2-246/7

2-246/7

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

9 JUILLET 2001


Proposition de loi relative aux soins palliatifs


ANNEXE

AU RAPPORT

FAIT AU NOM DES COMMISSIONS RÉUNIES DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES SOCIALES PAR MM. GALAND ET REMANS


AUDITIONS


SOMMAIRE (1)


Pages
­

Audition de M. Alain Schoonvaere, directeur du centre de soins palliatifs « Foyer Saint-François »
Audition du docteur Jacqueline Vandeville, responsable de l'Unité de soins palliatifs de la Clinique Saint-Jean
Audition du docteur Arsène Mullie, chef de service Réanimation ­ Soins intensifs et Urgences ­ AZ Sint-Jan Brugge
Audition du docteur Dominique Bouckenaere, médecin responsable de l'Unité de soins continus et palliatifs des cliniques de l'Europe Saint-Michel
Audition de Mme Bernadette Cambron-Diez, infirmière en soins palliatifs, Centre hospitalier de l'Ardenne

Audition de M. Alain Schoonvaere, directeur du centre de soins palliatifs « Foyer Saint-François »

M. A. Schoonvaere. ­ Nous sommes très conscients de la lourde responsabilité qui incombe à votre commission et je vous remercie d'avoir permis à des praticiens de terrain de venir vous éclairer par rapport à vos propositions de loi.

C'est au titre de directeur du Foyer Saint-François, centre de soins palliatifs à Namur, et au nom de toute mon équipe, que j'ai accepté de venir vous parler.

Comme directeur, je suis en contact quotidien avec les malades et leurs familles, avec les médecins, le personnel soignant et les bénévoles qui les accompagnent. C'est à partir de leur vécu que je parlerai.

Nous vivons une expérience de soins palliatifs depuis 10 ans. Nous y avons rencontré des demandes d'euthanasie que nous ne pouvons ni voulons exclure ou étouffer, notre mission étant par essence d'être à l'écoute de toutes les demandes et questions des patients et de leur entourage. C'est donc en raison même de cette mission que je serai amené à parler aussi de l'euthanasie.

Je vous entretiendrai de deux points importants :

1. Notre pratique de terrain nous autorise à dire que les soins palliatifs constituent la meilleure approche des fins de vie difficiles.

2. Les soins palliatifs sont, dans notre pays, une discipline récente en comparaison d'autres pays, une discipline encore trop peu répandue, trop peu enseignée et évaluée. Il y a nécessité de les promouvoir davantage.

1. Soins palliatifs : la vie accompagnée jusqu'au bout

Le Foyer Saint-François est une structure de soins palliatifs extra-hospitalière créée il y a dix ans et reconnue par les autorités sanitaires du pays depuis le 1er janvier 1995. Il est conçu selon le modèle des maisons de soins palliatifs que l'on trouve en Angleterre, au Canada, en Suisse et en France.

Il accueille des malades cancéreux et d'autres en phase terminale et cela bien entendu, quelles que soient leurs conditions sociales et leurs convictions philosophiques, morales et religieuses. Il prend en charge la phase terminale de la maladie spécialement lorsque la situation du malade devient très lourde sur le plan clinique, ou que l'entourage se trouve particulièrement démuni ou épuisé. Il accueille aussi des patients dont l'environnement familial est inexistant ou grandement perturbé par les circonstances de la vie. Il travaille en étroite collaboration avec les autres structures de soins palliatifs de la région, équipes mobiles de l'hôpital, maisons de repos et de soins, et services de soins à domicile.

Il met en oeuvre des soins palliatifs fondés sur une philosophie qui considère :

­ que la mort est à la fois une étape naturelle de l'existence humaine et en même temps qu'elle n'est pas « naturelle » au sens où elle est une rupture qui fait souffrir et provoque chez tout homme une sorte de scandale et de révolte (Il n'y a pas de « mort naturelle », disait Simone de Beauvoir);

­ que la dignité de la personne humaine est fondée sur son existence même en tant que personne;

­ que le mourant est avant tout un vivant jusqu'au bout.

En conséquence, notre pratique des soins palliatifs vise essentiellement à rejoindre et à promouvoir les droits des patients en tant que personnes humaines engagées dans un réseau de relations :

1. Droit à voir sa douleur soulagée.

2. Droit à être respecté et accompagné jusqu'au bout de sa dignité que rien ni personne ne peut enlever.

3. Droit à vivre la dernière étape de sa vie, porté par la richesse humaine de ses relations avec sa famille, ses proches, les soignants.

Notre pratique vise du même coup à respecter les droits de la famille :

1. Droit à être proche de son malade à tout moment.

2. Droit à être partenaire de soins, si elle le souhaite.

3. Droit à être soutenue et accompagnée en cette étape douloureuse avant le décès, au moment du décès et dans les heures qui suivent, et si elle le souhaite, pendant la période de deuil.

Car pour nous, au Foyer, la mort n'est pas un droit, mais elle nous arrive comme une nécessité inéluctable du fait même de notre existence. Ce qui est un droit, c'est que le patient et ses proches puissent vivre ces moments graves de manière aussi humaine que possible, avec l'aide d'une médecine spécifique qui apaise réellement la douleur, avec le soutien d'une équipe de soignants et de bénévoles qui les entourent d'attentions, d'amitié respectueuse, de compréhension, et il faut oser le mot, d'amour.

À partir de l'expérience de 10 années, au cours desquelles nous avons accompagné 1 200 patients et leurs familles, et à la lumière des expériences beaucoup plus longues des soins palliatifs en Angleterre (30 ans) et en Amérique du Nord (25 ans), je viens simplement et nettement faire un plaidoyer en faveur des soins palliatifs. Et, si je puis parler aussi nettement, c'est parce que je suis habité par la force des très nombreux témoignages des malades et des familles, témoignages qui nous confortent dans une mise en oeuvre toujours plus « pointue » des soins palliatifs.

Le Foyer s'inscrit dans une culture de vie qui se traduit dans toute sa pratique de soins et d'accompagnement concret, au jour le jour. Si vous veniez au Foyer Saint-François (et je remercie spécialement et chaleureusement celles et ceux d'entre vous qui nous ont fait l'honneur de venir voir notre maison) si vous y veniez, disais-je, ou si vous alliez dans une autre unité de soins, vous y verriez :

­ qu'il est possible dans la très grande majorité des cas de soulager la douleur, les symptômes, les plaies et les complications, ou du moins de les rendre nettement plus supportables;

­ qu'il est possible de créer un lieu et une atmosphère, où toute parole peut être dite, entendue, et respectée;

­ qu'il est possible d'accompagner, d'écouter, de réconforter et d'apaiser les souffrants (les malades et leurs proches), de les aider à vivre ce temps avec une réelle qualité de vie, au point qu'il découvrent en eux-mêmes des forces qu'ils ne soupçonnaient pas, et qui les amènent à vivre cette étape de leur vie d'une certaine manière signifiante, revêtue d'une certaine grandeur qui force le respect.

Encore une fois, ceux qui nous le disent et nous le manifestent, ce sont les patients eux-mêmes et leurs familles, à travers leurs récits et leurs courriers. Il s'agit là, non pas seulement de principes, mais des faits vécus dans notre maison et dans d'autres unités de soins palliatifs de notre pays et d'ailleurs.

Il est bon et nécessaire de redire que, dans l'état actuel des connaissances médicales et pharmacologiques, une médication précise, menée avec une attention suivie, et une réelle connaissance des signes de douleur et des antalgiques, permet la suppression ou une très importante diminution de la douleur, et qu'une présence faite d'écoute, d'attention, et de respect parvient à soutenir réellement ceux et celles que la souffrance morale, psychologique, familiale et affective atteint au plus profond d'eux-mêmes.

Bien sûr, nous avons rencontré, dans notre centre, des demandes d'en finir de la part des malades et des familles. Nous y avons beaucoup réfléchi au sein de notre équipe et, dans le vécu de notre expérience, nous avons observé plusieurs choses importantes :

­ les demandes d'euthanasie sont très rares chez nous; elles émanent davantage des familles que des malades; il faut donc dissocier ces deux types de demande;

­ les quelques rares demandes émanant des malades comportent une très large part d'ambiguïté : un malade qui fait signe de pointer un revolver sur sa tempe, mais refuse toute médication pour dormir ou désigne au médecin le médicament qui, selon lui, est le plus apte à le guérir; ou cette patiente qui évoque un jour une demande d'euthanasie, mais, quelques heures après, insiste pour que l'on n'oublie pas ses vitamines dans le jus d'orange;

­ il est donc essentiel, pour être aussi respectueux que possible de la liberté du malade, d'entendre d'abord ses demandes, puis de les décoder, de les décrypter, afin de découvrir ce que le malade veut réellement nous dire;

­ car, dans la majorité des cas, ces demandes traduisent une douleur mal dominée, le sentiment écrasant et désespérant d'être seul, d'être de trop, de n'être plus digne, de n'être plus aimable et aimé, la peur de la solitude, de mourir seul, abandonné;

­ il s'agit donc d'entendre derrière l'appel à ne plus vivre, ce qui est, dans la toute grande majorité des cas, un appel à l'aide venant du malade et/ou de sa famille, pour vivre mieux ou moins mal.

Au cours de nos dix années de pratique, nous avons entendu des demandes d'en finir. Nous les avons écoutées et décodées en équipe; et nous y avons répondu par une médication et une écoute réajustée en permanence, et par une attention urgente et de tous les instants.

Tout cela demande un profond investissement dans la durée, dans l'écoute et l'attention de chaque membre de l'équipe, afin de répondre le plus justement possible à cet appel à l'aide.

Et dans tous les cas rencontrés, ces demandes se sont estompées.

Comme le dit Cecily Saunders, la fondatrice des soins palliatifs au St Christopher à Londres, ces demandes nous placent devant un choix : « Exprimer un doute sur la valeur de certaines vies et ainsi renforcer des désespoirs et des désirs de mort, ou affirmer que nous sommes tous ensemble embarqués dans la même aventure, celle de l'existence humaine, et que nous sommes invités à renforcer mutuellement notre désir de vivre et à nous soutenir solidairement dans la traversée des épreuves. » C'est cette dernière option que nous avons choisie et qui anime notre pratique.

À partir de notre expérience concrète de plus de dix ans chez nous, et beaucoup plus longue en Angleterre, États-Unis et Canada, nous pouvons et nous devons dire :

­ que les soins palliatifs et l'euthanasie ne relèvent pas de la même philosophie et ne peuvent être considérées comme complémentaires;

­ que l'euthanasie n'est pas pour nous la réponse adéquate à la dignité de la personne humaine dans toutes les dimensions de son être personnel et relationnel;

­ que notre opposition au projet de loi ne relève nullement d'une valorisation de la douleur et de la souffrance, mais du respect de la dignité de la personne humaine jusqu'au bout de sa vie qui est toujours unique et singulière,

­ que notre travail premier au Foyer, est donc d'apaiser le plus possible la douleur car elle fait mal et elle fait du mal; et, avec la même attention, nous visons à apaiser autant qu'il est possible, la souffrance morale, sans prétendre y arriver totalement. Nous avons même pu observer chez certains malades, et certains de leurs proches, une évolution qui forçait notre respect et notre admiration, et nous rendait à l'humilité, si nous l'avions perdue. Nous recevons finalement plus que nous ne donnons.

Et dans cette volonté de supprimer toute souffrance extrême par l'euthanasie, une place suffisante est-elle laissée à cette autre forme de souffrance et de détresse : celle de ceux qui restent, qui n'intégreront peut-être jamais cette décision de mort, et qui auront bien du mal à faire leur deuil, et qui risquent même de vivre dans une certaine forme de remords ?

Parce que nous nous voulons aussi humanistes et humanitaires, proches de l'humain, de son histoire, de ses relations, de sa liberté, de sa dignité inaliénable, nous découvrons chaque jour dans notre pratique, que la personne humaine veut, au plus profond d'elle-même, être reconnue comme personne unique, dans son mystère singulier et dans ses relations avec la communauté.

Le mouvement des soins palliatifs s'inscrit dans ce vaste mouvement de solidarité humaine. En ce sens, nous pensons que l'euthanasie n'apporte ni cette reconnaissance, ni cette protection de la personne humaine vivante, ni cette promotion de la relation mais qu'elle apporte en fait sa destruction et qu'elle brise la nécessaire solidarité en liberté où l'homme peut vivre et grandir.

La pratique de l'euthanasie risque d'entamer gravement la confiance entre le médecin et le malade et de provoquer chez ce dernier une lourde inquiétude : « Si je deviens inconscient ou si je suis considéré comme un fardeau, ou si ..., le médecin pourrait provoquer ma mort sans m'expliquer ce qu'il fait réellement, sans me demander mon avis ... ? » Ceci ne relève pas de l'imagination. Les dérives que l'on enregistre en Hollande le prouvent suffisamment.

Il suffit de prendre connaissance des éléments contenus dans le rapport de la Commission Remmelink pour voir que les conditions nécessaires pour ne pas poursuivre un médecin pratiquant une euthanasie, ne sont pas respectées (27 % des médecins n'informent pas le patient, 20 % ne consultent pas un confrère pour apprécier la justesse de la demande, 60 % déclarent faussement l'acte d'euthanasie en déclarant une mort naturelle).

Plus récemment, en septembre dernier, le docteur Ten Have confirmait au 6e congrès de l'association européenne de soins palliatifs à Genève que la majorité des cas d'euthanasie n'étaient pas rapportés et que le développement des soins palliatifs allait provoquer la marginalisation de l'euthanasie.

Dans une conférence à Québec, le professeur Léon Schwarzenberg allait dans le même sens, en déclarant que lorsque les soins palliatifs auront atteint leur développement complet en France, on ne parlera plus d'euthanasie et qu'il arrêterait d'en pratiquer.

L'Association médicale hollandaise a recommandé au gouvernement de ne pas légaliser l'euthanasie en arguant que les médecins étaient fatigués de la pratiquer et qu'ils préféreraient donner mandat à la famille pour exécuter le geste ... ! « Fatigués de pratiquer l'euthanasie » ... « faire porter la charge de ce geste lourd de conséquence à la famille ». Est-ce donc cela la promotion de la personne humaine et de sa liberté, est-ce donc cela la promotion d'une médecine humaine qui se préoccupe aussi de l'entourage du patient ?

Au lieu de légaliser l'euthanasie, ne vaut-il pas mieux favoriser le développement des soins palliatifs et escamoter l'étape que la Hollande a connue en autorisant l'euthanasie pour ensuite opter, dans un deuxième temps, pour le développement des soins palliatifs ? Le Canada l'a bien compris lorsqu'en 1994 et après plus de 14 mois de discussions, le Sénat a refermé le dossier sur l'euthanasie et le suicide assisté.

2. Les soins palliatifs : un mouvement en pleine expansion

Notre pays vient seulement de mettre en place des structures de soins et d'accompagnement des malades en fin de vie et nous comprenons mal cette hâte à vouloir légaliser le droit de donner la mort dans certaines circonstances alors même que ces structures de soins palliatifs donnent des résultats extrêmement positifs et que l'on peut espérer encore bien davantage. La médecine palliative est chez nous une discipline relativement récente et il est important pour tout le monde qu'elle puisse avoir sa place à côté de la médecine préventive et curative.

Mais l'expérience des pays anglo-saxons nous enseigne qu'il faut du temps pour imprégner la société toute entière d'une véritable culture palliative. La médecine palliative a besoin de temps pour devenir une pratique soignante professionnellement rigoureuse. La recherche dans ce domaine devient une réalité :

­ dans quelques années nous aurons trouvé des molécules pharmacologiques encore plus spécifiques et plus précises pour contrôler les douleurs rebelles;

­ des recherches sur la qualité des soins palliatifs se développent outre-Atlantique :

· au Québec, les médecins de la Maison Michel Sarrasin ont mis au point, en collaboration avec l'Université Laval, un important programme de recherche sur la prévention et le meilleur contrôle de la confusion en phase terminale, réalité fréquente et combien éprouvante pour les malades et surtout l'entourage;

· aux États-Unis, en France et dans d'autres pays, des procédures de sédation sont étudiées et mises au point pour les cas de douleurs rebelles à tout autre traitement ou de détresses psychologiques extrêmes;

­ le Collège des Médecins de Famille du Canada rappelait ce mois-ci encore : « Consentir trop facilement aux demandes d'aide à mourir risque d'envoyer un message subtil aux patients. « On est dans l'impossibilité de vous aider parce que je suis incapable de vous aider, malheureusement votre heure de mourir est arrivée. » Il faut résister énergiquement au nihilisme thérapeutique entourant les soins en fin de vie puisqu'il existe de nombreux moyens d'améliorer la qualité des soins en phase terminale. »

C'est aussi l'enseignement qui permettra aux soins palliatifs de se répandre et de devenir de plus en plus accessibles à un nombre toujours plus grand de malades.

Au-delà de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique, une culture palliative apparaît comme l'axe selon lequel une société vraiment humaniste est appelée à se développer. Notre expérience d'accueil des étudiants en médecine (stage facultatif cependant) est une amorce de ce qu'il faudrait offrir aux praticiens de terrain. Un séminaire optionnel et un stage à option en soins palliatifs en fin de doctorat de médecine reste trop marginal.

Aux infirmières et aux soignants, dans les hôpitaux ou ailleurs, il est urgent de proposer plus largement un enseignement sur l'accompagnement des malades et de leurs familles, des stages en unités de soins palliatifs.

Nous nous réjouissons également de tout ce qui se met en place pour la formation continue des médecins et des infirmières, à travers des cours organisés par des institutions d'enseignement post-scolaires, des associations de médecins, et des plates-formes de soins palliatifs.

Enfin, il conviendrait de mettre au point des programmes d'évaluation qualitative et quantitative des pratiques de soins palliatifs sur le terrain des unités, des équipes mobiles de l'hôpital, dans les maisons de repos et au domicile. Cette évaluation va réclamer du temps et des moyens financiers; elle est indispensable pour améliorer l'organisation des différents réseaux de soins palliatifs appelés à se développer, à collaborer, et à travailler leur complémentarité.

Conclusion

Il n'est jamais facile de mourir ou de voir mourir les siens; mais c'est quand « il n'y a plus rien à faire, que tout reste à faire ». Nous croyons que le réseau de relations nouées entre les malades et les familles, les soignants et les bénévoles est le témoignage concret de tout ce qui reste à faire, peut et doit être fait au nom de l'humain. Tout le mouvement, toute la dynamique des soins palliatifs dans le monde s'opposent à l'euthanasie et à sa pratique car ils offrent une méthodologie médicale et humaine qui donne aux malades en phase terminale une réelle qualité de vie au lieu de leur proposer d'abréger leur vie. Si notre société veut améliorer sa solidarité jusque dans l'accompagnement de ses membres en fin de vie, c'est vers une promotion, un développement et une évaluation des soins palliatifs qu'il faut résolument se diriger.

Après toutes ces réalités graves que vous avez bien voulu écouter avec attention, et sans les oublier ni les gommer, je voudrais employer des mots « pastels » comme il y a des couleurs « pastels » pour vous inviter à regarder avec les yeux du coeur quelques brèves images.

Rassurez-vous, elles ne sont ni le produit d'une imagination délirante, ni d'un sentimentalisme à deux sous, mais évocation modeste de réalités maintes fois vécues :

­ un après-midi, sur la terrasse du Foyer; il fait beau, il y a les arbres, les fleurs; il y a surtout à l'ombre de grands parasols, des malades, les uns peuvent encore se déplacer, d'autres sont venus dans des confortables fauteuils roulants. Avec eux, leurs familles, des amis. Sur les tables, des rafraîchissements. Des morceaux de phrases piquées au passage et qui disent comme un bonheur;

­ un autre après-midi, un début de soirée, le temps est ce qu'il est, le grand salon a été orné; on fête un anniversaire; ils sont là, 10, 20, 30, autour du malade; il y a le gâteau et de bonnes choses à boire et à manger, il y a des photos de famille où parfois le petit dernier est dans les bras du malade qu'on fête.

Bien sûr, ce n'est pas le tout des soins palliatifs, mais ce sont aussi ces attentions qui rendent possibles, ces joies, ces sourires, ces bonheurs qu'on n'oserait plus qualifier de « petits », car ils ont été gagnés sur la douleur et la souffrance. Comme si la vie, la tendresse, la joie même voulaient encore s'affirmer, même sur le chemin de la mort.

Je vous remercie de m'avoir invité et de votre attention à les écouter, ces malades et leurs familles, qui nous ont fait en grande partie ce que nous sommes.

M. Philippe Monfils. ­ Je voudrais poser quatre questions. Pour vous, les soins palliatifs doivent-ils constituer le préalable à toute réponse à une demande d'euthanasie ? La proposition des six auteurs stipule qu'il faut développer les soins palliatifs, mais propose un choix au patient qui peut demander l'euthanasie, sous certaines conditions ou préférer entrer dans une unité de soins palliatifs.

Ce matin, nous avons entendu le professeur Vincent qui, plutôt que de soins palliatifs, préfère parler de soins continus. Il nous a dit se méfier fortement des soins palliatifs qui sont organisés de manière séparée, dans une structure, et trouverait préférable, pour une personne qui arrive en fin de vie, d'être accompagnée dans son service, éventuellement par des personnes qualifiées en plus grand nombre. Il nous a dit redouter les transferts et a exprimé sa crainte de voir les soins palliatifs devenir synonymes de mouroirs.

Partagez-vous ce point de vue du professeur Vincent ?

Vous nous avez dit que l'on pouvait soulager la douleur dans la très grande majorité des cas. Je suis d'accord avec vous. Toutefois, si la douleur subsiste, vous avez dit qu'il y était répondu par une médication et une écoute réajustées. Qu'est-ce que la médication réajustée ?

Est-ce la sédation contrôlée ? Le cas échéant, faites-vous une différence entre la sédation contrôlée et l'euthanasie ? Un autre intervenant, issu de l'UCL, je crois, nous avait répondu que la sédation contrôlée et l'euthanasie étaient identiques et qu'il serait hypocrite de distinguer les deux.

Enfin, plusieurs intervenants nous ont signalé que, même dans les services de soins palliatifs, en moyenne 2 % d'actes d'euthanasie étaient posés à la demande du patient. Partagez-vous ce point de vue ou niez-vous cet élément statistique ?

M. A. Schoonvaere. ­ Faut-il un passage obligé vers les soins palliatifs avant de proposer une euthanasie ? Je dirai que cela dépend des situations. Même si j'ai un passé hospitalier, je ne parlerai que de l'institution où je travaille. Pas plus tard qu'hier, nous avons eu une demande d'admission pour quelqu'un qui exprimait une demande d'en finir. Je crois qu'il faut bien distinguer ce qu'est la réelle demande d'euthanasie. Le patient peut s'exprimer de différentes manières : « Docteur, je n'ai plus envie de vivre » ou « Laissez-moi mourir » ou « Faites-moi mourir ». Ces notions sont très différentes et quand les phrases sont jetées comme cela à la figure d'un médecin ou d'un soignant, il faut décoder. S'il dit : « Docteur, je veux mourir », le patient ne teste-t-il pas encore le degré de relation qu'il y a entre lui, le médecin, sa famille ou les soignants ? On peut alors constater qu'il ne s'agit pas d'une demande réelle d'euthanasie, mais simplement d'un appel à l'aide, parce qu'on vit mal.

Face à un patient qui exprime cette souffrance difficile, parce qu'il se sent en fin de vie, parce qu'il sent qu'il ne va pas bien, je pense qu'il faut tout mettre en oeuvre, par une médication et un accompagnement heure par heure. C'est d'ailleurs ce qui justifie toute une équipe de soins palliatifs. La demande peut surgir à trois heures du matin, quand l'infirmière se trouve seule avec une aide de soins. Cette demande est relayée par un appel, parfois même en urgence, chez le médecin. Elle est rediscutée le lendemain, avec l'équipe de soins et on s'aperçoit que cette demande s'estompe ou ne se reproduit plus avec la même acuité. Pour moi, il est évident qu'il y a un préalable, en tout cas dans notre institution. Les soins palliatifs sont jusqu'à présent ce que nous avons trouvé de mieux pour répondre à ce que l'on appelle ­ et c'est un concept très important ­ cette douleur totale : physique, morale, psychologique.

J'en viens à votre deuxième question. Vous semblez dire qu'une fois que toutes les possibilités des soins intensifs ont été exploitées, il faut passer la main et confier les patients à un service de soins palliatifs.

M. Philippe Monfils. ­ Le professeur Vincent exprimait son opposition à des soins palliatifs qui seraient une espèce de structure séparée et préférait parler de soins continus. Il souhaitait que le patient en phase terminale reste en soins intensifs et soit accompagné par des soins appropriés. Partagez-vous la conception du professeur Vincent ?

M. A. Schoonvaere. ­ Je ne suis pas d'accord avec le fait qu'il pense que c'est un cloisonnement. L'institution hospitalière se donne des moyens pour mettre en place, dans les grandes centres hospitaliers, une unité résidentielle, une équipe mobile. La culture palliative va passer dans tout l'hôpital. Il est clair que des situations de fin de vie en soins intensifs ... Que faut-il faire quand cliniquement, il n'y a plus rien à faire ? Je pense qu'il y a une famille à accompagner, une famille qui se trouve le plus souvent derrière la porte des soins intensifs.

Dans nos hôpitaux, cet aspect des choses n'est pas encore bien pris en charge. Et c'est là qu'une équipe de première ligne de soins intensifs doit pouvoir être aidée par une équipe mobile. On m'a raconté le cas d'un patient qui était reparti en soins intensifs alors qu'il était dans un processus cancéreux. Sa famille a été entourée par la psychologue de l'équipe mobile. Cette praticienne a pris du temps pour écouter la famille, mais elle a aussi en quelque sorte guidé le médecin dans la décision. Il est difficile de décider, par exemple, dans une unité de soins intensifs, d'arrêter les traitements. Je pense que la culture palliative va guider cette réflexion et encadrer ces pratiques.

Selon moi, il faut faire des choix de niveau de soins. J'ai sous les yeux la position de l'Association gériatrique américaine. La gériatrie implique des soins palliatifs réguliers, qui ne sont peut-être pas intensifs, mais ils sont au coeur de ce débat. Tout d'abord, cette association recommande de faire le choix d'un bon niveau de soins. Qu'est-ce qui est raisonnable ? Qu'est-ce que le patient attend ? Qui répond le mieux à la question ? En ce qui concerne le niveau d'intensité des soins, il faut déterminer, dans la phase critique où l'on est, quels soins l'on va entreprendre. S'agit-il de soins de phase optimale, de phase intermédiaire, de phase palliative ou de soins de phase terminale ? Il est important d'avoir des procédures, des guide lines, comme on dit aux États-Unis, pour encadrer les pratiques.

Les soins de confort constituent la base et on y rajoute des soins de plus en plus aigus. À un moment donné, on est en train d'écrêter la pyramide pour ne garder finalement que des soins de phase terminale : soins d'hygiène, positionnement corporel confortable, soins de bouche, contrôle de l'inconfort et de la douleur et, surtout, support émotionnel.

Un peu plus haut se situent les soins de phase palliative; ils comportent tout ce qui est maintien et restauration de l'intégrité cutanée, de la mobilisation, de la nutrition, de l'hydratation, le contrôle de la douleur, de l'inconfort, des symptômes; ils comportent éventuellement des médicaments ou de la chirurgie.

Si on monte encore plus haut, on retrouve les soins de phase intermédiaire qui sont plus intensifs, en tout cas plus aigus : mesures diagnostiques usuelles, peu invasives, mesures thérapeutiques médicales pour maintenir les capacités fonctionnelles, etc.

Il est donc important d'avoir des soins guidés par des valeurs et une approche multidisciplinaires, parce que ces décisions doivent être prises en équipes multidisciplinaires. En matière de soins de confort et d'alimentation, les infirmières sont les plus expertes pour donner un avis sur la question et le partager avec leurs collègues médecins en vue de prendre des décisions.

Il importe aussi d'avoir une approche palliative et il faut bien entendu former des soignants et aussi éduquer le public.

Cet exemple vous montre qu'on ne peut cloisonner dans un coin une unité ou une équipe mobile. Je crois que la mission d'une culture palliative, c'est de gagner, mais cela ne se fait pas en cinq ans. En moyenne, les équipes de soins palliatifs existent en Belgique depuis cinq ans. En Angleterre, l'expérience porte sur trente ans; en Amérique du Nord, sur 25 ans. Je pense donc que nous devons prendre des leçons dans ces pays; nous devons nous montrer modestes car nous n'en sommes qu'au début.

En ce qui concerne la troisième question, j'ai parlé d'une médication appropriée et d'une écoute réajustée. Le réajustement concerne à la fois la médication et l'écoute. Lorsqu'un patient présente une douleur, c'est un signe d'alerte auquel non seulement le médecin mais aussi l'ensemble de l'équipe doivent être attentifs. Le médecin doit être aussi attentif à ce qu'il met sur sa prescription qu'à la réaction du malade à cette prescription. C'est important car nous ne réagissons pas tous de la même façon à l'aspirine ou à d'autres médicaments.

À mes yeux, il importe d'avoir un retour en permanence et que l'évolution de la douleur soit évaluée très régulièrement, au moyen d'échelles, pour permettre de réajuster les thérapeutiques médicales. J'insiste sur le fait que la situation change d'heure en heure.

C'est pour cette raison que, dans notre établissement, nous donnons une médication antidouleur par pompe, de manière continue. Les infirmières renseignent aussi le médecin et font remarquer par exemple que, pendant la toilette, le patient a donné des signes d'inconfort ou de douleur; il ne l'exprimait pas verbalement mais on pouvait le voir à son expression. Il est important à ce moment que le médecin puisse prescrire ce qu'on appelle chez nous en langage un peu technique des « entre-doses » : on redonne une faible quantité de morphine pour calmer la douleur qui survient malgré une médication adaptée au fil des jours.

Cette prise en charge de la douleur clinique est une expertise médicale. Si on veut que la médecine palliative devienne une médecine rigoureuse et professionnelle, il faut passer par des protocoles et par des exigences dans nos pratiques de tous les jours.

La sédation est quelque chose de différent. Je laisserai à ma collègue le docteur Vandeville l'occasion d'en parler tout à l'heure. Ce qui distingue une sédation d'une euthanasie, c'est tout d'abord l'intention de celui qui prescrit ce traitement.

La sédation est prescrite pour calmer des douleurs rebelles, une angoisse incontrôlable ou lorsque des patients risquent de décéder de manière très pénible, dans des hémorragies massives par exemple. On sait que, dans des cancers de la gorge, la carotide peut se rompre à un moment donné; le malade se voit littéralement mourir soit parce que son sang sort à jets continus ­ ce qui est très angoissant; il faut l'avoir vu une fois pour savoir qu'on n'oublie jamais cela de sa vie ­, soit parce qu'il est étouffé par son propre sang. Dans ce cas, il faut pouvoir donner une sédation d'urgence. Dans les services de soins palliatifs qui sont rompus à ces techniques ­ et là je pense que nous avons encore des choses à apprendre ­ on explique ce risque aux malades et on place dans leur chambre une trousse d'urgence car, si l'accident se produit, on n'a pas le temps d'aller chercher des médicaments ou des seringues; il faut intervenir dans la minute. Ce type de sédation est donc l'accompagnement d'une souffrance psychologique extrême qu'on calme.

Le deuxième type est la sédation intermittente. Comme je l'ai dit, l'acte de sédation diffère totalement de l'acte de donner la mort et, pour la sédation intermittente, on propose au patient et à son entourage des sédations bien étudiées et clairement établies sur un protocole.

Dans les sédations intermittentes, on garde autant que possible le rythme de sommeil du malade; ce peut être un rythme jour - nuit mais, comme en fin de vie les rythmes du malade ne sont plus les mêmes que les nôtres, on endort le patient et on le réveille en respectant son propre rythme. Pour l'éveiller, il suffit d'arrêter la sédation. Durant les périodes intermittentes d'éveil, certains malades ne demandent plus rien. Quelque chose s'est libéré par la sédation. Un calmant a apaisé le patient.

Il y a aussi des sédations beaucoup plus continues. Dans ce cas, on provoque un sommeil prolongé. Ma collègue vous en parlera tout à l'heure. Je ne suis pas médecin et je vous fais part de mon point de vue qui résulte de tout ce que j'ai vu pratiquer et de tout ce que j'ai lu sur la question. Il importe d'informer le patient et son entourage, de garder le contact. Dans les sédations plus prolongées, il faut en outre soigner le malade comme s'il était encore lucide. Tous les soins continuent. On n'abandonne pas le malade comme cela a été fait en France voici 15 ou 20 ans. On appelait cela des « cocktails de déconnexion ». La sédation est autre chose qu'une déconnexion pratiquée pour être tranquille. C'est une approche médicale et humaine. Les deux vont de pair. Il ne s'agit pas simplement de pharmacologie donnée à un moment extrême de la fin de vie. C'est beaucoup plus rigoureux.

J'ai sous les yeux un protocole de sédation de la maison Michel Sarrasin où l'on a étudié les aspects éthique, médical et institutionnel de ces sédations. Ce document est confidentiel et je ne puis vous le soumettre. Je veux simplement vous prouver que l'on examine cette problématique tous les jours.

Lors du prochain congrès de l'association québécoise au mois de mai, un atelier est prévu sur la sédation en fin de vie.

Mme Kathy Lindekens. ­ Je remercie M. Schoonvaere pour son témoignage sur les soins palliatifs auxquels il se consacre avec tant de dévouement. Je n'ai jamais visité son institution mais je connais bien d'autres unités de soins palliatifs en Flandre.

Dans ces unités où l'on travaille avec tout autant de dévouement, où les thérapeutes sont aussi très proches du patient et où l'on utilise les mêmes couleurs pastel, il arrive d'entendre des demandes d'euthanasie. La voie que l'on emprunte avec le patient est parfois différente.

Je me demande aussi si c'est lié à la communication, à la manière de parler et d'écouter. Je constate que l'intervenant « traduit » en permanence la demande du patient. Mais si le patient, déjà trop faible, remarque que sa demande est en fait condamnée et qu'il n'y a pas assez d'ouverture chez ses interlocuteurs pour y accéder, ne finirait-il pas par renoncer à cette demande même si sa douleur persiste ?

Il a été dit que dans la majorité des cas la souffrance peut être neutralisée. Que se passe-t-il toutefois dans les cas plus rares où la souffrance ne peut être apaisée ? Que fait-on en pareil cas ?

M. A. Schoonvaere. ­ Je ne peux parler que de mon expérience. Comme je le disais dans mon exposé, parlons-nous toujours des mêmes choses lorsque nous évoquons les soins palliatifs ? Comment peut-on comparer ce que l'on fait ?

Je ne peux vous dire que l'expérience de 1 200 patients. Nous avons eu des demandes mais nous n'avons jamais « honoré » une demande. Je ne vais pas inventer. C'est le fruit d'une expérience. L'unité avec laquelle nous sommes jumelés au Québec, a eu 4 000 patients et deux demandes insistantes d'euthanasie qui ont abouti à une mise sous sédation.

Vous avez parlé des 2 %. Nous avons amorcé des sédations. Ce sont des sédations pour douleurs mais ce sont aussi des sédations pour angoisse extrême et agitation incontrôlée. Nous demandons parfois l'expertise d'un médecin spécialiste en psychiatrie ou en anesthésie pour aider les médecins du centre à juguler ces douleurs. Je ne peux vous parler que de l'expérience. Peut-être vous paraît-elle lénifiante mais je pense que d'autres unités, comme celle de St Jean, vivent les mêmes réalités.

Que fait-on ? Comment le fait-on ? Comment l'évalue-t-on ? Que les médecins en soins palliatifs disent bien ce qu'ils entendent par demande d'euthanasie. Un médecin me disait la semaine dernière qu'il y avait 30 % de demandes. Si le malade dit « ça ne va plus » et qu'il fait le geste de se supprimer, est-ce pour autant une demande d'euthanasie ? Nous n'avons jamais dû envoyer dans un autre centre un patient qui aurait dit : « Vous ne me calmez pas, il faut m'envoyer ailleurs. »

M. le président. ­ Vous m'avez dit le contraire lorsque je me suis rendu dans votre centre.

M. A. Schoonvaere. ­ Non, j'ai fait état de l'expérience de Hasselt. Nous n'avons jamais adressé un patient dans une autre unité. Il y a des patients qui n'ont jamais franchi notre unité, c'est autre chose, mais nous n'avons jamais honoré de demandes dans notre service.

Lors de votre visite, j'ai fait part d'une expérience que je vais raconter à présent aux membres de la commission.

Cela se passe à l'unité de Hasselt, chez le docteur Marc Desmet. Une patiente demande avec insistance l'euthanasie. Le médecin envoie cette patiente dans un hôpital après avoir pris contact avec le confrère et le médecin en question dit à la patiente qu'elle peut l'appeler quand elle veut.

La veille de cette euthanasie, la patiente rappelle le docteur en disant qu'elle a changé d'avis et demande de pouvoir être réadmise dans son unité. Bien entendu, le médecin répond que c'est tout à fait possible. La patiente rentre donc dans l'unité pour y décéder trois semaines plus tard.

C'est cette situation que j'ai évoquée lors de votre visite, mais il n'y a jamais eu chez nous une demande. Un patient s'est présenté chez nous avec une lettre de son médecin traitant prescrivant un traitement et demandant que nous l'exécutions. Nous n'avons pas accepté cette demande, mais avons informé le patient que nous pouvions l'aider d'une autre manière. Ce patient n'a pas accepté et il est rentré chez lui.

M. Philippe Mahoux. ­ Je connais bien l'institution. J'y ai discuté longuement avec l'ensemble de l'équipe. Je peux dire qu'elle jouit de l'estime de toute la population et des médecins. Le dévouement des bénévoles est remarquable.

La nature de l'institution, qui est catholique, établit clairement qu'elle refuse l'euthanasie et qu'elle ne la pratique pas. C'est en tout cas ce que vous m'avez confirmé lorsque nous nous sommes rencontrés.

M. A. Schoonvaere. ­ Elle ne l'écrit pas.

M. Philippe Mahoux. ­ Vous m'avez dit que, dans la maison, vous refusiez l'euthanasie.

M. A. Schoonvaere. ­ On ne l'a jamais pratiquée. C'est une nuance.

M. Philippe Mahoux. ­ Je ne veux pas mal interpréter vos propos. Que vous refusiez l'euthanasie, c'est votre droit le plus strict, mais vous ne voulez pas l'écrire parce que, sinon, les personnes qui sont chez vous n'oseraient plus la demander.

Je voudrais vous poser trois questions qui ont trait aux soins palliatifs. Personnellement, je ne partage pas votre position sur l'euthanasie bien que je la trouve tout à fait respectable, mais nous souhaitons tous que les soins palliatifs se développent.

Tout d'abord, pourquoi une structure verticale et pourquoi ne pas favoriser les structures transversales de développement en soins palliatifs ? En d'autres termes, pourquoi, dans une institution comme la vôtre, avec dix lits, qui propose des soins d'une très grande qualité, un environnement et une écoute appréciés de tous, une structure verticale, isolée, et pas une structure transversale à la fois pour les domiciles, dans l'hôpital, avec des équipes de soins palliatifs mobiles mais qui font autre chose aussi que des soins palliatifs ? Notre volonté est d'aider au développement des soins palliatifs et il serait intéressant que nous comprenions ce style d'approche.

Ma deuxième question concerne le financement. Vous savez que nous souhaitons, par notre proposition de loi, favoriser le développement et l'accessibilité des soins palliatifs. Il serait intéressant que vous nous disiez comment vous êtes financé et la formule qui serait la plus optimale.

Enfin, a priori, vous êtes formé à l'écoute. Vous avez des positions tout à fait nettes que vous venez d'exprimer par rapport à l'euthanasie. Entendre les demandes et pouvoir les relativiser, c'est important, mais l'opposition que l'on peut avoir à l'égard de l'euthanasie n'entraîne-t-elle pas, de la part de celui qui écoute, une forme de sélectivité puisqu'il sait déjà que, par option philosophique, il ne répondra pas à cette demande ?

Je pose simplement la question parce que je suis interpellé par le fait que, suivant les structures de soins palliatifs, le nombre de demandes formulées et relatées est extrêmement différent. Vous dites que chez vous, le nombre est peu élevé.

D'autres services de soins palliatifs, tout aussi à l'écoute, aussi professionnels, aussi formés, font état d'un nombre de demandes beaucoup plus important. Je dirais que les différences sont un peu fonction des réponses que les équipes acceptent de donner à ces demandes. D'où une interrogation : l'interprétation qu'on peut faire des demandes n'est-elle pas parfois liée aux réponses qu'on accepte de donner ou non ?

Certaines statistiques en termes de demandes montrent des différences entre votre centre et d'autres centres de soins palliatifs, ayant une approche humaniste, professionnelle et pluridisciplinaire et une formation à l'écoute aussi importantes que chez vous.

Pourquoi ces différences de statistiques ?

M. A. Schoonvaere. ­ Je répondrai à votre question relative à la verticalisation des soins palliatifs par une autre question. En quoi une unité, de plus une unité extra-hospitalière comme la nôtre, a-t-elle lieu d'exister dans ce que j'appellerais cette approche pluraliste, dans le sens plurimodal, des soins palliatifs ?

Un centre comme le nôtre ou une unité de soins palliatifs a, pour moi, trois missions, par rapport à une équipe mobile, au domicile et à des fonctions palliatives. Nous avons l'occasion d'avoir une concentration ­ je dois mesurer mes mots parce que les malades qui sont là sont tous des malades très souffrants ­ en fait, une population de malades qui nous autorise à avoir une professionnalisation des soins palliatifs de plus en plus aiguë.

