2-1232/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2001-2002

12 JUILLET 2002


Projet de loi concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR M. STEVERLYNCK


I. PROCÉDURE

Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, a été adopté par la Chambre des représentants le 4 juillet 2002 par 143 voix et 4 abstentions. Il a été transmis au Sénat le 5 juillet 2002 et a été évoqué le 10 juillet 2002 par 15 sénateurs.

Le délai d'examen expire le 28 octobre 2002.

La commission de la Justice a discuté de ce projet de loi en présence du ministre de la Justice lors de sa réunion du 12 juillet 2002.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le 21 avril 1993, le Parlement européen adoptait une résolution relative au marché européen de la sous-traitance et à la participation des petites et moyennes entreprises (dénommées ci-après les PME) aux marchés publics, parce qu'il estimait qu'il fallait trouver une solution aux problèmes spécifiques auxquels le marché de la sous-traitance était confronté.

Par suite de cette résolution, la Commission européenne a adopté, le 12 mai 1995, une recommandation concernant les délais de paiement dans les transactions commerciales, parce que les retards de paiement constituent un risque pour l'équilibre financier et les chances de survie des entreprises. En raison de la longueur des délais de paiement, qui ont une grande incidence sur le climat juridique et financier des entreprises, de lourdes charges administratives et financières pesaient sur les entreprises et plus particulièrement sur les PME, qui sont défavorisées à cet égard par rapport aux grandes entreprises.

D'importantes différences ont été constatées à cet égard entre les États membres, différences qui entravaient le bon fonctionnement du marché unique.

Il n'a naturellement pas échappé à la commission qu'en prenant une initiative dans ce domaine, elle toucherait à des matières qui, dans la plupart des États membres, relèvent exclusivement de la liberté contractuelle entre parties, laquelle est liée aux pratiques commerciales et sectorielles, matières qu'elle n'entendait pas aborder. Il a été estimé que, dans une économie de marché libre, les délais de paiement faisaient partie des négociations relatives aux transactions commerciales. Prendre une initiative législative impérative en la matière n'avait, dès lors, rien d'évident.

C'est la raison pour laquelle la commission a mis l'accent, dans cette recommandation, sur la nécessité de favoriser une plus grande transparence des délais à appliquer entre parties contractantes, sur l'encouragement du respect des délais convenus, et sur l'amélioration de l'information et de la formation des entreprises, surtout en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, qui ont moins d'expérience dans le domaine des échanges commerciaux transfrontaliers. Cette tâche a surtout été réservée aux organisations professionnelles.

Dans le but de dissuader les mauvais payeurs et de dédommager entièrement les créanciers des frais de recouvrement encourus par suite du retard de paiement, les États membres ont dû veiller à ce que, s'il n'en a été convenu autrement, les créanciers aient droit, en cas de dépassement du délai normal de paiement, au paiement d'intérêts de retard fixés à un taux légal suffisamment dissuasif calculé sur les montants impayés ainsi qu'à un dédommagement couvrant les frais judiciaires et les frais de recouvrement de nature administrative.

Avant que la commission puisse entamer une évaluation de la recommandation, le Parlement européen a adopté le 4 juillet 1996 une nouvelle résolution, dans laquelle celui-ci a insisté auprès de la Commission pour qu'elle transpose sa recommandation en une proposition de directive.

Une évaluation réalisée en 1997 a en effet révélé que la recommandation n'a rencontré qu'un maigre succès et que la plupart des pays n'ont quasi rien entrepris. Au contraire, des statistiques ont révélé que la moyenne des délais de paiement s'est allongée en 1996. En moyenne, les paiements ont été effectués avec 15 jours de retard, tandis que dans certains pays, la situation s'est particulièrement aggravée. Ainsi en 1996, en ce qui concerne la Belgique, le délai de paiement contractuel moyen était de 41 jours, délai auquel il fallait ajouter en moyenne 20 jours de retard, en sorte que le délai de paiement effectif était de 61 jours, ce qui est déjà supérieur à la moyenne européenne de 54 jours.

