3-268/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

20 OCTOBRE 2003


Proposition de loi modifiant la réglementation concernant les enfants nés sans vie

(Déposée par Mme Sabine de Bethune et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 8 mai 2002 (doc. Sénat, nº 2-1145/1 ­ 2001/2002).

1. Introduction

Une modernisation et une humanisation du régime légal relatif aux enfants nés sans vie s'impose à plusieurs égards. Voilà ce pour quoi milite le groupe d'entraide « Met lege handen ».

D'une part, l'évolution de la néonatologie requiert une adaptation de la limite légale de viabilité. D'autre part, une humanisation de la législation aidera les parents dans leur processus de deuil et leur offrira des garanties que les restes du foetus seront traités de manière digne.

La perte d'un enfant est un événement dramatique. À ce drame s'ajoute, dans le cas d'un enfant mort-né, le fait que les parents concernés ont peu de souvenirs de leur enfant. Un bon encadrement des parents et la reconnaissance de leur chagrin, au moyen de règles juridiques appropriées, peuvent représenter un appui considérable.

Le fait de donner un prénom à leur enfant décédé est pour les parents une des manières d'essayer de gérer cette perte. À cet égard, la modification de loi, entrée en vigueur le 5 juillet 1999 (voir ci-après) et permettant d'inscrire le ou les prénoms de l'enfant né sans vie dans l'acte de présentation, constituait un grand pas en avant dans le sens de la reconnaissance de tout ce qui entoure la naissance d'un enfant sans vie. Le fait de donner un nom à l'enfant mort-né permet de reconnaître l'identité de l'enfant, aussi jeune fût-il, et son appartenance à la famille. Cela permet également d'éviter que, pour les parents comme pour leur entourage, la naissance de cet enfant sans vie soit considérée comme un non-événement ou une fausse-couche ou que, par la suite, on ne parle de l'enfant décédé qu'en termes distants et neutres.

Dans ce sens, la mesure transitoire (voir ci-après) avait aussi une grande signification pour bon nombre de parents concernés. En effet, beaucoup de parents d'un enfant mort-né venu au monde avant le 5 juillet 1999 ont eu recours à la possibilité d'inscrire, avec effet rétroactif, le prénom qu'ils souhaitaient donner à l'enfant dans l'acte de présentation qui avait été établi à l'époque. L'Institut national de statistique n'a, à ce jour, pas encore pu communiquer le nombre exact de ces déclarations ni fournir un aperçu des années de naissance. Il ressort cependant des réponses à un premier questionnaire que ces déclarations ont été nombreuses et qu'il s'agit tout autant d'actes remontant à plusieurs (dizaines d')années avant l'entrée en vigueur de la législation.

L'association « Met lege handen » a reçu durant l'année d'application de la mesure transitoire un grand nombre de lettres émanant de parents. Le processus de deuil lors de la perte d'un être aimé peut certes évoluer, mais il ne s'arrête pas; cela reste une perte. La possibilité d'exprimer ce processus de deuil de manière personnelle revêt parfois une grande importance. À cet égard, le fait de pouvoir donner un prénom à l'enfant mort-né était une étape importante.

Il ressort également de l'étude faite aux Pays-Bas par la professeur Christine Rosa Geerinck-Vercammen (« Met een goed gevoel », thèse de doctorat, 1998, Rijksuniversiteit Leiden), concernant notamment le deuil d'un enfant mort-né, que la reconnaissance de la perte et le premier accompagnement, sous quelque forme que ce soit, revêtent une importance capitale en tant que fondements du processus du deuil chez les parents concernés et leur entourage. Dans la pratique, les hôpitaux prévoient généralement un accompagnement pour les parents d'un enfant mort-né et, en fonction de l'âge de celui-ci, la possibilité de faire réaliser une empreinte du pied ou de la main de leur enfant décédé, de le prendre en photo ou de le voir encore un moment et de le tenir dans leurs bras.

2. La législation relative à l'enfant né sans vie

a) La réglementation actuelle

En vertu de la législation actuelle, tout enfant né sans vie doit être déclaré lorsque la durée de la grossesse atteint au moins 180 jours (circulaire du ministre de la Justice du 10 juin 1999 (Moniteur belge du 1er juillet 1999) relative à l'introduction dans le Code civil d'un article 80bis concernant l'acte de déclaration d'enfant sans vie). Lorsqu'un enfant est décédé au moment de la constatation de sa naissance par l'officier de l'état civil ou par le médecin ou l'accoucheuse diplômée agréés par lui, l'officier de l'état civil dresse un acte de déclaration d'enfant sans vie (article 80bis du Code civil). Cet acte est inscrit dans le registre des actes de décès.

Les parents ont la possibilité de mentionner dans l'acte le(s) prénom(s) éventuellement choisi(s) pour l'enfant. Aucun nom de famille ne peut être attribué à l'enfant. Celui-ci doit être enterré ou incinéré.

Une disposition transitoire de la loi du 27 avril 1999 prévoyait que, dans l'année de l'entrée en vigueur de ladite loi, les parents dont un enfant est né sans vie avant sa date d'entrée en vigueur pouvaient demander à l'officier de l'état civil que le(s) prénom(s) de l'enfant soi(en)t inscrit(s) en marge de l'acte de déclaration d'enfant sans vie.

Aux termes de la circulaire précitée du 10 juin 1999, lorsque l'enfant est vivant au moment de la constatation de la naissance par l'officier de l'état civil, le médecin ou l'accoucheuse diplômée agréés par lui, mais vient à décéder avant que la naissance soit déclarée, il y a lieu de dresser un acte de naissance et un acte de décès, et non pas un acte de déclaration d'un enfant sans vie.

Si le foetus vient au monde sans vie après une grossesse d'une durée inférieure à 180 jours, il n'y a pas d'obligation de déclaration. Par conséquent, il ne reçoit ni nom ni prénom(s). Une circulaire du ministère de l'Intérieur du 9 septembre 1991 prie les communes de prévoir dans leur cimetière une petite parcelle réservée à l'inhumation des foetus de moins de six mois. Le foetus peut être inhumé à la requête des parents ou du médecin, sans que puissent être mentionnés le nom du foetus ni celui des parents. Le foetus peut être incinéré si les parents le souhaitent.

La définition de l'enfant mort-né et la règle dite des 180 jours figuraient déjà dans une circulaire du ministre de l'Intérieur du 13 décembre 1848 relative à l'inscription des enfants nés sans vie dans un registre spécial. Aux termes de cette circulaire, un enfant mort-né est un enfant sorti sans vie du sein de sa mère après le 180e jour de la gestation. Les foetus de moins de six mois ne sont pas considérés comme étant mort-nés et ne peuvent dès lors pas être portés sur les registres de l'état civil. L'article 80bis du Code civil s'inscrit dans le droit fil de cette circulaire. La circulaire du 10 juin 1999 a également repris la règle des 180 jours (voir ci-dessus).

b) Historique

Le régime légal initial en matière d'enfants mort-nés, plus précisément concernant l'établissement de l'acte de présentation d'un enfant sans vie, remonte à 1806. Le mode de rédaction de cet acte était réglé par un décret du 4 juillet 1806, dont l'article 1er disposait : « Lorsque le cadavre d'un enfant dont la naissance n'a pas été enregistrée sera présenté à l'officier de l'état civil, cet officier n'exprimera pas qu'un tel enfant est décédé, mais seulement qu'il lui a été présenté sans vie. » Il devait de plus enregistrer les nom, prénoms, qualités et demeure des père et mère de l'enfant, ainsi que l'année, le jour et l'heure où l'enfant est sorti du sein de sa mère, mais sans jamais inscrire les nom et prénoms de l'enfant. Cet acte était inscrit à sa date sur les registres de décès et l'officier de l'état civil devait délivrer une autorisation pour que l'enfant puisse être inhumé.

Entre 1996 et 1998, trois propositions de loi ont été déposées en vue de modifier le décret du 4 juillet 1806 :

­ Proposition de loi du 5 mai 1997 modifiant l'article 1er du décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (doc. Sénat, nº 1-623);

­ Proposition de loi du 17 juillet 1997 modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (doc. Sénat, nº 1-711);

­ Proposition de loi du 19 février 1998 modifiant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie (doc. Sénat, nº 1-892).

Selon le décret du 4 juillet 1806, les enfants mort-nés n'avaient pas le droit de porter un nom. Les trois propositions de loi précitées entendaient permettre aux parents de faire figurer le nom de leur enfant dans l'acte de présentation d'un enfant sans vie.