Première mission : donner des soins, c'est clair. Et, tous les jours, nous devons améliorer nos soins. Je peux vous citer toute une série de recherches auxquelles nous nous intéressons. Au Canada, il y a vingt programmes de recherches sur la manière dont on peut valider l'appréciation d'une échelle de douleur, comment valider une charge morale que les familles accusent dans les unités de soins palliatifs.

Des études portent sur la stabilité des médicaments antalgiques utilisés dans les pompes, etc. Il y a là un champ à explorer et, de par la quotidienneté des soins intensifs palliatifs, c'est aussi le rôle d'une unité de le promouvoir.

Il y a la pratique, il y a l'enseignement. Comment apprendre à un étudiant en médecine en quatrième doctorat ? Mon fils est sorti de médecine, au mois de juin dernier. Son cours de soins palliatifs comportait deux heures de séminaire, et puis c'est tout, les stages étant facultatifs. Comment allez-vous faire passer une culture palliative chez les médecins si vous ne les accompagnez pas, quand ils sont jeunes stagiaires, à apprendre à un malade à entendre la vérité. C'est important, c'est capital. C'est cela aussi, l'approche des soins palliatifs. Et cela doit se faire dans des unités comme la nôtre. Il faut apprendre aux médecins à manipuler délicatement les anti-douleurs.

Des unités comme la nôtre ont le rôle de former, sur le terrain ­ j'insiste ­ et pas de façon livresque, avec un bouquin, dans un bureau médical d'un hôpital, à la thérapie anti-douleur de telle ou telle situation. Comment accompagner une famille quand elle apprend l'inéluctable ? Ce sont des situations vécues dans tous les hôpitaux et je crois qu'il y a là un travail énorme d'encadrement. C'est d'abord à travers un enseignement et une formation rigoureuse, dans des unités, avec des certificats en soins palliatifs, que cela peut se faire. La deuxième mission est donc l'enseignement.

Troisième mission : la recherche. On a cinq ans de recul, donc attendons encore, mais il y a des choses à faire et à étudier dans ce domaine médical nouveau.

M. Philippe Mahoux. ­ Pourquoi de manière verticale et non transversale ? Et l'équipe mobile ?

M. A. Schoonvaere. ­ L'équipe mobile a pour rôle d'aller, en seconde intention, auprès d'une équipe de première ligne pour, essentiellement, apporter des conseils dits de thérapie antalgique et des conseils de prise en charge de la famille. Mais vous ne pouvez pas imaginer une équipe mobile dans un hôpital : l'hôpital qui la finance le mieux y mettra quatre personnes rémunérées, ce qui représente six millions sur son budget. Comment voulez-vous, avec six millions, faire un accompagnement intensif ? On fait ce qu'on peut. Donc, il faut dégager des moyens financiers, ce qui nous mènera à l'autre question, celle du financement.

Je crois que dans les maisons de repos et de soins, il faut aussi que la culture passe. Comment ? Nous avons, par exemple, une convention avec les maisons de repos et de soins du CPAS de Namur, où les infirmières et les aides de soins viennent en stage pendant quinze jours. Ils viennent voir comment on entoure les mourants et comment les choses se passent en fin de vie. Je dois dire qu'ils sont étonnés et qu'ils repartent avec un acquis, mais frustrés parce qu'ils rentrent dans leur unité avec un environnement humain de travail évidemment cinq à six fois moindre.

Mais il y a des choses qui ne coûtent pas d'argent : c'est la manière dont, à l'heure du décès, on accompagne une famille. On reste une heure, deux heures auprès de la famille au moment de la mise en bière. Nous attachons une extrême importance à ces activités parce que c'est vital pour la famille, parce qu'on sait aussi qu'un deuil bien préparé est un deuil qui se passera bien.

Je pense que l'équipe mobile a sa place au sein d'une entité de cinq cents lits. Une fonction palliative a aussi sa place au sein d'un hôpital et je crois qu'à domicile, l'équipe de seconde ligne a sa place pour relayer, pour promouvoir les soins palliatifs auprès des gens de la première ligne. Mais nous devons travailler avec les moyens que nous avons, et nous en arrivons ainsi au financement : le financement des soins palliatifs en Belgique représente 3,8 francs pour 1 000 francs dans le budget.

M. Philippe Mahoux. ­ C'est vrai, vous avez raison de manière très générale. Mais pour votre institution ?

M. A. Schoonvaere. ­ Comme je l'ai dit dans l'exposé, du 4 octobre 1989 au 1er janvier 1995 : fonds propres d'une congrégation, dont coût 150 millions. C'est une volonté d'un pouvoir organisateur de décider de créer ce centre sur Namur. Je citerai Saint-Jean sur Bruxelles et l'IMTR quelques mois avant nous. D'autres institutions se sont développées au même moment sur leurs fonds propres, puisqu'il n'y avait pas de financement. Ensuite, le 1er janvier 1995, arrive un financement : 7 000 francs, en tout cas pour notre institution, puis 8 000 francs, etc. Nous avons maintenant un financement de 12 000 francs par jour par malade, pour une durée de séjour de trois semaines, ce qui nous donne un budget de 40 millions, mais qui est encore insuffisant. En fin d'exercice, il y a actuellement encore une perte.

M. le président. ­ Quelle est la durée moyenne des séjours ?

M. A. Schoonvaere. ­ Trois semaines à un mois. Les 12 000 francs, cela n'est guère plus cher ­ c'est important de le dire ­ dans une institution que dans une autre institution hospitalière. J'ajoute que dans notre institution, vu sa configuration extrahospitalière et géographiquement décentrée, on est vraiment dans une réalité de soins palliatifs purs, où il n'y a plus d'actes techniques que j'appellerais de routine et qu'on l'on continue parfois à prescrire dans certains hôpitaux.

Nous nous en tirons avec notre budget de 12 000 francs par jour. J'ai lu toutes les propositions de loi sur les soins palliatifs et il est clair qu'il faut absolument mieux financer, notamment en fonction des malades incurables, comme indiqué dans la proposition, ce qui constituera une dépense dont il faudra bien calculer les enjeux sur le plan économique, car elle se chiffrera en milliards. C'est une volonté politique et c'est votre responsabilité, je pense.

M. le président. ­ Il y avait également la question sur la différence de statistiques de votre institution par rapport à d'autres.

M. Philippe Mahoux. ­ Au niveau de la verticalisation, c'est extrêmement important. Vous formez des équipes depuis dix ans et, il y a dix ans précisément, j'avais fait sur le terrain namurois la proposition, qui ne fut pas acceptée, de créer des structures pluralistes de soins palliatifs. Quand je vous ai rendu visite, je vous ai demandé si les équipes qui travaillaient dans votre institution s'occupaient continuellement de soins palliatifs. Cette activité qui touche à la mort et à son accompagnement étant très difficile, ne serait-il pas souhaitable de prévoir une certaine rotation ? Les médecins travaillent également dans d'autres établissements, mais pour le personnel et vous-même, qui êtes directeur depuis quatre ans, ne faudrait-il pas envisager une certaine rotation ?

M. A. Schoonvaere. ­ Vous semblez penser qu'il est morbide de travailler continuellement dans ce cadre ?

M. Philippe Mahoux. ­ J'estime que c'est peut-être trop difficile.

M. A. Schoonvaere. ­ Je pense que ce n'est pas le cas. J'ai dit dans mon texte que nous recevions autant que nous donnions. J'ai sous les yeux trois pages d'extraits de lettres des familles. Leur reconnaissance est extraordinaire. Je vous donne quelques exemples.

Avant son admission dans notre maison, M. X avait formulé une demande d'euthanasie. Chez nous, cette demande n'est jamais réapparue. Nous n'avons d'ailleurs appris qu'après le décès de M. X qu'elle avait eu lieu. C'est après son décès également que sa famille nous a dit qu'il avait fait une demande pour trouver un centre. La famille lui avait suggéré d'aller d'abord dans une unité de soins palliatifs. C'est un peu le préalable dont on parlait tout à l'heure. M. X est resté trois mois chez nous. Son épouse est constamment restée auprès de lui. Il est important de dire que, dans une maison comme la nôtre, nous accueillons autant le malade que son conjoint.

Dans une unité de soins palliatifs, l'axe patient-famille est indissociable. Je ne suis cependant pas certain que ce soit le cas partout. Il recevait régulièrement des visites de ses enfants et d'amis. Le lendemain des funérailles, j'ai reçu de sa fille la lettre suivante : « Un grand merci à vous tous pour votre accueil, votre compréhension et la compassion authentique qui vous anime pour réaliser dans un tel respect l'accompagnement d'êtres en partance pour l'autre rive, comme vous le dites, pour l'accompagnement et l'écoute de leurs proches aussi. Je suis reconnaissante que papa ait pu vivre ses derniers jours au sein de votre foyer.

À aucun moment, grâce aux soins attentifs que vous lui avez prodigués et au respect que vous lui avez témoigné, je n'ai eu le sentiment de la moindre déchéance, chose qui lui faisait le plus peur, même si la maladie poursuivait inexorablement son oeuvre. Je vous suis, du fond du coeur, profondément reconnaissante pour ce respect, cette attention et la chaleur humaine que vous lui avez offerte, à lui et à notre mère apparemment si démunie pour affronter la séparation. Elle en ressort avec une grande force et une grande confiance. »

Voici un autre témoignage. « Jacques entra seul au Foyer Saint-François, conduisant sa voiture. Sa lucidité sereine, son attachement à la vérité sur son état, sa bonne mine outrageuse, comme il la qualifiait lui-même, son autonomie militante, sa volonté inébranlable et sa bienveillance en même temps étonnèrent. Assez rapidement, sa force physique déclina, sans entamer ce qu'il nous montrait de sa force intérieure. Seulement son sourire se crispa-t-il légèrement. Puis survint la douleur de nuque, imprévue et terrassante, enfonçant soudain en lui la peur et l'invalidité majeure. Perdant totalement cette maîtrise de son corps qui lui était si précieuse, il se rendit. Il accepta enfin de se laisser faire. Sa peur ne dura que quelques jours et avec elle s'évapora la volonté farouche d'être fort. Se rendre à la tendresse des soins, à l'immense respect de sa personne, à l'apaisement minutieux de sa douleur lui permit sans doute de rejoindre la grandeur de la misère de l'homme. Il voulait vivre encore pour explorer plus à fond ce nouveau monde, cette ère nouvelle de son histoire. J'avoue avoir craint auparavant que cet homme fier refuserait sa déréliction, avoir imaginé un suicide ou une demande d'euthanasie.

Combien ce fut différent par sa grandeur intérieure mais aussi par ce qu'est le Foyer Saint-François. »

M. le président. ­ La question concernait la différence de statistiques dans votre foyer par rapport à d'autres où les demandes, d'après ce que vous dites, sont pratiquement nulles.

M. A. Schoonvaere. ­ Il serait malvenu de dire que nous sommes les meilleurs. Il y a d'abord un contexte. Je vous ai donné une statistique sur la maison Michel Sarrasin. C'est « le » centre à Québec.

Deux demandes d'euthanasie ont dû être sédatées. L'environnement joue. L'atmosphère particulière est due au fait que cette unité se trouve dans une maison familiale. Tout se vit ensemble. Ce sont deux familles qui, à un moment donné, se rejoignent.

Dans toutes les chartes d'associations de soins palliatifs américaines, canadiennes, australiennes et autres, il est dit que les unités de soins palliatifs ne recourent pas à l'euthanasie. Cela fait partie d'un présupposé de base. Je vous rappelle que lorsque la fédération belge a été créée il y a dix ans, elle était nationale et la charte de l'époque, à laquelle tout le monde adhérait précisait en son point 7 que les soins palliatifs excluaient l'acharnement thérapeutique et le recours à l'euthanasie. Il y eut ensuite splitsing et, dans un contexte pluraliste, on a un peu tronqué la notion de soins palliatifs. Je crois que la Belgique est le seul pays où cela a eu lieu. Dans d'autres chartes, on exclut tout à fait l'euthanasie de la pratique des soins palliatifs. Cela ne signifie pas que l'on n'entend pas les demandes. Je ne peux vous dire autre chose que la réalité des faits. Vous me direz peut-être que notre institution, du fait qu'elle s'appelle Saint-François, met un filtre.

Notre institution a une caractéristique particulière. Quand dans un hôpital, un patient passe du 7e étage, « cancérologie », au 8e étage, « soins palliatifs », il n'est pas nécessairement tout à fait conscient qu'il entre en soins palliatifs.

Il reste dans l'hôpital où il a été soigné. La démarche de venir au Foyer Saint-François est évidemment connotée. Tout Namurois sait que le Foyer Saint-François n'est pas une maternité. Le Foyer est chargé d'une connotation de mort réelle imminente. C'est important.

Quand le patient vient, tout un travail doit être accompli. Au début, nous avions pris les critères de la Maison Michel Sarrasin. Le patient qui entrait devait, comme dans la culture nord-américaine, savoir qu'il avait un cancer et était à la fin de sa vie. Nous avons fait des dégâts en précipitant les patients dans une vérité qu'ils n'étaient pas capables d'entendre. Maintenant, nous pensons que le critère est de considérer que le malade entre comme il peut. Je vous répète que nous avons été confrontés à une demande d'euthanasie très insistante, mais aussi ambiguë. Mais il faut relire l'histoire de ce patient. Il nous a été adressé par trois médecins spécialistes d'un hôpital. Ils lui avaient dit qu'il allait au Foyer Saint-François pour se revalider, se « requinquer » et qu'ensuite, il reviendrait à Bruxelles où l'on procéderait à une nouvelle petite intervention et qu'il irait mieux. Notre principe est de ne pas mentir. Ne se sentant pas bien, il a posé la question de savoir s'il avait un cancer. Alors, ce patient, déjà à moitié mort ­ je tiens à l'expression ­ en raison de cette relation qui n'était pas authentique et vraie, lorsqu'il découvre l'inéluctable, est pris par l'angoisse et demande à mourir. Il se sent trompé. Je pose ici toute la problématique des pratiques d'acharnement thérapeutique qui ne sont pas assez bien contrôlées dans les hôpitaux. Il faut aussi aller voir là-bas. Nous sommes en aval mais il faut aussi voir l'amont. Je pense que la pratique de la médecine et son humanisation vont amener à la diminution des demandes grâce à un bon encadrement, à une approche humaine et à une diminution de la hiérarchisation. La hiérarchie n'existe pas tellement dans les services mais bien entre les personnes. Si la hiérarchisation est moins forte, si l'on favorise la parole dans les lieux de parole comme les comités d'éthique, on pourra faire en sorte que ces demandes induites par un mauvais encadrement diminuent.

M. Alain Destexhe. ­ Vous avez cité quelques exemples cliniques émouvants mais nous avons entendu ici d'autres exemples qui allaient plutôt dans l'autre sens. On a évoqué le cas d'un patient presque totalement paralysé, à l'exception de quelques doigts qui lui permettaient encore d'avoir un minimum de communication avec l'extérieur. Il faisait l'objet des meilleurs soins possibles et était entouré par sa famille et par le personnel médical. Il était dans cette situation depuis longtemps et avait décidé qu'il voulait en finir en raison de sa souffrance morale atroce. Ses demandes furent répétées et n'ont pas été entendues, ni par le personnel médical ni par la société en général. Je respecte les exemples que vous avez donnés et je ne doute pas de votre sincérité mais le mien est de nature quelque peu différente. Comment répondriez-vous à cette situation ? Refuseriez-vous systématiquement par principe d'accéder à ce type de supplication ? Dans l'affirmative, au nom de quelles valeurs ? Refuseriez-vous en fonction de votre éthique et de votre conviction ? Refuseriez-vous que cela se passe dans votre institution tout en pouvant concevoir que cette demande soit rencontrée dans d'autres institutions médicales ?

M. A. Schoonvaere. ­ Ma réponse sera théorique. Le cas ne s'est jamais présenté. Les deux cas que nous avons eus étaient des patients comateux, en fin de vie. Je vous dirai surtout comment nous les avons accompagnés et qui nous avons accompagné. Dans le cas que vous décrivez, il faut prendre le temps d'entendre cette demande répétée, réitérée ... Vous parlez de souffrance intolérable ... Ce sont des concepts pleins de subjectivité. Qu'est-ce qu'une souffrance intolérable ? Qu'entend-on par répété ? Admettons qu'il faille prendre une décision, je pense qu'elle appartient aux médecins mais qu'ils doivent s'entourer d'avis extrêmement nombreux. Ils doivent consulter de multiples intervenants : un médecin doit consulter d'autres confrères et éventuellement des éthiciens. Vous parlez au fond d'extrême nécessité. Je pense que cette notion est difficile. La question est d'autant plus difficile qu'il faut opter entre deux mauvaises solutions. Je ne suis ni législateur ni juriste. Le cas ne s'est pas encore présenté chez nous.

Je peux parler de deux exemples qui ont sans doute été les plus proches. Il s'agit de deux patients comateux, stade 4, qui nous sont adressés. Quel est l'enjeu ? Ils séjournent tous les deux trop longtemps dans un hôpital et se chronicisent ...

M. Paul Galand. ­ J'attire l'attention sur le fait que nous sommes en séance publique et qu'il ne faudrait pas qu'on puisse reconnaître les cas. Sur un nombre si limité de cas, il faut être très prudent en audition publique.

M. Philippe Mahoux. ­ Cela relève du secret professionnel.

M. A. Schoonvaere. ­ Je me bornerai à vous dire ce qui s'est dégagé. Quand il faut prendre des décisions de désescalade thérapeutique, il faut les prendre en concertation avec la famille. La famille est souvent partagée; elle voit là une personne qui lui est chère et sait que cela ne va pas aller et elle attend. Cette attente est difficile. L'instinct de survie fait qu'on ne lâche pas des thérapeutiques. Il est important de prendre la famille en codécision. Dans mon exemple, le patient fait une complication pulmonaire, infectieuse : il est important de faire comprendre la situation à la famille et de lui faire accepter la décision de ne pas relancer un traitement pour ce patient qui nous a été adressé dans une optique palliative, il faut lui faire comprendre que ce traitement curatif serait de « prolongation inutile » compte tenu des espérances. Il est important de prendre la famille à part.

M. Alain Destexhe. ­ Vous dites que, pour vous, il s'agit d'une situation théorique. Si je comprends bien, vous n'êtes pas opposé systématiquement à ce que cette demande puisse être éventuellement rencontrée.

M. A. Schoonvaere. ­ Je ne puis répondre à cette question. Je pense qu'il faut envisager chaque situation.

M. Patrik Vankrunkelsven. ­ On a déjà posé beaucoup de questions longues, je tenterai donc d'être bref.

Il ressort en tout cas de votre exposé que vous aimez beaucoup votre profession et que vous avez le feu sacré. Cela vous vaut d'ailleurs tout mon respect. Comme chacun au sein de cette commission, j'appuie d'ailleurs pleinement votre démarche lorsque vous réclamez plus de formation et plus de moyens pour les soins palliatifs.

Je vous demanderais cependant de manier les chiffres avec plus de prudence. Vous affirmez par exemple qu'aux Pays-Bas, plus de 50 % des médecins ne déclarent pas les euthanasies qu'ils pratiquent. Je ne peux que le confirmer. Qui plus est, il ressort d'une enquête de 1995 que ce chiffre est encore plus élevé qu'en 1990. On peut en tirer des conclusions toutes autres que les vôtres. Le fait est qu'aux Pays-Bas, le nombre de médecins qui déclarent avoir pratiqué une euthanasie reste beaucoup plus élevé qu'en Belgique, car chez nous aucun médecin ne le fait.

On affirme également qu'aux Pays-Bas, nombre de médecins posent des actes euthanasiques sans consulter un collègue. C'est un fait, mais il y a beaucoup moins de médecins dans ce pays que partout ailleurs dans le monde. En Belgique, en Flandre, on pratique également l'euthanasie et les médecins ne demandent pas davantage un deuxième avis. Les chiffres que vous avez cités à propos des Pays-Bas prouvent en fait l'inverse de ce que vous vouliez dire.

La prudence qui entoure l'euthanasie aux Pays-Bas est nettement plus grande que partout ailleurs dans le monde.

Une dernière observation, il ressort des chiffres que le nombre de patients à la vie desquels on met fin sans qu'ils en aient fait la demande est à peu près quatre fois plus élevé dans notre pays qu'aux Pays-Bas.

M. Hugo Vandenberghe. ­ Je pensais que vous alliez être bref !

M. Patrik Vankrunkelsven. ­ Je n'ai que rarement pris la parole et je voulais seulement étoffer quelque peu ma question, Monsieur Vandenberghe.

M. Hugo Vandenberghe. ­ Les chiffres que vous citez sont totalement inexacts !

M. Patrik Vankrunkelsven. ­ L'enquête dont je cite les chiffres a été publiée dans le « New England of Medecine » et « The Lancet ». Aucune de ces deux revues n'a publié ces chiffres à la légère.

J'en arrive à ma question. Si la recherche scientifique démontrait qu'une loi sur l'euthanasie conduit à plus de prudence dans la pratique de l'interruption de vie, ainsi qu'à une diminution du nombre de cas où il est mis fin à la vie du patient sans que celui-ci en ait fait la demande, seriez-vous alors encore toujours opposé à une telle législation ?

Cette législation devrait évidemment être en parfaite symbiose avec le développement des soins palliatifs.

M. A. Schoonvaere. ­ L'étude à laquelle je fais référence est parue dans le « Journal of Medical Ethics » et porte sur les lignes directrices médicales régissant l'euthanasie violées en Hollande. Je pense qu'il existe des euthanasies volontaires. De toute façon, la proposition de loi déposée actuellement va-t-elle empêcher ces euthanasies volontaires puisque cette proposition vise l'euthanasie pour des patients qui le demandent ? À mon avis, cela ne réglera rien. On poursuivra les euthanasies volontaires comme cela se fait en Hollande. Pour répondre à la dernière question que vous posez, un projet de loi visant à dépénaliser l'euthanasie est pour moi en opposition avec tout un programme de soins palliatifs qu'il faut développer. Les Hollandais veulent désormais promouvoir les soins palliatifs parce qu'ils se rendent bien compte que leurs pratiques n'ont pas été bien encadrées.

M. Patrik Vankrunkelsven. ­ On fait souvent référence aux chiffres des Pays-Bas parce que ce pays est manifestement le seul où l'on réalise une recherche sérieuse. L'euthanasie est pourtant une pratique universelle et ce n'est pas parce que cette pratique aux Pays-Bas est bien documentée qu'elle s'y déroule plus mal. Au contraire, la recherche scientifique démontre que l'euthanasie accomplie selon des critères de prudence augmente et que l'imprudence diminue lorsqu'il y a une loi. N'admettez-vous pas qu'une réglementation légale représente malgré tout une plus grande sécurité pour la fin de vie que l'absence de toute réglementation ?

M. A. Schoonvaere. ­ Je reste de toute façon opposé à cette proposition car s'il y a des euthanasies volontaires, la question qu'il faut se poser est de savoir pourquoi et comment elles sont pratiquées. S'il faut faire quelque chose, c'est examiner et encadrer ces pratiques.

Pour moi, des cocktails litiques donnés en hâte sans l'avis du patient sont une atteinte aux droits de la personne, c'est clair. Ce fait doit être réprimé. Faut-il pour autant instaurer une loi qui dépénalise une autre action afin de mieux voir ce qui doit être réprimé ? Pour moi, ce n'est pas nécessaire.

M. Jan Remans. ­ Nous avons affaire ici à un excellent avocat des soins palliatifs de qualité. Il est donc à la bonne adresse, ici devant cette commission du Sénat car c'est ce que nous voulons tous. Il décrit la culture des soins palliatifs à l'appui d'exemples humains. Il pourrait cependant aussi plaider en faveur de l'euthanasie : d'abord parce qu'il fait référence à la zone de transition dont on a parlé au cours des jours et des semaines passés entre l'apaisement de la douleur, la sédation, contrôlée ou non, et finalement la mort.

De plus, il fait référence à des études qui doivent encore être réalisées et aux progrès considérables qui peuvent encore être réalisés dans le domaine de l'analgésie et de la sédation. Ensuite, il n'a pas parlé que de la douleur, mais aussi de la douleur insupportable, du sentiment insurmontable de faiblesse et de l'épuisement psychique. Il fait également référence au caractère limité des moyens actuels et au fait que l'on pourra sans doute faire davantage plus tard. Le patient qui est actuellement sur le point de mourir, qui est confronté à une souffrance insupportable et qui est dans un état de faiblesse extrême n'en a rien à faire de ces progrès ni de ce qui sera possible dans cinq ans. N'est-il alors pas tout aussi humain d'accéder aux demandes d'euthanasie chez les patients qui en font la demande ?

M. A. Schoonvaere. ­ Est-ce que les gens ont le temps d'attendre ? Je crois que le problème de l'euthanasie n'est pas neuf. Je ne pense pas qu'il faille se précipiter et que ce soit une question de mois. L'épuisement psychique des familles est un de nos critères. Nous accueillons les familles quand elles sont au bout. Vous savez comment ça va dans la vie. On veut accompagner le malade chez soi, à domicile, parce que c'est encore la meilleure formule que l'on préconise. Mais quand des familles ont pendant des semaines, des jours, des nuits entières accompagné quelqu'un, elles nous font une demande parce qu'elles n'en peuvent plus. Qu'est-ce qu'on constate ?

Ces familles, après huit jours d'hébergement dans notre maison, nous disent « Mon Dieu, pourquoi ne sommes-nous pas venus plus tôt ? On découvre ici quelque chose qu'on n'aurait jamais imaginé. » Vous avez parlé de la souffrance morale. Je pense qu'on n'a jamais eu autant de psychologues et de bénévoles dans nos institutions. Il faut concentrer les ressources humaines autour du patient à travers un programme de soins palliatifs structuré et financé. Il convient également de développer la culture du bénévolat.

Je citerai comme exemple la maison Michel Sarrasin qui constitue quand même un modèle d'organisation culturelle, sociale et médicale. Cette maison, qui compte deux lits de plus que la nôtre, fonctionne avec 250 bénévoles; sans eux et sans les subsides qui sont de 25 % inférieurs aux nôtres, cette maison disparaîtrait; une fondation a également été créée. Cela démontre qu'il est possible de trouver des moyens pour le secteur social. La société doit encourager la pratique du bénévolat car certains ne demandent qu'à se former à l'accompagnement en soins palliatifs. Nous sommes en train de vouloir prendre une sortie d'autoroute, dans la précipitation et par mauvaise visibilité, alors que nous pourrions rester sur une route dont nous connaissons bien les repères. Vu les risques et les dérives possibles, il faut privilégier une autre voie.

M. Jan Remans. ­ Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question. J'ai aussi évoqué cette mauvaise visibilité et cette zone transitoire. J'ai aussi exprimé toute mon estime pour la qualité des soins palliatifs. M. Schoonvaere a lui-même décrit les limitations des soins palliatifs actuels en faisant référence aux études et au travail encore à accomplir. N'est-il alors pas tout aussi humain d'autoriser l'euthanasie chez les patients auxquels les soins palliatifs ne peuvent être d'aucune aide ? Je pense que vous n'avez pas bien saisi le sens de cette question.

M. A. Schoonvaere. ­ Je pense que, comme dans tous les domaines médicaux, les soins palliatifs ont leurs limites. Il ne faut pas exiger une obligation de résultats comme celle qu'on peut attendre d'une médecine de pointe, notamment de la chirurgie cardiaque. Celle-ci a aussi ses limites mais ce n'est pas pour cela que l'on ne fait pas de recherches en chirurgie cardiaque ou en cancérologie.

M. le président. ­ Vous n'avez pas répondu à la question. J'ai d'ailleurs passé des heures chez vous sans obtenir de réponses à mes questions. Cela dit, je rends hommage à votre travail.

M. A. Schoonvaere. ­ On ne me demande pas de répondre par oui ou par non; on me demande de prendre position.

M. le président. ­ La question était de savoir ce que l'on allait faire des patients qui sont actuellement en train de souffrir.

M. A. Schoonvaere. ­ On peut se poser les mêmes questions pour toutes les limites de la médecine. S'il faut consentir à euthanasier les patients parce que la médecine a atteint ses limites techniques, on se retrouve dans l'impasse et le ressac.

Mme de T'Serclaes. ­ Pour en revenir aux propos tenus ce matin par le professeur Vincent en ce qui concerne la situation des patients en fin de vie, vous avez parlé d'état de confusion et le professeur a évoqué la difficulté de savoir si le patient était véritablement conscient. Pouvez-vous m'expliquer ce que recouvre exactement cette notion ? Vous avez déclaré que des analyses allaient être effectuées au Canada. Il serait, en effet, intéressant de connaître « l'état de conscience » du patient en fin de vie. Vous avez vous-même évoqué ce problème.

M. A. Schoonvaere. ­ Il s'agit de réalités toujours difficiles à appréhender, plusieurs mécanismes intervenant ici. Il peut s'agir de mécanismes cliniques, biologiques, comme des métastases cérébrales ou de mécanismes psychologiques. Certains patients « entrent dans une confusion » un peu comme par déni de l'instant de mourir. On parle de « confusions pré-mortem ». Le protocole expérimenté dans cette maison au Canada est très important. Depuis deux ans, les infirmières notent toutes les huit heures l'état d'orientation du patient dans le temps et l'espace, puis les premiers signes de confusion, lorsque la personne ne reconnaît plus les lieux ou l'un de ses proches. Lorsqu'un certain score est atteint sur une échelle, les médecins, alertés, administrent éventuellement une médication afin d'éviter que ne s'installent en quelques heures des cataclysmes de confusion dramatiques pour la famille. Ces situations font l'objet de recherches sur le plan de la pharmacologie et de son utilisation. À un problème aigu, il faut donner plus qu'une réponse technique car il y a des interactions. Il est, en effet, très difficile d'évaluer ici la part de l'organique, du psychologique ou de l'inconscient.

M. Georges Dallemagne. ­ Tout à l'heure, vous avez axé votre intervention notamment sur la question des droits du patient et des droits de la famille. C'est effectivement un principe fondamental qui est souvent évoqué par l'ensemble des groupes politiques.

J'aurais aimé savoir concrètement comment se passe cette mise en oeuvre des droits du patient. Quel est le rôle du patient en fin de vie dans votre unité ? Jusqu'à quel point est-il impliqué dans l'information relative à son état ? Vous avez répondu en grande partie à cette question. Comment est-il impliqué dans le type de soins, dans le moment où l'on arrête les soins, dans les formules de sédation, même si j'ai compris qu'il n'y avait pas de sédation entraînant la mort dans votre unité ? Comment s'exercent concrètement les droits du patient ?

Vous avez parlé du droit de la famille. Vous avez indiqué que celle-ci était considérablement prise en compte. Vous avez même dit, je pense, qu'après la mort, vous gardiez des contacts avec la famille. J'imagine qu'il n'est pas évident pour cette dernière de rentrer dans un processus de deuil. Votre expérience est-elle positive et utile à ce sujet ? Dans certains cas, j'imagine que la famille ne souhaite pas qu'on interfère dans son propre processus de deuil.

Vous avez développé un long plaidoyer en faveur des soins palliatifs. Vous avez souligné en même temps à quel point ces soins palliatifs ne répondaient pas totalement aujourd'hui à la problématique et à quel point la formation était importante. L'association des soins palliatifs mène-t-elle des initiatives pour que la situation change ? Vous avez évoqué le fait que votre fils venait de quitter l'université avec pour tout bagage, en matière de soins palliatifs, deux heures de formation. Où en sont les choses pour que, dans les facultés de médecine, dans les écoles d'infirmières ou ailleurs, cette situation change, puisqu'il s'agit d'un élément fondamental ?

M. A. Schoonvaere. ­ Pour évoquer le droit des patients et la façon dont ils sont traités dans une unité de soins palliatifs, je vais vous donner un exemple. Nous avons reçu un patient souffrant d'un cancer du larynx et qui ne savait plus avaler. Dès son arrivée, le médecin lui a proposé, dans un souci de confort et d'alimentation, de lui placer, grâce à une technique simple et anodine, une microsonde. Le médecin en a d'abord discuté avec le patient. Il est important d'informer préalablement celui-ci des traitements dont il va bénéficier.

À la stupéfaction du médecin, le patient a refusé en lui tenant ce discours : « Docteur, je sais ce que j'ai. Je ne veux pas de microsonde. Je considérerais cela comme de l'acharnement thérapeutique à mon égard. Je vous demande, si vous me respectez, de ne pas me mettre une microsonde. Je sais qu'à cause de cela, je vais mourir quelques jours ou quelques semaines plus tôt. Je vous demande notamment que vous me donniez, quand je le veux, le plaisir de goûter, car il ne me reste que cela. Je veux goûter du bon vin et, puisque nous sommes en période de fêtes, du champagne. Je ne désire que cela. » Nous avons respecté cette volonté.

C'est, il est vrai, un peu déconcertant. Les infirmières lui ont donc proposé de l'excellent champagne à Noël et, lui, l'a dégusté. Ensuite, comme il ne savait pas l'avaler, il fallait bien qu'il le recrache. Ce patient affirmait que c'était son meilleur moment. La veille de sa mort, il a dit : « Docteur, je vous remercie de m'avoir respecté jusque-là. » C'est important. Cette notion de droit va de l'admission à l'hôpital à cette fin de vie. La réponse de ce patient nous avait un peut décontenancé car elle n'était pas dans la logique mais il nous a remercié pour cela.

Voici 18 ans, quand j'étais à Mont-Godinne, j'ai fondé une ASBL appelée « Un Centre d'éducation pour patients ». À l'époque, nous avons investi de l'argent et de l'énergie pour informer les patients sur leur état. C'est quelque chose qu'il faut développer dans nos pratiques hospitalières. Les patients sont amenés dans des situations de soins à leur insu, sans leur consentement. Si vous allez aux États-Unis, vous verrez comment les programmes préopératoires sont communiqués au patient. Les études montrent que lorsqu'on l'informe clairement avant l'intervention, le patient consomme moins d'analgésiques, a moins de nausées et son séjour à l'hôpital est plus court de 10 %. Cela entraîne donc une économie extraordinaire dans le domaine de la santé publique. Mais ça, c'est aux États-Unis. Il ne faut pas non plus tomber dans le revers de ce pays où le droit s'américanise au point qu'il devient une obligation de résultat. Entre les deux, entre l'information et l'absence d'information, il existe une grande marge.

Parlons maintenant du droit de la famille. Lorsque le décès survient, même s'il est attendu depuis des semaines voire des mois, c'est un moment crucial, dramatique. On ne s'y fait pas. Nous laissons alors le corps du défunt dans sa chambre pendant 24 heures et la famille a l'occasion de revoir cette personne qu'elle a aimée. Cela concerne toute la famille, y compris les petits-enfants. Vous me direz qu'il s'agit de détails morbides. Pas pour nous. Les familles nous disent combien ça les aide. L'heure qui suit le décès du patient ne nous appartient pas. Elle appartient à la famille et nous la laissons avec le défunt. C'est un moment d'une extrême intensité que nous n'avons pas le droit de violer par notre présence. Ensuite, il y a la présentation du défunt dans sa chambre. Je ne sais pas si l'étape suivante est propre à toutes les unités de soins palliatifs. Il y a ce moment où le personnel et la famille prennent congé de celui qu'ils ont soigné et aimé. C'est un moment de célébration dans le respect des convictions philosophiques de tout le monde. Un membre de l'équipe évoque ce qu'a été la vie de la famille, ce qu'elle a vécu au Foyer Saint-François, les moments que nous avons passés à ses côtés. Un texte religieux ou profane est aussi lu et la famille est encore invitée à aller revoir une dernière fois, en compagnie de bénévoles et du personnel, le malade dans son cercueil. Ce sont des petites choses mais elles sont très importantes pour la préparation du deuil. Un mois après le décès, nous envoyons un petit mot à la famille afin de lui signaler que nous sommes de tout coeur avec elle. Un an après le décès, c'est la même chose. Deux mois après le décès, nous convions les familles à un goûter. Et elles viennent. Lors de la dernière célébration, cent personnes étaient présentes. Elles sont touchées par la sollicitude des soignants et des bénévoles.

Désormais, nous voulons aller plus loin parce que des membres des familles nous téléphonent. Ils ne se sentent pas bien et souhaitent rencontrer à nouveau le médecin ou une psychologue. Nous projetons donc de créer un espace d'accueil pour les enfants qui ont connu un deuil dans leur famille et un second espace pour les personnes du Foyer Saint-François qui sont venues dans la maison. Il s'agit d'une proposition de suivi de deuil comme il en existe dans les institutions françaises, suisses ou canadiennes. Tout cet environnement fait qu'en termes de santé publique, des deuils bien assumés représentent aussi des économies à long terme, et ce en dehors de tout l'aspect de la souffrance morale.

La formation est actuellement rudimentaire. Deux heures de cours facultatifs, en faculté de médecine, sur les soins palliatifs, c'est dérisoire.

M. le président. ­ La situation est-elle la même dans toutes les institutions universitaires ?

M. A. Schoonvaere. ­ Il en est ainsi à l'UCL. Je vais rencontrer le doyen de la faculté de médecine pour essayer de promouvoir des stages en soins palliatifs. C'est important. Dans les écoles d'infirmières, on ne parle d'accompagnement en fin de vie que depuis quatre ou cinq ans. Nous n'en sommes donc qu'à l'ABC. Il faut continuer jusqu'à Z. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous bénéficierons d'une véritable culture palliative dans notre pays.

M. René Thissen. ­ Je voulais poser la même question relative à la famille mais vous avez déjà répondu précisément. Je voudrais, par contre, vous interroger au sujet de l'acharnement thérapeutique. Existe-t-il un type de patient qui est toujours conscient quand il arrive chez vous et avec lequel vous avancez vers l'étape ultime grâce au dialogue ? Ou bien vous retrouvez-vous aussi avec des patients inconscients ou semi-inconscients face auxquels vous vous posez la question de l'acharnement thérapeutique ? Si oui, quelle est votre réponse ?

Ma seconde question porte sur le financement. Hier, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, nous avons entendu le rapport Peers relatif à la distribution des soins de santé. Un représentant de l'INAMI a cité un chiffre. J'aimerais savoir si vous pensez qu'il est réaliste. Ce représentant estimait qu'avec une somme d'un milliard, on pourrait couvrir les besoins en soins palliatifs dans le pays.

Je vous ai entendu parler de plusieurs milliards. Quelle est votre opinion sur le sujet ? Des études ont-elles été réalisées sur le sujet ?

M. A. Schoonvaere. ­ Je répondrai tout d'abord à votre dernière question. Lorsque j'ai évalué le budget actuellement consacré aux soins palliatifs, y compris les soins à domicile en fonction de la nouvelle mesure, j'ai fait référence au budget de l'INAMI pour l'année 2000. Le budget des soins palliatifs s'élève à environ 1,7 milliard, dont 265 millions pour les soins à domicile, 565 millions pour les équipes mobiles etc.; il y aussi le budget pour les 360 lits qui s'élève à un montant compris entre 1,2 et 1,3 milliard. On arrive donc à un budget de 1,7 milliard, sur un budget général de 500 milliards. Nous avons donc encore une marge de manoeuvre mais il faut faire des choix dans ce secteur et cette tâche vous revient. Mais de toutes façons, ce budget est faible par rapport à ceux des autres pays.

J'en viens à votre question relative à l'acharnement thérapeutique. L'état des patients est très variable quand ils arrivent chez nous.

Certains sont tout à fait lucides et viennent en voiture. D'autres sont comateux et ont une espérance de vie statistiquement très limitée. Je pense au cas d'une malade qui avait subi une trépanation et qui avait une tumeur cérébrale avec récidive; le pronostic du médecin était de trois semaines. La patiente était comateuse, elle avait des sondes, des escarres, etc.

M. Philippe Mahoux. ­ J'aimerais savoir pourquoi on envoie des patients comateux dans une unité de soins palliatifs.

M. A. Schoonvaere. ­ Je vous raconte tout d'abord l'histoire de cette patiente. Elle était tout à fait confuse, dans un précoma, avec alimentation artificielle, escarres, sondage, etc. Elle nous était envoyée par l'hôpital, lequel doit aussi respecter des normes en matière de durée de séjour et autres. Cette personne a été soignée et, après un mois, elle a recommencé à s'alimenter. Le deuxième mois, on a pu enlever la sonde. Six mois plus tard, cette patiente a retrouvé sa lucidité et, après 220 jours d'hospitalisation, elle est retournée dans une maison de repos et de soins; elle marche à nouveau et elle va bien.

Voilà donc l'exemple d'une patiente qui nous est arrivée dans un état comateux et qui se retrouve bien vivante dans une maison de repos et de soins. Elle s'est cassée le col du fémur entre-temps mais elle va bien.

Il faut souligner cette réalité : 10 % de nos patients quittent l'institution pour aller ailleurs. Les soins palliatifs ne constituent pas le dernier ressac. Cette évolution positive est probablement due à un environnement favorable.

Je réponds à votre question, Monsieur Mahoux. Cette patiente comateuse nous a été envoyée parce que, après l'avoir opérée, le neurochirurgien a estimé qu'elle n'était pas guérie et qu'elle relevait des soins palliatifs. Il est clair que cette patiente avait quelque chose mais la médecine reste un art, Monsieur Mahoux. Et je crois que le médecin s'est trompé dans son pronostic, ce dont il se réjouit d'ailleurs.

