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9 JUILLET 2001
M. le président. Je donne la parole au professeur émérite Étienne Vermeersch. Il a enseigné la philosophie à l'Université de Gand, il est président du Comité consultatif de bioéthique et coprésident de la Commission restreinte « Euthanasie ».
M. Étienne Vermeersch. Je diviserai mon exposé en deux parties. Vous remarquerez que l'exposé sur la première partie se déroulera différemment de celui sur la deuxième partie. L'explication en est que j'ai souffert ces derniers jours d'une inflammation du genou, qui m'a empêché de travailler longuement à l'ordinateur. C'est pourquoi je n'ai pu transcrire que la partie sur euthanasie. La partie sur la fin de vie ne se trouve pas encore sur papier, mais est bien achevée dans ma tête.
Avant de commencer, je voudrais encore dire que j'étais bien, comme le président l'a mentionné, coprésident de la commission restreinte Euthanasie au sein du Comité consultatif de bioéthique, mais que je ne parle ici qu'en mon nom propre. Je n'ai pas la prétention d'engager ledit comité d'une quelconque manière.
Pour que tout soit clair, je mentionne encore que j'étais et que je suis toujours partisan de la proposition 1 ou éventuellement de la proposition 2 de l'avis nº 1 du Comité consultatif et du point de vue A de l'avis nº 9. Cela signifie que je suis partisan d'une réglementation légale ou d'une autre forme d'acceptation sociale de l'euthanasie selon la procédure a posteriori, avec les critères de prudence que nous lui avons associés. La fin de vie des incapables qui ont jadis été capables est possible, pour moi, uniquement lorsqu'une déclaration de volonté anticipée la demande et lorsque certains critères de prudence sont respectés.
Dans ce qui suit, je ne veux pas défendre mon point de vue personnel, mais essayer de comparer les différentes propositions pour vérifier si l'on peut essayer de faire converger ces propositions et si possible, ce qui serait beau, parvenir à une unanimité.
Comme des erreurs sont parfois prononcées, je souhaite aussi, dans mon introduction, dire encore un petit mot sur mes motivations plus profondes. D'abord, il y a la pitié, la commisération envers la souffrance d'autrui et la conviction que l'euthanasie, à côté d'autres efforts comme les soins palliatifs, peut apporter une contribution à la diminution de cette souffrance. Ensuite, il y a le respect de l'autodétermination de l'homme. Évidemment, cela n'est pas un droit absolu (quel droit l'est ?) mais, dans des cas de souffrance extrême, elle prend un caractère très important. À côté de ces motifs altruistes, il existe enfin l'espoir que moi-même, dans une telle situation d'urgence, je puisse compter sur l'aide d'autrui de la manière dont je le souhaite.
Je reconnais qu'il existe des arguments qui plaident pour l'euthanasie et la fin de vie, mais il n'y en a qu'un que je trouve convaincant, c'est la crainte que la manière dont ce problème social est réglé puisse entraîner des abus, plus précisément que la protection de la vie des citoyens, à laquelle chaque société est contrainte, puisse être mise en danger. Évidemment, il existe encore d'autres objections, mais celles-là sont plutôt de nature philosophique. Nous devons les respecter, mais nous ne devons pas accepter qu'elles soient imposées aux personnes ayant une autre conception de la vie.
Un élément important de cette discussion est qu'il ressort d'études récentes menées aux Pays-Bas, en Australie et en Belgique, plus précisément en Flandre, que l'euthanasie et la fin de vie sont réalisées plus souvent qu'on ne s'y attendait; il semble en outre que de larges couches de la population réagissent assez positivement face à l'euthanasie. Ceci constitue aussi pour moi une raison supplémentaire de trouver une réglementation qui réponde aux besoins, sans pour autant donner lieu à des abus.
Pour simplifier le débat, je souhaite, comme je l'ai déjà dit, commencer par une analyse des propositions de loi en matière d'euthanasie pour discuter de la fin de vie des incapables dans la deuxième partie.
En matière d'euthanasie, nous employons naturellement la définition établie à l'unanimité par le Comité consultatif.
Selon la proposition Vandenberghe et consorts, l'euthanasie est en principe possible si un certain nombre de conditions sont satisfaites. C'est pareil pour la proposition Nyssens et consorts et pour la proposition Mahoux et consorts. Il existe à tous égards un consensus minimal dans les trois propositions sur le fait que l'euthanasie doit être possible dans certains cas sans être punie.
Les propositions Vandenberghe et Nyssens estiment que le médecin doit satisfaire à un certain nombre d'exigences, qui correspondent grosso modo à la procédure a priori de la proposition 3 du Comité consultatif. La troisième proposition, celle-là de Mahoux et consorts, défend que les conditions doivent être comparables à celles de la procédure a posteriori qui est décrite dans une autre proposition du même Comité.
Dans les deux premières, l'impunité est garantie par la disposition selon laquelle le médecin peut faire appel à l'état de nécessité.
Vandenberghe permettez-moi de n'utiliser dorénavant que les noms des auteurs principaux suggère et Nyssens pose explicitement que le médecin qui s'en tient aux conditions soit normalement mis hors de cause. Dans la proposition Mahoux, l'impunité est garantie en insérant un article 417bis dans le Code pénal. Une troisième distinction importante réside dans le fait que l'euthanasie, dans les deux premières propositions, est seulement admissible en phase terminale, tandis que cette restriction ne figure pas dans la troisième proposition.
Enfin, il existe d'autres différences sur la manière dont la communication post factum aux instances judiciaires doit avoir lieu.
Il est évident que les différences concrètes sont liées au fait que les auteurs des deux premières propositions sont beaucoup plus réticents vis-à-vis de la pratique d'euthanasie que celui de la troisième proposition. Ceci concerne aussi probablement leur conception respective de la vie et la conviction des deux premiers que l'euthanasie est un événement très exceptionnel et qu'elle le restera.
En ce qui concerne ce dernier élément, je renvoie encore une fois à la récente enquête à grande échelle en Flandre de L. Deliens et consorts, d'où il ressort qu'environ 4,4 % de tous les cas mortels sont la conséquence de l'administration d'un cocktail létal, de 1,1 % par euthanasie, 0,1 % par aide au suicide et 3,2 % par fin de vie sans demande du patient. En chiffres absolus, il s'agit respectivement de 2 480, 620,56 et 1 903 cas mortels par an. Notez que ceci se déroule sous une législation qui sanctionne tous ces actes.
Étant donné que nous pouvons difficilement imaginer que la majorité des médecins travaillent de manière malveillante ou étourdie, ces chiffres prouvent qu'il existe un besoin réel d'actes de cette nature. Nous espérons évidemment que cette demande diminuera par la diffusion des soins palliatifs. Pourtant, je dois indiquer que, selon cette même enquête, les médecins qui ont suivi une formation spéciale en soins palliatifs et terminaux passent plus souvent à la fin de vie que leurs collègues qui n'ont pas suivi une telle formation.
À présent, je vais discuterai plus précisément de différents aspects des propositions.
Vu le grand nombre de cas de fin de vie, il est quelque peu étrange qu'on veuille résoudre par le recours à la notion particulière de l'état de nécessité des actes qui sont tellement fréquents, pour lesquels on peut strictement décrire les critères de prudence et qui, lorsque ces critères sont correctement respectés, ne seront jamais jugés. La référence à l'exemple de l'intervention chirurgicale n'est pas pertinente. C'est une pratique acceptée depuis de nombreuses décennies dont il n'est pas fait de déclaration. Par ailleurs, l'état de nécessité en général n'est pas une situation problématique que l'on peut décrire précisément à l'avance. Comme la doctrine le montre, il est impossible de donner au concept d'état de nécessité un sens général. À ce sujet, je renvoie à un article de Paul Foriers de 1951, qui fait référence avec approbation à la phrase suivante du professeur De Visscher : « Il ne serait pas plus rationnel de généraliser l'état de nécessité que l'état de contrainte. Il n'y a pas un droit général de nécessité. Il y a des cas de nécessité et la question de savoir si la nécessité existe sera toujours une question de fait. » Il ressort de ceci que la restriction de la possibilité de faire appel à l'état de nécessité, comme à l'article 6 de la proposition Vandenberghe et consorts, n'est pas juridiquement défendable. Je me réfère surtout à l'alinéa 10 du commentaire de cet article pour ceci.
Je comprends que ce recours à l'état de nécessité vise à maintenir une interdiction générale de tuer dans le Code pénal, principalement à cause du sens symbolique, mais il ne reste pas grand chose de ce symbolisme dès lors que l'on sait qu'on tolère en fait une pratique existante. Les Pays-Bas sont connus dans le monde entier comme un pays où de l'euthanasie est possible, même si le code pénal n'a pas encore été modifié. Mon modeste avis est par conséquent que la notion de l'état de nécessité n'est pas une solution vraiment bonne, même si je pourrais l'accepter si, dans les faits, elle rendait possible les actes d'euthanasie qui sont vraiment justifiés. Un rapprochement entre les points de vue me semble possible à cet égard.
La différence de sévérité entre les procédures a posteriori et a priori prévues est beaucoup plus importante. Cette différence est basée sur une réticence plus ou moins prononcée vis-à-vis de la pratique d'euthanasie qui est clairement d'influence philosophique, ce qui est évidemment absolument légitime.
Un des aspects essentiels de cette différence de sévérité réside dans l'exigence des deux premières propositions que l'euthanasie peut seulement être admissible en phase terminale. Je suis d'avis qu'un terrain de rapprochement entre les propositions pourrait exister si une distinction était faite entre la phase terminale et non terminale, où les exigences en phase terminale pour Mahoux seraient un peu plus fortes et pour les autres un peu plus faibles, alors que, pour la phase non terminale, on pourrait grosso modo reprendre les exigences de Vandenberghe-Nyssens. Voici les arguments pour cela.
Étant donné que, par définition, la question de l'euthanasie en phase non terminale est moins urgente et la fin de vie possède un caractère plus important, il est possible et sensé de prévoir un processus de décision plus compliqué, qui serait par exemple inspiré de la procédure a priori, dans les cas où la mort survient de toute façon. On peut y opposer la phase terminale où la mort est proche; l'intervention est moins importante et par la nature même des choses, elle peut moins donner lieu à des abus. Cela reste injuste lorsqu'un homme meurt un jour plus tôt qu'il ne serait justifié, mais, à l'échelle de toute une vie, ce n'est pas une catastrophe.
À ce sujet, je renvoie à un résultat important de l'étude déjà mentionnée de Deliens et consorts. La réduction de la vie par l'euthanasie était estimée par les médecins à moins d'un jour dans 24 % des cas et à moins de une semaine dans 80 % des cas. On peut donc se demander quel est le sens d'un processus de décision détaillé comme la procédure a priori, étant donné que le patient sera déjà mort dans de nombreux cas lorsque la décision d'euthanasie sera prise.
Toutes les propositions, ainsi qu'un certain nombre de propositions récentes dans la presse, qui ne tiennent pas compte du caractère souvent extrêmement urgent de la décision, sont intenables dans la pratique.
Bref, une procédure compliquée n'est pas nécessaire en phase terminale, parce que les abus ne peuvent pas avoir un effet important, mais elle n'est pas souvent efficace, parce qu'elle se déroule plus lentement que le processus de mort naturelle.
Le sens profond de la procédure a priori consiste à ce qu'on essaie d'éviter que l'euthanasie devienne une pratique de routine à laquelle on ne réfléchit plus. Je suis absolument d'accord avec l'idée que chaque décision doit être précédée d'une réflexion éthique approfondie sur l'euthanasie.
Il me semble par conséquent utile de formuler les critères de prudence relatifs à la procédure a posteriori, la procédure Mahoux, plus nettement dans le sens suivant. Premièrement, le patient doit avoir une volonté de mourir réfléchie et permanente. Il ne peut pas être influencé par des tiers et il ne peut pas s'agir d'une dépression passagère. Deuxièmement, la situation médicale doit être objectivement irréversible et la souffrance doit être vécue par le patient comme insupportable et sans issue. Troisièmement, le médecin qui exécute l'euthanasie doit consulter un collègue médecin qui donne avis sur la situation médicale, le caractère inéluctable de la souffrance et de la possibilité d'y remédier, ainsi que sur la durabilité et l'authenticité de la demande d'euthanasie. Ce médecin doit avoir un entretien personnel détaillé à ce sujet avec le patient. Quatrièmement, les membres de la famille et le personnel soignant qui sont importants pour le patient doivent être informés et peuvent également donner leur avis, moyennant l'accord du patient. Cinquièmement, la décision finale est prise par le médecin qui réalise l'euthanasie, si le patient s'en tient à sa décision, et enfin, ce médecin doit choisir en expert le produit euthanasiant adéquat.
Dans un tel contexte, une considération médicale et éthique semble suffisamment garantie, sans alourdir la procédure et sans porter atteinte à la vie privée et au droit d'autodétermination du patient. Cette adaptation de la procédure a posteriori me semble acceptable pour la phase terminale par une large majorité. On peut donner à l'expression « phase terminale » une définition conventionnelle pour l'application de cette loi, comme par exemple : « Selon les connaissances actuelle de la médecine, la mort interviendra dans les vingt jours ».
La phase terminale sera relativement rare, mais pas aussi rare qu'elle puisse être négligée. Il s'agit en effet d'une fraction des 20 % de cas où la mort naturelle interviendrait plus de huit jours plus tard. Dans ces cas, le processus décisionnel peut être étendu à des éléments situés en dehors de la procédure a priori. Un élément important à ce niveau est le spécialiste de l'éthique qui n'est pas médecin. Sa tâche consiste à stimuler le processus de concertation éthique. L'introduction de cette personne entraîne cependant quelques difficultés. Ainsi, certains spécialistes de l'éthique ne se prononceront jamais en faveur d'une euthanasie, pour des raisons philosophiques. On ne voit donc pas par conséquent comment ils peuvent contribuer à une discussion authentique du cas concret. En outre, l'introduction ou l'intrusion d'une personne qui n'a en principe aucune relation avec le patient dans une phase aussi délicate de sa vie peut signifier une infraction dans sa vie privée. C'est pour cela qu'il faut considérer l'avis d'un comité éthique comme une atteinte inacceptable à la vie privée.
On peut tenir compte de ces difficultés en déterminant tout d'abord que le spécialiste de l'éthique doit avoir une expérience d'au moins un an dans un quelconque comité éthique, par exemple dans un hôpital. Deuxièmement, il doit déclarer sous serment l'euthanasie acceptable dans certains cas selon l'esprit de cette loi. Troisièmement, un certain nombre de spécialistes de l'éthique doivent être engagés par arrondissement sur proposition de différents comités éthiques, par exemple via le ministre de Santé Publique. Enfin, le patient peut exprimer sa préférence ou son refus de certains spécialistes de l'éthique.
Dans ce contexte, la procédure a priori pourrait être reprise pour la phase non terminale, tandis que la procédure renforcée a posteriori serait employée pour la phase terminale.
Enfin, les propositions diffèrent en ce qui concerne la procédure de déclaration après l'euthanasie. À ce propos, il est utile de tenir compte des expériences aux Pays-Bas. Le pourcentage des déclarations doit être le plus élevé possible, de préférence 100 %. C'est pourquoi la procédure ne peut pas être trop compliquée; elle ne peut pas avoir le caractère d'une auto-accusation relative à un délit pour lequel on sera éventuellement poursuivi ou acquitté. Elle ne peut pas avoir non plus pour conséquence une surcharge inutile des parquets. À cet effet, la meilleure solution semble être celle des commissions régionales de contrôle prévues par la loi aux Pays-Bas et qui, par l'intermédiaire de « légiste », qui pourraient chez nous être spécialement engagés pour cela, reçoivent le dossier pour évaluation. L'affaire ne passe en jugement que s'ils constatent des irrégularités.
Enfin, il me semble souhaitable que des mesures disciplinaires soient prévues en cas de manquements plus ou moins importants au respect des exigences. Il ne me semble pas utile, dans ces cas, de mettre en oeuvre immédiatement tout l'arsenal de l'enquête judiciaire pour homicide volontaire avec préméditation, mais, comme je ne suis pas juriste, je ne souhaite pas m'étendre davantage sur ce sujet.
Bref, il me semble possible d'obtenir une large majorité autour d'une proposition modifiée en ce sens. En tant qu'extérieur au monde politique, j'ose faire la suggestion prudente de scinder la problématique d'euthanasie; d'une part, une proposition d'euthanasie dans le sens que je propose et autour de laquelle un large consensus peut apparaître, qui sera certainement soutenu par la population, et, d'autre part, une proposition également modifiée en matière de fin de vie des incapables, qui sera certes traitée dans la même session, mais qui peut alors éventuellement être approuvée à une majorité plus faible. Ainsi, tout le monde pourra choisir au maximum selon sa propre conscience pour chaque problème séparé.
En ce qui concerne la fin de vie des incapables, je souhaite d'abord indiquer que quelques-uns des initiateurs de la proposition trois contenant la procédure a priori sont également partisans de la fin de vie des incapables après déclaration de volonté anticipée. Je pourrais citer des noms et d'ailleurs cette position a également paru dans la presse.
La déclaration de volonté anticipée est très importante pour le médecin, parce qu'elle peut lui indiquer une direction. La frontière entre un patient incapable et un patient capable n'est en effet pas toujours évidente. Des situations intermédiaires sont possibles. Lorsque les médecins sont dans l'incertitude, il vaut toujours mieux pouvoir se baser sur une déclaration de volonté anticipée où la personne en pleine possession de ses moyens a fait clairement comprendre ses désirs. On ne pourra pas dire qu'elle demande l'euthanasie parce qu'elle est un peu dépressive.
Je donne l'exemple du locked-in syndrom, dans lequel des lésions au tronc cérébral surviennent tandis que le cerveau reste en grande partie intact. Ceci a pour conséquence que la personne touchée est absolument consciente, saine d'esprit, mais complètement paralysée, bouche et langue comprises elle ne peut pas avaler. Elle ne parvient en général plus qu'à bouger les paupières et les yeux. Une personne très intelligente peut apprendre à développer un code avec les paupières, par exemple le morse. Une personne moins intelligente peut rester très gravement bloquée. Si le médecin ne demande pas si la personne souhaite l'euthanasie, cette personne ne peut en aucune manière faire comprendre qu'elle la souhaite.
Cependant, il s'agit d'une personne tout à fait saine d'esprit, mais entièrement fermée au monde extérieur, sauf via les yeux. On peut se représenter qu'il s'agit d'une forme affreuse de souffrance. Certaines personnes peuvent y faire face. Il y a même quelqu'un qui a écrit un livre de cette façon. On peut se représenter qu'il y en a beaucoup qui n'en peuvent plus et qui demanderaient l'euthanasie dans cette situation.
Dans certains cas, ils ne peuvent toutefois plus la demander. Si une déclaration de volonté anticipée a été établie, elle constitue une très grande aide. Cet exemple prouve par ailleurs que des cas non terminaux doivent aussi recevoir une solution très claire. En effet, ce syndrome n'a rien de terminal. On peut vivre de longs mois dans cet état.
Un autre problème sur lequel je veux mettre l'accent est l'acharnement médical. Tout le monde se dit adversaire de l'acharnement médical. La question est seulement : qu'est-ce que l'acharnement médical ? Lorsque Karen Quinlan est restée dix-neuf ans en état végétatif persistant, on n'a pas encore parlé d'acharnement médical en Amérique. Lorsque Nancy Cruzan est restée six ans en état végétatif persistant, ses médecins non plus n'ont pas ce cas considéré comme de l'acharnement médical.
À Louvain, on interrompt l'alimentation en nourriture et en boisson après trois mois d'état végétatif persistant, six mois pour certains cas exceptionnels. En Angleterre, on serait emprisonné pour cela. Là-bas, par exemple après une année d'état végétatif persistant, on doit demander l'autorisation du juge pour arrêter l'alimentation et la boisson. Il est donc entièrement faux de penser qu'il existe une déontologie ou une éthique médicale générale qui dise clairement au médecin ce qu'il convient de faire dans certains cas.
L'hôpital universitaire de Louvain et un certain nombre d'autres universités catholiques ont établi des procédures à ce sujet. Ces procédures, que je trouve personnellement légitimes, sont cependant propres à ces hôpitaux. Toutefois, il est possible que, si un membre de la famille dépose une plainte, la personne qui a débranché les sondes, conformément à la procédure, aille en prison. Il n'y a pas de consensus généralement accepté. En outre, la durée de « trois mois d'état végétatif persistant » n'est pas une donnée objective. Il s'agit d'une personne en vie qui peut encore vivre des années. La raison pour laquelle on débranche les appareils après trois mois est que la probabilité que la personne reprenne conscience s'amoindrit et que, en cas de reprise de conscience, elle souffrirait généralement d'un handicap grave. Après un mois d'état végétatif persistant, les chances de reprise de conscience sont un peu plus élevées et les risques de handicaps graves un peu plus faibles, mais je peux dire en toute honnêteté que, pour moi, les risques de handicap sont déjà trop élevés après un mois et je demanderais, si cela m'arrivait, que la fin de vie me soit appliquée. Qui peut mieux apprécier la situation que le malade lui-même ?
À côté de cet exemple d'état végétatif persistant, on peut en citer beaucoup d'autres. Je pense à la problématique actuelle concernant des formes très extrêmes de sénilité, où on pourrait dans un certain nombre de cas prouver que le cerveau frontal est complètement mort, ce qui signifie qu'il reste encore un cerveau reptilien, mais qu'il ne reste plus de personne humaine. On pourrait dire qu'on doit pouvoir passer à l'arrêt d'alimentation et de boisson dans ce cas. Personnellement, je trouve cela absolument légitime et qu'il n'y a pas de motif de poursuite.
Seulement, qui suis-je ? Nous n'avons pas de législation, pas d'éthique convenable, pas de déontologie convenable à ce sujet. L'ordre des médecins pense qu'il n'y a pas de problème et laisse chaque docteur résoudre seul ces problèmes très compliqués. En 1983, deux médecins étaient accusés d'assassinat et risquaient la peine de mort parce qu'ils avaient débranché l'alimentation et la boisson d'un patient après de nombreux mois d'état végétatif persistant. Aux États-Unis, ils auraient été considérés comme des assassins, au moins pour le ministère public. À Louvain, cette déconnexion après trois mois d'état végétatif persistant est aujourd'hui une pratique courante. Ici, je ne mentionne pas Louvain dans le sens négatif. Je trouve positif que des médecins aient eu le courage de prendre ces décisions claires. Il vaudrait cependant mieux que ces décisions soient prises sur une base beaucoup plus large. Une première approche consiste en la déclaration de volonté anticipée. Une seconde approche, que la loi permettrait dans certaines limites, consiste à développer une éthique et une déontologie fondées sur une large base sociale, et pas sur la conscience personnelle de quelques médecins.
C'est pourquoi je proposerais de considérer sérieusement de rendre possible la fin de vie après déclaration de volonté anticipée. Mais, pour la même raison que je vous ai déjà donnée, je trouve qu'une procédure a priori plus complexe devrait être introduite, éventuellement avec l'intervention d'un psychiatre. Grâce à cette procédure, on pourrait alors parvenir à une solution dans des cas spécifiques, par exemple à des solutions comme celle de Louvain. S'il existe une déclaration de volonté anticipée, on peut beaucoup plus facilement parvenir à une telle solution. J'essaie à nouveau ici de concilier les points de vue.
La fin de vie des incapables après déclaration de volonté anticipée devrait être possible, mais pas dans le sens fort de la proposition Mahoux, selon laquelle le médecin est obligé de mettre un terme à la vie. Le médecin devrait trouver un motif d'excuse dans la déclaration de volonté pour passer à la fin de vie après application des procédures prescrites.
En outre, la procédure préalable ne devrait pas être soumise à des exigences aussi sévères que dans la proposition Mahoux, où la personne seule, qui n'a pas de personne de confiance et qui ne pense pas chaque année à renouveler sa déclaration ou qui ne connaît pas deux personnes pour la contresigner, ne peut en fait pas établir de déclaration de volonté. Une personne seule doit aussi pouvoir établir une telle déclaration de volonté.
Au fur et à mesure que les garanties autour de la déclaration de volonté augmentent, le médecin peut se fonder sur celle-ci avec plus de confiance. Au fur et à mesure que les garanties sont plus faibles, le médecin peut moins s'y tenir. Même les plus progressistes du Comité consultatif de bioéthique n'ont jamais dit que la déclaration de volonté anticipée doit nécessairement être suivie par le médecin. Elle constitue pour le médecin un moyen d'excuse, mais il doit poser un jugement lui-même, éventuellement après application de la procédure a priori que je propose.
M. Philippe Monfils. Je voudrais d'abord remercier M. Vermeersch de son intervention et, ensuite, lui poser deux questions.
J'ai été étonné de vous entendre dire, monsieur Vermeersch, que je cite « les gens spécialisés en phases terminales ou en soins palliatifs pratiquent plus souvent l'euthanasie que d'autres. » Or, on nous dit depuis des mois que, pour diminuer le nombre d'euthanasies, il faut développer les soins palliatifs. Je me demande dès lors si demander le développement, au-delà de la situation actuelle, des soins palliatifs afin de faire tomber le nombre d'euthanasies quasiment à zéro l'euthanasie ne concernerait plus que les cas extrêmement particuliers ne constitue pas un leurre. En fin de compte, si on pratique proportionnellement plus d'euthanasies dans le monde palliatif qu'ailleurs, n'y a-t-il pas là une réflexion à mener ? Le patient y est bien sûr entendu et écouté, mais en bout de course, ne pratique-t-on pas l'euthanasie également en soins palliatifs, que ce soit en augmentant la dose de produits létaux ou en administrant une injection ?
M. Etienne Vermeersch. Ce n'est pas un leurre parce que, statistiquement, les personnes qui ont une formation en phases terminales et soins palliatifs sont beaucoup plus en contact avec des personnes en phase terminale que les autres médecins en général. Je n'ai donc pas voulu dire que les soins palliatifs entraînent plus d'arrêts actifs de la vie. Je veux seulement dire qu'il n'est pas sûr que les soins palliatifs éliminent le besoin d'euthanasie.
M. Philippe Monfils. On pratique donc évidemment encore l'euthanasie même aux soins palliatifs et peut-être proportionnellement plus, puisque les situations y sont évidemment plus extrêmes.
Ma deuxième question concerne l'acharnement thérapeutique. Dois-je conclure de votre intervention qu'il ne conviendrait pas de légiférer en matière d'acharnement thérapeutique parce que, pour nous, cela signifierait entrer dans une pratique médicale qu'il est impossible d'enfermer dans un texte légal ? C'est ce que je crois mais j'aimerais avoir votre sentiment à cet égard.
M. Etienne Vermeersch. Même si, dans une loi, on peut dire qu'il faut résister à l'acharnement thérapeutique, il faut savoir que la définition, dans des cas spécifiques, de l'acharnement thérapeutique n'est pas évidente. Prenons par exemple une jeune personne atteinte de leucémie. On essaie plusieurs traitements. Les chances de survie sont de plus en plus réduites. Qui va dire qu'il faut arrêter le traitement ?
Soit on continue le traitement et il y a une très petite chance de survie mais avec beaucoup de souffrance. Soit on arrête le traitement et il n'y a plus de souffrance, mais il n'y a plus de chance de survie du tout. Ce n'est pas simple. C'est une question qui doit être discutée entre les parents, s'il s'agit d'un enfant, l'enfant lui-même et l'équipe médicale.
Mme Jeannine Leduc. Tout d'abord, un mot de remerciement pour la tentative du professeur Vermeersch de rapprocher les points de vue. Une des questions cruciales chez les partisans de la proposition de la majorité concernait la définition de la notion de « patient en phase terminale ». Le professeur Vermeersch donne à cet effet le critère suivant : mort dans les huit jours. C'est du moins ainsi que je l'ai compris.
Nous savons tous qu'il existe des patients atteints de maladie incurable, qui souffrent, pour lesquels aucune aide médicale n'est plus possible et qui sont condamnés, mais pour qui il reste quelques mois d'attente avant de mourir. C'est pour cette raison que nous avons voulu introduire la notion de « nécessité », y compris tous les critères de prudence qui doivent être respectés.
Je voudrais que le professeur Vermeersch me dise ce que la notion de « nécessité psychique » signifie pour lui. Pour moi, elle signifie ceci. Pour moi, c'est la phase de la vie où je ne suis plus, progressivement, capable de penser et d'agir et où je perds toutes les capacités de maîtriser les fonctions de mon corps. Pour moi, la vie n'est alors plus vivable, comme le professeur l'a formulé, parce que je n'ai plus qu'une existence de reptile. Que signifient pour le professeur Vermeersch les notions « terminal » », « nécessité » et d'où viennent ces huit jours ?
M. Etienne Vermeersch. Ces huit jours dépendent de la façon dont l'examen a été conduit. À la question de savoir combien de jours ou d'heures un patient avait encore à vivre au moment où la fin de vie a été réalisée, la réponse était que la patient mourrait dans la journée dans environ 23 % des cas, et dans la semaine dans 80 %. J'ai simplement repris la semaine ou les huit jours, sans y attacher de valeur contraignante.
Il faut définir la notion de 'terminal'. C'est une question de convention. Cela peut signifier 8, 9, 10, 11 ou 12 jours avant la mort. En guise d'exemple, j'ai cité un délai de 20 jours, mais j'ai surtout voulu souligner que, dès que le critère « terminal » ne s'applique pas, une procédure plus rigoureuse doit être suivie parce que l'intervention est plus grave. Tuer quelqu'un qui a encore quelques mois à vivre constitue naturellement une intervention plus grave que de tuer quelqu'un qui a deux heures à vivre. Le législateur doit tirer une ligne.
Je ne peux pas définir la « nécessité » ou l'« état de nécessité » du patient. Le patient doit dire s'il se trouve dans un état de nécessité. J'ai appris d'un professeur en médecine dentaire que certains patients laissent creuser leurs dents sans anesthésie parce qu'ils ont peur des piqûres. Ces piqûres ne me font rien, mais de laisser percer mes dents, cela me ferait grimper au plafond. Pour mois, ce serait un état de nécessité, pour d'autres c'est la piqûre qui le serait. C'est subjectif. Lorsque le patient répète plusieurs fois qu'il n'en peut plus, il se trouve dans un état de nécessité. Je me réfère à cet Espagnol qui a longtemps vécu pendant vingt années en paraplégique et qui tout à coup a dit qu'il n'en pouvait plus, même si sa situation n'avait objectivement pas changé.
Reeves pense qu'il pourra à nouveau marcher dans cinq ou six ans. Il est possible que, s'il n'y réussit pas cela dans ce délai, son espoir le quitte complètement et qu'il dise subitement qu'il n'en peut plus. Nous devons respecter ce sentiment certes subjectif chez notre prochain. Personne ne sait ce que sont la souffrance et la nécessité de son prochain. Le respect le plus profond que nous pouvons apporter à notre prochain est de le respecter s'il dit que ses souffrances sont insupportables. À mon sens, c'est la seule réponse.
M. Patrik Vankrunkelsven. Je souhaiterais approfondir le concept de « phase terminale » J'approuve que le professeur Vermeersch fasse une distinction entre des patients qui sont ou pas en phase terminale. Il dit à juste titre que nous devons chercher une définition. Je pense que la définition sur la base d'un laps de temps possible, huit ou vingt jours, est une définition totalement impraticable. Des médecins ne peuvent jamais fixer ce terme précisément. Je demande l'avis du professeur Vermeersch sur une proposition qui ferait une distinction entre une affection progressive (une maladie qui peut s'intensifier et dont on peut mourir) et une affection ou un handicap avec une situation assez stable. Pourrait-il accepter que le concept de « terminal » soit défini par exemple par la certitude qu'un patient mourra dans un certain temps de manière inéluctable de l'affection ou de la maladie qu'il a. Est-ce une définition possible ?
M. Etienne Vermeersch. Je suis entièrement d'accord. Seulement, les médecins demanderont alors ce que désigne un certain temps. S'agit-il de huit jours, quinze jours ou un mois ? C'est le problème. Le but essentiel est bien sûr de pouvoir faire une distinction juridique entre la phase terminale et non terminale, qui nous permette de nous reporter sur la procédure a posteriori pour le « terminal » et a priori pour le « non terminal ». Pour faire cette distinction, il doit exister une limite conventionnelle, et celle ci doit être fixée en concertation avec des médecins.
M. Alain Zenner. Je voudrais tout d'abord remercier le professeur Vermeersch. Je trouve tout à fait remarquable que, dès la première audition, il fasse preuve de ce souci de conciliation entre les différents textes dont nous sommes saisis.
Je me souviens par ailleurs de la première visite que nous a faite M. Vermeersch, de son insistance sur la nécessité de s'accorder sur des définitions pour être sûrs, dans toute la mesure du possible, de manier, au travers de mots, de termes qui peuvent être interprétés différemment, des notions identiques. Je pense que, dans le cadre de nos débats, cette nécessité de définition s'est très clairement manifestée. J'ai le sentiment que nous parlons parfois de choses différentes sous les mêmes vocables ou inversement.
À ce propos, pour mieux saisir la différence entre deux formes d'interruption volontaire de la vie, l'arrêt de l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie, le professeur Vermeersch peut-il, à la lecture des éléments qui ont été rapportés par la presse et en les considérant par hypothèse comme véridiques je sais que la question est délicate car il est difficile de parler d'affaires judiciaires en cours sans connaître les dossiers , nous dire son analyse des événements qui se sont produits à Liège. S'agit-il d'un arrêt thérapeutique ou d'une euthanasie ?
En d'autres termes, sous toutes réserves et sans vouloir préjuger de cette affaire, j'ai le sentiment que, dans un souci d'arrêter un acharnement thérapeutique, on peut avoir recours à des techniques qui sont propres aussi à l'euthanasie et que, dès lors, il peut y avoir une zone d'ombre entre ces deux pratiques, où l'on ne sait plus si c'est une forme d'IVV qui est appliquée plutôt qu'une autre, d'où toute la complexité de la réglementation.
M. Etienne Vermeersch. Évidemment, je ne connais pas les détails de cette affaire. Je m'exprimerai donc sur la base de principes.
Si une loi autorisait l'euthanasie et si, comme cela a été relaté dans la presse, la personne concernée a demandé à être délivrée de ses souffrances, le problème ne se poserait pas. On pourrait dire qu'il s'agit d'un cas d'euthanasie tout à fait acceptable.
Mais l'euthanasie n'est pas légale. Il faut donc voir ce qu'on peut dire en ce qui concerne les actes posés par les médecins. S'il s'agit d'une phase où aucune amélioration n'est possible, la maintien du patient sous respiration artificielle n'a aucun sens puisque le malade ne peut pas guérir. Je trouve que l'arrêt de cette respiration artificielle est tout à fait acceptable selon la déontologie médicale. Mais si la personne risque de mourir par suffocation, par manque d'air, par manque d'oxygène ce qui peut être une mort atroce , il s'agit évidemment de non-assistance à personne en danger si on ne lui administre pas une dose importante d'analgésique ou une dose mortelle.
C'est de la non-assistance à personne en danger que de retirer les appareils de respiration artificielle et de laisser faire la nature, une nature cruelle. Sur ce point, pour moi, il n'y a pas de problème. Si tout s'est passé comme je le conçois, aucun problème ne peut se poser. Mais selon la loi, la piste euthanasie n'est momentanément pas praticable.
Cependant, les médecins peuvent dire que le malade était dans une situation d'extrême détresse; aujourd'hui déjà on peut discuter de ces situations, cas par cas, devant le parquet ou le juge. Le médecin peut alors dire que le malade était dans un état de nécessité et rester libre.
M. Alain Zenner. Voilà donc une situation qui est susceptible de deux interprétations ou de deux définitions.
M. Etienne Vermeersch. Oui.
M. Alain Zenner. Sur la base des faits tels qu'ils se sont présentés, on pourrait dire qu'il s'agit d'un simple arrêt thérapeutique; mais on pourrait aussi considérer, parce qu'il y aurait eu demande, que c'est une euthanasie, avec ce paradoxe que, en cas de demande, les conditions de pratique de l'IVV seraient plus complexes que s'il n'y avait pas de demande.
M. Etienne Vermeersch. Comme je l'ai déjà dit, le problème est la frontière entre l'acharnement thérapeutique et soins médicaux justifiés. Cette frontière n'est pas évidente, sauf dans certains cas, comme par exemple dans celui de Franco. J'ai connu une mère qui voulait que son enfant malade soit très bien soigné.
Quand cet enfant est mort, elle a estimé qu'elle l'avait trop fait souffrir. C'est vrai, mais où est la solution ? Nous ne le savons pas. Faut-il chercher une dernière petite chance ou faut-il se dire que la souffrance est telle que cette dernière petite chance n'a pas de valeur ? Ce n'est pas évident, ce ne le sera jamais. Il faut avoir des réflexions éthiques et humaines, entre médecins, parents, personnes malades, etc. Avec une loi permettant l'euthanasie, le question qui se pose pour le médecin de savoir s'il sera ou non poursuivi peut être mise de côté, en cas de demande du patient.
M. Alain Zenner. La raison de ma question est la suivante : il ne faudrait pas qu'une réglementation sur l'euthanasie complique la pratique admise aujourd'hui vous l'avez dit de l'arrêt d'un acharnement thérapeutique.
M. Etienne Vermeersch. Je pense que c'est l'inverse.
M. Alain Zenner. En d'autres termes, nous voulons réglementer l'euthanasie, si je comprends bien, mais pas l'acharnement thérapeutique, et il ne faudrait pas qu'en réglementant l'euthanasie, nous affections dans un sens restrictif les conditions dans lesquelles on pratique aujourd'hui l'acharnement thérapeutique. Cela suppose que l'euthanasie soit définie comme se pratiquant dans une situation où l'acharnement thérapeutique ne se justifie plus.
M. Etienne Vermeersch. Votre question est très intéressante. Mais je pense qu'il faut raisonner inversement. Dès qu'il y a demande du patient et que le médecin fait suite à cette demande, qu'il s'agisse de l'arrêt de l'acharnement thérapeutique ou d'euthanasie, en réalité, cela ne pose plus de problème, puisque l'acte médical sera posé. Même pour l'acharnement thérapeutique, il faut aussi qu'il y ait un certain nombre de décisions médicales en fin de vie. Là aussi une réflexion est nécessaire. Cela forme un tout où une décision doit être prise en fin de vie et où tout le monde peut essayer de voir la meilleure solution.
Madame Mia De Schamphelaere. J'ai une question de philosophie morale pour monsieur Vermeersch. Il se base sur les oppositions philosophiques dans notre société qui peuvent être expliquées culturellement et historiquement. Ceci constitue peut-être un élément qui diffère des débats d'euthanasie menés dans d'autres pays, où de telles oppositions ne jouent pas dans le débat sur la fin de vie, mais où des responsables de la société et des parlementaires se penchent sur la question de savoir comment ils peuvent garantir la protection juridique collective et comment ils peuvent maintenir la capacité de solidarité d'une population.
Monsieur Vermeersch connaît les risques humains qui sont esquissés dans d'autres parlements dans le monde entier. Un premier risque est que l'indifférence peut augmenter si l'universalité des droits de l'homme est rompue, parce que la qualité de vie est évaluée subjectivement. L'image de l'homme liée aux malades incurables et aux handicapés changera et l'indifférence dans la société augmentera. Un deuxième risque est l'augmentation de la pression morale sur les malades incurables. L'autre face du droit à l'autodétermination est évidemment qu'il convient de justifier la charge de son existence lorsque l'on devient dépendant de la solvabilité des autres. Un troisième risque est qu'une perception totalement autre des soins de santé menace d'apparaître. L'intégrité sociale se trouve dans une situation critique, parce que la mort fait aussi partie de la discipline médicale. Voici, dans les grandes lignes, les raisons pour lesquelles d'autres démocraties sont très réticentes quant à l'élargissement d'une loi sur l'euthanasie.
Nous serions les seuls au monde. Les Pays-Bas sont connus pour leur pratique de l'euthanasie, mais le droit pénal n'y est pas modifié. En Belgique, ce serait bien le cas. La question est de savoir comment nous allons justifier notre politique. Comment allons-nous expliquer au monde que nous ne courons pas ces risques humains. Le ministère des Affaires étrangères néerlandais a publié un livret, disponible dans les ambassades, où la législation néerlandaise en matière d'euthanasie est justifiée vis-à-vis du monde. Qu'écririez-vous dans une telle brochure si on vous en donnait la mission ?
Une deuxième question traite de la nécessité psychique. Le professeur Vansweevelt a publié un article où il attire l'attention sur l'importance de la nécessité psychique, parce que la souffrance insupportable et inutile n'est plus limitée à des maladies somatiques, mais elle est étendue à la souffrance psychique intense. Une dépression peut être un état de nécessité.
Nous connaissons l'arrêt Chabot de la Haute Cour de Justice néerlandaise. Sur la base de cet arrêt, on est passé à l'euthanasie de patients psychiatriques et même de filles souffrant d'anorexie. Au fond, certaines maladies sont nées de l'indifférence des autres personnes. Si nous disons à un patient que la maladie dont il souffre justifie une euthanasie, l'indifférence sociale peut conduire à l'euthanasie. Qu'est-ce que la nécessité psychique exactement ?
M. Étienne Vermeersch. La nécessité psychique est le besoin éprouvé par les personnes . Dans le cadre du droit néerlandais, l'arrêt Chabot n'était pas normal. Il s'agissait d'un patient psychiatrique qui souffrait depuis plusieurs années déjà de dépressions graves, qui ne peuvent être guéries à l'aide d'aucune thérapie. En fin de compte, il a demandé de ne plus vivre une vie de dépressions. Le médecin a donné suite à cette demande. Ceci ne cadrait pas avec les normes alors en vigueur aux Pays-Bas. Personnellement, je peux admettre qu'il existe des cas concrets où, via une procédure a priori et après concertation très approfondie avec des psychiatres et cetera, on puisse en venir à la décision que l'euthanasie est entièrement légitime dans le cas présent.
Je peux donner beaucoup de réponses à votre première question, mais je dispose de trop peu de temps. En 1805, la morphine a été isolée de opium. En 1985, on démarrait les soins palliatifs. Dans les pays industrialisés, des personnes ont souffert atrocement pendant au moins 150 ans, bien que cette souffrance ait pu être évitée dans une très grande mesure par un usage très extrême de la morphine. Cela signifie donc que la sensibilité des personnes, donc aussi des médecins, était très faible devant la souffrance d'autrui. À l'heure actuelle, elle augmente sans cesse.
En 1971, j'ai plaidé pour la première fois en faveur de l'euthanasie à la télévision. Lorsque nous voulons instaurer une réglementation légale de l'euthanasie, nous le faisons d'abord en commisération pour la souffrance de l'homme. Dans le cas de l'arrêt Chabot, il s'agissait d'une souffrance qui ne pouvait pas du tout être réprimée, à moins de maintenir cette personne sous sédatif en permanence. L'arrêt était donc une expression de pitié pour le prochain souffrant. Je ne peux pas imaginer que, dans une société où la pitié pour la souffrance d'autrui augmente sans cesse, il y aurait des conséquences négatives si on agissait selon le sentiment général de cette société. Je ne peux pas l'accepter parce que la pitié pour la souffrance d'autrui est la valeur morale suprême.
Vous m'avez posé la question d'une déclaration au reste du monde. J'y impliquerais le plus grand philosophe de société des 50 dernières années, John Rawls, ainsi qu'un des grands philosophes de société, Ronald Dworkin. Je pourrais encore en citer plusieurs. Je dispose de textes qu'ils ont adressés à la Cour suprême des États-Unis et qui contiennent une argumentation pour vous contredire. Je pensais connaître tous les arguments, mais lorsque j'ai lu ces textes, j'ai pris conscience qu'ils allaient encore un peu plus loin. Il y a donc assez d'arguments.
Bien sûr, certains pays sont à la traîne, comme les États-Unis. Là-bas, des mineurs sont tués à la chaîne dans le cadre de la peine de mort. Ils n'ont pas de respect pour la vie humaine et la vie des mineurs, mais ils sont contre l'euthanasie.
Restons sérieux. Nous pouvons prendre aussi l'Allemagne comme exemple. Je suis conscient de ce que les Allemands ont de gros complexes après ce qui s'est passé durant la deuxième Guerre Mondiale. Pour ces raisons, ils sont très prudents sur ce plan et ils progressent prudemment. Ils ne peuvent cependant pas penser qu'ils pourraient nous donner la leçon. Ils peuvent même être très prudents, et les Autrichiens peuvent l'être encore plus. J'ai le plus grand respect pour cela. Cependant, ils ne peuvent pas donner la leçon aux autres. Ces affaires doivent être traitées avec des arguments rationnels, un sentiment humain et de l'humanité. Je suis prêt, avec beaucoup d'autres, à présenter cette argumentation rationnelle. Je suis la discussion en France depuis des années déjà. D'innombrables médecins ont prétendu n'avoir jamais été confrontés à une demande d'euthanasie pendant leur carrière. Maintenant, il semble qu'il y ait chez nous 4 % d'interruptions de vie. Le pourcentage devrait être équivalent en France. S'agissait-il alors d'un mensonge ? Moi, qui ne suis pas médecin, j'ai connaissance de cas d'euthanasie dans mon environnement proche. Ce médecin, avec une carrière de 50 ans, n'en n'a jamais rencontré. Je ne comprends pas. Je pense qu'il y a énormément de refoulement et d'hypocrisie et qu'on ne répond pas à des questions concrètes.
J'ai aussi plaidé pour la contraception auparavant, lorsque c'était encore interdit. Le ministre De Saegher l'interdisait. C'est seulement lorsque la question de l'avortement a pointé le nez qu'ils ont dit à De Saegher qu'il devait autoriser la contraception, sinon l'avortement serait demandé.
M. Hugo Vandenberghe. Vous en faites quand même une caricature.
M. Étienne Vermeersch. Non, ce n'est pas une caricature. Il vous suffit de vérifier l'histoire précisément.
Le fait que l'arrivée des soins palliatifs soit liée à l'arrivée de la demande d'euthanasie est absolument logique. L'arrivée des soins palliatifs se rapporte à l'apparition de la pitié pour l'homme souffrant. Ceci doit dans un certain nombre de cas finir par un concept et la pitié pour l'homme qui n'en peut plus et qui veut mourir.
M. Philippe Mahoux. Pourquoi parlez-vous des gens incapables alors que nous n'en parlons absolument pas dans les propositions de loi ?
Le Comité consultatif de bioéthique a été amené à remettre un avis à cet égard, mais il est important que vous précisiez que, dans les propositions de loi que nous avons déposées, il n'est pas question d'incapables. En réalité, le problème n'est pas abordé.
Je souhaiterais que cette précision soit apportée car, s'il y a une mauvaise compréhension du contenu, une inquiétude peut se développer et d'ailleurs être entretenue par ceux qui sont opposés à une avancée dans ce domaine.
Je voudrais connaître les raisons pour lesquelles vous avez abordé le problème des incapables avec toute l'extension que cela peut avoir alors qu'en réalité nous souhaitons protéger les gens.
Par ailleurs, pouvez-vous revenir sur le nombre d'euthanasies pratiquées en dehors de la demande des malades, c'est-à-dire dans une approche totalement opposée à l'objectif des propositions de loi ? Pouvez-vous préciser ce chiffre en termes de pourcentage et de nombre ?
Enfin, pourquoi, d'après vous, a-t-on tant de peine à utiliser le terme « euthanasie » ? Est-ce parce que le mot lui-même véhicule une série de choses dans une sorte d'inconscient ou est-ce parce que chacun d'entre nous éprouve des difficultés à voir la mort en face ?
Je reviens à ce qui était demandé tout à l'heure en termes de distinction. Dans le cas d'un patient en insuffisance respiratoire qui vit sous respiration artificielle, enlever cette respiration artificielle, c'est évidemment pratiquer une euthanasie et empêcher un traitement qui lui permet de vivre. Pourquoi a-t-on tellement de difficultés à reconnaître que certains actes relèvent de l'euthanasie ? Actuellement, on souhaite diluer le vocable « euthanasie » dans un concept plus large, à savoir l'abstention thérapeutique, la non prise en charge thérapeutique, etc.
M. Étienne Vermeersch. En ce qui concerne la notion d'incapable, je considère en effet comme une erreur que votre projet de loi parle d'inconscients et non d'incapables. L'inconscience, c'est, peut-on dire, un type de maladie, mais il y a beaucoup d'incapables qui n'ont pas la capacité d'exprimer une volonté sans être inconscients. Il y a une frontière entre la conscience et l'inconscience. Certaines personnes déraisonnent à cause de changements survenus dans le cerveau, de la présence de sang dans le cerveau ou d'une fracture du crâne. Ces personnes ont une conscience mais sont incapables d'exprimer une volonté. Mon père avait eu une attaque, il était en clinique et il disait « je rentre à la maison ». C'est une chose qu'il n'aurait jamais dite s'il avait eu toute sa raison.
Les incapables, ce sont donc des personnes qui ne sont pas en état d'avoir ou de formuler une conception claire des choses. Il vaut donc mieux parler d'incapables. C'est évidemment beaucoup plus simple lorsqu'il y a une déclaration anticipée mais la notion d'inconscience ne convient pas à la plupart des personnes incapables qui ont une forme de conscience.
Je proposerais donc de modifier la notion d'inconscience par la notion d'incapable dans le projet de loi. Il y a une frontière entre les deux mais on sait très bien que, dans un grand nombre de cas, la personne n'a pas la capacité de formuler sa volonté.
Par ailleurs, je n'ai pas du tout conscience du fait que le terme d'euthanasie ait une connotation négative. En ce qui me concerne, la notion d'euthanasie, c'est la notion de mercy death en anglais qui est tout à fait claire. J'ai écrit mon premier papier sur l'euthanasie en 1960 et cela n'a jamais eu une mauvaise connotation. Evidemment, certains parlent de la loi allemande sur l'euthanasie. Cette loi euthanasique n'a jamais existé. Pour ma part, cette notion est tout à fait positive.
En ce qui concerne la respiration artificielle, cette discussion est interminable. Nous en avons parlé au sein de notre commission.
Évidemment, certains actes, lorsqu'ils ne sont pas posés, entraînent la mort. D'autres, lorsqu'ils sont posés, entraînent la mort. Y a-t-il une différence ?
En général, les problèmes surviennent du fait que l'évolution de la médecine permet de tenir en vie des personnes qui n'auraient pas survécu auparavant. Je pense aux moyens de réanimation cardiaque, à la respiration artificielle et à tous ces produits chimiques ou pharmaceutiques qui sont administrés dans les services de soins intensifs. Une distinction est faite entre les soins médicaux ordinaires et les soins médicaux extraordinaires. Là où l'on parle d'acharnement thérapeutique, c'est une convention évidemment mais une convention avec un certain sens. Quand on utilise ces soins et ces moyens extraordinaires de la médecine pour tenir des personnes en vie et que l'on constate que tenir en vie ces personnes n'aura pas d'effet positif, il ne faut plus les utiliser.
Évidemment, la personne en meurt mais ce n'est pas la même chose disent certaines personnes avec raison qu'administrer quelque chose à quelqu'un qui est en situation normale pour provoquer sa mort. La discussion s'est surtout orientée sur l'administration de nourriture et d'eau et non pas sur la respiration artificielle. S'agit-il de moyens ordinaires ou extraordinaires ?
Ce traitement est-il un moyen médical ordinaire ou extraordinaire ? C'est une question de choix. Je pense que, de plus en plus et c'est le cas à l'université de Louvain , on tend à considérer que ce traitement, même administré par infusion, par la bouche ou par voie intraveineuse, n'est plus un acte médical ordinaire, comme le seraient, par exemple l'humidification des lèvres, le fait de laver la personne, etc. La conception des choses est en train de changer. On tend à dire que la nourriture et la boisson artificielles sont des moyens médicaux extraordinaires. En ce qui me concerne, je pense que cette question devrait être discutée très sérieusement entre médecins, spécialistes de l'éthique, etc.
Selon les études menées, 4,4 % des décès étaient consécutifs à une dose léthale, dont 1,1 % de cas d'euthanasie, 0,1 % de cas d'assistance au suicide et 3,2 % d'arrêts actifs de la vie sans demande du patient. Cela donne donc approximativement 2 480 cas, décomposés en 620 d'euthanasie, 56 d'assistance au suicide et 1 903 d'arrêts actifs de la vie sans demande.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je crois qu'il est important de préciser ce que l'on entend par le terme euthanasie, surtout quand on envisage de légiférer en la matière. J'ai bien relu le document du Comité consultatif de bioéthique qui a fourni une définition très claire de l'euthanasie, d'ailleurs reprise par les auteurs de l'une des propositions. Cette définition exclut, de manière explicite, en tout cas de toute législation de dépénalisation, le fait d'arrêter ou de ne pas entamer un traitement médicalement absurde, ainsi que l'administration de médicaments anti-douleur ayant pour effet de raccourcir la durée de la vie.
Le Comité consultatif de bioéthique a été très clair dans le cadre de cette définition. Cependant, dans l'esprit des gens, toutes les possibilités d'acte médical difficile en fin de vie sont évoquées dans le débat sur l'euthanasie. Je suis frappée de voir que les pays qui ont légiféré possèdent une législation portant davantage sur la problématique de l'acharnement thérapeutique, c'est-à-dire qu'un patient peut refuser de poursuivre un traitement ou exprimer son souhait de pouvoir terminer sa vie sans que l'on continue à s'acharner sur sa personne, et sur la déclaration anticipée, le testament de vie. Donc, les législations étrangères s'attachent plutôt au droit du patient, ce qu'il a, lui, à dire sur l'évolution de sa maladie, qu'à la problématique de la dépénalisation éventuelle de l'acte d'euthanasie tel que vous le définissez.
Tous les pays se sont penchés sur le problème. La Hollande est le seul pays à avoir adopté une législation touchant à l'euthanasie en tant que telle, sans totalement la dépénaliser, puisqu'elle continue à figurer dans le Code pénal. La France, le Danemark, la Hollande, les États-Unis, la Suisse et d'autres encore ont discuté de ce problème. Les législations adoptées dans ces pays vont dans le sens d'un droit du patient, d'une relation entre le patient et le médecin dans laquelle le problème est abordé dans sa globalité. Cette approche me semble intéressante.
M. le président. Quelle est votre question, madame de T'Serclaes ?
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voulais m'assurer que le professeur, par ailleurs président du Comité consultatif de bioéthique, souscrit à cette définition.
M. Étienne Vermeersch. Tout à fait.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Le fait d'arrêter un traitement n'est donc pas de l'euthanasie. Le fait d'administrer des médicaments anti-douleur n'est pas de l'euthanasie.
M. Étienne Vermeersch. Certainement pas. Mais ces actes soulèvent néanmoins des problèmes éthiques. Au sein de notre comité et de la commission, on a beaucoup parlé des décisions médicales en fin de vie en général. Comme je l'ai déjà dit, ce serait trop facile de penser que l'acharnement thérapeutique peut être défini comme tel, et cela n'est pas acceptable. C'est très difficile de savoir quand il y a acharnement thérapeutique. Je trouve que les déclarations anticipées, tels les testaments living will américains, qui stipulent par exemple la volonté d'une personne de ne pas être réanimée à la suite d'un accident ou d'une attaque, sont excessivement dangereuses.
En effet, vous pouvez être victime d'un arrêt cardiaque, être réanimé et continuer à vivre, comme mon père, pendant dix ans. Je trouve qu'il est préférable de donner au médecin les moyens de juger. Il faut cependant qu'il sache que si, par exemple, cette personne a une probabilité de 40 ou de 50 % de s'en sortir mais en conservant de lourdes séquelles, elle ne souhaite pas être réanimée ou veut que le traitement soit arrêté. Dans ce cas, l'éventail des possibilités de décisions serait beaucoup plus large.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Donc, vous ne souhaitez pas qu'on légifère dans ces matières ?
M. Étienne Vermeersch. Non, selon moi, il vaut mieux que le Comité consultatif de bioéthique en discute avec un certain nombre de médecins de tous bords, notamment des responsables d'unités de soins intensifs et qu'il essaye de donner des orientations. Pour le moment, le problème n'est pas tout à fait clair, notamment en ce qui concerne l'exemple du « coma dépassé » dont j'ai parlé. Il l'est encore moins s'agissant de formes de sénilité très développée où il n'y a pratiquement plus de cerveau humain. Il est très difficile de discuter de ces problèmes, lorsque l'on ne dispose pas de données scientifiques tout à fait claires.
Mme Kathy Lindekens. Monsieur Vermeersch, je souhaite encore revenir à votre détermination du temps concernant la délimitation de la phase terminale. J'estime que déterminer un nombre précis de jours peut être un problème pour la sécurité juridique du patient. Je me réfère à M. Vankrunkelsven, qui dit que les médecins ne peuvent pas le déterminer à l'avance et qu'ils ne mettent pas toujours leur patient au courant, s'ils le savent. Je connais des personnes à qui on avait encore accordé quelques mois ou un an, mais qui sont morts dans les deux semaines. Les chiffres que vous citez sont des chiffres constatés a posteriori. C'est d'ailleurs la seule manière d'effectuer ce constat.
M. Étienne Vermeersch. Ce problème ne se pose pas lorsqu'il s'agit d'un patient qui demande l'euthanasie. En effet, ce patient sait qu'il va mourir. Le médecin doit lui dire quelles sont les prévisions, mais celles-ci ne sont jamais parfaites. La phase terminale est en principe inférieure à vingt jours, mais j'ai donné le chiffre vingt pour ne pas soulever de discussion. Ce chiffre ne pose aucun problème. La seule différence est que, lorsque cette limite est dépassée, on passe selon ma proposition à la procédure a priori. Avant cette période, la procédure a posteriori peut être employée.
Mme Kathy Lindekens. Concernant la procédure a priori dans une phase non terminale, vous renvoyez à l'apport d'un spécialiste de l'éthique. Vous avez dit que le patient doit pouvoir exprimer sa préférence. Je me demande comment le patient peut le faire. Les spécialistes de l'éthique, dont vous êtes un cas exemplaire, ont sur ce problème et sur d'autres des avis très prononcés. Le patient doit pouvoir se baser sur autre chose que sur une liste de noms. Comment le patient sait-il à qui il aura affaire ?
M. Étienne Vermeersch. En premier lieu, je propose que les spécialistes de l'éthique jurent tous qu'ils acceptent au moins que l'euthanasie constitue un acte positif dans un certain nombre de cas et qu'ils veulent contribuer à la recherche qui doit déterminer si l'euthanasie est raisonnable dans le cas en question. En deuxième lieu, les patients peuvent déjà situer les spécialistes de l'éthique en fonction des institutions auxquelles ils sont liés, bien que je pense que ce ne soit plus d'une importance extrême quand ils ont prêté serment. Alors, on peut peut-être faire confiance à presque tous. Un patient a cependant le droit le plus strict d'opter pour un spécialiste de l'éthique de la VUB ou de la KUL, et cetera. Cela donne déjà une certaine idée, bien que ce ne soit pas toujours certain.
Mme Clotilde Nyssens. À l'heure où la médecine accomplit d'énormes progrès dans le soulagement de la douleur j'ai bien suivi l'évolution médicale dont vous avez parlé, monsieur Vermeersch , n'est-il pas paradoxal de vouloir légiférer de manière aussi radicale que vous le proposez ? Vous avez évoqué de nouvelles techniques, à savoir la sédation, les analgésiques. En voulant soulager la douleur tel est notre objectif à tous n'ouvre-t-on pas, de façon paradoxale, une généralisation alors que la médecine réalise des progrès dans ce domaine ?
Je voudrais également connaître votre avis en ce qui concerne les techniques de sédation dont vous avez parlé.
J'apprécie votre souci de rechercher un consensus, mais philosophiquement, je ne comprends pas comment vous pouvez plaider pour un contrôle a priori, dans un cas, et un contrôle a posteriori, dans l'autre. Le contrôle a priori n'appartient-il pas, philosophiquement, à une thèse qui veut non pas agir au niveau de la justice classique qui, à mon avis, n'est pas en mesure de prendre en compte ce problème mais justement modifier la culture dans nos hôpitaux afin d'avoir un système d'aide à la décision beaucoup plus grand qu'il ne l'est actuellement et afin que les pratiques médicales, la déontologie et la culture hospitalière changent ? Je crains qu'en opérant une importante distinction philosophique comme vous le faites, il n'y ait pas de base suffisamment chargée pour justifier une telle distinction.
J'en viens à la distinction entre la phase terminale et la non-phase terminale. Je voudrais savoir pourquoi vous insistez pour avoir une solution en phase non-terminale étant donné que les pays voisins ont imposé une limite beaucoup plus restrictive que celle qui serait mise par la Belgique à ce niveau.
Vous avez parlé de culture palliative et de soins palliatifs et vous avez essayé de faire le lien entre euthanasie et soins palliatifs. C'est, selon moi, une discussion qui doit être menée plus avant, car cette question est très mal comprise. Cependant, je me permets de signaler que dans bon nombre de lieux qui développent la culture palliative, il n'y a pas d'euthanasies.
M. Étienne Vermeersch. Je n'en connais pas.
Mme Clotilde Nyssens. Moi si, mais tel n'est pas notre débat. Nous devons nous montrer très prudents lorsque nous mêlons les deux sujets. Nous devons étudier le lien qui existe entre ceux-ci et ne pas utiliser des raccourcis, car il est évident que dans certains lieux pratiquant les soins palliatifs, il n'y a pas d'euthanasies.
Enfin, j'ai bien entendu votre souhait d'être plus précis sur les mots « incapacité », « incapable », plutôt qu' « inconscient ». Cette notion m'intéresse. Cependant, une extrême prudence s'impose, car en droit, le mot « incapacité » porte sur d'innombrables régimes, excessivement larges. Je pense à la minorité prolongée : une personne sous minorité prolongée est-elle incapable ou non ? Je souhaiterais qu'une analyse juridique fine soit menée pour savoir ce que l'on entend par « incapable ».
M. Étienne Vermeersch. Tout cela a été développé dans notre rapport et dans nos avis.
Mme Clotilde Nyssens. Je le sais.
M. Étienne Vermeersch. Nous sommes partis de la différence entre la notion de personne « capable » et « incapable ». Nos avis, et surtout notre rapport, contiennent suffisamment de données pour se faire une opinion à ce sujet.
En ce qui concerne l'idée que nous serions un peu à côté de la question en parlant d'euthanasie, je tiens à signaler que c'est pour cette raison que j'ai donné des chiffres. J'ai parlé de 4,4 %. C'est loin d'être négligeable : cela représente 2 480 cas par an en Flandre, soit environ 5 000 cas pour l'ensemble de la Belgique. Nous n'avons pas inventé ce chiffre.
En ce qui concerne le lien avec la culture palliative, les chiffres démontrent que les médecins qui ont suivi une formation en soins palliatifs et terminaux pratiquent plus d'arrêts actifs de la vie que leurs collègues, ce qui prouve que même dans ces milieux, ces actes sont posés. Il ne faut pas en discuter; c'est une preuve scientifique.
Soeur Léontine que je connais depuis longtemps m'a dit, il y a cinq ou six ans, qu'elle avait déjà été confrontée à quatre demandes d'euthanasie, ce qui avait suscité un dialogue avec les intéressés. Elle signalait en outre deux cas où la discussion n'avait pas été possible.
Ces personnes avait reçu la possibilité d'aller ailleurs pour recevoir cette euthanasie. Donc, même dans un milieu où l'euthanasie est considérée comme hors de question, cette demande existe.
Mme Clotilde Nyssens. Vous avez répondu à toutes mes questions. Il ne faut pas établir de lien direct entre demande d'euthanasie et euthanasie pratiquée. Je tenais à faire cette distinction.
M. Étienne Vermeersch. En effet, il y a beaucoup plus de demandes d'euthanasie que d'actes d'euthanasie. Mais il y a tout de même 2 480 cas d'arrêt actif de vie.
M. Jean-Marie Dedecker. Au début, nous avions parlé ici d'une commission de contrôle et madame Leduc l'avait reprise dans sa proposition. Entre-temps, toutes ces choses se sont affaiblies et elles ont reçu une autre dénomination. Je viens de vous entendre parler de l'importance d'une commission de contrôle. J'aimerais savoir concrètement pourquoi.
M. Étienne Vermeersch. Parce que je pense que le transfert des données au parquet peut avoir deux conséquences.
Soit le parquet examine tous les cas sérieusement, mais alors je me demande quel est le sens de tout cela. La plupart des cas seront en effet absolument acceptables. En outre, le renvoi de quelque chose au parquet revient à une autoaccusation. Soit le parquet classe simplement ce qu'il reçoit et la procédure entière n'a aucun sens. Cependant, si nous avons, comme aux Pays-Bas, des commissions régionales de contrôle spécialement créées à cet effet, tous les cas sont étudiés sérieusement et une affaire n'est envoyée au parquet que si des erreurs sont réellement commises. Des assemblées communes de toutes les commissions de contrôle, ce qui correspond à l'organe de coordination de la proposition Mahoux, permettent petit à petit d'obtenir un meilleur aperçu des problèmes et de voir plus clairement quelle peut être l'évolution. Ce sont les deux raisons principales.
Mme Jacinta De Roeck. Je me demande ce que vous désignez précisément par spécialiste de l'éthique. S'agit-il d'un médecin spécialiste de l'éthique ? Dans quelle mesure êtes-vous certain qu'un spécialiste de l'éthique ne juge pas de manière subjective à partir de son point de vue éthique ?
M. Étienne Vermeersch. Je n'en suis pas certain. Le groupe du Comité consultatif qui a élaboré la troisième proposition estime que le spécialiste de l'éthique ne peut pas être un médecin. L'intention, par ailleurs très légitime, était que le spécialiste de l'éthique stimulerait le débat éthique, de sorte que cela ne devienne pas un petit comité de médecins. Le serment que je propose garantit qu'il s'agit de personnes qui acceptent l'euthanasie, au moins dans certains cas, et donc que les choses soient examinées avec sérieux. Le spécialiste de l'éthique a en outre quelque expérience de la communication relative à de telles affaires, par exemple par sa participation à une Commission éthique dans un hôpital. Le spécialiste de l'éthique ne représente d'ailleurs qu'une des personnes qui jouent un rôle. Je sais cependant aussi que de graves problèmes sont liés à ce spécialiste de l'éthique et je n'en n'étais pas partisan.
Mme Jacinta De Roeck. Qui est ce spécialiste de l'éthique ? Qu'a-t-il étudié ?
M. Étienne Vermeersch. Dans la commission éthique dont je fais partie à Gand, il y a aussi des infirmières, des médecins et des personnes qui sont des philosophes-éthiciens autoproclamés. Il peut aussi s'agir de personnes issues des sciences sociales. Il y a donc aussi des personnes qui ne sont pas médecins.
Mme Jacinta De Roeck. Pensez-vous qu'une personne de ce type ait plus de poids a priori ? Le spécialiste de l'éthique ne peut-il pas être remplacé par un psychiatre ?
M. Étienne Vermeersch. Nous retombons alors dans un cercle de médecins.
Mme Jacinta De Roeck. Oui, mais un psychiatre travaille à partir d'une autre dimension.
M. Étienne Vermeersch. C'est possible, mais enfin je n'en suis pas partisan.
M. Jan Remans. Si je vous ai bien compris, votre seule objection contre une législation provient du souci qu'une législation cause des abus. Les propositions de loi actuelles me donnent cependant plutôt le sentiment de réprimer l'abus précisément. Je souhaite alors poser deux questions. Premièrement, connaissez-vous une meilleure protection contre l'euthanasie pour des raisons économiques que l'expression de volonté formelle, l'autonomie du patient ?
M. Étienne Vermeersch. Non.
M. Jan Remans. Deuxièmement, connaissez-vous une meilleure protection contre l'acharnement médical que l'autodétermination du patient ?
M. Étienne Vermeersch. Non.
M. Jan Remans. Cela sera encore plus vrai à l'avenir. Vous avez parlé tout à l'heure d'« acte médical normal », mais celui-ci se déplace avec les progrès de la médecine. J'ai lu la déclaration du spécialiste de l'éthique néerlandais Kuitert : « Une société qui ne veut rien savoir de l'euthanasie n'aurait jamais pu commencer les soins de santé. » Où restent les objections selon lesquelles l'autonomie du patient est affaiblie ?
M. Étienne Vermeersch. Je ne dis pas que l'autonomie du patient est affaiblie quelque part. Tant dans la proposition relative aux patients en phase terminale que dans celle concernant les patients non terminaux, c'est en fin de compte le patient qui pose la question et qui prend la décision. C'est juste qu'elle prend plus de temps chez les patients non terminaux il s'agit d'une proposition de conciliation et une procédure plus complexe peut être suivie. Mais c'est toujours le patient qui prend la décision.
Tant que le patient est encore capable, il peut encore à peu près indiquer ce qu'il veut voir se passer. S'il devient incapable, il lui est impossible d'exprimer cela clairement. Dans ma déclaration de volonté, une série de maladies sont énumérées très précisément, mais c'est une problématique qui m'occupe depuis déjà quelques années. La plupart des personnes ne peuvent pas le faire. Elles peuvent cependant exprimer dans quelle direction elles veulent aller. Une personne ne dira pas, par exemple : « Je veux qu'on mette fin à mes jours si je n'ai plus que 80 de QI. » Mais elle pourrait bien dire : « Je veux que l'on mette fin à mes jours si je ne sais plus qui je suis, si je ne reconnais plus mes enfants, si je ne sais plus si j'ai des enfants et leur nombre. » L'homme de la rue peut exprimer cela, mais on ne peut pas aller plus loin, parce que la situation concrète diffère au cas par cas.
M. Jan Remans. Je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde, mais que dites-vous aux personnes qui prétendent que l'autonomie du patient est affaiblie, que ce soit pour des raisons religieuses ou communautaires ?
M. Étienne Vermeersch. Je prouve que l'autonomie des patients n'est pas fondamentalement affaiblie en fait, sauf dans les cas où cela est logique et évident.
Mme Jeannine Leduc. Si le patient en phase non terminale souffre atrocement, doit-il continuer à supporter cette souffrance ?
M. Étienne Vermeersch. Non, parce qu'il prendra en fin de compte la décision.
Mme Jeannine Leduc. Pourtant, elle est postposée.
M. Étienne Vermeersch. C'est une procédure un peu plus longue et plus complexe. Il y a des personnes qui ont des objections fondamentales lorsqu'il s'agit de patients qui ne sont pas en phase terminale. J'essaie de répondre à cela sans abandonner ce qui est fondamental. Je trouve meilleur qu'une très large majorité puisse être trouvée autour de l'euthanasie il convient peut-être de légiférer séparément pour les incapables et je pense que c'est possible.
M. Hugo Vandenberghe. Je vous remercie pour votre exposé, qui est comme toujours très éclairant et préparé. Je voudrais y apporter plusieurs remarques.
La première concerne l'étude de Deliens que vous citez à plusieurs reprises dans votre argumentation. Je n'ai toujours pas pu parcourir cette étude et je n'ai pas donc pu non plus en examiner les sources. Vous serez d'accord avec moi pour dire que l'étude des sources et de la méthode employée est essentielle pour juger du résultat. Tant que c'est impossible, nous ne pouvons rien en tirer de définitif. Si je suis bien informé, il s'agit d'une étude réalisée au départ d'un sondage. En effet, il est impossible d'effectuer en Belgique une étude scientifique objective de l'euthanasie puisqu'il n'existe pas de déclaration moderne du décès. La source qui permettrait de parler de chiffres de façon objective n'existe donc pas. Par conséquent, je trouve quelque peu exagéré de votre part de parler de 1 903 cas d'arrêt de vie sans demande du patient. Si on utilise un sondage, on peut donner des pourcentages, mais pas de chiffres exacts.
M. Étienne Vermeersch. Bien entendu.
M. Hugo Vandenberghe. Oui, mais si on l'utilise comme argument à plusieurs reprises ...
M. Étienne Vermeersch. Il existe toujours une marge.
M. Hugo Vandenberghe. Dans une démocratie, nous pouvons toujours être d'avis différents et, même après un exposé aussi précieux, faire des remarques qui sont susceptibles d'être discutées. Je vous connais suffisamment pour savoir que vous l'acceptez. Où vais-je vous mener après une telle introduction ? En Flandre, tout le monde vous connaît comme un homme d'indignation, ce qui est une grande qualité éthique. Toutefois, je suis très impressionné que vous ne soyez pas terriblement indigné que 1 903 patients aient été tués par leur médecin sans qu'on leur demande leur avis. Ce devrait être le point d'étalonnage de chaque prise de décision. Le pays devrait être en émoi. Vous ne m'avez d'ailleurs pas dit qu'il s'agissait d'incapables. Cela rendrait le fait encore plus grave ou du moins tout aussi grave. Nous questionnerons des médecins et des délégués de l'Ordre de médecins pour vérifier la véracité de ces chiffres et comment c'est possible, alors que les associations médicales disent que c'est exclu dans leurs déclarations officielles. Il doit quand même y avoir une explication à cela. En ayant cela devant les yeux, il doit quand même être clair que toute réglementation doit partir de la menace d'abus et qu'elle doit contenir des mesures contre cet abus. Vous me rejoignez partiellement, du moins sur le plan de la procédure, par l'idée de reprendre le contrôle a priori pour les patients ne se trouvant pas en phase terminale. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi. Quand y a-t-il le plus de risques d'abus ?
Chez un patient en phase terminale. Quand l'autodétermination est-elle la plus faible ? Lorsqu'il est en train de mourir. Durant les huit ou quatorze derniers jours de sa vie. À ce moment, toutes les formes possibles de manipulation, de pression et de manque d'autonomie sont le plus présentes dans les faits. Ici, il ne s'agit pas en effet du principe d'autonomie, mais de l'autonomie effective du patient. Au moment où il est le plus faible, il doit recevoir une protection supplémentaire. L'étude que vous citez fournit la preuve que le contrôle a priori offre la meilleure garantie contre des abus. Je suis ouvert à un contenu concret du contrôle a priori, mais je reste convaincu qu'il offre la meilleure garantie, pour la raison très simple que le contrôle ultérieur arrive naturellement trop tard, puisque le patient est mort.
Je suis d'ailleurs d'avis que la législation doit examiner le pire cas et qu'il faut réprimer toute possibilité d'abus. C'est pourquoi le contrôle a priori avec garanties pour les médecins doit être adopté. Je suis prêt à réfléchir dans ce sens-là. C'est ma première question fondamentale.
Ma deuxième question concerne l'état de nécessité. Vous citez une étude de 1951.
M. Étienne Vermeersch. In tempore non suspecto.
M. Hugo Vandenberghe. Oui, mais à cette époque peut-être n'était-on pas conscient des questions qui se poseraient aujourd'hui. On peut utiliser un exposé général sur une notion juridique. Toutefois, lorsqu'une question concrète sur un problème précis se pose pour le législateur, le concept juridique reçoit une dynamique, une créativité propre qui n'a pas été établie il y a cinquante ans. Aujourd'hui, le droit pénal ne contient aucune disposition qui donne aux médecins l'immunité dans le cadre de coups et de lésions, même si, objectivement parlant, ils infligent à tous des coups et des lésions. On l'a cependant implicitement lié à un motif de justification.
Pour cette raison, je suis partisan de l'introduction d'un concept d'« état de nécessité » ou d'une formule équivalente. Je pense que c'est une idée intéressante, parce qu'elle implique un compromis en fixant d'une part qu'il est important que le principe « tu ne tueras point » reste dans le code pénal, mais en mettant d'autre part assez de moyens à disposition pour pouvoir répondre sur le terrain à des situations insupportables, malheureuses ou ingérables. L'état de nécessité ne peut pas être interprété historiquement, mais seulement en perspective, comme il l'a toujours été dans l'éthique et la pratique médicale.
M. Étienne Vermeersch. Je peux vous suivre dans cette voie, mais ce qui ne doit pas subsister, c'est qu'on ne puisse invoquer que l'état de nécessité dans ces cas. Il faut toujours pouvoir invoquer un état de nécessité dans un cas privé. C'est précisément la définition d'un état de nécessité. On peut pas inscrire dans une loi qu'on ne peut pas invoquer l'état de nécessité dans tel ou tel cas. Cette disposition doit en tout cas en sortir. Je suppose que vous pouvez être d'accord avec moi là-dessus. On ne peut pas limiter l'état de nécessité. Il doit pouvoir être invoqué dans tous les cas. Cela est clair. On peut bien, comme dans la proposition PSC, inscrire dans la loi que, si on invoque l'état de nécessité selon ces conditions, on n'est pas importuné, mais on ne peut pas dire l'inverse.
Je suis effectivement indigné par les faits que vous citez. Je l'ai d'ailleurs déjà admis à plusieurs reprises. Je l'ai même fait lors de ma première visite ici. À cette époque, je n'avais fait référence qu'à l'étude de Hasselt. J'ai déclaré sur l'honneur que les résultats de la grande enquête analogue et j'ai indiqué, ce qui est le principal, que ces formes illégitimes d'homicide sont quatre fois plus nombreuses dans notre pays qu'aux Pays-Bas. Il existe une réglementation aux Pays-Bas; pas en Belgique. La réponse est donc évidente : introduisez une réglementation, comme aux Pays-Bas, et il existera une chance que ces formes criminelles d'homicide soient réduites de manière importante. Vous semblez me souffler ma conduite. L'argument de base est que la forme illégitime d'homicide se présente ici quatre fois plus qu'aux Pays-Bas.
J'en arrive maintenant à votre remarque concernant la phase terminale. En phase terminale, il existe effectivement un certain nombre de risques. De façon objective, il est inadmissible que quelqu'un, que ce soit par erreur, par légèreté ou pour une autre raison, fasse mourir une demi-journée plus tôt une personne qui souffre terriblement, mais ce n'est pas une catastrophe. Je trouve beaucoup plus grave que cette personne doive souffrir inutilement durant quatre jours. C'est toutefois une question d'appréciation.
M. le président. La commission remercie M. Vermeersch de son exposé au cours duquel elle a pu apprécier sa franchise, sa compétence et aussi sa conviction.
Audition du professeur Yvon Englert
M. Yvon Englert. Je tiens à vous remercier de cette nouvelle opportunité de m'exprimer devant vous. La proposition étant récente, je n'ai pas voulu reprendre de manière trop synthétisée une position que j'ai déjà défendue lors des réunions du Sénat sous la législature précédente et que je vous ai communiquée après l'audition du bureau du Comité de bioéthique. J'ai donc essayé, à titre d'introduction à ce que j'avais compris être essentiellement une discussion suivie de réponses aux questions que se posent les parlementaires à propos de l'euthanasie, de pointer un certain nombre de key points, de noeuds au sujet de problèmes faisant l'objet du débat.
Je veux d'abord rappeler un certain nombre d'éléments concernant l'intervention des médecins en fin de vie de manière générale. Je ferai référence à une étude des Pays-Bas que j'ai déjà citée, qui est incontestable et incontestée, publiée dans les plus grandes revues médicales et menée suivant une méthodologie remarquable que tout le monde reconnaît, quelle que soit la position que l'on défende face à la fin de vie. Du point de vue épidémiologique, cette méthodologie est extrêmement précise; des recoupements ont été opérés suivant plusieurs techniques et le ministre de la Justice a pris l'engagement de ne pas utiliser les données à des fins de poursuites judiciaires. Un ensemble de conditions donnent donc à ces chiffres une valeur inégalée à l'échelle de la planète. Aucune autre donnée n'a une force comparable dans ce domaine.
Quarante pour-cent de nos concitoyens meurent après une intervention médicale qui influence le moment du décès. C'est une donnée importante. Cela signifie que les médecins et les soignants en général sont présents pour influencer le moment du décès dans un nombre très important de fins de vie. Les soixante pour-cent restants sont des personnes qui décèdent d'un accident de la route, d'un infarctus sur le bord du trottoir, etc., c'est-à-dire dans des situations n'ayant pas nécessité d'intervention médicale.
La plus grande partie des interventions médicales qui vont influencer le moment du décès appartiennent à deux groupes dont nous avons déjà largement entendu parler précédemment. Il s'agit en premier lieu des décisions de non-traitement ou d'arrêt de traitement, qui représentent 17,5 % des décès dans l'étude de Vandermaes. Ce sont donc des situations non pas d'euthanasie mais d'arrêt d'un traitement que le médecin estime devenu inutile ou de non-mise en route d'un traitement dont il considère qu'il n'a pas de chance raisonnable d'être efficace. Cette situation présente une certaine ambiguïté, mais elle ne peut en aucune façon être assimilée à un geste d'euthanasie. Les décisions de ce type sont extrêmement fréquentes. Elles vont varier en fonction des situations et de l'amélioration des connaissances médicales. Ce qui, à un certain moment, est considéré comme un traitement sans espoir peut, avec les progrès de la médecine, devenir quelque chose de tout à fait significatif.
Le deuxième groupe d'intervention qui, dans l'étude de Vandermaes, représente 17,5 % des cas, concerne les administrations à doses élevées d'anti-douleur, destinées à soulager la douleur et les symptômes du patient sans intention de donner la mort, mais ayant pour conséquence un éventuel raccourcissement de la vie.
C'est donc la prééminence du traitement de la douleur sur la longévité de l'existence qui est privilégiée. Ces deux approches sont considérées aujourd'hui comme des pratiques médicales normales et font l'objet d'un consensus. Je reviendrai plus tard sur ce point pour attaquer d'une certaine façon ce consensus, lequel peut assez largement être considéré en tant que tel.
Les cas d'euthanasie et les autres interventions actives en fin de vie représentent donc 2,9 % des décès. Il s'agit de chiffres des Pays-Bas, émanant d'une étude commandée en 1991 par le ministre de la Justice à l'École de santé publique de Rotterdam. Je vous demande de retenir ce chiffre de 2,9 % car le parallélisme avec les données belges est très intéressant.
Les Pays-Bas connaissent depuis vingt ans une situation de tolérance par rapport à l'euthanasie stricto sensu, c'est-à-dire le fait de mettre activement fin à la vie d'un patient conscient, à sa demande explicite. L'euthanasie représente 1,8 % des cas dans l'étude de 1991. Le suicide assisté, qui recouvre la même logique mais où le patient lui-même ingère une substance préparée par le médecin, représente 0,3 % des cas. Il y a donc très peu de suicides assistés. Enfin, on dénombre 0,8 % de cas d'interruption de vie active sans demande explicite du patient, situation qui a beaucoup agité la commission lors de l'intervention de M. Vermeersch à propos des chiffres belges.
Il faut savoir que dans le consensus néerlandais il ne s'agit pas d'une législation mais la situation néerlandaise est particulière et ne serait pas transposable en Belgique la directive anticipée, appelée plus communément dans le grand public le « testament de vie », n'est pas reconnue et 60 % des interruptions de vie active sans demande explicite sont en fait des cas où le patient avait précédemment demandé que l'on abrège ses souffrances quand il se trouverait dans cette situation.
Depuis que le débat sur l'euthanasie s'est, depuis quelques années, largement ouvert en Belgique, les langues se délient et les travaux se poursuivent. M. Vermeersch a fait référence à une étude qui n'a malheureusement toujours pas été publiée, ce qui rend à mon sens les choses inconfortables. Nous sommes néanmoins frappés par la similitude des chiffres belges avec ceux de l'étude néerlandaise. Tout le monde avait prédit cette situation. Notre culture, notre structure d'âge, notre structure de mortalité sont très semblables à celles des Pays-Bas. Il y avait donc peu de chances que la situation belge soit fondamentalement différente de la situation néerlandaise. Toutefois, et c'est un élément très important, les chiffres belges révèlent que les euthanasies sont beaucoup moins représentées dans notre pays qu'aux Pays-Bas, tandis que les interruptions de vie sans demande explicite le sont beaucoup plus, même si les chiffres d'intervention active du médecin sont probablement très semblables.
Je peux vous dire subjectivement, pour avoir roulé ma bosse dans les hôpitaux depuis plus de vingt ans, que ces chiffres ne m'étonnent pas. Ils représentent très probablement une photographie assez exacte de la situation que nous connaissons.
Si nous avons toujours vécu comme ça, à quoi sert-il de légiférer ? Je rappelle que je suis un défenseur assez ferme d'une législation. Pas n'importe laquelle cependant. Il me semble que plusieurs points rendent aujourd'hui cette démarche nécessaire. Tout d'abord, on se rappellera les situations judiciaires toutes récentes.
En tant que médecin et citoyen, je comprends mal que l'on puisse assimiler à un acte criminel de la qualification aussi lourde que celle de meurtre avec préméditation, le fait d'aider à mourir un patient qui le demande, qui souffre et qui n'en peut plus. Et ce, que l'on trouve cela bien ou mal, que l'on soit ou non un partisan d'une dépénalisation. Cette assimilation me choque profondément, non parce que, en ma qualité de médecin, je pourrais être confronté un jour à un tel cas. En tant que citoyen, cela me paraît heurter le bon sens même. Indépendamment de l'avenir des propositions de loi qui sont sur la table, il faut se demander s'il ne serait pas raisonnable d'individualiser, dans le Code pénal, l'euthanasie et d'en faire une qualification différente de celle du meurtre avec préméditation.
Tout au long de ces années, on nous a dit qu'il n'existait aucun cas en Belgique, qu'il ne fallait pas remuer les choses et que les médecins se débrouillaient très bien. Évidemment, trois histoires récentes en cours d'instruction rappellent à la dure réalité ceux qui considèrent que la déontologie médicale prévaut sur la loi. Elles leur montrent que la loi prime sur la déontologie.
Je ne répondrai à des questions portant sur ces histoires récentes qu'avec beaucoup de prudence. En effet, la vision que nous en avons à travers la presse et le fait qu'elles soient à l'instruction doivent nous inciter à la plus grande prudence. Néanmoins, j'ai appris depuis que bien d'autres dossiers ont existé. En général, ils n'ont pas dépassé le stade de l'instruction et ont été classés sans suite. Cette situation n'est donc pas nouvelle. Elle n'est d'ailleurs pas propre à la Belgique. Des dossiers sont instruits dans les pays voisins, tout le monde le sait.
Toutefois, en ce qui me concerne, ma faveur pour une clarification législative n'est pas essentiellement le résultat de ces situations-là. Dans la pratique, et je parle en tant que médecin, il faut être bien conscient que le caractère illégal et la lourdeur de la qualification qui entoure l'acte, jettent une chape de plomb sur les relations entre le médecin et le malade en fin de vie. On est dans une situation extrêmement difficile.
Même quand on est favorable à l'euthanasie, même quand on a une relation franche avec le patient, même quand il s'exprime de manière ouverte malgré les difficultés que représente le fait d'aborder un sujet à la fois tabou et qualifié par le Code pénal, on éprouve d'énormes difficultés à établir une relation sereine parce que l'on n'est pas seul au monde. On a, autour de soi, d'autres personnes telles que les infirmières ou les membres de la famille dont on ne peut jamais savoir quelle sera, in fine, la position.
Il s'agit donc d'une situation extrêmement difficile, même lorsque l'on se trouve dans un milieu qui y est favorable. C'est là que se situe un des points centraux qui justifient une sortie de l'illégalité. Bien sûr, l'État de droit doit coller à ce qui est réellement considéré comme le bien et le mal à l'intérieur d'une société. Il s'agit cependant plus d'un argument par rapport à l'État de droit qu'au vécu de la pratique quotidienne.
On peut d'ailleurs trouver, dans les chiffres hollandais, une illustration remarquable de cet état de fait. Vous savez qu'en 1991, à la suite de la première étude Vandermaes que je vous ai mentionnée, les autorités hollandaises, le collège des procureurs et les représentants des organisations médicales ont pris l'engagement officiel d'éviter toute poursuite, en définissant un certain nombre de critères qui se retrouvent pour la plupart dans les propositions de loi actuellement examinées. Cinq ans après la première étude, le gouvernement hollandais a demandé, en 1995, de réaliser la même étude afin de mesurer l'impact d'un accord concret sur la pratique hollandaise.
Les conclusions de cette nouvelle étude sont particulièrement éclairantes par rapport à ce que je viens de vous dire. La réalité a en effet montré que le nombre d'euthanasies réellement pratiquées en Hollande n'avait pratiquement pas changé. Les différences observées sont extrêmement faibles et explicables par le vieillissement de la population. Le nombre d'euthanasies pratiquées entre 1990 et 1995 a augmenté de 0,4 %. Par contre, on constate une augmentation de 37 % du nombre de patients qui ont abordé la question de savoir s'ils pourraient compter sur leur médecin de manière active lorsque leur situation se dégraderait et quand ils l'estimeraient nécessaire. Dans l'étude de 1990, 25 000 personnes avaient abordé cette question de manière directe avec leur médecin. Ils étaient 34 000 dans l'étude de 1995. Cela ne veut pas dire que la plupart de ces gens auront recours à une demande d'euthanasie. Les demandes exprimées ont été de 9 700 en 1995 et le nombre d'euthanasies pratiquées est resté très semblable à celui qui existait en 1991.
La dépénalisation améliore la relation entre le médecin et le malade à un moment où tout le monde sait qu'elle est difficile, que nous éprouvons des difficultés, que nous avons certainement énormément de choses à apprendre et à améliorer dans la gestion de la fin de vie. Ce que le législateur peut faire, c'est non pas apprendre la médecine, mais créer les conditions d'un espace de parole qui permettent l'expression de la souffrance et des solutions qui peuvent y être apportées. Nous savons tous que le fait de pouvoir aborder la question peut simplement suffire à rassurer le patient qui, en réalité, n'y recourra jamais et ne demandera jamais d'y recourir.
L'autre raison est que, dans la situation de clandestinité et d'illégalité dans laquelle nous sommes, nous assistons à des euthanasies réalisées par des non-médecins. Je rappelle qu'un dossier est actuellement à l'instruction à Anvers. Je ferai référence, à ce sujet, à une publication américaine que j'ai présentée au Sénat à l'époque. Il s'agit d'une étude réalisée chez 900 infirmières travaillant dans des unités de soins intensifs américaines. Elle montre que 15 % d'entre elles reconnaissaient avoir pratiqué des interruptions actives de vie, dont un tiers sans même avoir eu une discussion avec le médecin traitant.
Dans la situation où personne ne prend ses responsabilités, il se trouve des infirmières courageuses pour les prendre. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une situation favorable mais c'est une réalité qu'il faut prendre en compte. L'autre aspect, également connu, concerne les suicides de patients qui craignent de se retrouver un jour dans l'incapacité de prendre les décisions eux-mêmes en sachant qu'ils ne peuvent compter sur personne. Je reviendrai sur ce point en disant pourquoi je pense qu'il est plus important de se focaliser sur la demande et sur la possibilité de pratiquer une euthanasie plutôt que d'envisager le suicide assisté tel qu'il a été développé, par exemple dans l'État d'Oregon aux États-Unis, cette situation laissant le patient très seul et empêchant l'interaction avec un médecin qui puisse moduler la demande et la raisonner. Je pense qu'il est très bien que dans les chiffres hollandais, les suicides assistés soient nettement moins fréquents que les euthanasies proprement dites alors que l'on entend souvent dire que les patients ont la possibilité de mettre fin à leur vie sans devoir faire appel au médecin. Là-bas, le médecin joue un rôle extrêmement important au niveau de la relation.
Je ne puis m'empêcher de réagir aux propos tenus pendant le débat selon lesquels nous agirions dans la précipitation, que les médecins ne seraient pas prêts et que l'on n'aurait pas discuté du problème. Celui de l'euthanasie est vieux comme la mort. S'il est dit, dans le serment d'Hippocrate, que le médecin ne peut donner des plantes empoisonnées à son patient, c'est parce que les euthanasies se pratiquaient déjà dans l'antiquité et que les malades se tournaient vers les médecins pour les aider. Nous pourrions refaire l'histoire de ce débat depuis 2 000 ans, à l'échelle de notre société. Ces débats sont extrêmement actifs. Il y a quelques années, lorsque j'ai demandé à mes étudiants du cours de déontologie de réaliser un travail personnel de fin d'année sur un sujet éthique, 78 % ont choisi la problématique de la gestion de la fin de vie. Depuis un certain temps déjà, cette question fait l'objet d'une remise en question de la part des étudiants, des médecins, des infirmières, des hôpitaux. Nul ne peut le nier. Il s'agit néanmoins d'une problématique qui requiert, pour mûrir, une interaction entre les gens, une approche rationnelle et scientifique. Dans le contexte actuel de clandestinité, il est extrêmement difficile de confronter les expériences. C'est demander au chat d'attraper sa queue que de dire qu'il faut d'abord que nous soyons tous bien formés pour pouvoir envisager une dépénalisation; je pense en effet que la dépénalisation constitue l'un des éléments susceptibles de faire avancer les choses.
On a évoqué la question extrêmement importante de risque de dérive économique. Nous devons rester particulièrement vigilants car si nous pouvons aujourd'hui aborder cette question, c'est parce que le contexte le permet. En d'autres temps, d'autres lieux, dans un autre contexte de démocratie sociale, je ne serais peut-être pas favorable à une dépénalisation. Dans ce domaine comme dans d'autres, il n'y a peut-être pas de vérité absolue mais une vérité relative. Nous devrons donc toujours rester vigilants par rapport à la gestion de la fin de vie.
Néanmoins, ce que nous remettons fondamentalement en question n'est pas tant la problématique de la fin de vie mais plutôt la manière dont nous respectons nos concitoyens lorsqu'ils cessent d'appartenir à la tranche de vie active. Bien sûr, ce problème est beaucoup plus large. Accepter de laisser les vieux croupir dans d'affreux hospices sans jamais aller les voir mais dire que surtout il ne faut pas les tuer n'est pas digne d'une société respectueuse des droits de l'homme et des citoyens, qu'ils soient ou non économiquement actifs.
Cependant, d'autres aspects entrent ici en ligne de compte. L'autre raison pour laquelle il me semble que l'on ne peut pas justifier de cette inquiétude-là pour ne pas modifier la législation, c'est qu'en agissant de la sorte, on est aussi discriminatoire. Car sous prétexte d'empêcher une hypothétique dérive, on refuse à des personnes dont on reconnaîtrait sinon qu'il est parfaitement légitime qu'elles demandent et puissent obtenir une euthanasie, un accès à l'autonomie et à l'accès citoyen; on les instrumentaliserait ainsi au bénéfice des autres, cette démarche étant tout aussi contestable que celle qui consisterait à assister, sans réagir, à une dérive économique de la problématique.
L'importance de la commission d'évaluation prévue par la loi est d'avoir un monitoring de la situation dans le pays et d'être prêt à réagir si une situation de ce type se présente. Cependant, l'expérience réalisée aux Pays-Bas est extrêmement rassurante à cet égard. D'une part, les chiffres montrent que le nombre d'euthanasies pratiquées est très faible dans les homes, de loin inférieur aux euthanasies pratiquées en médecine générale et dans les services hospitaliers alors que dans l'étude Vandermaes, les médecins qui travaillent dans les homes déclarent, de manière très claire, qu'ils sont en très grande majorité favorables à la pratique de l'euthanasie quand elle s'indique. Il n'est donc nullement question de pratique sélective de l'euthanasie vis-à-vis des vieillards mais bien d'une pratique centrée sur les patients en fonction de leur maladie, de leurs souffrances et non pas en fonction de leur âge.
Étant moi-même praticien et ayant eu personnellement l'occasion, depuis que je me suis retrouvé au premier plan de ce débat au sein du comité de bioéthique, je voulais évoquer la réticence des médecins à se voir attribuer ce rôle. Cependant, la réalité est moins tranchée que ce qu'on veut bien dire. Ceux qui s'expriment le plus ne sont pas nécessairement les plus représentatifs ou les plus nombreux. En mon nom et au nom de confrères, je dois bien avouer qu'il est toujours difficile de se déclarer favorable à l'euthanasie. En effet, on vous soupçonne très vite de ne pas donner à la vie sa véritable valeur, d'avoir une dérive morale. Il s'agit bien entendu d'un argument tentant de la part des gens qui y sont opposés.
Il faut donc reconnaître qu'il est difficile de s'exprimer sur ce point. Cela requiert énormément de tact et de subtilité. La presse dans nos sociétés est devenue une presse de rapidité, les choses doivent être brèves, très « carrées », aussi provocantes que possible. Cette situation, dans un débat si difficile et si subtil, fait que nombreux sont ceux qui craignent de se retrouver coincés par les médias. Je l'ai été à une ou deux occasions et je m'en suis mordu les doigts. C'est un métier difficile. Vous, les parlementaires, le savez certainement mieux que nous, les médecins.
Ensuite, il faut reconnaître et il s'agit d'une évolution générale du développement de la bioéthique dans les pays développés que le débat bioéthique constitue une certaine remise en cause du pouvoir médical. Les médecins n'aiment pas trop que l'on vienne interférer dans un domaine où ils estiment porter la responsabilité.
Enfin, nous redoutons d'être instrumentalisés, c'est-à-dire de nous retrouver coincés dans une procédure où nous serions responsables tout en perdant le pouvoir de décision. Je pense entre autres que par rapport aux procédures proposées de consultation très large, il est très clair que le risque de voir les médecins instrumentalisés à travers une décision qui n'est plus in fine la leur, doit être pris en compte.
En outre, le risque de bureaucratisation, l'obligation de remettre des documents au procureur du Roi font partie d'une culture qui, je ne vous le cache pas, n'est pas la nôtre. Aux Pays-Bas où cette culture est beaucoup plus ancrée que chez nous, cet élément est cependant toujours difficile et je pense qu'il faudra donc le peser clairement.
Si une décision est prise, il est très important qu'elle soit réaliste et praticable pour les médecins sous peine d'avoir fait beaucoup de bruit mais de ne pas avoir en réalité d'influence sur la pratique.
Si on admet donc et c'est ma position, vous l'aurez compris qu'il faut une modification de la législation, je pense que la dépénalisation doit être claire, c'est-à-dire qu'elle crée un espace de sécurité pour la relation entre le médecin et le malade, dans lequel cette dynamique interpersonnelle puisse se développer.
Je pense qu'il est extrêmement important , au niveau des critères, que ce soit le malade incurable et non l'état terminal qui soit pris en considération. J'y vois plusieurs raisons. Il y a tout d'abord l'objectivité de la situation. Il faudra déterminer quand commence l'état terminal. Et vous admettrez avec moi qu'il est quelque peu absurde de fixer un critère de temps. Pour une personne chez qui l'on a pratiqué l'euthanasie, le délai au-delà duquel elle serait décédée si l'on n'avait pas pratiqué cet acte, ne sera plus jamais vérifiable.
Comme praticien, je puis vous dire qu'il est très difficile de déterminer des délais précis. Peu de praticiens, parmi les plus chevronnés, s'aventureront en dehors des situations extrêmes. Et là se trouve l'autre risque : opter pour le critère de l'état terminal revient en réalité à permettre d'abréger l'agonie et à nouveau à priver le patient de la possibilité de prendre en main son destin et de gérer sa mort s'il le désire. Pour ces différentes raisons, je plaiderais très fermement pour en rester au critère de malade incurable plutôt que de malade en état terminal. Par ailleurs, en retenant le critère de malade en état terminal, de maladie évolutive, vous refusez l'accès à cette possibilité, pour un certain nombre de patients qui sont dans des situations incurables, sources de souffrances telles qu'ils n'en veulent plus. On a évoqué la situation du patient tétraplégique qui a vécu vingt ans, content de vivre, mais qui, à un certain moment, a considéré qu'à ses yeux, il était arrivé au bout et qu'il n'en pouvait plus. Tous ces patients-là sont privés d'une possibilité qui, en fin de compte, ne fait référence qu'à leur autonomie et ne met personne d'autre en péril.
Comme je l'ai dit, la consultation de l'équipe soignante, qui a fait l'objet de nombreuses discussions, donne lieu à une confusion entre deux aspects. Je crois que le rôle du législateur consiste à définir les conditions minimales dans lesquelles l'euthanasie est jugée comme acceptable du point de vue de la loi. Cela ne signifie pas que les autres modes de consultations qui pourraient s'ajouter dans des situations particulières, de la volonté de l'un ou de l'autre, seraient interdits. Il est important selon moi de se rappeler quand même que le médecin n'éprouve aucun plaisir à effectuer une euthanasie et qu'il est donc, lui, le modulateur de la demande du patient. Je ne suis pas favorable à ce que j'ai appelé « le délire d'autonomie » qui consiste à dire « puisque je veux mourir, personne ne peut rien dire et il faut me tuer ». Il ne s'agit pas de cela; c'est précisément dans la relation entre le médecin et le malade que cette demande du patient, fluctuante en fonction de sa dépression et de toute une série d'éléments, doit être modulée par une deuxième personne, qui est le médecin. Reste alors le risque d'une situation dite fusionnelle entre le patient et son médecin, qui justifie pour moi l'intervention d'un médecin extérieur qui serve de second garde-fou. Ce faisant, on se met à l'abri des situations inacceptables.
La consultation de l'équipe infirmière est certainement souhaitable dans un très grand nombre de situations mais je ne pense pas qu'elle doive être inscrite dans la loi. Pourquoi ?
D'une part, parce qu'elle comporte le risque de cette tribunalisation que j'ai dénoncé à plusieurs reprises. Cela consisterait à ne plus déplacer la décision du médecin vers le patient mais bien du médecin vers un groupe de personnes extérieures. Or, je crois que c'est extrêmement dangereux tant symboliquement que pratiquement. Cette solution comporte un risque de dilution de la responsabilité. Les décisions collectives sont des décisions que plus personne n'assume. Il y a un flou : qu'entend-on par équipe soignante ? Qui faut-il consulter ? Les infirmières qui sont là plus d'un certain nombre d'heures par jour avec le malade ? Toutes les infirmières de nuit ? Les part time qui ont travaillé une fois font-ils partie de l'équipe soignante à consulter ? On se trouve face à un flou juridique qui me paraît contestable.
D'autre part, il n'y a pas toujours d'équipe soignante. On favorise de plus en plus la mort à domicile et non pas à l'hôpital, entouré d'appareillage médical. Il n'y aura pas toujours à la maison une équipe soignante. Il faut donc penser aussi aux situations, à mon sens favorables, des gens qui peuvent terminer sereinement leur vie auprès des leurs à domicile.
En conclusion, j'aborderai le problème des patients inconscients. Je dirai, comme le professeur Vermeersch, qu'il y a toute une série de points importants que la proposition de loi n'a pas prévus. Contrairement à lui, je pense que les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui avec ce noyau dur, pourtant incontestable dans sa légitimité je dirai pourquoi en terminant me font penser qu'il ne serait pas raisonnable de vouloir étendre la situation à d'autres catégories de patients, comme les incapables par exemple. Néanmoins, une partie importante des situations problématiques en fin de vie concerne les patients inconscients, et pourrait souvent être couverte par la directive anticipée. Je pense qu'elle prend tout son sens. Je vous rappelle que dans les chiffes hollandais, 60 % des interruptions de vie chez des patients inconscients sont pratiquées sur la base d'une directive anticipée. C'est une proportion très importante.
Pour terminer, je dirais qu'il me semble que la proposition de loi telle qu'elle est sur la table a un énorme mérite. Elle permet l'accès des patients qui le demandent à une euthanasie pratiquée par un médecin qui accepte de répondre à cette demande dans des conditions strictes, qu'il s'agisse de maladie incurable ou de souffrance. Elle me paraît constituer une partie importante du respect de l'autonomie des citoyens dans une situation incontestable. Mais en se limitant à cette situation, elle rappelle qu'il n'y a pas de légitimité à pratiquer l'euthanasie chez un patient qui ne l'a pas demandée et qu'un médecin ne peut pas être forcé à pratiquer une euthanasie s'il ne le désire pas. Il me semble donc qu'elle va dans le sens de ce qui me paraît être la base de cette société pluraliste dans laquelle nous sommes entrés avec le débat sur l'avortement, depuis une vingtaine d'années déjà.
En effet, il n'y a plus, dans notre société, de consensus social autour de ces éléments fondateurs que sont la vie et la mort. La solution aujourd'hui n'est plus de chercher qui a tort et qui a raison, mais de trouver un modus vivendi qui nous permette de vivre ensemble en respectant les convictions de chacun. Il me semble que c'est ce que fait ce texte. J'aurais donc beaucoup de réticences à voir s'installer, en cours de route, des compromis qui affaibliraient la force de ce document. Je pense qu'il faut, à un certain moment, prendre ses responsabilités et aller vers une décision des élus de la nation qui peut être positive ou négative. Si elle est négative, elle reviendra sur la table. C'est dans la droite ligne de l'Histoire de nos sociétés développées. Partout dans le monde développé, cette question est à l'ordre du jour. Je pense que nous sommes dans le sens de l'histoire en reconnaissant cette autonomie au patient et cette légitimité au médecin qui y répond.
M. le président. Merci, monsieur Englert. Vous avez vous-même fait preuve de courage. Ces positions sont claires.
M. Mahoux. Si une procédure est mise en place dans la proposition de loi, elle est de double nature. D'une part, elle fixe les conditions de dépénalisation. D'autre part, elle a trait à des formulaires à remplir en cours d'évolution de la maladie pour constituer un dossier. Il y a ensuite une déclaration à faire au parquet. Le corps médical considère que cette déclaration est extrêmement contraignante. Quel est votre sentiment à cet égard, à la fois sur ce qu'il y a à déclarer de manière anticipée et sur la déclaration à faire après le décès ?
M. Yvon Englert. En ce qui concerne cet aspect, je pense qu'il est problématique, comme le montre d'ailleurs l'expérience hollandaise. Je pense néanmoins que la déclaration au procureur a posteriori est nécessaire. Certains qui s'exprimeront après moi ont proposé dans les procédures de ne pas faire de déclaration parce qu'ils mettent l'accent sur le contrôle a priori. Dans la mesure où on met l'accent sur le contrôle a posteriori, je pense que cette déclaration est nécessaire. Pour qu'elle puisse réellement remplir son rôle, il me paraît tout d'abord extrêmement important que la loi ne laisse pas d'ambiguïté. Si les conditions sont contestables par le premier venu parce qu'elles ne sont pas claires, on crée une insécurité juridique qui fera que personne ne va oser s'exposer à une déclaration et que l'on restera dans la clandestinité dans laquelle on se trouve. Deuxièmement, il faut laisser le temps. L'implémentation dans la pratique d'une modification de ce type est une vision à dix ans. Cela va prendre un temps important pour que la pratique s'installe, que l'habitude pour les médecins de déclarer et pour les magistrats de recevoir un document de ce type s'inscrive dans une tradition sociale. Je pense donc qu'il faut prendre en considération une évolution de ce type et reconnaître la nécessité d'apprendre à se parler, à se comprendre. Je pense que les situations sont incontestables. L'incompréhension des médecins poursuivis reflète bien cette difficulté de communication avec le monde judiciaire. Il est donc nécessaire de donner le temps d'entrer dans une autre culture sociale par rapport à l'approche de la mort. La problématique de l'euthanasie n'est qu'une petite partie d'une problématique beaucoup plus large dans laquelle nous sommes engagés et qui est à mon avis très favorable : on se réapproprie la mort après une trentaine d'années où la médecine allait tout résoudre. On n'allait plus mourir. Il ne fallait donc pas s'occuper de tout cela, c'était juste une question de temps. Avec le développement des techniques, on allait tout résoudre. Aujourd'hui, la mort reprend une place sociale, ce qui est très bien à mon sens. Ce débat sur l'euthanasie fait partie de cette évolution. Il faut donc voir cette évolution dans le temps. En Hollande, on est passé en cinq ans de moins de 10 % à plus de 50 % de déclarations au procureur. Je pense que les choses se passeront de la même façon si on laisse le temps dans nos pays. Ce qui est très important, c'est que les conditions de la loi soient extrêmement claires, sinon elles seront irréalistes.
M. Philippe Mahoux. Cette déclaration nous paraît importante par rapport à la lutte contre toute forme d'abus économique. Dans la situation actuelle, il n'y a rien qui contrôle les éventuelles dérives d'euthanasie pour des raisons d'ordre économique. En réalité, la législation et cette déclaration sont extrêmement importantes vis-à-vis du médecin. Il est en effet important de connaître leur avis. C'est un des éléments qui doit empêcher toute forme de dérive puisque la déclaration est obligatoire.
