris à exploiter les ressources cachées de ce singulier paquebot et se sont acclimatés progressivement à cette architecture futuriste. Mieux, acquis à ce nouveau mode de vie, les locataires revendiquent fièrement à présent leur appartenance à ce complexe immobilier original, qu'ils arborent désormais comme un flamboyant étendard identitaire (178) .

On le voit, la production du sens d'un bâtiment ne résulte nullement d'un processus mécanique mais émerge lentement au contraire d'une somme de pratiques sociales, spontanées mais convergentes. Et c'est parce que ce pluralisme inorganisé de valeurs brouille les lectures unilatérales que les autorités font du réel que, précisément, l'évaluation pluraliste s'impose avec une telle évidence.

CONCLUSION

Parce qu'il contribue opportunément à renforcer l'efficacité de l'action réglementaire, ce facteur essentiel de relégitimation de la puissance publique qu'est l'évaluation législative s'analyse donc comme un instrument démocratique de tout premier ordre. Mais, et c'est le point qui nous occupe, l'outil évaluatif offre également un appareillage méthodologique précieux à l'observateur qui cherche à éprouver la validité de la norme du point de vue de ses destinataires. C'est qu'on ne s'aventure pas à la légère, c'est-à-dire sans disposer d'une armature théorique solide, dans les méandres de l'application de la loi au cœur du terrain. Et dès lors que le critère retenu pour cet examen est celui de la réaction des usagers du droit, le schème évaluatif « pluraliste d'impact » semble particulièrement indiqué en ce qu'il recommande précisément à l'analyste de se placer au niveau des personnes directement concernées par la loi pour apprécier les effets de celle-ci.

La particularité de cette manière d'évaluer par rapport aux standards traditionnels, qui postulent dans le réel un certain type de résultats législatifs au détriment d'autres, tient justement au fait que celle-ci rejette toute exclusive dans sa quête. En somme, elle ne cherche rien de précis, ce qui devrait paradoxalement l'amener à trouver plus facilement (179) . Non téléguidée par des attentes trop étroites, l'évaluation d'impact est ainsi plus à même de débusquer les conséquences inattendues charriées, en abondance, par la figure de la loi, même la plus sophistiquée.

Il ne s'agit donc pas d'examiner le changement induit par la législation en se plaçant du côté de la puissance publique (la norme répond-elle à l'impératif de légalité par exemple ? n'entraîne-t-elle pas un coût démesuré pour l'État ?). Il convient, bien plutôt, d'appréhender le déplacement social en se mettant à la place des destinataires de la loi (la règle, conforme aux règles supérieures, n'engendre-t-elle pas cependant de fâcheux effets pervers ?). Il est temps en effet, si l'on veut recadrer efficacement l'action des autorités, de se pencher sur les « dégâts collatéraux » causés, au sein de la population marginalisée, par les réglementations sociales inadaptées.

D'inspiration sociale, certaines normes ont révélé sous cette lumière implacable des aspects plus crus. Et s'il n'est pas dit que ces fâcheuses conséquences contre-productives seraient restées celées en temps normal, il est sûr par contre que la démarche évaluative pluraliste d'impact a permis, mieux qu'aucune autre méthode, de faire saillir ces effets pervers. À ce titre, elle justifie pleinement le statut privilégié qui lui est accordé ici.

2. Échange de vues

À la question de Mme Nathalie de T' Serclaes concernant le fonctionnement de l'évaluation de la législation nationale aux Pays-Bas, le professeur Voermans répond que, comme indiqué précédemment, l'évaluation de la législation est réalisée sur une base ad hoc. Mais l'évaluation est au cœur de la politique législative. Lorsqu'une loi doit impérativement être soumise à évaluation, les Aanwijzingen voor de regelgeving (180) prescrivent d'inclure dans cette loi une disposition relative à son évaluation. Quant à savoir si une telle évaluation relève d'une nécessité impérieuse, cela se décide au cas par cas. Des programmes d'évaluation ont été mis au point à cette fin. Les moyens étant limités, la première étape consiste à fixer des priorités, au moyen d'une liste de priorités établie par le gouvernement avec l'accord des Chambres. Pour les matières de première importance, il sera précisé dans la loi concernée que celle-ci devra être soumise à évaluation après cinq ans par exemple.

La directive 164 des Aanwijzingen voor de regelgeving se lit comme suit:

« S'il y a lieu de prévoir qu'une loi doit faire l'objet d'une évaluation ponctuelle ou d'évaluations périodiques ou qu'un rapport sur sa mise en œuvre doit être rédigé, on se basera sur le modèle suivant:

Notre ministre ayant ... ... dans ses attributions (en accord avec notre ministre ayant ... ... dans ses attributions) transmet au Parlement, dans un délai de ... années à compter de l'entrée en vigueur de la loi (et ensuite toutes les ... années), un rapport concernant l'efficacité et les effets pratiques de la présente loi (ou d'aspects ou de parties déterminés de cette loi).

Explication:

L'examen portera aussi bien sur le degré de réalisation des objectifs et sur les effets secondaires que sur la proportionnalité, la subsidiarité, l'applicabilité, la durabilité, l'adéquation avec d'autres règlements, la simplicité, la clarté et l'accessibilité. Le choix de la forme d'évaluation dépendra notamment de l'importance de la mesure concernée, de sa portée sociale et des charges liées à l'évaluation. On peut imaginer un large éventail d'évaluations allant de l'étude scientifique approfondie au rapport établi par les organes exécutifs.

En général, un délai d'évaluation de cinq ans paraît raisonnable. Un autre délai pourra toutefois être fixé en fonction des circonstances. Si l'évaluation nécessite la collaboration d'un organe ne relevant pas de la responsabilité ministérielle, un dispositif légal doit être prévu à cet effet »

(voir http://www.justitie.nl/themas/wetgeving/instrumenten/aanwijzingen/index.asp).

L'approche ad hoc a déjà essuyé des critiques.

Ainsi, dans les années 90, l'Algemene Rekenkamer (Cour des comptes néerlandaise) a reproché au gouvernement de ne pas bien faire son travail:

— la sélection des projets d'évaluation semblait arbitraire;

— le gouvernement n'engageait pas toujours des moyens de manière judicieuse et au bon moment;

— de plus, la méthode utilisée n'était pas toujours la bonne.

D'autre part, l'évaluation de la législation s'inscrit dans une évaluation plus large de la politique. Les règles légales sont en effet l'expression de la politique menée. Voilà pourquoi l'évaluation de la législation n'a pas lieu uniquement sous l'angle juridique, mais aussi dans une perspective administrative et économique. Les projets d'évaluation de grande envergure qui ont été mis sur pied par le gouvernement néerlandais et auxquels le professeur Voermans a participé, sont toujours réalisés par des équipes multidisciplinaires.

Néanmoins, cette approche pose problème aux Pays-Bas, dès lors qu' il s'avère difficile d'opérer une distinction entre la politique évaluée, d'une part, et la loi en tant qu'instrument de cette politique, d'autre part.

Supposons que le gouvernement souhaite améliorer le fonctionnement du pouvoir judiciaire et qu'il fasse évaluer à cette fin la loi relative à l'organisation judiciaire. Encore faut-il alors savoir s'il faut examiner uniquement l'efficacité de cette loi ou l'ensemble du processus politique que le gouvernement a défini dans ce cadre.

Si le législateur désire obtenir des informations correctes sur les résultats d'un programme politique, cet examen ne pourra pas être réalisé par des organes politiques. Il sera confié à des groupements d'universités offrant les garanties scientifiques nécessaires.

L'évaluation commandée concernant le Raad voor de Rechtspraak (Conseil de justice néerlandais), créé au pied levé en 2001, en est un exemple prégnant. Au cours des travaux préparatoires de la loi instituant le Conseil en question, une évaluation ex ante avait déjà été réalisée en tenant compte des aspects juridiques, financiers et économiques. Mais comme il subsistait des questions concernant les effets de cette loi dans la durée, le législateur décida donc de l'évaluer après un certain délai, en consacrant toute une année à l'examen de divers aspects.

Cependant, les résultats de ce type d'études ne sont pas toujours interprétés de manière univoque au sein des assemblées politiques.

Les Pays-Bas ont aussi une mauvaise expérience de l'évaluation cyclique de la législation, c'est-à-dire le procédé consistant à évaluer une loi tous les cinq ans par exemple. C'est le cas pour un grand nombre de lois en matière de sécurité sociale et pour la loi relative à la publicité de l'administration qui a déjà été évaluée à trois reprises. L'expérience montre que le ministre est toujours bien content de recevoir de telles évaluations, mais qu'il les range ensuite au fond d'un tiroir.

Tout l'art de la politique législative consiste donc à fixer les bonnes priorités.

En ce qui concerne la critique formulée par le professeur Popelier et M. Van Nieuwenhove à l'encontre de la procédure française, M. Hugo Vandenberghe précise que l'Office parlementaire d'évaluation, qui est composé paritairement, a remis son dernier rapport le 5 décembre 2001 et qu'il est sorti de sa léthargie, trois ans plus tard, le 8 février 2005.

Bien sûr, on pourrait imaginer qu'une commission paritaire examine une loi in abstracto, mais quelle serait la valeur ajoutée d'une évaluation ex post d'une loi-programme de 600 articles alors que la pratique législative évolue de manière telle que les Chambres ne votent que deux lois, à savoir des lois-programmes, par an ? Une telle façon d'agir est ni plus ni moins une forme de « harcèlement » parlementaire. Il faut donc que les Chambres développent elles-mêmes leur capacité en matière d'évaluation de la législation, ce qui permettra aux sénateurs de conférer une visibilité suffisante à leurs activités politiques.

Si l'on confie à une commission paritaire la tâche d'évaluer la législation, dans un système où les projets de loi sont immuablement déposés à la Chambre, on amènera les sénateurs à assumer la fonction de référendaire. Ce seront non pas les députés mais les sénateurs qui formuleront des remarques. Si on laisse à la Chambre le monopole du suivi législatif, cela ne donnera rien. En tant que président de la commission de la Justice, l'intervenant doit constater à regret que la Chambre ne manifeste aucun intérêt réel pour le travail législatif.

La répartition des tâches entre la Chambre et le Sénat a été ancrée explicitement dans la Constitution en 1993. La réforme du système bicaméral avait pour objectif de faire du Sénat une chambre de réflexion chargée d'évaluer la législation. Ce n'est pas parce que la majorité actuelle n'est pas favorable à cette révision de la Constitution qu'elle a le droit d'empêcher le Sénat d'accomplir sa mission constitutionnelle. C'est du droit constitutionnel virtuel.

Il y a une grande différence entre une évaluation ex ante de la législation dans le cadre du rôle législatif dévolu aux Chambres et une évaluation ex post du Code de commerce, par exemple, dont les résultats ne seront connus et ne pourront trouver une concrétisation politique qu'au terme d'une législature.

Le plaidoyer du professeur Voermans en faveur de l'intégration, dans la procédure législative, de la politique factuelle (« evidence based policymaking ») en tant que principe général implique qu'au cours des travaux préparatoires des textes législatifs, on puisse comparer la valeur objective des différents arguments. Cela suppose une nouvelle révolution belge. Pour M. Vandenberghe, l'avenir ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices dans ce domaine.

Mme de T' Serclaes déclare que la problématique de l'évaluation de la législation ne peut être dissociée du rôle du droit dans notre société. Elle constate que le législateur a de moins en moins tendance à traiter des projets législatifs de grande envergure, comme, par exemple, l'introduction d'un code totalement nouveau dans notre arsenal législatif. Le morcellement de notre société et la vitesse à laquelle se déroulent les processus sociaux ont pour conséquence que le législateur se contente de plus en plus d'apporter des adaptations ponctuelles à la législation. Il y voit un moyen de réagir en continu à l'évolution des comportements sociaux. Aux États-Unis, on qualifie cette pratique de « sunset law » (législation de temporisation). Cette méthode, qui implique une évaluation continue de la législation, n'est pas nécessairement à proscrire.

Elle doit se refléter dans l'organisation parlementaire de l'évaluation de la législation. Lorsqu'on lance des projets d'évaluation de grande ampleur en chargeant des groupes de recherche universitaires d'évaluer les lois du point de vue non seulement juridique mais aussi administratif, économique et social, on opte alors pour une approche à long terme. C'est bien sûr tout bénéfice pour le parlement. Mais cette manière de travailler est moins intéressante lorsque le législateur et l'administration sont enclins, comme c'est le cas aujourd'hui, à privilégier une stratégie à court terme dans le cadre de leur politique.

On peut dès lors se demander si, au vu de cette évolution, il ne faudrait pas mettre au point des méthodes plus modernes et plus efficaces au lieu de consacrer beaucoup de temps et d'argent à des mégaprojets dont les résultats feront l'objet d'un classement vertical.

Quelle est l'attitude des Pays-Bas face à cette problématique ?

Le professeur Voermans déclare qu'aux Pays-Bas, on applique plusieurs méthodes d'évaluation de la législation.

Lorsqu'il s'agit de projets législatifs de grande envergure, comme la modification de la structure de la sécurité sociale ou la révision de l' « Algemene Wet Bestuursrecht », on met en place un dispositif plus important d'évaluation législative, mais quand il s'agit de lois de moindre ampleur, on ne le fait généralement pas car cela ne présenterait aucun intérêt, sauf si des raisons spécifiques le justifient, comme le fait, par exemple, qu'une disposition d'évaluation soit inscrite dans la loi en raison d'un conflit politique.

Aux Pays-Bas, outre l'évaluation législative scientifique systématique, on recourt aussi assez souvent à des évaluations subjectives. L'exemple le plus frappant à cet égard nous est fourni par l'Europe.

Au milieu des années 1990, les entreprises européennes de taille moyenne ont commencé à s'interroger sur la qualité de la réglementation de l'Union européenne. La Commission a alors décidé de créer le groupe Molitor, composé d'un certain nombre d'experts indépendants issus de divers milieux (industrie, syndicats, université, magistrature et fonction publique). Ce groupe de travail a analysé en détail plusieurs textes de loi de l'Union européenne et a établi en juin 1995 ce que l'on appelle dans le jargon technique un inventaire des conceptions (voir COM(95) 288/2). Une telle évaluation subjective, communément qualifiée de « quick and dirty », implique que l'on demande aux shareholders ou stakeholders de donner rapidement un avis sur la manière dont une loi déterminée a été accueillie. La réussite de cet exercice dépend en partie de la stature des experts. Si celle-ci est grande et si le groupe d'experts a une représentativité suffisante, ses conclusions peuvent avoir un certain impact. Si elle est correctement appliquée, cette méthode est très efficace dans l'arène politique pour évaluer la législation.

Aux Pays-Bas, les expériences en matière de clauses de temporisation se sont chaque fois soldées par un échec. Quand on ne dispose pas d'une procédure fixe, on sombre dans l'immobilisme.

M. Van Nieuwenhove déclare qu'aux États-Unis, la notion de « sunset legislation » a quand même une autre signification que ce à quoi Mme de T' Serclaes fait référence. C'est un choix stratégique que l'on fait lors de la conception de la législation et qui consiste à appliquer celle-ci à titre expérimental en prévoyant un moment d'évaluation obligatoire a posteriori.

On peut naturellement dire qu'en Belgique, il y a application systématique du concept de sunset legislation.

Il souligne par ailleurs qu'il est illusoire de croire que l'évaluation de la législation ex post permettra de résoudre les deux problèmes fondamentaux suivants.

Il y a tout d'abord le phénomène des lois-programmes, qui permettent d'entasser de plus en plus de mesures législatives de nature diverse au sein d'un seul et même projet de loi, que le parlement doit ensuite adopter dans la précipitation. Cette manière de procéder est telle qu'elle met les parlementaires tant de la majorité que de l'opposition pratiquement dans l'impossibilité de se faire une idée précise de ce qu'ils sont supposés approuver.

Il y a ensuite le problème de l'inflation législative.

La combinaison de ces deux facteurs a pour conséquence qu'un nombre sans cesse croissant de textes législatifs peuvent être qualifiés de sunset legislation. Le législateur est pour ainsi dire en retard d'une guerre. Le programme législatif qu'il doit examiner a une telle ampleur qu'il n'a pas assez de temps pour étudier en profondeur tous les projets et toutes les propositions de loi. Après coup, il s'avère que ces lois ne produisent pas le résultat escompté, si bien que le législateur est de nouveau contraint de les rectifier à bref délai.

Le parlement ne pourra pas éviter ce problème fondamental en instaurant l'évaluation de la législation ex post. Cette méthode implique un choix stratégique pour des lois individuelles. Elle ne constitue pas un remède universel aux deux problèmes précités.

En ce qui concerne le rôle du Sénat, M. Hugo Vandenberghe a souligné qu'une fois transmises par la Chambre, les lois-programmes sont pratiquement devenues intouchables pour le Sénat, tout simplement parce qu'au stade où elles se trouvent à ce moment-là, c'est-à-dire quasi à l'entrée en vigueur, tout amendement par le Sénat aurait pour effet qu'il faudrait reconvoquer la Chambre. On pourrait avancer l'idée que le Sénat pourrait malgré tout encore jouer un rôle grâce à une évaluation ex post.

Selon M. Van Nieuwenhove, il s'agit là encore d'un vœu pieux. Il trouve en outre que la méthode est mauvaise. En effet, on institutionnalise ainsi un système en vertu duquel le Sénat évaluera des lois après leur entrée en vigueur dans une perspective qui, sur un certain nombre de points, s'écartera peut-être tout à fait de celle adoptée par la Chambre.

Une telle évolution est incompatible avec le principe du bicaméralisme. Un tel système doit sortir pleinement ses effets avant qu'une loi entre en vigueur, et pas après. Sur ce plan, le régime actuel manque d'efficacité.

M. Hugo Vandenberghe réplique que c'est justement pour cette raison que le constituant a envisagé une spécialisation des Chambres dans le cadre de la réforme du bicaméralisme.

La préparation parlementaire du Code de droit international privé en constitue un bel exemple. Le projet y relatif a d'abord été déposé au Sénat et la commission de la Justice en a discuté pendant des mois. Il a ensuite été transmis à la Chambre, qui a amendé quatre de ses articles. Si le projet avait d'abord été déposé à la Chambre, on n'aurait jamais pu y atteindre l'étape du vote final. La même méthode est à présent appliquée pour l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale. La Chambre ne peut pas consacrer suffisamment de temps à l'analyse en profondeur de projets ou propositions de loi aussi étendus et complexes.

Sa proposition d'accorder au Sénat le monopole parlementaire de l'évaluation de la législation s'inscrit donc parfaitement dans la spécialisation de cette assemblée en tant que gardienne de la qualité juridique de la législation. Cela signifie entre autres que les projets de loi qui se rapportent à des problèmes justifiant une discussion parlementaire plus longue et plus fouillée devraient être déposés en premier lieu au Sénat. Cela revient donc à trouver un compromis tenant compte de la spécialisation et de la composition des différentes assemblées. À la Chambre, c'est l'actualité politique, c'est-à-dire l'éditorial du jour, qui commande le déroulement des travaux. C'est difficilement conciliable avec une étude calme et distanciée de textes juridiques complexes.

M. Hugo Vandenberghe ne souhaite pas se lancer immédiatement dans une polémique, mais s'oppose à l'idée que le Sénat serait une simple chambre de réflexion. Entre-temps, cette formule est devenue monnaie courante, mais lors de la réforme du bicaméralisme en 1993, le constituant n'avait évoqué nulle part une telle option. Le Sénat est avant tout une assemblée politique, dont les membres élus directement peuvent se targuer d'une plus grande légitimité démocratique que les membres de la Chambre, parce qu'ils sont élus dans les plus grandes circonscriptions.

Par conséquent, le Sénat ne peut pas être mis sur le même pied que par exemple la « Eerste Kamer », aux Pays-Bas, dont les membres sont élus au suffrage indirect, en l'occurrence par les États provinciaux.

Cela signifie qu'il faut tenir compte de la position du Sénat en tant qu'organe démocratiquement élu, dans le cadre du processus législatif, et donc également dans le cadre de l'évaluation de la législation.

M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage, déclare que dans les documents parlementaires relatifs aux initiatives législatives actuelles, l'importance de la coopération scientifique et multidisciplinaire est soulignée à plusieurs reprises. Lors des auditions organisées en 1998, le professeur Maurice Adams a également insisté sur ce point.

À supposer que la Cour d'arbitrage procède déjà à une évaluation de la législation, le président reconnaît qu'elle le fait d'une manière déficiente parce qu'elle ne le fait pas dans un cadre pluridisciplinaire. Par conséquent, le parlement devra mettre à la disposition de la Cour d'arbitrage les moyens nécessaires pour lui permettre de remplir encore plus adéquatement la mission d'évaluation, avec le soutien de spécialistes issus de différentes disciplines, telles que l'économie et la sociologie.

Deuxièmement, le président de la Cour d'arbitrage s'étonne que les commentaires des arrêts de la Cour d'arbitrage n'émanent jamais d'une équipe dont la composition serait pluridisciplinaire.

Enfin, la question se pose de savoir pourquoi les universités ne mettent pas actuellement en place des projets d'évaluation de la législation fondés sur la multidisciplinarité.

Le professeur Patricia Popelier déclare que l'évaluation de la législation effectuée par la Cour d'arbitrage n'est évidemment pas parfaite. Mais cette appréciation négative est due au fait que l'on considère le problème sous l'angle de l'évaluation de la législation. Il n'en demeure pas moins que cette tâche n'incombe pas à la Cour. La Cour d'arbitrage est une juridiction qui vérifie la constitutionnalité des lois sur le plan juridique. Ce contrôle est l'une des composantes de l'évaluation de la législation. La Cour incite effectivement le législateur à bien évaluer sa législation parce que dans ses arrêts, elle applique le principe de proportionnalité comme critère juridique. Cela implique que dans sa politique, le législateur prenne en considération plusieurs alternatives et examine les moyens à dégager pour atteindre au mieux les objectifs recherchés. Lorsque le législateur n'a pas procédé à une telle évaluation, il court davantage le risque que la Cour ne parvienne pas à déterminer s'il y a bien un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et l'objectif poursuivi, et procède dès lors à l'annulation d'une loi.

Concernant le fait que les commentaires des arrêts de la Cour d'arbitrage ne sont pas dus à des équipes pluridisciplinaires, l'intervenante déclare qu'on peut regretter que ce soient principalement des juristes qui lisent ces arrêts et en font une analyse juridique.

Elle ne partage pas le point de vue de M. Arts, selon lequel les juristes tombent tous dans les mêmes travers. Le monde juridique fournit des commentaires sur l'évaluation juridique des lois par la Cour d'arbitrage. Il serait bon que le parlement tienne compte des arguments invoqués dans ces analyses.

Une loi présente toujours quelques faiblesses. Il faudra en confronter les avantages et les inconvénients. Une telle évaluation ne doit pas nécessairement conduire à l'annulation de ladite loi. Le législateur devra décider de l'opportunité de la rectifier ou non.

Mme Françoise Leurquin-De Visscher partage entièrement la thèse du professeur Popelier. Elle ajoute que la Bundesverfassungsgericht allemande a déjà annulé des lois parce que le législateur n'avait pas effectué d'évaluation ex ante et qu'il n'avait donc pas suffisamment pesé les conséquences de la loi. Rien n'empêche la Cour d'arbitrage d'incorporer certains aspects de l'évaluation dans ses critères de conformité, par exemple en ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, dont la violation peut entraîner l'annulation d'une loi.

M. Hugo Vandenberghe embraye sur ces propos en déclarant que s'il n'a pas abordé le thème de l'évaluation ex ante dans sa proposition de loi, c'est parce qu'elle incombe à des services spécifiques du parlement. C'est dans cette optique que durant la seconde moitié des années 1990, l'intervenant a déjà proposé, malheureusement en vain, de recruter une équipe de juristes, de sociologues, d'économistes et d'autres experts. Il incombe à l'assemblée chargée d'examiner une initiative législative d'en réaliser une analyse approfondie. En procédant de la sorte, les assemblées pourront également se spécialiser. L'évaluation ex post exige une autre approche. En Belgique, la question de savoir s'il faut réglementer politiquement l'évaluation ex ante est une question très délicate. Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à l'initiative entre-temps devenue loi du gouvernement de limiter la compétence consultative du Conseil d'État en réduisant les délais d'avis.


M. Hugo Vandenberghe se félicite grandement du haut niveau qualitatif des différents exposés. Le mérite des présentes auditions réside en partie dans le fait que la thématique de l'évaluation de la législation a été abordée sous des angles très divers. Cette confrontation des points de vue n'est pas seulement enrichissante, elle permet également de constater l'évolution des théories sur l'évaluation de la législation défendues par les praticiens des différentes disciplines. En effet, notre commission a déjà organisé des auditions en 1998 à l'occasion de la discussion d'un projet de loi en matière d'évaluation de la législation. Ensuite, le débat politique est retombé. Les présentes auditions ont permis de mettre à jour les connaissances de la commission en matière d'évaluation de la législation et d'objectiver la discussion des deux initiatives législatives à l'examen. Cela permettra à la commission de faire mûrir ce dossier et de veiller à ce que les options qu'elle a prises demeurent encore longtemps applicables. Il s'agit maintenant, aux niveaux politique et institutionnel, de traduire ces options en procédures efficaces. Bien entendu, la question se pose de savoir s'il existe une volonté politique en ce sens. Une évaluation effective de la législation suppose davantage qu'un service d'évaluation de la législation employant quelques juristes. La première condition est que ce service dispose d'un personnel suffisant. Deuxièmement, il ne doit pas être « la bonne à tout faire » du gouvernement, chargée de préparer dans l'urgence des lois de réparation de toute sorte, que le parlement devra ensuite adopter au pas de charge.


V. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Avis du Conseil d'État

Vu les notes du service d'Évaluation de la législation du Sénat (181) et les auditions du 18 mars 2005, la commission a décidé le 4 mai 2006 de demander l'avis du Conseil d'État au sujet du projet de loi nº 3-648/1 et de la proposition de loi nº 3-464/1 (182) .

B. Questions et observations des membres

1. Rôle et nature de l'évaluation de la législation

M. Hugo Vandenberghe estime que le débat sur l'évaluation de la législation doit être placé dans une perspective plus large et ne pas se cantonner aux deux textes à l'examen. Il s'agit par essence d'examiner le rôle des chambres législatives, les relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et la contribution que le parlement peut apporter sur le plan de la législation.

Un point à ne pas perdre de vue à cet égard est que plus de la moitié de notre législation découle du droit européen.

Le 13 janvier 2007, l'ancien président fédéral allemand et ancien membre du Bundesverfassungsgericht, Roman Herzog, a publié, conjointement avec Lüder Gerken, dans « Die Welt am Sonntag », un article intitulé « Europa entmachtet uns und unsere Vertreter », dans lequel il déclarait que l'idée même de la séparation des pouvoirs est en train de disparaître. En effet, on constate que le travail législatif est entièrement concentré entre les mains du pouvoir exécutif, en raison notamment de la lutte complexe pour le pouvoir qui se déroule à l'échelon européen, où les ministres concluent entre eux des compromis liant plusieurs initiatives législatives entre elles. Un État membre qui est favorable à une directive déterminée conclura un accord avec un autre État membre souhaitant un règlement dans une autre matière. Ce qui est plus inquiétant encore du point de vue démocratique, c'est que les parlements nationaux ne peuvent plus rien changer à ces textes (voir l'écho qu'a reçu cet article dans « De Standaard » du 22 janvier 2007, sous le titre « Het einde van de parlementaire democratie »).

L'intervenant partage la crainte que la séparation des pouvoirs ne s'estompe de plus en plus.

On devrait par conséquent placer le thème de l'évaluation de la législation dans une perspective politique plus large que celle du souci légitime de voir le Parlement tenir compte des rapports et arrêts de la Cour d'arbitrage, de la Cour de cassation et du Conseil d'État.

La question est évidemment de savoir comment concrétiser cela sur le plan politique.

L'intervenant est convaincu que l'évaluation de la législation n'est jamais neutre sur le plan politique. C'est pourquoi elle doit être confiée à une assemblée politique. En effet, contrairement à ce que l'on prétend parfois, les observations juridiques ne relèvent pas toujours de la technique juridique pure. Elles s'inscrivent dans un contexte politique. En effet, le droit n'est pas univoque et se prête à diverses interprétations. Les textes de loi sont interprétés à la lumière de certains principes. Il est donc important de savoir quelle importance on attache aux principes dans un profil juridique donné.

Droit et pouvoir ne sont pas synonymes ou, comme le disait Talleyrand,: « On peut tout faire avec les bayonettes, excepté s'y asseoir ». Le droit véhicule un certain nombre de principes. Selon une interprétation dynamique, la démocratie consiste non seulement à organiser des élections à intervalles réguliers, mais aussi à respecter certains principes qui sont propres à une société civilisée.

Nombreux sont les problèmes de l'actualité politique qui relèvent d'une mise en cause sous-jacente de principes juridiques fondamentaux. Dans cette optique, l'évaluation de la législation doit être confiée à une assemblée politique.

C'est pourquoi, depuis les accords de la Saint-Michel en 1993, M. Hugo Vandenberghe défend l'idée que le Sénat est le forum le plus approprié à cet effet, non pas que la Chambre ne soit pas en mesure d'effectuer cette tâche, mais cette assemblée est la première chambre politique du pays et elle n'a pas la patience nécessaire pour se livrer à une évaluation approfondie de la législation. Si le Sénat a peut-être le don d'être lent, la Chambre n'a en tout cas pas celui de la patience.

Le temps qui passe est un concept relatif. Et, de la même manière que le temps de la bourse n'est pas celui de la Chambre, le temps de la Chambre n'est pas celui du Sénat.

Il y a aussi un autre argument de poids contre le projet de loi transmis par la Chambre. Le Conseil d'État estime en effet que le projet est inconstitutionnel. Si le fondement juridique de l'évaluation de la législation est déjà inconstitutionnel en soi, alors on peut dire que le projet est mal parti. La piste retenue dans le projet n'est donc pas la plus indiquée.

M. Hugo Vandenberghe est cependant ouvert à toute formule juridiquement fondée qui permettrait de garantir un meilleur contrôle de la qualité de la législation. Mais, pour cela, il faut ouvrir le débat. Le contrôle de subsidiarité prévu par le projet de Constitution européenne ainsi que le suivi proactif des propositions législatives européennes devraient ainsi faire partie de l'évaluation de la législation. Cela pourrait être un des rôles majeurs du futur Sénat réformé.

2. Réglementation de l'évaluation de la législation par une loi

M. Delpérée soulève la question de savoir si l'évaluation de la législation nécessite une loi. Peut-on adopter une loi sur un sujet pareil qui porte sur la manière dont les deux Chambres législatives conçoivent leur mission constitutionnelle, non seulement celle de l'élaboration de lois, mais aussi celle du suivi de lois ?

À cet égard, le Conseil d'État a observé dans son avis sur le projet de loi à l'examen que

« Il n'appartient donc pas, en principe, à la loi d'intervenir pour régler le mode suivant lequel les chambres exercent leurs attributions ou prennent leurs décisions. De la même manière, la loi ne peut créer une commission parlementaire, ni lui attribuer une compétence particulière, ni régler la manière dont celle-ci sera exercée. » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 2).

Ne faudra-t-il donc pas régler cette matière dans le règlement de chaque assemblée ou lui fournir une base constitutionnelle ?

Ce problème s'est déjà posé en 1880 à l'occasion de l'application de l'article 56 de la Constitution selon lequel chaque Chambre a le droit d'enquête. Le législateur a constaté qu'il fallait adopter une loi, à savoir celle du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires parce que l'application de l'article 56 de la Constitution pouvait porter atteinte aux droits et libertés des citoyens.

Le projet de loi sur l'évaluation de la législation ne relève pas de ce contexte.

3. Types d'évaluation de la législation

M. Delpérée déclare que le projet et la proposition de loi de M. Vandenberghe appellent trois observations qui portent toutes sur la perspective même de l'évaluation.

— L'évaluation de la législation doit-elle être préventive — ex ante — ou réparatrice — ex post ? Mieux vaut faire les deux ensemble. Lors de la confection de la loi, il faut s'interroger sur le coût de celle-ci et de ses répercussions économiques, sociales et financières. Actuellement, on n'en est pas encore là. Les deux initiatives législatives portent uniquement sur l'a posteriori, à savoir « le suivi législatif » selon le projet de loi et « les lois et les règlements fédéraux en vigueur » selon la proposition de M. Hugo Vandenberghe. Il y a là deux orientations sur lesquelles il faudra trancher.

— L'évaluation sera-t-elle générale ou particulière ? Dans le premier cas, l'ensemble de la législation et même de la réglementation fera l'objet d'une appréciation systématique et périodique. La deuxième méthode, par contre, celle de l'évaluation particulière, pourrait porter sur des lois dans lesquelles une obligation d'évaluation a été inscrite, comme par exemple celles sur l'avortement ou l'euthanasie, sur des lois dénoncées par certaines institutions comme la Cour de cassation et le Conseil d'État, ou sur des lois qui, lors de leur adoption, sont présentées comme étant des « lois à l'essai », ce qui implique qu'elles seront réexaminées à l'issue d'un délai de par exemple trois ans. Il faudra opérer un choix majeur à cet égard.

— L'évaluation sera-t-elle technique et juridique, menée par des experts, ou sera-t-elle politique ? L'évaluation technique portera sur des lois pour lesquelles des arrêtés d'application n'ont pas été pris, des lois qui n'ont pas fait l'objet de mesures d'exécution dans les services, des lois qui soulèvent de problèmes d'interprétation considérables, des lois qui entraînent un contentieux exponentiel, des lois désuètes qu'il faut abroger, des lois inappropriées, des lois annulées par la Cour d'arbitrage ou des lois pour lesquelles cette cour a constaté, à la suite d'une question préjudicielle, la non-conformité à la Constitution, des lois qui, au vu de la jurisprudence de la Cour de Justice européenne ou de la Cour européenne des droits de l'homme, apparaissent en contradiction avec le droit européen et le droit international, etc.

L'évaluation politique par contre s'opère à un autre niveau. Elle a trait à la question de savoir si les objectifs politiques d'une loi ont été atteints. Les effets escomptés d'une loi sont-ils vérifiables ?

L'intervenant apprécie les efforts des auteurs du projet et de la proposition de loi, mais estime que les options prises dans les deux textes sur ces trois questions ne sont pas claires.

4. Évaluation parlementaire de la législation réalisée par un comité paritaire composé de membres de la Chambre et du Sénat

M. Hugo Vandenberghe souligne que le bicaméralisme n'implique pas que les deux chambres fassent toujours la même chose, mais plutôt qu'elles tendent vers une forme de spécialisation parlementaire.

Avant 1940, la Chambre et le Sénat jouaient un rôle constitutionnel identique. Ces deux chambres se sont néanmoins spécialisées dans certaines matières en fonction de l'excellence ou de l'absence d'excellence des parlementaires qui y siégeaient à l'époque.

Un comité paritaire d'évaluation de la législation, composé de membres de la Chambre et du Sénat, ne semble pas une bonne option aux yeux de l'intervenant. En effet, les initiatives législatives résultant des travaux du Comité seront invariablement déposées à la Chambre. La visibilité politique du Sénat s'en trouvera réduite à néant.

L'intervenant cite comme exemple le dossier du droit sanctionnel pour les jeunes. Le Sénat avait voté 48 amendements au projet de loi transmis par la Chambre. Lors de la récente présentation de cette réforme, il s'est avéré que la Chambre avait repris le texte du Sénat dans son intégralité, sans toutefois préciser à l'attention du monde extérieur et de la presse que c'est le Sénat qui avait réécrit l'ensemble du texte.

Bien que l'intervenant ait conscience du fait qu'il n'y a pas de droit d'auteur en politique, la création d'un comité paritaire d'évaluation de la législation va reléguer les sénateurs au rang de conseillers en législation pour la Chambre des représentants.

Les commissions parlementaires ont un grand rôle à jouer dans l'amélioration de la qualité de la législation. L'intervenant renvoie à l'étude de J.D.M. Leliard, « Enkele opmerkingen over de redactionele kwaliteit van onze wetten », parue dans le Rechtskundig Weekblad (R.W., 6 mai 2006, nº 36), dans laquelle il fustige la piètre qualité légistique des modifications apportées ces cinq dernières années au Code judiciaire et au Code d'instruction criminelle. Selon l'intervenant, cela tient à la fois au manque d'intérêt politique pour la formulation correcte et à la réticence à amender des textes lorsque des erreurs sont relevées.

L'étude révèle également que la baisse de la qualité de la législation est une des causes de l'augmentation du nombre de procédures et de la surcharge de travail pour les cours et les tribunaux. Le phénomène des lois de réparation en est un exemple.

Le souci de la qualité de la législation fut la raison pour laquelle les accords de la Saint-Michel ont prévu une spécialisation de la Chambre et du Sénat.

Les accords de la Saint-Michel chargent le Sénat d'une double mission, l'une d'entre elles étant le contrôle de la qualité de la législation. Il ne faut pas maintenant la rejeter a priori.

L'histoire montre que la Chambre des représentants et le Sénat fonctionnent à un rythme complètement différent sur le plan politique et dans une perspective tout autre.

Il n'est pas possible d'accréditer objectivement l'idée que la Chambre s'intéresserait à la légistique ou à la qualité de la législation. La manière de faire de la politique à la Chambre ne le permet pas vraiment.

L'intervenant reste convaincu qu'il faut prendre d'autres initiatives pour institutionnaliser le contrôle de la qualité de la législation. Pour ce faire, les commissions permanentes du Sénat peuvent s'inspirer des notes du service d'Évaluation de la législation du Sénat. Ces notes mettent le doigt sur les imperfections et les lacunes juridiques et techniques que présentent les textes de loi proposés. Lorsque les suggestions proposées dans ces notes sont suivies, le texte adopté gagne incontestablement en accessibilité et en prévisibilité.

En ce qui concerne la composition paritaire du Comité d'évaluation, Mme Defraigne revient à la remarque formulée par un député du cdH dans la commission de Révision de la Constitution et de la Réforme des Institutions de la Chambre. Celui-ci a déclaré qu'il « n'est en effet pas favorable à la création d'un comité paritaire car toutes les lois ne sont plus bicamérales. La Chambre des représentants est seule responsable pour un certain nombre de lois. Les modes de fonctionnement des deux assemblées sont également différents. L'intérêt de la loi de 1880 est qu'elle a permis la création de logiques propres à chaque assemblée » (rapport — Verherstraeten, doc. Chambre, nº 51-29/11, p. 6).

La composition paritaire serait une façon de placer la Chambre sous tutelle du Sénat alors qu'il n'y a pas de système de bicaméralisme total. La Chambre est la seule assemblée à contrôler le gouvernement.

C'est peut-être un argument contre la proposition de M. Hugo Vandenberghe qui tend à réserver au Sénat le rôle d'évaluateur législatif.

M. Jean-Marie Happart désire connaître le rôle qui sera réservé au Sénat en matière d'évaluation de la législation, après son éventuelle réforme en un Sénat des communautés et des régions.

M. Paul Wille s'oppose à l'expression « réforme du Sénat ». Selon lui, il est question d'une réforme de la Chambre des représentants en vue d'instaurer éventuellement le monocaméralisme.

M. Hugo Vandenberghe réplique qu'une loi relative à l'évaluation de la législation ne peut, en aucune manière, régler l'exercice du pouvoir législatif. Pour qu'une telle loi place la Chambre sous la tutelle du Sénat ou inversement, il faut impérativement une révision de la Constitution. L'évaluation de la législation implique un mode d'exercice spécifique du pouvoir législatif, mais elle ne peut jamais porter atteinte à la plénitude de compétence prévue dans la Constitution pour chaque assemblée. L'exercice du pouvoir législatif est une matière qui ne peut être modifiée que par le constituant. Selon lui, la question soulevée à la Chambre est pertinente. D'où la suggestion d'inclure éventuellement dans les règlements des assemblées des modalités relatives à l'évaluation de la législation.

5. Procédure de l'évaluation de la législation et le droit des pétitions

Mme Defraigne déclare que les critiques émises dans la note du service d'Évaluation de la législation du Sénat (183) concernent principalement la coordination systématique faite entre la procédure prévue au projet de loi et la réglementation constitutionnelle du droit des pétitions. La procédure de l'évaluation de la législation envisagée se démarque pourtant clairement du droit des pétitions et constitue dès lors un mécanisme sui generis.

L'intervenante partage le souci de M. Hugo Vandenberghe sur la nécessité de l'évaluation de la législation. L'engorgement des prétoires est dû au fait que les textes sont équivoques et difficiles à interpréter.

L'objet du droit des pétitions est constitutionnellement illimité. La réglementation de l'évaluation de la législation ne peut dès lors se substituer à ce droit.

En ce qui concerne la proposition du service d'Évaluation de la législation du Sénat de « contourner » l'article 28 de la Constitution — il est suggéré que les requêtes qui seraient écartées par le comité d'évaluation, soient renvoyées à la commission parlementaire ordinaire de pétitions —, Mme Defraigne exprime ses réserves.

C. Réponse du secrétaire d'État à la Simplification administrative

Comme le projet de loi fait de l'évaluation de la législation une responsabilité conjointe des deux chambres fédérales, c'est à elles-mêmes qu'il incombe d'apporter une réponse aux questions posées à ce sujet. À cet égard, le gouvernement est ouvert à toute suggestion de la Chambre et du Sénat. Il laisse au Parlement, et en particulier au Sénat, le soin et la sagesse de modifier par voie d'amendements le texte transmis par la Chambre.

Ce préalable étant posé, le gouvernement adopte, à l'égard des questions soulevées par les membres de la commission, la position suivante.

Ainsi que M. Hugo Vandenberghe l'a fait remarquer à juste titre, l'évaluation de la législation n'est pas une opération neutre sur le plan politique. Elle présente évidemment des aspects juridico-techniques, mais elle implique aussi, en filigrane, la nécessité de faire des choix politiques. Faut-il, dans une matière donnée, réglementer ou non ? Cette question exige une réponse de fond qui ne peut pas être donnée par une commission d'experts. C'est pourquoi l'évaluation de la législation au sens large du terme doit être confiée au parlement, et à lui seul. Le Comité parlementaire chargé du suivi législatif devra donc déterminer lui-même la manière dont il conçoit sa mission. Si ce comité se lance immédiatement dans de grandes discussions politiques, il s'enlisera inévitablement. Par conséquent, le secrétaire d'État estime qu'il serait judicieux que le comité se consacre d'abord au suivi des arrêts et des rapports annuels de la Cour d'arbitrage, de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Il est donc plutôt question dans ce cas d'une évaluation juridico-technique de la législation, qui doit déboucher sur le vote de lois de réparation. Après un certain temps, les lois pourront être évaluées sous un angle plus large et donc aussi dans une perspective politique.

La réponse à la question de savoir si l'évaluation de la législation doit être effectuée conjointement par les deux Chambres fédérales ou par le Sénat seul est déterminée par la procédure législative fixée par la Constitution. Notre pays applique encore actuellement le système bicaméral, en vertu duquel la législation est une compétence commune aux deux Chambres. Tant qu'il en sera ainsi, le Comité d'évaluation devra être composé paritairement de membres de la Chambre et de membres du Sénat. La suggestion de la Chambre de donner au Comité une composition proportionnelle au nombre de députés (150) et de sénateurs (71) a été rejetée sur l'insistance du secrétaire d'État. Les deux assemblées seront ainsi sur un pied d'égalité en ce qui concerne l'évaluation de la législation.

Dans la foulée, on s'est demandé s'il fallait déjà tenir compte de l'éventuelle réforme du Sénat en un Sénat des communautés et des régions. La réforme de l'État en Belgique est un processus continu dans le cadre duquel des plans sont ébauchés en permanence. Certes, on peut toujours se demander si ces plans seront réalisés, mais ce n'est pas une raison pour rester les bras croisés. Tant que le Sénat possède une compétence législative, il doit être associé institutionnellement à l'évaluation de la législation.

En ce qui concerne la nécessité d'une évaluation de la législation ex ante et ex post, le gouvernement a déjà pris des mesures en vue d'une évaluation préventive. C'est ainsi qu'a été instauré le test kafka, qui consiste à évaluer, en Conseil des ministres, la charge administrative induite par chaque projet de loi. On espère ainsi réduire les tracasseries administratives à leur plus simple expression. Le gouvernement a récemment approuvé le principe de « l'évaluation d'incidence des décisions sur le développement durable » (EIDDD), qui doit permettre d'évaluer préventivement les effets économiques, sociaux et environnementaux de la législation.

Quant à savoir si l'évaluation de la législation doit être réglée par la loi ou si elle doit l'être séparément par chaque assemblée dans son règlement, le secrétaire d'État estime qu'elle doit l'être par une loi. Il se sent d'ailleurs conforté dans cette idée par le fait que M. Hugo Vandenberghe estime lui aussi qu'une loi s'impose, même pour confier l'évaluation de la législation exclusivement au Sénat.

Deux éléments plaident en faveur d'une initiative législative. Tout d'abord le fait que l'on touche aux droits du citoyen. Deuxièmement, le fait que l'évaluation de la législation est confiée aux deux Chambres conjointement.

Cela n'empêche évidemment pas qu'une assemblée puisse prévoir dans son règlement une disposition obligeant l'auteur d'une proposition de loi à se pencher, dans les développements de celle-ci, sur la question de savoir pourquoi certaines formalités administratives sont imposées.

D. Exposés finaux

M. Hugo Vandenberghe rappelle que l'avis du Conseil d'État (doc. Sénat, 2005-2006, nº 3-648/2, pp. 2-4) est très critique vis-à-vis du projet de loi.

1º Tout d'abord, la compétence du législateur est contestée:

L'article 60 de la Constitution énonce que: « Chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions ».

Comme le Conseil d'État l'a rappelé à de multiples reprises, cette disposition vise à garantir l'indépendance de chaque assemblée vis-à-vis tant de l'autre que du pouvoir exécutif.

Durant l'actuelle législature, cette indépendance est plutôt apparue, du moins pour le Sénat, d'ordre théorique. Le Sénat a ainsi approuvé plus de 4000 articles dans le cadre de lois-programmes et de lois portant des dispositions diverses. Les sénateurs ont pour ainsi dire été contraints et forcés d'approuver ces lois.

Il n'appartient donc pas, en principe, à la loi d'intervenir pour régler le mode suivant lequel les chambres exercent leurs attributions ou prennent leurs décisions.

L'on ne pourrait se fonder sur le précédent de la Commission parlementaire de concertation. En effet, celle-ci est expressément prévue par l'article 82 de la Constitution qui charge la loi d'en préciser la composition et le fonctionnement.

La commission parlementaire de concertation est d'ailleurs la seule qui soit prévue par le texte même de la Constitution.

Dans certaines hypothèses, il a cependant été admis que la loi intervienne — et même doive intervenir — dans un domaine qui relève du « mode (...) suivant lequel [chaque chambre] exerce ses attributions:

— Le premier cas est celui où sont imposées à des tiers des restrictions à leurs droits ou certaines obligations, principalement dans des matières à l'égard desquelles la Constitution prévoit l'intervention de la loi.

Il n'apparaît pas au Conseil d'État que le présent projet crée une obligation quelconque à charge de tiers. Cette justification fait donc, en l'espèce, défaut, sauf en ce qui concerne l'obligation visée par l'article 11 du projet de loi, qui est faite au procureur général près la Cour de cassation et au Collège des procureurs généraux d'adresser un rapport annuel.

M. Hugo Vandenberghe affirme dès lors qu'il n'a pas d'objection à formuler à l'encontre de l'article 11 du projet de loi. L'intervenant souligne en outre que la Cour de cassation envoie chaque année un rapport à l'ensemble des députés et des sénateurs.

— La seconde hypothèse dans laquelle l'intervention du législateur est admise est celle où le problème, par sa nature même, exige impérativement une solution uniforme que seule la loi est en mesure d'apporter.

Le Conseil d'État a raisonné de cette façon notamment en ce qui concerne la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.

La matière du « suivi législatif » concerne les deux Chambres dans une de leurs fonctions les plus essentielles, leur fonction normative. Pour une assemblée dotée de pouvoirs législatifs, évaluer ne peut servir qu'à mieux légiférer.

En outre, l'intervenant souligne à nouveau que dans tous les rapports des différents parlements nationaux, il est souligné que la séparation des pouvoirs, c'est-à-dire la reconnaissance des rôles respectifs propres des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, est complètement ignorée, en tout cas en ce qui concerne les différents équilibres, et que le pouvoir législatif est, dans un certain sens, bâillonné par le pouvoir exécutif.

Le Conseil d'État conclut dès lors que « sous réserve des dispositions qui imposent des obligations aux tiers, la loi en projet n'est admissible que pour autant que soit démontrée l'existence d'une nécessité impérieuse d'apporter au problème de l'évaluation législative par les chambres législatives une solution uniforme qui ne pourrait être atteinte par une modification du règlement d'une ou des deux assemblées, ces règlements pouvant, le cas échéant, être harmonisés de commun accord afin de mettre sur pied, dans le respect de l'autonomie de chaque assemblée, l'instrument d'évaluation recherché » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 4).

Ces observations du Conseil d'État donnent à penser à l'intervenant qu'il peut très bien s'imaginer qu'on inscrive dans la loi certains principes en matière de suivi législatif, mais qu'il faut également instaurer dans cette loi des garanties légales supplémentaires au bénéfice des parlementaires, afin qu'ils puissent réellement honorer leur mission légale. Ce serait un non-sens que de voter des lois sur l'évaluation législative et de perpétuer en même temps la pratique qui met les députés et les sénateurs dans l'impossibilité de s'acquitter de leur fonction législative.

L'intervenant ajoute que les garanties dont les parlementaires allemands disposent peuvent servir d'exemple en la matière: en effet, les parlementaires allemands ont la possibilité de saisir directement la Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht), lorsque les droits de l'opposition sont bafoués.

En Belgique, la décision arbitraire de la majorité prive l'opposition de ses droits constitutionnels et celle-ci ne dispose d'aucune voie de recours. Ce n'est pas acceptable dans un État de droit. Un particulier qui s'estime lésé par une loi contraire à la Constitution peut saisir la Cour d'arbitrage alors que les parlementaires dont les droits fonctionnels sont bafoués au parlement ne le peuvent pas. C'est une discrimination manifeste au regard de la mission publique que les parlementaires doivent exercer.

Au Parlement français, 60 membres de l'Assemblée nationale et 60 sénateurs peuvent saisir la Cour constitutionnelle (184) .

L'intervenant est donc convaincu de la nécessité d'élargir dans ce sens la compétence de la Cour d'arbitrage belge. Les droits des parlementaires ne peuvent pas se réduire à des droits théoriques, sur le papier.

L'intervenant peut donc uniquement marquer son accord sur certains principes de l'évaluation de la législation inscrits dans la loi si on assortit la protection du travail législatif des parlementaires de garanties supplémentaires. À cet égard, on devrait agir sur deux tableaux: d'une part, en instaurant une sorte de procédure abrégée pour résoudre les problèmes de nature purement technique et, d'autre part, en développant de nouvelles initiatives dans la loi de base tant en amont qu'en aval afin d'améliorer la qualité de la législation.

Il est indéniable qu'il faut améliorer la qualité du travail législatif.

De plus, lorsqu'on examine les indices de confiance du citoyen à l'égard du système législatif et de la justice, on constate que tous deux ont chuté.

De surcroît, on a tendance aujourd'hui à attribuer aux lois une force symbolique en ce sens que, dès qu'un problème apparaît, on demande systématiquement qu'une nouvelle loi soit élaborée. Or, les initiés savent que, sur le terrain, la force symbolique d'une telle loi a tôt fait de s'éroder.

M. Hugo Vandenberghe déplore en outre que le gouvernement fasse de sa mainmise sur le pouvoir législatif un événement médiatique. Élaborer une loi, ce n'est pas accomplir une tâche législative ni analyser la qualité de la loi mais c'est organiser une conférence de presse afin d'annoncer qu'une révolution est en cours.

Le fossé juridique qui existe au sein de la société est l'une des causes de l'érosion progressive de la confiance dans les institutions politiques et juridiques.

Le droit devient beaucoup trop complexe et opaque. La terminologie utilisée manque de clarté et ne garantit pas une délimitation précise du champ d'application des lois. Les différentes lois manquent de cohérence entre elles.

De ce fait, la loi manque son objectif, qui est de protéger les plus faibles et d'instaurer une forme d'égalité et d'équité. En effet, la complexité ne profite qu'aux plus forts.

L'intervenant est d'avis que, si le fossé juridique se creuse, c'est parce que la législation perd en qualité. À la réflexion, il faudrait envisager non seulement une perspective beaucoup plus large mais aussi une perspective beaucoup plus étroite: une perspective beaucoup plus large, parce qu'une loi organisant la législation dans le but d'améliorer la qualité de celle-ci ne manquerait pas de voir le jour. Le concept d'évaluation de la législation donne l'impression que le parlement serait une sorte d'académie à la retraite. Pour améliorer la qualité des textes législatifs, il ne suffit pas de procéder à une évaluation de la législation. Il faudrait aussi que les acteurs du terrain établissent des rapports d'incidence.

Eu égard à la piètre qualité de la législation, l'État belge est condamné dans un nombre croissant de jugements pour cause de législation lacunaire, bien qu'elle ne le soit qu'indirectement, il est vrai, pour cause de violation de la Constitution ou du droit communautaire européen. Non seulement la piètre qualité de la législation crée de l'insécurité parmi les citoyens, mais, en plus, elle a un coût économique, des retombées sur la vie sociale, un coût fonctionnel lié au système juridique et, par voie de conséquence, un coût lié à la responsabilité en raison de la condamnation infligée par les tribunaux belges qui constatent que les normes à respecter en la matière ne le sont pas.

M. Hugo Vandenberghe estime que l'on ne peut pas adopter le projet de loi à l'examen sans prévoir de plan d'accompagnement opérationnel, sans examiner les retombées dans la société, sans s'assurer que la loi aura prise sur les problèmes réels.

Si l'on a vraiment le souci de garantir la qualité de la législation, on doit faire en sorte que la contribution du parlement au travail législatif bénéficie d'une meilleure protection sur le plan procédural et ce, non seulement en amont mais aussi en aval.

M. Vandenberghe propose dès lors de confier au rapporteur parlementaire, désigné lors de l'examen d'une initiative législative en commission, un rôle totalement nouveau, à savoir celui de contrôler l'exécution de la loi.

Pour illustrer la nécessité de cette réforme, l'intervenant renvoie aux récents travaux parlementaires de la nouvelle loi sur les armes, qui est entrée en vigueur le 9 juin 2006. Cette loi était un monstre juridique aux yeux de tous les juristes. La Chambre a trop souvent tendance à transmettre des monstres juridiques au Sénat, toujours selon M. Vandenberghe.

L'intervenant n'est donc pas prêt à examiner le projet de loi dont il est question ici comme s'il s'agissait de la énième loi-programme.

En ce qui concerne la loi sur les armes, l'intervenant souligne encore que le Sénat avait été instamment prié de ne pas évoquer le projet. En d'autres termes, le droit d'évocation des sénateurs a été bafoué. On connaît la suite: le gouvernement a dû déposer un nouveau projet de loi au Parlement. Mais même ce nouveau projet de loi ne règle pas les problèmes, les parquets ayant signalé qu'il leur était impossible d'engager des poursuites dans l'état actuel de la loi. En effet, l'ancienne disposition pénale a été supprimée et la nouvelle sanction n'est pas applicable aux faits antérieurs qui ne sont plus punissables.

D'où la proposition, faite par l'intervenant, de charger le rapporteur parlementaire d'un projet de loi de contrôler l'exécution de la loi et d'en faire rapport aux Chambres. À l'heure actuelle, une loi comprend toutes sortes de modalités d'exécution, mais le pouvoir législatif n'est plus en mesure de contrôler véritablement le fonctionnement du pouvoir exécutif qui doit mettre à exécution la loi votée.

La France applique déjà un tel système. Le rapporteur suit l'exécution de la loi et détermine, en accord avec le cabinet du ministre, comment la loi doit être mise en œuvre. Cela permet à la Chambre et au Sénat de suivre comment certaines lois sont appliquées sur le terrain.

Cela permettrait aussi d'éviter que le Parlement vote des lois qui ne sont pas appliquées par la suite. L'intervenant rappelle à cet égard les lois sur la comptabilité de l'État. Le nouvel article 100 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées par l'arrêté royal du 17 juillet 1991, prévoit ce qui suit:

« Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'État, sans préjudice des déchéances prononcées par d'autres dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles sur la matière:

1º les créances qui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées;

2º les créances qui, ayant été produites dans le délai visé au 1º, n'ont pas été ordonnancées par les ministres dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'année pendant laquelle elles ont été produites;

3º toutes autres créances qui n'ont pas été ordonnancées dans le délai de dix ans à partir du premier janvier de l'année pendant laquelle elles sont nées.

Toutefois, les créances résultant de jugements restent soumises à la prescription décennale; elles doivent être payées à l'intervention de la Caisse des dépôts et consignations. »

En 2003, le législateur a abrogé l'article 100 et précisé que le délai de prescription pour les créances sur l'État devait être le même que le délai de prescription de droit commun, à savoir 10 ans, mais en laissant la possibilité au gouvernement de fixer la date d'entrée en vigueur de cet article.

Aujourd'hui, quatre ans plus tard, le gouvernement n'a toujours pas fait entrer en vigueur la nouvelle disposition et ce, bien qu'il s'agisse d'un délai de prescription !

Vu les délais devant le Conseil d'État, toutes les décisions d'annulation du Conseil d'État tombent à cinq ans après l'introduction de la requête. De plus, la requête introduite au Conseil d'État n'a pas d'effet suspensif. Il s'ensuit qu'au moment où une partie obtient gain de cause devant le Conseil d'État, la créance sur l'État est prescrite, ce qui revient à priver les justiciables de leur protection juridique.

La Cour européenne des droits de l'homme condamne donc les systèmes de ce type.

L'accès à la justice est en effet entravé par des obstacles de fait et de droit, qui sont inadmissibles dans un État de droit.

La confiance des citoyens dans les institutions dépend en grande partie de la qualité de la vie publique, de la qualité du débat public et de la qualité des lois votées.

Cependant, beaucoup de mauvais exemples ont été donnés dans ce domaine ces dernières années. Toute initiative tendant à améliorer la qualité d'une loi et le caractère démocratique du processus législatif mérite donc d'être soutenue. L'intervenant estime que ce point peut être réglé par une loi, mais en indiquant certains principes qui seront ensuite mis en œuvre dans les règlements des deux Chambres et harmonisés au niveau des garanties.

M. Mahoux remarque que, compte tenu de l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi par rapport au Sénat, le proverbe « Qui trop embrasse mal étreint » est de circonstance.

On parle en réalité de la détermination des compétences des deux assemblées. Certes, les points de vue de la Chambre et du Sénat diffèrent.

Le texte du projet de loi prévoit la répartition égale d'une tâche importante entre les deux assemblées, en créant un comité qui sera chargé d'examiner, d'évaluer et de proposer — et non de décider.

En ce sens, sur le plan institutionnel, un rôle est attribué au Sénat qui avait cru, à un certain moment, pouvoir s'arroger l'exclusivité — ce qui paraît excessif à l'intervenant dans le système bicaméral actuel.

La Chambre propose une solution d'équilibre. Le texte du projet de loi n'empiète en aucune manière sur les prérogatives de chaque assemblée.

Un système de contrôle similaire (contrôle ex ante) existe déjà en Suisse.

Le projet de loi propose un système de contrôle ex post.

En ce qui concerne les remarques du Conseil d'État, M. Mahoux retient les éléments suivants:

« Suite à l'article 60 de la Constitution, il n'appartient pas, en principe à la loi d'intervenir pour régler le mode suivant lequel les chambres exercent leurs attributions ou prennent leurs décisions. Mais, dans certaines hypothèses, il a cependant été admis que la loi intervienne — et même doive intervenir — dans un domaine qui relève du « mode suivant lequel [chaque chambre] exerce ses attributions » » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 2).

Qui décide dès lors qu'il est impératif ou non d'avoir une structure d'évaluation de législation et de quelle manière on l'obtient ?

Pour M. Mahoux, cette tâche appartient au monde politique.

La deuxième remarque du Conseil d'État concerne la confusion que « le projet sème en demandant au requérant d'indiquer le service chargé d'appliquer le texte légal mis en cause ainsi qu'un résumé de la position de ce service sur les griefs du réquérant, comme si tout texte légal devait nécessairement être appliqué par un « service » (article 5, alinéa 2, 5º et 6º du projet.) » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 5)

Mais en même temps, M. Mahoux cite la phrase suivante de l'avis du Conseil d'État: « Or, pour le particulier, la distinction entre la loi, son interprétation et son application peut dans bien des cas paraître ardue » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 5).

M. Mahoux estime que ce n'est pas parce que notre système de fonctionnement est complexe et ardu à comprendre qu'il faut remettre en question l'architecture institutionnelle de la Belgique.

En ce qui concerne la remarque du Conseil d'État sur la différence entre « requête » et « pétition », M. Mahoux pourrait se rallier à la proposition faite par le Conseil d'État lui-même: « Cette contradiction pourrait être aisément résolue en décidant que les requêtes écartées par le Comité pour cause d'irrecevabilité devraient être transmises aux commissions des pétitions de la Chambre et du Sénat. » (doc. Sénat, nº 3-648/2, p. 5).

En conclusion, M. Mahoux affirme que le texte présenté par la Chambre est une démarche assez positive, aussi pour le Sénat. Il est d'avis que les remarques du Conseil d'État n'ont pas un caractère fondamental. Il propose dès lors de poursuivre l'examen de ce projet de loi, rappelant que celui-ci a recueilli une large majorité à la Chambre des représentants.

Ce serait irréaliste d'exiger l'exclusivité pour le Sénat.

M. Wille souscrit largement à l'intervention de M. Mahoux: une initiative législative de la Chambre des représentants est actuellement à l'examen au Sénat. Il est vrai que le Sénat s'est forgé, en matière d'évaluation de la législation, un savoir-faire dont il peut être fier. Mais dans le débat actuel sur la redistribution des missions entre les deux assemblées, la majorité des parlementaires estiment que le projet de loi de la Chambre a le plus de chances d'aboutir.

En ce qui concerne les observations du Conseil d'État, le contenu de l'intervention de M. Mahoux se situe, selon M. Wille, dans le droit fil du point de vue du groupe VLD.

M. Delpérée souligne que la question de l'évaluation de la loi ou du suivi législatif est importante pour les assemblées parlementaires et pour le Sénat en particulier. En effet, elle touche à la procédure législative puisque, en fin de parcours, il y a des initiatives qui peuvent être formulées et les assemblées peuvent être ressaisies d'un certain nombre de textes.

L'enjeu concerne donc la qualité de la loi, la clarté de la loi, la sécurité juridique, les problèmes de traduction, les problèmes de terminologie et la légistique.

Il y a aussi l'objectif majeur de l'effectivité de la législation, de faire en sorte qu'on dépasse les déclarations d'intention, que les textes soient traduits dans la réalité concrète.

Un autre objectif consiste à vérifier comment la loi est — ou va être — mise en œuvre par les administrations, par l'exécutif, par les cours et tribunaux.

À cet égard, la question se pose de savoir comment les cours et tribunaux assurent l'exécution de la loi et comment, par la suite (par exemple jurisprudence de la Cour d'arbitrage), le parlement peut remettre de l'ordre dans le système législatif suite à des arrêts d'annulation.

M. Delpérée revient sur deux points, un point de constitutionnalité et un point d'effectivité de la loi:

1º La constitutionnalité: comme le Conseil d'État l'a fait observer, il y a des précédents, comme par exemple la Commission parlementaire de concertation, mais, cette commission a une base constitutionnelle (article 82). La solution est alors d'inscrire un texte dans la Constitution pour organiser l'évaluation de la loi, pour organiser un mécanisme qui s'inscrit dans le cadre de la procédure de la loi. Ce système serait le plus logique et plus cohérent.

Dans son avis, le Conseil d'État a déclaré qu'il attend que l'on démontre qu'il y a une nécessité impérieuse d'adopter une loi, alors qu'on pourrait le faire par un règlement. M. Delpérée attend toujours cette démonstration.

2º L'effectivité de la loi: quels seront les moyens financiers et humains du comité paritaire proposé par le projet de loi: qui va travailler, quel personnel, quelle administration, quel budget, quels sont les services qui vont être mis au travail ?

M. Jacques Chevallier, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2), déclarait ce qui suit lors d'un colloque au Sénat français du 7 avril 1994: « L'évaluation législative suppose que les parlementaires fassent appel à des scientifiques, capables de recourir à des méthodes rigoureuses d'analyse pour apprécier les effets des politiques suivies. C'est à cette condition, et à cette condition seulement, qu'on peut réellement parler d'évaluation. L'évaluation doit être soigneusement distinguée de simples jugements évaluatifs, portés par des parlementaires sur le contenu des politiques suivies. »

L'évaluation de législation sera-t-elle une évaluation technique, politique, ... ? Si l'on opte pour une évaluation à la fois politique et technique, il faut des services pour réaliser cette tâche.

M. Delpérée en conclut que le projet de loi est sans doute animé de bonnes intentions, mais, dans l'état actuel du dossier, ce projet est très mal concrétisé.

M. Hugo Vandenberghe réagit aux interventions de MM. Mahoux et Wille. Les remarques de M. Mahoux permettent précisément à l'intervenant de se rendre compte de la pertinence des observations du Conseil d'État: celui-ci affirme en effet que le projet de loi introduit un système qui représente une menace pour l'indépendance des assemblées. En ce qui concerne les projets de loi relevant de la procédure bicamérale facultative (article 78 de la Constitution), ce système ne permettra pas de garantir que le Sénat puisse délibérer en toute indépendance. Sur la base d'un accord conclu au sein du comité parlementaire chargé du suivi législatif, à créer, il n'y aura plus d'évocation. Il en résultera ni plus ni moins qu'une mise sous tutelle du Sénat. Les sénateurs qui siégeront au sein de ce comité parlementaire deviendront les experts des députés. La présentation politique des initiatives législatives aura lieu à la Chambre.

Selon M. Hugo Vandenberghe, le projet de loi en discussion pèche par manque de vision sur l'évaluation de la législation ex ante et ex post. Son contenu ne couvre par le titre que l'idée évoque. D'ailleurs, l'idée selon laquelle le Sénat serait investi d'une tâche particulière dans le cadre de la réalisation de l'évaluation législative a été concrétisée au cours de la législature 1995-1999 par la création du service d'évaluation de la législation du Sénat.

Chacun a pu constater que lorsque ce service formule des observations sur les textes qui lui sont soumis, celles-ci vont beaucoup plus loin et s'inscrivent dans une perspective plus large que ne le fait l'avis du Conseil d'État, qui est essentiellement de nature juridico-technique.

L'intervenant estime que le projet de loi à l'examen est le résultat d'un marchandage entre les partis de la majorité, une suggestion étant acceptée en compensation d'une autre. La seule conséquence de cette pratique est que les mérites du sujet lui-même, à savoir un examen sérieux de la notion « d'évaluation de la législation » et de son ancrage institutionnel, sont une fois encore sacrifiés sur l'autel d'accords purement politiciens qui ne respectent pas l'indépendance de chaque chambre, telle qu'elle est garantie par l'article 60 de la Constitution. À cela s'ajoute la question — également posée par le Conseil d'État — de la représentation des sénateurs au sein du comité parlementaire chargé du suivi législatif, à créer. L'intervenant s'interroge en particulier sur la surreprésentation des sénateurs de communauté. Actuellement, ces sénateurs sont déjà souvent confrontés à des problèmes d'agenda en raison de leur double mandat.