M. Philippe Mahoux. ­ La question que je me pose est de savoir pourquoi les patients comateux ne restent pas l'hôpital plutôt que d'être envoyés dans une unité de soins palliatifs.

M. A. Schoonvaere. ­ En vous répondant, je vous dirai aussi pourquoi il faut que la culture palliative avance. Dans la première définition des soins palliatifs, intervenue en 1953 je crois, on limitait les soins palliatifs aux cancéreux en phase terminale. Le docteur Lamontagne ­ dont j'ai l'article sous les yeux ­ a repris quatre évolutions de la définition des soins palliatifs, sur une période de 25 ans, avec un élargissement du cancer à la phase terminale d'autres maladies et avec d'autres concepts. Le concept de suivi de deuil est aussi un élément qui entre dans la culture des soins palliatifs. Je pense que la santé publique est un continuum qui va de la naissance à la fin de la vie. Actuellement, l'OMS revoit ses définitions. Cela prouve qu'il faut du temps.

Mme Clotilde Nyssens. ­ J'aimerais savoir pourquoi il y a tant de bénévoles dans les services de soins palliatifs. La raison est-elle un manque d'argent et de moyens ou cela fait-il partie de votre culture palliative ? Que ce soit en Belgique ou à l'étranger, il y a toujours une série impressionnante de bénévoles dans ces unités. Ces personnes sont-elles là pour aider le personnel soignant ou ont-elles un autre rôle ?

Deuxième question : lorsque j'ai rédigé, avec mes collègues, une proposition de loi sur les soins palliatifs, des kinésithérapeutes m'ont demandé à faire partie de cette culture palliative. Avez-vous des kinésithérapeutes dans votre institution ? Cette profession doit-elle être intégrée dans la proposition ? Dans l'affirmative, 12 000 francs par jour suffisent-ils pour offrir tous les soins que vous souhaitez donner ?

M. A. Schoonvaere. ­ Il nous faudrait un montant de 14 000 à 15 000 francs et surtout un meilleur financement des médecins. La rémunération de ces derniers a été revue, mais elle est encore insuffisante. En soins palliatifs, il peut arriver que le médecin rende visite cinq fois au malade sur la journée. À cet égard, je plaide pour que cette médecine soit rigoureusement professionnelle. Je le dis clairement : donner une pompe à morphine et dire qu'on fait des soins palliatifs, c'est dénaturer profondément le concept de ces soins.

En ce qui concerne les kinésithérapeutes, certains viennent comme vacataires. Ce n'est pas une solution satisfaisante pour nous, mais si un traitement de kinésithérapie a été entrepris à l'hôpital, il faut pouvoir le continuer. De plus, comme je l'ai dit, 10 % des patients nous quittent pour aller ailleurs. Je pense que c'est la même chose dans les différentes unités de soins palliatifs du pays.

Lorsque l'état de santé d'un patient s'améliore pour des raisons que je ne peux vous expliquer ­ la médecine reste un art ­ il faut préparer l'arrivée en maison de repos et de soins et repasser à un traitement de revalidation; nous avons alors besoin de kinés.

Lorsque des patients souffrent beaucoup, un kiné ne serait pas de trop pour aider l'infirmière à faire des manipulations; de plus, certaines techniques de kiné peuvent calmer les douleurs. Pour calmer les douleurs d'un patient, il nous est arrivé de lui donner un bain à trois heures du matin. Il faut donc prendre tout ce dont on dispose pour faire de la médecine palliative, depuis les techniques simples jusqu'à la pharmacologie la plus élaborée.

J'en viens aux bénévoles. C'est probablement l'histoire des soins palliatifs qui a fait en sorte que l'Angleterre a eu ses bénévoles dès la première heure. Au Canada, sans doute en raison de la culture nord-américaine, il y en a 250 pour 15 lits. Vous me demandez si cette situation est due à un financement insuffisant. Ma réponse est non. Si un meilleur financement intervenait, je crois qu'on continuerait à avoir autant de bénévoles. Cela semble indispensable. Pour quelle raison ? Si on veut avoir une attention de toutes les minutes, ce n'est pas 1,25 infirmière par lit qu'il faut dans l'hôpital, mais le double. Chez nous, le bénévole a un rôle très important. C'est lui qui porte le récepteur d'appels des malades. Quand un patient appelle, il voit un visage dans les 30 secondes, celui du bénévole. Celui-ci trie les demandes : il se peut qu'il veuille simplement une tasse de café, ou le patient s'inquiète car il n'a pas encore vu sa famille ce jour, ou il voudrait se remettre au lit, etc. Si c'est pour une plainte médicale, on la relaie aux infirmières ou au médecin.

Une présence immédiate est importante parce qu'elle calme déjà beaucoup.

Le bénévole règle déjà la moitié des problèmes. Il a aussi un regard neuf sur une situation. Combien de fois ne sommes-nous pas interpellés par une parole d'un bénévole ? Il y a des coups de feu dans une unité de soins palliatifs. Lorsque plusieurs patients ne vont pas bien, que l'un d'entre eux est sur le point de mourir et que l'infirmière court, il est important qu'un ou deux bénévoles soient présents pour la famille. Laisser la famille seule, c'est très dur. Les familles nous disent souvent combien elles ont été aidées par nos bénévoles.

C'est par exemple la tasse de café qui arrive au moment où le décès survient. Ce sont de petites choses. Un bénévole, parce qu'il est un peu « déprofessionnalisé « et dégagé de certaines contraintes, est ce qu'on appelle au Québec le « soignant naturel », celui qui continue à agir comme la famille le faisait à domicile.

M. Jean-Pierre Malmendier. ­ Je remercie M. Schoonvaere pour son exposé qui a été fait avec énormément d'humanité.

Sans ironie, j'ai envie de dire que je souhaiterais mourir chez vous, monsieur Schoonvaere. Une seule chose me tracasse. Vous citez le professeur Schwartzenberg qui dit qu'il arrêtera de pratiquer l'euthanasie lorsque les soins palliatifs seront suffisamment développés. Je crois qu'il dit vrai. C'est quelqu'un qui est également profondément humaniste. Il pratique donc l'euthanasie et il le dit.

Je vous ai aussi écouté parler et je réfléchis. Si je réclame l'euthanasie, j'entends que cette demande soit entendue et respectée. Or, que me dites-vous ? « J'entends votre demande et je l'interprète ». Je demande le blanc, et on me dit que le blanc n'existe pas. Il y a toujours un reflet. On me dit qu'on ne sait pas me le fournir.

Je trouve extrêmement frustrant d'être confronté à cette attitude. Admettons qu'un jour je me retrouve chez vous et que je demande l'euthanasie. Que me répondez-vous ? Me direz-vous d'aller me faire euthanasier ailleurs ou me direz-vous que ce n'est pas vraiment cela que je veux et vous vous substituez à ma demande ? J'aimerais obtenir une réponse précise à ce cas de figure.

M. A. Schoonvaere. ­ Je vais sans doute vous décevoir en vous disant que je suis dans l'impossibilité de vous donner une réponse claire à ce sujet parce que la formulation que vous faites, c'est du blanc qui est décrit dans un contexte qui est le vôtre maintenant. Ce blanc, comment sera-t-il lorsque vous serez dans un lit ? Moi-même, je ne le sais pas. Il faut que la médecine et les soins palliatifs puissent se rendre à un moment donné et acceptent de ne pas tout contrôler. Ce serait peut-être là encore une plus grande preuve d'humanité. Le blanc que vous décrivez maintenant, je ne suis pas sûr qu'il va encore s'appeler blanc si vous vous retrouvez dans la situation. Beaucoup d'histoires que nous avons vécues le prouvent.

J'ai lu énormément sur cette question et tous les éthiciens s'accordent pour dire que poser la question en termes de blanc et de noir, c'est mal poser la question.

M. le président. ­ Je remercie M. Schoonvaere pour son exposé sincère et intéressant.


Audition du docteur Jacqueline Vandeville, responsable de l'Unité de soins palliatifs de la clinique Saint-Jean

Mme J. Vandeville. ­ Je vous remercie de m'avoir choisie en tant que praticienne de terrain pour cette audition concernant les propositions de loi en matière d'euthanasie et de soins palliatifs.

C'est au nom du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, comme médecin chef de service de l'unité de soins palliatifs de Saint-Jean et comme médecin radiothérapeute ayant une pratique de terrain depuis 20 ans en oncologie que je souhaiterais m'exprimer.

Mon exposé s'appuiera donc sur des éléments du texte écrit par l'ensemble des membres du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, envoyé au Sénat le 26 janvier 2000. J'y ajouterai des remarques et des informations personnelles, en relation avec mon expérience quotidienne. L'analyse d'un cas vécu à l'unité de soins palliatifs sera développée en fin d'exposé.

Dans les propositions de loi, nous approuvons l'accent mis sur le développement des soins palliatifs : il s'agit du point le plus important du débat. Car les soins palliatifs offrent une prise en charge active et globale par une équipe interdisciplinaire, d'un patient atteint d'une affection incurable et qui va vers la fin de sa vie.

Cette équipe professionnelle et compétente est rassemblée par des objectifs communs. Elle considère que le malade en fin de vie est au centre de toutes les préoccupations, qu'il est un vivant jusqu'au bout et elle veut lui assurer une qualité de vie la meilleure possible.

Les professionnels veillent par leur compétence à soulager les douleurs physiques et les autres symptômes générateurs d'inconfort.

En outre, l'équipe prend en compte par l'écoute, le savoir faire et surtout le savoir être, la souffrance psychologique, sociale et spirituelle du patient. Elle est soutenue par l'aide précieuse de nombreux bénévoles.

La reconnaissance de la souffrance des proches et de la famille est primordiale. L'écoute, l'accompagnement par les membres de l'équipe soignante, l'assistante sociale, la psychologue aident à surmonter la période difficile du décès et du deuil. Car ceux qui restent doivent continuer à vivre malgré leur chagrin. Un suivi de deuil est donc proposé par une équipe de bénévoles encadrée par l'assistante sociale et un membre de l'équipe soignante.

À l'unité, où nous disposons de 12 lits, un staff d'admission est prévu une fois par semaine. En effet, parmi les demandes qui seront acceptées, 30 % ne pourront être honorées faute de place. En outre, notre quota d'occupation n'est que de 80 %. Au-delà de ce pourcentage, le supplément de charge de travail du personnel ainsi que les frais de fonctionnement ne sont pas remboursés. Lors de la demande d'admission, nous rencontrons la famille, parfois le patient s'il est en état de se déplacer. Nous leur expliquons les modalités de prise en charge, le contexte de vérité qui accompagne le patient tout au long de son séjour, qui respectera ses repères et son rythme.

Le fait qu'à l'unité Saint-Jean, l'euthanasie ne soit pas pratiquée, est aussi énoncé clairement. Nous y accueillons pourtant des patients de tout horizon. Ce choix sera expliqué à n'importe quel moment du séjour, si la famille et le patient en parlent ou le demandent. Il est évident que toute demande sera entendue, prise en considération, en concertation avec toute l'équipe.

Nous soulignons par cette démarche la reconnaissance de la valeur de la personne quel que soit son état physique et mental. La demande d'euthanasie n'est jamais banalisée dans le service, de même que la souffrance de la famille dont des pressions sur l'équipe sont parfois ressenties. Nous estimons en outre que l'acte d'euthanasie atteint celui ou celle qui la pratique; nous voulons que notre choix respecte la profession médicale et le personnel soignant.

Si nous pratiquions l'euthanasie à l'unité, qu'en serait-il du sentiment de culpabilité des familles qui déjà se reprochent d'avoir souhaité un instant une fin plus rapide pour leur parent. Par cette démarche transparente, nous pensons offrir au patient un lieu où il se sente en sécurité, mais aussi compris et aidé.

Après révision de nos dossiers, nous avons compté 18 % de demandes diversifiées touchant à la question du « mourir plus vite », par le patient ou par sa famille. 9 % environ des questions sont des demandes d'euthanasie, qui en tant que demandes n'ont pas été pratiquées mais ont toutes été prises en charge par l'équipe, par l'écoute attentive et empathique, la communication, la concertation. En même temps, nous visons à dispenser le confort physique, psychologique, social et spirituel, par les démarches adéquates. Toutes les initiatives créatrices venant de la part de l'équipe, du patient ou de sa famille, seront encouragées et aidées. Un soutien actif sera assuré aux proches. En effet, confrontée quotidiennement aux problèmes de fin de vie, une équipe de soins palliatifs devient de plus en plus capable de voir et de sentir la souffrance d'autrui et d'en décoder la complexité. Mais cela nécessite un temps d'identification et demande un investissement énorme.

Pour en revenir au projet de loi visant à garantir l'accès aux soins palliatifs, celui-ci met sur le même pied le code légal concernant l'euthanasie et l'offre en soins palliatifs. Or, ces alternatives n'ont pas le même poids, ni le même coût, ni la même rapidité d'exécution. Le projet de développement des soins palliatifs nous semble prioritaire. Car le corps médical et le personnel soignant sont insuffisamment préparés aux problèmes de fin de vie, tant à domicile qu'à l'hôpital. De plus, il y a encore trop peu d'unités résidentielles. On dit aussi que l'euthanasie et les soins palliatifs sont indissociables. Est-ce bien adéquat ? Car l'un et l'autre relèvent d'un esprit différent. En effet, ne va-t-on pas vers une dérive si par une loi, l'on en venait à proposer l'euthanasie à un patient sans lui proposer les soins palliatifs ?

Malheureusement, déjà maintenant, des témoignages de certaines familles et même de patients nous confortent dans ce sens.

Dans la même idée de dérive, si on proposait les soins palliatifs à un patient en fin de vie, pourrait-on admettre qu'on lui propose par la même occasion l'euthanasie comme alternative ? Cela n'exclut pas évidemment le fait que le médecin reste disponible pour cette discussion si l'occasion se présente, ou la suscite s'il pressent que le patient souhaite en parler.

Afin de développer leur compétence, on doit doter les unités de soins palliatifs et les associations de moyens pour la recherche, l'information, la formation des médecins et du personnel soignant.

Le prix de journée dans les unités parvient à couvrir le coût du nursing, de l'hôtellerie et des soins médicaux mais ne couvre pas l'entièreté de l'activité médicale bien que les honoraires médicaux aient été revus. L'acte intellectuel et la gestion d'une équipe pluri-disciplinaire ne sont pas rétribués.

Les activités de formation, les entretiens avec le psychothérapeute, l'accompagnement du deuil, les liens fonctionnels que nous devons avoir avec les maisons de repos et de soins ne sont pas couverts. L'accès aux soins palliatifs serait-il réservé à une certaine classe de la population ?

Nous appuyons le projet de loi quand il parle du financement des soins palliatifs à domicile, actuellement insuffisamment considérés, vu l'importance des moyens que cela requiert et le nombre croissant de patients qui souhaitent pouvoir mourir à domicile.

Actuellement, sur 100 000 décès par an en Belgique, on dénombre 50 % de décès à l'hôpital, 25 % en MRS et MR, 5 % en soins palliatifs et 20 % à domicile.

Qu'en est-il à l'hôpital en dehors des unités ? La fonction palliative à l'hôpital a été rendue obligatoire et c'est une bonne chose, mais comment la rendre crédible quand seulement 450 000 francs par an sont alloués à l'hôpital pour cette fonction ? Tout patient en fin de vie doit avoir la garantie d'accès aux soins palliatifs, aussi bien à domicile qu'en hospitalisation, en centre de jour, en maison de repos et en maison de repos et de soins, quel que soit son lieu de résidence, son âge et ses ressources.

À l'heure actuelle, trop de personnes âgées sont « abandonnées » faute de personnel soignant. Leur souffrance peut faire comprendre une demande d'euthanasie.

Au sein du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, nous nous sommes demandés si une loi ne risquerait pas d'aggraver la banalisation de l'euthanasie qui doit rester un acte d'exception considéré comme une transgression de l'interdit fondamental de tuer, car il faut éviter à tout prix que l'euthanasie ne devienne une réponse facile aux problèmes économiques liés au coût de plus en plus important des soins de santé face au progrès de la médecine et à l'augmentation de l'âge de la population.

Tous ses membres sont résolument adversaires de toute forme d'acharnement thérapeutique, c'est-à-dire l'instauration ou la poursuite de traitements inutiles, voire disproportionnés. La crainte de l'acharnement thérapeutique et ses conséquences peuvent être un incitant à une demande d'euthanasie.

Une désescalade thérapeutique se justifie dans des situations disproportionnées et doit se faire progressivement en fonction des pathologies. En effet, mourir aux soins palliatifs est différent de mourir en soins intensifs, en gériatrie ou dans certains centres spécialisés de neurologie.

La diversité de chaque situation rend difficile toute législation; il me paraîtrait préférable de proposer une réglementation et un encadrement de la décision médicale dans les situations les plus importantes concernant la fin de vie.

Quand un patient majeur, capable d'exprimer sa volonté, souffrant d'une maladie incurable et en phase terminale, fait de façon répétée une demande d'euthanasie, le médecin devrait avoir la possibilité de réunir ou de concerter l'équipe soignante, infirmiers, aides soignants, psychologue, assistant social, éventuellement les proches et un représentant de ses options philosophiques, s'il le désire.

De cette façon, un débat éthique de terrain peut être approfondi, afin de prendre la décision la plus adaptée à la situation. Cette procédure permettrait d'éclairer la décision du médecin et lui apporterait l'aide morale indispensable dans des décisions aussi difficiles.

Cette régulation a priori, après consultation collégiale des demandes d'euthanasie, assurerait une protection du patient vis-à-vis d'une décision trop rapide ou arbitraire. Cette protection devrait être assurée à tous les patients avec une attention particulière pour les plus vulnérables et les moins autonomes dans notre société, attention qui ne pourrait être assurée par un simple contrôle administratif a posteriori.

Cet encadrement qui permettrait au médecin d'être épaulé dans son appréciation de l'existence d'un état de nécessité devrait pouvoir lui garantir une certaine sécurité juridique dans la mesure où la décision serait prise après consultation. Le colloque singulier n'est qu'une étape mais elle est importante. Il sera bientôt dépassé dans une société qui se dit moderne et en progression s'il ne s'élargit pas à une concertation de l'équipe pour les situation les plus difficiles.

Nous tenons pour essentielle la différence entre les demandes d'euthanasie concernant les patients en fin de vie, et celles qui concernent les patients atteints d'une affection incurable mais non létale à brève échéance.

Ces deux situations sont à traiter de façon distincte sur le plan éthique. En amalgamant ces deux situations très différentes, on n'évitera pas des dérives prévisibles ni des abus liés à des pressions économiques et familiales.

En ce qui concerne la déclaration anticipée, elle ne peut tenir lieu d'obligation légale, mais peut être un indice dans la discussion concernant la fin de vie. Quelle serait en effet la portée d'une telle démarche expresse qui ne peut tenir compte de la situation réelle au moment de l'acte ?

Vous-même, Monsieur Monfils, dans la proposition de loi déposée en juillet 99, dites ceci : « Par définition, en bonne santé, le patient ne sait si et quand il sera atteint d'une affection grave. Il ignore l'environnement social dans lequel il évoluera à ce moment, il ne peut préjuger ni de l'évolution de sa personnalité, ni de l'attitude qu'il développera face à la maladie. » (Doc. Sénat, nº 2-22/1, p. 4).

M. Philippe Monfils. ­ Madame, permettez-moi d'émettre une brève remarque sur la position que j'avais prise à l'époque. On discutait alors de la valeur d'un testament de vie, quel que soit l'âge auquel il était rédigé. J'avais cité l'exemple d'un étudiant de 25 ans qui rédigerait un testament de vie, un soir de sortie, testament que l'on invoquerait lorsqu'il aurait 65 ans.

Dans la proposition de loi que je défends avec mes collègues, la situation est très différente, puisque l'on tient compte, le cas échéant, d'un testament de vie qui a été fait moins de cinq ans avant le moment où le patient tombe dans l'inconscience. C'est donc la raison pour laquelle mon attitude a évolué, car les propositions que nous avons arrêtées sont très différentes des propositions initiales.

Mme J. Vandeville. ­ Je trouve pourtant que l'idée était très bonne et je la retiens.

Je pense que la déclaration anticipée prive le patient inconscient de la possibilité éventuelle de se rétracter et déshumanise la relation médicale. Elle prive le médecin de sa liberté thérapeutique dans le choix des moyens que lui reconnaît l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, compte tenu des progrès de la médecine.

En outre, l'exigence de la présence de témoins pour faire cette déclaration paraît purement formaliste. Enfin, comment un article de loi sur la désignation de mandataires pourrait-il prendre en compte ce que les relations humaines ont de fragile ou d'imprévisible au cours du temps, et évaluer le poids de responsabilité de ces personnes ?

Telle que décrite dans la proposition de loi, une commission fédérale d'évaluation aurait-elle un autre rôle que celui d'une chambre d'enregistrement de données statistiques ?

Il faut absolument prévoir des moyens de contrôle efficaces pour éviter les dérives dont il a été question plus haut.

Avec l'accord de l'équipe soignante et de la personne la plus proche de monsieur A, voici son histoire lorsqu'il est arrivé à la fin de sa vie. Monsieur A est âgé de plus de 80 ans. Il vit depuis plus de cinquante cinq ans avec son ami, monsieur B. Il y a six ans, il est atteint d'un cancer ORL traité par chirurgie et par radiothérapie. Il garde comme séquelles une sécheresse de bouche importante, puis une asymétrie faciale sur atteinte nerveuse. Depuis trois mois, il présente des troubles de la déglutition qui ont débuté progressivement, puis qui ont abouti à des épisodes de reflux des aliments par le nez ou à des épisodes de vomissements en jets. Une hospitalisation en milieu universitaire est programmée par son médecin traitant. Divers examens poussés sont effectués pour trouver la cause. Malheureusement, la mise au point ne permet pas de mettre en évidence une étiologie bien particulière. On découvre cependant une mycose ainsi que des spasmes de l'oesophage inférieur. Après traitement de l'infection, on propose au patient le placement d'une sonde de gastrotomie pour le nourrir. En effet, ses ennuis sont sans doute des effets secondaires tardifs mais irréversibles de la thérapie effectuée pour le cancer.

Le patient rentre chez lui. Les médecins l'ont rassuré, rien de grave n'est à l'origine de sa symptomatologie. Pourtant, il se sent « moche », il sent qu'il va mourir. Quelques jours plus tard, on le retrouve au service des urgences de la clinique Saint-Jean. Il se sent toujours aussi mal et veut savoir pourquoi. Il est hospitalisé dans un service de médecine. Une nouvelle mise au point est donc effectuée. Celle-ci révèle une anémie, une légère insuffisance rénale mais surtout la présence de multiples métastases hépatiques. L'altération de l'état général s'accélère, l'amaigrissement devient plutôt un état de cachexie.

La paralysie faciale est en outre certaine, de même que la paralysie d'une corde vocale, ce qui rend le patient difficilement audible. Les effets secondaires tardifs semblent donc évoluer et associés à la présence de métastases hépatiques, ils expliquent la pathologie.

En cours de séjour, monsieur A présente une pneumonie sur fausse déglutition qui sera traitée.

Durant tout le mois de son hospitalisation dans le service de médecine interne, le patient alternera des demandes d'aide au suicide et d'euthanasie. Il recevra des doses importantes d'anxiolytiques. C'est dans ce contexte que nos confrères nous l'adresseront, car la situation est pénible. Le patient est devenu terminal.

Lors de l'admission à l'unité de soins palliatifs, nous trouvons un patient triste, que l'on dit déprimé, mais est-il déprimé ? Il pleure beaucoup, parle sans cesse de son souhait de mourir. Il manifeste aussi avec la même intensité, le besoin de présence à son chevet. Il dit qu'il se sent abandonné, qu'il a froid, malgré l'empressement des infirmières à lui mettre plusieurs couches de couverture. Il répète que c'est à l'intérieur de lui-même qu'il a froid.

À l'examen clinique, on lui décèle un léger encombrement bronchique, mais son foie qui est palpé n'est pas douloureux. Monsieur A réclame souvent son ami, qui vient le visiter tous les jours en soirée, et ne peut rester plus longtemps pour des raisons, dit-il, privées.

Inlassablement, monsieur A répète aux soignants sa demande de mourir avec « quelque chose », car ainsi il mourra rapidement sans souffrance morale. Il tente souvent de sortir du lit pour aller vers la fenêtre.

Les symptômes d'encombrement bronchique deviennent plus importants, il doit être aspiré régulièrement. Il a des diarrhées fréquentes, probablement secondaires à l'alimentation par sonde, et à des interventions digestives subies dans le passé. Le traitement symptomatique commencé en médecine interne est bien sûr poursuivi à l'Unité.

Je me pose cependant rapidement cette question que je partage à l'équipe : est-il bien nécessaire de poursuivre l'apport calorique chez ce patient qui malgré tout, continue à se dégrader physiquement, et reste cachectique, alors qu'il demande sans cesse la mort.

Après quelques jours d'évaluation et de discussion avec l'équipe, d'écoute attentive du patient et de son ami, nous lui proposons une diminution progressive de l'alimentation, tout en maintenant l'hydratation. Avec beaucoup d'humour, monsieur A signifie qu' il préférerait le champagne à l'eau.

Cette désescalade thérapeutique sera ensuite associée à une très légère sédation, afin qu'il oublie sa souffrance morale. Le patient acquiesce rapidement à la condition expresse que le médecin reste près de lui, ce que je fais. Cette décision est communiquée à l'ensemble de l'équipe, de même que la nécessité de présence constante. Les bénévoles relaient les soignants au chevet du patient. L'ami et les proches sont contactés et mis au courant, de même que le médecin traitant. Plusieurs rencontres avec celui-ci ont permis de nous éclairer sur la personnalité de monsieur A et de son histoire.

Un rendez-vous avec l'ami et moi-même est cependant fixé, car l'équipe décèle l'existence d'un secret entre eux. Au cours de la conversation avec l'ami qui accepte d'évoquer une partie intime de sa vie, j'en obtiens la confirmation. Avec beaucoup de bonté, l'ami raconte aussi l'allure et le comportement de monsieur A; celui-ci avait toujours été coquet, raffiné, fier de son apparence à laquelle il attachait énormément d'importance.

Depuis l'apparition des vomissements, il quittait fréquemment la table. Il avait le sentiment de se donner en spectacle et avait honte de l'image qu'il renvoyait à l'autre. Il pensait avoir perdu toute séduction.

De la conversation, le médecin a détecté un besoin urgent d'une nouvelle rencontre entre les deux partenaires, car il y avait sans doute un désir de réconciliation. De fait, à partir de ce moment, l'ami s'est découvert une plus grande disponibilité et nous l'avons vu de plus en plus souvent au service.

Entre-temps, la maladie gagnait du terrain, le patient devenait de plus en plus faible et de plus en plus somnolent, mais ne manifestait plus son désir de mourir et nous étions surpris car il ne mourait plus. Et cela, malgré la désescalade thérapeutique et malgré une légère sédation et malgré l'évolution de la maladie. N'y avait-il pas contradiction entre la demande et le désir ?

Devant ce mystère, l'ami a pu décoder qu'il appelait la mort mais que sur ce chemin, il avait peur de rencontrer sa mère, dont jamais il n'avait parlé. Celle-ci avait en effet joué un rôle important dans toute sa vie, par son autorité, le manque de reconnaissance de la valeur de son fils, et le déni de son homosexualité. Là encore, nous avons demandé à l'ami d'intervenir, ce qu'il a fait longuement.

Nous ne lui avons pas demandé quelles ont été les paroles qui ont permis à monsieur A de « décrocher » et de s'endormir paisiblement.

La démarche est restée bien sûr inconfortable, pour tous difficile et courageuse mais aussi confidentielle. Elle a permis au patient de s'éteindre dans l'apaisement qu'il réclamait. Tous les mots seront trop pauvres pour exprimer ce cheminement dans l'angoisse, le désespoir mais aussi l'espérance, la confiance, parfois même la transcendance, des patients que nous soignons. Ils tendent jusqu'au bout malgré leur ambivalence à l'accomplissement d'eux-mêmes et à la recherche de la tendresse et de l'amour d'autrui.

(La suite de l'audition a eu lieu à huis-clos).


Audition du docteur Arsène Mullie, chef du service Réanimation ­ Soins intensifs et Urgences ­ AZ Sint-Jan Brugge

M. le président. ­ Je remercie le docteur Van Camp pour son point de vue clair et pour son apport aux travaux de notre commission.

Le témoin suivant est le Dr Mullie. Son activité clinique est celle d'anesthésiste-réanimateur à l'Algemeen Ziekenhuis Sint-Jan Brugge depuis 1975. Il travaille au service de réanimation et de soins intensifs. Le Dr Mullie est également membre de la Fédération des soins palliatifs de Flandre et président du groupe de travail « Éthique » de cette même fédération.

M. Arsène Mullie. ­ On constate une crainte grandissante des citoyens de mourir d'une manière contraire à la dignité humaine; pour certaines personnes, cette crainte est si prononcée qu'elles veulent dès à présent, longtemps avant leur décès, faire à ce sujet une déclaration anticipée. Il y a, d'une part, une proposition de dépénalisation de l'euthanasie (le fait pour un médecin d'administrer intentionnellement des médicaments à un patient endurant des souffrances sans espoir d'amélioration, à la demande expresse et répétée de celui-ci ­ même s'il n'est pas encore physiquement en phase terminale ­ en vue d'accélérer la mort), et ce bien sûr à la condition de respecter certains critères de précaution, et plus particulièrement l'obligation de consulter un deuxième médecin sur le caractère incurable de l'infection. Il y a, d'autre part, une proposition visant à développer les soins palliatifs (SP). À cet effet, les ministres compétents devront élaborer une proposition d'ici la fin de l'année 2001. (Il y a aussi une troisième proposition de loi visant à créer une commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi relative à l'euthanasie et définissant les missions et le fonctionnement de cette commission). L'élaboration de la proposition de loi relative à l'euthanasie représente une tâche ardue pour le législateur de par les nombreuses différences philosophiques et culturelles qui se concentrent dans une certaine mesure dans les visions défendues par les partis politiques. Il n'est pas chose aisée d'apporter au monde politique des éléments provenant de la base, de la pratique quotidienne, qui soient de nature à les faire changer de point de vue; nous souhaitons néanmoins faire part ici de quatre réflexions émanant de personnes soignant les malades en phase terminale, réflexions dictées par l'expérience des soins telle qu'elle est vécue par de nombreux acteurs des soins palliatifs (cf. groupe de travail « Éthique » de la Fédération des soins palliatifs de Flandre) et qui abordent le problème vu de l'intérieur.

1. La crainte grandissante de mourir d'une manière contraire à la dignité humaine et les idées allant dans le sens de l'euthanasie (= mort douce, etc.) sont très compréhensibles.

En avril 1998, ma soeur Annie a contracté, à l'âge de cinquante ans, une maladie évolutive agressive qui attaque les protéines, qui résiste à presque toutes les formes de chimiothérapie et qui finit par se porter sur l'ensemble des organes vitaux (coeur, foie, reins, etc.). Elle est traitée par des professeurs dans un hôpital universitaire. Elle encourage tout le monde en disant que cela ira bientôt mieux. Lorsque je lui ai rendu visite fin juin (en tant que frère mais aussi en tant que médecin de la famille avec des années d'expérience dans le domaine de la réanimation), le premier regard échangé à mon arrivée me fait l'effet d'un énorme appel à l'aide ... L'imploration que l'on fasse quelque chose contre cette « prolifération » si intense et incontrôlée dans son organisme qui ne va en fait pas mieux ! Quelques minutes plus tard, elle répète que cela ira bientôt mieux ...

Voilà une petite heure que nous sommes ensemble et l'angoisse commence à m'étreindre à mesure que je me rends compte de plus en plus nettement que ma soeur n'en réchappera pas et qu'elle connaîtra une fin encore plus atroce si à son état viennent s'ajouter toutes sortes de chimiothérapies et de réanimations ... Nombreux coups de téléphone, par la suite aussi nombreuses concertations avec les médecins qui la traitent. À mon départ, je pus sentir, au travers des mots et des regards échangés, une espèce de basculement, un début de prise de conscience et de perception de la vérité; et puis, il y a la promesse de rester proches quoi qu'il arrive, de ne jamais abandonner l'autre même si on est impuissant à soigner l'enveloppe charnelle et la maladie ... Une fois sorti de la chambre et durant les jours suivants, le chagrin s'abat telle une chape de plomb et lentement c'est l'adieu, un adieu inoubliable et émouvant, teinté d'un sentiment d'éternité ... Ma soeur est morte fin septembre.

Pourquoi cette expérience personnelle d'angoisse face à une souffrance sans espoir d'amélioration, même pour le médecin expérimenté ?

Le danger et la crainte de perdre sa dignité humaine à l'approche de la mort ont en effet considérablement augmenté ces dernières années avec l'application généralisée de techniques avancées de réanimation, de chimiothérapie, etc. Il importe non seulement de se concerter suffisamment tôt avec le patient en vue de prendre une décision sur la faisabilité plus ou moins « factuelle » de la mort médicalement assistée; mais il faut aussi bien se rendre compte (sentir) que la « mort médicale » avec l'aide de professionnels n'est qu'une introduction à une mort beaucoup plus grande et globale, une mort naturelle, une mort véritable. Cette mort est ce qui arrive vraiment à l'intéressé. Je veux dans un même temps rappeler une vérité fondamentale sur la vie (et la mort). L'homme est et vit essentiellement pour et par la relation avec autrui. C'est l'homme qui fait l'homme, ma soeur fait de moi ce que je suis même, jusqu'à la dernière phase de sa vie. Ma soeur est. Elle existe également ici dans cette discussion, elle vous en est reconnaissante. C'est une bonne chose que, par notre voix, surtout les mourants et les personnes décédées prennent part à ce dialogue. C'est la seule manière de plonger au coeur du problème plutôt que de se contenter d'en parler de manière superficielle. Le concept de coexistence entre « toi, moi et nous » englobe également l'idée de mourir « toi, moi et nous ... » Le tout est de savoir à quel point nous sommes ouverts, libres et combien de temps nous nous façonnerons les uns les autres ... Il y a, parmi les acteurs des soins palliatifs, une croyance profonde dans le phénomène de « bonne mort », non pas une mort douce et sans douleur mais une mort vécue avec amour, dans laquelle on sent le principe du « personne ne vit pour soi, personne ne meurt pour soi »« ... une mort qui a la froidure des mois d'hiver mais qui peut apporter un peu de chaleur sur le plan social. Nous ne pouvons pas aller trop loin dans l'adoption de règles relatives à la souffrance sans issue des mourants. Il ne faut pas lutter contre les mois d'hiver ni même les supprimer, mais adopter des règles permettant à la chaleur humaine de produire un effet apaisant maximum pour calmer la douleur.

2. Les soins palliatifs constituent une réponse appropriée à une souffrance sans issue (« douleur », « sens du métier ») qui va de pair avec la mort, que l'on peut ressentir par empathie et par le coeur.

À l'automne de l'année 1947, David Tasma, un polonais d'une quarantaine d'années atteint d'un carcinome inopérable au rectum, « perdu » à l'hôpital londonien de Saint-Thomas, et Cicely Sanders, son assistance sociale, ont (re)découvert les soins palliatifs. David avait très mal, se sentait terriblement seul, loin de son pays et de sa famille, et inutile. Cicely était à peu près sa seule visite. Leur relation a pris le tour d'une espèce d'histoire d'amour, elle l'écoutait exprimer son sentiment que sa vie était inachevée ... Cicely s'est fait le porte-parole de David auprès des médecins leur expliquant qu'ils ne l'aidaient pas avec des pseudo-soins ­ toutes sortes de thérapies expérimentales et en faisant comme s'il pouvait guérir. Une sorte de concertation interdisciplinaire avec le patient a mis en évidence que seuls les soins les plus humains pouvaient apporter quelque soulagement; les soins palliatifs sont radicalement opposés à l'acharnement thérapeutique. L'arrêt de toute thérapie « futile » ou le fait de ne pas démarrer une telle thérapie relève donc des soins palliatifs et ne doit donc pas être confondue avec l'euthanasie.

Dans les semaines qui ont suivi, le caractère sans issue de la situation de David a été littéralement fait sien par Cicely et a été partagé par l'ensemble de l'équipe soignante. Cicely ne tolérait pas que David subisse inutilement des douleurs ou autres désagréments ­ les soins palliatifs accordent une grande importance au contrôle des symptômes. Comme dans une espèce d'effet d'osmose, une espèce d'effet d'assise, on a vu apparaître d'une part une vie nouvelle chez David le solitaire et d'autre part un sentiment très positif au sein de l'équipe soignante, le sentiment de faire ce qu'il faut ...

Les soins palliatifs ont été inventés, ont été suscités en nous par des patients mourants !

Une situation sans issue sur laquelle on n'a pas prise devient par véritable compassion une source partagée et reconnaissable de nouveaux aspects de la vie. Les soins palliatifs sont comme le cordon ombilical entre l'enfant et la mère (entre le patient et la famille) : l'enfant fait tout autant la mère que la mère fait l'enfant; le mourant fait tout autant sa famille jusque et après sa mort que la famille fait le mourant ... Les soins palliatifs n'évitent pas la mort mais la rendent très naturelle, très vivante, une vie d'amour jusqu'aux dernières heures. Y arriver est pour l'individu tellement plus important que les grandes théories. Il y a donc quelque chose de très positif dans les soins palliatifs, quelque chose à faire; cela rend pour moi si facile de mettre un terme aux soins curatifs si actifs. Les soins palliatifs sont donc synonymes d'une grande proximité du patient dont la situation est sans issue, le fait de ne plus jamais l'abandonner ... L'attention se déplace de sentiment de faute et de colère vers une espèce de compréhension que s'il ne nous reste plus que deux mois à vivre chaque heure mérite d'être conservée, une ambiance de récolte de fruits, voire d'indépendance, d'autonomie, parfois si intense et si juste, suscitée par les gens eux-mêmes. Cette découverte a quelque chose d'une gratitude tranquille, indicible, le fait d'atteindre ensemble la sérénité face à l'inéluctable ... tout cela n'a pas été inventé (imaginé) par des gens qui en parlent pour plus tard mais par des personnes mourantes ou agonisantes. Cicely Sanders ne le savait pas à l'avance mais a tiré les leçons de sa grande proximité par rapport à un quasi mourant : l'homme prolonge sa vie de quelques jours et finit par mourir quelque temps plus tard. Ce phénomène se répète souvent avec une régularité telle qu'on pourrait en faire une loi ... Les personnes chez qui naît un désir d'euthanasie en raison du caractère sans issue de leur situation suscitent, elles aussi, chez nous le réflexe des soins palliatifs. Leur demande d'euthanasie devient notre demande. La proximité avec ces personnes et l'écoute de leur demande font naître en nous de nouvelles idées, une nouvelle vie, même si l'on en reste à une vraie demande. Dans les soins palliatifs, on respecte toujours le souhait profond (âme) de l'individu ... Maintenant que l'on utilise plus librement les mots « mourir » et « mort », il est vraiment bon que la demande d'euthanasie qui va croissant s'accompagne d'un souci grandissant de la faisabilité de ce que souhaitent vraiment les gens.

Encore deux observations par rapport aux soins palliatifs :

Les soins palliatifs constituent un aspect nouveau, mais fondamental, de la médecine moderne (aussi fondamental que l'hygiène, la médecine préventive, etc.). Tous les prestataires de soins doivent acquérir dans ce domaine un minimum de compétences. Les soins palliatifs sont donc beaucoup plus que quelques structures spécifiques de soins palliatifs (équipes de support à domicile, dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite, unité spécifique de soins palliatifs). Par expérience, le travail de ces structures spécifiques consiste bien souvent à confirmer les besoins palliatifs que pressentent les prestataires de soins du premier échelon et, en assurant le « réflexe palliatif » des prestataires de soins, à ramener chez les malades condamnés une certaine tranquillité, un certaine confirmation et une certaine confiance. Le développement des soins palliatifs en Belgique diffère en cela quelque peu du modèle anglais où les soins palliatifs étaient développés précédemment dans des structures plus distinctes et plus spécialisées.

Les structures spécifiques de soins palliatifs constituent néanmoins le ferment nécessaire, les catalyseurs qui permettront un changement de mentalité. Ils se sont développés lentement mais sûrement au cours des dix à quinze années écoulées, principalement dans cadre des soins à domicile et des unités palliatives. Les moyens financiers leur manquent, surtout dans les maisons de repos et les hôpitaux et pour ce qui est de l'apport médical. La loi en préparation concernant les soins palliatifs ne doit pas élaborer un plan de soins palliatifs avant la fin 2001, mais confirmer le plan de développement qui existe depuis déjà dix ans et libérer pour ce faire les budgets nécessaires (+ 2 milliards); les moyens actuels permettent tout au plus d'encadrer un mourant sur trois.

3. En dépit de bons soins palliatifs, des personnes continuent (exceptionnellement) à demander l'euthanasie.

Les soins palliatifs ne suppriment pas toute absence de perspective chez chacun. Nous n'avons absolument aucune difficulté à admettre cette réalité. Notre principale préoccupation est de ne retenir que les « vraies » demandes d'euthanasie au bon moment (c'est ce que l'on appelle le décodage de la demande d'euthanasie).

