3-937/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

26 NOVEMBRE 2004


Proposition de loi modifiant la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateurs

(Déposée par Mme Annemie Van de Casteele et M. Stefaan Noreilde)


DÉVELOPPEMENTS


Si le travail temporaire est une forme de travail très ancienne, le travail intérimaire est un phénomène plus récent, surtout dans sa forme actuelle, dans laquelle une firme, l'entreprise de travail intérimaire, met des travailleurs à la disposition d'un tiers, l'utilisateur, avec transfert d'autorité, et dans laquelle l'entreprise de travail intérimaire reste l'employeur du travailleur.

En Belgique, les premières entreprises de travail intérimaire ont vu le jour dans les années cinquante. À l'époque, on recourait principalement au travail intérimaire pour les employés, en particulier en vue de pourvoir le plus rapidement possible au remplacement de travailleurs absents. Il n'existait pour ainsi dire aucune réglementation. La plupart des travailleurs intérimaires étaient, du reste, des indépendants.

Ce n'est qu'au début des années septante qu'un arrêté royal a assujetti les travailleurs intérimaires à la sécurité sociale. La loi du 28 juin 1976 a doté le secteur du travail intérimaire d'une première réglementation spécifique, provisoire. En 1981, à l'expiration de la durée de validité de la loi de 1976, la CCT nº 36 fut conclue au sein du Conseil national du travail, et ce, dans l'attente d'une réglementation définitive. Suivit alors, en 1987, la loi définitive du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateurs, qui fut complétée ultérieurement par diverses CCT visant à améliorer le statut social des travailleurs intérimaires.

Les premières CCT ont été conclues au sein de la commission paritaire pour le travail intérimaire (CP nº 322) en 1993. Les réglementations régionalisées en matière d'agrément des entreprises de travail intérimaire datent du début des années nonante. En 1994, l'utilisation du travail intérimaire a été considérablement assouplie par une CCT qui a allongé la durée maximale autorisée pour le travail intérimaire et simplifié la procédure d'autorisation. La loi-cadre du 26 juillet 1996 a également assoupli les conditions sous lesquelles le travail intérimaire est autorisé. Elle a notamment remplacé la notion de « surcroît extraordinaire de travail » par celle de « surcroît temporaire ». Cette même loi-cadre a également étendu la possibilité de recourir au travail intérimaire au cas où il y a lieu de remplacer un travailleur bénéficiant d'une d'interruption de carrière de courte durée.

En exécution de l'arrêté royal du 4 décembre 1997, le secteur du travail intérimaire a créé un service central de prévention « Prévention et intérim », en abrégé « P et I ». Depuis le 1er janvier 1999, le secteur du travail intérimaire a été retenu, au même titre que le secteur de la construction et celui du transport de personnes, dans le cadre du projet Dimona, le nom donné à la Déclaration immédiate de l'emploi. S'inscrivant dans le cadre de la simplification administrative, ce projet prévoit, pour le secteur du travail intérimaire, que tout emploi d'un travailleur intérimaire doit être déclaré au préalable par l'entreprise de travail intérimaire à l'Office national de sécurité sociale. Enfin, la loi-programme du 12 août 2000 permet de recourir à l'intérim d'insertion. Cette mesure a permis au secteur du travail intérimaire d'offrir un contrat de travail classique à temps plein et de durée indéterminée à des chômeurs de longue durée, à des bénéficiaires du minimum de moyens d'existence et à des allocataires sociaux.

La loi-programme du 12 août 2000 a constitué une avancée prudente dans le domaine des contrats de durée indéterminée dans le secteur de l'intérim. Il peut paraître paradoxal d'engager un travailleur intérimaire pour une durée indéterminée. Il faut néanmoins bien distinguer les missions qu'un travailleur intérimaire effectue chez un utilisateur déterminé, qui sont de nature temporaire, et l'engagement de ce travailleur auprès de son employeur juridique, à savoir l'agence d'intérim, qui peut être de longue durée.

À l'heure actuelle, le travail intérimaire est autorisé :

1º aux fins du remplacement d'un travailleur permanent, lorsque le contrat de travail de celui-ci :

— est suspendu;

— a pris fin avec préavis ou pour motif grave;

— a pris fin pour une autre raison;

2º en cas de surcroît temporaire de travail;

3º en cas de travail exceptionnel;

4º pour les artistes;

5º dans le cadre du système des titres-service.