Si, d'une part, la commission ne souhaitait pas déroger, dans sa conclusion, au principe de liberté contractuelle entre entreprises, les demandes continuelles des entreprises d'établir des conditions égales pour tous en cas de non-respect des délais de paiement contractuels, ont toutefois finalement incité la commission à formuler elle-même des propositions visant à instaurer des conditions minimales à transposer dans la législation nationale, moyennant toutefois le respect du principe de proportionnalité.

Ainsi, la commission a rédigé une proposition de directive qui, conformément au principe de subsidiarité, n'avait, certes, pas pour objectif de réaliser une harmonisation totale des législations nationales mais de déterminer un certain nombre de conditions minimales tout en essayant d'obtenir des États membres une reconnaissance mutuelle de leurs dispositions internes. Cette proposition a aboutit à la directive du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (2000/35/CE), directive que vise à transposer le projet de loi à l'examen.

En ce qui concerne le contenu du projet de loi, l'attention peut tout d'abord être attirée sur le fait que les dispositions de la directive relative à la réserve de propriété visent « à s'assurer que les créanciers puissent faire usage d'une clause de réserve de propriété sur une base non discriminatoire dans l'ensemble de la Communauté, si la clause de réserve de propriété est valable aux termes des dispositions nationales applicables en vertu du droit international ». L'objectif de cette disposition n'est par conséquent pas d'harmoniser les dispositions nationales en matière de réserve de propriété, mais uniquement d'obliger un État membre à appliquer le droit d'un autre État membre en matière de réserve de propriété lorsque ses propres règles de droit international privé désignent le droit de l'autre État membre comme étant le droit applicable. Afin de satisfaire à cette exigence, ni le droit matériel belge ni le droit international privé belge ne doivent être modifiés. En outre, la réserve de propriété présente surtout un intérêt dans les procédures d'insolvabilité, alors que le gouvernement a opté d'exclure, lors de la transposition de la directive, les créances soumises à une procédure d'insolvabilité.

Il convient ensuite de signaler que le droit judiciaire belge satisfait aux exigences de la directive concernant la durée de la procédure de recouvrement pour des créances non contestées. La directive exige en effet que la procédure de recouvrement pour des dettes non contestées soit menée à bien dans un bref délai conformément à la législation nationale, mais n'exige pas des États membres qu'ils adoptent une procédure spécifique ou qu'ils modifient leurs voies de droit existantes d'une manière spécifique.

De manière générale, la loi s'appliquera à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales. Il y a lieu d'entendre par « transaction commerciale « une transaction entre entreprises ou entre des entreprises et des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices qui conduit à la fourniture de biens ou à la prestation de services contre rémunération.

La loi ne s'appliquera par contre pas aux transactions avec des consommateurs et aux transactions entre pouvoirs publics.

Le champ d'application est également matériellement limité. Le projet de loi s'applique uniquement aux paiements en rémunération de transactions commerciales et, tout comme la directive, n'est dès lors pas applicable aux paiements effectués à titre d'indemnisation de dommages, y compris les indemnisations payées par les compagnies d'assurance. Il ne s'applique donc pas aux autres obligations pécuniaires qui trouvent leur origine dans la transaction commerciale, telles que le paiement d'une indemnité pour vices cachés ou livraison tardive. L'intérêt compensatoire, que le juge peut accorder sur ces indemnités, reste soumis aux principes qui valent actuellement en la matière.

Tout comme la directive, le projet de loi ne s'applique pas non plus aux paiements effectués en vertu de la législation sur les chèques et les lettres de change, car l'obligation de paiement qui en découle est autonome par rapport à la relation juridique sous-jacente.

Enfin, le projet de loi s'applique aux transactions qui conduisent à la fourniture de biens immeubles et la location de biens immeubles, étant donné qu'il s'agit, en ce qui concerne ce dernier point, de la prestation d'un service contre rémunération.

Les règles spéciales en matière de procédures d'insolvabilité et notamment les lois en matière de faillite, concordat judiciaire et règlement collectif de dettes demeurent entièrement applicables. La directive permet aux États membres d'exclure, lors de sa transposition, les créances qui sont soumises à une procédure d'insolvabilité à l'encontre du créancier.

