1-1242/4

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1998-1999

25 MARS 1999


Projet de loi relative au transport de choses par route


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR M. COENE


Le présent projet de loi a été évoqué par le Sénat le 27 janvier 1999. Le délai d'examen, qui est venu à expiration le 8 mars 1999, a été prolongé jusqu'au 2 avril 1999 par la commission parlementaire de concertation.

La commission des Finances et des Affaires économiques a consacré trois réunions à la discussion du présent projet de loi, à savoir les 9 février, 16 et 25 mars 1999.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DES TRANSPORTS

Le secteur du transport routier de marchandises est régi, à l'heure actuelle, par la loi du 1er août 1960.

Depuis une vingtaine d'années, la situation du secteur a profondément évolué, notamment en raison de l'instauration du marché unique européen.

Pour faire face à toutes les nouvelles conditions qui prévalent aujourd'hui, le ministre présente un projet de loi tel qu'il a été adopté en séance plénière par la Chambre des représentants. Son objectif est triple :

1. Il consacre la libéralisation de l'accès au marché résultant du droit communautaire.

2. Il renforce et améliore les conditions d'accès à la profession de transporteur routier.

3. Il introduit la notion de co-responsabilité possible de différents intervenants dans la chaîne de transport.

En ce qui concerne la libéralisation de l'accès au marché, la réalisation du marché unique a impliqué la suppression progressive des restrictions quantitatives et des contingents. Cette libéralisation est totale depuis le 1er juillet 1998 avec la généralisation du cabotage routier intra-communautaire (transport entre deux points situés dans un même pays, réalisé par un transporteur d'un autre pays).

Il est logique de prévoir que la disparition des restrictions quantitatives doive s'accompagner de conditions d'accès à la profession plus strictes. Ces conditions sont au nombre de trois : honorabilité, capacité professionnelle et capacité financière.

Des dispositions qualitatives sont ainsi proposées afin de garantir au maximum la loyauté de la concurrence entre les transporteurs routiers ainsi que la bonne santé économique et financière du secteur. Elles doivent également contribuer à améliorer la sécurité routière.

En ce qui concerne la co-responsabilité, il est prévu que les donneurs d'ordre, les chargeurs ou les auxiliaires de transport pourront être punis au même titre que les auteurs directs de contraventions et délits commis par l'entreprise de transport dans des cas bien précis comme la surcharge ou le non-respect des temps de conduite et de repos.

Cette co-responsabilité ne pourra s'établir de façon automatique : il appartiendra toujours au pouvoir judiciaire de démontrer que les donneurs d'ordre, les chargeurs ou les auxiliaires de transport ont donné des instructions ou posé des actes qui mènent immanquablement à commettre une faute. Les droits de la défense seront, dès lors, toujours préservés.

Enfin, plus accessoirement, le projet de loi permettra :

­ de simplifier et d'accélérer le processus de délivrance des licences;

­ d'organiser un contrôle plus optimal et plus permanent des entreprises;

­ de confirmer la mise en place d'organes consultatifs et de concertation avec le secteur.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

Un membre se réfère à la libéralisation de l'accès au marché résultant du droit communautaire et demande si les derniers obstacles à cette libéralisation qui subsistaient encore (par exemple sous forme de tarifs) ont complètement disparu.

Le ministre confirme qu'il ne reste plus rien des restrictions.

Une deuxième question du même membre porte sur la formation professionnelle des transporteurs. Il est évident que la formation doit porter sur l'aptitude physique et technique à la conduite, mais une formation en matière de gestion et une connaissance élémentaire de la comptabilité sont également nécessaires. En effet, trop souvent les transporteurs, surtout les indépendants, considèrent que toutes les recettes sont du bénéfice et peuvent être dépensées et ils ne prévoient rien pour payer leurs impôts, ni pour l'amortissement de leurs camions, avec comme conséquence beaucoup de faillites dans le secteur. Quel programme de formation existe-t-il actuellement ?

Le ministre confirme que la formation en matière de gestion est nécessaire dans le secteur du transport, tout comme pour d'autres secteurs. La capacité professionnelle est réglée dans le chapitre III du projet de loi.

L'article 10 prévoit que si l'entreprise est une personne physique, elle satisfait à la condition de capacité professionnelle lorsque, soit cette personne physique, soit une autre personne désignée par elle et qui dirige effectivement et en permanence les activités visées à l'article 3, 1º et 2º, est titulaire d'un certificat ou d'une attestation de capacité professionnelle.