Au fil du temps, les possibilités de recourir au travail intérimaire ont été élargies et, mutatis mutandis, le secteur de l'intérim a pu s'ériger en acteur à part entière sur le marché du travail. C'est surtout au cours des années nonante que le secteur de l'intérim a connu une évolution significative. Ce développement considérable a été possible grâce à plusieurs facteurs. Ces dernières années, les entreprises recourent davantage à diverses formes de flexibilisation externe en vue de réduire le plus possible leurs frais de personnel et de simplifier au maximum les procédures de licenciement. Le fait que le secteur de l'intérim soit chargé des démarches administratives et que les entreprises soient débarrassées des tracasseries liées à celles-ci est une bonne chose pour les entreprises. Le redressement du marché du travail joue également en faveur du secteur de l'intérim. Mais, simultanément, les entreprises intègrent davantage le travail intérimaire dans la procédure de sélection : des candidats potentiels sont d'abord engagés « à l'essai », par le biais du travail intérimaire, et à titre définitif, après une évaluation positive. De plus en plus d'étudiants recourent également au secteur de l'intérim pour s'assurer un revenu décent et pour bénéficier d'un contrat correct sur le plan du droit social.

On constate que, malgré les assouplissements évoqués ci-dessus, la législation belge reste assez restrictive, a fortiori si on la compare à celle des pays voisins. En conséquence, le potentiel de pénétration du travail intérimaire n'est pas exploité au maximum, loin s'en faut. Cette forme de travail représente 1,8 pour cent de l'emploi global, un taux sensiblement inférieur à ceux qui sont enregistrés chez ceux de nos voisins qui connaissent une réglementation plus libérale, tels les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

La présente proposition de loi vise à faire évoluer le travail intérimaire du statut d'un « service de dépannage » à celui d'un instrument à part entière du marché du travail. En effet, le secteur de l'intérim recherche un équilibre entre la flexibilité et la sécurité. C'est la raison pour laquelle il souhaite voir inscrire dans la législation la possibilité de conclure des contrats d'intérim de durée indéterminée à côté des contrats de durée déterminée qui existent déjà. En Allemagne, les agences d'intérim sont d'ailleurs obligées d'engager leurs intérimaires dans les liens d'un contrat de travail de durée indéterminée. Notre proposition de loi ne va pas aussi loin : elle ouvre simplement la possibilité de conclure ce type de contrat. Le système « classique » du travail intérimaire subsistera à côté du nouveau. Il ne peut d'ailleurs pas être question de porter atteinte aux garanties qui sont accordées aux intérimaires par la législation actuelle. Au contraire, l'objectif est de mettre au point un système satisfaisant à la fois l'utilisateur, les agences d'intérim et les travailleurs intérimaires.

La solution réside dans le concept de « flexi-sécurité », issu de l'anglais « flexicurity » qui résulte de la contraction des mots « flexibility » et « security ». Il s'agit en réalité d'une forme de détachement des intérimaires qui sont engagés par l'agence d'intérim dans les liens d'un contrat de travail de durée indéterminée et qui restent dès lors au service de celle-ci entre deux missions. C'est un compromis intéressant en ce sens qu'il permet de protéger les intérimaires contre les éventuels effets néfastes des exigences de flexibilité que les entreprises posent pour pouvoir répondre à des impératifs de productivité.

Tant les intérimaires que les agences d'intérim et les utilisateurs (les entreprises) ont besoin d'un tel système, qui repose de fait sur une fidélisation accrue des intérimaires et qui garantit à ceux-ci une sécurité contractuelle et donc une sécurité d'emploi. Mais le système fournit également aux agences d'intérim l'assurance qu'elles disposent en permanence d'un « pool » d'intérimaires. Les agences d'intérim sont souvent à la recherche de personnel en raison de la pénurie de main-d'Êôuvre qui affecte le marché du travail en ce qui concerne certaines professions. Si elles peuvent fidéliser ces travailleurs, elles seront également beaucoup plus disposées à investir dans des formations supplémentaires. En d'autres termes, elles pourront concilier la continuité de l'emploi avec une « employabilité » et une qualification accrues des intérimaires. Les utilisateurs auront dès lors la certitude de pouvoir disposer d'un personnel qualifié et spécialisé, grâce aux agences d'intérim.