Monique a 64 ans. C'est à vrai dire une amie de la maison. Elle souffre d'un cancer du sein et de métastases pulmonaires. Elle « sait », elle le dit une fois comme pour me faire confirmer la situation et s'abstient alors durant tout un temps de parler du problème. Un beau jour, elle demande, avec son mari et ses deux enfants, d'avoir un entretien. « Veux-tu m'aider au cas où ... ». Une question très franche, très directe, apparemment une demande d'euthanasie (la mort semble et s'avérera par la suite encore éloignée de plusieurs mois). La réponse « Monique, nous (les SP, soins palliatifs) ne laissons jamais tomber personne » était déjà presque suffisante. On lui a encore expliqué ce que nous pouvons faire dans des circonstances extrêmes (de souffrance intolérable ­ physique ou psychique ­ c'est elle qui fixe le moment), c'est-à-dire « anesthésier » plus profondément y compris l'endormissement (voir plus loin). Mais elle se referme vite sur elle-même ... Il lui suffit de savoir que nous avons très bien saisi sa demande, que nous la comprenons (j'ai connu des personnes qui se sentaient coupables de sentir en eux une aspiration à l'euthanasie, ce sentiment de dégoût à l'idée de devoir rester éveillée un jour de plus). Elle est tranquille et veut à présent vivre le plus pleinement et le plus longtemps possible. À un moment donné, des mois plus tard, les difficultés respiratoires et la détérioration de son état général étaient devenues intolérables malgré la morphine. Dans l'atmosphère sereine et pleine d'affection de sa chambre à coucher, Monique a été endormie pour mourir le lendemain ... Les personnes qui demandent l'euthanasie (et en précisant le moment) sont pour moi des personnes très particulières, souvent sur le plan de la douceur et du courage, comme beaucoup de mourants d'ailleurs. Elles touchent les professionnels des soins palliatifs au plus profond d'eux-mêmes.

Pourquoi le récit de Monique et sa demande, suivie d'exécution, de sédation contrôlée (ou d'euthanasie, selon les définitions utilisées dans la proposition de loi) ?

Examiner soigneusement les demandes d'euthanasie, réduire les demandes d'euthanasie à de véritables questions autonomes (sans angoisse et/ou ignorance) requiert à notre sens l'intervention d'experts en soins palliatifs. Le but n'est pas de « juger » (ou d'autoriser) la demande. Grâce à la compréhension, la compassion, il s'agit au contraire d'apporter l'apaisement dans ce processus très particulier, en témoignant le plus grand respect, en regardant l'autre comme son prochain. Il s'agit d'un contrôle fort simple, mais au niveau des soins. « Vous ne demandez pas inutilement et prématurément l'euthanasie ». Nous ferons, si pas tout, énormément de choses pour atténuer la douleur globale, pour prendre « éternellement » congé du patient.

Nous devons pouvoir accomplir de la manière la moins bureaucratique possible, en respectant le temps et la vie privée du patient, cette sorte de contrôle a priori par le biais des SP, le traitement empathique de la demande d'euthanasie en partant du point de vue « commençons de préférence par les SP, et n'envisageons l'euthanasie que par la suite si la situation reste sans issue ». Il s'agit de faire comprendre les possibilités des SP. Le médecin de confiance est certainement le porte-parole, le décideur et l'exécutant par rapport au patient, mais cette mission doit à tout le moins être optimalisée grâce à l'intervention de l'équipe palliative qui le supporte (cf. notre proposition d'amendement ci-dessous). L'équipe de SP est à notre sens, a fortiori chez les patients (pré)terminaux, l'instance la plus appropriée sur le plan éthique, vu son expérience interdisciplinaire, lorsqu'il s'agit de fournir un avis et d'assurer les soins au lit du patient.

­ Cette offre de réseaux de SP fondamentalement pluralistes (responsables de tous les patients terminaux dans leur région) ne peut pas être interprétée comme envahissante, comme une sorte de « promotion » des SP. Elle se traduit plutôt par notre ouverture à l'égard de ceux qui font une demande d'euthanasie. Fondamentalement, nous n'avons aucune crainte sur ce plan. Nous ne sommes pas des partisans de l'acharnement palliatif ou des hérauts de certaines positions fondamentalistes et passionnelles (tu ne tueras point). Notre position est au contraire de dire « rien ne sera fait qui aille à l'encontre de la dignité humaine; nous donnerons des soins respectant la dignité humaine à l'approche de la mort ». Il s'agit de limiter le nombre de suicides grâce à une offre valable de soins psychiatriques, de limiter le nombre d'euthanasies grâce à une offre valable en matière de soins palliatifs.

4. Il est exceptionnel qu'un sentiment d'horreur subsiste à l'égard de l'approche de la mort malgré l'existence de soins palliatifs optimalisés, malgré la peur des techniques les plus avancées de lutte contre la douleur (importance d'un accès aisé aux cliniques de la douleur !). Exceptionnellement, mais surtout en concertation au sein de l'équipe soignante (y compris le médecin traitant !) ainsi qu'avec une contribution ouverte de la part des infirmiers et autres aides soignants, l'on peut procéder à une « sédation contrôlée ». La sédation contrôlée est une technique d'anesthésie avec adjonction d'un somnifère (pouvant aller jusqu'à l'injection intraveineuse continue de barbituriques). Cette « anesthésie profonde » et, a fortiori dans un premier temps, « l'attente de la mort » est un art (cf. la narcose en chirurgie), dont le but n'est pas d'entraîner immédiatement un sommeil fatal, mais d'apporter temporairement le sommeil et le repos, permettant de reprendre temporairement son souffle face à cette situation sans issue redevenue supportable. La sédation contrôlée se situe, dans cette optique, vraiment dans la ligne, dans l'ambiance des soins palliatifs, de l'attente accompagnée de soins ...

Dirk a à peine 35 ans, il est ingénieur, heureux, et forme une jeune famille avec sa femme aimante et ses deux enfants de 8 et 6 ans. Jusqu'au jour où on lui annonce subitement qu'il a une tumeur cérébrale dont les symptômes sont, dans un premier temps, minimes (troubles temporaires de la mémoire et maux de tête, soudain une crise d'épilepsie ...). La maladie dure quelques mois, malgré une thérapie curative et palliative maximale, elle poursuit ses ravages ... Les pertes sont de plus en plus grandes, jusqu'à l'ensemble des facultés mentales ... Dirk finit par ne plus reconnaître la femme qui l'a tant soigné et ses enfants qui, effrayés par cette personne « qui n'est plus leur père », n'osent plus l'approcher. Après concertation entre l'équipe et la famille, on choisit ­ en guise de solution la moins mauvaise ­ de plonger Dirk dans une « situation de sommeil » au moyen d'une perfusion de Pentothal ... Rien que le sommeil, le repos du sommeil, les enfants qui sont à nouveau près du lit, rester l'un près de l'autre encore quelques heures ... avec les infirmiers qui vous entourent pour « titrer » la médication ... les mots me manquent pour décrire comment, en tant qu'homme, nous nous construisons mutuellement jusqu'aux derniers moments de l'existence. Dirk mourut deux jours plus tard.

Tout ceci inspire quelques réflexions complémentaires :

­ Les soins palliatifs sont une forme de médecine qui fait appel à des techniques d'anesthésie très avancées en vue de rendre la souffrance acceptable. La morphine anesthésie aussi, généralement sans grand impact ni sur la conscience ni sur le caractère de la personne. Mais en cas de souffrance physique ou psychique insupportable (et c'est le patient qui détermine ce qui est insupportable), il n'est pas nécessaire que la personne reste consciente. La médecine ­ et partant les soins palliatifs ­ a pour mission d'anesthésier le patient de manière suffisante pour lui éviter le « sentiment d'une mort atroce ».

­ L'évolution d'une maladie et des soins qu'elle requiert est unique, difficile à prédire, individuelle, changeante de jour en jour ­ tant du point de vue du patient que de celui de ses proches et de ses soignants. Cette unicité de la mort d'un individu ne peut être respectée que dans un esprit de prévenance par des infirmiers et des médecins qui ne se comportent pas comme des « exécutants de l'ingénierie médicale ». Pour cela il faut anesthésier au moment opportun et autant que nécessaire. La sédation contrôlée est appliquée dans notre réseau PS du Nord de la Flandre occidentale (plus ou moins 1000 décès par an) chez environ 1 % des mourants. Une telle intervention n'est pas anodine, elle impressionne chaque fois l'équipe et en particulier les médecins qui en fait endorment le patient pour toujours ... il y a toujours plusieurs membres de l'équipe qui hésitent au moment de la concertation ... et ce n'est que grâce au soutien de l'ensemble de l'équipe soignante que médecin peut se percevoir lui-même comme un « digne soulageur » dans cet acte extrême (même si les choses deviennent un peu plus faciles à la deuxième ou la troisième fois). Faire les choses de manière contrôlée peut parfois conduire à faire les choses trop facilement, voyez l'acharnement thérapeutique.

­ Même en cas de sédation contrôlée, la demande d'euthanasie refait parfois surface, surtout lorsqu'il ne s'agit pas d'une forme extrême de contrôle des symptômes mais d'une véritable demande d'euthanasie récurrente ... la paix du sommeil, une réoxygénation a apporté un soulagement ... mais maintenant chaque heure qui passe risque de mettre en péril la dignité du départ ... Dans ces cas (exceptionnels), nous augmentons de manière substantielle la sédation, ce qui aux termes de la proposition de loi peut être qualifié d'euthanasie. Nous ne sommes pas un service qui pratique systématiquement l'euthanasie (nous voulons être des conseillers utiles pour toutes les personnes qui pensent à l'euthanasie) mais par souci de prévenance nous ne voulons pas laisser survenir de morts atroces et nous ne voulons pas abandonner les gens à leur sort ... Si les gens ont mis l'ensemble de leur assistance entre nos mains, nous devons oser et être capables de faire « ce qui est nécessaire pour eux ». Des éléments importants sont : discuter le plus possible à l'avance de ce que chaque personne et son entourage considèrent comme important, oser écouter, rester une équipe, rester présents ..., opter pour le respect maximal de la dignité humaine en restant présent jusqu'au moment ultime ou en faisant ce que la personne demande, ce que la personne estime être le plus digne. Par ailleurs, tous les cas de sédation contrôlée (conduisant le cas échéant à l'euthanasie) font l'objet d'un rapport interne. Soins palliatifs (en ce compris la sédation contrôlée) et euthanasie sont deux notions différentes. Toutefois, dans certains cas extrêmes ils peuvent se superposer.

­ Nous essayons (hélas insuffisamment) d'apporter une assistance au deuil (la vie au-delà de la mort), notamment aux parents et aux proches de patients morts sous sédation contrôlée.

Là nous y détectons l'importance d'une extrême circonspection. À entendre l'expression de sentiments parfois tout à fait inattendus, on se rend compte que sans cette grande circonspection, certaines personnes pourraient se retrouver dans un désarroi insurmontable.

Conclusion :

Un texte a été élaboré par le groupe de travail Éthique de la Fédération des soins palliatifs de Flandre. Ce texte est à votre disposition. Je vous ai fait part des principaux éléments de ce texte en les assortissant de mon expérience personnelle. En tant que fédération pluraliste, nous estimons qu'il ne nous revient pas de prendre une position globale ou exhaustive vis-à-vis des actuelles propositions de loi en matière d'euthanasie. Certains aspects tels que la dépénalisation, la limitation éventuelle à des patients en phase terminale, les problèmes autour de la déclaration de la volonté, interpellent de nombreux soignants palliatifs, mais nous pensons que d'autres experts sont plus autorisés. Nous avons néanmoins estimé au départ de notre expertise commune et de notre expérience avec les mourants devoir exprimer unanimement une position critique à l'égard de la manière dont les propositions en discussion marquent la séparation entre les soins palliatifs et l'euthanasie. Pour rencontrer nos critiques fondamentales, deux choses nous paraissent essentielles. Premièrement, les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour accroître au plus vite et de manière importante l'offre de soins palliatifs de qualité. Attendre jusqu'à la fin de 2001 pour soumettre un plan fédéral en matière de soins palliatifs nous paraît tout à fait insuffisant. Ainsi faut-il remédier sans tarder à l'insuffisance du financement des fonctions palliatives dans les maisons de repos et de soins, améliorer le financement actuellement symbolique des équipes d'appui palliatives dans les hôpitaux et relever les honoraires de surveillance insuffisants des médecins dans les unités palliatives. Deuxièmement, par respect pour les malades incurables, il faut absolument revoir les propositions en matière d'euthanasie sur un certain nombre de points :

(1) Il faut associer l'équipe de soutien palliatif à l'exploration des possibilités palliatives. Premièrement, le médecin doit se concerter avec l'équipe palliative, sur la base du dossier médical du patient, sur les possibilités concrètes de soins palliatifs à apporter. Deuxièmement, le médecin doit communiquer l'avis de l'équipe palliative au patient. Troisièmement, la possibilité doit être offerte expressément au patient de consulter l'équipe palliative.

(2) Le rôle du second médecin doit être accru. Le second médecin doit donner son avis non seulement sur le caractère incurable de la maladie mais aussi sur les conditions posées à la requête du patient et sur la situation de souffrance continue et insoutenable ou de la détresse qui ne peut être soulagée.

(3) L'équipe soignante doit être associée à la décision. Sauf si le patient s'y oppose expressément, le médecin se concerte avec les membres de l'équipe soignante au sujet de la demande.

(4) Les moyens de contrôle et d'évaluation doivent être améliorés. L'équipe palliative et le second médecin transmettent leur avis à une instance de contrôle et d'évaluation à créer. Ainsi cette instance sera mieux en mesure d'évaluer l'application de la loi.

Précisons que par ces propositions nous n'entendons nullement dire que les soignants palliatifs doivent se prononcer sur la demande d'euthanasie du patient, nous ne sommes pas demandeurs sur ce point. Ce que nous voulons, c'est veiller à ce que les possibilités palliatives soient toujours offertes ou à tout le moins discutées de manière approfondie de sorte que l'euthanasie ne soit pratiquée que dans les cas où le patient le souhaite véritablement.

M. Paul Galand. ­ Merci pour ces témoignages très personnels.

Si le financement ne suit pas, vous voulez dire, pour paraphraser M. Mahoux, qu'il y aura inévitablement des demandes d'euthanasie « par excès ».

Par ailleurs, j'ai eu des échos inquiétants concernant la situation actuelle dans les maisons de repos et de soins. Faudrait-il préciser certains points pour éviter des dérives à ce niveau ? Quant à la formation des médecins et du personnel infirmier, vous avez déclaré que les soins palliatifs étaient des soins très poussés. Il me semble qu'aujourd'hui, dans certains services, on utilise encore la morphine et les autres moyens palliatifs de façon quelque peu élémentaire. En fonction de votre expérience, que faudrait-il pour que les équipes, en nombre suffisant, puissent acquérir la compétence nécessaire en la matière ? En ce qui concerne le décodage de la demande, vous déclarez qu'il faudrait pouvoir faire référence aux équipes de soins palliatifs. S'agirait-il de plates-formes ou d'autre chose ?

M. Arsène Mullie. ­ Avec les moyens actuels, nous atteignons environ un tiers des patients qui ont besoin de soins palliatifs. C'est surtout dans les maisons de repos et dans les hôpitaux que le financement est insuffisant. Dans les hôpitaux, nous assistons encore à beaucoup d'acharnement thérapeutique. De plus en plus de personnes décèdent dans les maisons de repos, mais là il y a un manque de personnel. Les soignants dans les maisons de repos fournissent souvent un travail magnifique avec peu de moyens. Les soins dans les maisons de repos diffèrent de ceux des hôpitaux. Dans les hôpitaux on fournit des services, dans les maisons de repos on partage la vie des gens.

Dans un des documents que je vous transmets, vous trouverez une énumération des besoins des soins palliatifs. En premier lieu, il faudrait un infirmier équivalent temps plein par 120 occupants d'une maison de repos. Cela représente au niveau du pays un budget supplémentaire de 1,350 milliard. Le montant peut paraître élevé, mais il est de notre devoir de dire ce qui est nécessaire pour que les gens puissent mourir dignement.

Pour ce qui est de la formation, il existe une formation de base et une formation continuée. La formation de base est très importante pour poser les jalons essentiels de soins de qualité. Par exemple, nous ne sommes pas uniquement médecin ou infirmier pour guérir mais aussi pour assurer une mort digne. Concernant la douleur, certains principes fondamentaux doivent faire partie de la formation de base. Un exemple est la douleur centrale, celle que Mme Leduc a qualifié de douleur cérébrale. En matière de lutte contre la douleur, des découvertes importantes telles que le principe du « point d'accès » ont été faites. La douleur utilise certaines voies d'accès pour atteindre le cerveau. Lorsqu'on bloque le « point d'accès », on laisse passer moins de douleur. Un autre principe est que lorsque la douleur perdure, elle se centralise : un douleur à l'origine périphérique finira par se déplacer vers la moelle épinière et le cerveau. Il est donc important de lutter contre la douleur rapidement. De tels principes doivent faire partie de la formation de base. Ensuite il existe une formation postscolaire et une spécialisation. Il n'est pas aisé d'enseigner la communication autour de la mort. Cela prend du temps.

Mme Jacinta De Roeck. ­ Les choses évoluent vite et une formation postscolaire sera toujours nécessaire.

M. Arsène Mullie. ­ En effet. Une des tâches du réseau des soins palliatifs consiste à offrir de la formation permanente. Chaque année, quatre sessions de formation sont organisées pour les médecins généralistes et pour les infirmiers à domicile. Il y a sans cesse des nouveautés à communiquer aux soignants de première ligne. Il faut les sensibiliser pour qu'ils acquièrent le réflexe palliatif. Un généraliste connaît la morphine. Moyennant une formation continuée, il peut aussi devenir un bon soignant palliatif.

À côté de cela, des personnes de référence reçoivent une formation supplémentaire de cinq jours. Ils sont les porte-parole au niveau le plus élevé, ce sont les coordinateurs palliatifs. Elles veillent à ce que les connaissances disponibles en matière de soins palliatifs soient correctement appliquées dans la pratique quotidienne par exemple d'un hôpital.

Pour le niveau supérieur, il existe une formation continuée d'environ quinze jours.

M. Jacques Santkin. ­ Je voudrais dire en toute sincérité au docteur Mullie que j'ai été impressionné par la présentation qu'il nous a faite. C'est la première

fois, docteur, que j'ai entendu parler des soins palliatifs comme vous l'avez fait. Vous l'avez fait de façon objective et en mettant en avant tout ce qui est nécessaire pour mener à bien ces soins palliatifs, c'est-à-dire la science, le savoir-faire, le dialogue, l'écoute et le cour. On a d'ailleurs reproché l'absence de ces éléments, à l'exception de la science, à d'autres disciplines médicales. Je vous remercie aussi de n'avoir pas présenté les choses en termes d'opposition entre les soins palliatifs et l'euthanasie. Vous avez terminé votre intervention en disant que vous n'étiez pas contre l'euthanasie. Cela mérite aussi d'être remarqué car bien souvent, à tort ou à raison ­ à mon sens, ce serait plutôt à tort ­ on a semblé présenter les soins palliatifs comme une discipline merveilleuse évitant l'euthanasie. Vous faites la part des choses. Vous avez montré à travers vos exemples quelle est l'évolution. Vous avez même avoué procéder à l'anesthésie de temps en temps. Je ne me risquerai pas à un décryptage de vos paroles mais on pourrait qualifier cela de fin un peu plus rapide de la vie. Sans flatterie aucune, je voulais rappeler l'objectivité et la force de conviction avec lesquelles vous avez expliqué votre point de vue.

Nous essayons de légiférer. Vous avez avancé un certain nombre de propositions, de correctifs, d'améliorations, etc. En fonction de la façon dont vous vivez les soins palliatifs, de cette progression dans l'accompagnement, est-ce que vous croyez qu'il est possible, dans le texte de loi, de trouver les termes corrects, adaptés, qui permettent à la fois de respecter la volonté du patient mais qui vous permettent en même temps de travailler comme vous le faites jusqu'à présent ?

M. Arsène Mullie. ­ Ma réponse est oui. Je pense que c'est possible.

Je suis de tout coeur avec ceux qui demandent l'euthanasie. Les gens ne demandent pas cela à la légère. J'espère que le législateur trouvera une voie permettant à ces personnes d'obtenir satisfaction sans devoir y associer des tiers en cachette. À l'inverse, il ne faudrait pas que cette pratique se multiplie à l'excès et que l'on aille en quelque sorte escamoter la mort. Ce serait regrettable. Pour moi, les soins palliatifs ont un rôle à jouer dans cette question, même si je ne vois pas très bien moi-même comment. Il faut conserver un grand respect pour la vie privée. Qui représente les soins palliatifs ? Est-ce le réseau ou est-ce le coordinateur ? Actuellement il existe partout en Belgique un réseau de soins palliatifs avec un coordinateur.

Une des tâches des réseaux est de bien diffuser l'information. Partout en Belgique on peut téléphoner à un coordinateur de soins palliatifs. Partout il y a des équipes d'appui pour les soignants à domicile. Il n'y a pas encore de points de contact bien reconnaissables dans toutes les maisons de repos, mais bien dans la plupart des hôpitaux. Il existe aussi des unités palliatives spécialisées. Reste à savoir comment on les implique. Dans notre proposition, la vie privée du patient est respectée par le maintien de la position clé du médecin de confiance. J'espère que vous y serez attentifs. Ce médecin de confiance n'est évidemment pas toujours un expert en soins palliatifs ou en euthanasie. Pratiquer l'euthanasie n'est pas une chose aisée. Il faut veiller à ce que les proches ne soient pas traumatisés. Il faudrait donc contraindre le médecin de confiance à faire preuve d'une grande circonspection. Il faudrait aussi lui donner tous les moyens nécessaires. La mission du second médecin devrait être élargie et l'avis de l'équipe soignante doit être demandé. Ceux qui ont soigné une personne pendant des années dans une maison de repos savent ce qui est important pour cette personne. Si la demande d'euthanasie est formulée, le médecin de confiance doit écouter l'équipe soignante. L'exemple a été cité de l'ignorance de l'existence d'une maîtresse. Le personnel soignant sait ces choses. Il faut en tenir compte.

Mme Nathalie de T'Serclaes. ­ Vous venez de parler du « médecin de confiance ». Je crois que, dans les grandes villes, cette notion n'existe plus, les gens n'ont plus ce médecin de confiance. Pour des raisons financières également, ils vont directement se faire soigner à l'hôpital au service des urgences. Les médecins généralistes sont encore probablement les plus actifs dans les milieux culturellement favorisés mais la plupart des gens, en tout cas dans des villes comme Bruxelles, se rendent directement dans des hôpitaux publics, comme Saint-Pierre et Brugmann, et n'ont pas ce médecin traitant qui les suive depuis longtemps.

Par ailleurs, dans votre proposition, vous dites qu'il faut consulter telle personne, vous faites des suggestions mais vous ne faites aucune allusion à la famille. Or, après vous avoir entendu, il me semble qu'il doit aussi y avoir des relations avec celle-ci. Il s'agit peut-être d'un malentendu. Je pense en effet que, sauf si le patient s'y oppose formellement pour des raisons personnelles, dans une demande d'euthanasie, la famille doit être consultée, sinon le deuil est trop difficile à faire.

Enfin, en ce qui concerne les techniques de sédation prolongée, on nous en a déjà parlé comme moyens permettant aussi de « récupérer ». Certains nous ont dit que cette sédation était réversible. Pour votre part, vous nous avez donné des exemples où la sédation était définitive et permettait au « processus naturel » de se poursuivre. Pour d'autres, l'intérêt de la sédation prolongée était de permettre dans certains cas au patient en souffrance de récupérer mais cette situation était réversible et des moments de conscience étaient possibles pour des raisons familiales ou autres. Utilisez-vous aussi cette pratique et, dans l'affirmative, quel en est l'intérêt ?

M. le Président. ­ Le terme qui a été utilisé est celui de « sédation contrôlée », je pense.

M. Arsène Mullie. ­ Il est regrettable qu'il n'y ait pas toujours des médecins de confiance. Mais les hommes politiques ont un rôle à jouer à cet égard. Je crois très fortement au précieux rôle joué par le médecin généraliste, voire le spécialiste de confiance, qui vous assiste pour vos soins de santé en tant qu'ami et conseiller. Du point de vue politique également, il me paraît important de faire en sorte que les médecins généralistes jouent à nouveau un rôle plus important. Je ne connais pas suffisamment cet aspect.

Toutefois, je voudrais mettre l'accent sur le fait que le médecin généraliste est très fortement impliqué dans l'ensemble des activités afférentes aux soins palliatifs. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas une mince affaire que d'appliquer une sédation à une personne ou de l'endormir. Dans notre région, il est en tout cas impensable de faire cela sans y impliquer le médecin généraliste.

Pour le médecin qui pratique l'euthanasie, il est très important de pouvoir compter sur une équipe. Dans un certain sens, il doit pouvoir continuer à vivre par la suite. En théorie, on peut évidemment dire que c'était pour le bien du patient. Mais certains actes se situent à la limite et ils peuvent vous empêcher de dormir. D'où le rôle inestimable du médecin de confiance et du travail en équipe.

Par ailleurs, il importe d'y associer également la famille. Nous travaillons, certainement pour ce qui est des soins palliatifs, en relation étroite avec la famille du patient ou, par exemple, son ami homosexuel. Pratiquer l'euthanasie sans impliquer la famille est quasi impossible. Si l'on me demande s'il n'est jamais possible de se passer de la famille, je répondrai sans doute que cela doit quand même être possible dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit alors de la liberté de l'individu. Mais je vois plus loin que la personne, je vois à travers la personne tout ce qui lui est lié. C'est la raison pour laquelle la famille y est quasiment toujours associée.

En cas de sédation contrôlée, on commence par une sédation légère. À ce stade, le patient est informé que la sédation légère l'apaisera d'abord dans une situation qui est devenue insupportable, mais qu'il se réveillera à nouveau par la suite. Ce n'est qu'ensuite qu'il recevra la sédation plus profonde.

Mme Kathy Lindekens. ­ Je m'associe volontiers aux éloges de mes collègues. Vos propos étaient justes et équilibrés. Davantage que les orateurs précédents, vous m'avez donné une meilleure idée de la sédation contrôlée. Je retiens également de ce que vous avez dit que ce n'est pas une mince affaire que de donner une injection à quelqu'un en sachant qu'il ne se réveillera plus.

Je comprends également que, dans beaucoup de cas, la famille doive être impliquée dans la sédation contrôlée afin qu'elle puisse surmonter le processus de deuil imminent.

Parfois, ce processus peut durer longtemps et cela peut devenir très lourd pour les personnes. On espère que ce sera vite passé.

J'ai été frappée par le fait que d'autres orateurs opposent nettement la sédation contrôlée à l'euthanasie. La sédation contrôlée était présentée comme la bonne solution et l'euthanasie comme la mauvaise. Je retiens des explications du témoin que la sédation contrôlée est une forme longue d'euthanasie, à opposer à une forme courte. Ai-je bien compris ? Est-ce que durant la forme longue d'euthanasie, il peut surgir des problèmes qui nécessitent l'administration d'une dose plus forte, ce qui débouche quand même sur la forme courte d'euthanasie ?

M. Arsène Mullie. ­ Les premiers aspects dont j'ai parlé à propos de la sédation contrôlée sont soutenus par le groupe de travail éthique de la fédération flamande. Mes dernières déclarations au sujet de la sédation contrôlée sont plutôt des opinions personnelles, pour lesquelles je me sens soutenu par la majorité du réseau actif dans le Nord de la Flandre occidentale, où l'on a discuté de ce point.

S'il est exact que la sédation contrôlée est parfois désignée par le terme slow euthanasia, elle n'est pas ressentie comme telle. C'est un acte ressenti comme apaisant. Je ne m'attache pas aux mots. Lorsqu'en cas de sédation contrôlée la situation devient insupportable, nous administrons une dose plus forte. Pour la famille, cela devient souvent insupportable parce qu'ils savent que leur proche mourant n'aurait vraiment pas voulu cette situation et qu'ils trouvent que ce n'est pas digne. C'est la raison pour laquelle on discute autant que possible préalablement avec la personne pour savoir ce qu'elle juge digne. Certaines personnes jugent la situation digne pourvu qu'elles dorment.

Toutefois, nous donnons intrinsèquement la préférence à la slow euthanasia, car l'expérience nous a appris que l'on peut avoir des surprises par la suite. On peut avoir l'esprit serein si l'on a été prudent. Je donnerai un exemple. Un jour, j'assistais quelqu'un. Le médecin généraliste de la patiente avait visiblement dit qu'il l'aiderait au besoin si elle le demandait. Pendant qu'on effectuait un accompagnement palliatif, l'euthanasie a été pratiquée par le médecin de famille à la demande de la patiente. L'époux de celle-ci qui se sentait très bien entouré par l'équipe palliative a eu besoin de plusieurs années pour accepter la situation. Son épouse était décédée dans les cinq minutes. Il a dit qu'il s'était trouvé devant un cadavre après dix minutes, qu'il n'avait pas pensé que cela se serait déroulé ainsi. Pendant de nombreuses années, il a ressenti très fort le besoin de visiter à nouveau divers endroits où il avait été avec son épouse.

Je donnerai un autre exemple. L'épouse avait jugé bon que nous donnions la possibilité d'une sédation. Mais à notre surprise, elle avait un sentiment de culpabilité après le décès de son mari. Nous disons toujours aux personnes que nous prenons la décision, non pour montrer notre autorité mais sur la base de notre expérience. Néanmoins, elle avait le sentiment que son époux aurait encore vécu si elle n'avait pas cédé. La sédation contrôlée se situe davantage dans la ligne des soins palliatifs et cela nous convient.

Mme Kathy Lindekens. ­ Le sentiment d'avoir bien ou mal agi n'est finalement pas tellement lié à la décision prise, mais plutôt à la communication avec le patient.

M. Arsène Mullie. ­ Ce n'est que si la communication est bonne que nous ne procédons, dans la mesure requise, à une sédation, compte tenu du patient, de la famille etc. Et alors nous avons aussi le sentiment que nous avons vraiment aidé la personne.

Mme Kathy Lindekens. ­ J'ai encore une question au sujet de l'équipe soignante. Qu'entendez-vous par là ? Elle peut être constituée d'infirmiers mais aussi de bénévoles. Certains mentionnent même la nettoyeuse.

M. Arsène Mullie. ­ La communication est parfois rendue difficile par le nombre de personnes qui participent aux soins. C'est surtout à l'hôpital qu'il y a deux instruments importants de communication. D'une part, il y a la concertation sur le patient et son transfert et, d'autre part, il y a le dossier. Mon objectif est de stimuler ces moyens afin de promouvoir une culture déterminée. Certains parlent d'une éthique au chevet du patient et d'une concertation où les intéressés s'écoutent surtout mutuellement sans imposer leur propre idée. La décision est prise en concertation, souvent progressivement. C'est un art. S'il existait une culture où dans des situations difficiles l'infirmier de service, le médecin et l'équipe de soutient palliatif prenaient le temps de se concerter, on épargnerait beaucoup de souffrances inutiles, de même que des dépenses injustifiées.

Mme Jeannine Leduc. ­ Une société qui se dit civilisée doit faire en sorte que ses malades puissent mourir dignement, c'est-à-dire sans douleur, tel que Monsieur Mullie le décrit, et de manière digne. Les parlementaires doivent créer les conditions pour rendre cela possible et ils doivent également prévoir les moyens à cet effet. Il faudra encore discuter de ces moyens et se posera alors la question de savoir si ces derniers doivent être déduits des dépenses destinées à l'acharnement thérapeutique.

Vous avez dit tout à l'heure que vous souhaiteriez une évaluation a priori. Comment la concevez vous ? Je suis évidemment partisan de soins optimums pour les malades, y compris les malades incurables. Il faut toujours se demander de quelle manière on voudrait vivre cela soi-même, mais parfois la sédation contrôlée m'effraie. Souvent il s'agit simplement d'abrutir les personnes à coup d'injections. S'ils doivent subir un tel traitement très longtemps, je me demande s'ils ont encore une vie. L'euthanasie ne doit pas se faire brusquement, mais pendant combien de temps une personne doit-elle être totalement inconsciente ? Combien de temps doit durer cette sédation profonde ? Je suis d'accord avec vous pour dire que de bons soins palliatifs sont très importants, mais ils ne peuvent pas durer à l'infini si le patient a demandé l'euthanasie, fût-ce douce, telle que vous la décrivez. Je me demande d'ailleurs quelle est la frontière entre la sédation contrôlée et l'éventuelle euthanasie. Vous avez dit tantôt que vous souhaitiez que le deuxième médecin joue un rôle plus important. Nous avons tenté de rendre la proposition de loi aussi claire et aussi courte que possible. Si certaines personnes estiment qu'elle n'est pas suffisamment claire, nous pouvons évidemment l'affiner. Je suis convaincue que les soins palliatifs et une éventuelle euthanasie demandée impliquent un processus d'acceptation. Nous devons trouver un écho parmi le groupe des prestataires de soins. C'est un processus d'échange réguliers d'expériences. On aboutit progressivement à la conclusion qu'il faut faire quelque chose.

M. Arsène Mullie. ­ Cette évaluation a priori est bel et bien une évaluation et non une approbation ou un rejet. Le médecin se verrait obligé d'avoir une discussion au sujet du patient et d'examiner le dossier avec l'équipe de soins palliatifs.

Mme Jeannine Leduc. ­ Nous étions d'accord pour dire qu'il valait mieux que cette obligation figure dans la proposition. En fait, elle s'y trouve. Le patient doit être informé de la possibilité des soins palliatifs et de ses conséquences. L'éventuelle tierce personne ou le deuxième médecin peut également être un médecin expert en soins palliatifs. Cette possibilité figure déjà partiellement dans le texte, mais je suis d'accord avec vous pour dire que nous devons mieux la préciser.

M. Arsène Mullie. ­ La sédation contrôlée ne peut pas aboutir à une situation indigne en soi. La plupart du temps, la sédation contrôlée apaise le patient. J'expliquerai le phénomène. Après une période de tension, le patient s'endort grâce à la sédation légère ou profonde et, au lieu de mourir, il continue à respirer, ce qui donne un sentiment de quiétude parce que tout le monde se rend compte qu'on dispose encore de temps.

Mme Jeannine Leduc. ­ En fait, on veille donc de cette manière à ce que les personnes qui entourent le patient puissent voir ce dernier dans un état de quiétude.

M. Arsène Mullie. ­ Effectivement, la sédation donne un sentiment de quiétude. Si après l'état de quiétude, il se manifeste un sentiment d'indignité, nous procédons à une sédation plus profonde.

Mme Jeannine Leduc. ­ Alors cela devient de l'euthanasie.

M. Arsène Mullie. ­ À ce moment, la sédation aboutit à l'euthanasie et nous évitons de créer un sentiment d'effroi chez le patient, ou dans la famille par la suite. Dans le cas d'une sédation, il y a également un besoin marqué de suivi. La sédation débouche en fait sur le sommeil et une brève attente. Je donnerai un exemple de réaction inattendue. Nous avons eu un jour affaire à un patient qui demandait l'euthanasie. Au moment où nous allions commencer la sédation contrôlée, son état avait tellement empiré qu'il s'est endormi de lui-même et qu'il est décédé. Plusieurs mois plus tard, son épouse décrivait quels moments d'effroi elle avait vécu parce qu'elle craignait de poser un acte illicite. Je ne prétends pas que de tels sentiments se manifestent toujours, mais nous étions en tout cas surpris.

Mme Jeannine Leduc. ­ Nous devons concéder que les personnes qui souhaitent que leurs proches et amis aient une fin digne sont culpabilisées, y compris par notre législation. Il suffit de voir le désarroi entourant l'euthanasie aujourd'hui. Les articles de presse donnent aussi souvent une image tronquée du problème. C'est la raison pour laquelle je demande une attention particulière pour l'évolution que tout patient traverse dans le processus d'accompagnement des derniers moments, des soins palliatifs et de l'éventuelle euthanasie. Chaque personne doit décider elle-même qui y participe.

M. Arsène Mullie. ­ La législation dispose que le médecin doit expliquer les possibilités des soins palliatifs. Ce n'est pas une affaire simple et bien que je m'occupe depuis longtemps de cette matière, j'en apprends encore tous les jours. Il s'agit d'une évaluation a priori. Il est utile d'avoir une bonne connaissance des réactions éventuelles.

C'est une évaluation où la demande n'est pas jugée ou condamnée préalablement. On examine si l'on a bien fait tout ce qui était en son pouvoir pour éliminer l'angoisse chez le patient.

M. Jean-François Istasse. ­ Cette audition est extrêmement importante. La commission pourrait-elle disposer d'une version en français des trois documents qui ont été remis par le docteur Mullie ? Ils devraient être versés au dossier. Je demande à pouvoir y réfléchir.

M. le président. ­ Je partage votre avis. Je suis également touché par le témoignage de M. Mullie, par sa connaissance de la question, la manière mesurée dont il en parle et sa capacité de prendre en compte la position de tout un chacun. Je pense aussi que ce témoignage très important doit être disponible dans les deux langues pour chacun d'entre nous. Le nécessaire sera fait.

Mme Mia De Schamphelaere. ­ Je trouve également que c'est un magnifique témoignage qui montre que l'on est très proche du mourant. Si j'ai bien compris, toutes vos idées et activités tournent autour de la mort douce et consistent à éviter le sentiment d'effroi face aux personnes mourantes ou proches de la mort. Elles ne concernent pas les malades incurables qui demandent une euthanasie active. Une mission importante pour nous et pour l'ensemble de la société, et pas seulement pour les soignants palliatifs, consiste à décoder chaque demande d'euthanasie. Que demande-t-on exactement, que vise-t-on et comment pouvons-nous tous ensemble faire en sorte que seules les véritables demandes d'euthanasie soient prises en compte ? Vous pouvez nous apporter beaucoup à partir de votre expertise palliative : éliminer les angoisses, aider à supporter une situation sans issue, mais j'entends très souvent dans notre société où le stress et le manque de temps sont importants que beaucoup de personnes meurent dans un climat de tension au sein de la famille. Comment pouvons-nous faire en sorte que la situation familiale ne soit pas une des causes de la demande d'euthanasie ? Comment la société en général peut-elle y faire quelque chose ? Quelle est l'impact de l'image qui règne au sujet des personnes gravement malades ou très âgées qui demandent l'euthanasie ?

Sur la base de votre expérience avec votre réseau de soins palliatifs dans le Nord de la Flandre occidentale, vous citez un pourcentage de 1 % de sédation contrôlée. Quel est le pourcentage de demandes d'euthanasie au sens strict qui restent lorsque vous faites votre travail avec tout l'engagement et les possibilités dont vous disposez actuellement ?

M. Arsène Mullie. ­ La première partie de votre question concernait plutôt la souffrance psychique des personnes seules. Je puis seulement répondre que la souffrance psychique est une souffrance aussi grande, voire plus grande que la souffrance physique. D'une part, elle est peut-être plus longtemps réversible, mais d'autre part elle peut être tout autant sans issue. Pensez seulement à un patient qui est admis pour la énième dépression. Dans ce cas également, l'élément palliatif peut souvent faire la différence. Je trouve qu'il faut offrir cette possibilité avant d'accéder à une demande d'euthanasie. Je trouve cela essentiel.

Il est vraiment très difficile de déterminer le pourcentage de véritables demandes d'euthanasie. On n'a connaissance d'une véritable demande d'euthanasie que si on veut l'entendre. Certaines personnes disent qu'elles ne sont jamais confrontées à des demandes d'euthanasie, mais si les malades ne trouvent pas d'écoute, ils vont ailleurs. Les meilleurs références sont peut-être les chiffres néerlandais qui parlent de 2,5 %; avec la sédation contrôlée, le pourcentage est de 0,5 %, voire moins. Ce n'est évidemment qu'une indication.

M. le président. ­ Docteur Mullie, je crois qu'on peut dire que votre témoignage fait partie de ceux qui ont le plus impressionné les sénateurs, membres de la commission; en tout cas, personnellement, c'est un de ceux qui m'ont le plus touché. Je pense qu'il faudra tenir compte des nombreuses remarques que vous avez formulées. Je vous remercie donc chaleureusement. Maintenant je comprends pourquoi vous aviez été proposé par plusieurs membres de la commission appartenant à des partis différents. Vous avez fait ouvre utile pour que nous arrivions à mieux nous comprendre les uns les autres.


Audition du docteur Dominique Bouckenaere, médecin responsable de l'Unité de soins continus et palliatifs des cliniques de l'Europe-Saint-Michel

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invitée à apporter mon témoignage aux travaux de votre commission.

Je vais vous communiquer l'expérience d'une pratique de terrain que je vais situer préalablement.

Je suis radiothérapeute-oncologue de formation et j'ai exercé cette discipline durant dix ans. De plus, depuis treize ans, je suis le médecin responsable de l'unité de soins continus et palliatifs des cliniques de l'Europe-Saint-Michel. Il s'agit d'une unité résidentielle de huit lits, qui est la deuxième unité intrahospitalière en Belgique. Je vous parle donc d'une expérience très ancienne. Je suis également médecin consultant à l'ASBL Arémis qui prodigue des soins continus à domicile. En outre, je suis l'un des trois membres du collège directeur de la Fédération bruxelloise pluraliste de soins palliatifs et continus. Je précise que je m'exprime ici à titre tout à fait personnel et non en tant que représentant d'une clinique, d'une association ou d'une fédération. Je suis d'ailleurs chargée de vous dire qu'au sein des cliniques où j'exerce, aucune position officielle n'a été prise à ce sujet, ni par la direction, ni par le corps médical.