M. Yvon Englert. Je n'ai pas cette inquiétude aujourd'hui. Je pense que le problème de la dérive économique n'est pas à l'ordre du jour. Je pense vraiment, même dans la situation clandestine où il n'y a pas de contrôle, que ce n'est pas le vrai problème. Le vrai problème, c'est que les patients sont privés de la possibilité de gérer leur fin de vie et que la relation médecin-malade est profondément distordue par le fait qu'il n'y a pas moyen d'aborder le problème fondamental auquel le patient est confronté : il voit que la mort va arriver et on lui dit que tout va bien parce qu'avouer au patient son état réel revient à aborder un problème qui n'est pas difficile seulement du fait de l'interdit de l'euthanasie mais parce qu'il est difficile d'aborder la mort. Il y a donc là quelque chose que le législateur peut faire pour favoriser une amélioration de la relation médecin-malade.
Je voudrais dire un mot sur les situations d'interruptions de vie non demandées. Contrairement à ce que l'on dit, je pense qu'elles ne sont pas obligatoirement illégitimes. Je pourrais donner des exemples mais je ne voudrais pas rallonger le débat puisque ce n'est pas le sujet du texte.
Je pense que ces situations ne peuvent pas faire l'objet d'une légitimation. Elles ne peuvent être justifiées qu'au cas par cas, par l'état de nécessité, dans des circonstances bien particulières. Il me paraît donc tout à fait logique qu'elles ne puissent pas être prises en compte dans une modification de la loi. Au médecin de pouvoir justifier que, dans la situation dans laquelle il se trouvait, il ne pouvait pas faire autre chose que poser un geste actif. Personnellement, je crois qu'il y a des situations d'interruptions de soins beaucoup plus choquantes que l'euthanasie ou des fins de vie non demandées. Je pense au patient lui-même en cas de suffocation, aux familles des malades se trouvant dans un état végétatif persistant; ces malades sont vivants mais n'ont plus aucune conscience ni relation avec l'extérieur et il est admis que l'on peut cesser de les nourrir et de les hydrater, que c'est de la pratique médicale normale. Le patient ne sent plus rien, il ne perçoit plus rien mais, pour l'entourage, c'est extrêmement dur. À mes yeux, il y a une certaine hypocrisie à dire que certains gestes relèvent de la pratique médicale normale, mais que si on pousse la seringue, c'est un meurtre.
Il faut essayer de trouver la façon la moins terrible de terminer une existence de toute façon condamnée. Mais je ne demande pas une légitimation de ces gestes-là. Je pense qu'ils ne peuvent pas être légitimés parce que la frontière avec la dérive est imperceptible et ne peut être caractérisée. À mes yeux, il ne peut y avoir qu'une gestion au cas par cas sur la base de l'état de nécessité tel que le code le prévoit dans les situations extrêmes.
M. Philippe Monfils. Je voudrais revenir sur cette notion de loi qui, pour les médecins, serait considérée comme praticable et réaliste, pour reprendre les termes utilisés par le professeur Englert. En réponse à M. Mahoux, monsieur Englert, vous avez dit qu'il faudra un certain temps pour que la législation nouvelle, si elle voyait le jour, entre dans les moeurs. En effet, il faudra un certain temps pour expliquer aux médecins que cette loi n'intervient absolument pas dans leur pratique médicale quotidienne. C'est une loi de procédure. Nous n'intervenons pas dans un jugement de valeur porté sur les traitements médicaux.
Par ailleurs, les arguments que vous avez présentés, comme par exemple la bureaucratisation, peuvent interpeller les médecins mais c'est déjà le cas actuellement pour la fonction médicale traditionnelle.
De même, en ce qui concerne leur liberté, indépendamment du débat qu'on aura sur le point de savoir si l'équipe soignante doit obligatoirement être consultée, la liberté médicale n'est évidemment pas mise en cause ici, elle reste complète quant au fait de pratiquer ou non l'euthanasie. Finalement, je m'interroge sur le point de savoir où se trouverait éventuellement le caractère impraticable ou irréaliste de la législation que nous proposons par rapport à l'attitude des médecins. Je crois qu'il faudra simplement donner du temps au temps et que si, au début, certains actes d'euthanasie seront toujours pratiqués en dehors des dispositions de la loi, je veux croire que, comme en Hollande, ils diminueront. C'est en tout cas le sentiment que j'ai après vous avoir entendu.
Ma deuxième question concerne le problème de la détresse.
Nous avons proposé que l'on puisse également pratiquer un acte d'euthanasie en cas de détresse morale et non physique du patient. Vous avez d'ailleurs bien voulu dire que vous étiez partisan de cette extension, partant du principe qu'il est toujours extrêmement difficile de distinguer l'un et l'autre.
Certains s'interrogent sur la différence entre la détresse morale et l'intervention au titre de l'euthanasie à cet égard, d'une part, et l'assistance au suicide, d'autre part. Là aussi, il y a incontestablement une frontière difficile à fixer. Je crois d'ailleurs qu'en Hollande il y a peu d'assistance au suicide et davantage d'euthanasie. L'assistance au suicide, c'est laisser un produit, un cocktail létal, devant le malade qui l'ingère lui-même ou lui faire l'injection mortelle; vous admettrez qu'entre ces deux gestes, la différence est faible. Indépendamment de ce problème d'ordre technique, quelle différence voyez-vous ? Et pourquoi pensez-vous qu'une législation, comme celle que nous proposons par exemple, devrait aboutir à diminuer le nombre d'assistances au suicide, parce qu'il s'agirait alors de véritables cas d'euthanasie demandée ? Quelle est la frontière entre ces deux cas ?
M. Yvon Englert. Par rapport à la détresse, à la souffrance morale, il faut rappeler que, contrairement à ce qu'on pense, dans les analyses faites en Hollande, la douleur physique est relativement peu présente dans les demandes d'euthanasie. Seuls 10 % des demandes d'euthanasie sont justifiées par un problème de stricte douleur physique. Cela ne veut pas dire que la douleur n'entre pas en ligne de compte mais qu'elle ne fait pas partie des facteurs prédominants. Ces derniers sont la perte de dignité, l'absence de sens, l'agonie qui n'en vaut plus la peine.
Ce qui, à mes yeux, justifie la différence entre l'aide au suicide et l'euthanasie, c'est justement le fait que, dans l'aide au suicide, le patient est laissé seul. On perd donc cette dimension relationnelle qui est d'être présent et en compassion jusqu'au bout avec la personne qui souffre. Je ne veux pas dire que si quelqu'un veut mettre fin à ses jours lui-même, il y a quelque chose à redire. La vision américaine en la matière est terriblement individualiste. On est seul dans la jungle de la vie, donc on est aussi seul pour décider d'y mettre fin; et c'est l'assistance au suicide qui est privilégiée par rapport à la relation. Je pense qu'en Europe, nous devons fermement en rester à une communauté relationnelle entre les gens et lutter contre ce qu'on peut appeler le délire d'autonomie ou l'individualisme qui est, en fin de compte, l'isolement. Pour cette raison, je pense qu'il faut privilégier l'euthanasie, l'assistance à l'agonie, la compassion de quelqu'un qui reste à côté, qui est là et qui continue à offrir une relation plutôt que laisser le patient se débrouiller tout seul. On sait que, dans des situations de solitude, on court le risque d'une mauvaise évaluation parce qu'il n'y a plus de renvoi de ses propres visions par l'autre; il y a aussi le risque de l'anticipation de quelque chose qui n'est pas nécessaire de peur de ne plus être autonome et de ne plus pouvoir accéder à ce type de chose.
De plus, il faut être conscient du fait que l'assistance au suicide n'est pas simple, techniquement parlant. Vous avez certainement tous vu ce médecin des États-Unis qui explique comment prendre un somnifère et se mettre un sac sur la figure pour étouffer pendant son sommeil. Je ne pense pas que ce soit l'image d'une bonne mort, d'une euthanasie.
M. Jacques Santkin. Je remercie sincèrement M. Englert d'avoir fait preuve d'autant de franchise dans sa prise de position en ce qui concerne le traitement de la fin de la vie, lui qui est plutôt un homme de conviction en ce qui concerne l'aide à apporter à la création de la vie. Je poserai trois questions précises. Tout d'abord, vous nous avez éclairé en ce qui concerne les praticiens. En effet, ces derniers temps, on considérait que tous les praticiens étaient contre la législation que nous envisageons. Vous avez remis les pendules à l'heure.
Je crois avoir compris également que vous estimez que les garanties apportées tant du côté des praticiens que du côté des patients dans la proposition Mahoux-Monfils et consorts sont réelles.
Je ne suis pas médecin et je souhaiterais par conséquent approfondir la notion d'incurable. En effet, dans toutes les publications médicales, on nous dit que l'on peut s'attendre à de nombreux progrès rapides. Alors, que fait-on des perspectives encourageantes, à court et à moyen termes, lorsqu'il faut décider qu'un patient est en situation incurable ?
Enfin, certains disent contrairement à vous qu'il faut attendre d'être bien formé pour mieux s'occuper des personnes avant d'aller dans le sens d'une dépénalisation. J'imagine qu'une meilleure formation sera quand même recherchée. Toutefois, dans l'intervalle, que fait-on pour que le corps médical qui est le mieux autorisé pour décider en la matière soit mieux formé pour prendre ce type de décision ?
M. Yvon Englert. En ce qui concerne les réticences du corps médical en termes quantitatifs, aucune étude n'a été faite récemment en Belgique en la matière. Des études ont été réalisées dans les années 70 et 80. On sait que la progression de l'adhésion à l'idée de l'euthanasie est réelle dans le corps médical comme elle l'est dans la population toutes les études réalisées dans les pays développés le montrent avec toujours un certain retard. Le corps médical est plus réticent que la population en général, probablement parce qu'il sait combien c'est douloureux et aussi parce qu'il ne voit pas les choses d'une manière aussi abstraite que le commun des mortels.
Il y a toujours eu un décalage et cela est vrai dans tous les pays d'Europe. La Hollande a réalisé davantage d'études sur la perception par la population et par les médecins que les autres pays mais toutes allaient dans le même sens. C'est aussi une garantie contre les dérives. Il est intéressant de constater qu'en Hollande les médecins sont d'autant plus réticents à pratiquer une euthanasie qu'ils sont peu expérimentés. C'est en avançant en âge que les médecins sont plus à l'aise par rapport aux demandes. On constate également que ceux qui ont pratiqué des euthanasies sont plus réticents que ceux qui n'en ont pas pratiqué.
Cela démontre qu'il n'y a pas que la loi qui détermine les comportements. Il y a des choses bien plus fortes.
Je trouve qu'il y a eu, ces derniers temps, trop peu de confiance dans l'humanité des médecins.
Le caractère évolutif de l'incurabilité est évidemment un problème. Je vous rappelle que Boris Vian est mort d'une insuffisance mitrale moins de dix ans avant la première greffe de valve cardiaque. Nous vivons dans notre temps et ce qui sera curable au XXIIe siècle ne pourra pas apaiser nos souffrances d'aujourd'hui.
À ce propos, j'ai entendu, lors d'un débat, un médecin déclarer : « Aujourd'hui, on soigne la tuberculose; si on avait tué les malades atteints de tuberculose, que dirait-on ? » Je pense que cela fait une belle jambe aux personnes qui, au XIXe siècle sont mortes étouffées, les poumons rongés par la tuberculose, de savoir qu'un siècle plus tard, on les aurait soignées avec des antibiotiques !
Le problème se pose lorsqu'on approche du moment où la situation peut changer. De nouveau, c'est un des éléments importants de cette interrelation avec les médecins. La demande de consultation d'un confrère sur le caractère incurable prendra en ligne de compte le fait de dire que l'espérance de vie de ce patient est compatible avec quelque chose qui se dessine et qui permettra peut-être une solution qui n'existe pas aujourd'hui. On aurait donc une raison de plus de se battre.
Maintenant, les choses sont beaucoup plus lentes et beaucoup plus difficiles à mettre en place qu'on le voudrait.
Enfin, la formation est en route. Les choses continueront à changer indépendamment de la législation. La législation peut justement favoriser cet aspect des choses. À nouveau, en disant que si l'on n'est pas dans un monde idéal on ne peut rien faire, on ne peut rien faire dans beaucoup de domaines.
Les deux choses doivent être vues de front. Il y a une réalité de terrain. Le législateur peut influer sur cette réalité de terrain dans un sens favorable. C'est ce que j'espère. Je n'espère pas le voir résoudre le problème des médecins quant à la difficulté de devoir prendre des décisions en fin de vie.
Mme Marie Nagy. Je remercie le professeur Englert pour ses explications et appréciations sur les propositions de loi.
J'aimerais toutefois lui poser une question. J'ai en effet été surprise de la manière dont il aborde la relation entre le patient, l'équipe soignante et le médecin.
Il me semble que vous réagissez en qualité de médecin et que vous idéalisez la relation qui peut exister entre un patient et le médecin qu'il consulte. Le patient est généralement peureux, il est en difficulté et il n'a pas toujours le bagage intellectuel du médecin pour avoir une discussion d'égal à égal.
Dans la situation que vous décrivez, vous avez effectivement devant vous un patient qui a réfléchi et qui est capable d'avoir un dialogue d'égal à égal avec le médecin. Cette situation est sans doute idéale mais est loin d'être généralisée.
La proposition de loi n'autorise pas le médecin, s'il n'a pas l'accord du patient, à consulter quiconque. Il est prévu qu'il peut parler de la demande du malade avec la famille et avec l'équipe soignante si le malade est d'accord. Attention, si le patient dit que le médecin ne peut pas en parler, il n'est pas prévu qu'il puisse le faire.
M. Philippe Mahoux. Si.
Mme Marie Nagy. Alors, on va reprendre le débat sur le texte.
C'est surprenant parce que, dans toutes les décisions médicales prises en milieu hospitalier, je pense qu'il y a toujours discussion. C'est évidemment différent lorsque vous êtes à la maison.
Mais pour quantité d'autres traitements, il y a une discussion. Il me semble que le médecin ne pratique pas en vase clos. Je m'interroge sur la manière dont vous pouvez essayer de comprendre une demande qui ne s'exprime pas dans le cadre de caractéristiques socioculturelles que l'on pourrait imaginer. Pourquoi le fait de consulter, dans ce cas précis, l'équipe soignante revêtirait-il un « symptôme » de tribunal alors que, lorsque vous discutez d'un traitement pour des pathologies graves et que vous tentez de prendre conseil, cela ne vous semble pas, je suppose, en qualité de médecin, être un élément susceptible de vous enlever votre liberté de décision ? Cette réflexion s'applique aussi vis-à-vis des euthanasies réalisées par des non-médecins. Il y a là quelque chose qui devrait nous interpeller. En effet, il me semble que si c'est fait à la demande d'un médecin, cela ne va pas. Je pense que si le médecin décide en toute conscience de répondre à une demande, il lui revient d'apprécier la manière de mettre cette demande en oeuvre. Il peut éventuellement refuser et estimer, en conscience, qu'il n'est pas tenu de le faire. Il doit expliquer pourquoi il ne le fait pas. Je pense que l'idée d'établir un climat de confiance autour du médecin faciliterait la relation avec le malade, lequel se trouve dans une situation de détresse différente de celle qu'il a pu imaginer quand il était bien portant et capable de réfléchir.
M. Yvon Englert. La question comporte deux aspects. Tout d'abord, il convient de ne pas idéaliser la relation entre le malade et le médecin. Je pense que l'on est dans une relation de confiance à partir du moment où le patient exprime une demande aussi importante, sinon elle ne s'exprimerait pas. Je crois que bon nombre de médecins qui affirment ne jamais recevoir de demandes ne les entendent pas. Le message non verbal est souvent suffisamment fort pour que même le patient n'ait pas la possibilité de l'exprimer. Vous ne pourrez pas changer cela par une loi. Je pense néanmoins que nous assistons à une évolution de la médecine, au passage de la médecine paternaliste, qui enjoignait au patient de prendre ses médicaments sans poser de questions, partant du principe qu'il suffisait que le médecin sache de quoi il retournait en général, il ne savait d'ailleurs rien du tout puisqu'au 19e siècle, à l'époque où cela devait être la règle, la médecine ne savait pas grand-chose à une médecine de partenariat, qui se développe de plus en plus, sensible à la notion de droit du patient, etc. Dans cette logique, le patient est au centre du débat. Bref, je pense que l'expression d'une demande dénote une réelle confiance, faute de quoi elle ne serait pas formulée.
Ensuite, à mon sens, il n'existe aucune interdiction pour le médecin de consulter les personnes dont il estime devoir prendre l'avis. Ce serait parfaitement contraire à la logique de la consultation médicale, y compris de l'équipe soignante. Je n'ai personnellement aucune objection à ce qu'il y ait une communauté, dans la mesure où elle existe en milieu hospitalier, avec les infirmières car elles connaissent beaucoup de choses que les médecins ignorent à propos des patients. Ce serait tout à fait différent d'en faire une obligation. Par contre, le fait d'exiger la consultation de la famille, des proches, poserait un grave problème. Le respect du secret médical interdit d'ailleurs de demander l'avis de la famille du patient sans l'accord de ce dernier.
Il faut être attentif à cet aspect du problème. Je suis personnellement très réticent à faire de la consultation de l'équipe soignante une obligation légale. Je pense que ce serait une « procéduralisation ». En pratique, la plupart du temps, c'est quand même comme cela que ça se passe. Le cas vécu à Liège montre d'ailleurs comment les choses se terminent dans le cas contraire. Les conflits à l'intérieur d'une équipe sont toujours préjudiciables au patient. Il faut donc distinguer entre les pratiques, qui peuvent être différentes selon les pathologies, les équipes, les lieux, le contexte et l'obligation de la loi, qui doit être déterminée par la manière d'agir pour que les choses se déroulent dans des conditions correctes du point de vue de l'application du texte légal. C'est à ce sujet que je fais une différence. Je dirige pour le moment un groupe à l'hôpital qui travaille sur les problèmes de fin de vie à l'intérieur de l'institution. La présence d'un médecin traitant, d'une personne physique clairement identifiée comme étant le médecin traitant, est au centre des discussions. Mais alors, qu'est-ce qu'une infirmière traitante dans une équipe ? Cette question est d'une grande complexité. Dans toute une série de situations, ce sera une personne différente. Il ne s'agira d'ailleurs pas toujours d'une infirmière. Dans certains cas, il pourra s'agir d'une kinésithérapeute, d'un ergothérapeute, d'une personne qui vient nettoyer la chambre et qui a noué au fil des jours une relation privilégiée avec le malade ... Ces personnes sont évidemment susceptibles d'avoir des choses à dire. Il y a une marge entre cela et la création d'une procédure obligatoire. Personnellement, je ne la franchirais pas.
M. Philippe Monfils. Je voudrais faire une petite correction. La proposition des six auteurs stipule, en ce qui concerne cette consultation, que le médecin doit s'assurer que le patient a eu l'occasion de s'entretenir de sa requête avec toutes les personnes qu'il souhaite rencontrer, y compris les membres de l'équipe soignante. Par ailleurs, la proposition dispose qu'à la demande du patient, le médecin doit s'entretenir avec ses proches ou avec l'équipe soignante. C'est tout à fait normal. Les développements précisent qu'il s'agit de conditions minimales de procédure garantissant au patient le respect de ses droits et de ses volontés. En outre, le texte prévoit je cite « que le médecin peut aller au delà de ces prescriptions pourvu qu'il respecte la volonté du patient ». Cela me paraît très clair. C'est le minimum minimorum. Le médecin peut, motu proprio, consulter son équipe soignante, même si le patient n'en a pas exprimé le désir immédiat. Les auteurs de la proposition ont longuement travaillé à la rédaction du texte. M. Englert a d'ailleurs interprété le texte de la proposition et le commentaire qui en est fait dans l'article avec une grande justesse.
Mme Jeannine Leduc. J'ai une question pour monsieur Englert en tant que spécialiste de l'éthique et que médecin. Un patient souffrant et dont la maladie est insupportable, lorsqu'il n'est plus possible d'atténuer sa douleur, est envoyé au service des soins intensifs. Lorsque sa situation est médicalement sans issue, il est logiquement transféré aux soins palliatifs. S'il pose alors la question formelle et s'il satisfait à toutes les conditions, il a droit à l'euthanasie. C'est l'évolution que nous pouvons distinguer.
Certains membres de la commission prétendent que le droit à la vie doit toujours primer. Monsieur Englert, estimez-vous que le droit à la vie doit toujours primer ou, dans certaines circonstances, le droit à une existence digne, à une mort supportable, à l'aide et à l'assistance ne doivent-ils pas primer le droit à la vie ?
Monsieur Englert, vous avez indiqué que les médecins ne font pas de déclaration d'euthanasie aux Pays-Bas, parce que la procédure est assez compliquée. Voyez-vous, dans la proposition des partis de la majorité, des obstacles qui retiendront les médecins de signaler qu'ils ont commis un acte d'euthanasie ?
M. Yvon Englert. Je ne pense pas qu'il y ait une continuité dans l'évolution de la maladie qui conduise obligatoirement quelqu'un aux soins intensifs et ensuite aux soins palliatifs. Nous avons plutôt développé une vision de soins continus, avec l'idée que c'est la même équipe soignante qui doit changer d'approche en continuant à s'occuper de son patient, et éviter de créer de nouveaux ghettos, ce qui reviendrait à dire que les soins curatifs étant terminés chez tel patient, on l'oublie et on prend le suivant. La continuité des soins doit prévaloir. D'ailleurs, lorsqu'ils doivent à nouveau être hospitalisés, les patients aiment revenir dans l'unité qu'ils connaissent, avec les infirmières et les médecins auxquels ils ont déjà été confrontés.
La problématique des soins intensifs est particulière. C'est une problématique de situation aiguë : de nombreux patients sont inconscients. Donc, ce n'est pas a priori la situation la plus typique du point de vue des demandes d'euthanasie.
Il peut y avoir le cheminement que vous avez évoqué soins curatifs, soins intensifs et à un certain moment, évolution vers une unité palliative. Nous sommes plus favorables à une vision de soins continus, estimant qu'avec l'évolution de la maladie, la partie curative va progressivement se restreindre, alors que la partie palliative va croître. Quoi qu'il en soit, lorsque quelqu'un a la grippe et qu'on lui donne de l'aspirine, on fait un soin palliatif : on assure des soins de confort, on fait tomber la fièvre. L'aspirine n'a jamais guéri la grippe.
Le soin palliatif doit être présent dans l'ensemble de la médecine, mais il a fini par occuper l'ensemble de l'activité médicale.
Le reporting est une difficulté culturelle. Dans la proposition telle que rédigée, elle est rencontrée de manière optimale. Je n'ai aucune modification à proposer de ce point de vue, si ce n'est, mais je laisserai aux partisans de ladite option, le soin de la défendre, de ne pas faire de reporting du tout, d'exiger un dossier médical complet que le parquet puisse consulter s'il le juge nécessaire, par exemple à la suite d'une plainte. Cependant, ce serait perdre le contrôle a posteriori qui, selon moi, joue un rôle important dans la symbolique de la légitimation du geste. Je crois qu'il faut laisser les choses en l'état et que c'est par l'évolution de la pratique que progressivement, comme dans d'autres pays, les choses se feront. Par ailleurs, il me paraît positif qu'une déclaration anonyme soit faite à un corps destiné à réaliser une évaluation statistique, car cela permet d'avoir une vision indépendante à travers la commission d'évaluation. Selon moi, la meilleure façon de savoir comment les choses se passent, d'avoir une évaluation réelle, est de procéder à des études transversales, comme en Hollande, suivant une méthodologie bien précise et de recommencer ces études à intervalles réguliers, tous les cinq ans. L'évolution de la pratique pourrait bénéficier d'une approche de ce type, mais c'est vrai pour de nombreuses pratiques médicales.
Mme Anne-Marie Lizin. Nous ne sommes pas directement impliqués dans le débat et lors du vote que nous émettrons, nous ferons un choix philosophique personnel.
Je préside un hôpital depuis dix ans et j'ai réuni les médecins pour parler de cet acte que l'on devra poser. J'avoue que j'ai été surprise c'est un hôpital pluraliste du fait que globalement, les médecins ne souhaitent pas voir légiférer.
Je voudrais vous poser deux questions à ce sujet, monsieur Englert.
D'abord, par rapport aux patients inconscients, pouvez-vous me donner votre opinion sur une évolution faut-il légiférer ou non ? pour clarifier la situation la plus courante, c'est-à-dire un service rempli, qui sélectionne d'office, à toute heure du jour et de la nuit, et parfois, seulement avec du personnel infirmier ? C'est uniquement cette solidité du service qui a permis de passer tous les caps et qui constitue souvent la seule véritable garantie par rapport aux procédures. J'ai l'impression que c'est la raison pour laquelle les médecins disent qu'ils ne souhaitent pas voir légiférer : cela pourrait donner lieu à des situations plus conflictuelles encore qu'aujourd'hui.
Ma deuxième question concerne les patients conscients. Pourrait-on être amené à se trouver devant une relation patient-médecin où le médecin, pour des raisons liées au patient, s'est laissé piéger dans un discours sur la non-gravité d'une maladie et ne parvient plus, par crainte de provoquer quelque chose de trop grave, à revenir à un véritable discours sur la vérité, ou qu'il le fasse trop tard ? De tels cas se présentent-ils ? Avez-vous connaissance de situations où l'on arrivait finalement trop loin ?
M. Yvon Englert. La problématique des patients inconscients est à la fois simple et compliquée. Elle est plus simple dans la mesure où dans la grande majorité des situations, en fait, l'arrêt thérapeutique va entraîner le décès. C'est la raison pour laquelle je dis toujours que cette frontière est quelque peu arbitraire. Quand vous prenez la décision de ne pas faire un traitement, vous prenez tout autant une décision de mort du patient qu'en lui injectant une substance létale. Mais, en réalité, et c'est là un reste de notre culture judéo-chrétienne, ce n'est pas vous qui avez provoqué le décès. En tant que médecin, je puis vous dire qu'il est beaucoup plus facile de décider de ne pas commencer à traiter un choc toxi-infectieux en sachant que le malade va décéder des complications infectieuses de sa maladie, que de procéder à une injection de penthotal. C'est incontestablement différent sur le plan émotionnel. Mais l'est-ce également philosophiquement ? Dans les deux cas, j'ai pris une décision délibérée à la suite de laquelle je ne peux plus rien faire d'autre pour ce malade que de le laisser mourir ou de l'aider à mourir. Je pense que la plupart du temps, les problèmes des malades inconscients se résoudront de cette façon. Ils ne sont donc pas concernés par la législation en question.
Mme Anne-Marie Lizin. Pensez-vous que c'est bien ?
M. Yvon Englert. Oui, mais la difficulté est que dans un nombre limité de cas, ce type de situation ne permettra pas une mort sans souffrance, humaine, soit pour le patient lui-même, soit, plus souvent, pour l'entourage. Généralement, la famille souffre de voir la personne qui va mourir; elle regrette de la voir partir et tout ce qu'elle peut encore espérer, c'est que cela se passe bien. Il n'est pas humain non plus, pour une famille, de voir un des siens pourrir sur place, gangrené par l'infection pendant des jours et des semaines.
Il existe des situations peu nombreuses, certes où l'interruption des soins n'offre pas une possibilité de sortir du problème. Je pense que la directive anticipée permet de résoudre un certain nombre de situations. Dans l'enquête je pense que M. Schotsmans en parlera sur l'arrêt de l'hydratation et de la nutrition des patients en état végétatif persistant, menée auprès des médecins belges, plus de la majorité d'entre eux déclarent que connaître l'avis des patients les aiderait dans les décisions à prendre en ce qui concerne l'arrêt de l'hydratation et de la nutrition. La directive anticipée peut aider à résoudre un certain nombre de situations. Les autres doivent rester hors de la loi et de la gestion. Si une plainte est déposée devant le tribunal, il appartient au médecin de se justifier et d'expliquer l'état de nécessité selon lequel il ne pouvait agir différemment, en raison de la situation.
M. Paul Galand. Monsieur le professeur, selon vous, en quoi devrait consister l'intervention d'un deuxième médecin ?
M. Yvon Englert. Pour moi, l'aspect crucial de l'intervention d'un second médecin est double. D'une part, j'y vois une sécurité par rapport aux abus manifestes. Il convient de vérifier qu'il s'agit bien d'une maladie incurable, que l'on est dans une situation sans issue et que l'on n'est pas en train de contourner l'esprit et la lettre de ce qui fait la légitimité d'une euthanasie. D'autre part, il peut exister, en toute bonne foi, des situations que j'ai appelées « fusionnelles », dans lesquelles le médecin, par la longueur de sa relation avec le patient et par son implication dans cette relation, perd la distance reconnue nécessaire à la prise de décisions adéquates. C'est la raison pour laquelle il est déconseillé aux médecins de soigner leur propre famille. Cette vieille règle n'est pas toujours respectée, et c'est une erreur. Il peut exister d'autres situations où l'on perd cette distance, en toute bonne foi. L'oeil neuf, extérieur, apporte le contrôle et la distance nécessaires qui permettent de dire qu'il n'y a rien d'autre à faire, que la maladie est incurable. Cela permet d'éviter que le médecin ne soit pris dans une logique où il ne perçoit plus la réalité objective.
M. Paul Galand. Considérez-vous que ce deuxième médecin donne un avis éventuel sur le caractère irréductible de la souffrance ou de la détresse ?
M. Yvon Englert. Je situe son intervention dans le sens où il pourrait dire qu'il n'a rien d'autre à proposer que ce qui a déjà été fait ou envisagé pour soulager le patient.
Je perçois un aspect plus difficile de votre question, à savoir s'il doit évaluer que la demande est persistante, répétée, ce qui est peut-être plus délicat. En tout cas, constater que le patient est profondément déprimé fait partie de l'évaluation qu'il doit faire. Il pourra suggérer de lui administrer des antidépresseurs en raison de son état de dépression intense. De la même façon, il pourrait suggérer la pose d'une péridurale avec un anti-douleur en continu. Pour moi, cela fait partie de la même évaluation médicale de la situation qui peut prendre en compte, par exemple, des aspects de dépression.
Mme Mia De Schamphelaere. Nous remarquons que, en cas d'euthanasie ou d'aide au suicide pour des incurables ne se trouvant pas en phase terminale, on pense parfois aussi aux personnes atteintes d'un handicap lourd, aux paralysés ou aux patients psychiatriques, comme aux Pays-Bas. On dit toujours alors qu'il faut respecter l'autonomie du patient. S'il ressent sa situation comme insupportable, nous devons avoir du respect pour cela. La manière dont le patient vit sa situation est quand même déterminée pour une bonne partie par la tolérance et l'ouverture ou l'indifférence de la société vis-à-vis de certaines maladies ou handicaps. N'aboutissons-nous pas dans un cercle vicieux ? La société abandonne totalement la décision au patient et elle veut l'aider lors de la réalisation, mais cette décision est précisément influencée par l'indifférence de la société. Qu'en est-il d'abord ?
On peut ainsi entrer dans une spirale descendante : plus l'indifférence augmente, plus nous accentuons l'autonomie et, à l'inverse, si l'autonomie est au centre, nous ne devons plus nous en préoccuper et l'indifférence peut aller croissant. Je pense que, dans ce cadre, il est possible de faire quelque chose qui estompe beaucoup les normes.
M. Yvon Englert. Je comprends votre souci, mais je ne pense pas que ce soit tout à fait la réalité. Je prendrai un autre exemple que je vous demande de ne pas considérer comme une provocation, car ce n'en est pas une.
Je pense pas que la pratique tout de même relativement large de l'interruption de grossesse en cas d'anomalie importante du foetus et on peut prendre le cas du mongolisme, pour reprendre l'exemple qui est peut-être le plus caricatural de ce point de vue ait affaibli la place des enfants et des adultes mongoliens dans la société. J'aurais plutôt tendance à penser l'inverse. En effet, à partir du moment où la décision d'accueillir ces enfants est réellement prise par la famille et la société, dans la mesure où il y a moins de personnes handicapées, on dispose de plus de possibilités et de moyens pour leur réserver une place véritable.
Je ne suis pas convaincu et je fais là une analogie mais on est, me semble-t-il, dans la philosophie de votre inquiétude qu'il y ait une description de dévalorisation dans la mesure où, justement, la personne est centrale. Il me paraît aussi et je reviens ainsi au problème de l'hypothétique dérive économique que la question est évidemment bien plus large. Quel serait le sens d'une société qui rejetterait les personnes handicapées et ne leur donnerait aucune place, les laisserait dans un coin sans les nourrir, mais leur refuserait d'accéder à l'euthanasie, si elles la demandent, en raison de la discrimination que cela pourrait entraîner ? Je pense que les choses sont bien plus larges.
C'est le thermomètre et la maladie. La maladie n'est pas que l'on permette l'euthanasie; la maladie serait que l'on rejette ces personnes au point qu'elles la demandent. Donc, le vrai débat politique et social se situe au niveau de l'acceptation de ces personnes dans la société et non pas dans la petite question de savoir si, lorsqu'elles demandent que l'on mette fin à leurs souffrances, le fait de le faire va dévaloriser les autres personnes qui vivent la même situation. Les vrais enjeux sont beaucoup plus larges et ne sont pas déterminés par cet aspect-là qui sera de toute façon extrêmement limité. La plupart des gens, même lorsqu'ils ont un handicap important, préfèrent vivre que mourir. Et s'il préfèrent mourir, c'est toujours dans des situations extrêmes. Ce n'est pas en le leur refusant que l'on donnera une plus grande dimension aux autres.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je pense qu'effectivement, ce qui est au centre de tout ce débat, c'est la relation entre le patient et le médecin et, de manière plus globale, vous avez abordé la question la situation du patient dans le milieu médical et, particulièrement, dans le milieu hospitalier. À cet égard, un travail est en cours mais il est loin d'être terminé. Vous décrivez une situation idéale mais quand on voit la réalité dans les hôpitaux, où tout doit aller vite, on constate que le dialogue médecin-patient est loin du compte, sauf exception. Pour l'instant, ce dialogue est plutôt l'exception sauf, par exemple, dans la situation particulière des soins palliatifs.
Par contre, et c'est pour cela que ma question rejoint assez bien celle de Mme Nagy, je pense qu'aujourd'hui, les premières personnes auxquelles le patient parle sont les membres de l'équipe soignante, laquelle se trouve plus à son niveau. Vous pouvez tourner les choses comme vous le voulez, mais le médecin reste encore pour la plupart des gens quelqu'un qui parle un langage qui n'est pas le leur, qui a une manière de dire malgré tout une certaine vérité. Donc, les premières personnes concernées sont les équipes soignantes dont les membres paraissent plus abordables à la plupart des patients. J'estime donc qu'il est très important d'inclure ces équipes dans le dialogue concernant les décisions, à tous les niveaux, y compris pour le bien-être du personnel infirmer lui même. En effet, même si c'est le médecin qui prend la décision, c'est l'équipe soignante, bien qu'elle ne soit pas toujours composée des mêmes personnes, qui entoure le patient. Dans la réalité, quand on écoute ces équipes, on se rend compte que cela les touche de près. Il est donc particulièrement important de les impliquer dans la décision. Elles devraient être un partenaire je ne dis pas codécisionnaire d'une telle décision. J'ai toujours le sentiment que les médecins ont tendance à considérer que les infirmiers n'ont qu'à obéir aux ordres. Il y a encore beaucoup de médecins qui pensent cela, monsieur Englert. En tout cas, en grande partie, c'est comme cela que les personnes concernées le vivent.
Je voudrais aussi revenir sur la notion, que vous avez évoquée, de droits du patient. Je voudrais savoir comment vous voyez cette notion-là et, dans le cadre de ce débat, une législation allant plus loin en matière de droits du patient. Je pense à deux éléments qui se trouvent dans les propositions : le droit à l'information et le consentement éclairé. Là, il y a encore beaucoup d'ambiguïté parce que, à entendre les médecins, ceux-ci se demandent jusqu'où ils peuvent aller, ce qu'ils peuvent dire, s'ils peuvent asséner la vérité d'emblée à un patient. J'aimerais vous entendre sur ce point. En matière de droits du patient, comment pourrait-on, dans le cadre d'une loi nous sommes en dehors du champ d'une loi pénale, celle-ci n'étant qu'un aspect du problème donner à cette relation médecin-patient une véritable réalité je pense que c'est aussi votre souci en reconnaissant au patient des droits, lesquels n'impliquent pas que le médecin se débarrassera sur le patient d'une part de ses responsabilités propres ? La question est un peu embrouillée ...
M. Yvon Englert. Je répondrai d'abord en ce qui concerne les infirmières. Je suis d'accord avec vous et je ne voudrais pas donner le sentiment que je pense que les infirmières ne doivent pas être impliquées. Ce n'est pas du tout le cas. Ou bien on décide que ce sont les infirmières qui prennent les décisions concernant les euthanasies et vous avez vu dans l'étude américaine que j'ai nommée que c'est plus fréquent qu'on ne le pense. Je pense qu'elles les prennent quand les médecins ne les prennent pas mais, selon moi, on ne peut sérieusement envisager de prendre cette option-là. Je crois qu'il faut être réaliste, ce qui ne veut pas dire que je suis opposé à la consultation de l'équipe soignante. Je suis opposé à en faire un élément obligatoire parce je pense qu'elle ne s'applique pas à toutes les situations et que, dans la pratique, vous aurez de très grosses difficultés à définir que le médecin a accompli cette partie-là de l'exigence. Donc, en raison de toute une série d'aspects complexes, il existe un risque de déplacer l'élément central.
J'en viens ainsi à votre deuxième question qui me paraît liée à la première. Elle concerne le fait de restituer au patient l'initiative il ne s'agit pas d'un consentement éclairé mais d'une initiative émanant du patient lui-même dans le cas qui nous occupe de demander qu'on mette fin à ses souffrances. Cela revient à déplacer vers le patient la responsabilité qu'on voudrait voir retirée au médecin, ce qui représente l'immense majorité des situations telles qu'elles se passent aujourd'hui, restituant ainsi au patient son autonomie de décision et déplaçant l'objectif perdu vers une structure tierce.
J'éprouve des réticences à inscrire cette exigence dans un texte pour cette raison et non parce que j'estime qu'il ne faut pas consulter l'équipe soignante. Cela vaut autant pour la problématique de l'euthanasie que pour l'ensemble des soins. En vertu de la législation qui définit la mission des soins infirmiers, il revient à l'infirmier ou l'infirmière de recueillir les informations et d'assister le médecin, apportant ainsi à ce dernier cet élément tout à fait spécifique qui est la relation privilégiée avec le malade, que le médecin n'a pas.
Le droit du patient constitue un vaste domaine très complexe. Si on veut l'explorer à fond, je crains que les malheureux orateurs qui attendent leur tour ne puissent s'exprimer que demain. Le sujet est extrêmement difficile car le problème de la vérité au malade est complexe. On peut agir à l'américaine, ce qui est un peu réducteur, en disant : « Ce n'est pas mon problème. Vous avez un cancer. Voilà l'anatomopathologie de ma biopsie. C'est un cancer invasif de très mauvais pronostic. Au revoir monsieur. Je vous convoquerai chez le chimio-thérapeute la semaine prochaine. » Cela, c'est le droit du patient vu comme une déresponsabilisation. Ce qui est intéressant dans ce débat-ci, c'est qu'il ne peut pas y avoir de réponse à une demande d'euthanasie sans que l'information du patient sur sa maladie soit complète. Dans le cadre de ce qui nous occupe ici, c'est un élément central. Il ne peut pas y avoir de décision par rapport à quelque chose d'aussi important sans information objective et honnête du malade.
Je répète qu'il s'agit d'un débat très complexe qu'il est impossible d'aborder ici.
Mme Clotilde Nyssens. Monsieur le président, je souhaite poser une seule question. En l'état actuel des choses, chaque établissement ou chaque département décide-t-il, lui-même, de la pratique médicale qu'il adopte ou bien ces fameuses cellules d'aide à la décision appelées comités d'éthique qui sont créées dans chaque hôpital ont-elles une politique générale sur les pratiques dans l'établissement, à moins que ce ne soit chaque médecin, avec son équipe, qui décide de la pratique de l'institution ? On me dit que les comités d'éthique servent essentiellement pour d'autre sujets, par exemple décider ce qu'on fait en matière de recherche, et qu'ils n'interviennent en général pas dans cette matière-ci. Cela varie-t-il d'un hôpital à l'autre ou bien est-ce une pratique générale de limiter les missions du comité d'éthique ?
M. Yvon Englert. L'aide à la décision fait partie des missions que l'arrêté royal sur les comités d'éthique locaux a attribuées aux comités locaux. Je peux répondre de manière quantifiée à votre question, puisque j'ai dirigé la première évaluation réalisée l'année passée sur l'activité des comités d'éthique locaux en Belgique qui a indiqué l'analyse de plus de 2 000 questions. Il faut bien reconnaître que l'aide à la décision est très peu pratiquée de manière transversale puisqu'elle représente 3 % des sujets traités par les comités locaux. Par contre, les procédures hospitalières représentent 9 ou 10 % des sujets traités, ce qui est une activité plus significative.
Il n'y a certainement pas d'uniformité des pratiques au sein des différentes institutions hospitalières. Je sais que dans certaines d'entre elles, ces cellules d'aide à la décision occupent une place plus importante que dans d'autres. Je pense que le professeur Schotsmans pourra mieux vous répondre que moi. Il dirige en effet l'une de ces cellules qui est particulièrement active dans ce domaine. À l'échelle épidémiologique de la Belgique, cette fonction n'est pas remplie de manière importante. Beaucoup de procédures sont informelles, mais il s'agit aujourd'hui d'une activité minime des comités d'éthique locaux, dans la mesure où nous pouvons le mesurer en tout cas.
M. Jan Remans. Lors de l'audition publique du professeur Vermeersch, il a surtout été traité du droit du patient à demander l'euthanasie. L'audition publique du professeur Englert concernait surtout le droit du médecin à donner une réponse à cette question. L'euthanasie est, selon les propositions de loi actuelles, un acte médical. Le professeur Englert connaît-il une meilleure protection contre l'abus d'euthanasie que le fait que le médecin prenne ses responsabilités suivant certains critères de prudence bien définis, avec consultation d'un second médecin ? Le patient a en effet la garantie qu'il peut s'adresser à son médecin pour demander l'euthanasie et quelqu'un d'autre que le médecin peut, sans être soumis à une pression, procéder à l'euthanasie. Quelle est la place d'un spécialiste de l'éthique dans cette discussion entre médecin et patient ?
M. Yvon Englert. Je me suis peut-être davantage placé du côté du médecin, car c'est mon rôle. Je suis heureux d'avoir pu ainsi compléter les propos de M. Vermeersch.
À mon sens, l'élément central qui légitimise la réponse du médecin, c'est l'existence d'une demande du patient, qui est l'expression de son autonomie. Mais l'autonomie n'est pas tout. C'est une vision très individualiste que je ne partage pas. La combinaison de la demande, qui exprime l'autonomie du patient, avec la maladie incurable et les souffrances que l'on n'arrive pas à apaiser forme un trépied de légitimation. L'autonomie du patient n'est pas seule à entrer en ligne de compte.
Il faut être autant inquiet face aux situations où des fins de vie illégitimes sont provoquées par les médecins que face aux situations où des demandes légitimes ne peuvent être rencontrées. On estime encore trop souvent qu'en raison de la prééminence de la vie sur la souffrance, il est moins grave de faire une euthanasie légitime que de laisser souffrir quelqu'un pendant deux semaines. Je ne suis pas certain que ce soit exact. Les deux positions sont autant condamnables l'une que l'autre. Il faut essayer de trouver l'équilibre qui permette d'éviter ces deux écueils. Ce qui importe, c'est la combinaison des facteurs que j'ai cités et la relation humaine forte entre les personnes je regrette si j'ai donné l'impression que je vois la relation médecin-malade comme une relation idéale sinon, il ne peut y avoir de demande et de réponse.
M. Jan Remans. Je peux totalement accepter le point de vue du professeur, mais pourquoi certaines personnes veulent-elles introduire l'obligation de consulter un spécialiste de l'éthique ?
M. Yvon Englert. Il faut le leur demander. Je ne suis pas de ceux qui pensent que c'est un plus dans la dynamique.
M. Fernand Van Neste. Je vous remercie tout d'abord de m'avoir invité à participer aux auditions publiques. Ensemble, avec tous les citoyens de ce pays, vous souhaitez que la loi en cours de formation sur la problématique de la fin de vie contribue à une culture de soins plus humaine au profit de tous les patients qui approchent du terme de leur vie, tout en respectant la liberté et l'opinion de chacun sur ce thème. Personnellement, je continue de penser que cela doit être possible et je suis convaincu que vous y réussirez.
Je soumettrai quelques considérations dans une brève introduction concernant quatre aspects de la problématique. D'abord, sur la décision médicale d'interruption volontaire de la vie, l'IVV, autrement dit sur la protection des droits de patients lors du traitement médical légitime de la fin de vie. Un deuxième point traite de la déclaration de volonté anticipée ou le testament de vie. Le rôle de la notion d'état de nécessité dans notre débat constitue la troisième remarque. Je terminerai par une constatation et une question.
Mes considérations sont plutôt de nature juridico-éthique qu'elles ne se rapportent à l'éthique médicale.
La légitimation de l'euthanasie et la lutte des abus dans la zone d'ombre sont des objectifs que nous retrouvons dans toutes les propositions de loi qui nous sont soumises ici actuellement. Il y a trois ans, ces deux objectifs la légitimation de l'euthanasie dans des cas exceptionnels et la lutte contre l'interruption de vie clandestine étaient d'ailleurs, pour la plupart des membres du Comité consultatif de bioéthique, les raisons principales pour demander une intervention du législateur.
Les avis étaient cependant partagés sur la question de savoir quelle serait la forme de législation la plus efficace pour atteindre ces objectifs. Les partisans des propositions 1 et 2 ont pris comme point de départ que l'euthanasie doit être légalisée et la clause prohibitive doit être levée à cet égard. Les partisans de la proposition 3, par contre, ont insisté pour qu'une régularisation procédurale de la prise de décision qui mène à l'euthanasie soit imposée par la loi, de sorte que ce processus de décision se déroule dorénavant en toute ouverture et transparence.
Mais cette procédure a priori ne suffit pas à réprimer les abus dans la zone d'ombre, c'est ce qui a été affirmé à propos de la proposition 3.
On devait être attentif à tous les actes médicaux de fin de vie, à tout le domaine des décisions médicales de fin de vie.
Le dernier point de vue mentionné, exprimé en 1997 dans la proposition 3, reste également valable aujourd'hui à mon avis : pour combattre les pratiques inacceptables de fin de vie, il ne suffit pas de concevoir une procédure d'euthanasie et de lever la clause prohibitive à ce sujet. Il faut également introduire une régularisation de l'acte médical légitime.
Récemment, nous avons appris, sur la base des résultats de l'examen du rapport Deliens, l'étendue de ce domaine de l'acte médical d'interruption de vie. En 1998, on a dénombré 56 000 décès en Flandre, dont 20 000 ont été médicalement accompagnés. Ceci signifie que, cette année-là, 40 % des mourants ont été aidés et assistés à l'aide de toutes sortes de formes et techniques d'actes médicaux légitimes, comme l'administration de chimiothérapie, le contrôle de symptôme, la respiration artificielle, l'alimentation artificielle et, à un stade ultérieur, l'abandon progressif des thérapies, etc. Tout ceci fait partie des actes médicaux légitimes, mais quelques-unes de ces techniques ont également permis de réaliser des arrêts de vie : 1 000 cas d'interruption de vie qui sont qualifiés d'injustifiables et 600 cas qui, selon la procédure d'euthanasie qui prend actuellement forme dans les propositions de loi, sont considérés comme acceptables dans le rapport.
L'acte médical en fin de vie peut être comparé à une région frontière où, durant l'année 1998, presque 40 % des mourants sont partis. Une écrasante majorité a suivi des voies légales, par contre, pour ces 1 600 cas, on a pris les sens interdits. De ces 1 600 cas, soit plus d'un tiers, on peut dire que la route suivie était quand même justifiée au niveau de l'éthique.
En ce qui concerne l'acte médical en fin de vie, la pénombre dont ce domaine est enveloppé est caractéristique. D'où la demande urgente de transparence de la part du Comité consultatif de bioéthique. Il faut apporter un éclairage, tout d'abord sur ce qui reste interdit à l'heure actuelle, pour que le processus de décision qui mène à l'euthanasie se déroule dorénavant dans l'ouverture et la transparence.
On peut se demander si cela permet de conjurer définitivement le risque d'abus. Y a-t-il assez de garanties que ce qui a été découvert ces dernières semaines à Liège, à Buizingen et à l'Hôpital universitaire d'Anvers n'aura plus lieu lorsque nous aurons instauré une procédure d'euthanasie en toute transparence ? Personnellement, je pense que ce n'est pas le cas. Je commenterai aussi cette idée.
La procédure d'euthanasie qui prend actuellement forme progressivement et dont nous pouvons distinguer la trame petit à petit comporte, dans toutes les propositions de loi, qu'elles émanent de la majorité ou de l'opposition, trois types de conditions. En premier lieu, il y a les conditions subjectives, c'est-à-dire la demande formelle et réfléchie du patient. On trouve sous les conditions objectives les critères médicaux : stade terminal ou non ou maladie incurable. Enfin, il y a aussi des conditions de procédure : dans le processus de décision qui mène à l'euthanasie, des informations doivent être données et, selon la proposition de loi du CVP et du PSC, une estimation éthique et finalement même un test judiciaire ont lieu.
Même si une bonne procédure d'euthanasie est approuvée, on peut encore s'attendre à ce que à partir du moment où une des conditions n'est pas remplie un moyen détourné soit trouvé pour procéder à un arrêt de vie via une technique qui est finalement considérée comme un acte médical légitime.
Ma conclusion est qu'on a tout intérêt à réaliser une installation d'éclairage, non seulement sur les chemins jusqu'à présent interdits, mais aussi sur toute la voie dans toute la région frontière de l'acte médical en fin de vie.
Heureusement, ces dernières années, des directives ont été établies et introduites dans un certain nombre de cliniques en matière d'IVV, c'est-à-dire les interruptions volontaires de vie. Il serait souhaitable que le législateur rende légalement obligatoire pour tous les hôpitaux une partie de ces codes, qui sont déjà appliqués dans certains hôpitaux, après examen et approbation. Ce serait un premier pas dans la promotion de la transparence dans tout le domaine de l'acte médical légitime en fin de vie. À ce propos, il faut exiger formellement que les droits du patient soient respectés lors de l'application de ces codes.
Dans le cadre de mes contacts avec les commissions éthiques de certains hôpitaux en Flandre, j'ai ressenti que, dans le respect des codes, on fait surtout attention aux aspects médicaux pour les étapes qui sont entreprises lors de l'abandon progressif des thérapies.
Dans le suivi de ces codes, il faut respecter les droits du patient. Je pense ici surtout au droit d'autorisation, de participation dans le processus de décision pour passer d'un code à l'autre, à l'information claire pour le patient, mais aussi au droit de consultation dans le dossier médical concernant le respect de ces codes et des droits des patients. En vue de la transparence et de la possibilité de vérification, il faut faire mention dans le dossier médical de toutes les décisions. En passant, j'ajoute ici que ce que le patient demande dans une déclaration de volonté anticipée en ce qui concerne l'acte médical légitime à savoir l'abandon d'une thérapie, l'arrêt d'un traitement, l'absence d'administration de moyens exceptionnels doit certainement être mentionné dans le dossier médical.
Le deuxième point de mon exposé traite de la formule juridique de la déclaration de volonté anticipée, le testament de vie ou living will. La déclaration de volonté et sa reconnaissance juridique ne peuvent pas constituer un obstacle insurmontable pour parvenir à un accord sur les propositions de loi. J'espère que cette formule juridique est acceptée sans plus par toutes les parties.
Dans la Recommandation nº 1418 du Conseil de l'Europe sur les soins palliatifs qui se rapporte à la protection des droits de l'homme et la dignité des patients en phase terminale et atteints de maladies incurables, on insiste sur la reconnaissance juridique du living will dans les pays européens.
Un autre point sensible dans ce débat concerne la procédure a priori dans les propositions de loi du CVP et du PSC et le test éthique par une tierce personne. À cet égard, je me réfère au premier avis sur l'euthanasie du Comité consultatif de bioéthique. Le profil de cette tierce personne n'a jamais été défini. Il a seulement demandé que, dans la procédure a priori, une évaluation éthique soit effectuée par une tierce personne qui ne soit pas médecin. Dans les propositions CVP et PSC, ce profil est progressivement défini. Si les propositions sont acceptées, il faudra encore parachever ce profil.
Dans les médias, une proposition intéressante, qui consiste à faire réaliser le test éthique par un membre de l'équipe des soins palliatifs, a été décrite récemment. Il doit en tout cas s'agir d'une personne qui connaît quelque peu le terrain et qui n'est pas complètement en dehors de la réalité clinique. Le spécialiste des soins palliatifs peut reconnaître un patient en phase terminale, il connaît la situation clinique et peut sans aucun doute former un jugement sur les indications médicales.
Il est également important que, dans la formation actuelle des spécialistes en soins palliatifs, on prête attention à la qualité intégrale des soins, donc au patient dans toutes ses dimensions, pas seulement physique, mais aussi psychique, spirituelle et sociale. Un test éthique doit autant que possible s'appuyer sur cette approche totale. Il faut que la décision soit positive pour le patient en question. Pour pouvoir juger de cela, on doit en effet tenir compte de toutes les dimensions de l'être humain.
Un troisième point est la fonction que la notion d'état de nécessité a jouée dans le débat sur l'euthanasie jusqu'à présent. Personnellement, je suis convaincu que cette notion a joué un rôle important pour la recherche des critères objectifs qu'on veut employer pour légitimer l'euthanasie. Dans toutes les propositions de loi, on parle de conditions subjectives, objectives et de procédure. La notion d'état de nécessité a joué un rôle important pour la recherche de ce qu'on appelle les conditions objectives de légitimation de l'euthanasie. Cette notion contribuait à la compréhension que des circonstances effectives particulières justifient cette euthanasie et qu'elles résident dans des situations physiques, dans la morbidité générale du patient, qu'elles doivent être de telle nature que le médecin, dans l'appréciation et la considération qu'il fait à cet égard, en arrive à la décision que la seule façon d'aider réellement le patient dans ce cas implique que l'obligation médicale de respecter la vie ne prévaut plus.
Grâce au débat sur la notion d'état de nécessité, on s'est mis d'accord sur le fait qu'une exigence essentielle pour légitimer l'euthanasie est que le patient en phase terminale voit sa souffrance comme insupportable et que le médecin ne dispose pas des moyens adéquats pour lutter contre cette souffrance.
Lorsque cet état de nécessité, comme nous l'avons partiellement précisé, notamment un patient en phase terminale qui endure des souffrances insupportables et qui ne peut plus être soulagé, serait mentionné comme condition essentielle à la légitimation de l'euthanasie, par exemple comme dans la proposition du PSC dans l'arrêté royal nº 78 sur l'exercice de la médecine, il n'existe plus de raison pour faire formellement appel à la notion d'état de nécessité.
Je suis toutefois convaincu que la discussion sur la notion d'état de nécessité a joué un rôle très important dans la découverte progressive de ce qui est essentiel pour parler d'un état de nécessité. La notion d'état de nécessité semble avoir eu, dans une certaine mesure, la fonction de la fusée qui doit mettre une capsule sur orbite. Au moment où la capsule se trouve sur l'orbite requise, la fusée est rejetée. La notion d'état de nécessité n'est plus nécessaire parce que l'essentiel reçoit maintenant une définition légale, du moins selon la proposition du PSC.
La principale exigence de l'état de nécessité a alors reçu une forme légale. De cette façon, on obtient davantage et par la même occasion suffisamment de sécurité juridique. Un autre point commun au débat dans son ensemble est la question de savoir s'il est nécessaire de modifier le Code pénal.
Enfin, encore une constatation sur l'impuissance du droit, de chaque réglementation de droit, à pouvoir diriger dans le concret les actes humains, et certainement les actes médicaux jusque dans leurs moindres recoins. C'est peut-être une bonne chose. Sinon, nous serions devenus de simples robots des procédures ou des règles de droit.
Je constate et je répète que ma position est plutôt de nature juridico-éthique que basée sur l'éthique médicale que la procédure d'euthanasie telle qu'elle ressort progressivement dans toutes les propositions de loi, est plutôt taillée sur mesure pour un certain type de patient : le patient en phase terminale qui se trouve à l'hôpital, qui a été longuement malade, qui est encore capable ou bien qui a établi une déclaration de volonté anticipée, et qui ne connaît pas de complications inattendues dans la dernière phase, de sorte qu'on a calmement le temps de parcourir toutes les phases de la procédure. C'est une procédure que j'approuve, à quelques détails près. Des conditions subjectives, objectives et de procédure sont posées. C'est sérieux. Cependant, cette procédure convient moins bien, par exemple, pour des situations où nous connaissons de façon inattendue des situations terminales, comme dans un service des soins intensifs, où on dispose de beaucoup moins de temps pour parcourir au moins les conditions de procédure. Je désigne donc bel et bien un patient capable ou incapable qui a déposé une déclaration de volonté anticipée, mais qui se trouve au service des soins intensifs. Je pense aussi au patient en phase terminale qui est soigné à la maison par son médecin de famille. Le médecin de famille est peut-être le médecin auquel on pense le moins pour la réalisation de la procédure d'euthanasie et toute la problématique tournant autour de la fin de vie. Pourtant, il existe sans aucun doute des patients en phase terminale qui sont soignés à la maison et pour lesquels le médecin de famille veut intervenir et faire tout qui est possible. Le médecin de famille est un soliste, il joue volontiers son propre rôle sans partenaire. Il n'existe pas souvent de concertation, ni de communication avec un deuxième médecin. Apparemment, on n'a pas pensé au médecin de famille lors de l'élaboration de la procédure d'euthanasie.
Je termine par une question. Est-il concevable que la procédure d'euthanasie que nous sommes en train de concevoir soit considérée comme une sorte de procédure standard à laquelle des variantes peuvent être apportées en fonction des situations si diverses dont j'ai énuméré quelques-unes, comme les soins intensifs et le médecin de famille ? La question suivante est alors de savoir par qui ces variantes seront établies. En outre, nous avons les nombreuses situations relatives aux incapables dont on sait qu'ils n'ont pas établi de déclaration de volonté. N'est-il pas indiqué de demander aux hommes sur le terrain, je désigne les médecins, de concevoir, pour toutes ces différentes situations, des procédures adaptées sur le modèle de la procédure standard qui vous souhaitez réaliser ?
M. Philippe Mahoux. Monsieur Van Neste, si vous appliquez les conditions et la procédure à toutes les situations, sur le plan hospitalier et à domicile, vous pourrez constater que c'est tout à fait possible.
Vous avez fait une deuxième remarque avec laquelle je suis d'accord. Vous dites qu'il ne faut pas légiférer en matière d'actes médicaux, mais le problème est précisément de permettre à un acte médical, qui est un acte d'humanité, de se réaliser à un moment donné, dans des conditions spécifiques.
Vous vous dites non satisfait par les procédures établies et vous ne voyez pas la nécessité de dépénaliser l'euthanasie. Pour quelles raisons ? Je vous retourne la question : pourquoi considérez-vous qu'il est illégitime de dépénaliser ?
M. Fernand Van Neste. Si on considère l'état de nécessité comme une exigence essentielle pour pouvoir légitimer l'euthanasie sur le plan éthique et même juridique, on se trouve dans la situation suivante. Nous considérons l'acte de fin de vie, lorsqu'il s'agit d'un patient en phase terminale qui endure des souffrances insupportables et que le médecin n'a plus de moyens adéquats pour soulager ses souffrances, finalement comme une intervention justifiée du point de vue éthique et déontologique. Si on peut prouver que l'acte de fin de vie répond à cette condition, il sera indubitablement accepté judiciairement. Aussi, je ne vois pas de raison pour ne pas l'intégrer au code pénal comme exception à la règle générale de privation de la vie. Vous me posez la question de savoir pourquoi je souhaite alors une réglementation de procédure comme acte de fin de vie dans un état de nécessité finalement justifié du point de vue de l'éthique et tout à fait acceptable du point de vue de la déontologie. Eh bien, cette réglementation de procédure est nécessaire pour assurer la transparence. C'est une exigence très importante. Ici, il ne s'agit pas seulement de lever l'illégalité d'un acte qui était criminel jusqu'ici. Même s'il est justifié, du point de vue déontologique, d'agir de cette façon, on peut quand même manquer de transparence. C'est la raison de la réglementation de la procédure a priori.
M. Philippe Mahoux. Vous ne voyez pas de raison de dépénaliser. Je vous retourne la question et vous demande les raisons pour lesquelles vous ne voulez pas qu'on dépénalise. Vous dites que c'est un acte justifié socialement et d'un point de vue éthique. Pourquoi alors ne pas dépénaliser ? C'est un problème de nature idéologique, je le conçois.
M. Fernand Van Neste. Il s'agit alors d'un très petit nombre de cas exceptionnels. J'estime qu'il est idiot d'insérer une exception dans une règle générale dans le Code pénal. La règle générale doit rester d'application. Elle possède également une fonction symbolique très importante.
Mais il y a plus. Dans le cas de l'euthanasie, il s'agit d'une affaire qui intéresse un groupe professionnel spécifique : les médecins. Aussi, j'y vois une raison de ne pas apporter de modification au code pénal; il s'agit d'un acte spécifique à l'exercice de la profession médicale. Je suis d'accord avec le médecin qui m'a récemment cité dans ce contexte l'exemple du code de la route. Une des règles générales du code de la route est que l'on ne peut pas passer au feu rouge. Toutefois, il existe des exceptions, entre autres pour le chauffeur d'une ambulance qui est appelé pour un cas d'urgence. Cette exception n'est quand même pas inscrite dans le Code de la route général ? Bien sûr, il est important que cet automobiliste sache très bien dans quelles conditions il peut passer au rouge. Il est important aussi que ces conditions soient inscrites dans un règlement ordinaire ou interne de cette catégorie de chauffeurs. Il n'est pas du tout indiqué de reprendre cette exception dans un paragraphe de la règle générale du code de la route.
M. Philippe Monfils. Je voudrais revenir sur ce que vient de dire M. le Professeur, à savoir qu'il n'est pas opportun de dépénaliser l'euthanasie parce que le problème n'est pas suffisamment important.
Monsieur le Professeur, nous avons entendu avant vous d'autres personnes qui nous ont donné des chiffres qui font, à la limite, froid dans le dos : 1 903 euthanasies faites sans la demande du patient. On a parlé de 5 000 en Belgique. C'est énorme. Nous dire que ce n'est pas important, que ce sont des cas limites et qu'il ne faut pas légiférer pour si peu. Que ferait-on si l'on apprenait qu'il y a 1 000 morts par an sur la route ou dans les entreprises ? Il faut évidemment réfléchir à cette situation.
Vous nous dites que l'état de nécessité suffit. Êtes-vous conscient du fait qu'en refusant de légaliser une notion où il y a état de nécessité, c'est-à-dire de dépénaliser dans certaines circonstances, vous remettez au juge le soin de déterminer systématiquement dans tous les cas lorsqu'il y a ou non état de nécessité ?
Notre collègue, M. Istasse, a très bien expliqué que si l'on ne légifère pas, c'est parce que le juge a pris tout le pouvoir au détriment du législateur et qu'il s'arroge à lui seul le droit de déterminer s'il y a ou non état de nécessité. C'est évidemment une insécurité juridique considérable et c'est faire jouer à l'état de nécessité le rôle qui n'est pas le sien car, en effet, cette notion ne peut être appliquée que dans des cas particuliers.
C'est la règle générale qui doit prévaloir mais toute règle a ses exceptions, nous le savons. Toute loi aura toujours des points d'ombre, et c'est à ce moment-là que le juge pourra apprécier la notion de l'état de nécessité. S'il prenait cette décision seul, il ne faudrait plus de Code pénal. Il suffirait de tout supprimer et que le législateur détermine si une personne qui tue, qui abandonne sa femme, qui ne paye pas sa pension alimentaire ou que sais-je encore est ou non en état de nécessité.
Croyez-vous que la sécurité juridique est garantie en invoquant le seul caractère jurisprudentiel de l'état de nécessité ? N'oubliez pas que nous cherchons aussi une sécurité juridique au niveau des médecins et le simple fait de dire qu'il y a état de nécessité n'obligera jamais le parquet à suivre cette affaire. Il est bien expliqué dans certaines propositions qui ne sont pas les nôtres que le parquet peut en effet avoir un avis différent et poursuivre le médecin même s'il estime qu'il est en état de nécessité.
Selon vous, cette notion n'est-elle pas à ce point fragile qu'elle n'apporte aucune garantie à personne ?
Par ailleurs, j'ai été interpellé par une phrase que vous avez dite concernant la procédure a priori. Vous avez dit qu'il fallait se poser la question de savoir si cette procédure avait pour objet le bien du patient. C'est une question que je vous pose. Ne croyez-vous pas que le bien du patient doit d'abord être déterminé par le patient lui-même ?
Nous arrivons précisément à cette socialisation que nous ne voulons pas voir organiser au niveau du patient. Personnellement, je ne veux pas que l'on se mette à sa place pour décider de ce qui est bon ou mauvais pour lui. Cette notion que vous avez développée, ne va-t-elle pas trop loin ?
En outre, je vous comprends assez mal lorsque vous dites que le législateur pourrait au moins prendre en compte les directives informelles données dans les hôpitaux. Vous avez donné des exemples. Quelles sont ces règles ? Tant dans les propositions du PSC, du CVP, que dans les nôtres, un certain nombre de règles sont prévues. Qu'est-ce que ce codex de règles minimales que vous estimez qu'il serait indispensable de reprendre dans une loi ? Je ne vois pas la différence qu'il y a, au niveau du concept, entre les propositions déposées et les directives informelles données par les hôpitaux que vous voudriez voir figurer dans la législation.
Enfin, dernier point, vous avez demandé si, avec ces propositions, on avait des garanties que le cas d'Anvers ne se reproduise plus.
Non, personne n'a jamais de garanties. Pour reprendre votre exemple du code de la route, il est bien indiqué qu'il ne faut pas dépasser 120 kilomètres à l'heure et qu'il faut tenir sa droite. Certains ne respectent pas ces règles. Il y a des accidents mortels, nous le savons bien. Ce que nous voulons, c'est essayer d'encadrer un certain nombre de situations. Nous sommes effrayés de constater que certaines euthanasies sont faites sans contrôle et sans garantie. Nous croyons qu'une fois une loi claire votée, il y aura moins d'euthanasies de ce type. Nous pourrons enfin respecter la volonté du patient et le médecin aura une garantie de sécurité juridique.
On peut se demander si cela ira mieux après, mais cette question est valable pour toutes les législations. Quelle que soit la minutie des législations, il y aura toujours des gens qui ne les respecteront pas mais, au moins, dans ce cas, la situation sera claire. Ceux qui ne seront pas dans la loi seront en dehors, avec toutes les conséquences que cela suppose. Autant je regrette ce qui s'est passé à Liège et la mise en inculpation des médecins, autant le jour où une loi sera claire et nette, je ne défendrai jamais des médecins qui ne l'auront pas respectée.
M. Fernand Van Neste. En ce qui concerne l'état de nécessité, j'estime qu'on obtient suffisamment de sécurité juridique si l'exigence essentielle concernant l'état de nécessité, à savoir le critère objectif que le patient en phase terminale endure des souffrances insupportables devant lesquelles le médecin est impuissant à ce moment, est légalement définie dans l'arrêté royal n 78 sur l'exercice de l'art de guérir. C'est une base légale qui offre assez de sécurité juridique. J'ai déjà expliqué tout à l'heure pourquoi je donne la préférence à l'inscription de ces conditions dans l'arrêté royal et pas dans le Code pénal. Le Code pénal contient des règles générales valables pour tous les citoyens. L'acte d'euthanasie est un acte médical dans des situations exceptionnelles. En outre, cette disposition vaut seulement pour un groupe professionnel spécifique : les médecins.
La deuxième question concerne le souci de ce qui est bon pour le patient. Bien sûr, c'est le patient qui est le mieux placé pour en juger. Nous en arrivons au poids de l'autonomie et de l'autodétermination dans le processus de décision. Ma conception a toujours été que l'autodétermination du patient dans le processus de décision est une forme de cogestion et de codécision qui doit être considérée aussi sérieusement que le diagnostic et l'évaluation médicale de la situation par le médecin.
Toutefois, je suis partisan d'y associer une tierce personne. Pas parce que j'estime que le patient n'est pas capable ou n'est pas le mieux placé pour énoncer un jugement. La décision de l'acte d'euthanasie est une décision très exceptionnelle. Il est bon de mettre cette décision à l'épreuve de quelqu'un qui est au courant de la réalité clinique avant de franchir le pas vers une décision finale. Cette tierce personne ne juge pas sur la base d'une érudition livresque ou d'une morale abstraite, mais en partant d'une inquiétude quant à savoir quelle est la meilleure décision pour le médecin et le patient dans cette situation concrète. Le contrôle éthique est exigé pour faire apparaître clairement qu'il ne suffit pas de vérifier si les conditions de procédure sont remplies, mais il faut aussi s'attarder au contenu de la décision. Cette tierce personne ne doit en aucun cas agir comme une sorte de juge. Au tribunal, il s'agit d'un contentieux, d'une dispute. Ici, au contraire, il n'est pas question de dispute entre le patient et le médecin. Il s'agit simplement de confronter une décision fondamentale à la sagesse d'une personne qui connaît bien cette réalité.
Si j'ai bien compris, la troisième question traitait des codes qui sont déjà souvent utilisés à l'heure actuelle dans de nombreux hôpitaux pour la fin de vie. Ces codes se rapportent à des actes médicaux légitimes comme des traitements avec des moyens exceptionnels, comme la chimiothérapie ou le débranchement de l'installation respiratoire, la mise en route de la respiration ou l'alimentation artificielle. Ce sont toutes des décisions médicales importantes. Dans un très grand nombre d'hôpitaux, de bons accords sont conclus à ce niveau. Ce ne sont pas des règles juridiques, mais des accords professionnels réciproques entre les médecins. Dans ces codes, ces directives ou guidelines, comme ils sont parfois appelés, on ne prête guère attention aux droits des patients. Je pense que le législateur ne doit pas se préoccuper, sur le plan du contenu, des diverses étapes qui sont franchies pour, par exemple, passer à la réduction progressive d'une thérapie. Le législateur ne peut pas s'en préoccuper parce que ceci requiert une compétence médicale. Pour la transparence, il est bien sûr important que le législateur rende légalement obligatoires de telles directives et accords professionnels entre des médecins concernant la fin de vie. En outre, il faut offrir des garanties claires lors de l'élaboration de ces accords pour la protection des droits du patient. Il devrait être légalement obligatoire qu'il apparaisse clairement dans le dossier médical qu'on a tenu compte de l'avis du patient. Dans le dossier médical, il faudrait clairement mentionner que des informations ont été données sur les codes qui sont progressivement introduits. On peut aussi éventuellement mentionner que l'avis de la famille a été demandé et on peut expliquer en quoi il consistait.
J'ai déjà souvent demandé à des médecins qui suivent ces codes professionnels s'ils tiennent aussi compte des droits des patients et s'ils en font mention de sorte qu'un contrôle a posteriori ou un historique soit possible. Supposez que, sous la pression familiale, on commence à un stade encore précoce à réduire progressivement une thérapie et qu'il ne doive pas être signalé dans le dossier médical que le patient est d'accord. Une telle décision pourrait alors être prise sans que le patient le sache. J'estime que, pour la transparence, les directives en question doivent, dans le respect des droits des patients, devenir obligatoires. À mon avis, il s'agirait d'une mission du législateur.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous avez donné une explication détaillée sur un des points cruciaux, à savoir la dépénalisation ou l'état de nécessité. Vous avez cependant à peine touché aux autres points essentiels. Vous avez ainsi déclaré que toutes les autres conditions objectives dans les deux visions étaient les mêmes. La demande de dépénalisation concerne aussi naturellement la vision qu'il ne s'agit pas seulement d'une situation exceptionnelle extrême. Ces conditions sont étendues du stade terminal à incurable, de souffrance physique au besoin psychique ou à la détresse et à la possibilité de prendre une option. Pour un diagnostic déterminé ou dans une situation morbide déterminée, on pourrait choisir entre les soins palliatifs et l'euthanasie, alors que nous sommes d'avis que tout doit être fait pour assister le patient et que les soins palliatifs sont une obligation médicale. Vraisemblablement, on plaide, à cause de ces conditions objectives plus larges, pour la dépénalisation.
M. Fernand Van Neste. Madame, vous me donnez l'opportunité de donner mon opinion sur la distinction entre les critères stricts et larges tels qu'ils sont repris dans les propositions de loi sous-jacentes.
D'une part, la « souffrance terminale et insupportable » est donnée comme condition objective. Je pense qu'en premier lieu, on pense à la souffrance physique, à la souffrance insupportable qui ne peut plus être traitée ni soulagée. C'est ce qui explique précisément l'état de nécessité.
D'autres propositions de loi contiennent la condition objective de « maladie incurable allant de pair avec une nécessité physique ou psychique », mais cela nous entraîne, pour deux raisons, en dehors du cadre de la problématique propre à l'euthanasie.
Tout d'abord, il ne doit plus s'agir d'un patient en phase terminale. Si nous étudions l'historique de l'acte d'euthanasie, nous constatons qu'auparavant, on ne parlait d'euthanasie qu'à l'heure du décès, de l'agonie. En outre, il s'agissait toujours du devoir du médecin d'atténuer la douleur. Par douleur ou souffrance, on pensait toujours à un besoin qui est du ressort de la médecine.
Quand, dans une proposition de loi, on propose le critère de « maladie incurable allant de pair avec une nécessité physique ou psychique », cela peut aussi être interprété de manière plus large que le besoin qui est du ressort de la médecine. Il peut s'agir d'un besoin existentiel, comme l'exemple fréquemment cité de l'Espagnol qui a subi un grave accident et qui y a perdu les bras et les jambes. Cette personne est incurablement malade. C'est évident. Il se trouve manifestement dans un besoin terrible, mais la médecine peut-elle être invoquée dans ce cas ?
Selon moi, il s'agit ici d'un besoin existentiel. Un besoin existentiel ne peut cependant pas entrer en ligne de compte dans la problématique de l'euthanasie pour la définition de l'état de nécessité. Dans ce cas, le médecin ne se trouve pas dans un état de nécessité. Il ne peut pas remédier à cette lassitude de vivre. Il se trouve seulement dans un état de nécessité lorsqu'il est confronté à une situation où il veut continuer d'aider avec sa compétence médicale, mais pour laquelle les moyens médicaux dont il dispose ne sont plus efficaces pour adoucir le besoin physique du patient en phase terminale. C'est précisément ce qui provoque son cas de conscience.
Dans le cas du patient qui est incurablement malade et las de la vie et pour lequel il est peut-être justifié, du point de vue éthique, que quelque chose soit fait, nous sortons de la problématique de l'euthanasie et nous devons plutôt parler de problématique relative à l'aide au suicide. Le patient ne s'adressera pas nécessairement au médecin pour l'aide au suicide.
Voici mes objections face aux critères plus larges qui sont proposés.
Mme Jeannine Leduc. Professeur, dans votre réponse à une question de madame De Schamphelaere, vous faites référence au cas de cet Espagnol qui a eu un terrible accident. Tout comme la douleur peut être continuelle et insupportable, ce besoin existentiel peut aussi être continuel et insupportable. Aussi, ce patient se trouve-t-il dans une situation sans issue, parce qu'il n'existe plus d'aide médicale dans son cas. Selon moi, ces deux facteurs doivent être suffisants pour donner suite à la demande formelle d'interruption de vie de ce patient.
Il y a un instant, vous avez dit qu'il s'agissait d'un nombre restreint de cas. Nous avons cependant appris des intervenants précédents que, pour 40 % des décès annuels, une aide était apportée d'une manière ou d'une autre. Pour 16,4 %, l'aide n'a pas été mise en route ou elle a été interrompue. Nous savons de quoi il s'agit. Dans ces cas, on parle d'euthanasie passive. Dans 18,4 % des décès, des sédatifs qui ont entraîné la mort ont été administrés. Dans 4,4 % des cas, on parle d'euthanasie et ces 4,4 % se répartissent encore en 0,1 % d'aide au suicide, 1,1 % d'euthanasie sur demande et 3,2 % d'euthanasie sans que le patient soit au courant.
Aux Pays-Bas, des enquêtes sur l'euthanasie ont été effectuées en 1990 et 1995. Il en ressort que dans 1,1 % des décès seulement, l'euthanasie est effectuée sans que le patient en ait fait la demande. Les Néerlandais trouvent que c'est une situation dramatique ! Alors, un chiffre de 3,2 % est certainement dramatique et 4,4 % ne peut pas du tout être considéré comme « négligeable ». Je suis convaincue que le médecin qui perçoit une situation médicale sans issue pour laquelle il ne peut plus apporter aucune aide décide de passer à l'euthanasie et le fait en son âme et conscience. Évidemment, il transgresse la loi à ce moment, même s'il s'agit d'une euthanasie à la demande formelle du patient.
Les chiffres prouvent qu'une réglementation légale doit être instaurée. Vous voulez une législation claire et nette. Eh bien, la proposition de la majorité est une proposition claire et nette qui exclut les abus dans la mesure du possible, tout en sachant bien que les abus ne peuvent jamais être complètement éliminés.
On a déjà avancé que seul un faible nombre de personnes ont besoin d'une véritable euthanasie, vu les soins palliatifs, et cetera. La vie est extrêmement importante pour nous. Cependant, qu'est-ce qui prime à un certain moment; la vie ou la mort en douceur du patient qui l'a demandée ? Les médecins doivent aider les gens et les assister dans les moments difficiles. Cette mort généreuse et douce n'en fait-elle pas partie ? Notre proposition offre une sécurité juridique et une solution à la situation non transparente actuelle, qui ne peut pas être contrôlée. Ne pouvez-vous pas dès lors approuver cette proposition ?
M. Fernand Van Neste. Les conditions subjectives, objectives et procédurales qui sont reprises dans la proposition de loi de la majorité offrent en effet assez de sécurité juridique et de transparence. Je ne le conteste pas. La question est plutôt de savoir si, pour garantir cette sécurité juridique et cette transparence, il est absolument nécessaire d'inscrire une disposition dans le code pénal. Je ne le pense pas, et je viens d'en donner les raisons. Il s'agit d'un nombre restreint de cas.
Mme Jeannine Leduc. Il s'agit d'un pourcentage important.
M. Fernand Van Neste. Il s'agit de 2 %, voire encore moins. Nous ne parlons pas ici des 40 % de décès où un acte médical légitime est posé. Nous ne devons quand même pas dépénaliser cela. Mais nous devons le réglementer pour instaurer la transparence. C'est pourquoi je propose de formuler des garanties concernant les droits des patients et de rendre légalement obligatoires les fameuses directives et les codes qui sont déjà suivis dans certains hôpitaux. Mais c'est un autre débat. Si nous parlons d'euthanasie, il s'agit seulement de 2 %, ce qui est finalement un nombre restreint. On dit que 600 cas de fin de vie peuvent être justifiés, mais que ceci n'est pas possible pour 1 000 cas d'interruption de vie sur un total de 56 000 décès. Cela représente 1 sur 56. Sur ce plan, nous devons obtenir la clarté et la transparence, mais nous l'avons aussi bien en inscrivant une procédure dans l'arrêté royal nº 78 sur l'exercice de l'art de guérir. Pas dans le Code pénal. La loi criminelle est une règle générale, valable pour tous les citoyens. Ici, il ne s'agit pas seulement d'un nombre très faible de patients, mais aussi d'un groupe professionnel particulier. Je vous ai donné l'exemple des automobilistes. Nous n'écrivons quand même pas dans le Code de la route que certains automobilistes peuvent, à certaines conditions à savoir faire fonctionner les sirènes faire une exception à la règle générale qu'on ne brûle pas le feu rouge.
Mme Jeannine Leduc. Comparons ce qui est comparable. Je voudrais m'en tenir aux patients atteints de maladies incurables et aux personnes en grande détresse.
M. Fernand Van Neste. La sirène et les conditions qui sont reprises dans le règlement d'ordre intérieur de certains automobilistes, et qui ne sont donc pas reprises dans le Code de la route, sont comparables à la procédure a priori de votre proposition de loi et des propositions de l'opposition. N'inscrivez pas par conséquent cette procédure dans le Code pénal, mais dans une sorte de « code » possédant des règles déontologiques légalement obligatoires pour les médecins, c'est-à-dire l'arrêté royal nº 78.
Mme Jeannine Leduc. Trouvez-vous que la vie doit toujours primer l'aide que l'on doit offrir à des personnes dans le besoin ?
M. Fernand Van Neste. Non, pas dans le cas d'un état de nécessité. C'est précisément le contenu de la notion d'état de nécessité. C'est un raisonnement éthique d'ancienne morale, où, lors d'un acte déterminé, on tient compte de circonstances très particulières. La personne qui doit poser l'acte est confrontée à un conflit de valeurs, de droits ou de devoirs.
Le médecin est confronté à la souffrance insupportable d'un patient contre laquelle il ne peut rien entamer. Il doit contrebalancer deux devoirs. L'état de nécessité concerne en effet le problème de conscience du médecin, pas du patient. Normalement, pour un médecin, c'est de respect de la vie qui prime, mais il a également l'obligation d'aider son patient jusqu'au bout.
Dans ces circonstances particulières, ceci n'est possible que s'il effectue quelque chose qui lui est normalement impossible, parce que le respect de la vie prime. Autrement dit : nécessité fait loi. Dans un état de nécessité, ce n'est pas la vie qui prime, mais l'aide qu'il doit offrir à son patient.
Mme Jeannine Leduc. Dans notre proposition, l'état de nécessité est valable pour le médecin, mais le besoin, la souffrance insupportable, valent aussi pour le patient. Dans notre proposition, le patient prime évidemment.
M. Fernand Van Neste. Bien sûr, c'est le patient qui endure des souffrances insupportables et ces souffrances insupportables précisément donnent lieu au cas de conscience du médecin qui doit choisir entre deux devoirs. Il fournit le motif de justification pour faire primer, pour cette fois, non le respect de la vie, mais l'aide au patient.
M. Alain Zenner. En écoutant le professeur Van Neste, j'ai bien compris, à nouveau, qu'il y a deux manières de dépénaliser l'euthanasie, mais il s'agit bien, dans les deux cas, de la dépénaliser. La première, c'est de l'autoriser, sous certaines conditions, dans le Code pénal, en apportant une exception à l'interdiction de tuer; la deuxième consiste à l'autoriser, éventuellement aux mêmes conditions, dans l'arrêté royal nº 78 sur l'art de guérir, en autorisant expressément et sous certaines conditions les médecins à pratiquer l'euthanasie.
L'échange de vues que nous venons d'avoir confirme qu'il s'agit d'une question purement idéologique. Derrière cette question de forme faut-il écrire la dépénélisation de l'euthanasie dans le Code pénal ou l'inscrire dans la loi sur l'art de guérir ? se trouve toute une divergence de vues sur le plan éthique, sur le plan moral, sur le plan idéologique. J'ai d'ailleurs entendu sans vouloir préjuger d'une solution le professeur Van Neste parler de oude moraal et rappeler ce que l'euthanasie avait été dans l'histoire. Ces divergences de vues ne me semblent pas de nature à pouvoir être dépassées sur le plan des conceptions, derrière ces deux méthodes différentes.
Mais quittant la question de la forme et de la déontologie pour le fond, j'ai retenu de l'intervention du professeur Van Neste deux suggestions. Il nous dit, d'une part, qu'il faut porter l'éclairage sur toutes les routes du comportement médical de fin de vie et pas seulement sur l'interruption volontaire de vie qu'est l'euthanasie. D'autre part, le professeur Van Neste suggère que ce soit le secteur médical qui énonce des procédures dans le cas de l'arrêt thérapeutique en codifiant, peut-être, dans cet arrêté, des règles déontologiques existantes ou admises dans certains hôpitaux, avec le souhait de les voir plus largement appliquées, sans doute. Dans le domaine de l'euthanasie, si j'ai bien compris, le professeur Van Neste suggère et j'invite une fois de plus les orateurs à s'abstenir de parler de proposition de la majorité, car il n'y en a pas une modulation plus large des propositions procédurales faites d'un côté ou de l'autre, en fonction de cas spécifiques.
Vous proposez, professeur, de porter l'éclairage sur les règles qui doivent présider à l'arrêt de l'acharnement thérapeutique. Ne risque-t-on pas de rendre cette pratique victime, par contagion, des difficultés qui entourent l'euthanasie ? Ne risque-t-on pas de remettre en cause, à travers l'attention que vous proposez de porter à cette pratique, des comportements qui, aujourd'hui, ne prêtent à aucune discussion ? Je reviens à la question que j'avais posée tout à l'heure à propos de ce qui s'est passé à Liège : je ne suis pas persuadé que cette affaire aurait été portée devant le tribunal si le débat sur l'euthanasie n'était pas d'actualité.
Ces propositions s'inscrivent-elles dans la ligne de l'article dont je crois que vous êtes l'auteur et qui a été publié dans « De Standaard » à la mi-janvier, article dans lequel vous recherchiez une conciliation entre les propositions faites, d'une part, et les propositions émanant du PSC et du CVP, de l'autre ? Je ne vous cache pas que j'ai été un peu déçu mais j'espère que cette déception ne sera que temporaire en vous entendant je parle franchement et avec coeur , car j'ai eu le sentiment de vous sentir en retrait de l'effort que vous faisiez dans cet article.
Pensez-vous qu'il soit possible, indépendamment des questions de forme et d'idéologie je parle de ce que vous appelez les conditions objectives ou subjectives ou de procédures d'arriver à un accord, si vous me permettez de dire cela et avec tout le respect que je porte à votre pensée , en tenant le discours qui est le vôtre et que j'ai ressenti comme très en retrait par rapport à l'effort que vous aviez proposé en janvier ?
Quand vous nous dites qu'il conviendrait que les médecins définissent des procédures plus modulées par rapport à celles qui sont énoncées, est-ce parce que vous pensez que cela constituerait une solution de large accord, pour ne pas dire de compromis ? Ou, au contraire, êtes-vous en retrait ? L'expérience du mois écoulé vous a-t-elle convaincu que les différentes suggestions que vous faisiez et que je ne vous ai pas entendu répéter ici, sont aujourd'hui dépassées ?
M. Fernand Van Neste. Ce n'était certainement pas mon intention d'aller moins loin aujourd'hui et de retirer les suggestions que j'ai faites dans l'article.
L'acte médical légitime, c'est-à-dire l'administration de sédatifs à un moment où il ne s'agit plus que de lutter contre la douleur, de réduire les thérapies et d'arrêter la respiration artificielle, n'a rien à voir avec l'acharnement thérapeutique, au contraire.
Il est important qu'il soit noté dans le dossier médical que les droits des patients lors du passage d'une étape à une deuxième, puis à une troisième étape, soient garantis. Lors de cet acte médical légitime, il est aussi important de savoir que, comme le patient était capable, il a été mis au courant des étapes qui seraient franchies. Il se pourrait qu'il ne veuille pas subir un traitement excessif. Après coup, on doit pouvoir déterminer quelle était son opinion. S'il n'y en a aucune trace, on peut continuer de traiter et on s'en tient à l'acharnement thérapeutique et aucune preuve ne peut être avancée contre cela. L'arrêt d'un traitement inutile est de la responsabilité du docteur. Il a le dernier mot mais la question est de savoir s'il a suffisamment informé le patient et sa famille. Pour des raisons de transparence, il faut mentionner ces éléments d'une manière ou d'une autre dans le dossier médical. Si une de ces conditions, subjectives, objectives ou procédurales, n'est pas remplie, il continuera à y avoir des abus à l'avenir, même avec une excellente procédure d'euthanasie. Pour empêcher ces abus, il doit y avoir de la clarté autour des techniques de l'acte médical légitime.
Dans l'article auquel il est fait référence, j'estime possible un compromis sur un certain nombre de points. Je souhaite toujours qu'un accord soit obtenu. Le point le plus difficile est la distinction entre des critères stricts et larges. J'espère qu'un compromis sera trouvé sur l'inscription ou non de l'euthanasie dans le Code pénal. Le compromis présenté par le PSC pour régler la question par le biais de l'arrêté royal nº 78 peut constituer un compromis possible.
M. Alain Zenner. Je voudrais ajouter un petit commentaire. Comprenons-nous bien : je ne ressens pas cela comme un compromis. Ce sont des positions de départ et, pour arriver à un large accord, il faut évidemment, je le dis en passant, que chacun fasse un effort de compréhension de l'autre. Donc, ne présentons pas une proposition comme un compromis par rapport aux autres. Toutes les propositions sont des compromis par rapport à un ensemble de gens qui ont participé à leur élaboration.
M. Fernand Van Neste. Un bon compromis implique que chaque partie s'y retrouve d'une manière ou d'une autre. Chacun doit avoir l'expérience qu'on ne porte pas atteinte à sa liberté ni à ses opinions.
M. Alain Zenner. Des deux côtés.
M. Fernand Van Neste. Des deux côtés. Une réglementation par le biais de l'arrêté royal nº 78 offre une sécurité juridique. C'est ce que la majorité veut en tout cas.
M. Philippe Monfils. Non ! Justement non ! C'est cela, le fondamentalement...
M. Fernand Van Neste. Certains veulent inscrire la procédure d'euthanasie dans le Code pénal. Je prétends que cette sécurité juridique est aussi bien garantie si cette procédure est inscrite dans l'arrêté royal nº 78.
M. Paul Galand. Monsieur le professeur, avez-vous pu prendre connaissance du contenu de plusieurs des codes établis dans certaines cliniques et hôpitaux et, par rapport à l'euthanasie, avez-vous pu constater des constantes dans ces codes ?
M. Fernand Van Neste. Les codes informels concernent le traitement d'un patient dans la période de fin de vie où on commence à penser à l'abandon des thérapies, l'interruption ou l'absence de commencement de certains traitements. Il s'agit de décisions médicales de fin de vie, mais aussi d'actes médicaux légitimes. Je connais un hôpital qui a même développé une procédure relative aux actes de fin de vie et à l'euthanasie. Elle comporte toutes les conditions subjectives, objectives et procédurales qui figurent aussi dans les propositions de loi qui sont soumises. Dans cet hôpital, le contrôle éthique implique que la commission éthique prenne connaissance du cas. Je ne trouve pas que le fait que la commission éthique se charge de l'appréciation éthique constitue un bon choix. Trop de personnes y sont associées, de sorte que la procédure devient trop lourde.
M. Jean-François Istasse. Nous ne sommes pas en train de faire un compromis politique et certainement pas de donner tous pouvoirs à une tierce personne, qui serait une commission éthique. Je crois, au contraire, qu'il faut respecter le dialogue entre patient et médecin, ce qui est le fondement même de la proposition de M. Mahoux et des autres signataires.
Il est étonnant d'entendre M. le professeur dire que des milliers de cas qui se produisent chaque année sont des cas limites, qui doivent être considérés comme des exceptions. Nous savons qu'il y a des milliers de cas et que chaque citoyen peut un jour être confronté au problème. Il est faux de dire que ce sont des cas limites. Ils doivent au contraire nous interpeller en tant que législateurs.
Je crois également que le vide juridique, qui est plus exactement un vide légal, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Monfils, est plus ou moins comblé par les magistrats. Cela signifie que le problème est livré à l'arbitraire des magistrats, lesquels, dans certains cas, utilisant l'état de nécessité, n'inculpent pas mais, dans d'autres cas, inculpent et mettent en prison des médecins comme nous venons de le vivre à Liège. C'est cet arbitaire-là qui doit, me semble-t-il, être rencontré.
Je m'interroge, monsieur le professeur, sur le rôle que vous réservez au législateur. Vous nous dites de ne pas inscrire ce problème dans le Code pénal, mais vous nous suggérez de l'intégrer dans un arrêté royal. Dois-je vous rappeler qu'un arrêté royal n'a pas la même valeur juridique qu'une loi ? Un arrêté royal est le produit d'un acte du gouvernement, qui est toujours susceptible d'être remis en question. Cela ne me semble pas suffisant dans la hiérarchie des normes.
Élément encore plus étonnant : vous nous dites qu'il existe des codes dans certains cliniques. J'aimerais les connaître car ce doit être intéressant. Vous nous dites que ces codes pourraient être reconnus et rendus obligatoires, comme c'est le cas dans certains secteurs professionnels où l'on étend les conventions collectives par arrêté royal à l'ensemble de la population, en sachant que d'une clinique à l'autre les pratiques sont différentes. On aurait ainsi un ensemble de réglementations hétérogènes dans une matière telle que celle-ci. Je rappelle que la loi est générale et impersonnelle. Nous sommes confrontés à un problème de société fondamental. Personnellement, je plaide pour que le législateur prenne ses responsabilités. S'il ne le faisait pas, je devrais constater que vous considérez qu'il existe des domaines interdits au législateur. J'aimerais que vous nous éclairiez à ce propos.
M. Fernand Van Neste. L'arrêté royal nº 78 et les règles déontologiques qui y figurent ont force de loi. Cette décision donne au médecin une très grande sécurité juridique. Je m'étonne que le sénateur veuille légaliser plus que ce que je propose.
La discussion concerne des actes professionnels. Je ne connais pas de profession dont le contenu est réglé par le législateur. En ce qui concerne la médecine, le législateur doit tout au plus créer un cadre et donner les conditions dans lesquelles le médecin doit agir et décider. Le législateur doit indiquer au médecin qu'il doit respecter un certain nombre de droits fondamentaux importants lorsqu'il juge devoir procéder à une euthanasie en toute liberté. Ces droits sont appelés les droits des patients, par exemple donner des informations au patient et n'agir en aucun cas contre la volonté du patient. Le législateur ne doit nullement déterminer quand et comment le médecin doit décider dans un cas particulier.
La situation des patients en phase terminale peut être très différente. Il y a le patient en phase terminale qui est à la maison, traité par son médecin de famille, le patient en phase terminale à l'hôpital, au service des soins intensifs et le patient en phase terminale qui vit une longue maladie et pour lequel on a le temps de parcourir toute la procédure avant de prendre la décision légitime. Au service des soins intensifs, ce temps fait défaut. J'aimerais que la procédure d'euthanasie que l'on va réaliser ici serve de norme pour les différentes situations, même pour celle des incapables. Le législateur ne sait pas encore bien quelle attitude prendre vis-à-vis de cette catégorie. Je trouve souhaitable que l'on demande à de grands hôpitaux d'élaborer des procédures qui peuvent être considérées comme des actes médicaux légitimes. Dans le cas des incapables, on adapte les techniques de l'acte médical légitime à la fin de vie. Dans ce cas aussi, la manière d'agir doit être transparente pour éviter qu'une technique contraire aux droits des patients soit appliquée aux incapables. Sous la pression de la famille, administrer une overdose de sédatifs ou interrompre la respiration à l'insu du patient incapable, qu'il soit ou non en phase terminale, qu'il souffre ou non, équivaut à une interruption de vie non demandée.
M. Jean-François Istasse. Les derniers commentaires de M. le professeur vont au-delà de la proposition qui est en cours d'examen puisqu'il parle des incapables. Par ailleurs, je disais que la proposition déposée par M. Mahoux, M. Monfils et les autres signataires respectait totalement la liberté de conscience des médecins. C'est une procédure qui est soumise à la réflexion du législateur.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voudrais poser une question qui concerne la problématique de la directive anticipée, au-delà du testament de vie. Si je vous ai bien compris, vous estimez qu'il faut lui donner une reconnaissance juridique.
M. Fernand Van Neste. C'est ce que j'espère.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous avez même fait référence à l'avis du Conseil de l'Europe. Quel type de valeur juridique donnez-vous à cette directive anticipée ? Elle concerne en effet un patient inconscient ou incapable. Dans quels cas estimez-vous qu'il est possible d'appliquer cette directive ? Doit-elle être considérée comme étant vraiment la volonté du patient que l'on doit satisfaire ? Ou fait-elle seulement partie des éléments de la décision ? Dans ce dernier cas, je ne sais pas très bien quelle est sa valeur juridique.
Vous n'avez pas parlé de la directive anticipée, non pas en tant que volonté du patient par rapport à certains actes médicaux, mais en tant que document qui désigne une personne représentant le patient lorsqu'une décision doit être prise. Je voudrais entendre votre réponse à ce sujet car je pense que cette problématique des actes médicaux, euthanasie ou autre, concernant des patients inconscients et/ou incapables, est très importante. Jusqu'où peut-on aller avec cette déclaration anticipée ?
M. Fernand Van Neste. Le deuxième avis sur la fin de vie approfondit dans le détail la distinction entre l'incapacité juridique et les incapables de volonté, sur lesquels on est également revenu cet après-midi.
Je voudrais surtout donner suite à la question portant sur le poids d'une déclaration de volonté anticipée. Une telle déclaration de volonté implique un droit de participation au processus de décision. L'article 96 du code de déontologie médicale obligatoire détermine que, si l'on passe à la réduction progressive des thérapies, on doit demander dans la mesure du possible l'avis du patient. Dans le processus de décision médicale, l'avis qu'un incapable a fait connaître par une déclaration de volonté lorsqu'il était encore capable est très importante, parce que c'est un élément d'aide à la décision.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Si on se réfère aux pays qui ont légiféré en matière de testament de vie ou de déclaration anticipée ces législations étant toutes relativement récentes on remarque que les gens n'y font pas nécessairement appel. Exprimer une telle volonté n'entre pas dans la culture de la population en général, mais cela est manifestement en train de changer. Il m'est cependant loisible de désigner un mandataire qui me représentera dans le cas où je ne serais plus en état d'exprimer ma volonté.
Mettez-vous sur un pied d'égalité la déclaration écrite et la désignation d'un mandataire ?
M. Fernand Van Neste. Un mandataire est une personne qui peut agir « à la place » d'une autre. Personnellement, je trouve que cela va un peu loin.
Dans une déclaration de volonté anticipée, un patient fait connaître à l'avance son avis sur sa position vis-à-vis de sa fin de vie. Cet avis, qui à le poids de l'opinion d'un capable, doit être soupesé par rapport au diagnostic et au jugement médical du médecin. Cela doit se faire tant pour les capables de volonté que pour les incapables. L'autodétermination donne droit également à la codécisison, mais ne signifie pas que quelqu'un ait la liberté de déterminer le moment de sa propre mort. L'évaluation reste nécessaire.
Mme Myriam Vanlerberghe. On a beaucoup parlé d'un compromis. Notre premier souci doit être de trouver une bonne réglementation légale pour des patients souffrants, avec ou sans compromis.
Les chiffres cités n'ont en fait aucune importance. Toute personne qui souffre beaucoup, de manière insupportable, est une personne de trop qui souffre. Je déteste utiliser des chiffres dans ce genre de situations.
J'ai une question concernant la tierce personne pour le contrôle éthique. Cette tierce personne assiste-t-elle les deux médecins ou le médecin et le patient ? Ce n'est pas clair. Que vaut le jugement de cette tierce personne ? Autant que celui d'un médecin ou s'agit-il seulement d'un avis ?
M. Fernand Van Neste. Je lui donnerais la valeur d'un avis, mais en aucun cas contraignant, sur la qualité morale de la décision que médecin et patient doivent prendre ensemble. Le profil de cette tierce personne est plus celui d'un dispensateur de soins palliatifs que celui d'un spécialiste de l'éthique.
J'ai beaucoup d'estime pour les professionnels de l'éthique, mais ces personnes ne connaissent généralement pas tellement bien le terrain proprement dit. Le prestataire de soins palliatifs travaille sur le terrain et il sait précisément ce qu'est un patient en phase terminale. Il est même capable de juger des indications médicales.
Un spécialiste de l'éthique peut être comparé à un architecte. Un architecte dessine un projet de maison, il en trace les lignes sur papier et il esquisse les règles à suivre pour construire une maison. Le prestataire de soins palliatifs peut être comparé à l'ingénieur en construction, qui réalise le bâtiment. L'architecte a dessiné le plan et vient de temps en temps contrôler si la maison est bâtie selon les règles qu'il a élaborées. L'ouvrier du bâtiment et l'ingénieur doivent souvent prendre des décisions qui dérogent dans une certaine mesure au projet au cours du processus de construction. Il s'agit cependant de décisions qui sont importantes et qui peuvent être justifiées.
Le médecin et le prestataire de soins palliatifs ont une tâche comparable à celle de l'ingénieur. Dans de nombreux cas, un prestataire de soins palliatifs peut mieux juger la décision qui déroge à la norme à prendre pour un malade en phase terminale. Dans chaque cas, il faut considérer l'interruption de vie comme un acte médical exceptionnel et anormal.
M. Jan Remans. J'attendais beaucoup de l'exposé du professeur Van Neste. J'ai énormément d'estime à son égard, certainement en raison de son respect pour la pensée pluraliste, également dans le cadre de l'élaboration de la loi.
Cependant, je suis tout à fait dans le désarroi et, plus l'exposé avance, plus mon désarroi augmente. Ce n'est pas dû à la fatigue ou à un manque d'expérience. En effet, je suis médecin depuis plus de 35 ans et j'ai suivi une formation comme interne à la KUL. Mon épouse est anesthésiste depuis plus de 35 ans et elle a aussi acquis une expérience aux services des urgences et des soins intensifs, ainsi qu'au bloc opératoire. Deux contradictions dans l'exposé de monsieur Van Neste m'ont complètement plongé dans la confusion. Il déclare que nous n'avons pas besoin de règle générale, mais que nous devons esquisser des situations spécifiques dans des guidelines sous la forme d'arrêtés royaux. Pour le reste, il prétend que nous devons simplifier la procédure vu les différentes situations, mais il dit aussi qu'il faut associer un spécialiste de l'éthique et un membre de l'équipe des soins palliatifs à la décision.
Le professeur Van Neste trouve superflue une règle générale, étant donné qu'on peut se référer au concept d'état de nécessité. Le nombre de cas d'euthanasie qui est mentionné ici à plusieurs reprises prouve qu'on ne peut plus se retrancher derrière cette notion. D'autre part, la notion d'état de nécessité est ici employée de façon illégitime parce que la médecine n'a pas pour but de prolonger une vie de plusieurs jours, semaines ou années, mais d'ajouter de la qualité aux jours ou aux heures restants. C'est le principe de la médecine.
Un cadre légal lui semble superflu, mais des arrêtés royaux doivent être pris avec des guidelines. Les guidelines ne sont que des directives, pas des obligations.
Ensuite, je souhaite souligner qu'il est même difficile d'arriver à un accord lorsqu'il s'agit de placer une prothèse de la hanche. Comment réussira-t-on alors à établir des directives et à les suivre lors d'une prise de décision sur l'euthanasie ? Ce n'est pas tout. Peut-être l'arrêté royal devra-t-il être modifié tous les ans ou tous les six mois. En effet, la médecine évolue tellement vite que les directives changent elles aussi d'une année à l'autre. J'ai du mal à approuver les déclarations du professeur Van Neste sur les directives. En effet, il s'agit dans chaque cas d'un instantané, parce qu'on ne sait pas aujourd'hui où en sera la médecine l'année prochaine et ce que seront les directives du rapport Peers en matière de traitements qui pourront ou non être appliqués.
Les situations que le professeur esquisse pour le médecin de famille,en ville, à la campagne, au service des urgences, de nuit ou de jour, en gériatrie ou en pédiatrie, sont totalement impossibles. Le professeur est un homme intelligent et il veut à tout prix trouver une solution. Il ne faut pas atteindre de consensus, car le patient en état de besoin occupe la place centrale.
Le professeur peut-il me dire pourquoi la tierce personne ne doit pas être médecin ? Pourquoi un spécialiste de l'éthique ou un comité éthique pourraient-ils mieux comprendre la pathologie qu'un autre médecin ? Comment quelqu'un de l'équipe d'administration des soins palliatifs, qui ne connaît pas la situation, peut-il donner un jugement sur la situation d'un patient ? Je souhaite en outre rappeler que les médecins, durant leurs études, ont aussi reçu une formation éthique et suivent des cours d'éthique. Il s'agit de cours très importants. Cela n'a-t-il aucune valeur ? Le médecin est-il incapable de former un jugement avec sa connaissance de la pathologie et sa formation en éthique ? Que dirait le professeur Renard en entendant cela ? En tant que médecins, nous devons quand même suivre des directives éthiques !
M. Fernand Van Neste. Excusez-moi si je n'ai pas été clair de temps en temps. Il y a apparemment quelques malentendus.
En ce qui me concerne, la tierce personne peut être simplement un médecin, étant donné que des médecins font aussi partie de l'équipe des prestataires de soins palliatifs.
Ce qu'on appelle les guidelines sont des accords qui sont pris dans beaucoup d'hôpitaux concernant l'acte médical légitime. Il s'agit de décisions médicales pour la fin de vie. Afin de rendre plus transparent l'acte médical légitime, les directives, qu'il faut considérer jusqu'à présent comme des accords déontologiques, doivent être rendues légalement obligatoires. Ceci signifie qu'il faudrait suivre de tels codes et accords dans tous les hôpitaux.
En ce qui concerne la procédure d'euthanasie, le législateur doit déterminer que des conditions objectives, subjectives et procédurales doivent être remplies pour passer à l'euthanasie. Je propose d'intégrer ce texte, pour les raisons que j'ai exposées, dans l'arrêté royal nº 78, qui a force de loi, au lieu de l'intégrer au Code pénal.
À la fin de mon exposé, j'ai parlé de différentes situations problématiques, comme celle des médecins de famille et celle des soins intensifs.
Je propose d'employer la procédure élaborée pour l'euthanasie comme modèle pour les situations très particulières auxquelles un spécialiste des soins intensifs ou un médecin de famille sont confrontés. Ainsi, plusieurs procédures qui existent au sein de l'Union professionnelle des médecins généralistes ou celle des spécialistes des soins intensifs et qui sont adaptées à leur travail et à leur service seraient sanctionnées par le législateur et reprises dans l'arrêté royal nº 78, mais à titre de procédures spéciales ayant une portée légale.
M. Jan Remans. En ce moment, le choix de la forme juridique est accessoire. Nous voulons seulement légitimer ce qui se passe actuellement dans la zone d'ombre. La voie juridique à suivre fera l'objet d'une étape suivante. Un arrêté royal remplacera l'autre.
M. Fernand Van Neste. Il s'agit de nouveaux chapitres dans l'arrêté royal qui a force de loi.
M. Jan Remans. Je suis convaincu que l'arrêté royal suivant sera prêt bien avant que le précédent n'ait paru au Moniteur belge.
M. Hugo Vandenberghe. L'arrêté royal est un arrêté de pouvoirs spéciaux qui peut être modifié uniquement par la loi et non par un arrêté royal.
Mme Clotilde Nyssens. Je voudrais poser deux questions tout à fait précises sur ce qu'a dit M. le Professeur. En parlant de l'état de nécessité, il a dit que les auteurs de la proposition étaient sans doute partis de cette notion bien connue, qu'elle avait servi de capsule à un moment donné et qu'elle ne serait même plus nécessaire. Cela signifie-t-il que vous estimez que dans le texte, les conditions subjectives et objectives de procédure décrites de manière relativement expresse suffisent et qu'il ne faut même pas avoir recours à la notion d'état de nécessité parce qu'elle est présupposée et qu'elle constitue le fondement éthique et juridique du texte ? Bien entendu, je rappelle que nous avons choisi l'arrêté royal nº 78 parce qu'il s'agit d'un arrêté numéroté. Il ne s'agit donc pas d'un arrêté royal simple. Il a dès lors valeur de loi.
