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25 AOÛT 2005
En vertu de l'article 23 de la Constitution, chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit comprend notamment le droit à un logement décent. Le constituant de 1993 a ainsi reconnu que le logement était un bien de première nécessité. Depuis lors, l'exercice effectif de ce droit a régressé, malgré les politiques publiques mises en œuvre pour faciliter l'accès à la propriété et proposer un logement à loyer modéré aux personnes les plus pauvres. La cause de cette détérioration est à trouver dans la hausse des prix du logement, à l'achat comme à la location.
Une partie importante de la population de notre pays est aujourd'hui sévèrement affectée par une grave crise du logement. Alors que le revenu moyen des Belges baisse, les prix du logement augmentent, ce qui crée des difficultés sociales pour de nombreux Belges, particulièrement les locataires, en moyenne moins aisés que les propriétaires. Plus de la moitié des ménages locataires ont un revenu mensuel net total inférieur à 1 000 euros et seul un sur deux tire ses revenus d'une activité professionnelle.
1. Un écart croissant entre revenus et loyers
Les loyers ont fortement augmenté au début des années 1990, puis à nouveau depuis 1998, au point de devenir largement inabordables. L'Observatoire des loyers, qui vient d'être rétabli en Région bruxelloise (région particulièrement affectée par le phénomène), confirme ces constats dans son enquête 2004. La comparaison entre cette enquête et celle de 1998 réalisée par le même organisme permet de tirer des renseignements utiles et douloureux. Entre 1998 et 2004, les loyers courants ont augmenté à Bruxelles de plus de 25 % et les loyers demandés à l'entrée dans le logement ont augmenté de plus de 40 % alors que l'indice santé (indice à partir duquel sont calculées les indexations de loyer prévues par la loi) n'a crû que de 10 %. Selon l'observatoire, on constate une nette détérioration du pouvoir de location des ménages. La précarité se marque également dans le taux de rotation.
En ce qui concerne la Wallonie, c'est à la fois le déficit de l'offre de logements abordables et l'accroissement de la précarité qui empêchent une partie de la population d'accéder à un logement.
La dernière enquête sur le budget des ménages réalisée par l'Institut national de statistiques, en 2000, montrait déjà que la part du budget des ménages consacrée au logement atteignait 64 % pour le 1er décile de revenus (1) . Et il fallait monter jusqu'au 8e décile pour la voir passer sous le seuil raisonnable des 25 % ! Ceci entraîne des conséquences sociales dramatiques.
2. Des réponses inadaptées ou insuffisantes des pouvoirs publics
Dès lors, nos concitoyens dont les revenus sont les plus faibles sont contraints de se tourner vers le logement public ou subventionné, qui est loin de pouvoir satisfaire cette trop large demande.
Actuellement, la loi fiscale ne privilégie pas la fixation de loyers raisonnables. Dans le système actuel de fiscalité forfaitaire (impôt calculé à partir du revenu cadastral majoré de 40 %), il est moins profitable de fixer un loyer bas. Pour encourager la fixation de loyers raisonnables, il convient d'arriver à une imposition des loyers réels nets (c'est-à-dire déduction faite de l'investissement). À défaut, une modification de la base imposable du précompte immobilier pourrait être décidée en ce sens au niveau régional.
Par ailleurs, le panier de la ménagère qui détermine l'indexation des revenus n'est constitué qu'à hauteur de 5 % par le prix du logement. De 1991 à 1998, l'indice des loyers en Belgique augmente de plus de 26 % alors que l'indice des prix à la consommation n'augmente que de 14,5 %. Il y a lieu de réévaluer ce taux de 5 %.
3. Une offre insuffisante
Le secteur du logement est très largement régi par la loi de l'offre et de la demande.
Or, il apparaît clairement que l'offre locative est insuffisante, de telle sorte que les mécanismes du marché ne fonctionnent pas. Lors de la discussion du projet de loi sur les baux en 1997, le ministre de la Justice reconnaissait que le principe de liberté en matière de détermination des loyers n'était justifiable que dans la mesure où il existe une offre suffisamment grande sur le marché, ce qui n'est certainement pas le cas pour le segment le plus faible de ce marché. Ainsi, 25 000 ménages bruxellois et 40 000 ménages wallons sont en attente d'un logement social. Actuellement, il existe 38 000 logements à Bruxelles et 100 000 en Wallonie qui sont occupés ou en cours de rénovation.
La situation n'est guère meilleure en Flandre qui compte 17,9 % de logements sociaux contre 55 % à Amsterdam, par exemple.
Les listes d'attente pour bénéficier d'un logement géré par une agence immobilière sociale ou par le Fonds du logement s'allongent. L'Observatoire des loyers a aussi mis en évidence que la précarité sur le marché locatif affecte de manière particulièrement aiguë les familles nombreuses, les jeunes couples avec enfants et les familles mono-parentales. La rareté du logement abordable est exploitée par certains propriétaires peu scrupuleux, dits « marchands de sommeil », qui fractionnent leur propriété pour la louer à de nombreuses personnes précarisées. Les loyers qu'ils pratiquent sont sans rapport avec la promiscuité et le manque de salubrité des biens mis à disposition.
La demande quant à elle est en constante progression depuis quelques années, notamment en raison de l'éclatement des ménages. Ainsi, on enregistre une hausse constante des isolés, principalement dans les villes, tandis que le nombre de familles monoparentales tend à se multiplier (+ 56 % au cours des 20 dernières années).
