3-1126/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

15 AVRIL 2005


Proposition de loi modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée, en vue de lutter contre l'organisation d'insolvabilité dans le cadre de cessions frauduleuses d'un ensemble de biens

(Déposée par M. Christian Brotcorne)


DÉVELOPPEMENTS


Afin d'entraver la fraude organisée dans certains secteurs, les articles 6 et 8 à 12 de l'arrêté royal du 12 décembre 1996 portant des mesures en matière de lutte contre la fraude fiscale et en vue d'une meilleure perception de l'impôt (1) avaient pour but de mettre en place un système complet destiné à faire échec à ces pratiques qui confinent à l'organisation d'insolvabilité.

Le but de ces dispositions était double: « d'une part d'empêcher qu'une personne physique ou morale ne transmette son fonds de commerce sans acquitter ses dettes fiscales exigibles et d'autre part entraver la fraude organisée par certains débiteurs d'impôts qui, aux abois, se hâtent de liquider leurs fonds dès lors qu'ils sont avertis que leur situation fiscale fait l'objet d'un contrôle » (2) .

Pour rencontrer ces objectifs, le système mis en œuvre s'articulait autour de deux axes. « Premièrement, pour permettre à l'administration des contributions directes d'être informée, et uniquement dans ce but, une obligation d'enregistrement des cessions d'universalité de biens et de branches d'activité est instaurée. Deuxièmement, l'article 6 de l'arrêté royal du 12 décembre 1996, insérant un article 442bis dans le Code des impôts sur les revenus 1992, met en place un mécanisme qui permet au receveur des contributions d'engager toutes les mesures nécessaires à garantir le recouvrement des impôts dus par le cédant. » (3) .

Face aux lacunes qui se sont révélées après deux années de pratique, l'article 50 de la loi du 22 décembre 1998 portant des dispositions fiscales et autres (4) a tenté de remédier à ces imperfections en révisant l'article 442bis du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92).

Dorénavant, les dispositions de l'article 442bis CIR 92 sont applicables à la cession en propriété ou en usufruit, d'un ensemble de biens, composé entre autres d'éléments qui permettent de retenir la clientèle, affectés à l'exercice d'une profession libérale, d'une charge ou d'un office, ou d'une exploitation industrielle, commerciale ou agricole ainsi qu'à la constitution d'un usufruit sur les mêmes biens.

Sont ainsi visées toutes les cessions, en propriété ou en usufruit entre vifs, à titre onéreux ou à titre gratuit, quelle qu'en soit la forme juridique (vente, donation, apport en société), à l'exception du partage ainsi que de la constitution d'un usufruit (5) .

À titre d'exemple, les opérations suivantes peuvent être considérées comme des éléments susceptibles de retenir la clientèle: l'enseigne, le droit au bail, les stocks de marchandises, les fichiers informatiques, les listings clients, les brevets, les marques, le pas-de-porte, ... (6) .

Par contre, la clientèle en tant qu'entité abstraite ainsi que les créances et les dettes ne sont pas indispensables à la production industrielle, commerciale ou agricole et au maintien de la clientèle et ne constituent que des accessoires d'exploitation (7) .

« Sauf simulation des parties, ne sont pas comprises dans le champ d'application de cette disposition:

— la transmission des actions et autres parts représentatives du capital social, même si celle-ci constitue une cession de participation de contrôle;

— la cession d'éléments isolés, insuffisants pour constituer une exploitation autonome.

La disposition est, néanmoins applicable lorsque les éléments d'un fonds d'exploitation sont cédés, en une seule et même opération, au moyen de contrats séparés. » (8) .

Afin d'entraver toute tentative de fraude, les cessions ne sont opposables à l'administration fiscale qu'à l'expiration du mois qui suit celui au cours duquel une copie de l'acte certifié conforme à l'original a été notifié au receveur des contributions directes du domicile ou du siège social du cédant.