Il est déjà difficile aujourd'hui d'atteindre le quorum dans les commissions permanentes du Sénat.

M. Mahoux réplique qu'il persiste à croire qu'il vaut mieux travailler avec les deux assemblées dans l'évaluation de législation plutôt que de vouloir faire cavalier seul. Il lui paraît vraiment excessif de considérer qu'il appartiendrait au Sénat seul d'évaluer des lois sur lesquelles il n'a pas de compétence. D'autre part, le Sénat a bien fait de mettre en place un service d'évaluation, de telle manière qu'il puisse présenter une expertise. L'institution d'une commission mixte d'évaluation a valeur de proposition et n'enlève strictement rien aux prérogatives des deux chambres telles que prévues par la Constitution actuellement.

M. Delpérée mentionne deux problèmes particuliers de constitutionnalité:

1º comment l'article 2, alinéa 2, 2º, du projet de loi réservera-t-il des tâches particulières aux sénateurs de communauté ? Qu'on lui cite des textes constitutionnels ou législatifs qui réservent ce genre de prérogatives. Il n'y a pas de fonctions particulières pour les sénateurs de l'une ou l'autre catégorie de sénateurs. Cette phrase de l'article doit absolument être supprimée.

2º le fameux article 8 du projet de loi et les propositions d'initiatives législatives: la Constitution (article 37) réserve le droit d'initiative à chaque chambre et au gouvernement: il n' appartient pas à une commission parlementaire d'exercer elle-même ce droit. Ce texte doit aussi être supprimé.


VI. DISCUSSION DES ARTICLES

Intitulé et article 1er

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à supprimer l'intitulé et l'article 1er.

En effet, selon l'auteur, l'article 1er du projet de loi est contraire à l'article 60 de la Constitution qui dispose que chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. Il appartient non pas au pouvoir législatif, dont le Roi fait également partie, mais à la Chambre et au Sénat eux-mêmes, de déterminer chacun en ce qui le concerne, dans leur règlement, le mode suivant lequel ils exercent leurs attributions. L'organisation ou le fonctionnement d'une Chambre ne peut pas dépendre de l'approbation de l'autre Chambre, de la sanction du Roi ou d'une décision de toute autre autorité.

L'intervenant renvoie à cet égard, à la note du service d'Évaluation de la législation du Sénat (185)

Il reconnaît que le législateur a dérogé à cette réglementation à plusieurs occasions. Les commissions chargées du suivi parlementaire du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité et du Comité permanent de contrôle des services de police, dont la mission est fixée par la loi, en sont le principal exemple. Toutefois, sous certaines conditions, le Conseil d'État et la doctrine admettent que le législateur puisse intervenir pour régler l'exercice des compétences par les Chambres législatives. L'intervention du législateur se justifie tout d'abord lorsque les dispositions légales dépassent le cadre étroit du fonctionnement des Chambres législatives, par exemple chaque fois que l'exercice des attributions constitutionnelles des Chambres met en cause les droits des citoyens ou impose à ceux-ci des obligations. Une réglementation légale se justifie également lorsque l'intervention du législateur s'impose pour déterminer des règles uniformes dans les deux Chambres, chaque fois que le règlement des Chambres ne permet pas de réaliser l'uniformité. Le professeur Velu ajoute à cela que l'intervention du législateur ne peut pas aller au-delà de ce que les causes de justification exigent réellement (186) .

Pour l'intervenant, il est donc évident que le projet de loi est inconstitutionnel non seulement à la lumière de l'article 60 de la Constitution, mais aussi à la lumière des articles qui définissent la mission du Sénat. La révision de la Constitution de 1993-1994 avait clairement pour but la spécialisation du Sénat. Au cours de la présente législature, on a continuellement invoqué la spécialisation du Sénat pour souligner, par exemple, qu'il était la première chambre en ce qui concerne les affaires étrangères, l'approbation des traités, etc. Cela suppose que l'on reconnaisse également la spécialisation du Sénat en matière d'évaluation de la législation, dans le cadre de la spécialisation des chambres qui est d'ailleurs la formule généralement admise dans un système bicaméral.

De plus, la portée du projet de loi est beaucoup trop limitée parce qu'il réduit l'évaluation de la législation à une évaluation ex post. Par ailleurs, le projet de loi ne tient pas compte des problèmes majeurs liés au fait que les compétences du pouvoir législatif sont en train d'être vidées de leur substance. Il est pourtant crucial que le rôle des parlementaires soit de nouveau renforcé dans le processus législatif. D'un point de vue démocratique, les parlementaires devraient à nouveau former un contrepoids au pouvoir exécutif.

M. Hugo Vandenberghe poursuit son intervention en citant plusieurs passages du Preadvies van de Vereniging voor de Vergelijkende Studie van het recht van België en Nederland, « Wetsevaluatie in België » (187) .

À cet égard, l'intervenant renvoie également au rapport annuel 2006 du Conseil d'État français (188) . Le suivi et la rectification de la réglementation édictée doit être un point d'attention permanent pour toute autorité. D'après M. Hugo Vandenberghe, le présent projet de loi ne le permet pas. Au lieu de créer un système de veille permanent, on se contente d'instituer un comité de circonstance. La spécialisation des Chambres permettrait d'arriver à un suivi permanent de la qualité de la législation. Mais un contrôle de la qualité prend du temps. C'est, à de nombreux égards, un vrai « travail de bénédictin ». L'intervenant constate toutefois que la majorité violette actuelle ne veut plus consacrer de temps à ce travail, comme en témoigne l'examen des lois-programmes et des lois portant dispositions diverses au Parlement, au cours duquel les amendements qui corrigent des fautes flagrantes sont rejetés. Les fautes seront corrigées ultérieurement dans une loi-programme suivante. Pareille méthode est indigne d'une démocratie parlementaire.

Rejoigant des auteurs tels que M. J. Van Nieuwenhove, M. Hugo Vandenberghe considère lui aussi que l'opinion publique a formé le souhait explicite que les parlementaires reprennent le pouvoir législatif en main. Si l'opinion publique n'a plus confiance en son parlement, c'est parce que les parlementaires la déçoivent et n'assument pas leurs responsabilités constitutionnelles. Il est donc regrettable que le rôle du Parlement dans l'élaboration de la législation ait été réduit à la portion congrue en dépit de toutes les théories sur la primauté du pouvoir législatif.

« L'attribution au Parlement d'un rôle clé en matière d'évaluation de la législation dans cette large perspective pourra conduire à une révalorisation du rôle du Parlement dans le régime législatif. » (189) Aux yeux de M. Hugo Vandenberghe, le projet de loi ne permet aucunement d'aller dans ce sens. Le projet de loi rabaisse encore davantage le Parlement puisqu'il en contestant l'indépendance des deux chambres. L'intervenant ne peut donc pas accepter un système qui formalise en la bétonnant la situation actuelle consistant à laisser le gouvernement concevoir la majeure partie de la législation et à créer une commission paritaire qui, au vu de sa mission telle qu'elle est décrite dans le projet de loi, servira de voiture-balai du gouvernement.

Si l'on veut examiner comment on procède à l'évaluation de la législation, il faut mettre en place un système permettant réellement d'évaluer ou d'apprécier la législation. La notion « d'évaluation de la législation » est sujette à bien des interprétations, même si les définitions données concordent sur plusieurs points.

La définition qui coule de source est la suivante: « L'ensemble des analyses basées sur l'emploi des méthodes scientifiques et portant sur la mise en œuvre et les effets d'actes législatifs ». Ou: « L'évaluation ex ante ou ex post de la législation, sur la base, notamment, de données et critères juridiques, empiriques et socio-scientifiques, et suivant des méthodes scientifiques ». Ou: « Une évaluation ex post systématique se définit comme l'appréciation, dans le cadre d'un examen empirique, du contenu, de l'exécution et des effets d'une loi sur la base de certains critères ». Ou: « La collecte et l'analyse ciblées de données relatives à l'application concrète d'une disposition légale et son évaluation à la lumière des intentions du législateur » (190) .

Toutes ces définitions présentent des convergences, mais aussi des divergences.

L'évaluation de la législation ne vise donc pas uniquement les lois au sens formel, mais aussi la problématique des lois au sens matériel. Les lois au sens matériel, c'est-à-dire les normes juridiques ayant force obligatoire, telles que celles établies par le Roi, échappent totalement au système d'évaluation imaginé par le projet de loi. Le système que le projet de loi envisage d'introduire est dès lors beaucoup trop restreint. Une réelle évaluation de la législation, qui ne peut résulter que d'une spécialisation, implique d'inclure dans l'analyse les décisions normatives qui sont prises, notamment par le Roi.

Il va de soi que l'évaluation de la législation formelle n'est pas née par hasard. En effet, le législateur a non seulement une compétence résiduaire vis-à-vis du pouvoir exécutif, mais il lui appartient aussi de fixer lui-même les principes de base d'une réglementation et de ne pas déléguer cette tâche au pouvoir exécutif. Il incombe à tout le moins au législateur d'arrêter les principes généraux concernant les droits accordés et les obligations imposées aux citoyens. Par conséquent, une évaluation de la réglementation relative à à une matière donnée portera principalement sur les dispositions légales au sens formel.

Toujours selon M. Hugo Vandenberghe, une des explications données ci-dessus pour justifier l'intérêt porté à l'évaluation de la législation est le souci de renforcer la position du parlement. La grande attention portée à l'évaluation de la législation formelle et l'intérêt intrinsèque de ce type d'évaluation de la législation, font qu'à ce niveau aussi, la première chose à laquelle on pense est une certaine structuration ou institutionnalisation de cette évaluation.

En outre, l'évaluation de la législation doit aussi porter sur d'autres normes juridiques, tant inférieures que supérieures. Or, cet élément fait totalement défaut dans le projet de loi.

On pourrait ainsi imaginer que les communes demandent une radioscopie d'une réglementation fiscale particulière ou que les institutions européennes fassent analyser l'un ou l'autre règlement. Il ressort déjà des travaux préparatoires que la norme évaluée désigne également l'auteur de l'initiative. À cet égard, il faut se réjouir de l'harmonisation du contrôle de subsidiarité que les parlements nationaux ont mis en place pour la réglementation européenne. Mais comme cet élément n'est pas non plus pris en compte par le projet de loi à l'examen, le législateur rate une occasion d'institutionnaliser le contrôle de subsidiarité.

Selon l'intervenant, l'évaluation de la législation constitue en fait un cas particulier d'évaluation de la politique. Une autorité peut mener une politique donnée notamment en édictant des normes juridiques, mais aussi d'autres manières au travers de normes formelles. Si l'on souhaite introduire un système d'évaluation de la législation, il faut vérifier que le système que l'on se propose d'instaurer sera suffisamment opérationnel pour permettre d'appliquer de manière effective les critères d'évaluation inhérents à l'évaluation de la législation.

Aujourd'hui, l'approbation d'une loi n'est plus considérée, comme c'était jadis le cas, comme une étape essentielle du processus d'élaboration de normes. La législation est avant tout utilisée comme un instrument permettant aux pouvoirs publics de réaliser un certain ordre social. Dans ce contexte, il est légitime que le gouvernement puisse imposer certains objectifs reposant sur une majorité démocratique. Mais il est également du devoir des pouvoirs publics d'optimiser leur législation afin d'atteindre au mieux les objectifs, tant lors de la préparation de l'intervention normative initiale qu'après celle-ci.

La législation doit en outre satisfaire à des critères de qualité intrinsèque qui sont en fait indépendants de l'objectif politique poursuivi, mais qui s'appliquent à toute norme juridique. Les deux exigences supposent une échelle de mesure revêtant la forme de plusieurs critères d'évaluation auxquels la réglementation doit satisfaire.

Le projet de loi à l'examen ne donne aucune définition des critères qui seront appliqués pour l'évaluation de la législation. Il s'agit d'une loi purement instrumentale, ce qui va à l'encontre de la décision prise par le Sénat en 1998, qui visait à consacrer les principes généraux du droit pour une législation de qualité. Le projet de loi n'énumère même pas les critères objectifs auxquels les principes en question doivent répondre. En d'autres termes, il ne précise pas la finalité concrète des objectifs poursuivis.

De plus, on peut se demander si la nouvelle composition du comité paritaire à créer offrira de meilleures garanties quant à l'évaluation des critères matériels auxquels la législation doit répondre. En effet, ces critères peuvent être de nature tant juridico-formelle que non juridique. L'opérationnalité de la règle sur le terrain et son applicabilité, le coût de sa mise en œuvre, la possibilité d'en contrôler l'application de manière effective et sur le terrain, sont autant d'élements qui doivent entrer en ligne de compte pour déterminer la qualité d'une loi.

M. Hugo Vandenberghe ne se dit pas rassuré à cet égard: le projet de loi n'est pas clair sur ce point, bien au contraire. La première imprécision concerne les points de rattachement dont la loi en projet doit tenir compte pour le suivi législatif. La notion d'évaluation de la législation est sérieusement écornée en raison d'une conception exlusivement juridique de celle-ci. En effet, l'évaluation de la législation suppose non seulement un éclairage juridique mais aussi l'apport d'un grand nombre d'autres facteurs et disciplines scientifiques.

« (Traduction) En d'autres termes, le législateur doit sélectionner des critères de qualité pour procéder à l'évaluation de la législation. L'adoption d'une loi relative à l'évaluation de la législation qui ne précise pas les critères que le comité en question devra respecter pour évaluer les lois est une initiative dénuée de toute valeur À cet égard, on peut faire une distinction entre la qualité instrumentale de la norme de droit concernée et sa qualité en termes de garanties. La qualité instrumentale porte exclusivement sur les aspects susceptibles d'aider les pouvoirs publics à atteindre les objectifs visés par le biais de la norme de droit en question. À cet égard, il y a lieu de tenir compte d'aspects textuels et pratiques. La question de la qualité instrumentale d'un texte de loi se pose souvent lors des travaux préparatoires. Mais il y a aussi d'autres aspects à examiner dans le cadre du suivi législatif, comme l'impact environnemental, l'économie, le budget public et le coût pour le citoyen. Autrement dit, lorsqu'on souhaite réaliser une spécialisation particulière, on doit tenir compte non seulement des aspects formels de la législation mais aussi de ses aspects matériels. » (191)

« (Traduction) Or, la qualité relative aux garanties est d'une toute autre nature que la qualité instrumentale.

En effet, au-delà de la nécessité de voir jusqu'où il est possible d'optimiser la norme de droit afin d'atteindre les objectifs visés, il y a d'autres élements à apprécier: il faut notamment évaluer dans quelle mesure les normes de droit concernées peuvent contribuer à garantir les principes en question ou, à tout le moins, les respecter. À cet égard, on songe surtout à la sécurité juridique, à l'égalité juridique et à la démocratie. Le principe d'égalité doit lui aussi être pris en compte. » (192)

Selon l'intervenant, la procédure législative n'est pas garantie, surtout lors de l'élaboration des lois-programmes. En effet, il faut rechercher un équilibre entre, d'une part, les objectifs que le gouvernement et la majorité poursuivent et, d'autre part, le poids qu'il faut conférer à la contribution individuelle des parlementaires au débat parlementaire.

« (Traduction) En matière de suivi législatif, les exigences en termes de garanties bénéficient d'une attention nettement moins grande que les exigences instrumentales. » (193)

Selon l'auteur de l'amendement, le projet de loi à l'examen ne permet pas non plus de remédier à cette lacune.

« (Traduction) On peut à cet égard avancer plusieurs explications, à commencer par le fait que l'examen du respect de ces exigences ne s'effectue pas suffisamment en fonction de critères quantifiables, en particulier dans notre pays, où l'on manifeste très peu d'intérêt pour cette question. Du fait que les exigences en matière de garanties requièrent, sur le plan méthodologique et scientifique, une approche autre que celle qui est appliquée dans la pratique politique actuelle, il manque également une évaluation d'encadrement, comme dans la description instrumentale du rôle du législateur, par exemple. En deuxième lieu, les pouvoirs publics et les justiciables se préoccupent généralement de savoir dans quelle mesure une norme de droit atteint ses objectifs avant de s'interroger sur les menaces qui pèsent sur la sécurité juridique, qui constituent plutôt une question de principe, théorique. » (194) .

Selon M. Hugo Vandenberghe, la sécurité juridique est le parent pauvre de notre époque. Or, c'est sur elle que porte le projet de loi à l'examen. Le droit a précisément pour but de créer un cadre de stabilité qui pare à l'insécurité, y compris lorsque, dans la vie, tout devient incertain et que l'avenir reste ouvert. C'est la contribution essentielle de la culture dans une civilisation. La culture juridique dans une société vise à créer une forme de sécurité juridique parce que seule la sécurité juridique offre des garanties contre les interventions arbitraires, à commencer par celle des pouvoirs publics, puis celle des citoyens ou des organisations à l'égard d'autres citoyens ou d'autres organisations. Dans la mesure où l'on oriente unilatéralement l'opinion publique vers le profit immédiat, il est clair que la notion d'intérêt général, indispensable pour asseoir socialement la norme de droit, s'érode.

« Enfin, il ne faut pas perdre de vue que cette sécurité juridique, l'égalité juridique, la proportionnalité et la démocratie sont largement formalisées dans des règles juridiques sur lesquelles veillent notamment la section de législation du Conseil d'État et les juridictions, ce qui a pour conséquence que la correspondance avec les conditions de garantie s'apparentera souvent à une évaluation juridique qui peut déjà être réalisée soit lors de l'examen du projet de norme par la section de législation du Conseil d'État, soit plus tard, lors d'un contrôle de la norme juridique par une juridiction saisie par un justiciable ou une autorité justifiant d'un intérêt. » (195) .

L'absence d'intérêt ou l'intérêt insuffisant que le législateur accorde à la sécurité juridique et au principe de proportionnalité conduisent à l'annulation ultérieure de décisions des pouvoirs publics par la Cour d'arbitrage ou le Conseil d'État.

En conséquence, l'intervenant estime que l'intitulé du projet de loi (« Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif ») ne couvre pas la réalité.

Si l'on examine l'évaluation de la législation à la lumière des critères instrumentaux et de garantie, force est de constater que le projet de loi est fort peu loquace sur cette question.

Il faut oser faire des choix et si certaines normes n'offrent pas des garanties suffisantes sur le plan de sécurité juridique, il convient d'intégrer dans le processus décisionnel parlementaire une procédure faisant office de signal d'alarme, par analogie avec le contrôle de subsidiarité introduit récemment. « À l'inverse, une exigence instrumentale comme la durabilité influencera aussi immanquablement l'exigence de garantie de la sécurité juridique. » (196) .

Une autre critique a trait au fait que le projet de loi n'intègre pas complètement le choix entre l'évaluation ex post ou ex ante. Cette question a déjà été débattue en long et en large dans le passé. « Une évaluation ex ante précède l'établissement de la norme juridique et a pour but d'optimiser sa qualité avant son introduction dans l'ordre juridique. »

M. Hugo Vandenberghe déplore que le gouvernement n'a donné aucune explication justifiant pourquoi le projet de loi ne traitait pas aussi de l'évaluation ex ante.

« Une évaluation ex post porte sur une norme juridique déjà promulguée et tend essentiellement à l'adapter en fonction de conclusions empiriques et d'expériences relatives à ses effets concrets. » (197)

« L'évaluation ex ante et l'évaluation ex post sont fondamentalement différentes. Il semble même que ces deux formes d'évaluation présentent autant de différences que de similitudes. Dans la doctrine, il existe un consensus assez large pour affirmer que l'évaluation ex ante mérite la majorité de l'attention et des efforts. » (198)

D'après M. Hugo Vandenberghe, le projet de loi ne répond pas à cette préoccupation.

Un argument pragmatique évident plaide en faveur de ce point de vue: « mieux vaut prévenir que guérir ». En règle générale, il est plus efficace et moins onéreux de déceler et de régler les problèmes avant l'introduction de la norme juridique dans l'ordre juridique que d'examiner post factum, au sein d'un comité spécifique, quelles suites il convient de donner à une mauvaise législation qui fait l'objet d'une contestation ayant entraîné l'annulation de la loi par la Cour d'arbitrage par exemple. Cependant, il est vrai que l'évaluation ex post semble plus confortable que l'évaluation ex ante, car elle porte sur une norme existante, dont l'effet peut être évalué sur la base de données empiriques. En effet, une évaluation ex ante pourra difficilement estimer quel effet la norme juridique aura au bout du compte. Par ailleurs, l'évaluation ex post semble présenter l'inconvénient qu'elle expose à la pression politique des citoyens qui ont intérêt au maintien de la norme juridique existante.

L'évaluation ex ante peut prendre plusieurs formes. L'une d'elles consiste à simuler l'effet de la loi, ce qui permettrait de se rendre compte que la transposition brute et irréfléchie de modèles étrangers dans un autre système juridique — comme le gouvernement actuel a tenté de le faire avec l'introduction du « modèle kiwi » pour la politique en matière de médicaments — risque de provoquer des phénomènes de rejet. Chaque système juridique a son histoire et sa tradition, ainsi que ses propres convergences et équilibres. Prendre des aspects spécifiques d'un système juridique pour les implanter tels quels dans un autre système juridique peut comporter de grands risques. L'évaluation ex ante, consistant à réaliser une simulation au moyen d'un modèle informatisé ou d'un modèle très développé, est un bien meilleur outil pour prévoir et prédire certains effets. M. Hugo Vandenberghe constate que le projet de loi n'en souffle mot.

Il faudrait analyser la réglementation future en y associant également les acteurs de terrain concernés et en y consacrant le temps nécessaire. Il faudrait aussi réaliser une analyse des coûts et des bénéfices liés à une évaluation ex ante. À nouveau, le projet de loi ne souffle mot d'une analyse des coûts et des bénéfices.

Dans ce cadre, l'intervenant cite les exemples des Pays-Bas et de l'Allemagne qui pratiquent des formes d'évaluation ex ante réalisables: le système néerlandais des indications à l'adresse du législateur et le système allemand de l'autoquestionnement basé sur l'utilisation d'un questionnaire.

Les deux systèmes présentent de nombreuses similitudes au niveau conceptuel, d'une part, parce qu'ils portent sur des aspects tant légistiques que politiques et, d'autre part, parce qu'ils s'assimilent tous deux à un système d'autocontrôle de l'autorité réglementaire (199) .

De telles méthodes d'évaluation méritent certainement qu'on y souscrive et permettent aussi bien une évaluation ex ante qu'une évaluation ex post, ou encore une forme d'évaluation mixte.