J'en viens à ma deuxième question. Le but de la proposition était d'encadrer, en posant ces conditions subjectives, objectives et procédurales. Estimez-vous nécessaire de prévoir dans ce genre de texte des sanctions spécifiques à ces conditions ? En effet, tout texte prévoyant des conditions doit aussi prévoir des sanctions, sinon les conditions n'auraient pas de sens. Des sanctions doivent-elles être prévues pour les différentes conditions vu qu'il y a des conditions juridiques de nature différente, à savoir subjective, objective et procédurale ? Les sanctions pénales sont-elles adaptées ? Le texte en prévoit quelques-unes mais on sait que l'efficacité du droit pénal n'est pas la meilleure. Je crois que dans plusieurs pays, c'est dans cette voie-là qu'on cherche. Je sais qu'en Suisse, on n'a pas dépénalisé cette matière mais qu'il y a une autorité morale, une instance éthique qui est en train de formaliser des règles plus que déontologiques et qui cherche à donner des consignes. Il s'agit évidemment d'une autorité morale et il n'y a donc pas de sanctions si ce n'est la sanction disciplinaire ou la sanction morale d'un code de déontologie. Puisque vous suggérez de passer du plan déontologique au plan légal, ce que nous souhaitons, les sanctions pénales sont-elles adaptées ? Si, comme les textes sur la table le font, on prévoyait différentes modalités pour affiner les situations et notamment la situation du domicile, ou si on prévoit par exemple la notion d'acharnement thérapeutique ou d'abandon thérapeutique, est-il sain de lier des sanctions pénales à des notions terriblement difficiles à cerner ? Je prends l'exemple de l'acharnement thérapeutique. Est-il imaginable de définir l'acharnement thérapeutique et de prévoir une sanction pénale de sorte qu'un médecin se retrouve devant un tribunal pour savoir s'il s'est acharné ou pas, avec une sanction pénale à la clé ? On peut douter de l'efficacité de la mesure. On connaît la méfiance des juges vis-à-vis de cette matière. Comment peut-on renforcer le contrôle de ces normes légales d'encadrement de pratiques médicales si ce n'est par des sanctions pénales, à moins de compter uniquement sur le contrôle a priori, que vous défendez puisque vous avez longuement expliqué que les médecins devraient prendre plusieurs avis avant de passer à un acte d'euthanasie ou de répondre à une demande d'euthanasie ?
Enfin, si vous plaidez pour l'état de nécessité, cela veut-il dire que l'interdit de tuer tel qu'il est rédigé actuellement dans le Code pénal est important ? En effet, le médecin qui ne respecterait pas cet interdit, dans des cas déterminés prévus par le texte, aurait sa conscience pour lui, bien qu'il viole un interdit pénal. Est-ce cela que vous avez voulu dire ?
M. Fernand Van Neste. L'essentiel de l'état de nécessité, à savoir le patient en phase terminale qui souffre de façon insupportable et dont la souffrance ne peut plus être atténuée, devient précisément une condition objective.
Lorsque les conditions subjectives et objectives ne sont pas respectées, nous nous trouvons devant un délit. Si la condition subjective n'est pas remplie, s'il s'agit donc d'une fin de vie non demandée, nous avons affaire à un délit qui tombe sous le coup du Code pénal. En d'autres termes, si la condition subjective n'est pas remplie, des sanctions pénales peuvent être imposées. Si les conditions objectives ne sont pas remplies, si on va donc plus loin que ce qui est déterminé comme critères objectifs, nous nous trouvons à nouveau devant un délit.
Les conditions de procédure concernent la communication, la concertation entre les médecins, l'information des patients, le droit de consultation des patients, et ainsi de suite. Il s'agit donc des droits des patients. Je ne pense pas que nous puissions y lier des sanctions pénales. Il est évident que des sanctions doivent également être prévues pour cela, mais pas au pénal. Toutefois, pour le non-respect des conditions objectives et subjectives, il doit y avoir des sanctions pénales.
M. Jan Remans. Pourquoi des sanctions pénales ne pourraient-elles pas être appliquées pour le non-respect des droits des patients ? Si le non-respect du droit d'information dans le cas, par exemple, d'une opération de hanche artificielle est puni au pénal, pourquoi le non-respect de l'obligation d'informer pour l'euthanasie ne peut-il pas l'être ?
M. Fernand Van Neste. J'ai parlé de conditions subjectives. Si on a procédé à la fin de vie sans demande du patient, sans qu'il le sache, c'est un délit qui doit être poursuivi au pénal.
Mme Kathy Lindekens. Je trouve cette déclaration sur les mille patients fâcheuse de votre part. Si je cite un autre chiffre du monde médical, à savoir que, chaque année, deux mille enfants attrapent le cancer, tout le monde trouve que cela fait beaucoup d'enfants. Mille patients, c'est un grand nombre de personnes.
M. Fernand Van Neste. Quand je disais que c'était exceptionnel, je ne parlais pas du nombre. Mille, c'est beaucoup par rapport à cinquante-six mille. Mais c'est un acte exceptionnel dans la pratique médicale. C'est ce que je voulais dire.
Mme Kathy Lindekens. Mais il s'agit d'une réglementation touchant énormément de personnes.
M. Fernand Van Neste. Aux Pays-Bas aussi, la décision d'euthanasie n'est pas encore considérée comme une décision médicale. C'est donc un acte médical exceptionnel. C'est ce que je voulais dire. Je ne parlais donc pas du nombre. Je trouve cela aussi grave que vous.
Mme Kathy Lindekens. En ce qui concerne le rétrécissement des conditions objectives et subjectives, je reviendrais à votre exemple de l'Espagnol gravement handicapé sans bras ni jambes. Je ne comprends pas pourquoi, dans ce cas, que vous citez comme exemple, le médecin devrait se détourner d'un tel patient, alors que ce dernier n'a pas de possibilité de voir une issue à sa situation. Ne trouvez-vous pas que c'est une situation hypocrite si le médecin se dérobe à sa responsabilité à ce moment et doit au fond lui indiquer de chercher quelqu'un d'autre pour l'aider au suicide ?
M. Fernand Van Neste. C'est effectivement une situation très pénible. J'ai dit que je peux accepter qu'un acte d'arrêt de vie soit justifié dans ce cas d'une manière ou d'une autre d'un point de vue éthique. Mais, ce que je voulais indiquer, c'est qu'il est impossible de parler d'état de nécessité dans ce type de cas. En ce qui concerne l'euthanasie comme nous la concevons, je pars du principe que l'euthanasie peut uniquement être légitimée éthiquement et juridiquement dans un cas d'état de nécessité. Pourquoi ne peut-on pas parler d'un état de nécessité dans cet exemple ? Parce qu'il s'agit d'un besoin pour lequel la médecine ne peut pas être invoquée. C'est un besoin existentiel. Pour cette raison, j'ai aussi des objections contre la loi sur l'avortement. Nous pouvons nous trouver dans la même situation. Il existe parfois des situations de nécessité pour raisons socio-économiques et cela est pénible, mais, en fin de compte, c'est un besoin pour lequel il est interdit et impossible de recourir à la médecine. Le médecin ne peut pas intervenir sur un besoin socio-économique.
Mme Kathy Lindekens. À qui le patient doit-il donc s'adresser dans l'exemple cité ?
M. Fernand Van Neste. Je pense qu'il peut être éthiquement justifié de procéder à l'interruption de vie dans ce cas, mais juridiquement, on se trouve à mon avis devant une problématique très différente, et certainement pas devant celle de l'euthanasie.
M. Hugo Vandenberghe. Je trouve l'exposé du professeur Van Neste très impressionnant parce qu'il formule son point de vue avec circonspection et avec minutie. Je veux aussi revenir sur quelques contestations de base. La question de savoir si la règle de l'interdiction de tuer doit être maintenue dans le Code pénal et si la solution doit être trouvée dans l'état de nécessité et je ne me prononce pas sur la formule technique , donc s'il faut ou non dépénaliser l'euthanasie, est un point de dissension formel. La question de savoir s'il faut mentionner l'appel dans les quinze ou les trente jours qui est une question formelle serait de la même nature. Je pense que c'est difficile à défendre.
Si on suit le critère de l'état de nécessité, cela a certaines conséquences pour la concrétisation des exceptions et des critères objectifs et subjectifs. L'état de nécessité souligne aussi le caractère exceptionnel de l'acte. Lorsqu'on dépénalise, il n'en est pas ainsi et il existe d'ailleurs d'importantes conséquences juridiques dérivées. Un médecin qui invoque l'état de nécessité doit pouvoir prouver que les conditions de l'état de nécessité étaient respectées. Cette charge de la preuve n'existe pas pour la dépénalisation. C'est alors le parquet qui poursuit qui doit prouver que les conditions n'étaient pas remplies. Le médecin n'a alors pas d'obligation de justification. Si l'on tient compte des nombreux abus qui existent, l'introduction de l'état de nécessité est un élément très important. Ainsi, le Code pénal pourra continuer à être utilisé à l'avenir pour réprimer les abus. Il est crucial que nous cherchions une réglementation contre les abus.
Les chiffres qui sont avancés ici, qui ne concernent pas l'euthanasie dans les trois quarts des cas, mais l'interruption de vie sans demande du patient et qu'on ne peut donc pas placer sur le même pied, ne prouvent pas la banalisation de l'état de nécessité. En effet, l'enquête ne montre pas s'il y avait état de nécessité. Ces chiffres décrivent uniquement un certain nombre de cas d'euthanasie ou de fin de vie, mais ne parlent pas des conditions de leur déroulement. Je maintiens que, lorsque les soins palliatifs seront administrés de manière efficace, l'état de nécessité deviendra subsidiaire. On doit examiner la situation de personne à personne. Au niveau des statistiques, on peut citer tous les chiffres, mais lorsqu'on est concerné, c'est à 100 %.
M. Englert disait que, selon une enquête menée en 1995 aux Pays-Bas, alors qu'une pratique d'euthanasie y existait depuis déjà dix ans, le nombre des cas de fin de vie qui tombe en dehors des dispositions légales s'élève à seulement 50 %. Ce serait socialement acceptable sur une période de dix ans ! Durant cette période, aux Pays-Bas, on n'a toujours pas suivi les conditions strictes dans 50 % des cas. Je trouve cela totalement insuffisant pour un règlement censé réprimer les abus. J'aimerais connaître l'avis du professeur Van Neste à ce sujet.
Peut-on imaginer qu'on accepte une nouvelle loi fiscale, mais que le gouvernement annonce qu'il faudra un certain temps avant que la collectivité n'accepte la nouvelle loi et que, pour cette raison, l'objectif est que, dans une période de dix ans, cinquante pour cent des citoyens suivent cette loi. Un législateur qui reconnaît une telle fraude n'est quand même pas crédible. J'ai compris dans l'exposé du professeur Van Neste qu'il existe, outre le cadre pénal et ses nuances, deux éléments cruciaux contre l'usage abusif de la procédure.
Premièrement, la création d'une base légale pour le code de directives en matière de décisions médicales concernant la fin de vie qui sont déjà suivies actuellement dans plusieurs hôpitaux. Ceci ne peut cependant pas mener à une bureaucratisation excessive.
Deuxièmement, et c'est pour moi le point original de la troisième proposition de la Commission consultative de bioéthique, le contrôle a priori. Une concrétisation sur le plan du contenu de ce contrôle peut être la meilleure garantie contre tous les abus dans le cadre qui est esquissé. Le fait que la loi n'est pas suivie aux Pays-Bas dans 50 % des cas, après plus de dix années de pratique d'euthanasie, du moins la législation concrète, ne pourrait-il pas être dû à l'absence de véritable contrôle a priori ?
M. Fernand Van Neste. Je suis pratiquement sûr qu'on peut l'y imputer. Il n'existe en effet aux Pays-Bas qu'une procédure a posteriori. C'est en fin de compte une réglementation procédurale d'obligation de notification. Déjà dans les années 90, des avertissements avaient été lancés aux Pays-Bas, entre autres par le sociologue de droite Griffith, qui a dit que, de cette façon, la procédure devenait une farce. Une procédure a priori est absolument nécessaire. C'était en effet la conclusion de la troisième proposition. Je constate que, dans la proposition de loi de la majorité aussi, une procédure a priori apparaît progressivement. Cela me réjouit. Je suis personnellement d'avis que tant une procédure a priori qu'une procédure a posteriori sont nécessaires. La procédure a posteriori dans les propositions de loi présentes s'effectue par le biais de l'établissement du décès et de la déclaration de décès. Une variante, que nous retrouvons dans la proposition CVP, consiste à confier cette tâche au médecin légiste, qui fait une première évaluation. Dans la troisième proposition, une condition supplémentaire a été suggérée pour réprimer les abus, à savoir l'apport d'un éclairage sur l'acte médical légitime en fin de vie. Dans toutes les techniques utilisées, l'intention ou le motif de procéder à la fin de vie peuvent en effet être présents secrètement. Ce sont des moyens détournés de fin de vie non demandée ou illégitime.
M. Philippe Monfils. Je voudrais réagir aux propos de M. Van Neste.
M. Van Neste s'est dit heureux de voir qu'un contrôle a priori était prévu dans la proposition des six auteurs.
Il n'y a pas de contrôle a priori dans cette proposition. Une procédure est prévue qui, si elle est suivie dans un cas bien particulier de définition de l'euthanasie, aboutira à considérer qu'il n'y a ni crime ni délit dans la mesure où le médecin accomplit un acte d'euthanasie conforme à la loi. Précisément, aucun contrôle a priori n'est prévu dans la proposition des six auteurs.
Par ailleurs, le professeur nous a lui-même posé une question en demandant si cette loi ne pourra pas être un schéma type applicable à d'autres. On a même parlé de droit du patient, de droit à la vérité, de nouveau chapitre dans le code de déontologie. Je ne suis pas médecin, je suis juriste. Fondamentalement, nous nous occupons ici de la proposition de loi sur l'euthanasie et, en tant que législateur, je ne veux pas commencer à m'interroger sur le point de savoir si, dans le code de déontologie des médecins, des chapitres doivent être ajoutés sur la façon de se conduire quand on est généraliste aux soins intensifs.
Le débat que nous avons actuellement porte sur l'euthanasie. Faut-il ou non l'autoriser ou l'interdire et à quelles conditions ? Pour le reste, il s'agit d'autres débats et je ne veux pas m'y engager aujourd'hui. Je suis prêt à discuter, demain, du droit du patient à la vérité mais il ne faut pas insérer tout cela dans la proposition sur l'euthanasie. Cela n'a strictement rien à voir.
Pour la centième fois, Monsieur le professeur, nous ne visons pas le cas des incapables pour la simple raison que tout notre raisonnement est fondé sur le fait que nous devons respecter le droit à l'autonomie du patient. Ce droit à l'autonomie n'existe plus dès le moment où le patient n'est pas capable d'exprimer sa volonté. Nous nous en tenons, dans cette proposition de loi, au point de savoir comment il faut respecter la libre volonté, une volonté librement exprimée de manière répétée par le patient. Les autres problèmes sont peut-être intéressants mais ils font partie d'un autre débat. Je ne veux pas me laisser entraîner dans un débat monstrueux où l'on remettrait en cause la manière d'opérer une appendicite !
Je reste très clairement à l'intérieur des propositions de lois présentées de part et d'autre en ce qui concerne le problème de l'euthanasie.
M. Fernand Van Neste. Je réponds à la première remarque en disant qu'une procédure a priori n'est pas forcément synonyme de contrôle. Une procédure a priori signifie qu'on détermine légalement à quelles conditions le processus de décision doit satisfaire. Le contrôle s'effectue dans la procédure a posteriori.
M. Philippe Monfils. Il y a toujours forcément des conditions d'application. Ce n'est pas cela, le contrôle a priori. Le contrôle a priori consiste à dire, à un moment donné, vous pouvez ou vous ne pouvez pas. Avant. Après, comme vous le savez, vient toute la procédure prévue.
M. Fernand Van Neste. Dans la proposition du CVP et du PSC, qui s'appuie très étroitement sur la troisième proposition, où une procédure a priori est proposée, c'est très clair. Mais dans la proposition de loi de la majorité aussi, il existe un article qui détermine ce que le médecin doit vérifier avant de prendre une décision. C'est en fait une procédure a priori : il est indiqué à quelles conditions le processus de décision doit satisfaire avant que la décision ne soit prise.
La deuxième remarque de M. Monfils portait sur le fait qu'il ne s'agit ici que d'euthanasie et qu'il ne souhaite pas s'occuper de tous les problèmes connexes. Mon point de vue a toujours été que, si le législateur ne s'occupe que d'euthanasie, il se limite au sommet de l'iceberg dans l'acte médical en fin de vie. J'ai déjà indiqué que l'acte médical de fin de vie est un territoire frontière très large, qui englobe 20 000 cas en Flandre en 1998. Si le législateur ne produit qu'une procédure d'euthanasie, il y aura de très nombreuses fins de vie non demandées via les techniques de l'acte médical légitime. C'est pourquoi je demande qu'on élargisse le débat.
Supposez qu'il n'existe qu'une loi sur l'euthanasie avec une procédure très bonne et stricte. Dès que la personne qui veut aider quelqu'un établit qu'une des conditions subjectives, objectives ou procédurales n'est pas remplie, il utilisera un moyen détourné et atteindra son but à l'aide d'une technique d'acte médical légitime. Il emploie alors les mêmes techniques que pour l'euthanasie.
M. Jan Remans. Professeur, sur quoi vous basez-vous pour dire que les notifications d'euthanasie incomplètes aux Pays-Bas sont imputables au manque de mesures a priori ? Peut-être ne disposent-ils pas d'une bonne loi ? La loi néerlandaise est en effet un accord politique; ce n'est pas une loi rationnelle. Certains démocrates-chrétiens ont conclu un accord politiquement réalisable avec le « Partij van de Arbeid » (parti du travail). J'espère que nous avons devant les yeux une loi rationnelle. Je n'étais pas vraiment partisan de sortir l'euthanasie du Code pénal jusqu'à ce que j'entende le professeur Vandenberghe expliquer que je devrai, en tant que médecin, prouver que je ne suis pas un criminel. En effet, c'est encore autre chose que lorsque le procureur prétend que je suis un criminel. Si nous sortons l'euthanasie de la loi criminelle, la charge de la preuve se trouve chez le procureur et ne se trouve pas chez moi. Comment puis-je prouver que j'ai respecté toutes les mesures ? Je ne peux pas m'empêcher de dire qu'il est trompeur de dire que nous « dépénalisons » l'euthanasie. La bonne euthanasie, pour laquelle toutes les précautions étaient donc prises, sort, il est vrai, du Code pénal, mais si l'assassinat figure à l'article 417bis, il reste tout autant punissable que lorsqu'il figure à l'article 397bis. Nous ne pouvons donc pas dire que l'acte arbitraire du médecin est sorti de la législation pénale.
M. Fernand Van Neste. Je peux approuver votre première remarque concernant le fait que l'échec de la législation aux Pays-Bas est imputable au manque de mesures a priori. On y travaille probablement maintenant. La procédure a posteriori équivaut à une réglementation de l'obligation de notification, mais le fait que le médecin doit aller se dénoncer lui-même dans l'exercice de sa profession n'est pas une bonne règle juridique. Nous voulons éviter un tel échec en insérant une procédure a priori parce qu'elle est beaucoup plus importante que la procédure a posteriori.
Je n'ai pas prononcé le mot « dépénaliser », dont vous faites mention dans votre deuxième remarque. Je recherche seulement une forme légitime d'acte de fin de vie. Il existe une forme légitime, tant sur le plan éthique que juridique, lorsqu'il y a état de nécessité. Dès qu'on procède à l'interruption de vie dans un état de nécessité et qu'on la considère comme légitime, il ne faut même pas l'insérer dans le Code pénal. Dans un but de transparence, il est important d'avoir une réglementation à ce niveau.
M. Philippe Mahoux. Je voudrais revenir sur les actes que le professeur qualifie d'actes de fin de vie car, en réalité, nous cherchons à répondre, par le biais d'une loi, à la demande du malade qui souhaite connaître une mort digne. Les erreurs par excès nous avons entendu les chiffres seraient, par exemple, des euthanasies qui seraient pratiquées sans que le patient en exprime la demande alors qu'il avait la possibilité de le faire. Sur le plan moral et sur le plan éthique, toutes les erreurs par défaut sont des demandes qui ne sont pas formulées précisément ou auxquelles il n'est pas répondu précisément parce que, dans l'état actuel des choses, le fait de donner à quelqu'un une mort digne est considéré comme un crime. Je crois que le plus important consiste à examiner le problème du point de vue du malade, que l'on veuille ou non que l'avis du malade soit déterminant. C'est la raison pour laquelle nous précisons que l'offre et l'accessibilité des soins palliatifs sont très importantes. Nous estimons que chacun a droit à une mort digne et, en même temps, a le droit de choisir sa manière d'avoir une mort digne. Dès lors, la dépénalisation de l'acte d'euthanasie nous semble fondamentale. Les chiffres disponibles concernent des personnes qui seraient décédées dans le cadre d'une euthanasie, même avec une éventuelle restriction en termes de pourcentage. Quant aux personnes qui n'ont pas pu demander à être soulagées, elles ne sont comptabilisées nulle part. Cet élément doit absolument être pris en considération.
Par ailleurs, sur le plan juridique, j'ai entendu poser la question de savoir quelles seraient la sanction si les conditions n'étaient pas respectées. Nous disons simplement que le Code pénal n'est pas d'application quand une demande d'euthanasie émanant d'un malade, exprimée sous certaines conditions, est satisfaite par un médecin qui, lui aussi, remplit une série de conditions et respecte la volonté du malade. C'est cela la dépénalisation. Dans le cas contraire, il va de soi que le Code pénal est applicable. Que pourrait-il y avoir de plus clair sur le plan juridique qu'une proposition de cette nature ? Dès lors que nous pensons qu'il est défendable sur le plan éthique d'aider un malade qu'il est impossible de soulager autrement qu'en mettant un terme à sa vie, à sa propre demande, nous ne pouvons que logiquement conclure que l'acte ainsi posé est positif. Par conséquent, cet acte devrait être dépénalisé, par dérogation à la règle générale.
Il me semble que depuis un certain temps, nos interventions ont pour but de nous convaincre les uns les autres. En réalité, ce que nous devrions faire, c'est tenter de nous éclairer mutuellement. Les positions en présence sont claires. Elles divergent sur des éléments fondamentaux, nonobstant le désir de chercher un terrain d'entente, introuvable en dépit des bonnes volontés respectives. Nous devons en faire le constat.
M. Fernand Van Neste. Je pense que, dans le fond, nous voulons atteindre la même chose, à savoir que les personnes qui endurent des souffrances insupportables et qui demandent à être aidées puissent l'être de façon légitime. Dans ces conditions, je considère cela effectivement comme un acte positif. Pourquoi dès lors ne peut-il pas être inscrit dans le Code pénal ? Je peux aussi retourner la question. Ne suffit-il pas que nous l'inscrivions dans l'arrêté royal nº 78 ? C'est une base légale qui offre une sécurité juridique suffisante.
M. Franz Philippart. En guise d'introduction, je voudrais développer deux points. Le premier concerne la question de l'intérêt de légiférer. Le second consiste en une analyse ponctuelle de divers éléments de la proposition.
La question posée par la présente consultation porte sur l'indication à légiférer pour dépénaliser l'euthanasie.
Celle-ci étant un acte qui met en présence deux acteurs principaux que sont le patient et le médecin, il ne nous appartient pas, en tant qu'ordre, de nous prononcer pour ou contre le souhait des patients de voir naître une loi qui leur garantirait la possibilité d'émettre un ou des souhaits quant aux conditions de leur fin de vie.
Par contre, en ce qui concerne les médecins, nous nous sommes interrogés sur l'apport, l'intégration possible de pareille loi dans leur pratique, face aux réalités rencontrées.
Il nous est rapidement apparu qu'en sa teneur actuelle, le code de déontologie contenait les réponses à toutes les éventualités évoquées au cours des débats et qu'il permettait au médecin de faire face aux divers cas de figure.
Précisons d'abord deux points importants. Le premier est que la définition du vocable « euthanasie » a également pour nous le sens qu'a retenu le Comité national de bioéthique. Le second est que codes et avis du Conseil national ne sont pas figés dans une attitude archaïsante, mais témoignent d'une évolution qui a su prendre la réalité en compte et a su ménager le consensus de médecins d'opinions diverses tout en maintenant un principe de base. En effet, le code de 1975 intitulait son chapitre 9 « euthanasie » et, en quatre articles sans nuances, affirmait qu'en tout état de cause, elle était acte criminel même si, sollicitée par le patient, elle excluait l'acharnement thérapeutique et conditionnait l'arrêt de décision de traitement aux connaissances du moment.
Celui de 1992 remplace « euthanasie » par « vie finissante », ce qui traduit une volonté de rencontrer toutes les situations. Ainsi est mentionnée l'assistance au suicide et sont distinguées les phases terminales en état de conscience et en situation d'inconscience. Pour chacune est précisé en quoi doit consister l'intervention du médecin et quelles conditions il doit observer.
Le récent avis de janvier 2000, suscité par les actuelles propositions, développe la justification par l'état de nécessité, déjà pressentie dans la mouture de 1992 mais à nouveau précisée, afin de faire preuve de la conscience qu'a le Conseil national de situations exceptionnelles dans lesquelles souffrance et détresse sont invincibles.
L'article 95 du code actuel ne peut être contourné en ce qu'il affirme que le médecin ne peut pas provoquer délibérément la mort. C'est une garantie donnée à la société quant à la portée de l'acte médical, à sa finalité et quant à la confiance que tout patient doit pouvoir lui accorder. Il n'est pas concevable que le geste d'euthanasie vienne maintenant s'inclure en filigrane dans l'art médical dont la portée est détaillée dans l'arrêté royal nº 78.
L'article 96 est une invitation à la lutte contre la douleur. Des progrès substantiels ont été réalisés en ce domaine, tant au niveau des molécules disponibles que des protocoles d'utilisation, permettant de maîtriser les effets secondaires tout en soulageant le patient. De plus, disparaît seulement peu à peu le mythe de la crainte d'induction d'une toxicomanie, entretenu entre autres par la loi de 1921 et ce, dans le chef de tous les soignants.
Cet article est aussi une invitation à recourir aux soins palliatifs : par l'accompagnement qu'ils assurent, ils peuvent donner une réponse à la grande angoisse qui est le lot commun des êtres prenant conscience de leur mort; ils peuvent procurer cette dignité à laquelle beaucoup aspirent en ces moments. Ils aident à mourir et à laisser venir la mort dans la sérénité. Par la formation qu'ils requièrent, ils aident aussi les soignants à voir mourir sans transposer leur propre angoisse vis-à-vis de leur propre mort. Combien de médecins généralistes n'ont-ils pas déjà exprimé leur satisfaction d'avoir pu disposer de l'aide d'une cellule palliative au domicile de patients en fin de vie ! Il en va de même au sein des services hospitaliers.
L'article 96 implique également un rejet de l'acharnement thérapeutique en ce qu'il signifie usage de moyens démesurés pour maintenir une vie alors que l'ensemble du corps médical considère qu'en la situation donnée, le décès est inévitable.
De manière très exceptionnelle, il peut arriver que le patient demeure dans un état conscient et que ses souffrances autant physiques que morales soient rebelles à des tentatives répétitives de sédation au point d'en devenir intolérables et insupportables.
De semblables situations ont été évoquées dans un ouvrage intitulé La mort de Marie, de Renault le mari , qui relate la lente et pénible agonie d'une personne atteinte de sclérose latérale amyotrophique et dans un témoignage livré par Madame X sur le plateau de l'émission « Controverse » du 6 février dernier. Les médecins qui, dans ces cas, ont estimé devoir privilégier leur responsabilité par rapport à leur déontologie en choisissant de rencontrer la demande du patient, auraient pu se justifier d'un état de nécessité s'ils y avaient été invités, entre autres parce qu'il était fait preuve d'un long accompagnement de qualité autant du patient que de la famille, de la lucidité parfaite du patient, de l'invincibilité de la douleur ou du handicap et même de leur progression, et ce malgré la consultation de spécialistes divers, de la participation de tous les intervenants dans la relation de soins.
Ainsi donc, à l'heure actuelle, le médecin voit son espace encadré par le code pénal, garde-fou de dérives toujours possibles, et par son code de déontologie qui, s'adaptant prudemment aux situations diverses, lui indique des lignes de conduite. Entre les deux, il dispose d'une autonomie suffisante pour rencontrer la singularité de chaque patient.
Dans une seconde partie, j'aimerais vous livrer une série de neuf réflexions que m'amène la lecture de la proposition de loi.
La proposition de loi énonce quatre situations possibles :
celle du patient conscient et capable, atteint d'une maladie grave et incurable, qui lui provoque souffrance et détresse constantes et insupportables en raison de laquelle il formule une demande expresse et non équivoque;
celle du patient inconscient, ne pouvant être ramené à la conscience mais qui avait, durant sa période de lucidité, marqué sa volonté que l'on porte fin à sa vie;
celle de l'incapable juridique dont on ne peut apaiser les souffrances;
celle des patients inconscients qui n'ont pas émis de souhait préalable.
La procédure décrite par la proposition concerne les deux premières situations. Par contre, les quatre cas de figure que je viens de citer nous semblent rencontrés par le code de déontologie tel que composé à ce jour.
Par ailleurs, toutes les situations possibles ne s'inscrivent pas dans ces quatre catégories, ce qui me fait évoquer ces nombreux cas de conscience altérée mais non éteinte et ces autres cas où la conscience fluctue comme dans les démences d'Alzheimer.
Quel critère permettra d'apprécier la lucidité de leur demande même en fonction d'une déclaration de volonté antérieurement émise ? Ce qui permet de se demander si, en légiférant sur des situations aussi précises que celles de l'actuelle proposition, le législateur ne sera pas entraîné à devoir envisager ultérieurement tous les cas possibles, créant ainsi un véritable codex qui contribuerait à dénaturer la relation médecin-malade ou qui affadirait le sens des responsabilités du praticien.
Deuxièmement, la proposition prévoit un contrôle a posteriori en précisant le contenu d'une déclaration que le médecin serait tenu de remettre dans les trois jours suivant le geste. Le juge devra ainsi apprécier si toutes les conditions sont réunies pour déclarer que la mort peut être qualifiée de naturelle. Se créera aussi une jurisprudence qui viendra peut-être compliquer la prise en charge des patients en fin de vie. Et quand donc sera délivré le permis d'inhumer ?
Sans présumer de la disponibilité de la justice à prendre une décision en un aussi court laps de temps, se vivra là une période d'attente qui ne manquera pas d'être intolérable pour le médecin, mais plus encore pour la famille dont l'entrée en deuil serait ainsi différée et certainement perturbée. Ceci n'encourage-t-il pas à court-circuiter la déclaration demandée par la proposition, en occultant l'euthanasie et en déclarant d'emblée à l'officier de l'état civil qu'il s'agit d'une mort naturelle ?
Le médecin, quant à lui, doit dès à présent faire face à une bureaucratie exponentielle. L'expérience de la toxicomanie l'a bien démontré : les praticiens étaient en effet invités, lors des prises en charge de patients toxicomanes, à la rédaction d'une convention qu'ils devaient adresser à divers organismes et à l'envoi régulier d'un suivi. Force fut de constater, au bout de quelques années, que cette directive, d'abord bien suivie, tomba en désuétude alors que son intérêt n'était pas négligeable, ne fût-ce que pour l'évaluation.
Comparaison n'est pas raison, mais l'exemple démontre la douteuse fiabilité en matière d'évaluation de mesures trop paperassières, surtout en des domaines aussi sensibles. Au risque de nous répéter, soulignons encore la pénibilité pour la famille d'un doute que le procureur du Roi pourrait émettre et qui pourrait conduire à la prescription d'une autopsie.
Troisièmement, l'insécurité juridique de la procédure actuelle est soulignée à juste titre, encore que le médecin qui se revendiquerait d'un état de nécessité aura, sans nul doute, le courage de s'expliquer dans l'honneur puisqu'il aura pris ses responsabilités. La sécurité juridique du médecin pourrait être améliorée du fait d'un contrôle a posteriori, mais non de manière absolue : des poursuites resteront possibles si le procureur estime que certains critères proposés semblent ne pas avoir été respectés.
Seule une déclaration a priori est susceptible d'apporter au médecin, comme à la famille et à la société, cette sécurité désirée.
Dans cette optique, certaines pistes pourraient être exploitables. Le législateur a suscité la naissance de comités d'éthique dans toutes les institutions hospitalières. Un de leurs rôles est d'intervenir dans l'aide à la décision. Leur composition pluraliste garantit l'objectivité de celle-ci. Une évaluation annuelle de leur activité est assurée par le Comité national consultatif de bioéthique.
Les ordres collaborent étroitement à leur bon fonctionnement et initient des formations à la réflexion éthique. À plusieurs reprises, certains comités ont déjà dû intervenir dans plusieurs demandes de praticiens qui sollicitaient un avis. De même, en certains endroits, ils ont contribué à mettre au point des protocoles DNR.
Vous me rétorquerez que de tels comités n'existent ni pour la médecine générale ni pour les homes. Encore que ce constat ne soit exact qu'en partie, cette lacune peut être comblée sans difficulté majeure et sans moyens excessifs.
Quatrièmement, un des critères déterminants de la proposition de loi est celui de l'incurabilité. Il est associé à celui de la gravité. S'agissant de patients conscients, ce second critère n'est plus repris en cas d'inconscience.
Longue est malheureusement la liste des affections incurables. Un des exemples les plus prégnants est le diabète de type 1 qui requiert l'administration quotidienne d'insuline.
Selon sa conception de la qualité de la vie, un patient diabétique peut s'estimer en état de détresse insupportable et persister dans une demande de mort, en dépit de l'avis négatif d'un second médecin et alors que l'insulinothérapie peut encore équilibrer son état, pour autant qu'il consente à s'astreindre à un régime adéquat.
Cet exemple tend à démontrer l'ambiguïté que peut engendrer le critère d'incurabilité, même dans le contexte qui est proposé. Pris seul, il est inacceptable.
L'adjonction dans une précédente proposition du critère de mort imminente encadrait mieux le contexte applicable aux situations visées.
Cinquièmement, la proposition de loi dispose que le médecin peut refuser l'intervention demandée par le patient ou son mandataire.
Il est logique, en pareil cas, que le dossier soit confié à un médecin désigné par le patient car susceptible d'accepter sa demande.
Nombre de médecins pourraient se trouver dans le cas pour des raisons philosophiques, culturelles ou religieuses. A contrario, certains autres, aux convictions différentes, pourraient ainsi, en acquiesçant à la requête des patients, devenir peu à peu des « spécialistes » en euthanasie, à l'instar d'un certain Docteur Kevorkian.
Cette évolution pourrait contribuer à une dépersonnalisation de la mort dont le caractère intime ne peut être nié. Pour s'en convaincre, rien de tel que la lecture du témoignage de M. Biarnes dans La Mort de Paul à son frère sidéen qui, en toute conscience, avait réclamé l'euthanasie. Le médecin traitant refuse sa participation active. Est donc entré en scène un médecin étranger et inconnu qui s'en est retourné aussitôt le geste accompli.
Sixièmement, nous estimons inapproprié de comparer cette situation à celle des déclarations des témoins de Jéhovah qui refusent des transfusions sanguines comme exemplatives du respect de l'autonomie du patient. Celles-ci concernent des indications ponctuelles, en général en situation aiguë, alors que celles relatives aux conditions de vie finissante s'inscrivent dans un contexte d'accompagnement parfois de longue durée, dont il importe de ne pas altérer la qualité.
En outre, ne voit-on pas souvent les demandes des jéhovistes présentées au médecin par des tiers prosélytes de la secte qui s'immiscent dans une relation de soins débutante ? Ne verrait-on pas d'autres tiers, tout aussi prosélytes, s'immiscer dans l'accompagnement final pour garantir le strict respect d'une déclaration antérieure ? La qualité de l'intervention du médecin risque d'en être profondément altérée.
Septièmement, la possibilité d'une déclaration anticipée suscite également quelques questions.
D'abord son contenu, dans la mesure où il évoque toutes les possibilités de vie finissante, peut en effet être utile et indicatif le moment venu mais, le médecin étant un acteur indispensable devrait pouvoir, dès le moment de la rédaction, exprimer clairement son propre point de vue et la limite de ses interventions.
Par ailleurs, cette déclaration ne présume pas du changement possible de l'état d'esprit du déclarant ni du niveau de sa conscience.
Entre la lucidité parfaite et l'inconscience complète, n'y a-t-il pas une gamme d'états intermédiaires ? De même, entre l'état de pensée au moment de la rédaction souvent survenue au lendemain d'une mort qui a frappé le déclarant et celui du moment où débute sa propre fin de vie, d'importants changements sont possibles. La conviction d'hier peut s'émousser au contact de sa propre réalité, ce dont le patient n'aurait pu prendre conscience avant.
Huitièmement, l'exposé des motifs fait état d'un ensemble de constats que nous nous permettons de rappeler.
D'abord, des euthanasies seraient pratiquées quotidiennement dans le pays de manière semi-clandestines. Ensuite, certaines demandes ne recevraient pas de réponse par peur des poursuites.
Enfin, des euthanasies seraient pratiquées sans le consentement de patients conscients. Curieusement, et contradictoirement, peut-être, un autre motif invoque « l'impossibilité d'une évaluation des pratiques en raison du silence qui règne autour d'elles », lequel semble donc tout relatif.
Toujours mû par un souci d'objectivité, l'ordre souhaite pouvoir accéder aux données qui ont conduit à de semblables affirmations. Les enquêtes qu'il a pu mener sur le terrain, quoique bien incomplètes, semblent souligner le caractère exceptionnel des demandes.
Un généraliste m'écrit : « En vingt-cinq ans de pratique de ville, je n'ai connu qu'un cas d'une dame hébergée dans un home, porteuse d'un énorme escarre ». « En quarante ans de pratique rurale », me dit un autre, pourtant très actif, « je n'ai jamais rencontré pareille demande car j'eus toujours le souci d'une relation naturelle, intime, apaisante, ce qui m'a permis d'aborder tous les cas de figures ».
Autre chose est, bien sûr, ce qui se vit dans les unités de soins intensifs. Les patients y sont admis avec l'espoir d'une solution positive à leur problème. L'insistance thérapeutique est donc de mise. Si elle réussit, chacun se réjouit et vante l'efficacité de l'art de guérir. Si elle échoue, vient le moment de l'acharnement thérapeutique ou celui de l'arrêt de traitement, voire celui de la requête euthanasique. Il serait dès lors réducteur d'évaluer la fréquence des demandes et celle des décisions sur les pratiques d'un seul service du pays.
Lors de la publication des quatre options possibles, le Comité consultatif de bioéthique a invité à un large débat sur la question. Dans ce cadre, nous nous réjouissons d'être entendus par votre commission, ce jour, et de pouvoir exprimer notre point de vue. Nous continuerons à susciter une réflexion chez les médecins et solliciterons leur témoignage, toutes opinions confondues.
Nous souhaitons cependant insister sur un des aspects de l'ampleur que devrait avoir ce débat. Il importe en effet de se défier d'une tendance bien compréhensible à se référer prioritairement à la vie finissante en milieu de soins intensifs, ce qui ne représente qu'une proportion limitée. Sont aussi concernés les services hospitaliers chroniques, le domicile et tout particulièrement les homes. Les conditions de vie finissante dans ces institutions méritent qu'on s'y attarde. À l'heure où la société appelle de tous ses voeux l'humanisation des soins, n'est-il pas paradoxal de constater une réduction des effectifs qui sont ainsi mis dans l'incapacité de contribuer à cette humanisation, par manque de temps minimal nécessaire à une relation de qualité ?
La vie finissante devrait être envisagée sous ses différents aspects. La réduire à la seule possibilité de pouvoir solliciter une euthanasie serait regrettable car cela occulterait momentanément d'autres composantes non négligeables et d'autres besoins, à notre sens plus urgents.
Pour terminer, en restant dans le sujet, j'aimerais vous lire le témoignage d'une femme médecin généraliste, qui me paraît bien résumer notre position :
« Je n'ai jamais rencontré de demande d'euthanasie durant mes vingt-cinq ans de carrière. Par contre, je ne suis pas sûre de ne pas avoir abrégé la vie de certains de mes patients terminaux en augmentant progressivement les morphiniques. Peut-être, aussi, sont-ils morts de leur douleur ou de leur maladie ? Ce sont là les limites de mon savoir et de ma compétence.
Qui sommes-nous pour décider quelle vie vaut la peine d'être vécue ? Humblement, modestement, essayons d'accompagner nos malades jusqu'au bout.
La position du médecin face à la mort n'est pas confortable, et c'est dans l'ordre des choses. Toutes les lois du monde ne rendront jamais notre position confortable.
Faut-il à tout prix mettre en boîte, dans une loi, les exceptions bien rares ? Je n'en suis pas sûre. » J'ajouterai : et l'ordre non plus.
M. Philippe Mahoux. Monsieur le président, puis-je connaître, à titre indicatif, la qualité des deux personnes que nous auditionnons aujourd'hui ?
M. Franz Philippart. Je suis membre du Conseil national de l'ordre. Je suis ici en lieu et place du vice-président francophone, le docteur Bottu, qui n'a pu se déplacer pour raison de santé. Accessoirement, je préside le conseil provincial du Hainaut. J'ai pratiqué la chirurgie durant trente-cinq ans, mais j'ai cessé depuis deux ans. Je me suis également un peu occupé de soins palliatifs.
M. Raoul Hache. Je suis médecin de famille depuis quarante ans, vice-président néerlandophone du Conseil national, proche de la retraite.
Le Conseil national vous remercie et est heureux de pouvoir exprimer ici le point de vue de l'Ordre des médecins. Nous nous réjouissons également qu'une large confrontation sociale soit organisée sur un sujet comme l'euthanasie, un sujet d'une telle sensibilité et d'une telle importance pour la vie de l'homme.
La fin du vingtième siècle était déjà caractérisée par un souci croissant de la part de la société pour la problématique de l'euthanasie. Néanmoins, l'euthanasie n'est pas un nouveau concept, ce concept date déjà de 1605. Il fut lancé par Francis Bacon, l'homme d'État et philosophe anglais dans l'un de ses écrits « The advancement of learning ». Le sens que lui a conféré Bacon n'est pas le même qu'actuellement : il l'utilisait dans le sens d''euthanatos', la mort bonne et douce. Il peut donc être considéré comme le précurseur des soins palliatifs, qui sont nés à partir de ce concept à un siècle ultérieur.
L'homme demande de plus en plus qu'on lui épargne, au cours de la dernière phase de sa vie, des souffrances inutiles et insupportables et demande également de pouvoir mourir dans la dignité. Pour diverses raisons, il est difficile de décrire clairement et uniformément de telles notions hautement subjectives :
l'interprétation fortement individuelle, qui peut dépendre d'une conviction philosophique ou éthique;
l'influence fondamentale du contexte social dans lequel le patient vit;
la présence ou non d'éléments intersubjectifs profonds.
Un des éléments les plus importants qui contribuent à déterminer la fin d'une vie est la façon selon laquelle le patient est lié de manière intersubjective aux personnes de son entourage : proches, membres de la famille, amis, équipe soignante. Trop peu d'attention a été accordée jusqu'à présent au concept d'intersubjectivité. Que signifient pour chaque patient pris séparément les notions d'inutile, d'insupportable, de dignité ? En 1987, le chirurgien américain Sherwin Newland écrivait, dans son livre « How We Die » : la dignité de la mort est déterminée par la dignité dans laquelle on a vécu. Je trouve que c'est une description belle et sensée de ce que peut signifier la mort dans la dignité.
Ce souci croissant du citoyen pour la dernière phase de la vie est nourri par l'aversion vis-à-vis de l'acharnement thérapeutique toujours existant et pratiqué dans le passé, on parlait d'obstination thérapeutique , mais également par les peurs et les doutes à l'égard de l'efficacité des soins palliatifs appliqués jusqu'à présent. Le personnel soignant des soins palliatifs est plus que conscient du fait que ces soins peuvent encore être fortement améliorés.
Pour répondre à ce souci, le Conseil national a, en 1992, déjà réécrit le chapitre du code sur la vie finissante. Dans ce chapitre, le Conseil se tient au principe de base qu'un médecin ne peut pas délibérément provoquer la mort de son patient et qu'il ne peut pas non plus l'aider à se suicider. Nous souhaitons que ce principe général soit maintenu dans notre code. À cet égard, le Conseil national s'est laissé guider par deux déclarations de la World Medical Association (WMA) qui, en octobre 1987, a publié une déclaration sur l'euthanasie.
« L'euthanasie, c'est-à-dire mettre fin à la vie d'un patient par un acte délibéré, même à sa demande où à celle de ses proches, est contraire à l'éthique. Cela n'empêche pas le médecin de respecter la volonté du patient, de laisser le processus naturel de la mort suivre son cours dans la phase terminale de la maladie. »
En 1992, le WMA a rédigé une déclaration dans le même esprit sur « Le suicide médicalement assisté ».
« Le suicide médicalement assisté est, comme l'euthanasie, contraire à l'éthique et doit être condamné par la profession médicale. Le médecin qui, de manière intentionelle et délibérée, aide un individu à mettre fin à sa propre vie, agit contrairement à l'éthique. Cependant, le droit de rejeter un traitement est un droit fondamental pour le patient et le médecin n'agit pas contrairement à l'éthique, même si le respect de ce souhait entraîne la mort du patient. »
Le Conseil national souligne ensuite, dans son code révisé de 1992, qu'un médecin est tenu d'assister moralement son patient en fin de vie et qu'il doit mettre en oeuvre les moyens nécessaires en vue d'atténuer sa souffrance mentale et physique et de lui permettre de mourir dignement. Afin de définir sa position à cet égard, tant pour la mise en oeuvre d'un traitement que pour sa cessation, ce qui dans notre code est appelé « les soins de confort », le Conseil national a développé une série d'exigences de diligence. Le médecin est tenu de consulter au moins un collègue compétent à cet égard. Il doit prendre l'avis du patient et de ses proches éventuels, ce qui suppose qu'il a accès à une information complète et correcte. Il doit communiquer clairement ses intentions au patient.
Dans des avis ultérieurs, le Conseil national a ajouté que le personnel infirmier et soignant doit également participer à cette consultation. Nous sommes conscients du fait que, dans le cas de ces patients, la relation avec le personnel infirmier et soignant est souvent plus intime qu'avec le médecin. D'après l'étude des universités présentée hier, il est clair qu'une différence existe entre la Belgique et les Pays-Bas. Il semble que les médecins belges éprouvent des difficultés à consulter l'équipe soignante.
Les Néerlandais s'en sortent mieux sur ce plan. Nous avons encore des choses à apprendre dans ce domaine. Il est évident que cette concertation doit pouvoir déboucher sur un consensus. Il peut s'agir ici de renoncer à l'acharnement thérapeutique qui a pour seul effet de prolonger la vie et qui à ce moment est considéré comme vain. Il peut s'agir aussi de la transition à des soins palliatifs ou de confort.
En 1967, une étude scientifique importante a vu le jour dans un hôpital londonien, reprenant également les idées de Francis Bacon. Les soins palliatifs et la lutte appropriée contre la douleur dans le cadre de ces soins sont momentanément en plein développement, mais sont encore loin d'être une philosophie de traitement largement répandue, suffisamment développée et de haute qualité. Dans notre récent brainstorming sur l'euthanasie, qui a conduit à notre avis du 15 janvier dernier, nous avons tenu compte du concept d'état de nécessité. Le Conseil national est conscient du fait qu'un médecin, dans des circonstances plutôt exceptionnelles, peut être confronté à un conflit de valeurs et de décisions qui en découlent, à savoir : d'une part ne pas mettre délibérément fin à la vie d'un patient et d'autre part, éviter au patient une souffrance inutile et insupportable et mettre en oeuvre les moyens nécessaires qui lui permettent de mourir dans la dignité.
Avant de passer à une décision définitive, il faut éclaircir un certain nombre de questions. La souffrance est-elle bel et bien devenue inutile et insupportable ? Les meilleurs soins palliatifs n'offrent-ils plus aucun résultat et ont-ils été appliqués ? Le patient a-t-il été suffisamment informé et surtout informé avec suffisamment de diligence de son état de santé, de l'absence de toute perspective de traitement et du pronostic de sa souffrance ? La demande du patient est-elle bien explicite et formelle ? La demande a-t-elle été exprimée volontairement et non sous l'effet de pression des circonstances ou des proches ? La demande est-elle aussi réfléchie et permanente ?
Dans des telles circonstances, le médecin doit, en concertation avec le patient, l'équipe soignante, les proches ou personnes de confiance et au moins un collègue compétent, prendre une décision qu'il doit toujours pouvoir justifier. Lorsque nous parlons d'au moins un collègue compétent, cela implique également que le comité éthique local peut être consulté pour avis.
En raison de considérations médico-déontologiques, le Conseil national n'a jamais éprouvé la nécessité d'opérer une distinction entre les patients capables de volonté et non capables de volonté. Selon notre expérience, l'état de nécessité peut concerner tant la première que la deuxième catégorie de patients.
Il est peut-être superflu de souligner encore une fois le fait qu'on ne peut obliger personne à accepter et réaliser une mission qui est contraire à son éthique et à sa conscience.
Le Conseil national émet son avis sur base de considérations purement médico-déontologiques. Le Conseil n'a voulu se prononcer ni pour ni contre une initiative législative à cet égard. Néanmoins, toutes les propositions déposées jusqu'à présent ont été examinées avec l'attention nécessaire, ce qui donne malgré tout lieu à quelques réflexions.
De par notre expérience, nous nous méfions d'un codage de l'un des problèmes de vie les plus intimes, à savoir l'adieu à la vie. Il s'agit naturellement ici essentiellement du principe kantien de l'autonomie du patient. Ce principe est cependant invoqué, tant par les partisans que par les adversaires de l'euthanasie, comme argument dans leur plaidoyer. Nous devons être très prudents dans notre approche, et continuer à respecter cette autonomie du patient en première et dernière instance.
Une autre question importante pour nous est de savoir si une initiative législative nous apporte plus de sécurité juridique. Naturellement, disent certains, parce que tout sera fixé dans un texte de loi. Quant à nous, médecins et juristes du Conseil national, nous ne sommes pas si convaincus de ce que celle-ci soit garante d'une telle sécurité juridique. Elle ne l'est pas sur le plan pénal, parce que ni le contrôle a priori ni le contrôle a posteriori ne sont entièrement suffisants. À notre avis, le contrôle a posteriori offre même encore moins de sécurité juridique que le contrôle a priori. Il n'y pas non plus de sécurité juridique sur le plan du droit civil. Nous sommes extrêmement inquiets de ce qui se passera quand l'un des membres de la famille se ravisera après l'acte d'euthanasie et poursuivra le médecin en dommages et intérêts devant une juridiction civile.
On dit qu'une initiative législative rend plus abordable toute la problématique de fin de vie et on renvoie à cet égard aux Pays-Bas, où c'est en effet le cas jusqu'à présent. Les Néerlandais sont plus versés que les Flamands dans la discussion de la problématique de la mort et des pronostics relatifs à la vie finissante de leurs patients. Les médecins néerlandais ont été mieux préparés à cette problématique au cours de leur formation universitaire. Les universités belges accusent depuis longtemps un retard sur ce plan par rapport aux universités néerlandaises.
J'ai pu expérimenter moi-même sur le terrain aux Pays-Bas qu'il existe en effet là-bas un peu plus d'ouverture. La question est cependant de savoir si la relation patient-médecin, à laquelle nous attachons énormément d'importance, ne sera pas minée par cette nouvelle connotation de médecin comme porteur de la mort. En tant que médecin, nous nous sentons ici dans un rôle peu confortable. Peut-être simplement parce que nous ne sommes pas encore habitués à ce rôle, mais l'inquiétude n'en est pas moindre pour autant.
Une autre question est de savoir dans quelle mesure le volontariat sera mis à mal par la pression des proches ou d'autres personnes. Nous connaissons beaucoup de situations, tant dans des cliniques que chez des malades à la maison, où ces personnes exercent une pression et demandent « que cette situation prenne fin rapidement ». Il s'agit toujours des coûts élevés que représentent les soins ... À cet égard, un danger réel d'euthanasie sociale ou économique est malgré tout présent.
Les sentiments de culpabilité qui peuvent apparaître chez les membres de la famille associés au processus de décision représentent un autre aspect de la problématique. L'expérience nous enseigne que, même des années plus tard, cela peut encore donner lieu à un traumatisme psychique chez ces personnes.
Nous avons des doutes importants en ce qui concerne la valeur d'un testament de vie qui a été établi des années à l'avance, à un moment où le patient était encore entièrement lucide, compos mentis.
Chaque médecin, tant le médecin d'hôpital que le médecin de famille, fait l'expérience que l'état mental concernant les mesures à prendre en fin de la vie peut se modifier au fur et à mesure que celle-ci se rapproche. Beaucoup de personnes qui nous parlent d'euthanasie, et c'est encore plus vrai lorsqu'elles en parlent à leur médecin de famille, n'en disent plus un mot lorsqu'elles se trouvent au stade terminal. Non parce qu'elles sont devenues incapables d'exprimer leur volonté, mais parce qu'elles sont très bien prises en charge par leur entourage, parce qu'elles vivent la présence des personnes qui les entourent de façon très intense et qu'à ce moment-là, elles accordent à cet aspect énormément d'importance. C'est pourquoi nous ne croyons pas en de tels testaments de vie. Nous avons eu nous-mêmes de très mauvaises expériences à cet égard.
Nous nous demandons aussi pourquoi la responsabilité finale de l'euthanasie doit être placée entièrement chez le médecin. Il s'agit d'une décision qui doit être prise en concertation avec tout un ensemble de personnes. Si par la suite quelque chose se passe mal et qu'une procédure de nature pénale ou civile est intentée, c'est le médecin seul qui en porte la responsabilité. Personnellement, je me demande si l'euthanasie constitue bien un acte médical. Le Conseil national n'est pas compétent pour répondre à cette question mais personnellement je pense que l'euthanasie peut être considérée comme un acte médical. La réponse à cette question peut influencer le point de vue final.
Pour conclure, je répète que le Conseil ne se prononce pas sur l'opportunité d'une initiative législative. Nous jugeons préférable de ne pas rayer du Code pénal l'acte de provoquer délibérément la mort d'un patient, car nous ne voulons pas non plus le voir disparaître du code de déontologie médicale. Si une initiative législative peut donner une définition claire de l'état de nécessité et des exigences en matière de diligence qui doivent être présentes et doivent pouvoir être prouvées à l'aide du dossier médical, nous n'avons alors aucun problème. Le Conseil national peut accepter que l'euthanasie, une forme pure d'euthanasie, soit appliquée dans certaines circonstances, heureusement fort rares, où l'on est en présence d'une souffrance que le monde médical est incapable de soulager. Nous reconnaissons que nous-mêmes, avec les meilleurs soins palliatifs, ne pouvons pas toujours suffisamment aider les personnes concernées.
Enfin, je souhaiterais encore émettre une remarque un peu osée, en lançant la question de savoir si la solution ne réside peut-être pas dans la ratification légale de la déontologie médicale.
M. Philippe Mahoux. Monsieur le président, nous sommes quelques médecins dans cette assemblée et la Belgique compte de nombreux médecins. À entendre les deux avis qui viennent d'être émis, on a l'impression que les avis du corps médical sont univoques. Je ne me sens pas du tout représenté dans les avis qui viennent d'être émis et je demande donc aux deux représentants de l'Ordre de nous faire part de la méthodologie qu'ils ont suivie pour venir exprimer ici, au nom de l'ensemble du corps médical, un avis de l'Ordre des médecins. En quoi se considèrent-ils représentatifs de l'ensemble des médecins, alors que de nombreux avis divergents sont émis sur ce problème ?
En termes de méthodologie, quel est le système de consultation interne ? Quelle est la possibilité d'expression interne ? Cette question ne concerne pas l'Ordre national, bien entendu, mais sachant ce qui se passe dans certains ordres provinciaux en termes de respect de droit à la parole, je me permets de poser la question.
Je souhaite aussi obtenir une précision. Je voudrais vérifier si j'ai bien entendu dire, avec les nuances que M. Hache a formulées, notamment à la fin de son exposé, et que je n'ai pas retrouvées dans le premier exposé, qu'en tout état de cause, le Code de déontologie, auquel vous faites référence pour régler le problème, dit et continue à dire que tout acte d'euthanasie est interdit en réalité, c'est de cela que l'on parle puisqu'il est moralement répréhensible. Je rappelle simplement que nous avons entendu hier des philosophes et des éthiciens, dont un prêtre, dire que l'acte d'euthanasie était un acte positif.
Pour ce qui est de la question de mon confrère Philippart à propos des documents, je citerai simplement des revues qui ne me paraissent pas suspectes : Lancet, New England Journal of Medecine, Critical Care Medecine. Voilà une série de références en termes statistiques, qu'il faut prendre effectivement avec tout le recul que nécessite l'analyse de statistiques. J'aimerais savoir s'il a consulté l'ensemble de ces documents, puisqu'il semble nous demander les sources des informations dont nous disposons.
M. Philippe Monfils. J'ai six ou sept questions très brèves à poser aux deux intervenants et spécialement au docteur Philippart.
Première question, qui recoupe un peu ce qui vient d'être dit voici un instant : vous avez rappelé le principe selon lequel le médecin ne peut pas provoquer délibérément la mort. Comment comprendre cela face aux études qui montrent qu'il y a chaque année en Flandre il faut donc extrapoler pour l'ensemble de la Belgique près de 1 900 cas d'euthanasie sans demande du patient. Êtes-vous prêt à dire qu'il n'y a pas d'euthanasie en Belgique et que ces enquêtes sont fausses ou erronées ? Pour vous, y a-t-il ou non des cas d'euthanasie ? Dans l'affirmative, il y a manifestement un conflit par rapport au principe que vous agitez.
Deuxième question : n'estimez-vous pas qu'il y a une grande hypocrisie à dire « Je ne veux pas d'euthanasie; je ne connais pas de confrères qui en ont fait, mais j'ai des confrères qui ont augmenté les doses de morphine. » ... lesquelles sont parfois tellement fortes que le patient décède ? C'est à mon sens une hypocrisie à la fois médicale et morale.
Troisième question : hier, M. Vermeersch ou M. Englert a dit qu'il ne connaissait aucun service palliatif qui ne faisait pas d'euthanasie, même en nombre limité. Comme vous dites que cette pratique n'existe pas, M. Vermeersch ou M. Englert s'est-il trompé ou a-t-il menti ? C'est l'un ou l'autre.
Quatrième question : vous dites que le Code pénal est un garde-fou et que le médecin dispose, à l'intérieur de celui-ci, d'une autonomie suffisante. Messieurs les médecins qui venez de parler, vous savez que l'euthanasie est un crime. Dès lors, soit vous êtes d'accord avec la position de la justice qui a inculpé deux médecins à Liège, ce qui m'étonnerait, soit vous réclamez que la loi pénale ne soit pas appliquée et vous voulez que le médecin soit hors la loi, c'est-à-dire en dehors de la législation. Il est inutile de brandir devant nous l'état de nécessité; c'est un principe jurisprudentiel qui ne peut évidemment pas, en étant utilisé de manière générale, remettre en cause tacitement un article du Code pénal, lequel interdit de tuer.
Cinquième question : n'estimez-vous pas anormal, docteur Philippart, de considérer qu'un contrôle a priori pourra être fait par un comité d'éthique, lequel substituerait en quelque sorte son avis non seulement au colloque médecin-patient, à la demande du patient, mais également à l'intervention ultérieure de la justice ? Il est étonnant de considérer qu'une sorte de comité éthique pourrait dire ce qu'il faut faire et exonérer à l'avance le médecin de toute responsabilité.
Sixième question : vous avez tous deux expliqué qu'il fallait pratiquement toujours demander la consultation de l'équipe soignante et donc rendre cette consultation obligatoire. Ne pensez-vous pas que c'est faire peser sur les paramédicaux une responsabilité médicale qu'ils n'ont pas été préparés à affronter au cours de leurs études ? Ils ne sont pas médecins mais sont infirmiers ou ont d'autres qualifications. Personnellement, je connais des infirmiers et j'ai le sentiment qu'ils sont effrayés par cette responsabilité qu'ils estiment ne pas devoir assumer parce qu'elle appartient au médecin.
Sixième question bis : vous venez de dire, docteur, que vous vous demandiez si l'euthanasie était un acte médical. Cela signifie-t-il que, pour vous, une infirmière peut le pratiquer ? Êtes-vous d'accord avec l'infirmière qui, en Flandre, a décidé d'euthanasier une personne, en l'espèce sa tante, avec l'accord des parents ? Si vous dites que ce n'est pas un acte médical, il faut accepter qu'une infirmière le fasse, ce qui serait le comble de l'abandon de responsabilité médicale.
Septième question : vous avez parlé de pression possible des proches. La situation actuelle est-elle meilleure et êtes-vous prêt à nous dire tout simplement qu'une euthanasie sociale et économique est plus facile à réaliser lorsqu'une loi sur l'euthanasie existe que quand elle fait défaut ?
M. Hugo Vandenberghe. Je ne souhaite naturellement pas poser de questions qui donnent l'impression que des membres éminents de l'Ordre de médecins comparaissent devant une commission d'enquête. Il s'agit ici d'une simple audition publique où nous voulons recueillir des informations. Une question est évidente. Tout le monde se réfère à une étude qui n'est pas communiquée officiellement. Ceci fait me penser à un procès où tout le monde dit qu'il y a des pièces à conviction qu'on ne peut cependant pas pas consulter. Si les données de cette étude sont correctes, les fins de vies sans qu'intervienne la demande du patient représentent 3 % des cas de mortalité et l'euthanasie un pour cent. Je ne remets pas en question la contre-étude. Cependant, il existe des organes déontologiques au sein de l'Ordre national, certaines pratiques doivent être communiquées aux experts et en outre, ils ont collaboré eux-mêmes à un code en 1992. Dès lors, les experts sont-ils au courant de ce problème ou en ont-ils jamais été informés ? Il est en effet évident que l'acte de fin de vie posé par un médecin sans que le patient n'en exprime la demande est un acte très radical qui n'est absolument pas tolérable. Une pratique est-elle née dans le domaine et les experts ont une explication à ce sujet ?
Le Dr Hache a parlé d'une discussion plus ouverte sur l'euthanasie aux Pays-Bas. Dans ce pays pourtant, et ceci relativise constamment l'argumentation, après quinze années de pratiques d'euthanasie, la plupart des cas ne sont toujours pas rapportés. L'examen de 1995 prouve que 41 % seulement des cas d'euthanasie stricte je ne tiens pas compte ici des fins de vie provoquées sans demande du patient sont rapportés dans la procédure a priori. Il n'y a donc aucune certitude, ni en ce qui concerne l'exactitude des chiffres, ni en ce qui concerne les circonstances de la fin de vie. Quelles conclusions en tirent les experts ? Cela signifie-t-il que nous ne pouvons rien faire ? Ou cela signifie-t-il que, pour rendre opérationnelle l'idée d'état de nécessité et pour protéger le patient contre les abus, le contrôle a priori est un élément essentiel ? Que pensent les experts de la vérification a priori par rapport à une plus grande sécurité juridique pour les médecins, dont je partage le souci.
M. Georges Dallemagne. Je remercie les représentants de l'Ordre des médecins pour les éléments d'information qu'ils nous ont communiqués et les nuances qu'ils ont apportées à notre débat.
Je désire poser quelques questions très brèves, dont certaines peuvent recouper celles d'intervenants précédents.
Vous avez tous deux plaidé le fait que le Code de déontologie pouvait régler très largement les problèmes qui se posent dans les domaines de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique. Avez-vous été concrètement confrontés à ce type de problèmes à travers le code ? Des initiatives ont-elles été prises par l'ordre à l'encontre de certains médecins qui auraient été éventuellement coupables soit d'acharnement thérapeutique, au sens de la définition que vous avez donnée, soit d'euthanasie, puisqu'il apparaît aujourd'hui que ces problèmes existent réellement ? On peut discuter des chiffres, mais ces pratiques existent. Comment l'ordre est-il intervenu dans l'un et l'autre cas et quelles ont été les sanctions ou dispositions prises à l'encontre des médecins qui auraient pu être coupables de tels actes ?
Autre question, qui dépasse peut-être votre propre compétence, qu'adviendra-t-il en cas de conflit entre le Code de déontologie et les futures dispositions législatives ? Quelles seraient à ce moment-là les instructions que vous pourriez donner aux médecins ?
Vous avez parlé d'une proposition de loi. Vous n'ignorez pas que plusieurs propositions se trouvent sur la table. J'aurais aimé connaître votre avis à ce sujet. Enfin, j'aurais souhaité obtenir des informations complémentaires sur la manière dont pourraient agir les comités d'éthique dans les hôpitaux. S'agit-il d'une procédure a priori ou imaginez-vous que le comité d'éthique intervienne sur des instructions plus générales, indépendamment du traitement de cas particuliers ?
M. Jan Remans. Pourquoi l'Ordre des médecins n'a-t-il jamais mené une recherche fondamentale sur la pratique, une recherche rétrospective, anonyme et comportant des garanties pénales et disciplinaires pour les personnes interrogées ?
L'Ordre s'occupe de beaucoup de choses. Si le nom d'un médecin qui fera une conférence sur un sujet médical paraît dans un journal paroissial, ce médecin doit comparaître devant l'Ordre, parce que l'une ou l'autre chose pourrait être contraire aux règles déontologiques.
Pour autant que je sache, l'Ordre n'a jamais fait de recherche fondamentale sur la pratique de la fin de vie. Pourquoi n'a-t-il jamais inscrit officiellement des critères de prudence dans le code ? Le Dr Hache a lancé un appel pour légaliser le code déontologique. Pendant les auditions publiques d'hier, il était question à plusieurs reprises d'un arrêté royal visant à légaliser l'acte médical. En 1975, le Conseil des ministres n'a pas approuvé la modification proposée des règles déontologiques.
Comment se fait-il que depuis 1975, l'Ordre n'a pas pris la peine, n'a même pas tenté, de faire transposer les diverses modifications des règles déontologiques dans un arrêté royal, alors que le professeur De Neste a expliqué hier toute la procédure, toutes les directives sous-jacentes à ce nouvel arrêté royal.
Mme Nathalie de T' Serclaes. Dans le Code de déontologie de 1992, vous parlez spécifiquement, à l'article 96, de la phase terminale. Nous menons un débat sur la possibilité de définir cette phase. J'aimerais savoir comment vous pouvez la définir et ce qu'elle recouvre concrètement.
Le docteur Hache a dit que vous n'étiez pas favorable aux déclarations anticipées et aux testaments de vie parce que vous aviez eu de mauvaises expériences. Quelles étaient-elles ?
Dans le Code de déontologie médicale, vous parlez de concertation avec un autre médecin et avec la famille. Vous ne faites nulle part référence à l'ensemble du personnel soignant. Vous affirmez qu'il existe un manque de dialogue avec le patient, que les médecins belges sont en retard sur leurs confrères néerlandais. Ce manque de dialogue, que ce soit avec le patient ou avec l'ensemble des équipes médicales concernées, constitue un gros problème.
Vous vous demandez pourquoi on ne pourrait pas légaliser le Code de déontologie médicale. Quel contrôle imaginez-vous alors ? Depuis 1992, comment avez-vous contrôlé l'application du code que vous avez vous-mêmes édicté ?
Mme Kathy Lindekens. J'ai trois questions. Tout comme M. Mahoux, je souhaiterais savoir quelle était la genèse de l'avis émis par l'Ordre. C'est surtout M. Hache qui a utilisé les termes : « nous les médecins disons ..., nous les médecins trouvons ... »
Parle-t-il au nom de l'ensemble du groupe professionnel ? Sinon, quel est le nombre de médecins interrogés ?
Je pose cette question parce que j'ai constaté, lors de conversations avec des médecins confrontés au problème de la fin de vie dans le cadre du traitement du cancer, qu'ils adoptent souvent d'autres points de vue que ceux de M. Hache. Je pense donc qu'énormément de médecins pensent différemment.
M. Philippart s'est référé à une enquête qui serait incomplète. Dans quelle mesure l'est-elle ? Quelles étaient les questions posées ? Pouvons-nous avoir plus d'explications à ce sujet ?
Deuxième question. Je peux très bien m'imaginer que certains médecins, comme l'ont montré les citations de M. Philippart, n'ont encore jamais reçu de demande relative à la fin de vie. Cependant, il ne me semble pas adéquat de généraliser. Ne nous trouvons-nous pas ici devant un problème de communication entre le médecin et le patient, problème que celui-ci perçoit souvent comme unilatéral ?
Les témoins approuvent-ils la communication entre médecin et patient ? Si ce n'est pas le cas, ne faut-il pas remédier à ce problème durant la formation ou durant les cours de recyclage ? Je pense ici à apprendre à répondre de façon appropriée, à initier le processus de deuil et à apprendre à écouter un patient.
Troisième question. La discussion sur l'introduction rapide, un peu plus rapide ou beaucoup plus rapide de la mort n'est-elle pas symbolique, voire hypocrite, si la mort est de toute amorcée ?
Mme Jeannine Leduc. Je suis passablement choquée par la position de l'Ordre des médecins qui soutient qu'aucune loi ou modification de loi ne s'impose. Dans les conversations, beaucoup de médecins de famille demandent explicitement un texte de loi. Je demande donc de quelle manière l'Ordre communique avec le médecin qui est confronté à la question du patient en phase terminale dont la souffrance ne peut être soulagée et dont la situation n'offre plus aucun espoir médical. Sur quoi est alors basée la prise de position de l'Ordre, si ni loi ni modification de loi ne sont nécessaires ?
Deuxième question. Je ne peux pas m'imaginer que l'Ordre ne soit pas au courant de l'enquête de MM. Deliëns et Mortier. Il s'agit d'une enquête méthodologique portant sur les décès en Flandre. Les chiffres de cette enquête ont été régulièrement cités ici. Pour chaque décès, le médecin traitant doit établir un certificat de décès mentionnant sa cause. Tous les médecins ont été contactés et ils ont été nombreux à réagir au questionnaire détaillé. Je ne peux pas m'imaginer que les représentants de l'Ordre ne savent rien de tout cela. Comment se fait-il que l'Ordre ne soit pas au courant ? Nie-t-il tout simplement l'existence de cette enquête ? Il s'agit pourtant de plus de 1 900 cas d'euthanasie active en Flandre et si nous extrapolons ce chiffre à toute la Belgique, nous en arrivons à un nombre très élevé. J'en suis choquée.
On déclare ici que la dignité de la vie est liée à la dignité de la mort, mais quel pouvoir a un patient atteint de tumeurs au cerveau s'il meurt, ou plutôt crève, dans des circonstances inhumaines ?
M. Galand. J'ai entendu plus d'interrogations et de craintes que de suggestions. Mes questions sont les suivantes :
1. Pour améliorer la sécurité juridique du médecin et la protection du patient, quelles sont les propositions de l'Ordre des médecins quant à la problématique de la fin de vie ?
2. Vous avez, à juste titre, soulevé la question qui touche à plusieurs actes médicaux des états de conscience altérés. Quelles sont les suggestions de l'Ordre national en la matière ?
3. Vous avez insisté sur le fait qu'il fallait prêter attention à la situation dans les homes. L'Ordre national a-t-il pris des initiatives visant à généraliser les comités d'éthique à ce niveau ? En ce qui concerne la médecine ambulatoire, l'ordre suggère-t-il d'établir ces comités d'éthique au niveau des provinces, des communes ou à d'autres niveaux ?
M. Réginald Moreels. À la fin de l'exposé introductif, il a été dit qu'on peut encore imaginer des situations où l'euthanasie pourrait être possible. Ce point n'a cependant pas été approfondi et le point de vue de l'Ordre des médecins n'a pas été communiqué.
Une deuxième question traite d'une situation à laquelle nous sommes régulièrement confrontés. Un patient se trouve dans une situation végétative et à un moment donné, l'arrêt du traitement est envisagé conjointement avec la famille et l'équipe soignante. Quel est le point de vue de l'Ordre sur l'arrêt de traitement et sur l'injection complémentaire pour accélérer la mort ?
M. Patrik Vankrunkelsven. Je suis un peu déçu de ne pas avoir entendu d'arguments clairs qui étayent le point de vue de l'Ordre.
Les intervenants ont dit qu'il est extrêmement rare qu'une demande d'euthanasie soit formulée. N'estiment-ils pas que le climat de tabou en est en partie responsable et qu'il gêne la communication entre médecins et patients ?
Deuxièmement, il y a contradiction. M. Hache surtout a dit que l'euthanasie doit être possible dans certaines situations. Le code déontologique accepte ceci : il y a le concept d'« état de nécessité » et on admet qu'il y a des situations où les soins palliatifs ne peuvent plus apaiser toutes les souffrances. D'autre part, M. Hache soulève un certain nombre de problèmes. Il renvoie aux parents proches qui se trouvent dans une situation de détresse psychologique, à la pression économique éventuelle qui peut être exercée, à l'expression de volonté qui peut évoluer avec le temps et à la possibilité d'engager des poursuites contre les médecins qui ont pratiqué une euthanasie. Comment pense-t-il résoudre et prévenir ce type de problèmes avec la législation actuelle ? N'estime-t-il pas que les problèmes que vous soulevez pourraient être mieux réglés dans un meilleur cadre légal ? Le risque que ces considérations aient une influence sur l'euthanasie n'est-il pas beaucoup plus grand dans le contexte de flou actuel ?
Troisièmement, M. Hache a dit que l'euthanasie doit être possible dans certains cas et que le médecin est présent pour accompagner le patient en fin de vie. Néanmoins, il pose la question de savoir si pratiquer l'euthanasie est bien une tâche qui incombe au médecin. Cela m'a réellement choqué. Ou bien nous sommes d'accord sur le fait que le médecin doit aider le patient dans toutes les situations possibles et qu'il doit réaliser l'euthanasie si aucune autre forme d'aide n'est possible. J'ai cru comprendre que M. Hache adhérait à ce principe. Ensuite, il remet ceci en question. Qui donc, si ce n'est le médecin, doit aider le patient qui se trouve en état de nécessité ?
M. Didier Ramoudt. Ma première question porte sur les décisions médicales relatives à la fin de vie. Il devrait s'agir de directives informelles qui sont appliquées dans les hôpitaux. Les mêmes directives seraient-elles valables pour tous les hôpitaux ? Emaneraient-elles de l'Ordre ou différeraient-elles d'une institution à l'autre ? Des encouragements ont été formulés afin d'examiner ces codes et éventuellement de les consigner.
Selon les témoignages, peu de médecins se sentiraient enclins à pratiquer une euthanasie. L'Ordre dispose-t-il de données statistiques à cet égard ? Si non, est-il disposé à questionner les membres ?
Enfin, je me demande si des hôpitaux peuvent refuser que l'euthanasie soit pratiquée dans leur institution.
Mme Clotilde Nyssens. Je souhaiterais poser trois questions.
Les suggestions formulées dans vos exposés, relatives tant à la concertation qu'à l'information, font partie des droits du patient. N'est-il pas temps de passer du plan déontologique au plan légal, ne fût-ce que pour améliorer ce que vous avez proposé ?
Existe-t-il à l'Ordre des médecins ou est-ce au niveau de chaque établissement en particulier ? des protocoles de désescalade thérapeutique, en particulier dans les soins intensifs ? Question subsidiaire : le processus de désescalade est-il différent selon les services ? S'il y a loi, faut-il tenir compte de la spécificité des différents services étant donné qu'on ne soigne pas et n'accompagne pas le patient de la même manière en soins intensifs ou en soins palliatifs, par exemple ?
Enfin, on a évoqué l'apport des droits étrangers et on a beaucoup parlé des Pays-Bas; participez-vous à des réunions internationales où vous vous concertez avec des Canadiens, des Américains, des Français ou autres afin de savoir où en est la réflexion mondiale relative à la problématique qui nous occupe ?
Mme Jacinta De Roeck. Je reviens brièvement sur les 1900 patients dont la vie a été interrompue sans qu'ils n'en aient été informés. Cette situation est possible en raison du code révisé en 1992 et d'une politique de tolérance. M. Hache parle beaucoup de la sécurité juridique du médecin, mais dans ces cas-là, je me pose quand même aussi des questions relatives à la sécurité juridique du patient. Comment pouvons-nous garantir à l'avenir cette sécurité juridique du patient, afin d'éviter l'apparition de telles situations ?
Deuxièmement, j'aurais encore souhaité recevoir plus d'explications sur l'acharnement médical. Comment parvient-on à un consensus ? Dans quelle mesure ce consensus tient-il compte du patient ou de l'élément économique, parce que le problème apparaît durant le week-end ?
Mme Marie Nagy. Je partage le point de vue de mes collègues sur la position très paradoxale exprimée par l' Ordre des médecins. Je ne reviendrai pas sur ce point. J'ai le sentiment qu'il s'agit plus d'une position de principe que d'une position qui colle à la réalité. Je souhaiterais poser deux questions.
Pensez-vous vraiment que le médecin qui répond à une souffrance importante peut avoir l'image négative de celui qui apporte la mort ? L'expression d'un tel point de vue est-elle de nature, croyez-vous, à rassurer le patient en général sur la position du médecin face à ces questions ?
Quand on est lucide et en bonne santé, avez-vous expliqué, on est parfois réticent à formuler ses souhaits par rapport à sa fin de vie dans l'éventualité où l'on ne serait plus en mesure de les exprimer à ce moment-là. Je comprends qu'une personne valide s'exprime différemment d'une personne en difficulté. Mais comment allez-vous résoudre le problème de celui qui a, à un moment donné, exprimé une volonté et qui ne peut plus le dire ? Comment résoudre la situation de la personne qui n'est plus en mesure d'exprimer sa volonté ? Laissez-vous au médecin le soin de prendre toute décision ? Quelle solution apportez-vous ?
Mme Ingrid van Kessel. Ma première question a trait aux critères de diligence. Le code déontologique du médecin stipule très clairement que le médecin ne peut pas mettre délibérément fin à une vie. M. Hache mentionne quatre critères de diligence. J'ai une question en ce qui concerne le troisième critère. Il dit qu'un deuxième médecin doit être consulté et que le patient, sa famille et le médecin doivent communiquer leurs intentions. Le médecin peut-il alors lui-même faire une proposition de fin de vie au patient ? Je ne vois pas très bien comment je dois interpréter cela.
Ma deuxième question concerne l'état de nécessité. Il m'a paru étrange d'entendre qu'un état de nécessité peut survenir tant chez des personnes incapables d'exprimer leur volonté que chez les personnes capables de volonté. Qu'en est-il alors de l'autonomie du patient à laquelle il a été fait allusion ultérieurement ? Dans le cas du patient incapable d'exprimer sa volonté, il n'y a quand même aucun élément d'autonomie ? Ce patient ne peut pas exprimer la demande lui-même. Je ne parviens pas à relier ces deux éléments. Je souhaiterais avoir plus d'explications.
Troisièmement, je me demande si nous ne devons pas également prêter attention à la sécurité juridique du patient.
Enfin, j'ai une question relative au caractère volontaire de la demande du patient. Le patient peut-il exprimer sa demande de fin de vie de plein gré ? M. Hache, vous décrivez les facteurs sociaux qui interviennent ici, mais vous ne parlez pas des facteurs économiques. Les précédents avis de l'Ordre faisaient état de données complémentaires à ce sujet. Dans quelle mesure ces facteurs économiques sont-ils encore valables aujourd'hui ? Pouvez-vous les décrire et pensez-vous que la pression exercée sur le patient puisse encore augmenter à l'avenir ?
M. Franz Philippart. Je tenterai tout d'abord de répondre à M. Mahoux qui nous demande entre autres quel est le processus de consultation suivi à l'Ordre. Quitte à répéter des choses déjà connues, je parlerai tout d'abord du conseil national qui se compose de représentants des provinces et de délégués des universités. Ces représentants reçoivent suffisamment longtemps à l'avance les questions qui seront débattues et ont donc eu connaissance du débat qui aurait lieu au niveau du conseil national sur la question de l'euthanasie. Ils ont le temps de consulter leur conseil provincial afin d'arriver à la table avec une position à défendre. Cela se passe donc bien avant la rédaction de l'avis qui a pris un certain temps, comme vous le savez sans doute.
Une fois l'avis émis, le travail n'en est pas terminé pour autant. Nous n'avons pas prétendu asséner la vérité, nous disons simplement ce qui nous paraît être le consensus réunissant tous les avis des membres du
conseil national, au moment du débat. Bien entendu, je ne dirai pas que c'est l'unanimité. Ce serait bien prétentieux de ma part d'avancer pareille affirmation !
J'en arrive à un second élément qui concerne les expériences faites au niveau de certains conseils provinciaux. Tous n'ont pas procédé de la même manière mais peut-être certains le feront-ils encore ultérieurement. En Hainaut, par exemple, l'avis a été diffusé immédiatement au niveau des conseillers, d'une part, et au niveau de tous les comités d'éthique hospitaliers et des dodécagroupes, d'autre part. On leur a demandé de bien vouloir examiner ce texte et de nous faire connaître leur opinion sur la question. Ce travail est évidemment en pleine élaboration en ce moment. Le temps qui nous était imparti était trop court pour nous permettre de présenter des conclusions. Quant à dire que vous ne vous sentez pas représenté par l'opinion, je vous répète que la position que nous avons affichée est le résultat d'une majorité réunie autour de la table du conseil national, sans nier que d'autres avis ont pu être émis qui sont respectables.
M. Philippe Mahoux. C'est une précision intéressante, cher confrère, puisque nous apprenons maintenant que la position que vous avez émise antérieurement ne reflète pas l'ensemble des nuances exprimées. Il est important de le savoir et je vous remercie donc de votre réponse.
M. Franz Philippart. La question suivante concerne la valeur de l'article 95 et sa réaffirmation. Au stade actuel des choses, en ce qui concerne la pratique médicale, il nous est difficile de supprimer cet article parce qu'il est évident qu'il ne concerne pas uniquement les demandes d'euthanasie mais également d'autres cas où le médecin pourrait être amené à décider de donner la mort pour masquer des erreurs médicales. Cela peut arriver. Je vois donc mal qu'un code de déontologie n'affirme pas cette proposition qu'est l'article 95, pour le moment en tout cas. Voici ce que dit cet article : « Le médecin ne peut pas provoquer délibérément la mort d'un malade ni l'aider à se suicider. »
Nous discutons des sources. J'ai demandé tout à l'heure qu'on me communique les sources sur lesquelles on s'est basé pour arriver à la proposition actuelle. Vous me citez le Lancet, le New England Journal of Medicine, le Critical Key. Je les connais, bien sûr, mais ce sont des réalités anglo-saxonnes. Ce qui m'intéresse, ce sont les réalités de mon pays. Je pense en effet que l'esprit belge n'est pas tout à fait l'esprit anglo-saxon et que les réalités peuvent être vécues autrement.
M. le président. Plusieurs membres ont demandé pourquoi l'Ordre des médecins n'a pas pris l'initiative de procéder à des enquêtes de ce type.
M. Franz Philippart. J'ai déjà répondu en partie à cette question dans mon premier point. Tout cela s'est déroulé dans un laps de temps assez court. Pour initier une enquête nationale, il faut un certain temps. Il faut en effet obtenir l'avis de tout le monde avant de la lancer. Je vous ai expliqué qu'au niveau provincial, une expérience est déjà en cours de réalisation à ce sujet. Mais il faut attendre que les réponses reviennent. Ce sont des questionnaires auxquels on ne peut, à mon sens, répondre en huit jours.
Concernant l'étude flamande de 1 900 cas dont a parlé M. Monfils, je vous avoue que je ne connais pas bien cette étude. Je ne nie pas son existence ni sa valeur. Il m'est cependant difficile aujourd'hui de m'exprimer à son sujet.
Lorsque l'on parle d'euthanasie, même dans le public médical, cela couvre beaucoup de réalités. L'arrêt de traitement est souvent appelé euthanasie. Je crois cependant que l'on doit s'en tenir à la rigueur de la définition qui a été donnée par le Comité national de bioéthique.
Vous me parlez d'une certaine hypocrisie quand on affirme que l'arrêt du traitement est une forme d'euthanasie. Ne croyez-vous pas qu'en ces matières, on est toujours hypocrite ? En effet, on voudrait engouffrer dans l'entonnoir d'un mot très précis des tas de réalités différentes. Dès lors, celui qui recevra l'avis pourra penser qu'il est hypocrite, j'en conviens. Je peux répondre que d'autres avis sont aussi hypocrites. Je crois qu'il est important en ces matières de toujours bien préciser de quoi on parle.
Des euthanasies se passeraient en services palliatifs. Oui, il y a des demandes d'euthanasie dans les services de soins palliatifs. Je l'ai vécu personnellement. Il est vrai qu'à un moment donné de leur parcours, des patients qui séjournent en soins palliatifs peuvent évoquer cette possibilité. Ces demandes ne vont pas être systématiquement refusées. En tout cas, la manière de délivrer les soins palliatifs permet de répondre à beaucoup de ces questions. Vous savez comme moi que dans la vie finissante, beaucoup de personnes disent à un moment donné qu'elles en ont marre de la vie, qu'elles voudraient que ça finisse. Cela ne constitue pas nécessairement une demande d'euthanasie. Je crois qu'il y a avant tout une demande d'écoute de la part de ces personnes. Bien des demandes d'euthanasie s'effacent lorsqu'une écoute valable est accordée à ces personnes. Les unités de soins palliatifs garantissent justement à ces personnes l'accompagnement qu'elles réclament.
M. Dubié. Le Code de déontologie devant servir de garde-fou.
M. Philippart. Non, le Code pénal. Au stade actuel, en dehors de la question de la législation, il s'agit en effet d'un garde-fou qui doit surtout permettre d'éviter des dérives toujours possibles. Il est incontestable que celles-ci existent, pour ne citer que le cas d'Anvers qui vient d'être évoqué. Le Code pénal est donc bien utile, par exemple pour se protéger de médecins qui, pour des intérêts très personnels, décideraient d'accélérer une fin, même en l'absence d'assentiment du patient. Venons-en au contrôle a priori et aux comités d'éthique.
M. Monfils. Si vous admettez la situation actuelle, cela signifie que vous cautionnez la licéité des poursuites des médecins qui pratiquent l'euthanasie puisque cette dernière est interdite par la loi. Vous ne pouvez pas éternellement évoquer l'état de nécessité, c'est-à-dire opposer un principe de jurisprudence à un article de loi. C'est là le fond de l'affaire et l'objet de ma question.
M. Philippart. Je ne prétends pas que la situation actuelle est idéale. J'ai en effet déclaré qu'il régnait une certaine insécurité juridique. J'ai ainsi voulu vous dire qu'au stade actuel des choses, Code pénal d'un côté, Code de déontologie de l'autre, le médecin pouvait, dans sa pratique, rencontrer toutes les situations. Que peut demander le malade ? C'est d'être accompagné et éventuellement poser la question de l'euthanasie. Toutefois, je n'ai pas été jusqu'à affirmer qu'une loi n'était pas nécessaire pour offrir éventuellement certaines garanties au patient. Ce n'est pas mon rôle.
Par ailleurs, lorsque l'on a abordé la question du contrôle a priori et de l'intervention éventuelle des comités d'éthique, je n'ai pas prétendu non plus que ce comité devait, in fine, assurer le contrôle que d'aucuns souhaitent. Le comité d'éthique est un organe prévu par le législateur, dont une des fonctions consiste à aider les praticiens à prendre une décision.
En ces matières, je pense qu'il a un rôle à jouer afin d'aider le praticien à réfléchir face aux situations qu'il doit vivre et aux demandes qui lui sont adressées. Je crois cependant que le rôle de l'éthique serait dépassé si le comité d'éthique devait contrôler l'activité du praticien. Le comité doit essentiellement assurer un rôle d'avis et je pense qu'il doit être utilisé plus largement qu'il ne l'est. On me dit que cela n'existe pas en dehors des hôpitaux. C'est vrai, mais je réponds que c'est possible : des initiatives ont été prises par l'Ordre en ce sens puisqu'il va très prochainement dispenser dans tout le pays une formation au fonctionnement de ces comités d'éthique.
Dans certains ordres provinciaux, une réunion a déjà été organisée avec les médecins généralistes pour les inviter, soit dans le cadre de leur GLEM, soit dans le cadre des réseaux de garde, à faire naître des comités d'éthique. Des questions nous ont déjà été posées sur la possibilité d'en créer pour des homes ou des ensembles de homes. Nous avons répondu positivement. Quelque chose est donc en marche et nous n'y sommes pas étrangers.
En ce qui concerne les paramédicaux, vous évoquez la possibilité de faire peser sur eux les responsabilités. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Ici, je fais référence au livre très explicite de Mme Piccini, une infirmière française. Si un médecin était amené à devoir aider un patient en fin de vie, il n'est surtout pas question qu'il se décharge de sa responsabilité sur son personnel.
J'ai voulu dire qu'autour d'un patient en fin de vie, que ce soit ou non dans le cadre d'une cellule palliative, on trouve toujours des intervenants très proches de lui. Il serait dommage que le médecin ne s'inquiète pas de leur avis et ne discute pas du problème avec eux. Tout cela devrait se passer, si possible, dans le consensus. Des infirmières qui ne seraient pas d'accord avec la décision prise par le médecin devraient pouvoir s'en abstraire.
M. Raoul Hache. Les nombreuses questions et remarques me font penser qu'on attribue à l'Ordre des médecins beaucoup plus de combativité qu'il n'en a réellement.
Tout d'abord, nous ne sommes pas un institut de recherche scientifique où les gens font de la recherche scientifique à temps plein. Ce n'est pas notre tâche. Les universités sont là pour ça. Nous ne devons pas non plus revendiquer la compétence de mener une recherche scientifique approfondie. Si nous ne sommes pas toujours immédiatement au courant de la recherche scientifique actuelle, c'est parce que nous n'avons pas le droit de l'évaluer et de demander aux chercheurs de nous tenir informés. Ainsi, nous avons par exemple appris par hasard l'existence de cette étude néerlandaise. Les chercheurs ne veulent pas rendre leurs résultats publics tant qu'ils n'ont pas été publiés dans le New England Journal of Medicine. Ils ne le peuvent d'ailleurs pas, car sinon ils perdent leur chance de s'y voir publier. Vous ne pouvez donc pas attendre de nous plus que ce que nous pouvons réaliser avec le personnel et le temps dont nous disposons actuellement. Si l'Ordre était basé sur un modèle différent et s'il s'agissait de fonctions à temps plein, ce serait peut-être davantage réalisable.
Dans quelle mesure l'Ordre est-il représentatif du corps médical ? Une représentativité complète n'est pas une priorité pour nous et nous ne la revendiquons d'ailleurs pas. Nous savons très bien que le corps médical est caractérisé par une grande diversité, qui est en partie aussi reflétée dans la composition des membres élus des conseils provinciaux et donc aussi dans la composition du conseil national. Comme vous le savez, le corps compte aussi des professeurs d'université qui peuvent nous transmettre leurs expériences acquises au sein de leur propre faculté. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas assumer davantage. Vous nous demandez des choses que, dans le contexte actuel de notre fonctionnement et de notre composition, nous sommes incapables de réaliser. Naturellement, nous pourrions confier des missions à des groupes d'étude externes, mais il nous faudrait les payer, ce qui nous mettrait dans une situation difficile du point de vue financier.
En cas d'acharnement médical, l'Ordre peut intervenir à la suite d'une plainte émise par des médecins, des patients ou des tiers et peut éventuellement agir aussi de sa propre initiative. Nous savons très bien que nous ne sommes pas informés de tous les abus commis en outre dans différents domaines , mais nous ne pouvons pas intervenir contre un abus dont nous ne connaissons pas l'existence. Nous ne disposons pas non plus d'un organe d'examen qui pourrait examiner sur place des situations spécifiques. Nos possibilités sont donc limitées et je vous demande d'en tenir compte lorsque vous pensez pouvoir nous confier toutes sortes de tâches.
L'étude sur les Pays-Bas et la Flandre prouve en effet qu'il existe une différence marquante entre ces 2 pays en ce qui concerne la fin de vie sans demande de la part du patient. Aux Pays-Bas, cela se passe apparemment beaucoup moins souvent qu'en Belgique.
Nous ne savons pas non plus si ces chiffres sont représentatifs. Étant donné que l'étude n'a pas encore été publiée dans The New England, nous n'avons pas encore pu la lire dans le détail. Un des collaborateurs à l'étude m'a informé personnellement du fait que les marges d'erreur sont suffisamment restreintes pour garantir une représentativité maximale ou optimale. Je le crois, car les personnes qui ont réalisé cette étude sont des scientifiques tout à fait sérieux.
On nous demande ce que l'Ordre propose comme solution. Nous ne nous sommes pas risqués sur le terrain des solutions, car nous pensons que nous ne sommes pas à même d'en offrir. Des solutions doivent être fournies pour un certain nombre d'abus et de situations intolérables, entre autres pour la pratique d'euthanasie sans qu'il y ait eu demande de la part du patient. Cette pratique nous est très pénible et doit être enrayée. Grâce aux chiffres de cette étude, nous savons que cette pratique existe, mais tant qu'aucun cas concret n'est signalé à l'Ordre, nous ne pouvons pas intervenir.
M. le président. M. Moreels avait posé une question précise sur l'état végétatif.
M. Raoul Hache. L'état végétatif est un problème à part qui survient à tous les âges. À l'étranger, plus précisément aux États-Unis, on fait appel dans ces cas-là à un tribunal compétent. Déontologiquement, nous ne pouvons pas encore apporter de solution claire à ce problème difficile. Nous nous sentons aussi très faibles dans ce domaine.
M. Vankrunkelsven affirmait à raison que la communication médecin-patient se déroule dans de nombreux cas de façon telle que la demande d'euthanasie en devient pratiquement impossible. Je sais que, pour toutes sortes de raisons, la communication en matière d'euthanasie est déficiente, et ce tant pour le patient que le médecin. Dans nos avis successifs, nous disons toujours qu'une conversation informative et détaillée sur ces questions de vie est nécessaire, en premier lieu pour informer le patient de manière correcte, approfondie et compréhensible. Cela se passe beaucoup trop peu. Les contacts avec les infirmières sont également trop limités.
Les infirmières des deux parties du pays se plaignent du fait qu'elles sont trop peu impliquées dans cette problématique par les médecins. C'est pourquoi nous ne cessons d'insister sur le fait que le contact avec le personnel soignant et infirmier est nécessaire dès le début, car ils connaissent parfois beaucoup mieux le patient que le médecin.
Pour éviter ce problème à l'avenir, nous ne pouvons, en tant qu'ordre, que formuler des avis, qui sont lus ou pas. On ne peut en effet obliger personne à lire une revue spécifique. Nous sommes malgré tout convaincus depuis longtemps que si chaque médecin agissait dans la pratique correctement et conformément au code de déontologie et aux avis rendus à ce sujet, il y aurait peu de problèmes avec les patients, avec des hôpitaux ou avec la justice. C'est toutefois une vision idéaliste des choses.
Nous ne pouvons pas faire plus. Nous essayons d'organiser des réunions d'information par province pour y associer les médecins et pour permettre ainsi une meilleure communication. Un certain nombre de médecins y assistent, un grand nombre de médecins n'y assistent pas. S'ils ont des problèmes ultérieurement, ils disent qu'ils n'étaient pas au courant. Il y a aussi des problèmes de communication à notre niveau. Ces dernières années, nous avons tenté d'améliorer autant que possible notre fonction de public relations. Mais la communication devrait être améliorée dans le pays entier. Il existe de nombreuses différences entre les provinces, cela sera toujours ainsi. Cela vaut aussi pour la justice.
Mme Jeannine Leduc. Je n'ai pas reçu de réponse à ma question. J'entends maintenant qu'il n'existe pas de bonne communication ni d'interaction entre les médecins et l'Ordre. Malgré tout, vous soutenez qu'aucune modification de loi n'est nécessaire. Sur quoi vous basez-vous dès lors ?
M. Raoul Hache. J'ai déjà dit que nous ne nous sommes pas prononcés pour ou contre une législation. Nous nous en sommes prudemment tenus au domaine de la déontologie médicale.
Mme Jeannine Leduc. En tout cas, la presse a rapporté que selon l'Ordre de médecins, aucune modification de loi et aucune loi n'était nécessaire.
M. Raoul Hache. Ce qui est rapporté dans la presse est souvent très différent de ce qui a été exprimé. L'Ordre ne se prononce pas sur les propositions de loi, ni en faveur ni contre. Nous nous bornons à faire quelques réflexions. Nous n'excluons pas l'intervention du législateur pour mettre fin à certaines situations intolérables. La presse vous a mal informés. Nous restons disposés à éclairer de notre point de vue les aspects déontologiques d'une initiative législative. Dans le domaine, nous sommes la partie demanderesse.
M. le président. À ce sujet, Mme de T'Serclaes avait posé une question relative à la légalisation du code de déontologie.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Oui, monsieur le président.
La première question que j'avais posée concernait la phase terminale. Elle est reprise dans le Code de déontologie médicale. Quelle définition en donnez-vous ? C'est un des éléments centraux du débat.
Deuxième question : vous avez dit que vous n'étiez pas tellement favorable au testament de vie car vous aviez eu de mauvaises expériences. Quelles sont-elles ?
M. Franz Philippart. Il est très difficile de définir la phase terminale car elle est basée sur des signes cliniques, sur une série de paramètres d'examens qui permettent de dire que tel patient est entré dans une phase terminale fort probablement irréversible. En donner une définition me paraît scientifiquement impossible. Cependant, chaque médecin, de par sa pratique, sait ce que recouvre cette notion.
Quant aux mauvaises expériences, je vous ai donné l'exemple des déclarations qu'il fallait faire et du caractère rebelle qu'elles avaient aux yeux du médecin.
J'ai formulé une série de questions mais non des affirmations. Selon moi, cette manière de procéder comporte quelques dangers.
M. Raoul Hache. Quand je parle de mauvaises expériences avec les testaments de vie, je dis qu'un testament de vie ne reste pas toujours valable. Ce sont surtout les équipes de soins palliatifs qui sont confrontées à ce problème. Elles nous disent qu'un testament de vie est souvent révoqué. C'est lié à la façon dont le malade est reçu et accompagné. Cette question pourrait être posée spécifiquement aux équipes de soins palliatifs. Les médecins sont confrontés dans leur propre pratique, et les médecins de famille davantage que les spécialistes, à des patients qui disent, à une certaine étape de leur vie, que si la fin approche, ils veulent recevoir une injection. Mais le moment venu, ils n'en parlent plus. C'est lié à la façon dont ils sont accompagnés. Un testament de vie n'est donc pas crédible à 100 %. Par exemple, dans la situation très pénible de pré-démence, un testament de vie peut être prononcé en phase de lucidité, avec ou sans témoins. Si ces personnes deviennent par la suite tout à fait démentes et qu'elles n'ont plus de phases de lucidité et sont donc tout à fait incapables d'exprimer une volonté, on peut se demander si elles veulent être traitées selon les dispositions de leur testament de vie. Il est impossible de répondre de façon simple à cette question. L'ordre n'a pas non plus de réponse à cette question.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Ma question portait plutôt sur la valeur que l'on peut accorder à cela, quand le patient est inconscient et qu'il ne peut plus exprimer sa propre volonté comme il l'aurait fait auparavant, c'est-à-dire par une déclaration anticipée. Cependant, comme vous-même l'avez dit, ainsi que d'autres médecins généralistes, les gens veulent pouvoir dire à leur médecin : « Docteur, si je me trouvais dans telle situation, assurez-moi que je ne ferai pas l'objet d'un acharnement thérapeutique, etc. » C'est un besoin exprimé par de nombreux patients qui veulent avoir l'assurance que l'on tiendra compte de ce qu'ils souhaitent profondément s'ils n'étaient plus capables de dire leur volonté. Il ne s'agit pas de mauvaises expériences au sens où l'on aurait commis, par la suite, un acte allant à l'encontre de la volonté du patient.
M. Raoul Hache. Vous avez tout à fait raison. C'est la tâche du médecin de s'occuper, de soigner ou, ce qui est plus encore, de prendre soin de son patient jusqu'à la fin.
M. le président. Un médecin, peut-être le docteur Vankrunkelsven, a réagi en disant que ce n'était pas la tâche du médecin de pratiquer l'euthanasie. Il a demandé qui devait le faire.
M. Raoul Hache. C'est notre question. Nous n'avons pas directement de réponse à cela. La décision de procéder à un acte d'euthanasie doit toujours être effectuée en concertation avec le médecin et le patient, pas une concertation fortuite mais une concertation basée sur une relation solide entre médecin et patient. La décision doit ensuite être prise en dernière instance par le médecin. C'est sa responsabilité. La question que je pose est de savoir si la responsabilité entière de cette décision commune doit être mise exclusivement sur les frêles épaules du médecin. J'ai difficile à accepter cela. Une initiative législative pourrait peut-être fournir une solution.
Mme Jeannine Leduc. C'est tout de même le médecin qui doit mettre en oeuvre la décision commune.
M. Raoul Hache. Où est-il écrit que le médecin est obligé de faire cela ? Pour moi, ce n'est pas clair.
M. Patrik Vankrunkelsven. Nous sommes ici à poser des questions mais nous ne recevons que des questions en retour. Nous demandons que l'Ordre se prononce.
M. Raoul Hache. La question ne peut recevoir de réponse que de l'Académie royale de Médecine. Elle relève de sa compétence. En tant qu'Ordre, nous ne pouvons pas nous prononcer sur un acte médical.
M. Jean-Marie Dedecker. On devrait pouvoir poser cette question à l'Ordre.
M. Raoul Hache. Je l'ai déjà posée au secrétaire perpétuel de la Chambre flamande de l'Ordre. Je l'ai également posée au Comité consultatif de bioéthique, mais là non plus on n'y a pas répondu.
M. Jean-Marie Dedecker. Mais le Comité adopte tout de même des points de vue.
M. Raoul Hache. Il a adopté quatre points de vue, afin que le législateur puisse choisir. Mais là non plus, il n'y avait pas de consensus, tout comme il n'y aura jamais de consensus sur de telles questions de vie au sein du corps médical.
M. Jean-Marie Dedecker. Comment peut-il y avoir un consensus lorsqu'on sait qu'aucune enquête n'est menée ? Certains professeurs affirment ici qu'il y a peu de demandes d'euthanasie. Vous-même dites que beaucoup de patients vous demandent une injection. Pourquoi l'Ordre ne réalise-t-il pas lui-même une enquête ?
M. Raoul Hache. Parce que nous ne disposons pas des moyens nécessaires.
M. Jean-Marie Dedecker. Mais vous avez bien une opinion ?
M. Raoul Hache. Non, je ne pose pas de jugement. Nous tentons d'en sortir un peu par le biais de recherches en cours dans différents pays, comme par exemple l'étude belgo-néerlandaise.
Je dois également constater que l'association internationale ne conduit pas non plus de recherche. Le dernier avis date de 1992. Si l'on demande une recherche complémentaire, on nous renvoie toujours à ces deux avis qui ont été émis. On ne souhaite rien y changer. Sur le plan international, nous ne recevons pas plus de soutien. Nous ne demandons pas mieux que de disposer d'une recherche scientifique approfondie et détaillée.
M. Jean-Marie Dedecker. On a pourtant mentionné des recherches australiennes et canadiennes. Il y a aussi une polémique aux États-Unis sur ce médecin de la mort. Je suppose que vous êtes quand même au courant de ces études ?
M. Raoul Hache. Oui, mais ces études ne peuvent pas toujours être extrapolées.
M. le président. Mme Nyssens demandait si vous aviez des contacts avec des collègues étrangers qui connaissent cette pratique dans leur pays, par exemple des Canadiens. Une autre question intéressante de Mme Nyssens était de savoir s'il ne serait pas opportun de passer du plan déontologique au plan légal, justement en ce qui concerne toute cette problématique.
M. Franz Philippart. Mme Nyssens a évoqué une législation éventuelle sur les droits des patients comme intermédiaire(s), mais nous sommes tout à fait preneurs. Des essais ont déjà eu lieu. M. le ministre Colla avait remis des propositions de loi et avait organisé un symposium en janvier 1998, je crois, symposium auquel nous avons participé et au cours duquel nous nous sommes exprimés.
Pour ce qui est des contacts internationaux, M. Hache répondra mieux que moi, car il en fait partie. Notre Ordre est représenté régulièrement sur le plan mondial, à plusieurs niveaux. Il a donc l'occasion de débattre de ces questions et les avis qui sont émis à l'issue de ces réunions sont répercutés dans les conseils provinciaux qui ont tout lieu de les étudier.
M. Jan Remans. Depuis 1975, aucune règle déontologique n'a plus été fixée dans un arrêté royal. L'Ordre n'a même pris aucune initiative dans ce sens. Il n'existe plus aucune sécurité juridique pour les médecins.
M. Raoul Hache. Il y a eu deux tentatives, mais les ministres compétents n'ont jamais réagi. On nous a dit que c'était politiquement impossible. Après deux rejets, nous avons en effet abandonné.
Mme Jeannine Leduc. De quels ministres s'agit-il ?
M. Raoul Hache. Des ministres Colla et Dehaene, si je ne me trompe.
M. Jan Remans. Cela s'est-il passé par écrit ?
M. Raoul Hache. Oui certainement.
M. Jan Remans. Est-il vrai que la raison doit être cherchée dans le fait que l'avortement thérapeutique ne pouvait pas être repris ?
M. Raoul Hache. C'est ce qu'on dit, oui. Le fait que l'avortement thérapeutique était considéré comme admissible du point de vue médico-déontologique aurait constitué le principal obstacle à la légalisation du code.
M. Jan Remans. Cela aurait-il pu également expliquer pourquoi il existe des obstacles à l'élaboration d'une législation sur l'euthanasie ?
M. Raoul Hache. C'est possible. Mais nous ne pouvons pas reprendre dans notre code déontologique des directives qui vont à l'encontre de la loi.
M. Jan Remans. C'est pourquoi nous voulons modifier la loi.
M. Raoul Hache. Je suis d'accord sur ce point. Nous ne sommes pas opposés à cela.
M. Philippe Monfils. J'ai été un peu étonné d'entendre nos honorables orateurs nous dire que la presse avait mal interprété l'attitude du Conseil de l'Ordre en disant pratiquement qu'il était contre une législation. Ils nous disent n'avoir jamais déclaré cela. Permettez-moi une remarque. Encore aujourd'hui, vous avez relevé huit points des propositions présentées ici, auxquels vous êtes totalement opposés. Donc, vous persistez et vous signez, en disant que vous n'êtes d'accord sur quasiment aucun des points qui font l'objet d'une proposition. C'est un peu comme si vous disiez : je n'aime pas le moteur d'une Fiat, ni sa suspension, ni sa direction, ni sa couleur, ni ses sièges, mais je n'ai jamais dit que je n'aimais pas la Fiat. C'est évidemment cela le problème. Je crois que, fondamentalement, vous ne voulez pas une législation, et la presse ne s'y est pas trompée. Appelons un chat un chat. Chacun ici est libre de ses opinions. Dites-nous qu'en effet, vous estimez inutile de légiférer, et les choses seront claires. Sinon, je crois que vous êtes mûrs pour devenir de grands diplomates internationaux.
M. Franz Philippart. Je crois que vous avez mal interprété mes huit points. En les reprenant, j'ai précisément montré que j'étais attentif à la proposition qui était faite. Pour chacun des points, j'ai donc émis des objections et posé des questions auxquelles les réponses sont attendues.
M. le président. Donc, vous confirmez bien que l'Ordre des médecins, en tant que tel, ne se prononce ni pour ni contre une législation en matière d'euthanasie.
M. Franz Philippart. L'Ordre des médecins vous a répondu et essaie de répéter tant et plus, mais cela ne semble pas bien passer, qu'en ce qui concerne la pratique médicale, face aux problèmes rencontrés sur le terrain, notre code de déontologie contient déjà la possibilité pour les médecins de répondre aux situations. Point à la ligne.
M. le président. Donc, vous n'êtes pas demandeurs.
M. Franz Philippart. Nous ne sommes pas demandeurs.
Mme Kathy Lindekens. Je vais brièvement répéter et clarifier mes questions, car il semble qu'elles aient été oubliées.
Ma première question avait trait à l'enquête à laquelle M. Philippart se référait et dont il dit lui-même qu'elle n'était pas complète. Combien de médecins ont été questionnés ? Quelles questions ont été posées précisément et quelles conclusions en a-t-il tirées ?
Ma deuxième question avait trait à la communication sur la fin de vie et en cas de fin de vie du patient, mais aussi à la communication entre médecins et patients à un stade bien plus précoce. Trouve-t-il que la communication se déroule de manière optimale ? Si non, la formation doit-elle être modifiée ?
Troisièmement, je souhaite lui demander aussi s'il ne trouve pas que la discussion portant sur l'introduction « assez rapide » ou « beaucoup plus rapide » de la mort n'est pas une discussion symbolique ?
M. Raoul Hache. Dans son ensemble, la communication entre médecin et patient n'est pas ce qu'elle devrait être. Des efforts sont consentis, tant pour la formation universitaire qu'au cours des recyclages, afin de faire de plus en plus comprendre aux médecins l'importance d'une bonne communication avec leurs patients et de leur enseigner des techniques de communication, y compris en matière de « conversation annonçant la mauvaise nouvelle ». Il y a des années, j'ai été moi-même le premier à suivre un cours à ce sujet aux Pays-Bas. La communication patient-médecin doit certainement être remaniée, car elle n'est pas ce qu'elle devrait être, tout comme la communication entre médecins et infirmières ne se déroule pas non plus de façon appropriée. Nous en reparlons régulièrement dans nos avis et dans notre revue. Le problème est que seul un petit pourcentage des médecins y réagit.
Mme Jeannine Leduc. Nous voulons justement que cela soit imposé par la loi.
M. Raoul Hache. Cela ne nous ferait absolument aucun tort, madame, de mettre davantage l'accent sur les formations et le recyclage.
Mme Kathy Lindekens. Ma question portait également sur la manière d'aborder, dans cette communication, la demande d'euthanasie du patient. La mauvaise communication entre le médecin et son patient et vice versa explique-t-elle aussi pourquoi il n'y a pas plus de patients qui demandent l'euthanasie ? M. Philippart a dit que cette demande n'est presque jamais formulée.
M. Raoul Hache. Je pense que vous avez absolument raison sur ce point. Si cette demande est formulée trop souvent, trop rapidement ou trop peu, c'est un signe que la communication est déficiente. Les médecins qui disent qu'ils n'ont jamais entendu de demande d'euthanasie au cours de toute leur carrière, doivent quand même se poser des questions sur leur communication avec leurs patients.
M. le président. La question porte sur le nombre de personnes concernées par l'enquête dont vous avez parlé.
M. Franz Philippart. Je ne saurais préciser. C'est une enquête qui ne porte qu'au niveau médical. Je pense que ces questions pourraient toucher à peu près 3 000 médecins. Les réponses arrivent avec beaucoup de lenteur, comme si les médecins avaient peur d'aborder le sujet. Donc, cela, c'est à partir de l'avis qui a été publié par le Conseil national. Nous leur demandons de réagir et, par conséquent, d'exposer leurs pratiques. À côté de cela, il y a des membres, en tout cas de notre conseil provincial, qui rencontrent les médecins sur le terrain, lors de réunions, qui discutent avec eux de ces problèmes tout cela prend beaucoup de temps et qui les invitent à exposer leurs pratiques.
Certains disent, il est vrai, que la question est parfois posée par un patient au cours de problèmes de vie finissante et que l'éventualité d'une euthanasie est évoquée sous forme d'une question. Cela, c'est clair. Mais les demandes formelles restent encore assez rares, même s'il faut bien admettre que cela ira croissant parce qu'il y a quand même une ambiance, une information importante du public à ce sujet. Il est par conséquent normal que la question soit plus souvent posée. Mais je pense qu'au niveau de la communication et j'appuie tout à fait ce que Raoul Hache a dit il existe réellement un problème. Nous avons trop connu, surtout dans les hôpitaux, des fuites des médecins devant les vies finissantes. On passe la chambre, on va plus loin, on ne contacte plus le malade. Et donc, il y a là un problème fondamental de formation.
Par contre, en médecine générale, j'ai été très heureux de remarquer qu'actuellement, en tout cas parmi les jeunes médecins, il y avait une attention soutenue à ces problèmes et une volonté de rencontrer les problèmes de face et d'accompagner le malade jusqu'au bout. Il y a peut-être là un changement de mentalité. Cela pour vous dire qu'au niveau des universités, il faudrait peut-être que cette question soit abordée plus largement, de façon à donner aux futurs médecins une formation suffisante pour pouvoir aborder ces problèmes en toute sérénité.
M. le président. Monsieur Philippart, vous avez commencé votre dernière intervention en disant que vous n'avez par reçu beaucoup de réponses parce qu'apparemment, les gens ont peur. N'est-ce pas là le fond du problème ? Le travail que nous faisons ici n'est-il pas précisément de nature à faire en sorte que cette peur n'existe plus et qu'on sorte enfin excusez-moi de le dire de cette espèce d'hypocrisie dans laquelle tout le monde baigne ?
M. Franz Philippart. Mais vous avez tout à fait raison. Je vous ait dit à un moment donné que je me réjouissais que ce débat ait lieu, non seulement ici mais aussi en public, et que tout cela ne peut que susciter la réflexion. Mais, évidemment, il faut s'en donner le temps et il faut que cette réflexion soit large et complète et que tout le monde puisse s'exprimer.
M. le président. C'est le but de nos travaux.
M. Paul Galand. Pouvez-vous me rappeler si des magistrats siègent au Conseil national ?
M. Franz Philippart. Oui.
M. Paul Galand. Sont-ils associés aux avis qui sont donnés ?
M. Franz Philippart. Bien entendu.
M. Jean-Marie Happart. Combien de magistrats siègent-ils au Conseil national, par rapport au nombre de médecins, quand le Conseil national rédige son avis ?
M. Franz Philippart. Il y a deux magistrats, qui sont les présidents.
M. Jean-Marie Happart. Et qui sont donc associés à la rédaction de l'avis ?
M. Franz Philippart. Bien sûr.
M. Georges Dallemagne. Je vous avoue que je suis un peu resté sur ma faim pour ce qui est de la question que j'avais posée concernant les interventions de l'Ordre des médecins basées sur le code de déontologie en matière d'acharnement thérapeutique ou d'euthanasie. Encore une fois, ces problèmes existent et l'acharnement thérapeutique est vécu par la population comme une problème extrêmement important. Cela provoque énormément d'inquiétude chez des patients ou des personnes qui sont en fin de vie. Je ne comprends pas qu'il n'y ait jamais eu, d'après ce que j'ai compris de votre réponse, d'intervention de l'Ordre des médecins, de procédure, de sanction ou que sais-je, à l'égard de médecins qui auraient été coupables d'un tel acharnement, sans parler de l'acte d'euthanasie. Vous dites que vous n'êtes pas informés, que vous n'avez pas de possibilité d'instruction dans ce domaine. Mais certains problèmes d'euthanasie figurent dans la presse, ils sont donc de notoriété publique.
L'acharnement thérapeutique je suis médecin moi-même n'est pas seulement une crainte des patients, c'est un véritable problème parce qu'effectivement, certains hôpitaux, pour des raisons économiques, infligent, dans certains cas, à des patients qui ne le demandent pas, des examens médicaux ou des traitements tout à fait disproportionnés. Cela ne montre-t-il pas que le Code de déontologie en la matière ne suffit pas, puisqu'il n'y a pas d'intervention de votre part ? Cela ne démontre-t-il pas que là, il est nécessaire d'aller plus loin et de légiférer en la matière ?
M. Franz Philippart. Nous nous situons à un niveau disciplinaire. Donc, les affaires qui sont portées à notre connaissance sont évidemment des plaintes. À partir de ces plaintes, comme vous le savez, il y a une instruction, qui peut aboutir éventuellement à une sanction. En matière d'euthanasie j'ai revu toutes les sentences du Conseil provincial du Hainaut depuis 1955 jusqu'à nos jours il n'y en avait aucune. Est-ce que pour autant, le problème n'existe pas ? Certainement pas. Je crois qu'il est rarement l'occasion d'une plainte et cela peut se comprendre pour diverses raisons.
Mais vouloir dire que tout doit se régler par le code de déontologie, c'est un pas que je ne franchirai pas. Je crois qu'en ces matières, le code de déontologie est susceptible de donner au médecin des balises entre lesquelles il peut cheminer et d'éviter certains débordements. Par contre, je crois très fort, en complément, à l'intervention à ce niveau des comités d'éthique qui, dans des situations locales spécifiques peuvent quand même susciter la réflexion, inviter les médecins, les entraîner à mener une réflexion éthique sur ces problèmes et à discuter des cas qui se présentent à eux. De là l'intérêt, pensons-nous, de multiplier ces comités d'éthique et de les « extrahospitaliser » en quelque sorte, en les associant également à la pratique de médecine générale et dans les homes.
Mme Ingrid van Kessel. Dans les critères de diligence, vous mentionnez quatre points. Un des ces points stipule que le médecin doit communiquer ses intentions. Cela signifie-t-il que, dans le code, il soit explicitement mentionné qu'un médecin peut soumettre lui-même une proposition d'euthanasie à un patient ?
Vous dites qu'un état de nécessité peut survenir tant chez des personnes capables d'exprimer leur volonté que chez les personnes qui en sont incapables. Que devons-nous penser de l'autonomie des personnes incapables d'exprimer leur volonté ?
Chez beaucoup de personnes, des sentiments d'agitation sont apparus lorsque les médecins ont commencé à parler des facteurs économiques qui peuvent jouer un rôle dans le cas de l'euthanasie. Dans quelle mesure cela représente-t-il aujourd'hui une réalité et surtout, dans quelle mesure cela représente-t-il un risque pour l'avenir ?
M. Raoul Hache. Il n'est pas facile de se prononcer sur l'euthanasie économique pour l'avenir.
La distinction entre des personnes capables d'exprimer leur volonté et celles qui en sont incapables est difficile à établir pour tout le monde, même pour le comité consultatif. Nous sommes convaincus du fait que le même état de nécessité extrême peut survenir chez les personnes incapables d'exprimer leur volonté que chez celles qui en sont capables. Dès lors, à qui incombe la décision ?
Lorsqu'il s'agit d'une situation définitive d'incapacité de volonté, il n'est plus possible de demander l'avis du patient. On ne peut pas alors simplement imposer l'euthanasie ni mettre la demande d'euthanasie de côté, car cela serait abandonner le patient qui a besoin de soins. Nous non plus, en tant que médecins, ne pouvons pas résoudre immédiatement le problème de la décision des personnes incapables de volonté. C'est également difficile pour nous.
Je travaille énormément dans les RVT et les MPI, où les personnes incapables de volonté connaissent des états très pénibles. Tant les médecins que les infirmières et les membres de la famille posent des questions sur le sens de cette vie. Mais si nous adoptons une attitude trop radicale à cet égard, nous devrions éliminer beaucoup de personnes. Nous devons donc être prudents, et ce également dans nos déclarations. Il n'existe pas de réponse complète à cette question, mais nous-mêmes ne sommes pas non plus capables de donner un avis déterminant dans ce domaine.
La mention dans les critères de diligence que le médecin doit communiquer ses intentions signifie que le médecin ne peut pas jouer à cache-cache avec son patient. Le fait que l'information correcte ne correspondrait pas à la philosophie du patient ne l'autorise pas à donner de fausses informations. Si le médecin envisage un acte de fin de vie, il doit le dire au patient. Mais il doit savoir choisir le bon moment, car il est parfois très préjudiciable d'en parler trop tôt. L'essentiel est de causer le moins possible ou, de préférence, aucun préjudice au patient. Il n'est cependant pas toujours facile en tant que médecin de prendre la décision correcte dans de telles circonstances. Tous les médecins ici présents pourront confirmer cela.
M. Jan Remans. Si nous consignons dans la loi des critères de prudence pour les personnes capables de volonté, ne pourrions-nous alors pas limiter l'état de nécessité aux personnes incapables de volonté ?
M. Raoul Hache. Nous n'avons pas encore réfléchi à cette question. Une décision en ce sens serait possible si elle est bien étayée et si les mesures de diligence nécessaires sont prévues. Nous avons en effet toujours peur des abus. Il y a déjà eu beaucoup d'abus, en tout cas en médecine.
Quelqu'un a demandé s'il existait des contacts entre l'Ordre des Médecins et les RVT, où sont accueillis beaucoup de patients en phase terminale, et surtout de patients déments en phase terminale. Il y a quelques mois, deux médecins travaillant dans les RVT nous ont demandé si nous trouvions déontologiquement acceptable de créer une sorte de comité éthique dans les RVT, afin que le médecin ne doive pas rester seul. Nous avons répondu de manière positive mais avons aussi posé la condition qu'il faut trouver suffisamment de gens compétents pour faire partie de tous ces comités éthiques. Ce problème se pose déjà maintenant pour les hôpitaux. Nous avons aussi envoyé cet avis à tous les conseils provinciaux afin qu'ils le communiquent à leurs membres. Nous entreprenons donc bien certaines choses, mais on ne peut pas changer sans aucune raison quelque chose d'un mois à l'autre.
Mme Mia De Schamphelaere. On a beaucoup parlé de la communication entre médecin et patient, cette relation intime où tout doit pouvoir se dérouler de façon aussi ouverte que possible. On n'a pas parlé d'une question générale relative à la communication des médecins ou de l'Ordre des médecins avec la société. Nous sommes entrés dans un très large débat. On présente parfois la situation comme si chacun de nous devait finir notre vie dans une souffrance insupportable.
Le monde médical a beaucoup changé ces vingt dernières années. L'Ordre des médecins ne doit pas adopter de position trop défensive, mais doit également dire à la société quelles sont les solutions qui existent en ce moment. Il y a l'euthanasie ou, comme l'a dit mon collègue Moreels, l'orthonasie. Il s'agit de prendre la décision correcte au moment correct en ce qui concerne l'arrêt des interventions, la lutte de douleur, mais aussi en ce qui concerne la demande formulée par le patient de ne jamais l'abandonner. Le patient demande de pouvoir compter sur une injection afin de ne pas connaître une mort trop pénible. Je pense que la science médicale parle beaucoup trop peu de ce qui est médicalement possible aujourd'hui.
M. Raoul Hache. La communication entre l'Ordre des médecins et la société est déficiente depuis longtemps. Je l'admets. Nous travaillons depuis un certain nombre d'années à la communication, tant vers les médecins que vers la société entière. Cependant, nous ne sommes pas toujours entendus ou on ne veut pas toujours nous entendre. C'est pourquoi une grande partie de cette communication n'atteint pas son objectif. Nous comprenons très bien qu'un certain nombre de lacunes doivent être palliées. Ces dernières années, nous y avons progressivement réussi. Beaucoup de choses doivent changer. Il n'est pas toujours facile de faire introduire ces changements.
Audition publique avec le professeur Paul Schotsmans, Centre pour l'éthique biomédicale et le droit, KU Leuven
M. Paul Schotsmans. Je vous remercie de m'avoir invité à présenter mon point de vue ici, que je formule évidemment en mon nom personnel. Je travaille depuis 1984 comme éthicien médical à la Faculté de médecine de la KUL et participe donc aussi, depuis 1984, à la concertation éthique au sein des Hôpitaux universitaires de la même université. Par ailleurs, je suis aussi président de trois comités éthiques locaux (Munsterbilzen, Bierbeek, Idewe Haasrode) et vice-président de la Commission d'éthique de l'Association des institutions de soins, le VVI. Ma contribution est surtout de nature médico-éthique. Je ne suis ni juriste ni politicien. La responsabilité politique réside évidemment chez vous, messieurs et mesdames les sénateurs. C'est d'ailleurs ainsi que nous l'avons conçu dans les deux avis portant sur la fin de vie du Comité consultatif belge de bioéthique.
Introduction
La thématique de l'acte médical relatif à la vie finissante occupe ma spécialité, l'éthique médicale, depuis des siècles déjà (cfr. la distinction entre les moyens simples et les moyens exceptionnels, qui remonte au Moyen-Âge), mais les possibilités apparemment illimitées de la médecine ont donné lieu, depuis le début des années septante, à une réflexion nouvelle et innovatrice. Quiconque traite de cette thématique est plus ou moins familier avec le cas de Karen Ann Quinlan aux États-Unis (qui a débuté vers 1975) : une jeune étudiante, qu'on a conduite inconsciente à l'hôpital et à qui on a administré la respiration artificielle jusqu'à ce que ses parents aient reçu du juge la permission de l'arrêter. Cette patiente semblait alors se trouver dans un état végétatif permanent, dans le cadre duquel la respiration artificielle ne s'impose pas. Cependant, les parents non plus n'ont jamais voulu demander l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles. Ce type de cas tout comme le cas également connu de Baby Doe et de Baby Jane Doe en néonatalogie ainsi que nombre d'autres cas a incité la bioéthique internationale à élaborer un cadre éthique concernant l'acte médical lors de la vie finissante. Vous présenter ce cadre fait partie de ma mission.
J'exposerai mon point de vue à partir de trois thèses. La première et la deuxième thèse se réfèrent au cadre éthique large concernant la vie finissante. La troisième thèse est une sorte de commentaire sur la proposition de loi du 20 décembre, et je souligne encore une fois que je souhaite développer ici une argumentation médico-éthique.
Trois thèses :
1º La réflexion éthique a, dans la pratique de l'acte médical auprès des patients en phase terminale, produit un revirement.
2º Ce revirement est apparu en raison de la reconnaissance implicite et complète de la distinction radicale entre le « laisser mourir » et le « tuer ».
3º Si on me demande mon avis sur une éventuelle législation, il n'y a qu'un seul adage : une réglementation transparente s'impose.
La première thèse : l'éthique a fait adopter à l'acte médical une ligne de rejet radical de l'acharnement thérapeutique.
À partir de 1985, la Commission de Louvain pour l'éthique médicale a commencé par rédiger des directives pour l'acte médical relatif à la vie finissante. Pourquoi était-ce nécessaire ? Parce que la technologie médicale était devenue tellement puissante que les médecins ne faisaient souvent plus que prolonger les vies; à cet égard, le principe d'Hippocrate de respect pour la sacralité de la vie était déterminant. Cela signifiait que les médecins continuaient à faire tout ce qui était possible, tant que la vie était physiologiquement présente.
Je me souviens encore très bien des premières réunions avec des médecins responsables de patients en phase terminale. J'ai été étonné que beaucoup d'entre eux aient dit qu'ils n'avaient pas encore vraiment osé en parler publiquement jusqu'alors. Et nous parlons de la période de 1985, lorsque Mme Wivina Demeester De Meyer avait commencé la préparation du colloque national de réflexion Bioéthique des années 90.
C'est pourquoi nous avons essayé d'ancrer un processus de décision dans la pratique médicale. Auparavant, les médecins anticipaient avec anxiété le moment où ils devraient prendre une décision sur la technologie utilisée chez un patient mourant. Avec notre commission nous avons essayé de faire prendre conscience du fait que les médecins prennent toujours des décisions, même s'ils semblent ne rien décider et semblent simplement continuer à traiter le patient.
La véritable question pour un médecin qui se trouve dans ces situations de décision difficile n'est donc pas « quand puis-je arrêter ? » mais bien « quand est-ce sensé de prolonger artificiellement un processus de mort dont l'issue est irréversible ? » Cela demande une réflexion avec le patient et sa famille, avec l'équipe infirmière, les autres membres du personnel, ... Par le biais de séminaires de formation, nous tentons de faire intervenir en permanence ce processus de décision.
Après quelques années, nous avons remarqué que cela ne réussissait pas encore tout à fait. Nous avons alors commencé à élaborer un formulaire pour le dossier médical et infirmier, avec un codage clair. Nous avons trouvé assez de modèles à cet effet dans la littérature internationale.
Généralement, il y a trois codes, bien qu'un médecin liégeois m'ait fait savoir qu'il travaille avec quatre codes et bien que je sache que les médecins en soins intensifs préfèrent travailler avec cinq codes sur le plan international. Après un examen plus approfondi, tous cela revient cependant au même. Un code zéro est employé pour indiquer qu'on veut faire tout ce qui est possible pour garder le patient en vie, étant donné l'impression qu'un rétablissement réel est encore possible. Le code 1 signifie ne plus réanimer, le code 2 ne plus démarrer de nouvelles thérapies (ce qu'on appelle le « withholding »), le code 3 réduire progressivement les thérapies en cours (le « withdrawing ») et passer aux soins de confort maximaux.
Il est d'usage d'associer le patient, la famille, l'équipe soignante et le personnel à chaque changement de codage. Une fois le code convenu, tout le monde doit s'y tenir. Un médecin de garde intervenant de façon fortuite ne peut pas de sa propre initiative reprendre toute la procédure à zéro ... Cela signifie que les médecins apprennent à réduire progressivement la thérapie de prolongation de vie lorsqu'ils remarquent qu'elle est devenue inutile médicalement. Parler à cet égard de « fin de vie », tel que dans une étude citée à maintes reprises ces dernières semaines, est donc porter préjudice à l'acte médical véritable.
Ce codage n'est qu'un moyen de circonscrire le problème de l'acharnement thérapeutique. Il y avait encore d'autres dilemmes éthiques difficiles : Un de ceux-ci est le traitement des patients se trouvant dans un état végétatif permanent. Si on poursuit chez ces patients l'alimentation et l'hydratation artificielle, ils peuvent continuer à vivre pendant des années, sans aucune chance réelle de retrouver la conscience. C'est pourquoi nous avons aussi élaboré un avis à ce sujet : lorsque le diagnostic est absolument formel qu'il s'agit d'un patient végétatif permanent ce qui n'est pas toujours facile ni simple , il faut, avec la famille et l'équipe soignante, décider de la possibilité de réduire progressivement la prolongation artificielle de cette vie physiologique. Chaque décision reste cependant un événement individuel. Des soins de confort maximaux sont naturellement prodigués lors de la réduction progressive de l'alimentation et de l'hydratation artificielles. Si des sensations de douleur apparaissaient à un niveau subconscient (tronc cérébral), ce dont doute l'American Academy of Neurology, on peut dans tous les cas y remédier au moyen d'analgésiques appropriés. L'hygiène corporelle générale, comme l'hydratation buccale et autres soins infirmiers, doit, en phase terminale, toujours recevoir l'attention nécessaire.
Ce travail d'orientation et de conseil de la Commission en matière d'éthique médicale a en fin de compte mené à l'intégration structurelle de la médecine palliative aux soins des patients en phase terminale. Le passage de « cure » (traitement curatif) à « care » (soins) est un événement important, qui doit être suivi avec toute l'attention voulue. La proximité est toujours centrale en ce qui concerne le patient en phase terminale : une attitude de soins complets, par laquelle on veut donc conférer une qualité aux derniers jours de vie.
Tout cela ne constitue évidemment pas une euthanasie, mais un ensemble d'actes compétents et diligents du point de vue médical vis-à-vis des patients en phase terminale. L'acte médicalement justifié chez les patients en phase terminale doit effectivement comporter un maximum de diligence, chaque intervention médicale disproportionnée étant interrompue ou progressivement réduite.
Le mobile éthique est celui de la proportionnalité : lorsqu'une intervention médicale est démesurée par rapport au résultat qu'on peut en escompter, elle doit pouvoir être réduite progressivement.
Pour une fois, je veux me référer ici à la tradition catholique romaine, dans le cadre de laquelle je travaille en tant qu'éthicien médical. Travailler avec un processus de considération proportionnel est un acquis au sein de la théologie morale catholique romaine, tout à fait conforme aux déclarations de Pie XII (1957) et de la Congrégation pour le Dogme (Déclaration sur Euthanasie de 1980), et même à l'Encyclique Evangelium Vitae de Jean Paul II.
Dans la pratique médicale, il s'agit surtout du développement d'une culture de décision, qui, au niveau du travail médical, doit pouvoir se dérouler dans une transparence totale. Ceci signifie que chaque décision doit, autant que possible, être un événement d'équipe, à laquelle, outre le patient et sa famille, participent également les infirmières.
Évidemment, ce travail n'est jamais terminé et il s'agit de développer un effort toujours répété afin de développer cette culture valablement. Je comprends donc bien que nous n'y soyons pas encore arrivés tout à fait et que des situations intolérables peuvent encore survenir, mais les efforts consentis par l'éthique afin de parvenir à ce type de processus clairs de communication ont tout de même commencé à porté leurs fruits.
Mon collègue Van Neste veut légaliser les codes existants en matière de réduction progressive de thérapie. Selon moi, nous avons surtout besoin de directives déontologiques claires. Je ne peux qu'espérer que l'Ordre des Médecins y travaillera à l'avenir.
L'article 13 du Traité européen pour l'éthique médicale et les articles 95-98 du Code de déontologie médicale jettent en effet de bonnes bases pour une pratique médicale responsable.
L'art. 13 : « La médecine implique un respect jamais abandonné pour la vie, pour l'autonomie morale et pour le choix libre du patient. En cas d'affection incurable et terminale, le médecin peut toutefois limiter son intervention au soulagement de la douleur physique et morale, en prodiguant les soins adéquats au patient pour rendre supportable cette dernière phase de vie. Il doit accompagner le mourant jusqu'à la fin et lui permettre de mourir dans la dignité. » (Approuvé par les représentants des 12 Ordres des Médecins des États membres de la CE le 6 janvier 1987 à Paris).
L'art. 95 : « Le médecin ne peut pas délibérément provoquer la mort de son patient ni l'aider à se suicider. »
L'art. 96 : « Lorsqu'un malade se trouve dans la phase terminale de sa vie tout en ayant gardé un certain état de conscience, le médecin lui doit toute assistance morale et médicale pour soulager ses souffrances morales et physiques et préserver sa dignité. Lorsque le malade est définitivement inconscient, le médecin se limite à ne prodiguer que des soins de confort. »
L'art. 97 : « L'attitude à adopter dans les situations visées à l'article 96, notamment la mise en route d'un traitement ou son arrêt, est décidée par le médecin ayant la charge du patient, après avoir demandé conseil à un confrère au moins, et en avoir informé et recueilli l'opinion du patient ou, à défaut, de ses proches ou de ses représentants légaux. »
L'art. 98 : « En cas de perte irréversible et complète des fonctions du cerveau, déterminée selon les données actuelles de la science, le malade doit être déclaré décédé et les moyens médicaux de conservation artificielle doivent être arrêtés. Cependant ceux-ci peuvent être temporairement maintenus afin de permettre le prélèvement d'organes en vue de transplantation, dans le respect des volontés du malade et des dispositions légales. »
La deuxième thèse : la décision de laisser mourir dans la dignité une personne qui se trouve en phase terminale est radicalement différente du meurtre.
En tant que chrétien, et donc aussi en tant que démocrate convaincu, je suis spécialement reconnaissant du fait que je vis dans une civilisation où l'on fait tout pour poursuivre et sanctionner les gens qui persécutent et tuent leur prochain. L'acte de tuer son prochain est une transgression profonde de chacune des normes d'humanité. Nous sommes tous effrayés par les violations toujours courantes de cette norme éthique. C'est donc avec raison que dans un État de droit, l'État veut protéger de façon claire et évidente la vie de chaque citoyen par le biais du code pénal. Si le code pénal n'assure plus cette protection, ou si il permet des violations, une valeur fondamentale de d'humanité est transgressée.
Ceci vaut encore plus pour l'acte médical. L'apprentissage par le médecin de l'art de la guérison a duré des années. Parfois, il doit reconnaître son impuissance et alors, il doit soulager la souffrance du patient en développant une qualité de soins valable.
Lors du « tuer », le médecin déciderait directement du malade en causant sa mort de façon active; pour le « laisser mourir » accompagné médicalement, il accepte son impuissance vis-à-vis de l'évolution de la maladie et il laisse s'éteindre la vie finissante, tout en consentant le maximum d'efforts pour assurer le confort du patient et contrôler les symptômes.
Comme les médecins ne souhaitent pas considérer le meurtre d'un patient comme une partie de leur savoir-faire médical, il est par conséquent compréhensible et tout à fait sensé de rechercher une réponse médicale à des situations d'impuissance médicale extrême, qui d'ailleurs ne se produisent plus si souvent. Tant dans la culture anglo-américaine qu'en Europe, ceci a mené à l'expérimentation des possibilités de sédation contrôlée chez le patient en phase terminale présentant des symptômes réfractaires face à la mort. La sédation contrôlée signifie, dans le cadre de l'ensemble des soins palliatifs, d'obtenir une diminution de conscience mûrement réfléchie, afin de l'amener à un niveau permettant d'atténuer un ou plusieurs symptômes réfractaires apparaissant face à la mort. L'intention n'est donc pas de provoquer la mort ni d'accélérer le processus du mourir. Cette technique permet de laisser régulièrement le patient se réveiller pour pouvoir vivre ainsi encore un adieu profondément humain avec ses proches.
J'ai entendu récemment un jeune étudiant de 22 ans décrire la mort de son père âgé de 52 ans. Cette personne a pu rentrer à la maison et profiter une dernière fois de l'environnement familier qu'il avait construit, de faire ses adieux à sa femme et à ses enfants ... Il est mort en douceur. Il s'agit ici d'une humanité véritable, rendue entièrement possible grâce au savoir technique du médecin de famille accompagnant, qui était en contact régulier avec le spécialiste de l'hôpital. Ceci aussi, c'est la compassion et la dignité humaine !
Troisième thèse : une réglementation transparente est nécessaire en matière d'acte médical chez le patient en phase terminale. Par le biais du système de codage, une pratique médicale a pu naître et mener à la transparence. Ainsi, la feuille de code est un formulaire de double qui est conservé tant dans le dossier médical que dans le dossier infirmier du patient. On met ainsi tout en oeuvre pour permettre au patient de mourir dans la dignité, avec le concours de la famille et de l'équipe soignante. L'apport des soins palliatifs est indispensable à cet égard et il a fait naître une nouvelle dimension de vie pour beaucoup de personnes mourantes. La qualité des soins est l'objectif principal : un bon encadrement de soins palliatifs aide le mourant à voir la mort en face.
D'où également l'expérience selon laquelle, après avoir expliqué au patient de manière concrète et claire les possibilités de prise en charge, les demandes initiales d'euthanasie disparaissent ou ne sont plus réitérées.
Cela ne m'empêche cependant pas de reconnaître l'existence de dilemmes médicaux exceptionnels. Par conséquent, j'ai, depuis le tout début des discussions au sein du Comité consultatif, reconnu qu'il y a ces dilemmes d'autant plus que j'ai moi-même entendu des médecins les décrire à plusieurs reprises. Les patients cancéreux dont le traitement a été arrêté et qui, malgré les doses élevées de morphine et des soins palliatifs optimaux, restent conscients et souffrent vraiment demandent une attention très spécifique. La possibilité de sédation contrôlée est une réponse à ce problème, et selon moi, en tant qu'éthicien de conviction chrétienne, la seule réponse possible.
Mais je comprends, en tant que démocrate, vivant dans une société pluraliste, que d'autres veuillent permettre ici la fin de vie. J'espère que vous comprenez que cela n'est pour moi pas si évident à dire, mais je souhaite quand même le dire explicitement. D'où la reconnaissance de la nécessité d'une réglementation de ce type de dilemmes. Comme je l'ai déjà dit, le fait de tuer son prochain est, dans une société démocratique, une véritable transgression d'une norme fondamentale d'humanité. Si on veut malgré tout le permettre, des exigences absolument claires en matière de prudence doivent être formulées.
La troisième thèse du premier avis du Comité consultatif de bioéthique en découle. On a déjà fait remarquer que cette proposition a été conçue à l'origine par des éthiciens catholiques ce qui est correct mais personne ne peut nier que cette troisième proposition a conduit à un rapprochement important entre les représentants des différentes conceptions présentes au sein du Comité consultatif. Il est écrit littéralement : « le traitement de la proposition 3 a conduit à un rapprochement entre plusieurs partisans et adversaires de la disposition d'interdiction en matière d'euthanasie. Ceci a donné un certain essor aux discussions de la Commission restreinte 96/3, de sorte que la proposition 3 a reçu énormément d'attention et a fait longtemps l'objet d'un examen complémentaire ». Je me souviens encore très précisément du débat serein et élevé sur cet avis au Sénat en décembre 1997.
Quelles sont les caractéristiques cruciales d'une telle proposition ?
La transparence est très importante; donc, une justification préalable claire du processus de décision et une possibilité claire de justification ultérieure. Cela m'a fort étonné que, dans la proposition de loi du 20 décembre dernier, cette transparence ait disparu et que cette proposition ne permette de contrôler l'euthanasie qu'en apparence. N'enfermer l'événement d'euthanasie que dans un « colloque singulier » ouvre la porte à des abus. Vous semblez tous reconnaître que ces abus existent. Je veux par conséquent que tout soit fait sur le plan préventif pour que ce type d'abus préventifs ne puisse plus de produire, et qu'on tente donc, via des exigences de diligence, d'élaborer une pratique contrôlable et dont on puisse discuter.
Mettre fin à la vie de personnes sans qu'elles en aient fait la demande doit être rendu absolument impossible. Avec la proposition de loi actuelle, c'est difficile et c'est pourquoi je trouve qu'elle doit être affinée.
La discussion ouverte au préalable fera-t-elle souffrir le patient inutilement ? Quiconque affirme cela ne sait pas ce qui se passe autour d'un patient en phase terminale. Il s'agit en permanence de tout un processus de réflexion, de recherche d'une issue, d'exploiter au maximum les chances de rétablissement. Même l'intervention médicale la plus simple est préparée en détail au moyen d'avis et de contacts, alors pourquoi cela ne serait-il pas le cas lorsqu'il s'agit de prendre une décision irréversible ?
Tout cela ne dure-t-il pas trop longtemps ? Cela peut se passer très rapidement, car cela peut devenir un élément de la pratique médicale journalière. Chaque étape du codage décrit ci-dessus n'est mise en place qu'après une décision commune prise par l'équipe, en concertation avec le patient et la famille. Cette démarche est devenue une bonne pratique médicale, presque journalière. Il en va de même pour les unités de soins intensifs : on fait tout pour permettre ici de manière intensive la prolongation de vie. Ce processus est cependant évalué à plusieurs reprises et est confronté aux résultats. Ici aussi, le codage est un acquis. Lorsqu'on constate que cela ne produit aucun résultat et qu'on arrête ou réduit progressivement le traitement pour passer à des soins de confort maximaux, on ne pratique alors pas la fin de vie comme certains chercheurs ont voulu le faire croire récemment mais on pose un acte médical responsable.
Est-ce une violation de l'autonomie du patient ? Les adversaires d'une appréciation de nature plus médico-éthique craignent surtout que cela ne donne lieu à une violation de l'autonomie du patient.
Maurice Adams écrit avec raison dans De Standaard du 26 janvier 2000, que « l'estimation médico-éthique préalable doit surtout être considérée comme un soutien au médecin et au patient et pas comme un contrôle dont dépend la possibilité de passer à l'euthanasie ». Le dialogue au sein de l'équipe, en concertation avec un expert éthique (membre de la commission d'éthique médicale), doit être axé sur la qualité des soins et être considéré dans le contexte plus large des soins terminaux.
Le rôle de l'éthicien est d'aider à formuler des questions pointues, de peser le pour et le contre des valeurs et contre-valeurs. Ceci implique par exemple aussi de contrôler si on exploite suffisamment les possibilités de lutte contre la douleur, de contrôle des symptômes, et ainsi de suite. Cela signifie qu'on tente de trouver la manière de conférer le maximum de dignité au mourir. L'éthicien est en fait un passant. Il n'est pas celui qui va juger. Il est la personne qui aidera à prendre une décision en toute conscience. Il peut assumer vis-à-vis du médecin un rôle fort en ce qui concerne le choix, ce qu'on va faire et comment on va le faire.
La justification ultérieure : il me semble aussi essentiel qu'on parvienne à pouvoir avoir ultérieurement une discussion transparente grâce à un enregistrement clair. Dans l'ancienne proposition du VLD, il a été suggéré de travailler avec le modèle néerlandais de la Commission de Contrôle.
Cela me paraît une suggestion extrêmement intéressante. C'est également ma position vis-à-vis de la possibilité d'associer des spécialistes de la médecine légale à ce processus, comme en faisait état la proposition du CVP. L'expérience néerlandaise nous apprend d'ailleurs que les médecins éprouvent des difficultés à accomplir le devoir de déclaration lorsqu'ils craignent d'être poursuivis sur le plan juridique. C'est pourquoi il faut réglementer la justification sur le plan social, de sorte qu'on puisse en parler. Nous devons tout mettre en oeuvre afin que les abus, j'entends par là les médecins qui, même sans en avoir été priés par le patient, pratiquent malgré tout la fin de vie, soient sanctionnés. Je crains qu'il n'existe actuellement pas assez de garanties à cet effet.
Dans une démocratie, il est préférable de ne pas traiter de la vie de son prochain avec légèreté. D'où la nécessité de conserver l'euthanasie dans le code pénal et d'élaborer une réglementation contrôlable.
J'en viens à la conclusion. Alors qu'aux Pays-Bas le débat public en matière d'interprétation médicale de la vie finissante a commencé au début des années septante et qu'on recherche toujours, avec des hauts et des bas, une procédure transparente, on ne doit pas vouloir anticiper les choses en Belgique.
Il me semble plus indiqué de réaliser ce travail avec diligence et en phases claires. L'euthanasie doit rester interdite par le code pénal : le code pénal existe en effet afin de protéger la vie de chaque citoyen. Si le législateur ne garantit plus cela, il y aura une dérive vers des abus et éventuellement aussi vers des situations inhumaines. La protection maximale de la vie de chaque citoyen a une valeur symbolique très importante et constitue l'une des pierres angulaires de la société démocratique. J'ai d'ailleurs entendu des personnes du Comité consultatif, de conviction philosophique différente, dire la même chose.
Le législateur doit donc tout mettre en oeuvre pour permettre de mourir dans la dignité. Quoi qu'il en soit, un meilleur financement des soins palliatifs constitue une première étape. Cela signifie à tout le moins que chaque patient qui formule une demande de fin de vie doit recevoir une information claire sur la diversité des soins palliatifs et terminaux existants. La situation optimale serait d'obliger à faire appel à un expert médical en soins palliatifs.
Néanmoins, des dilemmes subsistent probablement. Dans un système juridique adapté, on peut établir des exigences en matière de diligence dans l'application de l'euthanasie. L'euthanasie et c'est devenu particulièrement clair au cours des semaines précédentes en Belgique ne doit cependant pas se dérouler dans l'intimité d'une relation de secret, mais doit être discutée ouvertement et justifiée ultérieurement.
La Belgique dispose d'une législation très avancée en matière de soins palliatifs. Nous l'avons constaté au cours du projet d'enquête « Pallium » européen. Il est bien construit, mais il n'est pas doté de moyens financiers suffisants. Dès lors, la première priorité est de remédier à ce problème et ensuite seulement, de régler les cas d'impuissance éthique face aux patients capables d'exprimer leur volonté. Je vous remercie.
M. Philippe Mahoux. J'ai, voici quelques jours, demandé à votre collègue en religion s'il considérait que l'euthanasie était un acte positif. Il a répondu oui. Comment peut-on imaginer qu'un acte positif puisse figurer dans le Code pénal ?
Par ailleurs, dans tout votre exposé, sauf peut-être à la fin, je ne vous ai jamais entendu parler de la volonté du malade. Vous avez parlé de situation mais pas de la volonté du malade exprimée. Dans tous les cas de figure que vous avez évoqués, y compris dans le cas d'acharnement thérapeutique, d'arrêt ou de non-arrêt de la thérapeutique, de soins palliatifs et d'offre de soins palliatifs et, enfin, d'euthanasie, jamais je n'ai entendu dire que le patient était au centre de la décision. Je voudrais avoir votre avis en la matière.
Enfin, par rapport à des situations de cette nature, pouvez-vous imaginer qu'un tiers qu'il soit éthicien ou non prenne une décision à la place du malade, cela sans connaître la situation réelle ?
Mme Iris Van Riet. J'ai beaucoup d'estime pour le témoignage du professeur Schotsmans. Je comprends également le pas qu'il a dû franchir, au vu de sa conviction religieuse pour dire qu'il est d'accord sur le fait qu'une législation en matière d'euthanasie est nécessaire. Ma question concerne surtout le troisième point où il est dit que la réglementation actuelle manque de transparence.
M. Schotsmans dit aussi qu'il faut empêcher à tout prix que des médecins puissent « tuer » sans qu'il y ait demande de la part du patient. Cette Commission a déjà mentionné le fait que d'après une enquête à Hasselt et une enquête de plus grande envergure publiée dans « De Standaard », il semble que cette pratique soit très répandue en Flandre et en Belgique. Mais je me demande si la procédure que vous proposez, à savoir un contrôle plus large que ce qui est prévu dans la proposition de loi reprise par la majorité, peut empêcher que des médecins interviennent dans le domaine de la fin de vie sans demande du patient. Il est quand même essentiel que la proposition de loi stipule qu'il doit y avoir une demande explicite de la part du patient et qu'un collègue médecin doit constater qu'il s'agit d'une situation irréversible.
Il s'agit quand même de deux conditions essentielles pour éviter qu'un médecin ne puisse tuer ou libérer un patient de ses souffrances sans demande de sa part. À mon avis, ces deux conditions ne sont pas suffisamment traitées dans la proposition.
Peut-être M. Schotsmans peut-il préciser quelle garantie complémentaire la procédure qu'il propose pourrait contenir ?
M. Georges Dallemagne. En tant que démocrate, M. Schotsmans a émis une proposition qui devrait vraisemblablement convenir à beaucoup de personnes.
Vous avez parlé, monsieur Schotsmans, de l'éthique et de la contribution des éthiciens dans la désescalade thérapeutique. Le code auquel vous faites allusion est-il habituellement d'application dans les réseaux hospitaliers ? Qui a contribué à son élaboration ? Existe-t-il des normes de transparence et un dialogue afin de déterminer à quel moment et à qui un code est attribué ?
Malgré la contribution des éthiciens, l'acharnement thérapeutique demeure, aux yeux d'une grande partie de la population, un problème extrêmement préoccupant qui est loin d'être résolu. Il serait donc important que l'on en sache un peu plus sur ce type d'initiatives.
Par ailleurs, vous n'avez pas véritablement abordé la question du champ d'application de l'euthanasie, même si vous avez estimé qu'un accord pourrait éventuellement être trouvé sur l'avis nº 3. C'est en tout cas celui qui a votre faveur. J'aurais souhaité obtenir des informations complémentaires en la matière.
Enfin, à l'intérieur de l'église catholique, beaucoup de gens approuvent-ils votre proposition ou vous sentez-vous isolé ?
M. Philippe Monfils. Je vous poserai tout d'abord une question d'ordre général.
Vous avez dit que la lutte pour la vie ou le combat contre la mort étaient les clés de voûte d'une société démocratique. Ne pensez-vous pas que des concepts tels que la dignité de la personne humaine ou l'autonomie de la volonté sont aussi des clés de voûte d'une société démocratique ?
Je vous rappellerai que le principe de la dignité de la personne humaine est repris dans tous les actes internationaux depuis la Convention européenne des droits de l'homme jusqu'au Pacte civil et politique et autres. Or, la proposition des six auteurs est précisément fondée sur cette affirmation de la dignité de la personne humaine et de l'autonomie de la volonté.
Ma deuxième question porte sur votre proposition de sédation contrôlée. J'ai bien entendu que vous disiez qu'on accompagnait en quelque sorte le patient vers la mort en augmentant les doses. Ne pensez-vous pas que la limite entre ce principe et l'euthanasie soit particulièrement ténue ? Il est vrai qu'avec l'euthanasie, on tue physiquement mais, dans ce cas, est-ce qu'on ne tue pas la conscience en attendant que le physique suive ? J'ai été élevé chez les Jésuites, n'y a-t-il pas un peu de jésuistisme dans vos propos ?
Ma troisième question concerne votre système de référence à la proposition 3, la commission intermédiaire. S'il existe une commission intermédiaire, c'est qu'elle a un rôle à jouer. Alors, ou celle-ci s'érige en juge, avec toutes les conséquences que cela entraîne au niveau de la partialité et au niveau d'une certaine éthique du juge, ou celle-ci n'est qu'un intermédiaire et, dans ce cas, si elle prend position et que les choses tournent mal parce qu'une plainte a été déposée, n'arrive-t-on pas à une sorte de coresponsabilité collective qui sera impossible à assumer par les membres de la commission ?
Si cette commission est composée de médecins, si ceux-ci jugent leurs confrères, le problème de l'euthanasie serait laissé uniquement au monde médical, ce qui me paraît naturellement impossible. De là, les difficultés que nous connaissons actuellement à Liège, en Flandre et ailleurs.
M. Réginald Moreels. J'émettrai une réflexion et deux questions.
Le codage et le formulaire de double doivent également être introduits dans les hôpitaux périphériques. En ce moment, le codage semble encore limité aux universités. C'est une erreur. Une vulgarisation dans le bon sens du mot s'impose.
En tant qu'éthicien, que pensez-vous de l'arrêt de la thérapie et de l'administration d'une injection rapide supplémentaire visant à accélérer la mort ? L'arrêt d'une thérapie peut causer aussi un certain nombre de symptômes qui, pour la famille et le patient, peuvent être dégradants.
Que pensez-vous du testament de vie et de la déclaration de volonté ? Je me pose à cet égard un certain nombre de questions de conscience. Il s'agit en effet d'un procès évolutif.
M. Paul Schotsmans. Je ne suis pas d'accord avec mon collègue De Neste, selon lequel l'euthanasie doit être considérée comme un acte positif. Je la considère comme un mal éthique. Pour moi, l'acte de fin de vie pratiqué sur demande du patient l'euthanasie doit être justifié comme un moindre mal.
Je suis troublé par le fait que dans mon exposé, je n'aurais pas ou peu fait mention de la volonté du malade. C'est probablement correct. Mon approche est probablement trop axée sur la conduite de l'acte médical. C'est inhérent à mon travail et à mes compétences. Pour moi, un point éthique est important, à savoir que le médecin exerce une profession de qualité sur le plan relationnel. La médecine signifie toujours pour moi une relation entre médecin et patient. Le patient se trouve évidemment au centre de la relation médicale. Mais fondamentalement, il s'agit toujours d'une relation, une relation qui fait que le médecin et le patient doivent parvenir à établir une collaboration, une sorte de relation de confiance.
Il peut arriver qu'à certain moment les principes éthiques divergent, mais je pense qu'il est alors très important que le médecin ose le dire de façon explicite à son patient. Se pose alors le problème de la confiance éthique mutuelle. Il doit s'exprimer tout à fait ouvertement entre les médecins et les patients. Cela m'irriterait qu'un médecin refuse de communiquer ses convictions éthiques au patient. La médecine véritable consiste donc dans une relation de confiance à construire entre le médecin et le patient, dans le cadre de laquelle le patient occupe une place centrale. Je n'aime pas qu'on réduise le rôle du médecin à celui de l'exécuteur des décisions du patient. Car il est alors un garagiste du corps et non un médecin du corps. C'est la manière dont je tente de donner au patient la place centrale.
Quant à la troisième question de M. Mahoux, je ne me sens absolument pas autorisé à prendre une décision à la place du patient. L'éthicien ne fait pas figure d'autorité.
L'éthicien est toujours un conseiller, c'est une sorte de serviteur qui peut éclairer les dilemmes éthiques. Mais ensuite, il s'en va. Aux gens qui viennent chez moi pour une consultation éthique, je dis, à la fin de la conversation, que je ne me mets jamais à leur place. Je les aide à prendre une décision, mais je n'ai pas à savoir quelle sera la décision qu'ils prendront. Ils retrouvent le trésor de leur conscience et c'est là qu'ils doivent prendre une décision.
On a parfois donné l'impression que la troisième proposition impliquait que la décision reposait chez l'éthicien. J'ai été choqué que quelqu'un ait mentionné un tribunal. Je n'avais jamais abordé cette question de cette façon. La fonction d'un éthicien est une fonction de service. Son rôle est d'éclairer, d'aider à poser les questions de conscience de manière incisive. Ensuite, le médecin et le patient retrouvent leur trésor personnel : leur conscience. Je suis content que vous ayez posé cette question. Il s'agit d'un point très important pour moi aussi. Comment la transparence peut-elle aider à prévenir les abus ? Cette question me préoccupe. Imaginez qu'un médecin tue son patient, sans que ce dernier n'en formule la demande, et qu'il simule une mort naturelle. Qui le saura ?
D'après les chiffres, nous devons sérieusement tenir compte de ce problème. Le Comité consultatif a suggéré de réaliser, autour de la déclaration de décès, un travail d'éclaircissement législatif. Il me semble indiqué d'examiner cela conjointement avec des experts juridiques. Je suis éthicien, pas juriste, mais il me semble indiqué de suivre cette voie. L'intégration de médecins légistes et la procédure a priori peuvent également accroître la clarté.
Mme Iris Van Riet. Je n'ai pas reçu de réponse à ma question sur ce qu'il fallait encore comme complément de garantie lorsque tant la demande du patient que le caractère irréversible de la situation du patient sont claires.
M. Paul Schotsmans. À la manière dont votre question est formulée, je vois que, comme M. Van Neste l'a suggéré, on évolue progressivement vers une clarification a priori. Je suis un éthicien qui ne fait que regarder, et analyse à partir de son point de vue, et je suis frappé par le fait que la proposition ne décrit pas en détail de quelle manière le deuxième médecin est impliqué, bien que je sache que des amendements sont en cours en ce sens.
Certains, dont moi-même, font aussi remarquer que la constatation qu'il existe une demande actuelle permanente de la part du patient, doit aussi être mentionnée explicitement dans le dossier. J'y ajoute encore une troisième condition. Si l'on intervient dans la vie d'un prochain, cela doit pouvoir être justifié autant que possible.
Je trouve que cette troisième condition ajoute encore quelque chose. Même les membres du comité consultatif dont les convictions ou les philosophies sont différentes considèrent cette condition comme une plus-value.
M. Dallemagne m'a demandé si la transparence existe aussi à ce sujet. La réponse à cette question est en même temps une réponse à la question du sénateur Moreels. Le fait que nous travaillons encore avec ce modèle de codage dans la pratique médicale périphérique journalière constitue effectivement un problème. À cet égard, je me réfère à ma fonction au sein de l'Association des institutions de soins. Cette association a bien essayé d'importer ces codes dans les différents hôpitaux affiliés. Je trouve donc très importante la suggestion de lui conférer un pouvoir déontologique beaucoup plus grand.
Le professeur De Neste allait encore plus loin à cet égard et souhaitait même lui conférer une force légale. Je crains cependant que nous ne tombions alors dans une sorte de bureaucratie, mais ce pouvoir déontologique me semble malgré tout très précieux. Il est aussi possible, dans un service intensif, de passer du code 1 aux codes 2 et 3. Il a en effet été prétendu ici que les services intensifs n'ont pas le temps d'appliquer ces codes. J'ai vu l'application de ces codes dans un service intensif pour la première fois. Chaque matin, les codes de certains patients étaient revus, afin d'assurer la continuité des soins. Si cela se passe ainsi, cela doit également être intégré dans la pratique courante, dans le dossier médical et dans la justification médicale du médecin. J'estime que l'Ordre a attendu trop longtemps pour donner une force déontologique plus importante à cet aspect.
M. Georges Dallemagne. Je vous avais également demandé quelle était l'étendue de l'application. Dans quels hôpitaux, dans quels réseaux ce code est-il appliqué aujourd'hui ?
M. Paul Schotsmans. Nous tenons ces codes de la littérature américaine, avec le soutien de la Cour suprême américaine, qui est nécessaire pour des telles procédures. Je vois qu'ils sont appliqués formellement dans les hôpitaux universitaires belges. J'ignore s'il est déplacé de le dire ici, mais le professeur Lamy par exemple, de l'université de Liège, m'a dit qu'il travaille avec un tel type de codage. Les codes sont appliqués dans les hôpitaux dans lesquels il y a un bon comité éthique géré au niveau central. Le législateur a en effet déterminé qu'il doit y avoir des comités éthiques locaux. Pour être efficaces, ceux-ci doivent s'intégrer au « terrain de travail » de l'événement médical quotidien.
Je reconnais cependant qu'il n'est clairement pas encore question d'une véritable intégration. Je ne veux pas non plus représenter la situation de manière plus idéale qu'elle ne l'est, car on me reprocherait alors de dresser le tableau d'une médecine idéaliste. Je souhaite considérer cela comme un élément faisant partie intégrante d'un ensemble, encore à réaliser. L'éthique médicale suggère ici un instrument qui est facile à manier et ce dans la pratique médicale également. Cela prouve quand même aussi un peu le bien-fondé de la première thèse que j'ai formulée.
À la question des avoir si je suis isolé au sein du groupe catholique romain, je n'ose pour ainsi dire pas répondre. Dans le groupe catholique romain, on trouve aussi des membres qui refusent catégoriquement de discuter de toute réglementation en matière d'euthanasie. On pouvait les retrouver derrière la proposition quatre du premier avis du comité consultatif. Je dois cependant immédiatement ajouter que l'équipe infirmière a également défendu le point de vue de la proposition quatre au comité consultatif. Il existait une forte tradition au sein de l'Église catholique romaine, qui remonte à Pie XII. C'est un médecin libéral qui avait trouvé ce document et qui m'avait écrit dans une lettre qu'il n'aurait jamais imaginé qu'un groupe catholique renoncerait à l'idée que l'homme doit souffrir pour mériter son paradis. Cette conception a disparu depuis longtemps. Sur ce plan, nous sommes, heureusement d'ailleurs, parvenus à une certaine constante. Il ne s'agit certainement pas d'une proposition isolée.
M. Josy Dubié. Est-ce aussi le point de vue des évêques ?
M. Paul Schotsmans. Je ne peux pas me prononcer au nom des évêques. Je suis un conseiller et les évêques peuvent ne pas tenir compte de mon avis.
J'ai été touché, monsieur Monfils, par votre question sur la dignité de la personne. La « dignité » conduit pour moi à la norme : « Tu ne tueras pas injustement » Je dois donc supposer, et j'en reviens ici au comité consultatif, qu'il existe deux opinions au sein de ce comité à propos de cette « dignité ».
Certains pensent que la dignité de la personne est la dignité de l'homme conscient et libre, qui considère que son droit à l'autodétermination doit lui permettre de définir ce qu'il entend par dignité de la personne.
Dans le comité consultatif règne l'idée que le droit à l'autodétermination de la personne doit être élargi de façon à ce que chaque individu, chaque citoyen, détermine pour lui-même ce qu'il considère comme digne. Je reconnais que je ne souscris pas tout à fait à ce point de vue. J'appartiens à un autre groupe qui a un point de vue plus anthropologique, plus philosophique de la dignité de la personne. Pour ce groupe, il s'agit de promouvoir l'homme dans toutes ses dimensions et relations. C'est pourquoi je considère la norme « tu ne tueras pas injustement » comme une norme fondamentale de la société démocratique. Cela implique aussi, et là nous entrons tout à fait dans un débat philosophique, qu'un individu ne peut pas faire ce qu'il veut de la vie.
En ce qui concerne la dignité, il existe dans ce pays deux opinions différentes, deux convictions philosophiques et idéologiques pour lesquelles il faut chercher un « compromis », lequel a une importance décisive pour tout le travail législatif qui doit encore être effectué sur chaque thème dans les prochaines années.
Pour nous, il existe malgré tout une norme éthique assez absolue, qui ne peut pas être interprétée de n'importe quelle façon par chaque individu personnellement. Là réside la différence fondamentale.
Le sénateur a parlé aussi de la mince ligne jésuitique existant entre la sédation contrôlée et l'acte de tuer. À Louvain, une enquête a été menée il y a quelque temps sur la question : que nous apporte la sédation contrôlée en tant que possibilité d'humanité ? Nous ne sommes pas des inconditionnels de la formule de la sédation contrôlée, nous sommes en train de la confronter à la pratique médicale et à la façon dont les patients eux-mêmes y réagissent. L'avis mentionne ceci explicitement comme « une justification d'enquête ».
Nous sommes très prudents sur ce plan. Les médecins qui appliquent la sédation avec beaucoup de compétence disent que, si elle n'est appliquée que dans les cas de dilemmes impossibles, pour lesquels toute l'aide que peut apporter le médecin est incapable de calmer la douleur, elle peut être un bon instrument à offrir au patient. Ce dernier déterminera alors naturellement lui-même s'il en fait usage ou non. Dans les cas où elle a été appliquée de cette manière, la sédation offre en effet une chance de vivre humainement les derniers jours, parce que le patient se détache alors de sa pathologie et parce que la famille a ainsi la possibilité d'entrer suffisamment en contact avec le patient et d'assimiler l'événement dans son entièreté. Ainsi, j'ai été fort touché par l'expérience du patient dont j'ai parlé il y a un instant et qui est décédé à son domicile. Dans l'environnement hospitalier, il n'aurait jamais eu l'occasion d'avoir une conversation sereine avec son fils de 17 ans. À la maison par contre c'était possible, surtout aussi parce que là, une sédation contrôlée a été appliquée. Il s'agit donc d'une recherche d'humanité. Ce n'est certainement pas la réponse absolue, mais une tentative de permettre à une personne de mourir de la façon la plus humaine possible.
J'ai déjà plus ou moins répondu à la question sur la responsabilité collective. J'ai moi-même l'habitude, en tant qu'éthicien, de travailler dans différents départements médicaux, par exemple aussi en centre de fertilité. Nous avons une sorte de commission éthique ad hoc qui formule aussi des avis pour le diagnostic prénatal. Il s'agit chaque fois d'un processus de clarification, de dédouanement, après lequel le médecin, l'équipe soignante et la famille assument à nouveau leurs propres responsabilités. Il est bon d'entreprendre le codage de tout cela, il permet de faire le point de temps en temps.
Beaucoup d'unités médicales procèdent déjà très régulièrement ainsi pour d'autres cas. Pourquoi n'intégrerions-nous pas également une telle stratégie à notre problématique, sans enlever ni au médecin ni au patient leur responsabilité. Il est écrit littéralement dans la troisième proposition du premier avis du Comité consultatif que le médecin revient ensuite vers le patient, afin de parvenir avec lui à une décision en toute conscience. Il est assurément possible de mieux encadrer ce processus. Cela pourrait être utile. En tout cas, cela a contribué à mettre un terme à l'acharnement thérapeutique.
Nous en avons en tout cas connu de merveilleuses expériences à cet égard.
Comme le sénateur Moreels l'a fait remarquer, il ne faut jamais que tout s'arrête avec l'arrêt de la thérapie. Les parents d'un patient m'ont un jour communiqué leur grief vis-à-vis d'un médecin, qui avait arrêté le traitement d'hydratation, et était ensuite parti en week-end sans donner suffisamment d'instructions à son remplaçant. C'est un comportement irresponsable. Un médecin qui réduit progressivement une thérapie doit continuer à assurer un confort maximal, en prodiguant des soins d'hygiène corporelle, et éventuellement une thérapie adaptée de lutte contre la douleur, afin que le patient puisse vivre les derniers moments de sa vie en toute dignité. Il s'agit alors exclusivement de la qualité de la vie qui lui reste encore à vivre. C'est un aspect important que nous devons bien garder à l'esprit dans le processus médical. Lorsque la décision est prise et si le code 3 est attribué et signé, ce n'est qu'alors que tout commence. Les soins doivent faire partie intégrante des soins terminaux. Si le « cure » ne sert plus à rien, il faut passer au « care ».
Je remarque qu'un progrès important a vraiment été accompli sur ce plan, surtout par le biais des réseaux de soins palliatifs et aussi des réseaux de soins à domicile. Un progrès important a vraiment été accompli.
La déclaration de volonté est un point délicat que j'ai écarté à dessein de mon exposé. Je ne suis pas partisan de réduire, dans l'acte médical, la déclaration de volonté à sa réduction au sens légal. Je suis en effet tout à fait d'accord avec le sénateur qui a décrit cela comme « très évolutif ». On ne peut jamais prédire comment on va évoluer dans des situations qu'en tant qu'être conscient et sain, on ne peut prévoir. J'ai moi-même appelé la déclaration de volonté 'la mort sur papier', la mort froide du papier. Ce qui se passe dans les derniers moments entre le médecin et le patient est trop important pour être simplement consigné sur papier et pour pouvoir faire ensuite l'objet d'un suivi bureaucratique. C'est pourquoi, si une réglementation devait malgré tout s'imposer, je supplierais presque qu'une personne de confiance soit associée à ce processus. Cela me semble beaucoup plus facile à concilier avec la pratique médicale quotidienne. Il y avait beaucoup de questions concernant les tâches précises de cette personne de confiance, mais le plus important pour moi est que cette personne soit présente, que quelqu'un puisse intervenir en tant que représentant du patient. À nouveau, cette personne ne doit pas agir seule, mais doit, avec le médecin, évaluer la situation en permanence. Cette stratégie permet en quelque sorte de reléguer au second plan l'aspect strictement « papier ». La réalité médicale est d'ailleurs trop complexe pour être reprise sur papier dans une déclaration de volonté.
M. Jan Remans. Je remercie M. Schotsmans pour son exposé. Je sais qu'il est un homme bon et qu'il cherche en tant qu'éthicien une réponse à la question de savoir ce qu'est une bonne vie. Je souscris également à ce qu'a dit mon collègue Moreels il y a peu, à savoir que l'éthicien occupe une place dans la société. J'ai lu et relu le livre du professeur Schotsmans. Il a déjà plus de dix ans. En tant qu'éthicien, il devrait donner une définition du terme « état de nécessité », car cette définition ne se trouve pas dans le livre. Entre-temps, je sais seulement, entre autres grâce au Journal du Médecin de la semaine dernière, qu'il s'agit d'un choix entre deux situations graves. Après dix ans, cette définition pourrait tout de même être plus élaborée et plus complète. Comment se fait-il que cela n'ait pas encore été réalisé ? La place qu'occupe un éthicien dans la société et dans les soins des malades est certainement importante, mais M. Schotsmans dit lui-même qu'un éthicien est seulement un passant. Imaginez donc que vous soyez en train de mourir et que vous ne vouliez pas continuer. Vous demandez donc l'euthanasie et ensuite, votre sort dépend d'un éthicien qui passe chez vous comme passant.
Selon la proposition de loi, il n'est pas médecin et par conséquent, il ne possède aucune connaissance de la pathologie. Il va vous réprimander, vous ôter votre autonomie, troubler le dialogue patient-médecin. Pouvez-vous accepter que cet éthicien prenne une place aussi importante que le deuxième médecin qui est consulté et qui a reçu lui aussi une formation d'éthique ?
En tant que médecin, je me pose aussi la question suivante. Le Professeur Schotsmans ne se leurre-t-il pas lorsqu'il parle de différentes gradations ? Chaque euthanasie est en effet déterminée sur une base individuelle, séparément, et chaque fois de façon différente. La décision de retirer la prise est une décision d'asphyxier le patient. Mais le faut-il ? Ne faut-il pas lui épargner la souffrance d'une mort par asphyxie ? Si le traitement d'hydratation est arrêté, le patient se dessèche. Est-ce vraiment nécessaire ?
Si des doses de morphine dont l'effet est clairement d'abréger la vie sont administrées, pourquoi cela doit-il encore durer trois jours et pas seulement trois heures par exemple ? C'est une chose que le patient lui-même peut très bien discuter avec le médecin.
Retirer la prise, arrêter le traitement d'hydratation, administrer une dose de morphine plus élevée n'est, selon le professeur Schotsmans, pas de l'euthanasie mais pour moi ce l'est, même s'il s'agit d'une autre gradation. Administrer des barbituriques, c'est de l'euthanasie. On peut appeler cela sédation contrôlée et le docteur Moreels appelle cela « orthanasie », mais au fond pourquoi n'appelle-t-on pas cela aussi euthanasie ? Pour moi, en tant qu'ancien étudiant de la KUL, c'est bien de l'euthanasie. N'est-il pas un peu hypocrite de lui donner un autre nom ? Ne se leurre-t-on pas ?
Mme Jacinta De Roeck. J'ai quelques brèves questions.
Premièrement, le professeur Schotsmans ne parle que de patients en phase terminale. Je suppose donc que ce qu'il dit ne concerne effectivement aussi que cette catégorie de patients. Qu'entend-il par là ?
Deuxièmement, la proposition de loi fait état de « souffrance inutile et nécessité ». Je peux très bien m'imaginer que le mot « nécessité » a spécialement marqué le professeur Schotsmans et que, ne fût-ce que par son expérience au sein du comité médico-éthique à Munster-Bilzen, il confère à ce mot un contenu spécifique. Lequel ?
Ma troisième question traite de la sédation contrôlée. J'ai entendu le professeur Schotsmans dire qu'on peut encore, de temps en temps, laisser le patient se réveiller, afin qu'il puisse faire ses adieux et tout cela paraît très beau. Ce serait une situation fantastique, tant pour le patient que pour la famille. Cependant, j'ai lu un livre où pour chaque bonne expérience, il y a cinq exemples où tant le patient que la famille et l'équipe médicale éprouvent des problèmes à cet égard, trouvent l'expérience pénible et ne s'en sortent pas vraiment bien.
Ma quatrième question traite des codes qui sont employés dans les hôpitaux. Je devrais presque savoir d'avance quel code un hôpital utilise avant de choisir dans quel hôpital je veux aboutir si je me retrouve dans une situation sans perspective du point de vue médical. Cela me semble quand même compliqué. Si cela fait déjà autant d'années qu'on travaille avec ces codes, ne serait-il pas possible de faire en sorte que les hôpitaux soient sur la même longueur d'onde ?
M. Jean-François Istasse. J'aimerais que le professeur Schotsmans nous apporte un commentaire au sujet d'un article qu'il a signé avec M. Dierickx dans le Tijdschrift voor Geneeskunde de 1998, à propos des attitudes médicales en Belgique concernant les patients en état végétatif permanent.
Il apparaissait dans cette étude que pour 64 % des médecins interrogés, le facteur décisif le plus important susceptible d'influencer la décision de l'arrêt de l'alimentation serait précisément la directive anticipée ou l'opinion informelle antérieure donnée par le patient.
Monsieur le professeur, ne pensez-vous pas que cette opinion exprimée par la majorité des médecins interrogés semble démontrer comme le souligne d'ailleurs l'étude de la KUL que la directive anticipée aiderait en fait beaucoup de médecins dans leur décision relative à la fin de la vie ?
Vous avez été franc et vous avez bien montré les différentes philosophies qui peuvent exister. Et je respecte tout à fait la vôtre. Ne pouvez-vous pas en tant que chrétien respectueux de la démocratie, comme vous vous êtes vous-même défini, comprendre la position des médecins qui, en conscience, prennent la responsabilité de poser cet acte grave que constitue l'euthanasie, s'exposant ainsi actuellement à des sanctions pénales très graves ? Ne pouvez-vous pas, en d'autres termes, approuver la dépénalisation vis-à-vis des médecins ? La proposition des six auteurs prévoit toujours au moins deux médecins il n'y aura donc jamais un médecin seul à prendre la décision. Ne pouvez-vous pas accepter que des médecins en conscience prennent cette responsabilité même s'ils ne partagent pas votre conception philosophique de la vie ?
Mme Mia De Schamphelaere. Le Professeur Schotsmans est naturellement expert dans sa spécialité et, à ce qu'on m'a dit, a aussi beaucoup de contacts internationaux concernant l'approche médicale de la fin de vie. Il est évident que les gens ne sont pas mortels en Belgique seulement. Il a résumé comment, passé la première et parfois trop grande euphorie face au progrès de la science médicale, on a quand même progressivement donné une place centrale au bien-être du patient lui-même, et comment on en est arrivé à un consensus international, par exemple en matière de traitement des patients comateux. N'est-il pas possible que l'éthique médicale évolue sur le plan international de façon à ce qu'une solution soit dégagée pour les états de nécessité extrême, qui serait approuvée déontologiquement par tous les médecins au monde ? Est-ce intelligent d'adopter en ce moment des points de vue extrêmes ? Comment, dans d'autres pays, aborde-t-on les situations extrêmes auxquelles tout le monde est confronté ? Comment les choses évoluent-elles dans les autres pays ? Nos facultés de médecine sont quand même ouvertes, ont de nombreux contacts internationaux, et nous évoluons de plus en plus vers une conception acceptée internationalement, et ce également dans le domaine de la médecine et de l'éthique médicale.
Enfin, il reste une question qui n'a pas été traitée et qui a même toujours été quelque peu éludée par les membres qui ont déposé la proposition. On parle toujours d'éviter la fin de vie pénible et l'état de nécessité extrême auquel on peut être confronté et qui en découle, mais les conditions objectives, telles qu'elles ont été mentionnées par le professeur De Neste, constituent en fait les vrais problèmes. Qu'en est-il des patients non-terminaux et des patients en état de détresse psychique ? Ce qui trouble vraiment la société, c'est effectivement que la proposition traite aussi des patients psychiatriques et des handicapés. Cela a d'ailleurs été confirmé par les professeurs Vermeersch et Englert. Naturellement, la dépénalisation est nécessaire si l'on tient compte de cet aspect-là, si l'autonomie de la personne occupe une place centrale et si l'appel lancé en vue de briser l'indifférence n'est plus entendu par la société. Ne devons-nous pas, dans notre réglementation, accorder de l'attention à ces circonstances objectives ?
M. Alain Zenner. Monsieur le professeur, la question qui m'est venue à l'esprit en vous entendant prend, vous m'en excuserez, la forme d'un paradoxe. Une décision médicale d'interruption volontaire de vie serait-elle licite quand elle n'est pas demandée alors qu'elle serait illicite dès lors qu'elle est demandée ? Le motif pour lequel je pose cette question est que je m'interroge de plus en plus au fil de nos auditions sur la notion de base de l'euthanasie.
J'ai la préoccupation, avant de réglementer une matière ou un comportement, de bien comprendre ce que nous visons, ce que nous traitons. Plus nous avançons, plus j'ai des difficultés à savoir ce que recouvre exactement la notion d'euthanasie et plus j'éprouve des difficultés face à la définition qui a été arrêtée par le Comité consultatif de bioéthique. En cela, je pense rejoindre certaines observations de nos confrères.
Vous avez exposé cette codification en quatre étapes, de la possibilité de rétablissement à l'arrêt thérapeutique. Vous nous avez dit que ce n'était pas de l'euthanasie même s'il y a administration, et à doses mortelles progressivement, d'analgésiques puissants. Le fait qu'il y ait une demande du patient pour un traitement de ce genre en ferait-il une euthanasie et justifierait-il un régime différent de ce que vous avez demandé ? En d'autres termes, excluez-vous que la pratique que vous avez défendue sur le plan éthique puisse se faire dès lors qu'elle est demandée par le patient ? Où est la frontière entre l'arrêt thérapeutique, l'euthanasie et le suicide assisté ?
Si nous voulons réglementer ces matières, il faut que nous sachions bien de quoi nous parlons. J'ai le sentiment que nous avons peut-être, à certains moments, des attitudes différentes vis-à-vis de certains projets de réglementation parce que nous donnons à de mêmes mots des sens différents. Une clarification est absolument nécessaire en la matière. Le fait de dire que l'euthanasie implique la demande du patient n'obscurcit-il pas le débat ? La définition du Comité d'éthique est-elle bien adéquate ?
M. Paul Schotsmans. Je souhaiterais d'abord parler de la définition des termes état de nécessité, euthanasie et gradation, dont il a été question ici.
Il reste extrêmement difficile de donner une définition correcte et précise du terme « état de nécessité », c'est également ce que j'ai éprouvé au comité consultatif La formule la plus facile semble être qu'on est confronté à deux sortes de mal, qu'on ne peut pas y échapper et qu'en fin de compte, on choisit le moindre. En tant qu'éthicien, je peux accepter cela assez bien, car c'est également un exemple classique de la morale ancienne, à savoir une confrontation de deux non-valeurs équivalentes. Il n'y a jamais de véritable bon choix.
En revanche, j'ai toujours interprété l'état de nécessité de façon plus subjective, à savoir que la personne concernée appréhende la situation comme insupportable pour elle-même.
Les juristes parlent des heures durant d'un encadrement correct, c'est ce qui apparaît du rapport du comité consultatif. Le droit médical et le droit en général connaissent à cet égard un grand nombre de subtilités.
J'en viens maintenant au terme d'euthanasie et aux gradations dont parlait le sénateur Remans. Je suis convaincu que la médecine actuelle a en réalité pour effet de prolonger la vie. Je suis par conséquent choqué lorsque j'entends que la réduction progressive de mesures ayant pour effet de prolonger la vie est assimilée à de l'euthanasie. Ma définition en était en effet un peu plus claire et a été sanctionnée par le comité consultatif, à savoir « poser un acte de fin de vie à la demande explicite du patient ». Selon moi, cette définition décrit très clairement une situation spécifique.
La difficulté dont vous parlez tient au fait que toute une série d'autres situations n'ont pas encore été abordées et qu'il existe encore toute une série de dilemmes difficiles, qui ne sont pas couverts par cette définition. Il me semble quand même indiqué de s'en tenir en premier lieu à cette figure de style sur le plan du contenu. Cela signifie qu'il doit y avoir une demande explicite, que le patient est capable d'exprimer sa volonté et qu'il répète sa demande de façon pressante, et que l'euthanasie est réalisée par le médecin, mais il s'agit là d'une exigence de diligence.
C'est ainsi qu'est née une distinction entre tuer et laisser mourir sous accompagnement médical compétent. Je m'aperçois que les esprits divergent sur ce point.
L'éthicien est-il un passant ? Oui, je reste sur ma position. Le destin du patient ou la décision du médecin ne dépendent pas de ce que dit l'éthicien. Je m'attends d'ailleurs à ce que l'éthicien dise peu, sur le plan du contenu, à propos de la meilleure décision à prendre. Il aidera à clarifier les valeurs et non valeurs présentes dans la situation. Le simple processus de concertation est clarifiant, aide à dédouaner, procure une certaine sérénité de conscience et garantit donc aussi un meilleur déroulement de la concertation entre médecin et patient sur la décision de conscience. Je ne vois que cela, mais je trouve que c'est un résultat important, parce que cela fonctionne et aide trouver le calme nécessaire pour prendre la décision. Ce serait grave si je donnais l'impression que je voulais ôter à quelqu'un sa responsabilité. Cela, je ne le veux vraiment pas. Ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas le rôle de l'éthique. L'éthique clarifie seulement le dilemme, ce qui permet à la conscience de fonctionner de manière plus aiguë et mieux définie.
Qu'est-ce que terminal ? Lorsque j'écoute des médecins de mon entourage, je constate que ce n'est qu'après le décès du patient qu'on saurait s'il s'agissait ou non d'un patient en phase terminale. C'est là le problème difficile qui caractérise cette notion.
Permettez-moi de dire qu'un patient est pour moi en phase terminale s'il existe une certitude qu'il va mourir à court terme. J'éprouve certaines difficultés par rapport au fait que l'un de mes prédécesseurs dans cette commission associe à cette période un certain nombre de jours. Cela me fait penser au débat sur l'embryon, où l'on pense aussi en termes de jours (14e jour après la conception). Un Lord anglais a un jour demandé quelle était la signification de la dernière seconde avant minuit du dernier des 14 jours et quelle signification devait être donnée à la première seconde du quinzième jour. Cela présente quelques difficultés. C'est une notion difficile à interpréter. La notion de terminal reste pour moi utile si l'on part du principe qu'un patient est en phase terminale lorsque le monde médical est convaincu qu'il mourra à court terme.
J'en viens à la question de la souffrance inutile et de la détresse en dehors de la phase terminale. Je n'en ai effectivement pas parlé. J'avais trois raisons pour cela et elles m'incitent maintenant à fournir quelques éclaircissements.
Si je prends à coeur les conversations avec des médecins qui travaillent en revalidation et qui sont parfois confrontés à des très jeunes patients qui doivent constater après un accident qu'ils resteront paralysés toute leur vie, je remarque qu'il existe une possibilité inouïe et à cet égard, la spiritualité chrétienne et ma conviction philosophique jouent évidemment un rôle important de garantir à ces jeunes personnes qu'ils pourront faire et continuer à faire appel à tous les soins de qualité possibles et que la communauté ou la société ne les décevra en aucune façon. On remarque alors que c'est justement grâce à cela que certains de ces patients développent des personnalités sociales très créatrices.
Selon moi, nous ne pouvons pas refuser cette garantie à ces patients.
Je dois cependant constater que, dans la société, d'autres personnes portent en conscience un jugement différent et réagissent autrement. Je ne peux que leur témoigner mon respect pour leur question de conscience. Qui suis-je pour prétendre que leur question n'est pas justifiée, s'ils expliquent : « J'en suis incapable ». Je ne peux que respecter leur position, mais je souhaite malgré tout laisser la société s'exprimer, et choisis donc une approche en plusieurs phases. La société doit se donner les moyens de développer et de garantir des soins de qualité à ces personnes. Cependant, j'entends parfois dire aussi que ces patients interprètent parfois cela comme une allusion, comme s'ils entendaient : « Tu aurais mieux fait de ne pas exister. » Nous devons essayer d'empêcher, par tous les moyens possibles, qu'un sentiment de culpabilité énorme ne naisse, parce qu'ils vivent encore, chez ceux qui optent malgré tout pour l'interruption de vie. C'est une tâche immense pour notre société et pour moi elle doit occuper une place tout à fait centrale.
Ce point est très délicat et nous devons encore beaucoup en parler ensemble et nous devons chercher des voies d'humanité pour cette catégorie de personnes. Honnêtement, je trouve qu'il est encore un peu trop tôt. Par mon expérience internationale, je sais aussi qu'on aborde de type d'indications avec une grande circonspection.
Une question un peu moins pointue et à laquelle il est donc plus facile de répondre concerne le codage et son utilisation non uniforme. J'ai dit que l'utilisation de trois, quatre ou cinq codes revient presque au même, mais je partage votre préoccupation et pense aussi qu'il faut généraliser cette pratique dans tous les hôpitaux. C'est pourquoi, honnêtement, je regrette que l'Ordre des médecins ait encore réalisé si peu de choses sur ce plan. Je pense qu'il aurait pu interpréter les directives de façon beaucoup plus spécifique et les développer en instruments déontologiques. Je vois réagir le sénateur et docteur Remans.
Le législateur a demandé aux médecins de reprendre aussi des points d'économie et d'éthique dans leurs programmes de formation permanente. Au début, il y avait pas mal de résistance à l'imposition de points pour ce type de matière. Je peux dire que j'ai assuré beaucoup de ces soirées et je constate qu'actuellement, les médecins participent de façon beaucoup plus ouverte aux discussions grâce auxquelles il existe au sein le corps médical une plus grande ouverture à la discussion de dilemmes éthiques. D'un point de vue éducatif, c'est le moment idéal de développer un modus vivendi bien défini à l'intérieur du corps médical. Quelle que soit la personne qui a un jour décidé d'organiser ces soirées, je lui suis vraiment très reconnaissant parce que les médecins n'y participent maintenant plus avec ennui. Ils ne se trouvent plus au fond de la salle à parler entre eux sans même écouter. Il y a de vraies discussions animées. C'est un véritable mouvement que nous devons encore aider à prendre forme et que nous devons associer à la formation éthique des médecins. L'éthique représente déjà un élément important de la formation médicale et son importance va sans cesse croissant.
Pourquoi s'opposer à la dépénalisation de l'euthanasie dans une démocratie ?
Il y a aussi eu une question sur un article que j'ai écrit, concernant les patients végétatifs permanents, donc des patients qui ne peuvent presque plus être conscients. L'instrument de la déclaration de volonté anticipée semble intéressant à cet égard. J'ai ajouté que je suis personnellement contre, mais que c'est un instrument très utile dans cette situation diagnostique spécifique. Néanmoins, je souligne l'importance de la présence d'une personne de confiance, qui serait en quelque sorte garante de l'interprétation. Le patient végétatif permanent appartient à un groupe très rare, bien qu'il nous place devant de terribles dilemmes éthiques.
Il existe des cas connus de personnes qui ont reçu pendant douze années une alimentation et une hydratation artificielles. Je connais l'exemple d'un jeune qui est entré dans le service gériatrique à 22 ans et l'a quitté à 34 ans. C'est bouleversant. Cela nous fait dire qu'il faut de toute urgence passer à l'action. La réduction progressive de l'administration de nourriture et d'hydratation artificielles me renvoie à ma thèse éthique que la réduction thérapeutique progressive et un bon accompagnement pour des soins de confort maximaux peuvent également apporter de l'humanité et de la dignité humaine à ces patients. Ici, nous touchons à la très importante question de conscience du tuer et laisser mourir.
On m'a demandé si, en tant que démocrate, je pouvais vivre avec une dépénalisation. Je regretterais que l'euthanasie soit éliminée du code pénal. Je ne m'oppose pas à une réglementation, mais j'en viendrais presque à supplier qu'on conserve, dans le code pénal, l'interdit strict portant sur le meurtre du prochain. J'ai souvent entendu un collègue libéral clamer au Comité consultatif : « Le code pénal existe pour protéger sans équivoque la vie de chaque citoyen. C'est l'avertissement que lance le code pénal. » Je sais qu'il s'agit d'une discussion symbolique, mais elle me touche quand même très profondément. Selon les différents angles, cette question est interprétée différemment. Mon collègue Vermeersch s'est déjà aussi prononcé sur ce sujet. Il s'agit quand même d'une question très symbolique.
J'en arrive à la question de Mme De Schamphelaere. J'ai remarqué de grandes réticences au niveau international vis-à-vis de cette démarche. Nous ne devons pas franchir ce pas à la légère.
Il y avait aussi une question concernant la détresse psychique. J'estime que, en tant que société, c'est-à-dire les médecins, l'équipe soignante et autres, nous avons pour mission fondamentale de garantir des soins de qualité aux personnes confrontées à un destin de vie pénible. Pour ce type de patients, il faut faire preuve d'énormément de créativité pour leur permettre de se développer de façon valable. Il faut réaliser ce développement si nous souhaitons être une véritable société digne.
Il y a quelques mois, j'ai eu contact avec une femme médecin qui a l'expérience de ce type de patients. J'ai été frappé par le fait qu'elle décrivait la vie de ses patients en fonction de ce qu'ils ont pu réaliser plus tard. Elle expliquait qu'ils avaient connu des moments difficiles, mais que, grâce à la garantie de la proximité, elle s'est aperçue que ces patients sont finalement devenus des citoyens très responsables et engagés dans la société. Ils assument un rôle de défense pour leurs compagnons d'infortune. C'est cela que je prône. Cela fait naturellement partie de mes sentiments chrétiens : être ainsi présent auprès des plus vulnérables. Je ne peux pas le cacher.
J'ai répondu à la question de M. Zenner sur la définition de l'euthanasie en répondant à la question de sénateur Remans.
M. Jan Remans. Personnellement, je me sens interpellé. Ces derniers jours, j'ai été le premier à souligner le fait que le dialogue entre patient et médecin ainsi que la situation de tabou relatif à la mort ont accompli beaucoup de progrès grâce à la formation et au recyclage éthique du médecin.
M. Schotsmans parle du complexe de culpabilité des survivants. J'insiste sur le danger de ce complexe de culpabilité d'oser demander une euthanasie. Certaines personnes de milieux catholiques essaient d'imposer, non seulement aux patients et aux médecins, mais aussi à la famille, un complexe de culpabilité parce que quelqu'un ose formuler la demande d'euthanasie. Je trouve également dommage qu'en tant qu'éthicien, M. Schotsmans se prononce sur le type de réglementation légale à adopter.
Nous vous demandons de développer des commissions éthiques et d'établir des mesures de diligence. Selon moi, il n'est pas bon qu'un éthicien dise quelle forme juridique doit revêtir la législation. L'euthanasie reste punissable si elle ne se déroule pas conformément aux mesures de diligence, qu'elle soit pratiquée sur base de l'article 397 ou de l'article 417. La vérité est plus profonde. Il n'appartient pas au docteur ou au éthicien, mais aux juristes, d'opérer une distinction claire.
M. Paul Schotsmans. Mon intention n'est aucunement de discréditer le jugement de conscience d'autres personnes. Un éthicien ne peut pas faire cela, car sa tâche consiste justement à respecter le jugement de conscience de personnes qui pensent autrement. C'est l'un des principes fondamentaux de l'éthique. Néanmoins, j'estime pouvoir dire, en tant que citoyen, que ma sensibilité éthique est touchée si telle ou telle, ou aucune réglementation n'est élaborée. Je ne suis pas suffisamment expert pour dire quelle réglementation doit être mise en place. Je souligne le fait qu'éliminer l'acte de meurtre du code pénal serait une action très sensible sur le plan éthique. Personnellement, j'en serais fort ébranlé. C'est important pour le niveau de société dans laquelle nous vivons.
Mme Kathy Lindekens. Le professeur a longtemps parlé de l'importance du développement de soins palliatifs de qualité. Si certaines choses n'étaient pas claires pour lui, je peux assurer que tout le monde dans cette salle est partisan d'un bon développement de soins palliatifs de qualité. La proposition porte sur des personnes qui, pour une raison quelconque, ne trouvent pas de solution dans ces soins palliatifs.
M. Schotsmans a parlé à un certain moment de recherche d'humanité. La recherche d'humanité n'est-elle pas précisément la recherche de ce qui est le plus proche de chaque personne et patient ? Il a dit un certain nombre de choses sur l'éthicien en tant que passant. Néanmoins, j'ai l'impression que M. Schotmans, tout comme ses collègues que nous avons entendus, n'est pas vraiment un passant. Ne va-t-il quand même pas peser sur une décision dans un certain sens ? Il a parlé de sa conception de la conscience. N'introduit-il pas cette conception à l'intérieur de cette discussion très personnelle ?
Deuxièmement, M. Schotsmans a parlé de pratiques répréhensibles dans notre société, celles de faire souffrir et de tuer. Que se passe-t-il si le refus de mettre fin à la vie de quelqu'un représente pour cette personne, donc pas pour vous ni pour moi, une torture ? Comment aborde-t-il de ce dilemme ? Je préfère parler de fin de vie plutôt que de tuer. Dans une interview, vous avez déclaré qu'il y a énormément de possibilités de donner un sens à la vie en phase terminale. Je suis tout à fait d'accord sur ce point. Les soins palliatifs peuvent accomplir énormément dans ce domaine. Supposons maintenant qu'un certain patient, malgré tous les soins de qualité, ne trouve pas que ce que vous pouvez lui offrir a un sens pour lui. Qui donc doit déterminer ce sens ? Comment abordez-vous une telle question ?
Concernant la déclaration de volonté, vous avez dit que cette dernière ne pouvait plus exercer d'influence, étant donné qu'il n'y a plus de dialogue possible avec le médecin. Néanmoins, en cas de déclaration de volonté, on sait du moins que la personne qui l'a rédigée a réfléchi au problème et a consigné cela sur papier en toute conscience. Ne partez-vous pas trop vite du principe que si quelqu'un n'est plus capable de dire quelque chose, il souscrit à votre avis ?
Mme Marie Nagy. Lorsqu'on vous écoute, on se rend compte qu'il est difficile de légiférer sur une question comme celle-ci. On peut réfléchir longtemps autour de quelque chose qui a trait à la mort et à la possibilité pour un médecin de la donner. Je trouve que, tout au long de votre exposé, vous éludez cette question-là.
Supposons que lorsque vous que vous apportez à un patient qui souffre toute une série de soins qui visent à limiter sa souffrance et à l'aider à mourir, ce patient se tourne vers vous et exprime son souhait de mourir. J'imagine que des médecins sont confrontés à cette demande. Elle n'est peut-être pas généralisée ou simple à comprendre. Elle existe cependant dans ces termes-là. Vous pouvez répondre à ce patient grâce à votre argumentation éthique. C'est tout à fait légitime de votre part. Mais la personne qui exprime cette demande-là à ce moment-là, même si vous êtes allé jusqu'au bout de ce que vous pouvez faire pour la soulager, est en droit d'attendre aussi une réponse. Et je pense que, dans la plupart des cas, elle va obtenir cette réponse. Il est donc difficile pour nous, législateur, de parvenir à rendre cette réponse légitime, en évitant qu'elle soit hors-la-loi et ou qu'elle se fasse au détriment du patient.
Une série de conditions figurent dans la proposition de loi. On y trouve notamment l'obligation d'informer le procureur du fait que l'on a procédé à une euthanasie. Je souhaiterais obtenir de votre part un commentaire sur cette question. Mais, de toute façon, j'aimerais savoir ce que vous faites de la demande que je viens d'indiquer.
Joint à la proposition de loi, il existe un texte qui prévoit le développement des soins palliatifs et l'accès à ces soins, y compris la question de l'accessibilité financière et géographique pour chacun, dans et hors des structures hospitalières. Ce texte permet de répondre aux questions que vous posez. Les auteurs des deux propositions ne considèrent toutefois pas que ces textes sont exclusifs. Ils constituent des réponses particulières à donner. Avez-vous pris connaissance de cette proposition ? Comment la commenteriez-vous ?
Mme Myriam Vanlerberghe. Concernant le rôle de l'éthicien, il y a quelque chose que je ne comprends pas bien. Vous jugez important qu'il soit présent, mais que son rôle n'est certainement pas décisif et qu'il n'a aucune influence. En outre, il est neutre. Dès lors, je ne comprends pas bien en quoi peut consister ce rôle important. Je ne connais d'ailleurs aucun éthicien qui soit neutre en matière d'euthanasie et d'accompagnement du mourir. Le patient peut-il ou non choisir cet éthicien lui-même ?
Je pars du principe que quelqu'un qui doit jouer ce rôle aussi important et qui doit mener une conversation aussi importante à un moment aussi important, est une personne qui bénéficie de toute la confiance de la personne concernée, à savoir le patient. Qui choisit donc cet éthicien et qui définit qui ira au chevet du malade ? Le patient a-t-il, s'il ne peut pas décider de la personne de l'éthicien, le droit de refuser la présence de l'éthicien ? J'ai déjà entendu beaucoup de choses, mais je ne sais toujours pas qui décide de la personne présente en tant qu'éthicien.
Je trouve la sédation contrôlée, et pardonnez-moi si je se trompe, une euthanasie inhumainement lente. L'objectif est en fin de compte le même, à savoir laisser quelqu'un mourir parce que c'est ce qu'il veut lui-même, lorsqu'il n'y a pas d'alternatives médicales. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi une telle chose est bien acceptée et pas l'euthanasie active ? Je trouve que c'est un problème très difficile, pour moi aussi, personnellement. J'entends aussi d'autres personnes poser cette la question, comment il est possible qu'une chose aussi inhumaine soit bien acceptée et pas l'euthanasie active sur demande du patient.
Quel place le patient occupe-t-il réellement dans le processus de décision relatif à sa propre mort ? Cette question est déjà apparue ici sous différentes formes. Pour nous, le patient est la personne la plus importante. C'est la donnée centrale au sein de notre groupe.
Vous impliquez dans ce processus un éthicien, un médecin et un deuxième médecin. Je crains qu'à la longue, le patient ne perde sa position centrale.
Mme Jeannine Leduc. Nombre de mes questions ont déjà été posées. Mme Nagy a parfaitement exprimé ce que je voulais dire dans ma première question, mais je souhaite y ajouter quelque chose. Je vous considère comme quelqu'un qui pense de façon très humaine. Comment pouvez-vous dès lors affirmer que celui qui a perdu tous ses moyens, dont la qualité de vie a entièrement disparu, et qui a perdu tout contrôle sur ses fonctions corporelles, mentales et comportementales, n'a pas le droit à l'euthanasie, lorsqu'il en a vraiment exprimé le souhait ? Comment peut-on maintenir en vie quelqu'un qui n'a plus aucune qualité de vie ? Cette vie n'est plus une vie.
J'en reviens au codage du formulaire de double dont vous avez parlé. Le code zéro signifie qu'on poursuit le traitement, le code 1 signifie terminal et ne plus réanimer, le code 2 signifie ne pas démarrer le traitement, le code 3 est passer à un confort maximal et à une sédation contrôlée. J'approuve le fait que la même stratégie soit adoptée pour tout le monde, mais tout cela prend-il en compte la demande formulée par le patient de pouvoir mourir ? On n'en parle nulle part. C'est ainsi qu'est réalisée cette euthanasie lente dont parlait aussi Mme De Lerberghe, alors que le patient n'avait pas demandé cela explicitement. Et que se passe-t-il si ce patient demande de continuer à être traité, malgré le fait qu'il soit en phase terminale ? Que se passe-t-il si ce patient veut reprendre la thérapie ou s'il refuse la sédation contrôlée ? Que faites-vous dans ce cas de la réglementation concernant ce patient ?
Mme Nyssens. Monsieur le professeur, vous avez terminé votre exposé en évoquant une étude sur les soins palliatifs au niveau européen. Cette étude est-elle terminée ? Peut-on en disposer ? Quelle est l'association ou la personne qui l'a commandée ? Nous aimerions en avoir connaissance, ne fût-ce que pour améliorer les textes que nous avons déposés sur les soins palliatifs ?
M. Paul Schotsmans. On me demande ce que je fais si quelqu'un me dit qu'il veut mourir. Je constate que si on utilise toutes les possibilités et si on informe clairement le patient de la prise en charge possible, le patient arrive à connaître un certain calme, de sorte qu'il ne répète plus la question. Nous constatons ceci dans les départements les plus variés de notre hôpital, et ce également pour l'hématologie, les maladies liées à des tumeurs et les soins intensifs. Nous constatons qu'une garantie d'offre de soins, permettant au patient de connaître une fin de vie d'une certaine qualité, offre une réponse au patient. Si un patient répète sa question, les consciences peuvent diverger. Il s'agit seulement pour moi de faire une offre de soins concrète, calme et informative.
Qui est le plus proche de la personne ? La personne elle-même évidemment. Il est éthiquement irresponsable de prendre des décisions au nom de quelqu'un d'autre. Le trésor de la conscience est trop important. Mais il est crucial que la personne se sente entourée au maximum. C'est cela, la qualité médicale. Nous devons le faire comprendre de manière explicite à ceux qui posent la question. Le patient est au centre. Mon système philosophique s'appuie fortement sur Levinas. L'appel du patient est un appel auquel je m'identifie complètement. Il a un véritable droit de revendication éthique sur moi. Cela signifie que le patient sera décisif pour la façon dont nous aborderons cette question. Mais il peut arriver que le patient rencontre un médecin qui, en conscience, ne peut pas le suivre. Dans ce cas je demande la réalisation d'un processus de conscience ouvert et sincère.
Mme Kathy Lindekens. C'est comme si le patient occupait une place centrale, pouvant donner son avis, mais si vous ne le partagez pas, il se retrouve quand même seul. Vous mettez deux consciences en confrontation.
M. Paul Schotsmans. Non. La conscience du médecin peut être en conflit avec celle du patient. Nous devons reconnaître cette possibilité. Mais elle ne doit jamais mener à l'abandon du patient. Nous devons assurer que le patient conserve toutes les garanties qu'une réponse sera donnée à ses questions de conscience.
Vous m'avez aussi dit que je ne n'étais pas un simple passant. Entre une participation à cette commission, la rédaction d'un texte à opinion et le fait d'être présent en tant qu'éthicien clinique dans le domaine médical, il y a une différence. Je sais que d'autres collègues font parfois des déclarations plus sévères à ce sujet. Mais il faut que nous disions clairement quel système éthique nous utilisons. Dans le domaine clinique de la pratique médicale, nous avons, à la lumière du système éthique qui fonctionne dans cette institution, une sorte de fonction de clarification qui est malgré tout de nature éphémère. Cette fonction n'est pas dominante dans le sens qu'elle empêcherait des gens d'adopter une position de conscience.
J'en viens maintenant à la question relative au procureur. Ce qui me préoccupe, c'est que les médecins néerlandais craignent apparemment d'être poursuivis sur le plan juridique et ne font que des déclarations très incomplètes. C'est pourquoi je pense que la proposition originelle du VLD (travailler avec une commission de contrôle), ainsi que l'expert en médecine légale constituent une meilleure option susceptible d'accroître la transparence.
La sédation est possible, l'euthanasie pas. Un patient est en phase terminale. Si nous ne pouvons plus garantir, au moyen des soins palliatifs normaux, la mort dans la dignité, nous offrons au patient présentant des symptômes réfractaires la possibilité d'une sédation contrôlée. Nous laissons donc sa vie s'éteindre. J'ai vu, au cours de ces derniers moments de vie, des personnes faire preuve d'une énergie inimaginable, être pleinement reconnaissants et vivre cela pleinement. Nous donnons à ces derniers jours une certaine qualité. Cet homme dont j'ai parlé était reconnaissant de pouvoir encore voir le printemps éclore dans son jardin. C'était pour cela qu'il voulait encore absolument rentrer à la maison. Cet homme était clairement à un stade terminal, mais grâce à cette possibilité, il a quand même eu la chance de faire ses adieux humainement. Il s'agit d'une recherche d'humanité. Ce que vous allez réglementer n'est effectivement pas si simple, parce que c'est un sujet tellement délicat.
Mme Myriam Vanlerberghe. Je voudrais une réponse à ma question sur le choix de l'éthicien. Le patient a-t-il son mot à dire ?
M. Paul Schotsmans. Si on élabore une réglementation sociale, le patient doit avoir une possibilité de choix.
Il ne serait pas bon de vivre dans une société où le patient ne participe plus valablement à la qualité des soins qui se développent autour de lui. La réglementation doit stipuler clairement que le patient doit pouvoir décider quelle sera la personne qui clarifiera ce processus pour lui. Je ne veux en aucun cas ôter ce droit au patient.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous avez insisté, dans votre exposé, sur la nécessité d'une transparence des décisions médicales en fin de vie et vous vous êtes dit favorable à une réglementation dans ce sens. En vous exprimant de cette manière, parlez-vous de toutes les décisions médicales en fin de vie, c'est-à-dire en ce compris celles qui concernent l'arrêt d'un traitement et le passage du traitement curatif aux soins de confort, ou limitez-vous vos propos à l'euthanasie telle que définie par le Comité de bioéthique ?
Par ailleurs, en ce qui concerne la transparence en matière de décision, c'est très bien de dire qu'il faut un dialogue, mais comment procède-t-on pratiquement ? L'inscrit-on dans le dossier médical ? Qui contrôle ce dossier ? Existe-t-il au cas où, ou se sert-on de ce dossier pour s'assurer que les décisions ont été prises correctement ?
Vous avez évoqué, sans trop insister, l'information du patient, ce que j'appellerais, en ce qui me concerne, le droit du patient face aux décisions médicales. Si on veut instaurer un véritable dialogue entre le médecin et le patient, ceux-ci doivent se trouver sur un pied d'égalité. Or, ce n'est pas le cas. Le médecin détient la science, la puissance, il faut donc que le patient dispose aussi d'éléments qui lui permettent d'avoir un vrai dialogue.
Enfin, comment envisagez-vous ces pratiques au domicile du patient ?
M. Alain Destexhe. En écoutant vos réponses, monsieur le professeur, j'ai l'impression que vous êtes très cohérent dans votre argumentation en ce qui concerne la fin de vie. En revanche, votre position semble être beaucoup plus fragile en ce qui concerne le malade incurable qui n'est pas en fin de vie.
Je voudrais obtenir une réponse très précise à ma question, si possible en répondant par oui ou par non si vous estimez pouvoir le faire.
M. Paul Schotsmans. Pour un éthicien, c'est difficile.
M. Alain Destexhe. Dans la vie, on ne peut pas toujours argumenter, il faut parfois trancher.
Je voudrais vous parler d'un cas vécu, en tant que médecin et que d'autres connaissent dans la commission. Il s'agit d'une personne totalement paralysée qui n'a plus qu'une mobilité au niveau d'un oil et de deux doigts d'une main, qui se trouve depuis longtemps dans cette situation, qui est incontinente, qui a une sonde urinaire et qui dépend totalement d'une assistance extérieure. Cette personne conserve toutes ses facultés intellectuelles et dispose de l'ensemble de ce que vous avez appelé le cortège de soins et le cortège affectif.
Elle jouit des meilleurs soins possibles, elle est entourée de sa famille, la société est à son écoute et répond à ses besoins. Malgré tout cela, cette personne souffre atrocement dans son être et demande de façon répétée et insistante au fil des mois, voire au fil des années, à ce que l'on mette un terme à sa vie. Elle ne peut évidemment pas le faire elle-même puisqu'elle n'est pas en état psychomoteur de le faire.
Ma question est simple. Reconnaissez-vous qu'il existe aujourd'hui des demandes de mettre un terme à la vie qui ne sont pas rencontrées en l'état actuel de la législation ? A mon avis, le tableau clinique et psychologique que j'ai décrit n'entre pas non plus dans le cadre de l'état de nécessité.
En outre, considérez-vous que la requête d'un patient paralysé, comme je l'ai décrit, est légitime et acceptable et qu'elle doit être prise en compte ?
M. Patrik Vankrunkelsven. Professeur, j'aurais souhaité clarifier trois éléments.
Vous avez, pour commencer, longtemps parlé de l'acte médical à la fin de la vie. Nous savons que celui-ci concerne 40 % des décès. Je pense à l'arrêt thérapeutique, au non-acharnement thérapeutique, à l'augmentation des doses de morphine administrées, et cetera. Vous êtes probablement d'accord avec moi pour dire que dans ces cas, il ne s'agit pas d'euthanasie. Je pense que vous avez dit que dans ces cas, aucune législation n'est vraiment nécessaire et que cet acte ne doit certainement pas être repris dans la législation en matière d'euthanasie, mais bien éventuellement dans une législation en matière de déontologie et de droits du patient. Pouvez-vous confirmer cela ?
Une deuxième question se rapporte à l'euthanasie et au droit pénal. Vous avez prononcé à cet égard une phrase curieuse, à savoir que l'euthanasie doit pour vous certainement rester dans le droit pénal, car un médecin qui tue sans demande doit malgré tout pouvoir être sanctionné. C'est ce que vous avez dit littéralement. C'est en contradiction totale avec notre conception de l'euthanasie. Je souhaite approfondir ce point un moment. Vous dites au fond que vous pouvez approuver l'euthanasie dans certaines situations, si elle est bien réglementée. Pouvez-vous alors accepter la proposition qui est développée à présent aux Pays-Bas, où l'euthanasie est encore maintenue dans le droit pénal, mais où un certain nombre de motifs d'exemption sont énumérés pouvant en éliminer la pénalité. Cette proposition répond-elle à votre grande préoccupation en matière de protection de la vie dans le code pénal ?
Vous avez parlé du contrôle a posteriori, de la commission de contrôle, etc. Je suis d'accord sur ce point. J'ai encore une question sur le contrôle a priori. Dans le texte actuel de la proposition de loi, on parle d'un deuxième médecin. Vous avez demandé que cette disposition soit affinée et je suppose que cela sera réalisé. J'ai cependant l'impression que vous avez aussi dit que d'autres personnes devaient encore être impliquées.
Aux Pays-Bas, d'après toutes les évaluations, il semble que les médecins, le ministère public, etc, présupposent qu'un contrôle a priori effectué par le groupe professionnel, donc par un deuxième médecin, est en principe suffisant. Pouvez-vous être d'accord sur le fait que ce contrôle a priori soit étendu dans le cas de situations particulièrement difficiles ?
M. Destexhe a donné l'exemple du patient « locked in » (interné), une situation que vous avez vous-même un jour décrite dans Knack comme quelque chose qui se rapproche de la notion d'« état de nécessité ». Pouvez-vous accepter que des situations rares telles que celle-là aux Pays-Bas, l'euthanasie est appliquée à 90 % sur les patients en phase terminale , il y ait un plus grand contrôle a priori, par exemple avec un deuxième médecin, un éthicien et un médecin légiste ? Une telle procédure ne serait-elle pas non plus une solution au problème des personnes incapables d'exprimer une volonté et disposant d'un testament rédigé anticipativement. Un contrôle a priori plus rigoureux ne peut-il pas accroître la diligence ?
M. Didier Ramoudt. J'ai une brève question. Si le testament de vie doit être respecté, quelle connotation éthique donnez-vous alors à un patient mourant dans les deux cas suivants. Dans le premier cas, le patient demande de mettre fin à la thérapie et dans le deuxième cas le patient demande à recevoir une injection mettant fin à la vie. Dans le premier cas, il s'agit d'un arrêt d'assistance, dans le deuxième cas on peut parler de « tuer ». Quelle est votre approche éthique de ces deux différents cas dont le résultat est malgré tout identique ?
M. Jacques Santkin. Je tiens à remercier le professeur qui essaie d'appliquer des convictions profondément chrétiennes dans sa vie quotidienne et particulièrement dans sa vie professionnelle, ce qui est souvent très difficile.
J'apprécie également sa déclaration selon laquelle « chacun a le droit de mourir dans la dignité ».
Professeur, je voudrais vous poser deux questions : « Mourir dans la dignité », d'accord, mais par qui cette « dignité » est-elle évaluée ? Par la Faculté ou par le patient ? Je suis un peu « en reste » par rapport aux réponses que vous avez apportées en cette matière. Je souhaiterais donc obtenir des précisions complémentaires.
Ma deuxième question porte sur le code que je n'oserais qualifier de « code de bonne conduite », même si cette expression est utilisée en matière médicale. Avant votre audition, nous avons parlé du code appliqué par la KUL. J'ai été très surpris d'apprendre l'existence d'un tel code à la KUL. Je me suis demandé si semblable code existait également ailleurs et dans l'affirmative, quelles différences il présentait par rapport à l'autre. D'une certaine façon, je me réjouis que l'on ait rédigé ce code cela montre que l'on a réfléchi mais je me demande également comment les choses se passent là où il n'y en a pas.
Ma question est précise, professeur : selon vous, serait-il préférable, plutôt que de légiférer, d'essayer de définir un « code de bonne conduite », accepté par tous, c'est-à-dire principalement par celles et ceux qui sont appelés à recevoir dans les hôpitaux du Royaume de Belgique, les personnes concernées par les situations que nous évoquons ?
M. Hugo Vandenberghe. J'ai attendu jusqu'à la fin, afin de voir si cela avait encore un sens de poser une question.
Le Professeur Schotsmans a déjà en effet été mitraillé de questions.
J'aimerais entendre encore son avis sur deux points.
Il a parlé de la nécessité de conserver dans le code pénal le principe de l'interdiction de tuer des personnes, y compris l'euthanasie. Je comprends qu'il veut en principe garder ce fait punissable et ne veut pas seulement le qualifier comme tel que si la condition A, B, C est remplie. Du point de vue éthique, c'est, d'après ce que je comprends, quelque chose de totalement différent de l'utilisation de la troisième voie, telle que décrite par le Comité consultatif, et qui est liée à un état de nécessité.
Ma deuxième question concerne la difficulté pour les politiciens, d'effectuer un travail législatif dans une société pluraliste, dans laquelle il existe évidemment des divergences d'opinion sur les questions éthiques. Pour la politique aussi, la question est de savoir alors comment traiter d'une problématique.
J'aimerais avoir l'opinion du professeur sur la position selon laquelle seuls ceux qui invoquent le droit à l'autodétermination de l'individu respectent le pluralisme, parce que c'est alors le patient qui décide. Autrement dit, comment le professeur concilie-t-il la recherche d'un compromis, qui doit toujours être dégagé pour une législation et dans lequel les différents courants dans la société doivent se reconnaître, avec l'existence d'une diversité de choix éthiques ?
J'ajoute encore une troisième question subsidiaire. Le professeur a dit que le Comité consultatif de bioéthique estimait possible que les différentes conceptions fassent place à une troisième voie. Il n'excluait même pas que certaines personnes en étaient justement arrivées à cette troisième voie, parce qu'elles constataient qu'un certain rapprochement s'était développé dans cette direction. Je pose aussi cette question parce que certains prétendent qu'il n'existait aucune unité au sein du Comité consultatif.
M. Paul Schotsmans. Sur la question de la transparence pour toutes les décisions médicales ou pour les seules décisions en matière d'euthanasie, je suis évidemment partisan d'une transparence aussi grande que possible pour toutes les décisions médicales et pour les consigner dans le dossier médical. Donner également à tout ceci un cadre légal me semble mais qui suis-je pour dire cela un peu trop rigide pour la pratique. Peut-être peut-on encore remédier à ce problème.
J'avais plutôt mis mes espoirs dans une différentiation marquée des directives déontologiques médicales en fonction du codage, et ce également en matière de décisions médicales concernant la fin de vie. Cela me semblait offrir assez de transparence. De nombreuses personnes m'avertissent que fixer tout cela dans une réglementation légale est un peu trop complexe.
Cela signifie qu'il faut conserver toutes les décisions dans le dossier du patient. C'est pourquoi nous avons fait de ce dossier un formulaire à double, tant pour le dossier médical que pour le dossier infirmier, afin qu'aucun doute ne soit possible sur l'état du patient.
Je ne suis certainement pas insensible aux droits de l'homme ni aux droits du patient, je trouve moi aussi qu'il faut établir la valeur qu'a le patient. Dans ma réponse à la question de M. Monfils, j'ai seulement essayé d'indiquer que la façon dont on utilise la notion de « droits » constitue elle-même aussi déjà un point de discussion à l'intérieur d'une philosophie pluraliste bien déterminée. Le défi sera donc de trouver une façon de parvenir à un consensus.