La notification constitue ainsi le point de départ du délai. À défaut de notification, le délai précité n'a jamais commencé à courir (9) .

Dès l'expiration du mois qui suit la notification, le transfert de propriété des actifs au cessionnaire s'impose au receveur des contributions directes. A contrario, aussi longtemps que la notification n'est pas effectuée ou que le délai précité n'est pas expiré, le receveur peut requérir sur les biens cédés toute mesure de garantie ou d'exécution qu'il juge nécessaire à la conservation ou à l'exercice des droits du Trésor (10) .

« L'obligation de notification pèse à titre principal, sur le cessionnaire. C'est, en effet, ce dernier qui a intérêt à ce que la procédure soit respectée. Rien n'exclut, cependant, que la notification soit effectuée par le notaire instrumentant pour le compte des parties. Il peut, notamment, en être ainsi dans l'hypothèse où un immeuble fait partie des biens cédés. » (11) .

Soulignons que l'article 442bis, CIR 92, instaure également une responsabilité solidaire dans le chef du cessionnaire. Cette responsabilité est susceptible d'être engagée, pour les dettes fiscales dues par le cédant, à l'expiration du délai d'un mois qui suit celui au cours duquel la convention de cession a été notifiée au receveur des contributions directes du domicile ou du siège social du cédant.

Néanmoins, cette solidarité ne peut excéder le montant correspondant à la valeur nominale des parts sociales reçues en contrepartie de la cession en cas d'apport en société ou le montant correspondant au prix de la cession dans les autres hypothèses. Elle est, en outre, limitée à la partie de ces montants concédés par le cessionnaire avant l'expiration du délai d'un mois.

Notons également que l'établissement d'un certificat par le receveur des contributions directes dans les trente jours qui précèdent la notification de la convention permet d'échapper aux inconvénients et conséquences liées à l'opposabilité différée de l'acte de cession et à la responsabilité solidaire du cessionnaire.

Pour ce faire, il convient qu'au jour de la demande, aucune imposition, qui constitue une dette certaine et liquide, ne soit établie au nom du cédant et que ce dernier ne fasse l'objet d'aucune procédure de contrôle.

Malgré que ce dispositif ait démontré toute son utilité en matière d'impôts sur les revenus, il n'existe à ce jour aucune disposition semblable en matière de TVA.

Or, dans le cadre de la réforme des administrations fiscales dénommée « Coperfin », tant la structure que l'organisation et le fonctionnement seront déterminés non plus en fonction du type d'impôt à contrôler, mais bien en tenant du compte de la catégorie de contribuables qui y sont assujettis.

C'est ainsi qu'à terme, l'entité « Impôts & Recouvrement » du SPF Finances comprendra un pilier « Recettes fiscales », compétent aussi bien en matière d'impôts sur les revenus qu'en matière de TVA. L'objectif étant la mise en œuvre d'un dossier « unique » par contribuable, géré par un seul service.

Sans attendre la création d'un dossier « unique », des directives administratives imposent néanmoins au receveur des contributions d'informer son collègue de la TVA de tout projet de cession, afin que ce dernier examine s'il y a lieu de mettre en œuvre, à l'égard du cédant, des mesures de garantie ou de poursuites de nature à préserver les droits du Trésor, compte tenu de l'information reçue.

Par contre, lorsque le fonctionnaire chargé du recouvrement en matière de TVA est informé tardivement ou fortuitement de l'existence d'une cession et que le cédant reste débiteur en son bureau, ce dernier ne pourra plus appréhender les biens cédés compte tenu du transfert de propriété intervenu. De même, aucune poursuite ne pourra être engagée à l'encontre du cessionnaire.

Dans un souci de lutte contre l'organisation d'insolvabilité liée à la cession d'un ensemble de biens et de simplification administrative, il semble dès lors opportun que ce dispositif puisse être mis en œuvre par le fonctionnaire chargé du recouvrement tant en matière de TVA qu'en matière d'impôt sur les revenus.

