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18 OCTOBRE 2006
I. INTRODUCTION
La proposition de résolution relative à l'accessibilité de l'hadronthérapie aux patients belges atteints du cancer a été déposée le 12 octobre 2006. La commission des Affaires sociales l'a examinée au cours de sa réunion du 18 octobre dernier en présence de M. Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique. La commission avait cependant déjà organisé le 3 mai 2006 une audition sur ce thème, dont le compte rendu est annexé au présent rapport.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE MME DE SCHAMPHELAERE
Mme De Schamphelaere explique que l'hadronthérapie est un nouveau traitement qui est utilisé pour soigner certaines formes de cancer et qui a déjà donné de bons résultats à l'étranger. Cette thérapie s'avère surtout efficace pour traiter les tumeurs non métastasées et son principal avantage est qu'elle n'attaque pas les tissus sains autour de la tumeur. Cette thérapie offre l'énorme avantage de ne provoquer aucun dommage ou de ne provoquer qu'un dommage limité, surtout chez les jeunes patients cancéreux, dont les tissus sont encore en pleine croissance.
L'hadronthérapie nécessite toutefois un investissement coûteux: elle nécessite la construction de tout un bâtiment pour abriter l'appareillage capable de créer l'accélération nécessaire pour générer le rayonnement qui sera utilisé pour le traitement. Cet investissement indispensable exige par conséquent que tous les acteurs concernés en Belgique unissent leurs efforts en vue d'assurer la faisabilité budgétaire du projet.
La Fondation contre le cancer a joué le rôle de catalyseur en rassemblant les informations nécessaires et en réunissant au sein d'une plate-forme toutes les institutions intéressées, telles que les universités et les hôpitaux. Elle a désigné un responsable de projet et celui-ci a établi un plan d'entreprise. À l'heure actuelle, certains patients sont déjà envoyés à l'étranger pour y être traités par hadronthérapie; les frais de déplacement leur sont remboursés par la Fondation, mais cela n'est bien évidemment pas une solution pour les autres frais individuels.
Des calculs ont montré que, si l'on travaille de manière aussi rentable que possible et que la machine fonctionne en permanence, l'investissement nécessaire pour financer l'installation et les lits allant de pair peut être rentable pour un groupe de 10 millions d'habitants, ce qui correspond à la population de la Belgique. Un autre élément est le remboursement par l'INAMI. La proposition de résolution appelle à prévoir non seulement un régime de remboursement pour le futur, mais aussi un soutien financier dès aujourd'hui pour les personnes qui sont soignées par hadronthérapie.
Selon l'oratrice, les pouvoirs publics doivent commander une étude de faisabilité établissant dans quelle mesure et pour quels éléments l'État peut apporter une contribution financière à la structure à mettre en place.
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
III.1. Questions des membres
Mme Geerts souscrit pleinement au contenu de la proposition de résolution. S'il faut certes veiller à ce que les soins de santé restent globalement abordables du point de vue financier, des efforts doivent néanmoins être faits pour que les nouvelles thérapies restent accessibles à tous, surtout si elles sont prometteuses.
L'intervenante renvoie à l'audition que la commission a déjà consacrée à ce thème précédemment et dont il est ressorti que le nombre de personnes pouvant tirer avantage de l'hadronthérapie pourrait être très élevé. Il est question d'une centaine d'enfants et d'environ 1500 adultes. Ce traitement n'est donc pas limité à une petite minorité de patients, ce qui constitue un élément supplémentaire justifiant d'appuyer cette résolution.
La question qu'il faut en outre se poser est celle de savoir si le nombre de personnes pouvant bénéficier de l'hadronthérapie doit être déterminant pour envisager son remboursement par l'INAMI. Si l'on suivait ce raisonnement, un remboursement serait plus hypothétique voire carrément exclu si le groupe d'enfants concernés était plus petit. Il y a de quoi frémir ! Le fait que les déplacements à l'étranger ne soient pas tous remboursés signifie aussi qu'il faut avoir de la chance pour pouvoir bénéficier d'un traitement par hadronthérapie.
Ces arguments plaident pour que l'on commence sans tarder à développer l'hadronthérapie dans notre pays. Compte tenu de son coût élevé, tous les niveaux de pouvoir concernés devront unir leurs efforts. C'est en effet une question de vie ou de mort pour les patients concernés.
M. Vankrunkelsven souscrit à cette argumentation mais souligne que le traitement en est encore à un stade expérimental. L'on ne dispose pas encore de véritables éléments scientifiques et factuels. Il n'empêche que bon nombre de personnes mettent tous leurs espoirs dans l'hadronthérapie. Notre pays possède une grande expertise en ce qui concerne les effets, la mesure et la maîtrise du rayonnement et il ne peut donc pas se permettre de laisser passer des opportunités aux niveaux médical et technique. Il devrait même pouvoir se positionner en tête de peloton.
Le service public fédéral Santé publique a déjà dégagé un budget modique pour financer une étude de faisabilité. Quel en est le montant ? N'est-il pas grand temps que notre pays investisse dans cette nouvelle technique, en dépassant les frontières entre les différents départements et niveaux de pouvoir ? Ce dossier n'est donc plus une matière ressortissant uniquement à la Santé publique, mais il doit être élargi aux différents gouvernements de notre pays. L'intervenant pense notamment à une étude scientifique, à la faisabilité économique, etc. Ces différents points devront être examinés dans les mois à venir afin que le prochain gouvernement puisse prendre directement les décisions stratégiques nécessaires. Il faut aussi s'inspirer de l'exemple des pays étrangers: la France, par exemple, a déjà réalisé une étude de faisabilité. Elle en est donc maintenant au stade de la mise en œuvre.
Mme Van de Casteele souscrit aux objectifs de la proposition de résolution. La lutte contre le cancer est un problème délicat et le monde politique se doit de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l'on puisse traiter cette maladie le mieux possible. Bien trop souvent, en effet, le traitement des patients cancéreux dépend très fort de l'endroit où ils sont traités ou de la personne qui les suit. Il faut toutefois garantir à chacun le droit d'avoir accès à un traitement financièrement abordable.
Il subsiste de nombreuses questions concernant les capacités européennes. S'il est vrai que quelques initiatives européennes sont prévues et qu'une coopération internationale plus poussée pourrait être une solution à terme, cela ne garantit aucunement l'accessibilité à l'hadronthérapie pour les patients belges. Cet élément doit faire l'objet d'une étude.
Certains acteurs de terrain soulignent que la radiothérapie classique est elle aussi en pleine évolution et qu'elle peut être utilisée de manière de plus en plus ciblée. Voilà un autre élément qui devra être précisé dans l'étude consacrée à l'hadronthérapie.
La proposition de résolution a ceci d'attrayant qu'elle demande aux pouvoirs publics d'investir eux-mêmes dans un appareillage médical lourd. De cette manière, on rompt avec la tradition selon laquelle les hôpitaux investissaient dans des appareillages de manière peu coordonnée, le surcoût qui en résultait étant répercuté sur le patient. Un investissement ponctuel des pouvoirs publics pourrait faire en sorte que seuls les frais d'utilisation devraient être facturés. De plus, cette formule contraindrait une série de personnes et d'institutions à travailler ensemble, par-delà les structures traditionnelles.
M. Vankrunkelsven estime que le financement de l'appareillage doit revêtir la forme d'un partenariat public-privé et que l'investissement ne doit pas être supporté uniquement par l'État.
III.2. Réponses de M. Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique
La technique d'hadronthérapie est une nouvelle technique de radiothérapie par protons et ions carbone particulièrement puissante qui permet de mieux cibler et détruire les tissus cancéreux sélectivement en épargnant au maximum les tissus sains avoisinants. Elle permet également de traiter des tumeurs difficilement accessibles ou résistantes aux rayonnements conventionnels.
C'est tout particulièrement les ions carbone qui présentent un intérêt car ils possèdent une puissance environ 3 fois plus grande que les rayonnements classiques.
Si quelques indications, en particulier chez les patients pédiatriques, ont déjà été bien précisées, cette nouvelle technique de radiothérapie relève encore du domaine de la recherche clinique pour bon nombre de pathologies oncologiques et sa supériorité par rapport à la radiothérapie standard n'a pas encore été demontrée.