De par ma spécialité, j'ai toujours été confrontée de manière très répétitive à des situations de fin de vie, mais je ne les ai pas toujours abordées de la même manière. Je distinguerais deux phases dans mon évolution personnelle.

La première se situe avant que je découvre les soins palliatifs.

À cette époque-là, je me sentais terriblement désarmée lorsque le dernier traitement chimiothérapique possible échouait. Je n'osais pas annoncer la mauvaise nouvelle au patient de peur d'engendrer une perte d'espoir. Je ne maîtrisais pas bien les thérapeutiques de soulagement. Je me sentais fort seule pour assumer les décisions cruciales d'arrêt du traitement oncologique, puis d'abandon progressif des thérapeutiques de soutien de vie. Je vous avoue que c'était très lourd à porter et ce, d'autant plus, que je devais prendre ces décisions sur la base d'une vision très fragmentaire de la situation du patient. À cette époque, je ne connaissais pas la pratique de l'interdisciplinarité qui est cette interaction permanente avec l'équipe soignante. Je me rends compte que certaines de mes décisions étaient mal vécues par l'équipe, soit parce que celle-ci n'était pas bien informée du pourquoi de la décision, soit parce que la décision aurait pu être mieux affinée, grâce au dialogue avec l'équipe.

Je ne vous le cache pas, à cette époque, j'ai pratiqué une euthanasie active, suite à la supplication d'un patient qui endurait une souffrance intolérable que je ne parvenais pas à soulager. Je l'ai fait en âme et conscience parce que, dans l'état de mes connaissances à ce moment-là, je ne pouvais envisager d'autre alternative. Je l'ai fait en accord avec le membre de la famille le plus proche du patient et l'infirmière responsable du service. Mais un acte de cette nature n'est jamais anodin pour un médecin. C'est quelque chose de très lourd à porter et qui laisse une trace.

La deuxième phase de mon évolution commence en 1986. J'ai suivi une formation en soins palliatifs et j'ai initié ce service intrahospitalier de soins continus. Je peux vous affirmer que cette pratique a radicalement transformé mon approche des patients en fin de vie. J'ai découvert d'autres alternatives pour exprimer ma compassion. De plus, étant mieux armée, j'ai pu m'engager plus profondément dans le dialogue avec ces patients, notamment en cas de dilemme éthique.

Dans un premier temps, j'essayerai de vous expliquer en quoi cette approche spécifique représente une véritable prévention de nombreux drames de la fin de vie. Mais je voudrais que vous gardiez bien présent à l'esprit le fait que je m'en réfère à une pratique encore peu courante qui ne touche qu'une minorité de patients.

Les soins continus sont une approche globale qui allie une compétence médicale spécifique, une approche relationnelle et des éléments de repérage éthique.

La compétence médicale spécifique est essentielle. Un patient qui reste enfermé dans sa souffrance physique perd son autonomie et son désir de vivre. Il faut donc mettre en oeuvre toutes les thérapeutiques susceptibles de le soulager.

L'approche relationnelle est tout aussi importante. Elle comprend l'écoute et l'accompagnement du patient et de ses proches.

Notre pratique nous montre l'extrême ambivalence des demandes d'euthanasie. Dans ces situations très émotives, la communication se brouille souvent. Il y a alors une discordance entre les mots qui sont prononcés, ce que chacun veut dire et ce que chacun peut entendre. Si vous le désirez, je peux vous illustrer cela par un cas clinique tout à l'heure. Lorsqu'un patient nous dit : « C'est intolérable, il faut que cela finisse », cette demande peut recouvrir de multiples significations. Simple désir d'exprimer une souffrance sans réelle volonté de passage à l'acte, appel à la présence et à la sollicitude d'autrui, demande de soulagement ou encore ­ mais plus rarement ­ volonté déterminée que l'on mette fin à ses jours. Il faut du temps, de l'expérience et l'aide d'une équipe interdisciplinaire pour espérer entendre la véritable demande du patient.

Dans de très nombreux cas, l'autonomie du patient est fragilisée. Il est désemparé, il a perdu son identité, il dépend des autres. Partagé entre le désir de vivre et le désir d'en finir, son pouvoir de décision est amoindri. De multiples éléments peuvent alors peser dans cette balance en équilibre fragile : ce que le médecin juge bien pour lui, ce que lui rapporte le discours social, ce que lui renvoient ses proches et ses soignants. Il est alors extrêmement important que les soignants, par leur attitude d'écoute, de dialogue et de participation aux décisions, puissent constituer un espace de choix où le patient peut se réapproprier en tant que sujet.

La personne atteinte d'une maladie grave et évolutive fait un travail psychique qui passe par différentes phases : révolte, dépression, désespoir ... Ces crises existentielles nécessitent un travail d'accompagnement pour que le patient puisse élaborer le processus de deuil, se reconstruire un sens et d'autres objectifs de vie. C'est la reconnaissance des autres ­ les proches et les soignants ­ qui soutient le patient dans son désir de vivre cette étape de son existence jusqu'à son terme.

Ce travail d'accompagnement doit également s'adresser aux proches du patient. Ceux-ci vivent difficilement leur impuissance face à la lente dégradation corporelle. Du fait de leur proximité avec le patient, ils ont tendance à projeter sur lui leur propre souffrance. Il est fréquent que des familles exercent des pressions sur le médecin pour qu'il abrège l'existence du patient ­ qui n'a rien demandé ­ pour des raisons de perte de dignité. En fait, ses proches ne se sentent plus capables d'assumer plus longtemps la situation. Mais leur demande est ambivalente, ce qui peut les exposer à une culpabilité ultérieure.

Le troisième élément important de l'approche palliative est le repérage éthique.

L'évolution du patient durant la phase palliative amène le médecin à prodiguer des soins. Il doit abandonner progressivement les traitements devenus disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés. Ces choix sont difficiles et douloureux pour les médecins qui sont, par vocation, tournés vers la vie. Il est donc indispensable d'instaurer une méthode d'aide à la décision. Les questions éthiques relatives à la fin de vie réclament impérativement une discussion collégiale préalable impliquant l'équipe soignante, si possible les proches du patient et, dans des cas plus complexes, tels qu'une demande d'euthanasie persistante, il me semblerait utile de disposer de cellules d'aide à la décision. Cette méthode, destinée à mieux trancher les dilemmes éthiques, représente le pilier central de l'approche palliative dans tous les pays occidentaux. Elle est destinée à éclairer la décision que le médecin prendra dans le cadre du colloque singulier avec son patient.

À présent, je vous propose de faire un état des lieux des pratiques actuelles. En fait, on constate que les soignants ne sont ni bien armés ni soutenus pour aborder les questions éthiques relatives à la fin de vie.

La majorité des décès ­ plus de 50 % ­ ont lieu dans les institutions hospitalières, qui sont destinées à devenir des « plateaux techniques » hyperspécialisés, répondant aux normes de performance qu'on leur impose : durée de séjour brève, bilans paracliniques très pointus. Les contraintes budgétaires qui pèsent sur les hôpitaux sont telles que les infirmières peuvent difficilement prendre le temps d'écouter le patient et ses proches, et de le soigner au rythme qu'impose son état. En ce qui concerne les médecins spécialistes, tout leur enseignement, tout l'idéal vers lequel ils tendent, les amènent à se battre pour la guérison, mais lorsque la maladie triomphe, ils se sentent profondément désarmés et impuissants face à ce qu'ils ressentent comme un échec. Leur formation médicale les prépare à agir, mais elle ne les prépare pas à pouvoir prendre une distance émotionnelle, ni à prendre le temps pour écouter le patient. Ils jouissent d'une excellente compétence en ce qui concerne les thérapeutiques curatives et la démarche scientifique, mais ils ne sont pas formés pour soulager les symptômes ni pour approcher globalement les situations de fin de vie. En outre, les médecins ne disposent pas, à l'heure actuelle, d'outils de réflexion éthique pour guider leur action. L'interdisciplinarité n'est appliquée que dans de rares services ­ gériatrie, centres de référence sida ­ plus fréquemment confrontés à la fin de vie.

Environ 25 % des décès ont lieu dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins. Il s'agit de personnes âgées, qui y décèdent plus souvent de mort « naturelle ». Néanmoins, il faut dénoncer le manque d'encadrement de ces structures et le manque de formation palliative du personnel soignant.

Moins de 20 % des patients décèdent à leur domicile. L'approche palliative commence à s'y implanter, notamment grâce à l'excellente collaboration de certains médecins généralistes, mais beaucoup reste à faire et la progression restera limitée du fait de l'éclatement des familles.

Quant aux services spécialisés de soins palliatifs, ils ne sont accessibles qu'à une minorité de patients (moins de 5 % des personnes y décèdent). Ces services ne peuvent souvent pas bien répondre à la demande. Pour vous donner un exemple, dans mon unité, le taux d'occupation est de 90 % alors qu'il ne devrait pas dépasser 80 %. En outre, chaque année, 30 % des demandes d'admission sont refusées par manque de place.

En fait, lorsque je compare tout ce qui peut être fait pour éviter les drames de la fin de vie et ce qui existe actuellement, je constate qu'il y a un abîme de différence. Pour y remédier, il faut diffuser la culture des soins continus, ce qui nécessite deux choses.

1º Poursuivre l'effort de formation (notamment au niveau des universités). Entre l'arrêt des traitements actifs et la fin de la vie, il y a un temps qui doit être investi par les soignants non plus pour lutter contre la maladie, mais pour soulager et accompagner les patients. Cela paraît évident, et pourtant on n'aborde pas ce sujet au cours de la formation médicale ! Il faudrait qu'à la sortie de l'université, tout futur médecin sache que face à une demande d'euthanasie, la première question qu'il doit se poser n'est pas : « Quelle est la meilleure formule de cocktail lytique ? » mais plutôt celle-ci : « De quelle souffrance s'agit-il et comment la soulager ? »

Pour cela :

­ il devrait connaître les médicaments à prescrire pour soulager une douleur ou un symptôme, afin que ceux-ci ne soient plus qualifiés trop vite, comme ils le sont aujourd'hui, de symptômes « irréductibles »;

­ il devrait aussi savoir écouter, avoir un dialogue de vérité et établir une relation de confiance avec le patient. Que le patient ait la conviction que son médecin est prêt à entendre sa souffrance, qu'il fera tout pour l'endiguer et qu'il restera à ses côtés jusqu'à la fin, car cela, je vous assure que c'est de la prévention à grande échelle des drames de la fin de vie !

2º Mieux financer l'approche palliative.

Les fédérations bruxelloise, flamande et wallonne de soins palliatifs ont élaboré un projet commun de développement des soins palliatifs, qui a été déposé tout récemment auprès des ministères des Affaires sociales et de la Santé publique. Ce projet concerne les associations de soins palliatifs, les soins palliatifs à domicile, les unités résidentielles de soins palliatifs (où il faut financer l'activité médicale) et les maisons de repos et de soins. Il insiste particulièrement sur la nécessité de développer obligatoirement de véritables équipes mobiles dans tous les hôpitaux.

Notre pratique nous montre que lorsque l'approche des soins continus est correctement appliquée, il ne persiste que de l'ordre de 1 % de demandes d'euthanasie répétitives et non ambivalentes (j'insiste sur ces deux termes). Ce chiffre représente une moyenne entre le chiffre de 0,5 % que je retrouve dans ma pratique et le chiffre de 2 % rapporté par d'autres sources mais qui concerne d'autres populations de patients.

Que proposer pour ce 1 % de « vraies demandes » d'euthanasie ?

Personnellement, je pense qu'il est du devoir du médecin de « faire quelque chose ». Soit il se sent capable d'assumer avec son équipe un acte d'euthanasie active vécu comme transgression éthique, soit il doit proposer au patient un transfert dans une autre institution susceptible de répondre à sa demande, ou encore, lui proposer une sédation contrôlée. En ce qui concerne mon unité, ce sont ces deux dernières alternatives que nous proposons à ces très rares patients.

Je n'ai plus pratiqué d'acte d'euthanasie active depuis dix-huit ans.

Il ne faut surtout pas modifier le Code pénal. L'interdit de tuer est un signal fort, une indication claire de la nécessité de protéger toute vie humaine. Il est d'autant plus important de préserver la vigilance de cette barrière éthique que la confrontation avec la mort est difficile. Nous devons maintenir une protection solide contre le risque de légitimer, de déresponsabiliser, de déculpabiliser trop rapidement les acteurs de terrain. Si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée. Elle fera d'emblée partie des options envisageables et nous permettra de faire l'économie de la recherche d'autre possibilités. Il me semble important que l'euthanasie reste toujours un geste d'exception, celui auquel on n'a recours qu'après avoir épuisé les autres possibilités humaines et médicales.

Je suis toujours étonnée de constater à quel point certaines personnes semblent peu sensibles au registre symbolique de la loi. Personnellement, je pense que la dépénalisation de l'euthanasie risque d'influencer les mentalités et de créer un nouveau discours social. La question se pose dans les termes suivants : « Quelle représentation de la mort allons-nous créer pour la société de demain ? »

Il me semble important de réinscrire la maladie et la mort comme des dimensions constitutives de la vie sociale et non comme des réalités à occulter. Nous devons veiller à ce que l'euthanasie ne devienne jamais pour nos petits-enfants le modèle de la « bonne mort » ­ la mort propre, rapide, médicalisée. Ce risque est réel car nous vivons dans une société fort imprégnée des concepts de performance, de matérialisme et d'individualisme.

En conclusion, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, ce que nous voulons tous, c'est que notre société progresse en humanité. Nous voulons tous une fin de vie plus digne, plus humaine et plus respectueuse de l'autonomie pour tous nos patients.

Il me semble dès lors important de privilégier deux lignes directrices. La première consiste à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour prévenir les actes d'euthanasie évitables dans une société vieillissante. La seconde consiste à opposer une résistance par rapport à la tendance à fuir le temps du mourir que manifestent la médecine et la société d'aujourd'hui.

Pratiquement, dans un premier temps, et j'insiste sur ce premier temps, il faudrait mettre en oeuvre une véritable politique de santé publique afin de diffuser largement la culture des soins continus.

La plupart des demandes d'euthanasie sont motivées par une souffrance physique ou morale sur laquelle il est tout à fait possible d'agir par cette approche qui ne fait pas violence à notre déontologie médicale. Ce n'est qu'à ce moment-là que le débat se focalisera réellement sur les « vraies demandes d'euthanasie », celles qui sont motivées par une souffrance physique que la médecine actuelle est incapable de soulager et celles qui sont motivées par une conception philosophique personnelle de la dignité que l'accompagnement le plus respectueux ne parvient pas à réduire.

Le deuxième point qui me semble important est de renforcer la capacité éthique des soignants. Les soignants doivent être mieux outillés pour combattre l'acharnement thérapeutique et pour pouvoir trancher dans les conflits de valeurs. Dans ces situations graves qui touchent à la vie et à la mort, il est humain de développer des mécanismes de défense qui faussent les jugements.

Les dilemmes éthiques n'entreront jamais dans le cadre rigide d'une loi ; ils doivent être résolus au cas par cas. Les médecins seront toujours obligés de trancher dans ces dilemmes et d'agir en leur âme et conscience. Il faut donc leur faire confiance tout en les incitant à s'arrêter et à prendre le temps de réfléchir avec l'aide d'une équipe interdisciplinaire. De plus, il me semblerait important de développer des « cellules d'aide à la décision » au sein des comités d'éthique. Leur rôle ne serait pas d'imposer une norme souveraine mais plutôt d'être le catalyseur qui conduit les différents acteurs de terrain à aller plus loin dans l'analyse de la problématique éthique.

Je ne suis pas favorable au projet actuel de dépénalisation. L'euthanasie doit rester la transgression d'une norme et ne peut jamais devenir quelque chose qui fait partie de la norme. Elle doit rester un geste d'exception pris dans un état de nécessité. Je souhaiterais que les législateurs recherchent un cadre permettant de sortir de la clandestinité et d'offrir une sécurité juridique aux médecins qui, à titre exceptionnel et après avoir épuisé toutes les autres possibilités humaines et médicales, se résoudraient à pratiquer cet acte dans une optique du moindre mal. Il serait vraiment dérangeant que ces médecins soient poursuivis !

M. Philippe Monfils. ­ Madame, je relève certaines contradictions dans votre exposé, lorsque vous vous interrogez sur le point de savoir ce qu'il faut faire en cas de demande d'euthanasie. Vous avez parlé des soins palliatifs, de la sédation contrôlée ­ on a dit ce matin ce qu'il fallait en penser, je n'y reviendrai pas ­ et vous avez dit « on transfère ailleurs », là où la demande d'euthanasie sera faite.

Vous ajoutez, d'un côté, que « les soins palliatifs vont pratiquement supprimer tous les problèmes d'euthanasie », mais de l'autre, vous précisez que « dans certains cas, il faut transférer ». Vous dites encore qu'il n'est pas possible de dépénaliser et qu'il faut trouver « autre chose ». J'ai été étonné de vous entendre dire qu'il faudrait donner une certaine sécurité juridique aux médecins, car « il serait vraiment dérangeant que ces médecins soient poursuivis ».

Certes, c'est très dérangeant, Madame, mais au-delà de la philosophie, il faut faire du droit. Actuellement, l'euthanasie est interdite et les médecins peuvent donc être poursuivis. C'est dérangeant pour vous. Vous savez pertinemment bien qu'il y a plusieurs propositions sur la table et que les partisans de l'exception portant sur l'état de nécessité ne peuvent pas apporter la preuve qu'il y aurait ainsi une sécurité juridique complète. C'est d'ailleurs précisé dans les développements de la proposition. En effet, le parquet peut contester l'état de nécessité et donc se substituer au médecin.

Vous ne voulez pas de modification du Code pénal, mais que voulez-vous ? D'un côté, on exprime son refus d'une modification, mais on rejette aussi l'idée que les médecins puissent être poursuivis. Seriez-vous alors favorable à cette idée que l'on essaye de répandre dans certaines universités et facultés de médecine, idée selon laquelle il serait temps de sortir tous les actes médicaux du Code pénal ? Ce serait, je le dis d'emblée, inacceptable car nous ne pouvons pas imaginer qu'un corps social, quel qu'il soit, ne réponde pas aux lignes directrices imposées dans un état démocratique par la voie législative.

Le problème est donc fondamental. On ne veut rien, mais on veut qu'il ne se passe rien. Alors, comment faire pour qu'il ne se passe rien en ne voulant rien ?

J'en viens à une deuxième question. Vous parlez beaucoup d'éthique. Trouvez-vous normal, dans cette optique, de proposer d'abord un aménagement des soins palliatifs et de la formation sans qu'il puisse être question d'euthanasie ? Cette dernière ne pourrait être éventuellement envisagée que dans un deuxième temps, pour le dernier pourcent restant. Qui sommes-nous, vous comme nous, pour interdire, en quelque sorte, à quelqu'un de manifester sa volonté, en attendant qu'un certain nombre de choses soient mises en place, des choses qui incontestablement seront de nature à diminuer le nombre d'euthanasies mais ne les supprimeront pas totalement. Je m'interroge sur ce raisonnement qui consiste à décider de ne toucher à rien mais d'augmenter le budget des soins palliatifs, de dispenser la formation et d'attendre dix ans en supposant qu'à ce moment-là, on accordera peut-être l'euthanasie à ceux qui la demanderaient encore. Qui sommes-nous tant au niveau médical que politique pour adopter une telle attitude, alors que nous touchons à la liberté individuelle ? J'ai bien entendu que votre expérience passée avait transformé votre approche. Pourrions-nous aussi parler de l'approche du patient ?

Enfin, nous avons un plan financier des soins palliatifs et je m'en réjouis. Je dirais simplement qu'il va plus loin que la proposition de loi déposée par certains collègues sur les soins palliatifs. Ou bien cette proposition de loi est modérée ou bien ces propositions en matière de soins palliatifs sont excessives. Nous verrons plus tard. J'ai l'habitude de lire rapidement un texte, Madame, et je puis vous dire que la proposition relative aux soins palliatifs va plus loin dans les dépenses que la proposition de loi de Mme Nyssens. J'ai même comparé les équipes de soutien. Je pourrais vous faire maintenant une comparaison entre vos suggestions et celles de Mme Nyssens. Nous verrons plus tard ce qu'en pensera le ministre.

Vous avez dit que l'autonomie du patient était fragilisée. Certes, elle l'est, par la fin de la vie, mais ne l'est-elle pas autant sinon plus quand on l'insère dans un système de soins palliatifs où il est pris totalement en charge ­ par un psychologue, un kinésithérapeute, on a même parlé d'un anthropologue ce matin, si la traduction était exacte, un sociologue et que sais-je encore ­ avec la conséquence que le patient n'est plus capable d'exprimer sa propre volonté. Venir dire que l'on ne peut pas prendre en compte l'attitude d'un patient fragilisé par la souffrance et la mort probable, mais que par contre on va considérer son refus ultérieur de l'euthanasie comme valide, alors que ce refus est éventuellement conditionné par l'impossibilité d'exprimer sa volonté, entouré qu'il est par un système de soins palliatifs. Il y a matière à réflexion. L'autonomie ou le manque d'autonomie du patient jouent dans les deux sens, au sens où il est seul par rapport à la mort et au sens où il n'est plus capable, tel qu'il est entouré, d'exprimer sa volonté propre. C'est un peu la différence qu'il y a entre un élève libre et un élève qui est dans un internat.

Je vous adresse ces questions tout en vous remerciant de nous voir présenté votre vision des choses.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Vous me demandez ce que je voudrais. D'abord, éviter les euthanasies évitables ­ ce point est important dans la politique à mettre en oeuvre. Ensuite, réduire les euthanasies inacceptables d'un point de vue éthique. Pour ce faire, je pense qu'il faut augmenter la capacité éthique des soignants.

Pour cette raison, je souhaiterais qu'une législation rende obligatoire la consultation collégiale. Ce moyen me semble éprouvé pour aller plus loin dans la réflexion éthique. Ce n'est tout de même pas pour rien que cette interdisciplinarité constitue véritablement le centre de l'approche palliative dans tous les pays du monde. C'est effectivement quelque chose qui nous permet d'approcher globalement les situations de fin de vie et qui nous permet d'avoir une analyse éthique plus approfondie.

Je suis d'accord, je le répète, avec votre argument qui consiste à dire qu'il n'est pas bon de rester dans la clandestinité et qu'il est bon de garder le débat ouvert, mais pour cela il faudrait, il est vrai, une solution juridique. Pour ma part, je souhaiterais que celle-ci assigne l'euthanasie à sa juste place. Je ne voudrais pas que l'euthanasie devienne le premier choix aux yeux de la société, des patients, des familles et des médecins ; elle doit rester un cas d'exception. Vous, en tant que juriste, semblez dire que la notion d'état de nécessité est fragile et n'est pas une bonne solution. À nous médecins, cet état de nécessité nous parle beaucoup. La norme, pour les médecins, est de tout faire pour la vie, ce qui ne signifie pas la vie à tout prix. Il existe des cas d'exception pour lesquels il devrait être possible d'agir sans risquer d'être poursuivi.

M. Philippe Monfils. ­ À Liège, les médecins avaient évoqué l'état de nécessité ...

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je ne connais pas les solutions légales qui permettraient de rendre plus solide cette notion. Je souhaiterais qu'elle soit inscrite dans une loi. Une autre idée à laquelle je suis attachée est une charte des droits des patients légalisée qui permettrait de faire référence.

Je n'ai jamais dit que les soins palliatifs supprimaient toutes les demandes d'euthanasie.

Vous me parlez de l'autonomie des patients qui est fragilisée. Effectivement, cette autonomie est très fragilisée en fin de vie, d'abord d'un point de vue physique ­ beaucoup de patients souffrent de problèmes confusionnels ­, mais aussi d'un point de vue psychologique. Certains patients qui ont parfois été de grands décideurs durant toute leur vie ne se sentent plus capables de décider. Ce n'est pas une règle générale; j'ai aussi rencontré des patients qui avaient une force de caractère exceptionnelle et qui continuaient à exprimer clairement leur volonté sans être influencés par personne.

Nous mettons tout en oeuvre ­ et c'est un élément central de l'approche palliative ­ pour renforcer l'autonomie du patient. Je ne décide jamais d'un traitement seule; j'en parle avec le patient.

Par exemple, pour un traitement à la morphine, la dose prescrite peut parfois induire une certaine sédation. Quelle est la priorité du patient ? Sa priorité est-elle d'avoir toute la lucidité possible, quitte à garder un certain niveau de douleur ou bien de n'avoir plus aucune douleur, quitte à avoir un certain niveau de sédation ? C'est au patient que le choix appartient.

Pour moi, l'autonomie du patient est très importante et je n'accepterais pas qu'on me dise qu'en soins palliatifs, je n'entends pas les demandes d'euthanasie. Dès que le patient ou ses proches expriment une demande qui se rapproche un tant soit peu d'une demande d'euthanasie, immédiatement, toute l'équipe réagit pour détecter tout de suite de quelle souffrance il s'agit, pour pouvoir avoir un dialogue avec le patient, pour approfondir cette demande et en voir le sens réel. Nous entendons les demandes d'euthanasie.

Avec les trois fédérations, nous avons élaboré un projet qui nous semblait raisonnable. En Belgique, le squelette, l'organisation générale des soins palliatifs est excellente, est un modèle européen mais il faut l'étoffer. On manque actuellement de moyens. C'est pour cette raison que les trois fédérations ont discuté ensemble ­ ce qui est un point important ­ pour élaborer ce projet.

D'un point de vue financier, le coût le plus important concerne les maisons de repos et de soins. Nous y demandons en effet une infirmière-ressource en soins palliatifs par 120 lits. C'est un budget considérable de l'ordre de 1,5 milliard.

M. Josy Dubié. ­ Je voudrais vous poser très concrètement deux questions. D'abord, je tiens à dire que j'ai visité votre centre de santé avec le sénateur Galand et que j'ai été très impressionné par la manière dont vous traitez vos patients. Je suis aussi très impressionné par votre honnêteté. Contrairement à certains de vos prédécesseurs, vous reconnaissez que même dans votre centre, malgré tous les soins remarquables que vous prodiguez, 1 % des patients demande finalement l'euthanasie.

Les deux questions que je vous pose sont très concrètes.

1) Je sais que vous ne pratiquez pas l'euthanasie chez vous mais vous savez comment procéder. J'aimerais savoir comment on la pratique.

2) Vous avez dit que vous appliquiez deux solutions. Soit vous transférez le patient, soit vous pratiquez une sédation contrôlée. Quelle est la différence entre une sédation contrôlée et l'euthanasie ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ J'ai avancé le chiffre de 0,5 %. Le chiffre de 1 % est pour moi une moyenne par rapport au chiffre de 2 % qui a été retenu par une institution comme Bordet, qui est confrontée à une population de patients différente. En effet, il est, à mon sens, normal qu'un patient qui a fait une déclaration anticipée, aille plutôt se faire soigner pour sa fin de vie dans une institution laïque. Chez moi, j'ai noté 0,5 % de demandes d'euthanasie, sur la base de l'analyse des cinq dernières années où nous avons pris en charge 600 cas, parmi lesquels trois personnes ont formulé une demande d'euthanasie répétitive et non ambivalente.

Au début de mon évolution comme médecin oncologue, j'ai pratiqué l'euthanasie.

Au moment où je l'ai pratiquée, je l'ai fait par compassion. Je voulais absolument aider ce patient qui souffrait. Je n'avais pas d'autres moyens de l'aider. Cependant, par la suite, cet événement est revenu dans mon inconscient comme un meurtre que j'avais commis. Je pense que c'est un peu normal car il s'agit d'une transgression d'un interdit fondamental de notre société. Quelles sont les raisons pour lesquelles je ne pratique plus maintenant l'euthanasie active ?

L'une des raisons est que je connais mieux les moyens de soulager les patients. Mais cela n'est pas suffisant.

Une autre raison est le fait que je me suis vraiment investie dans les soins palliatifs qui sont très centrés sur la vie. On s'y démène parfois extraordinairement pour privilégier les derniers moments, la qualité de vie d'un patient. On sait, en effet, que quand le temps est limité, cela est important.

On ne peut oublier l'aspect mortifère de l'acte d'euthanasie. Personnellement, j'aurais du mal à passer dans la chambre d'un patient et à tout faire pour préserver sa qualité de vie puis, l'instant d'après, me rendre dans une autre chambre et y brancher un cocktail lytique parce que le patient l'a demandé et, enfin, visiter dans une troisième chambre un patient inconscient, qui n'a rien demandé mais dont l'état se dégrade progressivement, et ne rien pouvoir faire parce que ce n'est pas prévu par la loi.

Les médecins ont besoin d'une certaine cohérence dans leur pratique. Je travaille dans un contexte très spécifique, celui d'une unité de soins palliatifs. Je suis confrontée continuellement à des situations extrêmes. Ce n'est pas comme le médecin généraliste qui soigne deux ou trois patients en fin de vie au cours de l'année. Nous avons vraiment besoin d'une limite « intransgressable », d'une ligne de conduite univoque qui consiste à se dire qu'on va tout faire pour soulager, même si cela devait abréger l'existence du patient. Ce que nous visons, c'est le soulagement du patient.

Vous me demandiez les possibilités de transfert. Quand j'ai proposé cette possibilité à ces très rares patients, aucun n'a accepté. Je leur ai pourtant expliqué que je ferais tout pour que ce transfert se passe dans de bonnes conditions, que j'irais même les voir dans la nouvelle institution, mais ils n'ont pas accepté.

Quant à la sédation contrôlée, il en existe différentes formes. Je n'aborderai que celle qui apporte une sorte de réponse à une demande d'euthanasie, à laquelle le médecin ou l'équipe ne pourrait répondre. Personnellement, je ne considère pas qu'il s'agisse d'une bonne solution mais c'est la moins mauvaise possible. C'est celle qui tient compte de la nécessité pour nous d'avoir une ligne de conduite cohérente et de préserver nos potentialités futures pour les autres patients. Il y a là un conflit entre, d'une part, le bien individuel du patient que l'on a en face de soi et dont on voudrait tellement préserver l'autonomie parce qu'elle est tellement centrale pour nous, et, d'autre part, le bien commun, celui des futurs patients. Mon équipe et moi avons entamé une réflexion à ce sujet. Actuellement, nous considérons la sédation comme un moindre mal.

M. Josy Dubié. ­ Quelle est la différence avec l'euthanasie ? Dans le cas de la sédation contrôlée, la personne est inconsciente. Dans ce cas, c'est la durée qui fait la différence, ce n'est pas l'intention.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ L'intention est différente. Elle est de soulager la souffrance. Dans un premier temps, nous proposons aux patients une sédation intermittente. La plupart des patients acceptent cette solution. On les fait dormir profondément, ce qui leur évite une souffrance morale, et on leur préserve des moments où ils sont bien conscients. En général, ce sont les moments où la famille est présente et ils peuvent échanger des choses avec elle.

M. Philippe Monfils. ­ Par rapport à ce qui a été dit ce matin, l'intention n'est pas présente, mais le résultat de la sédation contrôlée est que la mort survient de manière inéluctable. On nous a également parlé, ce matin, de sédation intermittente. Souvent, le malade demande que l'on continue jusqu'au bout. Croyez-vous qu'au moment où il est péniblement réveillé, son libre arbitre soit encore tout à fait présent ? Quand il a été légèrement endormi, qu'il se réveille et vous demande de continuer jusqu'au bout, pensez-vous qu'il s'agisse d'un élément dont il faut réellement tenir compte ? Nous sommes pour l'autonomie du patient, mais quand on dit qu'il accepte cette position dans un état où il est particulièrement fragilisé au niveau non seulement psychologique mais aussi physique, cela appelle une réflexion.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je vous ai dit que ce n'était pas une bonne solution, mais je pense que vous devez aussi tenir compte du vécu des médecins, surtout dans le cadre très particulier d'une unité de soins palliatifs où nous sommes continuellement confrontés à des situations extrêmes. J'insiste sur ce point. Je pense qu'il est bon qu'il y ait des équipes de soins palliatifs qui acquièrent une très grande expérience pour pouvoir la transmettre aux autres mais, par rapport à cela, nous avons besoin d'avoir cette ligne de conduite univoque. Je m'étonne toujours que le patient qui le veut réellement ne demande pas le transfert dans une autre institution. C'est son droit. Un transfert est peut-être pénible à supporter, je n'en sais rien, mais en tout cas, ces situations heureusement très rares sont difficiles pour nous.

Mme Nathalie de T'Serclaes. ­ La frontière entre sédation contrôlée et euthanasie est très difficile à délimiter. Dans le chef tant du patient que du soignant, il y a des éléments extrêmement ténus et difficiles qui font qu'il existe réellement une frontière entre ces deux notions. C'est un respect profond à la fois du soignant et du patient et on ne peut rejeter cette voie en disant qu'il s'agit de la même chose.

À partir du moment où nous sommes législateurs, cela pose un problème pratique. Vous dites, et je vous rejoins, que l'euthanasie doit rester un acte de transgression par rapport à la loi naturelle qui est « tu ne tueras point ». Cela doit rester une exception. Vous dites en même temps qu'il faudrait instituer une sécurité juridique. Les deux éléments sont quelque peu contradictoires. À partir du moment où il y a sécurité juridique, il doit y avoir une définition des cas dans lesquels cet acte est permis. S'il y a transgression, l'acte de transgression doit au moins, a priori et a posteriori, pouvoir être contrôlé de manière efficace. Sinon, ce n'est plus une transgression, c'est une porte qui s'ouvre. Je voudrais vous entendre à ce propos. Si vous dites qu'il faut une certaine sécurité juridique, comment imaginez-vous que l'on puisse contrôler cette transgression ?

Nous avons eu un plaidoyer vraiment intéressant de votre collègue, M. Clumeck, qui ne croyait pas au contrôle a posteriori, mais était partisan d'un contrôle a priori. Il allait très loin dans sa proposition puisqu'il disait : « Nous devrions pouvoir soumettre à une instance », sur la qualification de laquelle il hésitait, « l'acte de transgression que nous serions amenés à poser. Nous devrions pouvoir mener un dialogue avec cette instance, lui dire que nous pensons qu'elle va un peu loin et qu'elle doit se poser à nouveau des questions, même si cette instance n'est pas décisionnelle et que la décision revient au médecin. » Que pensez vous de cette position ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je ne suis pas juriste et c'est un domaine où je peux dire peu de choses. J'ai également parlé de contrôle a priori. Pour moi, la discussion collégiale préalable rendue obligatoire ainsi que les cellules d'aide à la décision sont une forme de contrôle a priori. En tant que médecins, nous pouvons définir nos priorités mais nous devons demander aux juristes ce qu'ils peuvent faire sur cette base. Je ne puis en dire davantage.

Mme Nathalie de T'Serclaes. ­ En tant que médecin, comment vous positionnez-vous par rapport à la loi ? J'ai le sentiment que les médecins estiment que la loi ne les concerne pas, alors que certains disent qu'ils veulent la sécurité juridique. Cela me semble contradictoire. D'aucuns estiment préférable de ne pas disposer d'une loi et de mener un véritable dialogue avec le patient.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ La question qui se pose est la suivante : y a-t-il ou non moyen de légiférer sur l'état de nécessité ?

Mme Nathalie de T'Serclaes. ­ L'état de nécessité existe. N'importe quel acte de transgression, qu'il s'agisse de légitime défense, de force majeure, etc, est un moyen de dire que la norme est « tu ne tueras point » mais que, dans telle ou telle circonstance, la loi pénale permet déjà aujourd'hui, à n'importe quelle instance, de ne pas aller jusqu'à un procès puisqu'elle peut classer sans suite. Tel est le débat aujourd'hui sur le plan strictement juridique. Je préfère à la limite tous les autres débats parce qu'ils sont plus concrets.

M. Philippe Monfils. ­ Il y a une proposition qui parle de l'état de nécessité. Même dans la proposition des six, que vous écartez, on indique « qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque les faits visés ... ont été commis par un médecin et commandés par la nécessité de mettre fin à la souffrance ... » Nous parlons aussi d'état de nécessité. Le rôle du juriste n'est pas d'habiller une position présentée par quelqu'un. Il doit aussi se demander ce qu'il est possible de faire en droit. Mme de T'Serclaes qui, je crois, ne partage pas tout à fait notre opinion a entièrement raison de dire cela. Dans les deux cas, on parle d'état de nécessité mais on n'échappe pas à la question de savoir comment vérifier cet état de nécessité et comment faire pour que la position du pouvoir judiciaire ne soit pas telle qu'il se substitue au médecin dans cette appréciation. La seule façon que vous avez de répondre à cela, c'est une loi de procédure. C'est tout le problème. En effet, les médecins doivent se dégager de cette illusion suivant laquelle ils ne veulent plus la poursuite selon le Code pénal actuel, mais veulent qu'on leur fiche la paix. Il est impossible, Madame, de sortir les médecins du Code pénal. Ce n'est pas possible, car on créerait une espèce de bulle à l'intérieur de laquelle les médecins autocontrôleraient tous leurs actes. C'est radicalement impossible du point de vue du droit, du point de vue d'une société démocratique qui doit légiférer pour l'ensemble des corps sociaux, qu'il s'agisse des avocats, des notaires, des magistrats, des médecins, des parlementaires qui contrôlent de plus en plus, mais sont aussi contrôlés par un certain nombre d'éléments. Telle est la réalité des choses. On tourne en rond quand on entend un médecin nous parler comme vous le faites. À un moment donné, il faut trouver une issue.

Mme la présidente. ­ Mme Bouckenaere a entendu les remarques du futur législateur mais n'est pas là pour donner des solutions en droit.

Mme Iris Van Riet. ­ Ma question est la même que la première de M. Monfils, mais je laisserai l'aspect juridique de côté. À un certain moment, vous avez dit à propos du « repérage éthique » : « Il me semblerait utile de disposer de cellules d'aide à la décision éthique. » Que voulez-vous exactement dire par là ? Pouvez-vous donner des informations supplémentaires à leur sujet ? Quelle est leur composition ? Quelle est leur fonction ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je n'ai pas d'expérience personnelle de ces cellules d'aide qui n'existent pas dans ma clinique, je tiens à le souligner. D'une part, j'ai lu beaucoup d'articles de référence à ce sujet et, d'autre part, j'ai eu des contacts avec des médecins que je connais bien et qui travaillent dans des institutions où ces cellules d'aide à la décision existent.

Lorsqu'un problème éthique important se pose sur le terrain ­ il ne s'agit pas des problèmes éthiques quotidiens que nous sommes tous amenés à régler dans notre pratique mais bien d'un problème qui sort de l'ordinaire, que ce soit au niveau de l'euthanasie ou de la néonatologie ­, on adresse une demande écrite au comité d'éthique de l'hôpital, en expliquant bien l'objet de la demande, et l'on peut organiser rapidement ­ dans les 24 à 48 heures au maximum ­, une réunion avec le médecin spécialiste responsable du patient, le médecin généraliste si possible, car il connaît souvent d'autres aspects qui nous échappent puisqu'il suit le patient et ses proches depuis très longtemps, les principaux soignants impliqués dans cette problématique et un éthicien, à savoir quelqu'un qui a une formation en éthique. Un autre médecin spécialiste de ce type de cas ­ qui n'est pas éthicien ­ peut éventuellement se joindre à ce groupe. Cette réunion a pour objectif d'aider le médecin à peser tous les enjeux de la question de manière à ce que sa décision soit mûrement réfléchie. Toutefois, l'avis de ce groupe n'est pas contraignant. C'est le médecin responsable du patient qui prend sa décision, mais il dispose de plus d'éléments et sa décision sera mieux analysée. Il est vrai que j'estime que c'est intéressant pour inculquer une culture éthique dans des institutions. En effet, nous n'avons pas encore de bonne formation à cette dimension éthique, nous les médecins.

Mme Iris Van Riet. ­ La composition de la cellule varie-t-elle dès lors en fonction des médecins et du personnel infirmier concernés ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Oui, la composition de la cellule est chaque fois différente puisqu'elle réunit l'équipe qui encadre le patient et que, selon le problème posé, un spécialiste différent se joint au groupe. S'il s'agit d'une question de néonatalogie, ce n'est pas le même que pour une question d'euthanasie.

Mme Ingrid van Kessel. ­ La notion d'état de nécessité a déjà été évoquée dans la question précédente. Tout comme vous, je pense qu'il doit s'agir d'une situation exceptionnelle. Mais si la demande d'euthanasie active persiste, il faut pouvoir la formuler. Comment décrivez-vous l'état de nécessité ?

On a souvent parlé d'acharnement thérapeutique. De nombreuses personnes en ont peur. Certains médecins utilisent un code dans leur hôpital. Connaissez-vous ces codes ? Quel est votre point de vue à ce sujet ?

L'expression « acharnement palliatif » a été prononcée ici à plusieurs reprises. Vous avez vous aussi dit vouloir faire l'impossible. L'acharnement palliatif existe-t-il ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Comment décrire la détresse, à savoir ce 1 % de vraies demandes d'euthanasie ? Ces patients-là réitèrent leurs demandes, en dépit de tous nos efforts, des thérapeutiques visant à les soulager, de notre approche très respectueuse et de tout l'accompagnement mis en oeuvre. Je pense qu'il faut, tout d'abord, passer par cette écoute, par cet accompagnement de la demande, par le décodage de la souffrance sous-jacente et par la vérification du caractère non ambivalent de cette demande. Il s'agit d'une priorité. Si on est passé par toutes ces étapes, il y a de vraies demandes d'euthanasie. J'aimerais, pour ma part, qu'on les envisage dans le cadre d'une législation sur l'état de nécessité. Certes, il y a encore énormément de choses à faire pour lutter contre l'acharnement thérapeutique. Il reste un problème dans nos hôpitaux. Le chef de cabinet de la ministre Magda Aelvoet a dit que tant que les hôpitaux resteraient subventionnés sur base des actes techniques, l'acharnement thérapeutique persisterait. Il y a là une politique de santé publique à reconsidérer mais l'intéressé reconnaissait lui-même que cela ne pourrait se faire du jour au lendemain. Il faut, en effet, modifier tout un système.