La commission de la Justice du Sénat a retenu la proposition de loi nº 1-623/1 comme base de discussion. Cette proposition de loi prévoyait la possibilité d'enregistrer les nom et prénom(s) de l'enfant dans l'acte si les parents le souhaitaient. Plusieurs amendements furent déposés. Deux d'entre eux ont été adoptés.

Tout d'abord l'amendement du gouvernement du 13 mai 1997 (doc. Sénat, nº 1-623/2), qui abroge le décret du 4 juillet 1806 et insère un article 80bis dans le Code civil. L'acte de déclaration d'enfant sans vie devrait mentionner le(s) prénom(s) de l'enfant, mais pas son nom.

Un deuxième amendement, déposé par Mme Sabine de Bethune et consorts, introduisait une disposition transitoire permettant aux parents qui avaient eu dans le passé un enfant mort-né de lui donner le(s) prénom(s) de leur choix dans l'année de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (doc. Sénat, nº 1-623/3).

La proposition de loi amendée est finalement devenue la loi du 27 avril 1999 introduisant un article 80bis dans le Code civil. Cette loi, qui abroge le décret du 4 juillet 1806, permet aux parents d'un enfant mort-né dont la naissance a eu lieu plus de 180 jours après la conception, de donner à celui-ci un ou plusieurs prénoms.

3. Les lignes de force de la présente proposition de loi

a) Aperçu

En vue de moderniser et d'humaniser davantage la procédure, nous entendons adapter au moins sept points du régime actuel :

· inscrire la définition de l'enfant mort-né à l'article 80bis du Code civil;

· abaisser la limite légale de viabilité de 180 jours de gestation à 140 jours de manière à la rendre conforme à l'évolution de la néonatologie, ce qui correspond à 20 semaines après la conception ou à 22 semaines d'âge postmenstruel;

· créer le droit pour le père non marié de reconnaître son enfant mort-né;

· créer le droit d'inscrire le nom de famille de l'enfant mort-né dans l'acte de déclaration d'enfant sans vie;

· garantir que les restes du foetus né avant la limite de viabilité seront traités d'une manière digne :

­ en créant l'obligation légale de prévoir dans chaque cimetière communal une parcelle réservée à l'inhumation des foetus,

­ en reconnaissant légalement le droit des parents de faire inhumer ou incinérer les restes du foetus et le devoir d'information des médecins à ce propos;

­ en obligeant les hôpitaux à faire procéder à l'inhumation ou à la crémation des restes du foetus;

· appliquer de manière conséquente les modifications de la limite légale de viabilité à toutes les dispositions pertinentes du Code civil, notamment :

­ l'article 326 du Code civil, présomption de conception,

­ l'article 318 du Code civil, présomption de paternité,

­ l'article 320 du Code civil, reconnaissance;

· appliquer de manière conséquente les modifications de la limite légale de viabilité à toutes les dispositions pertinentes de la législation sociale.

b) La définition légale de l'enfant mort-né (article 2)

La présente proposition de loi entend inscrire la définition de « l'enfant mort-né » à l'article 80bis du Code civil. Nous estimons que cela s'impose pour des raisons de sécurité juridique et de transparence.

Actuellement, la définition de l'enfant né sans vie figure dans la circulaire du ministre de l'Intérieur du 13 décembre 1848 : « On considérera comme mort-né l'enfant sorti sans vie du sein de la mère après le cent quatre-vingtième jour (sixième mois) de la gestation. »

La définition donnée dans la présente proposition de loi s'inspire de la législation néerlandaise, qui vient encore d'être modifiée tout récemment. La loi néerlandaise du 7 mars 1991 sur les funérailles utilise la définition suivante : « Est enfant mort-né le foetus qui, naissant après une gestation d'au moins vingt-quatre semaines, ne présente aucun signe de vie. » (Traduction.)

c) Adaptation de la limite légale de viabilité à l'évolution de la néonatologie (article 2, A)

La loi belge fixe la limite de viabilité à 180 jours à compter de la conception, soit environ six mois de grossesse. Cette limite est fixée légalement dans la circulaire du 10 juin 1999, qui constitue le prolongement d'une circulaire antérieure du 13 décembre 1848. Or, cette limite juridique de viabilité est totalement dépassée par les faits.

Grâce aux évolutions enregistrées dans les domaines de la néonatologie et de l'obstétrique, la limite de viabilité est aujourd'hui de 20 semaines de grossesse, soit 140 jours à compter de la conception ou 22 semaines d'âge postmenstruel (APM) selon la terminologie utilisée dans le monde médical.

Cette évolution dans le domaine de la néonatologie est confirmée par le docteur Devlieger, chef de service en néonatologie de l'UZ Gasthuisberg de la KU Leuven et par le docteur Vanhole, chef de clinique adjoint au département néonatologie du même hôpital universitaire. Présentent aussi un intérêt tout particulier à cet égard les résultats à paraître d'une étude scientifique qui a été menée durant la période 1999-2000 sous la direction du professeur Piet Vanhaesebroeck, président du Groupement belge des néonatologues et pédiatres intensivistes, dans 17 des 20 centres de soins intensifs néonataux que compte notre pays. Il ressort de cette étude que 176 des 525 enfants nés entre 22 et 26 semaines d'APM étaient viables et se sont bien développés.

Dans d'autres pays du monde aussi, on a connaissance d'enfants nés viables après 22 semaines d'APM et qui sont devenus des bébés en bonne santé.

La limite de 22 semaines d'APM ou de 20 semaines de gestation est communément admise dans le monde de la néonatologie comme limite en dessous de laquelle un enfant ne peut pas naître viable. L'Organisation mondiale de la santé s'est d'ailleurs prononcée clairement dans ce sens dès 1975. Elle prône explicitement la déclaration officielle auprès des autorités compétentes pour tout enfant mort-né à partir de 22 semaines d'APM ou de 20 semaines après la conception. « Devra être déclarée à l'état civil toute naissance d'enfant né vivant, quel que soit le poids de naissance ou la durée de gestation; et comme mort-né, toute mort foetale si le poids de naissance est égal ou supérieur à 500 g ou si la gestation est égale ou supérieure à 22 semaines complètes (154 jours) comptabilisées après la date des dernières règles. »

Pour toutes ces raisons, la présente proposition entend, d'une part, abaisser de manière conséquente la limite légale de viabilité dans notre législation nationale pour la ramener de 180 jours de gestation à 140 jours et, d'autre part, inscrire cette limite à l'article 80bis du Code civil. Compte tenu de cet abaissement, il faudra désormais déclarer à l'état civil tous les enfants nés sans vie à partir de 140 jours de gestation. Tout enfant né sans vie fera également l'objet, à partir de cet âge, d'une obligation légale d'inhumation ou de crémation.

d) Reconnaissance par le père non marié (article 6)

À l'heure actuelle, un père non marié ne peut pas reconnaître son enfant mort-né.

La reconnaissance par le père non marié est réglée par l'article 319 du Code civil, lequel dispose que lorsque la paternité n'est pas établie en vertu de la présomption de paternité dans le cadre du mariage, le père peut reconnaître l'enfant. Si l'enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n'est recevable que moyennant le consentement préalable de la mère. La reconnaissance peut être faite par acte authentique, à l'exclusion du testament, lorsqu'elle n'a pas été faite dans l'acte de naissance (article 327 du Code civil).

L'article 328 dispose que la reconnaissance peut être faite au profit d'un enfant conçu ou d'un enfant décédé, si ce dernier a laissé une postérité. Lorsqu'un enfant est décédé sans laisser de postérité, le père ne peut donc plus le reconnaître. La jurisprudence admet toutefois contra legem la reconnaissance d'un enfant décédé peu après la naissance (sans laisser de postérité), sur la base de l'intérêt moral de son auteur (tribunal de Gand, 13 février 1992, tribunal de Louvain, RV 98/1291/A, 28 septembre 1998). Cette faculté n'est pas admise pour l'heure pour les enfants nés sans vie.

La reconnaissance prénatale sortit seulement ses effets pour autant que l'enfant soit né vivant et viable. Cet état de choses a été confirmé dans la réponse à la question parlementaire écrite nº 117 du sénateur De Loor, du 23 mai 1991 (Bulletin des Questions et Réponses du Sénat, 30 juillet 1991).