Pour être considérée comme dirigeant effectivement et en permanence l'activité de transport d'une entreprise, la personne qui met en oeuvre son certificat ou son attestation de capacité professionnelle dans cette entreprise doit intervenir fréquemment dans un certain nombre d'activités déterminées. Il faut qu'elle la dirige réellement.

Le certificat de capacité professionnelle est délivré par le ministre ou par son délégué, conformément aux prescriptions fixées par le Roi, à toute personne physique qui a d'abord suivi les cours organisés par le ministre ou par les organismes que le Roi agrée à cette fin, et a ensuite réussi les examens organisés par un jury d'examen que le ministre constitue.

L'attestation de capacité professionnelle visée à l'article 10 est le document qui, délivré par l'autorité ou l'instance désignée à cet effet par chaque autre État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, prouve qu'une personne physique possède la compétence requise par l'État membre concerné.

À la demande d'un membre de savoir si des examens analogues sont organisés dans chaque pays de l'Union européenne, le ministre répond affirmativement.

Un intervenant suivant estime que les amendes de 50 000 francs à 150 000 francs, prévues par l'article 37, sont élevées.

Le ministre fait observer que les chiffres cités sont repris du rapport de la Chambre. Pendant la discussion, le ministre s'est référé à un projet d'arrêté royal, approuvé par le Conseil des ministres le 5 février dernier et actuellement présenté au Conseil d'État, qui prévoit de moduler les amendes en fonction de la gravité de l'infraction et qui reprend les chiffres cités.

Une amende de 50 000 francs est prévue pour des fraudes tout à fait volontaires. D'autres amendes, nettement inférieures à 10 000 francs, sont aussi prévues, notamment en cas d'infractions plus légères afin de pouvoir adapter les amendes aux réalités que rencontre un conducteur de poids lourd sur les routes. Un exemple : un transporteur ayant un excès de temps de conduite d'un quart d'heure ou d'une demi-heure, est actuellement frappé d'une amende de 10 000 francs, tout comme le conducteur qui a 15 ou 16 heures d'excès de temps de conduite. Celui qui va payer plus que les 10 000 francs actuellement prévus, sera un conducteur qui a dépassé son temps de conduite de plus de 2 heures. Le gouvernement estime que dans ce cas l'on peut difficilement parler de circonstances fortuites.

Selon un autre commissaire, le projet de loi à l'examen poursuit quatre objectifs, à savoir :

­ améliorer la structure de la réglementation;

­ l'adapter aux dispositions réglementaires de l'Union européenne en vue de libéraliser l'accès au marché;

­ simplifier le système des licences de transport;

­ sanctionner les coacteurs intervenant dans le transport, lorsque certaines infractions sont commises.

L'intervenant peut souscrire pleinement aux trois premiers objectifs, mais formule certaines remarques sur le quatrième point.

L'instauration de la notion de coresponsabilité poursuit en fait un double objectif : d'une part, inciter les coacteurs à vérifier la qualité de transporteur en les dissuadant de faire usage des services d'un transporteur qui ne remplit pas toutes les conditions légales et, d'autre part, réduire la pression exercée sur le transporteur par certains coacteurs forts de leur position dominante sur le marché. Chacun reconnaît que ces situations existent dans la pratique et chacun reconnaît également la nécessité de pouvoir imposer des sanctions en pareil cas, afin de mettre un terme au sentiment d'impunité qu'éprouvent les coacteurs.

L'intervenant peut souscrire à la philosophie du projet de loi et rappelle à cet égard les principales infractions constatées dans le cadre du transport de marchandises par route pour compte de tiers : 41 % des infractions ont trait à la falsification des disques du tachygraphe et au non-respect des temps de roulage et de repos, 15 % des infractions sont liées au fait que les intéressés ne sont pas en possession de licences valables et 5 % sont liées à des surcharges. Les infractions restantes sont imputables à d'autres causes.

L'article 37 du projet de loi n'est pas un cas unique. L'arrêté royal du 3 mars 1966 fixant un contrat-type pour le transport rémunéré de certains produits et matières en vrac par véhicules à benne dispose déjà expressément qu'est puni comme auteur ou complice le commettant, l'intermédiaire ou toute autre personne qui participe à la commission de l'infraction dans les conditions prévues par les articles 66 et 67 du Code pénal.

