3-305/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

6 NOVEMBRE 2003


Proposition de loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne la compétence en matière d'environnement

(Déposée par Mme Jacinta De Roeck)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi vise à permettre aux arrondissements judiciaires et aux cours d'appel de se consacrer davantage aux litiges qui trouvent leur origine dans l'une ou l'autre forme d'atteinte à l'environnement.

Si l'opinion publique prend de plus en plus clairement conscience de l'importance de la qualité de l'environnement, force est de constater que c'est beaucoup moins le cas en ce qui concerne les milieux judiciaires.

Il arrive souvent que des infractions environnementales constatées par des fonctionnaires compétents après dépôt d'une plainte ou grâce à une gestion vigilante soient classées sans suite par les parquets.

Les magistrats du parquet ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Le manque criant de personnel contraint les procureurs du Roi à traiter en priorité les cas de « criminalité sérieuse ». Il est évident que la politique à suivre en matière de poursuites est trop souvent déterminée par le taux de la peine applicable aux délits. De même, l'absence de structure adéquate rend impossible l'application d'une politique de poursuites appropriée en matière d'environnement.

Il y a lieu de noter en outre que le droit de l'environnement couvre une très grande diversité de règles, et que l'on a dès lors besoin d'un personnel fort qualifié. Une certaine spécialisation s'impose par conséquent.

La présente proposition n'a pas la prétention d'être exhaustive, ni d'apporter une solution définitive au problème de la gestion judiciaire des atteintes à l'environnement. Pour ce faire, il est indispensable de mettre en place une plus large politique de poursuites en matière d'environnement.

Notre proposition vise en revanche à ce que l'on prévoie les infrastructures nécessaires à la mise en place d'une gestion efficace et efficiente du contentieux environnemental.

C'est pourquoi elle prévoit la création de chambres de l'environnement au sein des tribunaux de première instance et des cours d'appel.

Parallèlement à cela, nous avons opté, par analogie avec ce qui a été fait pour ce qui est des poursuites en matière fiscale, pour une certaine spécialisation au sein des parquets par la création d'un « pool de magistrats » au niveau des ressorts des cours d'appel.

Cette spécialisation devra s'accompagner, au besoin, d'une extension de l'effectif du personnel.

Cette extension est justifiée par l'arriéré judiciaire et cadre donc parfaitement avec l'accord gouvernemental. Elle sera également nécessaire pour que l'on puisse faire face à l'afflux de nouvelles affaires qui résultera de l'instauration du droit d'action collective que les traités internationaux attribuent aux associations de défense de l'environnement.

Les chambres de l'environnement sont intégrées au tribunal de première instance en raison de l'objet même du droit de l'environnement. Il ne s'agit donc pas de tribunaux indépendants comme le tribunal du travail ou le tribunal de commerce.

En effet, contrairement au droit administratif ou au droit pénal, le droit de l'environnement ne constitue pas une branche spécifique du droit, mais il procède précisément des règles du droit administratif, du droit civil, du droit pénal et du droit des contrats qui visent à la protection de l'environnement ou qui peuvent servir cet objectif. Autrement dit, il constitue en quelque sorte la résultante d'une coupe transversale fonctionnelle dans la subdivision classique du droit.

Il ne serait dès lors pas logique de confier le traitement du contentieux environnemental à un tribunal siégeant parallèlement aux trois autres tribunaux au niveau de l'arrondissement judiciaire.

C'est pourquoi la proposition opte pour l'intégration au tribunal de première instance, au même niveau que la chambre correctionnelle et la chambre de la jeunesse. Le tribunal de première instance possède en effet les compétences les plus étendues en première instance et connaît de toutes les demandes qui ne relèvent pas de la compétence d'un autre tribunal.

Quelles seront les compétences qui sont confiées au tribunal de l'environnement ?

La proposition de loi prévoit quatre compétences :

1) celle qui concerne le traitement des litiges de nature civile qui résultent d'une infraction à diverses normes environnementales, sans préjudice de la compétence des juridictions pénales lorsque celles-ci sont saisies d'une action publique.