Plusieurs pays voisins, dont l'Allemagne (à Heidelberg), l'Italie (à Pavie), la France (qui a décidé l'an passé de choisir Lyon comme site d'implantation), l'Autriche et peut-être les Pays-Bas (où les sites de Maastricht ou Rotterdam sont évoqués), ont décidé d'installer un centre d'hadronthérapie sur leur territoire afin de prendre en charge les patients pour lesquels l'indication s'est avérée efficace mais aussi afin de développer des programmes de recherche ambitieux.
La création d'un centre d'hadronthérapie est particulièrement onéreuse puisqu'il faut compter un investissement de l'ordre de 100 à 150 millions d'euros pour la construction de l'infrastructure et l'équipement mais aussi de 10 à 15 millions d'euros/an de frais de fonctionnement.
La Belgique se doit certainement de prendre le train en marche et d'évaluer, à son échelle, l'intérêt de la création de ce type d'infrastructure sur son territoire tant dans un objectif de santé publique que dans un objectif de promotion de la recherche clinique mais aussi scientifique (radiobiologie).
Il convient toutefois de le faire en étroite concertation et collaboration avec les pays voisins afin de ne pas multiplier inutilement les centres de ce type en Europe.
Il est important également de pouvoir déterminer quels sont les patients — tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants — pour lesquels le bénéfice de ces nouveaux traitements est prouvé afin de mettre éventuellement en place des conventions particulières avec les différents centres qui sont déjà construits dans les pays voisins ou qui sont sur le point de l'être.
L'analyse qui sera faite par le centre d'expertise devrait permettre de mieux préciser les coûts à rembourser aux patients.
Soucieux d'analyser l'ensemble de cet ambitieux projet, le ministre a sollicité le Centre d'expertise afin qu'il définisse précisément les besoins et les coûts de cette nouvelle thérapeutique pour la Belgique et qu'il évalue l'intérêt de la création d'un tel centre dans notre pays. L'analyse qui sera faite par le Centre d'expertise devrait permettre de mieux préciser les coûts à rembourser aux patients pour lesquels l'indication est reconnue.
III.3. Répliques des membres
Mme De Schamphelaere se demande si l'étude que le Centre fédéral d'expertise des soins de santé est en train de conduire a été demandée par le gouvernement parce que le thème est d'actualité et qu'il veut pouvoir donner une réponse aux questions qui lui sont posées à propos de l'hadronthérapie, ou parce que le gouvernement souhaite prendre ses responsabilités politiques et réaliser un investissement pouvant apporter une solution concrète à de nombreux patients.
L'intervenante veut que le gouvernement prenne l'engagement que, sur la base de l'étude qui aura été réalisée, il fera tout ce qui est nécessaire pour que l'hadronthérapie puisse également être mise en œuvre dans notre pays. Elle veut aussi que le gouvernement entame une concertation avec l'INAMI pour arriver à un régime de remboursement plus objectivable, afin que le patient ne doive pas dépendre du degré de ténacité du médecin traitant.
M. Vankrunkelsven aimerait savoir s'il est exact que le budget dégagé par le gouvernement pour financer l'étude de faisabilité est assez restreint. Pour l'instant, une seule personne est chargée de cette étude. On peut se demander si celle-ci ne constituera pas une base trop étriquée pour prendre la décision de procéder ou non à un investissement important.
Le ministre conteste que l'étude de faisabilité ne soit réalisée actuellement que par une seule personne. Au contraire, une équipe de scientifiques y prête actuellement son concours. Les résultats déjà atteints sont intéressants et sont déjà suivis avec attention à l'étranger.
Mme Annane renvoie à l'article de presse (de février 2006) intitulé « Pôle national d'hadronthérapie par faisceaux d'ions légers » du « Projet étoile » de l'université de Lyon (France), dans lequel il est notamment dit:
« La Belgique prépare un projet qui serait appuyé notamment sur l'industriel belge spécialiste des cyclotrons, IBA, avec un recrutement de patients organisé vers les Pays-Bas et l'Europe du Nord. »
Ne fait-on référence ici qu'à l'étude du Centre fédéral d'expertise des soins de santé ?
Le ministre répond qu'il n'a pas connaissance d'une aide financière provenant de l'industrie. En revanche, il est vrai que des études sont réalisées à l'étranger concernant la faisabilité de l'hadronthérapie et qu'il existe des contacts étroits avec les centres de radiothérapie des différents hôpitaux universitaires.
Mme Annane souhaiterait davantage d'éclaircissements à ce sujet. Il est capital de joindre tous les efforts consentis en matière d'hadronthérapie.
Mme De Schamphelaere déclare que cet exemple démontre combien il est important que le gouvernement centralise et guide les efforts en matière d'hadronthérapie. La Fondation contre le cancer prend elle aussi des initiatives utiles, mais tout doit être coordonné.
Mme Van de Casteele fait remarquer qu'une entreprise comme IBA jouit d'une réputation mondiale en matière de rayonnements et qu'il est donc normal qu'elle noue des contacts. Le rôle des pouvoirs publics est d'en tirer le meilleur parti et d'orienter les efforts dans la bonne direction.
L'intervenante trouve positif que le gouvernement ait déjà fait un pas dans la bonne direction en commandant une étude au Centre fédéral d'expertise des soins de santé, mais la proposition de résolution veut aller encore plus loin. Le Sénat demande donc au gouvernement d'intensifier ses efforts, et son intention n'est absolument pas de mettre un terme aux initiatives qui ont déjà été prises ou de les critiquer.
M. Vankrunkelsven souscrit à cette remarque. Le Centre d'expertise peut fournir quantité d'informations sur la place de l'hadronthérapie dans le traitement global des cancers. Parallèlement à cela, la proposition de résolution demande que l'on étudie sérieusement aussi la construction d'un centre d'hadronthérapie. Le Centre d'expertise n'est sans doute pas l'institution la mieux placée pour étudier cette question. Il faudra qu'un groupe multidisciplinaire se penche sur celle-ci et qu'il examine les possibilités de synergie avec des institutions étrangères. En conséquence, il est capital qu'un engagement soit pris par l'ensemble du gouvernement et pas uniquement par le ministre de la Santé publique. Il faut à présent agir pour pouvoir aller vite si l'on ne veut pas prendre du retard par rapport à l'étranger.
Le ministre réplique qu'il faut d'abord faire une analyse des besoins. Le Centre d'expertise s'y emploie.
Comme le préopinant, Mme Geerts considère qu'il n'est pas souhaitable d'attendre que cette analyse des besoins soit terminée pour examiner la faisabilité de construire un centre d'hadronthérapie. Toutes les pistes possibles, y compris des synergies avec l'étranger, doivent être explorées et il apparaît de plus nécessaire de ne pas tergiverser plus avant.
Le ministre rappelle qu'à l'étranger aussi, la principale difficulté est de déterminer le nombre de patients pouvant bénéficier d'un traitement par hadronthérapie. Il faudrait d'abord savoir pour combien de personnes cette thérapie est la seule possible, avant d'examiner s'il est nécessaire et faisable de se lancer dans la construction d'un centre.
Mme Geerts et M. Vankrunkelsven ne le contestent pas mais voient dans la résolution un appui supplémentaire aux initiatives déjà prises par le gouvernement. Selon eux, aucune des dispositions de celle-ci ne risque de les déforcer.
IV. VOTES
L'ensemble de la proposition de résolution a été adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.
La rapporteuse, | La présidente, |
Christel GEERTS. | Annemie VAN de CASTEELE. |
Affaires sociales
Mercredi 3 mai 2006
Audition:
— de M. Paul Jacquet de Haveskercke, directeur général de la Fondation contre le Cancer;
— de Mme Germaine Heeren, Société Belge des Physiciens d'Hôpital;
— du prof. Yolande Lievens, chef de clinique adjoint Oncologie, UZ Gasthuisberg;
— de M. Wilfried Deneve, Universiteit Gent.
M. Paul Jacquet de Haveskercke. — Je me limiterai à un résumé de l'état de la situation et à l'évolution du projet d'hadronthérapie depuis 2004.