La présente proposition vise à transposer l'article 442bis du CIR 92 au sein du Code TVA en vue, d'une part, d'empêcher qu'une personne physique ou morale ne transmette son fonds de commerce sans acquitter ses dettes fiscales exigibles et, d'autre part, d'entraver la fraude organisée par certains débiteurs d'impôts qui, aux abois, se hâtent de liquider leurs fonds dès lors qu'ils sont avertis que leur situation fiscale fait l'objet d'une attention particulière.

Christian BROTCORNE.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 93undecies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, inséré par la loi du 8 août 1980, et qui devient l'article 93undecies A, est complété par un article 93undecies B, rédigé comme suit:

« Art. 93undecies B. — § 1er. Sans préjudice de l'application des articles 93ter à 93decies, la cession, en propriété ou en usufruit, d'un ensemble de biens, composés entre autres d'éléments qui permettent de retenir la clientèle, affectés à l'exercice d'une profession libérale, charge ou office, ou d'une exploitation industrielle, commerciale ou agricole ainsi que la constitution d'un usufruit sur les mêmes biens, n'est opposable au fonctionnaire chargé du recouvrement qu'à l'expiration du mois qui suit celui au cours duquel une copie de l'acte translatif ou constitutif, certifiée conforme à l'original, a été notifiée au fonctionnaire chargé du recouvrement du domicile ou du siège social du cédant.

§ 2. Le cessionnaire est solidairement responsable du paiement des dettes fiscales dues par le cédant à l'expiration du délai visé au § 1er, à concurrence du montant déjà payé ou attribué par lui ou d'un montant correspondant à la valeur nominale des actions ou parts attribuées en contrepartie de la cession avant l'expiration dudit délai.

§ 3. Les §§ 1er et 2 ne sont pas applicables si le cédant joint à l'acte de cession un certificat établi exclusivement à cette fin par le fonctionnaire chargé du recouvrement visé au § 1er dans les trente jours qui précèdent la notification de la convention.

La délivrance de ce certificat est subordonnée à l'introduction par le cédant d'une demande en double exemplaire auprès du receveur chargé du recouvrement du domicile ou du siège social du cédant.

Le certificat sera refusé par le fonctionnaire chargé du recouvrement si, à la date de la demande, le cédant est redevable d'une dette certaine et liquide ou si la demande est introduite après l'annonce d'un contrôle ou au cours d'une mesure de contrôle ou après l'envoi d'une demande de renseignements relative à sa situation fiscale.

Le certificat est soit délivré, soit refusé dans un délai de trente jours à partir de l'introduction de la demande du cédant.

§ 4. Ne sont pas soumises aux dispositions du présent article les cessions réalisées par un curateur, un commissaire au sursis ou dans le cadre d'une opération de fusion, de scission, d'apport d'une universalité de biens ou d'une branche d'activité réalisée conformément aux dispositions du Code des sociétés.

§ 5. La demande et le certificat visés au présent article sont établis conformément aux modèles arrêtés par le ministre ayant les Finances dans ses attributions. ».

Christian BROTCORNE.

(1) Arrêté royal portant des mesures en matière de lutte contre la fraude fiscale et en vue d'une meilleure perception de l'impôt, en application des articles 2, § 1er, et 3, § 1er, 2° et 3°, de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne, Moniteur belge du 31 décembre 1996.

(2) Doc. Chambre, 1997-1998, 1608/6, p. 3.

(3) Doc. Chambre, ibidem, p. 3.

(4) Moniteur belge du 15 janvier 1999.

(5) Doc. Chambre, op. cit., p. 5.

(6) Ci.RH.81/488.797 du 28 avril 1999, p. 4.

(7) Doc. Chambre, op. cit., p. 5.

(8) Ci.RH.81/488.797 op. cit., p. 4.

(9) Ci.RH.81/488.797, ibidem, p. 5.

(10) Doc. Chambre, op. cit., p. 5.

(11) Doc. Chambre, ibidem, p. 5.