L'arrêté royal du 12 novembre 1998 relatif au transport des marchandises dangereuses par route, à l'exception des matières explosives et radioactives, dispose également que des tiers peuvent être punis comme coresponsables, complices ou auteurs pour la commission d'actes par lesquels ils enfreignent les dispositions légales.

De plus, cet article de loi n'est pas non plus une première au niveau international. C'est ainsi que le concept de la coresponsabilité a été instauré en France en 1992 par un décret visant à établir la co-responsabilité de l'expéditeur, du commissionnaire, du chargeur, du destinataire et même du mandataire.

Le texte de l'article 37, § 1er , 1º et 2º, du projet de loi fait une nette distinction entre, d'une part, les infractions pour lesquelles il est d'office dressé procès-verbal à l'encontre des coacteurs et, d'autre part, celles qui peuvent donner lieu à un procès-verbal si les données transmises au ministère public sont passibles de poursuites.

Le commissaire ne peut marquer son accord sur l'insertion du mot « sciemment » (doc. Chambre nº 1743/4) dans cet article. Cette insertion rend en fait cette distinction superflue et apporte un éclairage assez particulier sur l'application des règles.

Comment peut-on prouver dans la pratique qu'un donneur d'ordre, un chargeur, un commissionnaire de transport ou un commissionnaire-expéditeur a sciemment omis de s'assurer que la licence de transport requise a été délivrée pour le véhicule utilisé et que la lettre de voiture requise a été établie ?

L'intervenant a le sentiment que le gouvernement donne ainsi l'impression d'avoir certes introduit la notion de « coresponsabilité », mais cette insertion hypothèque toute coresponsabilité dans le secteur. Est-ce là l'objectif poursuivi ? L'intervenant considère que tel n'est pas le but poursuivi et que le projet de loi entend bel et bien instaurer la coresponsabilité. Étant donné qu'il appert de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'une omission ou une imprudence ne peuvent jamais donner lieu à une participation coupable, le mot « sciemment » est superflu et dénué de sens.

Le terme « coresponsabilité » n'a guère de sens en droit pénal. C'est ainsi que la commission Legros, qui avait été chargée de réviser le Code pénal, a préconisé dans son rapport de supprimer les articles 66 et 67 du Code pénal relatifs à la participation coupable. L'intervenant propose dès lors d'insérer des dispositions pénales applicables aux coacteurs du transport, parallèlement à celles applicables au transporteur. Cela correspond par ailleurs aux dispositions du chapitre Ier de l'accord relatif aux mesures d'accompagnement en faveur des transporteurs routiers belges dans le cadre de la transposition en droit belge de la directive 93/89 instaurant notamment l'eurovignette pour les véhicules destinés au transport de marchandises. Cet accord, qui a été cosigné par le vice-premier ministre et ministre de l'économie, prévoit que sera élaboré un cadre réglementaire et légal approprié, notamment pour ce qui est de l'honorabilité, de la solvabilité et de la capacité professionnelle des transporteurs routiers, ainsi que de la responsabilité des tiers qui sont parties à des associations de transport.

Le ministre explique que l'article 37 a fait l'objet de beaucoup de discussions.

L'objectif poursuivi par le gouvernement est incontestablement d'introduire la notion de coresponsabilité des différents intervenants dans la chaîne de transport. Cette coresponsabilité peut être prouvée par toute voie de droit.

Un membre cite le cas concret de l'exploitant d'une flotte de camions. Afin de prouver qu'il a sciemment donné des instructions consistant à travailler 16 heures consécutivement, il faudra qu'il ait donné ses instructions par écrit. Faute d'un écrit, il pourra toujours dire qu'il a agi inconsciemment et sans engager sa responsabilité.

Selon un autre membre, il est difficile d'apporter la preuve que quelqu'un a omis de faire quelque chose sciemment (article 37, § 1er , 1º). Il est sans doute plus facile de prouver une infraction à la disposition énoncée à l'article 37, § 1er , 2º.

Le membre admet que dans le cas cité, la preuve peut encore être donnée par le témoignage de quelqu'un qui a assisté à la façon dont les instructions ont été données.

La négligence consciente est en effet plus difficile à prouver.

Le ministre explique que les contraventions et délits visés à l'article 37, § 1er , 2º seront constatés par un agent qualifié qui trouve sur la route un chauffeur qui est, par exemple, en excès de temps de conduite. Par définition, le chauffeur est verbalisé. Il est responsable et coupable, selon les modalités de l'arrêté de 1989. Ensuite, ce chauffeur explique que son patron ­ ou son donneur d'ordre dans le cas d'un indépendant ­ lui a imposé un transport Arlon-Zeebruges en 3 heures, ce qui n'est manifestement pas possible. À la demande du chauffeur ou d'initiative, l'agent qualifié établit un procès-verbal ou, si possible, il rassemble soit des témoignages, soit des pièces et l'ensemble est transmis au parquet afin que le dossier suive son cours à la discrétion du parquet et du pouvoir judiciaire. L'administration n'est plus au courant de la suite de l'affaire.

Sans doute, la preuve est-elle souvent difficile à apporter. Peut-on vraiment concevoir que des chargeurs, des donneurs d'ordre ou des intermédiaires de transport, vont sciemment donner des ordres par écrit qui visent à transgresser la loi ? En réalité, cela se passe autrement. Les présomptions feront pencher le juge quant à la coresponsabilité à appliquer.

Le cas visé à l'article 37, § 1er , 1º est à la fois plus simple et plus complexe. La Chambre a adopté l'ajout de l'adverbe « sciemment » en toute connaissance de cause. Il est effectivement vrai que certains chargeurs ou donneurs d'ordres ont l'habitude de travailler avec certains transporteurs. Si l'administration constate que le même chargeur travaille régulièrement avec un transporteur qui n'en est pas un (qui n'a pas reçu de licence), le terme « sciemment » prend toute sa valeur. Il existe en effet plusieurs moyens d'apporter la preuve que le transporteur n'a pas de licence, surtout par les techniques modernes du faux et autres voies.

Actuellement, l'administration se sent quelque peu démunie, ainsi sans doute, que le pouvoir judiciaire. En effet, l'administration constate qu'il est rarement donné suite aux procès-verbaux établis par les agents qualifiés, dont question à l'article 25 du projet de loi.

Le ministre est bien conscient que la meilleure preuve est une preuve écrite ou bien il faut une conjonction d'autres éléments, des présomptions, pour que le juge puisse juger en âme et conscience.

Le préopinant estime que cette déclaration confirme ses soupçons et que le projet de loi n'instaurera aucunement la coresponsabilité. La pression exercée sur les transporteurs ne diminuera donc pas, étant donné que l'insertion du mot « sciemment » rend en définitive impossible d'apporter les preuves nécessaires.

Un autre membre demande si la disposition d'un contrat par laquelle un donner d'ordre stipule que le transporteur doit être en possession de toutes les licences suffit pour neutraliser les effets du mot « sciemment ». Ce type de clause est en effet de pratique courante.

Cette clause exonère alors automatiquement celui qui l'a prévue de toute sa responsabilité.

Le ministre estime que tout dépend des termes du contrat. Si certains donneurs d'ordre établissent quasi des contrats type qui sont des contrats léonins et comprennent des clauses potestatives, la responsabilité est discutable en droit devant un juge. Il est évident qu'un donneur d'ordre important a des conseils juridiques et établira des contrats de transport de telle sorte qu'il soit exonéré à priori de tout. Vu l'article 37, il ne suffit plus de reprendre dans le contrat que le transporteur doit être titulaire d'une licence, le donneur d'ordre doit s'en assurer. Il y a là une valeur ajoutée très évidente.

Un membre souligne que les dispositions pénales sont toujours interprétées de façon très restrictive et dans l'intérêt de l'inculpé qui sera présumé innocent sauf si on parvient clairement à démontrer qu'il est coupable.

Un autre intervenant désirerait avoir des précisions sur l'article 26 qui autorise les fonctionnaires à contrôler et à examiner tant les véhicules que les locaux destinés aux activités professionnelles, sans devoir être porteur d'un mandat délivré par un juge. Cet article ne viole-t-il pas la législation actuelle ?

Selon un commaissaire, ce type de disposition n'a rien de nouveau.

Le ministre explique que l'article 26 vise des agents munis d'un mandat de police judiciaire et qui ont accès uniquement aux locaux professionnels. Les locaux affectés à l'habitation sont exclus de l'application de cette disposition.

III. DISCUSSION DES AMENDEMENTS

M. Coene dépose l'amendement nº 1 :

« Remplacer cet article par ce qui suit :

« Art. 37. ­ § 1. Le donneur d'ordre, le chargeur, le commissionnaire de transport ou le commissionnaire-expéditeur sont punis, conformément aux dispositions pénales reprises à l'article 35, §§ 1, 2 et 3, lorsqu'ils ont omis de s'assurer, préalablement à l'exécution d'un transport de choses soumis à la présente loi et à ses arrêtés d'exécution, que :

a) la licence de transport requise a été délivrée pour le véhicule automobile utilisé;

b) la lettre de voiture requise a été établie.

§ 2. Le donneur d'ordre, le chargeur, le commissionnaire de transport ou le commissionnaire-expéditeur sont punis, conformément aux dispositions pénales reprises à l'article 35, §§ 1, 2 et 3, lorsqu'ils ont donné des instructions ou posé des actes dont ils ne pouvaient ignorer que les infractions énumérées ci-après en résulteraient :

a) dépassement des masses et dimensions maximales autorisées des véhicules;

b) non-respect des prescriptions relatives à la sécurité du chargement des véhicules;

c) non-respect des prescriptions relatives aux temps de conduite et de repos des conducteurs de véhicules;

d) dépassement de la vitesse maximale autorisée des véhicules.

§ 3. Sera puni au même titre que le transporteur si celui-ci est une personne physique ­ ou, si l'entreprise n'est pas une personne physique, au même titre que la personne physique à laquelle les infractions commises par cette entreprise doivent être imputées ­ le titulaire du certificat ou de l'attestation de capacité professionnelle qui n'aura pas dirigé effectivement et en permanence les activités de l'entreprise visées à l'article 3, 1º et 2º, conformément aux dispositions de l'article 10. »

Justification

L'ajout du mot « sciemment » implique que la participation est exclue en cas de négligence ou d'imprudence.

Étant donné la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il ressort d'ores et déjà qu'il ne peut être question de participation punissable qu'en cas de dol général, le terme « sciemment » est superflu et inutile.

Compte tenu de cette jurisprudence, ainsi que de l'esprit de l'article visant à ne plus donner aux tiers un sentiment d'impunité, il est indiqué de renoncer au concept de coresponsabilité et d'instaurer, outre les dispositions pénales dans le chef du transporteur, des dispositions pénales dans le chef des coacteurs au transport.

Premièrement parce que le mot « coresponsabilité » ne signifie rien en droit pénal, le besoin d'une « traduction juridique » a naturellement donné « participation ».

Il n'est cependant absolument pas nécessaire d'utiliser le concept « participation » pour instaurer la responsabilité pénale des « coauteurs » dans le transport, d'autant plus que contrairement à ce que sous-entend la « coresponsabilité », la participation n'aboutit pas à un partage de la responsabilité.

Un second argument important pour abandonner toute référence à la participation, sont les recommandations formulées dans le rapport de la Commission Legros pour la révision du Code pénal visant à supprimer les articles 66 et 67 du Code pénal relatifs à la participation.

Compte tenu des recommandations de la Commission Legros, il y a lieu de faire une distinction entre des infractions pour lesquelles le transporteur peut être tenu pour responsable et des infractions pour lesquelles le donneur d'ordre, le chargeur, etc. peuvent être tenus pour responsables.

Dans les nouvelles dispositions pénales à charge des coacteurs, il est indispensable de conserver la différence initiale entre les infractions menant d'office à la rédaction d'un procès-verbal et les infractions qui peuvent mener à la rédaction d'un procès-verbal si sont fournies au ministère public des données permettant d'entamer des poursuites judiciaires.

Il est raisonnable de faire cette distinction étant donné que le fait de s'assurer de la délivrance des autorisations de transport exigées et de la rédaction de la lettre de voiture requise doit être considéré comme une condition sine qua non d'un commerce honnête.

Du fait des modifications susmentionnées, le paragraphe 2 relatif à la capacité professionnelle devient le paragraphe 3.

Le contenu de ce paragraphe n'a pas été modifié, sauf la traduction des mots « effectivement et en permanence » dans le texte néerlandais, et ce par analogie avec le texte français.

M. Coene dépose l'amendement nº 2 qui est un sous-amendement à l'amendement nº 1.

Cet amendement a pour objet de :

« Dans le texte proposé, remplacer les mots « l'article 35, §§ 1er , 2, et 3 » par les mots « l'article 35, §§ 1er et 2. »

Justification

Dans le texte qui a été examiné initialement par la Chambre, l'article 35, § 3, portait sur les peines en cas de récidive. Or, dans le texte qui a été transmis au Sénat, ces dispositions pénales figurent à l'article 35, § 2, le § 3 portant sur la confiscation ou l'immobilisation temporaire d'un véhicule.

Il est par conséquent superflu que l'article 37 renvoie à l'article 35, § 3.

L'auteur explique que le présent amendement ne tend qu'à apporter une correction technique à l'amendement nº 1.

L'intervenant souligne l'importance du premier amendement qui poursuit en fait un double objectif : d'une part, supprimer le mot « sciemment » de manière à ne pas exclure la participation coupable en cas d'imprudence ou de négligence et, d'autre part, faire une distinction claire entre les infractions pour lequelles seul le transporteur peut-être tenu pénalement pour responsable et les infractions pour lesquelles le donneur d'ordre, le chargeur, etc. peuvent voir leur responsabilité pénale engagée.

Le ministre répond que l'article 37 traite des punitions susceptibles de frapper les chargeurs lorsqu'ils se rendent complices ou lorsqu'ils participent sciemment à des infractions, ceci dans deux cas bien précis :

­ soit, en premier lieu, lorsqu'ils omettent de s'assurer de l'existence de la licence de transport ou de la lettre de voiture;

­ soit, en second lieu, lorsqu'ils donnent des instructions qui ont pour effet de provoquer, de façon quasi certaine, des infractions qui mettent, notamment, en péril la sécurité des circulations routières. Le ministre veut parler de comportements qui ne respectent pas la sécurité du chargement, qui conduisent à des dépassements des masses maximales (surcharges); qui impliquent des non-respects des temps de conduite et de repos ou qui obligent à des dépassements de la vitesse maximale.

La disposition adoptée par la Chambre des représentants instaure un système de complicité ou de participation du chargeur, conformément à l'esprit et à la lettre du Code pénal.

Il en résulte que la simple négligence ou la simple imprudence ne sont pas concernées par une telle disposition, ce que confirme la jurisprudence permanente de la Cour de cassation. C'est en conséquence d'une telle analyse que la Chambre des représentants a introduit le terme « sciemment » dans l'article 37.

Pour autant, l'on ne peut absolument pas conclure que le principe initial de complicité ou de participation soit réduit à néant ou complètement ébranlé puisque les actes commis en pleine connaissance de cause restent punissables.

L'amendement nº 1, ainsi sous-amendé par l'amendement nº 2, visant le remplacement de l'article 37 du projet de loi, a pour effet de substituer au principe de complicité ou de participation un principe de double responsabilité, l'objectif avoué, que le ministre partage, étant d'assurer un « commerce honnête » et une loyauté dans le domaine de la concurrence.

Nonobstant cette communauté de vue, le ministre estime indispensable d'analyser les conséquences d'un tel amendement et d'en mesurer la portée juridique et économique.

La motivation à la base de l'amendement repose sur des arguments juridiques de deux ordres :

­ la punition d'actions volontaires dans le chef du chargeur est et reste possible malgré l'ajout du terme « sciemment »; selon le ministre, ce sont d'ailleurs les actes posés en pleine connaissance de cause qui doivent être réprimés de façon prioritaire;

­ la référence faite aux travaux et aux conclusions de la commission Legros, qui avaient préconisé la suppression des articles 66 et 67 du Code pénal concernant le principe de participation ou de complicité, ne peut être mise en cause; toutefois, le législateur a eu l'opportunité de se prononcer sur ce sujet lorsqu'il a revu le Code pénal sur base des travaux ­ beaucoup plus récents ceux-là ­ de la commission Franchimont : force est de constater que le législateur n'a pas saisi cette opportunité.

Le ministre conclut, que les arguments juridiques avancés par l'auteur de l'amendement, ne revêtent pas une solidité à toute épreuve.

Sur un plan plus général et plus économique, l'amendement appelle les observations suivantes.

Premièrement, en cas d'absence de la licence de transport ou de la lettre de voiture ­ ce qui constitue une faute grave et quasi volontaire dans le chef du transporteur ­, l'on serait amené à devoir constater que le chargeur ­ dont la bonne foi ne pourrait être systématiquement mise en cause ­ serait puni au même titre, voire plus gravement, que le fautif initial.

Deuxièmement, il convient de ne pas perdre de vue que le chargeur n'a pas toujours l'occasion de se soumettre aux obligations précises qui lui seraient imparties par la formulation de l'amendement, ceci vu le très grand nombre de contrats de transport conclus chaque jour et vu les pratiques d'un commerce se réalisant dans un contexte très concurrentiel : le recours au téléphone, au fax et à d'autres moyens de communication est très normalement et très régulièrement utilisé. Autrement dit, l'on pourrait devoir observer certaines entraves à la bonne marche des activités économiques et industrielles.

Troisièmement, des réactions des chargeurs (au sens très large du terme : FEB, organisateurs et intermédiaires de transpsorts, responsables de l'activité économique et industrielle : ports, centres industriels, ...) sont quasi certaines :

­ ils s'estimeront injustement pénalisés car, en tout état de cause, la faute initiale ne leur est pas imputable;

­ ils s'estimeront également discriminés parce que seuls les chargeurs belges pourront réellement et pratiquement être poursuivis; les moyens de droit actuels sont, dans les faits, quasi sans effet sur les ressortissants d'autres pays.

Dès lors, l'on ne peut minimaliser les risques de délocalisation d'entreprises ou de changements dans le flux de trafic, ce qui serait défavorable aux intérêts belges.

Quatrièmement, le ministre souligne que bien souvent, à son initiative, le gouvernement a pris différentes mesures qui doivent conduire non seulement à augmenter la sécurité de la circulation, mais aussi à améliorer la loyauté de la concurrence.

Bon nombre de ces mesures s'inscrivent dans le plan d'urgence pour la sécurité des poids lourds mis au point dans le courant de l'automne 1997.

a) Le projet de loi adopté par la Chambre des représentants renforce très fermement les critères qualitatifs d'accès à la profession de transporteur routier (honorabilité, capacité financière et compétence professionnelle). Il permet, enfin, d'organiser un contrôle permanent du respect des dispositions édictées.

b) Sur la proposition du ministre, le gouvernement a décidé dans le courant de juillet 1998 d'augmenter substantiellement l'effectif chargé du contrôle spécialisé du transport routier de marchandises. Vingt-cinq unités supplémentaires sont affectées à cette mission, ce qui représente un quasi doublement du staff actuel. La moitié de cet effectif supplémentaire sera opérationnelle dès le début du mois d'avril 1999; l'autre moitié, en formation, le sera immédiatement après les vacances.

c) Enfin, le gouvernement adoptera tout prochainement un nouvel arrêté royal contenant de nouvelles pénalités qui s'appliqueront en cas d'infraction. L'objectif poursuivi consiste à adapter la pénalité en fonction de la gravité de l'infraction. Les cas d'infractions cités dans l'article 37 du projet de loi feront, bien sûr, l'objet de pénalités plus lourdes, vu leur gravité et leurs conséquences pour la sécurité routière et la loyauté de la concurrence.

En conclusion, à ce stade, le ministre ne peut pas accepter l'amendement. Il préconise plutôt de suivre de très près l'évolution de la situation et d'analyser les résultats qui découleront des nouvelles dispositions légales et des autres initiatives prises par le gouvernement. Il est clair que sur base de cet examen, le cas échéant, des mesures correctrices pourront toujours être décidées dans un futur proche.

Un membre s'inquiète du fait que, selon le ministre, cette législation ne s'appliquera qu'aux transporteurs et chargeurs belges. Le ministre ne prévoit donc pas de moyens spécifiques à l'égard d'un transporteur étranger qui provoque des accidents sur les routes belges, à l'exclusion de l'application stricte du Code pénal ?

Le ministre comprend cette inquiétude, mais il souligne que pour des transporteurs étrangers qui fréquentent nos routes, des sanctions immédiates sont prévues. Elles sont identiques à celles frappant les transporteurs belges.

Un autre membre estime que le préopinant a mis le doigt sur le problème. L'insertion du mot « sciemment » fait en sorte que dans la pratique, la coresponsabilité ne pourra pratiquement jamais être établie. La législation ne crée donc pas une concurrence déloyale entre les transporteurs belges et leurs homologues étrangers, car l'action menée par le ministre est en fait purement symbolique.

Un membre admet que c'est un moyen de rendre la législation inopérante à l'égard des chargeurs belges. Comme le ministre ne peut pas sanctionner les chargeurs étrangers, il crée en fait des conditions de concurrence analogues pour les deux catégories en affaiblissant le texte du projet de loi.

Le ministre estime que, sur le plan politique, le présent projet de loi vise plusieurs objectifs. Parmi ces objectifs figure indiscutablement l'assainissement de la profession par l'introduction d'une série de dispositions de nature à améliorer la situation ­ que personne ne conteste par ailleurs. En plus, le projet de loi introduit le concept de le coresponsabilité qui est en principe un bon concept de nature à assainir aussi ce marché difficile où la concurrence est forte.

Toutefois, le ministre est d'avis qu'il faut admettre le concept selon lequel l'on ne reporte pas systématiquement sa propre faute sur le dos des autres. Si le chargeur est impliqué, il faut qu'il ait contribué à la faute. Il ne faut pas qu'automatiquement le chargeur soit considéré comme la cause de tout ce qui se passe.

Après mûre analyse à la Chambre, il apparaît que l'introduction du terme « sciemment » est plus correcte. Si à l'usage ce terme devait poser trop de problèmes ­ ce que le ministre ne croit pas ­ les travaux préparatoires donneront un éclairage au pouvoir judiciaire qui peut statuer en toute indépendance.

Sur la concurrence étrangère, le ministre explique que les transporteurs routiers peuvent faire deux types d'infractions : des infractions perceptibles immédiatement sur la route et des infractions plus indirectes et commises par des tiers par rapport au conducteur sur la route.

Dans le premier cas, tous les transporteurs (belges, européens ou extra-européens) sont mis sur le même pied et le système existant va d'ailleurs être renforcé par la prise d'un arrêté royal qui tiendra mieux compte des réalités sur la route et de la gravité de l'infraction.

Ceci veut dire qu'un transporteur belge qui est pris en infraction pour excès du temps de conduite, de surcharge ou d'autres aspects, se voit proposer soit d'acquitter une perception immédiate qui éteint toute action judiciaire, soit de demander l'établissement d'un procès-verbal qui est transmis au parquet, après quoi le pouvoir judiciaire suit l'affaire. Un transporteur étranger peut également opter en faveur de la perception immédiate fixée au même niveau que pour le transporteur belge, mais s'il n'accepte pas la perception immédiate, il est difficile de lui établir directement un procès-verbal, ce qui implique qu'une somme d'un montant égal à la perception immédiate est retenue en consignation.

Dans le deuxième cas, celui d'un chargeur qui ne s'est pas assuré de la présence de la licence de transport chez le transporteur, si on se situe dans le cadre du projet actuel ou dans le cadre de l'amendement, il est évident que l'agent qualifié pour contrôler a plus ou moins de moyens pour établir un procès-verbal à charge d'un donneur d'ordre. Ensuite, le procès-verbal est transmis au parquet et le pouvoir judiciaire suit l'affaire.

Il est évident que pour un transporteur belge, l'affaire est normalement suivie par le pouvoir judiciaire. Pour un procès-verbal établi à charge d'un chargeur étranger, il est possible que le pays en question n'ait pas tendance à accorder une très grande diligence à la poursuite de cette action signalée par des autorités judiciaires belges.

Cette question se pose de la même façon que l'on respecte l'esprit actuel de l'article 37 ou que l'on prenne en compte l'amendement.

Selon le ministre, l'ajout du terme « sciemment » précise les choses. Même si ce terme n'était pas ajouté dans la loi, les tribunaux devraient considérer l'affaire comme si le terme « sciemment » s'y trouvait, du fait des articles 66 et 67 du Code pénal, ce qui est confirmé par la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Un membre souhaite savoir ce qu'il arrive si le transporteur étranger ne veut pas payer le forfait ou ne dispose pas de l'argent nécessaire pour faire le dépôt de la caution.

Le ministre explique que le projet de loi prévoit que, dans ce cas, le véhicule peut être saisi. Le texte initial a d'ailleurs été amélioré sur ce point, parce que la saisie du véhicule est maintenant possible quel que soit le propriétaire.

Le membre en déduit que les transporteurs ont intérêt à donner une carte de crédit à leurs conducteurs pour leur permettre de retirer l'argent à un guichet automatique, le cas échéant.

Un autre membre n'est toujours pas convaincu par l'argumentation du ministre. En cas de négligence, il sera certainement exclu d'établir la responsabilité de qui que ce soit, même si cette responsabilité résulte d'une négligence coupable. L'intervenant maintient donc son amendement.

IV. VOTES

Le sous-amendement nº 2 est rejeté par 5 voix contre 3.

L'amendement nº 1 est rejeté par la même majorité.

L'ensemble du projet de loi est adopté par 5 voix et 3 abstentions.

Le présent rapport est approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Luc COENE. Paul HATRY.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION


Voir doc. Sénat nº 1-1242/5