Lorsque les parents ne sont pas mariés, le père ne peut donc pas reconnaître son enfant né sans vie. Ce régime est contraire au sentiment actuel de droit et comporte au moins deux inégalités.

Tout d'abord, cette disposition est contraire à la possibilité de reconnaissance par le père d'un enfant prématuré, mais vivant, qui décède peu après la naissance. Lorsque l'enfant naît vivant, le père peut encore le reconnaître après la naissance et, si le couple le désire, l'enfant pourra porter le nom du père. Si l'enfant est en danger de mort, cette reconnaissance doit actuellement être faite de toute urgence avant le décès de l'enfant. Dans la pratique, cela engendre des situations dramatiques, dans lesquelles l'officier de l'état civil est appelé d'extrême urgence à l'hôpital pour pouvoir accomplir les formalités administratives avant qu'il ne soit trop tard.

Ensuite, les parents mariés d'un enfant né sans vie ne sont pas traités de la même manière que les parents non mariés d'un tel enfant, qu'ils aient conclu un contrat de cohabitation légale ou non, ce qui n'est évidemment pas davantage justifié.

En principe, la déclaration de paternité ou de maternité d'un enfant né sans vie n'est assortie d'aucun droit ni d'aucune obligation, mais cette reconnaissance a pour les parents une grande valeur morale et doit être reconnue comme un droit. De plus, cette règle accuse un certain retard par rapport aux normes de la société contemporaine. Les couples qui choisissent d'avoir des enfants ne sont pas forcément des couples mariés. Les inégalités touchent tous les couples non mariés ainsi que ceux qui ont conclu un contrat de vie commune.

La présente proposition entend dès lors permettre au père non marié de reconnaître un enfant né sans vie ainsi que tout enfant décédé après la naissance, quel que soit son âge. Cela peut se faire par une simple adaptation de l'article 328, alinéa 2, du Code civil, en supprimant la condition selon laquelle, pour pouvoir être reconnu, l'enfant décédé doit avoir laissé une postérité. L'article 328, alinéa 2, serait alors rédigé comme suit : « Elle peut par ailleurs être faite au profit d'un enfant conçu ou d'un enfant décédé. »

e) La mention du nom de famille dans l'acte de déclaration d'enfant sans vie (article 2, C)

L'article 80bis du Code civil prévoit que seuls « les prénoms de l'enfant » sont énoncés dans l'acte de déclaration d'enfant sans vie. Le nom de famille de l'enfant n'y est pas mentionné.

La proposition de loi qui est à l'origine de l'article 80bis du Code civil prévoyait pourtant la possibilité d'y inscrire et le nom et le prénom (proposition de loi du 5 mai 1997 introduisant un article 80bis dans le Code civil et abrogeant le décret du 4 juillet 1806 concernant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie, doc. Sénat, nº 1-623/1). L'amendement du gouvernement à cette proposition de loi ne reprend plus l'inscription du nom de famille, au motif que cette mention risquait d'avoir des effets juridiques qui pourraient poser problème. La Commission permanente de l'état civil était en effet d'avis de ne pas prévoir la mention du nom. « En droit belge, en effet, l'attribution du nom est une conséquence de la filiation, et la filiation, s'agissant d'un enfant né sans vie, n'est pas toujours juridiquement établie » (doc. Sénat, nº 1-623/2).

Dans son avis à la commission de la Justice, le professeur Senaeve de l'Instituut voor familierecht en jeugdrecht aan de KU Leuven a pourtant souligné que le fait de mentionner le nom et le prénom de l'enfant dans l'acte de naissance ne produirait en soi aucun effet juridique. « L'effet serait purement psychologique : on manifesterait ainsi la volonté de rencontrer le souhait des parents de l'enfant mort-né en permettant que l'on enregistre l'enfant sans vie en mentionnant le (pré)nom que ses parents avaient choisi. La possibilité facultative d'inclure dans l'acte le nom de l'enfant sans vie n'a aucun effet juridique dans le chef de l'enfant, vu que celui-ci n'aura jamais la personnalité juridique (n'étant pas né vivant et viable) et qu'il ne peut donc acquérir ni droits ni obligations » (rapport de la commission de la Justice, doc. Sénat, nº 1-623/4).

L'argument tendant à ne pas mentionner le nom de famille d'un enfant mort-né ne convainc pas. Même pour les enfants nés vivants, il arrive que la filiation ne soit pas établie, par exemple dans le cas des enfants trouvés, alors que l'article 56 du Code civil prescrit néanmoins la mention du nom et du prénom de l'enfant (A. De Wolf, « De rechtspositie van het doodgeboren kind en zijn ouders », RW 1998-1999, 209).

f) Le traitement digne des restes du foetus né avant la limite de viabilité

· Une parcelle réservée à l'inhumation des foetus dans chaque cimetière communal (article 8)

L'inhumation des foetus nés avant d'avoir atteint la limite de viabilité est réglée actuellement par la circulaire du ministre de l'Intérieur du 9 septembre 1991, qui recommande à la commune de réserver une parcelle du cimetière communal pour l'inhumation des foetus. La circulaire précise que la parcelle est réservée à l'inhumation des foetus qui sont nés à l'hôpital ou à domicile par suite d'un avortement spontané, avant d'avoir atteint le sixième mois de grossesse. Si les parents en expriment le souhait, le foetus peut être incinéré. Dans ce cas, les cendres recueillies dans l'urne destinée à cet effet seront inhumées ou dispersées sur cette parcelle, selon le souhait des parents.

Cette réglementation est déjà entrée en vigueur dans plusieurs communes. La présente proposition de loi entend imposer aux communes l'obligation légale de réserver une telle parcelle dans chaque cimetière communal. L'association « Met lege handen » plaide pour qu'on donne à cette « parcelle réservée aux foetus » un beau nom symbolique, comme par exemple « la pelouse des étoiles ». Voilà toujours une recommandation à l'adresse des services compétents de l'Intérieur et des autorités communales !

· Un devoir d'information de la part des médecins (article 9)

Il n'existe au sein des hôpitaux aucune réglementation générale relative au traitement des restes du foetus né avant la limite de viabilité. L'association « Met lege handen » se plaint que nombre de parents ne sachent même pas ce qu'il en est advenu. Les parents qui perdent un enfant n'ont souvent pas l'assurance nécessaire sur le moment même pour oser demander des explications à ce sujet. La présente proposition veut contraindre tous les médecins, tant ceux des hôpitaux que les médecins de famille, à informer les parents de leur droit de faire procéder eux-mêmes à l'inhumation ou à l'incinération des restes du foetus.

L'instauration de ce devoir d'information participe de la même logique que celle qui sous-tend le projet de loi réglementant la pratique de l'autopsie après le décès inopiné et médicalement inexpliqué d'un enfant de moins d'un an, lequel a été adopté au Sénat le 29 novembre 2001 (doc. Sénat, nº 2-409).

· L'obligation pour les hôpitaux de faire incinérer les restes du foetus (article 10)

Si les parents ne décident pas de faire procéder eux-mêmes à l'inhumation ou à l'incinération de la dépouille mortelle du foetus, celle-ci doit être traitée de manière digne par les hôpitaux. Ce point ne peut être laissé à la discrétion de chaque hôpital; il s'impose d'adopter une réglementation obligatoire.

La présente proposition de loi entend imposer aux hôpitaux l'obligation de faire procéder à l'incinération des restes du foetus. Ils doivent à cet effet conclure avec un crématorium agréé une convention dont le Roi pourra éventuellement fixer les modalités.

g) L'adaptation conséquente de toutes les dispositions pertinentes du Code civil (articles 3 à 5)

La limite des 180 jours est également utilisée dans le Code civil à propos de la présomption de conception (article 326 du Code civil), de la présomption de paternité (article 318 du Code civil) et de la reconnaissance (article 320 du Code civil). Ici aussi, la limite de viabilité doit être ramenée de 180 jours à 140 jours.

La période de présomption de conception, qui s'étend actuellement du 300e au 180e jour avant la naissance, est portée du 300e au 140e jour avant la naissance (article 326 du Code civil).

Dans l'état actuel de la législation, le nouveau partenaire de la mère peut reconnaître l'enfant s'il est né 180 jours après la dissolution du mariage avec le père (article 320 du Code civil). L'abaissement de la limite de viabilité requiert que cette reconnaissance puisse également intervenir après un délai plus court, à savoir à partir du 140e jour après la dissolution dudit mariage.

La paternité peut être contestée lorsque l'enfant est né moins de 180 jours après la réconciliation d'époux qui avaient entamé une procédure de divorce, ou moins de 180 jours après la réunion de parents qui étaient séparés de fait (article 318 du Code civil). L'abaissement de la limite de viabilité requiert que la paternité ne puisse être contestée que si l'enfant est né moins de 140 jours après la réconciliation ou la réunion.

h) L'adaptation conséquente de toutes les dispositions pertinentes du droit social (article 7)

L'abaissement de la limite légale de viabilité emporte également que les parents d'un enfant mort-né au terme d'une grossesse de 140 jours au moins peuvent prétendre à tous les droits sociaux qui, dans le régime actuel, découlent de la limite de viabilité des 180 jours, notamment le congé de maternité, l'allocation de naissance, le congé de paternité et le petit chômage en cas de décès d'un membre de la famille.

C'est ainsi qu'à l'issue d'une grossesse d'au moins 140 jours à compter de la conception, la travailleuse pourra bénéficier de la protection de la maternité en application de l'article 39 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail et de l'allocation de naissance en application de l'article 73bis de la loi du 19 décembre 1939. Le père d'un enfant né après 140 jours à compter de la conception peut également bénéficier de l'application de l'article 27, § 2, de la loi du 11 juin 2001 concernant le congé de paternité.

Le Roi est chargé de modifier et de coordonner à cette fin la réglementation en vigueur.

Sabine de BETHUNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 80bis du Code civil, inséré par la loi du 27 avril 1999, sont apportées les modifications suivantes :

A) L'alinéa 1er est remplacé comme suit :

« L'enfant né sans vie est le foetus qui, mis au monde après une grossesse d'une durée d'au moins 140 jours ou 20 semaines après la conception, ne présente aucun signe de vie à la naissance. »

B) Entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2, il est inséré l'alinéa suivant :

« Lorsqu'un enfant est né sans vie, l'officier de l'état civil dresse un acte de déclaration d'enfant né sans vie. »

C) À l'alinéa 2, qui devient l'alinéa 3, au 4º, les mots « les prénoms » sont remplacés par les mots « le nom et les prénoms ».

Art. 3

À l'article 318, § 3, alinéa 1er, du même Code, modifié par la loi du 27 décembre 1994, le mot « 180 » figurant au 1º ainsi qu'au 3º est remplacé par le mot « 140 ».

Art. 4

À l'article 320 du même Code, modifié par la loi du 27 décembre 1994, le mot « 180 » figurant aux 1º, 2º et 3º est remplacé chaque fois par le mot « 140 ».

Art. 5

À l'article 326 du même Code, le mot « 180e » est remplacé par le mot « 140e ».

Art. 6

À l'article 328, alinéa 2, du même Code, les mots « si ce dernier a laissé une postérité » sont supprimés.

Art. 7

La durée minimale de la grossesse qui est applicable pour l'octroi des droits sociaux aux parents d'un enfant mort-né est ramenée de 180 jours à 140 jours à compter de la conception. Le Roi modifie et coordonne à cet effet la réglementation en vigueur.

Art. 8

Chaque commune réservera une parcelle du cimetière communal pour l'inhumation des foetus nés avant le 140e jour de la grossesse à compter de la conception.

Art. 9

Les parents d'un foetus né avant le 140e jour de la grossesse à compter de la conception peuvent faire inhumer ou incinérer les restes du foetus.

Le médecin qui fait la constatation informe les parents de ce droit. La décision des parents de faire inhumer ou non les restes du foetus est mise par écrit. Le document est joint au dossier médical de la mère.

Art. 10

Si les parents n'ont pas fait eux-mêmes procéder à l'inhumation ou à l'incinération des restes du foetus, l'hôpital dans lequel la mère a été admise assure la crémation. Pour ce faire, l'hôpital conclut avec un crématorium agréé une convention en vue de l'incinération des restes des foetus. Le Roi détermine les modalités relatives au contenu de cette convention.

21 juillet 2003.

Sabine de BETHUNE.
Ludwig CALUWÉ.
Mia DE SCHAMPHELAERE.
Erika THIJS.
Hugo VANDENBERGHE.
Luc VAN den BRANDE.
Etienne SCHOUPPE.
Marc VAN PEEL.
Stefaan DE CLERCK.