Beaucoup d'entreprises souhaitent pouvoir disposer, de façon souple et rapide, de travailleurs qualifiés. Certains secteurs ont à faire face à certains moments à des périodes de pointe et à d'autres à des pénuries de personnel. On ne trouve pas non plus toujours en temps utile le personnel nécessaire pour pourvoir à des emplois peu qualifiés. Le secteur horeca est un exemple frappant à cet égard. En donnant aux agences d'intérim la possibilité de proposer des contrats de durée indéterminée à leurs intérimaires, on leur permettrait de mieux répondre à certains besoins du marché, par exemple en créant un pool de travailleurs intérimaires pouvant être facilement envoyés en renfort dans un secteur déterminé afin d'y accomplir des missions de courte ou même de très courte durée. Nous renvoyons également à cet égard au problème qui se pose dans le secteur horeca, où des exploitants de cafés et de restaurants ont régulièrement à faire face à des affluences soudaines en raison, par exemple, des conditions atmosphériques ou de l'arrivée de grands groupes de clients. Ce secteur, qui doit dès lors recourir souvent à une aide occasionnelle, cherche souvent celle-ci dans les circuits du travail au noir et au gris, et pour des raisons administratives, et pour des raisons fiscales.

Pour toutes ces raisons, les contrats de durée indéterminée dans le secteur de l'intérim peuvent contribuer à l'insertion des travailleurs peu qualifiés dans le circuit de travail régulier, à la lutte contre le travail au noir, au développement de la flexibilité au sein des entreprises, comme elles le demandent, et à la fidélisation des travailleurs intérimaires aux agences d'intérim.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

La proposition de loi prévoit la possibilité de faire en sorte que le contrat de travail intérimaire visé à l'article 7, 2°, de la loi du 24 juillet 1987, soit constitué d'un contrat de base et d'un avenant. Pour ce qui est de la législation en vigueur, les deux parties du contrat constituent un tout.

Le contrat de base est un contrat de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978, qui peut aussi être conclu pour une durée indéterminée. Il peut également prendre l'une des formes visées à l'article 2 de la loi : durée déterminée, travail nettement défini ou remplacement d'un travailleur permanent. Le contrat de base indique la région dans laquelle le travailleur désire être mis à la disposition d'un utilisateur ainsi que les fonctions qu'il souhaite exercer.

L'avenant, qui est établi au plus tard au moment de la mise à disposition, contient essentiellement les dispositions légales relatives au contrat de travail intérimaire. La fonction, la rémunération, le lieu de la mise à disposition, l'horaire, etc., y sont spécifiés.

Article 3

Le principe du paiement à l'intérimaire d'une rémunération conforme aux conditions en vigueur chez l'utilisateur, tel que le définit l'article 10 de la loi du 24 juillet 1987, est maintenu pour les périodes durant lesquelles l'intérimaire est mis à la disposition de cet utilisateur.

Lorsque le travailleur n'est pas mis à la disposition d'un utilisateur, le travailleur et l'entreprise de travail intérimaire doivent convenir d'une rémunération. On pourrait envisager en l'occurrence un système analogue à celui de la convention collective de travail conclue le 29 septembre 2000 dans le cadre de l'intérim d'insertion.

Annemie VAN de CASTEELE.
Stefaan NOREILDE.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 7, 2°, de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateurs est complété par un alinéa rédigé comme suit :

« Le contrat visé au premier alinéa peut comprendre un contrat de base et un avenant. Le contrat de base est soumis aux dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. L'avenant est établi au début de chaque période de mise à la disposition d'un utilisateur. L'avenant fait partie intégrante du contrat de base. Nonobstant toute disposition contraire de la présente loi, le contrat de base peut être conclu pour une durée indéterminée; »

Art. 3

À l'article 10, alinéa 1er, de la même loi, les mots « , durant la mise à la disposition d'un utilisateur, » sont insérés entre les mots « La rémunération de l'intérimaire ne peut être inférieure » et les mots « à celle à laquelle ».

Art. 4

La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

29 octobre 2004.

Annemie VAN de CASTEELE.
Stefaan NOREILDE.