Le projet de loi impose au débiteur un délai légal de paiement de 30 jours. Le point de départ de ce délai dépend des circonstances concrètes, mais dans la plupart des cas, les 30 jours débuteront le lendemain de la date de réception de la facture des marchandises ou des services, la date de réception des biens ou des services, ou la date de l'acceptation ou de la vérification des biens ou des services.

Outre un délai de paiement légal, un taux d'intérêt légal est également fixé, à savoir un intérêt calculé par rapport à un taux directeur variable de la BCE et majoré de sept points de pourcentage. Dans l'hypothèse où ce projet de loi serait déjà d'application, cela signifierait que le taux d'intérêt auquel le créancier aurait droit en vertu de la présente loi pour le premier semestre de 2002 serait égal à 3,45 % majoré de sept points de pourcentage et arrondi au demi-point de pourcentage supérieur, soit 10,5%.

Pour des raisons de transparence, la loi prévoit que le ministre des Finances communiquera dans les meilleurs délais le taux d'intérêt ainsi déterminé, ainsi que toute modification de ce taux, par un avis publié au Moniteur belge.

En outre, le projet de loi déroge sensiblement aux règles générales de l'article 1153 du Code civil. Le projet de loi prévoit notamment un taux d'intérêt considérablement plus élevé et dispose, de plus, que cet intérêt est dû de plein droit et sans mise en demeure à compter du jour suivant l'expiration du délai de paiement convenu ou, à défaut, du délai légal de paiement de trente jours.

Si le débiteur ne paie pas dans le délai de paiement légal ou contractuel, le créancier a droit non seulement à ce nouvel intérêt légal et au remboursement des éventuels frais judiciaires, conformément aux principes actuels du Code judiciaire, mais également à une indemnisation raisonnable de tous les frais de recouvrement pertinents, encourus par suite du retard de paiement, tels que, par exemple, les frais de mises en demeure et les frais administratifs, pour autant qu'ils soient pertinents, qu'ils respectent les principes de transparence et qu'ils soient en rapport avec l'importance de la dette.

Il est également prévu que le Roi fixe le montant maximal du dédommagement raisonnable des frais de recouvrement pour divers niveaux de dette.

Des dérogations contractuelles au délai de paiement ou au taux d'intérêt sont possibles, mais les dérogations qui constituent un abus manifeste à l'égard du créancier doivent être révisées par le juge à la demande du créancier. Pour apprécier ce caractère manifestement abusif, le juge tiendra compte de tous les éléments du cas d'espèce, y compris les bonnes pratiques et usages commerciaux et la nature des produits ou des services. Il examinera en particulier si le débiteur a des raisons objectives de déroger à ces dispositions. Les conditions équitables déterminées par le juge ne peuvent cependant pas accorder au créancier plus de droits que ceux dont il disposerait en vertu de la nouvelle loi.

Le projet de loi prévoit également une action en cessation de l'utilisation de clauses contractuelles. La directive prescrit ce type d'action comme étant un des moyens appropriés et efficaces de mettre fin à l'utilisation de clauses qui sont manifestement abusives à l'égard du créancier.

Enfin, la loi ne s'appliquera qu'aux paiements effectués en exécution des contrats qui sont conclus, renouvelés ou prorogés après son entrée en vigueur. Mais pour éviter que les contrats en cours conclus pour une durée indéterminée ou pour une très longue durée continuent à échapper à l'application de la loi, il est prévu qu'elle s'applique en tout cas aux paiements effectués en exécution de contrats en cours, deux ans après son entrée en vigueur.

III. DISCUSSION

Mme Nyssens constate que l'objet du projet à l'examen est plus restreint que celui de la Directive 2000/35/CE. Pourquoi le gouvernement se limite-t-il à la transposition des principes de la directive relatifs aux délais de paiement alors qu'il omet de transposer les principes relatifs aux procédures de recouvrement pour créances non contestées afin de permettre aux créanciers d'obtenir facilement un titre exécutoire ?