Au printemps 2004, les oncologues belges nous ont avertis que la capacité de traitement par hadronthérapie était insuffisante en Europe comme ailleurs dans le monde. Ils ont en même temps observé une augmentation du coût du traitement aux États-Unis en raison de l'approche commerciale de ce traitement. Les radiothérapeutes ont attiré notre attention sur l'importance d'un tel projet et sur son ampleur internationale. En Belgique, nous disposons d'une capacité suffisante en matière de radiothérapie. À la Fondation, nous sommes arrivés à la conclusion que nous pouvions jouer un rôle spécifique en la matière.
À l'automne 2004, nous avons organisé une réunion avec les chefs des départements de radiothérapie des différentes universités belges et constitué un groupe de travail. Nous sommes allés visiter ensemble le centre de traitement de GSI Darmstadt de Heidelberg, une spinn-off du centre de recherche de Darmstadt. Nous avons pu y observer un certain nombre de patients traités par hadronthérapie. Il s'agit d'une centaine de patients par an.
Après cette visite, nous avons décidé d'élargir l'expertise et de ne pas la limiter aux radiothérapeutes. Peu après, les collègues du Centre belge d'étude de l'énergie nucléaire (CEN) se sont joints au groupe de travail. À l'automne 2004, nous avons rencontré les deux principaux fournisseurs, à savoir IBA et Siemens.
L'étape suivante de notre projet consistait à présenter le dossier à la Communauté européenne lors de différents symposiums dont le premier, organisé au mois de mars à Bruxelles, visait à rassembler des scientifiques européens et internationaux afin de faire le point sur la matière, les traitements et les connaissances générales.
En nous basant sur cette réunion scientifique à laquelle ont participé quelque 150 personnes, notre groupe de travail a avancé l'idée d'une collaboration européenne. Nous avons alors lancé le concept d'un consortium européen d'hadronthérapie, sur le modèle du consortium Airbus. Nous l'avons proposé fin juin en Italie. Si l'idée a d'abord été jugée ridicule ou trop risquée, il s'en est pourtant suivi une collaboration intense entre les différents projets européens.
Au mois de septembre, avec plusieurs membres de la Commission, nous avons rendu visite aux responsables du projet ETOILE à Lyon, projet dont le business plan est en phase de finalisation. À l'occasion de ces réunions de travail, nous avons fait le point sur l'ensemble des difficultés et des écueils à éviter lors de la mise en place d'un projet Hadron.
Enfin, au mois de novembre de l'année dernière, nous avons organisé une réunion de travail sur l'ensemble des projets européens afin de mesurer les possibilités de collaboration.
Au cours de l'été et de l'automne 2005, nous avons également noué des contacts politiques, notamment avec les ministres des Affaires sociales, des Finances et de l'Intérieur, l'Inami et les sénateurs CD&V.
La Fondation contre le cancer a pris un certain nombre d'engagements en la matière.
Primo, la Fondation contribuera au financement du coût du voyage des enfants, accompagnés de leur famille et d'un radiothérapeute belge, vers le centre de traitement de Villigen en Suisse.
Secundo, la Fondation prendra en main la coordination du projet.
Tertio, notre conseil d'administration a décidé de financer le management du projet pour un an. Nous avons sélectionné un manager de projet sur la base d'un benchmarking des profils des différents responsables des projets européens.
Enfin, le conseil d'administration a décidé ce matin de créer une fondation privée pour dynamiser ce projet.
Mme Germaine Heeren. — Nous situons ce projet dans une perspective européenne pour montrer, d'une part, que la Belgique n'est vraiment pas un précurseur en matière d'hadronthérapie et, d'autre part, que nous ne voulons pas promouvoir une thérapie exotique. Pour éviter de nous retrouver en queue de peloton et pour obtenir le statut de centre de référence de premier ordre dans le domaine médical, nous devons nous dépêcher.
En 2001, cinq centres se sont réunis pour tenter de coordonner leur initiative visant à la création d'un centre clinique d'hadronthérapie, et aussi pour accélérer la recherche. Comme l'a déjà dit M. Jacquet de Haveskerke, l'hadronthérapie est une application secondaire de la recherche fondamentale en radiophysique. La plupart de ces initiatives découlent de la recherche fondamentale car les scientifiques ont compris l'énorme potentiel qu'offraient ces nouveaux rayons pour la médecine. Le premier centre est celui d'Heidelberg, issu du centre de recherche GSI, de Darmstadt. C'est à Heidelberg que les premiers patients européens ont été traités par l'hadronthérapie. Ce centre avait lui-même été largement informé par le Japon, où deux centres fonctionnaient déjà depuis plusieurs années. Med-Austron, à Vienne, est le deuxième centre, qui existe depuis presque dix ans déjà et qui, aujourd'hui, devient opérationnel. Le centre Étoile, à Lyon, est le troisième. Les autres sont le CNAO, à Pavie et le Nordic Light, à Stockholm.
Ces centres ont, ensemble, soumis un projet à la Commission européenne. J'étais la coordinatrice de ce projet, qui a bénéficié du soutien de la Commission européenne, laquelle le considérait comme innovateur en matière de radiothérapie et de traitement du cancer.
Les choses ont progressé à partir de ce moment-là car la science et l'industrie ont rapidement compris que ce nouveau traitement renfermait un potentiel énorme. Différentes sociétés — coréennes et japonaises, mais aussi européennes, comme Siemens et IBA, une société belge — ont commencé à s'intéresser à cette thérapie.
Quatre ans plus tard, en 2007, les premiers patients seront accueillis dans deux centres: les procédures d'adjudication sont actuellement en cours à Vienne et à Lyon.
Avec une offre aussi restreinte, il sera pratiquement impossible pour les hôpitaux belges de faire traiter un patient, car les centres en question pourront à peine traiter les patients locaux.
Entre-temps, le développement d'un ou de plusieurs projet(s) a commencé dans pratiquement tous les États membres de l'Union européenne. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, un projet a déjà été adjugé et un deuxième projet le sera bientôt, à l'une des deux villes pressenties.
En Belgique, la thérapie en est encore à ses premiers balbutiements.
Des projets sont développés en Espagne, en Tchéquie, en Pologne et dans quasiment tous les pays européens industrialisés.
Le traitement par protons, qui est plus ancien, est déjà beaucoup mieux connu. Actuellement, une vingtaine de projets sont à l'étude ou en cours de réalisation. L'Italie, par exemple, a décidé de créer trois centres: un pour l'ionthérapie et deux pour la protonthérapie. En France, deux centres de protonthérapie et un centre d'ionthérapie sont également prévus, l'objectif étant d'étudier de plus près les différentes options pour l'avenir.
En Autriche et en France, des études épidémiologiques approfondies ont été réalisées afin de vérifier l'incidence des types de cancers pour lesquels, en dehors d'un traitement par ionthérapie, les chances de guérison sont très faibles. La conclusion fut que 12 à 15 % de l'ensemble des patients soignés par radiothérapie ont besoin d'une ionthérapie. Même dans un pays doté de plusieurs centres, il faudra procéder à une sélection rigoureuse afin d'accorder la priorité aux patients dont c'est la seule chance.
M. Jacquet de Haverskercke a déclaré que la Fondation contre le cancer veut aider des patients belges. À l'INAMI, les dossiers de patients traités par ionthérapie sont peu nombreux vu la capacité encore extrêmement réduite.
Le professeur Deneve a tenté à plusieurs reprises de faire traiter des enfants ailleurs et cela s'est avéré très difficile. Il arrive qu'exceptionnellement un hôpital y parvienne, mais comme le traitement d'un enfant atteint d'un cancer ne peut être indéfiniment différé, l'issue est souvent fatale.
Lorsque les patients belges auront pris conscience qu'il existe un traitement qui leur offre clairement une chance de survivre, ils revendiqueront ce traitement. Certaines études citent la Belgique comme le leader mondial dans le domaine de la médecine. Aussi, je pense que les politiques n'admettront pas que les patients belges soient considérés comme des citoyens de seconde zone.
Mme Yolande Lievens. — Je vais aborder le coût de la radiothérapie et en particulier de l'hadronthérapie.