Les outils permettant d'améliorer les décisions sont surtout utilisés, je crois, dans les services de réanimation et je n'en ai pas connaissance. En revanche, nous utilisons des grilles d'évaluation éthique. Il s'agit de méthodes d'aide à la décision nous permettant d'analyser les différentes possibilités d'une problématique. Il s'agit d'un outil éthique.

Je ne sais pas ce qu'on entend par acharnement palliatif. Nous avons une approche qui n'a jamais été une approche « palliative pure ». Il y a une certaine manière de pratiquer les soins palliatifs ­ je n'ai jamais été en accord avec cela ­ qui est de laisser tomber toutes les techniques et toutes les médications curatives et de passer brusquement à un tout autre type de démarche, où on ne va plus utiliser que des thérapeutiques de soulagement. Effectivement, je pense que cela peut convenir à certains patients qui sont en fin de vie ou à des patients qui souhaitent uniquement ce type d'approche. Mais pour moi, le fait d'entrer en soins palliatifs ne veut pas dire qu'il ne faut pas dans certains cas, quand c'est le souhait du patient et quand c'est justifié, soutenir la vie du patient. C'est souvent cela qu'il nous demande, en plus d'être soulagé. Donc, nous avons une attitude très souple, qui est de se baser vraiment sur le désir du patient et sur la manière dont il veut être soigné en phase palliative. Je pense que lorsqu'on se base sur le souhait du patient, on n'est jamais dans l'acharnement, qu'il soit thérapeutique ou palliatif. Vous êtes dans l'acharnement à partir du moment où vous décidez quelle est la technique ou la méthode de traitement à suivre, sans tenir compte de ce que le patient veut.

M. Paul Galand. ­ Je vous remercie d'avoir signalé que l'organisation des soins palliatifs en Belgique est une référence au niveau européen et que donc, il faut voir quelles étapes sont encore à franchir pour l'étoffer de façon à ce qu'elle réponde aux besoins. Il est peut-être utile de rappeler que la commission des Affaires sociales du Sénat examine les suites du rapport Peers et a décidé de poursuivre son travail par rapport aux besoins en soins de santé. Donc, cette problématique des soins palliatifs sera probablement reprise aussi dans le suivi du rapport Peers et dans les recommandations qui pourraient être faites par le Sénat à ce sujet.

Ma première question porte sur la formation. Dans l'état actuel, à partir de ce que vous constatez, quelles seraient les étapes encore à franchir pour que la formation du personnel soignant et médical soit d'un niveau que vous jugeriez correct par rapport au traitement de la douleur et de l'accompagnement des personnes en fin de vie ?

Ma deuxième question ­ et je fais référence à ce qui a été dit ce matin ­ concerne la fréquence des états dépressifs. Quelles sont les difficultés pour distinguer ce qui est état dépressif ou douleur morale et existentielle ? Quelles sont les approches, éventuellement complémentaires, permettant de faire la distinction ? Peut-être pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Ma troisième question porte sur le soutien aux familles. D'après ce qu'on entend, la souffrance des proches, des familles, est parfois extrêmement lourde. Il y a des moments de discordance de perception entre la façon dont la personne malade voit sa situation et la façon dont ses proches perçoivent cette situation et ces souffrances. Et cette discordance elle-même peut être source de souffrances supplémentaires, aussi bien pour le patient que pour la famille. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Ma dernière question a trait aux maisons de repos et aux maisons de repos et de soins. Comment se structure, à ce niveau-là, l'intervention des spécialistes en soins palliatifs ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En réponse à votre première question concernant la formation, c'est vrai qu'il y a encore énormément à faire, même si beaucoup a déjà été fait. Cela a bougé très fort, mais il faut aller beaucoup plus loin. Les médecins ont un rôle très important à jouer pour lutter contre l'acharnement thérapeutique, pour être plus à l'aise par rapport à la fin de vie.

C'est donc vraiment au niveau de l'enseignement universitaire qu'il faut inclure, dans le cursus de base des médecins, une formation palliative. Cela n'existe pas actuellement. Ma fille est en quatrième doctorat et a eu, en tout et pour tout, quatre heures de séminaire sur la fin de vie.

De nombreuses initiatives ont été prises. Il y a eu un engouement inattendu pour un projet de formation pour les médecins généralistes. Cinq cents médecins généralistes se sont inscrits à ce projet se situant dans le cadre de la SSMG. C'est une formation post-universitaire qui a fait bouger les choses.

En ce qui concerne les infirmières, il existe déjà des cursus très complets. Les infirmières ont toujours été fort en avance par rapport aux médecins en ce qui concerne l'approche palliative.

Je pense que les unités de soins palliatifs sont des lieux de formation. Nous avons constamment des stagiaires de troisième et quatrième doctorats, des infirmières, des assistants sociaux, des psychologues. Ces personnes reçoivent ainsi une formation pratique sur le terrain, c'est-à-dire qu'elles « voient » vraiment l'approche palliative même si, par la suite, elles doivent l'adapter à leur situation particulière.

Un point important est que cette formation, destinée notamment aux médecins généralistes, soit assurée par des personnes de terrain, qui ont l'habitude, qui ne donnent pas un discours idéalisant concernant les soins palliatifs mais qui sont confrontées à ces situations difficiles et qui peuvent partager cela avec d'autres médecins qui n'ont pas cette même confrontation.

En ce qui concerne les états dépressifs, j'ai entendu très récemment citer le chiffre de 40 % d'états dépressifs en fin de vie, selon le docteur D. Razavi. Je ne peux que confirmer le fait qu'il est très difficile de faire la part des choses entre un état dépressif en fin de vie et la demande du patient, parce que les symptômes physiques de l'état dépressif ­ fatigue, anorexie ­ sont les mêmes que ceux qui sont liés à la maladie. Dans les cas où j'ai un doute, je n'hésite pas à demander l'avis d'un psychiatre. Je pense que tout médecin devrait le faire.

Le soutien des familles est un point extrêmement important. Dans tous les soins continus, que ce soit à domicile, dans les unités ou dans les équipes mobiles, on passe énormément de temps à soutenir les familles. En fait, le patient et ses proches forment une unité de soins, et tout ce qui a une influence sur un membre du système retentit sur les autres. Comme vous le dites très bien, dans ces phases évolutives, donc dans l'évolution psychique du patient et de ses proches, il n'y a pas toujours concordance. L'un se trouve encore dans le déni alors que l'autre est beaucoup plus loin dans l'acceptation de la maladie. Notre rôle est de faire circuler la parole entre le patient, ses proches et l'équipe soignante. On y consacre énormément de temps. Cette circulation de la parole est très importante. Elle permet de mettre tout le monde à niveau. En améliorant le dialogue, elle rend la situation moins difficile à supporter.

Je connais moins bien la problématique des maisons de repos et de soins. Le projet demande une infirmière ressource par 120 lits. Cela représente donc un budget très important. Il existe un arrêté royal qui parle d'une fonction palliative obligatoire dans les maisons de repos et de soins. Il n'y a toutefois aucun budget pour cela. Il faut donc prévoir un budget valable.

Je donne des formations pour les soignants des maisons de repos et de soins. Il est épouvantable de les entendre témoigner de la situation qu'ils vivent. Ces personnes travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Elles ont chaque fois affaire à des médecins différents puisque c'est le médecin généraliste qui s'occupe du patient. Ce n'est pas toujours facile pour elles. Elles commencent néanmoins à se former en soins palliatifs. Des formations sont organisées.

M. Alain Zenner. ­ Je vous remercie de votre intervention marquante. Je voudrais revenir sur un élément de réponse que vous apportiez tout à l'heure à Mme van Kessel au sujet de l'acharnement thérapeutique. En faisant référence à une déclaration du chef de cabinet du ministre de la Santé, vous avez dit que notre système de maladie-invalidité induisait l'acharnement thérapeutique. Vous donnez donc à entendre, si je comprends bien, que certains de vos collègues commettent des actes médicaux inutiles, c'est-à-dire des actes qui font souffrir des malades en fin de vie dans un but purement lucratif. C'est du moins ce que je déduis de vos propos. Est-ce fréquent ? Les comités éthiques au sein des hôpitaux où ils interviennent le savent-ils ? Quelle est alors leur réaction ?

Arrive-t-il, dans votre éthique de l'aide à la fin de vie, que l'on pratique la sédation contrôlée sans demande du patient ? Cela se fait-il de manière générale ou uniquement à la demande ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En ce qui concerne la première question, il y a dans le système actuel un défaut important : l'acte intellectuel n'est pas valorisé financièrement. C'est quelque chose qu'il faudrait vraiment changer. Il est difficile de définir la question de l'acharnement thérapeutique. En effet, les médecins n'agissent pas dans le but d'être néfastes vis-à-vis de leurs patients. Ils éprouvent eux-mêmes des difficultés à faire la part des choses. Ils ont une formation qui les amène à avoir cette démarche scientifique qui consiste à toujours rechercher l'étiologie de la maladie. Cette démarche est très honorable car elle permet de faire des progrès extraordinaires en médecine. Je pense cependant que la difficulté, sans condamner les médecins, est de se dire que l'on va arrêter parce que cela n'apporte plus rien de positif au patient en question. J'ai éprouvé moi-même les mêmes difficultés.

Lorsque des formations en soins continus ou en éthique auront permis aux médecins d'être plus à l'aise avec la fin de vie, les choses vont changer.

M. Alain Zenner. ­ Vous ou le chef de cabinet donniez à entendre que des actes inutiles étaient commis dans un but intéressé. Si on dit que c'est le système de subventionnement qui provoque cet acharnement thérapeutique, cela signifie que le système induit certains médecins à poser des actes inutiles qui contribuent à prolonger inutilement l'agonie du mourant dans un but intéressé. Quelle est alors la réaction des comités éthiques face à cela ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ J'ai cité une déclaration du chef de cabinet du ministre de la Santé. Cet homme mène justement toute une réflexion sur les soins palliatifs. Les comités ne sont pas touchés par cela.

M. Alain Zenner. ­ Pardon ? Dans un hôpital, un comité d'éthique devrait tout de même se préoccuper de savoir si on fait souffrir des gens pour rien dans un but intéressé ! Je suis assez indigné par ce que j'entends. C'est peut-être dû à ma méconnaissance de certaines réalités, mais je trouve cela invraisemblable. Quel peut être le crédit de comités éthiques qu'on nous suggère de consulter obligatoirement sur des euthanasies ? À quoi servent-ils, comme le dit M. Galand, s'ils ne réagissent pas à des situations de ce genre ? Ne voyez pas de réserve à votre égard dans ce que je dis ici. Vous avez l'honnêteté de dire les choses telles qu'elles sont. Comprenez toutefois notre émotion. Quand un ensemble de vos confrères vient nous dire que nous devons rendre la consultation des comités éthiques obligatoire et que le chef de cabinet du ministre de la Santé publique déclare lui-même que des actes inutiles se commettent dans un but intéressé sans réaction de la part des comités éthiques, on se demande quelle est la pertinence de l'existence de ces comités et de leurs avis.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En tout cas, M. Manu Keirse est pour un système de forfaitarisation en disant que si l'acte intellectuel était mieux valorisé, nous aurions un meilleur système de santé.

M. Alain Zenner. ­ Pour vous, la sédation contrôlée suppose toujours une demande du patient.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Absolument. C'est quelque chose dont on discute très longuement avec les patients. En aucun cas on ne le ferait sans l'avis des patients.

M. Josy Dubié. ­ Le patient sait-il qu'au bout du compte, c'est la mort qui l'attend ?

M. Alain Zenner. ­ Je comprends la question de mon collègue Dubié, car nous nous interrogeons sur la différence entre l'euthanasie et la sédation contrôlée. Quelle est vraiment cette différence ? N'est-ce pas simplement une question de délai dans la survenance du décès ? Un peu plus rapidement et avec moins de souffrances dans le cas de l'euthanasie, un peu plus tard avec peut-être des moments de rémission, que je comprends très bien, dans le cas de la sédation contrôlée.

M. Philippe Monfils. ­ On parlait de différence dans l'intention. Mais en fin de compte, l'intention est la mort.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je pense que l'intention est différente. Ce que vous devez comprendre, c'est que dans le vécu de certains médecins, il y a une différence. L'intention est de soulager le patient.

M. Alain Zenner. ­ Dans le cas de l'euthanasie également. S'il y a une différence d'intention dans le vécu de certains médecins, cela peut ne pas être le cas dans le vécu d'autres.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je suis absolument d'accord avec vous. C'est pour cette raison que j'ai dit que si certains médecins et équipes soignantes se trouvent bien en accord avec un acte d'euthanasie vécu comme transgression éthique, c'est pour moi une solution tout à fait acceptable.

Je vous parle de mon vécu très spécifique dans le cadre d'une unité de soins palliatifs où je suis confrontée continuellement à des situations extrêmes.

M. Jean-François Istasse. ­ Dans le même ordre d'idées, vous dites que pour certains médecins, la décision d'euthanasie est une décision acceptable. Sans être moi-même juriste, j'estime qu'il faut changer le Code pénal car aujourd'hui, l'euthanasie est assimilée à un meurtre. Nous savons que d'éminents philosophes prétendent le contraire et que des « éthiciens » et des centaines de médecins demandent qu'elle ne soit plus considérée comme un meurtre. J'attire donc votre attention sur cette contradiction.

J'aurais voulu vous interroger sur un problème qui a été plusieurs fois soulevé au cours de ces auditions. Lorsqu'on parle de la véritable demande du patient, ne pensez-vous pas que c'est finalement le patient lui-même qui peut en juger ? Je sais qu'il faut probablement l'aider à voir clair en lui et lui fournir des informations. Mais qui peut juger de la véritable demande du patient, sinon le patient lui-même ? Ne pensez-vous pas qu'il y a là aussi une sérieuse contradiction ? De plus, ne pensez-vous pas qu'il faut interroger le patient au moment où il peut encore s'exprimer en toute conscience et pas lorsqu'il est déjà trop tard, entre deux sédations, par exemple ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En ce qui concerne la véritable demande du patient, on voit souvent que la demande réellement exprimée par le patient en cache une autre. Dans un tel cas, il ne serait pas opportun de poser un geste euthanasique. Si c'est la volonté déterminée et le désir profond du patient, il s'agit d'une véritable demande. C'est pour moi l'unique critère. Seul le patient peut dire qu'il veut une autre solution ou que sa qualité de vie n'est plus satisfaisante, par exemple.

M. Jean-François Istasse. ­ Je vous remercie de votre franchise. D'autres avant vous ont affirmé qu'il n'y avait pas de véritables demandes d'euthanasie. Dans certains cas, il peut donc y avoir une vraie demande ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Bien sûr.

Mme Mia De Schamphelaere. ­ Je remercie le docteur pour son exposé franc et témoignant de sa compétence. Nous constatons que nos invités se sont très bien préparés à ces auditions, mais aussi que les questions qui s'ensuivent sont des plus éprouvantes parce qu'elles débouchent souvent sur un interrogatoire ou un débat politique au cours duquel l'orateur est considéré comme un adversaire politique. Ce n'est bien entendu pas le but des auditions. Cela m'irrite et j'en suis un peu gênée.

M. Philippe Monfils. ­ Madame, à partir du moment où les personnes entendues donnent leur avis politique général à propos de la position des uns et des autres, il est normal que nous discutions d'avis politiques. Ce ne serait pas le cas s'ils restaient dans leur domaine médical. Ici, tout le monde fait de la politique : les personnes auditionnées et nous-mêmes. Je ne puis donc accepter le procès d'intention que vous me faites ici.

Mme Mia De Schamphelaere. ­ Vous dites que nous devons travailler au développement des soins palliatifs, actuellement insuffisants. Le cadre requis existe déjà et nous disposons maintenant de la belle proposition de toutes les fédérations du pays. Vous vous demandez quelle est la différence entre la loi qui rend l'euthanasie possible et celle qui développe les soins palliatifs. La différence, c'est que la première peut être réalisée immédiatement alors que la seconde a besoin d'investissements et de développement. En supposant que les politiques prévoient immédiatement les moyens nécessaires, dans quels délais le plan des soins palliatifs pourra-t-il être réalisé ?

J'ai une seconde question, un peu inhabituelle. Vous avez excité notre curiosité en annonçant vouloir vous exprimer à huis clos. Vous avez raconté comment votre point de vue a changé. Vous avez aussi une opinion nette. Ressentez-vous, à cause d'elle, une pression sociale, professionnelle ou politique ? Vous n'êtes pas obligée de répondre à cette question.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Quant à la nécessité de développer les soins palliatifs, je ne puis que vous répéter ce que nous ont dit les chefs de cabinet des ministères, à savoir que ce projet se ferait par étapes car il n'était pas possible de dégager immédiatement tous les moyens nécessaires. Je ne puis répondre à la question du délai d'exécution mais j'espère qu'il sera le plus bref possible.

Pour changer la culture, il me semble cependant important de constituer des équipes mobiles au sein des hôpitaux. Cela permettrait déjà de résoudre de nombreux problèmes d'acharnement thérapeutique et d'améliorer la prise en charge des patients.

Je me réserve de parler de cas cliniques à huis clos. Je tiens à dire que je n'ai subi aucune pression à ce sujet.

Mme Magdeleine Willame-Boonen. ­ Je voudrais vous poser deux questions très brèves qui rejoignent d'ailleurs celles de mes collègues.

Vous avez répondu à M. Galand que vous faisiez souvent appel à un psychiatre pour faire la différence entre un état dépressif profond et un refus ferme de continuer à vivre. Le problème, c'est qu'une psychiatre que nous avons entendue nous a dit avoir elle-même énormément de difficultés à faire cette différence. C'est pour moi une question tout à fait fondamentale, surtout dans la mesure où l'on voit la demande d'euthanasie comme une sorte d'aide au suicide pour des malades qui ne se trouvent pas en phase terminale.

J'aimerais ensuite vous poser une question très précise qui rejoint celle de M. Zenner à propos de la sédation contrôlée.

La sédation contrôlée répétée conduit-elle à la mort ? Est-ce une euthanasie lente ? Ou est-ce la maladie qui tue finalement le malade, la sédation contrôlée lui évitant les souffrances ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Comme je l'ai dit tout à l'heure, les problèmes de dépression sont fréquents. Lorsque nous avons un doute, nous commençons à administrer, particulièrement chez une personne qui n'est pas en fin de vie, des antidépresseurs tout en poursuivant l'accompagnement. Le traitement médical ne suffit en effet pas. Il faut donc associer les démarches médicamenteuse et relationnelle. Comme vous, je pense que c'est particulièrement important parce que la proposition de loi prévoit aussi le cas de patients incurables mais qui ne sont pas en phase terminale. C'est très important, dans ce cas, d'envisager ce diagnostic.

À partir du moment où le patient demande que la sédation contrôlée soit continue, je pense ­ je vais être franche avec vous ­ que cela peut abréger son existence, non à cause des médicaments mais parce qu'il n'est plus hydraté. En ce qui me concerne, je n'y ai eu recours que dans des situations vraiment terminales, lorsque les patients n'en avaient plus pour longtemps à vivre. Mais je pense que cette sédation a son influence, même si les patients meurent parce qu'ils ont un cancer ou une maladie incurable. Leur vie est abrégée par le fait qu'ils sont alités en permanence et qu'ils ne sont pas hydratés. Il existe par contre d'autres situations en soins palliatifs. Je ne parle plus de sédation. J'ai entendu une audition durant laquelle il a été dit que les soins palliatifs abrègent la vie des patients. Là, je suis un peu perplexe parce que je constate qu'au contraire, dans certaines situations, l'existence des patients, mieux soulagés et encadrés, s'alimentant et dormant mieux, ayant un comportement plus adéquat, est prolongée. Mais cela déborde de votre question sur la sédation contrôlée.

M. Louis Siquet. ­ Vous avez parlé à plusieurs reprises de soins continus au niveau médical. Pensez-vous que le passage des soins curatifs aux soins d'autonomie puis aux soins palliatifs, peut s'effectuer automatiquement au sein d'une même équipe ? Ou doit-on recourir à plusieurs équipes ? On a souvent parlé des soins d'autonomie. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre soins d'autonomie au niveau médical et soins palliatifs ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En fait, si nous parlons actuellement plus de soins continus que de soins palliatifs, c'est parce que nous voulons éviter une vision qui ne correspond pas à la réalité. Selon cette vision, l'évolution de la santé d'un patient serait constituée de deux phases : une phase curative durant laquelle on ferait tout pour la santé et la vie du patient mais sans se soucier du soulagement de la douleur et de la relation, et une phase palliative où on ferait tout le contraire, à savoir mettre l'accent sur le soulagement et la sédation mais sans se préoccuper de la vie du patient. En fait, il existe une intrication des deux. Nous travaillons donc dans une optique de soins continus. Cela peut-il être fait par la même équipe ? Si elle en est capable, pourquoi pas ? C'est vers ça que nous devons tendre.

M. Louis Siquet. ­ Pour les patients à domicile ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Les patients à domicile sont suivis par leur médecin généraliste. Puisque je travaille dans un service de soins continus à domicile, je peux vous dire que je ne me rends jamais au domicile du patient. Il est suivi par son médecin. Moi, j'agis en tant que personne-ressource. Si le médecin ou les infirmières ont besoin de renseignements spécifiques sur le contrôle de la douleur, je peux les leur fournir.

Actuellement, étant donné que beaucoup de médecins appliquant les soins curatifs n'ont pas encore cette expérience dans le contrôle de la douleur et des autres symptômes, ils font facilement appel à une équipe mobile de soins palliatifs qui vient leur donner un coup de main pour un problème précis comme, par exemple, le contrôle de la douleur. De même, il pourrait être intéressant de transférer un patient dans une unité de soins palliatifs, s'il le désire et si la situation est difficile à contrôler. Toutes ces solutions peuvent être valables. Il faut s'adapter.

M. Jan Remans. ­ Monsieur le Président, je me joins à mes collègues qui ont indiqué à quel point ils estimaient la compétence médicale du témoin.

Je voudrais cependant attirer son attention sur deux limitations scientifiques. La première concerne le traitement statistique des données. Seulement 0,5 % des patients qui font appel aux soins palliatifs demanderaient aussi l'euthanasie. Ces 0,5 % de 600 patients sont à comparer aux 2,7 % de milliers d'autres patients. Ce rapport ne peut donc pas être tout simplement ramené à 1 %.

En outre, c'est comme si ces gens avaient déjà choisi une porte. Si les statistiques sur la vente des portes en métal sont basées sur les chiffres de vente des ébénistes, elles risquent d'être faussées. Celui qui choisit un spécialiste choisit aussi un traitement. Un patient qui souffre de calculs biliaires et qui s'adresse à un spécialiste en maladies internes, reçoit des médicaments. S'il va d'abord chez le chirurgien, il est opéré.

En second lieu, Mme Bouckenaere, seriez-vous d'accord, après la discussion que nous avons eue depuis le début de cette séance, pour rejeter la phrase « Si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée » ? De divers côtés, vous avez pu apprendre que notre intention n'est pas de dépénaliser ce qui ne fonctionne pas correctement. Nous voulons juste marquer la différence en développant l'euthanasie tout en appliquant les mesures de précaution que nous souhaitons maintenant. Vous avez participé à la discussion juridique et vous avez compris tout comme nous que des limitations juridiques continueront à exister. Pouvez-vous alors approuver le rejet que je propose ?

Mme Dominique Bouckenaere. ­ En ce qui concerne les chiffres, je suis d'accord avec vous pour dire qu'ils sont très discordants d'une unité de soins palliatifs à l'autre. Nous avons travaillé avec les moyens du bord. Nous devons faire des études plus scientifiques que celles qui existent actuellement.

Pour tirer des conclusions valables, il faudrait un nombre important de cas et, surtout, utiliser les mêmes critères d'évaluation de la demande d'euthanasie : à partir de quand est-elle reconnue, comment est-elle interprétée, combien de fois le patient doit-il la répéter pour qu'elle soit considérée comme vraie demande ?

Je crois donc qu'il serait intéressant de disposer d'études multricentriques et de se mettre d'accord entre unités de soins palliatifs sur des outils communs d'évaluation pour pouvoir donner des chiffres plus précis.

Vous avez posé la question du choix. Je ne suis pas persuadée que les gens qui vont dans les unités de soins palliatifs se disent qu'ils n'auront jamais d'euthanasie, bien au contraire; il y a parfois une confusion entre soins palliatifs et euthanasie. Certains patients sont persuadés que, dans une unité de soins palliatifs, ils auront l'euthanasie.

N'étant pas juriste, je ne peux que vous dire que je ne veux pas que l'euthanasie devienne la première solution à laquelle on fait référence lorsqu'il y a une souffrance physique ou morale; or, c'est déjà à cela que les gens pensent ces derniers temps. Ma pratique me montre qu'il y a suffisamment d'expertise à avoir et qu'on peut, dans la plupart des cas, donner un autre type de réponse qui satisfait tout à fait ces patients et qui ne leur procure pas la mort. Je pense donc qu'il faut être sûr d'avoir mis ces moyens en oeuvre, ce qui n'est pas encore le cas actuellement. Mon souci est de recourir à l'euthanasie uniquement en cas d'échec d'une pratique dite actuellement « palliative », « spécifique », etc., mais qui devrait faire partie de la pratique de tout médecin.

M. Jan Remans. ­ Actuellement, la charge psychique est devenue insupportable pour les infirmiers et les soignants dans les maison pour personnes âgées et les centres palliatifs. Ils ont peur que quelqu'un meure dans leur service parce que l'on n'a pas suffisamment attiré l'attention sur le fait que la demande d'euthanasie peut émaner du patient, et sur l'autonomie du médecin qui peut ou non réagir à cette demande. Comme ce message n'est pas transmis, nous entendons des déclarations telles que « si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée ». Le fait que la demande doit émaner du patient et que le docteur décide en toute autonomie si l'on doit pratiquer l'euthanasie constitue le plus grand frein à toute mort et à tout meurtre.

Mme Dominique Bouckenaere. ­ Je connais votre proposition de loi. Il y est prévu que cela se fasse uniquement à la demande du patient et que le médecin a son libre choix. Dans le grand public, le message qui passe actuellement, c'est que l'euthanasie est permise. Ils n'envisagent parfois pas le fait qu'il n'est question que d'une proposition de loi.

Par rapport à la situation hollandaise connue depuis longtemps, j'ai été frappée par le fait que, pour les patients et les familles, seul compte le fait de savoir si l'euthanasie est permise ou non. On fait massivement abstraction de toutes les restrictions imposées par la loi. L'euthanasie est soumise à des conditions très précises lorsque le patient en fait la demande, et non lorsque la famille la demande. Le public a tendance à ne pas considérer ces choses. Ce sont aussi des questions très émotionnelles. Nos jugements sont un peu faussés.

Mme la présidente. ­ Nous allons à présent passer à huis clos.


Audition de Mme Bernadette Cambron-Diez, infirmière en soins palliatifs, Centre hospitalier de l'Ardenne

M. le président. ­ J'ai le plaisir d'accueillir Mme Bernadette Cambron-Diez, infirmière graduée sociale, qui a suivi une formation complémentaire en soins palliatifs et qui a une expérience de onze ans comme infirmière en soins palliatifs à domicile.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Merci pour l'invitation que vous m'avez faite et à laquelle je suis heureuse de répondre en tant que travailleur de terrain. Merci également d'avoir ouvert un débat aussi difficile que celui de l'euthanasie parce qu'il me paraît essentiel de n'en banaliser ni les demandes, ni les réponses.

Si je témoigne aujourd'hui, c'est à partir :

­ de l'accompagnement personnel, avec le soutien d'une équipe, de plus de 200 patients à domicile et plus de 120 en milieu hospitalier;

­ de témoignages reçus au cours de multiples formations;

­ en tant que patiente ancienne et future ou membre de la famille d'un patient.

Depuis plus de dix ans, je travaille en soins palliatifs dans la province du Luxembourg. Actuellement, nous y disposons de :

­ deux équipes de soutien en soins palliatifs à domicile, qui interviennent également dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins;

­ deux unités résidentielles de 6 lits chacune;

­ fonctions palliatives dans tous les hôpitaux avec, souvent, des infirmières « relais » en soins palliatifs dans chaque unité;

­ une plate-forme de soins palliatifs qui coordonne l'ensemble.

Nous bénéficions d'une bonne cohérence entre les différents réseaux de soins palliatifs, permettant une réelle continuité des soins palliatifs.

En permettant aux patients de se mettre au centre du processus de soins, il ne saurait exister de problèmes de concurrence ou de pouvoir entre nous.

Dix ans en soins palliatifs, c'est beaucoup si je considère l'intensité, la qualité de vie permise aux patients, aux familles, aux soignants accompagnés par nos équipes, notamment pour accomplir le travail de deuil;

­ beaucoup, en leçons de vie que nous partageons avec ceux que nous accompagnons;

­ peu, face à toute l'évolution et l'amélioration encore possibles. Les fondations sont en place, il faut construire :

­ en augmentant un peu le nombre de lits en unités résidentielles et en y améliorant quelque peu le financement;

­ en améliorant le financement de l'aide aux équipes du domicile et aux patients soignés à domicile;

­ en permettant des fonctions palliatives à l'intérieur des maisons de repos, avec une présence médicale;

­ en adaptant le financement des fonctions palliatives hospitalières pour qu'elles puissent fonctionner comme prévu par les arrêtés royaux, en y ajoutant une présence médicale et des infirmières « relais » en soins palliatifs dans chaque service;

­ en mettant au point des programmes d'évaluation quantitative et qualitative des pratiques des soins palliatifs dans les diverses structures. Jusqu'à présent, nous avons fonctionné mais nous nous sommes peu consacrés à la recherche en soins palliatifs. Or, cette recherche nous aiderait aussi à avancer.

L'avenir, pour moi, ce sont les soins palliatifs intégrés, dont on a déjà beaucoup parlé durant les débats. Par soins palliatifs intégrés, je veux dire que l'exercice de la médecine curative ou palliative devrait rester l'exercice de la médecine, tout simplement. Chaque type de médecine doit garder ses chercheurs et ses spécialistes en vue d'une progression permanente, mais leurs démarches devraient être complémentaires ou même intégrées.

À mon sens, les soins palliatifs intégrés vont au-delà des soins continus. J'ai peur de la confusion entre soins continus et continuité des soins, c'est-à-dire le passage d'un type de soins à l'autre. La meilleure évolution pour l'avenir me semble être une intégration des deux types de soins. Des soins palliatifs intégrés permettraient :

­ d'accompagner le patient tout au long d'un parcours médical parfois pénible et de ne pas attendre la fin de vie pour le faire; les problèmes de la fin de vie et ceux de l'euthanasie sont ancrés dans la manière dont la relation s'est engagée dès le début;

­ d'englober les problèmes de deuil dans des soins relationnels qui permettent de prendre en compte la souffrance globale du patient;

­ d'éviter le problème du passage du curatif au palliatif. Il s'agit d'un problème difficile : comment proposer à un patient d'aller dans une unité de soins palliatifs alors qu'il se sent bien dans le service où il est soigné, où il connaît les gens ? Des soins palliatifs intégrés éviteraient les problèmes du passage d'un type de soins à l'autre et permettraient surtout au patient de vraiment choisir de mourir là où il le souhaite;

­ de ne pas multiplier indéfiniment des structures palliatives coûteuses et d'apporter la formation et le soutien nécessaires aux soignants de première ligne, plus précisément :

­ ceux dont le patient a le plus besoin dès le début de son parcours médical;

­ ceux par qui passent les soins relationnels, ce qui éviterait que les soignants de première ligne ne s'estiment plus suffisamment compétents pour accompagner la fin de vie et la laissent à leurs collègues « palliatifs ».

Comment parvenir à réaliser des soins palliatifs intégrés ?

Les équipes soignantes de première ligne sont le réseau qui accompagne le patient et ses proches. Les équipes travaillent bien, avec beaucoup de compétence et de bonne volonté mais ont besoin de soutien et de formations pour pouvoir vraiment vivre les soins palliatifs intégrés et les soins relationnels.

Actuellement, elles ne sont pas toujours à même de pouvoir entendre la souffrance et les problèmes autour de l'euthanasie.

C'est pourquoi, pour nous, infirmières, la transparence prévue par le projet de loi dépénalisant l'euthanasie nous paraît inapplicable sur le terrain et fait peur à la grande majorité des infirmières.

Pourquoi ? Parce qu'il y a trop de pressions structurelles comme la rentabilité, l'efficacité, la durée d'hospitalisation, etc.

Parce qu'il y a trop de peurs : de la mort, de la vérité, de la dépendance, de la souffrance, de la morphine, etc.

Parce qu'il y a trop peu de place pour la famille à l'hôpital. On attend trop souvent de la famille qu'elle soutienne le patient, alors qu'elle est aussi en grande souffrance.

Parce que la proximité est souvent grande entre soignant et soigné. Je pense, par exemple, à un médecin généraliste qui soigne quelqu'un depuis 20, 30, 40 ans et qui a des relations plus amicales avec son patient que la relation de médecin à patient. Comment ce médecin vit-il la maladie de son patient ? Il est difficile de garder une juste distance quand on est très proche d'un patient.

Parce qu'il y a beaucoup trop de « non-dits » entre médecins et infirmières, problème qui constitue une véritable pollution relationnelle dont les patients et leurs familles paient les conséquences.

Les infirmières se méfient souvent de ce qui a été injecté ou accusent le médecin d'acharnement, soit parce qu'elles ont des souvenirs négatifs, soit par manque d'information. Quand une infirmière interroge le médecin sur le traitement, celui-ci répond parfois de manière assez catégorique qu'il n'a pas à se justifier, notamment.

Parce que la formation des médecins et des infirmières est encore trop basée sur le patient objet de soins et non sur des soins relationnels qui permettent au patient de se mettre au centre du processus de soins.

Actuellement, dans leur formation, les infirmières doivent avoir des objectifs de soins et décider, par exemple, « dans huit jours, le patient devra être autonome ». Un patient qui a été lavé, dorloté pendant huit jours, doit tout à coup pouvoir se laver seul. Ce patient est étranger à ces objectifs et la relation s'engage plutôt mal. Pourtant, la formation des médecins et des infirmières est toujours basée sur ce type d'objectifs.

Pour essayer d'illustrer pourquoi je me permets de dire que les relations sur le terrain ne permettent pas vraiment de prendre en compte la souffrance et les problèmes autour de l'euthanasie, je vous donnerai deux exemples.

D'abord celui d'un jeune atteint de myopathie et pour lequel le médecin traitant avait demandé l'intervention d'une équipe palliative à domicile, pour évaluer sa douleur. Pendant dix jours, avec le médecin, l'infirmière fait une évaluation de la douleur. Le médecin prescrit un traitement. On augmente les doses progressivement mais, un jour, l'infirmière s'étonne de voir que la dose a été triplée. Elle se dit qu'elle a quand même un bon contact avec le médecin et qu'il n'a jamais été question d'augmenter les doses pour raccourcir la vie. Elle a confiance et donc elle fait l'injection. Quand elle descend au rez-de-chaussée, les parents lui disent : « Le docteur nous a promis que cela irait vite. Est-ce vrai? » Je trouve que ce sont des choses extrêmement difficiles à vivre.

Autre exemple : un monsieur atteint d'un cancer de la face. Au cours des débats, on vous a beaucoup parlé des cancers de la face ou des tumeurs vraiment apparentes, des cancers ORL, qui sont très difficiles, non seulement à vivre, mais aussi à voir, pour l'entourage et pour la famille. Et donc, ce monsieur souhaitait vivre. Il exprimait clairement son besoin de continuer à vivre mais sa famille exprimait aussi profondément son épuisement. Après discussion avec le patient, il a accepté d'être hospitalisé. Le service du domicile a bien averti le service de la clinique des raisons de l'hospitalisation, du besoin de vivre de ce monsieur. Le patient a été hospitalisé en début d'après-midi et, en fin d'après-midi, la famille a téléphoné au médecin du domicile en disant : « Qu'est ce qui se passe ? Il est tout à fait endormi. Et le médecin nous a dit : passez la nuit, ce sera la dernière. » C'est difficile parce que, quand le médecin s'est rendu à l'hôpital pour voir le patient, il a constaté que celui-ci était tout à fait endormi et qu'un « cocktail » létal avait été branché. Donc, dans ces exemples-là, le patient n'est en fait pas concerné.

Pour pouvoir vraiment vivre des soins palliatifs intégrés, les équipes de première ligne ont vraiment besoin de soutien et de formations ­ cela, on vous l'a dit longuement ­ au contrôle de la douleur et des autres symptômes. Souvent, j'ai des appels pour un patient qui demande apparemment à en finir mais derrière cette demande, je découvre souvent un problème de douleur physique que le patient n'était pas capable d'exprimer. Je pense que vous en avez beaucoup parlé mais je voudrais revenir plus précisément sur le protocole de détresse dont vous avez parlé également, en vous donnant l'exemple d'un monsieur de 69 ans, qui était en insuffisance cardiaque et respiratoire à domicile. Il a exprimé au médecin formé en soins palliatifs sa peur de mourir étouffé. Le médecin lui a donc proposé un protocole de détresse. Celui-ci est prescrit pour soulager une souffrance, une situation de crise d'un patient. Donc, il est prescrit en toute transparence pour ce patient-là. Il n'est d'ailleurs prescrit et déposé dans la chambre que si le patient marque son accord, parce que le risque est, bien sûr, d'entraîner, dans certaines situations, le décès. Mais il est vrai que des patients ont reçu plus de dix ou quinze protocoles de détresse sans que cela n'ait entraîné la mort. Dans le cas de ce monsieur, le protocole a été prescrit à sa demande. Il a été déposé dans sa chambre, à domicile, ce qui permet à n'importe quel intervenant d'injecter le produit. Mais avant de l'injecter, on demande à nouveau au patient s'il est d'accord avec le fait de recevoir l'injection.

Donc, le protocole a simplement été déposé et, apparemment, cela a pu apaiser ce patient qui savait qu'on pourrait faire quelque chose s'il était en crise. Ce protocole n'a jamais dû être utilisé et ce patient n'est pas décédé en insuffisance respiratoire. Je tenais vraiment à revenir là-dessus, parce que réfléchir à l'intention de l'acte qu'on pose, pour moi, cela ne peut pas être une hypocrisie. C'est même, au contraire, la garantie d'une transparence avec le patient, parce que cela nous oblige vraiment à un contact avec lui.

Les équipes de première ligne ont également besoin de soutien et de formations à l'écoute. Là, je serai aussi très brève, parce qu'on est beaucoup revenu sur ce point au cours des débats. Il est vrai que cette écoute est vraiment préalable à toute autre approche. Je vous donnerai un simple exemple, celui d'une dame de 76 ans qui était hospitalisée en réanimation pour un accident vasculaire cérébral. Très vite, sa situation devient tout à fait irrécupérable. Donc, le médecin de la réanimation, extrêmement humain et délicat, explique au mari la situation de son épouse et termine en disant : « Voulez-vous que nous nous acharnions? » En tout cas, c'est ce que le monsieur a retenu comme étant la dernière phrase. Il est difficile de répondre à ce genre de question. Comment dire oui ou non et à quel prix ? Donc, en voyant le désarroi du mari, le médecin de la réanimation a proposé l'aide d'un médecin, d'une équipe palliative qui a pu écouter ce monsieur ­ cela prend du temps, une heure ou deux, c'est vite passé ­ et entendre vraiment ce qu'il avait compris du message qu'il avait reçu, entendre l'histoire du couple, répondre à toutes les questions, expliquer ce que sont les soins palliatifs. Le mari a alors pu prendre sa décision, c'est-à-dire faire hospitaliser son épouse dans une unité résidentielle.

Les équipes de première ligne ont besoin aussi de formations à l'éthique et surtout à la relation en vérité. En effet, ce que je ressens dans les accompagnements, c'est que les problèmes autour de l'euthanasie en fin de vie sont ancrés vraiment dans des problèmes de relation en vérité. Donc, ce n'est pas du tout décider d'annoncer ou non la vérité mais enclencher une relation vraie avec le patient et avec sa famille. À nouveau, je voudrais partir d'un exemple, celui d'une dame de 50 ans, hospitalisée en début de semaine. Trois à quatre jours plus tard, le diagnostic était fait. Apparemment, cette dame était tout à fait en fin de vie. Ce n'est jamais certain mais les examens étaient tels ... Le médecin a choisi d'appeler le mari et de lui exposer la situation de son épouse, en lui demandant s'il devait lui dire la vérité. Bien sûr, le mari qui reçoit l'annonce de choses aussi difficiles est complètement dans la souffrance et je ne vois pas comment il pourrait répondre sereinement. Il a donc préféré ne pas la lui révéler, en s'appuyant sur le fait que son épouse disait toujours qu'elle préférait ne pas la connaître. Mais le médecin n'était pas à l'aise et en a parlé à un membre d'une équipe palliative. Il a ensuite convoqué à nouveau le mari en lui disant qu'il allait créer une situation de mensonge avec son épouse, ce qui rendrait les choses d'autant plus difficiles. Le mari l'a compris et le médecin s'est alors rendu auprès de la patiente en lui demandant comment elle se sentait et ce qu'elle souhaitait obtenir comme informations sur son état de santé. En fait, elle souhaitait entendre la vérité. La patiente percevait tout le langage non verbal autour de personnes gravement malades. Des gens qu'elle n'avait pas vus depuis longtemps venaient lui dire bonjour, certains avaient les yeux rougis, les soignants avaient peur en entrant dans la chambre, etc. La patiente avait perçu de nombreuses choses et pouvait presque annoncer elle-même son diagnostic et son espérance de vie éventuelle. C'est dire que cette relation, dès le début de la maladie, enclenchera la suite et situera, selon moi, les problèmes de la fin de vie.