Dans les considérants de la directive, il est prévu que celle-ci s'applique à toutes les transactions commerciales, qu'elles soient effectuées entre des entreprises privées ou publiques ou entre des entreprises et des pouvoirs publics. La directive vise dès lors les transactions commerciales entre des entreprises publiques alors que le champ d'application du projet est limité aux transactions entre entreprises ou entre des entreprises privées et des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices. Le ministre confirme-t-il que le texte du projet ne s'applique pas aux transactions entre plusieurs entreprises publiques ?

L'intervenante constate que l'article 3, alinéa 3, en projet, précise que celui-ci ne porte pas préjudice aux dispositions de l'arrêté royal du 26 septembre 1996 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics. Mme Nyssens demande si l'adoption du projet n'entraîne pas la nécessité de modifier cet arrêté royal. Dans ce cas, ces modifications seront-elles prêtes à temps pour ne pas mettre en péril l'entrée en vigueur de la nouvelle loi prévue pour le 8 août 2002, au plus tard.

Toujours en ce qui concerne le champ d'application du projet à l'examen, l'oratrice constate que le projet vise les transactions commerciales entre entreprises. Or, l'entreprise y est définie comme étant « toute organisation agissant dans l'exercice d'une activité économique ou professionnelle indépendante », ce qui inclut les professions libérales. Le projet modifie-t-il la nature des actes de certaines professions libérales qui, en droit belge, ne sont pas considérées comme des commerçants ? Mme Nyssens se réfère par exemple à la profession d'avocat.

L'oratrice estime par ailleurs que le pouvoir, qui est réservé au juge de réviser les clauses contractuelles qui constituent un abus manifeste à l'égard du créancier, sera difficile à appliquer dans la pratique. Elle demande pourquoi le projet exclut l'indemnité de procédure prévue selon le Code judiciaire du montant du dédommagement raisonnable que le juge peut allouer au créancier lorsque le débiteur paie avec retard.

Enfin, Mme Nyssens demande quel est le taux d'intérêt qui sera fixé une fois l'entrée en vigueur de la loi : le taux d'intérêt légal belge ou le taux de la Banque européenne majoré de sept points de pourcentage.

Le projet en discussion prévoyant que l'on tient compte de la date de réception de la facture, Mme Nyssens demande encore comment le créancier pourra faire la preuve de cette date ?

M. Steverlynck déclare pouvoir se rallier largement à l'intervention de Mme Nyssens.

Le projet de loi a pour objet de transposer la directive européenne concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, de sorte que les entreprises, et surtout les PME, puissent obtenir plus rapidement un paiement en Europe. La question de savoir si les mesures proposées aboutiront réellement au résultat escompté reste néanmoins posée.

Bien que l'intervenant soit conscient de la nécessité de transposer rapidement cette directive, plusieurs problèmes se posent qui ont amené à évoquer le projet en discussion.

Une première question concerne la qualification. Les articles 1er à 4 du projet de loi initial nº 50-1828, qui relève de l'article 77 de la Constitution, ont été transférés par voie d'amendement dans le projet de loi en discussion, qui règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution. Cette requalification n'a pas été soumise à la commission de concertation parlementaire.

L'intervenant s'étonne en outre qu'une proposition de loi déposée par son groupe concernant une matière identique n'ait pas été jointe à la discussion à la Chambre.

Une première remarque a trait au fait que le projet de loi à l'examen ne concerne pas toutes les créances; il vise les créances entre entreprises, et non les créances entre consommateurs ou entre consommateurs et entreprises. C'est regrettable, car les créances détenues sur des consommateurs peuvent être très importantes, surtout pour les petites entreprises, et en cas de défaut de paiement, déboucher finalement sur une insolvabilité. On a d'ailleurs constaté que 20 % des faillites sont dues à des difficultés de paiement.

Le projet de loi à l'examen ne résout donc qu'une partie du problème. Il s'agit bien sûr de la transposition d'une directive, mais ce n'est pas une excuse pour justifier une inconstitutionnalité. Rien n'empêche d'ailleurs l'État membre, en transposant la directive, d'aller plus loin que celle-ci et d'adopter des dispositions plus favorables aux créanciers. Ainsi, il est parfaitement loisible aux États membres de déclarer les mesures proposées applicables également aux créances entre entreprises et consommateurs, ce qui réaliserait une égalité de traitement sans sortir de l'article 6 de la directive. N'aurait-il pas été préférable dès lors, pour des raisons de cohérence et de clarté, de régler par la même occasion les créances entre consommateurs et entre consommateurs et entreprises ?

Une deuxième remarque concerne le fait que les mesures proposées ne sont pas intégrées dans le Code judiciaire ou le Code civil. Ne s'agit-il pas là d'une occasion ratée ?

En ce qui concerne les marchés publics, on a déjà fait référence à l'arrêté royal en projet, qui a déjà été approuvé par le Conseil des ministres. Quelle est la relation exacte qui unit le projet en discussion et l'arrêté royal en question ? Quel sera le contenu de cet arrêté royal ? L'intervenant demande également quelques éclaircissements concernant les délais de paiement moyens que les pouvoirs publics observent aujourd'hui.

La question suivante porte sur l'utilisation de l'expression « transactions commerciales », appliquée aux professions libérales. Le rapport fait au nom de la Commission chargée des problèmes de droit commercial et économique (voir le doc. Chambre, nº 50-1827/005, p. 23) signale qu'on pourrait envisager d'adapter la terminologie du projet de loi pour qu'elle corresponde mieux à la terminologie utilisée en Belgique. Qu'entend-on exactement par là ?

L'intervenant note par ailleurs que l'on ne modifie pas la procédure d'obtention du titre exécutoire, la procédure sommaire en injonction de paiement. Pourtant, les chiffres relatifs au recours à la procédure sommaire sont en baisse. En 1998, 7 771 affaires ont été intentées, en 1999, 8 175 et en 200, 5 472 seulement. Ces chiffres ne démontrent-ils pas que la procédure en question présente quelques lacunes ? C'est aussi la raison pour laquelle le groupe CD&V avait déposé à la Chambre une proposition de loi modifiant cette procédure sommaire. Quelles sont les intentions du gouvernement sur ce plan ? En outre, l'application de cette procédure diffère sensiblement d'un canton à l'autre. Pour l'exécution de la loi en projet aussi, il importe d'obtenir un titre exécutoire rapide (article 5 de la directive). En effet, si la procédure de recouvrement ne fonctionne pas bien, la loi en projet restera lettre morte.

L'intervenant s'interroge également sur le problème du dédommagement raisonnable. L'article 6 du projet de loi prévoit un droit à un dédommagement raisonnable. Les parties peuvent toutefois y déroger. L'intervenant a pourtant l'impression que la directive considère plutôt cette disposition comme impérative. L'article 3.3 dispose clairement que le créancier peut prétendre à un dédommagement raisonnable. L'article 6 du projet en discussion fait état de frais de recouvrement « pertinents », qui doivent satisfaire aux principes de « transparence » et être proportionnels à la dette en question. Le ministre pourrait-il préciser quelque peu ces notions ? Il s'avère que dans d'autres pays, on est très concret. Si l'on reste aussi abstrait et que l'on laisse aux juges un très large pouvoir d'appréciation, il faudra encore beaucoup de temps avant de pouvoir se faire une idée précise de l'efficacité des mesures.

Enfin, l'intervenant désire savoir comment les commerçants seront sensibilisés et informés suffisamment de l'entrée en vigueur des mesures en projet. La Belgique prendra-t-elle certaines initiatives dans ce domaine ?

M. de Clippele évoque l'article 11 du projet en discussion. Une publication dans les journaux peut causer un préjudice grave au commerçant. Qu'en sera-t-il si le jugement est réformé en degré d'appel ?

Réponse du ministre

Pour ce qui est de la fusion des projets de loi 50-1827 et 50-1828 et de la réunion de tous les articles dans le projet de loi qui concerne une matière visée à l'article 78 de la Constitution, le ministre répond que cette décision a été prise au sein de la commission compétente de la Chambre parce qu'on a estimé que les articles du projet de loi 50-1828 ne concernent pas davantage une matière visée à l'article 77 de la Constitution. On a donc déposé un amendement, qui n'a suscité aucune réaction, pas même de la part du Sénat.