Lorsqu'on examine tous ces objectifs de l'évaluation législative au vrai sens du terme, il faut poser la question de savoir si cette tâche peut être confiée au comité parlementaire visé dans le projet de loi, sans compter que l'idée des critères d'appréciation n'est pas venue à l'esprit des députés.

M. Hugo Vandenberghe conclut son intervention en posant la question de savoir qui est l'acteur de l'évaluation de la législation.

L'amendement nº 1 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose ensuite l'amendement nº 17 (subsidiaire à l'amendement nº 1) (doc. Sénat, nº 3-648/3), qui vise à remplacer l'intitulé par ce qui suit: « Proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative ».

Par les amendements nos 17 à 32, qui sont subsidiaires aux amendements nos 1 à 16, M. Vandenberghe vise à introduire dans le projet de loi le texte de la proposition de loi nº 3-464/1, qu'il a lui-même déposée.

Le Sénat se verrait ainsi attribuer la compétence exclusive de l'évaluation de la législation au parlement fédéral.

L'amendement nº 17 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 1er est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 2

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 2 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 18 (subsidiaire à l'amendement nº 2) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

L'amendement nº 18 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 33 (subsidiaire à l'amendement nº 18) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

Les amendements nos 33 à 47 visent à prévoir, par une loi, que la Chambre et le Sénat définissent dans leur règlement respectif les modalités spécifiques du traitement parlementaire d'une procédure particulière d'évaluation législative. Par ces amendements, l'auteur entend répondre à l'observation fondamentale formulée par le Conseil d'État dans son avis nº 40.390/2 (doc. Sénat, nº 3-648/2), selon laquelle, dans sa forme actuelle, le projet méconnaît l'article 60 de la Constitution et est dès lors anticonstitutionnel.

L'amendement nº 33 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Delpérée dépose l'amendement nº 48 (doc. Sénat, nº 3-648/3) supprimant à l'alinéa 2, 2º, de cet article, la deuxième phrase.

Le texte de la phrase en question propose de donner une fonction particulière aux sénateurs de Communauté. Ce n'est pas une bonne manière de travailler, selon l'auteur de l'amendement. Il y a des sénateurs qui sont élus par des voies différentes. Ils sont tous représentants de la Nation.

M. Van Quickenborne, secrétaire d'État à la Simplification administrative, répond que, vu la nature spécifique du Sénat composé des sénateurs directement élus et des sénateurs de Communauté pour assurer l'équilibre entre les Communautés et le niveau fédéral en Belgique, l'idée de prévoir expressis verbis seront désignés parmi les sénateurs communautaires. Ceci est une option politique que le secrétaire d'État soutient.

L'amendement nº 48 est rejeté par 8 voix contre 2.

L'article 2 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 3

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 3 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 19 (subsidiaire à l'amendement nº 2) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

L'amendement nº 19 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 34 (subsidiaire à l'amendement nº 19) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

L'amendement nº 34 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 3 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 4

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 4 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 20 (subsidiaire à l'amendement nº 3) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

L'amendement nº 20 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 35 (subsidiaire à l'amendement nº 20) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 2.

L'amendement nº 35 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 4 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 5

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 5 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 21 (subsidiaire à l'amendement nº 5) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 5.

L'amendement nº 21 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 36 (subsidiaire à l'amendement nº 21) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 5.

L'amendement nº 36 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 5 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 6

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 6 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 22 (subsidiaire à l'amendement nº 6) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 6.

L'amendement nº 22 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 37 (subsidiaire à l'amendement nº 22) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 6.

L'amendement nº 37 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 6 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 7

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 3-648/3), qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 7 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 23 (subsidiaire à l'amendement nº 7) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 7.

L'amendement nº 23 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 38 (subsidiaire à l'amendement nº 23) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 7.

L'amendement nº 38 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

L'article 7 est adopté par 8 voix contre 2.

Art. 8

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 3-648/3), qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 8 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 24 (subsidiaire à l'amendement nº 8) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 8.

L'amendement nº 24 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 39 (subsidiaire à l'amendement nº 24) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 8.

L'amendement nº 39 est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

M. Delpérée dépose l'amendement nº 49 (doc. Sénat, nº 3-648/3) supprimant l'alinéa 2 de cet article.

La Constitution réserve le droit d'initiative à chacune des branches du pouvoir législatif. Il ne revient pas à une loi de l'étendre à un comité parlementaire.

M. Collas réplique qu'il ne s'agit pas, au deuxième alinéa de l'article 8, d'initiatives législatives en tant que telles. Il s'agit d'un document d'appui pour le futur travail législatif et rien de plus.

M. Delpérée admire la subtilité du raisonnement de M. Collas mais les mots dans le texte sont clairs. Quand on emploie le mot « proposition » dans une assemblée parlementaire, c'est clair qu'il s'agit d'une proposition de loi.

M. Delpérée demande aux membres de la commission d'au moins proposer un amendement alternatif qui n'emploie pas une expression qui, ou bien veut dire quelque chose — et on est dans les initiatives législatives —, ou bien ne veut rien dire, alors il vaut mieux le supprimer.

« Initiative législative » est une notion constitutionnelle qu'on ne peut pas détourner à travers un texte comme celui d'un projet de loi.

Avec le texte du projet de loi en tant que tel, on crée la confusion et on met dans l'esprit de l'électeur et du citoyen et des parlementaires des ambiguïtés aussi fondamentales. Ceci n'est pas acceptable.

L'amendement nº 49 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 8 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 9

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 3-648/2), qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 9 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 25 (subsidiaire à l'amendement nº 9) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 9.

L'amendement nº 25 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 40 (subsidiaire à l'amendement nº 25) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 9.

L'amendement nº 40 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 9 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 10

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 10 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 26 (doc. Sénat, nº 3-648/3) (subsidiaire à l'amendement nº 10) visant à remplacer l'article 10.

L'amendement nº 26 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 41 (subsidiaire à l'amendement nº 26) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 10.

L'amendement nº 41 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 10 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 11

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 11 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 27 (subsidiaire à l'amendement nº 11) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 11.

L'amendement nº 27 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 42 (subsidiaire à l'amendement nº 27) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 11.

L'amendement nº 42 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 11 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 12

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 12 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 28 (subsidiaire à l'amendement nº 12) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 12.

L'amendement nº 28 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 43 (subsidiaire à l'amendement nº 28) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 12.

L'amendement nº 43 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 12 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 13

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 13 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 29 (subsidiaire à l'amendement nº 13) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 13.

L'amendement nº 29 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 44 (subsidiaire à l'amendement nº 29) visant à remplacer l'article 13.

L'amendement nº 44 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 13 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 14

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 14 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 30 (subsidiaire à l'amendement nº 14) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 14.

L'amendement nº 30 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 45 (subsidiaire à l'amendement nº 30) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 14.

L'amendement nº 30 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 14 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 15

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 15 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 31 (subsidiaire à l'amendement nº 15) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 15.

L'amendement nº 31 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 46 (subsidiaire à l'amendement nº 31) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 15.

L'article 15 est adopté par 9 voix contre 2.

Art. 16

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 16 (doc. Sénat, nº 3-648/3) qui tend à supprimer cet article.

L'amendement nº 16 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 32 (subsidiaire à l'amendement nº 16) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 16.

L'amendement nº 32 est rejeté par 9 voix contre 2.

M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 47 (subsidiaire à l'amendement nº 32) (doc. Sénat, nº 3-648/3) visant à remplacer l'article 16.

L'amendement nº 47 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'article 16 est adopté par 9 voix contre 2.


VII. VOTE SUR L'ENSEMBLE

La commission approuve les corrections de texte proposées par le service d'Evaluation de la législation du Sénat.

L'ensemble du projet de loi corrigé est adopté par 9 voix contre 2.

La proposition de loi nº 3-464/1 « instituant une procédure d'évaluation législative » de M. Hugo Vandenberghe est devenue sans objet.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, La présidente,
Francis DELPÉRÉE. Anne-Marie LIZIN.

ANNEXES


1. Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif

(Sénat, nº 3-648/1)

Avis des services

A. Observations générales

1. Matière à régler par la loi ou par voie de règlement ?

L'article 60 de la Constitution dispose ce qui suit:

« Chaque Chambre détermine, par son règlement, le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. »

Cet article 60 garantit l'autonomie des Chambres législatives dans l'exercice de leurs attributions. Il n'appartient pas au pouvoir législatif, dont le Roi fait également partie, mais bien à la Chambre et au Sénat, de déterminer eux-mêmes, chacun pour soi, dans leur règlement, le mode suivant lequel ils exercent leurs attributions. L'organisation ou le fonctionnement d'une Chambre ne peut pas dépendre de l'approbation de l'autre Chambre, de la sanction du Roi ou de la décision de toute autre autorité (200) .

Pourtant, le législateur a déjà dérogé plusieurs fois à cette règle. L'organisation et le fonctionnement des Chambres, et plus spécialement de certaines commissions, ont déjà été réglés à plusieurs reprises par la loi:

— La Commission de contrôle des dépenses électorales et de la comptabilité des partis politiques a été instituée par une loi (201) . C'est la loi qui définit sa mission ainsi que son fonctionnement, du moins en partie.

— Les Commissions chargées du suivi parlementaire des Comités permanents de contrôle des services de police et de renseignements ont également été créées par une loi (202) . C'est la loi qui définit leurs missions.

— La loi du 26 juin 2004 exécutant et complétant la loi du 2 mai 1995 relative à l'obligation de déposer une liste de mandats, fonctions et professions et une déclaration de patrimoine a institué, au Sénat et à la Chambre, une commission de suivi. C'est la loi qui définit la mission de ces commissions de suivi et qui détermine dans quel délai elles doivent statuer.

— La commission parlementaire de concertation (203) et les commissions d'enquête (204) sont également organisées par la loi. Dans le cas de ces deux instances toutefois, le législateur tient sa compétence du constituant lui-même.

Le Conseil d'État (205) et la doctrine (206) admettent, sous certaines conditions, que le législateur puisse malgré tout intervenir pour régler l'exercice par les Chambres législatives de leurs compétences.

C'est tout d'abord le cas lorsque les dispositions légales dépassent le cadre strict du fonctionnement des Chambres législatives, par exemple chaque fois que l'exercice des attributions constitutionnelles des Chambres met en cause les droits des citoyens ou impose à ceux-ci des obligations nouvelles (207) .

Une réglementation légale se justifie également lorsque l'intervention du législateur est nécessaire en vue de fixer des règles uniformes pour les deux Chambres, chaque fois que cette uniformité ne peut être obtenue en passant par le règlement des Chambres. Velu ajoute à cela que l'intervention du législateur ne peut pas aller au-delà de ce que les causes de justification exigent réellement (208) .

2. Les conditions de recevabilité

Le projet de loi confère aux citoyens, aux personnes morales et aux services administratifs le droit de saisir d'une requête le Comité parlementaire chargé du suivi législatif. Les articles 3 à 5 du projet de loi énumèrent toutefois une série de conditions auxquelles les requêtes doivent répondre. Conformément à l'article 6, le Comité peut écarter toute requête qu'il juge irrecevable « en application des articles 3 à 5 ».

L'article 3 énumère les conditions de fond auxquelles la requête doit satisfaire. Il faut que la requête dénonce des difficultés d'application rencontrées avec des lois qui sont en vigueur depuis au moins trois ans.

L'article 4 prévoit quelles personnes et instances peuvent déposer une requête.

L'article 5 énumère les conditions de forme auxquelles doit répondre la requête. Celle-ci doit, « à peine d'irrecevabilité », contenir un nombre important d'éléments. Elle doit en outre, toujours « à peine d'irrecevabilité », être introduite au moyen d'un formulaire type dont le Comité détermine la forme.

Ces conditions de recevabilité appellent deux questions:

a) S'agit-il bien de conditions de recevabilité, comme le prétend, à trois reprises, le projet de loi lui-même ?

b) Ces conditions sont-elles compatibles avec l'article 28 de la Constitution ?

a) La nature des conditions

L'article 5, qui énonce les conditions de forme, prévoit explicitement que les requêtes doivent, à peine d'irrecevabilité, répondre à certaines prescriptions formelles.

Faut-il en conclure que les requêtes qui ne satisfont pas aux conditions de forme prévues à l'article 5 sont irrecevables ? Pas nécessairement, puisque l'article 6 dispose que le Comité « peut » écarter d'office toute requête qu'il juge irrecevable en application des articles 3 à 5. Le Comité peut donc écarter de telles requêtes, mais il n'est pas tenu de le faire.

Qui plus est, une requête qui ne satisfait pas aux conditions des articles 3, 4, et même 5, peut malgré tout être déclarée recevable par le Comité. S'il en est ainsi, cela n'a guère de sens, comme le fait l'article 5, de prévoir que les requêtes doivent remplir les conditions de forme « à peine d'irrecevabilité », dès lors que l'irrecevabilité découle non pas de la loi même, mais de l'appréciation du Comité.

b) Compatibilité avec l'article 28 de la Constitution ?

L'article 28 de la Constitution consacre le droit de pétition en tant que droit fondamental. Cet article dispose ce qui suit (209) :

« Art. 28. Chacun a le droit d'adresser aux autorités publiques des pétitions signées par une ou plusieurs personnes.

Les autorités constituées ont seules le droit d'adresser des pétitions en nom collectif. »

L'article 28 est formulé en des termes très généraux. Il s'ensuit que l'article a un champ d'application très large.

L'article 28 concerne la présentation de pétitions. L'article ne mentionne quasi pas de conditions de fond ou de forme auxquelles devraient répondre les pétitions. On peut uniquement déduire du texte que la pétition doit être mise par écrit et qu'elle doit être signée. La doctrine prévoit en outre que la pétition doit comporter une demande (210) ou qu'elle doit à tout le moins être formulée de manière à ce que l'on puisse en déduire une demande (211) .

La pétition doit être adressée aux autorités publiques. L'article 28 de la Constitution ne limite pas les destinataires des pétitions. Les pétitions peuvent être adressées à toutes les autorités publiques (212) : les Chambres, les Conseils des communautés et régions, le Roi, les communes, les provinces, les autorités administratives, ...

Faut-il considérer aussi le Comité parlementaire chargé du suivi législatif comme une autorité publique au sens de l'article 28 de la Constitution ? Il est difficile de soutenir le contraire. L'article 28 ne contient aucun critère nous permettant de soustraire certains organes ou institutions publics à son champ d'application.

Pourrait-on, à la limite, arguer que le Comité parlementaire n'est pas une autorité publique au motif qu'il est une composante du Parlement fédéral, lequel serait, quant à lui, une autorité publique ? Le projet de loi octroie toutefois une autonomie considérable au Comité parlementaire. Il prévoit que les citoyens peuvent saisir directement celui-ci de requêtes. Le Comité peut établir lui-même de nouvelles conditions de recevabilité. Il peut, de manière arbitraire, déclarer irrecevables certaines requêtes. Il peut choisir lui-même les requêtes qu'il examinera. Il peut décider de rédiger des propositions d'initiative législative. Il doit informer lui-même le requérant des suites qui ont été réservées à sa requête.

Tous ces éléments incitent plutôt à considérer le Comité parlementaire comme étant aussi lui-même une autorité publique.

À ce jour d'ailleurs, les Chambres se voient déjà adresser des pétitions qui abordent des questions de politique et proposent même des modifications concrètes à la législation existante (213) . Cette démarche pourra encore se produire à l'avenir, alors même qu'il existerait à ce moment un Comité parlementaire chargé du suivi législatif. Et ces pétitions continueraient à devoir être examinées selon le mode très souple prévu à l'article 28 de la Constitution. Comment pourrait-on justifier que des requêtes identiques déposées directement auprès du Comité parlementaire soient soumises à des conditions de recevabilité différentes et plus strictes que celles déposées dans l'une des deux Chambres ?

L'article 28 de la Constitution semble donc bel et bien s'appliquer aux requêtes dont sera saisi le Comité parlementaire. Cela implique que le projet doit être en conformité avec les prescriptions (sommaires) prévues à cet article 28. Le projet de loi ne peut dès lors imposer des conditions de recevabilité supplémentaires. Le législateur ne peut en effet assortir le droit de pétition d'autres conditions que celles qui résultent de l'article 28 de la Constitution, qu'elles soient présentées sous forme de conditions de recevabilité ou de règles de procédure (214) .

L'applicabilité de l'article 28 de la Constitution implique également que le législateur est tenu de respecter les quelques conditions de recevabilité que cet article impose.

Il semble que le projet de loi soit contraire, sur plusieurs plans, à l'article 28 de la Constitution. On reviendra sur cette question lors de l'examen des articles 3, 4, 5 et 6.

L'on notera encore que l'article 28 de la Constitution fait partie du Titre II de celle-ci et que la Cour d'arbitrage peut annuler les lois qu'elle juge contraires aux dispositions de ce titre.

3. La limitation de l'évaluation aux lois en vigueur depuis au moins trois ans

L'article 3 du projet limite l'évaluation législative aux lois qui sont en vigueur depuis au moins trois ans.

Cette restriction se fonde sur les considérations suivantes (215) :

1. On ne peut examiner l'efficacité d'une loi avant que ne se soit développée une pratique d'exécution fixe.

2. L'insertion d'une période tampon de trois ans permet d'éviter que l'évaluation législative ne se transforme en une sorte de procédure de recours contre une nouvelle loi.

3. Le fait de laisser s'écouler un certain laps de temps entre l'entrée en vigueur d'une loi et son évaluation est de nature à favoriser la sécurité juridique.

Cette restriction n'est pas absolue. En effet, le Comité parlementaire chargé du suivi législatif n'est pas obligé de déclarer irrecevables les requêtes qui ne remplissent pas les conditions énumérées aux articles 3, 4 et 5. Il n'est donc pas tenu non plus d'écarter les requêtes visant des lois qui ne sont pas encore en vigueur depuis trois ans.

Une interdiction absolue d'évaluer les lois n'ayant pas encore trois ans d'application ne semble d'ailleurs pas indiquée. En effet:

1) Qu'en serait-il de lois plus anciennes qui auraient été modifiées récemment ? Le Comité ne pourrait-il évaluer que les dispositions restées inchangées ou l'interdiction d'évaluer vaudrait-elle pour l'ensemble de la loi ?

2) Des lois sont souvent étroitement liées à d'autres lois. En pareil cas, l'évaluation d'une loi exige que l'on y inclue celle d'une autre loi. Qu'en sera-t-il si une loi ancienne est liée à une loi récente ? Dans ce cas, l'évaluation resterait forcément incomplète, puisque la loi récente ne pourrait pas être évaluée.

3) Il est parfois utile d'évaluer le processus même d'entrée en application d'une loi. Cela permet par exemple au législateur, s'il le faut, de retoucher immédiatement la loi. De plus, l'évaluation du processus peut apporter de nouveaux éléments qui pourront venir à point pour la mise en application de lois ultérieures. Enfin, une évaluation rapide peut précisément permettre de prévenir l'insécurité juridique.

4) Parfois, cela n'a aucun sens d'attendre trois ans pour évaluer une loi. C'est par exemple le cas des lois qui connaissent une application unique ou périodique. Il sera par exemple préférable d'évaluer une nouvelle loi électorale au cours d'une élection ou immédiatement après celle-ci. Si on n'évalue une telle loi que quelques années plus tard, de nombreux éléments d'information pourront ne plus être disponibles.

5) Pour nombre de citoyens, il ne sera pas facile de connaître la date exacte de l'entrée en vigueur d'une loi. Même s'ils sont en mesure d'effectuer les recherches nécessaires, il ne sera pas évident pour beaucoup de faire la distinction entre la date de promulgation, la date de publication et la date d'entrée en vigueur.

Il appartient au législateur d'apprécier, au vu des objections précitées, s'il est bien opportun de prévoir, comme le fait l'article 3, que les requêtes devront concerner des lois en vigueur depuis au moins trois ans.

B. Observations particulières

Article 2

La composition de la délégation du Sénat risque de soulever parfois des difficultés. Les 11 mandats doivent être répartis conformément à la représentation proportionnelle de ses groupes politiques et 6 mandats au moins doivent être attribués aux sénateurs de communauté. De plus, il faut désigner autant de membres suppléants, parmi lesquels, vraisemblablement, devront à nouveau figurer 6 sénateurs de communauté.

On peut d'ailleurs se demander s'il faut vraiment que la disposition prévoyant que la délégation du Sénat se compose de 6 sénateurs de communauté au moins, figure dans la loi. Elle n'a pas trait aux droits ou aux devoirs des citoyens et ne paraît pas indispensable pour parvenir à une réglementation uniforme à la Chambre et au Sénat.

Article 3

1. Limitation de l'évaluation aux lois en vigueur depuis au moins trois ans

Voir: A. Observations générales nos 2 et 3 (pp. 192-197).

2. Les requêtes émanant des services administratifs

Conformément au dernier alinéa de l'article 3, les services administratifs « peuvent » dénoncer des difficultés auxquelles ils ont à faire face dans l'application des dispositions légales qui leur sont directement destinées.

Le sens de cette disposition n'est pas clair.

Si l'objectif de cette disposition est d'autoriser les services administratifs à présenter des requêtes, elle viole l'article 28 de la Constitution. Seules les autorités constituées ont le droit d'adresser des pétitions en nom collectif (voir l'examen de l'article 4).

Si, par contre, l'objectif est de limiter le droit des services administratifs de déposer des requêtes aux dispositions légales qui leur sont directement destinées, la disposition manque son but. En effet, elle se borne à reconnaître aux services administratifs le droit de déposer des requêtes portant sur certaines lois, mais elle ne leur interdit pas d'en déposer également sur d'autres lois.

Il serait d'ailleurs utile de préciser ce que l'on vise par les termes « les dispositions légales qui leur sont directement destinées ». En stricte interprétation, il s'agit des dispositions légales qui instituent un service et règlent son fonctionnement. Toutefois, selon toute vraisemblance, on vise aussi les dispositions légales que le service concerné doit appliquer. Dans ce cas, il serait bon d'aligner la formulation sur celle de l'article 4, alinéa 1er, 1º.

Article 4

L'article 28 de la Constitution dispose que tout le monde peut adresser des pétitions, mais que seules les autorités constituées ont le droit d'adresser des pétitions en nom collectif. Les pétitions en nom collectif sont des pétitions qui sont signées et déposées par une ou plusieurs personnes en leur nom propre et au nom d'autres personnes (216) . Plusieurs dispositions de l'article 4 en projet semblent violer sur ce point l'article 28 de la Constitution.

Alinéa 1er, 1º: « tout service administratif chargé d'appliquer la loi ou toute autorité publique chargée de contrôler l'application de la loi »

a) Seules les autorités constituées ont le droit d'adresser des pétitions en nom collectif. Les services administratifs n'ont donc pas cette compétence. L'article 4, alinéa 1er, 1º, viole l'article 28 dans la mesure où il octroie le droit de déposer des requêtes en nom collectif à des services et à des autorités qui ne sont pas des autorités constituées.

Cela n'empêche pas que des fonctionnaires individuels puissent présenter une pétition. Un groupe de fonctionnaires peut d'ailleurs aussi présenter collectivement une pétition signée en leur nom propre par plusieurs personnes.

b) Toutes les autorités constituées ont le droit d'adresser des pétitions en nom collectif. Cette compétence n'appartient donc pas qu'aux autorités constituées chargées de contrôler l'application de la loi.

Sur ce point aussi, l'article 4, alinéa 1er, 1º, viole l'article 28 de la Constitution.

Alinéa 1er, 2º: « toute personne physique et toute personne morale de droit public ou de droit privé »

Cette disposition viole elle aussi l'article 28 de la Constitution dans la mesure où elle habilite des personnes morales de droit privé à déposer des requêtes en nom collectif. Quant aux personnes morales de droit public, elles peuvent déposer des requêtes en nom collectif, à condition qu'elles soient des autorités constituées.

Alinéa 1er, 3º: « les membres de la Chambre des représentants et les sénateurs »

Il n'est pas nécessaire de mentionner explicitement les députés et les sénateurs, étant donné qu'ils font partie de la catégorie des personnes physiques visées à l'alinéa 1er, 2º.

Il serait probablement plus pertinent de prévoir que le Comité peut aussi décider, de sa propre initiative, d'évaluer une loi.

Alinéa 2: « Ces requêtes sont signées par le requérant. Pour ce qui concerne les services ou autorités visés à l'alinéa 1er, 1º, elles sont signées par le responsable du service ou de l'autorité concernée. »

a) Cette disposition viole l'article 28 de la Constitution dans la mesure où elle habilite des services et des autorités qui ne sont pas des autorités constituées à déposer des requêtes en nom collectif.

b) Cette disposition serait mieux à sa place à l'article 5, où sont regroupées toutes les prescriptions de forme relatives aux requêtes.

Article 5

Alinéa 2, phrase liminaire: « À peine d'irrecevabilité, la requête mentionne: »

Il semble judicieux de supprimer les termes « à peine d'irrecevabilité » (voir l'observation générale nº 2).

Alinéa 2, 5º: « l'indication du service chargé d'appliquer le texte légal mis en cause »

Il ne sera pas toujours facile, pour les requérants, de désigner le service compétent.

Quel est par exemple le service chargé de l'application des lois sur la police de la circulation: la police (locale ou fédérale), le parquet, le tribunal de police, le ministère des Communications ?

Quel est par exemple le service chargé de l'application des dispositions du Code civil relatives aux contrats ? Certains textes de loi ne sont appliqués que par des sujets de droit et, éventuellement, par des juridictions, et non par l'un ou l'autre service.

Alinéa 2, 6º: « un résumé de la position du service chargé d'appliquer le texte légal mis en cause sur les griefs du requérant »

Cette indication n'est probablement pas toujours nécessaire lorsque la requête est déposée par le service même qui est chargé d'appliquer la loi ou par l'autorité publique chargée de contrôler l'application de la loi.

Alinéa 2, 7º: « toute précision fixée par le règlement d'ordre intérieur du Comité »

a) Les conditions de recevabilité que doivent remplir les pétitions sont fixées à l'article 28 de la Constitution. La loi et, a fortiori, le règlement d'ordre intérieur du Comité parlementaire, ne peuvent pas imposer de conditions supplémentaires.

Tout au plus le règlement d'ordre intérieur peut-il inviter les requérants à mentionner certaines précisions dans leur requête, mais l'absence de celles-ci ne peut pas avoir pour conséquence que la requête puisse être considérée comme irrecevable.

b) La disposition précitée a pour conséquence qu'un requérant ne peut plus se fier à la seule lecture de la loi pour savoir quelles indications sa requête doit mentionner, dès lors que le règlement d'ordre intérieur peut encore compléter la liste des mentions obligatoires.

Cette dispersion ne facilite pas le dépôt des requêtes. Il semble judicieux que le règlement d'ordre intérieur énumère toutes les indications obligatoires et facultatives, y compris celles figurant déjà dans la loi. De cette façon, le requérant disposera en tout cas d'un texte unique regroupant toutes les données relatives au dépôt.

Alinéa 3: « Par dérogation à l'alinéa 2, 6º, les requêtes ne contenant pas de résumé de la position du service chargé d'appliquer le texte légal mis en cause sont recevables si le requérant démontre que ce service ne lui a pas répondu dans les trente jours suivant la date de sa première demande. »

a) Cette disposition viole l'article 28 de la Constitution, étant donné que les requêtes qui ne se conforment pas à ce qu'elle prévoit sont considérées comme irrecevables.

b) Comment un requérant peut-il démontrer que le service concerné ne lui a pas répondu dans les trente jours suivant la date de sa première demande ? Il peut en revanche démontrer qu'il a adressé une demande audit service par lettre recommandée à la poste. Mais il n'est pas possible de prouver semblablement l'absence de réponse.

Alinéa 4: « La requête doit être introduite, à peine d'irrecevabilité, sur un formulaire type dont le Comité détermine la forme dès sa mise en place. »

L'article 28 de la Constitution dispose que les pétitions doivent être déposées par écrit (217) .

L'alinéa 4 en projet est conforme à cet article, du moins dans la mesure où il dispose que la requête doit être introduite par écrit. On doit toutefois se demander si le projet de loi ne va pas trop loin en prévoyant qu'à peine d'irrecevabilité, la requête doit être introduite sur un formulaire type. En vertu de l'article 28 de la Constitution, il faut effectivement que la requête soit introduite par écrit, mais l'article 28 ne donne aucune précision quant à la forme de cet écrit.

Alinéa 5: « Les requêtes sont rédigées dans l'une des trois langues nationales et expédiées par courrier postal ou électronique. »

a) Le législateur peut-il régler l'emploi des langues en matière de requêtes ? En vertu de l'article 30 de la Constitution, l'emploi des langues usitées en Belgique peut être réglé par la loi pour ce qui est des actes de l'autorité publique. Cet emploi inclut l'emploi des langues dans les rapports entre le Parlement et le citoyen. Le législateur n'a toutefois encore jamais fait usage de sa compétence à régler l'emploi des langues dans le cadre de ces rapports.

D'autre part, faire ainsi de l'utilisation d'une des langues nationales une condition de recevabilité d'une requête est contraire à l'article 28 de la Constitution, qui ne lie pas le droit de pétition à une condition linguistique (218) .

On peut dès lors soutenir que le législateur est certes compétent pour régler l'emploi des langues en matière de requêtes, mais qu'il ne peut pas imposer l'utilisation d'une langue déterminée comme condition de recevabilité pour le dépôt des requêtes.

b) Tant l'article 28 de la Constitution que l'article 4 en projet exigent que la requête soit signée. Cela signifie que, pour envoyer une requête par courrier électronique, le requérant doit disposer d'une carte d'identité électronique (219) . Celle-ci est en effet indispensable si on veut pouvoir apposer une signature électronique juridiquement valable.

Alinéa 6: « Les membres de la Chambre des représentants et les sénateurs peuvent saisir le Comité sans respecter les formalités prescrites aux alinéas précédents. Ils veillent néanmoins à déterminer par écrit et avec précision les textes légaux mis en cause ainsi que les griefs y afférents. »

a) On peut se demander si le droit des parlementaires de s'adresser à un organe de leur assemblée peut être soumis à des conditions de recevabilité et, dans l'affirmative, si cette question peut être réglée par la loi.

b) De plus, la disposition semble n'avoir d'utilité que si seuls les membres effectifs et leurs suppléants sont autorisés à participer aux réunions du Comité. Il paraît en tout cas passablement formaliste de vouloir l'appliquer également à des parlementaires qui assistent à une réunion du Comité.

Article 6

Alinéa 1er: « Le comité peut écarter d'office toute requête qu'il juge irrecevable en application des articles 3 à 5. »

Une requête ne peut être introduite de manière recevable que si elle a été mise par écrit et signée par une ou plusieurs personnes et si on peut en déduire une demande. Ces conditions de recevabilité découlent de l'article 28, alinéa 1er, de la Constitution.

L'article 6, alinéa 1er, du projet de loi est contraire à ces dispositions constitutionnelles:

1. en ce qu'il implique que le comité peut quand même juger recevables des requêtes qui ne satisfont pas aux conditions de recevabilité prévues par l'article 28 de la Constitution;

2. en ce qu'il implique que le comité peut juger irrecevables, mais sans les écarter, des requêtes qui ne satisfont pas aux conditions de recevabilité prévues par l'article 28 de la Constitution;

3. en ce qu'il implique que le comité peut quand même juger irrecevables et écarter des requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité prévues par l'article 28 de la Constitution.

Comment peut-on rendre cette disposition conforme à l'article 28 de la Constitution ?

Voici deux pistes possibles:

a) Le projet de loi pourrait spécifier que seules trois formes sont prescrites à peine d'irrecevabilité:

i. la requête doit être écrite;

ii. la requête doit être signée;

iii. la requête doit comporter une demande.

Toutes les autres conditions de forme seraient alors purement facultatives. La loi peut certes inviter le requérant à faire figurer également d'autres informations dans sa requête, mais celle-ci ne serait pas écartée si ces informations manquaient.

b) Une autre possibilité serait de maintenir le texte actuel, mais d'ajouter que les requêtes qui seraient écartées par le comité seront renvoyées aux commissions des pétitions de la Chambre et du Sénat. Les Chambres pourraient alors poursuivre le traitement de ces requêtes de la même manière que pour les autres pétitions.

Dans un cas comme dans l'autre, le « risque » existe que le requérant ne fasse guère d'effort pour respecter toutes les formes facultatives. Il y a cependant de grandes chances que les requêtes contiendront encore les informations essentielles. Sans doute la plupart des requérants mentionneront-ils non seulement la loi qui devrait être évaluée, mais aussi les raisons pour lesquelles cette évaluation est nécessaire à leurs yeux. La pratique montre en effet d'ores et déjà que la plupart des requêtes comportent un exposé des motifs qui ont conduit à les introduire (220) .

Une autre conséquence pourrait être que l'on assiste à l'introduction d'un nombre beaucoup plus élevé de requêtes en matière d'évaluation. Le seuil est considérablement abaissé, ce qui va quelque peu à l'encontre de l'objectif du projet de loi. En effet, la sévérité des conditions de fond et de forme était également destinée à servir de filtre, afin que le Comité ne soit pas submergé de requêtes (221) . Mais un filtre tel que celui-là est précisément contraire à l'article 28 de la Constitution. Le constituant de 1831 a délibérément opté pour une procédure de pétition très sommaire. Il y va du droit fondamental de tout citoyen de s'adresser d'une manière toute simple, quasiment sans formalités, aux autorités pour leur soumettre une requête.

Alinéa 2, première phrase: « Le Comité peut sélectionner les requêtes sur lesquelles portera son examen. »

Le texte néerlandais n'est pas formulé correctement. Le texte français rend mieux l'objectif poursuivi.

Il serait préférable de remplacer le texte néerlandais par ce qui suit:

« Het Comité selecteert de verzoekschriften die het zal onderzoeken . »

ou

« Het Comité beslist welke verzoekschriften het zal onderzoeken . »

Alinéa 2, deuxième phrase: « Il veillera à évaluer en priorité les lois dont l'inapplicabilité perturbe gravement le bon fonctionnement de l'ordonnancement juridique ainsi que les lois dont l'application engendre des charges administratives démesurées pour les citoyens ou pour les entreprises. »

La formulation ne semble pas refléter correctement l'intention du législateur.

a) En effet, le but est-il réellement que le Comité évalue des lois qui sont inapplicables ou engendrent des charges démesurées ?

Ne s'agit-il pas plutôt pour le Comité d'évaluer des lois dont on prétend qu'elles sont inapplicables ou qu'elles engendrent des charges administratives démesurées ?

En règle générale, la constatation qu'une loi est inapplicable ou engendre des charges démesurées n'est pas à l'origine d'une évaluation, mais en est plutôt le résultat.

b) Il peut également y avoir des lois dont ce n'est pas l'inapplicabilité, mais justement l'applicabilité qui perturbe gravement l'efficacité de l'ordonnancement juridique.

Le texte pourrait éventuellement être formulé comme suit:

« Elle examine en priorité les requêtes dénonçant les lacunes d'une loi qui perturberaient gravement le bon fonctionnement de l'ordonnancement juridique ou les lois dont l'application engendrerait des charges administratives démesurées pour le citoyen ou les entreprises. »

Article 8

Alinéa 2: « Le cas échéant, par consensus, le Comité peut annexer au rapport toute proposition d'initiative législative. »

Le consensus est une technique qui n'est guère usitée dans le processus décisionnel parlementaire. Des abstentions peuvent-elles faire obstacle à un consensus ?

Article 9

Alinéa 1er: « Une fois par mois, le Comité prend en considération les arrêts de la Cour d'arbitrage qui ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique. »

a) « Une fois par mois »: à strictement parler, ce sera donc aussi pendant les vacances. Si on le souhaite, une procédure écrite peut être insérée dans le règlement d'ordre intérieur.

b) « l'efficacité de l'ordonnancement juridique »: les arrêts relatifs aux décrets des régions et des communautés peuvent, eux aussi, avoir une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique. Le comité doit-il également prendre en considération ces arrêts ? Ou s'agit-il seulement des arrêts qui ont une influence sur l'efficacité de l'ordonnancement juridique fédéral ?

Alinéa 2: « Cette prise en considération fait l'objet d'un rapport auquel, le cas échéant, peut être annexée par consensus toute proposition d'initiative législative. »

Qu'advient-il de ce rapport ? Le projet de loi n'en dit rien. Il n'indique pas, par exemple, que le rapport est transmis à la Chambre, au Sénat et au ministre compétent, comme le fait l'article 8 pour le rapport relatif aux requêtes.

L'article 10 prévoit toutefois que le rapporteur peut informer de la législation mise en cause la Chambre, le Sénat et le ministre compétent, mais pas qu'il doit leur transmettre le rapport.

Article 12

À quoi sert la synthèse que le Comité doit faire ?

Le projet de loi ne l'indique pas. La synthèse ne doit pas être remise aux députés, aux sénateurs ou au gouvernement. L'article 13 dispose par contre que le Comité peut transmettre à la Chambre, au Sénat et au ministre compétent un rapport sur les difficultés d'application de certaines lois, selon les rapports transmis par des organismes tiers. La synthèse proprement dite semble donc surtout être destinée à l'usage interne du Comité.

La rédaction d'une synthèse est-elle, dès lors, bien utile ?

La synthèse des rapports représente un travail passablement considérable. Il existe à l'heure actuelle quelque 80 lois qui chargent un organisme tiers de transmettre un rapport aux Chambres législatives (222) . Certains rapports sont très circonstanciés (celui de la Cour des comptes par exemple ou encore les rapports annuels des cours d'appel) ou ne se prêtent pas à une synthèse.

En outre, de nombreux rapports ne concernent guère, ou pas du tout, l'application d'une loi.

Nombre de rapports sont déjà aujourd'hui analysés et discutés par des commissions de la Chambre et du Sénat.

Au vu de ces constatations, le législateur devra apprécier s'il est utile d'obliger légalement le Comité à analyser et synthétiser tous les rapports qui lui sont transmis en vertu de la loi.

Le texte pourrait éventuellement être formulé comme suit:

« Art. 12. Lorsqu'il le juge utile, le Comité analyse, dans le cadre des directives définies à l'article 7, les rapports adressés par des organismes tiers aux Chambres législatives fédérales en vertu de la loi. »

Article 13

En vertu de l'article 11, le rapport du procureur général près la Cour de cassation et du Collège des procureurs généraux comporte un relevé des lois qui ont posé des difficultés au cours de l'année judiciaire écoulée. Cet article n'interdit pas que le rapport vise également des lois en vigueur depuis moins de trois ans.

Selon l'article 12, le Comité analyse tous les rapports envoyés aux Chambres législatives par des organismes tiers, au rang desquels on trouve donc aussi le rapport du procureur général près la Cour de cassation et du Collège des procureurs généraux. Cet article n'interdit pas non plus que ces rapports évoquent des lois en vigueur depuis moins de trois ans.

L'article 13 dispose toutefois que le Comité peut informer, par voie de rapport, les Chambres législatives et le ministre compétent « des difficultés importantes d'application d'une loi, en vigueur depuis au moins trois ans, dénoncées par les rapports des organismes tiers visés à l'article 12 ».

Il est donc possible que les rapports d'organismes tiers fassent état de graves difficultés engendrées par des lois qui ne sont en vigueur que depuis un an ou deux. Ces difficultés ne pourront toutefois pas être mentionnées dans le rapport que le Comité remet aux Chambres et au ministre compétent.

Cette restriction s'inscrit, certes, dans le droit fil de la réglementation relative aux requêtes, lesquelles ne peuvent porter pas non plus sur des lois qui ne sont pas encore en vigueur depuis trois ans.

En l'occurrence toutefois, la ratio legis est fort peu évidente. Pourquoi le rapport du comité relatif aux rapports des organismes tiers ne peut-il pas faire état des difficultés liées à des lois récentes ? Les rapports de ces organismes tiers étant en fin de compte eux-mêmes transmis aux Chambres législatives, les représentants et les sénateurs peuvent de toute manière en prendre connaissance aussi.

En outre, c'est toute la finalité de l'examen des rapports d'organismes tiers qui se trouve largement vidée de sa substance. Le grand avantage du rapport du Comité est précisément de proposer une radioscopie ciblée de rapports parfois très circonstanciés qui, en raison justement de leur volume et de leur multiplicité, ne sont pas ou ne sont qu'insuffisamment susceptibles d'être lus par un parlementaire. Dans l'état actuel des choses, le parlementaire qui aimerait prendre connaissance de toutes les informations pertinentes contenues dans les rapports d'organismes tiers concernant des difficultés soulevées par la législation, restera obligé de parcourir lui-même les rapports de bout en bout. Le rapport du Comité n'offrirait en effet qu'une sélection des difficultés dont les rapports des organismes tiers feraient état.

2. Proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative

(doc. Sénat, nº 3-464/1)

Avis des services

REMARQUES

Article 2

Cet article reproduit littéralement le texte de l'article 2 du projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative, tel qu'il a été adopté au Sénat le 21 janvier 1999 (doc. Sénat, nº 1-955/5).

Dans la doctrine, on a jugé regrettable qu'il ressorte du texte de l'article 2 du projet de loi que l'évaluation resterait limitée aux facettes légistique et juridique de la législation et que l'évaluation socio-scientifique demeurerait largement exclue (223) . C'est ainsi que l'évaluation ne s'intéresserait guère par exemple à l'efficacité et l'effectivité de la norme.

Les développements de la proposition semblent réfuter cette thèse. En effet, selon ceux-ci, l'article 2 est « Volontairement rédigé en des termes relativement généraux afin de permettre que tous les problèmes, ou le plus possible d'entre eux, qui peuvent résulter d'une législation puissent mener à une évaluation. (224)  »

Ces termes semblent indiquer que l'évaluation peut aussi porter, par exemple, sur l'efficacité et l'éffectivité de la norme. Il serait sans doute utile de le préciser au cours de la discussion de la proposition de loi, par exemple dans le rapport de commission.

Article 3

Cet article dispose que le Sénat est chargé de l'évaluation de « la législation ».

S'agit-il uniquement des lois ou les réglements sont-ils aussi visés ? La disposition générale relative à l'évaluation (article 2) parle des « lois et des règlements fédéraux ». L'article 4 mentionne les « normes juridiques fédérales ». On peut en déduire que l'article 3 vise également les lois et les règlements.

Dans la doctrine, il a déjà été proposé de préciser la chose dans le texte même de la loi (225) . On pourrait apporter cette précision en remplaçant le mot « législation » par les mots « lois et règlements fédéraux ».


(1) Voir annexes.

(2) À l'appui de cette affirmation, M. Delpérée attire l'attention sur le fait que la commission des Affaires institutionnelles du Sénat examinera le 24 mars 2005 deux propositions de révision de la Constitution modifiant la terminologie de la Constitution en vue de donner à la Cour d'arbitrage la dénomination qu'elle mérite, à savoir celle de Cour constitutionnelle (voir doc. Sénat, nos 3-1052/1-3 et 3-1053/1-3).

(3) Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0029/012. L'article 10 prévoit: « Le cas échéant, le rapporteur informe la Chambre des représentants, le Sénat ainsi que le ministre qui a la matière dans ses attributions de la nécessité de modifier, en tout ou en partie, la législation mise en cause par la Cour d'arbitrage ».

(4) On peut, à cet égard, signaler les travaux récents suivants: — H. De Croo, « De invloed van de arresten van het Arbitragehof op het parlementaire werk », RW. 2001-2002, p. 269; — G. Rosoux et F. Tulkens, « Considérations théoriques et pratiques sur la portée des arrêts de la Cour d'arbitrage » in La Cour d'arbitrage: un juge comme les autres ?, actes du colloque organisé par la Faculté de droit de l'Université de Liège (Service de droit constitutionnel) et la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège le 28 mai 2004, ASBL Editions du Jeune Barreau de Liège, 2004, pp. 143-145; — A. Goris, K. Muylle et M. Van der Hulst, « Twintig jaar Arbitragehof v. wetgever: van wantrouwen naar dialoog », à paraître in T.B.P. 2005, nos 4 et 5.

(5) La loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques.

(6) Arrêts nos 65/93, 86/93 et 7/94.

(7) Arrêt no 65/93, B.5.

(8) Doc. parl., Sénat, 1995-1996, no 1-157/1.

(9) Arrêt no 155/2002.

(10) Loi du 10 mars 2003.

(11) Article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 modifié par la loi spéciale du 9 mars 2003.

(12) Voir A. Goris, K. Muylle et M. Van der Hulst, op. cit., nos 13-15.

(13) Bruxelles, novembre 2001.

(14) www.belgiquelex.be.

(15) Voy. G. Rosoux et F. Tulkens, op. cit., pp. 146 et suivantes et les références citées.

(16) Cf. Rapport annuel 2001, p. 394.

(17) Notez que l'article 4 de la proposition de loi no 3-464/1 s'énonce comme suit: « Cette évaluation s'opère notamment sur la base de deux rapports annuels établis, d'une part, par le procureur général près la Cour de cassation et le collège des procureurs généraux et, d'autre part, par le Conseil d'État. » À mon avis, l'on peut déduire de ce texte que qu'il s'agit d'un rapport commun du procureur général près la Cour de cassation et du collège des procureurs généraux.

