3-663/1

3-663/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

30 AVRIL 2004


Proposition de loi modifiant les articles 648, 652, 654, 655 et 656 du Code judiciaire, en vue d'organiser un dessaisissement simplifié du juge qui pendant plus de six mois néglige de juger la cause qu'il a prise en délibéré

(Déposée par Mme Nathalie de T' Serclaes et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi vise à modifier le Code judiciaire en vue de simplifier et d'accélérer la procédure applicable lorsqu'un juge néglige pendant plus de six mois de juger la cause qu'il a prise en délibéré.

Cette hypothèse est, à l'heure actuelle, réglée dans le troisième chapitre, intitulé « Le dessaisissement », du titre IV du Code judiciaire relatif au règlement des conflits sur la compétence (articles 648 à 659). Diverses dérogations aux règles sur la compétence y ont été groupées. Ainsi en raison de la parenté ou l'alliance (article 648, 1º), de la suspicion légitime (article 648, 2º) ou de la sécurité publique (article 648, 3º), un juge compétent est dessaisi de l'affaire au profit d'un juge qui normalement n'eût pas dû en connaître (Rapport du Commissaire royal à la Réforme judiciaire, M. Ch. Van Reepinghen, Pasin., 1967 [suppl.], p. 405-406).

Cette possibilité de dessaisir le tribunal a été étendue au cas où un juge « néglige pendant plus de six mois de juger les affaires en état et en tour d'être jugées » (Rapport Van Reepinghen, op. cit., p. 406). Cette hypothèse, proche de la faute professionnelle sanctionnée disciplinairement, est bien différente des précédentes évoquées ci-dessus : ce n'est, en général, dans ce cas-ci, pas la juridiction qui est remise en cause dans sa globalité et ainsi censée ne pas pouvoir statuer, mais bien un juge individuel (ou une chambre du tribunal) qui tarde à rendre sa décision.

Malgré ces différences, le Code judiciaire organise la procédure de dessaisissement de façon quasiment identique dans les deux hypothèses. Différence importante : en cas de dessaisissement pour tardiveté du prononcé, la Cour de cassation, compétente pour ordonner le dessaisissement, peut ordonner le renvoi au même tribunal autrement composé, alors que pour le dessaisissement ordinaire il faut renvoyer à un autre tribunal ou une autre cour.

Cette procédure, telle qu'elle a été modifiée par la loi du 12 mars 1998 modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne la procédure en dessaisissement (Moniteur belge, 2 avril 1998), se déroule dans un cadre procédural relativement complexe et lent. Elle comporte deux phases. La première est consacrée à l'examen de la recevabilité de la requête en dessaisissement. Elle donne lieu à un premier arrêt. La seconde consiste en une procédure contradictoire avec convocation des parties donnant lieu à un arrêt sur la question du dessaisissement. En pratique, il faut raisonnablement compter six semaines au minimum pour respecter les phases que le législateur a imposées.

Si cette procédure contradictoire en deux phases peut intellectuellement se concevoir pour le dessaisissement ordinaire (parenté/alliance, suspicion légitime, sûreté publique), elle est par contre dépourvue de sens dans le cas spécifique où un juge tarde à rendre sa décision. On ne fait que retarder le remède à une situation problématique.

C'est pourquoi il nous est apparu opportun d'organiser un dessaisissement simplifié pour le cas où un juge néglige de juger la cause qu'il a prise en délibéré.

Par ailleurs, nous prévoyons d'offrir à chacune des parties la possibilité de saisir, elle aussi, la Cour de cassation dans cette hypothèse. En effet, à l'heure actuelle, seul le procureur général près la Cour d'appel peut introduire une telle demande. La pratique démontre que les procureurs généraux usent rarement de cette possibilité plaçant le justiciable devant un problème majeur lorsque le juge tarde à statuer.