Il s'agit en l'espèce de toute la panoplie des lois environnementales qui s'inscrivent dans le cadre de l'aménagement du territoire, du droit de l'hygiène environnementale et du droit de la protection de l'environnement. Toutes ces lois prévoient également des dispositions pénales, de sorte que les litiges civils seront en principe traités devant les juridictions pénales par le biais de la constitution de partie civile. Toutefois, si les choses ne débouchent pas sur une procédure pénale ou si la procédure est arrêtée (classement sans suite par le ministère public, par exemple), l'action civile (réparation) est confiée au tribunal de l'environnement;

2) celle qui concerne le traitement du contentieux en matière d'expropriations pour cause d'utilité publique, d'indemnisation en vertu de la loi sur l'aménagement du territoire et l'urbanisme, de servitudes, de remembrement, d'application du Code forestier et du Code rural;

3) celle qui concerne l'installation d'agents assermentés qui sont étroitement associés, de par leurs fonctions, à la surveillance et à l'application de la législation en matière d'environnement;

4) et celle qui concerne la fonction de président du tribunal de l'environnement, lequel peut siéger en référé, ce qui est très important en matière environnementale.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Articles 2 et 3

Ces articles prévoient la création de chambres de l'environnement au sein des tribunaux de première instance et des cours d'appel.

Article 4

Par analogie avec les dispositions prévues pour les juridictions du travail, cet article offre au ministère public la possibilité de recueillir certains renseignements auprès des services publics qui exercent une mission de contrôle en application de diverses lois en matière d'environnement.

Articles 5 et 6

Ces articles prévoient une spécialisation en matière d'environnement au niveau des parquets et des parquets généraux. Ce sont ces substituts du procureur du Roi ou ces membres du parquet général qui s'occupent de l'action publique dans les affaires relatives à l'environnement.

En ce qui concerne les substituts, le mode d'organisation choisi est identique à celui prévu pour les substituts spécialisés en matière fiscale, qui implique la création d'une équipe reliée à l'arrondissement judiciaire dans lequel est établi le siège du ressort de la cour d'appel (Bruxelles, Gand, Anvers, Liège et Mons), mais pouvant agir dans tous les arrondissements judiciaires situés dans le ressort de la cour d'appel de l'arrondissement où lesdits substituts ont été nommés.

Cette formule permet de tirer profit de la plus-value du « pool ».

Articles 7 et 13

Ces articles énumèrent les compétences des tribunaux de l'environnement.

Article 9

Cet article attribue à l'un des présidents de chambre de l'environnement du tribunal de première instance la compétence de siéger en tant que président du tribunal de l'environnement en référé. Celui-ci reprend ainsi respectivement les compétences du président du tribunal de première instance et du juge de paix ayant à connaître de contestations en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme et, en cas d'extrême urgence, de contestations en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Article 11

En ce qui concerne les actions en responsabilité à la suite d'une forme d'atteinte à l'environnement résultant de troubles anormaux de voisinage, la proposition prévoit une tentative de conciliation obligatoire, par analogie avec ce que prévoit déjà l'article 734 du Code judiciaire pour les actions intentées devant les tribunaux du travail en application de l'article 578 du Code judiciaire.

Cette étape intermédiaire est prévue pour éviter que les tribunaux de l'environnement ne soient surchargés de litiges présentés formellement comme relatifs à des atteintes à l'environnement, mais résultant en fait de querelles entre voisins.

Article 12

Cet article contient les dispositions abrogatoires que requiert l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi.

Jacinta DE ROECK.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 76 du Code judiciaire, modifié par la loi du 28 mars 2000, sont apportées les modifications suivantes :

A. au premier alinéa, les mots « et une ou plusieurs chambres de la jeunesse » sont remplacés par les mots « , une ou plusieurs chambres de la jeunesse et une ou plusieurs chambres de l'environnement »;

B. au deuxième alinéa, le mot « trois » est remplacé par le mot « quatre »;

C. au deuxième alinéa, les mots « et tribunal de la jeunesse » sont remplacés par les mots « , tribunal de la jeunesse et tribunal de l'environnement ».

Art. 3

À l'article 101, alinéa premier, du même Code, modifié en dernier lieu par la loi du 22 décembre 1998, les mots « et des chambres de la jeunesse » sont remplacés par les mots « , des chambres de la jeunesse et des chambres de l'environnement ».