(18) Cette modification légale — pas plus que la loi de principes elle-même — n'est déjà entrée en vigueur.

(20) L'analyse d'impact de la réglementation a été instaurée en Flandre il y a peu. Voir à ce sujet le site www.wetsmatiging.be (suivre le lien vers l'analyse d'impact de la réglementation)

(21) Voir aussi J. VAN NIEUWENHOVE, Wetsevaluatie in België, Deventer, Kluwer, 2002, 47-53.

(22) P. VAN HUMBEECK, « Wetsevaluatie vanuit bestuurskundig perspectief », in M. ADAMS et P. POPELIER (eds.), Wie waakt over de kwaliteit van de wet ?, Anvers, Intersentia, 2000, 199, avec d'autres références.

(23) Voir à ce sujet P. POPELIER, « Law (Reform) Commissions: bijstand voor de wetgever », T.v.W. 1999, I-239-247 et « Institutionalising the evaluation and revision of the law — the South African Law Commission », in J. DE GROOF, R. MALHERBE et A. SACHS, Constitutional Implementation in South Africa, Gand, Mys & Breesch, 2000, 72-88.

(24) H.B. WINTER, Evaluatie van wetgeving, Deventer, Kluwer, 2002, 21 et 39.

(25) Loi no 96-516 du 14 juin 1996 tendant à créer un Office parlementaire d'évaluation de la législation, JO no 138, 15 juin 1996.

(26) Doc. Chambre, SE 2003, 29/1, p. 12.

(27) J.-P. DUPRAT, « Cost of legislation for economy, bureaucracy and citizen », in U. KARPEN (ed.), Evaluation of Legislation, Baden-Baden, Nomos, 2002, 218.

(28) Ibid 216.

(29) Voir aussi la réflexion de G. VAN DER BIESEN, « Wetsevaluatie in het parlement », T.v.W. 2004, 255-256; voir également, à propos de la situation en Allemagne, F. EDINGER, « Folgenabschätzung und Évaluation von Gesetzen », ZG 2004, 158.

(30) Voir aussi les développements, doc. Chambre, SE 2003, 29/1, p. 12.

(31) J. VAN NIEUWENHOVE, l.c, 42.

(32) M. LOKIN, « Evaluatie van wetgeving: van praktijk naar beleid », RegelMaat 1997, 132 et A. RINGELING, « Evaluatie: hoe en wet ? », RegelMaat 1997, 144-145.

(33) G. VAN DER BIESEN, l.c. 245.

(34) G. VAN DER BIESEN, l.c. 247-248.

(35) Développements, doc. Chambre, SE 2003, 29/1, p. 16.

(36) Cour d'arbitrage no 54/2004, 24 mars 2004, Moniteur belge, 13 juillet 2004. La cour a jugé la disposition conforme à la Constitution lorsqu'elle est interprétée en ce sens et inconstitutionnelle lorsqu'interprétée dans un autre sens. L'article 632 du Code civil dispose que « celui qui a un droit d'habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille, quand même il n'aurait pas été marié à l'époque où ce droit lui a été donné ».

(37) Voir également G. VAN DER BIESEN, l.c. 254.

(38) Rapport de commission Borginon, doc. Chambre, 2003-2004, 29/9, p. 34.

(39) Proposition de loi instituant une évaluation triennale de la législation, Développements, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 1991-1992, no 439/1 et Rapport, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 1991-1992, no 439/2.

(40) Projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative, Exposé des motifs, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1997-1998, no955/1, Rapport, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1997-1998, no 955/3 et texte adopté en séance plénière et transmis à la Chambre des représentants, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1997-1998, no 955/5 et proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2003-2004, no  3-464/1.

(41) Proposition de loi créant une commission nationale chargée de la coordination et de la simplification de la législation, Développements, Doc. Parl., Sén., sess. extr. 1991-1992, no 229/1 et Rapport, Doc. Parl., Sén., sess. extr. 1991-1992, no 229/2.

(42) Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, Doc. parl., Sén, sess. ord. 2003-2004, no 3-648/1.

(43) Proposition visant à créer, au sein des services du Sénat, une cellule d'évaluation de la législation, Doc. parl., Sén., sess.ord. 1996-1997, no643/1.

(44) Proposition visant à créer, au sein du Sénat, un office de la législation, Doc. parl., Sén., sess.1997-1998, no 839/1.

(45) Proposition de loi instaurant un conseil législatif, Doc. parl., Ch.repr., sess.ord.1996-1997, no1071/1 et Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2003-2004, no 547/1.

(46) Proposition de loi relative à la collaboration de la Cour de cassation à l'évaluation de la législation, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-1997, no1151/1; proposition complétant l'article 22 du règlement du Sénat, en vue d'organiser le suivi de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, Doc. parl., Sén., sess. extr. 2003, no3-102/1; proposition complétant l'article 22 du règlement du Sénat, en vue d'organiser le suivi des propositions de lege ferenda du parquet de la Cour de cassation, Doc. parl., Sén., sess. 2003-2004, no3-381/1.

(47) Voir par exemple le compte rendu de la réunion du Conseil des ministres du 18 juillet 1997 ainsi que les déclarations gouvernementales du 14 juillet 1999 et du 14 juillet 2003.

(48) J. CHEVALLIER, « Rapport introductif », dans Revue de la Recherche juridique, Cahiers de méthodologie juridique no9, L'évaluation législative,1994-4, p. 1083.

(49) A. ANTOLE et alii, La pathologie législative, comment en sortir ? Actes du colloque du 23 mai 1997 organisé par l'association des juristes namurois, Bruxelles, La Charte, 1998; G. CEREXHE, « L'évaluation des lois », dans Évaluer les politiques publiques, Regards croisés sur la Belgique, Academia-Bruylant, 2001, p. 119.

(50) « Une Belgique créative et solidaire — Du souffle pour le pays », Déclaration gouvernementale du 14 juillet 2003.

(51) Note de politique générale concernant la Simplification administrative du 26 novembre 2003, Secrétariat d'État à la simplification administrative.

(52) Rapport sur les propositions instituant une évaluation périodique de la législation du 26 avril 1994, Doc. parl. Ch. repr., sess.ord. 1992-1993, no 439/2; rapport sur le projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative du 14 janvier 1999, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1998-1999, no 955/3.

(53) J.-D. DELLEY, « Penser la loi. Introduction à une démarche méthodique », dans Légistique formelle et matérielle, PUAM, 1999, p. 81 à 115.

(54) Sur les notions d'efficacité, d'effectivité et d'efficience, voir L. MADER, Évaluation législative, Lausanne, Payot, 1985: « Le problème de l'effectivité comprend deux aspects: il s'agit de savoir si, premièrement, les comportements ou situations réels observables correspondent à celles prévues par la législation, et si, deuxièmement, ces comportements ou situations sont réellement imputables à la législation » (p. 56). « L'évaluation de l'efficacité consiste en la comparaison entre le résultat réellement atteint et le résultat voulu ou, en d'autres mots l'objectif poursuivi » (p. 77). L'efficience « désigne de façon très générale, le rapport entre les moyens utilisés et les résultats; une décision est considérée comme pleinement efficiente si un résultat déterminé est obtenu avec un minimum de moyens, ou si, avec des moyens donnés, un degré maximal de réalisation du résultat visé est atteint » (p. 82 et 83).

(55) Ch.-A. MORAND, « Éléments de légistique formelle et matérielle », in Légistique formelle et matérielle, PUAM, 1999, p. 18.

(56) Il s'agit du projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, doc. Sénat, no 3-648/1 et de la proposition de loi instituant une procédure d'évaluation législative (doc. Sénat, no 3-464/1).

(57) Voir par exemple la discussion sur l'utilisation de critères socio-scientifiques dans le rapport Caluwé à propos du projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative. S'interrogeant sur les critères d'évaluation qui pourraient être utilisés par le service de l'évaluation de la législation à créer au sein du Sénat, la commission a estimé que ce service devait « pouvoir effectuer une analyse technico-juridique » des textes. Sa mission consisterait donc à compléter celle assignée aujourd'hui à la section de législation du Conseil d'État, mission dont il a été dit ci dessus qu'elle ne relevait pas de l'évaluation proprement dite. Quant à l'évaluation sur base de critères socio-scientifiques elle fut singulièrement limitée de crainte de voir le service s'immiscer dans les choix politiques. Pas question pour le service d'analyser l'effet social de la norme, il lui est simplement permis, pour autant que la demande lui en ait été faite, de présenter une évaluation technique préparatoire à la lumière de certains principes de bonne législation (Doc. Parl., Sén., sess. 1998-1999, no 1-955/3, p. 27 et ss.)

(57) Voyez toutefois la proposition de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif déposée par M. Daniel BACQUELAINE à la Chambre des représentants le 26 juin 2003, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2003, no 0029/001, p. 12.

(58) L. MADER, L'évaluation législative, Pour une analyse empirique des effets de la législation, Collection juridique romande, 1985, Payot Lausanne, p. 44.

(59) J. CHEVALLIER, « Rapport introductif », dans Revue de la Recherche Juridique, Cahiers de méthodologie juridique no9, L'évaluation législative, Travaux de l'Atelier de Méthodologie Juridique d'Aix-Marseille et Actes du Colloque du 7 avril 1994 au Sénat, PUAM, 1994-4, p. 1088.

(60) M. ADAMS, Note annexée au rapport sur le projet de loi instituant une procédure d'évaluation législative, Doc. Parl., Sén., sess. 1998-1999, no1-955/3.

(61) J.-D. DELLEY, « Penser la loi. Introduction à une démarche méthodique », in Légistique formelle et matérielle, PUAM, 1999, p. 82.

(62) Pour les auteurs, « l'évaluation d'une politique publique consiste en une étude rigoureuse, basée sur des méthodes scientifiques, visant à mesurer les effets de cette politique et à porter un jugement de valeur sur ces effets en fonction de différents critères (par ex. la pertinence, l'efficacité, l'efficience et l'économie) »: S. JACOB et F. VARONE, « L'évaluation des politiques publiques: État des lieux au niveau fédéral », APT, 2001, p. 122.

(63) S. JACOB et F. VARONE, « L'évaluation des politiques publiques: État des lieux au niveau fédéral », APT, 2001, p. 123. Voir également C. DE VISSCHER et F. VARONE (eds), Évaluer les politiques publiques — Regards croisés sur la Belgique, 2001, Academia, Bruylant.

(64) « Un problème délicat se pose au sujet de l'administration des chambres législatives. Il nous semble que, en qualité d'organes du pouvoir législatif, la chambre des représentants et le Sénat font partie de l'État belge et, dès lors, que l'administration considérée tombe, comme auparavant, sous le coup de la réglementation relative aux marchés publics » P. LEWALLE, « La loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services et les mesures d'exécution » in La nouvelle réglementation des marchés publics, Commission droit et vie des affaires, Ed. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, 1997, p. 53, note 103 in fine.

(65) Rapport de la Commission Citoyen, Droit et Société à la Fondation Roi Baudouin, À qui de droit ! Vers une relation de qualité entre le citoyen, le droit et la société, Fondation Roi Baudouin, 2001, p. 41. Voir également Doc. Parl., Sén., sess. 1998-1999, no 1-955/3, p. 29: « Comment un service composé de fonctionnaires aurait-il pu procéder à pareille analyse sans être accusé de partialité ou de prévention ? Si nécessaire, l'on pourrait confier pareille analyse à une université, mais pas à un service du Sénat. Ou bien le service encourrait les foudres politiques, ou bien il serait trop prudent ».

(66) Voyez par exemple en Belgique les critiques qui visent la réforme des polices et plus particulièrement la loi du 2 avril 2001 modifiant la loi sur la fonction de police, la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, et d'autres lois relatives à la mise en place de nouvelles structures de police, Moniteur belge, 14 avril 2001. Voyez dans le même sens la loi du 7 février 2003 portant diverses dispositions en matière de circulation routières (infractions graves), Moniteur belge, 25 février 2003.

(67) H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. Ier, 3e éd., Bruxelles, Bruylant,1962 p. 257.

(68) F. OST, « La régulation: des horloges et des nuages ... », dans Élaborer la loi aujourd'hui, mission impossible ?, sous la direction de B. JADOT et F. OST, Bruxelles, Publ. FUSL, 1999, p. 24.

(69) Projet de déclaration de révision de la Constitution, Rapport, Exposé introductif du premier ministre, Doc.parl, Ch. repr., sess.ord. 2002-2003, no2389/003, p. 10; Déclaration de révision de la Constitution, Moniteur belge, 10 avril 2003, p. 18319. Voyez également Quelles réformes pour le Sénat ? Propositions de 16 constitutionalistes, avant-propos d'A. De Decker, Bruxelles, Bruylant, 2002.

(70) Une Belgique créative et solidaire — Du souffle pour le pays, Déclaration gouvernementale du 14 juillet 2003.

(71) Arrêté royal du 16 novembre 1994 relatif au contrôle administratif et budgétaire, Moniteur belge, 17 janvier 1995.

(72) G. CEREXHE, « L'évaluation des lois », in Évaluer les politiques publiques — Regards croisés sur la Belgique, Academia, Bruylant, 2001, p. 130.

(73) Il serait grandement souhaitable que le projet soit soumis à la section de législation du Conseil d'État. L'avis rendu permettrait alors aux parlementaires de remédier aux défauts, notamment de nature légistique, que le projet recèle et qui ne seront pas évoqués ici.

(74) 28,5 % minimum des sénateurs communautaires seront requis pour faire partie du Comité.

(75) Voir les débats qui ont eu lieu sur la question de l'extension du droit d'initiative législative à certains organismes d'intérêt public et notamment le rapport MOYERSOEN et PIERSON, Doc. parl., Ch.repr., sess.ord. 1964-1965, no 993/6.

(76) Voir les articles 75.1 du règlement de la Chambre et 56.1 du règlement du Sénat.

(77) Voir par exemple le Rapport fait au nom du groupe de travail de la commission de révision de la Constitution chargé de l'examen de propositions concernant l'évaluation des lois par M. A. BORGINON, qui envisage « une notion d'évaluation entendue dans une large acception: évaluation légistique et analyse de fond portant sur les effets des lois en vigueur avec une attention particulière pour la simplification administrative », Doc. parl., Ch. repr., sess.ord.2003-2004, no 0029/009, p. 8.

(78) Projet de loi instaurant un Comité parlementaire chargé du suivi législatif, Doc. parl., Sén., no 3-648/1.

(79) En sa qualit‰ de pr‰sident de la Commission charg‰ de formuler des observations sur le projet de guide de l‰gistique formelle et de finaliser ce dernier, M. Van Damme a d‰j€ ‰t‰ entendu le 19 f‰vrier 1998 par la commission des Affaires institutionnelles dans le cadre de la discussion du projet de loi instituant une proc‰dure d'‰valuation l‰gislative (voir le rapport de M. Caluw‰ fait au nom de la commission des Affaires institutionnelles, doc. S‰nat, no 1-955/3).

(80) L'article 6bis, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'État s'énonce comme suit: « Le premier ministre, les présidents des assemblées législatives, les présidents des gouvernements communautaires ou régionaux et celui qui préside le Collège de la Commission communautaire française ainsi que celui qui préside le Collège réuni visés respectivement aux alinéas 2 et 4 de l'article 60 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, peuvent, chacun pour ce qui le concerne, demander au bureau de coordination, par l'intermédiaire du premier président, de coordonner, de codifier ou de simplifier la législation qu'ils désignent ».

(81) Koen Van Aeken (2002), Proeven van wetsevaluatie. Een empirisch geïllustreerde studie naar het wat, hoe en waarom van wetsevaluatie. Thèse de doctorat. Anvers: Universiteit Antwerpen. Une édition commerciale mise à jour paraîtra en octobre 2005 aux éditions La Charte. Les évaluations concrètes portaient sur le renforcement des contrôles dans le cadre de la lutte contre la conduite sous influence (AR du 21 novembre 1994, MB du 29 novembre 1994) et sur l'arrêté du gouvernement flamand instaurant une intervention dans la charge de prêts hypothécaires contractés pour construire, acheter ou rénover une habitation (arrêté du gouvernement flamand du 3 février 1993, MB 31 mars 1993) et toutes les modifications qui y ont fait suite.

(82) Voir par exemple Koen Van Aeken, « Wetsevaluatie tussen woord en daad », TvW, 3, pp. 31-37.

(83) Roscoe Pound, doyen de la Harvard Law School de 1916 à 1936, écrit dans son ouvrage Social Control through the law (1942, 64): « So there is, as one might say, a great task of social engineering. There is a task of making the goods of existence, the means of satisfying the demands and desires of men living together in a politically organized society [...], at least go round as far as possible ».

(84) En ce qui concerne les aspects juridiques de la proposition et du projet de loi, je renvoie, comme indiqué plus haut, à d'autres auteurs plus autorisés en la matière.

(85) La différence entre les deux n'est ailleurs pas toujours très claire: une évaluation ex post de la politique peut en effet servir d'évaluation ex ante pour une nouvelle mesure politique que l'on envisage de prendre (Brans, Facon & Hoet, 2003, 80).

(86) Pour une description et un commentaire détaillé, voir Van Aeken, 2002.

(87) Abstraction faite de la patience dont il faut faire preuve pour permettre à la loi de sortir ses effets concrets, une simple différence dans la fréquence avec laquelle les indicateurs pertinents sont mesurés permettra d'établir si la loi est oui ou non en état d'être évaluée. Si un chercheur dispose de données mensuelles, une année pourra déjà suffire pour que l'on puisse détecter des changements de tendance qui se dessinent depuis l'entrée en vigueur de la loi. Une législation de type « command and control » peut sortir ses effets très rapidement (ceux-ci pouvant disparaître tout aussi vite; voir l'évaluation de la loi « 0,5 pour mille » dans Van Aeken, 2002).

(88) www.gov.im/lib/docs/fsc/ policystatements/impactanalysisjuly04.pdf

(89) Taille de l'échantillon: N = 174. Réponses: N = 77, dont 68 utilisables. Quelque 38 de ces 68 services publics (soit 56 %) pratiquent des évaluations politiques. 20 ont agi de leur propre initiative; 20 ont une certaine expérience des évaluations ex post; 18 ont un évaluateur interne; 26 appliquent des méthodes qualitatives et quantitatives (Jacob & Varonne, 2003: 32).

(90) Regulatory Impact Analysis (études d'impact de la réglementation).

(91) On en a un bel exemple avec l'octroi de fonds européens à la Wallonie à condition que cette région procède à une évaluation systématique de ses politiques (voir supra).

(92) Pour une évaluation complète de l'effectivité, voir Van Aeken, 2002.

(93) Dans la littérature -abondante- sur le sujet, on pointera particulièrement L. MADER, L'évaluation législative. Pour une analyse empirique des effets de la législation, Lausanne, Payot, 1985; É. MONNIER, Évaluations de l'action des pouvoirs publics, Paris, Economica, 2e éd., 1992; Ch. -A. MORAND (dir.), Évaluation législative et lois expérimentales, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1993; Fr. OST et B. JADOT (dir.), Élaborer la loi aujourd'hui, mission impossible ?, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1999; Ch. -A. MORAND (dir.), Légistique formelle et matérielle, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1999.

(94) On se référera par exemple aux travaux de la Commission externe d'évaluation des politiques publiques du Canton de Genève, et notamment au rapport qu'elle a publié en 1997 Politique sociale du logement. Évaluation de l'encouragement à la construction selon la loi générale sur le logement.

(95) Voy. notamment Ph. GÉRARD, Fr. OST, M. van de KERCHOVE (dir.), L'accélération du temps juridique, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2000, passim.

(96) Cf. entre autres M. RICHEVAUX, « La rédaction législative à l'épreuve de la pratique », Légistique formelle et matérielle, op. cit., p. 179 et s.

(97) Qu'on songe ainsi à la loi belge du 12 janvier 1993 ayant institué au profit des bourgmestres un droit de réquisition des immeubles abandonnés (Moniteur belge, 4 février 1993). En dix ans d'existence, cette législation « mort-née » n'a délivré qu'un seul cas d'application ... Voy. infra.

(98) J. CHEVALLIER, « Les lois expérimentales. Le cas français », Évaluation législative et lois expérimentales, op. cit., p. 136.

(99) L'exemple du « permis de location » est éloquent à cet égard (cf. décret du Parlement wallon du 29 octobre 1998 instituant le Code wallon du logement, Moniteur belge, 4 décembre 1998, art. 9 et s.) Promu par la Région wallonne pour renforcer les conditions de salubrité des logements collectifs et des petits logements, ce louable instrument réglementaire a entraîné comme conséquence non désirée l'éviction de nombreuses familles pauvres. De fait, les démunis sont généralement incapables de « suivre » la hausse des loyers rendue nécessaire pour financer/amortir les opération de remise en état. Sans compter, très souvent, qu'ils sont obligés de libérer les lieux en cas de travaux lourds, afin que rénovation se fasse.

(100) Qu'on songe par exemple à ces centres d'hébergement qui ferment leurs portes l'été, comme si l'arrivée des beaux jours allait automatiquement dissiper les besoins en logements des sans abri, ou encore à ces maisons d'accueil qui, refusant les animaux domestiques, en recalent du même coup les maîtres, qui sont viscéralement attachés au dernier compagnon qui leur reste.

(101) Les politiques d'accession à la propriété, par exemple, ne semblent être d'aucune utilité pour ces fragiles débiteurs hypothécaires que sont les démunis, démunis qu'elles risquent au contraire d'enfoncer plus encore dans leur misère. Pour leur part, les procédures de participation impliquant les habitants dans le processus normatif peuvent également se montrer nuisibles en ce qu'elles risquent de récupérer la parole des usagers et de désamorcer ainsi le potentiel critique de contestation sociale qui leur est attaché.

(102) L. MADER, op. cit., p. 4.

(103) La présentation la plus complète de la palette évaluative figure dans L. MADER, op. cit., p. 39 et s.

(104) J.-B. DELLEY, « Penser la loi. Introduction à une démarche méthodique », Légistique formelle et matérielle, op. cit., p. 112, souligné par nous.