4. Des politiques publiques indispensables mais insuffisantes
Une offre plus importante de logements à prix abordable devrait contribuer à maintenir les loyers à une hauteur socialement acceptable, selon une récente étude du Département d'Économie appliquée de l'Université libre de Bruxelles (DULBEA). Toutefois, l'accroissement projeté de l'offre publique ou subsidiée de logement à prix abordable n'aura qu'un effet relatif sur les loyers privés.
Une autre réponse consiste à proposer une aide au loyer pour les personnes aux revenus les plus bas. La crainte existe, confirmée par une autre étude du DULBEA et par les exemples étrangers, qu'un système d'allocation-loyer pousse à la hausse l'ensemble des loyers.
Sans action sur les prix en vigueur sur le marché privé, les conséquences sociales continueront à être dramatiques.
5. Création d'un système régulant l'évolution des loyers
La mise en place d'un tel système poursuit deux objectifs: réguler l'évolution des loyers pour éviter les conséquences sociales de hausses supérieures à l'indexation et lier les hausses de loyer à des améliorations de qualité du logement loué. Pour atteindre ces objectifs, plusieurs mesures doivent être prises.
Ces mesures impliquent notamment la modification de la loi sur les baux car le terme des contrats de bail de résidence principale est trop souvent l'occasion d'une révision à la hausse des loyers, bien au-delà de l'inflation monétaire. La tentation existe donc de résilier prématurément ces baux. Dans l'état actuel de la législation (2) , le défaut d'enregistrement d'un tel bail facilite cette résiliation dans le chef du bailleur. Or, nonobstant son caractère obligatoire sous peine de sanctions (3) , cette formalité est trop régulièrement négligée. Il convient dès lors que l'autorité fédérale protège mieux ce talon d'Achille du bail en imputant la responsabilité de l'enregistrement au seul bailleur, en contrepartie d'un coût sensiblement réduit. L'enregistrement effectif des baux oraux (par production de preuves comme les quittances ou extraits de compte) et écrits, permettra de réguler l'évolution du loyer d'une location à l'autre.
Article 2
Cet article a pour but de limiter les révisions à la hausse des loyers lors de la conclusion de baux successifs. À défaut de circonstances nouvelles ou de travaux justifiant la hausse, le loyer ne pourra être augmenté que proportionnellement à l'augmentation du coût de la vie.
Article 3
Cette modification vise à améliorer la protection du locataire en cas d'aliénation par le propriétaire du bien loué, en supprimant les distinctions faites jusqu'ici entre bail à date certaine ou non, ou en fonction de la durée d'occupation.
Article 4
Un nouvel article est introduit afin de rendre effective l'obligation d'enregistrement des baux oraux et écrits. Cette modification renforce la protection du locataire lorsque celui-ci doit procéder lui-même à l'enregistrement.
Article 5
Cet article modifie le délai légal prévu pour l'enregistrement du bail, du sous-bail ou de la cession de bail. Initialement de quatre mois, il est réduit à deux mois et ce, dans un but de protection du locataire.
Article 6
Malgré son caractère obligatoire, sous peine de sanction, la formalité d'enregistrement du bail est souvent négligée. Cet article met donc à charge du bailleur seul l'obligation d'enregistrement du bail.
Isabelle DURANT Marcel CHERON. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 7, § 1erbis, alinéa 1er, du livre II, titre VIII, chapitre II, section II, du Code civil, inséré par la loi du 13 avril 1997, est remplacé par l'alinéa suivant:
« Si, à un bail conclu avec un premier preneur, succède un ou plusieurs autres baux conclus avec un preneur différent ou non, le loyer de base ne peut pas être supérieur au loyer exigible au début de ce bail, proportionnellement adapté au coût de la vie, sauf si la valeur locative normale du bien loué a augmenté de vingt pour cent au moins par le fait de circonstances nouvelles ou de dix pour cent au moins en raison de travaux effectués dans le bien loué. ».
Art. 3
L'article 9 de la même section, modifié par la loi du 13 avril 1997, est remplacé par la disposition suivante:
« Art. 9. — En cas d'aliénation du bien loué, le bail est opposable de plein droit à l'acquéreur à titre gratuit ou onéreux, lequel est subrogé aux droits et obligations du bailleur à la date de la passation de l'acte authentique, même si le bail réserve la faculté d'expulsion dans l'hypothèse d'une aliénation. ».
Art. 4
Un article 9bis, rédigé comme suit, est inséré dans la même section:
« Art. 9bis. — Si, dans le délai prescrit, le bailleur n'a pas satisfait à l'obligation de procéder à l'enregistrement du bail telle qu'instituée par l'article 35, alinéa 1er, 6ºbis, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, le preneur peut exécuter lui-même cette formalité, après mise en demeure du bailleur. Il est autorisé, dans ce cas, à déduire du montant du loyer les droits afférents à l'enregistrement. ».
Art. 5
À l'article 32, 5º, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, modifié par la loi du 25 juin 1973, les mots « quatre mois » sont remplacés par les mots « deux mois ».
Art. 6
À l'article 35 du même Code sont apportées les modifications suivantes:
A) à l'alinéa 1er, 6º, modifié par la loi du 22 décembre 1998, les mots « Article 19, 2º, 3º et 5º, » sont remplacés par les mots « Article 19, 2º et 5º, »;
B) un 6ºbis, libellé comme suit, est inséré dans le même alinéa:
« 6ºbis aux bailleurs, pour les actes sous seing privé visés à l'article 19, 3º; ».
Art. 7
La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.
19 juillet 2005.
Isabelle DURANT Marcel CHERON. |
(1) Chaque décile de revenus correspond à 10 % d'une population, classée dans l'ordre croissant des revenus.
(2) Loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer.
(3) Articles 19, 3o, et 41, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe.