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15 JANVIER 2002
L'origine de la noblesse remonte à une époque où seule une partie minime de la population disposait des droits les plus fondamentaux. C'était l'époque du servage, qui réduisait à un état de quasi-esclavage les agriculteurs auxquels était donnée à ferme une terre appartenant à un « seigneur ».
Classiquement, il y avait quatre manières d'appartenir à la noblesse :
1. On pouvait faire partie d'une famille noble de vieille souche, dont l'origine très lointaine ne pouvait être déterminée.
2. On descendait d'ancêtres mâles qui avaient obtenu leurs titres de noblesse sous les régimes successifs qui avaient dominé le pays.
3. On pouvait être admis à la noblesse par la voie de lettres de noblesse émanant du Roi.
4. On pouvait exercer durant sa vie des fonctions qui donnaient lieu à l'anoblissement, comme accomplir un service dans l'armée (cf. les Croisades) au service du Roi, administrer un fief ou une seigneurie (ceux-ci étaient le plus souvent attribués parce que, l'argent manquant, de grands seigneurs cédaient une partie de leurs terres en y attachant un titre de noblesse) et exercer de hautes fonctions eccléasiastiques ou judiciaires.
À l'heure actuelle, il y a trois manières d'appartenir à la noblesse, à savoir :
1. par la reconnaissance d'un ancien titre : « reconnaissance »;
2. par l'incorporation de membres de la noblesse étrangère : « incorporation »;
3. par l'obtention d'un titre de noblesse pour services exceptionnels rendus : « concession ».
Concrètement, cela signifie, dans notre pays, que peu après la création du Royaume de Belgique, de 1831 à 1844, l'on a reconnu les titres de noblesse attribués sous l'ancien régime sans y attacher de privilèges constitutionnels.
En outre, le Roi anoblit chaque année des personnes qui se sont, à ses yeux, distinguées positivement dans leurs domaines d'activités respectifs, comme le sport, l'art, la science et le monde des affaires. Cela se fait chaque année à la veille de la fête nationale. L'octroi d'un titre de noblesse est une prérogative exclusive de la Couronne, qui est exercée librement et souverainement de la manière que le Roi juge la plus appropriée et à la seule condition qu'il y ait le contreseing ministériel comme le prévoit la Constitution. Comme le législateur, le pouvoir judiciaire n'a guère compétence pour contrôler l'octroi de titres de noblesse. « Les arrêtés royaux octroyant ou reconnaissant des titres de noblesse échappent à toute forme de contrôle judiciaire. Les instances judiciaires ont seulement pouvoir de tirer les conséquences juridiques des actes accomplis par le Roi en matière de noblesse. » (Traduction) (M. Van Damme, Adel, Story-Scientia, Gand-Louvain, 1982, p. 29).
Entre 1815 et 1957, il y avait encore en Belgique 1 277 clans nobiliaires. Au cours de la période de 1830 à 1857, 469 familles ont reçu un titre. Centre quatre d'entre elles se sont éteitnes. À la fin des années'50 du siècle passé, il subsistait, selon les statistiques, 788 familles nobles. Ce nombre a sensiblement augmenté sous l'impulsion du Roi Baudouin. Actuellement, il y a environ vingt mille nobles, enfants compris (J. Van Den Berghe, Noblesse oblige, Globe, Grand-Bigard, 1997, p. 76).
Il est surprenant de constater que, dans le passé lointain comme dans le passé récent, très peu de parlementaires ont remis en question le pouvoir du Roi d'accorder des titres de noblesse. Il s'agit pourtant d'une prérogative qui a clairement soulevé des discussions au sein du Congrès national, en 1830. À l'époque, les adversaires de l'anoblissement voyaient une nette opposition entre le principe de l'égalité inscrit à l'article 6 de la Constitution de l'époque (devenu l'article 10) et l'anoblissement dont parlait l'ancien article 75 (devenu l'article 113).
Les partisans du maintien de la noblesse affirment, quant à eux, que les nobles ne jouissent actuellement d'aucune prérogative liée à leur titre. Il y a pourtant d'éminents juristes qui contestent cela. N'oublions d'ailleurs pas que le titre de noblesse est mentionné comme un accessoire honorifique dans tous les actes de l'état civil.
Il ne faut pas non plus sous-estimer l'influence et le pouvoir informel que la noblesse exerce par le biais de la vie économique et d'autes segments de la société. Dans les années'80, le journaliste de la RTBF Gérard de Selys Longchamp a réalisé une étude sur la présence de la noblesse dans les 3 500 principales entreprises belges. Dix pour cent de ces entreprises étaient dirigées par des personnes appartenant à la noblesse. Il s'agit d'un pourcentage élevé, quand on sait que la noblesse ne représente que 0,2 % de la population belge totale. En actualisant cette étude et en la confrontant aux rapports annuels des entreprises du Bel-20, on constate que peu de choses ont changé depuis : la noblesse est représentée dans presque toutes ces entreprises.
Du point de vue sociologique, on peut dire également que beaucoup de nobles vivent en dehors du temps. Bien que chacun soit libre de vivre sa foi comme il l'entend, on retrouve le plus souvent la noblesse dans l'entourage du clergé conservateur, qui exècre le changement social, ce qu'illustre d'ailleurs notamment l'image que bien des hommes de la noblesse se font encore de la femme : elle est dévouée et se consacre exclusivement à l'organisation du ménage et à l'éducation des enfants.
Notre pays, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne font partie des rares pays qui reconnaissent la noblesse, où l'on anoblit encore activement et où l'on confère exclusivement au Roi la prérogative d'attribuer des titres de noblesse.
En Espagne, au Luxembourg et à Monaco, le chef de l'État confère encore des titres de noblesse, mais pas l'état nobiliaire en tant que tel. Dans certains pays, les titres de noblesse et l'état nobiliaire sont encore reconnus, mais ne sont plus attribués (Danemark, Suède, Finlande). Dans d'autres, comme les États-Unis, la Suisse et l'Autriche, l'usage privé du titre est toléré mais supprimé officiellement. Dans une série de pays, son usage est même explicitement interdit (Mexique). Aux Pays-Bas, l'anoblissement résulte d'une initiative de la Couronne. Depuis 1848, la noblesse ne bénéficie plus non plus d'aucune prérogative. Il s'avère en outre que, depuis quelques décennies, la politique d'anoblissement néerlandaise ne représente plus grand-chose. En France, le président a toujours le pouvoir, certes théorique, de conférer des titres de noblesse. Toutefois, dans la pratique, il n'en fait jamais usage. La Grande-Bretagne est le seul pays dont la noblesse jouit de privilèges.
La présente déclaration de révision de l'article 113 de la Constitution ne vise pas à supprimer la noblesse existante, puisque ses auteurs s'opposent à la rétroactivité. La classe de nobles actuelle pourra continuer à se mouvoir dans la sphère privée au cas où la révision proposée aurait été adoptée, mais le présent statut dont elle bénéficiera alors ne pourra plus avoir d'implications en droit public ou en droit privé. Il va de soi, qu'au cas où l'article 113 de la Constitution serait abrogé, la prérogative du Roi de conférer des titres de noblesse n'existerait plus.
Vincent VAN QUICKENBORNE. Jean-Marie DEDECKER. |
Les Chambres déclarent qu'il y a lieu à révision de l'article 113 de la Constitution en vue de l'abroger.
21 juillet 2001.
Vincent VAN QUICKENBORNE. Jean-Marie DEDECKER. |