Tout d'abord, je voudrais situer le coût de la radiothérapie par rapport au total des dépenses de santé. Le cancer touche environ une personne sur deux. Un quart de la population meurt du cancer. Néanmoins, 5 % seulement du budget total des soins de santé sont affectés au traitement du cancer, ce qui est quand même assez limité malgré les technologies et les médicaments de pointe. Alors que 35 à 65 % de tous les patients cancéreux sont traités par radiothérapie, 5 % seulement du budget total réservé au cancer sont consacrés à ce traitement. La situation est la même dans les pays qui nous entourent où l'infrastructure est optimale. En Suède par exemple, où un technology assessment a été réalisé voici quelques années, on est arrivé à 5,6 %.
Parmi les principaux éléments constitutifs du coût de la radiothérapie, il faut citer d'abord l'équipement, puisque nous travaillons dans un environnement de haute technicité. La quote-part de l'appareillage ne représente cependant que 20 à 30 % du coût total de la radiothérapie. Celle-ci requiert en effet aussi un important investissement en personnel. Dans notre pays et dans les pays voisins, les frais de personnel représentent entre 50 et 65 % du coût total du traitement. Le coût moyen d'un traitement conventionnel par radiothérapie est de l'ordre de 3 500 à 4 000 euros par traitement, ce qui est nettement moins cher que les autres traitements oncologiques. Il y a 15 ans, on a calculé que dans l'Union européenne, la radiothérapie coûtait en moyenne 3 000 euros par traitement, la chirurgie 7 000 euros et la chimiothérapie 17 000 euros.
Les rayons conventionnels demeurent assurément la norme pour la plupart des patients. Cependant, même dans le contexte de la radiothérapie conventionnelle, le coût des traitements complexes augmente progressivement parce que là aussi, la technologie évolue. Pour certains patients, la radiothérapie conventionnelle la plus optimale est cependant sous-optimale, ce qui nous mène à l'hadronthérapie.
Comme le professeur Deneve l'expliquera, l'hadronthérapie est un traitement plus sophistiqué, donc plus complexe et plus coûteux. L'appareillage est nettement plus cher que celui de la radiothérapie conventionnelle. Les bâtiments sont également plus coûteux en raison de consignes de sécurité plus strictes. Le contrôle de qualité et les frais de maintenance sont aussi un important facteur de coût. Les frais de personnel peuvent également être plus élevés parce qu'il faut davantage d'équivalents temps plein par traitement et qu'une partie du personnel doit avoir un niveau de qualification plus élevé.
Selon nos estimations propres et celles des pays voisins, le coût moyen d'une hadronthérapie se situerait entre 20 000 et 25 000 euros par patient.
Les traitements par protons étant moins complexes et nécessitant des appareillages moins coûteux, leur coût est proportionnellement moins élevé que celui des traitements conventionnels. Nous devons tenir compte d'un rapport de coût de 2,4. Pour les traitements par noyaux de carbone ou ions carbone, ce rapport peut augmenter jusqu'à un facteur 10. Une optimalisation de certains traitements par ions carbone peut cependant réduire ce facteur à 2,2.
Les coûts se rapportent aux investissements en équipement et en infrastructure en Belgique: environ 100 millions, dont 70 % pour l'appareillage et 30 % pour l'infrastructure. Parmi les coûts de fonctionnement et de maintenance, les frais de personnel constituent le poste le plus important. Selon nos estimations, un centre qui traiterait environ 1 000 patients par an aurait besoin de 70 à 100 équivalents temps plein dans les différentes disciplines, ce qui représente un coût de 20 000 à 25 000 euros par patient. Par traitement, 40 % sont destinés à l'amortissement de l'appareillage et de l'infrastructure immobilière, 30 % aux frais de personnel et 25 % aux frais d'entretien.
Les coûts de ce projet comprennent 100 millions d'euros de frais d'investissements et 20 000 à 25 000 euros à rembourser par patient, à condition naturellement que les frais d'investissements n'y soient pas inclus.
Ce traitement n'est en tout cas pas plus cher que d'autres traitements admis. Les coûts d'un traitement adjuvant au Temodal, un nouvel agent chimiothérapeutique qui est remboursé depuis un an ou deux et qui est utilisé chez des adultes pour le traitement de tumeurs au cerveau de grade élevé et très agressives, postérieurement à la radiothérapie et à la chirurgie, sont d'environ 20 000 euros. Le coût d'une transplantation de moelle osseuse, un traitement fréquent pour les patients leucémiques, s'élève à 26 590 euros, uniquement pour la transplantation et l'hospitalisation qui en découle, sans compter la radiothérapie et la chimiothérapie préalables. L'INAMI rembourse en moyenne 17 116 euros pour une chirurgie valvulaire cardiaque.
Il ressort du peu de littérature scientifique disponible que l'hadronthérapie n'est pas réellement coûteuse à long terme. L'irradiation des médulloblastomes chez des enfants entraînerait à terme une économie pouvant atteindre jusqu'à 25 000 euros. Le risque de développer des tumeurs secondaires est important chez les patients qui bénéficient d'une traitement conventionnel. Le risque d'effets secondaires des irradiations est également plus élevé. Si ces coûts sont pris en compte, l'hadronthérapie est source d'économies.
Ce ne sera pas le cas pour des traitements par ions carbone. Des estimations montrent que le ratio coûts/efficacité, en comparaison avec la thérapie conventionnelle, est acceptable, à condition que les patients soient judicieusement sélectionnés.
Voici donc mes conclusions.
— Les coûts de la radiothérapie sont limités par rapport à ceux d'autres traitements oncologiques et à ceux des maladies de civilisation, en général.
— La plus grande complexité de l'hadronthérapie entraîne des coûts plus élevés.
— L'hadronthérapie sera toujours plus coûteuse que la radiothérapie conventionnelle parce que les frais d'investissements pour l'appareillage et l'infrastructure sont plus élevés, tout comme les frais de personnel et de maintenance.
— À terme, le ratio des coûts entre l'hadronthérapie et la radiothérapie conventionnelle se réduira. En effet, le coût de la radiothérapie conventionnelle ne cesse d'augmenter tandis que l'hadronthérapie sera optimalisée, ce qui permettra de réduire les frais.
— Certains pays européens se sont déjà engagés à rembourser l'hadronthérapie.
— Les coûts de l'hadronthérapie correspondent à ceux d'autres traitements sophistiqués.
Permettez-moi de terminer par une prise de position controversée. L'hadronthérapie est dès à présent disponible dans certains pays voisins et elle sera proposée par un nombre croissant de centres. Les patients qui savent qu'ils entrent en ligne de compte pour un traitement plus optimal seront demandeurs de l'hadronthérapie. Comme l'INAMI devra rembourser le traitement, les coûts en seront supportés par la société. Ces moyens iront donc à l'étranger, au détriment des traitements dans notre pays. Investir en Belgique est probablement l'option la meilleure et la plus économique.
M. Wilfried Deneve. — Je suis radiothérapeute oncologue, rattaché à l'Hôpital universitaire de Gand. Je vais tenter de vous donner un aperçu de l'hadronthérapie, que je tiens cependant à situer dans le cadre de la radiothérapie conventionnelle.
En Belgique, la radiothérapie est assurée par 24 centres de radiothérapie qui traitent annuellement 30 000 patients. La radiothérapie est utilisée chez un patient cancéreux sur trois en tant que traitement ou partie du traitement primaire et chez un patient cancéreux sur deux au cours de l'évolution de la maladie. Ces dernières années, la demande de ce type de thérapie a augmenté d'environ 3 % par an.
Deux types de radiothérapies sont disponibles dans notre pays. D'une part, la radiothérapie externe, qui est utilisée dans quasiment 95 % des applications radiothérapeutiques. La source des rayons y est extérieure au patient et la machine produit un faisceau de rayons qui est orienté vers le patient. D'autre part, la radiothérapie interne, qui est utilisée dans environ 5 % des applications. La source des rayons est alors située dans le corps du patient. L'hadronthérapie est une thérapie externe, mais avec un faisceau de type différent.
En Belgique, les services de radiothérapie utilisent des faisceaux de photons et d'électrons. Lors de la génération de ces faisceaux, une machine de radiothérapie extrait les électrons du noyau de l'atome pour les accélérer via un accélérateur linéaire dont le tube d'accélération a une longueur d'environ un mètre. Soit on continue à traiter les électrons et on les utilise directement pour une thérapie qui consiste à irradier avec un faisceau d'électrons, soit on oriente les électrons vers une cible afin qu'ils soient freinés, générant ainsi un rayonnement de freinage ou rayonnement de photons. Il s'agit d'un rayonnement électromagnétique, comme la lumière, mais avec une énergie beaucoup plus élevée par élément d'irradiation. En procédant ainsi, on irradie avec des faisceaux de photons.
Dans 95 % des applications, nous utilisons les faisceaux de photons et dans seulement 5 % des applications, les faisceaux d'électrons. Ces derniers ne peuvent être utilisés que pour des tumeurs superficielles pour lesquelles la délimitation du champ d'irradiation peut être moins précise. Pour une thérapie plus précise, nous utilisons les faisceaux de photons. Pour l'hadronthérapie, le faisceau de photons constitue la référence.
Dans l'hadronthérapie, les faisceaux d'irradiation sont composés de noyaux atomiques ou de particules de ceux-ci.
Dans cette thérapie, le noyau de l'atome est extrait et accéléré. Par unité de chargement, le poids d'un noyau d'atome, même pour l'atome le plus simple, l'atome d'hydrogène, est environ 2 000 fois supérieur à celui d'un électron. L'accélération d'un noyau est donc beaucoup plus difficile à réaliser que celle d'un électron. Cette accélération se produit dans un cyclotron ou un synchrotron, un appareil très volumineux.
Nous pouvons utiliser ces faisceaux de noyaux atomiques pour une irradiation directe ou projeter les noyaux atomiques accélérés sur une cible afin de provoquer une réaction nucléaire et ensuite une irradiation avec des particules de noyaux atomiques, des faisceaux de neutrons ou de mésons pi.
Comme cela a été dit, l'hadronthérapie repose donc sur l'irradiation au moyen de faisceaux de noyaux atomiques.
Le faisceau de photons traverse la tumeur. La plus forte dose est déposée en amont de la tumeur, la dose est plus faible dans la tumeur même, et une partie de la dose est aussi déposée en aval de la tumeur. L'irradiation ne s'arrête donc pas dans le tissu situé derrière la tumeur. Elle diminue avec la profondeur dans le tissu. L'effet biologique reste le même. Lors de l'irradiation avec un faisceau de noyaux atomiques, ce dernier s'arrête à une profondeur déterminée dans la tumeur. Nous pouvons régler cette profondeur en variant la quantité d'énergie fournie lors de l'accélération dans le cyclotron ou le synchrotron. Il est également curieux que la dose déposée ne diminue pas avec la distance mais qu'elle augmente même. La dose déposée est la plus importante à l'endroit où nous arrêtons le rayon. Dans la tumeur, le rayon dépose une dose énorme; en amont de la tumeur, la dose est très faible. C'est un deuxième avantage important. L'effet biologique augmente aussi avec la profondeur. Avec le faisceau de noyaux atomiques, nous pouvons donc provoquer un effet biologique très puissant dans la tumeur.
En résumé, nous pouvons dire que les faisceaux d'hadrons ont un certain nombre d'avantages par rapport aux faisceaux de rayons conventionnels. Les principaux sont la diminution des effets secondaires de l'irradiation puisqu'une plus faible dose est déposée dans les tissus sains; un volume moindre de tissus sains irradiés; une efficacité biologique plus élevée, que nous pouvons nous-mêmes fixer par le choix des noyaux atomiques. L'efficacité biologique d'un noyau atomique de faible poids, d'un atome d'hydrogène par exemple, est environ égale à celle du faisceau de photons conventionnel. L'efficacité biologique d'un noyau atomique plus lourd, d'un noyau de carbone par exemple, est considérablement plus élevée que lors de l'irradiation par photons. De cette manière, nous pouvons détruire plus efficacement des tumeurs résistantes.
En fonction des connaissances actuelles — et elles sont loin d'être complètes —, nous avons besoin, dans un centre d'hadronthérapie, de deux types de faisceaux d'hadrons: un à effet biologique doux et un à un effet biologique fort. Le prototype de faisceau à effet biologique doux est le faisceau de protons, donc le noyau de l'atome d'hydrogène. Nous l'utilisons pour traiter des tumeurs en pédiatrie afin de réduire les troubles de croissance et de développement chez les enfants ainsi que l'induction de cancers secondaires. Le prototype de faisceau à effet biologique fort est en ce moment le faisceau d'ions carbone. Il est surtout utilisé pour augmenter les chances de guérison des patients adultes présentant des tumeurs radiorésistantes.
La question se pose peut-être de savoir pourquoi on utilise encore des faisceaux de photons et d'électrons si les faisceaux d'hadrons présentent tant d'avantages. La réponse se situe au niveau du coût. L'hadronthérapie exige une installation d'une ampleur gigantesque. Par exemple, l'aimant de déflection en forme de banane de l'institut d'hadronthérapie de Pavie pèse 80 tonnes alors qu'un accélérateur linéaire pèse seulement huit tonnes. L'aimant de déflexion n'est d'ailleurs qu'un petit élément de l'ensemble.
Le synchrotron, la machine nécessaire à l'accélération des ions carbone ou hydrogène, doit être construite dans un sarcophage de protection contre l'irradiation. Cela exige une prouesse architecturale. Dès lors, le coût d'un centre d'hadronthérapie est à l'avenant.
Contrairement à la radiothérapie conventionnelle, l'hadronthérapie permet une plus grande précision, une irradiation moindre des tissus sains et un effet biologique antitumeur plus élevé. En cas de tumeurs résistantes, le noyau atomique peut être choisi de manière à renforcer l'effet biologique antitumeur.
Il y a deux indications cliniques prometteuses de l'hadronthérapie. Je mentionnerai en premier lieu l'usage de noyaux d'hydrogène, ce qu'on appelle l'hadronthérapie « douce », laquelle est surtout utilisée chez les enfants. Chez ces derniers, les tumeurs ne sont en effet guère radiorésistantes. En l'occurrence, on essaie surtout d'éviter des troubles de croissance et de développement ainsi que les tumeurs secondaires à terme. Il y a ensuite le traitement par ions carbone, traitement indiqué en cas de tumeurs résistantes et principalement destiné aux patients adultes.
En conclusion, je puis dire que la production des faisceaux d'hadrons thérapeutiques constitue aujourd'hui encore une prouesse technologique. Elle exige un appareillage d'une ampleur gigantesque. Il y a une évolution, mais nous ne devons pas nous attendre à ce que cette ampleur et le coût se réduisent de manière spectaculaire au cours de la prochaine décennie.
M. De Croock. — Toute personne concernée par le projet est intimement persuadée qu'un centre d'hadronthérapie doit être créé en Belgique. Ce qui fait défaut actuellement c'est un businessplan de qualité. La confection de ce dernier constitue une opération au moins aussi compliquée que la technologie de la thérapie même. J'ai été directeur général de l'entreprise sidérurgique Sidmar pendant quatre ans et demi. Pour une telle entreprise, la confection d'un businessplan ne pose pas de gros problème parce que les nombreuses autres activités reposent également sur un tel plan. Ni le monde médical ni le monde scientifique ni même la Fondation n'ont toutefois les moyens de mener à bien un businessplan. Néanmoins, nous faisons le maximum pour y parvenir.
J'ai essayé de donner une vue d'ensemble des points forts et des points faibles de ce projet ainsi que des risques et des possibilités qu'il comporte. Je viens quelque peu vendre ce projet. Il n'est pas tellement question d'argent, mais de compréhension et de soutien.
Les éléments faibles du projet sont très étroitement liés à la phase dans laquelle il se trouve. Les forces centrifuges sont très grandes. Pour ce projet, nous devons encore procéder à des choix technologiques, définir une stratégie commerciale — qui peut aussi bien être passive qu'agressive — et élaborer une vision. Tous ces éléments sont encore en évolution, la modification de l'un d'entre eux modifie tout le reste et la totalité du businessplan est bouleversée.
Le monde médical et le monde scientifique en Europe et en Belgique ont souligné le potentiel énorme de ce développement technologique. À ce jour, ils s'occupent uniquement du projet mais, pour faire de ce dernier un succès, nous devons aussi y intégrer des éléments industriels, commerciaux et opérationnels.
Parmi les points forts du projet, je renvoie en premier lieu à la solide réputation de la radiothérapie belge en Europe et à nos excellents soins de santé. Ce projet doit les compléter et ne doit certainement pas leur faire concurrence.
Un autre point fort est de pouvoir transformer en avantage notre retard vis-à-vis des projets déjà bien avancés dans nos pays voisins. Nous disposons des dossiers de ces projets, des businessplans et des solutions technologiques. Nous pouvons donc progresser rapidement.
Les menaces sont claires. Nous devons veiller à ne pas rater le coche, sans quoi notre expertise en radiothérapie se réduira dans les cinq prochaines années.
Les perspectives sont nombreuses pour ce projet. J'en citerai quelques-unes qui, la plupart du temps, ne sont pas mentionnées. Il y a un énorme potentiel commercial. Peut-être les sénateurs sont-ils quelque peu réticents à cet égard, mais l'aspect commercial doit être développé pour alimenter ce projet. Nous devons aussi examiner si l'hadronthérapie peut devenir un produit d'exportation pour la Belgique. Cela peut paraître présomptueux mais j'y crois parce que notre pays est capable de maîtriser des problèmes très complexes.
Ce projet donnera peut-être une impulsion à IBA, un constructeur belge de cyclotrons, non seulement grâce au projet lui-même mais aussi aux développements potentiels prévisibles au niveau mondial.
Une autre perspective est l'emploi. Le centre d'hadronthérapie requiert déjà à lui seul de 80 à 100 travailleurs hautement qualifiés. Avec les emplois supplémentaires, cela représente un nombre non négligeable de postes de travail.
Divers facteurs seront déterminants pour la réussite du projet. Un premier facteur est la rapidité avec laquelle il peut être réalisé. Le financement doit être réglé à temps. La collaboration entre les universités doit être maintenue. Jusqu'à présent, les hôpitaux universitaires ont soutenu ensemble le projet. Une concurrence trop lourde entre les universités pourrait le faire échouer. Nous devons essayer d'être compétitifs en mettant à disposition un appareillage extrêmement fiable. Je viens de l'industrie sidérurgique où les investissements sont très importants et où la fiabilité de l'installation, en d'autres termes le nombre de tonnes d'acier que l'installation peut produire, doit être parfaite afin de pouvoir supporter les lourds coûts fixes. Dans ce projet, il est évidemment question du nombre de patients pouvant être traités. Nous devons aussi trouver une stratégie commerciale adaptée. Une culture d'entreprise axée sur le client en constitue un élément. Elle n'est pas encore présente aujourd'hui dans chaque hôpital universitaire.
Je vous expose maintenant quelques idées à prendre en considération lors de l'élaboration du projet.
Pour réduire les coûts et accroître sans cesse la productivité, il ne faut pas seulement disposer de bons instruments de travail mais aussi pouvoir décrire au préalable le fonctionnement idéal d'un tel centre. C'est en analysant les différences entre l'idéal et la réalité que l'on trouvera la force et les idées permettant de renforcer son dynamisme.
Le benchmark pour des prix compétitifs se situe entre 20 000 et 25 000 euros. Certains patients nantis sont même prêts à dépenser 200 000 euros par traitement. En attirant une partie de cette clientèle, nous pourrons continuer à investir suffisamment dans le projet. Je ne prétends pas que le projet évolue dans ce sens mais nous serons forcés de réfléchir à son exploitation commerciale.
Si nous mettons en place une structure commerciale passive ou active, celle-ci ne doit pas perturber la bonne interaction entre le monde médical et le monde scientifique. Nous devons maintenir le système de santé remarquable que possède notre pays.
La préparation du businessmodel comporte de nombreuses étapes. Je préfère parler de businessmodel plutôt que de businessplan. On a en effet tendance à chiffrer trop rapidement un businessplan alors qu'il faut d'abord prendre des options fondamentales précises. Dans la phase centrifuge actuelle, il faut encore définir un ensemble de principes fondamentaux stables.
Dans une première esquisse du businessplan, nous devons tenter de déterminer les drivers de coût. Nous devons faire des choix technologiques et estimer les coûts des investissements. Dans le contexte complexe qui prévaut, il ne serait pas judicieux de sous-traiter le développement de l'infrastructure informatique.
Nous devons déterminer les besoins en personnel et la qualification que celui-ci devra avoir. Nous devons engager des négociations sur une éventuelle intervention de l'INAMI. Nous devons rechercher des revenus supplémentaires et en évaluer le volume espéré.
Nous devons également élaborer le montage financier du projet. Où trouver les moyens et sous quelle forme ? Recherchons-nous seulement des subventions pour la phase de lancement du projet ? Nous n'avons pas encore toutes les réponses.
La localisation du centre d'hadronthérapie est, en Belgique, une décision importante susceptible de faire échouer le projet. Nous devons le plus rapidement possible commencer à analyser rationnellement tous les arguments avancés pour ou contre certaines localisations. Nous devons ensuite présenter la proposition la plus rationnelle possible.
Si nous terminons le businessplan au début de l'année prochaine et le plan de financement dans le courant de l'année prochaine, nous pourrons traiter les premiers patients en 2010. Il s'agit d'un objectif ambitieux qu'il importe d'atteindre dans les délais. Nous devons tenir compte de la concurrence en Europe. Quand nous aurons acquis cette économie de la connaissance en 2010, nous serons en mesure de nous défendre brillamment dans ce domaine.
M. Patrik Vankrunkelsven. — Nous avons vu de quelle manière les faisceaux de noyaux atomiques pénètrent dans la tumeur, s'y arrêtent et y agissent. En tant que médecin, je ne peux qu'en conclure qu'à terme, l'hadronthérapie sera la seule thérapie qui sera encore appliquée. Peut-on déjà définir un domaine d'indication précis, sachant que les traitements de qualité supérieure supplantent rapidement les traitements généralement moins coûteux ?
L'hadronthérapie peut-elle véritablement garantir un meilleur résultat ? Ce traitement offre manifestement des avantages chez les enfants, surtout en ce qui concerne les effets secondaires. Existe-t-il des études démontrant que cette thérapie garantit des chances de survie nettement meilleures pour certaines tumeurs ?
Lorsqu'il a parlé des atouts de la Belgique, le dernier orateur n'a pas cité le savoir-faire présent au Centre d'étude de l'énergie nucléaire (CEN) de Mol et à la Belgonucleaire. Je pense que le projet relatif à l'hadronthérapie s'inscrit parfaitement dans le projet Mira, un projet essentiellement médical de génération d'isotopes, lancé voici quelques années pour trouver une alternative au CEN. Nous devrions mettre tout en œuvre pour exploiter à nouveau ce savoir-faire qui risque de disparaître, à la suite notamment de la fermeture de la Belgonucleaire, et pour donner une nouvelle impulsion à Mol et à Dessel.
Mme Jacinta De Roeck. — Existe-t-il déjà des études précisant le nombre de patients pour qui, en Belgique, l'hadronthérapie apporterait une véritable plus-value ? A-t-on déjà fait une distinction claire entre la thérapie douce et la thérapie forte ? La thérapie douce est-elle toujours destinée aux enfants et la thérapie forte aux adultes ou bien le choix de la thérapie dépend-il aussi de la résistance de la tumeur ?
Les faisceaux de noyaux atomiques sont-ils toujours plus efficaces que les faisceaux de photons ou d'électrons ? Sont-ils plus efficaces pour les tumeurs superficielles et moins appropriés pour les tumeurs plus profondes ? La thérapie est-elle applicable dans le tissu cérébral, par exemple ?
Mme Christel Geerts. — J'aimerais moi aussi obtenir de plus amples informations sur le résultat scientifique.
Ma région déploie de gros efforts pour obtenir un centre de radiothérapie. Sommes-nous en retard d'une guerre ? La radiothérapie classique sera-t-elle dépassée dans dix ans ?
Mme Mia De Schamphelaere. — La désignation d'un manager traduit la volonté de réussir de la Fondation contre le cancer.
Si la Fondation s'adresse aux pouvoirs publics, il importe qu'elle démontre l'intérêt de son projet pour la société. Chez les patients atteints d'un cancer grave, il s'agit des chances de guérison. La nouvelle thérapie accroîtrait de manière spectaculaire les chances de guérison. Voilà un argument capital pour les autorités politiques et la société dans son ensemble. Les patients belges ne doivent pas avoir des chances de guérison inférieures à celles des autres citoyens européens. Les autorités publiques ne peuvent courir ce risque.
Voici six mois, il existait encore une perspective de collaboration européenne mais, aujourd'hui, les pays voisins ont lancé d'autres projets. Envisage-t-on encore une collaboration européenne lors de l'élaboration du businessplan ? Une étude préalable montre qu'un seul centre est suffisant pour traiter le nombre de cas de cancer prévu dans une population de dix millions d'habitants. Il me paraît préférable d'unir les forces.
La Fondation se concentrera-t-elle surtout sur une coopération belge ?
Les pouvoirs publics ont-ils déjà fait des concessions concrètes pour soutenir financièrement la thérapie ? Quelles demandes concrètes la Fondation soumettra-t-elle aux pouvoirs publics ? L'INAMI ne peut-il d'ores et déjà développer un système de remboursement, y compris pour les patients qui, actuellement, se font soigner à l'étranger ? La commission du Sénat peut-elle apporter son aide à la Fondation ?
M. Michel Huybrechts. — Je suis membre du Centre fédéral d'expertise des soins de santé. L'hadronthérapie remplacera-t-elle la radiothérapie dans le traitement des tumeurs ou viendra-t-elle en complément ? Pourra-t-elle être appliquée à des patients qui, jusqu'à présent, ne peuvent être traités, par exemple lorsque la tumeur est trop profonde ?
Mme Annemie Van de Casteele. — Pour quels patients l'hadronthérapie offre-t-elle une possibilité de guérison qui n'existe pas encore actuellement ? Dans des conditions optimales, combien de patients peuvent-ils être traités pendant une année avec un seul cyclotron dans l'hypothèse d'une utilisation à 100 % ? Je déduis du managementplan que l'installation d'hadronthérapie doit être utilisée 360 jours par an et 24 heures sur 24. Est-ce réalisable ? L'organisation des soins de santé en Belgique ne permet pas encore de traiter les patients la nuit. Si c'est la seule possibilité, les patients y seront peut-être disposés.
Une seule installation permet-elle de satisfaire les besoins de traitement d'une population de dix millions d'habitants ? Le manager souhaite également attirer des patients étrangers qui auront les moyens de se payer cette thérapie. Toutefois, si un seul appareil ne permet de traiter que nos propres patients, cet aspect commercial disparaît. J'aimerais obtenir des précisions. En mai 2006, le Sénat examinera en séance plénière une résolution sur la mobilité des patients qui considère que nous devrions aussi pouvoir « vendre » à l'étranger notre expertise et nos centres d'excellence. Le professeur Deneve a réussi à envoyer quelques patients à l'étranger. Il existe peut-être des listes d'attente. Combien de patients sont-ils concernés et quel règlement financier a-t-on trouvé ? La Fondation apporte une aide financière et l'INAMI couvre également une partie des coûts. Qu'en est-il précisément ?
La Fondation a déjà eu des contacts avec le ministre Demotte à ce sujet. Dans quel sens ces contacts sont-ils allés ?
M. Wilfried Deneve. — Depuis 2003, je n'ai plus pu adresser le moindre patient. Avant 2003, j'ai envoyé des patients à Boston et à Villigen, en Suisse. Le problème, dans le cas de Villigen, est que l'installation est utilisée à la fois pour des expériences de physique et pour les applications médicales, ce qui signifie que celles-ci ne peuvent avoir lieu que quatre à six mois par an.
Le dernier patient que j'ai envoyé à Villigen n'a pu obtenir de place; ce qui s'est passé alors me semble caractéristique. Le patient était inscrit à Villigen, mais à la suite de certaines difficultés techniques, le traitement n'a pas pu y être poursuivi parce que l'irradiation devait être interrompue au milieu du traitement. Le patient et ses parents en ont été informés et nous avons alors envoyé le patient à Boston, où le paiement préalable du coût total du traitement à savoir 90 000 dollars, a été demandé. L'enfant devait encore être soumis à des examens et à une intervention préliminaires, ce qui porta le coût total à 190 000 dollars. Cette famille fut heureusement en mesure de verser cette avance. Plus tard, nous avons fait le nécessaire pour obtenir un remboursement. En mars 2005, la somme avait pratiquement été intégralement remboursée par le biais du Fonds de solidarité de l'INAMI.
Pour les patients que j'ai envoyés antérieurement à Boston, le prix du traitement variait entre 30 000 et 50 000 dollars. L'importance du montant précité m'a donc fort surpris. Cette évolution s'explique par le potentiel commercial d'un centre comme celui de Boston. La demande est bien supérieure à la capacité. Aux États-Unis, cela se traduit par une hausse des prix.
Depuis lors, n'étant pas en mesure de savoir si la famille du patient était suffisamment aisée pour avancer la totalité du coût, je n'ai plus tenté d'envoyer un patients aux États-Unis. Cette année, j'ai encore essayé d'envoyer un patient à Villigen mais je suis à nouveau arrivé trop tard. Finalement, nous avons traité le patient nous-mêmes.
Il existe un espoir d'amélioration concernant Villigen. Pour le moment, l'installation est à l'arrêt de façon à ce qu'elle puisse fonctionner à 100 %, lorsqu'il y aura une seconde salle de traitement et un accélérateur séparé, uniquement à usage médical.
Avec l'aide de la Fondation, nous avons pu conclure un contrat avec Villigen pour les patients pédiatriques: nous pouvons donc y envoyer un petit nombre de patients présentant l'indication la plus difficile. Il s'agit des patients les plus petits, à qui l'hadronthérapie offre les plus grands avantages et qui sont traités sous anesthésie. Pour une partie des enfants, nous aurons donc une solution à la fin de cette année.
Pour les adultes, il n'existe en Europe qu'un seul centre appliquant la thérapie qui utilise les ions carbone. Il s'agit de GSI Darmstadt, un centre qui travaille au moyen d'indications cliniques. La capacité étant limitée, l'étude sera centrée sur quelques types de tumeurs. Un patient qui remplit les conditions pour être admis à Darmstadt sera traité de la même manière que les patients allemands. Les patients belges sont remboursés par l'INAMI sur la base du formulaire E 111.
Il est toutefois impossible de définir des indications sur la base des possibilités que peuvent offrir les faisceaux d'ions carbone. C'est raisonner à l'envers.
Une indication déterminée est soumise à une série de créneaux. Un patient peut être proposé en vue d'un traitement pour l'indication en question dans ce centre. Il en va de même pour les faisceaux de protons. Le sénateur Vankrunkelsven a posé une question sur le domaine d'indication. Nous savons qu'il existe une indication pour certaines tumeurs, par exemple pour le carcinome adénoïde kystique. Les résultats de ce traitement pour ces carcinomes sont nettement meilleurs que ceux du traitement conventionnel pour un niveau de preuve 3 (traitement d'une série de patients au sein d'une seul institut) et il est donc peu probable que cela s'explique uniquement par la sélection des patients.
Il n'est pas possible de définir un domaine d'indication sur la base de certains niveaux de preuve. La capacité est actuellement limitée. Nous devrons opérer une sélection draconienne sur la base du degré de l'avantage potentiel.
Il est impossible de définir un domaine d'indication comme on le fait pour l'herceptine ou pour d'autres médications basées sur un niveau de preuve 1 (essais randomisés). Il est impossible de procéder à de tels essais car la capacité est trop limitée. Une centaine de patients peuvent être traités en Allemagne et il existe deux autres centres au Japon qui ne participent pas à des essais randomisés. Il est donc très difficile de définir un domaine d'indication.
Toutes les indications montrent que l'utilisation de faisceaux d'ions carbone ou de protons offre plus d'avantages que la thérapie classique ou les faisceaux de photons. Il n'y a pas la moindre contre-indication. L'avantage clinique, difficile à évaluer avec précision, est peut-être minime et les coûts ne sont pas nécessairement justifiés. Pour d'autres tumeurs telles que les carcinomes adénoïdes kystiques, les avantages sont clairement démontrés en ce qui concerne le degré de survie. De nombreuses études devront encore être réalisées.