Dans certaines discussions, le groupe des médecins de famille est quelque peu oublié, à l'exception des soirées de formation éthique de médecins, où ils représentent le groupe le plus nombreux. Il y a aussi l'évolution enregistrée ces dernières années et par laquelle la relation entre le spécialiste et le médecin de famille est de mieux en mieux intégrée à l'acte médical.
M. Destexhe m'a demandé de répondre par oui ou par non, mais, dans une situation aussi difficile et d'une telle complexité, je n'en suis pas capable en tant qu'éthicien. Lors de pareils moments, le dialogue avec le patient, le dialogue avec le médecin, qui est aussi terriblement déchiré par la demande du patient, le dialogue avec la famille, sont extrêmement importants. Nous avons un jour eu un patient qui ne posait cette question que si son épouse n'était pas là. Cela a donné lieu à un dilemme terrible. Devions-nous le dire à l'épouse ? Comment devions-nous aborder ce problème ?
Néanmoins, ce type de situations est tellement complexe et aussi plus ou moins exceptionnel, que je demande qu'on introduise avant tout toutes les garanties en matière de soins et de proximité. Je reconnais que vous le faites vous aussi, mais il faut l'affirmer encore plus clairement. Si on réglemente trop à la légère sur ce point-ci, je crains vraiment qu'on n'arrive sur une pente glissante. Je n'ai pas encore utilisé ce mot, mais je l'utilise maintenant. Nous devons aborder ce point de façon très minutieuse, et être vigilants quant à l'impression que nous suscitons de ce fait chez d'autres personnes qui présentent aussi une quelconque « déficience ». Dans des telles situations, une concertation éthique calme est donc absolument nécessaire et il est très important de prendre le temps de réfléchir à un dilemme aussi terrible. Je reconnais qu'après une telle conversation, le médecin ne détient pas non plus immédiatement la solution lorsqu'il retourne chez le patient.
La question a été posée de savoir si dans de tels cas, il ne faut pas prendre encore davantage de précautions ? Si on veut réglementer, il faut en tout cas prendre beaucoup plus de mesures de précaution. Il doit être aussi clair que possible que tout a été fait pour être proche de cette personne. J'ai déjà vécu de tels cas. J'en ai d'ailleurs parlé il y a un instant. Je vois encore régulièrement cet homme. Nous avons pris la décision d'associer l'épouse à la décision, ce qui n'était pas évident au début, mais en fin de compte l'homme a quand même réagi de manière positive à notre conversation.
M. Alain Destexhe. Monsieur le professeur, il s'agit là d'un point fondamental. Vous admettez que ce type de situation existe, mais vous nous dites, pour la première fois après trois heures de débats, que ce que vous craignez dans ce type de circonstances, c'est la pente glissante que cela entraîne. Corrigez-moi se je me trompe, mais vous reconnaissez finalement que la demande existe, que la société n'y répond pas, mais que vous refusez vous-même de vous engager dans une réponse positive à cette demande parce que vous craignez une pente glissante, pente glissante que nous craignons tous mais que nous voulons précisément bloquer par une législation extrêmement stricte et rigoureuse.
M. Paul Schotsmans. C'est justement de cela qu'il s'agit. Ce sont des situations tellement exceptionnelles. Si nous élaborons une réglementation légale pour chaque dilemme médical, nous donnerons à la société des signes symboliques que nous ne pourrons plus contrôler. J'ai souvent dit que je ne suis pas juriste, mais je ne suis pas non plus médecin. J'ai beaucoup de respect pour les médecins. Je les entends souvent dire que la confrontation est tellement profonde et le défi éthique tellement énorme, qu'ils n'auraient pas pu s'y préparer. On ne peut pas tout prédire dans l'acte médical et donc, dans ce genre de situations, on doit laisser se développer la responsabilité de conscience, qui est extrêmement délicate. Je sais que c'est un point difficile. Pourquoi je n'utilise pas volontiers l'argument de la pente glissante ? Parce qu'on en abuse parfois idéologiquement et je ne veux pas appartenir à ce groupe. Cependant, je suis bien conscient de l'image que nous donnons à des gens qui se trouvent dans cette situation et qui ont l'impression d'être condamnés. Nous devons nous montrer particulièrement attentifs à cet égard.
M. Alain Destexhe. Mais vous acceptez donc que ces situations dramatiques existent ...
M. Paul Schotsmans. Certainement.
M. Alain Destexhe. ... et, surtout, qu'elles ne peuvent pas être résolues dans le cadre de la législation actuelle.
Excusez-moi, professeur, mais j'insiste sur ce point. Considérons précisément le cas d'une personne où toutes les conditions que vous avez décrites sont respectées : l'entourage affectif maximum, la meilleure qualité possible des soins, bref, tout le cortège émotionnel.
Imaginons les conditions absolument idéales. Dans les conditions actuelles, vous continuez envers et contre tout à dire que c'est une question de proximité, de soins, d'écoute ... Je vous dis que tout cela est rencontré.
Ma question, à laquelle je n'ai pas reçu de réponse, est de savoir si la demande, la requête qui existe dans ces situations est rencontrée par la législation actuelle. La réponse est évidemment non, mais le professeur ne veut pas dire non parce qu'il ne veut pas accepter que ces demandes ne sont pas rencontrées dans la législation actuelle.
M. Paul Schotsmans. Non, parce que la loi ne reprend pas de nombreuses autres situations. Je pense à la médecine intensive, où des médecins sont occupés avec un traitement et où soudain, un traitement complémentaire doit être mis en route. Tout cela n'est pas décrit et vous devez quand même laisser au médecin un minimum de liberté et de responsabilité. Il s'agit ici selon moi de situations très extrêmes pour lesquelles la voix du législateur ne peut pas être prépondérante.
Un certain nombre de questions ont aussi été posées sur le testament de vie. Si on décide l'arrêt thérapeutique, cela ne signifie pas qu'il n'y a plus d'assistance. Celle-ci peut être octroyée par des soins de confort maximaux.
Vous vous référez aussi à des testaments de vie où une injection létale est demandée. La plupart des pays expriment des réticences à ce sujet, parce qu'il s'agit d'une question très prédominante, qui peut précipiter le médecin dans de graves problèmes de conscience.
Concernant la dignité, j'ai dit qu'un certain pluralisme existe au niveau des conceptions qui s'y rapportent. Le patient est évidemment partie intéressée à l'interprétation de cette notion.
J'espère que le code de la KUL bénéficiera d'une diffusion plus large. À cet effet, je renvoie une fois de plus à l'Ordre.
Quant à la question du sénateur Vandenberghe, je ressens les choses différemment. La façon dont la troisième proposition était formulée m'a permis de parcourir beaucoup de chemin. Je peux me reconnaître dans cette proposition, que je considère comme un instrument pluraliste. Si l'on dépénalisait l'euthanasie, je me sentirais au fond quelque peu isolé dans cette société. Je me réfère à l'exposé que j'ai fait sur la valeur symbolique de la dépénalisation.
En ce qui concerne la remarque de sénateur Vankrunkelsven : si j'ai dit cela, c'est une erreur évidemment. Je trouve en tout cas que l'euthanasie doit être maintenue dans le Code pénal. Cela doit être clair.
Je pense aussi que nous devons, au moyen du code pénal, tenter d'empêcher de façon encore plus précise l'interruption de vie sans demande du patient. Le sénateur De Riet a demandé comment cela pouvait être empêché. Nous devons élaborer des instruments à cet effet, peut-être par le biais de contrôles sur les déclarations de décès.
Mme Jeannine Leduc. Mais la sédation est aussi un acte de fin de vie.
M. Paul Schotsmans. Non, la sédation n'est pas un acte de fin de vie.
M. Philippe Mahoux. Vous avez reconnu que, malgré les soins apportés, certaines situations devenaient parfois intolérables pour le malade.
Par ailleurs, vous parlez de sentiment de culpabilité par rapport à un acte d'euthanasie, qui est une réponse à un malade qui demande à mourir dignement. N'éprouvez-vous pas le même sentiment de culpabilité à ne pas apporter de réponse à un malade dont la demande réitérée est précisément l'accomplissement d'un acte d'humanité ? Cela n'a pas été évoqué au cours de l'ensemble de ces longues heures d'audition.
M. Paul Schotsmans. Je pense bien y avoir répondu. J'ai dit explicitement que, personnellement, je trouve qu'actuellement, on doit limiter la réglementation à la phase terminale. Dans ces situations intolérables, fort exceptionnelles, je trouve qu'en tant que législateur, vous devez aussi en respecter ce caractère fortement exceptionnel. Réglementer quelque chose à partir d'une exception est toujours très dommageable. De là ma réaction.
Pour répondre à la dernière question du sénateur Vandenberghe, je peux dire en guise de conclusion, qu'au sein du Comité consultatif, nous avons pris beaucoup de risques. Cela n'a pas été facile pour moi. Les libéraux ont eux aussi recherché un très grand rapprochement de points de vue. Je regrette que malgré cela, la sagesse du comité ne transparaisse pas dans la proposition de loi.
M. Philippe Mahoux. Cinq mille cas par an, ce n'est pas une situation exceptionnelle, professeur.
Mme Clotilde Nyssens. J'ai posé une question concernant les soins palliatifs.
M. Paul Schotsmans. Le programme Biomed de l'Union européenne possède un volet bioéthique. Dans le cadre de ce programme, un projet d'organisation des soins palliatifs dans les pays européens a été mis en place. Cette étude n'est pas encore terminée. Je vous communiquerai certainement les données y afférentes.
Mme Mylène Baum. Je vous remercie tout d'abord de m'avoir invitée afin de me permettre de m'exprimer sur une question qui est pour moi aussi bien une question éthique que biopolitique et une question de sociologie politique. C'est sous ce biais que je vais essayer de présenter mon exposé.
L'actuel débat d'opinions en Belgique sur l'euthanasie indique pour moi la fragilité des fondements aussi bien éthiques que juridiques indispensables à une contribution réussie entre l'éthique biomédicale et les institutions médicales et juridiques qui sont encore en conflit d'intérêts et de repères normatifs.
Le constat du nombre très inquiétant d'euthanasies non volontaires mentionnées par le professeur Vermeersch mène certainement à conclure à l'évidente nécessité de légaliser l'euthanasie, nous dit-on, en régulant les abus par le biais d'une régularisation a posteriori. Je voudrais remettre cette affirmation en question parce qu'elle me semble avaliser un fait condamnable et cela met l'euthanasie non volontaire en valeur. Cela ne correspond pas au projet de la majorité arc-en-ciel que j'ai lu et qui ne porte que sur la légalisation de l'euthanasie volontaire.
Ce constat démontre pourtant la nécessité de réguler les pratiques et de trouver les moyens juridiques de réguler les abus de l'euthanasie. Je trouverais donc plus cohérent, pour ma part, de réguler cette pratique a priori en ayant comme garde-fou une Charte des droits du patient qui permettrait d'exprimer un projet thérapeutique et l'organisation de la fin de vie du patient.
Le point du débat le plus important selon moi se trouve dans la nécessité d'évaluer la capacité du droit à réguler les abus et les incohérences de certaines pratiques hospitalières, tout en légitimant et là, nous sommes devant un fait social incontournable certaines euthanasies volontaires qui seraient l'expression d'un droit subjectif exprimant une conviction personnelle. Nous nous trouvons depuis les années cinquante dans un conflit entre droit subjectif et droit public et la question de la légalisation de l'euthanasie me semble en être un de ses symptômes les plus flagrants.
Pour pouvoir légitimer une légalisation ou une dépénalisation à la hollandaise de l'euthanasie, il nous faudrait pouvoir parvenir à un consensus sur la meilleure manière de prévenir des abus, ce qu'aucun État démocratique n'a, à mon sens, réussi à faire jusqu'à présent, en termes de légalisation. Je ne parle pas de la dépénalisation hollandaise.
L'Afrique du Sud est sur le point d'aboutir à une légalisation mais j'ai parlé avec certains juristes d'Afrique du Sud et ils ne semblent pas eux-mêmes convaincus que leur modèle de démocratie en cette matière soit un modèle à suivre. La banalisation de l'euthanasie involontaire doit donc être contenue et comprise comme un phénomène de société avant de pouvoir, de manière responsable, régulariser le droit subjectif de mourir demandé par un nombre croissant de patients en phase terminale ou en situation de maladie dégénérative irréversible. Je crois qu'on vous entretiendra de la situation des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Il s'agit d'une des questions les plus urgentes, dans le cadre de ce débat.
Si le projet de loi actuellement en discussion paraît représenter un compromis acceptable pour certains, il ne me semble pas assez rassurant en termes de dérives économiques notamment. En outre, il semble plus soucieux de protéger le pouvoir médical que l'ensemble des patients concernés.
Et j'aimerais qu'on parle des patients au pluriel parce que les euthanasies ne se pensent pas de la même façon dans les divers services hospitaliers.
Face au projet de loi proposé par la majorité arc-en-ciel, j'insisterai tout d'abord sur la nécessité d'une procédure a priori et de l'élaboration d'une Charte des droits du patient reconnue légalement afin que le patient en fin de vie soit donc au moins aussi protégé que son médecin. Je proposerai également une description de l'éthique clinique telle qu'elle s'élabore dans nos cellules d'aide à la décision afin de remettre en question l'accusation de tribunal dont ces cellules d'aide font l'objet.
Je proposerais, à partir de ces amendements, que soit introduite dans le projet de loi, la notion de projet thérapeutique notamment sur les instructions NTBR (not to be resuscitated) et DNR (do not resuscitate) qui sont souvent utilisées dans les hôpitaux et qui font partie de la problématique de l'euthanasie, cela afin d'optimiser de façon concrète l'autonomie de décision du patient en fin de vie.
Je voudrais partir de quelques faits. Une vaste enquête a été entreprise en France par un médecin réanimateur, Édouard Ferrant, en 1997. Elle porte sur 200 centres de réanimation. Cette étude est citée par la sociologue Anita Hocquard, dont je vais beaucoup vous parler. L'étude s'intitule « Réalité du consentement du patient en réanimation en France lors des décisions d'abstention thérapeutiques ».
L'auteur a prouvé que l'acharnement thérapeutique, loin de provenir des excès de rationalité dont on accuse la technoscience et la biomédecine aujourd'hui, était consécutif à une absence de rationalité des soins. On y apprend que la décision la plus souvent discutée par l'ensemble de l'équipe soignante consiste à échapper à l'arbitraire d'une décision individuelle, donc d'un médecin unique. Ce type de mesure concerne les patients de plus en plus nombreux en service de réanimation, accueillis avec des critères discutables, c'est-à-dire incertains. Et les interruptions de traitement sont motivées par un jugement subjectif du médecin sur l'absence de qualité de vie future.
Viennent ensuite comme critères, l'inutilité des soins et l'âge du patient, ce qui est plus problématique. La demande de la famille n'arrive qu'en troisième position, mais il mentionne un élément important, à savoir que les considérations économiques apparaissent entre 4 et 8 % des cas et mènent à provoquer la mort de patients n'ayant pas fait de demande.
Pour le biostatisticien, il ne s'agit pas de donner la mort mais d'agir essentiellement de manière cohérente en termes de moyens techniques disponibles pour le médecin. Contrairement à ce qui a été dit dans certaines interventions précédentes, ce score de défaillance est de plus en plus prédictif. Il n'est pas absolu, mais il est de plus en plus prédictif. On sait par exemple que lorsque quatre organes majeurs sont défaillants, il y a pour le patient 98 % de chances de décès. Donc, la réanimation peut être évaluée par le médecin comme étant un soin futile.
Il me semble important de ne pas prendre en compte que des positions idéologiques ou des convictions morales, mais de s'appuyer aussi sur les données techniques disponibles. On s'attend aussi dans les années à venir, nous dit la sociologue Anita Hocquard, à un triplement des 75 ans et à un quadruplement des 85 ans et plus dans les unités de soins. Le poids économique du vieillissement est donc bien une donnée tangible en termes de santé publique. Le fait absolu du vieillissement de la population de notre vieux continent a amené à une diminution de la médicalisation du quatrième âge et, par contre, à une augmentation de la dépendance de cette même population. On s'attend à une augmentation d'au moins 30 % des coûts liés au vieillissement d'ici 2040.
C'est dans ce contexte précis que nous devons penser la légitimité d'une dépénalisation de l'euthanasie.
Contrairement à ce que mon éminent collègue le professeur Englert a affirmé lors de son intervention, la dérive économique n'est pas un fantasme, mais une menace réelle pour la majorité des patients âgés. Il est de notre responsabilité éthique d'en prévenir les effets liberticides. Je renforcerai mes intuitions par une enquête la première du genre conduite auprès des membres de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, par Anita Hocquard dans ce livre « L'Euthanasie volontaire ».
Cela me permettra d'insister sur l'importance de la sociologie de la santé dans ce débat. Je dois dire l'importance de mon échange avec Madeleine Moulin, sociologue à l'ULB, ainsi que Guy Lebeer, sociologue de la santé.
Je poserai donc la question de l'autonomie du patient en termes de parallèle entre autonomie et économie. Dans les systèmes institutionnalisés de soins de santé, le mourir tend à devenir un phénomène de moins en moins culturel et de plus en plus socio-économique. Tout se passe comme si la dépendance de la personne mourante et l'idéal d'autonomie vénéré par l'homme occidental en bonne santé étaient inconciliables. L'autonomie est néanmoins revendiquée par la plupart des consommateurs de soins de santé. Nous voudrions examiner comment, dans le domaine biomédical, le principe d'autonomie n'entre pas nécessairement en conflit avec la notion de consensus juridique.
S'agirait-il d'un consensus européen sur la légalisation ou même la libéralisation de l'euthanasie ? La Hollande devrait-elle nous servir de modèle ? Cette question est pragmatique à mon sens mais n'est pas encore une question éthique.
Soyons clairs. Lorsque l'euthanasie, employée par euphémisme, est évoquée dans le cadre général de la politique, elle n'a pas grand-chose à voir avec la compassion d'un médecin pour un patient qui souffre. En tout cas, il faut s'imaginer que l'institution et la gestion hospitalières sont une donnée extrêmement importante qui fait parfois du médecin un agent double vis-à-vis de son patient.
La question fondamentale est dès lors celle-ci : a-t-on besoin d'un consensus comme médiation entre notre désir d'autonomie subjectif et nos besoins sociaux d'émancipation envers la dépendance qu'entraîne le mourir ?
Depuis 20 ans, dans une Europe pluraliste et démocratique, les problèmes bioéthiques liés à l'expansion de l'articulation de la médecine et des biotechnologies sont de plus en plus importants. Les comités d'éthique ont pour premier objectif d'harmoniser les différentes convictions morales propres à notre société post-religieuse et une intentionnalité éthique réelle tentant d'élaborer une universalité de principe qui avait disparu après la seconde guerre.
Mais pour quelle raison le consensus ne peut-il se manifester que sur le terrain de l'éthique procédurale, c'est-à-dire la manière pragmatique de répondre aux questions ?
Je voulais souligner que les positions extrêmes, qu'elles défendent le principe absolu de l'autonomie ou le principe absolu de la sacralité de la vie sont par nature totalitaires. Elles refusent la délibération et ne peuvent être défendues que par des arguments d'autorité ou la revendication d'un droit.
Mais la question du comment nous voulons mourir concerne chaque citoyen privé et exige un débat public qui ne devra pas chercher la bonne solution mais la moins mauvaise pour chacun, une solution qui ne serait pas radicalement bonne mais justement bonne. La revendication de la liberté devait dès lors être celle d'une liberté coresponsable entre médecin et patient, ce qui est pour moi le contraire d'une dilution de la responsabilité, accusation que l'on a faite aux cellules d'aide à la décision, car nous passerions, avec une charte des droits du patient, à un modèle contractuel et nous échapperions à la fois au modèle paternaliste et au modèle arbitraire de décision. Nous ne pouvons argumenter nos convictions morales qu'au niveau d'une expérience existentielle qui nous est propre mais néanmoins contextualisée. Des normes minimales devront tenir compte de la spécificité des patients vulnérables sous peine de les exclure du débat public, parce que leur vie « ne vaut rien ».
Le conflit qui oppose le droit subjectif au droit public doit donc se résoudre par une troisième voie.
On ne peut prétendre être pluraliste et mépriser la relativisation de l'autonomie par d'autres valeurs, la vulnérabilité du patient par exemple. Il ne s'agit pas d'un débat entre individualisme et communautarisme, car comme le disait Sartre « On ne peut être libre seul ».
La notion d'autonomie est immédiatement confrontée à la notion de dignité ainsi qu'à celle de justice. Nous savons que les dépenses de santé devraient toujours être contrôlées par une justice distributive. Or, lorsque le rationnement provoque la disparition de la dignité irréductible de chaque personne, ne sommes-nous pas en face d'un comportement irrationnel ? La contradiction réside en ce qu'au nom de la dignité, on retire aux personnes leur nom, leur visage, c'est-à-dire la plus fondamentale des libertés. Le patient devient dans l'institution un individu anonyme, voire un outil statistique. Si l'épistémologie scientifique est par nature déterministe, les personnes quant à elles sont libres de lutter contre le déterminisme de leur condition, jusqu'à accepter ou refuser la mort.
Lorsque le projet de loi a été présenté en Australie, Peter Singer, bioéthicien célèbre, a posé la question suivante : le territoire nord-australien est-il le premier domino d'une longue série ? De manière signifiante, l'auteur utilise non pas la métaphore courante de la pente glissante, mais une plus ludique, qui dissout les notions de chute et de culpabilité présentes dans l'idée de pente glissante. Il remplace cette métaphore par un mouvement horizontal historique et aussi inévitable, nous dit-il, que le temps qui passe et présente la légalisation de l'euthanasie comme un déterminisme social, un nouveau fatum. C'est contre ce nouveau fatum que je m'élève pour insister sur la nécessité d'une procédure a priori.
Nous savons que la médecine n'est plus une affaire privée entre le praticien et son patient, qui devient de plus en plus un client. Le contrat qu'ils établissent doit donc trouver des manières de devenir équitable. D'où ma proposition d'une Charte légalisée des droits du patient en fin de vie. La mort idéale, idéal positif ou négatif, ce n'est pas à nous d'en juger, étant aujourd'hui une mort médicalisée, l'euthanasie peut constituer une position idéologique d'une façon de mourir « logique et cohérente pour tous ». C'est ceci que tout projet de loi doit éviter.
On entend souvent dire que la légalisation de l'euthanasie représente les autonomes qui ont le courage de maîtriser leur propre mort.
Mais derrière cette revendication d'autonomie, et là réside le problème, se cachent des déterminismes socio-économiques qui font que ce désir n'est pas un désir libre mais un désir induit. La sociologue Anita Hocquard a montré dans son étude conduite auprès des membres de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité que la honte provoquée par la dégradation provoquait la demande d'une « citoyenneté létale ». Pouvons-nous parler dans ce contexte de revendication autonome ? Ne devons-nous pas tenir compte de la vulnérabilité de fait des demandeurs d'euthanasie volontaires sans tomber dans le paternalisme qui consisterait à juger leur actes ?
Qu'est-ce alors que la revendication du droit de mourir ? « Une simple liberté ou une créance? » nous demande-t-elle. Nous devons nous interroger sur le pouvoir auquel s'adresse cette revendication. Il ne faut pas oublier que l'association en question s'est créée contre le pouvoir médical d'une certaine médecine qui, à l'époque, était une médecine réductionniste et qu'elle s'adresse à la revendication citoyenne du droit de mourir, celle qui polarise tous les reproches étant la réanimation. Le droit de mourir devient alors une extension du droit de propriété sur soi, sur son corps et sur sa mort. Soulignons que l'ADMD en France a environ 25 000 adhérents.
Ce chiffre est analysé comme corrélatif de la montée de l'individualisme qui caractérise notre modernité : valorisation de la vie privée, intensité des rapports à soi qui définit l'individualisme comme un ethos.
L'individualisme est aujourd'hui, dans les sociétés développées, un individualisme de légitimation. Il a évolué vers une pluralité d'individualismes conflictuels. Ces conflits invitent à penser les limites de l'individualisme dans une démocratie pluraliste. Nous sommes passés d'un individualisme universalisant qui a donné naissance aux droits de l'homme à un individualisme narcissique.
Selon l'étude sociologique précitée : « Les déclarations des adhérents affirment la souveraineté du moi ... Le profil sociologique et économique est celui de surdiplômés, ils sont 26 % à avoir un diplôme au-dessus de la licence ... Le religare » qui est la notion de lien social « fait nettement défaut à cette population ».
L'enquête conclut sur un parfait profil d'individualiste visant à utiliser le contrôle de sa mort pour éviter la souffrance. Bien sûr, cette description n'implique de sa part, ni de la mienne d'ailleurs, aucun jugement de valeur, mais elle nous donne des éléments de réflexion en termes de légitimation politique de l'euthanasie par une certaine classe sociale peu consciente peut-être de ses conséquences pour des patients économiquement plus faibles et moins privilégiés en termes d'éducation.
C'est donc une question politique car elle interroge les élus sur la cohérence d'un droit de créance qui implique l'intervention d'un tiers. Il faut rappeler que, pour cette raison, dans la plupart des pays européens, le suicide ne constitue pas une infraction mais que, néanmoins, on n'a pas le droit de le commettre. Peut-on envisager l'euthanasie comme « un délit autonome » régi par des droits idéaux, une troisième voie du droit ? Je laisserai aux juristes la responsabilité de répondre à cette question.
En légalisant l'euthanasie, nous entrerions dans l'ère affirmée d'un biopouvoir reconnu en droit, alors que tout le discours bioéthique auquel je participe dénonce l'existence de ce biopouvoir, un pouvoir qui peut instaurer un droit à la mort volontaire si, et seulement si, il n'a pas le pouvoir de vie et de mort. Il me semble donc extrêmement important qu'il n'y ait pas de collaboration entre le pouvoir médical et le pouvoir juridique sur cette question, mais un pouvoir critique du pouvoir juridique.
Le biopouvoir ne légitimerait la légalisation que contre un autre pouvoir, le pouvoir biomédical. Le motif juridiquement admissible étant la dignité qui deviendrait un concept juridique, comme c'est déjà le cas en France après l'histoire du lancer de nains.
La légalisation se fait peut-être au nom du principe d'une autonomie privilège. Ma question est de savoir comment faire pour que celle-ci soit partagée par tous. C'est pourquoi il me semble essentiel qu'une régulation a priori permette de vérifier que la perception de la dignité humaine par le patient vient bien d'une conception de la dignité personnelle afin qu'elle ne soit pas vécue par certains patients, représentant d'autres convictions sur la dignité humaine, comme une violence faite à leur vulnérabilité physique et socio-économique.
J'expliquerai à présent pourquoi je défends une position a priori. Tout simplement parce qu'en travaillant avec une équipe volante de soins palliatifs, il m'a semblé que c'était la position la plus démocratique pour le patient. Mais cette position a priori doit être renforcée par une charte des droits du patient. En effet, il ne me semble pas possible, en droit positif ni en éthique, de définir une position éthique ou juridique consensuelle. Il faut simplement que l'État assure la convivialité de convictions conflictuelles.
Si les questions d'éthique se posent en milieu hospitalier, nous pouvons penser le comité d'éthique hospitalier comme ayant une fonction symbolique très forte, celle d'élaborer des consensus qui ne rabotent pas les convictions au plus petit dénominateur commun mais qui mettent en scène une culture où le projet individualiste et le droit subjectif par excellence restent un droit privé, protégé par les institutions publiques.
La légitimation du droit privé à la revendication du droit de mourir ne peut donc dispenser d'un débat public sur l'organisation sociale de la fin de vie. Nous ne retrouvons dans les propositions de loi que des formes des positions deux et trois de contrôle a posteriori ou a priori. La régulation a posteriori s'aligne, selon moi, sur le modèle du compromis hollandais entre pouvoir médical et pouvoir législatif, en proposant un maintien symbolique de l'interdit du meurtre, tout en permettant le suicide assisté. Il me semble d'ailleurs très important, au niveau sémantique, de ne pas parler d'euthanasie, car c'est un terme extrêmement complexe; on a pu déterminer neuf définitions différentes de l'euthanasie. Dans un projet de loi, il me semble beaucoup plus précis de parler de suicide médicalement assisté.
La proposition a priori que nous avons défendue au sein du comité d'éthique récuse les deux approches principalistes en conflit et invite à tenir compte de l'avancée de l'éthique clinique permise par la culture « soins palliatifs » en Belgique et par les diverses cellules d'aide à la décision qui se sont développées dans les comités d'éthique hospitalière. Leur rareté à ce stade souligne que la méthodologie de la régulation a priori consiste à ne pas adopter de position principaliste ou institutionnelle, mais à mettre le patient au centre du processus de décision afin que son désir puisse peser aussi lourd que son dossier médical, dont l'interprétation reste souvent incertaine, comme nous l'avons vu. Cette éthique clinique interne à chaque service aurait pour avantage de protéger à la fois l'autonomie et la vulnérabilité du patient.
La proposition de régulation a priori permet également selon moi de postposer une régulation juridique en invitant d'abord à s'interroger sur la clandestinité des pratiques banalisées d'euthanasie en milieu hospitalier. Cette première étape devrait permettre au droit de se mettre en phase avec la réalité de terrain dont les aspects singuliers ne pourraient qu'être masqués par une approche juridique trop positiviste. Les sondages ont bien montré que l'euthanasie volontaire était devenue un fait de société et que l'on ne pouvait plus ranger cette pratique dans la catégorie de l'exception ou même de l'état de nécessité. Cette prise de conscience de l'ambiguïté de la liberté médicale face à la liberté « vulnérabilisée » du patient ou du mourant pose la responsabilité en un principe ouvert de l'éthique clinique, dans la complexité des conflits d'intérêts entre protagonistes. Quand je parle de protagoniste, je ne parle pas d'un médecin face à un patient mais d'une équipe soignante face à un patient. Je trouve qu'il y a déjà là un déséquilibre assez profond.
Cette éthique clinique à travers laquelle s'élabore le jugement à plusieurs réinvente un espace politique horizontal à l'hôpital alors que ceux qui connaissent la structure politique de l'hôpital savent qu'une structure hospitalière est une micro-société extrêmement hiérarchisée et autoritaire. Le passage de l'éthique clinique à la légitimation juridique est un processus lent qui devrait être encouragé par une éventuelle dépénalisation mais non remplacé par une dépénalisation. Je réitère donc auprès de vous ma demande d'une légalisation d'une charte des droits du patient qui aurait pour fonction d'assurer à ce dernier l'établissement d'un contrat thérapeutique cohérent avec son équipe soignante en faisant de lui un partenaire de la décision.
M. Philippe Monfils. Je voudrais poser assez rapidement quelques questions à madame. La première concerne les définitions. Elle a dit que, pour elle, l'euthanasie n'est qu'un suicide médicalement assisté. Elle sait donc sans doute qu'elle est en désaccord avec le Comité de bioéthique qui, unanimement, a donné une définition claire de l'euthanasie. Elle est aussi parfaitement en désaccord avec M. Englert qui, il y a quelques jours, a bien marqué la différence entre euthanasie et suicide médicalement assisté, non seulement au niveau du geste mais aussi au niveau d'une certaine « convivialité » dans la manière dont les choses se font. J'aimerais entendre son sentiment à cet égard.
Ma deuxième question porte sur les explications intéressantes de madame sur les risques de dérives économiques. Croyez-vous aujourd'hui, Madame, que les dérives économiques ne constituent pas un risque évident puisqu'il n'y a aucun contrôle ? Tout se fait en dehors d'une certaine transparence. En quoi, grands dieux, une législation réglementant au contraire la procédure de décision d'euthanasie serait-elle actuellement plus dangereuse que les dérives économiques ? Que je sache, ce n'est pas l'existence de l'euthanasie qui aboutirait à des dérives économiques, c'est la volonté d'un État de considérer éventuellement que, pour des raisons financières, il n'assure plus la qualité et l'efficacité des soins aux personnes du troisième, du quatrième et du cinquième âges. Il s'agit donc d'un débat politique qu'il n'est pas question de faire peser sur ceux qui proposent l'euthanasie. C'est un autre problème.
Croyez-moi, il y a un certain nombre de choses à dire à cet égard. Nous voulons que le patient soit soigné jusqu'au bout, quels que soient son état physique et son mode de vie. Je réfute donc complètement cette liaison entre euthanasie et dérives économiques. La situation économique peut varier en fonction des décisions d'un pays.
Ma troisième question concerne la charte des droits du patient. Ne croyez-vous pas que le premier droit du patient est précisément celui de décider de sa propre vie et de sa propre mort ? Vous avez affirmé que le désir libre est un désir induit par des conditions économiques. Ce n'est toutefois qu'un postulat. Bien entendu, on n'est pas fils de personne. Tout le monde appartient à une catégorie sociale, a des antécédents, des parents, une société autour de lui, que sais-je ? Mais je crois quand même qu'indépendamment de ce qui n'est qu'un postulat pour moi, le premier droit du patient est de dire qu'il souhaite éventuellement en finir, d'une façon ou d'une autre, avec son existence.
Par ailleurs, vous avez dit que le Comité d'éthique avait pour finalité d'harmoniser. Croyez-vous qu'il a été possible d'harmoniser, à l'époque de la loi sur l'avortement ? Croyez-vous qu'il sera possible d'harmoniser en ce qui concerne l'utilisation des embryons surnuméraires ? Croyez-vous qu'il sera possible d'harmoniser au niveau de la vision de la thérapie génique germinale ou somatique ? Ce sont des débats qui existent dans une société démocratique. Ne peut-on pas, grands dieux, mener un débat sain, clair, approfondi ? C'est ce que nous faisons, chacun restant sur ses conceptions. D'ailleurs, votre prédécesseur, M. Schotsmans, reconnaissait, il y a quelques minutes, qu'il existe deux conceptions fondamentales.
Ma dernière question porte sur la sédation contrôlée dont il a beaucoup parlé. On a discuté de la dignité de l'homme. Il a dit qu'il y avait des morts justes et des morts injustes. Pour vous, l'euthanasie est-elle une mort injuste et la sédation contrôlée une mort juste ?
Mme Clotilde Nyssens. Je remercie Mme Baum pour son exposé. Son style est assez nouveau. Le langage, plus sociologique et plus éthique, était plus difficile à comprendre au départ. Cela donne néanmoins un nouvel éclairage sur le dossier.
M. le président. Nous avons invité une philosophe et une éthicienne.
Mme Clotilde Nyssens. Ce nouveau langage suscite de nouvelles questions. J'ai bien compris que Mme Baum était principalement en contact avec la France puisqu'elle a cité pas mal d'auteurs.
M. le président. Madame Baum est française ...
Mme Clotilde Nyssens. Ma question est très précise. Où en est ce débat en France ? Je suppose que les pratiques sont les mêmes et que le développement des soins palliatifs est identique. Je présume que les mêmes questions sont posées lors du débat éthique. Existe-t-il un consensus philosophique ?
Vous avez insisté sur le fait que, dans une démocratie, la position que vous défendez devrait rencontrer toutes les convictions éthiques. En est-on au même point en France ? Comment a-t-on abouti à cette démocratie pour laquelle vous plaidez étant donné qu'on n'a pas légiféré et qu'on n'a pas dépénalisé ?
Vous avez par ailleurs parlé de la relation contractuelle entre le médecin et le patient. Cela veut dire qu'il y a un contrat. Le patient se trouve-t-il devant son médecin comme deux individus se trouvent devant un contrat ? Cela m'a un peu interpellée. Un médecin est quelqu'un qui a une profession réglementée, qui est encadré, qui est un tiers. Je ne conçois donc pas la relation entre le patient et le médecin comme un contrat entre deux personnes privées, étant donné que la société donne une mission particulière au médecin. Nous en avons déjà beaucoup parlé. Cette position m'étonne donc un peu.
Enfin, j'ai l'impression que vous avez développé une thèse selon laquelle les gens seraient traités différemment selon leur catégorie sociale. C'est la première fois que j'entends parler de ces études sociologiques que vous avez invoquées. La question de l'euthanasie se pose-t-elle différemment selon les classes sociales ? Cela m'interpelle très fort.
Mme Kathy Lindekens. Madame, à un certain moment vous avez dit la chose suivante : « le désir prononcé n'est pas libre, mais est induit par le contexte socio-économique ». Ai-je bien compris que vous estimez que les gens ne demandent pas l'euthanasie de leur plein gré ou par conviction personnelle, étant donné qu'ils n'ont pas réfléchi à la question ?
Vous parlez aussi de la vulnérabilité du patient. Je pense que chaque demande d'euthanasie provient de la reconnaissance de sa propre vulnérabilité. Le patient peut-il juger de sa propre vulnérabilité ?
Mme Mylène Baum. Je vais d'abord répondre aux questions de M. Monfils. La première concerne ma préférence sur le plan de la définition : suicide médicalement assisté plutôt qu'euthanasie. J'ai entendu les interventions de M. Englert qui parlait de suicide assisté et non pas de suicide médicalement assisté. Cela me semble tout à fait différent parce que, dans un suicide assisté, aucun médecin n'intervient. Par contre, un des parents peut intervenir, par exemple.
Si je parle de suicide médicalement assisté, c'est pour insister sur la volonté du patient. Il me semble qu'une euthanasie n'est légitime que si le patient la demande, soit par des directives anticipées, soit directement à son médecin. Je me suis permis d'utiliser la dénomination « suicide médicalement assisté » puisque nous savons que la plupart des euthanasies pratiquées en Belgique ne sont pas volontaires. J'ai pu m'en rendre compte en travaillant dans une équipe de soins palliatifs mobile.
Je n'accuse pas la pratique médicale. Je constate simplement que, dans des situations de dilemme terrible auxquelles les médecins doivent faire face, l'euthanasie non volontaire paraît être la moins mauvaise solution. Il me semble que, pour échapper à cet arbitraire, il faut encadrer cette décision pour qu'elle ne soit pas prise dans un moment de perte de contrôle.
M. le président. Si vous le permettez, Madame Baum, je crois qu'il faudrait quand même être précis. Les auteurs des propositions de loi actuellement en discussion ont d'ailleurs repris la définition du Comité de bioéthique. L'euthanasie est bien le fait de donner la mort à quelqu'un, à la demande de celui-ci. Vous parlez donc d'autre chose.
M. Philippe Monfils. ... il faut que l'euthanasie soit pratiquée par un médecin et non par un membre de la famille, cela me paraît fondamental.
Mme Mylène Baum. Cela me semble très important dans le projet de loi, mais quand je constate la différence entre les faits et le projet de loi, je me dis que ce dernier n'a de chance de rassurer les patients que s'il décrit la situation réelle des hôpitaux et, par conséquent, prend en compte l'ensemble des pratiques de l'euthanasie. Ce qui me dérange, dans le terme euthanasie, c'est que l'on parle de « bonne mort ».
Les médecins vous diront qu'il n'y a pas de bonne mort mais des morts plus ou moins supportables. L'euphémisme dont on entoure l'euthanasie me semble dérangeant alors que lorsque l'on parle de « suicide médicalement assisté », on parle d'un acte technique qui me semble plus précis. Mais il s'agit là d'une opinion personnelle.
Quant à la dérive économique, il est évident que la légalisation vise à réglementer une procédure. Si j'ai bien compris, vous mettez en cause le fait qu'il y aurait une dérive économique ou alors vous dites que cela ne concerne pas le projet de loi.
M. Philippe Monfils. Je veux simplement dire qu'il n'y a pas de raison d'invoquer une dérive économique en matière d'euthanasie. Je crois d'ailleurs que dans un certain nombre de pays européens où l'euthanasie n'est pas autorisée, le problème des soins à donner aux personnes extrêmement âgées se pose, ce qui prouve bien qu'il s'agit d'un problème philosophique de fond. Pour ma part, je suis partisan d'examiner à fond ce problème qui n'a rien à voir avec l'euthanasie.
Je répète que dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, qui n'autorisent pas l'euthanasie, on décide parfois de ne plus opérer les fumeurs atteints d'un cancer. Cela n'est pas acceptable. Il faut donc bien dissocier ces deux problèmes. Nous nions que la proposition de loi, si elle est votée, aboutirait à une dérive économique.
Mme Mylène Baum. J'ai un regard en termes conséquentialistes sur ce projet de loi. Tel que vous le présentez, il ne me pose aucun problème mais, dans le contexte social actuel où il doit être placé, il y a un risque de dérive. Quelques textes de ministres flamands ont d'ailleurs parlé d'une nécessité économique de régulariser l'euthanasie.
M. Philippe Monfils. Jamais nous n'aurions prétendu cela.
M. Philippe Mahoux. C'est important ! Avez-vous le texte dont vous parlez ?
Mme Mylène Baum. Je n'ai pas ce texte ici mais il a été publié dans Le journal du médecin il y a deux ans.
M. Philippe Mahoux. Selon vous, un ministre flamand aurait déclaré qu'il était nécessaire de prendre en compte la dimension économique et donc, de légaliser l'euthanasie.
M. Philippe Monfils. S'ils sont exacts, ces propos sont très graves, mais ils ne concernent en rien les auteurs de la proposition !
Mme Mylène Baum. Bien sûr. Je ne porte pas d'accusation envers l'un ou l'autre des projets de loi présentés. Je dis simplement qu'un projet de loi, à la fois aussi idéaliste et philosophiquement correct, doit tenir compte du contexte dans lequel il va être appliqué.
Or, le contexte économique actuel est difficile pour les personnes âgées vulnérables; je crois donc que ce projet, puisqu'il est biopolitique, doit tenir compte de cette dimension économique et sociale.
Vous demandez pourquoi il faut une charte du patient étant donné que la décision lui appartient. Je suis tout à fait d'accord, mais il faut lui donner les moyens juridiques de le faire. Cela n'est pas prévu dans les hôpitaux.
M. Philippe Monfils. Cette proposition prévoit les moyens juridiques de se faire entendre ! Je suis tout prêt à vous suivre lorsque vous dites que ce n'est pas le cas dans les hôpitaux. Raison de plus pour faire changer les choses. Il ne faudrait pas que l'on continue encore pendant dix ans. Si la situation est vraiment celle que vous dénoncez, je trouve qu'il est encore plus urgent de légiférer en matière d'euthanasie.
Mme Mylène Baum. Pour répondre sur ce point, il me semble important de préciser que le public confond légalisation et légitimation. Il est en effet extrêmement urgent de légaliser l'euthanasie parce qu'il y a une incohérence des pratiques hospitalières et des repères éthiques de pratiques qui sont tout à fait insupportables. Je voudrais dès lors que l'on fasse très attention lorsque l'on dit que légaliser n'est pas nécessairement légitimer l'euthanasie. Ce serait en effet limiter la liberté de ceux qui considèrent que l'euthanasie n'est pas légitime. Or, nous sommes dans une démocratie pluraliste et délibérative.
M. le président. Il n'y a d'obligation pour personne ...
Mme Mylène Baum. En effet. J'ai parlé d'harmonisation tout en dénonçant le fait que l'harmonisation et la recherche d'un consensus ne consistaient pas à chercher le plus petit dénominateur commun qui effacerait nos différences culturelles. J'insiste sur la possibilité de faire coexister ces convictions plurielles.
Vous me parlez de « sédation contrôlée ». Il me semble et cela n'engage que moi qu'il s'agit d'une pratique hypocrite. À moins que j'aie mal compris votre question.
M. Philippe Monfils. C'était bien ma question.
Mme Mylène Baum. Quand on a pris la décision d'accepter la demande de fin de vie d'un patient, je pense qu'il faut l'assumer. Il ne faut pas essayer de trouver des moyens de concilier l'inconciliable. Peu de médecins de mon institution me contrediraient sur ce point car il existe également des demandes d'euthanasie dans les hôpitaux catholiques, ce n'est pas un secret.
M. Hugo Vandenberghe. Il y a une différence entre une demande d'euthanasie et une exécution.
Mme Mylène Baum. Bien sûr, les deux n'ont rien de commun. Le terme « exécution », que vous venez d'utiliser, a d'ailleurs une connotation éthique. Il n'est pas question d'une exécution mais d'une réflexion permettant de répondre, le mieux possible, à une demande du patient, en analysant toutes les données du problème. C'est pourquoi j'ai insisté sur les cellules d'aide à la décision.
En effet, lorsque j'ai abordé les inégalités entre classes sociales ou la « liberté induite », je visais des situations comme celle où l'on se retrouve à 55 ans, en retraite anticipée, sans aucun projet de vie, alors que tout le discours social vous dit que vous êtes inutile et que vous coûtez cher à vos enfants.
Je me réfère ici à une étude en sciences humaines effectuée par Anita Hocquard sur 25 000 questionnaires, 5 000 ayant été complétés. Il faut que nous en tenions compte si nous ne voulons pas être accusés d'avoir élaboré un projet législatif dans la hâte.
M. le président. J'ai également lu ce livre et je n'en tire pas du tout les mêmes conclusions. Ce qui est dit dans ce livre, c'est que les demandeurs d'euthanasie appartiennent souvent à des classes intellectuellement favorisées. Nulle part il n'est dit comme vous semblez l'avancer que l'on imposerait l'euthanasie à des gens qui seraient moins bien formés intellectuellement. Les résultats de l'enquête montrent cependant que les demandeurs d'euthanasie appartiennent généralement à des classes intellectuellement favorisées.
Mme Mylène Baum. Je vous lirai simplement la pochette du livre : « Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin. » Telle est l'injonction que Kafka, miné par la maladie, adresse à son médecin. On a déjà dit que l'euthanasie était une vieille question. De la même façon, une part non négligeable de la population revendique le droit, auquel l'opinion semble au demeurant favorable, d'être aidé à mourir. Mais au-delà de l'aspect juridico-éthique du problème, comment comprendre qu'un individu en appelle à la solidarité sociale et c'est là qu'elle met le paradoxe pour échapper au social et à ses solidarités ? Y a-t-il aujourd'hui une émergence d'une citoyenneté létale, l'existence d'un courant suicidogène ? » Et elle conclut cette question en disant : « Il n'y a pas moyen de montrer qu'une légalisation de l'euthanasie encouragerait un courant suicidogène, mais il n'y a pas non plus moyen de montrer que cela ne l'encouragerait pas ». Elle laisse donc la question ouverte.
Je voulais simplement témoigner de ce questionnement sociologique.
Pour répondre à la deuxième question de Mme Nyssens, la France ne dispose pas encore de projet de légalisation. Certains textes ont été déposés, mais vous savez comme moi que la France est un pays extrêmement hiérarchisé et « principaliste », qui est beaucoup plus kantien que la Belgique, beaucoup moins pragmatique. Il y a énormément de réflexions au sein des équipes de soins palliatifs et de développements de soins palliatifs, tout en sachant que ceux-ci ne sont pas une réponse totale à la question de la souffrance face à la mort. Pour l'instant, aucun projet n'a été déposé au Comité d'éthique français sur la question.
Pour répondre à Mme Lindekens, Mme Anita Hocquard essaye de montrer que lorsque nous sommes dans une société qui valorise la vieillesse, il lui semble que la liberté de choisir ou non une demande de mort est plus libre, moins déterminée que lorsque l'on se sent inutile. Le débat qu'elle provoque est le suivant : si j'avais un rêve, comment faire pour réintégrer cette quatrième tranche de vie que nous a offerte la biomédecine dans l'ensemble du corps social pour que le droit de mourir ne devienne jamais un devoir de mourir ?
Cette question me semble essentielle.
Mme Mia De Schamphelaere. L'exposé de Mme Baum était particulièrement intéressant. Le fait qu'il semblait parfois un peu confus est assurément dû au fait que les discussions en Belgique se déroulent selon certains schémas. Ce qui me dérange à cet égard, comme on le sait, c'est le fait qu'on représente toujours cette question comme une lutte entre les convictions religieuses et certaine conception philosophique de la vie.
Mme Baum apporte dans la discussion les approches adoptées par d'autres pays, où apparemment le pouvoir législatif pense davantage aux effets sociaux d'une légalisation. À cet égard, elle parle des moyens économiques d'une société et des soins de santé.
Un point particulièrement intéressant est qu'elle confirme les résultats d'une enquête chez des écoliers sur la question de savoir si l'euthanasie devait être possible dans certains cas sur demande du patient. Les élèves de l'enseignement général présentant un niveau intellectuel supérieur répondaient par l'affirmative pour 70 %, tandis que les élèves de l'enseignement professionnel, qui terminent leurs études à 18 ans, ne répondaient par l'affirmative que pour 30 %. La question est donc de savoir si, par une légalisation, nous ne renforçons pas encore la dualisation de la société.
La demande d'euthanasie émane en effet du groupe de personnes qui se sentent sûres d'elles et assurées, qui osent s'affirmer en présence des médecins et qui, dans le cas d'une hospitalisation, s'expriment de façon très autonome. Même s'il existe bien dans la société actuelle une plus grande égalité de revenus, il y a toujours une grande différence entre une classe assurée sur le plan intellectuel et une classe qui se sent vulnérable et qui souhaite avoir la garantie qu'en cas d'hospitalisation, elle sera bien soignée et ne sera pas abandonnée.
Pour ce dernier groupe, la première préoccupation n'est pas le droit à l'autodétermination, mais bien la certitude de bénéficier de soins de qualité et d'assistance. L'évidence de bénéficier de bons soins médicaux a diminué ces dernières années, car ceux-ci dépendent de plus en plus du choix individuel. Je lirai certainement son livre avec beaucoup d'attention, mais je voudrais demander dès maintenant au professeur si d'autres pays ont déjà mené des enquêtes sociologiques sur les effets sociaux d'une légalisation et sur le renforcement éventuel du fossé existant entre une classe intellectuellement forte et une classe faible, qui se sentirait éventuellement encore moins bien protégée du fait d'une légalisation.
M. Alain Zenner. Je vous ai suivie avec attention. Mon souci, dans cette commission, est de trouver un texte législatif reposant sur une assise sociale aussi large que possible et donc sur le plus large accord. De ce point de vue, au-delà d'un langage quelque peu hermétique, pour ne pas dire ésotérique qui n'est pas tout à fait le nôtre et qui crée certaines difficultés de compréhension, j'ai trouvé que vous avez énoncé un ensemble de considérations intéressantes.
Effectivement, ce qu'il nous faut, c'est une clarification. La première, c'est qu'il n'y a pas de proposition arc-en-ciel. Chaque parlementaire du groupe PRL-FDF-MCC a toute liberté de voter en son âme et conscience. C'est le cas également dans certains autres groupes politiques. Présenter une proposition comme émanant d'une majorité politique qui siège aujourd'hui au gouvernement, ne me semble pas contribuer à la clarté nécessaire du débat.
Je voudrais également revenir sur le problème de la définition. J'ai vu que vous aviez assisté à une partie de l'audition de M. Schotsmans.
Au fil des auditions, je suis de moins en moins satisfait de la définition de l'euthanasie sans prétendre substituer mon propre jugement à l'autorité du Comité consultatif de bioéthique telle qu'elle a été formulée par le comité.
En effet, il me semble qu'elle ne contribue pas à une bonne compréhension. Nous parlons avec des mots différents de choses analogues ou, au contraire, nous prêtons un sens identique à des termes différents. Le professeur Schotsmans avait évoqué l'arrêt thérapeutique. Il avait parlé à ce propos de sédation contrôlée, c'est-à-dire de la mort accompagnée, en disant que cette pratique lui paraissait tout à fait légitime d'un point de vue éthique, même si l'administration massive de sédatifs devait nécessairement entraîner la mort.
J'ai trouvé qu'il était étonnant que cette forme d'euthanasie passive soit légitime sans demande du patient mais qu'elle devienne interdite si le patient la demande, auquel cas on parle alors d'euthanasie active. J'ai posé la question de savoir si, dans ce processus de sédation contrôlée, il y avait un cap à ne pas franchir, à savoir obtenir une demande du malade, ce qui rendrait alors le processus illégitime parce qu'on le qualifierait dans ce cas d'euthanasie. Je n'ai pas obtenu de réponse à cette question.
Je fais bien la distinction entre ce que vous appelez le suicide assisté vous visez sans doute plutôt des cas comme celui qui a été évoqué par mon collègue Destexhe, le syndrome locked-in ? et ce qu'on appelle l'euthanasie active en phase terminale. J'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de confusion dans les termes. Vous me disiez que vous connaissiez neuf définitions de l'euthanasie. Nous serions intéressés de les entendre.
Cette clarification est nécessaire. En effet, j'ai noté que vous disiez que vous n'étiez pas opposée à une légalisation de l'euthanasie pour autant qu'elle ne soit pas légitimée, pour autant que le patient ait le dernier mot, pour autant qu'on lui en donne les moyens; vous avez dit aussi que la proposition de loi, que vous avez appelée « biopolitique », serait acceptable si on obtenait des garanties contre toute dérive sur le plan économique.
Toutes ces nuances me semblent très importantes. Cela signifie que cette proposition serait acceptable si l'on obtenait les garanties économiques nécessaires, si le patient avait le dernier mot, si on légalisait la pratique sans l'imposer à ceux qui l'estiment illégitime.
Cela veut dire que c'est acceptable si on légalise sans imposer la pratique à ceux qui l'estiment...
Mme Mylène Baum. Aucun projet de loi n'a imposé quoi que ce soit.
M. Philippe Mahoux. À vous entendre, professeur, c'est acceptable si on ne l'impose à personne, si telle est la volonté du malade dans des conditions définies.
Dans la seconde partie de votre exposé, vous avez dit que, selon vous, on pouvait légaliser l'euthanasie et non la légitimer. Pouvez-vous préciser votre pensée ? J'imagine mal que l'on dépénalise des actes qui ne sont pas considérés comme légitimes. Vous voulez peut-être dire qu'actuellement, en l'absence de législation, et demain, avec une législation dépénalisante, nous devons tous lutter selon moi, nous le faisons contre toutes les formes de dérives, contre certaines visions économiques de la société en ce qui concerne le traitement des malades, par exemple le fait d'envisager la fin de la vie, y compris la demande de mourir dans la dignité, d'un point de vue économique qui se substituerait au désir du malade. Il est évident que c'est inacceptable.
Cependant, professeur, dans votre discours, vous avez pu laisser germer la confusion que le problème n'était pas clair pour les auteurs de la proposition de loi. Or, il l'est parfaitement.
Il s'agit bien d'une demande du malade concernant sa propre existence, son propre état, indépendamment de la situation que la société voudrait lui imposer. Une dépénalisation dans les conditions qui sont décrites assure des garanties plus importantes que celles existant actuellement. Êtes-vous d'accord sur ce point ?
Mme Mylène Baum. Évidemment, les projets de loi qui ont été présentés constituent une amélioration par rapport à la situation actuelle, où la loi est perpétuellement violée et ne protège personne. À mon avis, tout le monde est d'accord à ce sujet.
M. Philippe Mahoux. Vous avez également parlé et je suppose que c'est la philosophe qui s'exprimait « d'individualisme collectif ». Pourriez-vous me fournir des explications complémentaires à cet égard ? Vous avez évoqué le principe d'autonomie, que, bien entendu, nous défendons. Il s'agit d'une autonomie choisie, qui n'enlève rien au fait que l'on vit, que l'on se constitue à travers les autres, mais qui implique de décider avec qui l'on se constitue, de quelle façon, en fonction de quelles règles.
Au moment où l'on considère que les choses ne sont plus possibles, l'autonomie permet également de décider que l'on souhaite s'en aller et de lancer un appel dans ce sens.
Vous êtes passée de « l'autonomie » à « l'individualisme collectif » et, s'agissant de l'autonomie que nous défendons, vous avez parlé d'« individualisme narcissique ». Il est ici question de malades, de personnes qui souffrent, de maladies incurables, de douleurs impossibles à soulager. Dès lors, je voudrais savoir où vous placez le narcissisme dans des situations telles que celles-là.
M. Alain Zenner. J'aimerais que nous revenions au débat tel qu'organisé.
M. le président. Mme Baum va à présent répondre aux questions de Mme De Schamphelaere, de MM. Zenner et Mahoux.
Mme Mylène Baum. Par rapport à l'autonomie, j'ai parlé tout à l'heure de liberté-privilège. Plusieurs interventions allaient dans ce sens. Il me semble que philosophiquement, nous luttons tous contre une vulnérabilité qui nous détermine, du fait d'être nés et d'être mortels, et que l'autonomie est une espèce de processus perpétuel de libération de soi.
Par contre, les patients mourants, comme ceux que nous rencontrons notamment dans les unités de soins palliatifs et dans les pavillons d'oncologie, disposent d'une autonomie de droit mais ils ont également une vulnérabilité de fait qui nécessite que soit défendue leur autonomie de droit. Les Américains, entre autres, ont été amenés à légaliser des directives anticipées, notamment dans le cadre de maladies dégénératives telles la maladie d'Alzheimer, pour pouvoir définir philosophiquement l'autonomie propre dans un processus d'incapacité.
Personnellement, j'ai un problème avec les définitions principalistes de l'autonomie et de la liberté. Une liberté est toujours en contexte et le contexte du mourant, c'est une autonomie de droit et une vulnérabilité de fait. Les projets de loi me paraissent un peu idéalistes sur ce plan, car ils ne prennent pas en compte la phénoménologie du mourir.
En ce qui concerne les personnes « sociologiquement plus faibles », il suffit d'ouvrir un journal sur la mondialisation pour voir que nous ne sommes pas tous égaux devant le libéralisme économique : il y a ceux qui en profitent et ceux qui le subissent.
J'ai travaillé récemment sur la modification de la déclaration d'Helsinki et j'ai constaté que même dans les déclarations internationales, déclarations éthiques, le principe d'autonomie sert parfois de cache-sexe : il protège les intérêts des pays riches par rapport aux pays pauvres, notamment dans la recherche sur le sida. Ce phénomène apparaît aux niveaux collectif et politique.
Mais au niveau individuel, que se passe-t-il ? Parfois, des patients étrangers arrivent à l'hôpital; ils ne savent pas dialoguer avec le médecin, ne parlent même pas la langue et face à cette incompréhension, on note « NTBR » dans leur dossier, mention très claire pour l'infirmier. Par rapport à une telle situation, je dis que nous ne sommes pas égaux devant cette liberté de privilège consistant à défendre son autonomie de mourir.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Que signifie cette mention ?
Mme Mylène Baum. Not To Be Reanimated : qui ne doit pas être réanimé.
Ces pratiques qui sont légion dans les hôpitaux et qui ne sont pas énoncées dans le débat sont extrêmement importantes à prendre en compte, selon moi. Je souhaiterais que l'on permette à tous de profiter de cette liberté de privilège et d'accéder à cette autonomie.
En effet, la médecine nous a donné une tranche de vie supplémentaire dont nous pouvons disposer parce que nous avons la responsabilité d'en disposer c'est un fait social mais tout le monde n'est pas capable de comprendre quand il peut accepter ou refuser un acharnement thérapeutique, par exemple. Certaines populations non éduquées ont encore une vision totalement magique du médecin et ne considèrent pas qu'elles peuvent négocier un programme thérapeutique. Certains patients, pour des raisons religieuses, n'entreront même pas dans ces considérations; ils ne valoriseront pas l'autonomie on ne peut pas le leur imposer. Certaines religions valorisent l'hétéronomie. Même si nous ne sommes pas d'accord, elles existent dans une démocratie pluraliste et il faut également les protéger.
C'est dans ce sens qu'il faut faire attention à la définition sociologique de l'exercice de l'autonomie.
M. Alain Zenner. J'ai posé une question à propos de la différence entre sédation contrôlée, arrêt thérapeutique, euthanasie ...
Mme Mylène Baum. Tous les termes que vous utilisez ont été mis sur une espèce de règle de légitimité à interdit, depuis l'euthanasie passive à l'euthanasie active, par un bioéthicien suisse qui a montré que, selon le contexte dans lequel l'euthanasie était pratiquée et selon le degré de vulnérabilité du patient, il fallait évaluer la légitimité ou la non-légitimité de l'euthanasie.
Effectivement, quand il n'y a pas, chez le patient, de capacité d'exprimer sa volonté, l'euthanasie n'est pas légitime, cela semble assez évident. Aussi, quand on parle globalement de l'euthanasie et de légalisation de l'euthanasie, il me semble que si on ne précise pas le contexte et le degré de vulnérabilité du patient, on risque de lui faire violence. C'est un débat philosophique qui a commencé entre Socrate et Calicles : vaut-il mieux subir une injustice ou la provoquer ?
Il me semble que, dans le débat sur la législation concernant l'euthanasie, il faut faire en sorte qu'on ne puisse pas provoquer d'injustice par idéalisme conceptuel. Cela me semble extrêmement important. Donc, quand nous parlons d'euthanasie, précisons de quoi nous parlons. Il me semble très important de faire une phénoménologie du mourir dans chaque service de soins. Nous avons des euthanasies dans les services de néonatologie, d'enfants nés avec une qualité neurologique extrêmement faible.
La décision est de savoir si on les maintient artificiellement dans leur souffrance ou si l'on arrête les soins. Cette question est différente lorsqu'elle se pose en psychiatrie ou en gériatrie et que le contexte n'est pas le même. C'est pour cette raison que les cellules d'aide à la décision partent de principes de base, partagés par l'équipe soignante, pour analyser comment interpréter ces principes dans le contexte de la demande ou de la situation du patient en question.
Il faut aussi analyser la demande du patient. On parle de dépression, mais qui ne serait pas dépressif face à la mort ? De toute évidence, on ne demande pas la mort de manière joyeuse. Il me semble donc très important de contextualiser la demande sans juger de la demande. Un des excès des soins palliatifs, créés en réaction contre l'acharnement thérapeutique des années 70, a parfois été de vouloir faire le bien du patient malgré lui. Nous ne sommes plus à ce stade dans les soins palliatifs.
Les soins palliatifs, essentiellement les soins palliatifs volants, qui essaient de développer une révolution de la médecine, de la médecine curative vers la médecine continue, tentent de prendre en compte toutes ces dimensions pour contextualiser la demande du mourir et faire en sorte qu'on n'avalise pas une demande dépressive mais qu'on permette à la demande de s'exprimer dans une liberté. Il existe des suicides rationnels. Des gens, sachant qu'ils ont une maladie dégénérative, disent, au bout d'un moment : « Je ne veux pas vivre en état végétatif, je ne veux pas être nourri artificiellement au moyen d'une sonde. » Ce sont des choses que les patients sont tout à fait capables de décider par eux-mêmes, qui ne doivent pas être décidées au nom de leur bien, ni par les soignants, ni par les conseils d'éthique, ni surtout par les éthiciens.
D'ailleurs, je récuse cette définition d'éthicien. Je crois qu'il y a des philosophes de la médecine, qui analysent l'évolution et la crise dans laquelle la médecine se situe aujourd'hui, et il me semble que l'idée que les éthiciens pourraient dire le bien à la place des patients est une idée tout à fait réactionnaire et que nous ne vivons surtout pas à l'UCL.
Quand nous sommes appelés dans des cellules d'aide à la décision, il n'est absolument pas question que nous disions le bien ou le mal pour le patient, il est question que nous entendions les diagnostics pluriels des médecins, qui sont souvent en conflit sur le diagnostic, et que nous aidions à la cohérence d'un projet thérapeutique qui est ensuite proposé au patient. Jamais, dans nos équipes, il n'y a eu de décision à la place du patient.
M. Alain Zenner. J'aimerais aussi entendre vos suggestions sur la manière de légiférer. Vous dites qu'il est nécessaire de légiférer, qu'il faut prendre en compte davantage que le segment qui est prévu dans la proposition. Que faudrait-il faire pratiquement, selon vous ? Avez-vous des conseils à donner ?
Mme Mylène Baum. Je ne puis parler qu'en tant que témoin des débats médicaux. Quand vous entendrez les médecins, les équipes de soins palliatifs, les infirmières de soins palliatifs qui partageront avec vous leurs expériences ... Elles ont des régulations ... Mon texte comportait des propositions que j'avais établies avec l'équipe de soins palliatifs de Brugmann, où j'avais fait quelques suggestions, texte que je vais laisser à votre disposition.
Nous avions fait une tentative d'élaborer des réglementations minimalistes, justement pour ne pas limiter l'autonomie du patient. Nous avions d'abord posé un diagnostic des symptômes qui menaient à la violence contre le patient et nous avions proposé, après ce diagnostic, une espèce de thérapie de l'institution hospitalière. Le travail de réflexion éthique qui a été fait par ces équipes de soins palliatifs mobiles doit être pris en compte dans le projet de légalisation parce que ces équipes sont les mieux à même de mettre en scène la complexité du problème. Ce n'est pas aux éthiciens ou aux philosophes de le faire à leur place.
M. le président. En ce qui concerne son souhait de trouver un consensus, un terrain d'entente, M. Zenner a posé une question extrêmement précise à laquelle vous n'avez pas répondu. M. Schotsmans disait tout à l'heure qu'il trouvait acceptable, si je l'ai bien compris, une sédation qui amenait à la mort. Or, à partir du moment où le patient la demanderait, elle deviendrait inacceptable. Il me semble qu'il y a là une contradiction et c'est sur ce point que M. Zenner voudrait une réponse.
Mme Mylène Baum. Je ne lui ai pas donné de réponse parce que je trouve que c'est un faux dilemme. La définition qu'a donnée M. Schotsmans est celle de l'euthanasie passive qui lui permet, à partir de ses convictions, que je respecte totalement, de respecter l'interdit de tuer et le droit de mourir du patient. Mais, effectivement, dans ce scénario, il n'y a pas de demande du patient.
Si j'ai bien compris le cas qu'il a exposé, il s'agit d'un patient qui est en état d'incompétence et qui n'a donc pas la capacité d'exprimer sa volonté. Là, il me semble qu'il faut effectivement établir une nuance. Nous avons eu, à la commission d'éthique, un projet visant à légitimer des expérimentations sur personnes incompétentes, et il m'a semblé extrêmement important de ne pas avaliser ce genre de demande.
S'agissant de personnes qui ne peuvent pas exprimer leur volonté, décider collectivement, en tant que société, qu'on peut instrumentaliser ces personnes au nom du bien commun et non pas au nom de leur bien individuel, me semble une dérive démocratique extrêmement importante. Donc, s'il n'y a pas de volonté du patient, il est très clair que l'euthanasie n'est pas une euthanasie mais un meurtre.
M. Philippe Mahoux. Et dans l'autre sens, si une demande du patient ne reçoit pas de réponse ? Vous venez de dire qu'il ne peut finalement pas y avoir d'élément sociétal collectif qui impose ou qui refuse quelque chose. Dans le cas où il y a véritablement une demande du malade, dans les conditions qui sont décrites, comment considérer la non-réponse à cette demande, indépendamment des opinions du médecin auquel cette demande s'adresse ? Il peut répondre oui, il peut répondre non, il peut répondre oui dans telle et telle condition, à condition qu'il le dise au malade, ce qui devrait permettre au malade de prendre d'autres dispositions. Mais quand on dit non à un malade, pour des raisons qui dépassent la situation et la demande du malade lui-même, comment doit-on considérer ce refus ?
Mme Mylène Baum. C'est une violence faite au malade, nous sommes bien d'accord. Il y a eu une maturation grâce au débat sur l'euthanasie, ces dernières années, et il n'est pas acceptable, dans une démocratie, au nom de ses convictions propres, de refuser la conviction d'autrui. À moins d'être dans l'impossibilité de dépasser le cadre de ses propres convictions, c'est impensable ...
Le dilemme de la légalisation, c'est comment faire une loi qui puisse accueillir à la fois la conviction d'un médecin qui dit non, parce qu'il est le tiers. On ne peut le lui imposer, mais il a la responsabilité en tout cas, c'est un peu comme cela que cela se passe à l'UCL d'orienter le patient vers quelqu'un qui pourra répondre.
M. le président. C'est prévu dans la proposition.
M. Mahoux. C'est vraiment la proposition.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous avez dit, et je partage votre opinion, qu'une loi devait tenir compte du contexte social dans lequel elle va pouvoir s'appliquer. J'aurais ajouté : et de la réalité du monde médical, de la manière dont sont organisés les hôpitaux et particulièrement de la place, ou plus particulièrement de la non-place qu'y occupent les patients. C'est ma préoccupation majeure.
Mme Mylène Baum. C'est pour cela que j'ai proposé une Charte des droits du patient qui serait imposée aux hôpitaux. C'est la seule chose que l'on puisse imposer.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je suis bien d'accord avec vous. Si l'on dit aux patients qu'ils ont leur autonomie et qu'ils doivent décider, il faut leur donner les moyens concrets de cette autonomie. Cela s'applique à tous les patients et pas uniquement à ceux qui ont les capacités intellectuelles de pouvoir le revendiquer.
Si je vous ai bien comprise, votre réponse est une Charte des droits du patient. Plus concrètement, comment concevez-vous celle-ci ? Il y a un grand problème d'information à ce propos.
On parle toujours du dialogue entre le médecin et le malade, mais en quoi consiste-t-il ? Aujourd'hui, c'est le docteur qui dit au patient ce dont il souffre et ce qu'il doit penser. À l'exception des cas de quelques personnes intellectuellement bien formées, c'est encore toujours cela la réalité dans les hôpitaux. Comment rééquilibrer ce dialogue et faire en sorte que l'autonomie puisse véritablement s'exprimer ?
Je voudrais encore savoir comment vous concevez la problématique de la déclaration ou de la directive anticipée. Je pense qu'il s'agit d'un débat important et j'aimerais vous entendre à ce sujet. Dans quel cadre la placez-vous ? C'est en effet une manière pour le patient d'exprimer sa volonté quand il est conscient. Le problème consiste à savoir ce que l'on en fait quand il n'a plus la capacité d'exprimer cette volonté.
Mme Iris Van Riet. Vous avez plaidé au début de votre exposé pour une procédure a priori afin de protéger au maximum les droits du patient. Comment cette procédure peut-elle apporter une contribution supplémentaire à la protection des droits du patient, quand ce dernier se trouve dans une situation dénuée de perspectives et formule une demande d'euthanasie claire et non équivoque ? Cette procédure ne peut-elle pas au contraire, dans ce cas spécifique, porter préjudice aux droits du patient ?
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Je vous remercie de votre exposé, Madame. J'ai parfois eu l'impression que j'avais quelque peu oublié ma philosophie. Je n'ai pas compris tous les termes, mais je vous remercie de nous avoir rappelé un certain nombre d'éléments essentiels et importants. Vous avez notamment parlé de crise de la médecine et d'une nécessaire thérapie de l'institution hospitalière.
Je voudrais revenir sur trois parties de votre exposé. Lorsque vous parlez de banalisation involontaire, comment pensez vous que l'on pourrait empêcher celle-ci, qui me semble grave ?
Deuxième élément : vous avez parlé du poids économique du vieillissement et annoncé que selon les résultats de certaines études, les coûts des soins de santé allaient tripler d'ici 2040. Dans cette estimation, a-t-il été tenu compte de la multiplication des soins palliatifs, par exemple, ou celle-ci est-elle basée sur la manière dont les soins se donnent pour le moment en Belgique, où l'on sait que les soins palliatifs ne sont pas encore très développés ?
Troisième élément : vous avez dit, en parlant du médecin et du patient, « on ne peut être libre seul », ce qui fait beaucoup réfléchir. Faites-vous allusion au soutien possible de la cellule d'aide à la décision en matière éthique dans ce contexte ?
M. Mohamed Daif. Pour vivre dans un État démocratique et neutre comme le nôtre, il est essentiel d'essayer de trouver un point commun qui rassemble toute la société, indépendamment des convictions des personnes. En tant que professeur de philosophie, vous savez que se pose la question de la dépendance ou de l'indépendance de l'homme dans d'autres convictions religieuses. A-t-il ou non le droit d'ingérence ? Personnellement, je considère qu'il convient, dans notre État, de respecter les convictions de chacun.
J'aimerais aussi vous poser la question en parallèle avec d'autres débats. Nous parlons maintenant de l'euthanasie, nous avons traité du problème de l'avortement, mais il y aussi celui du don d'organe qui est pratiquement passé inaperçu. On a légiféré en la matière mais l'information n'est pas bien passée. Comme vous travaillez en étroite collaboration avec le milieu hospitalier, vous connaissez ce problème que beaucoup de personnes ignorent. Ce sont des débats de société et il nous appartient de suivre l'évolution de celle-ci.
Vous avez parlé tout à l'heure de légitimation et de légalisation. Selon certaines convictions, il n'y pas de légitimation possible de l'euthanasie. Si la légalisation intervient, il faut respecter la volonté de l'autre, mais le médecin ne doit pas imposer ses vues. C'est tout à fait clair dans notre esprit. En matière d'euthanasie, la loi stipule que le patient doit être conscient et exprimer plusieurs fois sa volonté.
En fonction de ses convictions, le médecin peut aussi la refuser. Il faut surtout veiller à dispenser une bonne information sur l'euthanasie, qui n'est pas un meurtre. Avons-nous le droit de nous ingérer dans les conceptions des autres ? Si nous ne croyons pas à l'euthanasie, nous ne devons pas l'interdire à d'autres, sinon nous ne vivrions pas dans un État qui garantit le respect des convictions.
En ce qui concerne les soins palliatifs, je suis entièrement d'accord avec vous : tous les sénateurs ont la volonté de leur attribuer davantage de moyens. De plus, ils ne devraient pas exister seulement à l'hôpital. Le malade doit également pouvoir mourir dignement en famille. Le patient a le droit d'être bien informé sur sa maladie, la nature de celle-ci, son espérance de vie, etc., ce qui n'est pas le cas actuellement en raison des différences culturelles, du fait que le médecin est une personne que l'on n'ose pas trop interroger, qu'on ne trouve pas toujours facilement, etc.
Mme Clotilde Nyssens. Puisque nous avons la chance d'avoir une personne qui est témoin des médecins j'ai bien aimé cette image , je voudrais lui demander comment fonctionne la cellule d'aide à la décision en pratique. Quand un cas se présente, dans n'importe quel service, que fait-on ? Qui rassemble-t-on ? S'agit-il d'une cellule de crise qu'on appelle au stade A, B, C ou D dont on nous a parlé aujourd'hui ? Ou s'agit-il d'une cellule qui fonctionne un jour fixe et qui réunit l'équipe soignante pour faire le point sur l'ensemble des dossiers des patients qui se trouvent dans le service ? Qui en fait partie ?
M. Jean-François Istasse. Madame, vous avez parlé d'une Charte des patients. Je voudrais savoir quels points principaux vous mettriez dans cette charte. Ce n'est peut-être pas directement lié à notre débat, mais il est intéressant selon moi que nous sachions ce que vous y mettriez.
Mme Mylène Baum. On m'a posé des questions sur la réalité du monde médical et l'autonomie de l'institution hospitalière. On m'a demandé comment, avec la régulation a priori que je défends, il est possible de répondre à une demande d'euthanasie. C'est lié à la question de Mme Nyssen sur le fonctionnement de la cellule d'aide à la décision. J'ai essayé de défendre l'idée qu'une cellule d'aide à la décision n'a de chance de fonctionner de manière démocratique que si elle est associée à une Charte des droits du patient. Dans cette charte, il y aurait des règles sur le droit à l'information que vous avez mentionné, sur les lieux d'information, les personnes à appeler ...
C'est ce que nous avions déjà essayé de faire dans l'équipe de soins palliatifs volante où j'étais intervenue. Il faut dire que, dans l'institution hospitalière, il y a parfois des conflits de territoire entre les services. La néonatologie ne voudra pas travailler avec l'obstétrique et l'oncologie ne voudra pas collaborer avec les soins palliatifs, car chacun possède son patient ! On ne se l'échange pas !
C'est une réalité qu'il faut aussi décrire pour savoir comment, dans ce contexte, donner la possibilité au patient de défendre ses droits.
Que mettre dans cette Charte des patients ? Une explication de la directive anticipée. De quoi s'agirait-il ? Il s'agit de dire quel projet thérapeutique on veut établir avec son patient et comment, face à sa maladie, on imagine sa fin de vie. Il faut aussi penser au fait qu'il relève de la responsabilité du patient de ne pas laisser décider le médecin. Par ailleurs, beaucoup de patients nous disent aussi avoir le droit de ne pas savoir ... et ce droit doit aussi être présent dans la Charte des droits du patient. On ne peut pas, par exemple, lui imposer un diagnostic de maladie génétique pour laquelle il n'y a aucun recours curatif et qui ne fera que le déprimer. Tout cela doit être établi, mais je crois qu'il serait absurde de vouloir dresser une liste de points abstraits dans la Charte du patient.
Dans l'hôpital où je travaille, j'essaie que chaque service décrive les problématiques qu'il rencontre afin de tenter, à partir de là, d'anticiper quels pourraient être de manière préventive, les moyens de préserver les droits du patient. Il faut tenir compte du fait que nous vivons dans une société multiculturelle et dans certaines cultures vous l'avez évoqué le don de sang, le transfert d'organes ... sont des questions éthiques extrêmement importantes, qui ne sont pas essentielles pour le médecin mais qui le sont pour le patient. Cette charte doit donner au patient les moyens d'exprimer ce qui est important pour lui dans son projet thérapeutique. S'il est important pour lui de ne pas donner ses organes, il doit pouvoir le mentionner et il faut que ce fait soit pris en compte dans le dossier médical. Il doit pouvoir exiger du médecin que lorsque ce dernier prend la décision de ne plus soigner, ou de NTBR not to be resuscitated , qu'il en soit informé.
Je donne des exemples au hasard, comme ils me viennent.
M. le président. Pourriez-vous inclure éventuellement, dans cette Charte du patient, la demande anticipée ?
Mme Mylène Baum. Tout à fait. Il me semble que c'est le seul lieu où il est légitime de légaliser la demande puisqu'elle émane du patient. Ce n'est pas une demande sociétale. Il n'en va pas de l'intérêt de l'hôpital sur le plan de sa gestion ou de celui d'un chef de service qui veut libérer un lit. Il en va de l'intérêt du patient lui-même. Il incombe au médecin de trouver une réponse à cette demande du patient. S'il ne peut le faire à cause de ses convictions propres, il doit trouver les moyens de rencontrer la demande du patient, grâce à un médecin qui partagerait les convictions du patient.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus prétendre avoir des principes universels que nous pouvons partager. Imaginez que nous puissions faire un projet de loi universellement satisfaisant pour l'ensemble de la communauté belge ! C'est une illusion et nous pourrons passer des années à nous disputer sur les régulations internes de cette loi.
Par contre, en donnant au patient les moyens de décrire sa demande, nous somme sûrs de respecter la cohérence démocratique. Je ne vois pas d'autre solution.
M. le président. Je crois, professeur, que vous avez ouvert une piste extrêmement intéressante. Je vois beaucoup de gens qui prennent des notes. J'en ai pris aussi. Je crois qu'effectivement, cette Charte des droits du patient est un élément important sur lequel il faut réfléchir.
Mme Mylène Baum. Certains pays, comme le Danemark ou Israël, l'ont déjà légalisée. C'est en projet en France.
M. le président. C'est une piste importante. Je crois qu'il faut y réfléchir.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Qu'en est-il de l'évaluation des soins palliatifs ?
Mme Mylène Baum. J'ai repris l'étude sociologique qui a été réalisée auprès des patients ADMD en France. Il me semble très utile que l'on demande au Centre de sociologie de la Santé qui existe en Belgique de réaliser une étude comparable.
M. le président. Nous commençons nos travaux par l'audition de Mme Sabine Henry. Mme Henry a fondé en 1991 le groupe d'entraide de la Ligue Alzheimer de Liège. Elle est présidente de la Ligue francophone et germanophone depuis 1996. Par la maladie d'Alzheimer d'une parente très proche, elle est personnellement confrontée à la problématique de la personne démente. Elle a fondé en 1999, avec d'autres ASBL, la Ligue des usagers de services de santé dans le but d'affirmer les droits et devoirs du patient. Elle en est la vice-présidente, chargée des relations publiques. Mme Henry a une formation de psychothérapeute, de psychologue sociale et une formation en soins palliatifs. Elle est aussi consultante et formatrice ainsi qu'animatrice de groupe.
Mme Sabine Henry. Je vous remercie de m'avoir invitée à vous exposer la problématique de la maladie d'Alzheimer et de la fin de vie. Je suis porteuse de messages encourageants, de reproches, de sentiments d'angoisse ... Sans avoir une couleur politique, je me sens très multiculturelle. Je profite de l'occasion pour vous adresser quelques mots en allemand, étant donné que je représente aussi la région germanophone. Ich bin sehr glücklich, heute bei Ihnen zu sein. Ich möchte aber auch dazu sagen, dass ich gleichzeitig sehr gestresst bin und mich frage, wie die Sache über die Bühne gehen wird. Haben Sie vielen Dank für Ihre Aufmerksamkeit.
Je vous propose d'entrer avec moi dans le monde particulier de la démence pour mieux comprendre la problématique des personnes démentes, notamment en fin de vie. Je décrirai tout d'abord ce que vivent la personne atteinte de démence et son entourage au cours de l'évolution de la maladie.
La maladie d'Alzheimer est une maladie neuro-dégénérative, évolutive, irréversible et actuellement incurable. Elle touche pour l'instant 2 % de la population des personnes âgées de moins de 65 ans. Le taux grimpe à presque 30 % en ce qui concerne les personnes âgées de plus de 80 ans. Ces chiffres montrent l'importance de cette question de santé publique.
La maladie d'Alzheimer rend la personne progressivement incapable de supporter les activités de la vie journalière. Elle entame ses capacités intellectuelles et finit par la rendre totalement dépendante d'autrui. Par conséquent, la personne n'est plus capable de prendre des décisions adaptées à la situation dans laquelle elle se trouve.
Vous percevez toute l'importance de ce qui serait sa décision en fin de vie. La maladie d'Alzheimer a évidemment des répercussions considérables sur le champ social et familial de la personne. Des chercheurs parlent d'une maladie de la famille. En fait, il s'agit d'un système familial qui est entamé, dans lequel il existe une interdépendance qui peut être judicieuse mais qui est aussi une lourde charge pour le soignant principal.
La maladie est évolutive et entraîne une grande dépendance. Au stade final, le malade est réduit à l'état de grabataire. La maladie, qui dure 10 à 15 ans, provoque souvent un isolement social on pourrait parler d'une lente mort sociale en raison du manque d'entourage des familles. La recherche porte essentiellement sur l'aspect palliatif, étant donné le caractère incurable de la maladie. Nous préconisons donc la mise en place de soins palliatifs, qu'il serait plus approprié de nommer soins continus, dès que le diagnostic est posé. Cela implique d'être attentif à la qualité de la vie, au soutien de l'entourage et aux besoins du malade. Ces soins relationnels prennent tout leur sens et toute leur signification en fin de vie.
L'épuisement du soignant qui doit tout assurer provoque, davantage que l'avancement de la maladie, l'hospitalisation et l'hébergement en maison de repos et de soins où les choses ne se passent pas toujours aussi bien qu'on ne le pense, car la connaissance spécifique de la prise en charge de la maladie d'Alzheimer ou des soins palliatifs en fin de vie n'est pas toujours présente.
Je me suis renseignée auprès de nos diverses associations à l'étranger pour asseoir nos activités et nos opinions. La Ligue fait en effet partie de Alzheimer Europe et de Alzheimer Disease International. Ces associations se sont, elles aussi, penchées sur la prise en charge optimale de la fin de vie. Je vous livre à cet égard les premiers résultats d'un sondage auquel nous avons procédé par le biais du site Web du Canada. Dans ce pays, on utilise ce support pour respecter les souhaits exprimés par la personne concernée au moyen d'un testament biologique ou de directives anticipées. Le malade peut aussi désigner une personne de confiance ou référante quand il est encore lucide. Cette particularité met en évidence l'importance d'un diagnostic précoce de la maladie d'Alzheimer.
En effet, au début du processus, le malade est encore conscient et peut effectuer des choix et donner des directives en ce qui concerne la gestion de ses biens ou de sa personne, ou à propos de la fin de sa vie. Or, ce diagnostic précoce est très souvent raté à cause de la banalisation des symptômes ressemblant fort à un vieillissement normal. J'insiste donc énormément sur ce diagnostic précoce car la plupart des malades concernés sont des personnes âgées, au désespoir et souffrant de dépression.
L'absence de diagnostic précoce a pour conséquence que les malades ne peuvent être interrogés sur la manière dont ils envisagent leur fin de vie. Au Canada, l'euthanasie et le suicide assisté sont illégaux. En Angleterre, l'association Alzheimer Disease s'est prononcée radicalement contre la légalisation de l'euthanasie au mois de janvier. Par conséquent, les choses bougent. Je voudrais d'ailleurs remercier les initiateurs de ce projet de loi : ils ont eu le mérite de lancer le débat sur la mort, un sujet qui nous concerne tous puisque, comme Kübler-Ross le dit bien, c'est la question vitale.
En Angleterre, on préconise aussi le testament de vie, les directives anticipées, la désignation d'une personne référante et, surtout, les soins palliatifs continus puisque nous sommes dans le pays où ces soins ont été initiés. La concertation avec la famille est aussi prévue en l'absence d'un questionnement direct du malade.
La Ligue Alzheimer affirme son attachement au devoir de protection des fragiles et des faibles, en l'occurrence, la personne atteinte de démence. Elle insiste sur la nécessité de respecter la volonté et les opinions de la personne durant sa maladie et à la fin de sa vie, sachant que la personne atteinte de démence sera de moins en moins capable d'exprimer ses volontés conscientes et réfléchies. Tout doit donc être mis en ouvre pour lui fournir l'occasion de le faire au premier stade de la maladie, d'où la nécessité d'un diagnostic précoce, annoncé à la personne, à qui il importe de donner l'occasion de s'exprimer comme un individu à part entière. Ce n'est hélas pas souvent le cas.
En l'absence de cette possibilité de diagnostic précoce, il sera tenu compte de ses volontés exprimées avant, en concertation avec son entourage familial. L'accompagnement médico-psychosocial de la personne et de ses proches dans la visée palliative des soins continus, instauré au mieux dès le diagnostic, nous paraît le meilleur rempart contre les dérives et le non-respect de la personne. Les soins palliatifs en fin de vie poursuivent le même but en apportant autant que possible le bien-être, la dignité, la qualité et le confort de vie à la personne elle-même, mais aussi l'apaisement à son entourage, ce qui évitera peut-être de poser des questions ou des demandes qui tendraient vers l'euthanaise.
La proposition de loi en discussion ne me paraît pas apporter, dans son état actuel, une protection plus grande de la personne que la loi existante. Il serait important de nuancer et de spécifier des dispositions en rapport avec les problématiques, et c'est sans doute dans ce but que le débat actuel a lieu.
M. le président. Madame, au nom du Sénat, je tiens vraiment à vous remercier pour ce témoignage de très grande qualité. Personnellement, je suis absolument abasourdi par les chiffres que vous citez. Vous avez dit que 30 % des personnes de plus de 85 ans sont atteintes de la maladie d'Alzheimer. Êtes-vous sûre de ces chiffres ?
Mme Sabine Henry. Oui, c'est exact.
M. le président. Je suggère aux sénateurs de poser maintenant leurs questions.
Mme Kathy Lindekens. Monsieur Schotsmans disait hier que la personne vulnérable devait être protégée en ne donnant pas suite à son testament de vie. Lorsque je vous entends parler, j'ai l'impression qu'il faut protéger la personne faible en respectant ce testament. Ma conclusion est-elle exacte ?
Mme Sabine Henry. C'est vrai que nous défendons l'autonomie et le respect de la volonté de la personne. Mais nous pensons aussi que la demande est influencée par les conditions de vie de la personne. Notre démarche va dans le sens de la recherche d'une autonomie, bien sûr, mais aussi de l'amélioration des conditions de vie, ce qui pourrait laisser à la personne un véritable choix. Pour le moment, j'ai l'impression qu'il y a davantage une fuite en avant : plutôt la mort que la souffrance. Cette attitude nous paraît inacceptable et guère plus respectueuse de la personne que l'interdit.
M. Georges Dallemagne. Merci, Madame, de venir témoigner. Vous êtes la première personne qui vient témoigner au nom d'une association de patients. Nous accordons un tout grand prix à ces témoignages, les patients étant évidemment les personnes les plus directement concernées par les propositions qui sont aujourd'hui sur la table.
Vous avez dit dans votre conclusion que vous éprouviez quelque méfiance, que vous émettiez certaines réserves par rapport aux propositions de loi en discussion, celles-ci ne vous paraissant pas assurer la protection maximale, mais vous n'avez pas approfondi la question. Pourriez-vous nous préciser quels sont les points particuliers qui vous posent problème dans ces propositions de loi ? Quelles seraient éventuellement les propositions que vous feriez vous-même par rapport à ces questions, ces enjeux et ces lacunes ?
Par ailleurs, vous avez également beaucoup parlé des soins palliatifs. J'aurais aimé savoir concrètement quelle était votre satisfaction ou votre insatisfaction aujourd'hui par rapport à l'organisation des soins palliatifs. Vous avez dit que, notamment dans la maladie d'Alzheimer, le rôle de la famille, de l'entourage était très important. Dans quelle mesure la famille est-elle aujourd'hui prise en compte dans l'organisation des soins pour les malades Alzheimer ?
Mme Sabine Henry. En réponse à votre première question, je dirais que la proposition de loi se prononce surtout à propos de généralités et pas assez par rapport à la spécificité d'une pathologie, d'une situation précise ou d'une souffrance qui découle d'une pathologie. Il faudrait apporter, peut-être sous la forme d'amendements, des éclairages et des détails, des nuances en tout cas.
Quant aux soins palliatifs, notre satisfaction est mitigée car ils ne sont pas encore suffisants. Les initiatives existent et il y a de beaux exemples de prise en charge de personnes démentes en fin de vie, mais ces initiatives sont trop peu nombreuses. Pour ce qui est de la prise en charge des familles qui, selon moi, fait partie intégrante de ce problème, je pense qu'on ignore trop souvent son importance. Il faut savoir que 80 % des personnes démentes sont soignées à domicile. Cela représente une charge de travail énorme pour les familles concernées qui, finalement, deviennent en quelque sorte l'expert de leur malade, de leur parent, parfois malgré eux, et parfois avec une charge d'amour énorme. Donc, je crois que dans les soins palliatifs comme dans la prise en charge dans les institutions, il faut encore améliorer la relation avec la famille pour arriver à une prise en charge palliative globale.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Comme votre ligue est internationale, vous avez parlé des pays dans lesquels existe une déclaration anticipée ou un testament de vie avec, en général, aussi une personne de confiance. Ce sont des pays dans lesquels l'euthanasie n'est pas légalisée. Je voudrais savoir quel est le contenu de ces déclarations anticipées et quel est le rôle de la personne de confiance, particulièrement dans les maladies évolutives comme la maladie d'Alzheimer au début de laquelle, comme vous l'avez dit, il y a encore des périodes de conscience. Quelle est votre position par rapport à la déclaration d'un patient qui serait encore conscient mais que signifie conscient et degré de conscience ? et déclarerait vouloir, dans telle ou telle situation, avoir recours à l'euthanasie ?
Mme Sabine Henry. En fait, la déclaration consciente et éclairée du malade ne peut se faire véritablement qu'au tout début de la maladie d'Alzheimer, comme je l'ai souligné. Étant donné que, très souvent, les médecins ont des difficultés à prononcer le diagnostic parce qu'il annonce une perspective d'avenir assez désastreux, la question de définir éventuellement les souhaits relatifs à la fin de vie ne se pose pas fréquemment. Il y a vraiment là un point d'ancrage pour lequel il faut prendre des initiatives.
Je vous cite l'exemple du Canada où les directives anticipées sont très précises. Ainsi, la personne ne doit-elle pas seulement dire qu'elle veut être assistée dans sa fin de vie, mais elle est incitée à déclarer, par exemple, qu'elle refuse le recours à l'utilisation d'un aspirateur pulmonaire ou à l'administration d'antibiotiques. En Belgique, nous ne sommes pas encore au stade d'une déclaration aussi définitive et précise, mais je pense que nous devons aller dans cette voie pour disposer d'une base de réflexion et d'action, tout en respectant la personne en fin de vie. Par ailleurs, avant d'atteindre ce stade, il est important d'agir et d'être le plus attentif possible. C'est pourquoi, en l'absence de directives bien précises et écrites ou si l'on dispose uniquement des valeurs avancées par la personne au cours de sa vie, nous préconisons le recours aux soins palliatifs.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Pour vous, c'est donc un document indicatif mais sans valeur absolue. Quel est le rôle de la personne de confiance ?
Mme Sabine Henry. Elle est le témoin et le porte-parole de la personne malade. Elle a été choisie par la personne pendant sa période de lucidité et a reçu le droit de prendre des décisions à sa place. Elle est détentrice des aspirations de la personne elle-même. C'est un rôle qui n'est pas très développé ici, mais au Canada, c'est chose courante et nous pouvons peut-être nous en inspirer.
Mme Jeannine Leduc. Vous avez dit que les maisons de repos en savaient trop peu sur la maladie d'Alzheimer et la façon dont les malades doivent être soignés. Qu'entendez-vous par là ?
Que proposez-vous ? Qu'est-ce qui caractérise les patients atteints de la maladie d'Alzheimer : souffrent-ils de douleurs persistantes ou sont-ils sujets à un grand désespoir ? Le désespoir les frappe-t-il au moment où ils comprennent de quelle maladie ils souffrent ? Font-ils un choix au moment où ils savent ce qui les attend ? Avez-vous l'impression que les gens qui ne sont plus conscients de rien sont vraiment malheureux ?
Mme Sabine Henry. Leur désespoir est leur douleur psychologique parce que la maladie d'Alzheimer ne provoque pas véritablement une douleur physique. La souffrance est davantage d'ordre psychique. Il est vrai que très souvent, au début de leur maladie, ces personnes traversent une période dépressive, voire une dépression. C'est ce qui provoque la confusion entre une maladie d'Alzheimer, une démence ou une simple dépression. Cette souffrance se manifeste surtout tant que la personne est consciente de son état et de sa dégradation progressive. À un moment donné, elle semble ne plus se souvenir de ce qui lui manque, ce qui est normal puisque la maladie d'Alzheimer l'empêche de raviver des souvenirs bons ou mauvais. On ne peut pas dire qu'elle se trouve dans un état de béatitude parce que les neurones réagissent parfois et le message passe, mais ces éclairs sont tellement minimes que l'on n'a même pas le temps de poser une question simple comme « Comment vas-tu ? De quoi souffres-tu ? ».
Par contre, nous voyons l'expression d'un état de tristesse ou de souffrance sur le visage de la personne. Certains spécialistes disent que cette souffrance ne s'exprime plus par la mimique mais devient physique, étant donné que cette maladie engendre des complications physiques diverses, comme la pneumonie ou des infections urinaires, desquelles la personne va finalement mourir. On assiste au glissement d'une souffrance psychique vers une souffrance indéfinissable, qui devient finalement une souffrance physique. La maladie elle-même efface sans doute un peu le souvenir et l'accumulation des tristesses et détresses qui sont vécues.
Par contre, toute cette souffrance psychique est portée par l'entourage familial. C'est pour cela qu'il est tellement important de lui prêter attention et de le soutenir dans l'accompagnement du malade.
En réponse à votre première question, je dirai que, souvent, on ne leur donne pas l'occasion d'exprimer leur demande. Les questions principales sont : Vais-je guérir ? Quelque chose m'aidera-t-il à récupérer ma mémoire ? Comment vais-je terminer ma vie ? Il est extraordinaire de constater que certains médecins disent à leur malade qu'ils termineront « en légume ». Il faut développer toute une approche, une manière d'être avec ces malades, afin de leur apporter la facilité d'expression et surtout la réflexion pour définir une prise en charge future.
Mme Jacinta De Roeck. Je réitère la question de Madame Leduc. Comment se fait-il que les foyers pour personnes âgées ne décèlent pratiquement pas la maladie d'Alzheimer dans sa phase initiale ? Est-ce le résultat d'une formation déficiente ou est-ce une maladie difficile à identifier ? Vous avez dit que le malade est mis au courant de la problématique de la fin de la vie au moment où le diagnostic est posé, alors qu'il a encore l'esprit clair. Cela implique-t-il que l'on parle uniquement de soins palliatifs, ou aussi d'euthanasie, bien que cela ne soit pas permis dans l'état actuel de la législation ?
Mme Sabine Henry. Je réponds en premier lieu à votre deuxième question. Je ne pense pas que l'on parle clairement de l'euthanasie, mais d'un choix de fin de vie auquel ils ont droit. Nous n'avons pas encore de recul suffisant pour pouvoir vous dire si cette question a été posée et quelle a été la réponse. Peut-être faudrait-il pousser ce questionnement un peu plus loin ? Si le diagnostic de la maladie d'Alzheimer est posé assez tardivement et non à un stade précoce, c'est parce qu'elle ressemble étrangement à d'autres pathologies, qui produisent les mêmes symptômes. J'en veux pour preuve qu'une déshydratation très forte, ce qui est courant chez une personne âgée, peut provoquer des états démentiels. Cette maladie peut donc être confondue avec un état démentiel qui est curable. Le dysfonctionnement de la glande thyroïde peut également provoquer des états démentiels qui sont curables. En fait, la maladie d'Alzheimer nécessite un diagnostic d'exclusivité, ce qui signifie qu'il faut exclure toute les pathologies présentant une similitude avec la démence, comme la dépression, les tumeurs, etc., qui peuvent provoquer les mêmes effets.
La difficulté réside donc d'abord dans le fait qu'il faut éviter la banalisation du phénomène. Comme il s'agit d'une personne âgée, on pourrait en effet avoir tendance à dire « Qu'espère-t-elle encore ? Quel est son intérêt ? Si elle est déprimée, c'est normal ». Par ailleurs, les symptômes de la maladie ressemblent à ceux d'autres pathologies qu'il faut d'abord éliminer et soigner avant d'en arriver au constat de la maladie d'Alzheimer qui est incurable. Ce processus n'est pas très rapide et n'est pas toujours suivi par la famille, par méconnaissance du phénomène. On ne connaît pas assez la maladie d'Alzheimer en fait.
M. Philippe Monfils. Je remercie Mme Henry de nous avoir expliqué et exposé sa position. J'aimerais lui poser deux questions.
À la suite des interventions de mes collègues, je reviens tout d'abord sur le testament de vie et la déclaration anticipée de volonté sur lesquels vous semblez marquer votre accord. Vous dites que la personne frappée de la maladie d'Alzheimer souffre d'une grande détresse plus morale que physique. J'en reviens à la même question que mes collègues. À supposer que la demande ait été exprimée de manière réitérée et consciente et que la personne vous dise clairement qu'elle ne veut pas traîner dix ans dans cette situation de dégénérescence physique et réclame qu'on mette fin à son existence, que faites-vous ? Que pensez-vous qu'il faille faire ? On peut toujours entourer cette personne et lui prodiguer les meilleurs soins mais si elle persiste malgré tout dans sa demande parce qu'elle ne veut pas, dans des moments de conscience, se voir détruite graduellement, que faites-vous ?
Par ailleurs, étant juriste et non médecin, je voudrais vous demander si l'on peut espérer que la maladie d'Alzheimer soit curable dans les dix ans à venir, grâce entre autres aux recherches portant sur le clonage de cellules souches embryonnaires.
Mme Sabine Henry. Non, malheureusement, dans l'état actuel de la recherche, je crois qu'on ne peut pas envisager cette possibilité.
Vous demandez en fait si la détresse morale peut être à la base de la demande d'euthanasie et si on en tient compte. Comme je vous l'ai dit, il s'agit la plupart du temps de personnes âgées qui se savent en fin de vie et qui sont assez fatalistes. Elles ne sont pas forcément prêtes à se battre mais sont soutenues par leur famille et leur entourage qui tiennent à elles. Donc, ce choix d'euthanasie dont vous aimeriez peut-être qu'il soit exprimé plus précisément, ne leur apparaît pas, la plupart du temps, comme une alternative véritable de soulagement. La question est le plus souvent posée par des familles qui sont à bout de souffle. Nous connaissons des cas où la personne a été « soulagée » pour exprimer les choses gentiment. Je tiens à vous dire qu'il existe aussi des situations que je trouve regrettables où ce choix a été fait sans le consentement ni du malade ni de la famille. Cela porte, me semble-t-il, à la réflexion et à l'action.
M. Philippe Monfils. Je tiens à vous préciser, Madame, que la proposition des six auteurs ne prévoit bien entendu l'euthanasie qu'à la demande du patient conscient et après une série de procédures. Je tenais à faire cette remarque.
M. Philippe Mahoux. Je voudrais remercier Mme Henry parce qu'elle ramène le problème que certains ont tendance à théoriser à des aspects tout à fait concrets c'est-à-dire à des malades. Je trouve votre approche, Madame, particulièrement humaniste puisqu'elle consiste à accompagner au maximum.
Je vous avoue que je suis surpris du chiffre que vous avez avancé 30 % au-delà de 80 ans mais je sûr que vous disposez de documents fiables à cet égard.
M. Monfils vient de rappeler que la proposition de loi vise des demandes exprimées par des personnes conscientes. La demande émane donc bien de la personne. Il y a aussi un chapitre qui concerne les personnes inconscientes mais qui auraient formulé une demande antérieurement de manière tout à fait claire. J'aimerais savoir sur quoi portent vos craintes éventuelles. En réalité, vous formulez une crainte alors qu'en fait les propositions de loi se veulent rassurantes. Elles sont plus rassurantes que la situation actuelle. J'aimerais connaître votre point de vue d'autant plus que vous faites référence à la législation actuelle. À quoi faites-vous référence quand vous évoquez la législation actuelle ?
Mme Sabine Henry. Je pense que la législation actuelle va dans le sens de la protection de la personne. Elle est sans doute insuffisante dans la problématique de la personne démente. Permettez-moi toutefois de vous exprimer les craintes que nous ressentons par rapport à la proposition de loi. Très souvent, le progrès scientifique et l'application d'une technique de pointe en hôpital sont ressentis comme créant un fossé entre les aspects techniques et l'humanisme. Or la maladie d'Alzheimer est une pathologie qui touche la personne dans son être, dans son for intérieur et a un effet sur tout l'entourage. Il s'agit donc d'une maladie qui touche à l'affectif, aux émotions et aux aspects sociaux. Pour que les personnes effectuent une démarche et comprennent ce que la proposition prévoit, je pense qu'il faut d'abord se dégager d'une série d'idées préconçues quant à la réelle prise en charge d'une demande et avant d'envisager un acte comme la piqûre létale. On m'en parlait encore hier... Or, la piqûre létale n'est pas ce que nous voulons, cela fait peur. Si on peut être assuré d'être entouré psychologiquement et d'être soulagé physiquement, peut-être pourrait-on avoir confiance ...
M. Philippe Mahoux. Je vous remercie de nous donner l'occasion d'entendre vos craintes et de pouvoir expliciter le contenu des propositions de loi. Vos craintes devraient trouver leur apaisement dans le contenu de la proposition de loi.
Mme Sabine Henry. Ces craintes pourraient peut-être être apaisées. Mais je tiens à vous dire que les personnes qui m'ont dit que l'euthanasie pourrait s'avérer une solution sont dans un état absolument désespérant. Leurs familles n'en peuvent plus. Donc, le choix de cette solution répond plus à une souffrance qu'à une véritable réflexion. Pour cette raison, il me semble que les choses ne sont pas encore claires et qu'il faudrait une information plus large pour donner un véritable choix éclairé et lucide. Il ne s'agit pas seulement de mettre ces personnes dans un entonnoir dont on ne sort que par la fin.
Mme Marie Nagy. Je pense que votre témoignage est, d'une part, très touchant sur le plan humain parce que l'on sent bien qu'il repose sur des situations difficiles liées à la vie et à la mort. Vous avez, d'autre part, une approche qui rend les choses plus claires.
Mme Sabine Henry. Merci.
Mme Marie Nagy. La proposition de loi, qui s'accompagne d'une proposition sur l'accès aux soins palliatifs afin d'améliorer leur couverture, a pour objectif de protéger le patient. Il ne s'agit donc pas du tout de le mettre dans la situation que vous décrivez. L'objectif de la proposition n'est pas de donner plus de droits à la famille qui se trouve dans une situation extrêmement difficile à vivre, mais plutôt d'essayer de trouver de quelle manière une personne, au moment où elle en est encore capable, peut exprimer le souhait que la fin de sa vie se déroule comme elle l'entend.
L'intérêt d'une discussion est de fournir à la personne chez qui on diagnostique la maladie d'Alzheimer l'occasion de parler de ce sujet. Dans cette discussion lui seraient présentées les différentes possibilités, dont celle de l'accompagnement avec le moins de souffrances possible, mais on dirait aussi au patient qu'il a le choix de demander qu'à un moment donné, on puisse mettre fin à sa vie par un acte médical bien déterminé. Est-ce que vous pensez que la proposition du testament de vie ou de l'expression du désir d'une fin de vie peut se faire lorsqu'on diagnostique la maladie d'Alzheimer ou est-il déjà trop tard pour que la personne puisse exprimer en toute conscience sa volonté ? Imaginez-vous des garanties supplémentaires pour protéger le patient afin d'éviter que sa volonté ne soit pas réalisée correctement ?
Mme Sabine Henry. Je crois qu'en tout état de cause, idéalement, le moment du diagnostic, s'il est précoce, pourrait être le moment d'une explication relative à la maladie et à son déroulement avec tout ce qu'il va engendrer comme dégradations futures. On peut même décrire également comment la maladie se termine et demander au patient ce qu'il souhaite. Je crois cependant que l'annonce de ce diagnostic est paralysante. Très souvent, elle se fait dans une situation de crise. Les décisions fondamentales qui concernent le choix de fin de vie passent alors au second plan. Le médecin, qui a déjà beaucoup de mal à annoncer le diagnostic, car il s'agit en fait d'une très mauvaise nouvelle, ne veut pas ajouter un autre élément négatif. La question est presque indélicate à ce moment-là. Pourtant, d'un point de vue strictement temporel, elle pourrait se situer à ce moment-là. Mais c'est presque indécent.
Je souhaite soutenir le patient; j'ai créé une ASBL pour la défense des droits du patient et de ses devoirs. Je trouve donc intéressant de lui donner cette possibilité de décision. Mais elle n'est pas toujours donnée. Parfois, elle est donnée mais la réponse n'est pas entendue. C'est là toute la problématique. En même temps, comment donner une garantie pour que cette décision soit respectée ?
Je voudrais aussi vous dire que j'ai pu accompagner des personnes âgées, et je le fais très volontiers parce que je les aime. Parfois, la famille me rapporte que le patient a déclaré que s'il perd la tête, la vie ne vaut plus rien pour lui. Pourtant, cette même famille me dit plus tard son étonnement de voir le patient rire encore, éprouver du plaisir à vivre lorsqu'on lui parle de sa mère ou qu'on le conduit à sa maison natale. A-t-on le droit d'empêcher les patients de connaître ces plaisirs ?
Mme Clotilde Nyssens. Je voudrais remercier Mme Henry de la richesse de ses propos. Chaque phrase et chaque mot employés suscitent en nous non seulement des expériences mais des questions. J'ai été frappée par le fait que cette maladie pouvait être longue. Vous avez alors évoqué l'approche palliative, notamment à domicile. Pour le moment, l'approche palliative à domicile est courte dans le temps, notamment au niveau du remboursement de l'allocation. On reçoit une allocation de 19 500 francs qui est valable un mois et renouvelable une fois. Comment peut-on imaginer une approche palliative dans une période aussi courte ? Je suppose dès lors que quand vous proposez de développer les soins palliatifs, vous imaginez une prise en charge beaucoup plus longue vos malades souffrent en effet d'une maladie qui dure. Étant donné que cela n'existe pas, comment les familles sont-elles prises en charge en Belgique, notamment par votre association, et quels sont les progrès que l'on peut faire pour entourer ces familles ?
Nous sommes en effet confrontés à l'exemple type où les demandes du patient et celles de la famille peuvent soit se rejoindre, soit différer totalement. Lorsque la famille n'en peut plus parce que la maladie est grave mais qu'elle reconnaît par ailleurs que la personne vit toujours et qu'elle éprouve du plaisir, comment soutenir ces familles dans le temps jusqu'au bout ? Quelles sont les modalités tout à fait concrètes que vous proposez de développer dans le cadre d'une politique de la santé ainsi que d'aide à domicile et en maison de repos ou de soins ? Les exemples étrangers dont vous nous avez parlé vont-ils plus loin dans la prise en charge des familles de ces malades ?
Mme Sabine Henry. Avant de parler de l'étranger, je voudrais quand même vous soumettre un exemple de collaboration entre la ligue et les soins à domicile tels que Home Clinic de Mme Chantal Couvreur. Nous y avons très clairement constaté une demande, chez le malade mais aussi auprès de sa famille, de soins à domicile le plus tôt possible. Nous intervenons pour proposer des soins continus qui sont, en fin de compte, une forme de soins palliatifs qui rendent ces derniers presque superflus puisque les soins continus sont déjà de qualité. Il existe des exemples.
Par ailleurs, nous collaborons très volontiers avec des coordinations d'aide et de soins à domicile. Il m'arrive de plus en plus fréquemment de sillonner la Belgique profonde pour donner cours aux soignants, aux aides familiales dont je souligne le rôle important, ainsi qu'aux infirmières et à tous les acteurs afin de leur expliquer comment communiquer avec le malade, comment comprendre ce qu'il veut dire, comment répondre à ses demandes et comment lui procurer une qualité de vie qui ressemble à ses valeurs. Il y a donc des initiatives qui existent déjà et dont on peut s'inspirer. Et c'est ici en Belgique que cela se passe. Je peux peut-être citer très brièvement l'initiative qui a été prise en Allemagne. On sent là-bas une solidarité de tous, peut-être un peu favorisée par la mesure de l'assurance dépendance. Celle-ci est financée par une contribution de tous les salaires. Elle finance cette prise en charge à domicile à la demande et d'après les besoins de la personne et la lourdeur de ses charges.
Mme Mia De Schamphelaere. J'apprécie moi aussi au plus haut point la façon dont Madame Henry place le patient au premier plan.
C'est précisément pour cette raison que je veux lui poser encore une question spécifique. On a beaucoup parlé du testament de vie et Madame Henry a également abordé le sujet au début de son exposé. À ce que j'ai pu comprendre, elle voulait toutefois aborder surtout l'acte médical en fin de vie et toutes les possibilités sur ce plan, telles que la diminution progressive de la thérapie, le débranchement des machines, la lutte contre la douleur, et pas tant la fin de la vie elle-même.
Comme Monsieur Monfils l'expliquait aussi, il peut arriver qu'un patient atteint d'Alzheimer qui se trouve dans la phase initiale de sa maladie et a éventuellement vu en souffrir un membre de sa famille établisse, par besoin psychique ou bien avant une phase terminale, un testament de vie dans lequel il affirme clairement qu'il ne veut pas vivre cette maladie parce qu'il l'estime inférieure à la qualité de vie acceptable à ses yeux. Lorsque la personne contracte alors la maladie ou parvient à un stade plus avancé, ce testament de vie devient en réalité un ordre de mettre fin à ses jours, même si elle ne souffre pas de douleurs physiques et ne se trouve pas encore en phase terminale. Entre-temps, la personnalité du patient a peut-être changé, il ne vit plus dans le même degré de conscience mais sourit encore souvent, l'air bienheureux. Il me semble qu'il y a là une affreuse contradiction entre le testament de vie et la vie réelle. Je voudrais savoir ce qu'en pense Madame Henry.
Mme Sabine Henry. C'est cela qui me met mal à l'aise et ne répond pas à mon appel de conscience, si je puis m'exprimer ainsi. J'ai l'impression que nous sommes un peu déchirés entre, d'une part, l'envie de rencontrer le souhait de la personne qui s'est exprimée quand elle était consciente et, d'autre part, le changement de caractère de cette même personne en raison de la progression de la maladie. Ce changement de caractère n'est d'ailleurs pas toujours négatif : quelqu'un d'autoritaire peut devenir très doux, quelqu'un de bigot peut devenir très profane. On peut donc parfois assister à un changement très spectaculaire. Peut-on alors toujours considérer comme valable cette directive qui a été donnée avant que la personne devienne ce qu'elle est aujourd'hui ? C'est là toute la question.
Il faudrait presque scinder l'aspect médical et le déroulement de la maladie en elle-même et se dire que, malgré tout, cette situation est vécue par la personne, dans son émotion et dans son être profond. Dès lors, où donner la priorité ? C'est là que réside toute la difficulté. Je pense que nous n'avons pas encore suffisamment approfondi, que nous n'avons pas assez d'expérience pour pouvoir décider si la volonté première de la personne sera maintenue ou plutôt abandonnée.
M. Jean-François Istasse. Les informations que nous recevons aujourd'hui sur la maladie d'Alzheimer sont très importantes car elles sont généralement peu nombreuses alors que beaucoup de personnes sont concernées.
Je voudrais revenir à une situation de début de maladie, dans l'hypothèse où on arrive à formuler un diagnostic suffisamment précoce. C'est une maladie de longue durée, vous l'avez souligné. Je comprends bien qu'au moment où l'on annonce à un patient qu'il est atteint de cette maladie, il y ait une période de crise, de choc. Mais dans la mesure où la période de conscience reste toujours relativement longue, ne peut-on malgré tout, après cette période de crise, envisager avec le malade toutes les dispositions, y compris la déclaration anticipée ? Des dispositions doivent être prises par rapport à l'entourage, la gestion des biens, les conditions dans lesquelles la maladie va se dérouler, les soins à apporter, etc.
Ne conviendrait-il pas d'informer le patient des possibilités qui lui seront je l'espère données par la proposition de loi de faire une déclaration anticipée, d'autant que, dans celle-ci, il est prévu que des mandataires soient choisis par le patient pour faire respecter sa volonté à travers tous les stades de la maladie ?
En effet, nous savons que, immanquablement, il arrivera un moment où le malade perdra la conscience et ne pourra plus formuler lui-même sa demande. À cet égard, le choix du mandataire ne vous paraît-il pas important ? Selon vous, qui peut assumer cette fonction ? Dans la proposition, par exemple, on a en tout cas exclu le médecin traitant.
Mme Sabine Henry. Je dois réfléchir pour répondre à votre question. Je suis au regret de vous dire que les choses sont extrêmement complexes dans le cas d'une maladie d'Alzheimer. Comment expliquer ce phénomène à une personne qui a perdu la mémoire, qui n'a plus la capacité de mener une réflexion logique et qui n'a plus un jugement adapté à une situation ? La plupart des gens qui viennent en consultation sont à ce stade.
Un diagnostic précoce est très important. Je crois que c'est un devoir civique d'informer davantage, même les médecins, lesquels ne sont pas formés à ce genre de choses dans leur formation de base, et aussi les soignants, de manière à ce que tout le monde apporte une information qui, un jour peut-être, mènera à cette possibilité d'enregistrer et de répondre. Mais pour le moment nous en sommes très loin, à ma grande désolation.
M. Hugo Vandenberghe. Tout comme les autres membres de la commission, je trouve aussi la déclaration de Madame Sabine Henry très importante. Ma question s'oppose au fond à celle de Monsieur Mahoux.
Si certains principes sont abordés dans la discussion, cela ne signifie pas que nous ne prêtions pas l'attention ou l'oreille aux questions concrètes des malades eux-mêmes. Nous sommes cependant confrontés au problème en tant que législateur et un législateur doit tenir compte non seulement des questions concrètes, mais aussi des conséquences sociales de lois éventuelles ou de certaines nouvelles options.
Peut-on se figurer quelles sont les conséquences sociales de l'option prévoyant la dépénalisation de l'euthanasie et la légalisation du testament de vie, de sorte qu'on puisse déclarer, par exemple, que l'on ne veut pas subir la maladie d'Alzheimer une décision qui ne peut être confirmée des années plus tard, vu l'évolution de la maladie ?
Peut-on se représenter quelle pression sociale s'exerce pour mettre fin indirectement à la vie de plusieurs malades par l'euthanasie ? Ou quelle pression s'exerce de la part de la société et de l'entourage pour faire une déclaration qui, en fin de compte, n'exprime pas la volonté effective de l'intéressé ?
Madame Henry a en effet très bien décrit comment une personne confrontée au diagnostic d'Alzheimer est déstabilisée, n'est pas tout à fait libre de juger normalement et objectivement et s'avère donc beaucoup plus vulnérable et influençable. Je me demande donc si décider en fin de compte que l'euthanasie offre une solution au besoin qu'engendre la maladie d'Alzheimer ne peut pas avoir d'importantes conséquences sociales indirectes qui ne sont pas souhaitables.
Mme Sabine Henry. C'est très complexe. Je pense qu'il ne faut surtout pas imposer quelque chose qui pourrait nuire à la personne et ne pas correspondre à son goût de vivre. Il faut donc être très prudent. Mais votre démarche, votre questionnement et l'intérêt que vous portez à connaître la personne âgée démente montrent bien qu'il faut avancer dans cette réflexion, mais peut-être pas au point de dépénaliser au stade actuel des choses.
Mme Myriam Vanlerberghe. Madame Henry, vous avez apparemment beaucoup de contacts avec des associations étrangères qui s'occupent de soins palliatifs. Pouvez-vous nous éclairer brièvement sur l'état d'avancement de l'expertise en matière de maladie d'Alzheimer et de soins palliatifs dans notre pays par rapport à d'autres ?
Une proposition de loi a été déposée, qui vise à améliorer les soins palliatifs et à les adapter aux besoins spécifiques. Nous aspirons à un accueil optimal de tous les patients en stade terminal mais nous nous demandons si c'est une solution satisfaisante pour tous. Que se passe-t-il lorsqu'un patient ne peut plus supporter sa maladie malgré les meilleurs soins ? Peut-on l'obliger à subir le processus de démence ? Ne doit-on pas lui laisser une deuxième option, outre les soins palliatifs ?
Mme Sabine Henry. Vous m'avez d'abord demandé de comparer ce qui se fait en Belgique et ailleurs. La Belgique n'est pas plus mal lotie que d'autre pays, sauf peut-être dans la prise en charge de la personne démente proprement dite. En tout cas, dans le milieu que je fréquente, les besoins spécifiques de la personne démente et les demandes de la famille sont perçus mais il n'existe pas déjà forcément une réponse concrète et pragmatique à ces besoins. Cette situation est un peu généralisée.
Tout à l'heure, je citais l'exemple de l'Allemagne. Là-bas, on est passé aux actes. On a d'abord reconnu les difficultés et les besoins de la personne et de sa famille. On propose donc à la famille une allocation pour les soins. Celle-ci peut garder l'allocation si elle preste ces soins ou elle peut payer un professionnel pour le faire. L'Allemagne est donc peut-être un peu plus en avance. Je pense que les démarches concrètes devraient aussi aller dans ce sens-là.
Pour répondre à votre deuxième question, je dirais que l'on tente de respecter la volonté du patient mais, en même temps, on a besoin de la vérifier. Car, si on se trompait dans la perception de cette demande, ce serait extrêmement grave. Nous sommes donc un peu coincés, si j'ose dire. Nous sommes dans l'impossibilité de percevoir et surtout de vérifier cette volonté. Je crois que cette décision est trop importante pour être négligée ou traitée à la légère. Il s'agit toujours de la vie d'une personne à part entière. Ce n'est pas parce qu'elle est démente qu'elle n'a plus de valeur. À cet égard, il y aurait beaucoup de choses à dire.
Nous avons réalisé une cassette vidéo pour faire progresser la connaissance de la maladie d'Alzheimer. Nous avons eu la chance d'obtenir le témoignage d'une personne qui, en Flandre, a soigné durant vingt-trois ans son mari à domicile, avec l'aide de professionnels. Visiblement, ça s'est bien passé. Vingt-trois ans ! On peut se demander si c'est possible. Lorsqu'on le nourrissait, ce monsieur semblait avoir encore le réflexe d'apprécier. Il s'agissait certes d'une nourriture plutôt liquide. Et quand il était lavé, il fermait les yeux. Il exprimait donc plein de choses que percevait la personne qui s'occupait de lui. Je voudrais souligner que nous travaillons en étroite collaboration avec l'aile flamande de la Ligue.
M. Jean-Pierre Malmendier. Tout d'abord, j'aimerais exprimer ma reconnaissance à Mme Henry qui a bien voulu venir témoigner. Il s'agit de son vécu et non de théories. Je sais de quoi je parle dans ce domaine.
J'aimerais savoir si, parmi les personnes qui ont pris connaissance de leur maladie de façon suffisamment précoce, le quota de suicide est élevé. J'aimerais aussi entendre le sentiment personnel de Mme Henry, sur la base de toute son expérience.
Aujourd'hui, je ne souffre pas de la maladie d'Alzheimer. J'annonce cependant que si j'atteins un jour un certain stade de démence où je ne reconnais plus mes enfants, je ne souhaiterai pas me contenter de certains petits plaisirs que je reconnais à d'autres. Je demande donc aujourd'hui que si j'atteins un tel stade, on mette fin à mes jours. J'estime en effet que je serais, par rapport à ma perception actuelle de la vie, dans un état de souffrance insupportable. Peut-on utiliser l'argument selon lequel ma maladie est évolutive pour disqualifier ma demande d'aujourd'hui ? Peut-on rejeter une demande formulée par une personne à un moment où elle était consciente, parce qu'elle se trouve désormais dans un état d'inconscience ?
Mme Sabine Henry. Même si nous ne disposons pas de chiffres précis à ce sujet, nous savons que les suicides sont relativement peu nombreux. En outre, leur cause provient davantage d'un état dépressif qui, peut-être, mènerait à une maladie d'Alzheimer. On ne peut donc pas dire que pour ces personnes, le suicide constitue la solution en début de maladie.
Quant à la disqualification de la demande, je ne puis vous décrire convenablement ce que ces malades ressentent mais je sais qu'ils n'ont plus que des instants de lucidité. Ils oublient aussitôt ce qui vient d'être dit, la mémoire récente étant la première atteinte. Ils oublient qu'ils viennent de manger et se plaignent de ne pas être nourris dans leur maison de repos. Il s'agit d'une situation catastrophique et très difficile à appréhender par le personnel soignant.
M. Jean-Pierre Malmendier. Je me demandais simplement ce qui se passerait si un jour, je faisais partie des 2 % des plus de 63 ans ou des 30 % des plus de 85 ans atteints de la maladie d'Alzheimer et qu'aujourd'hui, j'ai marqué ma volonté d'en finir lorsqu'à un moment donné, j'en arriverai à un certain stade de la maladie.
Mme Sabine Henry. Je ne puis vous garantir que votre demande ne sera pas disqualifiée. Je ne puis vous donner aucune assurance à ce sujet.
M. le président. Dans le cadre actuel de la loi ...
M. Jean-Pierre Malmendier. Non, pas dans ce cadre. Je voulais que Mme Henry me donne une réponse en se fondant sur ses convictions personnelles et son expérience en la matière.
Mme Sabine Henry. Je ne crois pas.
M. Alain Zenner. J'aurais voulu que vous me fassiez part de votre expérience en matière d'acharnement ou d'arrêt thérapeutique dans le cas de la maladie d'Alzheimer. Vous y avez fait une brève allusion lorsque vous avez évoqué le cas de ce malade qui a survécu pendant vingt-trois ans. J'imagine que les problèmes d'acharnement thérapeutique se posent également dans le cas de cette maladie. Comment aborde-t-on ce problème ? Sur quels critères se base-t-on pour décider à un moment donné de mettre fin à l'acharnement thérapeutique ? Quelle est la différence entre cette forme d'euthanasie passive et l'euthanasie active ? Avez-vous des observations à ce sujet ?
Mme Sabine Henry. Dans le cas que vous venez d'évoquer, je n'avais pas du tout l'impression en allant filmer cette personne que l'on pratiquait un acharnement thérapeutique. On lui prodiguait des soins relationnels et elle n'avait pas l'air de souffrir. Vous me direz peut-être que je suis très optimiste de nature et que je vois encore de la vie là où elle a quasiment disparu. Je ne crois pas qu'il en soit ainsi. À mon avis, l'acharnement thérapeutique ne concerne pas la maladie d'Alzheimer en tant que telle mais plutôt la prise en charge de ses complications. On se trouve ainsi tout à coup devant le cas de figure d'une personne atteinte d'une infection ou d'une maladie. Or, il faut savoir que les personnes très âgées présentent souvent des pathologies multiples. Doit-on laisser mourir d'étouffement une personne atteinte de pneumonie sous prétexte que l'on refuse l'acharnement thérapeutique ? Toutes ces questions doivent faire l'objet d'une discussion concertée.
M. André Geens. Dans mon entourage le plus proche, je suis confronté au problème. Ma question va dans le sens de ce que monsieur Vandenberghe disait il y a un instant. Je comprends très bien ce qu'il veut dire, surtout en tant que juriste. Il est très difficile de bien travailler sur ce plan et de prévoir des formulations évitant toute dérive dans la société. Je frémis à cette pensée parce que je veux absolument éviter cela. Il s'agit de l'expression d'une volonté qui est définie préalablement, donc pas au moment où l'on est confronté au message. Dans le cas qui m'occupe pour le moment, le premier diagnostic était la démence; plus tard, le diagnostic d'Alzheimer est venu s'y ajouter. Ce sont deux choses différentes mais difficiles à distinguer.
Ce que je peux affirmer aujourd'hui, c'est que je sais avec une grande certitude que je ne souhaite pas continuer de vivre avec la maladie d'Alzheimer en deuxième phase parce que ma personne n'existe plus à ce moment. Si je ne sais plus qui est ma femme, qui sont mes enfants ou si j'ai encore une maison ou pas, si je ne sais plus où je suis, si je suis confus et influençable à chaque moment, alors je ne veux plus vivre car « je » ne serai plus « moi ».
Je dois vous dire honnêtement qu'il s'agit d'un débat très difficile. L'une des choses qui me dérange dans le présent projet est le testament de vie qui n'est valable que cinq ans. La personne dont je parle est ma propre mère. La maladie d'Alzheimer peut durer des années. Ma mère n'a pas fait de testament. Je ne voudrais absolument pas me mettre à sa place et décider de sa vie. Au contraire. Pour moi, elle peut devenir centenaire mais j'ai décidé qu'en ce qui me concerne, je ne veux pas finir dans cet état parce que j'estime que ce n'est plus vivre. Seulement, c'est mon impression et l'expression de ma propre volonté.
Si je décide aujourd'hui et couche de manière très claire et formelle dans un testament de vie que je ne veux pas me retrouver dans un tel état, est-il excessif de demander que l'on m'aide à cet effet ? Vous dites qu'il y a des patients qui rient, madame Henry, mais je suis régulièrement confronté à ce groupe de personnes et j'en vois très peu qui rient. En vérité, je vois une détresse immense. Probablement y a-t-il des gens qui peuvent être attendris à leur vue. Je respecte ces gens et je serais le dernier à prétendre que ces personnes n'ont plus une existence digne. Qui suis-je pour en juger ! Cependant, lorsqu'il s'agit de moi-même, je souhaite pouvoir décider expressément que ce n'est pas la vie dont je veux.
Mme Sabine Henry. Je vous sens très ému et cela me rapproche de vous parce que nous avons tous deux un cas dans notre famille.
Avant de penser à une certaine obligation d'exécuter les directives anticipées qui valent ce qu'elles valent, nous avons l'obligation de soigner et d'apporter une qualité de vie au patient. C'est à ce niveau que nous pouvons déjà agir.
Je suis lucide. Je me rends dans un grand nombre de maisons de repos et je sais qu'il y a beaucoup à faire mais, en ce qui me concerne, je préfère me battre pour améliorer une situation que pour l'arrêter. Je ne sais pas m'exprimer autrement.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Votre témoignage est très émouvant et très vrai.
Il a déjà été répondu à deux des questions que je pensais vous poser, notamment en ce qui concerne le nombre de suicides provoqués par l'annonce du diagnostic. Vous avez dit que vous ne pouviez nous donner de chiffres en la matière. Je suppose que vous connaissez les différentes options du Comité de bioéthique à l'égard de l'euthanasie. De laquelle de ces quatre options vous sentez-vous la plus proche ?
Mme Sabine Henry. De la troisième.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Vous avez parlé dans votre exposé des demandes d'euthanasie exprimées le plus souvent par la famille qui éprouve d'énormes difficultés à vivre cette situation. Comment faites-vous pour répondre à ces demandes ?
Mme Sabine Henry. Les demandes que nous recevons sont souvent implicites. C'est plutôt du style :combien de temps cela va-t-il encore durer ? Vous voyez comme il souffre. Je ne sais plus venir, je suis épuisé.
L'écoute active m'aide à décoder ces demandes et à dire : « vous n'en pouvez plus; mais oui, cette histoire n'en finit pas ». Il faut également savoir que la maladie d'Alzheimer est très coûteuse. Les gens sont parfois aussi épuisés tant financièrement que physiquement et moralement. Alors la discussion commence : est-ce que la mort de votre père, de votre mère ou votre épouse serait la solution adéquate ? Là, les gens me disent qu'ils ne savent pas parce qu'il existe, depuis des années, une telle symbiose avec le malade que, à force de réfléchir, le détachement paraît difficile et la disparition n'est plus une question.
Il faut pouvoir recevoir ces demandes et les traiter comme il convient. Cela ne veut pas dire préconiser un acharnement palliatif mais plutôt conseiller de réfléchir au problème en apportant une aide psycho-médico-sociale.
M. le président. Je vous remercie, au nom du Sénat, pour la qualité et l'humanité de votre témoignage qui nous a tous touchés.
M. le président. Nous reprenons nos travaux avec l'audition de Mme Jacqueline Herremans, licenciée en droit de l'ULB en 1976 et licenciée en droit européen en 1977. Mme Herremans est avocate, inscrite au tableau de l'ordre de Bruxelles depuis le 4 mars 1980. Elle est présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, en abrégé ADMD. L'association est constituée depuis le 24 avril 1982.
Mme Jacqueline Herremans. « Une nouvelle fois, les sénateurs et, à leur suite, les spécialistes des problèmes éthiques, ouvrent le débat du statut juridique de l'euthanasie. Il ne peut être question de nier l'intérêt de ce débat fondamental, ni son importance politique et le droit de tout citoyen d'y prendre part. Néanmoins, ce qui frappe l'observateur, c'est la quasi expropriation de la parole des personnes concernées au premier chef par cette lancinante question au profit de celle des experts. » Ce sont les paroles d'une jeune femme atteinte d'un cancer généralisé dont le journal La Libre Belgique a rendu compte sous la forme d'une lettre ouverte aux bien portants publiée au mois de mars 1999. Je songe à cette personne en particulier car, à quelques jours de dire adieu aux siens, elle a su trouver des mots justes. Elle posait la question suivante : « Convient-il d'avoir un flacon de cyanure dans sa poche si l'on souhaite partir librement dans la discrétion, sans imposer à des tiers et, surtout, à des proches que l'on chérit l'horrible obligation de donner le feu vert à l'abréviation de votre existence ? ». Cette jeune femme était membre de notre association, et en pensant à elle et aux siens, je vais tenter de vous transmettre le message de personnes qui sont ou ont été concernées par l'euthanasie au travers de l'expérience de notre association.
Il y a une vingtaine d'années, des hommes et des femmes d'horizons différents se sont réunis pour s'interroger quant à la manière dont on pouvait « réacquérir » la maîtrise de la mort. À cette époque, il n'était pas encore question de dépénaliser l'euthanasie. Le débat éthique en était à ses balbutiements en Belgique, même si la question était évoquée aux Pays-Bas depuis le début des années septante. Face aux progrès incontestables de la médecine, on se trouvait devant certains paradoxes : maintien de vie dans des conditions parfois affolantes et acharnement thérapeutique, unanimement condamné mais toujours, comme chacun sait, bien présent. Au fil des années, au gré des témoignages, des études, des discussions, des confrontations d'idées, la nécessité de mettre en place un cadre juridique sécurisant pour toutes ces questions de fin de vie s'est précisée.
L'ADMD est une association fondamentalement pluraliste. Son comité d'honneur est composé de personnalités laïques : Arthur Haulot, Pierre Mertens, le prix Nobel Ilya Prigogine, sans oublier Roger Lallemand dont je déplore à titre personnel l'absence à ce débat mais, aussi, le chanoine Pierre De Locht. Lorsqu'il a accepté de faire partie de notre comité d'honneur, le chanoine De Locht s'est adressé à notre ancien président, Yvon Kenis, en ces termes : « Je perçois mal les raisons, même religieuses, d'enlever à la personne la responsabilité de sa mort. On grandit la personne humaine et on lui impute de nouvelles exigences en lui reconnaissant le droit de décider ce qu'elle veut faire de la phase ultime de son existence. »
S'il nous paraît important de souligner que le débat éthique relatif à l'euthanasie va bien au-delà du clivage entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, il nous faut revenir sur la question qui sous-tend ce débat. Il existe une conception selon laquelle l'homme a le droit de vivre mais ne possède aucun droit sur sa vie, soit que l'on dise que la vie appartient à Dieu, soit que l'on dise qu'elle appartient à la société. Je n'en discuterai pas. Cette conception est tout à fait respectable mais, dans notre société, il en est une autre, partagée par de nombreuses personnes, qui veut que l'homme conserve la maîtrise de son destin jusqu'à la phase ultime de sa vie, jusqu'au moment de sa mort. Ces deux conceptions devraient pouvoir coexister dans une société pluraliste et démocratique, sans échelle de valeur, sans qu'une morale l'emporte sur une autre. Hélas, dans la situation actuelle, force est de constater qu'une morale, basée sur l'interdit légal relayé par le code de déontologie médicale, s'impose. Nous considérons, en ce qui nous concerne, qu'il n'est absolument pas question d'imposer quoi que ce soit à quiconque. Chacun doit pouvoir trouver son espace de liberté. Or, ces dernières années, nous avons reçu une multitude d'appels et de témoignages qui démontrent que la situation actuelle est inacceptable. Il faut sortir de cette hypocrisie. Nous vous avons communiqué un recueil intitulé La mort demandée. Témoignages et documents au mois de décembre 1999. Certains témoignages figurant dans cette brochure sont très émouvants. La veuve de Ghislain Urbain, un battant, un sportif de haut niveau, nous explique que son mari, atteint d'un cancer incurable et amené dans une clinique à la suite d'une crise, s'est heurté à un refus catégorique après avoir formulé une demande d'euthanasie. Présente à ses côtés, elle était sans cesse surveillée, sans doute de crainte qu'elle ne décide d'agir elle-même. Cet homme n'a donc pas pu obtenir de quitter dignement ce monde en jetant un ultime regard à sa femme. L'épouse d'un autre de nos membres nous a écrit pour nous signaler que son mari avait fini par se jeter dans le canal, faute d'autre solution puisque ni elle ni notre association n'avaient pu l'aider. Je dois dire que nos démarches butent souvent contre un mur. Que pouvons-nous faire si ce n'est écouter les personnes ? L'écoute est certes importante mais elle n'est pas toujours suffisante.
Nous avons encore d'autres manifestations de cette volonté de maîtriser sa vie jusqu'au dernier moment. Depuis des années, nous proposons à nos membres un testament de vie certaines personnes sont d'ailleurs venues à l'ADMD par ce biais. La proposition de loi déposée le 20 décembre 1999 par certains sénateurs contient un concept analogue, la déclaration anticipée. Il est remarquable de constater avec quelle détermination des personnes, qu'elle soient bien portantes ou non, précisent la manière dont elles entendent que soient respectées leur volonté.
Certaines refusent l'euthanasie et le disent de façon très claire. C'est aussi une volonté qui peut s'exprimer par une déclaration anticipée. D'autres précisent : pas d'acharnement thérapeutique, par de respirateur artificiel, pas de réanimation.
À votre intention, je dépose quelques exemples de ces testaments de vie, quelques exemples de ces déclarations, qui montrent une grande maturité au sein de la population, au sein de notre société, et une grande volonté d'assumer la maîtrise de soi jusqu'au dernier moment.
Vous avez certainement déjà pu entendre des personnes souligner l'importance de ces testaments de vie, de ces déclarations anticipées. Je ne sais si M. Schotsmans vous a parlé de l'étude réalisée à la KUL, mais il est certain que c'est le genre de document qui aiderait de façon positive les médecins à prendre des décisions toujours difficiles, il faut bien le dire.
J'aimerais, à présent, vous faire part d'un autre témoignage. Il s'agit d'une personne tétraplégique que M. le sénateur Monfils connaît, car il a été l'un de ses collaborateurs. Ce n'est pas un accident mais une erreur médicale qui l'a condamné à la chaise roulante depuis l'âge de neuf ans et, à présent, à son lit où il reste désormais 24 heures sur 24, sans aucun espoir. Depuis deux ou trois ans, il a formulé une demande d'euthanasie bien claire. Je vous en lirai seulement quelques lignes.
« Je revendique le droit de terminer mon parcours comme je l'ai décidé il y a deux ans déjà, avec calme et sérénité. Nul n'est en droit de m'imposer une ultime souffrance inutile. Ni l'Ordre et ses mandarins, ni la faculté, ni vous, ni ceux et celles qui sont tellement éloignés et ignorants de mes souffrances qu'ils en sont devenus intolérants.
Si je puis admettre l'utilité des soins palliatifs pour ceux et celles dont la souffrance physique devient intolérable et qui peuvent ainsi retrouver une certaine quiétude, qu'en est-il alors pour celui dont la souffrance principale est ou devient morale ? Souffrance de voir s'écouler des jours sans fin, des nuits interminables pour un corps inerte dépendant totalement, pour le moindre besoin vital, d'une kyrielle d'intervenants qui, malgré toute leur efficacité et leur gentillesse, ne pourront jamais faire oublier votre déchéance totale. »
La lecture de ce message de Jean-Marie Lorand n'est absolument pas destinée à faire du pathos. J'ajouterai que Jean-Marie Lorand prend un risque en rendant publique cette demande d'euthanasie car il est vrai que si l'une ou l'autre personne devait accepter aujourd'hui de l'aider, qu'en serait-il ? Le risque de poursuite existe. Donc, en sortant d'une certaine clandestinité, d'un certain anonymat, Jean-Marie Lorand prend un risque certain. Il est vrai qu'il suit vos débats avec espoir, parfois, avec angoisse, souvent. Et il se demande si la voix des personnes comme lui sera bien entendue.
Si vous maintenez l'euthanasie dans le code pénal, tout médecin qui apporterait une aide à des personnes comme Jean-Marie Lorand serait passible de poursuites. Si vous limitez cette possibilité à la seule phase terminale, des personnes comme Jean-Marie Lorand devront attendre une crise pour obtenir enfin cette aide et ce, dans des souffrances intolérables.
J'ai tenu à vous citer quelques exemples, je pourrais vous en citer d'autres. Je pourrais également vous parler d'euthanasies qui se sont déroulées, parfois dans de bonne conditions. Certains d'entre vous ont sans doute vu l'émission « Controverse » nous étions au moins deux, présents ici dans cette salle, à y participer où une personne a témoigné de l'aide qui a été accordée à son mari. Celui-ci était un homme qui s'était aussi battu toute sa vie, qui s'est battu pendant des années contre sa maladie, mais en était arrivé à un moment où il n'en pouvait plus. Son corps l'abandonnait totalement, il n'était plus que souffrance et il ne profitait même plus, si j'ose dire, de l'amour des siens, de ses proches. Cet homme a reçu une aide, il est vrai. Sa veuve a témoigné masquée. Masquée parce qu'il y a trop de risques, pour elle, pour ses enfants et, également, pour les médecins et le personnel paramédical qui a accompagné cet homme jusqu'au dernier moment, selon ses volontés.
Vous me direz que ce sont là quelques témoignages, mais vous demanderez combien de personnes pourraient demander une telle aide. Si on s'en réfère aux études faites aux Pays-Bas, où elles sont évidemment bien plus complètes qu'ici, dans des villes comme Hasselt, ou encore à Bordet dans un service d'oncologie, on peut estimer que les demandes représenteraient de l'ordre de 2 % des décès, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. Certains diront que 2 %, ce n'est pas beaucoup et se demanderont si, pour ces 2 %, il convient de légiférer, de développer tant d'efforts ? Mais quand on fait partie de ces 2 %, c'est énorme.
Je rappelle que ce que l'on demande, ce n'est rien d'autre que d'avoir un espace de liberté, où chacun pourrait s'autodéterminer, où les personnes qui estiment que la vie a une valeur supérieure à toute autre chose, pourraient fort bien ne jamais demander l'euthanasie, ni pour elles-mêmes ni pour leurs proches, mais où des personnes qui souhaiteraient une telle aide pourraient avoir un dialogue ouvert et franc avec leur médecin, un dialogue qui ne soit pas perverti.
En effet, à l'heure actuelle, quand un médecin reçoit une telle demande, n'a-t-il pas tendance à trouver éventuellement des solutions dites alternatives mais, surtout, des solutions qui ne servent qu'à éviter le débat sur la mort ? Nous demandons donc qu'il y ait la possibilité d'un travail au sein d'une équipe, en toute clarté, sans risque, sans tabou, sans crainte. Il est vrai que le travail en équipe me paraît tout à fait fondamental en milieu hospitalier comme à la maison. Ce qui nous paraît également fondamental, c'est que le médecin qui accorderait une telle aide, ne risque pas de poursuites et ne soit pas traité comme un criminel.
Une loi de dépénalisation apporterait une nécessaire sécurité juridique pour les patients, leurs proches, les médecins, et n'imposerait rien à ceux qui souhaitent aller jusqu'au bout de leur parcours. La fin de la clandestinité permettrait également le contrôle des abus. Nous savons qu'il y a des abus actuellement, mais comment les dénoncer tant qu'on vit sous le règne de l'opacité ?
Vous l'aurez compris : nous plaidons pour une loi de dépénalisation de l'euthanasie, sous certaines conditions. Nous plaidons pour que soit respectée la volonté du malade incurable qui endure des souffrance que lui seul est habilité à juger tolérables ou intolérables. Nous plaidons pour que la décision prise dans le cadre du colloque singulier malade-médecin soit respectée. Nous plaidons pour que soit informée, à la demande du malade et à sa seule demande, toute personne qu'il indiquerait. Nous plaidons aussi pour que le comité d'éthique ne soit pas impliqué dans ce processus de décision. Quel serait donc son rôle, quelle serait son intervention ? Il ne devrait pas statuer sur le caractère incurable ou non de la maladie. En fait, il s'érigerait en juge de la validité de la demande d'euthanasie. Et selon quels critères ? Je vous le dis, moi, je ne verrais pas d'un bon oeil que le conseiller laïque ou le prêtre intervienne dans ce type de débat. Que la personne veuille l'aide du prêtre ou du conseiller laïque, cela, c'est un tout autre débat. Que la personne souhaite informer ses proches, c'est un tout autre débat. Mais je ne veux pas prendre le risque de voir des personnes juger de la valeur d'une demande d'euthanasie.
Vous l'aurez compris, je me suis exprimée au nom de ces témoins, au nom également du nombre sans cesse croissant de membres de l'ADMD mais, à présent, je souhaiterais vous remettre, monsieur le président, une liste de signatures. Nous avons, il y a environ un mois, rédigé un appel en français et en néerlandais, un soutien à la dépénalisation qui reprenait les principes de la proposition de loi du 20 décembre 1999. Nous avons travaillé avec peu de moyens, sans publicité tapageuse, faisant le choix de la discussion avec les uns et les autres. Nous avons ainsi pu recueillir les signatures de plus de 500 personnes du monde culturel, associatif, etc. Quelques noms : Gérard Corbiau, Pierre Mertens, Roger Somville, Guy Lukowski, des dessinateurs de BD ... Vraiment, vous trouverez, parmi les signataires, un très large échantillon de toutes les origines sociales, culturelles et professionnelles de la Belgique, du moins de la communauté Wallonie-Bruxelles. Tout à l'heure, Léon Favyts aura l'occasion d'en parler également pour ce qui concerne la Flandre.
Les trois recteurs des universités de Liège, de Mons et de Bruxelles ont également signé, de même que d'anciens recteurs et professeurs, notamment de l'UCL. Je n'ai toutefois pas reçu la signature du recteur actuel de l'UCL. Ont signé aussi beaucoup de personnes faisant partie de l'équipe dont on parle toujours, issues des professions médicales et paramédicales, et on y trouve aussi, last but not least, plus de 400 signatures de médecins, chefs de service d'oncologie et de neurologie. J'espère qu'avec ces divers éléments, mesdames et messieurs les sénateurs, vous disposerez d'une contribution qui vous permettra d'alimenter la réflexion sur le débat fondamental du statut juridique de l'euthanasie.
M. le président. Nous passons maintenant aux questions.
M. Alain Destexhe. Merci pour votre témoignage, madame. Personnellement, je suis plus sensible à votre exposé qu'à la remise d'une pétition.
Mme Jacqueline Herremans. Ce n'est pas une pétition.
M. Alain Destexhe. C'est un ensemble de signatures, mais celles-ci peuvent aller dans tous les sens. Ce n'est pas ce qui nous importe ici. Je désire vous poser trois questions. Que vous inspire le fait qu'aucun pays au monde n'ait dépénalisé l'euthanasie ? Comment expliquez-vous que les Pays-Bas aient choisi de considérer l'euthanasie comme un acte criminel et de maintenir sa pénalisation ? Enfin, excusez-moi de revenir sur ce cas difficile, mais depuis combien de temps Jean-Marie Lorand, qui exprime depuis deux ans une demande d'euthanasie, est-il dans cet état ?
Mme Jacqueline Herremans. Pour ce qui concerne la première question, je dirai qu'il s'agit d'un débat qui est né dans des sociétés connaissant un développement important de la médecine. Il n'était pas possible de mener ce type de débat il y a une vingtaine d'années. Il est assez normal que ce débat éthique, qui nous préoccupe depuis quelques années et qui demande une sérieuse réflexion, n'aboutisse pas dans des délais très rapides à des modifications. Par rapport à la question de l'avortement, ce débat présente une difficulté supplémentaire, à savoir qu'il concerne la mort. Tous dans cette salle, nous éprouvons encore des problèmes vis-à-vis de la mort, la nôtre et celle de nos proches. Nous avons longtemps refoulé la mort et il est assez logique que le débat ait surgi dans le dernier quart du vingtième siècle. Vous dites qu'aucun pays n'a légiféré jusqu'à présent. Je crois qu'il faut apporter quelques corrections à cette affirmation. Ainsi, le suicide médicalement assisté est entré en vigueur dans l'État d'Oregon à la suite d'un référendum. Les Pays-Bas connaissent une dépénalisation de fait. De nombreuses réflexions ont lieu dans différents pays et la Suisse alémanique reconnaît le suicide assisté. Cela signifie que nous avançons. En discutant, nous progressons dans ce débat. Personnellement, je pense qu'avec la maturité des récentes discussions, nous avons déjà accompli un formidable pas.
Les Pays-Bas entretiennent une culture de la discussion. Ils ont la possibilité de réunir autour d'une même table aussi bien des magistrats que des médecins et des personnes de la société civile pour discuter à bâtons rompus. Le débat est ouvert depuis 1973, soit l'année où un tribunal de Leeuwarden a pris une première décision. Depuis, la discussion a évolué. Il y a maintenant une volonté de sortir du code pénal les deux infractions qui visent l'euthanasie et le suicide médicalement assisté. Notons qu'aux Pays-Bas, il y a deux infractions spécifiques, ce qui n'est pas le cas dans notre pays.
Il n'y a peut-être pas de véritable urgence à légiférer pour l'instant aux Pays-Bas, car, dans l'ensemble, la dépénalisation de fait qui existe est satisfaisante. Il n'empêche qu'il y a certainement une volonté d'avoir une loi de dépénalisation de l'euthanasie. Toujours est-il que nous ne sommes pas aux Pays-Bas dans une situation de clandestinité, d'opacité comme dans notre pays.
Quant à Jean-Marie Lorand, c'est à la suite d'une erreur médicale, de l'administration d'un vaccin inapproprié, que son problème s'est manifesté. Dès l'âge de 9 ans, il a connu la chaise roulante, ce qui ne l'a pas empêché d'être superbement heureux et de réaliser beaucoup de choses. Il a peut-être voyagé davantage que la majorité des personnes se trouvant dans cette salle. Il a donc eu une vie remplie et complète jusqu'à un certain moment. Depuis deux ou trois ans, son état de dégénérescence s'accentue. De plus, il éprouve des difficultés respiratoires et sa hantise est de mourir étouffé. Il a encore une certaine mobilité des doigts, plus pour la préhension, mais pour utiliser la souris de son ordinateur, ce qui lui permet d'écrire grâce à un écran virtuel. Telle est la situation de Jean-Marie Lorand.
Mme Jacinta De Roeck. Le testament de vie, dont parle madame Herremans et que la fraction Agalev appelle la « wilsbeschikking » est manifestement très important pour elle. Je peux imaginer qu'elle attache également beaucoup d'importance à la façon dont il est rédigé. Elle a sans aucun doute de l'expérience en la matière. J'aimerais avoir plus d'explications à ce sujet car j'entends souvent des gens demander comment une personne en bonne santé est en mesure de rédiger un testament. Les adversaires excluent simplement une telle possibilité. Hier soir, j'ai encore entendu un témoignage sur VTM disant qu'un testament n'est pas « quelque chose qu'on rédige sur un coin de table ». D'où mes questions concrètes : comment se déroule la rédaction d'un testament ? L'encadrement est-il possible à cette occasion ? Est-ce accessible à tous ? Dans cette commission aussi, certains craignent que l'euthanasie ne soit accessible qu'à certaines classes sociales.
Mme Jacqueline Herremans. Rédiger un testament de vie ou formuler une déclaration anticipée sont des exercices difficiles. Nous pouvons en faire l'expérience ici. Nous sommes tous bien portants en tout cas la majorité d'entre nous. Nous pouvons donc nous représenter ce qui est acceptable ou inacceptable à nos yeux. Mais cela peut évoluer. Il est possible qu'étant dans la situation, je change d'avis à propos de ce que je juge aujourd'hui inacceptable, comme par exemple ne pas pouvoir parler ou ne pas pouvoir bouger. Je peux changer d'avis à n'importe quel moment. Tant que je suis consciente, que je peux m'exprimer, je peux modifier cette déclaration anticipée à n'importe quel moment. Je peux dire que cette déclaration anticipée doit être jetée à la poubelle ou je peux la modifier. En ce qui concerne les testaments de vie qui nous sont adressés par nos membres, nous pouvons nous assurer d'une certaine persistance dans les volontés. En effet, nous délivrons chaque année un timbre, ce qui permet une sorte de renouvellement de la déclaration anticipée.
Je pourrais très bien concevoir que l'on fixe un délai de validité de la déclaration anticipée. Cela permettrait d'éviter que l'on puisse formuler certains reproches en disant que la personne qui avait déclaré ne pas pouvoir vivre dans certaines conditions peut, après tout, avoir changé d'idée, si sa déclaration date d'il y a dix ans. Je peux donc tout à fait concevoir l'imposition d'un délai.
Quant à la manière de rédiger, je dois vous préciser que nous proposons un certain nombre de rubriques à compléter. Je vous donne quelques exemples : il y a l'euthanasie active comme je vous l'ai dit, certaines personnes biffent cette mention , il y a une rubrique relative à l'acharnement thérapeutique ou encore celle qui porte sur l'administration d'antidouleurs ... Remplir ce testament de vie requiert donc une certaine réflexion. Aux Pays-Bas, les personnes désireuses de compléter ce type de déclaration préfèrent d'ailleurs très souvent avoir un entretien avec des personnes de l'association NVVE afin de s'informer. N'étant pas médecin, il est vrai qu'il existe certains traitements que je ne pourrais pas viser. Si l'exercice est difficile, il n'est cependant pas impossible. Notre société fait preuve d'une grande maturité, on souhaite que tout citoyen se comporte de manière responsable et cet exercice qui consiste à définir ses conditions de fin de vie permet précisément au citoyen de prendre ses responsabilités.
Vous me demandiez si cet exercice est accessible à tous. Vous pensez sans doute aux personnes qui n'ont pas la plume facile, qui rédigent difficilement ou qui n'ont pas les connaissances nécessaires et vous vous dites qu'elles ne seraient peut-être pas en mesure de rédiger ce testament. Pour ma part, je pense que cela revient à ne pas considérer que les hommes et les femmes de notre société ont la possibilité de réfléchir à des questions de ce genre. Personnellement, je les crédite d'une grande maturité à cet égard.
Mme Mia De Schamphelaere. Ce débat montre très bien que tout le monde a sa propre vision de la vie, de la mort et de la mort idéale. Dans notre société, nous respectons ces différences mutuelles. Pour nous, la conception philosophique personnelle ne passe pas avant tout. Nous sommes des législateurs et nous devons donc réfléchir aux conséquences sociales lorsque nous changeons quelque chose aux fondements juridiques de notre État de droit et à la perception des soins de santé et lorsque certains actes qui ne sont pas considérés du tout comme des actes médicaux normaux le deviennent.
Madame Herremans peut-elle percevoir que la dépénalisation de l'euthanasie peut avoir des conséquences sociales et peut conduire à une autre conception de l'État de droit et à une autre perception sociale des soins de santé ? Quelle est, à ses yeux, la différence entre le droit à l'euthanasie et le droit à une aide pour se donner la mort ?
Elle a déjà fait référence à une personne handicapée et, ce matin encore, je voyais dans le journal une photographie d'une femme lourdement handicapée, avec un bébé dans les bras, qui respirait la joie de vivre et avait fermement l'intention de nourrir ce bébé. Si nous autorisons ce qui, jusqu'à présent, était inadmissible, quelles catégories de gens ne vont pas ressentir cela comme un jugement de valeur collectif sur leur vie ? Dans notre société apparaîtra alors un groupe de personnes dont la vie ne sera plus tout bonnement évidente mais dépendra de leur propre décision.
Madame Herremans comprend-elle que la transposition d'une telle conception dans des textes de loi frappe durement les personnes handicapées parce qu'elles doivent désormais décider elles-mêmes si elles sont capables de mener leur vie ou pas, alors que c'est pour le moment une évidence et que la société a pour mission de les encadrer ?
Comme le professeur Englert l'a également évoqué, l'étude néerlandaise a démontré que chaque demande d'euthanasie n'est pas une demande de mort. Dans 10 % des cas seulement, la demande découle d'une souffrance physique insupportable; souvent, elle est formulée parce qu'on se sent abandonné, inutile, parce qu'on trouve que la vie n'a plus de sens et que l'on a l'impression d'être une charge pour sa famille. Faut-il alors répondre immédiatement par la mort à ces questions ?
Madame Herremans dit que les gens sont suffisamment mûrs pour rédiger leur testament de vie. Pourtant, je connais aussi quelqu'un souvent à la une des médias qui adapte chaque mois son testament à mesure que sa maladie évolue. Autrefois, l'idée d'être en chaise roulante ne lui plaisait guère mais, à présent, il pense autrement. Peut-être voudra-t-il mettre fin à sa situation lorsqu'il ne pourra plus parler mais il veut en décider au moment venu. Dès qu'il arrive à la situation qu'il a décrite dans son testament comme le moment où il ne veut plus continuer à vivre, il demande encore un mois de réflexion. En fait, c'est paradoxal. D'une part, on demande de mettre fin à ses jours et, d'autre part, on demande à la société la garantie que l'on pourra encore bénéficier d'un mois de réflexion. Comment pouvons-nous être jamais certains que ce que nous couchons dans notre testament correspondra effectivement avec ce que nous voudrons le moment venu ? En effet, il ne faut engager que le moment présent et la volonté de vivre de quelqu'un ne peut être annihilée sous prétexte d'une opinion antérieure qu'il a formulée alors que son état de santé était différent.
Mme Jacqueline Herremans. En ce qui concerne l'image que l'on pourrait avoir d'une société qui accepterait la dépénalisation de l'euthanasie, je vous dirai encore une fois que je suis peut-être plus confiante que vous en cette société. En effet, cette demande de dépénalisation, cette demande de respect de l'autonomie de la personne humaine ne va pas dans le sens d'un individualisme forcené. Elle va dans le sens du respect de la personne. Personne ne me contredira, nous savons tous ici que des euthanasies sont pratiquées. Qu'en penser ? Cette pratique serait-elle le reflet d'une déliquescence de la société ? Pour ma part, je ne le crois pas. Personne ne refuse ici le principe que quelqu'un demande l'euthanasie. Pour certains, les conditions doivent être extrêmes tandis que pour d'autres, elles sont plus variables mais tous ici, nous acceptons cette possibilité. Je crois que nous devons être clairs. Nous vivons dans une société où coexistent des conceptions morales différentes et je ne pense pas que ceux qui défendent le principe d'autonomie de la personne soient immorales ou amorales. Le sénateur Roger Lallemand, par exemple, ne peut certainement pas être taxé de danger pour la démocratie ou pour l'image des valeurs dans notre société ! Cela étant, il est certain que parallèlement à une loi de dépénalisation, il faut s'assurer que la société garantisse pour tous un accès de qualité à la médecine. Il ne s'agit pas seulement de traiter la dépénalisation de l'euthanasie, il faut voir cette question dans un ensemble où toute personne est considérée pour ce qu'elle est. Toute personne a sa valeur.
Quant à la sensibilité à cette question que pourraient avoir certaines personnes handicapées, pensant qu'on exerce une pression sur elles pour qu'elles demandent de partir, je pense qu'il faut être très clair sur les principes fondamentaux : toute personne a sa valeur. Que l'on soit médecin, prix Nobel, travailleur ou chômeur, toute personne a sa valeur.
Je pense que si l'on tient ce discours, on exprime aussi le respect que l'on a de la démocratie et de l'image que l'on donne de notre société. Il ne faut certainement rien négliger, par exemple dans le domaine des aides, pour qu'une personne handicapée ou non se sente un citoyen dans notre société.
En ce qui concerne les demandes d'euthanasie, il est tout à fait vrai que ce sont parfois des appels au secours, que ce ne sont pas toujours de véritables demandes d'abréger la vie. Ce sont parfois des moments de détresse, de dépression, cela existe aussi. Cependant, tant que l'on reste dans cette clandestinité, dans cette opacité, le dialogue avec un médecin est extrêmement difficile. Il est en effet difficile pour un médecin de répondre à une telle demande, notamment parce qu'il y a cet interdit légal. Le médecin risque alors de donner des réponses allant dans le sens d'un certain acharnement de soins de peur de devoir dire à la personne qu'il n'a plus de solution pour elle. Il évite ainsi le débat. Il est vrai qu'aux Pays-Bas, il y a un gouffre entre le nombre de demandes formulées, le nombre de demandes maintenues et le nombre d'euthanasies pratiquées. La raison en est que la personne qui effectue cette demande d'euthanasie et à qui vous dites clairement, objectivement, qu'il y a telle solution, tel accompagnement, telle possibilité sur le plan curatif ou palliatif, sait que vous lui dites la vérité et que vous ne voulez pas éviter le débat. Dès lors, cette personne reprend courage et peut poursuivre son chemin beaucoup plus loin.
En ce qui concerne le testament de vie, j'ai déjà répondu. Il est évident qu'il faut toujours se poser la question de l'actualité de cette demande. Lors des premiers travaux concernant le projet de loi en discussion devant le Parlement aux Pays-Bas, il a été reconnu qu'un médecin pourrait ne pas suivre ce qui a été déclaré de manière anticipée. En effet, cette déclaration a pu être faite à un moment où un traitement n'était pas connu. Le médecin conserve donc sa liberté d'appréciation.
M. Georges Dallemagne. Vous vous battez pour le droit de mourir dans la dignité et je pense que vous avez raison. Je crois que c'est l'enjeu principal qui est sur la table aujourd'hui. Chacun d'entre nous partage ce souci de pouvoir mourir dans la dignité. Il est vrai que nous ne partageons pas toujours nécessairement les mêmes politiques ou les mêmes moyens et que nous proposons de mettre en place des dispositions qui sont parfois radicalement différentes.
Vous êtes juriste, avocate au cabinet de Roger Lallemand, si je suis bien informé. En tant que juriste, vous avez invoqué la question de l'insécurité juridique comme étant un des motifs premiers pour lesquels il faudrait dépénaliser aujourd'hui l'euthanasie. Or, ce motif est remis en cause par des médecins, des malades, voire certains juristes. Une grande majorité des médecins considère que l'insécurité juridique actuelle ne serait sans doute pas levée par la proposition de loi. Ils considèrent même qu'ils se retrouveraient dans une situation qui, de leur point de vue, serait encore plus inconfortable à travers les propositions qui sont sur la table, notamment celle prévoyant une procédure a posteriori devant le procureur du Roi. Ils parlent à ce propos d'une véritable épée de Damoclès. Ils semblent donc ne pas vous rejoindre sur ce point.
Mme Henry, représentant l'association de malades que nous avons entendue ce matin, nous disait également qu'elle ne considérait pas la proposition comme une avancée de ce point de vue. J'aurais aimé avoir votre opinion et savoir comment vous réagissez par rapport à ces deux catégories de personnes qui sont les premières concernées par cette proposition de loi et qui nous disent que cet argument n'est pas recevable.
Quelles sont les associations de malades ou de patients avec lesquelles votre association, qui regroupe une série de hautes personnalités sur le plan politique, artistique ou intellectuel, a des contacts ou quelles sont celles qui en font partie ?
Mme Jacqueline Herremans. En ce qui concerne la question sur le plan juridique, j'aurais préféré que vous interrogiez de façon plus précise des juristes qui vont être entendus par votre commission. Il se fait que je suis avocate mais ce n'est pas la qualité qui m'amène devant vous. Pour répondre de façon très succincte à ce type de critique, je vais faire référence à l'intervention, sur un plateau de la RTBF, du premier avocat général Morlet disant très clairement qu'il y a trois solutions.
Première solution, on maintient la situation actuelle. En fonction de son code de déontologie qui comporte encore l'article 95, lequel est un interdit formel même s'il est tempéré par les deux articles suivants, on laisse au médecin la liberté d'apprécier ou de ne pas apprécier. Il s'agit d'un pouvoir énorme entre les mains des médecins. Vous laissez également aux parquets le soin d'apprécier. On connaît la notion d'état de nécessité qui est une cause de justification : elle permet, quand on a commis une infraction, de justifier son acte par une valeur supérieure. Mais l'état de nécessité est une construction jurisprudentielle. Cela signifie que vous demandez aux parquets, aux tribunaux, de faire en quelque sorte le travail du législateur. Vous leur demandez de déterminer quelles sont les conditions de cet état de nécessité. Vous rencontrerez de toute façon un écueil de taille : les parquets sont constitués d'hommes et de femmes qui ont leurs convictions, leur conception philosophique de la vie et de la mort. Vous allez leur demander de prendre position sur des cas qui leur sont soumis, souvent à la suite d'une dénonciation, en fonction de valeurs. Ils ne diront pas le droit, ils prendront attitude en fonction de ce qu'ils pensent être leur conception de la vie pour eux et pour les autres.
Deuxième solution : légiférer en modifiant l'art de guérir. M. Morlet était quelque peu sceptique en disant qu'un arrêté royal est un peu léger pour un problème qui pose des questions de vie et de mort.
Troisième solution : légiférer. Ce sont les paroles d'une personne qui a quand même des responsabilités au sein d'un parquet général. Je crois donc qu'elles doivent être entendues.
M. Georges Dallemagne. Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Je voulais savoir ce que votre association, qui invoque l'insécurité juridique, répond aux médecins et aux malades ...
Mme Jacqueline Herremans. Vous m'avez posé la question en ma qualité de juriste. Puisque je suis interpellée en tant que juriste, je réponds en cette qualité.
En ce qui concerne les médecins, il y a là aussi de terribles nuances à apporter. Vous avez reçu l'avis du 15 janvier 2000 de l'Ordre national des médecins. Il n'y a pas de condamnation d'une législation. C'est un avis qui représente une évolution dans les conceptions de l'Ordre des médecins. Vous avez encore l'interdit de l'article 95 du code de déontologie après la modification 1992. On observe cependant une évolution. L'Ordre des médecins, qui devait donner un avis, n'a pas prononcé de condamnation explicite d'une législation. Vous n'en trouverez pas dans cet avis. Vous trouverez des membres de l'Ordre des médecins qui ont signé cet appel. Cela signifie que même parmi les médecins, il y a des divergences d'opinions.
M. Georges Dallemagne. Ici, en commission, l'Ordre des médecins, sur insistance pressante de la commission, a fini par dire qu'ils étaient contre cette législation.
M. le président. Monsieur Dallemagne, j'ai reposé la question et j'ai fait acter qu'ils ne se prononçaient ni pour ni contre la dépénalisation.
Mme Jacqueline Herremans. Pour ma part, je constate que, lorsqu'on parle avec des médecins responsables de services d'oncologie, de neurologie etc., nombre d'entre eux souhaiteraient effectivement pourvoir agir dans la sécurité juridique. Ne nous forcez pas à revivre les procès « avortement » que l'on a connus. Ce fut assez pénible pour les médecins. Ces procès représentaient aussi une façon de dire au législateur qu'il lui fallait prendre ses responsabilités et légiférer. Quand on parle avec des médecins travaillant, par exemple, dans des services de soins intensifs, on se rend compte que, s'ils ont certaines réticences, celles-ci peuvent être effacées lorsqu'on approfondit la matière.
En ce qui concerne la déclaration au procureur du Roi, je préférerais laisser la parole à des juristes, car il s'agit peut-être d'un élément qui pourrait poser problème, je pense par exemple, dans des villes d'importance moyenne où tout se sait très vite. Si une déclaration est faite au procureur du Roi ou à l'officier de l'état civil, le tam-tam jouera et tout le monde saura qu'une euthanasie a été pratiquée.
Cela dit, le rôle du procureur du Roi devra aussi être défini. Lui demandera-t-on de vérifier si les conditions fixées par la loi ont été respectées, ou d'aller plus loin et de vérifier si le malade était bien atteint d'une maladie incurable ? Ce dernier élément me poserait beaucoup plus de problèmes.
Mme Jeannine Leduc. Les personnes qui rédigent un testament de vie le prolongent régulièrement, comme vous l'avez dit. Avez-vous une idée du pourcentage d'entre elles qui renonce à un moment donné ?
Souvent, un testament de vie est établi au moment où l'on connaît une expérience négative ou pénible avec le décès d'un parent ou d'un ami. Une étude a-t-elle été réalisée sur l'âge et la catégorie de personnes qui souscrivent à un testament de vie ? Donnent-elles un motif ? On prétend parfois de manière simpliste que la procédure se déroule comme suit : quelqu'un opte pour l'euthanasie, sa décision est suivie d'un examen par le médecin traitant et éventuellement un deuxième médecin, et la personne en question reçoit une piqûre. Les témoignages d'hier dans le programme Telefacts révèlent que les gens rédigent un testament de vie et, au moment où la douleur n'est plus supportable, font pratiquer l'euthanasie. Quelle est votre expérience ?
Mme Jacqueline Herremans. Vous me donnez beaucoup d'idées pour lancer une étude en ce qui concerne les testaments de vie que nous avons recueillis. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'établir des statistiques. C'est quelque chose qui m'aurait fortement intéressé. J'ai posé la question aux Pays-Bas et, apparemment, il n'y a pas encore d'études très précises à cet égard, comme par exemple en matière de renouvellement ou de modification de déclaration. Je n'ai que des cas particuliers en tête où des personnes ont changé d'avis. Par exemple, des personnes refusaient l'idée de ne plus avoir de motricité. Or, à la suite d'un accident de ski ou de voiture, elles ont été confrontées à la nouvelle situation et, conscientes et lucides, elles ont estimé qu'elles pouvaient encore avoir une qualité de vie appréciable.
Au fond, le testament de vie, surtout dans le cadre de cette proposition de loi, n'est envisagé que dans les hypothèses de perte de conscience irréversible, donc dans des cas extrêmes. Dans tous les autres cas, le testament de vie peut éventuellement servir de fil rouge dans la perception des choses par quelqu'un. Par exemple, dans le cas d'une personne qui formule subitement une demande d'euthanasie, sans avoir émis cette idée auparavant, on doit assurément se poser des questions. En revanche, si l'on a affaire à une personne qui a déjà formulé sa demande d'une façon claire, on peut se dire qu'elle agit dans le droit chemin de ce qu'elle a déjà vécu auparavant et que sa demande est sérieuse.
À mes yeux, il va falloir faire des études en ce qui concerne les personnes qui reviennent sur leur décision. Les expériences personnelles prouvent en tout cas que, souvent, des personnes sont amenées à remplir une telle déclaration après avoir vu souffrir une personne de leur entourage. On est très souvent interpellé par des personnes qui viennent de perdre un proche dans des conditions atroces et qui veulent éviter de mourir dans les mêmes circonstances. La déclaration anticipée permet aussi de préciser pas mal de choses. Je crois donc que ce point devra être approfondi. On n'a pas suffisamment de recul dans notre pays pour mener une étude sérieuse, mais cela viendra.
M. Jacques Santkin. Je voudrais tout d'abord remercier Mme Herremans de sa franchise et de la clarté dont elle a fait preuve tout au long de son exposé. Je lui dirai d'entrée de jeu que je partage sa façon d'aborder cette problématique. En clair, je suis pour le libre choix de l'individu, je suis tout à fait d'accord sur la notion de testament de vie. Certains me diront que la comparaison est pour le moins délicate, osée peut-être, mais il nous arrive aux uns et aux autres de faire acter nos dernières volontés : en dehors de cette problématique, en ce qui concerne la gestion ultérieure de ses biens et la façon dont on veut quitter ce monde, soit avec les secours d'une religion, soit seul. Je sais que le souhait exprimé en ce qui concerne le façon dont on quitte ce monde donne lieu à toutes sortes de discussions. En effet, la plupart des personnes n'ont pas fait acter leurs souhaits, d'autres l'ont fait mais leur entourage considère parfois que le malade peut avoir changé d'avis en dernière minute. C'est pourquoi j'aimerais vous poser deux questions.
La première a déjà été quelque peu évoquée. Je suis un partisan convaincu de ce testament de vie, parce que c'est selon moi la seule façon d'aborder le problème. M. Geens a dit de façon très explicite ce matin comment il désire terminer sa vie. Mais il est vrai que, pour toutes une série de raisons, on pourrait être amené à changer d'opinion. Vous y avez fait allusion en disant que la responsabilité, la marge de manoeuvre des médecins reste encore assez importante. Dès lors, je vous interroge. Vous qui êtes juriste, comment appréhendez-vous cette marge de manoeuvre des médecins ?
Ma deuxième question vient à la suite de ce que j'ai dit en ce qui concerne la capacité de rédiger son testament matériel ou philosophique avant de mourir. Un très grand nombre de personnes ne font pas connaître leurs opinions dans ces matières qui n'ont rien d'éthique, quoique la façon dont on quitte ce monde est quand même importante à mes yeux. Que deviennent toutes ces autres personnes ? Que pourra-t-on faire pour leur donner la capacité d'exprimer leur point de vue ? Je fais allusion à cette majorité silencieuse qui, pour toutes sortes de raisons sociales, matérielles les deux étant souvent cumulées ne s'exprime pas. Vous avez parlé de maturité, de responsabilisation des uns et des autres. Avez-vous une proposition à formuler quant à la façon d'aider ces gens à s'exprimer ?
Mme Jacqueline Herremans. Je crois qu'il est toujours très important d'attendre du médecin un regard critique sur les demandes qui sont formulées. Il est donc important qu'il puisse prendre la distance nécessaire par rapport à un patient qu'il connaît depuis longtemps, qu'il a suivi dans des conditions difficiles, etc. Il est également très important qu'il puisse garder son indépendance. Je crois que la marge de manoeuvre, c'est-à-dire le pouvoir d'appréciation du médecin en fonction des ses connaissances médicales, est vraiment fondamentale. Je sais que le professeur Englert a fait allusion à la crainte d'une certaine fusion entre malade et médecin. C'est la raison pour laquelle il est vraiment important qu'un second médecin intervienne et puisse revoir le cas avec un oeil neuf, sans avoir connu cette fusion avec le malade. Je le répète, un médecin doit garder un pouvoir d'appréciation. De plus, il est fondamental qu'il conserve sa liberté de conscience et qu'il puisse, tout comme le malade, rester fidèle à ses convictions.
J'en arrive à la problématique de la rédaction de dernières volontés. Ces débats que nous avons aujourd'hui, le fait que ces questions sont évoquées au sein de la société de façon beaucoup plus ouverte et plus claire, l'abandon du tabou concernant les questions de vie et de mort, sont aussi toute une éducation qui se fait actuellement. Les prises de position de l'ADMD ont aussi connu une évolution notable. Tous les débats, toutes les auditions et toutes les discussions permettent d'évoluer. Quelles sont les possibilités pour faciliter la rédaction des dernières volontés ? Outre l'éducation à la citoyenneté et à la responsabilité, des associations peuvent jouer un rôle. C'est la question du dialogue, de la discussion que l'on peut avoir qui se pose. N'oubliez pas qu'il est aussi possible de désigner des mandataires. C'est très important puisque ces personnes peuvent prendre la parole à votre place lorsque vous n'avez plus la possibilité de vous exprimer.
Mme Clotilde Nyssens. Tout d'abord, une remarque accessoire. Vous avez parlé de l'arrêté royal sur l'art de guérir. Nous l'avons choisi parce qu'il a valeur de loi puisqu'il s'agit d'un arrêté royal numéroté. Nous aussi voulons rester dans le cadre de la loi et nous aussi voulons légiférer. Voilà le message politique que je voulais faire passer.
En ce qui concerne l'état de nécessité, vous avez raison mais nous essayons, en améliorant notre texte, d'objectiver cet état en imposant des conditions subjectives, objectives et procédurales, voire des présomptions d'état de nécessité. On pourrait presque se passer de cette notion. D'ailleurs, un interlocuteur précédent c'était M. Van Neste, si ma mémoire est bonne a dit que l'état de nécessité était le point de départ de votre réflexion. C'est peut-être une capsule que l'on peut faire sauter. Il est toujours possible d'affiner les notions juridiques. Cela ne doit pas nous séparer.
Cette mise au point faite, je dois dire que j'ai bien aimé votre introduction, lorsque vous avez expliqué que vous et votre association souhaitiez vous réapproprier la maîtrise de la mort, étant donné les progrès de la médecine et l'acharnement thérapeutique. Durant ces auditions, on a déjà beaucoup parlé d'acharnement thérapeutique. J'ai compris que les médecins affirment que, depuis une dizaine d'années, on s'acharne moins. Votre philosophie et vos textes sont-ils uniquement un moyen de lutte contre l'acharnement thérapeutique ? La réappropriation de la mort dont vous parlez se résume-t-elle uniquement à une lutte contre le pouvoir médical ? Votre introduction m'a conduite à me poser la question suivante : votre combat vise-t-il les médecins ? Ou est-il plus profond et concerne-t-il vraiment la volonté de maîtriser sa mort ? Il est bien entendu que nous avons tous envie de mourir dans la dignité. Ce serait la moindre des choses. Restons dans le prolongement des choses intéressantes qui ont été dites hier soir. Votre conception n'est-elle pas une vue très idéaliste, voire et je pèse mes mots rationnelle ou intellectuelle des choses ?
J'ai été frappée par le profil des personnes qui font partie de votre comité d'honneur. Ce sont des personnes importantes et intéressantes. Nous avons tous envie de lire vos publications parce qu'elles sont soutenues par des personnes de tous bords et qui font autorité dans notre pays. Mais votre philosophie ne suppose-t-elle pas une maîtrise dont beaucoup de disposent pas ? Je me pose cette question depuis le début de votre exposé.
Mme Jacqueline Herremans. Je connais la valeur d'un arrêté royal numéroté ....
Il vrai que l'on a connu une évolution de l'euthanasie aux Pays-Bas et de l'avortement en Belgique en définissant ou en faisant définir par les tribunaux les conditions de l'état de nécessité. Mais il faut choisir. Ou bien on prend la solution jurisprudentielle de l'état de nécessité, ou bien on légifère. À partir du moment où on reconnaît incontestablement l'existence d'euthanasies légitimes, il faut faire le pas et passer par une loi. Si on ne le fait pas, on se trouve entre deux chaises. Une condamnation pénale reste possible mais on affirme que l'euthanasie est légitime. Ce n'est pas normal. Il s'agit d'une situation qui n'est ni claire ni nette. Dès lors, je plaide pour que l'on soit cohérent et conséquent lorsque l'on analyse ce fait de société.
La notion d'acharnement thérapeutique me pose toujours un problème. En effet, en cas d'échec, on parle d'acharnement thérapeutique mais, lorsqu'on a pu sauver quelqu'un, on parle d'un succès. Cela étant, on connaît des situations d'acharnement thérapeutique, par exemple sur des personnes qui sont à deux doigts de la mort et qui subissent encore des examens médicaux. Je peux toutefois vous garantir que le travail de réflexion de l'ADMD n'est certainement pas un travail contre les médecins. Avant moi, le président de l'ADMD était le docteur Kenis. On nous a même parfois reproché de compter trop de médecins chez nous. Notre philosophie n'est donc certainement pas d'oeuvrer contre les médecins. D'autant plus que nous sommes tout à fait en faveur d'une dépénalisation de l'euthanasie qui implique la responsabilité du médecin comme interlocuteur du malade. Il serait donc inconséquent de notre part d'affirmer que nous sommes contre les médecins. Par contre, nous sommes opposés à un certain pouvoir médical.
Nous sommes opposés à un certain pouvoir des clercs au sein du corps médical. Mais nous avons besoin des médecins car je ne vois pas d'autre interlocuteur possible en la matière.
M. Zenner. J'en reviens à un aspect de la question de Mme Nyssens. Tout discours qui touche à la vie et à la mort relève évidemment, dans une large mesure, de l'irrationnel; celui-ci s'exprime dans des images symboliques. La symbolique est très importante dans notre discussion. Je voudrais d'abord en revenir à la question de la définition. J'aimerais vous voir revenir sur les différences entre le suicide assisté, dont vous avez parlé tout à l'heure, l'euthanasie active et l'euthanasie passive. Mme Baum nous a dit hier qu'elle ne partageait pas la définition de l'euthanasie donnée par le comité consultatif de bioéthique. Je ne vous cache pas qu'au fur et à mesure de l'avancée de nos travaux, cette définition me met mal à l'aise.
Pour ma part, je distingue trois types : il y a ceux qui cèdent à la mort, ce que j'appelle l'arrêt thérapeutique et qui, en quelque sorte, cessent le combat, que la décision émane d'eux-mêmes ou de l'équipe qui les traite, ceux qui accueillent la mort, cette notion rejoignant ma propre sensibilité et enfin, ceux qui invitent la mort et que j'aurais tendance à qualifier de suicide assisté. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet puisque vous avez fait la distinction entre euthanasie et suicide assisté.
Par ailleurs, et les termes ici sont aussi importants que les symboles sous-jacents et ce qu'ils reflètent comme conception de vie, il est clair qu'au fil de ces auditions, nous nous sommes rendu compte que le terme « dépénalisation » faisait peur, notamment à un grand nombre de personnes âgées qui perçoivent la légalisation de l'euthanasie comme une légitimation, voire une libéralisation. Lorsqu'ils entendent parler de ce débat, beaucoup de gens croient qu'on pourrait leur imposer l'euthanasie contre leur gré alors que les définitions figurant dans les propositions sont très claires et qu'il s'agit simplement d'autoriser ceux qui le demandent dans certaines circonstances, de manière continue et répétée, à y avoir recours.
D'autre part, je voudrais en revenir à la question posée par Mme Nyssens, d'autant plus que lors de l'émission « Controverse », vous m'aviez interpellé sur l'importance d'une dépénalisation de l'euthanasie sous la forme d'une exception à l'interdit de tuer inscrit dans la loi pénale, plutôt que dans une règle de conduite énoncée dans l'arrêté royal sur l'art de guérir. Nous pourrions donner à cet arrêté numéroté la valeur d'une loi dont une disposition autoriserait l'euthanasie dans certains cas. Oublions un instant les questions de sécurité juridique. J'imagine en effet qu'en se mettant d'accord sur la volonté du législateur et sur les conditions auxquelles l'euthanasie pourrait être pratiquée, on pourrait parvenir à un résultat identique. À partir du moment où l'on ferait sauter la capsule de la nécessité, point de départ de la réflexion mais auquel il ne faut pas s'accrocher en termes de rédaction, on pourrait peut-être aboutir à des conditions tout à fait analogues offrant une garantie juridique similaire. Votre objection à la non inscription dans la loi pénale subsisterait-elle si cette sécurité juridique existait pour le patient, le médecin et tous ceux qui entourent le patient dans sa quête de la mort ? Cela signifierait alors que tout cela se résume à une question de symbolique.
Mme Herremans. J'aimerais tout d'abord répondre à Mme Nyssens en ce qui concerne le caractère « d'argument d'autorité » des membres du comité d'honneur. Il s'agit en fait de personnes qui se mettent à la disposition d'une certaine cause. Pour reprendre les propos de Roger Lallemand à ce sujet, qui cite la formule de Sartre « Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme et qui les vaut tous et qui vaut n'importe qui ». On doit replacer le débat sur le fait que tout homme a une valeur intrinsèque. Les personnes telles que les membres de notre comité d'honneur sont de femmes et des hommes qui acceptent de se mettre au service de la défense de certains principes, de certaines valeurs, mais je puis vous garantir que lorsque le moment est venu de devoir quitter les siens, la souffrance devant la mort est identique, que l'on soit riche, pauvre, intellectuel ou non. La souffrance est la même. Intellectuel ou non, la loi serait la même pour tous. Songeons à la souffrance d'une personne qui considère que sa vie n'a plus aucun sens, par exemple un ouvrier qui se retrouve privé du plaisir de jardiner ou de peindre.
Pour en revenir aux questions de M. Zenner, je n'ai pas fait de différence en tant que telle entre euthanasie et suicide médicalement assisté. L'élément commun est toujours la demande de la personne. Elle est au centre du débat car sans elle, il n'y a pas d'euthanasie ni de suicide médicalement assisté. La différence est dans le moyen. Sans vouloir entrer dans les détails, l'euthanasie, c'est une injection tandis que le suicide médicalement assisté, c'est l'absorption de substances létales.
En ce qui concerne à la fois le plan pénal et la responsabilité éthique du médecin, je ne vois pas de différence entre ces deux notions mais il en existe bien une en ce qui concerne la possibilité des personnes.
En effet, tout le monde ne peut pas avoir recours au suicide médicalement assisté. Certains malades ne sont plus en état d'absorber des substances létales. Je ne placerai donc pas ce problème sur le plan du débat éthique, de la responsabilité médicale ou pénale. Certains considèrent le suicide médicalement assisté comme étant plus conforme à la maîtrise par la personne de son destin. Je n'en suis pas personnellement convaincue. Pour moi, il ne s'agit pas là de différences essentielles.
Quant à la sécurité juridique, on ne peut l'oublier; elle doit permettre d'améliorer le dialogue entre personnes, de ne pas craindre des dénonciations au sein d'une équipe. Tant que subsiste cet interdit, on se retrouve avec une chape de plomb et parfois, cette inquiétude dans les services. Pour moi, il est fondamental de pouvoir mener un dialogue en toute sérénité, en toute clarté. Je n'apprécie pas tellement les demi-mesures en matière de sécurité juridique.
M. Alain Zenner. J'ai utilisé les termes : « à supposer » et « dans l'hypothèse ». Nous interrogerons les juristes à ce sujet puisque vous avez fait remarquer à juste titre que vous ne témoigniez pas en tant que juriste.
Mme Jacqueline Herremans. Vous me donniez un choix entre deux solutions.
M. Alain Zenner. Je disais : « Dans l'hypothèse où nous trouverions une solution qui offrirait la même sécurité juridique, quelle serait votre position en tant que présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité ? Continueriez-vous à plaider en faveur d'une dépénalisation inscrite dans la loi pénale plutôt que sous forme d'arrêtés? »
Mme Jacqueline Herremans. J'attends votre texte. Convainquez-moi que vous avez la solution.
M. Alain Zenner. C'est une réponse que vous me donnez. En d'autres termes, si nous pouvons vous convaincre que la sécurité juridique est la même, vous n'insistez pas pour que l'exception soit inscrite dans la loi pénale ?
Mme Jacqueline Herremans. C'est un faux débat. Si vous m'apportez la preuve qu'une solution peut apporter la sécurité juridique, quelle que soit cette solution, je m'inclinerai.
M. le président. Vous avez la réponse à votre question.
M. Alain Zenner. Parfait. Je vous remercie pour la clarté de votre réponse.
M. Philippe Monfils. Je voudrais que Mme Herremans nous fasse part de son sentiment. Je suppose que, dans son travail, elle a dû connaître un certain nombre de demandes d'euthanasies. En général, ces demandes émanaient-elles de personnes qui souffraient physiquement ou qui, au contraire, étaient en pleine détresse morale ? En cas de détresse morale, s'agissait-il d'appels à l'aide qui pouvaient être rencontrés par des discussions et par des contacts ou s'agissait-il de demandes mûrement réfléchies, exprimées par des personnes qui voulaient expressément que l'acte d'euthanasie soit porté à leur égard ?
Mme Jacqueline Herremans. Il est arrivé que nous soyons saisis de demandes de personnes qui souffraient terriblement et évoquaient une solution d'euthanasie et, en fait, dès que l'on pouvait répondre à la demande par un dialogue avec le médecin traitant, par un traitement anti-douleur, celle-ci disparaissait.
À partir du moment où une personne est atteinte d'une maladie ou d'une pathologie incurables, il est rare qu'il n'y ait pas de souffrance physique quelque part, mais nous avons malgré tout constaté que ces demandes arrivaient à un moment où ces souffrances étaient devenues intolérables. Il s'agissait de personnes qui avaient, notamment, l'impression de pourrir sur place.
Nous avons rencontré toutes les demandes. Par exemple, on ne peut pas dire que les douleurs physiques de cet homme qui s'est jeté dans le canal étaient intolérables, mais il ne pouvait plus rien faire. Il était comme une plante. On ne peut pas dire qu'il souffrait physiquement mais, moralement, c'était devenu insupportable pour lui.
M. Philippe Mahoux. Le droit de mourir dans la dignité est une réalité que tout le monde partage. J'irai plus loin. Non seulement je suis convaincu que chacun a le droit de mourir dans la dignité mais, en outre, chacun a le droit de choisir la manière de mourir dans la dignité. En réalité, cela relève également de l'autonomie de chacune des personnes.
Je dis cela en relation avec le testament de vie. Bien entendu, chacun a le droit de choisir et le problème ne se pose pas pour les personnes conscientes mais bien pour les personnes inconscientes.
Je souhaiterais obtenir des informations sur le contenu habituel des testaments de vie et des déclarations anticipées. Il existe différentes formules qui établissent clairement que, pour certains, mourir dans la dignité, ce sont les soins palliatifs, pour d'autres, le refus de l'acharnement thérapeutique et, pour d'autres encore, le souhait de terminer leur existence au moment où ils l'ont décidé. Je souhaiterais savoir dans quelles proportions se retrouvent ces choix.
Vous avez dit tout à l'heure que certaines personnes biffaient la rubrique « je souhaite que soit mis fin à ma vie si je me trouve dans telle ou telle situation ».
D'autres refusent l'acharnement thérapeutique. Il serait intéressant de savoir comment sont rédigées ces déclarations anticipées en général et aussi comment elles sont modifiées au cours des circonstances. Cela ne vaut évidemment que pour les personnes inconscientes, les personnes conscientes ayant le droit de modifier leurs volontés à tout moment.
Mme Jacqueline Herremans. J'ai tenu à vous remettre quelques exemples de testament de vie.
M. le président. Le document sera distribué à tous les membres de la commission.
Mme Jacqueline Herremans. Vous trouverez, par exemple, des formules du style : je déclare refuser la résurrection après arrêt du coeur; l'alimentation par tube rhinogastrique; la respiration artificielle. Dans ces déclarations, les éléments sont précis.
Parfois, il s'agit plutôt de décisions relatives à la dignité. Exemple : « Je désire mourir dignement; la mort ne me fait pas peur, la déchéance humaine oui; il y a un temps pour naître, pour aimer, pour donner. Il y a aussi un temps pour mourir. Nous ne sommes pas éternels. Médecins, ne l'oubliez pas. »
Vous verrez que certaines déclarations sont beaucoup plus explicites que d'autres. Il y a par exemple une déclaration dans laquelle la personne martèle : « Je suis dans le quatrième âge, j'ai déjà subi des pontages, etc. Il est hors de question que l'on fasse ceci ou cela, etc. »
C'est vraiment très variable. Certaines déclarations sont d'une précision remarquable et il serait difficile que le médecin ne les suive pas.
Je n'ai sélectionné que quelques exemples.
M. Philippe Mahoux. La garantie que ces déclarations soient respectées n'existe évidemment pas ?
Mme Jacqueline Herremans. Pour l'instant, non.
M. Philippe Mahoux. A contrario, dans le cadre de la proposition, nous parlons de la désignation d'une personne mandatée pour prendre la décision d'exécuter la volonté exprimée par une personne inconsciente.
Mme Jacqueline Herremans. C'est le verso de notre déclaration.
Nous prévoyons également la possibilité de désigner des garants. Du point de vue de l'étude de ces déclarations anticipées, il est intéressant de noter que de nombreux médecins ont accepté d'être garants.
Je peux vous assurer que lorsque nous recevons une demande de l'ami d'un ami d'être garants, cela pose toujours un sérieux cas de conscience. Il m'est arrivé de refuser parce que je ne me sentais pas en mesure de jouer le rôle de garant pour une personne.
M. Mohamed Daif. Je souhaite savoir ce qu'il pourrait advenir dans la situation où un mandataire n'exécuterait pas, pour diverses raisons un changement de convictions philosophiques, par exemple la volonté d'une personne désormais inconsciente.
Mme Jacqueline Herremans. Le rôle du mandataire est double. Il doit considérer les volontés exprimées et examiner de quelle manière il est possible de s'y conformer. Il doit aussi incarner la voix de la personne qui n'est plus en mesure de s'exprimer. Par conséquent, le mandataire n'est pas un simple garant de l'exécution testamentaire. Il prend la place de la personne privée de parole pour dialoguer. Il peut vérifier si les solutions proposées sont conformes à ses désirs, même si ces derniers ne se retrouvent pas expressis verbis dans la déclaration anticipée. Il ne s'agit pas d'un simple exécuteur testamentaire. Il peut aider à connaître la pensée de la personne concernée au-delà de ses écrits.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je vous entends bien sur la déclaration anticipée dans le cas de personnes inconscientes. Vous avez bien expliqué, par ailleurs, la situation qui se présenterait dans le cas de personnes conscientes. Il s'agirait d'un des éléments qui entreraient en compte dans une éventuelle décision prise par le médecin en ce qui concerne un arrêt thérapeutique, une demande d'euthanasie qui aurait été exprimée préalablement à l'état d'inconscience. Toutefois, le médecin garderait son autonomie, sa distance critique vis-à-vis de cette demande. Vous semblez davantage favorable à une personne de confiance plutôt qu'à un véritable mandataire au sens juridique du terme. Vous venez en effet de dire que ce n'est pas un exécuteur testamentaire mais la personne qui, le malade n'étant plus conscient, pouvait avoir ce dialogue médecin-patient en se substituant à ce dernier. C'est tout de même différent d'un simple papier. Je pense donc qu'on pourrait parler de mandataire au lieu de personne de confiance pour mieux situer le rôle dévolu à cette personne.
Par ailleurs, je suis un peu mal à l'aise quand vous dites que vous vous posez des questions sur la problématique du contrôle par le procureur du Roi. Je crois qu'il faudrait pouvoir vérifier d'une manière ou d'une autre le respect des conditions qui seraient inscrites dans la loi. Ce que l'on veut, c'est plus de clarté, que l'on imagine cette proposition dépénalisant l'euthanasie et/ou voulant mettre fin à un certain nombre d'abus que l'on peut constater puisque ce sont des euthanasies pratiquées sur des personnes qui n'auraient rien demandé. Donc, d'une manière ou d'une autre, à partir du moment où il y a une loi qui comporte des conditions, il faut pouvoir effectuer des vérifications; un mécanisme doit dès lors être mis en place à cet effet. L'accès direct au procureur du Roi n'est peut être pas une bonne solution. Nous pourrions imaginer une solution intermédiaire, du style de celle figurant dans la proposition initiale du VLD. Un contrôle, un vrai et non une parodie, est nécessaire, sinon cette loi n'aurait aucun sens. Partagez-vous ce point de vue ?
Mme Jacqueline Herremans. Je partage tout à fait ce point de vue. Il faut évidemment que les termes de la loi soient clairs et précis pour permettre sa bonne application. Il convient aussi de déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour assurer un contrôle efficace. Je dirai, au risque de décevoir certains, qu'il faudra peut-être encore plancher sur cette question, à tout le moins en ce qui concerne les modalités d'application. Je ne sais si une solution serait envisageable en gardant la déclaration au procureur du Roi, mais il faudrait éventuellement préciser comment ce dernier serait amené à exercer le contrôle.
M. le président. Nous sommes tous bien décidés à plancher autant que nécessaire.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je suis perplexe. Mme Herremans a déclaré que cela ne poserait pas trop de problèmes dans les grandes villes mais que l'on pourrait savoir que des euthanasies ont été pratiquées dans les plus petites entités. Il faut savoir ce qu'on veut. On veut de la transparence, on veut des choses claires. Donc, il faut aussi un contrôle clair et efficace.
Mme Jacqueline Herremans. Je suis entièrement d'accord avec la nécessité de contrôles efficaces. Une loi permettrait de sortir de la clandestinité mais il est évident que des questions subsisteraient, notamment par rapport à la famille, sans compter que les parquets ne sont probablement pas, dans la situation actuelle, outillés pour exercer les contrôles. Nous recevons une multitude de plaintes concernant la pauvreté des effectifs des différents parquets. On pourrait éventuellement conserver le dispositif de la déclaration au procureur du Roi moyennant des garanties, à tout le moins la possibilité réelle de pouvoir exercer ce contrôle. En ce qui me concerne, je suis également gênée par le maintien d'un lien avec l'aspect pénal, bien que les parquets contrôlent aussi, il est vrai, les registres de l'état civil.
M. le président. Une autre question, relative au rôle du mandataire, a aussi été posée.
Mme Jacqueline Herremans. Mon expérience d'avocate m'a appris qu'il pouvait y avoir, d'une part, des mandats précis, explicites et, d'autre part, des mandats plus larges stipulant simplement quels sont les souhaits du mandant. Je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à la terminologie mais au contenu du mandat afin d'appréhender la mission confiée au mandataire.
Mme Iris Van Riet. Ma question fait suite à l'exposé de madame Henry, de la Ligue Alzheimer. J'ai appris qu'environ trente pour cent des plus de quatre-vingt-cinq ans souffrent d'Alzheimer. Que pensez-vous d'un testament de vie qui est établi après que le patient a appris qu'il souffrait de la maladie ? Il n'y a pas que l'aspect de la douleur psychique, il y a aussi le problème de l'énorme pression sociale.
Mme Jacqueline Herremans. Je crois que les personnes qui perdent leurs compétences n'entrent pas dans le champ d'application de la proposition de loi déposée au mois de décembre 1999. Il faut évidemment réfléchir quant à la manière de réagir à ces situations, mais il me semble que ce point ne figure pas encore à l'ordre du jour des travaux. En effet, jusqu'à présent, la solution du testament de vie ou de la déclaration anticipée n'est envisagée qu'en cas de perte de conscience irréversible et non en cas d'incompétence. À ce stade, je ne sais toujours pas quelle serait la réponse la plus adéquate à ce genre de situation. Le débat n'est pas encore mûr pour ce type de cas.
M. Jean-François Istasse. Madame, je voudrais vous demander de replacer ce débat en perspective. Vous avez dit que votre association existait depuis très longtemps, au moins vingt ans, si j'ai bien compris. Nous pouvons donc au moins nous réjouir que ce débat, dans un cadre parlementaire et public important, ait lieu en l'an 2000. C'est déjà un élément considérable. Au moins, le débat sur la mort intègre ou réintègre le débat politique et le débat public. Par rapport aux objectifs de votre association, comment voyez-vous le fait que ce débat vienne maintenant ? Quels sont les objectifs encore à atteindre, selon vous ? Ne pensez-vous pas que le fait de débattre des conditions de la mort, quelles que soient les opinions philosophiques et religieuses que nous respectons tous, soit une façon de renvoyer au débat sur la vie, finalement ?
Mme Jacqueline Herremans. Certainement. Quant au travail qu'il reste à accomplir, il est énorme. Je pense à tout le travail d'accompagnement, tout le travail en vue de se réapproprier tous les instants de la vie, jusqu'au dernier moment. Je peux vous garantir qu'avec une loi de dépénalisation, notre travail ne serait pas terminé. Il commencerait, ne fût-ce que par tout ce qui concerne les déclarations anticipées, le suivi, l'évolution de ces dossiers. Nous sommes déjà dans un débat qui atteste d'une maturité remarquable mais le chemin est encore long à parcourir.
M. Léon Favyts. Vous connaissez le but de nos associations mais je tiens à le rappeler. Nous sommes des associations pluralistes pour l'acceptation sociale et légale du droit à une mort digne et à une mort douce volontaire. Nous luttons pour la reconnaissance et l'exécution du « testament de vie » dans lequel des personnes capables et conscientes font connaître leurs souhaits pour des situations dans lesquelles elles seraient frappées d'incapacité à la suite d'un traumatisme ou d'une dégradation mentale, par exemple la démence profonde, un coma profond prolongé, etc. Le groupe cible se compose de malades chroniques, incurables ou en stade terminal frappés d'une souffrance, d'une déchéance ou d'une humiliation intolérables. Notre assistance s'exprime par le testament de vie modulaire multilingue ou les « dernières volontés ».
Un comité de patronage de plus de 100 membres offre un solide appui moral. La liste complète est à la disposition des présidents des commissions. Je cite quelques noms comme ils me viennent à l'esprit : madame Régine Beer, Auschwitz Stichting Vlaanderen et Confédération nationale des prisonniers politiques, le Pr Wim Betz, prévention et dépistage du cancer AZ-VUB, madame Lily Boeykens, Commission des Nations unies sur la Situation de la femme, monsieur Frans Buyens, auteur cinéaste, madame Lydia Chagoll, auteur cinéaste, Pr émérite Robert Clara, pédiatre à Anvers, monsieur Hugo Claus, écrivain, Pr. Patrick De Wilde, président du conseil de recherche de la VUB, Dr Wim Distelmans, équipe d'intervention palliative de l'AZ-VUB, monsieur Fred Erdman, député, les Facultés de médecine et pharmacie de la VUB, Dr Raymond Matthijs, oncologue à l'AZ Middelheim, madame Dora Van der Groen, actrice, madame Mieke Vogels, ministre flamand, monsieur Freddy Willockx, commissaire du gouvernement, etc., avec mes excuses pour les noms que je n'ai pas cités.
Ma collègue Jacqueline Herremans, présidente de l'ADMD, vient de tenir un plaidoyer très complet, calme, serein, sincère, convaincant, bouleversant, humain et structuré pour une intervention légale satisfaisante face à tant de détresse humaine. L'association flamande est naturellement confrontée à la même souffrance individuelle. Je parle donc au nom de nos 3 500 membres flamands. Permettez-moi d'aborder le problème de manière plus théorique et parfois plus agressive, ne fût-ce que pour ne pas tomber dans la répétition.
J'ai volontairement donné à ce plaidoyer l'intitulé « Accord politique sur la légalisation de l'euthanasie ».
Allons-nous prendre part cette année à une primeur mondiale belge, à savoir la première véritable légalisation de l'euthanasie au monde ?
Le 21 décembre 1999, on aurait cru à l'arrivée du printemps plutôt qu'à celle de l'hiver. Six membres des partis de la majorité étaient parvenus à un accord sur la légalisation effective de l'euthanasie avec une modification du code pénal. Ils espéraient pouvoir faire approuver leur proposition par le Sénat pour février 2000. Cette date est devenue entre-temps avril 2000. Or, la proposition doit encore passer à la Chambre. On garde l'espoir que cette matière pourra encore être réglée avant les vacances d'été du parlement.
Le texte actuel de la proposition des amendements sont prévisibles est un accord provisoire dans la lignée et l'esprit de ce que défend l'association RWS depuis seize ans déjà, à savoir la reconnaissance sociale et légale du droit humain de disposer de sa propre vie et de sa propre mort. Nous entendons par là le droit de chaque personne de décider soi-même quand, comment et où mettre fin à ses jours lorsqu'elle se sait atteinte d'un mal incurable et endure des souffrances intolérables et incessantes. Toutes proportions belges gardées, la proposition est progressiste, humaine et surprenante. Si elle est mise à exécution, nous ne pourrons que nous réjouir.
Que contient l'accord ? Toute personne capable d'exprimer sa volonté, qu'elle soit majeure ou mineure émancipée, peut demander une euthanasie active lorsqu'à la suite d'une maladie ou d'un accident, elle est atteinte d'un mal incurable et souffre de douleurs persistantes intolérables. Il ne faut pas nécessairement se trouver en stade terminal aigü. Il suffit qu'en cas de maladie incurable, la personne souffre en permanence d'une manière intolérable à ses yeux et que le seul moyen d'apaiser cette souffrance soit une euthanasie active. Un médecin et un deuxième médecin indépendant consultant posent le diagnostic de l'état incurable, mais seule la personne elle-même peut juger du caractère intolérable. Elle peut, ce qui est souhaitable, consulter différentes personnes de son entourage et se concerter avec elles mais il n'est pas obligatoire de le faire et leur consentement n'est pas nécessaire. C'est une contradiction positive par rapport à la proposition où le CVP s'abrite derrière l'avis du Comité consultatif de bioéthique de 1997. La décision finale dépendra de la perception de la vie, des conceptions philosophiques et de la volonté personnelle du patient.
Le patient doit formuler une demande d'euthanasie éclairée, mûrement réfléchie et persistante durable et il doit la répéter pour éviter qu'il s'agisse d'une détresse momentanée et transitoire.
Lorsque le médecin a complètement informé le patient de son diagnostic et de son pronostic et lorsqu'il a exposé les éventuels traitements possibles, y compris les soins palliatifs, et qu'il peut approuver en son âme et conscience la décision du patient, il peut procéder à l'euthanasie. S'il ne peut marquer son accord en son âme et conscience, il doit le faire savoir et adresse le patient à un autre praticien.
Un autre élément très précieux de l'accord est la reconnaissance légale du testament de vie. Dans les cas où le patient perd conscience ou se dégrade tout à fait sur le plan mental au point de ne plus pouvoir faire connaître sa volonté, un testament de vie préalablement complété peut remplacer la volonté actuelle du patient.
Nous espérons ardemment que cette proposition sera votée par le Parlement. Certes, nous craignons à juste titre que plusieurs membres de la majorité et aussi quelques éminents experts externes entendus par le Sénat montrent une propension à négocier avec le CVP afin de parvenir au consensus le plus large possible. Nous estimons cette propension incompréhensible et regrettable parce qu'il est désormais possible de recueillir une majorité pour la proposition de loi des sénateurs Leduc, Monfils, Vanlerberghe, Nagy et De Roeck. Aspirer à un consensus avec le CVP sur la proposition de loi Vandenberghe implique le risque de faire d'avance des concessions au CVP, sacrifiant ainsi des éléments essentiels de la bonne proposition de M. Mahoux et consorts.
Les adversaires ont immédiatement sorti l'artillerie lourde. Le CVP, comme l'on pouvait s'y attendre, s'est prononcé contre la proposition. D'une part, parce qu'il a été écarté lors de l'élaboration de l'accord et, ensuite, parce qu'il défend le maintien de l'interdiction pénale et souhaite reconnaître uniquement des exceptions en cas d'urgence à condition qu'une équipe complète ainsi qu'un éthicien aient donné leur feu vert. Nous estimons beaucoup trop conservatrice et restrictive cette réglementation, la procédure dite a posteriori, qui correspond au troisième avis du Comité consultatif de bioéthique.
Nous résumons nos objections contre le troisième avis en huit points.
1. Cette formule n'est pas une reconnaissance à part entière du droit d'autodétermination du patient étant donné que le patient dépend de l'accord de tout un groupe de tiers. Pour nous, la décision doit appartenir fondamentalement au patient.
2. Cette formule soustrait la concertation, la délibération et la décision à la relation personnelle intime et à l'entente du patient avec son médecin, ce que l'on appelle le colloque singulier.
3. Cette formule limite l'option de l'euthanasie aux patients hospitalisés puisque cette équipe n'est disponible qu'en milieu hospitalier.
4. Cette formule revient à une tribunalisation de l'euthanasie : un tribunal doit statuer et donner son consentement. La cause du patient qui est strictement la « sienne » est subordonnée à ce que l'on peut appeler un tribunal ou un jury d'examen.
5. Ce qui doit être un droit du patient et une décision du médecin en son âme et conscience est subordonné à une commission.
6. Cette formule conduit à une complexité et une routine bureaucratiques qui peuvent et vont compliquer les choses : comment, quand et à quelle fréquence la commission doit-elle se réunir ? Doit-elle atteindre un consensus ? Cela va exclure le droit de nombreux patients.
7. Cette formule limite également l'euthanasie comme option aux malades au stade strictement terminal : les patients qui sont incurables et connaissent des souffrances insupportables mais ne sont pas encore en état de mort imminente sont exclus de la possibilité de l'euthanasie.
8. Cette formule confond le bien-fondé d'une large consultation par le patient de ses proches et de ceux qui le traitent et le soignent avec l'obligation d'une telle consultation et avec la dépendance de la décision ultime d'une telle consultation.
Nous ne pouvons qu'espérer que les partis de la majorité n'iront pas aussi loin dans leur volonté de négocier avec l'opposition en vue de parvenir à un consensus, au point de finir par dériver vers cette troisième formule trop restrictive et conservatrice !
Des critiques ont également été formulées par l'ABSyM, le syndicat de médecins le plus important mais tout sauf représentatif, en la personne du Dr Moens, et par l'épiscopat, comme toujours réactionnaire, en la personne de Godfried Danneels.
Tous deux ont ressassé l'argument de l'escalade : le danger que l'euthanasie ne dégénère en pratiques d'euthanasie passive ou active involontaire, par exemple pour des considérations économiques, parce qu'aucun traitement n'est plus possible ou en raison de la surpopulation des services de soins intensifs.
Il est lassant de devoir souligner pour la énième fois l'ineptie flagrante de cet argument. Nous ne pouvons croire que les chefs de file des médecins et évêques sont à ce point stupides qu'ils ne peuvent pas lire. Ils peuvent lire mais ils ne veulent pas lire ce qui est écrit. Ils sont de mauvaise foi. Au nom du ciel, quel rapport peut-il y avoir entre une euthanasie involontaire sur des patients qui ne l'ont pas souhaitée donc un meurtre ou une vulgaire élimination ! avec l'euthanasie pratiquée sur des patients qui l'ont expressément demandée en vertu de leur droit d'autodétermination et d'autonomie de la volonté ? Même un enfant peut comprendre que ces éléments n'ont rien, mais absolument rien en commun. On ne peut donc pas comprendre comment une légalisation du droit d'autodétermination pourrait conduire à son contraire, à savoir la suppression cynique et vulgaire d'individus, de personnes âgées, de malades, de personnes dépourvues de rentabilité économique, de patients en soins intensifs, etc. Au contraire, une reconnaissance légale et l'accent sur le droit à l'autodétermination sont les meilleures armes contre l'euthanasie involontaire.
Ne vous méprenez pas : nous craignons aussi que d'ignobles considérations de nature économique ou la « surpopulation » dans les services hospitaliers ne puissent conduire à une euthanasie passive ou active involontaire de personnes. Notre société est suffisamment pourrie pour engendrer de tels scénarios révoltants et effrayants. Mais c'est précisément le cas à l'heure actuelle ! Aujourd'hui, les médecins agissent à leur guise en coulisses et sans la moindre réglementation légale, sans que personne ne puisse les surveiller. Il faut donc précisément lutter contre ce manque de transparence en reconnaissant et en imposant dans la législation le droit à l'autodétermination de chaque individu et uniquement celui-là. Mais voilà, lorsqu'il est question de critiques de mauvaise foi, il n'y a naturellement pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir.
L'Ordre des médecins nous a également gratifié d'une réaction presque grotesque. Une modification de loi n'est pas nécessaire, selon lui, car, dès à présent, le médecin peut agir en son âme et conscience lorsqu'il se trouve dans une situation d'urgence. Cette affirmation émane, notez-le bien, d'une organisation qui proclame depuis des années dans sa propre déontologie qu'il est interdit au médecin de mettre fin intentionnellement à la vie de son patient. Il est bien question d'ambiguïté et de danser sur la corde raide. On comprend le motif réel de cet ordre : le monde extérieur, y compris les politiques et le pouvoir législatif, ne peut s'immiscer à aucun prix dans les questions médicales. Les questions médicales doivent rester dans les limites du monde de la médecine à tendance corporatiste. Tout ce qui se passe dans la clandestinité sur le plan de l'acte d'euthanasie est généralement connu par les initiés et est occasionnellement porté au grand jour lorsque des actes de désespoir sont publiés dans les médias, comme récemment à Liège, Buizingen et Anvers.
Nous voulons des situations claires, transparentes, contrôlables et sûres en droit, à la fois sur le plan social et légal.
Avant de conclure, je tiens encore à formuler deux messages.
Le premier traite du testament de vie et de son importance, sujet sur lequel quelques questions ont déjà été posées précédemment. Ma collègue et présidente Jacqueline Herremans de l'ADMD a expliqué le texte français. Une version néerlandaise similaire est libellée comme suit :
« Si je ne peux plus exprimer ma volonté, le testament suivant s'applique en ce qui concerne ma mort :
Le soussigné revendique le droit de mourir dans la dignité. Si mon état physique ou mental se dégrade à tel point qu'il n'y a plus d'espoir raisonnable de guérison, j'exige :
1º que l'on ne me maintienne pas en vie artificiellement;
2º que l'on m'administre en quantité et qualité suffisantes des analgésiques, même si cela doit accélérer ma mort;
3º que l'euthanasie active soit pratiquée sur ma personne;
4º ... (est laissé en suspens pour donner à l'auteur du testament de vie l'occasion d'inscrire des choses personnelles, par exemple pas de sonde, pas de réanimation. Nous ne voulons naturellement forcer la main à personne mais seulement être le porte-parole de nos membres.)
Je prends cette décision de manière tout à fait libre et délibérée. J'attends de mon entourage et des médecins le respect inconditionnel et l'exécution de ces dernières volontés. »
Ce testament de vie est établi en quatre exemplaires : un conservé avec les papiers d'identité, un deuxième remis au médecin traitant, un troisième glissé dans le carnet de mutuelle en cas de d'admission dans un hôpital ou une institution et un quatrième conservé dans les archives de notre association afin que nous puissions intervenir si nécessaire. Le document laisse également de la place pour la signature des mandataires qui témoignent que ces volontés ont été établies librement et délibérément. Est également indiqué : « Veuillez les informer d'urgence si je suis confronté à l'une des situations décrites précédemment. » Vient ensuite la date et la signature. Par ailleurs, il reste de la place pour une confirmation annuelle et le texte est reproduit au verso en anglais, en français, en allemand et en espagnol.
Voilà pour le testament de vie dont la reconnaissance et l'exécution nous semblent indispensables en cas de modification légale correcte du droit pénal actuel.
Pour terminer, je voudrais attirer votre attention sur la nouvelle pétition que nos associations EDMD et RWS viennent de lancer. Elle est destinée à aider les auteurs de la proposition de loi de la majorité. Elle ne comporte donc guère, voire pas du tout de noms de la majorité actuelle. En très peu de temps, 3 733 signatures ont été recueillies, dont 34 proviennent de professeurs d'université, de médecins Jean-Jacques Amy, Jan Bernheim, Wim Distelmans, le Dr Van Camp, doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de la VUB des infirmiers, des personnalités telles qu'Hugo Claus, Jo Cuyvers, parlementaire honoraire, Robert De Belder, président de « De Grijze Geuzen », Marianne Marchand, président général de la Ligue humaniste, le professeur Michel Magits, président de l'UVV, Leo Ponteur, président général du Willemsfonds, le sénateur honoraire Willy Seeuws, Jos Wijninckx, ex-ministre, Herman Liebaers, grand maréchal honoraire de la Cour, M. Karel Vandewynckel, pasteur à la retraite, etc.
Je vous cite encore quelques catégories représentées : des diplomates, des artistes (écrivains, sculpteurs, musiciens), des membres de la police (commissaires et autres), des officiers de la Force aérienne, de la force navale et de l'armée de terre, des échevins et conseillers communaux, des collaborateurs de la Communauté flamande, des membres de la Ligue humaniste dont de nombreux consultants, des associations du troisième âge, l'association libérale du travail socioculturel, des associations de parents, des instances judiciaires (juristes, membres du tribunal, auditeurs), du personnel soignant, des aides pour les personnes âgées, des délégués syndicaux, des collaborateurs de la télévision (metteurs en scène, coordinateurs et producteurs), des membres des conseils provinciaux, des officiers de l'ordre de Léopold, des retraités (668), aucun membre de RWS (739). Dix personnes au plus ont signalé qu'elles étaient gravement malades.
Nous espérons que tous ces noms, toutes ces personnes seront un argument supplémentaire pour vous convaincre de la nécessité de dépénaliser l'euthanasie. Je vous remercie.
M. Patrik Vankrunkelsven. J'ai quatre questions très concrètes. D'une part, comme votre collègue, vous attachez beaucoup d'importance au testament de vie et vous y citez également plusieurs interruptions de l'acharnement thérapeutique et de l'administration de médicaments, même si ceux-ci abrègent la vie. Ne craignez-vous pas les conséquences de l'officialisation de tels éléments, de ce type de testament de vie ? Cela pourrait en effet amener les médecins à rencontrer un problème juridique chez les personnes qui n'ont pas rédigé une telle déclaration et que, contrairement au but recherché, ces personnes fassent désormais l'objet d'un acharnement thérapeutique. Ne vaudrait-il pas mieux limiter un tel testament à l'administration d'euthanasiques, précisément pour ne pas compliquer l'acte médical nécessaire chez les personnes sans testament de vie.
Enfin, comment voyez-vous le rôle de l'exécuteur du testament ? Doit-il seulement indiquer l'existence du testament ou est-il plutôt un avocat qui doit se substituer au patient ? Cela me semble aussi problématique.
Enfin, nous avons entendu ce matin le témoignage de madame Sabine Henry, qui s'intéresse au problème de la maladie d'Alzheimer et a souligné qu'il existait en réalité des situations très difficiles. Quelqu'un peut certes décider préalablement qu'il ne veut plus continuer à vivre dans cette situation j'ai d'ailleurs de nombreux amis qui l'affirment mais la personnalité du patient change et il peut peut-être encore prendre plaisir à la vie. Estimez-vous qu'il faille inclure cette catégorie de personnes dans la législation relative à l'euthanasie ?
Enfin, vous défendez presque à nouveau le « colloque singulier » et cela m'effraie quelque peu. Ne pensez-vous pas que la protection légale de la vie a ses droits ? Aux Pays-Bas, par exemple, le principe du « colloque singulier » n'est en fait plus défendu par personne parce qu'il offre beaucoup trop peu de protection aux patients et un cadre juridique est indispensable. Je sais bien que vous êtes naturellement un partisan de la législation mais ne trouvez-vous pas que cette législation doit être très prudente, plus prudente que la proposition actuelle ? Vous savez qu'il existe aussi d'autres proposition qui ont mieux décrit cette prudence. Ne vaut-il pas mieux, en vue de la protection juridique, adopter une loi minutieuse et bien pensée ?
M. Léon Favyts. Docteur Vankrunkelsven, vous avez posé une foule de questions. L'accroissement éventuel de l'acharnement thérapeutique peut être évité en imposant le testament de vie. On peut être pour ou contre l'euthanasie mais tout le monde doit faire connaître sa volonté concernant les situations dans lesquelles il sera éventuellement confronté à l'acharnement thérapeutique. Tant que l'on continue à pratiquer la politique de l'autruche et à repousser la décision, ce risque existe bel et bien. Une personne qui a pris une décision des années auparavant et a établi un testament de vie ne doit plus être confrontée à l'acharnement thérapeutique.
Vous avez parlé d'euthanasiques. L'association dispose de différents manuels de France, de Suisse et des Pays-Bas. En outre, elle dispose d'un manuel pour les médecins, que vous connaissez d'ailleurs, du docteur Pieter Admirael. Il y a aussi un manuel de la Société royale de promotion de la pharmacie. Nous possédons donc d'excellentes informations sur les euthanasiques.
Actuellement, les barbituriques posent des problèmes. Tous les barbituriques du commerce ont été retirés du commerce et remplacés par des benzodiazépines. Celles-ci ne conviennent cependant pas pour un suicide. Il existe certes d'autres médicaments. Le manuel de la Nederlandse Vereniging van de Pharmacie est très intéressant sur ce plan. Tant que la pratique reste illégale et passible de poursuites pénales, les médecins ne peuvent ou n'osent guère présenter des communications à ce sujet. C'est un argument supplémentaire pour ne plus poursuivre pénalement l'euthanasie.
Nous voyons plutôt le mandataire ou témoin ou garant comme un avocat. Tant que quelqu'un peut communiquer, il peut exprimer sa volonté. La communication ne doit pas nécessairement être orale. On peut également communiquer de manière visuelle ou tactile. Si la communication n'est plus possible, le mandataire doit faire référence au testament du patient. Lui-même ne prend cependant pas de décision. Si c'est le cas, elle est prise au nom de la volonté préalablement exprimée de la personne à qui appartient le testament de vie.
Vous avez également posé une question sur les déments séniles et les patients atteints d'Alzheimer dont la personnalité est altérée. Je ne peux répondre que partiellement à cette question difficile. Oublier parfois ses clés n'est pas grave, mais lorsqu'on ne sait plus qu'une clef sert à être introduite dans une serrure, il est trop tard. Heureusement, la démence sénile et la maladie d'Alzheimer sont des processus dégénératifs très lents. On a donc le temps de prendre des mesures de précaution. Mieux vaut le faire un an trop tôt qu'un jour trop tard, car l'altération de la personnalité et l'apparition de la forme non cognitive constituent un obstacle grave pour pratiquer l'euthanasie.
Vous avez parlé du « colloque singulier » et du fait que vous voudriez y impliquer encore d'autres personnes. Plus il y a de personnes impliquées je pense en l'occurrence à un deuxième médecin, un psychiatre, un prêtre, un conseiller moral, un soignant, un parent plus la voix du patient lui-même devient lointaine. Son apport est ramené de 50 à 20, voire 10 % en fonction de la présence des autres personnes.
Les autres personnes devraient se réunir à intervalles réguliers et parvenir à un consensus avant de satisfaire à la volonté de la personne concernée. Nous ne sommes pas d'accord sur ce point.
M. Patrik Vankrunkelsven. Votre réponse à ma question sur la maladie d'Alzheimer n'est pas claire. Votre association estime-t-elle qu'un état décrit préalablement par le patient, état qui se manifeste durantla maladie d'Alzheimer est, un motif suffisant de demander l'euthanasie ?
M. Léon Favyts. Je suis content que vous reposiez cette question. J'ai ainsi l'occasion d'expliquer mon point de vue plus concrètement. Si un patient atteint de la maladie d'Alzheimer possède un testament écrit préalablement, il a droit à l'euthanasie. Il ne faut toutefois pas intervenir pour un patient atteint d'Alzheimer qui n'a pas de testament. À ce moment, il ne peut en effet plus être question d'autonomie de la volonté et de droit d'autodétermination du patient. Il faut se garder, dans ce cas, de décider dans l'intérêt de la famille ou de l'institution.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Lors de nos discussions et des différentes auditions, nous avons eu l'habitude d'avoir une grande tolérance les uns par rapport aux autres, et ce un peu grâce à vous, monsieur le président. Je suis désolée de voir que cet après-midi, il n'y a pas eu beaucoup de tolérance dans les constats émis par l'orateur : la position trois a été qualifiée de conservatrice et restrictive, les médecins ou les évêques soit ne savent pas lire, soit sont de mauvaise foi et, de toute façon, ils ont eu une réaction grotesque. C'est un discours militant. Je peux comprendre, mais nous ne nous attendions pas à cela de la part d'un représentant d'une association de patients. Mais passons !
Je voudrais poser deux questions. La première concerne le testament de vie. Vous avez expliqué, monsieur Favyts, qu'il serait opportun de les distribuer en quatre exemplaires. Comment imaginez-vous la diffusion de ce testament de vie ? Comme cela peut éventuellement se passer pour des dons d'organe ou comme on le fait pour les cartes d'identité, les gens pourraient-ils trouver à la commune des exemplaires de testament de vie ? Les différentes formules seraient-elles disponibles ?
Ma deuxième question est relative aux patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Ce matin, nous avons été frappés par le témoignage de Mme Henri. Vous dites que ces malades pourraient éventuellement utiliser une déclaration anticipée. Cela signifie que nous devrions tous rédiger ce document à 20, 30 ou 40 ans, pour en faire éventuellement usage le jour où l'on nous annoncerait que nous sommes atteints de cette maladie. Or, ce matin, on a souligné à quel point l'annonce du diagnostic d'une telle maladie était dramatique. Très concrètement et très pratiquement, à quel moment et comment donner ces explications au malade ?
M. Léon Favyts. Mon exposé présente en effet une certaine forme d'agressivité verbale. Je m'en excuse.
Il est important que le testament de vie soit établi en quatre exemplaires pour que tout le monde soit au courant de l'existence du testament de vie. Un seul exemplaire joint aux papiers d'identité n'est pas suffisant parce qu'il peut s'escamoter trop facilement. D'où les trois autres exemplaires. Le testament de vie peut par ailleurs être retranscrit pour le remettre aux différents mandataires. Qui peut être mandataire ? Le conjoint, les parents, les enfants, le médecin ou le juriste ami. Il doit s'agir de quelqu'un qui est informé en premier lieu lorsqu'il apparaît que l'on ne tient pas compte de la volonté de la personne en question. À la demande du mandataire, notre association peut alors tenter d'intervenir.
C'est une très bonne idée de déposer un exemplaire du testament de vie à la commune. Une personne peut également décider de ne pas établir de testament de vie. Une personne a également le droit de déclarer qu'elle veut survivre dans toutes les circonstances. Les deux choix doivent être possibles.
Vous parliez des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. À ce que j'ai pu comprendre, cette proposition de loi porte uniquement sur les personnes capables d'exprimer leur volonté. Cette question n'est donc pas pertinente dans le cas présent. Par la suite, nous pourrons probablement y revenir parce que la problématique des patients atteints de la maladie d'Alzheimer et la problématique des personnes incapables d'exprimer leur volonté et non cognitives exigent une autre approche éthique.
M. Philippe Monfils. Je voudrais émettre une remarque et poser une question. La remarque a trait au testament de vie. Nous entrons dans des détails assez particuliers. Pour ma part, je ne suis pas prêt à entamer un débat visant à voir si ce document sera en trois ou en quatre exemplaires, s'il se trouvera au commissariat de police ou ailleurs. La notion de testament de vie est bien connue, nous verrons ultérieurement pour le reste.
Je rappelle en outre qu'en aucun cas, nous ne voulons forcer les gens à faire telle ou telle chose, sinon on aboutira à la fonctionnarisation de la mort et à un système semblable à celui de l'autosécurité où nous serons interrogés tous les cinq ans pour savoir si on maintient nos volontés. Tout cela n'est pas acceptable. Je ne pousserai pas quelqu'un à faire un testament de vie en mettant partout à disposition des formulaires, au commissariat de police, à l'école, au Sénat ou ailleurs. Si quelqu'un veut faire cette démarche, il doit demander le document; celui-ci ne doit pas être introuvable, mais on ne doit pas donner l'impression de pousser une personne à rédiger un testament de vie.
C'est très différent de ce qui se passe dans le cadre de l'utilisation des organes d'une personne décédée. Là, en principe, on peut utiliser les organes, sauf déclaration contraire. En l'absence de déclaration, je crois même que les médecins restent très prudents et demandent à la famille si les organes de la personne décédée peuvent être utilisés. De toute façon, le prélèvement d'organes sauve des vies. C'est donc très différent !
J'en viens à ma question. Puisque vous êtes Flamand, monsieur Favyts, il serait intéressant d'avoir votre analyse sur cette enquête dont on a parlé il y a un mois environ et qui faisait état du fait qu'en Flandre, 2 000 actes d'euthanasie sont pratiqués chaque année, dont 1 000 sans l'accord du patient. Ce chiffre est beaucoup plus élevé qu'aux Pays-Bas et il est assez facile de dire que, s'il y avait une loi dans notre pays, nous aurions moins d'actes d'euthanasie sans demande du patient. Partagez-vous cette analyse, corroborez-vous les chiffres donnés par cette étude ?
M. Léon Favyts. Je connais les chiffres de l'étude du MHALP, (Medische Hulp van Artsen bij het Levenseinde), que les Prs Vermeersch et Englert ont présentés ici. Je ne conteste pas du tout ces chiffres. Ils démontrent que la situation belge laisse plus de place à l'euthanasie indésirée qu'à l'euthanasie sur demande. Par conséquent, une modification de loi est une chose positive. Ma réponse a été brève, mais je pense que je ne dois pas m'étendre davantage sur cette question.
Mme Marie Nagy. Le souci principal qui nous guide est la protection des patients. Nous avons tous vécu, de près ou de loin, des situations d'hospitalisation et de maladie ainsi que les difficultés d'un patient à débattre avec un médecin. Cela fait partie d'une problématique plus générale sur laquelle chacun tente de se pencher avec plus ou moins d'énergie. Vous pouvez toutefois être conscient qu'à un moment donné, surtout lorsque vous êtes affaibli parce que vous êtes malade, le dialogue entre vous et votre médecin peut être difficile. Je vous demanderai donc de modifier votre point de vue sur le dialogue entre deux parties, où le poids de l'une d'entre elles ne représente pas 50 %, quoi que l'on puisse en penser. Il faut se demander si la proposition visant à permettre de trianguler l'échange ne peut pas être perçue comme une aide et une protection pour le malade plutôt que comme une difficulté supplémentaire qui lui est imposée.
Je suis frappée par le côté unilatéral de votre regard sur une triangulation possible de la discussion. Je peux la comprendre lorsqu'il s'agit de la famille. Nous savons que ce genre de situation est parfois plus pénible pour la famille que pour le patient lui-même. Dans ce cas, il faut donc protéger le patient. Mais, entendons-nous bien, je pense qu'un certain nombre de conseillers peuvent être consultés mais ne doivent pas entrer dans une triangulation de la discussion relative à la demande du patient. Dans votre approche, la relation entre le médecin et le malade se base sur un rapport 50/50. Nous savons qu'il n'en est rien.
M. Léon Favyts. Vous avez naturellement raison en ce qui concerne le pourcentage. L'intéressé est de toute façon subordonné à quelqu'un qui se tient à ses côtés. Nous ne sommes pas attachés au « colloque singulier » à tout prix. Nous pensons toutefois qu'il ne faut pas impliquer trop de gens dans la décision, pas de comité au complet, de comité éthique, de tribunal. Certes, on peut faire appel à un deuxième médecin ou un psychologue avec lequel le médecin travaille régulièrement pour vérifier si la décision est effectivement justifiée. Mais la décision finale est l'affaire du patient et du médecin. Nous n'avons donc aucune objection à l'implication d'une tierce personne, mais de préférence pas avec une commission ou un tribunal.
M. le président. Que pensez-vous du fait de consulter les infirmières et les infirmiers ?
M. Léon Favyts. Les infirmières et les infirmiers sont les plus proches du patient. Ils ont probablement le meilleur regard sur la situation.
Mme Marie Nagy. Je pense que personne ne propose la tribunalisation de la décision. Je trouve qu'il ne faut pas laisser sous-entendre que la triangulation viserait à tribunaliser. Ce n'est absolument pas le cas. L'aide et le soutien apportés au patient, ainsi que la possibilité qui lui est donnée de négocier avec son médecin constituent l'inverse de ce que suppose une tribunalisation.
Mme Clotilde Nyssens. Je voulais aborder exactement le même sujet. Hier, nous avons eu la chance d'entendre comment fonctionnent pratiquement ces cellules d'aide à la décision, dans les hôpitaux où elles existent. Lorsqu'une décision difficile doit être prise, par exemple dans un cas de désescalade thérapeutique, les médecins concernés se réunissent avec ceux qui entourent le patient. Il s'agit essentiellement des infirmières, du médecin traitant et parfois du médecin de la famille. On s'interroge alors simplement sur la volonté du patient. Le mot « tribunalisation » me heurte parce qu'on ne se rend pas compte que, dans certains hôpitaux, pour entendre la parole du patient, ce lieu de parole, où d'autres que le médecin viennent affirmer la volonté du patient, est nécessaire. Il est impossible à un patient dépendant et impressionné par un rapport hiérarchique d'exprimer librement et facilement sa volonté.
Le but de la proposition est donc de créer des lieux de parole regroupant les personnes proches du patient comme l'infirmière et, pourquoi pas, la personne qui nettoie la chambre. Les vraies demandes leur sont parfois adressées. Toutes les paroles du patient doivent donc être rassemblées dans un lieu où le médecin ne doit absolument pas prendre les avis de ces personnes comme argent comptant puisqu'ils ne le lient pas et qu'ils ne sont pas contraignants. Après les avoir entendus, le médecin s'en retourne vers le patient. La cellule de crise ne connaît même pas la décision qu'il prend ensuite en conscience, dans son colloque singulier avec le patient. Je crois que nous devrions être très attentifs ici quand on traite ce genre de concertation de position conservatrice. En effet, depuis que l'on va voir sur le terrain comment fonctionnent ces cellules de crise ou ces cellules d'aide à la décision, on a l'impression que la modernisation des hôpitaux et d'une culture passe par ces lieux de parole. Nous devons donc essayer d'interroger les médecins et les infirmiers qui vont venir ici, sur la manière dont se pratique cette concertation.
Nous n'avons donc nullement la volonté d'imposer un tribunal. La personne tierce à laquelle on fait appel peut faire partie du comité d'éthique ou de n'importe quel secteur de l'hôpital. Mais elle doit simplement remplir la fonction de tiers, c'est-à-dire d'une personne qui ne connaît pas le patient et qui vient simplement écouter attentivement. Mais je sais que c'est difficile à faire comprendre.
M. Léon Favyts. Je prends note qu'il s'agit d'un espace de discussion et non d'un forum de décision. C'est une grande différence. On peut naturellement discuter. Il ne faut cependant pas oublier que le docteur et les personnes présentes ont le temps mais que, pour le patient, chaque jour, chaque heure et chaque minute comptent. La décision doit donc pouvoir être prise le plus vite possible. Une discussion trop longue et une commission sont donc à exclure.
Mme Mia De Schamphelaere. Il y a probablement encore une autre vision sur l'homme et la société quant à ce qui suit. Le témoin dit avec grande certitude que l'autodétermination et l'euthanasie involontaire n'ont rien à voir et que l'escalade est un argument idéologique qui est utilisé à tort et à travers. Le témoin se base-t-il alors sur une vision détachée et froide de la société et de la vie humaine ? L'image de soi qu'a une personne est en effet déterminée par ce que les autres pensent d'elles. Lorsque quelqu'un estime qu'une situation n'est plus vivable, cette idée est notamment véhiculée par l'environnement social.
La société est en émoi. Je reçois chaque jour du courrier, probablement plus que les autres membres de la commission, dans lequel des individus perçoivent la légalisation comme une atteinte à leur raison d'être. Ils se sentent comme des sujets ramenés à leur propre autonomie. Ils doivent décider eux-mêmes s'ils veulent ou non continuer à vivre en cas de maladie tandis que, si l'euthanasie ne devient pas un acte médical normal, ils veulent pouvoir se fier à l'évidence qu'ils seront soignés, qu'il existe un environnement social, une solidarité dans la société et qu'ils ne souffriront pas.
Personnellement, je ne crois pas que l'autodétermination et l'euthanasie involontaire n'aient rien en commun. Le revers de l'autodétermination, c'est que, lorsqu'on est devenu dépendant des autres, on doit finalement se justifier de la charge de l'existence que l'on impose aux autres. Le témoin comprend-il cet émoi de la société ?
Nous savons que la législation proposée, si elle est adoptée, sera une première mondiale mais constituera-t-elle un progrès pour autant ? Après un grand débat de société, d'autres démocraties ont pris une autre décision et sont très hésitantes, précisément en raison de la capacité de solidarité dans notre société. Cette capacité de solidarité est entamée par l'autodétermination résolue. Le témoin comprend-il ces arguments ?
M. Léon Favyts. Madame De Schamphelaere a raison d'affirmer que nous sommes des êtres relationnels, mais nous mourons seuls. Il est vrai que tout le monde ne peut tolérer l'autonomie de la volonté.
Yvon Kenis, l'ancien président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, a dit la vérité à la moitié des patients et ne l'a pas dite à l'autre moitié. Au fil du temps, la moitié des patients a appris la vérité et l'autre pas, mais il ne s'agissait pas des mêmes personnes qu'à l'origine. Certaines personnes veulent donc connaître la vérité et d'autres ne la connaissaient que trop bien. Il en va de même de la question de l'euthanasie : certaines personnes préfèrent renoncer à leur autonomie de volonté, préfèrent mettre leur vie entre les mains du médecin; d'autres veulent se prendre en charge et garder le contrôle de leur propre vie jusqu'au dernier moment.
Peut-être ai-je insisté un peu trop lourdement sur la différence d'idéologie. Cette différence joue cependant moins qu'on ne le pense. Il existe en effet de vieux médecins catholiques qui n'ont pas de problèmes et de jeunes médecins libéraux axés sur les prestations qui en rencontrent. J'ai ici une lettre récente d'un médecin, le docteur Erik Van Linde de Willebroek, qui a écrit cette lettre pour un avis dans le quotidien « De Standaard ».
Ce docteur écrit comme suit : « Était-ce un hasard si les avis de Luc Versteylen et du docteur Wim Distelmans et son équipe se recoupent sans un jour d'interruption ? Un père croyant et quatre médecins libéraux se retrouvent dans le même souci et la même inquiétude pour leurs prochains sur ce dernier chemin que nous devrons tous parcourir tout seul. La partie avant la mort pour Wim Distelmans, la partie après la mort pour Versteylen. Soutenus une grande partie de cette route par ceux qui nous sont chers et pour lesquels nous valons encore la peine. Mais sur cette toute dernière partie, nous devons aller seul, abandonnés. En tant que médecin traitant croyant et pratiquant, je défends à cent pour cent et l'opinion du docteur Wim Distelmans et le Palliatief Netwerk Vlaanderen et l'appel de Luc Versteylen. En parole et en actes, je suis depuis des années l'approche de Wim Distelmans et je persisterai dans cette ligne. Mon testament de vie personnel est mon point de repère. Il serait bon que plusieurs médecins puissent témoigner ouvertement leur soutien à ces deux opinions et agir de manière conséquente si la demande est très claire. Merci aux auteurs de ces deux joyaux ». C'est l'avis d'un médecin traitant catholique et pratiquant.
Mme Katky Lindekens. Je souhaite revenir encore à la théorie de l'escalade. Des personnes peuvent être maintenues en vie aussi pour des raisons économiques. Cela se voit chaque jour. Vous avez dit que la situation actuelle était loin d'être bonne et manquait de transparence. Ne serait-il pas possible, et les chiffres néerlandais l'attestent, qu'une législation claire qui exclut les abus permette d'obtenir une désescalade et non une escalade comme on l'affirme toujours, avec la conséquence que des abus sont évités ?
Un deuxième point est le dialogue entre patient et médecin. Je n'irai pas aussi loin que madame Nyssens, qui affirmait que la femme de ménage pouvait également se tenir au pied du lit. La décision doit appartenir au patient. Mais quelle est la position de la famille et des proches ? Ils sont de toute façon impliqués dans le décès d'un parent, d'un enfant ou d'un partenaire. Quelle place leur donnez-vous, sachant que la décision appartient au médecin et au patient ? Comment cela se passera-t-il en pratique selon vous ?
M. Léon Favyts. Je ne reviendrai pas sur l'escalade. Cela ne devrait du reste pas se produire. La question de la famille est plus importante. Je suppose qu'un médecin, avant de prendre la décision importante d'abréger ou de mettre fin à la vie, prend toutes les mesures de précaution possibles. Il consultera certainement toutes les personnes que vous avez énumérées, même si ce n'est pas une obligation. Si le patient ne peut plus exprimer sa volonté, le médecin peut toujours consulter ces autres personnes. Elle ne peuvent le forcer, seul le patient lui-même le peut.
Mme Jeannine Leduc. Je voudrais poser à monsieur Favyts la même question qu'à madame Herremans. Existe-t-il des gens qui rédigent un testament de vie, le renouvellent régulièrement et y renoncent ensuite tout à coup ? Quel pourcentage renonce ?
J'estime qu'il y a un malentendu sur les personnes qui disposent d'un testament de vie. On pense parfois qu'ils optent tout à coup pour l'euthanasie à un moment donné dans une phase non-terminale. Je crois qu'ils ne font ce choix qu'au moment où leurs forces ont complètement disparu. Quelle est votre expérience en la matière ?
Les statistiques sur les décès en Flandre révèlent que 39,3 %, donc près de 40 %, sont aidés en phase terminale. Dans 3,2 % des cas, il est question d'euthanasie sans demande préalable du patient. Aux Pays-Bas, ce pourcentage est nettement inférieur. Vous avez déjà dit que l'euthanasie sans consentement était inacceptable. Estimez-vous que la proposition de six personnes de la majorité, qui peut compter sur le soutien de tous les sénateurs du VLD, peut lutter contre la manque de transparence et de contrôle observés actuellement ? Près de deux mille personnes euthanasiées sans l'avoir demandé, c'est inadmissible. Estimez-vous que notre proposition conduira à la sécurité juridique pour le patient et le médecin ? J'estime que notre proposition de loi permettra de prévenir en grande partie les abus et nous sommes disposés à en expliquer plusieurs points. Nous ne souhaitons qu'une chose : une législation claire, transparente et univoque en vertu de laquelle les personnes qui demandent une euthanasie peuvent en bénéficier. Quel est votre avis à ce sujet ?
M. Léon Favyts. Je ne peux donner une réponse précise à votre question sur les personnes qui renoncent. Il y a seize ans, nous avons commencé à trois membres, le minimum pour constituer une ASBL. Cinq ans plus tard, nous étions 331, dix ans plus tard 1 375, quinze ans plus tard 3 000 et nous sommes aujourd'hui près de 3 500. Il s'agit d'une croissance lente mais constante. Naturellement, certaines personnes ne confirment pas ou ne renouvellent pas leur affiliation. Il existe différentes raisons à cet effet : les intéressés sont décédés, ils ont déménagé sans laisser d'adresse ou ils ont changé d'avis, ce qui arrive très rarement. La croissance du nombre de nos membres indique que très peu renoncent. Je ne peux cependant pas vous donner de chiffre précis.
L'affaiblissement du malade ou du patient au stade terminal est naturellement une évidence. La question n'est pas posée à un moment donné, elle se développe et mûrit très lentement. Certains de nos membres sont déjà membres depuis plus de dix ans, voire depuis 1984. À l'époque déjà, ils refusaient d'accepter la situation actuelle. Ces personnes ont clairement fait connaître leur volonté pour le moment où le temps sera venu.
J'en arrive aux 40 % que l'on aide à mourir. Il s'agit ici d'aide médicale à la mort. Je suppose et j'espère que cette aide peut être justifiée dans la plupart des cas. C'est pour cette raison que je trouve très bonne et concrète la proposition de loi de l'actuelle majorité. Elle correspond parfaitement avec les propositions que nous défendons depuis des années déjà. Je suis heureux de pouvoir saluer une proposition de loi positive et remercie les personnes qui en sont à l'origine.
M. Philippe Mahoux. Considérer qu'il y aurait de mauvais médecins qui n'écoutent pas, des bons infirmiers et des bonnes infirmières qui écoutent et, éventuellement, des aides-soignants qui écoutent me semble quelque peu réducteur. Quelle que soit la fonction des personnes qui entourent le malade, certains écoutent, d'autres pas. Il serait caricatural de prétendre que l'écoute serait réservée à une fonction bien particulière.
M. le président. Les médecins ont-ils autant de temps à consacrer que les infirmières ?
M. Philippe Mahoux. Les charges des infirmières sont telles qu'elles n'ont pas beaucoup de temps non plus. Elles devraient d'ailleurs être plus nombreuses.
Le professeur Schotsmans a parlé, hier, d'une consultation. On en arriverait à une consultation d'une tierce personne un éthicien qui n'interviendrait pas dans la décision mais qui donnerait son avis et serait, en quelque sorte, un directeur de conscience soit pour le malade, soit pour le médecin. Comment imaginer qu'un directeur de conscience soit obligatoire ?
Puisque vous représentez l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, en Flandre, je reviens aux propos émis, hier, par le professeur Schotsmans. Il semblerait qu'il existe des règles spécifiques applicables à certains hôpitaux. Il a été suggéré d'appliquer des règles de ce type dans tous les hôpitaux. Si cela ne figure pas dans une loi, je ne vois pas de quelle manière ce serait applicable.
Avez-vous connaissance de l'existence de telles règles dans certains hôpitaux ?
M. Léon Favyts. Parfois, il s'agit de règles tacites et, parfois, il s'agit de règles écrites. Ainsi, un délai d'attente de six mois est appliqué dans la plupart des hôpitaux universitaires de Leuven chez les patients inconscients. Quelqu'un dans un état comateux, végétatif ou végétatif persistant est débranché automatiquement après six mois. Il existe des règles similaires dans les divers hôpitaux. Chaque hôpital a sa propre réglementation en la matière. On ne peut garder certaines personnes artificiellement en vie indéfiniment. Il faut fixer une limite. Chaque hôpital, qui a son propre comité d'éthique, adopte une réglementation à ce sujet. Je pense que c'est la réponse que vous attendiez.
M. Jan Remans. J'ai compris que monsieur Favyts mettait l'accent sur la demande autonome et volontaire du patient comme première condition pour l'euthanasie. Nous l'avons déjà tous dit à plusieurs reprises. J'ai aussi compris qu'il adhérait aux critères de prudence telles qu'ils sont formulés à présent. Nous travaillons dur pour améliorer, affiner et développer ces critères de prudence. Toutefois, il importe aussi de pratiquer un contrôle sur ces critères. Que pensez-vous, compte tenu de votre expérience, du contrôle de l'application correcte des critères de prudence ? Aujourd'hui plus encore que les jours précédents, je crains les juristes et le juridisme en tant qu'homme parmi les hommes et médecin parmi les médecins.
M. Hugo Vandenberghe. Dois-je peut-être sortir ? Moi, j'ai peur des médecins qui tuent dans notre pays, sans que les patients le leur aient demandé, près de 4 000 personnes chaque année. Les juristes n'ont pas de tels crimes sur la conscience.
M. Jan Remans. C'est la raison pour laquelle je souligne précisément que la demande volontaire du patient est la première condition de l'euthanasie.
M. Léon Favyts. Cette expression libre des dernières volontés est en effet confirmée par les mandataires. Dans notre organisation, nous la confirmons chaque année par une vignette. Dans ce cas, on ne donc pas prétendre qu'une personne donnée aurait changé d'avis avec le temps.
Aux Pays-Bas, sept critères de prudence ont été imposés. Je ne peux pas vous les citer pour le moment, mais je pense qu'ils figurent également dans la proposition de loi. Ils semblent plus concrets et positifs. Je n'ai plus de questions particulières ou d'objections. Tout me semble très correctement formulé.
M. Jan Remans. Ma question concrète était comment vous voyez le contrôle de l'exécution correcte de ces critères de prudence pour nous protéger, non contre les juristes mais contre le juridisme.
M. Léon Favyts. Nous sommes en effet adversaires du juridisme et de la bureaucratie. Une personne donnée a un testament et a un entretien avec son médecin. Le cas échéant, une troisième personne peut être impliquée dans la discussion. Toutefois, la décision est prise quoi qu'il en soit par le patient et son médecin. Le contrôle peut et doit être effectué a posteriori selon la procédure imposée. Je ne vois pas pourquoi il devrait en être autrement.
M. Hugo Vandenberghe. Ces questions suscitent d'autres questions et des réflexions chez moi. D'une part, on fait référence en permanence aux Pays-Bas comme un succès. Mais les publications internationales sur les chiffres des Pays-Bas révèlent qu'après plus de 15 ans de pratique de l'euthanasie, la déclaration d'euthanasie n'est présente que dans 40 % des cas. Comment peut-on parler avec certitude de la pratique aux Pays-Bas lorsque 60 % des cas dits d'euthanasie et nous ne savons pas encore dans quelles conditions elles sont pratiquées ne sont même pas enregistrés ? Comment peut-on en tirer la conclusion que la situation est sous contrôle si la pratique néerlandaise est suivie ? Les recherches scientifiques, publiées dans des magazines internationaux l'année dernière, parlent en effet clairement d'une « escalade néerlandaise » parce que la situation n'est toujours pas sous contrôle après toutes ces années.
L'article 2 de la CEDH stipule que la loi doit protéger la vie humaine. Comment peut-on dès lors appeler juridisme la question de savoir à quelles conditions quelqu'un d'autre peut être tué, l'établissement de ces conditions et le maintien de la norme ? Savons-nous encore de quoi nous parlons ? Si l'on sait à quelles strictes conditions les autorités doivent répondre pour pouvoir priver de liberté un individu, comment peut-on décrire comme du juridisme la formulation juridique des garanties contre les abus relatifs à l'euthanasie active pratiquée sur autrui ?
M. Léon Favyts. Je pensais presque que monsieur Vandenberghe était devenu un de nos partisans. Il est vrai que la politique de l'euthanasie aux Pays-Bas n'est pas un succès. La raison doit être cherchée dans le fait que la politique néerlandaise est une politique de tolérance, ce qui signifie que l'euthanasie est toujours inscrite dans le droit pénal. Par conséquent, une proposition de loi digne de ce nom doit être adoptée en Belgique.
M. Vandenberghe a dit aussi que la vie devait être préservée et protégée. Naturellement, elle doit être protégée. Quelqu'un a dit une fois que la vie était un cadeau de Dieu et qu'elle pouvait être restituée lorsqu'elle cesse d'être un cadeau.
M. Hugo Vandenberghe. Il règne une confusion permanente lorsque nous invoquons des arguments confessionnels. Notre point de vue est dicté par des garanties spécifiques intrinsèques. L'opposition entre la position confessionnelle et non-confessionnelle n'existe pas dans ce débat, car tant le camp confessionnel que le camp non-confessionnel comptent des partisans et des adversaires des différentes propositions.
M. le président. Nous allons poursuivre nos travaux par l'audition de Mme Kempeneers, secrétaire générale de l'Association nationale d'aide aux handicapés mentaux.
Mme Thérèse Kempeneers. Je commencerai mon exposé par une brève présentation de notre association pour vous permettre de comprendre pourquoi nous avons souhaité intervenir dans le débat relatif à la proposition de loi sur l'euthanasie. L'Association nationale d'aide aux handicapés mentaux existe depuis 40 ans. L'Association francophone d'aide aux handicapés mentaux et la « Vlaamse Vereniging voor hulp aan verstandelijk gehandicapten » sont nées, voici une dizaine d'années, à la suite de la réforme des structures de l'État. Nos trois associations se sont engagées dans la défense des intérêts, tant matériels que moraux, des personnes mentalement handicapées et de leur famille. Elles sont dépourvues d'appartenance politique et sont respectueuses de toutes les opinions religieuses et philosophiques. La politique menée par nos trois associations poursuit l'intégration sociale des personnes handicapées. Nous accordons beaucoup d'importance à la participation effective de ces personnes et de leurs parents ou de leurs représentants légaux dans tous les domaines qui les concernent. Tous les droits des personnes handicapées doivent être garantis et leur autodétermination respectée, en tenant compte de la protection dont elles ont besoin. Pour elles, les droits de l'homme doivent être respectés à l'égal de ceux de tous les autres êtres humains. Nos associations et ceux qu'elles représentent veulent donc faire entendre leurs voix à l'occasion de la discussion de la loi relative à la dépénalisation de l'euthanasie.
Chacun se souvient des actes criminels dont les personnes handicapées ont été victimes dans un passé récent. Nos sociétés ne sont actuellement pas à l'abri de politiques eugéniques. C'est dire combien les débats actuels nous interpellent par les développements qu'ils pourraient progressivement engendrer. L'euthanasie soulève, en ce qui concerne les personnes handicapées mentales, des questions bioéthiques que nos associations ne peuvent ignorer.
Il importe de préciser ce qu'il faut entendre par handicap mental. De qui parlons-nous ? Qui représentons-nous ? Il existe une classification internationale des handicaps en général, élaborée en 1970 à l'initiative de l'Organisation mondiale de la santé. Elle a subi plusieurs adaptations depuis lors. Son importance tient à la classification conceptuelle qu'elle a apportée pour l'analyse des différentes situations.
Cette définition distingue trois niveaux : la déficience, l'incapacité et le handicap. En effet, un accident ou une maladie peut entraîner une déficience temporaire ou définitive. Cette déficience peut, elle aussi, entraîner une incapacité qui peut aussi entraîner un handicap. Les déficiences sont relatives à toute altération du corps ou de l'apparence physique, ainsi qu'à une anomalie organique ou fonctionnelle, qu'elle qu'en soit la cause.
Les incapacités reflètent les conséquences de déficiences en termes d'activités fonctionnelles de l'individu; les incapacités représentent donc des perturbations au niveau de la personne elle-même.
Les handicaps se rapportent aux préjudices résultant pour l'individu de sa déficience ou de son incapacité; ils reflètent donc l'adaptation de l'individu et son interaction avec son milieu.
Le handicap mental en particulier est défini comme suit depuis 1992 par l'Association américaine sur le handicap mental : « Le retard mental se caractérise par un fonctionnement intellectuel significativement inférieur à la moyenne, associé à des limitations dans au moins deux domaines du fonctionnement adaptatif : la communication, les soins personnels, les compétences domestiques, la santé, la sécurité, les loisirs, les aptitudes scolaires fonctionnelles ... »
Le retard ou le handicap mental se manifeste avant l'âge de 18 ans. Pour le diagnostiquer, il faut, en outre, tenir compte du contexte culturel et linguistique dans lequel la personne fonctionne, ne pas perdre de vue le fonctionnement des personnes du même âge dans les mêmes situations, de manière à avoir un point de référence, tenir évidemment compte des compétences et des capacités de cette personne ainsi que du soutien dont elle aurait besoin pour pouvoir fonctionner de façon optimale dans une société.
Pour simplifier, pendant très longtemps, antérieurement à la définition de l'OMS, on définissait le handicap mental en termes de quotient intellectuel. Cela se retrouve encore dans des législations. La répartition du QI suit une courbe de Gauss, la moyenne se situant entre 100 et 110. Donc, les personnes qui ont un QI inférieur à 75 relèvent de ce qu'on appelle un handicap mental.
Sont atteintes d'un handicap mental léger, les personnes ayant un QI entre 75 et 55, et d'un handicap mental modéré, les personnes ayant un QI entre 54 et 35. Les personnes atteintes d'un handicap mental sévère ont un QI situé entre 34 et 20 et les personnes souffrant d'un handicap profond ont un QI inférieur à 20. La notion de QI est de moins en moins utilisée mais elle permet de comprendre aisément quelles sont ces personnes et les difficultés qu'elles rencontrent.
Il faut bien sûr savoir que l'origine du handicap peut être très variée. Le handicap peut être dû à des facteurs génétiques comme des aberrations chromosomiques. Tout le monde connaît les personnes trisomiques, qu'on appelle aussi personnes atteintes du syndrome de Down, anciennement dénommées mongoliennes. Il existe aussi d'autres aberrations chromosomiques.
Cependant, un handicap peut aussi être le résultat de facteurs environnementaux dus à des causes qui se sont passées avant, pendant ou après la naissance. Avant la naissance, ce sont des maladies contractées par la maman, ou des situations à risque dans lesquelles certaines mères se trouvent, comme le tabagisme, l'alcoolisme, certaines conditions de travail très difficiles. Pendant la naissance, ce sont tous les accidents inhérents à l'accouchement. Après la naissance, ce sont des accidents ou des maladies qui touchent les bébés, comme les méningites ou les encéphalopathies, par exemple.
Quel est le nombre de ces personnes ? Je pense que dans le débat qui vous intéresse, il s'agit de savoir combien de personnes sont concernées. Aucune statistique n'existe en Belgique quant au nombre de personnes atteintes d'un handicap mental. On dit que dans les pays industrialisés, 3 % de la population globale présentent un handicap ou un retard mental.
Je puis vous expliquer la raison pour laquelle il n'existe pas de statistique sur le nombre de personnes handicapées. J'y reviendrai, si vous le souhaitez, au moment des questions. À l'intérieur de ces 3 %, 2,5 % des personnes ont un retard léger et ont un QI situé entre 75 et 55, ce dernier chiffre étant quand même très significatif, 0,4 % des personnes ont un handicap modéré à sévère et l % un handicap profond.
Cela signifie que pour la Belgique, par exemple, le nombre de personnes ayant un handicap mental se situerait entre 200 000 et 250 000, et que parmi ces personnes, 40 000 à 50 000 ont un quotient intellectuel inférieur 55.
Quelles sont, pour nous, les questions soulevées par le débat sur l'euthanasie ? Compte tenu de la population dont je viens de parler, quatre questions se posent. Tout d'abord, de quelle euthanasie s'agit-il ? Il s'agit d'une euthanasie active et non, si j'ai bien compris, d'une euthanasie passive, à savoir arrêter un traitement médical devenu inutile. Il ne s'agit pas non plus d'une euthanasie indirecte, c'est-à-dire augmenter la dose d'analgésiques, abréger les souffrances du patient, tout en sachant bien que sa mort interviendra à un certain moment.
Qui est concerné par cette loi ? Le texte dit : « Un majeur ou un mineur émancipé, capable et conscient qui demande l'euthanasie de manière expresse, sans équivoque, mûrement réfléchie, répétée et persistante ». Le texte dit aussi : « Un patient inconscient qui aurait fait part, lorsqu'il était conscient et capable, qu'au cas où il serait atteint d'une affection accidentelle ou pathologie incurable et qu'il n'existerait aucun moyen de le ramener à un état conscient, il souhaitait qu'un médecin interrompe sa vie. »
Pour nous, ces deux situations sont très préoccupantes. Quelle définition donner au terme « capable » se trouvant accolé à ceux de « majeur » et de « mineur émancipé » ? La notion de capacité est-elle, en l'espèce, à comprendre comme distincte d'une notion d'incapacité juridique ?
En ce qui concerne les handicapés mentaux majeurs, il existe des mesures juridiques de protection. Pour les adultes les plus gravement handicapés, ceux qui ont un quotient intellectuel très bas et dont le nombre pourrait être estimé à environ 25 000, il existe ce qu'on appelle la minorité prolongée, en vertu d'une loi qui a été votée en 1973 et qui prolonge la durée du pouvoir des parents sur leur enfant présentant une déficience mentale grave, permanente et entraînant une incapacité complète.
M. le président. Est-ce le cas des mongoliens ?
Mme Thérèse Kempeneers. Certaines personnes trisomiques ont un statut de minorité prolongée mais pas toutes, parce que toutes n'ont pas un faible quotient intellectuel. Une personne trisomique ne ressemble pas forcément à une autre personne trisomique. Dès que l'exercice du pouvoir parental prend fin, si les parents décèdent ou s'ils souhaitent ne plus exercer ce pouvoir parental, la personne handicapée est placée sous tutelle. Cette tutelle a pour particularité d'être viagère, c'est-à-dire qu'elle ne s'arrête qu'à la mort de la personne handicapée.
Cette mesure de minorité prolongée vise la protection de la personne handicapée et de ses biens. Elle confère à cette personne handicapée mentale un statut équivalent à celui d'un enfant de moins de quinze ans, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas se marier ni tester.
Pour les personnes atteintes d'un handicap plus léger, une autre mesure de protection existe, à savoir celle organisée par la loi de 1991, qui assure la protection des biens des personnes incapables d'en assumer elles-mêmes la gestion. Cette législation touche plusieurs publics : les handicapés mentaux légers, les personnes séniles, les personnes gravement accidentées, bref, toute personne qui, à un certain moment, est incapable de gérer ses biens. À ce moment-là, un administrateur des biens est désigné pour gérer les biens de la personne handicapée, et les biens uniquement, en fonction d'un mandat qui peut être variable et négocié.
J'ouvre une petite parenthèse parce que nous sommes en train de réétudier cette loi sur l'administrateur des biens. À notre sens, cette mesure devrait être complétée par la notion de personne de confiance. En ce qui concerne les adultes handicapés mentaux légers, certaines questions relevant de la gestion de leur personne, comme le choix d'un lieu de vie, de certains actes ou traitements médicaux je pense à la contraception ou à la stérilisation ne peuvent être traitées par un administrateur. Celui-ci n'est en effet pas compétent puisqu'il gère les biens. La personne présentant un handicap léger devrait pouvoir être conseillée par quelqu'un qui peut orienter ses réflexions ou en tout cas sa décision. Il faut toutefois veiller à respecter la liberté individuelle des gens. Ce sont des personnes qui ont quand même des capacités importantes, mais qui doivent parfois être protégées pour ce genre de questions. Il y a donc la minorité prolongée pour les plus gravement handicapés et l'administrateur des biens pour ceux qui ne peuvent pas gérer leurs biens.
Il faut savoir également que toutes les personnes handicapées mentales ne bénéficient pas des mesures de protection juridique pour la simple raison qu'elles n'ont pas été demandées. Ce sont des personnes qui sont majeures et ... capables ?
Que déduire de tout cela ? Les mineurs prolongés sont considérés comme incapables. Ils ne sont donc pas concernés par cette proposition de loi sur l'euthanasie. Mais qu'en est-il des handicapés mentaux qui sont sous administration de biens et de ceux qui ne bénéficient d'aucune mesure de protection juridique ?
Autre question que nous nous posons : quand cette euthanasie peut-elle être pratiquée ? On ne parle pas, dans la proposition examinée, de la phase terminale de vie, mais d'un état de souffrance et de détresse constante et insupportable, qui ne peut être apaisé et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Il faut savoir que certains handicaps mentaux résultent d'affections accidentelles ou pathologiques graves et incurables, parfois dégénératives, mais qui existent dès la naissance.
À supposer que l'on ne parle pas dans la proposition de loi de phase terminale, une dérive redoutable pourrait être imaginée en ce qui concerne certaines personnes handicapées et notamment certains handicapés mentaux.
Autre question : comment et avec le concours de qui ? Le médecin doit informer le patient sur tous les aspects de son état de santé. Les personnes handicapées mentales sont-elles bien à même de comprendre ce que le médecin leur explique puisque leur fonctionnement intellectuel est significativement altéré et inférieur à la moyenne ?
Lors des discussions avec le patient et la famille ou les personnes proches, tous les aspects du traitement sont-ils envisagés ? Notre expérience et les témoignages que les familles rapportent à l'association nous montrent que les soins de santé ou les prises en charge médicales et hospitalières ne se font pas toujours dans un esprit d'égalité de traitement, selon qu'une personne présente ou non un handicap mental. On peut s'interroger sur l'idée que les médecins et le personnel soignant se font d'une qualité de vie pour les personnes handicapées et les personnes ayant un handicap mental.
Très souvent, la qualité de vie ou l'évaluation de cette qualité de vie n'est pas la même lorsqu'il s'agit d'une personne handicapée ou d'une personne comme vous et moi. Selon les témoignages qui nous reviennent, on entend souvent dire « cela ne vaut pas la peine » ou on voit passer des dossiers sur lesquels est indiqué « ne pas réanimer ». Ces situations montrent qu'il y a un problème. Les décisions de soins peuvent être prises en fonction de la personne et de son handicap, et pas seulement de la maladie à traiter !
Lorsque deux personnes sont atteintes d'une même affection, si l'une d'entre elles présente un handicap physique ou mental, elle ne sera pas traitée de la même façon que celle qui n'a aucune affection. Le milieu hospitalier et la société en général posent un regard négatif sur les personnes handicapées. On le constate dès la naissance. Lorsqu'un bébé naît handicapé et que cela se voit à la naissance, on dit encore parfois aux familles « abandonnez-le, mettez-le dans une institution ». Ce regard négatif qui existe à la naissance se retrouve également en fin de vie.
Je voudrais tirer quelques conclusions de ce que je viens de dire. En premier lieu, il faudrait éviter que des experts qui se prévalent d'une expérience dans l'un ou l'autre domaine, mais qui ne connaissent pas les personnes mentalement handicapées, prennent seuls des décisions irrémédiables. Notre association milite bien sûr en faveur d'une prise de parole des personnes handicapées mentales elles-mêmes. Nous voulons que la participation effective des personnes handicapées mentales soit organisée dans tous les domaines qui les concernent. Cela ne veut pas dire qu'elles sont aptes à s'exprimer en toute connaissance de cause sur tous les aspects de leur vie et certainement pas sur la décision de fin de vie.
Pour ceux qui ont une mesure de protection juridique, telle que la minorité prolongée, il n'appartient ni aux parents ni aux tuteurs de faire la demande d'euthanasie active. Pour tous ceux qui n'ont aucune mesure de protection, personne, ni les parents ni une équipe éducative ou d'encadrement, ne peut introduire cette demande d'interruption de vie volontaire.
Nous pouvons donc conclure que, dans le système de la proposition de loi, l'euthanasie active des personnes handicapées mentales est exclue. Mais il reste que cette proposition de loi nous semble poser un problème important sur le plan plus général.
Je vous pose une question : cette proposition de loi a-t-elle pour effet d'empêcher dorénavant le médecin d'invoquer l'état de nécessité hors les cas d'euthanasie visés dans la proposition ? Qu'en est-il, en effet, du cas des enfants, des mineurs et autres incapables, des handicapés mentaux juridiquement incapables ou non mais inaptes à exprimer un consentement conscient et non équivoque et, d'une manière générale, de toutes les personnes devenues inconscientes qui n'auraient pas fait de testament de vie ou désigné un mandataire ?
Quand on lit l'article 8, le doute est sérieusement permis parce qu'il semble que l'on encadre désormais la cause de justification qu'est l'état de nécessité au sens général du droit pénal, dans des procédures strictes et inapplicables aux personnes précitées.
Enfin, dans le cas des personnes mentalement handicapées, il faut certainement développer par priorité les soins palliatifs. Les équipes soignantes, les infirmiers, les médecins, les paramédicaux doivent être suffisamment formés pour que la douleur du malade soit contrôlée, que la famille soit soutenue, que les soins soient de meilleure qualité. Il faut que les soins palliatifs soient développés et que le personnel travaillant dans ces services soit formé en matière d'accompagnement de personnes mentalement handicapées.
Nous avons voulu entrer dans le débat sur cette proposition de loi pour défendre les droits de ceux qui ne sont peut-être pas directement concernés par cette proposition. Nous voulons à tout prix éviter des dérives.
Tant que la place des personnes handicapées physiques et mentales n'aura pas été reconnue dans notre société, tant que celles-ci seront considérées comme des citoyens invisibles et non comme des citoyens à part entière, avec les mêmes droits que tout le monde, tant que sur le plan médical on fera passer le handicap avant la maladie, nous devrons, comme association porte-parole de celles-ci et de leurs familles, poser des garde-fous et éviter que des dérives graves ne se produisent.
M. Philippe Monfils. Je connais Mme Kempeneers depuis très longtemps puisque j'ai eu l'occasion de travailler avec elle lorsque j'étais ministre des Affaires sociales et que je m'occupais spécialement des problèmes des handicapés. Je connais donc assez bien cette problématique et je crois qu'à l'époque, nous avons essayé de réaliser un certain nombre de choses, notamment de sortir les handicapés débiles légers et caractériels comme on les qualifiait des homes où ils n'avaient rien à faire afin de leur permettre de mener une vie normale et agréable en famille ou en famille d'accueil. Je ne suis donc pas suspect de ne pas m'être intéressé aux personnes handicapées, mais je m'étonne un peu qu'à partir d'un texte qui me semble relativement clair, on craigne toujours des dérives.
Curieusement, vous ne craignez pas les dérives dans la situation actuelle où il n'y a pas de texte ! Or, après tout, quand nous entendons les chiffres qui sont confirmés et ne sont plus critiqués par personne selon lesquels, en Flandre et on peut extrapoler , il y a 1 000 cas d'euthanasie sans la demande du patient ... combien y a-t-il de cas d'euthanasie de handicapés mentaux ? Je n'en sais rien. Peut-être avez-vous la réponse à cette question, madame. Je ne sais pas et j'ai très peur qu'il y ait aussi des personnes qui n'ont rien demandé parce qu'elles n'étaient pas capables de demander quoi que ce soit.
Notre proposition de loi, au contraire, aboutit à l'inverse : on n'acceptera cette action ultime que dans la mesure où la personne est consciente et majeure. On le dit clairement dans les développements : quand il s'agit d'incapables juridiquement on y parle même des handicapés mentaux , il est bien évident qu'il n'est pas question d'autoriser l'euthanasie pour eux, en aucune manière, qu'il s'agisse de cas de minorité prolongée ou qu'il y ait un administrateur des biens, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent.
Il existe en effet diverses catégories de handicapés très précises fixées par les Communautés française et flamande il ne faut pas aller chercher ailleurs en Europe ou dans le monde et l'exécution de la politique relative à l'aide aux handicapés relève, en ce qui nous concerne, de la Région wallonne. Il n'y a donc aucun problème sur ce plan ! Ne faites pas de procès d'intention aux auteurs de la proposition : nous excluons de cette proposition toutes les personnes incapables et toutes les personnes handicapées, pour des raisons que vous imaginez aisément. Et nous avons toujours dit qu'en aucun cas, nous n'acceptions de discuter même de ce genre de problème ou de celui des mineurs.
Autre chose est l'attitude d'un médecin qui, à un moment donné, se trouve devant un cas d'inconscience, qu'il s'agisse d'une personne handicapée ou autre : faut-il pratiquer ou non l'acharnement thérapeutique ? Cela nous ramène à tout le débat que nous avons eu, et la proposition de loi n'en parle pas.
En ce qui concerne la prise en charge et le principe de l'égalité de traitement, j'ai le sentiment, madame, que l'on fait, à partir de l'euthanasie, un procès de l'organisation des services de santé qui aurait pu être fait plus tôt, qui peut être fait plus tard mais qui, en tout cas, ne dépend pas du tout du problème de l'euthanasie. Il est possible, il est vrai, que les patients ne soient pas égaux au niveau des conditions économiques ou des conditions mentales ou, encore, de la liberté d'expression. Mais il est curieux que l'on découvre tout cela à l'occasion de la proposition de loi sur l'euthanasie !
J'aimerais bien, pour ma part, que tous ces problèmes soient revus dans le cadre d'une politique de la santé qui mettrait peut-être si ce n'est pas le cas actuellement l'ensemble des patients sur un pied d'égalité. Mais recommencer à faire la politique de la santé à partir de la proposition sur l'euthanasie, je ne pense pas que ce soit une bonne chose.
Vous avez bien raison de poser ce genre de questions, madame, mais je souhaiterais que ce soit en dehors de la problématique de l'euthanasie. Ces questions se posent au niveau de la présentation du diagnostic au patient ou dans la manière dont on s'occupe de lui. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire ! Et je pourrais vous raconter mais pas en public comment on peut parfois soigner des personnes de manière très différente selon qu'elles ont ou non une certaine présence dans la société ... Cela existe, nous devons lutter contre ces situations mais pas dans le cadre de cette proposition de loi. Je puis vous rassurer et vous apporter quelques renseignements en réponse aux questions que vous vous posez.
Il est bien évident que nous avons toujours écarté l'ensemble des personnes handicapées mentales de la possibilité d'euthanasie active et également d'ailleurs de la possibilité de sédation prolongée. En effet, hier, nous avons entendu Mme Baum qui nous a bien dit que c'était faire preuve d'hypocrisie que de différencier les deux : augmenter progressivement les analgésiques jusqu'à la mort ou pratiquer l'euthanasie active, c'est du pareil au même ! Pour nous, c'est pareil.
Vous avez dit que cela n'entrait pas dans le cadre de la proposition. Pour nous, cela entre dans la proposition puisque c'est exactement la même chose ! Je le répète, nous excluons l'ensemble des personnes handicapées mentales de l'application de la loi. Quant aux autres questions que vous avez posées, elles sont très intéressantes mais ne doivent pas être soulevées dans le contexte de cette proposition de loi mais bien dans le cadre d'une réflexion fondamentale sur l'organisation des soins de santé.
M. Hugo Vandenberghe. Je n'interviendrai pas de manière polémique mais pour mieux comprendre la proposition. Je ne comprends pas très bien quel est le champ d'application de l'article 4 « quelqu'un qui ne pourrait plus manifester sa volonté ».
Je dispose ici d'une étude, faite à Oxford en 1995, qui dit que la question d'absence de conscience et le cas des gens ne pouvant plus exprimer leur volonté, car mentalement malades, reviennent au même. Donc, je ne vois pas où est la différence. C'est cela que je voudrais savoir. Quel est le champ d'application de la proposition de loi ?
M. Philippe Monfils. Monsieur Vandenberghe, tout à l'heure, vous vous êtes élevé contre un de nos collègues qui parlait de juridisme et maintenant vous oubliez la base de votre droit ! L'incapable juridiquement est une notion bien précise. La personne qui sombre dans l'inconscience, donc finalement dans le coma, c'est autre chose.
Si je prends le cas d'un handicapé mental qui entre dans une des catégories, il s'agit d'une personne reconnue handicapée mentale. Il n'est donc pas question de considérer que son consentement est donné car on sait que son consentement madame l'a dit très clairement est amoindri par un handicap reconnu, que ce soit à la naissance ou en raison d'une pathologie. Ce sont des choses tout à fait différentes. Madame nous demande si on ne risque pas d'euthanasier des handicapés mentaux sans leur accord. Nous répondons clairement : certainement pas ! On ne demandera pas l'accord des handicapés mentaux. Il n'est tout simplement pas question de les euthanasier. Telle est la réalité.
En effet, ils ne pourraient pas exprimer clairement leur volonté et, par conséquent, cela sort du cadre de la proposition de loi. Je peux donc rassurer Madame Kempeneers.
Mme Thérèse Kempeneers. Je ne souhaite certainement pas polémiquer mais pour des non juristes, comme moi et d'autres membres de l'Association, en lisant qu'il s'agit de majeurs capables, on se pose des questions.
En effet, actuellement, les adultes handicapés mentaux ne jouissent pas tous de mesures de protection juridique et ne sont donc pas incapables. Et les adultes handicapés mentaux ne sont pas tous inscrits dans les catégories qu'évoque M. Monfils. Ces catégories sont définies par les Communautés française et flamande et concernent des personnes qui peuvent avoir accès à des services organisés par la Région wallonne ou par la COCOF à Bruxelles pour les Bruxellois francophones, ou par le Vlaams Fonds en Flandre, ces personnes ayant 20 ou 30 % de handicap.
Or, les handicapés mentaux ne sont pas tous inscrits dans un service relevant de la Région wallonne ou de la COCOF ou du Vlaams Fonds. J'attire donc votre attention sur un besoin de clarification des personnes dont on parle.
M. Philippe Monfils. Ce que vous dites n'est pas tout à fait exact, la liste des catégories et des personnes reconnues est très longue, y compris celle des personnes souffrant d'un handicap très très léger comme les caractériels ou débiles légers qui sont aussi reconnues !
Or vous savez qu'on les avait mises dans les homes alors même qu'on estimait que ce n'était pas nécessaire et qu'il fallait les laisser vivre dans les familles. Mais nous savions qu'ils étaient dans une des catégories reconnues. Je crois que, depuis une vingtaine d'années, la protection des personnes handicapées est largement organisée.
M. le président. Vous y avez contribué dans une certaine mesure.
M. Philippe Monfils. Ce n'est pas mon propos, Monsieur le président.
Des efforts ont été faits de manière continue par tous les ministres successifs. Je crois que maintenant, on arrive à une définition et une protection intéressantes. Je ne dis pas qu'on a tout fait, mais quand même. Je répète encore que la notion de conscience est fondamentale, Madame.
Mme Thérèse Kempeneers. Oui, Monsieur Monfils, mais une personne adulte avec un handicap mental léger est consciente. Elle est consciente, adulte, capable puisque qu'elle n'est pas l'objet de mesures de protection qui la rendent incapable et elle ne relève pas forcément d'une des catégories auxquelles on pourrait se référer.
M. Philippe Mahoux. Je me réjouis que vous soyez venue parce que je me disais que la proposition de loi, précisément, ne concernait pas les malades dont votre association s'occupe.
Je me suis étonné à un certain moment que l'on ait invité la secrétaire générale de l'Association nationale d'aide aux handicapés mentaux.
Finalement, je suis très content. Premièrement, parce que cela permet, ce qui est extrêmement important, de traduire les craintes qui peuvent légitimement s'exprimer, même si les déformations du texte que nous avons déposé pouvaient entretenir cette crainte. Je ne parle évidemment pas de votre association.
Deuxièmement, je ne suis pas convaincu qu'exprimer à la tribune la problématique des malades mentaux arrive si souvent alors qu'il est très utile de le faire.
Par rapport aux problèmes et aux craintes que vous exprimez, j'entends les énumérations que vous faites pour arriver vous-même à la conclusion que les malades mentaux ne sont pas concernés. Effectivement, ils ne le sont pas. Dans les catégories dont vous avez parlé, les incapables, ceux qui sont sous administration et qui sont incapables ...
Mme Thérèse Kempeneers. Il n'est pas dit qu'ils sont incapables. Ils sont incapables de gérer leurs biens. Mais ils sont capables de gérer leur vie.
M. Philippe Mahoux. S'il faut apporter des précisions au sens que vous donnez, cela sera évidemment fait. Ni de près ni de loin, ils ne sont concernés. Si vous pensez qu'il est important, dans cette partie du problème, d'amener des précisions qui puissent vous rassurer, ainsi que les familles, il est bien évident qu'il s'agira d'ajouter le mot qui soit sans équivoque.
L'intention des auteurs de la proposition de loi est, bien entendu, d'aider les personnes qui souffrent en leur donnant une mort digne, à travers les soins palliatifs, à travers une réponse à une demande de fin de vie. Mais, je le répète, précisément, les personnes qui sont handicapées mentales ne sont pas concernées. Je suis donc très heureux que vous soyez intervenue et que vous aboutissiez à la conclusion qu'elles ne le sont pas.
J'ai entendu la crainte de parents de handicapés adultes qui s'interrogent sur ce que leurs enfants handicapés mentaux adultes deviendront quand ils auront disparu. Je crois que c'est une inquiétude que l'on entend très régulièrement. L'inquiétude a trait davantage à ce qu'ils vont devenir plutôt qu'au problème actuellement en discussion. Je souhaiterais savoir, par rapport à votre association, quel est le point de vue que vous défendez quand des handicapés mentaux adultes perdent leurs parents, quels sont les objectifs que vous poursuivez par rapport à eux ?
Mme Thérèse Kempeneers. Je voudrais tout d'abord apporter une petite précision. Il y a une différence importante entre la maladie mentale et le handicap mental. Il ne faut pas confondre ces deux types de population.
Les parents nous disent très souvent : « Que se passera-t-il quand je ne serai plus là ? »
Notre association a organisé des services pour aider les parents à préparer leur départ. Nous avertissons les familles que dans la plupart des cas, leur enfant va leur survivre étant donné les progrès réalisés par la médecine et que quand ils ne seront plus là, il faudra bien qu'une personne, une organisation ou un service prenne en charge leur enfant devenu adulte.
Par ailleurs, il faudra organiser un réseau social autour de lui pour qu'il ne se retrouve pas isolé quelque part dans une institution ou dans un service.
Ensuite, il faudra prendre une mesure de protection juridique. En fonction du type de handicap, il pourra s'agir de la minorité juridique prolongée nous avons étudié la loi et nous avons quelques propositions à faire pour l'améliorer ou de l'administrateur provisoire. Nous incitons toujours les parents à prendre ce type de mesure.
Notre association veille en outre à ce que les handicapés bénéficient à la fois de soins et d'une prise en charge de qualité dans les institutions qu'ils fréquentent.
Je voudrais maintenant en revenir à l'intervention de M. Monfils lorsqu'il faisait part de son étonnement que l'on profite du débat sur l'euthanasie pour parler de la qualité des soins de santé.
L'ANAHM n'a pas attendu ce débat pour en parler : elle demande depuis longtemps une formation des professionnels. Je dirais que l'on n'a pas saisi la balle au bond pour laisser planer des doutes sur la qualité des services. Nous avons demandé que lorsqu'un handicapé mental souffre d'une affection, on le traite de la même manière qu'une autre personne.
M. Philippe Monfils. Je suis tout à fait d'accord. C'est un combat qui dure depuis vingt ans.
M. le président. Je crois que l'on peut résumer l'échange de vues qui vient d'avoir lieu selon la formule et l'adage « si les choses vont bien sans le dire, elles vont encore mieux en les disant ». Nous serons donc attentifs à votre demande. Je pense en effet qu'il faut que la proposition de loi rencontre votre interrogation.
Mme Clotilde Nyssens. Le problème de la définition de la capacité dont on vient de parler est évident. Les auditions sont donc sûrement indispensables.
Dans toutes les interventions, j'ai constaté que si l'euthanasie est un problème très concret, l'intervenant nous a chaque fois montré que ce n'était que la pointe de l'iceberg.
On a parlé aujourd'hui de la politique de la santé. Hier, on a évoqué des situations de fin de vie en général, mais je suis convaincue qu'en marge de l'euthanasie, des problèmes immenses se posent en matière de politique de la santé, d'organisation des hôpitaux. Cela revient dans chaque intervention et je crois que c'est important de le dire.
Par ailleurs, je suis très soucieuse du champ d'application de la loi, en particulier de celle de 1991, qui ne vise que les biens et pas les personnes. Il y a actuellement à la Chambre une proposition de loi dont la discussion avait été bien entamée lors de la précédente législature. Votre association avait d'ailleurs fait des remarques sur la nécessité de modifier cette loi pour qu'elle prenne en compte cet aspect personnel et relationnel. Je crois que dans une autre commission, en d'autres lieux, il faudra revoir cette loi de 1991.
Je poserai une dernière question, même si elle risque de choquer certains. Vous avez parlé du regard de la société sur les personnes dont vous vous occupez. Le dépôt de ces textes a-t-il provoqué auprès des familles avec lesquelles vous travaillez des réactions de crainte ou d'angoisse profonde ?
Mme Thérèse Kempeneers. À partir du moment où une clarification est donnée, dans le sens dont on vient de parler, je pense que les craintes pourraient être apaisées. Mais cela ne résout pas la question de savoir je sais que je sors du débat comment soigner de façon digne et convenable une personne handicapée qui, parfois, ne peut pas s'exprimer, comment comprendre qu'elle souffre alors qu'elle n'a pas accès à la parole. Donc, cela n'exclut pas tout le débat sur la qualité des soins et sur la formation des professionnels.
M. Philippe Monfils. C'est un autre débat que nous n'entamerons pas ici dans le cadre d'un débat sur l'euthanasie.
M. Philippe Mahoux. Cela vaut tout de même la peine de poser le problème.
Mme Thérèse Kempeneers. Je pense que il est tout à fait indispensable de poser le problème car, comme on a affaire à des personnes gravement malades qui, au départ, étaient en phase terminale de vie, qui sont fragiles ou atteintes d'affections incurables et graves et qui ne savent pas exprimer leur douleur, il ne faudrait pas que la finalité mette entre parenthèses tout le traitement qui doit être organisé autour de ces personnes.
M. Alain Destexhe. Comme disait le président, certaines choses vont sans dire mais vont mieux encore en le disant. C'est pourquoi je voudrais insister sur un point. Le simple fait que vous soyez ici représentant une association de personnes atteintes d'un handicap mental peut donner au public l'impression qu'un danger se présente pour ces personnes.
Je crois que la clarification était nécessaire mais je voudrais comme tous mes autres collègues vous dire que les personnes handicapées mentales ne sont absolument pas concernées par la proposition, dont je ne suis pas un des auteurs. Tous ensemble je crois qu'il y a unanimité sur ce point nous ferons tout ce qu'il faut pour apaiser vos doutes et vos craintes.
Mme Thérèse Kempeneers. Toute la difficulté que vous allez rencontrer consiste à bien définir de qui vous parlez.
Mme Jeannine Leduc. Je suis satisfaite de l'explication donnée. Je veux souligner, comme l'ont déjà fait d'autres sénateurs, que nous n'avons jamais voulu impliquer les handicapés dans cette proposition de loi. Cette proposition est quand même méritoire parce que nous voulons ainsi veiller à exclure toute forme d'abus.
Par l'étude réalisée au Limbourg, extrapolée à toute la Flandre et que l'on veut aussi réaliser ailleurs, nous savons que de nombreuses euthanasies sont pratiquées actuellement sans que le patient soit impliqué d'une quelconque manière. Je demanderai à ceux qui ont réalisé l'étude si l'on sait si des handicapés mentaux ont été impliqués dans des cas d'euthanasie. Je voudrais le savoir avec précision. En fait, cette proposition est donc très utile pour exclure que des handicapés mentaux soient victimes d'une euthanasie non demandée.
Cette proposition traite cependant non seulement d'euthanasie mais aussi de soins palliatifs. Par conséquent, je suis satisfaite de la préoccupation exprimée pour que les handicapés mentaux ne soient pas traités de la même manière dans l'accompagnement de la mort et dans les soins que les autres malades. Les handicapés sont des personnes qui devraient recevoir encore plus de soins et de chaleur que les autres malades. Si nous analysons la proposition sur l'euthanasie, nous devrons accorder l'attention nécessaire à ce qui vient d'être dit.
Dans la proposition sur les soins palliatifs, nous devrons peut-être ajouter un article concernant l'attention particulière qui doit être accordée aux soins et à la fin de la vie des handicapés mentaux.
Nous avons trouvé ce témoignage très utile. Nous n'avons jamais envisagé d'impliquer les handicapés mentaux dans cette proposition.
Mme Thérèse Kempeneers. Vous devez comprendre nos craintes. Nous vivons dans une société performante, une société qui rejette les personnes non productives ou qui n'arrivent pas à prendre une place de pointe.
Or, 200 000 à 250 000 personnes sont concernées. Ce n'est quand même pas négligeable ! Ces personnes ont des parents, certaines ont des compagnons. Tout cela représente une partie importante de la population. Vous devez donc comprendre que nous avions vraiment à coeur de vous faire part des craintes émises par certains de nos membres.
Mme Jeannine Leduc. Nous voulons aussi le meilleur traitement pour le handicapé mental, tout comme pour le patient condamné qui demande l'euthanasie à un moment donné.
Mme Nathalie de T' Serclaes. Quand des décisions importantes doivent être prises vis-à-vis de personnes atteintes d'un léger handicap mental et non protégées, par exemple quand des traitements lourds, dont on ignore s'il seront efficaces, doivent être commencés, j'aimerais savoir, à titre d'information, comment cela se passe concrètement. Existe-t-il des garde-fous pour éviter des décisions motivées par le fait que ces personnes sont handicapées ? Ou n'y en a-t-il pas du tout ? Ces personnes sont-elles moins bien traitées ou selon une vision différente ? Je parle des décisions les plus lourdes et les plus difficiles.
Vous avez évoqué des décisions éthiques comme le fait que l'accès à certaines institutions est refusé aux filles non stérilisées. Il existe donc des cas importants où l'on doit être extrêmement soucieux de la protection de ces personnes, tout en reconnaissant qu'elles sont capables d'exprimer ce qu'elles veulent. À mes yeux, c'est là que réside la difficulté par rapport à ces personnes.
Mme Thérèse Kempeneers. Actuellement, la plupart des personnes atteintes d'un handicap mental léger ne jouissent pas de protection juridique spécifique. Elles prennent des décisions en fonction des informations qui leur sont données par leur famille, par les services qui les prennent en charge ou encore par les personnes qu'elles rencontrent. L'administrateur provisoire ne gère que les biens.
La proposition de loi Goutry avec les amendements du Bus de Warnaffe dont parlait Mme Nyssens, a introduit la notion juridique de personne de confiance. Cette notion doit encore être précisée car il faut prendre en compte le respect de la liberté individuelle. C'est donc un point très délicat. Mais nous souhaitons que cette idée de personne de confiance apparaisse dans la législation.
Voici quelques années, notre association a travaillé avec M. Henrion et Mme Delruelle à une loi qui visait la protection des handicapés mentaux légers et celle de leurs biens en leur adjoignant un mentor, c'est-à-dire une personne qui pouvait les conseiller dans la prise de décisions importantes et introduire des recours si la personne handicapée ne suivait pas les conseils.
Lors de la discussion de la loi de 1991sur la protection des biens des personnes incapables de les gérer elles-mêmes, cette loi sur le mentor a été examinée par la commission de la Justice. La notion du mentor a cependant été écartée pour deux raisons.
Tout d'abord, il fallait assurer le respect de la liberté individuelle et la non-ingérence dans la vie d'un individu.
Ensuite, la notion de protection de la personne relevait des compétences des communautés. Le pouvoir fédéral ne pouvait donc pas légiférer en la matière. Il n'empêche que nous sommes plusieurs associations à demander cette notion de personne de confiance. Elle concerne d'ailleurs non seulement les handicapés mentaux, mais aussi les malades mentaux, les personnes séniles ou d'autres qui parfois temporairement ne sont pas capables de gérer leurs biens. Cela s'appelle d'ailleurs un administrateur provisoire. La gestion peut donc parfois être temporaire.
M. Philippe Monfils. Gérer, oui. Mais il ne faudrait pas que cette personne se substitue à la personne handicapée mentale dans sa vie de tous les jours. J'ai toujours lutté contre ce danger. Nous n'allons pas recommencer à considérer que le handicapé n'a rien à dire et doit obéir à la personne qui est à côté de lui.
Mme Thérèse Kempeneers. Je crois que j'ai été assez claire dans mon intervention. J'ai dit que nous voulons que les personnes handicapées prennent part aux décisions qui les concernent. Mais il est des décisions qu'il est difficile de prendre, même pour tout un chacun, et pour lesquelles quelqu'un doit mettre des garde-fous.
Mme Jacinta De Roeck. Je suis ravie que madame Kempeneers ait pu exprimer aujourd'hui ses préoccupations et je tiens à me joindre à elle. Je ne suis pas issue du secteur de la santé, mais j'ai travaillé durant trois jours avec des handicapés mentaux pendant les vacances de Noël. Pendant ces trois jours, j'ai vu un handicapé aller chez le dentiste pour un plombage et en ressortir avec toutes les dents arrachées parce qu'il était seulement un handicapé.
Dans un autre foyer, j'ai entendu qu'un handicapé avait été conduit à l'hôpital avec des coliques néphrétiques mais qu'il n'avait pas été soigné. Durant la même période, mon mari aussi a été hospitalisé et lui a été soigné. Ces anecdotes m'ont été racontées à trois jours de l'an 2000 ! Selon moi, il ne s'agit donc pas d'exceptions. Il faut en débattre car de telles pratiques crient vengeance.
Il est grave qu'il faille un sujet aussi sérieux qu'un débat sur l'euthanasie pour nous ouvrir les yeux sur des problèmes propres à notre société. On n'en parle pas et personne n'en est conscient mais ces choses se produisent chaque jour avec des êtres humains comme nous. J'espère que les médias accorderont parfois de l'intérêt à ces faits au lieu de se focaliser sur nos travaux durant lesquels nous essayons d'adopter une loi avec beaucoup de prudence.
M. le président. Vous avez raison, mais ce sera traité à la commission des Affaires sociales, et pas ici.
Mme Jacinta De Roeck. Peut-être devons-nous aussi prendre nos responsabilités dans cette commission.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Mme De Roeck pose des questions importantes. En effet, les handicapés légers ne bénéficient d'aucune protection et sont considérés comme juridiquement capables, même si la volonté n'est bien entendu pas de les considérer comme tels dans le débat sur l'euthanasie. Je crois qu'il faut être extrêmement prudent parce qu'il est parfois très difficile d'établir la frontière entres les gens juridiquement capables d'exprimer leur avis et ceux qui ne le sont pas. Mme Mylène Baum a parlé hier de l'« incompétence ». Mais ce n'est pas un terme juridique.
Mme Clotilde Nyssens. C'est un mot anglais.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je crois qu'il faut donc chercher. Il ne faut pas dire que ce n'est qu'un problème de santé publique. Il faut aller plus loin dans notre réflexion sur ces notions de capacité et de conscience, afin d'éviter toute dérive possible. Je suis certaine que c'est la volonté des auteurs de la proposition de loi. Mais il faut aussi être sûr, quand on écrit des lois, que les mots soient les bons.
M. Jean-Pierre Malmendier. D'abord, je remercie madame d'être venue exposer ici ses craintes.
Mme Thérèse Kempeneers. Ce ne sont pas seulement les miennes. Ce sont celles des 12 000 personnes qui font partie de l'Association.
M. Jean-Pierre Malmendier. Exactement, et je vous considère comme représentative de toutes ces personnes.
Je me demande comment ces craintes face à la proposition de loi peuvent être aussi importantes. D'où tenez-vous les informations ? De quelle façon avez-vous été informée ?
D'autre part, j'aimerais signaler que l'intégralité de nos débats se trouve sur le site Internet du Sénat. Je vous demande d'ailleurs de relayer cette information. On peut y trouver les questions et les vraies réponses qui y ont été données. À travers une transparence totale de l'information non manipulée, nous pourrons mieux avancer dans nos débats.
Mme Thérèse Kempeneers. Où ai-je trouvé l'information ? C'est notre mission d'être un organe de vigilance qui veille à la défense des droits des handicapés mentaux. Quand on lit dans la presse qu'une proposition de loi a été déposée afin de réglementer la pratique de l'euthanasie, connaissant l'Histoire récente et le développement de certaines politiques eugéniques autrefois, nous nous posons des questions. On va donc chercher le texte de loi, on le lit et on se pose des questions. Je suis donc venue les poser.
M. le président. Vous avez bien fait de le faire. D'ailleurs, tout à l'heure, durant la pause, plusieurs sénateurs sont venus me trouver et m'ont demandé : « Mais qu'est-ce que cette dame vient faire ? Cela ne la concerne pas ! » Maintenant, nous avons la réponse : non seulement cela nous concerne, mais nous sommes aussi convaincus, Madame, qu'il faudra tenir compte de vos remarques pour améliorer les textes proposés. Je vous remercie donc. C'était une audition extrêmement intéressante.
M. J.-L. Vincent. Je voudrais d'abord dire que si je n'ai pas préféré une audition publique, je n'y vois cependant pas d'inconvénient.
Le caractère public ou non me laisse indifférent : je n'ai évidemment rien à cacher. En tant qu'« intensiviste », homme de terrain, j'espère que mes collaborateurs et moi ne faisons jamais que ce que notre conscience nous dicte, et ce dans le respect des principes éthiques qui nous préoccupent et qui sont les nôtres : l'autonomie, la « bénéficiance », la non-malfaisance et la justice distributive. Je reviendrai sur ces principes d'éthique un peu plus tard.
Je commencerai par vous citer quelques chiffres de terrain, de manière à planter le décor. Sans doute les intervenants précédents les ont-ils déjà évoqués. On vous a sûrement parlé d'études réalisées aux Pays-Bas et plus récemment au Limbourg, études qui démontrent que, eu égard aux progrès de la médecine moderne, l'homme est très souvent amené à influencer le moment exact du décès de chacun.
L'étude hollandaise publiée voici plusieurs années déjà révélait globalement qu'un tiers des décès sont tout à fait inopinés et que personne n'aurait pu intervenir : il s'agit de personnes qu'on retrouve décédées après un certain temps, des victimes d'accidents mortels. Mais il apparaît aussi qu'un tiers des décès ont vu leur moment influencé par les médecins qui ont décidé, soit de ne pas entreprendre un autre traitement, de ne pas aller vers l'escalade thérapeutique, soit d'arrêter un traitement et donc de pratiquer une désescalade thérapeutique.
En matière de décès, j'évoque là le tout-venant.
Si nous entrons à l'hôpital et en particulier aux soins intensifs, les pourcentages augmentent de manière considérable parce que, dans plus de 80 % des cas de décès dans les services de soins intensifs, c'est le médecin qui décide du moment exact du décès du patient. Ce ne sont pas des chiffres belgo-belges, mais des chiffres publiés, pas seulement par nous mais aussi par d'autres, des chiffres internationaux en provenance des USA aussi bien que d'Europe.
Au tout début de cette année, j'ai souri en lisant un article quelque peu humoristique que l'on trouve en première page du journal Le Soir, article où l'on s'étonnait du nombre relativement faible de décès dans les derniers jours de 1999 par rapport aux premiers jours de l'année 2000. Le journaliste se demandait, de manière un peu amusante, s'il n'y avait pas là quelque chose en rapport avec le changement de millénaire. C'est une évidence : on hésite un peu plus à arrêter un traitement, à permettre à quelqu'un de mourir, juste avant un réveillon important comme celui-là.
Heureusement, la plupart des malades survivent à leur séjour en soins intensifs, mais nous connaissons, malgré tout, environ 15 % de décès. Pour un service très important comme le nôtre, cela représente environ 450 décès pour presque 3 000 admissions par an. En termes relatifs, 450 décès, ce n'est pas tellement, mais eu égard au nombre de malades qui passent par un service de soins intensifs comme le nôtre ou comme ceux d'autres hôpitaux académiques, c'est quand même important.
Si vous prenez 80 % de ces décès, vous aboutissez à un chiffre inéluctable. Il est là, connu de tous. Plus d'une fois par jour, nous sommes amenés à décider du moment exact du décès d'une personne, je le répète, en décidant soit de ne pas entreprendre un traitement supplémentaire, comme la mise au respirateur artificiel ou le début de la dialyse, soit d'arrêter ce traitement parce qu'il n'a plus de sens.
Permettez-moi de souligner un élément éthique. Je sais que des « éthiciens » m'ont précédé ici et qu'ils ont évoqué ces questions, mais je ne suis pas sûr que vous ayez entendu des « éthiciens » qui soient vraiment impliqués dans les problèmes du malade grave. Il n'y a pas de différence éthique entre ne pas commencer un traitement et arrêter un traitement. De nouveau, cet élément n'est pas belgo-belge, il est reconnu dans le monde comme un élément de l'éthique internationale. Il n'y a pas de différence entre ne pas commencer la ventilation mécanique et arrêter la ventilation mécanique. Beaucoup de gens dans ce pays, surtout en dehors des milieux médicaux, mais même en leur sein, croient encore que l'arrêt d'un traitement qui maintient la vie un respirateur, une dialyse est un acte condamnable par la loi.
Je ne suis pas suffisamment juriste pour entrer dans les détails de ces éléments, mais je puis dire que, sur le plan éthique, il n'y a pas de différence. Heureusement, sinon nous hésiterions plus d'une fois avant de placer un malade sous respirateur si nous n'avions pas la faculté d'arrêter ce dispositif. Dans cette hypothèse, nous serions amenés ipso facto, par manque d'informations ou pour des malades qui n'ont plus les réserves suffisantes pour lutter contre leur maladie, à garder, dans les services de soins intensifs, des malades qui seraient ainsi maintenus dans une sorte de vie artificielle par nos instruments. Je pense que personne ne veut cela, car ce serait de l'acharnement thérapeutique.
Nous sommes donc amenés régulièrement à prendre ces décisions extrêmement importantes et, aujourd'hui plus qu'hier, nous souhaitons qu'elles soient partagées par l'équipe soignante. Comme vous l'avez peut-être lu dans la presse, dans notre service en particulier, nous essayons de garder ces décisions pour les tours médicaux, des tours qui comprennent des médecins, des infirmiers, des kinésithérapeutes, des étudiants, des élèves infirmiers, des personnes qui doivent également être formées à ces éléments. Nous avons des discussions très ouvertes à ce propos. Il ne faut pas croire que ces décisions sont prises au milieu de la nuit, dans l'obscurité, par quelques médecins qui chuchotent. Aujourd'hui, en l'an 2000, cette approche peut avoir lieu dans un esprit d'ouverture, puisqu'on ne fait rien de répréhensible.
Il est important que chacun puisse exprimer son opinion et, notamment, tous ceux qui ont été en contact avec le malade, comme le personnel infirmier et les kinésithérapeutes qui passent davantage de temps avec lui. Il est essentiel de pouvoir écouter cette équipe qui a vu le malade et la famille, car l'opinion de cette dernière doit également être prise en compte.
Mais, attention, au terme de ces échanges où chacun peut s'exprimer nous réagissons tous avec nos sentiments et notre expérience , la décision ultime reste du domaine médical. Ce n'est pas seulement mon opinion personnelle, mais aussi celle des « intensivistes » de par le monde. Les décisions thérapeutiques sont du ressort médical, comme les décisions d'arrêt thérapeutique, puisque la responsabilité sera, elle aussi, médicale. On entend trop souvent parler de procédures administratives, de règles à suivre à la lettre, de règles qui consisteraient finalement à faire signer une série de personnes, à faire apposer une série de cachets, de noms, au bas d'un document.
C'est ce que nous voulons éviter à tout prix. Si un jour une loi de ce type devait voir le jour, nous serions extrêmement ennuyés.
Peut-être certains hommes et femmes politiques seraient-ils fiers d'avoir décidé, mais ce serait d'une très mauvaise manière. Ils embarrasseraient considérablement les gens de terrain, sachez-le bien.
On a fait une dichotomie beaucoup trop importante et illusoire qui, je pense, vient de gens mal informés, entre le patient conscient et le patient inconscient. En fin de vie, le patient est, le plus souvent, inconscient mais il est, malgré tout, parfois dans une état que l'on peut qualifier de crépusculaire. C'est un état entre la conscience et l'inconscience, une état de somnolence. La personne dit : « je ne veux plus tout ça, laissez-moi » ... mais elle ne sait plus très bien où elle est, quelle est la date ... Est-ce une personne consciente ou inconsciente ?
Faire des dichotomies de ce type risque de mener à des problèmes de terrain qui seraient absolument considérables parce qu'il ne pourrait pas y avoir de consensus en ce sens. Cela fait très peur dans l'optique du contrôle a priori où l'on dirait qu'il faut rassembler toute une série d'opinions. Je vais pousser le raisonnement à l'extrême : si vous voulez respecter une série de règles, vous direz, évidemment que ce n'est pas un seul médecin qui décide, mais deux. Vous allez dire que, dans l'affection de base, le médecin spécialiste devrait décider : un neurologue pour un cas neurologique, un pneumologue pour un cas qui relève principalement de la pneumologie, un cardiologue pour un cas relevant de la cardiologie, etc. Vous direz aussi qu'il y a également le médecin traitant, qui connaît bien la personne, qui l'a suivie et qui doit aussi prendre part aux décisions. Et la famille ? Vous ne pouvez pas l'exclure. Mais qui est la famille ?
Rien que cette question mérite déjà vingt minutes de discussions. Le père dit une chose, le fils, autre chose, la fille est à l'étranger... Méfions-nous du terme « famille »! L'opinion de la famille est évidemment très importante mais si nous devions établir des règles visant à impliquer toutes ces personnes, nous arriverions à une situation absolument ingérable. Quelqu'un dira qu'il faut un psychologue ou un psychiatre si c'est la personne concernée qui demande réellement à être assistée pour définir ses volontés particulières. D'aucuns diront peut-être qu'il faut un prêtre, un conseiller laïque ou une personne qui puisse prendre une série d'autres éléments en compte. Il faut impliquer les infirmières... Une ? Deux ? Trois ? Nous en avons cent dans notre service, et ce n'est évidemment pas la même infirmière qui s'occupe du même malade, ne soyons pas ridicules. Il en va de même pour les kinésithérapeutes.
Alors, finalement, en établissant des règles, on risque d'établir des procédures qui aboutiront précisément à l'inverse de ce que, je pense, la majorité des gens veulent, c'est-à-dire une fin de vie humaine, dans la dignité, sans souffrance, sans acharnement thérapeutique. Pour être sûr que nous nous comprenions bien, je plaide pour que nous n'en arrivions pas à une loi qui, finalement, aboutisse à l'opposé de ce que les gens voudraient.
Comme je l'ai dit, la plupart des personnes sont inconscientes, soit à la suite de leur affection de base, soit en raison des médicaments, des sédatifs qui leur sont administrés pour ne pas qu'ils vivent l'inconfort de cette situation. C'est certainement vrai dans les unités de soins intensifs, mais aussi dans d'autres secteurs de l'hôpital. Quid de ces personnes-là ? S'il devait y avoir, à un certain moment, une procédure bien établie pour les personnes conscientes, nous serions de toute façon confrontés à ce problème que représente cette majorité de patients inconscients On dira alors que nous ne disposons pas des documents adéquats, que la procédure n'a pas été appliquée. Personne n'a rien demandé ! On nous dira : « Attention à la glissade, attention aux abus! »
Alors, aidez-nous, s'il vous plaît ! La plupart des personnes sont inconscientes en fin de vie. Ne venez pas nous dire que la réponse, c'est le testament de vie ou les directives. Cela, ce n'est pas vraiment la solution, même si c'est peut-être une petite pièce à ajouter au puzzle. Comme vous le savez, les directives, au départ, ne peuvent pas prévoir toutes les situations dans lesquelles on peut se trouver.
Effectivement, nous sommes parfois confrontés à des familles qui montrent ce document ou disent que le patient n'a jamais voulu des soins intensifs, qu'il n'a jamais voulu tout cela, alors qu'il a pourtant de bonnes chances de s'en sortir ! Laissez-nous faire notre travail et cette personne aura de bonnes chances de récupérer une vie satisfaisante ! Donc, le testament de vie ne peut évidemment pas être utilisé de cette manière. Mais il y a évidemment tous ceux et toutes celles qui n'auront pas suffisamment discuté de tous ces éléments, qui n'auront pas considéré la signature d'un testament de vie ou de directives. Et pour ceux-là, que pourra-t-on faire ? On dira qu'ils n'ont pas signé ce document.
Je crois qu'il faut être raisonnable et retourner aux principes d'éthique, d'autonomie, qu'on a évidemment bien soulignés ces derniers mois, à juste titre. Chacun doit pouvoir exprimer son opinion et c'est très bien d'en arriver maintenant en Belgique à avoir ce débat très ouvert.
C'est vraiment très nécessaire à notre société. Il faut que les gens puissent s'exprimer et, en particulier, bien entendu, le malade.
Il y a le principe de bienfaisance apporter le bien aux autres et le principe de non-malfaisance, qui est évidemment intimement lié à celui de bienfaisance, c'est-à-dire que nous ne tenons pas à appliquer des traitements qui n'apportent plus suffisamment de bien mais qui, au contraire, imposeraient une certaine forme de souffrance physique et/ou morale aux individus. J'évoquerai aussi le principe de justice distributive, principe auquel la population n'est pas encore très bien préparée et quelque peu marginal vis-à-vis des discussions actuelles.
La justice distributive consiste à choisir la personne qui pourra bénéficier de l'organe à transplanter, mais c'est aussi, malgré tout, dans le cadre de notre débat, le problème d'un nombre limité de lits de soins intensifs dans notre pays. On ne peut pas fermer les yeux, refuser le traumatisme suivant ou l'autre personne infectée, sous prétexte que l'unité est pleine, et les diriger vers un autre hôpital. Il faut savoir que, quand un hôpital est plein, tous les autres le sont aussi; cela s'est vérifié lors de la récente épidémie de grippe. En Angleterre, comme vous le savez, des gens sont morts sur les routes, à la recherche d'hôpitaux pouvant les accepter, alors que ces gens auraient très bien pu survivre.
Donc, je souhaiterais que la Belgique n'en arrive pas à une situation comparable. Je n'essayerai pas de souligner ici l'importance des soins intensifs et la nécessité de les subsidier suffisamment, mais il faut que nous, citoyens, soyons bien conscients du fait que, parfois, se pose un problème de lits disponibles dans les services de soins intensifs, et cet élément-là doit être pris en compte.
Je ne désire pas dépasser mon temps de parole mais je voudrais cependant dire qu'il nous arrive régulièrement d'arrêter un traitement, d'arrêter un respirateur. La question est de savoir comment procéder. On peut évidemment débrancher le respirateur, avec l'issue que l'on connaît, la personne ne pouvant plus respirer par elle-même dans ces cas terminaux où, malheureusement, la médecine ne peut plus rien offrir. C'est une option. L'autre option est de laisser la personne sous respirateur mais d'augmenter les calmants, la morphine, les benzodiazépines, les barbituriques, pour que cette personne puisse partir en paix, sans la moindre souffrance.
Certains verront une différence fondamentale entre les deux options; ils diront que, dans le premier cas, on ne fait qu'arrêter un traitement, ce qui, dites-vous, est autorisé sur le plan éthique, alors que, dans l'autre, on intervient activement en donnant effectivement des doses plus importantes de médicaments. On pose donc alors un geste. Mais cette réaction-là est évidemment tout à fait hypocrite.
Elle revient à dire : tant pis si les gens subissent un peu d'inconfort en fin de vie, au moment où le respirateur est débranché, mais au moins, on ne participe pas activement.
Mais, justement, l'intervention active est une intervention qui vise, en accord avec les principes éthiques que j'ai énumérés, à apporter le moins d'inconfort possible à la personne. C'est évidemment cela qui est réalisé dans beaucoup de centres. Comme M. Dubié l'a indiqué, nous avons réalisé une enquête européenne à ce sujet, qui nous a indiqué que 40 % des médecins européens et, en fait, plus de 50 % des médecins belges, reconnaissaient dans ce questionnaire anonyme qu'ils posaient couramment de tels actes. Que l'on ne se voile pas la face et que l'on ne dise pas que cela ne se fait pas. Cela se fait, en accord avec les principes éthiques, aussi bien dans des institutions d'obédience plus chrétienne que dans des institutions comme la nôtre. De même, que peut-on faire chez les personnes on pense aux états végétatifs dont les fonctions vitales ne dépendent plus d'un respirateur ? Trois possibilités se présentent. Soit on continue et on décide de ne rien faire en cas de complications. C'est un petit peu se voiler la face à partir du moment où l'état végétatif permanent est certain et où l'on sait que la personne ne va pas récupérer une vie cognitive, une vie relationnelle.
Soit on décide d'arrêter le gavage, en considérant que celui-ci fait partie du traitement puisqu'il y a une intervention humaine qui vise à nourrir et hydrater la personne. Soit on donne une certaine quantité de calmants. Mais alors on nous dit qu'on ne peut pas arrêter les calmants parce qu'il s'agit d'un geste actif.
Cette réponse est hypocrite parce l'arrêt de la nutrition mène à la mort, au terme d'une période de dégradation au cours de laquelle la personne sera déshydratée, amoindrie, laissée sans nourriture. C'est acceptable aux yeux de la société d'aujourd'hui, parce qu'il s'agit simplement d'arrêter un traitement. Cela peut se concevoir lorsque le traitement n'a plus de sens, eu égard aux principes d'éthique que je viens d'énumérer. C'est là que se situe l'hypocrisie du système.
Il faudrait essayer de faire changer les choses, non pas en les rendant plus administratives parce qu'on va, une fois de plus, à l'inverse de ce que l'on veut obtenir, mais en rendant confiance aux médecins qui agissent en leur âme et conscience et qui essayent d'apporter le plus de bien possible à leurs patients et de les faire souffrir le moins possible.
Je présente souvent dans mes exposés aux « intensivistes » le cas suivant : face à un malade aux soins intensifs, dont la vie dépend d'un respirateur, mais dont on sait qu'il n'a aucune chance de se passer de cet appareil et de quitter l'hôpital vivant, que faites-vous ?
a) Vous continuez malgré tout le traitement au respirateur, en sachant qu'il n'y a pas d'espoir;
b) Vous arrêtez le respirateur et on vous dit que vous ne pouvez pas arrêter cet appareil parce que la vie du malade en dépend et qu'il risque d'avoir des problèmes pour respirer;
c) Vous donnez des doses plus importantes de morphine et de barbituriques. Ici aussi, on vous dit que vous ne pouvez pas le faire parce qu'il s'agit d'un geste actif, que vous allez donner trop de médicaments qui ne sont pas nécessaires et que vous allez ainsi précipiter la mort.
Si vous voyez une quatrième possibilité, dites-le nous, aidez-nous, parce que nous n'en voyons pas. Dans beaucoup de cas, nous revenons à la première possibilité qui consiste à poursuivre le traitement. Le rôle du médecin est assez simple parce qu'il s'en va vers d'autres malades et ce sont les infirmiers et infirmières qui retournent au chevet du malade et qui se posent des questions. Comme d'autres « intensivistes », j'ai frémi quand j'ai lu, voici plus d'un an, dans un article publié dans le New England Journal of Medecine, au sujet d'une enquête anonyme réalisée aux États-Unis auprès des infirmières et comparable à celle qui a été faite en Europe, qu'un certain pourcentage d'infirmières reconnaissaient qu'elles avaient parfois un peu exagéré les doses d'un médicament ou arrêté tel ou tel médicament qui soutient la tension pour aider les personnes à mourir. Ce personnel infirmier devait-il être condamné ? Je crois que le système doit l'être, mais je ne pense pas que ces infirmiers et infirmières agissaient de manière « mauvaise », soit de manière opposée aux règles éthiques. Je crois au contraire que ce sont des infirmiers et infirmières qui ne supportaient pas l'attitude illogique et défaitiste, voire lâche, des médecins qui n'osaient pas prendre ces décisions et qui partaient, les laissant près du malade. Ils avaient compris ce qu'il fallait faire pour que la personne puisse partir sans souffrance et dans la dignité.
Globalement, je pense qu'il faut en arriver à mieux reconnaître ces situations, à montrer aux médecins que l'acharnement thérapeutique n'est pas la solution, avant tout sur le plan éthique mais aussi sur le plan financier, qu'on ne peut plus négliger. On sait que le budget de la médecine est limité et on ne peut pas se permettre de garder sous respirateur pendant des semaines, voire des mois, des personnes inconscientes, qui n'ont aucune chance de récupérer une vie satisfaisante. Il est difficile de parler ainsi aux non-médecins. Je pense qu'il faut redéfinir la mort. On n'en est plus à l'arrêt de la respiration comme il y a des siècles ou à l'arrêt cardiaque comme avant la découverte des manoeuvres de réanimation cardio-respiratoires. Quand le coeur s'arrête, on peut encore souvent le faire redémarrer et c'est heureux. Il ne faut donc pas dire que la vie s'arrête quand le coeur s'arrête. La loi reconnaît déjà aujourd'hui la mort cérébrale et nous reconnaît le droit de prélever les organes lorsque tous les critères de mort cérébrale sont réunis.
Sachez que nous sommes parfois confrontés au problème de malades qui ont perdu toute possibilité de récupération des fonctions cérébrales, qui n'ont plus aucune vie cérébrale mais qui n'ont pas tous les critères de mort cérébrale. Nous ne pouvons pas prélever des organes dans ces conditions, car ce serait illégal.
Nous arrêtons alors un traitement qui n'a plus de sens. On peut se poser la question de savoir s'il ne faudrait pas redéfinir la mort et considérer l'arrêt définitif et permanent des fonctions cérébrales comme un état de mort. À ce moment là, une procédure très stricte devrait être suivie et il faudrait faire appel à un collège de neurologues, de médecins, etc., comme dans le cas de la mort cérébrale qui nécessite trois signatures. Il faut éviter les abus. Je ne tiens pas plus que vous, si je reçois un jour un coup sur la tête, à ce que l'on me déclare mort un peu rapidement et que l'on prélève mes organes.
Il faut, à mon sens, davantage insister sur l'état de nécessité. J'espère vous l'avoir montré au cours de ces 25 minutes. Il est important que vous sachiez qu'il est pénible pour nous d'arrêter un traitement. Nous sommes formés à traiter, à combattre la maladie et nous avons un sentiment de défaite quand nous arrêtons. Pensez-le bien, croyez-le bien. Mais il y a des circonstances où nous sommes obligés de le faire. C'est un mal nécessaire et nous devons former nos jeunes médecins à cet égard pour qu'ils le gèrent le mieux possible. Certaines choses doivent encore être améliorées. J'en parle beaucoup dans mes cours. Les soins palliatifs doivent être promus mais je ne pense pas qu'ils puissent régler tous les problèmes. Nous aurons toujours ces problèmes, qui sont extrêmement sérieux et profonds, mais il faut reconnaître que, dans certains cas, l'état de nécessité doit primer et que nous devons à ce moment-là être réalistes et arriver à un concept qui vous donnera peut-être le frisson mais qui est réel : pour certaines personnes, il y a parfois un bénéfice à mourir. C'est peut-être la meilleure option pour elles. Quand on arrive en fin de vie, quand on n'a plus d'espoir d'une vie relationnelle, d'un tout petit peu de bonheur, il vaut mieux fermer son parapluie. Faut-il, pour autant, autoriser à tuer ? Je ne le crois pas et je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de médecins qui vous diront ici qu'il faut les autoriser à tuer. Le médecin ne demande pas à tuer.
Personnellement, je n'ai jamais tué personne, mon intention n'ayant jamais été de tuer, mais j'ai aidé beaucoup de personnes à mourir et je le ferai encore. Heureusement. Sinon je ne ferais pas bien mon métier et je devrais abandonner ce que je fais :aider des gens à mourir sans avoir le but de les tuer. C'est la maladie qui emporte le malade et j'aide celui-ci à mourir en accord avec les principes éthiques que j'ai définis, en évitant la souffrance, la dégradation inutile. Je crois qu'il n'y a pas beaucoup de personnes qui tiennent à avoir une fin de vie avec des souffrances et des dégradations qui peuvent être évitées.
M. le président. Je tiens à formuler une remarque. J'ai écouté vos propos avec attention . Je constate que vous n'avez pas utilisé une seule fois le mot euthanasie. Est-ce délibéré ?
M. J.-L. Vincent. Effectivement. Je n'ai pas utilisé ce mot parce qu'il est mis à toutes les sauces. On entend de tout aujourd'hui dans la presse. C'est très dangereux et je préfère parler de problèmes de fin de vie ou d'acharnement thérapeutique, mais on en parle très peu. Ce sont les problèmes de fin de vie qui doivent être mis en évidence. Il faut donc élargir ce débat.
M. Alain Destexhe. Monsieur le professeur, votre témoignage est extrêmement fort et nous vous en remercions.
Nous devrons en tenir compte et être attentifs aux risques liés à une procédure administrative qui mettrait tout le monde en difficulté.
Votre expérience est particulière aux soins intensifs et ne s'applique pas à l'ensemble de la portée de la proposition de loi qui vise aussi d'autres situations que celles des patients en soins intensifs.
En dépit du respect que j'éprouve pour votre témoignage et du fait que nous devrons en tenir compte, particulièrement en ce qui concerne la procédure, je dois vous dire que je suis quelque peu gêné, en tant que citoyen et en tant que médecin, d'entendre que, tout au long de votre témoignage, vous « évacuez » totalement de votre démarche les aspects d'autonomie du patient. Vous ne tenez pas compte de la capacité de réflexion du patient ni de sa liberté d'avoir une influence sur son destin. Vous n'en n'avez pas parlé une seule fois ! J'ai été frappé par la formule que vous avez utilisée : « C'est nous qui décidons. » Vous dites aussi avoir aidé des gens à mourir sans savoir si ces gens ont à aucun moment demandé à mourir ou l'ont souhaité. J'ai l'impression, en vous entendant, que la décision est entièrement entre les mains des médecins, de l'équipe soignante, du « pouvoir médical » et que l'individu concerné n'existe qu'à travers sa maladie et sa pathologie et jamais en tant qu'être conscient et autonome. Très franchement, le pouvoir qui est le vôtre m'apparaît exorbitant dans de telles circonstances. Non seulement, le patient est confronté à sa maladie mais il est en outre en présence de médecins et d'une équipe soignante qui, à vous entendre, ne l'écoutent pas quelle que soit sa capacité en fonction de son état de s'exprimer. Vous avez « évacué » le testament de vie en quelques mots, estimant que dans bon nombre de cas, même si la famille veut en finir, il subsiste néanmoins des chances de sauver le malade. Évidemment, dans ce cas, je suis tout à fait d'accord avec vous et j'estime qu'il faut tout faire pour sauver le patient et ne pas tenir compte du testament de vie. Il n'empêche que vous « évacuez » aussi ce dernier dans les autres cas, quand le malade ne peut pas être sauvé ! Pour vous, il semble que ce testament ne compte pas.
Ne pensez-vous pas que votre pouvoir est exorbitant ? Quelle place accordez-vous à l'individu concerné ? Votre témoignage ne semble lui en accorder aucune, je le répète. Vous dites aider les gens à mourir en restant fidèle à vos principes éthiques. Quid de la personne concernée par votre pouvoir médical et vos principes éthiques ?
N'accordez-vous vraiment aucune importance au testament de vie ? N'a-t-il jamais aucune influence sur vos décisions ? En effet, malgré ses faiblesses et ses imperfections on le rédige bien portant et on est très mal portant quand on arrive dans votre unité , il s'agit tout de même d'une tentative de l'individu de s'exprimer.
M. J.-L. Vincent. Vous dites que mon expérience est limitée aux soins intensifs mais cette expérience est tout de même très large. Il n'est pas rare de se trouver au carrefour des soins intensifs et des soins palliatifs. Les médecins hésitent alors entre transférer le malade atteint d'un cancer ou d'un sida très avancé vers les soins intensifs ou l'envoyer vers les soins continus, en s'avouant que cela n'a guère de sens de le placer en soins intensifs et qu'il vaut mieux abréger sa vie. Nous avons beaucoup de patients en provenance des homes ou d'établissements spécialisés pour handicapés. Ne croyez pas que les patients de soins intensifs représentent une population tout à fait individualisée. La population de nos services de soins intensifs est très hétérogène.
Mais, Monsieur Destexhe, l'avis de la personne elle-même est évidemment prépondérant. Je n'ai pas insisté car c'est tellement évident, dans toute cette discussion ! Je n'envisage d'ailleurs pas d'arrêt thérapeutique chez une personne consciente qui ne le demande pas ! Je ne vois pas pourquoi on arrêterait tout.
Quant au testament de vie, je vous répète que ce n'est pas parce qu'on l'a signé que pour autant on ne peut pas envisager de voir un traitement très intensif poursuivi. Il m'arrive de poursuivre des traitements chez des personnes qui le refusent en toute conscience.
Allez-vous invoquer le principe du respect de l'autonomie ? Il y a quatre principes, et le principe d'autonomie n'est que l'un des quatre.
Si je sais que le patient n'est pas au bout de ses possibilités et souffre d'un épisode aigu dont il pourrait fort bien sortir, il faut appliquer le traitement. Après un certain temps, il reviendra avec son ballotin de pralines, si comme dans la majorité de ces cas il a pu s'en sortir. Il vous dira regretter ce qu'il vous avait dit et vous dira que vous avez bien fait de persévérer. Nous passons donc en effet parfois outre au principe d'autonomie si le principe de bénéficience et de non-malfaisance est suffisamment fort.
C'est d'ailleurs tout le problème des tentatives de suicide. Dois-je refuser de réanimer la personne, responsable de ses actes, qui a décidé de mettre fin à ses jours et arrive en intoxication médicamenteuse ? Sauf cas particulier, nous sauverons cette personne, nous l'aiderons à franchir cette période aiguë et nous l'aiderons à être moins déprimée et à ne pas recommencer grâce au soutien de psychiatres. C'est notre rôle d'aider les patients. Nous passerons outre au principe d'autonomie si nous pensons qu'il est raisonnable de poursuivre un traitement.
De plus, j'irai plus loin et vais peut-être vous ébranler. J'estime que c'est comme si tout le monde avait signé ce testament de vie ! Si la personne ne l'a pas fait, il est possible que ce soit parce qu'elle n'était pas au courant ou parce qu'elle n'avait pas les qualités intellectuelles : certaines personnes ont des quotients intellectuels limités, elles et leurs familles sont difficiles à appréhender en cette matière. Divers éléments peuvent jouer. Pourquoi vouloir continuer un traitement qui n'a plus de sens ? Même sans testament de vie, pour moi, un traitement qui n'a plus de sens doit être arrêté. Il faut mettre fin à l'acharnement thérapeutique.
Quelle est la place du testament de vie dans notre processus décisionnel ? C'est un petit élément supplémentaire, il s'ajoute à une combinaison d'autres. Rien n'est simple dans ce domaine. On sait ce que le patient avait voulu, ou la famille nous rapporte qu'il ne voulait pas d'acharnement thérapeutique. C'est un élément supplémentaire, mais non déterminant, dans notre processus décisionnel.
Mme Jeannine Leduc. Docteur Vincent, puis-je conclure au terme de votre exposé que vous trouvez cette législation superflue ?
Enfin, je voudrais votre avis sur la disposition de la proposition de la majorité permettant aussi l'euthanasie à la demande du patient qui se trouve dans un état de détresse constante impossible à soulager.
M. Jean-Marie Dedecker. Dans le même ordre d'idées, j'aurais voulu que le docteur Vincent nous dise ce qu'il faut préciser ou non dans la loi à son avis. À entendre son exposé, chaque processus de mort est différent et son équipe et lui-même estiment avoir une formation suffisante et une éthique assez rigoureuse pour prendre eux-mêmes les décisions nécessaires. Est-ce simplement un plaidoyer pour une meilleure protection des médecins ou certains points doivent-ils à son avis être réglementés ?
Vu qu'il est toutefois confronté à 450 décès par an, je voudrais également lui demander comment il réagit lorsqu'un patient lui demande très clairement de l'aider à mourir.
M. J.-L. Vincent. La première question consistait à savoir si la loi était superflue, s'il était superflu de la modifier. Je dirais oui et non.
Personnellement, je ne suis pas juriste. Les médecins se sentent effectivement mal à l'aise vis-à-vis de la situation actuelle. A priori, je dirais donc que ma réponse est : « Oui, s'il vous plaît. Faites quelque chose pour nous aider. » Qu'il y ait dépénalisation ou qu'on légifère en la matière. Mais j'ajouterai immédiatement : comment cette loi sera-t-elle libellée ? On parle de détresse persistante, de maladie terminale, etc. Les termes utilisés ne reflètent malheureusement pas bien toutes les situations auxquelles nous sommes confrontés. On ne s'y retrouve pas bien. Quelle que soit la manière dont on s'exprime, on ne parvient pas à mettre correctement les situations sur papier.
C'est pour cette raison qu'il faut se protéger des excès. Il est évident que le pays doit conserver des garde-fous.
M. Jean-Marie Dedecker. Que proposez-vous à ce sujet ? C'est en effet là que réside la difficulté.
M. J.-L. Vincent. En effet. Ne croyez pas que je dise que le médecin a toujours raison et qu'il faut le laisser en paix. Il est clair que des lois sont nécessaires pour pénaliser ceux qui ne respectent pas les règles éthiques et morales. Le problème, c'est que parler de maladie incurable n'a pas de sens. Le diabète est une maladie incurable. Le malade doit prendre de l'insuline jusqu'à la fin de ses jours.
En dehors des maladies infectieuses, il y a énormément de maladies pour lesquelles on n'apporte qu'un traitement supportif parce qu'il n'existe pas vraiment de traitement curatif. Prenons donc garde à ces termes. Il faudrait avoir à ce sujet une approche médicale un peu plus approfondie.
Ce que je crains donc à partir du moment où l'on veut limiter les garde-fous, c'est précisément qu'on en arrive à des évaluations a priori, à différentes conditions à remplir. Chaque fois que l'on essaie de mettre cela sur papier, on aboutit malheureusement à un échec. Et il ne s'agit pas d'un problème belgo-belge. À tous nos congrès, nous en discutons ensemble. Je reviens d'un congrès qui a eu lieu aux États-Unis, voici quinze jours, d'un autre à Londres la semaine passée. Il n'y a pas vraiment de pays qui soit parvenu à établir une série de règles à suivre. Je pense donc qu'il faut rester relativement général tout en continuant à pénaliser les abus. Mais il faut condamner l'acharnement thérapeutique et souligner les états de nécessité auxquels nous sommes confrontés. Insistons en outre sur le fait que les médecins doivent combattre la douleur et qu'ils sont autorisés à arrêter un traitement chez les malades en fin de vie et pour lesquels le traitement n'a plus de raison d'être éthique et morale.
La question des personnes qui demandent explicitement de mourir est souvent simplifiée dans les débats actuels. On croit que nous devons aider systématiquement les personnes en fin d'évolution de leur maladie qui demandent à mourir. Nous allons en effet aider ces personnes, mais nous n'opterons pas nécessairement pour la seringue de barbituriques. Il faut essayer d'analyser la demande. Très souvent, ce sont des personnes qui souffrent. Il y a d'abord une souffrance physique importante, intolérable. Augmenter les calmants est pour moi le devoir du médecin. Je ne peux pas comprendre que la souffrance représente un quelconque bien pour l'individu. Je crois d'ailleurs que même les personnes les plus religieuses remettent ces idées de « bonne souffrance » en question. Il peut aussi s'agir d'une souffrance morale. La personne se sent dégradée aux yeux de l'époux ou des enfants, etc. Il est possible de soulager cette souffrance en améliorant certains éléments. Parfois, c'est l'environnement que le patient ne supporte plus. Il y a peut-être moyen de faire quelque chose, de transférer la personne dans une autre chambre, dans un autre service. Vous seriez étonnés de voir les solutions que l'on peut parfois apporter, en préconisant notamment la combinaison de divers éléments comme rapprocher la famille, installer un poste de télévision. Cela peut paraître ridicule, mais les chambres d'hôpital ou de soins intensifs ne sont pas nécessairement équipées d'une télévision, simplement parce que l'on n'a jamais pensé que cela pourrait apporter quelque chose à la personne. Sans vouloir entrer dans tous ces petits détails, il existe toute une série d'éléments auxquels il faut pouvoir penser. Il ne s'agit donc pas d'accepter ipso facto de donner les médicaments qui vont endormir cette personne.
Néanmoins, si on en arrive malgré tout à avoir considéré ces éléments, à avoir tout fait pour cette personne et si la souffrance physique et morale devient tout à fait inacceptable, alors je pense qu'il faut aider cette personne à mourir.
L'exemple qui vient à l'esprit est la personne quadriplégique qui ne peut plus commettre le suicide. Croyez bien d'abord qu'il y a très peu de quadriplégiques qui demandent réellement que l'on mettre fin à leurs jours. Il s'agit souvent de demandes ambiguës. « Qu'est-ce que je fais ici, tout ça n'a plus de sens ». Ce ne sont pas nécessairement des personnes qui vont apprécier que vous arriviez avec la seringue en question, pour parler de manière symbolique. Même dans ce cas, l'approche doit être plus fouillée.
Il peut cependant arriver que l'on décide à un certain moment d'aider cette personne à mourir pour respecter les principes de bénéficience et de non-malfaisance ainsi que celui d'autonomie puisque c'est le malade qui le demande.
M. Philippe Mahoux. Nous ne dirons pas que nous discutons entre médecins, sinon on va imaginer qu'une commission du Sénat est une commission de médecins. Il est clair que la première chose à faire est de continuer à développer les possibilités et les moyens de soigner.
Dans beaucoup d'hôpitaux peut-être pas dans le vôtre , les choses sont en train de changer. En réalité, l'acharnement thérapeutique ne coûte pas. L'acharnement thérapeutique, ce sont des recettes à la fois pour l'hôpital et pour les praticiens. Il faut donc pouvoir distinguer une situation qui est la nôtre maintenant d'une situation qui est assez différente aux États-Unis où les soins de santé sont régis à la fois par des compagnies d'assurances, par des hôpitaux, généralement par les gens qui paient les primes d'assurance, c'est-à-dire les gens qui ont un emploi, ou les employeurs.
En réalité, la dérive de type économique est une dérive extrêmement précise parce qu'aux États-Unis, c'est l'acharnement thérapeutique qui coûte. On ne se trouve pas dans ce type de situation en Belgique, même si par rapport à l'acharnement thérapeutique, je m'inscris dans les propos que vous venez de tenir. Je voulais savoir ce que vous en pensez, même s'il arrive des moments, particulièrement dans votre service de soins intensifs à Érasme, où le problème de lits se pose. Mais prenons le problème pour l'ensemble du pays et représentons-nous les choses de cette manière-là.
Vous avez dit que vous n'aviez jamais commis de meurtre. J'en ai la conviction. Mais je ne vais pas parler de votre pratique ni de la mienne. Sortons de cette pratique. Sur le plan éthique, il est clair que vous n'avez jamais commis de meurtre. Sur le plan juridique, ce n'est pas clair. Dans l'état actuel de la situation, ce que vous dites, qui est vrai sur le plan éthique, n'est pas vrai sur le plan juridique. La preuve en est que, tout récemment, dans des circonstances précises qui méritent des clarifications à Liège, le parquet a cru bon de faire état du contenu du dossier , je constate que des médecins ont été inculpés et j'ai la conviction qu'ils ont agi dans le même esprit et dans une situation identique à celle qu'on peut connaître au cours d'une vie médicale parce qu'ils ont pratiqué, dans une volonté humaniste, des gestes qui entraînent, de la part du parquet, l'inculpation de meurtre.
Nous avons la conviction qu'il ne s'agit pas de meurtres mais dans l'état actuel de la législation, c'est bien de cela qu'il s'agit. C'est précisément ce qui justifie une proposition de loi. Qu'en pensez-vous ?
J'ai été particulièrement frappé par les remarques que vous avez faites en ce qui concerne les dossiers médicaux et la procédure. Dans un service comme le vôtre, on constitue des dossiers médicaux. Ceux-ci sont même complétés non pas au jour le jour, mais quasiment d'heure en heure et en tout cas, certainement quatre fois par jour. Dans d'autres services, on remplit quotidiennement des dossiers médicaux. Il faut en effet colliger l'état du malade, les démarches thérapeutiques et même les contacts qui ont été pris. J'aimerais savoir si vos dossiers reprennent l'ensemble de la procédure que vous décrivez.
Par ailleurs, vous avez écrit un article dans le « Critical Care Medecine » du 27 juillet 1999 dans lequel vous faites état de 504 questionnaires complétés par des médecins provenant de 16 pays d'Europe de l'Ouest et qui nous concernent donc. Je constate que l'on évoque l'arrêt thérapeutique chez des patients en situation désespérée. Vous avez d'ailleurs très justement évoqué le problème des malades branchés à un respirateur.
Vous faites état de 77 % de médecins qui arrêtent les traitements chez les patients dont la situation est qualifiée de désespérée; 47 % administrent à ces patients des doses élevées de drogues jusqu'à leur décès. Entendez-vous par là « jusqu'à ce que mort s'ensuive » ?
Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il s'agit d'une nuance utilisée par ceux qui ne souhaitent pas la clarification. Cependant, en administrant des drogues, l'intention est toujours de soulager le malade, y compris comme vous l'avez dit, « quand la mort est la meilleure solution pour lui », pour autant, bien sûr, qu'il en ait exprimé la volonté. Dans votre enquête, vous interrogez également les médecins sur leurs opinions philosophiques; il en ressort que 38 % seraient catholiques et 45 % agnostiques. J'aimerais avoir des précisions sur le contenu de votre article.
M. J.-L. Vincent. En ce qui concerne l'acharnement thérapeutique, il peut parfois si je puis m'exprimer en termes un peu grossiers « rapporter » à l'institution. Cela nous entraîne effectivement sur le terrain difficile du budget des hôpitaux. Bien sûr, on ne peut pas obliger un médecin à arrêter un traitement s'il estime que celui-ci ne correspond pas à un acharnement thérapeutique. Personne ne proposera d'ailleurs une loi dans ce sens. Il existe bien sûr des possibilités d'appel, en consultation, de transferts de malades mais il s'agit là de questions relativement rares qui sortent sans doute du cadre de notre débat.
Je n'aurais pas vu d'inconvénients à m'exprimer sur ce qui s'est passé à Liège si ce n'est le fait que j'ai été nommé expert pour cette affaire. Je ne puis donc vous fournir les nombreux éléments en ma possession.
M. Philippe Mahoux. Vous dites n'avoir jamais eu le sentiment de commettre un meurtre mais dans l'état actuel de la législation, c'est bien de cela qu'il s'agit.
M. J.-L. Vincent. Sachez, M. Mahoux, que j'aurais voulu m'exprimer davantage à propos de cette affaire. J'aurai sans doute l'occasion de le faire un jour mais pas dans l'immédiat. Je n'essaie donc absolument pas d'esquiver ce problème.
Je réitère mes objections à propos des connotations administratives. Dans mon service, nous complétons en effet très régulièrement des dossiers et nous ne voyons aucun problème à consigner ce que nous faisons. Nous ne donnons peut-être pas de détails précis car ils ne présentent guère d'intérêt mais nous indiquons par exemple que, compte tenu de différents éléments, nous entrons dans l'acharnement thérapeutique. Lorsque les souffrances du patient deviennent intolérables et que nous estimons que notre traitement n'a plus aucun sens, nous décidons en notre âme et conscience d'un arrêt thérapeutique. Maintenant que le débat est ouvert, je pense que ce serait une bonne chose que la loi puisse protéger davantage ces attitudes; il faudrait cependant éviter de devoir remplir d'autres documents qui ne seraient plus seulement versés au dossier médical mais envoyés à l'un ou l'autre ministère.
M. le président. Au parquet.
M. J.-L. Vincent. Permettez-moi de vous dire qu'aux Pays-Bas, plus de la moitié des médecins ne remplissent pas ces documents.
Mes collègues « intensivistes » préfèrent, pour leur part, ne pas remplir ces documents. Pourquoi le faire, d'ailleurs ? Il faut que la fin de vie demeure humaine et naturelle car nous mourrons tous un jour. Les chiffres nous indiquent que le moment venu, un médecin va probablement intervenir pour nous aider à le faire. Pourquoi dès lors devrions-nous remplir des documents et les envoyer à un procureur ? Nous avons sciemment évité le terme d'euthanasie car il implique, en principe, qu'il y ait demande expresse de la personne alors que dans la plupart des cas, cette demande n'est pas clairement exprimée, la personne étant alors le plus souvent inconsciente.
Effectivement, nous avons posé la question de l'augmentation des calmants jusqu'au décès, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Vous pouvez considérer que 50 % des médecins ont répondu positivement à cette question. Juste avant, vous avez mentionné que 77 % admettent l'arrêt thérapeutique. On pourrait même se demander pourquoi cette proportion n'est que de 77 %. C'est une question qui m'est souvent posée quand je présente des exposés à des auditoires scientifiques.
Il est vrai que des gens hésitent encore probablement à cocher cette case. Le pourcentage devrait en effet s'élever à 100 %. Nous sommes effectivement amenés, pour certains malades, à pratiquer l'arrêt thérapeutique. Et cette situation existe partout.
M. Philippe Mahoux. Le même article signale que 80 % des médecins souhaiteraient pouvoir bénéficier d'un ordre écrit, mais pas nécessairement une déclaration anticipée, concernant la non-réanimation en cas d'arrêt cardiaque d'un patient en situation désespérée. C'est vous qui avez écrit cet article. Cela mériterait quand même une précision. Cela veut bien dire qu'une déclaration anticipée du malade aide le médecin. En tout cas, c'est souhaité par 80 % des médecins interrogés lors de votre enquête. Cela correspond-il à la réalité ?
M. J.-L. Vincent. Parfaitement, M. Mahoux. D'ailleurs, je ne renie en rien cet article. Je pense qu'effectivement, il faut essayer d'aider les médecins. Je viens vous demander de les aider, ainsi que les « intensivistes » et ceux qui sont confrontés à des malades en fin de vie.
Le but n'est pas d'augmenter les procédures administratives mais de comprendre la situation et de faire en sorte que la loi colle le plus possible à la situation telle qu'elle est. Dans ce contexte, il faut reconnaître que beaucoup de médecins ont peur d'écrire dans les dossiers « À ne pas réanimer en cas d'arrêt cardiaque ». Comme vous l'avez lu dans l'article, c'est surtout le cas dans les pays d'influence plus religieuse, comme le Portugal, l'Espagne, l'Italie ou la Grèce. C'est dans ces pays que les médecins éprouvent le plus de difficultés à écrire cette mention. C'est très dommage. Il n'y a pas si longtemps, je parlais encore avec un médecin d'une institution très catholique. Il me disais qu'il applique les ordres en Belgique, NTBR (« Not to be resuscited ») et DNR (« Do not resuscitate ») dans la littérature internationale mais il ne souhaite pas que cela se sache. Dans son service, on colle donc une petite pastille rouge sur le coin de la feuille de lit. De cette manière, les infirmières et les médecins savent qu'en cas d'arrêt cardiaque, on ne peut pas réanimer. Cela montre bien l'hypocrisie du système : on le fait mais on ne le dit pas. Chez nous, la mention NTBR est indiquée clairement dans le dossier, au tableau, sur la feuille de lit. Les gens sont effectivement informés de cela parce qu'il n'y a rien à cacher. Cette pratique est tout à fait valable sur le plan éthique et moral. Si nous n'appliquions pas ces règles, nous ne ferions pas bien notre métier.
M. Jean-François Istasse. Vous venez de dire que vous souhaitiez une loi qui vous laisse travailler et qui évite que des poursuites pénales intempestives n'entravent votre travail. En fonction de votre énorme pouvoir et du caractère impressionnant, pour les patients, des machines des services de soins intensifs, ne pensez-vous pas que les procédures a posteriori que nous prévoyons dans notre proposition de loi ont aussi pour but de protéger le patient ? Ne devez-vous pas aussi prendre en compte cette donnée ?
M. J.-L. Vincent. Tout à fait. Un contrôle de la société est nécessaire. Je ne veux pas que le système judiciaire s'effondre. Il est clair que les abus éventuels doivent être sanctionnés. Un contrôle a posteriori doit donc être possible.
Madame Mia De Schamphelaere. L'exposé était très intéressant parce qu'il portait sur l'expérience pratique dans les services de soins intensifs. Le professeur Vincent part de quatre principes de la déontologie médicale. Nous remarquons une méfiance dans la société vis-à-vis des soins de santé et du corps médical. Les gens veulent avoir la garantie qu'ils ne devront pas souffrir. La déontologie médicale en tient apparemment compte. Mais beaucoup de décisions sont possibles. Une déontologie médicale universelle avec une codification internationale n'appartient-elle pas aux possibilités ?
Pourquoi le corps médical a-t-il tellement attendu pour donner à la population une meilleure compréhension de la déontologie médicale qu'il applique ?
Le corps médical est de plus en plus souvent confronté à des questions sur la fin de la vie. Vous parlez de la fin de la vie à juste titre. Vous estimez qu'« incurable » n'est pas un bon critère à insérer dans la loi et qu'il ne faut pas répondre par la mort à chaque demande d'euthanasie. Pourquoi la société ne comprend-elle pas que les gens ne doivent pas souffrir ?
La méfiance de la société existe. Vous décrivez les décisions médicales en fin de la vie la mort accompagnée médicalement, les traitements analgésiques, le débranchement des appareils, la diminution progressive de la thérapie, etc. et vous placez l'euthanasie active sur le même plan. Cela crée la méfiance en donnant l'impression que les médecins sont maîtres de la mort. J'entendais encore la semaine dernière un spécialiste des soins intensifs affirmer que tout n'est pas prévisible et contrôlable. La médecine n'est pas une science positive. Que faites-vous du cas d'un patient en stade terminal qui est placé en soins intensifs, chez lequel on décide de débrancher le respirateur et qui recommence à respirer ensuite ? Poursuivez-vous votre décision médicale ou décidez-vous d'accompagner médicalement le patient ? Par cette question, j'entends expliquer la distinction entre l'euthanasie active et l'euthanasie passive sous accompagnement médical.
M. le président. Je vous signale qu'un très grand nombre de questions est encore prévu. Je ne veux brimer personne. Chacun pourra poser ses questions. Je vous demanderai de résumer vos réponses et vos questions. Si vous ne le faites pas, nous allons très largement déborder.
M. Alain Zenner. Nous avions décidé, lors de la dernière séance, d'effectuer un tour de questions. Ou bien nous respectons cette décision, ou bien vous devez veiller à ce que chaque intervenant obtienne un temps de parole identique.
M. le président. C'est ce que j'ai l'intention de faire. J'attire simplement votre attention sur le fait que nous allons très largement déborder. Mais je suis prêt à laisser à chacun l'occasion de s'exprimer comme il l'entend.
M. J.-L. Vincent. La déontologie universelle est peut-être difficile à appliquer. Je voyage beaucoup et je connais la situation en Inde, au Moyen-Orient ou au Japon. Je sais donc qu'il est difficile d'établir une déontologie universelle. Au niveau mondial, il est d'ailleurs ardu d'obtenir des textes qui ne soient pas fades. Chacun aborde donc le problème avec sa propre philosophie de la vie, en étant éventuellement influencé par des facteurs religieux. L'enquête européenne l'a démontré. Il est important que chacun puisse prendre position dans ce débat et que les opinions de tous puissent être respectées. Ceci est évidemment vrai pour les malades qui sont en traitement chez nous.
Vous me demandez pourquoi le corps médical n'en a pas parlé davantage. Personnellement, je n'ai jamais hésité à évoquer cette problématique quand on me l'a demandé. On en parle beaucoup à des meetings de réanimation. La presse nous interroge parfois.
Encore une fois, nous n'avons rien à cacher mais il nous est difficile de solliciter les médias pour demander que quelque chose soit fait.
D'autant que nous avons peut-être eu l'impression que, parce que nous faisions le bien, nous ne pouvions pas être « attaqués » en justice.
Certains événements récents nous amènent à réfléchir à ce sujet.
C'est la société qui a changé. Je ne suis pas très vieux mais je ne suis pas très jeune non plus. Quand j'étais jeune médecin, les décisions de ce genre étaient entièrement médicales. Les infirmiers et infirmières n'étaient pas du tout impliqués. Ils ne savaient pas ce qui se passait. À cette époque, j'ai vu que l'on administrait à des malades profondément sédatés du chlorure de potassium afin d'arrêter leur coeur. Sur le plan éthique, ce n'est pas indéfendable si la personne est bien sédatée et ne sent rien. Une fois qu'il a été décidé de tout arrêter et de favoriser le processus de mort, on provoque simplement une arythmie. Pourquoi pas ? Mais si, aujourd'hui, on venait affirmer devant la société que l'on a injecté du chlorure de potassium, les gens risqueraient d'être scandalisés, parce qu'ils sont mal préparés et mal informés. Tandis que, quand on parle de calmants, ils acceptent mieux la situation. Mais les effets ne sont pas pour autant différents. Le corps médical lui-même a donc dû changer. Il est bien qu'on limite un peu le paternalisme car le médecin n'est pas maître de la vie et de la mort de chacun. Néanmoins, il est responsable de son traitement et de l'arrêt de celui-ci. In fine, le médecin sera donc responsable de ses décisions. Je défends l'idée suivant laquelle nous devons aboutir à un consensus d'opinion mais pas à une unanimité ou à une série de signatures au bas d'un document. Il faut que nous puissions en parler et aboutir à un consensus au sein de l'équipe soignante qui doit supporter cette décision. Que l'on se comprenne bien, je ne veux pas dire que l'on doit signer un document. Il s'agirait d'une procédure qui risquerait de ralentir les choses et de les rendre plus difficiles. Faire intervenir un comité d'éthique serait une idée extrêmement mauvaise. Je vous assure que les gens auraient alors beaucoup de mal à mourir et, malheureusement, on devrait prolonger l'agonie de trop de personnes.
Vous avez demandé s'il existait un certain absolu. Non, il n'y en a pas et c'est bien pour cela qu'il tellement difficile de tout mettre sur papier, d'encoder tous les éléments dans un ordinateur et d'obtenir ainsi une réponse tout à fait claire. C'est aussi pour cela que le testament de vie et l'opinion du malade, de la famille et des collègues doivent être pris en compte. C'est un grand mélange dans lequel il est difficile de préciser exactement la quantité de chaque ingrédient. Il est difficile d'avoir des règles strictes dans cette matière.
Vous dites que, dans certains cas, lorsqu'on arrête un respirateur, la personne peut continuer à respirer. Je vous répondrai que cela n'arrive pas car nous prenons suffisamment de précautions. Nous nous assurons que, quand nous prenons cette décision, la personne n'a aucune chance de recouvrer la vie. Je n'ai pas connu de patients qui, malgré la décision de l'arrêt thérapeutique, reprennent une existence satisfaisante. C'est une chose à laquelle nous n'assistons jamais.
Mme Myriam Vanlerberghe. La réglementation légale que vous défendez doit permettre aux médecins de statuer sur ce qu'il est permis de faire compte tenu de leur propre éthique. Dans la législation, nous voulions donner au patient un rôle plus central. J'ai l'impression que vous doutez que ce soit possible. Vous demandez la dépénalisation pour les médecins mais sans procédure de contrôle, sans règles parce qu'elles sont difficiles à définir. Il me semble difficile d'adopter une loi à laquelle aucune règle ou procédure ne peut être attachée. Que faut-il inclure concrètement dans une loi, hormis la dépénalisation ?
La notion de phase terminale est selon vous difficile à définir. Une définition doit-elle figurer dans la loi ? Interprétez-vous la notion de situation de détresse dans un sens plus large que la phase terminale ? Cela veut-il dire que le médecin détermine lui-même ce qu'il faut entendre par là ?
M. J.-L. Vincent. En ce qui concerne l'opinion du patient, qui est un élément fondamental, la plupart des personnes ne sont plus tout à fait conscientes ni capables de s'exprimer à la fin de leur vie. Elles peuvent êtres confuses, désorientées ou comateuses. Se limiter aux malades parfaitement conscients consiste à appréhender un très faible pourcentage de l'énorme problématique de la fin de vie. On a beaucoup parlé des opinions explicitées préalablement sous forme d'un testament de vie. Sur ce point, je réponds que l'opinion des proches est aussi très importante pour nous. Quand je parle de proches, il ne s'agit pas toujours de la famille : le malade peut avoir des enfants qui vivent à l'étranger et être séparé de son épouse depuis un certain temps. C'est donc parfois le voisin, celui avec qui il joue aux cartes ou qu'il rencontre tous les jours dans son home ou sur un banc qui pourra exprimer son opinion. Je préfère d'ailleurs parler des proches, et cette notion doit être prise en compte.
Comment résoudre cet aspect des choses sur le plan juridique ? Je ne suis pas juriste et je ne vous présenterai donc pas de solution. En tant qu'expert, j'essaie de vous rapporter, de la manière la plus sincère et la plus réaliste possible, comment nous vivons les choses et les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Je vous demande aussi de nous aider. Mais, en tout cas, ce n'est pas en ajoutant une procédure administrative que vous nous aiderez. Au contraire, vous allez rendre notre vie plus compliquée qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Vous avez raison, Madame. Vous rejoignez d'ailleurs ce que j'ai dit tout à l'heure. Je suis désolé de devoir dire que les textes que j'ai lus jusqu'à présent ne peuvent pas appréhender cette réalité. Si je pouvais trouver les termes, je n'hésiterais pas à vous les soumettre. Parler de maladie « incurable » n'est pas vraiment adéquat. Par ailleurs, qu'entend-on exactement par « phase terminale » ? Si ce genre de définition était plus facile à établir, je pense que les discussions seraient moins longues qu'elles le sont aujourd'hui. C'est sur ce point que la problématique se pose : les éléments à prendre en compte sont tellement nombreux qu'il est malheureusement difficile de tout mettre dans un système logique. Je ne puis introduire tous les éléments dans un ordinateur et en sortir des définitions. Nous menons actuellement des discussions au niveau international et nous ne sommes jamais réellement parvenus à élaborer un texte qui pourrait être proposé aux instances législatives des différents pays. Il faut tenir compte de la gravité de la maladie, de l'état de santé de base, de l'âge de la personne, d'un handicap éventuel, d'une maladie chronique pour laquelle plus aucun traitement ne peut être proposé, du traitement qui pourrait être proposé à la personne mais qui pourrait aussi être très toxique pour elle ... Tous ces éléments sont strictement médicaux. Mais il y a aussi l'opinion de la personne qui doit être prise en compte. Je place cette opinion en deuxième lieu parce que, si les éléments médicaux sont absents, quoi que dise la personne, le traitement sera poursuivi aussi longtemps que la possibilité subsiste pour le malade de recouvrer une qualité de vie satisfaisante.
Les opinions du patient, et éventuellement des proches si celui-ci ne peut plus s'exprimer, seront rapportées par les membres de l'équipe soignante. À ce stade, il s'agit déjà de toute une série d'éléments et je crains qu'il soit extrêmement difficile de mettre tout cela sur papier de manière cohérente sans en arriver à une série de signatures en bas de page. Ce n'est pas cela que nous voulons.
Mme Clotilde Nyssens. Je poserai trois questions. Vous avez beaucoup parlé de vos connaissances internationales et de vos rendez-vous dans des associations de médecins. Quels sont les effets sur la société dans les pays où une législation existe déjà en la matière ? Je pense à certains pays des États-Unis, à l'Oregon et à quelques pays où l'on fait des testaments de vie. Dans ces associations, a-t-on évalué les effets de ces lois sur les quatre principes que vous avez développés ? A-t-on évalué les effets des testaments de vie ou éventuellement de législations relatives au suicide médicalement assisté ?
Deuxième question : vous avez parlé de sélection des malades et du principe de justice distributive. Dans vos institutions, êtes-vous amené à faire des sélections parmi vos malades en soins intensifs ? Comment cette sélection est-elle pratiquée ?
Troisième question : vous avez parlé du consensus. Si j'ai bien compris, tout se passe bien tant qu'il y a consensus des intervenants.
Est-il nécessaire de codifier des pratiques collégiales dans un code de déontologie ou dans un texte ayant valeur d'arrêté ou de loi pour tâcher de valoriser ce consensus ?
Enfin, vous dites que la distinction entre patient conscient et patient inconscient est difficile à faire. De quel patient doit-on alors parler ?
Si les mots « conscient » et « inconscient » ne conviennent pas, quelles catégories peut-on envisager, étant donné que vous avez dit que la plupart des cas difficiles concernaient des patients inconscients et que la législation éventuelle n'apporterait une solution qu'à une très petite partie du problème ?
M. J.-L. Vincent. En ce qui concerne les différences au niveau international, dans beaucoup de pays on n'ose pas en parler. C'est ce que j'apprécie dans le débat actuel : on a l'occasion de s'exprimer à ce sujet et de faire passer une information auprès de ceux qui nous dirigent et du public. C'est bien. Il y a trop de pays dans lesquels le sujet est tabou.
Excepté la situation des Northern Territories en Australie qui était assez transitoire bien que mon ami Ficher d'Australie me disait encore récemment que cette situation a permis aux familles de s'exprimer comme c'est le cas aujourd'hui en Belgique , le cas de l'Oregon concerne une toute petite franche de la population puisque, de nouveau, c'est de l'assistance au suicide. Cela ne concerne pas énormément de gens et ne fera pas progresser la situation.
En ce qui concerne la justice distributive, n'allons pas trop loin non plus. Je n'ai pas dit qu'à l'hôpital Erasme, on faisait des choix parce qu'on avait besoin de lits, ce n'est pas de cette manière que cela se passe. Mais, effectivement, quand la famille n'a pas fait son deuil et qu'on a l'impression qu'il serait brutal d'augmenter rapidement les calmants, on peut se poser la question de savoir si on dispose encore d'autres lits pour accueillir des patients devant bénéficier de soins intensifs. Si c'est le cas, ce sont des fins de vie qui pourront prendre un peu plus de temps.
La décision elle-même ne sera pas influencée par cette situation et il me paraît important de souligner ce point mais le temps que l'on mettra pour tout arrêter pourra être fonction du besoin de places dans un service. Ce sont des situations tout à fait exceptionnelles, mais le principe de justice distributive est un principe auquel on ne peut pas se soustraire. Lorsque les hôpitaux sont entièrement remplis, que les unités de soins intensifs sont tout à fait pleines partout et qu'on entend qu'un accident grave vient de se passer à côté, nous devons essayer de trouver des hôpitaux qui peuvent encore accepter ces malades et nous sommes obligés de faire face à des difficultés très importantes. La décision d'arrêt thérapeutique ne sera pas influencée par cela mais une fois que la décision est prise, certains arrêts thérapeutiques pourront parfois intervenir plus rapidement en cas de manque aigu de ressources à apporter à la population. Ce sont heureusement des cas tout à fait exceptionnels dans notre pays.
M. Paul Galand. Vous avez dit que les décisions de fin de vie sont discutées ouvertement dans votre équipe. Quelles sont les conditions qui favorisent cette situation qui ne se passe pas toujours aussi bien dans d'autres équipes ? Par ailleurs, quelle est l'importance du facteur temps pour que cette concertation puisse avoir lieu ?
Vous avez aussi montré qu'aux Pays-Bas, beaucoup plus de décisions étaient discutées avec le patient que dans les autres pays. Quel est le facteur qui a favorisé cette situation ?
En ce qui concerne les services de soins intensifs, faudrait-il être plus strict au niveau des conditions d'agrément ?
Pensez-vous qu'il faudrait augmenter le nombre de lits dans ces services et dans quelle mesure ? Nous discutons en parallèle au Sénat du rapport Peers et des suites à donner pour garantir l'accessibilité des soins à tous les citoyens; a priori, ce n'est pas acquis si on ne prend pas une décision politique en la matière.
Existe-t-il une trace écrite de la discussion qui a eu lieu au sujet de l'équilibre à établir entre les quatre principes éthiques dont vous avez parlé ?
Enfin, vous avez parlé de redéfinir la mort. Pouvez-vous aider le législateur dans cette définition, peut-être pas immédiatement, mais en apportant une contribution ultérieure ? Comme vous nous avez demandé notre aide par ailleurs, il s'agirait d'une sorte de réciprocité.
M. J.-L. Vincent. Le début de cette intervention se rapproche d'une question posée précédemment et à laquelle je n'ai pas répondu, à savoir la valorisation du processus collégial.
Je pense qu'il faut valoriser ce processus de discussion mais sans l'officialiser afin de ne pas retomber dans les procédures administratives. De plus, bien que travaillant dans une grande équipe, je sais évidemment ce qui se passe dans les plus petits hôpitaux ou en dehors des hôpitaux. Dans ce cas, le médecin généraliste est seul avec son malade et, personnellement, je ne crois pas qu'un médecin généraliste doive faire appel à un deuxième médecin ou à une autre personne s'il estime, à domicile ou dans un home, que la personne arrive en fin de vie et que poursuivre un traitement serait illusoire.
Je vous en prie, je crois qu'il ne faut pas l'officialiser mais il faut effectivement l'encourager. Tout ce que l'on peut faire, c'est l'encourager et dire que, dans la mesure du possible, il faut que d'autres personnes puissent participer à ce processus décisionnel même si c'est le médecin qui en est responsable en dernier ressort. C'est effectivement à ce niveau que s'inscrit cette concertation qui doit être privilégiée. Cela fait d'ailleurs partie d'une meilleure formation des médecins et des infirmières. Quand j'enseigne aux infirmiers et infirmières, je passe beaucoup de temps à leur en parler et à susciter des réflexions dans leur chef.
Vous avez demandé comment cela se passe réellement, comment on soulève cette question. Elle peut être soulevée par n'importe quel membre de l'équipe. Le plus jeune étudiant peut demander de manière candide si nous sommes sûrs de ne pas faire de l'acharnement thérapeutique. Chacun a le droit de poser la question, on lui répondra et on examinera ensemble le pour et le contre, on décidera ensemble de poursuivre ou non le traitement.
C'est souvent l'infirmier ou l'infirmière qui pose la question et qui nous demande si nous ne sommes pas en train de nous acharner. Ce n'est pas seulement le cas en Belgique, c'est vrai dans tous les pays. C'est souvent le personnel infirmier qui a beaucoup de bon sens, beaucoup de sens humain et qui passe beaucoup de temps avec le malade, qui se demande si ce que l'on fait à un sens. Nous devons parfois avoir de longues discussions la question de la disponibilité a d'ailleurs été posée quitte à les postposer si on n'a pas le temps immédiatement. Mais, de toute façon, nous aurons cette discussion avec l'équipe et chacun pourra exprimer son opinion.
Il faut prendre le temps. Il n'est pas question d'éviter les questions. Ce sont des questions fondamentales à aborder au même titre que des éléments plus strictement médicaux comme l'évolution de la pneumonie ou le taux de sodium dans le sang.
Vous avez parlé de trace écrite. Effectivement, je crois que cela doit figurer dans le dossier. Cela fait partie de la déontologie médicale d'écrire non seulement les aspects médicaux mais aussi les aspects relationnels avec la famille et, par conséquent, indiquer dans le dossier ce que le patient a dit, ce qu'il a décidé.
Pour citer le cas de l'hôpital Erasme, nous avons décidé d'ajouter des pages bien individualisées dans le dossier où l'on écrit ce que le patient désire et l'opinion que lui ou les proches ont exprimée. Tout cela doit faire partie du dossier.
La question du nombre de lits sort peut-être quelque peu du débat. Je le répète, ces décisions ne sont pas prises pour répondre à un problème de lits. Ce n'est pas ainsi qu'il faut voir les choses.
Je pense néanmoins que la question doit être posée à ceux qui subsidient les hôpitaux. Le citoyen doit également être informé. Si l'on ne consacre pas suffisamment d'argent à la médecine moderne, nous serons de plus en plus confrontés à ces problèmes. Une équipe de télévision anglaise est venue m'interviewer, il y a un mois, afin de connaître mon sentiment sur le système de soins de santé en Angleterre.
Les ressources du « Health Care System » ou « National Health System » sont effectivement très limitées, avec les problèmes que cela implique. La presse a dévoilé clairement des cas de décès dus au manque de places dans les services de soins intensifs. Pourquoi devrait-on cacher cela ? Le pays doit savoir à quoi sert son argent et dans quelles conditions nous pouvons exercer notre métier. Il faut effectivement des ressources suffisantes pour pouvoir apporter une aide au patient.
On m'a demandé de définir la mort, ce qui est beaucoup plus facile. Selon moi, une personne n'est plus en vie si elle a perdu définitivement ses capacités cognitives, relationnelles, si elle n'a plus de contact avec le monde extérieur, qu'elle soit en coma ou en état végétatif, et que cet état est qualifié de permanent, qu'il n'existe aucune possibilité de recouvrer une vie relationnelle. C'est quoi la vie ?
Ce n'est pas seulement un coeur qui bat ou des poumons qui respirent. La vie, c'est ce qu'on peut appréhender de ce qui nous entoure; c'est la relation avec le monde extérieur. Sans cette relation, il n'y a plus vraiment de vie. Les textes de loi reconnaissent déjà la mort cérébrale. On a donc admis que cette attitude n'est pas folle, loin s'en faut. Mais je pense que si même tous les critères de mort cérébrale ne sont pas réunis, la société pourrait décider que la perte définitive de toute fonction relationnelle correspond à la mort. C'est ce que je proposerais.
M. Philippe Monfils. Monsieur le professeur, beaucoup de choses ont été dites, évidemment. Vous nous avez livré des éléments extrêmement intéressants, surtout pour les non-médecins je suis juriste. Toutefois, vous apportez des réponses médicales à un problème qui, à l'origine, était philosophique, éthique et par conséquent politique. En effet, tous les auteurs des propositions de loi sont partis d'une certaine conception de l'autonomie individuelle je ne tiens pas à ouvrir le débat philosophique sur cette question et se sont demandés dans quelle mesure il faut respecter la décision d'une personne qui veut, en quelque sorte, avoir autorité sur sa propre vie et sa propre mort.
Il ne faudrait pas que ce débat dévie uniquement vers l'aspect médical et que nous nous bornions à élaborer quelques définitions proposées par les médecins sur, par exemple, l'acharnement thérapeutique. Ce n'est pas fondamentalement là que réside le problème, mais plutôt dans la question de savoir comment nous devons permettre à une personne d'exercer librement son sentiment en fin de vie.
Manifestement, Monsieur le professeur, vous n'aimez pas les définitions. Vous estimez que la notion de maladie incurable est difficile à définir, que celle de conscient et d'inconscient l'est aussi vous avez parlé de situation crépusculaire. Vous n'aimez pas la notion d'euthanasie, et vous n'avez d'ailleurs pas tort de dire qu'elle est utilisée en dépit du bon sens. Mais si nous revenons au comité et à la définition de l'éthique, vous n'êtes pas plus intéressé. Finalement, vous ne reprenez comme éléments d'une éventuelle modification législative que la nécessité de repréciser davantage la notion d'acharnement thérapeutique, mais nous ne sommes pas là pour ça cette définition appartient, me semble-t-il, à l'Ordre des Médecins et le besoin de souligner l'état de nécessité.
Je me pose dès lors la question de savoir ce que cela change par rapport à la loi actuelle. Celle-ci prévoit une interdiction pure et simple de pratiquer l'euthanasie ou de mettre fin à la vie du patient avant son terme naturel.
Qu'est-ce que cela change par rapport à la situation actuelle ? Trouvez-vous cette dernière satisfaisante ? Estimez-vous judicieux de laisser à un juge le soin de déterminer s'il y a ou non état de nécessité ? C'est là que réside fondamentalement la raison pour laquelle les six auteurs ne veulent pas de cette notion unique d'état de nécessité, car c'est une notion jurisprudentielle; elle n'est pas légale. N'importe quel juge peut dire que la notion d'état de nécessité n'était pas présente. Cela nous renvoie à ce qui s'est passé à Liège ou du moins à ce que nous en savons et il n'est pas question de vous interroger là-dessus. Dans l'autre système, fondamentalement celui de notre procédure, à partir du moment où le prescrit de la loi a été respecté, il n'y a pas de poursuite, en quelque sorte. Il y aura toujours une très grande inconnue. A fortiori si d'autres inculpations devaient être prononcées, quel médecin osera-t-il encore s'engager dans cette voie ? Ne risque-t-on pas de créer l'effet inverse et de voir les médecins refuser de poser un acte susceptible de provoquer leur inculpation ou leur incarcération ?
En outre, ne voyez-vous pas une certaine différence entre l'expérience hollandaise actuelle qui démontre une diminution du nombre de cas d'euthanasie sans demande du patient, par rapport à l'enquête menée en Flandre qui démontre l'inverse, c'est-à-dire que les actes d'euthanasie sont souvent pratiqués sans demande du patient ? On a cité le chiffre épouvantable de mille cas d'euthanasie, sans la moindre demande.
Ma question est la suivante : que voulez-vous en disant « Aidez-nous » ? En répondant par avance aux limites dans lesquelles vous enfermez le législateur, vous ne faites pas avancer la réflexion puisque nous parlons toujours de cette notion d'état de nécessité, de l'acharnement thérapeutique, avec quelques excuses et c'est tout.
Par ailleurs, s'il faut se garder de simplifier, c'est également vrai pour le monde médical. À propos du testament de vie, vous nous dites que rien ne vaut tout de même les contacts avec la famille, les amis, etc. Croyez-vous, monsieur le professeur, qu'un contact avec la famille vaut parfois mieux qu'une manifestation exprimée par le patient deux ou trois ans avant qu'il ne sombre dans l'inconscience ? Une fois de plus, on veut déifier la famille. Il est pourtant connu et les avocats le savent très bien que les familles connaissent parfois de « légers » problèmes, notamment successoraux. Il ne faudrait pas tout simplifier et prétendre qu'un tour d'horizon auprès des amis, des copains, du cafetier et de la famille est plus éclairant qu'un testament de vie.
Une personne peut avoir exprimé sa volonté clairement six mois, un an, deux ans avant, en donnant son sentiment général ou même en désignant un mandataire élément que l'on a négligé dans la proposition de loi pour parler en son nom. N'est-ce pas plus important de parler avec un mandataire désigné par l'intéressé plutôt que de courir un peu partout pour savoir de quoi il est question ?
Par ailleurs, vous avez parlé de la nécessité d'un consensus au sein de l'équipe soignante. Mais vous soulignez aussi, et vous avez raison, que le médecin prend ses responsabilités. Que se passe-t-il en l'absence de consensus ? Assiste-t-on à des ruptures ? Quelle est votre expérience ? Que se passe-t-il lorsque l'équipe soignante estime qu'il faut continuer et que le médecin n'est pas d'accord ? Et dans le cas inverse ? Dans la situation actuelle, alors que l'interdiction de tuer subsiste dans le Code pénal, ne risque-t-on pas d'aboutir à des drames ?
Enfin, mais vous avez répondu partiellement, est-ce que vraiment l'infirmière, l'infirmière adjointe ou l'infirmière stagiaire est armée pour donné un avis, en âme et conscience, sur la vie ou la mort d'un patient ? Là encore, il faudra simplifier. J'ai aussi vécu des expériences quand des personnes de ma famille étaient en soins intensifs. Je peux vous dire que là aussi, il n'y a pas toujours une profonde appréciation de l'état de santé du patient et que parfois, on s'illusionne fort sur la situation de certaines personnes faisant partie de l'équipe-charnière. Voilà quelques éléments que je vous demande d'éclaircir pour que le débat puisse se poursuivre dans de bonnes conditions.
M. J.-L. Vincent. Je m'inscris en tout cas en faux contre le premier argument qui consiste à dire que nous ne nous occupons que des aspects strictement médicaux et pas beaucoup de la personne humaine. Il est évident que, quand nous prenons des malades en charge, nous les considérons évidemment comme des individus et que les aspects psychologiques et moraux sont aussi importants que les aspects purement physiques. J'aime rappeler à mes étudiants que le but de la médecine est de défendre la santé. Or, la santé, c'est le bien-être physique et moral des individus et il ne s'agit pas de dissocier l'un de l'autre. La vie et les opinions des gens sont évidemment fondamentalement importantes.
En ce qui concerne la situation actuelle, comme vous, Monsieur Monfils, je suis évidemment peut-être plus encore perturbé par le fait que c'est un juge qui peut décider étant donné le vide juridique existant. Quand je dit « aidez-nous », j'espère que les mêmes juristes pourront effectivement, eu égard à tous les éléments exposés pendant ces débats, présenter quelque chose qui puisse raisonnablement être appliqué. On me dit parfois : « Qu'est-ce que cela pourrait te faire s'il existait vraiment une loi permettant à celui qui en fait la demande répétée, etc. de pouvoir effectivement bénéficier de « l'euthanasie », puisque c'est le terme qui est utilisé ? » Je crois que cela ne concerne qu'une infime minorité de personnes, pour lesquelles il y a encore souvent d'autres possibilités pouvant être prises en considération. Ensuite, je crains qu'en officialisant une forme de réponse à cette petite minorité de cas, on ne risque, en fait, de compliquer davantage les autres problèmes et situations. Vous l'avez dit vous-même, Monsieur Monfils, en soulignant qu'il y a beaucoup d'arrêts thérapeutiques sur des personnes inconscientes. Mais justement, je crains qu'à un certain moment on ne dise alors : » Vous sortez ici du cadre de la loi et n'avez pas affaire à quelqu'un de conscient qui a signé tous les documents. » On se trouvera à ce moment-là dans une situation plus difficile parce qu'on sera confronté, non seulement à un juge qui décide mais aussi qui dira qu'on n'est pas dans la procédure fixée par loi, ce qui est encore plus répréhensible que ce qui pourrait, aujourd'hui, être considéré comme étant répréhensible.
Voilà ce que je crains. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de demande du patient et donc pas de demande exprimée dans ce contexte.
Testaments de vie, proches, mandataires, etc. tout cela illustre bien à quel point il est difficile, justement, d'avoir des règles strictes. C'est vrai que la famille n'est pas un bloc, ce n'est pas une personne. Mais c'est vrai aussi que le testament de vie est quelque chose d'assez court. Pour moi, s'il devait être un tant soit peu complet, le testament de vie devrait être un texte de quatre pages. Et encore, ce texte de quatre pages risque de ne pas prendre en compte tous les éléments.
Je voudrais raconter une petite histoire. Nous avons eu le cas d'une personne qui, à la suite d'un accident, est arrivée chez nous définitivement tétraplégique. Elle était inconsciente, au respirateur, et la famille est venue nous dire que la personne avait toujours dit qu'elle ne le voulait pas. Effectivement, qui voudrait vivre tétraplégique ? A priori, on a envie de dire : « Non, je ne pourrais pas vivre paralysé, dans un lit. » Nous avons effectivement envisagé l'arrêt thérapeutique à ce moment-là mais nous nous sommes dit que cette personne pourrait finalement reprendre conscience et exprimer son opinion. Et donc, nous avons poursuivi le traitement et la personne n'a pas exprimé à ce moment-là d'envie suicidaire. Cet exemple pour vous dire que, même quand on dit qu'on ne pourrait vivre paralysé, quand on se trouve dans cette situation, parfois on change d'avis parce que, finalement, on n'a qu'une vie et, en général, on y tient.
Je ne pense pas que le testament de vie soit la solution qui puisse répondre à toutes ces questions, pas plus que la famille et même le mandataire.
Dans la plupart des cas, la famille est concernée et a envie de défendre au mieux les intérêts du patient. Je sais que l'on parle toujours d'héritages, de dissensions et de disputes mais j'ai confiance dans l'homme et, généralement, la famille est aux côtés du malade dans ces situations difficiles. À propos de la famille, on peut affiner les questions posées. Notamment, on peut se demander si le patient avait évoqué la possibilité de recourir à un respirateur dans cette situation. Vous pouvez ainsi obtenir plus d'informations que dans un simple document signé. Il y a plus dans plusieurs têtes que dans une. Je ne sais pas s'il faut donner tant de pouvoirs à la seule personne du mandataire attitré qui pourrait aller jusqu'à demander l'arrêt thérapeutique.
Vous m'avez interrogé sur la manière d'agir en l'absence de consensus. Notez que je n'utilise pas le terme « unanimité ». Quand on a l'impression qu'un consensus existe à propos d'une décision, on l'applique. Mais, s'il n'y a aucun consensus et si de nombreuses dissensions existent réellement, il faut attendre, reposer la question, reconsidérer les éléments et rediscuter le lendemain. Mais il faut aussi éviter de brusquer les choses, dans l'intérêt du malade mais aussi dans celui des membres de l'équipe soignante qui ne doivent en aucune façon rentrer chez eux en se posant des questions éthiques fondamentales et en se demandant si, en décidant l'arrêt thérapeutique, on a pris la bonne décision.
Vous avez parlé de la jeune infirmière. Je crois que le débat est suffisamment ouvert pour que chacun puisse exprimer une opinion.
L'infirmière jeune et l'étudiant en médecine doivent être confrontés à ces questions parce que, dans leurs carrières ultérieures, ils y seront confrontés ipso facto. Cela doit donc faire partie de leur formation. Toutes les infirmières, tous les médecins, tous les kinésithérapeutes vous diront que ces éléments-là ne sont actuellement pas assez développés dans le cursus de leurs formations. En tant qu'enseignants, nous devons y être particulièrement attentifs. Ce n'est évidemment pas l'élève-infirmière qui va décider puisque la décision ultime est médicale : le médecin en aura la responsabilité.
M. Philippe Monfils. Connaissez-vous l'avis rendu récemment par le Comité d'éthique français qui a estimé que l'euthanasie pouvait être décidée sous certaines conditions ? À la suite de cet avis, on a annoncé l'ouverture probable d'un débat au Parlement français.
M. J.-L. Vincent. La situation française est comparable à celle qui existe dans notre pays. C'est important d'en parler comme dans d'autres pays européens et c'est très bien ainsi. Ne croyez pas que je pense que vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas et que vous devriez laisser faire les médecins. Au contraire, il faut en parler et il faut essayer de trouver ensemble des solutions permettant de faire avancer les choses dans des situations de fin de vie extrêmement complexes. Toute simplification est mauvaise.
M. Alain Zenner. Je vous remercie pour votre exposé remarquable et pour vos réponses plus éclairantes encore. Vous avez parlé avec une très grande franchise et une ouverture d'esprit et de coeur. Tout le monde a pu les apprécier. Cela témoigne de la nécessité du débat que vous appelez de vos voeux. Ce débat est non seulement utile par son apport pédagogique ou social, mais aussi pour nous éclairer sur les difficultés de notre tâche.
À l'issue de votre intervention, j'ai été frappé par le fait que vous n'avez pas utilisé le mot « euthanasie » et qu'en outre, vous n'en avez pas parlé, du moins au sens des six propositions de loi. Vous n'avez pas évoqué la demande du patient, si ce n'est tout à fait incidemment pour parler du testament de vie. Par la suite, je crois avoir compris davantage votre position. Mais je voudrais être sûr d'avoir bien compris.
Si vous faites une distinction entre l'assistance au suicide et l'intervention médicale en fin de vie, vous n'en faites pas entre ce que l'on appelle communément euthanasie active et euthanasie passive. Vous considérez que c'est la déontologie médicale qui doit primer, que la demande du patient peut l'aider à prendre sa décision mais n'est pas décisive et ne constitue qu'un élément parmi d'autres. Je crois avoir compris que le patient n'a pas droit ipso facto à voir sa demande entendue si vous estimez que les conditions d'une interruption volontaire de vie ne sont pas réunies. Je voudrais m'assurer d'avoir bien compris votre intervention.
Une difficulté se pose quand vous dites, d'une part, qu'il faut légiférer et, d'autre part, que vous n'êtes pas en mesure de nous apporter des éléments plus concrets pour orienter la réflexion. Je comprends bien votre souci de veiller à ce qu'une législation ne complique pas encore la situation et ne porte pas atteinte à la liberté du médecin ou de l'équipe soignante telle qu'elle existe aujourd'hui.
Par ailleurs, il y a aux Pays-Bas une réglementation qui n'est pas une législation. C'est une réglementation prétorienne et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. J.-L. Vincent. On a assez bien parlé de l'avis du patient. Je pense avoir dit expressément que celui-ci ne pouvait s'entendre en noir et blanc et qu'il y avait de nombreuses nuances. Beaucoup de personnes qui demandent l'euthanasie au sens strict risquent de demander encore un peu de temps de réflexion à l'approche de la seringue ou de la perfusion. Les opinions des gens sont heureusement plus subtiles que cela et il faut analyser les demandes. Finalement, ce n'est que dans une très faible minorité des cas que les demandes d'euthanasie aboutissent réellement à la situation où aucune autre option n'est possible.
L'autonomie doit être respectée. Si l'on vous propose une opération, vous devez pouvoir quitter le bureau du chirurgien en l'ayant refusée. De même, un malade doit avoir la possibilité de refuser un traitement anticancéreux, même si mort s'ensuit. Si vous avez un accident de la circulation qui est modéré et ne voulez pas être soigné à la suite du traumatisme encouru, bien souvent, nous appliquerons quand même le traitement si ce traumatisme n'altère pas définitivement toutes les fonctions cérébrales. Vous pourriez en effet revoir votre opinion par la suite et reconnaître qu'il aurait été ridicule de ne pas l'accepter.
L'expression « demande réitérée » est extrêmement dangereuse, car nous devons souvent agir rapidement. Dans ces conditions, nous aurons dans beaucoup de cas plus de difficultés à arrêter le traitement.
Je n'ai pas parlé de la distinction entre euthanasie active et passive parce que j'ai essayé d'éviter le mot euthanasie. De plus, cette distinction est dépassée car l'euthanasie passive, c'est l'arrêt thérapeutique, l'arrêt du respirateur, de la dialyse; l'euthanasie active, c'est l'administration de médicaments en plus grande quantité. Bien souvent, on utilise les deux en même temps et il est inutile de faire un clivage entre ces deux notions. C'est une distinction qui, dans la pratique, ne tient pas vraiment. Je pense qu'il faut abandonner ces concepts devenus anciens.
M. le président. Vous n'avez pas parlé de l'aspect prétorien de l'expérience néerlandaise.
M. J.-L. Vincent. Il est vrai qu'aux Pays-Bas, on discute davantage de ces questions qu'en Belgique. Je ne suis toutefois pas certain que ce qui se passe réellement dans les services de soins intensifs et les hôpitaux des Pays-Bas soit globalement très différent de ce qui se passe chez nous. Il est exact qu'un débat de société a permis aux citoyens d'en parler plus largement. Je ne pense pas qu'il y ait un risque accru par rapport à la Belgique et qu'ils se soient engagés sur une pente particulièrement glissante.
M. Zenner. J'ai dit qu'il y avait aux Pays-Bas une réglementation non pas légale mais prétorienne. Une réglementation de ce type vous satisferait-elle ?
M. J.-L. Vincent. C'est l'aspect administratif qui rebute. Nous tenons à ce que la mort reste un phénomène tout à fait naturel et que l'on ne doive pas remplir des documents pour permettre à la personne de mourir. Comme vous le savez, la majorité des médecins néerlandais ne remplissent pas ces documents. Cela dit, le principe tel que proposé aux Pays-Bas ne nous pose pas de problème.
M. Didier Ramoudt. Dans son exposé, le docteur Vincent disait que le personnel infirmier était plus proche du patient que le médecin. Par ailleurs, il a déclaré que le médecin décide de l'euthanasie. Le commentaire des infirmiers peut-il avoir une influence sur la décision du médecin ? Inversement, le médecin s'informe-t-il auprès du personnel infirmier de l'état du patient et demande-t-il son opinion ? Le médecin qui est au courant de l'état du patient peut-il donner l'ordre par téléphone au personnel infirmier dans la dernière phase décisive ?
Lorsqu'on l'on envisage une augmentation de la dose, de morphine par exemple, cette morphine devra provenir de l'officine hospitalière. Un stock de ces produits existe-t-il dans le service de soins intensifs ? Le cas échéant, le personnel soignant se substitue-t-il au pharmacien hospitalier ? Qui exerce une surveillance ? Sous quelle responsabilité ces produits sont-ils placés ?
M. J.-L. Vincent. J'ai l'impression, en vous écoutant, que vous voulez nous faire passer pour des coupables ou pour des gens qui ne font pas les choses comme il convient. J'ai pourtant essayé d'expliquer clairement que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour soigner les patients le mieux possible et pour leur apporter le maximum de bien-être, car c'est là notre rôle de médecin. Le médecin passe d'un lit à l'autre. Les médecins sont moins nombreux que les infirmières et ils doivent s'occuper du traitement de bon nombre de patients mais cela ne signifie pas pour autant que chaque patient individuellement ne compte pas énormément pour eux. Il est évident que le médecin doit prendre tous les éléments en compte avant d'en arriver à sa décision. Peut-on le faire par téléphone ? Je ne sais pas s'il s'agit d'une question piège ... Si le médecin a préalablement examiné son malade il le connaît bien et si l'infirmière l'appelle pour lui faire part d'un élément neuf la tension baisse, le coeur s'arrête ... et pour lui demander ce qu'il faut faire, il peut très bien lui répondre par téléphone qu'on ne fait plus rien. Les informations peuvent être communiquées par téléphone tout à fait valablement. Mais il est clair que les décisions ne sont jamais prises à la légère. Si c'est l'inverse que vous voulez me faire dire, la réponse est évidemment négative.
Ces décisions sont extrêmement importantes et tous les éléments doivent être pris en compte.
Quant au stock de médicaments, je vous ai expliqué que nous ne faisions rien de mal et que nous n'avons rien à cacher. Tout à coup, on a l'impression qu'il faut aller chercher des ampoules de morphine la nuit et les cacher pour pouvoir administrer la morphine aux patients.
Nous essayons de faire notre métier convenablement, nous essayons que les gens ne souffrent pas et cela demande parfois des doses importantes de morphine. Nous ne voulons pas cacher quoi que ce soit. Nous agissons en notre âme et conscience. Il faut simplement qu'il y ait un stock suffisant de morphine dans les pharmacies des services de soins intensifs. C'est nécessaire pour soigner les malades.
M. Mohamed Daïf. Je poserai deux questions brèves. Monsieur le professeur, vous nous avez dit ne pas consulter les familles, dans la plupart des cas. Je souhaiterais vous demander pourquoi, surtout compte tenu du pourcentage élevé de cas que vous avez cités 80 %.
Quant à l'euthanasie passive et active, je comprends qu'au niveau médical, cela ne fasse pas de différence. J'estime que sur les plans philosophique et psychologique néanmoins, la différence est grande. Selon moi, il faudrait dialoguer avec la famille.
Vous avez peu évoqué les soins palliatifs. Je voudrais vous demander s'ils ne peuvent être envisagés dans certains cas, pour ces patients, même si c'est coûteux. Dans l'affirmative, comment les envisagez-vous ?
M. J.-L. Vincent. Je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas informer la famille et les proches de la situation. L'information est très importante mais il ne faudrait pas en arriver à ce que la décision incombe à la famille. Le médecin ne peut reculer devant ses responsabilités. La responsabilité est médicale et la décision ultime aussi. Il ne faut pas la rejeter sur les épaules de la famille. Ces personnes n'ont pas la formation et l'expérience suffisantes pour appréhender tous les éléments médicaux. Je suis favorable à l'information il n'y a rien à cacher sans heurter les gens pour autant et sans leur faire croire qu'ils doivent prendre la décision.
Vous avez raison de souligner que psychologiquement, la désescalade thérapeutique withdrawing est plus difficile que la non-escalade withholding. En effet, on se demande pourquoi agir à un moment déterminé et non une heure ou un jour plus tard, puisque les choses peuvent continuer ... Les médecins doivent donc être bien formés sur le plan éthique et savoir que ces décisions doivent être prises dans un certain pourcentage de cas, lorsque le traitement n'a plus de sens. Faute de quoi, on aboutirait à l'acharnement thérapeutique et à postposer éternellement la décision. Ce serait catastrophique. Vous seriez confronté à un médecin qui vous dirait toujours qu'on ne sait jamais et qu'il faut attendre. C'est une situation négative. Si les éléments indiquent que le traitement n'a plus de sens, il faut l'arrêter.
Je pense qu'il faut développer les soins palliatifs mais ces derniers ne sont pas pour autant la solution à nos problèmes. Je n'aime guère les soins palliatifs individualisés en tant que tels. Je préfère l'idée de soins continus. Je n'aime pas voir les patients transférés d'un service de soins ordinaire vers un service de soins palliatifs pour y être pris en charge par des médecins spécialistes en soins palliatifs. Certains parlent même de thanatologues, des spécialistes de la fin de la vie, des spécialistes de la mort.
M. le président. C'est un mouroir selon vous ?
M. J.-L. Vincent. Oui, un tel service pourrait finalement devenir un mouroir, et le terme n'est pas plus beau. Je pense que la personne qui arrive en fin d'évolution de sa maladie a le droit d'être toujours suivie par le même médecin, par le pneumologue qui l'a suivie pour son traitement des poumons, par exemple ... C'est le même médecin qui doit pouvoir prendre cette personne en charge de manière continue. La femme qui souffre d'un cancer évolutif des ovaires a le droit de continuer à être suivie par le même cancérologue, dans le même service qu'elle connaît et par l'équipe soignante qu'elle connaît. Il faut donc améliorer la formation des médecins et de l'équipe soignante. Il y a certainement beaucoup à faire dans ce domaine. Je ne dis pas qu'il faut supprimer les soins palliatifs. Je pense qu'il faut les développer mais il ne faut pas les voir comme la solution au problème. Il ne faut pas exagérer et croire que tout irait mieux s'ils étaient développés davantage. Il faut promouvoir les soins continus car il n'y a pas nécessairement une grande cassure entre le cure and care.
Quand on traite un malade, le care est déjà important à ce moment-là. C'est cure plus care versus cure only ! Il est très important de toujours assurer le bien-être du malade. Ce n'est pas l'apanage des soins palliatifs que d'assurer ce bien-être. Tous les médecins, toutes les équipes soignantes doivent le prendre en compte. Il y a simplement un moment où l'on est amené à se dire qu'il n'y a plus grand-chose à proposer sur le plan curatif. Il ne s'agit pas non plus, dans tous les cas, de tout ou rien. Parfois, on essaie encore l'un ou l'autre traitement, tout en sachant que si la situation se dégrade, on augmentera les calmants plutôt que d'entreprendre encore un nouveau traitement. Les choses ne sont pas à voir en noir et blanc ... Il y a beaucoup de nuances de gris, entre les soins curatifs et les soins palliatifs.
M. Jacques Santkin. Monsieur le professeur, je salue en vous un éminent praticien qui, j'en suis convaincu, fait usage dans son vécu quotidien de toute sa science, dans le respect des principes éthiques de mise en cette matière.
J'ai été frappé par un certain nombre de phrases chocs que vous avez utilisées tout au long de votre exposé. L'une m'a particulièrement frappé : vous dites qu'il faut rendre confiance au médecin pour qu'il puisse agir en âme et conscience. Je transcris quasiment mot à mot ce que vous avez exprimé. En quelque sorte, vous nous dites : « aidez-nous ! » À notre tour, nous vous disons : « Aidez-nous aussi à y voir clair », c'est à cela que doivent servir les auditions de ce type. Mais j'avoue que jusqu'à présent mais peut-être n'ai-je pas été suffisamment attentif je reste un peu sur ma faim car je ne parviens pas encore à définir précisément ce que vous attendez de nous.
Je vous ai aussi entendu exprimer certaines réticences à l'égard de définitions, en particulier et je vous rejoins sur ce point de définitions hâtives qui ne collent pas aux réalités ou qui ne couvrent en tout cas pas l'entièreté des difficultés. Dans cette matière, je crois que les membres de l'Académie mettraient encore plus de temps pour se mettre d'accord sur les termes à utiliser pour définir une notion qu'il ne le prennent parfois pour élaborer une autre définition. Mais nous, nous voulons avancer, vous l'avez compris. Or, il est une définition sur laquelle je voudrais avoir votre appréciation. Vous avez dit que vous n'aimiez pas le terme « euthanasie » et que vous préfériez la notion de fin de vie. Mais la fin de vie recouvre d'autres éléments que l'euthanasie. Vous le savez fort bien et ce n'est pas notre propos aujourd'hui. Nous nous sommes mis d'accord sur une définition qui nous a été fournie par le Comité consultatif de bioéthique. J'aimerais donc que vous nous disiez en quelques mots si oui ou non vous considérez que cette définition, car il en faut une, peut être retenue en fonction de nos objectifs.
Autre phrase clé : vous avez également dit que le médecin décidait du moment exact du décès. Nous ne le contestons pas. Nous disons que c'est le médecin qui doit prendre ce type de décision même si un intervenant à cette tribune a exprimé un point de vue un peu différent. Mais ce n'était pas un médecin, il appartenait à une autre spécialité. Vous savez, professeur, que dans le texte des six auteurs, on insiste beaucoup sur la relation entre le patient et son médecin. Je sais à travers ma toute petite expérience, que beaucoup de personnes du royaume de Belgique se sont plaintes du fait que les médecins accordaient très peu de temps au patient, en tout cas pour dialoguer avec eux. Arrivés à ce stade, cela nous paraît vraiment important. Bien sûr, vous allez me rappeler que dans 85 % des cas environ, les gens ne sont plus capables de dialoguer. Je peux comprendre qu'arrivé à un certain stade, il en soit ainsi. Mais pendant le temps qui précède ce stade, avez-vous le temps de dialoguer véritablement avec les patients ? Cela me paraît essentiel, en particulier dans le type de législation que nous amenons ici. J'aurais pu encore exprimer d'autres questions. D'autres intervenants ont mis l'accent sur d'autres points. Mais ce que je ne perçois pas bien, c'est ce que vous et vos nombreux collègues attendez concrètement de nous, législateur, en la matière.
M. J.-L. Vincent. J'essaie, Monsieur Santkin, de la manière la plus honnête et la plus ouverte possible, de vous décrire la situation et de la placer dans le contexte de l'éthique. Encore une fois, vous ne pouvez pas me demander de faire preuve de connaissances de juriste que je n'ai pas. Je suis prêt à poursuivre le dialogue avec ceux dont c'est le métier et la compétence particulière.
Je pense effectivement que les médecins ne sont pas confiants. Je crois que cela doit être souligné mais chacun le comprend bien. C'est pour cela qu'il faut rendre confiance aux médecins. Qu'ils sachent que lorsqu'ils agissent en leur âme et conscience, en accord avec les principes éthiques, ils ne devraient pas être poursuivis. Je pense que cet élément est extrêmement important.
L'Académie de médecine m'a invité à lui parler du problème pour essayer de clarifier un peu les termes, les situations. On ira un peu plus dans les détails concernant les différentes situations que l'on peut rencontrer en fin de vie.
Vous avez insisté sur le sous-groupe très particulier de personnes parfaitement conscientes qui demandent que l'on mette fin à leur vie.
Si quelqu'un de parfaitement conscient dans cette salle me demandait de l'aider à mourir, il est clair que je répondrais non quelle que soit cette personne. Vous me direz que personne dans cette salle n'est en phase terminale d'une maladie. C'est vrai, mais il faut essayer de définir cette situation. C'est alors que l'on est confronté à la difficulté de mettre cela noir sur blanc. Certains malades restent en phase terminale pendant quelques jours, pendant quelques heures.
Ce sont les principes éthiques que l'on a énoncés qui doivent être pris en compte. Je pense notamment à la souffrance. Pour moi, personne ne doit souffrir. C'est le genre d'élément qui doit être écrit, qui doit apparaître quelque part. C'est le devoir moral du médecin d'aider son malade, de lui apporter le plus de bien-être possible et parfois, c'est la mort qui représente la solution la plus raisonnable et la plus souhaitable pour la personne. L'adage qui dit que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, n'est plus de mise. Quant à défendre la vie à tout prix, même les plus religieux ne peuvent plus défendre ce principe. Des notions de qualité de vie doivent être prises en compte et nous les prenons en compte, dans notre hôpital comme dans d'autres. C'est cela, la médecine moderne. J'ai essayé de vous décrire le mieux possible la situation liée à l'évolution de la médecine. Mais ce n'est pas mon projet de loi. Je suis bien incapable d'en élaborer un moi-même. Je suis cependant tout prêt à poursuivre le dialogue avec tous ceux qui sont intéressés par la question.
M. René Thissen. Je crois que le grand intérêt de l'audition que nous venons d'avoir, c'est justement d'indiquer que les questions sont énormes. Même si nous sortons de cette réunion en ayant moins de balises pour légiférer, je crois que les bonnes questions ont été posées. La diversité des questions, des termes à utiliser ainsi que des situations devant lesquelles on se trouve fait que la réflexion doit encore être poursuivie. Je m'en réjouis d'autant plus que les auditions décidées par la commission ont vraiment apporté un éclairage nouveau sur notre réflexion.
Je ne reviendrai par sur les nombreuses questions qui ont été posées. Vous avez déjà apporté une réponse à certaines que je souhaitais vous poser. Toutefois, il en est une sur laquelle j'aimerais avoir quelques précisions.
On a parlé de l'administration, et je crois qu'on a bien compris qu'il fallait éviter d'engluer la problématique dans l'administration et dans la paperasse, que ce soit a priori ou a posteriori. Une question vous a été posée tout à l'heure sur le contrôle a posteriori. Vos avez dit qu'il fallait que le contrôle reste possible. C'est évident. Mais dans la proposition déposée par six sénateurs, le contrôle est instauré systématiquement. Les dossiers devront donc être transmis au parquet dans tous les cas. Cela vous paraît-il une solution intéressante, tenable ? Ne pensez-vous pas que ce faisant, on tue une mouche avec un canon étant donné qu'on va créer une grande administration pour des cas litigieux qui pourraient être extrêmement peu nombreux ? N'estimez-vous pas qu'entre le médecin qui a pris la décision et le parquet, il faudrait un intermédiaire, un expert qui serait amené à décider de l'opportunité de transmettre le dossier au parquet ?
M. J.-L. Vincent. Le contrôle doit être possible. Faut-il pour autant envoyer systématiquement les documents ad hoc au procureur ?
Je crois que l'on en arriverait à transmettre une masse de dossiers de patients hospitalisés aux instances judiciaires, ce qui, selon moi, n'a pas beaucoup de sens. Ce que j'évoquais, c'était la possibilité d'un contrôle judiciaire face à d'éventuels abus. Comme dans tous les domaines, je pense qu'il peut y avoir enquête. Faut-il pour autant que tous ces dossiers soient soumis à un expert ? Je ne le pense pas car ce serait alourdir les procédures qui entourent la fin de la vie. À mon sens, le contrôle ne doit intervenir que s'il y a suspicion d'abus; dans le cas contraire, j'estime que chacun a le droit de mourir paisiblement.
Mme de T'Serclaes. Il faudrait clarifier certains éléments de ce débat. En tant qu'intensiviste, vous vous êtes étendu sur les questions d'arrêt de traitement, de débranchement de machines, parfois de refus d'entamer un traitement ou encore d'administration de médicaments pour soulager la douleur. Il s'agit très clairement d'actes médicaux qui sont de la responsabilité des médecins et qui, en aucune manière, n'entrent hic et nunc en conflit avec la loi pénale. Sinon, tout acte chirurgical posé par un médecin tomberait sous la prévention de coups et blessures volontaires. Or, on ne poursuit pas les chirurgiens sauf en cas d'erreur médicale et personne n'a proposé de modifier la loi pénale pour permettre à un chirurgien d'opérer. Quand on parle d'euthanasie, il faut savoir de quoi on parle. Il me semble que la définition du Comité de bioéthique est claire puisqu'elle explique en quoi consiste l'acte d'euthanasie et, a contrario, ce qu'elle n'est pas. Selon le Comité de bioéthique, tous les actes que vous évoquez n'ont rien à voir avec l'euthanasie et ne sont donc pas concernés par ce débat.
D'autre part, vous déclarez qu'il y a lieu de guider le médecin dans sa décision. Qu'entendez-vous par là ? Souhaitez-vous une loi ou estimez-vous que le code de déontologie médicale suffise ? Doit-on s'en tenir à la situation actuelle où le médecin discute avec l'équipe soignante en tenant compte du souhait du patient ? Souhaitez-vous aller plus loin et légiférer aussi dans ce domaine ? J'estime que la loi doit être très claire en la matière. On peut légiférer en matière pénale ou le faire d'une autre manière, par exemple dans le cadre d'une législation sur l'art de guérir ou sur le droit du patient, en mettant des garde-fous pour les décisions médicales en fin de vie qui ne sont pas spécifiquement celles retenues par le Comité de bioéthique. À mon sens, il règne à ce sujet la plus grande confusion.
M. J.-L. Vincent. Je comprends votre désarroi parce qu'effectivement, tous ces éléments sont imbriqués les uns dans les autres. J'ai parlé plusieurs fois avec des membres du Comité de bioéthique pour clarifier les choses mais les situations peuvent être tellement divergentes que cela paraît illusoire. Pour ma part, je ne crois pas du tout que nous nous écartions du sujet. Imaginez le cas d'une personne profondément débilitée sur le plan neurologique, incapable de s'exprimer et dont la famille me dit qu'elle « n'aurait jamais voulu ça » et qu'elle a signé des documents dans ce sens. Que faire dans ces conditions ? Si le malade n'est pas branché à un respirateur, certains pourraient considérer comme un meurtre le fait de lui administrer des médicaments. Nous nous retrouvons au centre des débats que nous menons aujourd'hui. Les mêmes questions pourraient surgir s'il s'agit d'une personne, consciente ou inconsciente, placée sous assistance respiratoire. Mais il est vrai que ce débat présente de multiples facettes et vouloir trancher une situation bien particulière me semble trop arbitraire. Faut-il donc plutôt légiférer dans le domaine de l'art de guérir ? Il s'agit d'une option qui me paraît envisageable et c'est peut-être dans cette direction qu'il faut aller en tenant davantage compte du respect des droits des patients et du droit d'autonomie. Tous ces éléments me semblent positifs et pourraient être favorablement considérés.
M. Jean-Pierre Malmendier. Les débats que nous menons présentent un caractère hautement pédagogique. Personnellement, je me mets à la place du citoyen normal à qui l'on a appris, lorsqu'il était petit, que la vie appartenait à Dieu et qu'il en disposait selon sa bonne volonté.
Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'il n'en n'est pas tout à fait ainsi. Je me demande dès lors à qui notre vie appartient. Est-ce à l'individu qui la possède ? À la collectivité ? À différentes personnes aux stades successifs de leur existence, c'est-à-dire à la personne elle-même tant qu'elle est en pleine possession de ses moyens et à quelqu'un d'autre au moment où ses moyens sont altérés ? Ou en fin de compte à la justice puisqu'en ultime recours, c'est elle qui décide si la responsabilité de la gestion de cette vie a été bien assumée, notamment par un médecin. Il s'agit là d'une question essentielle qui m'interpelle car j'en étais arrivé à considérer que ma vie m'appartenait. Ce n'est, apparemment, pas l'avis de tout le monde. J'aimerais dès lors connaître l'opinion du docteur Vincent qui manipule quotidiennement la vie et la mort.
M. le président. Je crois que votre question est essentielle mais il s'agit d'une question philosophique à laquelle vous obtiendrez la réponse philosophique de quelqu'un qui a une opinion particulière.
M. Jean-Pierre Malmendier. C'est exactement ce qui m'intéresse.
M. J.-L.Vincent. C'est évidemment une question essentielle pour chacun d'entre nous en particulier. La société peut néanmoins tenter de l'aborder. On ne peut pas la passer sous silence. Je crois que la vie appartient avant tout à chaque individu mais la société doit assurer un certain contrôle de l'utilisation que chacun en fait. Prenons un exemple cru. Si nous nous trouvions au huitième étage d'un immeuble et si vous disiez : « Je vais sauter par la fenêtre parce que j'en ai marre de la vie », nous ne vous regarderions pas faire en pensant que c'est votre droit. Non, nous vous en empêcherions en disant : « Est-ce bien raisonnable ? Vous avez probablement de gros problèmes psychiatriques et on va essayer de les traiter au mieux pour vous rendre goût à la vie. » Je crois que nous réagirions tous de cette manière. Dans certaines conditions, l'individu peut avoir droit au suicide mais en ayant pris toute une série d'éléments en compte. C'est aussi une forme de réponse face à la situation de celui qui est conscient et qui demande qu'on l'aide à mourir. Si vous êtes capable de vous suicider vous-même, il est un peu facile de prétendre que le médecin doit vous aider à mourir. La personne qui est parfaitement capable de se suicider ne doit pas demander à quelqu'un d'autre de mettre fin à ses jours. Pour savoir comment faire, il suffit de lire les bouquins relatifs à ce sujet. Il ne faut donc pas demander aux médecins de faire des choses que tout un chacun est capable de faire lui-même. Je pense que la vie nous appartient mais que la société doit assurer un certain contrôle. C'est une notion que l'on peut retrouver dans l'histoire pré-humaine, dans certaines sociétés animales. La nature est ainsi faite. C'est l'expression de notre instinct de conservation grâce auquel nous essayons de préserver notre espèce.
Selon moi, la justice doit se contenter de traiter les abus. Je ne voudrais pas qu'elle joue un rôle excessif. Dans mes exposés, la justice et les médecins se font face. Aux médecins, nous rattachons les notions de bien-être, d'amour, de confort et de bonheur. Quant à la justice, elle parle en termes de pénalités, d'amendes, de prison ou de compensations. Ce sont des vocabulaires différents. Une distinction doit donc être faite. Je crois bien sûr en la justice, mais celle qui se contente de pénaliser les abus. J'espère qu'elle ne va pas outrepasser ce rôle et vouloir influencer le moment de la mort de chacun. Mais, pour cela, il faut que tout le monde essaie d'agir en son âme et conscience, et respecte les règles éthiques fondamentales.
M. Philippe Monfils. Quelle est la question dont vous auriez estimé que la réponse exige le huis-clos ?
M. J.-L. Vincent. C'est une bonne question ... Je m'empresse de dire que toutes les questions étaient très bonnes ! C'est une question qui a été posée au début de la séance. Je vous répondrai que, huis-clos ou pas, cela m'est égal. En effet, nous essayons de bien faire les choses mais, face à ce vide juridique et au pouvoir important des juges, il est toujours possible de se retrouver face à un tribunal alors qu'on a agi en son âme et conscience. C'est cela que nous souhaiterions éviter.
M. Philippe Mahoux. Nous aussi !
M. J.-L. Vincent. Et c'est à cela qu'il nous faut travailler.
M. le président. Je crois que nous devons vraiment vous remercier, Monsieur le professeur.
M. A. Schoonvaere. Nous sommes très conscients de la lourde responsabilité qui incombe à votre commission et je vous remercie d'avoir permis à des praticiens de terrain de venir vous éclairer par rapport à vos propositions de loi.
C'est au titre de directeur du Foyer Saint-François, centre de soins palliatifs à Namur, et au nom de toute mon équipe, que j'ai accepté de venir vous parler.
Comme directeur, je suis en contact quotidien avec les malades et leurs familles, avec les médecins, le personnel soignant et les bénévoles qui les accompagnent. C'est à partir de leur vécu que je parlerai.
Nous vivons une expérience de soins palliatifs depuis 10 ans. Nous y avons rencontré des demandes d'euthanasie que nous ne pouvons ni voulons exclure ou étouffer, notre mission étant par essence d'être à l'écoute de toutes les demandes et questions des patients et de leur entourage. C'est donc en raison même de cette mission que je serai amené à parler aussi de l'euthanasie.
Je vous entretiendrai de deux points importants :
1. Notre pratique de terrain nous autorise à dire que les soins palliatifs constituent la meilleure approche des fins de vie difficiles.
2. Les soins palliatifs sont, dans notre pays, une discipline récente en comparaison d'autres pays, une discipline encore trop peu répandue, trop peu enseignée et évaluée. Il y a nécessité de les promouvoir davantage.
1. Soins palliatifs : la vie accompagnée jusqu'au bout
Le Foyer Saint-François est une structure de soins palliatifs extra-hospitalière créée il y a dix ans et reconnue par les autorités sanitaires du pays depuis le 1er janvier 1995. Il est conçu selon le modèle des maisons de soins palliatifs que l'on trouve en Angleterre, au Canada, en Suisse et en France.
Il accueille des malades cancéreux et d'autres en phase terminale et cela bien entendu, quelles que soient leurs conditions sociales et leurs convictions philosophiques, morales et religieuses. Il prend en charge la phase terminale de la maladie spécialement lorsque la situation du malade devient très lourde sur le plan clinique, ou que l'entourage se trouve particulièrement démuni ou épuisé. Il accueille aussi des patients dont l'environnement familial est inexistant ou grandement perturbé par les circonstances de la vie. Il travaille en étroite collaboration avec les autres structures de soins palliatifs de la région, équipes mobiles de l'hôpital, maisons de repos et de soins, et services de soins à domicile.
Il met en oeuvre des soins palliatifs fondés sur une philosophie qui considère :
que la mort est à la fois une étape naturelle de l'existence humaine et en même temps qu'elle n'est pas « naturelle » au sens où elle est une rupture qui fait souffrir et provoque chez tout homme une sorte de scandale et de révolte (Il n'y a pas de « mort naturelle », disait Simone de Beauvoir);
que la dignité de la personne humaine est fondée sur son existence même en tant que personne;
que le mourant est avant tout un vivant jusqu'au bout.
En conséquence, notre pratique des soins palliatifs vise essentiellement à rejoindre et à promouvoir les droits des patients en tant que personnes humaines engagées dans un réseau de relations :
1. Droit à voir sa douleur soulagée.
2. Droit à être respecté et accompagné jusqu'au bout de sa dignité que rien ni personne ne peut enlever.
3. Droit à vivre la dernière étape de sa vie, porté par la richesse humaine de ses relations avec sa famille, ses proches, les soignants.
Notre pratique vise du même coup à respecter les droits de la famille :
1. Droit à être proche de son malade à tout moment.
2. Droit à être partenaire de soins, si elle le souhaite.
3. Droit à être soutenue et accompagnée en cette étape douloureuse avant le décès, au moment du décès et dans les heures qui suivent, et si elle le souhaite, pendant la période de deuil.
Car pour nous, au Foyer, la mort n'est pas un droit, mais elle nous arrive comme une nécessité inéluctable du fait même de notre existence. Ce qui est un droit, c'est que le patient et ses proches puissent vivre ces moments graves de manière aussi humaine que possible, avec l'aide d'une médecine spécifique qui apaise réellement la douleur, avec le soutien d'une équipe de soignants et de bénévoles qui les entourent d'attentions, d'amitié respectueuse, de compréhension, et il faut oser le mot, d'amour.
À partir de l'expérience de 10 années, au cours desquelles nous avons accompagné 1 200 patients et leurs familles, et à la lumière des expériences beaucoup plus longues des soins palliatifs en Angleterre (30 ans) et en Amérique du Nord (25 ans), je viens simplement et nettement faire un plaidoyer en faveur des soins palliatifs. Et, si je puis parler aussi nettement, c'est parce que je suis habité par la force des très nombreux témoignages des malades et des familles, témoignages qui nous confortent dans une mise en oeuvre toujours plus « pointue » des soins palliatifs.
Le Foyer s'inscrit dans une culture de vie qui se traduit dans toute sa pratique de soins et d'accompagnement concret, au jour le jour. Si vous veniez au Foyer Saint-François (et je remercie spécialement et chaleureusement celles et ceux d'entre vous qui nous ont fait l'honneur de venir voir notre maison) si vous y veniez, disais-je, ou si vous alliez dans une autre unité de soins, vous y verriez :
qu'il est possible dans la très grande majorité des cas de soulager la douleur, les symptômes, les plaies et les complications, ou du moins de les rendre nettement plus supportables;
qu'il est possible de créer un lieu et une atmosphère, où toute parole peut être dite, entendue, et respectée;
qu'il est possible d'accompagner, d'écouter, de réconforter et d'apaiser les souffrants (les malades et leurs proches), de les aider à vivre ce temps avec une réelle qualité de vie, au point qu'il découvrent en eux-mêmes des forces qu'ils ne soupçonnaient pas, et qui les amènent à vivre cette étape de leur vie d'une certaine manière signifiante, revêtue d'une certaine grandeur qui force le respect.
Encore une fois, ceux qui nous le disent et nous le manifestent, ce sont les patients eux-mêmes et leurs familles, à travers leurs récits et leurs courriers. Il s'agit là, non pas seulement de principes, mais des faits vécus dans notre maison et dans d'autres unités de soins palliatifs de notre pays et d'ailleurs.
Il est bon et nécessaire de redire que, dans l'état actuel des connaissances médicales et pharmacologiques, une médication précise, menée avec une attention suivie, et une réelle connaissance des signes de douleur et des antalgiques, permet la suppression ou une très importante diminution de la douleur, et qu'une présence faite d'écoute, d'attention, et de respect parvient à soutenir réellement ceux et celles que la souffrance morale, psychologique, familiale et affective atteint au plus profond d'eux-mêmes.
Bien sûr, nous avons rencontré, dans notre centre, des demandes d'en finir de la part des malades et des familles. Nous y avons beaucoup réfléchi au sein de notre équipe et, dans le vécu de notre expérience, nous avons observé plusieurs choses importantes :
les demandes d'euthanasie sont très rares chez nous; elles émanent davantage des familles que des malades; il faut donc dissocier ces deux types de demande;
les quelques rares demandes émanant des malades comportent une très large part d'ambiguïté : un malade qui fait signe de pointer un revolver sur sa tempe, mais refuse toute médication pour dormir ou désigne au médecin le médicament qui, selon lui, est le plus apte à le guérir; ou cette patiente qui évoque un jour une demande d'euthanasie, mais, quelques heures après, insiste pour que l'on n'oublie pas ses vitamines dans le jus d'orange;
il est donc essentiel, pour être aussi respectueux que possible de la liberté du malade, d'entendre d'abord ses demandes, puis de les décoder, de les décrypter, afin de découvrir ce que le malade veut réellement nous dire;
car, dans la majorité des cas, ces demandes traduisent une douleur mal dominée, le sentiment écrasant et désespérant d'être seul, d'être de trop, de n'être plus digne, de n'être plus aimable et aimé, la peur de la solitude, de mourir seul, abandonné;
il s'agit donc d'entendre derrière l'appel à ne plus vivre, ce qui est, dans la toute grande majorité des cas, un appel à l'aide venant du malade et/ou de sa famille, pour vivre mieux ou moins mal.
Au cours de nos dix années de pratique, nous avons entendu des demandes d'en finir. Nous les avons écoutées et décodées en équipe; et nous y avons répondu par une médication et une écoute réajustée en permanence, et par une attention urgente et de tous les instants.
Tout cela demande un profond investissement dans la durée, dans l'écoute et l'attention de chaque membre de l'équipe, afin de répondre le plus justement possible à cet appel à l'aide.
Et dans tous les cas rencontrés, ces demandes se sont estompées.
Comme le dit Cecily Saunders, la fondatrice des soins palliatifs au St Christopher à Londres, ces demandes nous placent devant un choix : « Exprimer un doute sur la valeur de certaines vies et ainsi renforcer des désespoirs et des désirs de mort, ou affirmer que nous sommes tous ensemble embarqués dans la même aventure, celle de l'existence humaine, et que nous sommes invités à renforcer mutuellement notre désir de vivre et à nous soutenir solidairement dans la traversée des épreuves. » C'est cette dernière option que nous avons choisie et qui anime notre pratique.
À partir de notre expérience concrète de plus de dix ans chez nous, et beaucoup plus longue en Angleterre, États-Unis et Canada, nous pouvons et nous devons dire :
que les soins palliatifs et l'euthanasie ne relèvent pas de la même philosophie et ne peuvent être considérées comme complémentaires;
que l'euthanasie n'est pas pour nous la réponse adéquate à la dignité de la personne humaine dans toutes les dimensions de son être personnel et relationnel;
que notre opposition au projet de loi ne relève nullement d'une valorisation de la douleur et de la souffrance, mais du respect de la dignité de la personne humaine jusqu'au bout de sa vie qui est toujours unique et singulière,
que notre travail premier au Foyer, est donc d'apaiser le plus possible la douleur car elle fait mal et elle fait du mal; et, avec la même attention, nous visons à apaiser autant qu'il est possible, la souffrance morale, sans prétendre y arriver totalement. Nous avons même pu observer chez certains malades, et certains de leurs proches, une évolution qui forçait notre respect et notre admiration, et nous rendait à l'humilité, si nous l'avions perdue. Nous recevons finalement plus que nous ne donnons.
Et dans cette volonté de supprimer toute souffrance extrême par l'euthanasie, une place suffisante est-elle laissée à cette autre forme de souffrance et de détresse : celle de ceux qui restent, qui n'intégreront peut-être jamais cette décision de mort, et qui auront bien du mal à faire leur deuil, et qui risquent même de vivre dans une certaine forme de remords ?
Parce que nous nous voulons aussi humanistes et humanitaires, proches de l'humain, de son histoire, de ses relations, de sa liberté, de sa dignité inaliénable, nous découvrons chaque jour dans notre pratique, que la personne humaine veut, au plus profond d'elle-même, être reconnue comme personne unique, dans son mystère singulier et dans ses relations avec la communauté.
Le mouvement des soins palliatifs s'inscrit dans ce vaste mouvement de solidarité humaine. En ce sens, nous pensons que l'euthanasie n'apporte ni cette reconnaissance, ni cette protection de la personne humaine vivante, ni cette promotion de la relation mais qu'elle apporte en fait sa destruction et qu'elle brise la nécessaire solidarité en liberté où l'homme peut vivre et grandir.
La pratique de l'euthanasie risque d'entamer gravement la confiance entre le médecin et le malade et de provoquer chez ce dernier une lourde inquiétude : « Si je deviens inconscient ou si je suis considéré comme un fardeau, ou si ..., le médecin pourrait provoquer ma mort sans m'expliquer ce qu'il fait réellement, sans me demander mon avis ... ? » Ceci ne relève pas de l'imagination. Les dérives que l'on enregistre en Hollande le prouvent suffisamment.
Il suffit de prendre connaissance des éléments contenus dans le rapport de la Commission Remmelink pour voir que les conditions nécessaires pour ne pas poursuivre un médecin pratiquant une euthanasie, ne sont pas respectées (27 % des médecins n'informent pas le patient, 20 % ne consultent pas un confrère pour apprécier la justesse de la demande, 60 % déclarent faussement l'acte d'euthanasie en déclarant une mort naturelle).
Plus récemment, en septembre dernier, le docteur Ten Have confirmait au 6e congrès de l'association européenne de soins palliatifs à Genève que la majorité des cas d'euthanasie n'étaient pas rapportés et que le développement des soins palliatifs allait provoquer la marginalisation de l'euthanasie.
Dans une conférence à Québec, le professeur Léon Schwarzenberg allait dans le même sens, en déclarant que lorsque les soins palliatifs auront atteint leur développement complet en France, on ne parlera plus d'euthanasie et qu'il arrêterait d'en pratiquer.
L'Association médicale hollandaise a recommandé au gouvernement de ne pas légaliser l'euthanasie en arguant que les médecins étaient fatigués de la pratiquer et qu'ils préféreraient donner mandat à la famille pour exécuter le geste ... ! « Fatigués de pratiquer l'euthanasie » ... « faire porter la charge de ce geste lourd de conséquence à la famille ». Est-ce donc cela la promotion de la personne humaine et de sa liberté, est-ce donc cela la promotion d'une médecine humaine qui se préoccupe aussi de l'entourage du patient ?
Au lieu de légaliser l'euthanasie, ne vaut-il pas mieux favoriser le développement des soins palliatifs et escamoter l'étape que la Hollande a connue en autorisant l'euthanasie pour ensuite opter, dans un deuxième temps, pour le développement des soins palliatifs ? Le Canada l'a bien compris lorsqu'en 1994 et après plus de 14 mois de discussions, le Sénat a refermé le dossier sur l'euthanasie et le suicide assisté.
2. Les soins palliatifs : un mouvement en pleine expansion
Notre pays vient seulement de mettre en place des structures de soins et d'accompagnement des malades en fin de vie et nous comprenons mal cette hâte à vouloir légaliser le droit de donner la mort dans certaines circonstances alors même que ces structures de soins palliatifs donnent des résultats extrêmement positifs et que l'on peut espérer encore bien davantage. La médecine palliative est chez nous une discipline relativement récente et il est important pour tout le monde qu'elle puisse avoir sa place à côté de la médecine préventive et curative.
Mais l'expérience des pays anglo-saxons nous enseigne qu'il faut du temps pour imprégner la société toute entière d'une véritable culture palliative. La médecine palliative a besoin de temps pour devenir une pratique soignante professionnellement rigoureuse. La recherche dans ce domaine devient une réalité :
dans quelques années nous aurons trouvé des molécules pharmacologiques encore plus spécifiques et plus précises pour contrôler les douleurs rebelles;
des recherches sur la qualité des soins palliatifs se développent outre-Atlantique :
· au Québec, les médecins de la Maison Michel Sarrasin ont mis au point, en collaboration avec l'Université Laval, un important programme de recherche sur la prévention et le meilleur contrôle de la confusion en phase terminale, réalité fréquente et combien éprouvante pour les malades et surtout l'entourage;
· aux États-Unis, en France et dans d'autres pays, des procédures de sédation sont étudiées et mises au point pour les cas de douleurs rebelles à tout autre traitement ou de détresses psychologiques extrêmes;
le Collège des Médecins de Famille du Canada rappelait ce mois-ci encore : « Consentir trop facilement aux demandes d'aide à mourir risque d'envoyer un message subtil aux patients. « On est dans l'impossibilité de vous aider parce que je suis incapable de vous aider, malheureusement votre heure de mourir est arrivée. » Il faut résister énergiquement au nihilisme thérapeutique entourant les soins en fin de vie puisqu'il existe de nombreux moyens d'améliorer la qualité des soins en phase terminale. »
C'est aussi l'enseignement qui permettra aux soins palliatifs de se répandre et de devenir de plus en plus accessibles à un nombre toujours plus grand de malades.
Au-delà de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique, une culture palliative apparaît comme l'axe selon lequel une société vraiment humaniste est appelée à se développer. Notre expérience d'accueil des étudiants en médecine (stage facultatif cependant) est une amorce de ce qu'il faudrait offrir aux praticiens de terrain. Un séminaire optionnel et un stage à option en soins palliatifs en fin de doctorat de médecine reste trop marginal.
Aux infirmières et aux soignants, dans les hôpitaux ou ailleurs, il est urgent de proposer plus largement un enseignement sur l'accompagnement des malades et de leurs familles, des stages en unités de soins palliatifs.
Nous nous réjouissons également de tout ce qui se met en place pour la formation continue des médecins et des infirmières, à travers des cours organisés par des institutions d'enseignement post-scolaires, des associations de médecins, et des plates-formes de soins palliatifs.
Enfin, il conviendrait de mettre au point des programmes d'évaluation qualitative et quantitative des pratiques de soins palliatifs sur le terrain des unités, des équipes mobiles de l'hôpital, dans les maisons de repos et au domicile. Cette évaluation va réclamer du temps et des moyens financiers; elle est indispensable pour améliorer l'organisation des différents réseaux de soins palliatifs appelés à se développer, à collaborer, et à travailler leur complémentarité.
Conclusion
Il n'est jamais facile de mourir ou de voir mourir les siens; mais c'est quand « il n'y a plus rien à faire, que tout reste à faire ». Nous croyons que le réseau de relations nouées entre les malades et les familles, les soignants et les bénévoles est le témoignage concret de tout ce qui reste à faire, peut et doit être fait au nom de l'humain. Tout le mouvement, toute la dynamique des soins palliatifs dans le monde s'opposent à l'euthanasie et à sa pratique car ils offrent une méthodologie médicale et humaine qui donne aux malades en phase terminale une réelle qualité de vie au lieu de leur proposer d'abréger leur vie. Si notre société veut améliorer sa solidarité jusque dans l'accompagnement de ses membres en fin de vie, c'est vers une promotion, un développement et une évaluation des soins palliatifs qu'il faut résolument se diriger.
Après toutes ces réalités graves que vous avez bien voulu écouter avec attention, et sans les oublier ni les gommer, je voudrais employer des mots « pastels » comme il y a des couleurs « pastels » pour vous inviter à regarder avec les yeux du coeur quelques brèves images.
Rassurez-vous, elles ne sont ni le produit d'une imagination délirante, ni d'un sentimentalisme à deux sous, mais évocation modeste de réalités maintes fois vécues :
un après-midi, sur la terrasse du Foyer; il fait beau, il y a les arbres, les fleurs; il y a surtout à l'ombre de grands parasols, des malades, les uns peuvent encore se déplacer, d'autres sont venus dans des confortables fauteuils roulants. Avec eux, leurs familles, des amis. Sur les tables, des rafraîchissements. Des morceaux de phrases piquées au passage et qui disent comme un bonheur;
un autre après-midi, un début de soirée, le temps est ce qu'il est, le grand salon a été orné; on fête un anniversaire; ils sont là, 10, 20, 30, autour du malade; il y a le gâteau et de bonnes choses à boire et à manger, il y a des photos de famille où parfois le petit dernier est dans les bras du malade qu'on fête.
Bien sûr, ce n'est pas le tout des soins palliatifs, mais ce sont aussi ces attentions qui rendent possibles, ces joies, ces sourires, ces bonheurs qu'on n'oserait plus qualifier de « petits », car ils ont été gagnés sur la douleur et la souffrance. Comme si la vie, la tendresse, la joie même voulaient encore s'affirmer, même sur le chemin de la mort.
Je vous remercie de m'avoir invité et de votre attention à les écouter, ces malades et leurs familles, qui nous ont fait en grande partie ce que nous sommes.
M. Philippe Monfils. Je voudrais poser quatre questions. Pour vous, les soins palliatifs doivent-ils constituer le préalable à toute réponse à une demande d'euthanasie ? La proposition des six auteurs stipule qu'il faut développer les soins palliatifs, mais propose un choix au patient qui peut demander l'euthanasie, sous certaines conditions ou préférer entrer dans une unité de soins palliatifs.
Ce matin, nous avons entendu le professeur Vincent qui, plutôt que de soins palliatifs, préfère parler de soins continus. Il nous a dit se méfier fortement des soins palliatifs qui sont organisés de manière séparée, dans une structure, et trouverait préférable, pour une personne qui arrive en fin de vie, d'être accompagnée dans son service, éventuellement par des personnes qualifiées en plus grand nombre. Il nous a dit redouter les transferts et a exprimé sa crainte de voir les soins palliatifs devenir synonymes de mouroirs.
Partagez-vous ce point de vue du professeur Vincent ?
Vous nous avez dit que l'on pouvait soulager la douleur dans la très grande majorité des cas. Je suis d'accord avec vous. Toutefois, si la douleur subsiste, vous avez dit qu'il y était répondu par une médication et une écoute réajustées. Qu'est-ce que la médication réajustée ?
Est-ce la sédation contrôlée ? Le cas échéant, faites-vous une différence entre la sédation contrôlée et l'euthanasie ? Un autre intervenant, issu de l'UCL, je crois, nous avait répondu que la sédation contrôlée et l'euthanasie étaient identiques et qu'il serait hypocrite de distinguer les deux.
Enfin, plusieurs intervenants nous ont signalé que, même dans les services de soins palliatifs, en moyenne 2 % d'actes d'euthanasie étaient posés à la demande du patient. Partagez-vous ce point de vue ou niez-vous cet élément statistique ?
M. A. Schoonvaere. Faut-il un passage obligé vers les soins palliatifs avant de proposer une euthanasie ? Je dirai que cela dépend des situations. Même si j'ai un passé hospitalier, je ne parlerai que de l'institution où je travaille. Pas plus tard qu'hier, nous avons eu une demande d'admission pour quelqu'un qui exprimait une demande d'en finir. Je crois qu'il faut bien distinguer ce qu'est la réelle demande d'euthanasie. Le patient peut s'exprimer de différentes manières : « Docteur, je n'ai plus envie de vivre » ou « Laissez-moi mourir » ou « Faites-moi mourir ». Ces notions sont très différentes et quand les phrases sont jetées comme cela à la figure d'un médecin ou d'un soignant, il faut décoder. S'il dit : « Docteur, je veux mourir », le patient ne teste-t-il pas encore le degré de relation qu'il y a entre lui, le médecin, sa famille ou les soignants ? On peut alors constater qu'il ne s'agit pas d'une demande réelle d'euthanasie, mais simplement d'un appel à l'aide, parce qu'on vit mal.
Face à un patient qui exprime cette souffrance difficile, parce qu'il se sent en fin de vie, parce qu'il sent qu'il ne va pas bien, je pense qu'il faut tout mettre en oeuvre, par une médication et un accompagnement heure par heure. C'est d'ailleurs ce qui justifie toute une équipe de soins palliatifs. La demande peut surgir à trois heures du matin, quand l'infirmière se trouve seule avec une aide de soins. Cette demande est relayée par un appel, parfois même en urgence, chez le médecin. Elle est rediscutée le lendemain, avec l'équipe de soins et on s'aperçoit que cette demande s'estompe ou ne se reproduit plus avec la même acuité. Pour moi, il est évident qu'il y a un préalable, en tout cas dans notre institution. Les soins palliatifs sont jusqu'à présent ce que nous avons trouvé de mieux pour répondre à ce que l'on appelle et c'est un concept très important cette douleur totale : physique, morale, psychologique.
J'en viens à votre deuxième question. Vous semblez dire qu'une fois que toutes les possibilités des soins intensifs ont été exploitées, il faut passer la main et confier les patients à un service de soins palliatifs.
M. Philippe Monfils. Le professeur Vincent exprimait son opposition à des soins palliatifs qui seraient une espèce de structure séparée et préférait parler de soins continus. Il souhaitait que le patient en phase terminale reste en soins intensifs et soit accompagné par des soins appropriés. Partagez-vous la conception du professeur Vincent ?
M. A. Schoonvaere. Je ne suis pas d'accord avec le fait qu'il pense que c'est un cloisonnement. L'institution hospitalière se donne des moyens pour mettre en place, dans les grandes centres hospitaliers, une unité résidentielle, une équipe mobile. La culture palliative va passer dans tout l'hôpital. Il est clair que des situations de fin de vie en soins intensifs ... Que faut-il faire quand cliniquement, il n'y a plus rien à faire ? Je pense qu'il y a une famille à accompagner, une famille qui se trouve le plus souvent derrière la porte des soins intensifs.
Dans nos hôpitaux, cet aspect des choses n'est pas encore bien pris en charge. Et c'est là qu'une équipe de première ligne de soins intensifs doit pouvoir être aidée par une équipe mobile. On m'a raconté le cas d'un patient qui était reparti en soins intensifs alors qu'il était dans un processus cancéreux. Sa famille a été entourée par la psychologue de l'équipe mobile. Cette praticienne a pris du temps pour écouter la famille, mais elle a aussi en quelque sorte guidé le médecin dans la décision. Il est difficile de décider, par exemple, dans une unité de soins intensifs, d'arrêter les traitements. Je pense que la culture palliative va guider cette réflexion et encadrer ces pratiques.
Selon moi, il faut faire des choix de niveau de soins. J'ai sous les yeux la position de l'Association gériatrique américaine. La gériatrie implique des soins palliatifs réguliers, qui ne sont peut-être pas intensifs, mais ils sont au coeur de ce débat. Tout d'abord, cette association recommande de faire le choix d'un bon niveau de soins. Qu'est-ce qui est raisonnable ? Qu'est-ce que le patient attend ? Qui répond le mieux à la question ? En ce qui concerne le niveau d'intensité des soins, il faut déterminer, dans la phase critique où l'on est, quels soins l'on va entreprendre. S'agit-il de soins de phase optimale, de phase intermédiaire, de phase palliative ou de soins de phase terminale ? Il est important d'avoir des procédures, des guide lines, comme on dit aux États-Unis, pour encadrer les pratiques.
Les soins de confort constituent la base et on y rajoute des soins de plus en plus aigus. À un moment donné, on est en train d'écrêter la pyramide pour ne garder finalement que des soins de phase terminale : soins d'hygiène, positionnement corporel confortable, soins de bouche, contrôle de l'inconfort et de la douleur et, surtout, support émotionnel.
Un peu plus haut se situent les soins de phase palliative; ils comportent tout ce qui est maintien et restauration de l'intégrité cutanée, de la mobilisation, de la nutrition, de l'hydratation, le contrôle de la douleur, de l'inconfort, des symptômes; ils comportent éventuellement des médicaments ou de la chirurgie.
Si on monte encore plus haut, on retrouve les soins de phase intermédiaire qui sont plus intensifs, en tout cas plus aigus : mesures diagnostiques usuelles, peu invasives, mesures thérapeutiques médicales pour maintenir les capacités fonctionnelles, etc.
Il est donc important d'avoir des soins guidés par des valeurs et une approche multidisciplinaires, parce que ces décisions doivent être prises en équipes multidisciplinaires. En matière de soins de confort et d'alimentation, les infirmières sont les plus expertes pour donner un avis sur la question et le partager avec leurs collègues médecins en vue de prendre des décisions.
Il importe aussi d'avoir une approche palliative et il faut bien entendu former des soignants et aussi éduquer le public.
Cet exemple vous montre qu'on ne peut cloisonner dans un coin une unité ou une équipe mobile. Je crois que la mission d'une culture palliative, c'est de gagner, mais cela ne se fait pas en cinq ans. En moyenne, les équipes de soins palliatifs existent en Belgique depuis cinq ans. En Angleterre, l'expérience porte sur trente ans; en Amérique du Nord, sur 25 ans. Je pense donc que nous devons prendre des leçons dans ces pays; nous devons nous montrer modestes car nous n'en sommes qu'au début.
En ce qui concerne la troisième question, j'ai parlé d'une médication appropriée et d'une écoute réajustée. Le réajustement concerne à la fois la médication et l'écoute. Lorsqu'un patient présente une douleur, c'est un signe d'alerte auquel non seulement le médecin mais aussi l'ensemble de l'équipe doivent être attentifs. Le médecin doit être aussi attentif à ce qu'il met sur sa prescription qu'à la réaction du malade à cette prescription. C'est important car nous ne réagissons pas tous de la même façon à l'aspirine ou à d'autres médicaments.
À mes yeux, il importe d'avoir un retour en permanence et que l'évolution de la douleur soit évaluée très régulièrement, au moyen d'échelles, pour permettre de réajuster les thérapeutiques médicales. J'insiste sur le fait que la situation change d'heure en heure.
C'est pour cette raison que, dans notre établissement, nous donnons une médication antidouleur par pompe, de manière continue. Les infirmières renseignent aussi le médecin et font remarquer par exemple que, pendant la toilette, le patient a donné des signes d'inconfort ou de douleur; il ne l'exprimait pas verbalement mais on pouvait le voir à son expression. Il est important à ce moment que le médecin puisse prescrire ce qu'on appelle chez nous en langage un peu technique des « entre-doses » : on redonne une faible quantité de morphine pour calmer la douleur qui survient malgré une médication adaptée au fil des jours.
Cette prise en charge de la douleur clinique est une expertise médicale. Si on veut que la médecine palliative devienne une médecine rigoureuse et professionnelle, il faut passer par des protocoles et par des exigences dans nos pratiques de tous les jours.
La sédation est quelque chose de différent. Je laisserai à ma collègue le docteur Vandeville l'occasion d'en parler tout à l'heure. Ce qui distingue une sédation d'une euthanasie, c'est tout d'abord l'intention de celui qui prescrit ce traitement.
La sédation est prescrite pour calmer des douleurs rebelles, une angoisse incontrôlable ou lorsque des patients risquent de décéder de manière très pénible, dans des hémorragies massives par exemple. On sait que, dans des cancers de la gorge, la carotide peut se rompre à un moment donné; le malade se voit littéralement mourir soit parce que son sang sort à jets continus ce qui est très angoissant; il faut l'avoir vu une fois pour savoir qu'on n'oublie jamais cela de sa vie , soit parce qu'il est étouffé par son propre sang. Dans ce cas, il faut pouvoir donner une sédation d'urgence. Dans les services de soins palliatifs qui sont rompus à ces techniques et là je pense que nous avons encore des choses à apprendre on explique ce risque aux malades et on place dans leur chambre une trousse d'urgence car, si l'accident se produit, on n'a pas le temps d'aller chercher des médicaments ou des seringues; il faut intervenir dans la minute. Ce type de sédation est donc l'accompagnement d'une souffrance psychologique extrême qu'on calme.
Le deuxième type est la sédation intermittente. Comme je l'ai dit, l'acte de sédation diffère totalement de l'acte de donner la mort et, pour la sédation intermittente, on propose au patient et à son entourage des sédations bien étudiées et clairement établies sur un protocole.
Dans les sédations intermittentes, on garde autant que possible le rythme de sommeil du malade; ce peut être un rythme jour - nuit mais, comme en fin de vie les rythmes du malade ne sont plus les mêmes que les nôtres, on endort le patient et on le réveille en respectant son propre rythme. Pour l'éveiller, il suffit d'arrêter la sédation. Durant les périodes intermittentes d'éveil, certains malades ne demandent plus rien. Quelque chose s'est libéré par la sédation. Un calmant a apaisé le patient.
Il y a aussi des sédations beaucoup plus continues. Dans ce cas, on provoque un sommeil prolongé. Ma collègue vous en parlera tout à l'heure. Je ne suis pas médecin et je vous fais part de mon point de vue qui résulte de tout ce que j'ai vu pratiquer et de tout ce que j'ai lu sur la question. Il importe d'informer le patient et son entourage, de garder le contact. Dans les sédations plus prolongées, il faut en outre soigner le malade comme s'il était encore lucide. Tous les soins continuent. On n'abandonne pas le malade comme cela a été fait en France voici 15 ou 20 ans. On appelait cela des « cocktails de déconnexion ». La sédation est autre chose qu'une déconnexion pratiquée pour être tranquille. C'est une approche médicale et humaine. Les deux vont de pair. Il ne s'agit pas simplement de pharmacologie donnée à un moment extrême de la fin de vie. C'est beaucoup plus rigoureux.
J'ai sous les yeux un protocole de sédation de la maison Michel Sarrasin où l'on a étudié les aspects éthique, médical et institutionnel de ces sédations. Ce document est confidentiel et je ne puis vous le soumettre. Je veux simplement vous prouver que l'on examine cette problématique tous les jours.
Lors du prochain congrès de l'association québécoise au mois de mai, un atelier est prévu sur la sédation en fin de vie.
Mme Kathy Lindekens. Je remercie M. Schoonvaere pour son témoignage sur les soins palliatifs auxquels il se consacre avec tant de dévouement. Je n'ai jamais visité son institution mais je connais bien d'autres unités de soins palliatifs en Flandre.
Dans ces unités où l'on travaille avec tout autant de dévouement, où les thérapeutes sont aussi très proches du patient et où l'on utilise les mêmes couleurs pastel, il arrive d'entendre des demandes d'euthanasie. La voie que l'on emprunte avec le patient est parfois différente.
Je me demande aussi si c'est lié à la communication, à la manière de parler et d'écouter. Je constate que l'intervenant « traduit » en permanence la demande du patient. Mais si le patient, déjà trop faible, remarque que sa demande est en fait condamnée et qu'il n'y a pas assez d'ouverture chez ses interlocuteurs pour y accéder, ne finirait-il pas par renoncer à cette demande même si sa douleur persiste ?
Il a été dit que dans la majorité des cas la souffrance peut être neutralisée. Que se passe-t-il toutefois dans les cas plus rares où la souffrance ne peut être apaisée ? Que fait-on en pareil cas ?
M. A. