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23 NOVEMBRE 1995
La présente proposition tend à solenniser la vente d'immeuble et imposer de la sorte l'intervention du notaire au niveau de l'établissement de ce type de contrat.
En droit belge, la vente d'immeuble est régie par les principes traditionnels du droit des contrats. Elle ne se différencie guère quant à sa validité d'autres types de conventions; elle est consensuelle et, à ce titre, l'article 1583 du Code civil qui réglemente la vente (sans distinguer selon que l'objet est un meuble ou un immeuble) constitue la simple application des articles 1108 et 1138 du même Code. L'écrit n'a d'autre valeur que probatoire et sa transcription procède d'une exigence d'opposabilité.
L'une des caractéristiques de la vente d'immeuble tient dans la pratique du « compromis de vente » que les parties établissent et qui, la plupart du temps, consiste en une vente pure et simple. En effet, comme l'article 1589 du Code le stipule, les promesses de vente faisant état d'un accord réciproque sur la chose et le prix valent vente et opèrent de ce fait transfert de propriété. Ce principe élémentaire du droit de la vente est hélas souvent ignoré. Quoi de plus normal du reste, au vu de la terminologie employée : comment peut-on penser, lorsqu'on signe un « compromis de vente » ou un « engagement d'achat », que l'on vient en réalité d'acheter un immeuble et qu'il s'agit désormais de le payer ?
D'autre part, comme il est rappelé ci-dessus, la vente d'immeuble requiert l'intervention d'un notaire qui établira l'acte authentique de vente, nécessaire à la transcription de celle-ci (article 2 de la loi du 16 décembre 1851). Mais de par le « compromis », la vente est déjà conclue et l'intervention du notaire, nécessaire à l'opposabilité de l'acte, demeure sans incidence sur les relations qui se sont établies entre les parties. Si le notaire, pour rédiger un acte authentique régulier, doit vérifier la capacité des parties, l'absence de vice de consentement ou de lésion, l'origine de propriété, etc., la vente n'en reste pas moins conclue et les informations qu'il donne aux parties concernent des engagements définitivement pris.
Ainsi décrite, la pratique de la vente d'immeuble est loin d'être satisfaisante. Elle provoque quantité de litiges et suscite bon nombre de critiques de la part des milieux concernés.
En effet, nombreux sont les « compromis » (en réalité les « ventes ») que les parties, pour échapper à la concurrence à l'achat, rédigent et signent à la hâte, sans prendre le temps ou sans avoir la prudence de vérifier leurs capacités juridiques et financières respectives, ni la régularité du titre de propriété, la situation hypothécaire ou urbanistique de l'immeuble, l'estimation de sa valeur et de sa contenance, l'existence éventuelle de servitudes, etc.
De plus, la pratique du versement d'un acompte au moment du compromis peut s'avérer d'un grand danger pour l'acquéreur. Inversement, le vendeur ne possède aucune information quant à la solvabilité de son cocontractant.
Enfin, les risques de fraude fiscale sont importants. Il est fréquent de voir les parties dissimuler dans l'acte authentique une partie du prix convenu dans le compromis et se soustraire ainsi partiellement aux droits d'enregistrement.
Aussi est-il proposé de solenniser la vente d'immeuble en imposant aux parties le détour par le notaire, non plus seulement en vue de la transcription de l'acte, mais pour sa validité même.
Les avantages qui peuvent en résulter sont considérables. Le notaire désigné pour rédiger le contrat solennel de vente pourra réunir toutes les informations nécessaires à l'établissement du contrat : l'état civil des parties, le titre de propriété, les obligations fiscales du futur acheteur quant à l'immeuble en cause, la désignation cadastrale du bien et sa situation administrative et hypothécaire, autant d'éléments utiles à l'élaboration d'un contrat de vente régulier.
Solenniser la vente d'immeuble revient en somme à mettre sur pied une procédure plus sûre, plus claire et plus logique que celle que l'on connaît pour l'heure. Plus sûre, car le recours au notaire dans l'établissement du contrat permettra d'éviter bien des causes de litiges. Plus claire aussi, et plus logique, car la solennité met un terme à la pratique ambiguë du compromis et donne à l'intervention notariale sa pleine efficacité.
Cette optique plus formelle de la vente d'immeuble est confortée par l'analyse des législations étrangères. Si, dans la plupart des pays européens, le consensualisme est de principe dans le droit des contrats, le formalisme devient la règle lorsqu'il s'agit de vente immobilière.
En Italie, un écrit est nécessaire pour la validité du contrat de vente (articles 1350 et 1351 du Code civil italien);
Aux Pays-Bas, la vente d'un immeuble fait l'objet de deux conventions, l'une consensuelle, créatrice d'obligations, l'autre solennelle, déclarative de la transmission du droit de propriété, et d'une transcription, qui règle la question de l'opposabilité et assure le transfert effectif de la propriété (articles 633 et 671 du Code civil);
Le système anglais est également formaliste, dès lors qu'il exige la rédaction d'un contrat et la remise d'un titre de transfert de propriété;
Le droit allemand est un des plus rigoureux : deux contrats solennels doivent être rédigés, qui imposeront la présence d'un notaire, voire d'un juge; en outre, la propriété n'est transférée qu'à l'inscription de la vente dans le Grundbuch (articles 873 et 925 du B.G.B.);
Le droit suisse exige quant à lui la forme authentique pour le contrat et la promesse de vente; le transfert de propriété est assuré par l'inscription au Registre foncier (article 216 du Code des obligations et article 656 du Code civil);
Même la Belgique et la France, où la vente d'immeuble est restée consensuelle (un consensualisme que l'histoire justifie mieux que le droit), n'ont pu faire abstraction de tout formalisme, puisqu'on le retrouve au niveau de l'opposabilité de la vente; de plus, en France, la pratique est établie du versement postposé du prix à la date de la transcription de l'acte.
Les inspirations de ces différentes législations se rejoignent. Il s'agit dans la vente d'immeuble d'aider les parties à saisir la gravité de leur décision avant de passer un acte qui, financièrement, est des plus importants. Il y va de la sécurité juridique des parties qui doivent pouvoir exprimer leur volonté en toute connaissance de cause. Cette ratio legis existe déjà en droit belge pour certains contrats (le contrat de mariage, la donation et, dans un formalisme moins rigoureux, la vente mobilière à tempérament). La développer à l'endroit de la vente immobilière est hautement souhaitable, et répondrait à l'attente des praticiens et des particuliers.
Solenniser la vente d'immeuble implique la modification de trois dispositions du Code civil :
1. L'article 1582, alinéa 2, qui stipule que la vente peut être faite par acte authentique ou sous seing privé, devra tenir compte en matière d'immeubles de l'obligation de recourir à un acte authentique.
2. L'article 1583, qui assure la perfection de la vente si l'accord des parties existe sur la chose et le prix, devra prévoir que la vente d'immeuble dépendra en outre pour sa perfection de l'établissement d'un acte authentique.
3. L'article 1589 doit être adapté pour tenir compte des modifications apportées aux articles 1582, alinéa 2, et 1583.
Joëlle MILQUET. |
Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 1582, alinéa 2, du Code civil est remplacé par la disposition suivante :
« Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé, à l'exception de la vente d'immeuble qui ne peut avoir lieu que par acte authentique. »
Art. 3
L'article 1583 du même Code est complété par l'alinéa suivant :
« Toutefois, lorsqu'elle a pour objet un immeuble, elle doit, en outre, être constatée par acte authentique. »
Art. 4
L'article 1589 du même Code est remplacé par la disposition suivante :
« Sans préjudice de l'article 1583, alinéa 2, la promesse de vente vaut vente lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et le prix. »
Joëlle MILQUET. |
(1) La présente proposition de loi a déjà été déposée au Sénat le 19 février 1992, sous le numéro 183-1 (S.E. 1991-1992).