Art. 4

L'article 138 du même Code est complété par l'alinéa suivant :

« Dans toutes les contestations qui relèvent de la compétence des juridictions de l'environnement, le ministère public près les juridictions de l'environnement peut requérir du ministre ou des institutions ou services publics compétents les renseignements administratifs nécessaires. Il peut à cet effet requérir le concours des fonctionnaires chargés par l'autorité administrative compétente de contrôler l'application des dispositions légales et réglementaires prévues à l'article 572bis. »

Art. 5

L'article 144 du même Code, remplacé par la loi du 22 décembre 1998, est complété par ce qui suit :

« Un ou plusieurs substituts du procureur général sont spécialisés en matière d'environnement. »

Art. 6

À l'article 151, alinéa premier, du même Code, modifié en dernier lieu par la loi du 22 décembre 1998, les mots « Il est assisté par un ou plusieurs substituts spécialisés en matière d'environnement. » sont insérés entre les mots « conformément à l'article 326, alinéa 1er. » et les mots « Ils sont placés sous sa surveillance ».

Art. 7

Dans le même Code est ajouté un article 572bis rédigé comme suit :

« Art. 572bis. ­ Le tribunal de l'environnement connaît :

1º des demandes relatives à l'aménagement du territoire, à l'environnement, à la politique de l'eau, à la rénovation rurale et à la conservation de la nature, tels que visés à l'article 6, § 1er, I, II et III, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980;

2º des demandes relatives à la réparation de dommages résultant d'une infraction à la réglementation visée au 1º;

3º des demandes relatives aux expropriations pour cause d'utilité publique, sans préjudice de la compétence attribuée au président du tribunal de l'environnement en vertu de l'article 584, alinéa 2;

4º des demandes en déchéance de concession en matière de mines, minières et carrières;

5º des contestations ayant pour objet les servitudes, ainsi que les obligations que la loi impose aux propriétaires de fonds contigus;

6º des contestations en matière de remembrement de biens ruraux;

7º des demandes en matière de droit de fouille. »

Art. 8

Dans le même Code est inséré un article 572ter rédigé comme suit :

« Art. 572ter. ­ Le tribunal de l'environnement reçoit le serment des fonctionnaires et agents désignés à l'effet de constater les infractions aux lois et aux règlements sur l'environnement. »

Art. 9

À l'article 584 du même Code est inséré, entre le premier et le deuxième alinéas, un alinéa rédigé comme suit :

« En ce qui concerne les matières qui relèvent de la compétence du tribunal de l'environnement, la compétence du président du tribunal de première instance de statuer au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence est confiée au président d'une des deux chambres de l'environnement du tribunal de première instance. Ce président de chambre siège dans ce cas en tant que président du tribunal de l'environnement. »

Art. 10

À l'article 590, alinéa premier, du même Code, modifié par la loi du 29 novembre 1979 et par l'arrêté royal du 2 juillet 2000, le chiffre « 572bis » est inséré entre le chiffre « 571, » et le chiffre « 574 ».

Art. 11

À l'article 734, alinéa premier, du même Code, modifié par la loi du 12 mai 1971, les mots « Devant le tribunal du travail, tout débat relatif à une des demandes prévues à l'article 578 doit être précédé » sont remplacés par les mots « Tout débat devant le tribunal du travail concernant une des demandes prévues à l'article 578 et tout débat devant le tribunal de l'environnement concernant les demandes pour cause de troubles de voisinage anormaux visées à l'article 572bis, 2º, en vertu de l'article 544 du Code civil, doivent être précédés ».

Art. 12

À l'article 569 du même Code, modifié en dernier lieu par la loi du 27 mars 2001, le 10º et le 14º sont supprimés.

Art. 13

À l'article 591 du même Code, modifié en dernier lieu par la loi du 10 juin 2001, le 3º, le 11º et le 17º sont supprimés.

Art. 14

L'article 595 du même Code est abrogé.

Art. 15

À l'article 1er de la loi du 12 janvier 1993 concernant un droit d'action en matière de protection de l'environnement, les mots « tribunal de première instance » sont remplacés par les mots « tribunal de l'environnement ».

16 septembre 2003.

Jacinta DE ROECK.