Je veux dire aussi que, beaucoup trop souvent, les soignants décident d'annoncer la vérité à un patient. Pour moi, c'est déjà faussé quand, dans le service, le médecin décide d'informer le patient. Je trouve que c'est vraiment regrettable parce qu'il faut d'abord aller s'enquérir de ce que le patient ressent, de ce qu'il a envie d'entendre, avant de décider d'annoncer quelque chose. Ce n'est pas parce qu'on parle de « en vérité » maintenant que tout le monde est obligé de parler le même langage. Donc agir de cette façon-là, ce n'est pas permettre au patient de se mettre au centre du processus. Et puis, surtout quand il y a rechute et qu'il n'y a plus de traitement possible, trop souvent, le médecin en parle à la famille. De ce fait-là, il donne un pouvoir à la famille mais surtout, il n'y a pas à ce moment-là de prise en compte de la souffrance de la famille. Donc, pour moi, l'éthique est vraiment très importante. Il y avait au moins une question éthique dans tous les accompagnements auxquels j'ai pu participer.

Dans le présent débat, l'éthique est parfois fort critiquée. Il m'a semblé en tout cas qu'on pouvait la craindre parce qu'elle était parfois présentée comme une solution. Dans tous les accompagnements auxquels j'ai participé, elle n'a jamais été une solution. La réflexion éthique nous a permis d'avoir des repères, un guide pour réfléchir ensemble, mais elle n'a jamais été une solution et n'a jamais abouti à une prise de décision à la place d'un patient. En fait, aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne, même pas la compassion. Cette dernière justifie parfois le mensonge ou l'euthanasie, ce qui à mon sens représente un danger.

Je vais vous lire un passage d'un conte de Ruth Sanford : « Une personne compatissante, voyant un papillon lutter pour se libérer de son cocon et voulant l'aider écarta avec beaucoup de douceur les filaments pour dégager une ouverture. Le papillon libéré sortit du cocon et battit des ailes mais ne put jamais s'envoler. Ce qu'ignorait cette personne compatissante, c'est que c'est seulement au travers du combat pour la naissance que les ailes peuvent devenir suffisamment fortes pour l'envol. Sa vie raccourcie, il la passa à terre. Jamais il ne connut la liberté, jamais il ne vécut réellement. »

Un autre avantage de l'éthique est de laisser une place à l'incertitude. Il est regrettable que l'incertitude ne soit pas plus souvent nommée en médecine. Je pense particulièrement à l'annonce de diagnostics et de pronostics selon lesquels la personne vivra trois mois. Deux ans plus tard, la famille est complètement épuisée parce qu'elle était prête à investir durant trois mois. On ne laisse pas suffisamment de place à l'incertitude. En effet, dans tout pronostic, comme dans tout diagnostic, il y a toujours un pourcentage d'incertitude. Il y a toujours des personnes qui ont été déclarées irrécupérables et qui ont ensuite survécu. Étant donné la formation que nous avons reçue en tant qu'infirmière ou médecin, nous éprouvons beaucoup de difficultés à laisser une place à l'incertitude parce que les patients nous demandent un avis. Nous devons toujours répéter que nous ne savons pas. Si je suis dans l'incertitude, je continue à réfléchir et je laisse la porte ouverte. Je permets au patient de se mettre au centre du processus de soins. Je ne vais pas tomber dans une logique du « faire » parce qu'elle conduit pour moi à l'acharnement, qu'il soit thérapeutique, psychologique, palliatif ou euthanasique. L'incertitude nous évite de passer de notre savoir au pouvoir sur l'autre. C'est très important pour moi.

Nous craignons aussi une loi dépénalisant l'euthanasie et, surtout, la valeur de certitude qu'elle aura pour la majorité des personnes. Cette certitude risquerait de supprimer la réflexion.

Vous avez également parlé du travail en interdisciplinarité. Il m'a semblé que celui-ci était parfois perçu comme un pouvoir sur l'autre. Dans les accompagnements auxquels j'ai participé, il a toujours été un guide et une richesse supplémentaire. Il s'agissait toujours de prendre l'avis de tous les soignants, non pas pour décider à la place d'un patient mais pour ramener tous les éléments de son histoire, de son vécu et pouvoir les lui rendre de façon à ce qu'il puisse vraiment se mettre au centre et prendre une décision en toute connaissance de cause.

Je pense particulièrement à un patient qui a été dans un coma végétatif pendant plus de six mois. La famille et les soignants étaient dans une souffrance extrême. Un jour, on a décidé de réunir la famille, les médecins et les infirmières. À l'issue de cette réunion, qui a pris deux heures et demie au moins, cette famille était profondément paisible. Ses membres l'exprimaient clairement en soupirant. Ils étaient bien et ont eu besoin d'exprimer cela à ce monsieur qui était dans un coma végétatif profond et pour lequel il n'y avait aucune aggravation sur le plan des données médicales.

En fait, ce patient est décédé deux heures après que sa famille lui eut exprimé ce qu'elle ressentait. Cela signifie que même pour les personnes inconscientes, il est important de retrouver cette communication et de permettre à la famille de la retrouver également.

Je pense aussi à une dame qui était en fin de vie à domicile. Ses enfants étaient dans un conflit extrême et ne souhaitaient pas se réconcilier. La réconciliation était pourtant le plus cher désir de cette dame. Les enfants ont contacté le médecin traitant et l'ont harcelé en demandant de faire quelque chose pour mettre fin à la souffrance de leur mère. Le médecin a craqué et s'est mis à injecter des doses de plus en plus fortes d'analgésiques et de benzodiazépines. Un jour, il a explosé en disant qu'elle recevait des doses permettant d'assommer quinze chevaux et qu'elle vivait toujours. En fait, cette dame est décédée une heure après que deux de ses enfants eurent tenté un geste de réconciliation au-dessus de son lit. Ainsi, pour prendre en compte la souffrance globale du patient et de la famille, il faut vraiment travailler en équipe. Il est pour moi impossible de faire seul de bons soins palliatifs. Parfois, il y a des interprétations de ce que sont les soins palliatifs. Si on travaille dans cette interdisciplinarité, on peut vraiment permettre à la personne et à sa famille de se placer au centre. Cette interdisciplinarité doit préserver le colloque singulier médecin-patient. Il me paraît essentiel que le médecin reste toujours le maillon essentiel de contact avec le patient. C'est en lui que le patient a confiance. Il faut que cette relation s'articule dans un réseau beaucoup plus large avec tous les soignants. Dans les situations que j'ai connues, il n'y a jamais eu de « tribunalisation » de la demande du patient, de forme déviée du paternalisme ou du pouvoir collectif. Malheureusement, à cause des difficultés relationnelles dans les milieux soignants, cette interdisciplinarité est peu réalisable.

Autre point important : apprendre à gérer et exprimer ses émotions. Dans les équipes palliatives, les émotions sont reconnues comme essentielles, pour que puisse exister une relation de soins. Dans le milieu médical, elles sont toujours proscrites. L'infirmière qui, encore à l'heure actuelle, a la larme à l'oeil à son examen est certaine qu'elle ne pourra pas réussir. Dans notre société qui dénie la mort, y compris parfois en voulant la maîtriser, nous sommes toujours obligés de calmer nos émotions. Il n'est vraiment pas bienvenu d'être excessif, que ce soit dans la joie, la peine ou la colère.

Cependant, quand les soignants apprennent à exprimer et à gérer leurs émotions, ils peuvent accueillir celles des soignés et de leur famille et leur permettre de les gérer. J'ai le souvenir de l'accompagnement d'un couple pour l'accouchement d'un enfant mort-né en fin de grossesse. Pendant cet accompagnement, les soignants ont vraiment osé exprimer toute leur émotion. Quand j'ai revu le couple après l'accouchement, le monsieur m'a dit ceci : « Nous avons vécu une belle expérience. Nous n'oserions toutefois pas le dire parce qu'on croirait que nous ne souffrons pas. » Or, ils étaient effectivement dans une peine immense. Il a ajouté : « ces gens-là sont humains. » C'était quelque chose qui l'étonnait. Dans ce qu'ils avaient vécu, ils s'étaient simplement sentis des humains en souffrance parmi d'autres humains en souffrance. Cela relève pour moi du domaine de la solidarité et c'est quelque chose de porteur quand on est dans une souffrance profonde.

J'en viens à la formation à l'accompagnement spirituel au sens tout à fait large du terme. Il ne s'agit pas du tout d'un accompagnement religieux.

Je pense à l'accompagnement spirituel au sens large du terme et qui ne s'assimile donc pas du tout à un accompagnement religieux. Il s'agit d'une question de sens et je m'en expliquerai. Je vous exposerai un cas qui n'est pas un cas d'euthanasie mais qui me semble lié à la problématique qui nous intéresse.

Je me rappelle d'un patient tout à fait confus. Quand ses enfants ou sa famille l'approchaient, il criait : « Ne me tuez pas ». Les soignants et la famille ont essayé de comprendre cette attitude et ils ont réalisé que son épouse était décédée plusieurs années auparavant dans les circonstances suivantes : elle était en fin de vie et un de ses enfants se trouvait dans le couloir de l'hôpital et pleurait. Une infirmière lui a demandé ce qui se passait et la fille lui a répondu que cette situation ne pouvait plus durer. L'infirmière a alors rétorqué qu'on attendait l'avis de la famille. Toute la famille a été appelée, on a placé une perfusion et on a dit à la famille d'embrasser la patiente avant de brancher cette perfusion. Cinq ans après, ce vécu a été décodé comme étant à la base de la confusion de ce patient.

Or, cette famille était dans une extrême souffrance et ce n'est pas parce qu'elle considérait la situation comme trop dure qu'elle demandait qu'on en finisse. De toute manière, il s'agissait de l'avis de la famille et non de celui du patient. Voilà les traces que cela peut laisser...

L'accompagnement spirituel consiste à prendre conscience que le temps appartient au patient, qu'il peut être intense, d'une exceptionnelle densité et d'une exceptionnelle qualité. On en est parfois témoin quand on assiste à des ruptures qui se confirment, des liens qui se nouent ou des affaires qui se terminent. Parfois, on ne peut pas deviner le sens de ce qu'on observe mais on a le sentiment profond qu'il appartient au patient. Il se perçoit aussi dans le regard de l'autre et cela signifie que si, pour le patient, la vie a du sens, dans mon regard de soignant ou de membre de la famille, je peux lui envoyer un message exprimant que cela n'a plus de sens de vivre ainsi. La situation devient alors délicate car le patient ne peut découvrir ce sens que dans un encadrement paisible et non menaçant, faute de quoi ce sens ne peut émerger.

Au-delà du sens, la conviction profonde que nous avons acquise en soins palliatifs, c'est que le moment de la mort appartient au patient. Avant de travailler en soins palliatifs, certaines choses nous frappaient, par exemple, pourquoi une personne décède-t-elle à tel moment et pas à tel autre ? On appelle parfois la famille, pensant que le patient va décéder incessamment et, quand la famille arrive douze heures plus tard, il vit toujours. Parfois l'inverse se produit. Le moment de la mort appartient toujours au patient et c'est l'expression de son ultime liberté. En tout cas, c'est toujours bien lui qui lâche prise.

Les soignants de première ligne ont également besoin d'aide et de formation pour le travail du deuil. Je pense à un monsieur de 50 ans qui survivait depuis longtemps, malgré un cancer, au grand étonnement de tous. Devant sa dégradation physique extrêmement pénible à vivre, le médecin qui était certainement à l'écoute et n'était pas un mauvais médecin, a proposé à la famille de pratiquer une injection, si c'était trop dur pour eux. Il a attendu l'avis de chaque membre de la famille et a pratiqué une injection intraveineuse. Quand il est allé rechercher la famille et qu'elle est arrivée près du patient, il s'est remis à respirer. Pour moi, c'était pourtant l'expression de la volonté de vivre du patient. Ce qui est grave, c'est que cinq ans plus tard, la famille n'est toujours pas capable d'enclencher un travail de deuil. Il est très difficile de mener des études à ce sujet car si nous ne pouvons enclencher un travail de deuil, nous consacrons toute notre énergie à camoufler et entasser ces éléments de deuil en ayant l'impression que nous avons dépassé le problème. C'est une problématique très complexe. Sans doute des spécialistes du deuil pourraient-ils vous éclairer mieux que nous, accompagnants en soins palliatifs.

Nous avons aussi énormément de témoignages indiquant que la famille puise la force d'enclencher un travail de deuil dans cette liberté du patient au moment de son décès. Il nous arrive régulièrement de recevoir des coups de téléphone du style : « Papa est décédé dans mes bras, c'est quelque chose de bon ».

On oublie un peu trop de dire qu'il y a de la paix autour de la mort et pas seulement de la souffrance et du déchirement.

Je donnerai un dernier exemple relatif à la communication avec les personnes inconscientes et donc à l'aide à apporter aux soignants de première ligne à cet égard.

Il s'agit d'un patient hospitalisé en réanimation depuis longtemps et dont la famille est vraiment en colère. Elle accuse les soignants d'acharnement parce que pendant 48 heures, il a été mourant, qu'on a proposé à la famille de venir à son chevet et que tout à coup, les fonctions vitales ­ fonction rénale, tension artérielle ­ de ce monsieur ont commencé à reprendre. Les médecins, en toute bonne conscience, ont donc interprété cette reprise comme une volonté de vivre de ce patient. Ils ont alors repris les traitements, ce qui a fait dire à la famille qu'il s'agissait d'acharnement. L'écoute de ce patient, même s'il était dans un état de demi-conscience, nous a vraiment permis de comprendre que ce patient sentait bien que physiquement, il ne pouvait plus continuer sa vie mais qu'en même temps, il souffrait très fort d'abandonner ses enfants. Ensuite, le contact avec les enfants nous a permis de mettre à jour à quel point leurs attitudes s'opposaient. Ils disaient à leur père que tout allait bien et qu'il allait guérir et en l'absence de leur père, ils injuriaient les soignants en les accusant d'intérêt financier. Le fait de leur avoir montré qu'il y avait une contradiction profonde, de les avoir invités à exprimer leurs émotions ­ ils avaient peur de pleurer en présence de leur père ­, de leur avoir expliqué qu'ils pouvaient aider leur père en exprimant leurs émotions a permis des échanges très émotifs entre la famille et le patient. Le patient est décédé sans qu'il faille enlever le respirateur. Nous connaissons beaucoup d'exemples similaires.

En conclusion, je vous ferai part de ma réflexion. Si la réflexion éthique était proposée dès l'enfance et tout au long de la vie, elle nous permettrait d'avoir une qualité de vie bien avant d'en arriver à la fin. C'est ce que je souhaite à tout le monde. Cela nous permettrait aussi de nous rendre autonomes bien avant d'être en fin de vie, bien avant d'être malades car parfois, je me demande si c'est être autonome que d'avoir recours à quelqu'un pour mourir.

Ce que je viens de partager avec vous m'a été appris par les patients, parce que le temps a été le leur jusqu'au bout et que même les dernières heures n'ont pas été abrégées; pour moi, ils ont pu garder et approfondir jusqu'au bout leur liberté intérieure qui fonde la vie et la dignité humaine. Ils ont pu la garder jusqu'au lâcher prise ultime et c'était bien le leur. C'est en leur nom, au nom de leurs proches et des équipes palliatives avec lesquelles je travaille que j'ai pu témoigner aujourd'hui. Je les en remercie et je vous remercie de m'avoir écoutée.

M. Philippe Monfils. ­ Comme je suis le premier orateur dans l'ordre, je remercierai Mme Cambron de son exposé sur sa conception des soins palliatifs intégrés, encore qu'elle mette davantage l'accent sur les valeurs morales des équipes palliatives que sur la valeur des soins. C'est évidemment son appréciation et chacun peut avoir la sienne, notamment en ce qui concerne ce problème du contrôle des émotions dont elle a parlé. Il est vrai qu'en milieu hospitalier, on apprend aux infirmiers à contrôler leurs émotions.

Mais il est vrai également, et je suis persuadé que vous serez d'accord avec moi, qu'en certaines circonstances, ce que demande le patient, ce sont essentiellement des soins et pas seulement un accompagnement moral. L'accompagnement moral vient quand on ne peut plus permettre au patient de prolonger son existence dans de bonnes conditions et de manière digne ou quand on ne peut plus le soigner. Je mets l'accent sur ce point parce que cela me paraît essentiel. Chacun a ses expériences. Dans mon environnement, je connais une personne qui a été atteinte d'un cancer heureusement bénin. Cette personne ne demandait pas spécialement une infirmière qui lui tienne la main mais bien une infirmière qui l'accompagne en lui prodiguant les soins qui lui ont d'ailleurs permis de sortir des difficultés et de réintégrer la vie normale de tous les jours.

Les questions que je voudrais vous poser sont les suivantes. Vous émettez un certain nombre de critiques dans le texte que vous avez eu l'amabilité de nous donner : trop de pressions structurelles, trop de peurs, trop peu de place pour la famille à l'hôpital, trop de non-dits. Vous avez notamment critiqué l'attitude d'un certain nombre de médecins. Ne croyez-vous pas que les critiques que vous formulez et dont je vous laisse la responsabilité peuvent être émises indépendamment des propositions de loi sur l'euthanasie ? C'est en effet un procès que vous faites, et que vous êtes parfaitement libre de faire, au manque d'humanité éventuel au niveau des soins de santé ou des hôpitaux. Qu'il y ait ou pas euthanasie, je me dis que vous formulez vos critiques erga omnes.

Deuxièmement, vous donnez dans votre texte trois exemples où on a trompé soit les patients soit les familles. « Le docteur nous a promis que ça irait vite. Est-ce exact ? », « Malgré tout ce qu'on raconte, on veut tuer mon mari », « On a branché un cocktail lytique sans prévenir la famille ni le patient ». Curieusement, vous dites ensuite qu'il est donc extrêmement dangereux de recourir à une législation sur l'euthanasie. Ne croyez-vous pas, Madame, que c'est justement le contraire ? Les exemples que vous donnez sont évidemment condamnables, mais ne sont-ils pas précisément survenus au moment où l'euthanasie est interdite, où il n'y a aucune législation si ce n'est celle qui condamne l'euthanasie ?

Si vous relisez les propositions de loi qui sont déposées, quelles qu'elles soient, tout le monde veut la transparence et que ce genre de choses n'arrive plus jamais. Personne ne veut que l'on branche un cocktail lytique en l'absence de l'accord de la personne. Tout le monde veut également des contacts permanents et sérieux entre le médecin et le patient. Certains de mes collègues proposent la consultation obligatoire de l'équipe soignante. Les exemples que vous donnez, dont vous concluez qu'il serait dangereux de pratiquer l'euthanasie, montrent au contraire, me semble-t-il, combien il serait intéressant de légiférer sur l'euthanasie pour empêcher précisément ce type d'actions de se produire. Je crois en effet que, comme vous l'avez dit, c'est tout à fait inacceptable.

Troisièmement, vous parlez du travail de deuil lors des décès mal vécus. Vous donnez un certain nombre d'éléments. Vous devez savoir, Madame, que nous avons reçu un certain nombre de personnes, notamment de médecins, qui, malgré les distinguos subtils, ont considéré qu'ils pratiquaient effectivement des actions qui pourraient passer pour des cas d'euthanasie. Nous leur avons demandé si dans ces cas-là, le décès était toujours mal vécu. La réponse a toujours été la même, en tout cas pour un certain nombre d'entre eux : il y a des décès mal vécus et il y a des décès bien vécus. Dans les décès qui ne sont pas dus à un quelconque acte volontaire du médecin ou de l'équipe soignante, il y a aussi des décès mal vécus. Il y a des gens qui meurent à l'hôpital sans acte euthanasique. Ces décès entraînent des conséquences dramatiques pour la famille. Lorsqu'il s'agit de jeunes, la famille est alors plongée dans le désarroi aboutissant parfois même à l'éclatement de la cellule familiale. Ne croyez-vous pas que centrer ce problème des décès mal vécus sur l'euthanasie est un angle assez particulier qui ne correspond pas à la réalité ?

Un décès est toujours pénible. Mais il y a des décès dont on se remet assez vite et des décès pour lesquels il y a énormément de difficultés psychologiques à s'habituer à l'absence de l'être cher. Là encore, ne croyez-vous pas que votre exposé, par ailleurs fort intéressant, s'applique d'une manière générale à l'ensemble symptomatique de la souffrance et de la mort et pas nécessairement à la situation dont on traite en l'espèce, à savoir l'euthanasie ?

M. Alain Zenner. ­ Ma question rejoint d'une certaine manière celle de M. Monfils dont je partage dans une très large mesure les considérations. Vous nous dites, Madame, quel devrait idéalement être le comportement de l'équipe soignante. Moyennant la formation et les moyens financiers nécessaires, nous pourrions espérer avoir des équipes soignantes plus alertes, plus attentives, plus ouvertes. Vous exposez les dysfonctionnements que vous constatez à regret dans votre pratique quotidienne. En ce sens, je trouve votre témoignage particulièrement intéressant. Ce que vous nous dites constitue votre conviction intime et personnelle qu'une législation sur l'euthanasie, dans son principe, ne pourrait que contribuer à multiplier ces dysfonctionnements. En effet, vous ne visez pas spécifiquement telle ou telle proposition de loi, vous dites en quelque sorte qu'une législation sur l'euthanasie en tant que telle, par principe, multiplierait nécessairement ces dysfonctionnements. Il y aurait là un lien de cause à effet entre l'existence d'une législation sur l'éthique de fin de vie et ces comportements inadéquats. Je pense aussi, comme M. Monfils, que la conviction peut être ancrée en sens contraire. Je ne critique ici aucunement le constat que vous faites ni les souhaits que vous émettez. Je dis simplement que ce que vous exprimez est une conviction intime et personnelle, mais qu'aucune considération logique de votre exposé ne conduit nécessairement à cette conclusion.

Je suis aussi frappé par quelques phrases très fortes de votre exposé. Une phrase qui m'a beaucoup touché, parce que je crois très fort à la vérité de la chose, c'est quand vous dites que le moment de la mort appartient toujours au patient. Vous nous dites en quelque sorte que dans votre expérience, le patient, dans des situations difficiles, décide du moment auquel il décède. Vous ajoutez qu'il décède au moment où il est apaisé sur les problèmes qui torturent sa fin de vie : la réconciliation familiale, la clairvoyance sur ce qui lui arrive. Vous nous dites que le moment de la mort appartient au patient. C'est une très belle phrase. Vous ajoutez que si l'éthique nous apporte des repères pour guider notre réflexion, elle ne peut pas être une solution. Aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne. À vous entendre, je déduirais que dès lors qu'une personne considère que le moment de sa mort est arrivé et qu'aucune valeur éthique, c'est-à-dire aucune norme, aucune loi ne peut contrecarrer cette décision du moment de la mort, il faudrait au contraire encourager ­ sans parler des modalités, des conditions ni des procédures ­ une réglementation qui permette à la personne, au-delà de toute considération éthique, de choisir le moment de sa mort.

Enfin, c'est la première fois que j'entends parler d'un « protocole de détresse ». Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un remède qui permettrait à la personne de savoir qu'elle bénéficie d'une alternative : soit le remède lui permet d'éviter de souffrir, soit il lui permet, à terme, de décéder et de mettre ainsi fin à ses souffrances. Je comprends le caractère psychologiquement apaisant de l'existence de ce protocole. Encore une fois, cela ne plaide-t-il pas en faveur d'une réglementation, quelle qu'elle soit ? Je parle en l'occurrence du principe d'une éthique de fin de vie.

M. Philippe Mahoux. ­ Merci pour votre témoignage, à la fois empreint d'humanité et de l'importance que vous accordez au malade. Nous sommes nombreux à partager ce point de vue. Vous avez été très loin à cet égard lorsque vous avez évoqué l'autonomie en tant que dernière valeur absolue du malade. Paradoxalement, les conclusions que vous tirez à ce propos divergent de celles des auteurs de la proposition.

Par ailleurs, si je vous ai bien comprise, vous avez évoqué la difficulté du deuil après une euthanasie. Mais avez-vous l'expérience de la difficulté du deuil quand les familles se culpabilisent parce que l'on n'a pas répondu à une demande parfois réitérée ? Il s'agit pour moi d'une difficulté extrêmement importante et très fréquente, qui se double d'un sentiment de culpabilité; celui-ci peut être lié au fait que l'on a accompagné le malade mais aussi que l'on n'a pas répondu à une demande d'euthanasie. Avez-vous été confrontée aux regrets que peuvent éprouver les familles qui ont été confrontées à une telle situation ?

Ensuite, vous avez évoqué le passage difficile entre le domicile et les unités de soins palliatifs isolées, que ce soit du domicile à l'hôpital ou entre deux unités d'un même hôpital. Je suis intéressé par le concept de « soins continus ». Est-il exact que dans certains endroits, entre 60 et 80 % des patients entrent dans une unité de soins palliatifs sans le savoir ?

Pour en revenir à l'autonomie du malade, vous avez évoqué la notion de temps. Celle-ci est extrêmement différente pour une personne jeune et en bonne santé et pour quelqu'un qui évalue le temps qu'il lui reste à vivre. Cela étant, l'appréciation du facteur temps ne relève-t-elle pas de l'autonomie du malade, y compris le fait de pouvoir déterminer lui-même le temps qu'il lui reste ? Pour moi, une minute d'un mourant a autant d'importance qu'une minute de vie d'un patient en bonne santé. Dans votre reconnaissance de l'autonomie du malade, vous ne semblez pas aller jusqu'à le laisser déterminer le temps qu'il lui reste et donc, choisir la manière de mourir et le temps qu'il mettra à mourir.

J'aurais également voulu savoir pourquoi la province du Luxembourg dont vous êtes originaire compte deux plates-formes de soins palliatifs. Bien sûr, il y a des problèmes de nature idéologique. Comment se fait-il que des conceptions différentes en termes de soins palliatifs et de problèmes de fin de vie aient abouti à la création de ces deux plates-formes ?

Les conceptions relatives à la prise en charge des malades peuvent donc être différentes dans une même région.

Enfin, vous parlez d'incertitude. Ne la transformons pas en certitude. La dépénalisation n'aboutit toutefois pas à une certitude. Elle ne fait que maintenir une incertitude d'une autre nature. Dans l'état actuel des choses, la seule certitude, c'est que tout acte d'euthanasie, quelle que soit la manière dont il est pratiqué, quels que soient les paravents derrière lesquels on s'abrite pour ne pas qualifier d'euthanasie ce qui en est une, constitue un meurtre, un assassinat et un délit. En réalité, nous ne passons pas d'une incertitude à une certitude mais nous maintenons une incertitude en offrant des possibilités et en prévoyant des contrôles.

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Certains des cas qui ont été cités relèvent effectivement de la science médicale, mais d'autres sont plutôt à ranger dans la catégorie des miracles; je conseille donc à Mme Cambron-Diez de les faire enregistrer.

Mme Cambron-Diez a dit : « Aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne. » Elle affirme également : « même la compassion, qui justifie parfois l'euthanasie ou le mensonge ». C'est une thèse très dangereuse. Je croyais que l'assistance médicale était basée en partie sur la compassion pour le patient dont la souffrance est insoutenable et pour lequel une intervention est nécessaire. C'est la base de la demande d'euthanasie. Si ce n'est plus possible, alors la science médicale n'est plus nécessaire. Chacun ici connaît quelqu'un de son entourage qui a « crevé » sans que la science médicale puisse faire quoi que ce soit. C'est ce type de situations qui sont à l'origine de l'euthanasie.

Mme Cambron-Diez a également exprimé la méfiance qu'elle éprouve vis-à-vis de la science médicale. Je suis d'accord avec M. Monfils pour considérer que cela relève plutôt de l'éthique des sciences médicales que du débat sur l'euthanasie en tant que tel. Mme Cambron-Diez est issue du secteur des soins à domicile et je voudrais dès lors lui demander quelle devrait être la participation des soins à domicile. Le personnel soignant à domicile accompagne le patient pendant des mois. Quel rôle joue le prestataire de soins à domicile une fois que le patient a été admis en clinique ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je n'ai guère évoqué les soins puisque les débats précédents vous auront éclairés à ce sujet. J'ai insisté sur certains points qui n'avaient pas été suffisamment abordés mais qui font partie intégrante de notre pratique palliative. Cela ne signifie pas que les valeurs morales soient plus importantes que les soins. J'insiste sur l'importance des soignants de première ligne car c'est par eux que passent les soins relationnels qui sont d'une importance primordiale. Je regrette que vous ayez compris que la médecine n'était pas une bonne médecine. Je pense qu'actuellement, les soignants de première ligne font réellement du bon travail. Ils font en tout cas, la plupart du temps, tout ce qui est en leur pouvoir; ils sont profondément touchés par les situations qu'ils rencontrent; ce sont des soignants en souffrance. C'est le message que j'ai voulu faire passer à travers les exemples que je vous ai donnés.

Pour moi, il était essentiel de reconnaître cette souffrance, dont on a trop peu parlé, pour en arriver à des soins d'une autre qualité par rapport au patient. Tant que l'on « bombarde » les soignants d'obligations supplémentaires de qualité, on continue à trop privilégier le côté technique alors que les personnes en souffrance ont également besoin d'accompagnement, sans toutefois en faire une obligation.

Dans cet accompagnement, il est important de ne pas intervenir quand les personnes ne souhaitent pas une écoute ­ c'est pour cette raison que je parle parfois d'acharnement palliatif; d'où, pour moi, l'importance de la formation des soignants de première ligne aux soins palliatifs. Car tout le monde ne doit pas nécessairement être accompagné dans ce cadre. Il est important que ce soit une décision propre à la personne. Dans mon travail, je consacre beaucoup de temps à décoder la demande du patient. Et nous sommes parfois étonnés quand, deux ou trois mois plus tard, nous relisons la première demande. Je note toujours très précisément celle-ci. Quand, dans une situation difficile, nous allons relire la demande initiale, nous nous rendons compte que c'est nous qui sommes parfois allés plus loin que ce qu'avait demandé le patient. Il est donc essentiel de revenir uniquement à sa demande.

Mes critiques ne portent pas sur la loi qui a été prévue et qui garantit la liberté du patient. Elles reposent sur la crainte de ce qui se passera sur le terrain. Je ne remets donc pas la proposition en question parce que je trouve qu'il faut parler de l'euthanasie et que ce genre de débat est extrêmement important. Mais il faudrait en parler beaucoup plus encore, et plus concrètement, au sein de toute la population. C'est souvent très mal interprété. Il y a peu, une dame a fait un malaise cardiaque parce qu'on voulait injecter de la morphine à son mari qui souffrait beaucoup. Elle prétendait que nous voulions le tuer. C'est difficile de vivre ce genre de situation au jour le jour.

Je pense donc que la population doit être beaucoup mieux informée et qu'il faut vraiment en parler. Il est essentiel d'entendre la demande de quelqu'un qui veut vraiment mourir. Et je dis « vraiment » parce que c'est extrêmement rare. Bien sûr, c'est de toutes les autres demandes dont j'ai parlé. Dans mon travail, je découvre derrière ces dernières beaucoup d'autres problèmes que celui d'abréger la vie.

M. Philippe Monfils. ­ Juste une remarque complémentaire. Vous condamnez des dysfonctionnements actuels alors que la loi n'est pas votée et que nous sommes en pleine discussion. Mais ne croyez-vous pas qu'un certain nombre de problèmes existent déjà actuellement ? Ne croyez-vous pas que le vote d'une loi, quelle que soit la manière dont elle sera rédigée, une loi qui devra de toute façon offrir des garanties de transparence, de contact, de recours, de décodage d'une demande qui n'est pas une demande d'euthanasie mais simplement une demande d'intervention, sera de nature à diminuer le nombre de cas que vous condamnez à juste titre ? J'ai lu votre note et je vous ai écoutée. Vous citez trois cas à la page 4 et il en existe peut-être d'autres. Il est curieux que vous reconnaissiez que ces cas existent déjà maintenant tout en disant qu'il ne faut pas d'euthanasie. Nous, nous disons que c'est parce qu'ils existent qu'il faudrait, pour les éviter, transparence, contact et écoute du patient. Tout cela peut être le fait d'une proposition. Votre crainte existe sans loi. Et si, demain, il n'y a pas de loi, vous continuerez à rencontrer ce type de cas. C'est cela que je voulais souligner quand je vous ai posé la question.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je suis curieuse d'entendre les réponses des infirmières qui seront auditionnées aujourd'hui, mais je peux en tout cas témoigner en conscience qu'il s'agit vraiment d'une grosse crainte des infirmières. Étant donné les pratiques actuelles et le peu de cas que l'on fait de la compétence et des capacités des infirmières qui sont le plus souvent en contact avec le patient, nous nous permettons de douter de l'application de la loi telle que vous l'avez prévue. Je ne conteste donc pas la proposition de loi. C'est son application qui me pose problème. Je trouve essentiel que l'on parle partout de l'euthanasie. Je le remarque tous les jours ... Par exemple, une famille demande qu'on soulage les souffrances d'un patient et le médecin répond : « Madame, je ne vais rien faire pour accélérer la mort! » Je trouve dommage qu'une telle réponse soit donnée.

M. Jean-Marie Dedecker. ­ C'est à vous, aux intervenants de première ligne, d'appliquer la loi.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Mais oui.

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Vous craignez aujourd'hui que l'on n'applique pas la loi. Mais c'est votre responsabilité de l'appliquer. Et c'est à nous de faire la loi.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Tout à fait. Je témoigne simplement de l'expérience du terrain et des craintes qui sont formulées. J'accepte que d'autres infirmières livrent un témoignage différent. Mais tous les témoignages d'infirmières que j'ai entendus allaient dans le même sens. Il existe vraiment beaucoup de craintes. On redoute que cette loi ne soit pas appliquée telle que vous l'avez prévue. C'est ce message que je voulais faire passer. Je trouve aussi qu'il est grave de ne pas entendre une demande d'euthanasie et de ne pas respecter un patient qui demande que sa vie soit abrégée parce que la souffrance lui est intolérable.

M. Philippe Mahoux. ­ Dans votre chef, ne s'agit-il pas davantage d'une critique de la relation entre le médecin et le personnel soignant ? En réalité, j'entends des critiques sur l'absence ou plutôt l'insuffisance de communication dans un certain nombre de cas. Souvent, les choses se passent en équipe, en collaboration. Il faut le rappeler, au risque de dresser un tableau sombre du fonctionnement général. Mais il existe effectivement une insuffisance de relations entre le médecin, les équipes soignantes et le malade. Vous avez souligné l'insuffisance de dialogue, d'écoute entre ceux-ci et l'absence de formation. Je pense que c'est probablement une réalité. Nous devons donc tout faire pour améliorer cette situation.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je ne parlerais pas d'insuffisance car je pense vraiment que les soignants, tant les médecins que les infirmières, font le maximum dans les conditions actuelles. Mais c'est la prise en compte de la souffrance du soignant qui permettra d'avoir une autre ouverture. La plupart des soignants travaillent très bien. Mais il faut se mettre à la place d'un oncologue qui, du matin au soir, reçoit et annonce des mauvaises nouvelles et administre des traitements difficiles. Est-il humainement vivable de travailler ainsi, sans aide ?

M. Monfils a également posé une question concernant le travail de deuil, les décès mal vécus. Je n'ai pas l'impression d'avoir dit que ces décès mal vécus étaient uniquement dus à des problèmes d'euthanasie. Cela peut l'être effectivement, lorsqu'une euthanasie a été pratiquée sans avis du patient et de la famille. Cela ne correspond donc pas à votre approche ...

M. Philippe Monfils. ­ Nous sommes tout à fait d'accord.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ C'est à ce niveau-là qu'il serait intéressant d'évaluer ces problèmes de deuil. Dans le cas que je vous ai cité, il me semble beaucoup trop lourd de demander l'autorisation de la famille. Pour moi, l'autonomie du patient, c'est le colloque singulier médecin-patient qui s'articule dans un réseau plus large. Mais faire porter à la famille la responsabilité de réanimer ou pas est blessant et difficile à vivre pour elle. On ne tient alors pas compte de la grande souffrance dans laquelle cette famille se trouve. Et donc, quand je parle du peu de place qui lui est réservé à l'hôpital, c'est parce que, trop souvent, elle doit être là pour soutenir le patient. La prise en compte de sa souffrance n'est pas du tout automatique, loin de là. De bonnes choses commencent à se faire. Dans ce domaine, on fait de grands progrès mais cela ne concerne pas encore tous les patients.

Quant au protocole de détresse, il est unique. Les produits, médicaments qui sont prescrits par un médecin ­ je suis donc mal placée pour en parler ­ ont pour but de répondre à une souffrance. Il s'agit des grandes souffrances de fin de vie comme les problèmes respiratoires ou les hémorragies cataclysmiques, toutes ces choses dont le patient affirme avoir peur.

À ce moment-là, dans la transparence avec le patient, le médecin prescrit une série de médicaments qui vont soulager la souffrance. De plus, il est clairement dit au patient que ces médicaments risquent d'abréger aussi sa vie. Mais l'intention est de soulager, ce protocole comporte des médicaments qui vont jusqu'à faire perdre la mémoire de la crise. Le souvenir d'une crise douloureuse a des effets sur la crise suivante, il est donc important de l'oublier. Certains dans le débat semblent avoir compris cela comme une hypocrisie. C'est vraiment dommage. Dans ce que j'ai vécu ­ peut-être est-ce différent ailleurs car il y a soins palliatifs et soins palliatifs ­ ces médicaments ont été proposés au patient en toute transparence.

Parfois, le patient lui-même les refuse. Il m'est arrivé ainsi qu'un patient à domicile les refuse, mais nous avons compris que c'était sa façon de faire savoir qu'il voulait mourir en clinique. Les personnes ont parfois des difficultés à s'exprimer. Il disait donc qu'il voulait rester chez lui et mourir à son domicile mais, à notre étonnement, il refusa le protocole de détresse qui était la seule chose qui pouvait le soulager. Ce protocole est encore plus important à suivre à domicile. L'infirmière doit pouvoir faire l'injection avant d'appeler le médecin. C'est à travers son refus que nous avons pu comprendre qu'il souhaitait mourir en clinique. C'est ce qui s'est passé. Je ne sais si j'ai répondu à votre question.

Quant à la question de M. Mahoux sur l'importance de l'autonomie du malade et du deuil des familles qui se sentent coupables, je crois que les problèmes de deuil qui se posent sont dus au fait que le décès s'est mal passé ou a été trop rapide. Les décès accidentels sont des décès extrêmement difficiles à vivre. Les décès d'enfants demandent une aide spécifique.

M. Philippe Mahoux. ­ Ma question était plus précise. Qu'en est-il du deuil quand on n'a pas répondu à la demande du malade ? C'est aussi une mort mal vécue par la famille. On entend cela régulièrement de la part des familles après le décès, dans ce cas. Avez-vous vécu une expérience de ce type ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je n'ai pas d'exemples de cas parmi ceux que j'ai accompagnés où la demande de la famille et du patient n'aient pas été vraiment entendues et accompagnées.

M. le président. ­ Y compris jusqu'à l'euthanasie ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Votre question est donc : Avez-vous refusé une euthanasie ?

M. le président. ­ C'est la question de M. Mahoux aussi.

M. Philippe Mahoux. ­ Ou l'inverse.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Si le malade persiste à demander l'euthanasie et si le médecin qui reçoit la demande ne peut pas pratiquer cet acte, d'autres solutions sont proposées. Je n'ai pas d'exemple dans l'autre sens.

M. Philippe Mahoux. ­ On a des échos de morts qui se sont mal passées car on n'a pas posé les actes qui auraient permis le refus d'une demande d'euthanasie. On parle toujours de deuil quand il y a un accompagnement ou une euthanasie qui ont été faits. Mais la difficulté du deuil quand on n'a précisément pas posé ces gestes est aussi importante.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je travaille précisément en soins palliatifs. Je fais donc de l'accompagnement et j'entends beaucoup la souffrance des familles. Quand vous dites « parce qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait », j'estime que c'est souvent parce qu'on n'a pas accompagné la famille. La famille exprime souvent une demande d'euthanasie ou une pseudo-demande d'euthanasie pour que tout soit fini. En effet, il est plus facile d'être confronté à l'après-décès car on pense que l'on fera alors ce qu'il faudra pour s'en sortir, pour aller mieux. Mais maintenant, au jour le jour, il est extrêmement pénible de vivre avec les questions de savoir quand et comment se passera le décès, tout autant que de savoir si l'on tiendra le coup. C'est là que la famille doit être accompagnée.

La famille a une demande de raccourcissement de la vie, de raccourcissement du temps de souffrance, mais c'est surtout de sa souffrance qu'il s'agit.

M. le président. ­ La question de M. Mahoux concernait la personne qui demande elle-même qu'on mette fin à sa vie. Avez-vous des exemples où cela n'a pas été fait et où le deuil de la famille est très difficile du fait de ce refus ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Non. Je n'ai pas d'exemple dans ce sens.

Quant à la question de M. Mahoux sur l'incertitude, j'entends bien que la dépénalisation n'est pas une certitude. Ma crainte est qu'elle ne soit interprétée ainsi. Déjà, avant même que la loi ne soit passée, des familles la réclament comme un droit. Elles n'entendent donc pas que ce serait uniquement à la demande de la personne. J'exprime mes craintes. Ce n'est pas un jugement.

M. Philippe Mahoux. ­ Quelles sont les difficultés que peut représenter le passage du malade dans une unité de soins palliatifs, y compris l'ignorance du patient de ce passage ?

M. le président. ­ Il y a aussi l'existence de deux structures dans la province de Luxembourg.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ À l'Aubépine où je travaille, quand un patient arrive, le médecin et l'infirmière qui l'accueillent lui demandent dans quel service il se trouvait précédemment. S'il répond qu'il était en soins palliatifs, on lui demande ce que sont pour lui les soins palliatifs. La démarche est donc d'instaurer une relation en vérité à partir de ce dont le patient a besoin ou a envie de dire, de partir de sa vérité et de ne pas lui imposer de savoir qu'il est dans un service de soins palliatifs si cette information est traumatisante. C'est en cela que consiste la possibilité de conserver son autonomie. Il n'y a pas de valeur plus importante. Même si je trouve essentiel que le patient sache qu'il est en soins palliatifs, je ne tiens pas à lui imposer ce renseignement.

M. Philippe Mahoux. ­ Vous respectez donc un droit de ne pas savoir.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ C'est cela. Si le patient ne veut pas ou ne peut pas savoir, c'est que cela convient à sa façon de vivre. Il faut la respecter.

Il y a deux équipes de soutien en soins palliatifs, l'Aubépine et le Fil des jours , mais il n'y a qu'une plate-forme. Deux équipes ont été formées parce qu'il y avait des discussions entre pouvoirs organisateurs. Mais, sur le terrain, nous nous entendons. Hier encore, j'ai eu une réunion avec mes collègues de l'autre équipe pour améliorer notre accompagnement des personnes. Sur le terrain, si on permet aux patients de se mettre au centre du processus, il n'y a pas de problèmes. Le Fil des jours travaille en principe avec la CSD mais il nous arrive aussi d'accompagner des patients avec la CSD. On en parle. Ce qui compte, c'est de respecter le patient.

M. Philippe Mahoux. ­ Vous le soulignez à juste titre. Il faut respecter le malade et sa volonté. Peut-être l'existence de deux équipes de soutien est-elle justifiée par des différences d'interprétation ou d'analyse de la demande ? Vous semblez dire qu'il n'y a pas de différences dans l'organisation des soins mais y en a-t-il dans la volonté d'aller jusqu'au bout dans le respect de la demande d'une mort digne, y compris dans le choix de moment ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Il faut permettre au patient de se mettre au centre du processus. Nous lui permettons de se mettre au centre si cela lui convient. Certains patients préfèrent être dépendants et que l'on décide pour eux.

M. Alain Zenner. ­ Vous dites : nous ne voyons pas de difficultés sur le terrain et nous avons la même conception de base à propos du malade. La question de M. Mahoux vise à savoir si, dans l'interprétation des situations, il n'y a pas, même inconsciemment, des différences qui peuvent s'expliquer par des conceptions philosophiques différentes et des formations de base différentes dans l'éducation en général. Tout le monde veut certainement travailler dans le même sens, dans la même conception de base fondamentalement centrée sur le patient; mais vous avez souligné qu'à tout moment, l'écoute c'est l'interprétation, le décodage ­ pour reprendre vos propres termes ­ de ce que veut le patient.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Oui.

M. Alain Zenner. ­ Ce travail d'interprétation est tout de même fort influencé par l'inconscient des soignants et donc par un ensemble de paramètres que nous ne contrôlons pas ? Cela ne se traduit-il pas par l'existence de deux équipes ? Dans la vie, effectivement, les conceptions et la formation peuvent mener à des conclusions, des interprétations ou des décodages différents.

M. Philippe Monfils. ­ Il faut être clair sur ce point. Cela veut-il dire qu'une demande d'euthanasie clairement formulée par le patient recevrait une réponse différente selon l'équipe à laquelle il s'adresse ? C'est cela le fond du problème, ne tournons pas autour du pot.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ J'espère clairement que ce n'est pas le cas. Pour le reste, nous sommes des humains en relation avec d'autres humains et donc, forcément, selon les personnes avec lesquelles on est en relation, on peut ­ comme vous dites ­ interpréter ou comprendre les choses différemment. Pour moi, c'est cela aussi la garantie du travail en équipe. Que l'on soit en soins palliatifs ou ailleurs, il est extrêmement difficile de savoir. L'incertitude subsiste toujours : a-t-on bien fait ou non ? On analyse à nouveau les situations. Dans une équipe, on accepte toujours d'être sous le regard des autres et donc de réévaluer son propre point de vue ou son propre investissement.

J'ai le souvenir d'une dame avec laquelle j'avais une relation très forte. Elle vivait une situation extrêmement difficile. Un jour, elle m'a dit : « cette fois-ci, je n'en peux plus ». Honnêtement dit, j'ai interprété ces paroles comme une demande de mourir tout de suite. Je n'ai pas vérifié sa demande. Heureusement, je lui ai dit ­ parce que cela me paraît essentiel ­ d'en parler à son médecin. Mais elle a refusé en me demandant d'en parler moi-même au médecin. J'ai refusé en lui disant qu'il s'agissait d'actes trop graves; je lui ai donc vraiment confirmé le sens dans lequel j'avais compris sa demande. J'ai insisté pour qu'elle en parle elle-même au médecin car je ne voulais pas servir d'intermédiaire. Elle m'a alors demandé d'être présente quand le médecin reviendrait, ce que j'ai fait. Ce dernier a reformulé la demande de la patiente en ces termes : « ce que vous demandez, c'est de pouvoir mourir très vite, parce que vous ne voulez plus attendre ? ». Elle a alors répondu : « je ne vous ai jamais demandé cela ! ». J'étais très étonnée. Elle a expliqué qu'elle éprouvait beaucoup de souffrances physiques, qu'elle les avait supportées jusque-là. Sa souffrance était évaluée tous les jours et elle nous demandait souvent de diminuer les doses, je n'avais donc pas imaginé qu'elle pouvait encore avoir une souffrance physique. Elle a donc pu préciser sa demande parce que le médecin a reformulé les choses clairement. Elle a dit qu'elle ne supportait plus la souffrance, qu'elle ne voulait plus avoir mal du tout : elle acceptait d'être endormie.

Dans ce cas, si le médecin n'avait pas vérifié cette demande, nous étions partis pour quelque chose qui ne correspondait pas à la personne. C'est donc extrêmement difficile et je n'exclus pas des erreurs. Je trouve en tout cas important de laisser la place à l'incertitude, c'est-à-dire à l'erreur, à « je ne sais pas » et à « peut-être ».

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Vous avez dit que la compassion fait partie de l'éthique médicale. Je ne comprends pas très bien votre phrase. Vous avez aussi parlé de la compassion qui justifie parfois l'euthanasie ou le mensonge ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je veux dire par là que, quand on estime une valeur éthique plus importante que la personne elle-même, cela devient dangereux. Parmi les valeurs éthiques, il y a bien sûr l'autonomie, mais il y a aussi la bienveillance, la non-malveillance ... Ce sont des repères qui permettent au médecin et à l'équipe soignante d'accompagner un patient selon ce qu'il souhaite.

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Je pense que la compassion justifie l'euthanasie.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Parfois, oui. Il arrive aussi qu'elle justifie le mensonge; je pense à ce mari qui demandait de ne pas dire la vérité à son épouse, par compassion pour elle. C'est dommage, car cette dame ne pouvait pas s'exprimer. C'est là que je crains un glissement trop facile vers la reconnaissance d'une valeur; on peut bien entendu éprouver de la compassion, de la sympathie ou de l'empathie pour quelqu'un, mais il ne faut pas que cela devienne une loi.

En ce qui concerne votre deuxième question, Monsieur Dedecker, vous avez sans doute senti que j'étais méfiante par rapport à la science médicale.

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Effectivement, vous vous êtes déjà exprimée sur ce point, mais j'aimerais que vous parliez du rôle de l'infirmière qui assure les soins à domicile lorsque le malade est hospitalisé.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Nous continuons à accompagner les patients quand ils sont hospitalisés car il n'est pas possible d'abandonner une relation. Que les patients soient en unité résidentielle ou dans un service hospitalier, les bénévoles ou infirmières continuent à suivre les patients quand ils sont hospitalisés. C'est d'ailleurs ainsi que la fonction palliative au Centre hospitalier de l'Ardenne a commencé deux ans avant qu'elle ne soit obligatoire. Nos équipes intervenaient déjà à l'intérieur de l'hôpital. Ces interventions étaient déjà connues. Les choses se sont mises en place en douceur, sur le terrain.

M. le président. ­ Un médecin de famille que nous avons reçu nous a dit qu'il rencontrait souvent des difficultés pour suivre son patient quand il était hospitalisé. Ce n'est donc pas le cas pour les infirmières ?

M. Jean-Marie Dedecker. ­ Quand le patient est hospitalisé, tient-on encore compte de votre avis ou de celui du médecin de famille ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Le médecin ou l'infirmière qui vont à l'hôpital ne prennent plus de décision en ce qui concerne les traitements. On continue simplement à accompagner le patient et la famille. Mais on peut quand même faire un lien entre les deux équipes.

M. Paul Galand. ­ Je remercie madame de son témoignage. Plusieurs propositions de loi sont en discussion dont certaines concernent les soins palliatifs. Il est évident que les dénominations que l'on donne à une approche thérapeutique auront une incidence ultérieure. On a entendu des thérapeutes parler de soins supportifs et d'autres, de soins continus et palliatifs. Pour votre part, vous parlez de soins palliatifs intégrés et vous en donnez la justification. Défendez-vous cette dénomination ? Les propositions de loi vont reprendre une définition. Si vous avez des suggestions, pouvez-vous les expliciter ici ou nous les communiquer ? Cela pourrait être utile pour le législateur.

À la page 2 de vos notes, vous soulignez quelques améliorations qu'il conviendrait d'apporter au niveau de l'organisation des soins palliatifs, mais de façon peu définie; vous suggérez d'augmenter « un peu » le nombre de lits en unités résidentielles, par exemple, et vous parlez des maisons de repos, à juste titre. Pouvez-vous préciser ces propositions avec des chiffres et donner quelques commentaires, en fonction de l'expérience acquise ou non ?

À la page 3, vous défendez le fait que les soins palliatifs intégrés doivent rester de la compétence de la première ligne. Selon vous, c'est seulement un problème ou un manque de formation qui risquerait de faire en sorte que ces thérapeutes, tant médicaux qu'infirmiers, auraient tendance à abandonner les situations trop difficiles par rapport auxquelles ils se sentent dépassés.

Dans votre expérience actuelle, constatez-vous que les infirmières diplômées ont reçu une formation plus adaptée et quelle amélioration faudrait-il encore apporter à la formation ? Ces formations ne sont-elles pas encore trop cloisonnées (d'un côté les paramédicaux, de l'autre les médecins) ?

Mme Clotilde Nyssens. ­ Je voudrais d'abord remercier Mme Cambron de sa finesse. Chaque fois qu'une infirmière parle, elle fait vibrer nos émotions. On sent que son témoignage est vécu. Quand une infirmière, une femme s'adresse à nous, elles nous fait sentir beaucoup de choses utiles à nos travaux. J'admire aussi la manière dont Mme Cambron répond aux questions. Trop souvent, les questions prennent la forme de procès d'intention. Quand une personne fait part de son vécu, témoigne de son expérience, il y a quelque chose de très vrai qui passe au-delà de certains clivages.

On dit souvent que le Luxembourg est exemplaire, est en avance dans les soins palliatifs. Les structures sont-elles suffisamment organisées ? La conception des soins palliatifs est-elle au point ? Faut-il apporter des changements au niveau des structures ou seulement au niveau des moyens humains et matériels ? Comment se fait-il que les soins palliatifs aient pris de l'importance au Luxembourg ? Cela s'explique-t-il par le dynamisme de certaines personnes, par les moyens financiers mis en oeuvre ?

M. le président. ­ Une ardeur d'avance !

Mme Clotilde Nyssens. ­ Par une ardeur d'avance, peut-être. Vous avez parlé, Madame, avec beaucoup de finesse, de la réflexion éthique, basée sur l'humain.

Vous avez souligné l'importance des soins relationnels, la valeur de la personne, la place de l'incertitude.

Vous avez appelé à abandonner la logique du pouvoir et du fait pour entrer dans une autre logique, pour permettre à une liberté de s'exprimer, pour lâcher prise. Il s'agit de mots extrêmement modernes, extrêmement humains. Ces mots trouvent petit à petit leur place dans le monde des hôpitaux, de la médecine. Peut-être une conception de la personne, une conception anthropologique pouvant être partagée par tous est-elle en train de naître à propos de la manière dont on vit sa mort, avec le temps nécessaire !

Cette réflexion éthique que vous avez développée peut-elle être partagée par tous ? Ces mots ont-ils la même connotation pour tous les acteurs du terrain que vous côtoyez et les familles et les patients que vous rencontrez ? Votre conception éthique peut-elle être partagée par tous les patients et toutes les familles, au-delà des clivages éthiques et philosophiques ? J'ai en effet l'impression qu'on a touché, ce matin, quelque chose d'humain au-delà d'une réflexion éthique qu'on voudrait trop souvent cloisonner.

Vous avez parlé de personne inconsciente. Vous avez dit que votre manière de soigner s'appliquait aussi aux personnes inconscientes. La distinction faite dans les textes, notamment dans la proposition du PS, entre patient conscient et inconscient n'est-elle pas artificielle, trop catégorique ? L'approche des soins continus et intégrés que vous avez décrite ne convient-elle pas aussi aux personnes inconscientes et à leur entourage ?

Vous dites que « la transparence prévue par le projet de loi dépénalisant l'euthanasie est le plus souvent inapplicable sur le terrain et fait peur à la grande majorité des infirmiers ». Cela veut-il dire que les textes arrivent trop tôt ? Cela est-il inapplicable parce que d'autres éléments n'ont pas encore été développés ? Ou bien ne sera-t-on jamais dans les conditions optimales pour réaliser ce projet qui est peut-être un peu trop idéaliste ? Cette phrase m'interpelle beaucoup.

Mme Mia De Schamphelaere. ­ Après toutes ces semaines, nous apprenons encore des choses. Mme Cambron a beaucoup parlé du « non-dit » entre les prestataires de soins et le patient. Mais il reste également beaucoup de non-dit entre la famille et le patient. Vous parlez de familles épuisées qui n'ont plus de ressort. Elles peuvent à peine supporter le patient. La famille est pour le patient comme un miroir dans lequel il voit la charge qu'il représente. Cela aussi est une expérience pénible dans le cadre de la fin de vie.

D'autres témoins nous ont appris que, dans la foulée du débat sur l'euthanasie, la demande d'euthanasie a enregistré une croissance exponentielle, mais que celle-ci provenait uniquement des membres de la famille et non des patients mêmes. Quel est l'impact psychologique sur les patients ? Comment peuvent-ils exprimer leurs souhaits face à une famille trop lasse ?

Mme Jeannine Leduc. ­ M. Mahoux a déjà souligné qu'on a beaucoup parlé du processus de deuil qui n'est pas intégré. Avez-vous songé au processus de deuil que les médecins et les membres de la famille n'ont pas encore intégré parce qu'ils n'avaient pas donné suite à la demande justifiée du patient nécessiteux ? Nous avons entendu dire que les médecins étaient également confrontés à ce problème. Vous mettez l'accent sur le processus de deuil non intégré des membres de la famille dans les cas où un acte d'euthanasie a été posé. Quant à moi, je mets l'accent, comme M. Mahoux, sur le processus de deuil des personnes qui n'ont pas pu donner suite aux cris de détresse du patient. Il s'agit le plus souvent de personnes simples qui n'ont pas la possibilité de s'adresser à quelqu'un qui puisse donner une mort douce au membre de leur famille.

J'ai de l'admiration pour ceux qui ont le courage d'accompagner les gens dans la dernière étape de leur vie. Vous êtes parfois contrainte de laisser des patients partir pour l'hôpital parce qu'il n'est plus possible de les soigner à domicile. Au cours de l'accompagnement, vous avez acquis beaucoup de connaissances sur le patient, et aussi sur son environnement. Comment transmettez-vous ces connaissances au prestataire de soins dans l'hôpital ? Nous avons entendu dire que ce transfert posait parfois problème.

Vous interprétez la demande de mourir formulée par le patient comme une demande de ne plus devoir souffrir. Nous avons déjà entendu cela. Vous pouvez peut-être enlever la douleur, mais vous ne pourrez pas enlever la déshumanisation. J'ai parfois l'impression qu'on ne décode pas, mais qu'on code dans une certaine direction. Est-ce que vous n'êtes pas du même avis ?

Mme Myriam Vanlerberghe. ­ Mme Cambron, j'ai beaucoup de respect pour votre engagement dans les soins palliatifs. J'espère que vous connaissez également la proposition de loi des partis de la majorité concernant les soins palliatifs. En effet, nous voulons rendre ces soins accessibles à tous.

Vous dites que les soins palliatifs ne peuvent être efficaces qu'à la condition que le patient le souhaite lui-même. Mais quid du patient qui ne souhaite pas bénéficier des soins palliatifs et qui maintient sa demande ? Soit il y a une demande d'euthanasie, soit il n'y en a pas. Mais que faites-vous alors si nous ne pouvons pas légiférer ? Est-ce à dire que nous ne pouvons pas élaborer de réglementation et qu'on trouvera toujours une solution en cas de besoin, de sorte que nous restons dans l'illégalité comme c'est le cas actuellement ? Ou alors souhaitez-vous une loi parce que vous constatez vous-même que certaines personnes ne se satisfont pas des soins palliatifs ?

J'en viens à la déclaration de volonté qui est également un aspect abordé dans notre proposition de loi. Mme Cambron-Diez a beaucoup d'expérience dans l'accompagnement des personnes dans les derniers mois de leur vie. Elle sait que notre proposition de loi prévoit une déclaration anticipée dans laquelle les personnes peuvent faire savoir au préalable qu'elles ne souhaitent pas se retrouver dans une situation contraire à la dignité humaine et qu'elles veulent pouvoir déterminer elles-mêmes, à un moment donné, qu'il ne faut pas poser des actes qui n'améliorent plus la qualité de la vie. Quel est son avis à ce sujet ?

Mme Cambron-Diez est indéniablement très fréquemment en contact avec la sédation contrôlée. C'est un des moyens qui permettent d'aider les gens. La sédation contrôlée est un acte qui a pour effet de raccourcir la vie. À son avis, s'agit-il d'euthanasie ou non ? Cette question aussi donne souvent matière à discussion.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je vais essayer de répondre dans l'ordre des questions posées.

M. Galand m'a interrogée sur la dénomination « soins palliatifs intégrés ». Je dirai que c'est le terme qui m'a paru le plus juste pour permettre à tout le monde d'avoir accès à la formation en soins palliatifs. Au début des soins palliatifs, dans le Luxembourg, notre souhait était que les soins palliatifs soient « biodégradables », c'est-à-dire qu'ils soient amenés à disparaître, qu'il ne faille pas avoir énormément de structures devant toujours rester en place, mais plutôt un minimum d'entre elles, et que ce soient vraiment les soignants de première ligne qui puissent bénéficier de cette aide-là. J'ai fait un mémoire à l'université de Lille, précisément sur les soins palliatifs intégrés. Sans doute aurait-il pu être plus fouillé mais je vous en laisse volontiers un exemplaire.

Pour ce qui est des améliorations possibles et des propositions chiffrées, je pense que la meilleure chose est de se baser sur le mémorandum de la Fédération wallonne des soins palliatifs et sur le mémorandum des trois fédérations wallonne, bruxelloise et flamande, ces documents étant assez complets. Je pense qu'on pourrait prévoir une présence médicale plus importante, en tout cas dans les fonctions palliatives où manque celle-ci, me semble-t-il, ainsi que dans les maisons de repos.

Les formations sont-elles trop cloisonnées ? Il est vrai que j'ai notamment apprécié la formation à l'université de Lille parce que médecins, infirmières, psychologues, bénévoles, diététiciens, kinésithérapeutes participent tous à la même formation. On apprend justement l'interdisciplinarité au cours des ateliers. Beaucoup de médecins découvrent qu'il peut être intéressant de parler à une infirmière, ce qui n'est pas nécessairement ce qui a été enseigné. Je pense qu'il est fort important de décloisonner les formations. Diverses formations existent ­ je pense au projet RAMP qui a été initié pour les médecins généralistes et auquel participent nombre d'entre eux ­ dont le coût n'est pas nécessairement élevé. Donc, quand je parle de formations, je ne vise pas nécessairement les grands programmes universitaires ou autres mais vraiment les formations d'aide aux personnes qui sont sur le terrain, car la formation en soins palliatifs est liée aussi à l'expérience que l'on acquiert au fur et à mesure du travail.

La formation des infirmières est-elle maintenant mieux adaptée ? Certaines écoles d'infirmières organisent des lieux de parole et commencent à introduire le problème de la mort dans les formations. Ce n'est cependant pas le cas de la majorité des écoles et je ne pense pas que le sujet figure dans les programmes. Récemment, un jeune assistant de réanimation me disait qu'en neuf ans de formation médicale, on n'avait parlé ni du sens de la vie ni du sens de la mort. « On n'amène pas les étudiants à y réfléchir, on ne sait pas quoi dire aux gens ... » ajoutait-il. Peut-être n'est-ce pas le cas de tous les médecins, mais celui-là exprimait très clairement que cela lui avait manqué. Les choses sont déjà différentes dans certaines universités.

J'en arrive aux questions de Mme Nyssens. Pourquoi est-ce différent au Luxembourg ? Les structures sont-elles suffisamment organisées ? Pour nous, les choses sont extraordinaires par rapport à la situation d'il y a dix ans. Je pense qu'il faudra augmenter un peu le nombre de lits en unités résidentielles, qu'il faudra augmenter l'aide aux structures de soins palliatifs d'aide à domicile et qu'il faudra, un peu comme partout, une certaine adaptation des moyens de financement. Pourquoi cela a-t-il pris plus d'importance qu'ailleurs ? C'est une succession d'histoires différentes. Étant infirmière, je ne peux pas m'empêcher de dire qu'en réalité, ce sont des infirmières qui se sont d'abord préoccupées d'aller se former ailleurs, en France ou en Angleterre, en soins palliatifs et qui ont ramené des interrogations et des formations à ce sujet-là. Selon moi, tout a démarré vraiment de la base. On a commencé à construire sur ces petites choses et, à la suite de l'action des infirmières, il y a eu une aide du mécénat, des pouvoirs publics. Des médecins se sont intéressés aux soins palliatifs et, à partir de ce moment-là, on a fait des pas de géant. Six à sept médecins ont suivi une formation et ont édité une brochure qu'ils ont envoyée à tous leurs collègues. Il y a eu une multitude d'autres choses auxquelles je ne pense pas maintenant, par exemple les « domiciles » qui intervenaient à l'hôpital, d'où une sensibilisation du personnel de l'hôpital à ces questions. Une série de choses, qui n'ont pas nécessairement été voulues ou décidées, se sont produites progressivement sur le terrain, par contagion.

M. le président. ­ Le débat actuellement en cours vous aide-t-il à ce sujet ? Vos collègues médecins ont-ils un intérêt particulier pour ce genre de problématique ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je pense qu'on en parle davantage. Il y a plus de questions mais aussi des peurs.

Sur le plan de la réflexion éthique, le lâcher prise est important. Pour vivre comme pour mourir, il est important de lâcher prise. Que ce soit dans la vie familiale ou au cours d'une maladie, le lâcher prise est important à tous les niveaux. Est-ce partagé par tout le monde et toutes les personnes que j'accompagne ? Je n'ai pas le projet de le partager, mais cela m'aide à les entendre, à les comprendre. Cela nous aide dans la réflexion au sein des équipes. Il est important de découvrir leur propre réflexion et la façon dont elles évoluent. Elles ne doivent pas nécessairement avoir les mêmes mots ou comprendre les mêmes choses. Cette réflexion éthique va au-delà des clivages. Elle va dans le sens du respect de la personne et de son accompagnement. Le plus difficile est de ne pas avoir de projet pour l'autre. Je ne puis dire que l'on y parvient toujours : quand on n'a pas de projets, on a au moins des rêves. Mais il est important d'en avoir conscience et de ne pas l'imposer au patient.

En ce qui concerne les personnes inconscientes, je ne sais pas si j'irais jusqu'à dire qu'elles auraient le libre choix de la même façon que les personnes en pleine possession de leurs moyens. Mais je crois qu'il faut découvrir toute une communication avec les personnes inconscientes, qui serait précieuse pour les soignants de première ligne. Il faut oser la communication. On ne sait pas ce qu'elles entendent. Il faut aussi éviter d'en faire une vérité. Il y a des écrits dans ce sens également, mais cela me semble dangereux.

M. le président. ­ Vous pourriez peut-être anticiper la question de Mme Vanlerberghe à propos du testament de vie, ce que l'on appelle aussi la déclaration anticipée.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ C'est l'un des éléments qui doit faire partie du puzzle au moment où on décode la demande du patient. Ce qui est vrai à un moment donné ne l'est pas à un autre. J'ai beaucoup apprécié les propos du malade qui a témoigné ici. Il a dit à propos de la déclaration anticipée qu'il demandait qu'on lui laisse un délai d'un mois, que cette demande soit réévaluée, qu'on tienne compte de beaucoup d'autres choses, qu'on recherche une autre manière de l'aider ... Il demandait que l'on vérifie bien qu'il ne soit pas en dépression. Je n'ai pas d'opinion très claire par rapport à cela, sinon que je ressens qu'il est très difficile d'accompagner en fin de vie des personnes qui disent qu'elles veulent mourir. Je ne sais pas si elles veulent mourir ou si elles sont profondément déprimées. Il est difficile de distinguer la volonté de mourir et la dépression. Il est important de ne pas fermer la porte et d'essayer de comprendre ce que la personne veut vraiment nous dire. Veut-elle lâcher prise ou trouve-t-elle que sa vie est tellement inutile qu'elle souhaite vraiment mourir ? On ne le sait pas. Si on ne travaille pas en équipes, je ne vois pas comment on pourrait décoder cette demande.

M. le président. ­ Ici se pose la question de Mme Leduc sur le décodage qui peut aussi être un codage. N'interprète-t-on pas d'une manière ou d'une autre en fonction des propres perceptions que l'on a de la volonté ou de la décision d'un patient ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Zenner, je pense qu'on réagit différemment avec les groupes de personnes avec lesquelles on interfère. Il n'y a pas une certitude totale. L'incertitude existe, y compris dans les soins palliatifs. Je ne puis répondre par oui ou par non, mais nous faisons tout ce qui est possible pour que le patient puisse se trouver au centre du processus et pour lui rendre les éléments que l'on découvre. Si on demande une consultation de l'équipe soignante ou de la famille, c'est bien en disant au patient qu'on lui rendra ces éléments-là. On lui dira : j'ai cru entendre que votre famille disait ceci; qu'en pensez-vous ? C'est lui qui nous apportera le décodage.

Il est important que ce soit lui.

M. Philippe Monfils. ­ Si le patient ne veut pas entendre sa famille, que faites-vous ? Vous parlez beaucoup de la famille, mais l'autonomie du patient prime. La famille constitue un élément important, mais parfois dangereux quand elle transmet sur le patient son épuisement psychologique. Après tout, c'est le patient qui est en train de mourir, ce n'est pas la famille. Si le patient dit qu'il veut s'entretenir avec telle ou telle personne mais pas sa famille, qu'allez-vous faire ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je respecterai la volonté du patient. De même, quand le patient ne veut pas être accompagné par les soins palliatifs, il faut le respecter. Certaines personnes ne souhaitent pas être écoutées et préfèrent le silence. Nous devons respecter cela. Il ne s'agit pas de forcer des démarches. Aucune vérité n'est plus importante que la personne. Les soins palliatifs ne sont pas une valeur avant la personne. Au sein des soins palliatifs, il y a toute une série d'accompagnements. Notre aide est parfois uniquement matérielle : un matelas, un pousse seringue, ... Nous devons cheminer dans ce sens avec le patient. Si la famille nous téléphone, il est important de lui dire que nous proposons de l'accompagner elle-même. Si le patient refuse, on peut accompagner la famille sans aller voir le patient. Il faut entendre l'expression de souffrance.

Mme Leduc a parlé du deuil à propos des demandes d'euthanasie auxquelles on n'a pas apporté de réponse. Je n'ai pas eu de témoignage dans ce sens, mais j'entends bien le vôtre. Il est très grave, pour moi, de ne pas entendre une demande et de ne pas y apporter toute l'attention et le soutien nécessaires. Il m'est arrivé qu'on me demande l'euthanasie mais en tant qu'infirmière je ne puis pas la donner, ce qui est déjà significatif. Le médecin avec lequel j'en avais parlé m'avait dit que quand on lui demandait l'euthanasie il la donnait. Il est allé trouvé la patiente en le lui disant clairement. À ce médecin-là, et à lui uniquement, la patiente a dit : « trouvez quelque chose pour me guérir ». Il y a parfois des comportements psychologiques auxquels il faut être attentif. Heureusement que nous avions ce médecin dans cette équipe, qui pouvait la donner et le dire clairement à la patiente. Cela nous a permis d'entendre qu'il s'agissait d'une fausse demande. Elle la demandait à tout qui ne voulait pas la donner.

En tant qu'infirmière, je peux parfois recevoir des demandes d'euthanasie et j'en ai reçu. Je puis vous dire que je suis profondément touchée de la confiance qui m'est faite parce que c'est remettre sa vie dans les mains de quelqu'un d'autre. Cela témoigne d'une confiance extraordinaire. C'est extrêmement grave de ne pas entendre cela et de ne pas remercier pour cette confiance du patient envers un soignant.

Il y a aussi la question de Mme Leduc sur la différence de mentalité entre l'hôpital et le domicile.

Mme Jeannine Leduc. ­ Vous savez beaucoup de choses sur le patient et son entourage. Qu'en faites-vous ? Transmettez-vous un dossier aux soignants de l'hôpital ? Que faites-vous des données dont vous disposez ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Quand on va visiter le patient à la clinique, on a comme règle d'aller voir auparavant les médecins et infirmières. On fait la visite s'ils acceptent, ce qu'ils ont toujours fait. Après, on fait un feed back aux infirmières et médecins. Dans ces occasions-là, on répond à leurs questions.

Mme Jeannine Leduc. ­ Il n'est pas prévu de leur remettre un dossier ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Nous avons une feuille de liaison : hôpital, domicile, maison de repos. Cela existe aussi au Luxembourg, de façon à avoir la même feuille partout. Le document n'est parfois pas suffisant. Il peut s'agir d'éléments plus difficiles à noter. À domicile, on travaille beaucoup avec le carnet de liaison. Dans ce carnet, tous les soignants, de même que le patient et la famille, peuvent écrire, mais on n'y inscrit que ce que le patient veut bien y voir figurer. Souvent, il part à l'hôpital avec ce carnet.

Donc, souvent le patient part à l'hôpital avec ce carnet. Il décide lui-même de ce qu'il transmet comme informations parce qu'il ne souhaite pas toujours transmettre toutes les informations. Au-delà du partage, il y a aussi le respect de l'autonomie du patient. Il faut lui permettre de transmettre ce qu'il souhaite. Cependant, l'essentiel, soit le traitement, peut faire l'objet d'un document.

Mme Jeannine Leduc. ­ Vous rendez seulement visite aux patients, rien de plus ?

M. le président. ­ Oui, elle ne peut plus intervenir.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Oui, c'est bien cela. Mais nous voyons les patients avant et après pour ne pas critiquer les collègues qui ont la charge du patient. Il me paraît, en effet, essentiel de les respecter. En outre, le patient est souvent différent à l'hôpital de ce qu'il est à domicile. Il ne faut pas venir avec un schéma du domicile et l'appliquer à l'hôpital. Il faut pouvoir différentier les comportements.

Si le patient refuse les soins palliatifs et qu'il demande l'euthanasie, que faut-il faire ? Je pense que c'est en cela que des soins palliatifs intégrés sont intéressants car si les soignants de première ligne sont capables de répondre et d'écouter le patient ou ont le droit de prendre du temps pour s'asseoir auprès du patient et discuter avec lui, il va l'accepter de la part des soignants de première ligne, alors qu'il n'acceptera peut-être pas qu'un étranger vienne. C'est difficile pour le patient qui voit déjà beaucoup d'infirmières et de médecins, et à qui tout à coup, on propose l'intervention de la fonction palliative. Il se demande de quoi il s'agit et pourquoi on la lui propose. Les personnes importantes pour lui sont les personnes de première ligne. Il est donc essentiel que ces personnes puissent fonctionner de façon optimale.

Mme Myriam Vanlerberghe. ­ Ma question est claire et concrète. Lorsque le patient sait que les soins palliatifs ne donnent plus une qualité suffisante à la vie et qu'il ou elle souhaite simplement mourir, est-ce que vous accédez à cette demande ? Vous admettez que, dans certains cas, les soins palliatifs n'apportent pas une aide suffisante. Si vous accédez à la demande, il faut bien légiférer car sinon, l'intervention est illégale. Si donc le patient lui-même ne souhaite plus être aidé et ce, en dépit de toutes les bonnes intentions, est-ce que vous accédez à la demande d'euthanasie ? Dans l'affirmative, je pars du principe que vous ne souhaitez pas travailler dans l'illégalité.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ J'entends bien. S'il y a une qualité de vie insuffisante, je n'ai pas d'exemple particulier si ce n'est le sommeil induit qui a été pratiqué certaines fois, si cela convenait au patient ou alors l'orientation vers d'autres institutions.

Mme Myriam Vanlerberghe. ­ Ma question porte précisément sur la sédation. S'agit-il d'euthanasie ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Je pense que la différence est dans l'intention. Il faut respecter le patient.

M. Alain Zenner. ­ La conclusion que je crois devoir tirer de vos propos est que vous n'avez jamais vécu une demande d'euthanasie que vous avez décodée, éventuellement avec un médecin, comme étant une vraie demande. En effet, de votre réponse je déduis que vous n'avez pas d'expérience de la chose. Donc, dans votre expérience, face à certaines demandes d'euthanasie, vous n'avez jamais décodé une de ces demandes comme étant une vraie demande d'euthanasie.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Dans les accompagnements au domicile, c'est souvent le médecin qui décide. La vie d'équipe n'est pas la même et donc, je n'y ai pas nécessairement participé.

M. Alain Zenner. ­ Je comprends que ce soit le médecin qui décide. Que ce soit à domicile ou à l'hôpital, avez-vous vécu, fût-ce une fois dans votre vie, une demande adressée à vous-même ou à un médecin, que vous avez estimée être une vraie demande et par conséquent, devoir être entendue puisque vous nous dites qu'il faut écouter les demandes ? Et quand ce cas se présente ­ et c'est cela la question tout à fait pertinente et essentielle de ma collègue ­ que faites-vous ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Le sommeil induit a été proposé au patient, à trois ou quatre reprises maximum et il a préféré cette solution-là à celle du transfert vers une autre structure.

M. Alain Zenner. ­ Pourquoi aurait-il dû aller dans une autre structure, Madame ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Il y a d'autres structures où le médecin dit clairement que son éthique à lui ne l'empêche pas de pratiquer l'euthanasie.

M. Alain Zenner. ­ Ce qui signifie que chez vous, le médecin déclare que son éthique l'empêche de le faire. Peut-être mon émotion donne-t-elle une certaine vivacité à ma parole. Ne l'interprétez pas mal mais j'essaie simplement de comprendre ce qui se passe. J'entends que vous nous dites, d'une part, que le malade est la première valeur, qu'aucune éthique ne le dépasse et que sa demande doit être prise en compte. Vous avez fait une intervention de deux heures et demie sur ce thème-là. Et, d'autre part, quand on vous interroge au sujet de votre vécu face à une vraie demande éventuelle ­ ne pensez pas que j'exprime ici quelque condamnation ou réserve, je le dis avec le plus grand respect car j'ai trouvé votre intervention très belle dans l'ensemble ­ vous nous dites qu'il faut décoder. Et quand je vous demande si l'interprétation n'est pas fonction des conceptions et pourquoi il y a deux équipes ­ sans doute en fonction des conceptions ­ vous nous répondez ne jamais avoir décodé de vraie demande et puis vous reculez quelque peu en disant qu'il y a de vraies demandes, et vous évoquez le transfert vers une autre unité. Cela signifie qu'on refuse ces demandes et que l'homme n'est plus, à ce moment-là, la première valeur. C'est le paradoxe sur lequel se termine cette audition.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Dans la Charte des soins palliatifs, il était prévu de ne rien faire ni pour hâter ni pour retarder la mort. Donc, il était selon moi, toujours important pour les personnes de différencier les soins palliatifs de l'euthanasie. Je ne dis pas qu'il faille les opposer ou les présenter comme complémentaires, mais il faut être clair à l'égard de la population.

Forcément, dans les accompagnements auxquels j'ai participé ou dont j'ai entendu parler, il y a eu trois ou quatre cas de sommeil induit parce que c'était la solution choisie par le patient. Il avait été proposé au patient de recevoir éventuellement sa demande et que quelqu'un puisse pratiquer l'euthanasie mais, dans ce cas, il devait faire appel à d'autres soignants et il n'a pas souhaité le faire. Il a donc accepté le sommeil induit. Et dans chaque situation, après deux ou trois jours de sommeil induit, le patient a dit lui-même que ce sommeil l'avait aidé.

M. Alain Zenner. ­ Vous savez que, personnellement, je défends une solution très élargie et je voudrais vous demander ce que vous feriez si vous aviez à décoder ma demande. Si j'en arrive à la conclusion que je veux que l'on accède à ma demande, que pour moi c'est la seule solution et que vous êtes donc confrontée à quelqu'un qui de manière itérative, répétée, consciente, voulue, en connaissance de cause, vous sollicite et que vous considérez donc que la demande doit être décodée comme une vraie demande dépassant toute valeur éthique, comme vous l'avez dit, dois-je conclure de vos propos que, dans votre institution, la réponse serait négative ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ Oui. Ce n'est évidemment pas l'infirmière qui va décider.

M. Alain Zenner. ­ C'est votre droit, je n'émets aucune critique mais il faut que les choses soient claires entre nous.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ J'ai envie de dire que si les choses étaient si claires que cela, un débat ne serait pas nécessaire. Or, ce n'est jamais aussi clair, précisément. Les personnes sont toujours dans l'ambivalence entre désir et demande de mourir, peur et désir ... il y a toujours ambivalence.

M. Alain Zenner. ­ Alors, on ne peut jamais décoder. On reste dans l'ambivalence.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ On reste dans l'incertitude. Nous ne détenons pas non plus la vérité.

M. le président. ­ Non, mais votre interprétation de l'incertitude va dans un certain sens. D'autres pourraient la considérer dans un autre sens. Et je crois que nous sommes ici au coeur du débat.

M. Alain Zenner. ­ Je ne conteste pas votre droit de refuser. La proposition n'impose à personne de pratiquer l'euthanasie.

M. le président. ­ Il reste la question essentielle de Mme Vanlerberghe. Si, au bout du compte, vous acceptez que quelqu'un soit transféré, la personne va être euthanasiée pour respecter sa liberté. Dans ce cas, faut-il ou non légiférer ?

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ J'ai témoigné en tant qu'infirmière. Ce travail de terrain demande déjà beaucoup d'énergie.

M. Alain Zenner. ­ Nous avons très bien compris la difficulté de votre position.

Mme Bernadette Cambron-Diez. ­ J'en viens aux dernières questions. Quelle aide peut être apportée à un patient dont la famille demande l'euthanasie ? Dans quelle mesure cela peut-il être un fardeau ? La demande d'euthanasie du patient peut être confirmée ou niée par le regard de la famille. Je pense que la seule aide possible est d'accorder autant d'attention à chacun, que ce soit au patient, à la famille ou aux soignants. En effet, c'est de toute cette ambiance et de tout ce contexte que pourra naître une possibilité pour le patient de se situer de façon très claire. Plus il y a de conflits, moins le patient peut lâcher prise. Même la douleur, la violence, le conflit empêchent parfois de lâcher prise. Il faut donc un encadrement paisible et non menaçant. Autour d'un patient, tout le monde souffre, que ce soit la famille ou les soignants. Il faut donc accorder à chacun la même attention. Je ne vois pas d'autre possibilité pour aider le patient. Je dis souvent aux familles que cela ne fera pas de mal au patient si elles expriment leurs émotions. La famille ne doit pas seulement être forte en face de lui. Le patient souffre. Si la famille exprime sa souffrance à ses côtés, cela constitue une sorte de solidarité qui peut lui être bénéfique, pour autant que cette approche convienne à l'histoire familiale. Il ne s'agit pas d'un conseil mais d'une piste d'aide possible.

M. Josy Dubié. ­ Merci, Madame Cambron. Nous avons tous apprécié la qualité de votre témoignage. Beaucoup d'infirmières sont présentes ici. Je voudrais, au nom des sénateurs, les remercier de l'important travail qu'elles font. C'est un travail fondamental dont nous sommes tous conscients de la valeur.


(1) Voir également doc. Sénat, nº 2-244/24.