On remarquera que dans le projet de Code judiciaire de 1963, seules les parties jouissaient de cette prérogative. Et le Commissaire royal de remarquer que « sous l'empire des lois en vigueur, lorsqu'un juge néglige de rendre jugement, les plaideurs n'ont d'autre ressource que de s'adresser aux autorités disciplinaires ou, solution extrême, de déposer plainte du chef de déni de justice. On a constaté que si la première solution pouvait parfois donner les résultats attendus, la seconde au contraire, par son caractère excessif, n'était pratiquement plus utilisée. Il faut néanmoins permettre aux parties de prendre des mesures efficaces à l'égard du magistrat qui par sa négligence mettrait leurs droits gravement en péril. La solution proposée, sans avoir la gravité des sanctions pénales prévues en matière de déni de justice, présente néanmoins un caractère suffisamment grave, en raison de l'intervention de la cour de cassation, pour constituer un sérieux avertissement. » (Rapport Van Reepinghen, op. cit., p. 406).

Le droit de demander le dessaisissement a, toutefois, été réservé au seul procureur général près la cour d'appel par le parlement de l'époque. Il s'agissait d'« éviter que la partie n'hésite à demander cette mesure par la crainte d'indisposer le juge qui en serait l'objet » (Rapport nº 170 du 9 mars 1965 fait au nom des Commissions de la justice et de l'emploi, du travail et de la prévoyance sociale par M. De Baeck, Pasin., 1967 [suppl.], p. 850). Ce souci serait bien entendu toujours rencontré en maintenant la saisine de la Cour à l'initiative du procureur général. L'ajout de la saisine à l'initiative des parties rencontrerait, quant à lui, celui, tout aussi légitime, d'une partie, n'éprouvant pas cette crainte, désireuse de voir son procès aboutir.

Il n'y a pas lieu de modifier le mode d'introduction de la demande de dessaisissement. Lorsque c'est une des parties qui l'introduit, elle est formée par requête motivée et signée par un avocat. Le régime de la requête contradictoire (articles 1034bis à 1034sexies) lui est applicable.

Il est utile de maintenir le caractère suspensif de la demande de dessaisissement. Afin d'échapper à cette sanction grave, le magistrat ainsi mis en cause risque, en effet, d'être tenté de rendre sa décision dans la précipitation, ce qui irait à l'encontre de l'objectif de bonne justice.

La requête sera notifiée par le greffe de la Cour au juge à dessaisir ainsi qu'aux parties non-requérantes. Dans la huitaine à compter de la notification, le juge et les parties déposeront leurs observations au greffe de la Cour. La Cour statuera immédiatement et définitivement sur pièces. La procédure ainsi simplifiée devrait, en principe, ne pas exiger plus de quinze jours.

Nathalie de T 'SERCLAES.
Staf NIMMEGEERS.
Philippe MAHOUX.
Hugo VANDENBERGHE.
Clotilde NYSSENS.

PROPOSITION DE LOI

Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 648, 4º, du Code judiciaire les mots « pendant plus de six mois » sont insérés entre les mots « lorsque le juge néglige » et les mots « de juger ».

Art. 3

L'article 652 du même Code est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 652. ­ Dans l'hypothèse visée à l'article 648, 4º, le procureur général près la cour d'appel ainsi que chacune des parties peuvent demander son dessaisissement. »

Art. 4

À l'article 654 du même Code, l'alinéa suivant est inséré entre les deuxième et troisième alinéas :

« Dans l'hypothèse visée à l'article 648, 4º, la requête est notifiée par le greffe au juge dont le dessaisissement est demandé ainsi qu'aux parties non-requérantes, dans les huit jours à compter du dépôt de la requête. »

Art. 5

L'article 655 du même Code, abrogé par la loi du 12 mars 1998, est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 655. ­ Dans l'hypothèse visée à l'article 648, 4º, les parties et le juge dont le dessaisissement est demandé déposent, dans la huitaine à compter de la notification, leurs observations au greffe de la Cour. La Cour statue immédiatement et définitivement sur le vu de la requête et des pièces justificatives. »

Art. 6

À l'article 656du même Code, remplacé par la loi du 12 mars 1998 et modifié par la loi 10 juin 2001, la phrase suivante est inséré avant l'alinéa 1er :

« Dans les hypothèses visées à l'article 648, 1º à 3º, la procédure suivante est applicable : »

Art. 7

La présente loi s'applique aux litiges pendants dès son entrée en vigueur.

Art. 8

La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

4 mars 2004.

Nathalie de T' SERCLAES.
Staf NIMMEGEERS.
Philippe MAHOUX.
Hugo VANDENBERGHE.
Clotilde NYSSENS.