(105) Ces considérations évoquent en effet un « débat » classique entre Platon et Socrate. Dans le Ménon, Socrate se débat avec l'aporie suivante: comment espérer trouver quelque chose que je ne connais pas puisque, si je viens à le croiser, je ne saurai pas le reconnaître ? Mais en revanche, si je le connais, c'est que je l'ai près de moi, et donc je ne dois plus le chercher. Pour résoudre la contradiction, Platon rétorque, dans le Théétète, que la connaissance fonctionne à la manière de cet oiseleur, qui possède tous les oiseaux (les Idées) dans sa cage sans pour autant les avoir en main. Pour véritablement connaître un de ses volatiles (avoir plutôt que posséder), l'oiseleur doit glisser sa main dans la cage et s'en emparer fermement d'un (théorie de la réminiscence). Cette métaphore permet de lever l'aporie de Socrate: j'ai déjà près de moi, et depuis toujours, ce que je cherche, sous forme d'Idées qu'il me reste à remobiliser, car si je ne l'avais pas, ne sachant pas ce que je cherche, je ne le trouverais pas. Mais je ne l'ai pas véritablement, sinon je ne devrais plus chercher. Voy. PLATON, Ménon, Paris, Flammarion, 1993 (traduction: M. Canto-Sperber) et PLATON, Théétète, Paris, Flammarion, 1995 (traduction: M. Narcy).

(106) Suivant l'expression de L. MADER, op. cit., p. 92.

(107) Ch. -A. MORAND, « Formes et fonctions de l'évaluation législative », Élaborer la loi aujourd'hui, mission impossible ?, op. cit., p. 219.

(108) Cf. V. DEMERS, Le contrôle des fumeurs. Une étude d'effectivité du droit, Montréal, Thémis, 1996, p. 84.

(109) Résumé du colloque européen Le logement: outil de cohésion sociale tenu à Liège les 24 et 25 septembre 2001 par la présidence belge de l'Union européenne, Échos log., 2001, p. 109.

(110) Civ. Termonde, 18 novembre 1997, Algemeen Juridisch Tijdschrift, 1997-1998, p. 266, note S. De Taye et F. Van Acker.

(111) Commission externe d'évaluation des politiques publiques, Politique sociale du logement. Évaluation de l'encouragement à la construction selon la loi générale sur le logement, Genève, 1997, p. 69.

(112) Au reste, la mort n'avait été découverte que plusieurs jours après ...

(113) M. CONAN, L'évaluation constructive. Théorie, principes et éléments de méthode, Paris, Éditions de l'aube, 1998, p. 175 et s.

(114) Cf. note 5.

(115) Si la tâche est fastidieuse, elle n'a rien d'insurmontable pour autant. Et pourtant, peu de communes l'ont entreprise. Lire sur cet aspect H. MOREAU, « Un nouvel outil pour le logement: l'inventaire », Échos log., 1997, p. 61 et s., ainsi que M. YERNA, « L'inventaire des logements vacants situés à Liège », Échos log., 2002, p. 44 et s.

(116) J.P. Florennes, 18 novembre 1997, Échos du logement, 1998, p. 4, obs.

(117) Ainsi, tout en affirmant que « la solidarité et la satisfaction des besoins naturels des citoyens comme le droit au logement doivent triompher de l'égoïsme malsain de certains propriétaires négligents ou spéculateurs », le juge de paix de Philippeville n'en a pas moins exempté un propriétaire de la réquisition imposé par le bourgmestre dès lors que des travaux de réfection substantiels avaient été apportés à l'immeuble, fût-ce après l'enclenchement de la procédure de réquisition. Au passage, le magistrat n'a pas hésité à brocarder la commune pour cette « application téméraire ou désinvolte » de la législation (cf. J.P. Philippeville, 21 janvier 1998, Échos log., 1998, p. 6 et s.).

(118) Cf. A. FLÜCKIGER, Ch. -A. MORAND et Th. TANQUEREL, Évaluation du droit de recours des organisations de protection de l'environnement, Cahier de l'environnement, no314, Berne, Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage, 2000, passim.

(119) Cf. V. DEMERS, op. cit., p. 56.

(120) Cf. M. CONAN, op. cit., p. 110.

(121) Cf. V. DEMERS, op. cit., p. 85.

(122) Une loi anglaise instituant à Londres un régime d'autorisation en matière de création de bureaux avait été prise au milieu des années septante dans l'intention initiale de limiter la congestion de la ville due à une implantation commerciale trop intensive. Au fil du temps cependant, et le succès aidant, la loi en question a contribué à générer de l'emploi dans des zones sinistrées (création d'une administration spécialisée, mise sur pied d'un corps de contrôleurs, etc.). De sorte qu'elle en est progressivement venue à délaisser son objectif de départ pour se concentrer sur les retombées indirectes qu'elle produisait (régression du chômage), résultats fortuits mais heureux que la municipalité a cherché par conséquent à entretenir. À un point tel que la législation, limitée initialement à sept ans, a été prorogée sans trop de peine « bien que tout le monde ait admis que le problème originel était plus apparent que réel » (cf. L. MADER, op. cit., p. 81).

(123) Cas rapporté par É. MONNIER, op. cit., p. 46.

(124) Sur cette taxinomie, voy. L. MADER, op. cit., p. 92 et s.

(125) Cf. Y. PAPADOPOULOS, Complexité sociale et politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1995, p. 131 et 132. Voy. également A. KURC, « Évaluer l'échec », Pour (Revue du GREP, Groupe de recherche pour l'éducation permanente), « L'évaluation au pouvoir », no107, 1988, p. 20 et s.

(126) J. ARDOINO et G. BERGER, « L'évaluation comme interprétation », Pour, no107, 1988, p. 124.

(127) Estimant ainsi l'heure de passage indue, un couple a refusé d'ouvrir sa maison à l'assistante sociale chargée « d'inspecter » les lieux afin de décider d'un éventuel placement d'enfant. Vu de l'extérieur, ce comportement apparaît totalement irrationnel, voire contradictoire, puisqu'il débouchera sur ce placement qu'on voulait précisément éviter (de fait, le refus des parents ne peut qu'être interprété de manière soupçonneuse par l'assistante sociale). Dans l'optique du couple par contre, cette attitude ferme répond à une logique spécifique: préserver le peu de dignité qui lui reste. Ce n'est pas parce qu'on est pauvre que l'on doit être disponible à tout instant pour les assistants sociaux, aussi bien intentionnés soient-ils.

(127) Pour inefficace qu'il soit, le comportement de ces parents n'en conserve pas moins une pertinence certaine. Las, l'efficacité — extérieure — d'une action occulte et absorbe trop souvent sa pertinence interne. Les assistants sociaux ne devraient donc pas nécessairement voir dans une porte close une tentative maladroite des parents pour cacher les mauvais traitements qu'ils font subir à leur enfant (dont la garde doit dès lors être retirée); ils devraient bien plutôt s'interroger sur la pertinence et l'opportunité de leur visite en terme de respect de la vie privée (l'heure est peut-être tardive, le passage n'a pas été précédé d'un avertissement, etc.)

(128) A. FLÜCKIGER, « Le droit administratif en mutation: l'émergence d'un principe d'efficacité », Revue de droit administratif et de droit fiscal. Revue genevoise de droit public, avril 2001, no1-2, p. 115.

(129) Qu'on garde par exemple à l'esprit l'expérience malheureuse du Samu social bruxellois, dont les camionnettes rutilantes et tapageuses faisaient fuir les sans domicile fixe qui devaient pourtant y trouver réconfort et secours. L'expérience menée à Paris a montré en effet que les sans abri, désocialisés et rétifs par conséquent à tout ce qui ressemble à de l'autorité, se cachent du Samu social (syndrome du « gyrophare bleu »). Les promoteurs bruxellois du Samu social n'ont peut-être pas perçu certaines logiques internes au monde de la pauvreté, comme celle qui conduit les personnes vivant des situations d'extrême misère à se méfier des démarches institutionnelles d'assistance. Sur ce sujet, on lira notamment N. BERNARD, « Le Samu social bruxellois comme laboratoire des nouveaux systèmes de gouvernance urbaine », Le logement: outil de cohésion sociale, actes du colloque européen tenu à Liège les 24 et 25 septembre 2001 par la présidence belge de l'Union européenne, Namur, ministère de la Région wallonne, p. 65 et s. Voy. également A. REA et al., La problématique des sans-abri en Région de Bruxelles-Capitale, rapport effectué à la demande du Collège réuni de la Commission communautaire Commune, Université libre de Bruxelles, 2001, passim. Enfin, le livre rédigé par l'ethnologue et psychanalyste Patrick Declerck sur l'inadaptation du dispositif médico-social d'aide aux sans-abri, fait désormais figure de référence (P. DECLERCK, Les naufragés, Paris, Plon, 2001).

(130) J. ARDOINO et G. BERGER, op. cit., p. 125.

(131) P. FEYERABEND, Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchique de la connaissance, Paris, Seuil, 1988.

(132) A. FLÜCKIGER, op. cit., p. 115.

(133) Fr. OST, « La régulation: des horloges et des nuages », Élaborer la loi aujourd'hui, mission impossible ?, op. cit., p. 18.

(134) Cas rapporté par Y. MENY et J.-C. THOENIG, Politiques publiques, Paris, Presses universitaires de France, 1989, p. 294.

(135) Cf. R. BOUDON, Effets pervers et ordre social, Paris, Presses universitaires de France, 1977.

(136) Voy. Le Robert électronique.

(137) Voy. F. JULLIEN, La propension des choses: pour une histoire de l'efficacité en Chine, Paris, Seuil, 1992.

(138) A. FLÜCKIGER, op. cit., p. 115 et s.

(139) A. FLÜCKIGER, ibidem, p. 119.

(140) É. MONNIER, op. cit., p. 104 et 105.

(141) Le concept d'évaluation pluraliste trouve sans conteste sa formalisation la plus aboutie dans É. MONNIER, op. cit., p. 73 et s.

(142) Sur ce pluralisme de rationalités, voy. notamment M. BLANC, « Travail social et politique locale: de l'évaluation implicite à l'évaluation explicite », Pour, no107, 1988, p. 24 et s.

(143) Y. PAPADOPOULOS, op. cit., p. 129.

(144) Cf. entre autres C. MARTIN, « Auto ou hétéro-évaluation ? Les enjeux interactifs de la recherche évaluative appliquée au secteur social », Pour, no107, 1988, p. 67 et s.

(145) M. JUFFÉ, « Le bon évaluateur est celui qu'on perd », Pour, no107, 1988, p. 114.

(146) É. MONNIER, op. cit., p. 116.

(147) F. LE POULTIER, « Principes d'une recherche évaluative en travail social », Connexions, no56, 1990, « L'évaluation », p. 39.

(148) L. MADER, op. cit., p. 94.

(149) Voy. supra.

(150) Ainsi, pour approfondir l'exemple du Samu social bruxellois (voy. supra), les autorités auraient grandement tort d'interpréter les réticences des pauvres comme un signe d'indifférence par rapport à leur situation, voire de défiance. Ils feraient mieux plutôt, assumant la formule chère au fondateur Xavier Emmanuelli suivant lequel « c'est à l'institution — éclatée — de se déplacer vers les gens », de lancer sur les routes une structure moins visible, plus à niveau des sans abri (à l'image de la « maraude à pied » parisienne). Notons cependant que le Samu bruxellois a finalement épousé cette logique moins institutionnelle et consenti à diversifier ses modes d'action.

(151) Y. PAPADOPOULOS, op. cit., p. 129.

(152) A. KURC, op. cit., p. 23.

(153) Ch. -A. MORAND, « Formes et fonctions de l'évaluation législative », op. cit., p. 220.

(154) M. TACHON, « L'évaluation du travail social, une question politique », Pour, no107, 1988, p. 16.

(155) « Des experts ministériels animés par une vision très technocratique des affaires du travail social commettent des instruments d'évaluation très élaborés, mais ils sont la plupart du temps quasiment impraticables en raison de l'inopportunité des critères retenus », déplore en ce sens François Le Poultier. Cf. F. LE POULTIER, op. cit., p. 38.

(156) M. JUFFÉ, op. cit., p. 114.

(157) Ph. LAURENT, « L'audit dans le domaine de l'aide et de l'action sociales », Pour, no107, 1988, p. 106.

(158) H. NOGUÈS, « Évaluation dans le secteur social à la lumière de quelques expériences ... Problèmes et enjeux », L'évaluation dans l'administration, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP), Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 62.

(159) C'est en ce sens d'ailleurs que l'évaluation pluraliste est dite « endoformative » (formative evaluation) dès lors qu'elle sert à informer efficacement les différents protagonistes et à les amener à modifier leurs conduites en fonction des résultats de l'évaluation.

(160) J. DEFFERRARD, « Pratiques sociales d'évaluation: l'apport de l'ethnométhodologie », Pour, no107, 1988, p. 20 et s.

(161) Fr. RANGEON, « La notion d'évaluation », L'évaluation dans l'administration, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (C.U.R.A.P.P.), Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 22.

(162) Voy. notamment Fr. OST, « La régulation: des horloges et des nuages », op. cit., p. 29 et 32.

(163) J.-C. HÉLIN, « Le citoyen et la décision d'aménagement », Les transformations de la régulation juridique, sous la direction de J. Clam et G. Martin, Paris, L.G.D.J., 1998, p. 94.

(164) G. CAUQUILL, « Une visibilité à négocier. Approche clinique de l'évaluation », Pour, no107, 1988, p. 75.

(165) L'expérience montre, en effet, que ces procédures sont plutôt trustées par les classes sociales favorisées. « Ce potentiel [de participation], comme la capacité à le traduire en un projet réalisable, ne se trouve pas également réparti dans la société », expliquent ainsi Jacques Donzelot et Philippe Estèbe. « On ne court pas grand risque de se tromper en estimant qu'il est inversement proportionnel à la vulnérabilité sociale des individus » (J. DONZELOT et Ph. ESTÈBE, L'État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994, p. 234).

(166) Ainsi, le nombre de grands logements par exemple (3 chambres et plus) a diminué de 22 % entre 1990 et 1998 au sein du parc immobilier public. Source: dossier « Achat ou rénovation: accessible pour les faibles revenus ? », numéro 5 de la revue Article 23 publiée par le Rassemblement bruxellois pour le droit à l'habitat, octobre-novembre-décembre 2001, p. 4.

(167) Voy. l'article 21 du Code wallon du logement. Pour la Région bruxelloise, voy. l'arrêté royal du 13 mars 1989 concernant l'octroi d'une allocation de déménagement-installation et d'allocations de loyers en faveur de personnes évacuées d'habitations insalubres ou d'habitations faisant l'objet d'un arrêté d'expropriation ou d'une autorisation de démolir, Moniteur belge, 30 mars 1989.

(168) Cf. notamment le 8ème rapport sur l'état de la pauvreté en Région de Bruxelles-Capitale réalisé par l'Observatoire de la Santé et du Social de la Commission Communautaire commune de Bruxelles-Capitale, juin 2002, p. 150 et s.

(169) De manière générale, ces aides souffrent de multiples défauts. Leur champ d'application tout d'abord est circonscrit aux -rares- locataires d'un bien dégradé qui prennent la délicate décision de migrer vers un bien salubre et de se couper ainsi de leur réseau informel d'entraide et de solidarité. Elles sont ensuite limitées dans le temps. Plafonné, le montant de l'allocation se calcule indépendamment des ressources financières du bénéficiaire, ce qui a pour effet d'avantager les revenus moyens plutôt que les couches défavorisées. La procédure requise au demeurant pour postuler les A.D.I.L. se caractérise par une singulière lourdeur. Celles-ci enfin sont versées ex post, c'est-à-dire bien après le premier payement du nouveau loyer (9 mois de retard parfois), obligeant par conséquent le locataire à avancer l'argent. « Dans des conditions d'éligibilité très strictes », observe Éric Monnier plus globalement, « la perspective de recevoir une allocation n'est pas une incitation suffisante pour amener les ménages à changer de logement » (É. MONNIER, op. cit., p. 157.).

(170) Comme le saturnisme par exemple, ou encore l'humidité, l'oppression mentale, etc.

(171) É. MONNIER, op. cit., p. 157.

(172) Ces normes minimales gouverneraient par ailleurs le régime des allocations déménagement installation loyer (A.D.I.L.), ce qui facilitera incontestablement l'octroi de celles-ci.

(173) Suivant l'article 8 de la loi sur les baux de résidence principale, le locataire peut prendre en location un bien ne répondant pourtant pas au prescrit de salubrité fixé par l'article 2, à la condition toutefois de le remettre lui-même en état, à ses frais et en échange de quelque avantage. Les parties concluent alors un bail dit à rénovation par lequel le preneur est admis à demeurer dans le logement tout en effectuant les réparations qui incombent normalement au bailleur. Celui-ci s'engage alors à fournir une des trois contreparties suivantes: renoncer pendant une période déterminée à la faculté de mettre fin au bail, renoncer pendant une période déterminée à la faculté demander la révision du loyer ou concéder au preneur une diminution ou une remise de loyer. Voy. l'article 8 de la loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer, Moniteur belge, 22 février 1991, remaniée elle-même par la loi du 13 avril 1997 modifiant certaines dispositions en matière de baux, Moniteur belge, 21 mai 1997.

(174) F. POLLET-ROUYER, « Droit au logement. Contribution à l'étude d'un droit social », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 2000, p. 1672).

(175) J.-L. BEAUVOIS, « L'acceptabilité sociale et la connaissance évaluative », Connexions, no56, 1990, dossier « L'évaluation », p. 43.

(176) De manière générale du reste, on constate que les habitants détournent radicalement les objets que leur impose la société de consommation et braconnent au quotidien les usages et les sens véhiculés par la culture dominante. Cf. M. de CERTEAU, L'invention du quotidien, t. I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990. Voy. surtout le t.2: Habiter, cuisiner.

(177) M. CONAN, op. cit., p. 114.

(178) Exemple rapporté par M. CONAN, ibidem, p. 114.

(179) « On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va », prête-t-on à Christophe Colomb, particulièrement fondé il est vrai à évoquer cette question de l'errance fructueuse ...

(180) Comparables à la circulaire de légistique formelle du Conseil d'État

(181) Voir annexe.

(182) Voir doc. Sénat nos 3-648/2 et 3-464/2.

(183) Voir note en annexe.

(184) Article 61 de la Constitution française: « Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours. Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation. »

(185) Voir note en annexe.t.

(186) J. VELU, Droit public, Tome premier, Le statut des gouvernants, Bruylant, Bruxelles, 1986, p. 522 et suivantes.

(187) Voir: J. VAN NIEUWENHOVE, Wetsevaluatie in België, Deventer, Kluwer, 2002, page 70.

(188) Conseil d'État, Rapport public 2006: I. Bilan d'activité du Conseil d'État et des juridictions administratives — II. Considérations générales: « sécurité juridique et complexité du droit », La documentation française, 2006, 412 p.

(189) J. Van Nieuwenhove , o.c., p. 6

(190) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 8.

(191) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 11.

(192) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 12.

(193) Ibid.

(194) Ibid.

(195) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 12.

(196) Ibid., p. 13.

(197) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 13.

(198) Ibid., p. 13.

(199) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 15.

(200) J. VELU, Droit public, Tome premier, Le statut des gouvernants, Bruylant, Bruxelles, 1986, p. 522. J. Velaers, De Grondwet en de Raad van State, afdeling Wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, p. 297.

(201) Article 1er, 4o, de la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales, ainsi qu'au financement et à la comptabilité ouverte des partis politiques.

(202) Article 66bis de la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignements.

(203) Loi du 6 avril 1995 organisant la commission parlementaire de concertation prévue à l'article 82 de la Constitution et modifiant les lois coordonnées sur le Conseil d'État.

(204) Loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires.

(205) Conseil d'État, section de législation, 11 septembre 1959, doc. Sénat, 1958-1959, 317, p. 32.

(206) J. Velu, o.c., pp. 522-525; F. Meersschaut, « Het parlementair onderzoeksrecht van de federale wetgevende Kamers na de wet van 30 juni 1996, in M. Van der Hulst et L. Veny, Parlementair recht. Commentaar en teksten, Gand, Mys en Breesch, 1997, A.2.5.3.3., pp. 7-10.

(207) J. Velu, o.c., p. 524.

(208) J. Velu, o.c., p. 525.

(209) L'article 28 de la Constitution est soumis à révision, ainsi que l'article 57, qui prévoit encore quelques conditions supplémentaires concernant la présentation de pétitions aux Chambres législatives (Moniteur belge, 10 mai 2003).

(210) M. Van der Hulst, Het federale parlement, Courtrai, UGA, 1994, p. 234.

(211) A. Van Mensel, De Belgische Federatie, Het labyrint van Daedalus, Gand, Mys en Breesch, 1996, p. 206.

(212) J. Vande Lanotte et G. Goedertier, Overzicht publiek recht, Gand, die Keure, 2001, no 477; Ph. De Keyser, « Het petitierecht afgestoft ? », TBP, 2000, p. 602.

(213) M. Elst, « Het petitierecht. Moet de marginaliteit gekoesterd worden ? », in B. Hubeau et M. Elst, Democratie in ademnood, Bruges, die Keure, 2002, p. 242.

(214) Conseil d'État, section de législation, 21 août 1997, doc. Vl. Parl. 1996-1997, no 497/2, 498/2 et 500/2, p. 9.

(215) Doc. Chambre, 51-29/9, pp. 46-47.

(216) O. Orban, Le droit constitutionnel de la Belgique, III, Paris, Giart et Brière, 1911, p. 423, no 172.

(217) L'article 57 de la Constitution prévoit d'ailleurs qu'il est interdit de présenter en personne des pétitions aux Chambres.

(218) Voir M. Elst, l.c., p. 255.

(219) La carte d'identité électronique est actuellement délivrée aux habitants de onze communes pilotes.

(220) M. Elst, l.c., p. 250.

(221) Doc. Chambre, 51-289/11, p. 22.

(222) Voir la liste des rapports, bilans et comptes transmis à la Chambre en vertu de dispositions légales, Doc. Chambre, 2003-2004, 51-12/1.

(223) M. Adams et K. Van Aeken, « Evaluatie van wetgeving — element van een wetgevingskwaiiteitsbeleid », doc. Sénat, 1998-1999, 1-955/3, p. 111; K. Van Aeken, Proeven van wetsevaluatie. Een empirisch geïllustreerde studie naar het wat, hoe en waarom van wetsevaluatie, épreuve de doctorat, Anvers, Faculteit Politieke en Sociale Wetenschappen UIA, 2002, p. 371; J. Van Nieuwenhove, Wetsevaluatie in België, Kluwer, 2002, p. 39; F. Leurquin-De Visscher, « Pertinence et praticabilité des procédures d'évaluation de lois en droit belge », in B. Jadot et F. Ost Elaborer la loi aujourd'hui, mission impossible ?, Bruxelles, Publications FUSL, 1999, p. 239.

(224) Doc. Sénat, no 3-464/1, p. 4.

(225) J. Van Nieuwenhove, o.c., p. 38.