Une première question concerne la raison pour laquelle aucune réglementation spécifique n'est prise quant à la procédure. Obliger les États membres à instaurer une procédure spéciale excède, en fait, les compétences de l'Union européenne. Initialement, on avait prévu une obligation d'engager une nouvelle procédure, mais elle a finalement été rayée de la directive, sur la recommandation du service juridique du Conseil de ministres. On prévoit donc que les procédures existantes peuvent suffire si elles répondent à un certain nombre de conditions, et notamment la possibilité d'obtenir un titre exécutoire dans les 90 jours.

Le projet de loi en discussion ne comporte aucune disposition relative à la procédure et ne recourt pas à une modification de la procédure sommaire d'injonction de payer. Dans l'état actuel du droit judiciaire, il est en effet possible, en principe, d'obtenir un titre exécutoire dans un délai de 90 jours, même sans recourir à la procédure sommaire, du moins s'il n'existe aucune contestation concernant la créance. Dans la pratique, toutefois, il y a souvent bel et bien contestation, et un problème se pose par exemple régulièrement à propos de la conformité de la livraison. Les avocats recherchent souvent des arguments pour justifier le retard de paiement. Les parties jouent donc souvent elles-mêmes un rôle dans l'obtention du titre exécutoire. En outre, le ministre travaille actuellement à un projet de réforme de la procédure judiciaire qui attribue entre autres au juge un rôle plus actif et lui permet de faire en sorte que les parties rendent leurs conclusions plus rapidement, en vue de faire obstacle à un certain nombre d'abus liés au ralentissement de la procédure.

En ce qui concerne le champ d'application en matière de marchés publics, le ministre précise que la directive n'est applicable qu'aux transactions conclues entre un commerçant et une autorité adjudicatrice, et non, dès lors, entre autorités adjudicatrices. Cela ressort clairement des travaux préparatoires de la directive. Quant à la question de savoir s'il faut ou non prendre un arrêté royal relatif aux marchés publics, le ministre précise qu'il y a trois niveaux. Les dispositions générales du Code civil restent toujours applicables, à la condition que les dispositions du projet de loi à l'examen n'y dérogent pas. L'arrêté royal permet également d'appliquer d'autres règles concernant le champ d'application spécifique de l'arrêté royal. On se trouve en quelque sorte dans une pyramide inversée. La plupart des dispositions ne nécessitent pas un arrêté royal, sauf en ce qui concerne les marchés publics se situant dans le champ d'application spécifique de l'arrêté royal (marchés publics dépassant un montant déterminé). Le Conseil des ministres a déjà approuvé cet arrêté royal et celui-ci a déjà été transmis pour avis au Conseil d'État. Il ne relève toutefois pas de la compétence du ministre de la Justice, mais bien de celle du premier ministre.

Le ministre reconnaît qu'il n'a pas d'idée précise des délais moyens pratiqués habituellement dans les marchés publics.

Quant aux professions libérales, le ministre répond qu'il n'y a aucun doute. Les avocats sont clairement visés par le projet de loi en discussion, tant dans leurs relations entre eux qu'à l'égard d'un commerçant. La directive prévoit la notion de « commerçant », et celle-ci a dès lors été reproduite dans ce projet.

Si l'on dissocie trop les dispositions de la directive, on risque d'en restreindre le champ d'application et de ne pas transposer intégralement la directive. La Belgique semble d'ailleurs occuper une situation un peu à part en Europe en ce qui concerne la distinction entre commerçants et professions libérales. On entend, au sein de l'Europe, uniformiser autant que possible les dispositions applicables à ces deux catégories professionnelles.

S'agissant des dérogations possibles, pour les parties, aux dispositions proposées, le ministre se réfère à l'historique de la directive. Lors des travaux préparatoires de celle-ci et des recommandations, on est arrivé à la conclusion que le problème ne se situe pas tellement au niveau de l'harmonisation de la législation. Il se pose surtout sur le plan des différences d'usages professionnels et de pratiques commerciales. La directive entend donc fixer quelques normes minimales, sans toutefois vouloir restreindre trop la liberté contractuelle. C'est pourquoi les dérogations restent possibles pour les parties, sous réserve du contrôle par le juge, lequel pourra estimer que certaines clauses ne sont pas équitables. Une dérogation au dédommagement raisonnable est possible, mais elle est soumise au contrôle d'équité par le juge.

On laisse à la jurisprudence le soin d'interpréter les notions de pertinence, de transparence et d'équité. Il est difficile d'arrêter des directives générales en la matière, étant donné que l'on doit tenir compte du cas concret qui se présente. La réussite de la directive dépendra bien entendu de l'interprétation de ces notions par la jurisprudence.

On a retiré du projet l'indemnité de procédure parce qu'il est prévu que la totalité des frais d'avocat peut être réclamée. Ces frais comprennent également l'indemnité de procédure, qui vise le coût des actes matériels de l'avocat. Il faut éviter une double récupération de l'indemnité de procédure.

La Banque centrale européenne fixe le taux d'intérêt, auquel s'ajoute un pourcentage fixe. Si l'on constate une hausse ou une baisse, le ministre des Finances la communiquera par avis au Moniteur belge. Ce nouveau taux d'intérêt ne s'applique que dans le cadre de la législation en projet. Dans tous les autres cas, c'est le taux d'intérêt légal de 7 % qui reste applicable.

Le projet de loi en discussion n'englobe pas les consommateurs, parce que l'on s'est efforcé de transposer la directive européenne le plus fidèlement possible. Lors de la transposition, il faut également tenir compte du critère de pertinence constitutionnel, qui permet de déroger à certaines règles pour certaines catégories de personnes, à la condition que la dérogation soit pertinente et qu'elle poursuive un objectif spécifique.

Cet objectif est précisément de remédier à la position affaiblie dans laquelle une PME se trouve à la suite d'un retard de paiement par de gros fournisseurs.

Il ressort d'ailleurs d'une enquête récente et sommaire de l'école Vlerick que 96 % des personnes interrogées jugeaient une telle législation nécessaire. 81 % ont confirmé qu'elles réclameraient des intérêts de retard. Il faut bien entendu tenir compte des relations personnelles existantes avec les clients concernés.

S'agissant de la preuve de l'envoi de la facture, le ministre répond que le principe de l'envoi d'une mise en demeure est effectivement remplacé par l'envoi de la facture. Il convient de se référer à la jurisprudence qui se développera en la matière; l'intervenant a déjà eu à ce sujet un échange de vues avec un juge consulaire, qui lui a dit qu'il tiendrait compte de l'attitude générale de l'entreprise. Le commerçant est-il généralement correct ou non ? L'entreprise tient-elle un registre de caisse dans lequel on retrouve systématiquement l'envoi des factures ?

La sensibilisation du commerçant paraît être une tâche revenant aux organisations professionnelles. C'était d'ailleurs un des objectifs de la recommandation de 1995, qui s'adressait spécifiquement aux organisations professionnelles, en vue d'une meilleure information et d'une meilleure formation des PME.

La détermination du montant maximum du dédommagement raisonnable peut se faire de deux façons. Ou bien on fixe arbitrairement un forfait par créance, ou bien on adopte une attitude plus attentiste, en fonction de l'application qui sera donnée dans la pratique à la loi en projet. Dès que l'on constate des excès, le Roi peut intervenir. Pour l'instant, on opte plutôt pour cette deuxième méthode.

En ce qui concerne l'article 11, le ministre répond que cette disposition relative aux actions en cessation figure également comme telle dans d'autres législations (par exemple dans la loi sur les pratiques commerciales, en matière de référé).

IV. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

À la même unanimité, confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction de ce rapport.

Le rapporteur, Le président,
Jan STEVERLYNCK. Josy DUBIÉ.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte
du projet de loi
(voir le doc. Chambre, nº 50-1827/7)