Le SCK-CEN est associé au projet. Il nous a assistés dans l'étude sur la dureté biologique des faisceaux. Les faisceaux sont très complexes. Les plus intéressants sont à la fois durs et doux: ils sont doux sur le plan biologique dans le trajet initial et deviennent très durs dans la tumeur. Le faisceau d'ions carbone est un bon exemple, mais le faisceau de noyau d'oxygène ou le faisceau de noyau d'azote donne peut-être encore de meilleures indications. Le SCK-CEN nous aide à développer des tests spécifiques. À cet effet, il dispose d'un faisceau et peut également effectuer des tests dans le GSI de Darmstadt.
M. Paul Jacquet de Haveskercke. — Le SCK-CEN sera également membre fondateur de la fondation privée.
Mme Germaine Heeren. — Il fournira également une assistance technique lors de la construction.
M. Wilfried Deneve. — Sur la base des cinq projets pilotes existants, nous pouvons tirer quelques conclusions sur la capacité d'un centre d'hadronthérapie. Un accélérateur, synchrotron ou cyclotron, permet de desservir au maximum quatre salles de traitement. Sur une journée, on peut procéder à des irradiations durant dix à quatorze heures. Cela signifie que, sur une base annuelle, mille à quinze cents patients peuvent être traités, à savoir 3 à 5 % du nombre total d'indications de radiothérapie dans notre pays. Ce chiffre est donc bien inférieur au groupe potentiel des patients dont nous sommes pratiquement certains qu'ils bénéficieront d'un avantage clinique. Les indications sont régies par la capacité d'un centre, étant donné que nous sommes partis de l'hypothèse selon laquelle un seul centre était financièrement réalisable pour la Belgique. Une sélection très sévère doit dès lors être effectuée.
Dans la situation actuelle, il s'agit de remplacer la thérapie existante. Avec une capacité beaucoup plus élevée, de nouveaux types de thérapie pourraient être envisagés, mais nous n'en sommes pas encore là.
Mme Germaine Heeren. — La fin du projet Enlight n'a pas marqué l'arrêt de la collaboration européenne car nous sommes conscients que de nombreuses améliorations peuvent y être apportées, notamment concernant l'équipement et la collaboration entre cliniciens.
Il a dernièrement été convenu au CERN, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire, qui est à l'origine de l'hadronthérapie, que tous les cliniciens collaboreront au développement de protocoles afin de pouvoir démontrer rapidement l'efficacité du traitement au moyen de preuves sérieuses. Si chaque clinicien travaille dans son coin et si les patients ne sont pas traités de manière comparable, il sera difficile d'obtenir suffisamment de preuves solides. On peut certes obtenir des indices de preuves sur une base biologique et physique mais des preuves cliniques sont nécessaires.
Dès qu'une possibilité se présentera dans le septième programme-cadre de la Commission européenne, un projet sera déposé en vue de l'obtention d'une aide européenne pour la coordination de l'étude.
M. Paul Jacquet de Haveskercke. — Il existe déjà un accord de coopération entre le projet néerlandais de Maastricht et le projet belge.
Mme Germaine Heeren. — Maastricht est un projet néerlandais qui est déjà bien avancé.
M. Wilfried Deneve. — Dans la phase initiale du projet, nous nous sommes livrés à un exercice académique pour tenter de définir des indications cliniques pour un millier de patients en tirant parti de l'expérience des autres centres.
En Belgique, il s'agit au maximum d'une centaine d'enfants et de tumeurs bien spécifiques nécessitant une irradiation de l'ensemble du tissu cérébral. Les faisceaux de protons permettent une irradiation plus douce.
Pour les faisceaux d'ions carbone, nous avons surtout observé les tumeurs résistantes à la radiothérapie chez les adultes. Compte tenu de la capacité, nous avons d'emblée exclu de nombreuses tumeurs. Nous n'avons donc pas tenté de procéder à une sous-sélection en ce qui concerne par exemple le carcinome du sein, celui de la prostate et les tumeurs pulmonaires, dans la mesure où nous ne disposons de toute façon pas de la capacité de les traiter par hadronthérapie. Nous sommes concentrés sur certaines tumeurs rares, comme les sarcomes du thorax et de l'abdomen et les tumeurs du col de l'utérus, ce qui nous donne déjà 500 patients.
Il existe en outre quelques indications très dures en cas de tumeurs à la tête et au cou. Nous devons là aussi opérer une sélection draconienne pour ne pas dépasser le nombre de 1 000 places par an.
Autrement dit, tant que la Belgique ne comptera qu'un seul centre, nous aurons des problèmes de capacité.
Mme Germaine Heeren. — Les Pays-Bas envisagent, par exemple, de créer trois centres. Le businessplan du centre de Maastricht est déjà prêt. Jusqu'à présent, la plupart des initiatives couronnées de succès ont bénéficié d'une aide des pouvoirs locaux. Un modèle tend donc à s'imposer: le développement du projet est financé au niveau régional et le gouvernement national prend en charge la majeure partie des frais de construction.
M. Paul Jacquet de Haveskercke. — Des représentants de l'INAMI ont également participé à l'entrevue avec le ministre Demotte. Un remboursement ne s'avère pas impossible. Les traitements à l'étranger doivent de toute façon être remboursés. Dans l'hypothèse de 1 000 patients par an à hauteur de 25 000 euros, un remboursement doit être possible, selon l'INAMI, mais cela n'a pas été confirmé.
Nous réclamons en effet un cofinancement de la gestion du projet de manière à pouvoir élaborer un modèle de gestion pour la Belgique, et une confirmation du remboursement par l'INAMI de manière à pouvoir commencer un plan de financement.
M. De Croock. — Je voudrais réagir aux propos de Mme Van de Casteele sur ma vision commerciale du projet. Je ne veux pas me focaliser à outrance sur les chiffres, mais si nous ne traitons en Belgique que 1 000 patients alors que nous avons la capacité d'en traiter 1 500, il y a des mesures à prendre. Je sais que cette approche commerciale n'est pas sympathique mais elle peut être positive. Il ne faut pas opposer l'approche commerciale et l'approche sociale. Les deux peuvent se compléter. Nous devons créer cette ouverture suffisamment tôt pour pouvoir éventuellement jouer un rôle par la suite dans le contexte européen. Si l'on décide finalement de ne pas exploiter en partie le centre sur une base commerciale, je le comprendrai mais, à ce stade du projet, nous nous devons de poser la question.
Mme Van de Casteele. — Tout ce que nous avons appris jusqu'à présent, c'est que, de toute façon, des problèmes de capacité se poseront. Il faudra donc opérer une sélection des patients. C'est déjà assez difficile à assumer. Si nous menons une réflexion commerciale, nous risquons de sélectionner les patients en fonction de leurs capacités financières et non de leurs besoins médicaux. Cela ne serait pas admissible.
M. De Croock. — Je pense que nous pouvons imposer suffisamment de critères pour l'éviter. Il est toutefois nécessaire d'inciter très fortement les hôpitaux à réaliser de très bonnes prestations.
Nous devons mettre l'accent sur la rentabilité, l'efficacité et la logistique. Je suppose que de nombreux patients cancéreux ne feront aucune difficulté à se rendre la nuit dans un centre d'hadronthérapie.
Mme Yolande Lievens. — Si le coût d'investissement est tellement élevé, on ne peut accroître la rentabilité qu'en appliquant le traitement à un plus grand nombre de patients. De nombreux pays sont dans une situation semblable.
Il se peut qu'avec l'irradiation aux ions carbone, il ne soit plus nécessaire de faire subir trente irradiations aux patients, par exemple. Le nombre de fractions peut être limité pour certaines tumeurs. Cela peut aussi accroître la rentabilité.
Mme Germaine Heeren. — La voie idéale consiste en un ancrage dans le monde universitaire doublé d'une bonne étude de rentabilité. Une approche purement commerciale est exclue en Belgique. Diverses initiatives sont en cours à l'étranger. En Allemagne, où les centres d'hadronthérapie commerciaux prolifèrent, on raisonne différemment. En Belgique, la tradition veut que, dans les soins de santé, un accès égal soit garanti à tous les patients, quelles que soient leurs possibilités financières. Il ne faut toutefois pas exclure les possibilités qui assureraient la faisabilité financière du projet.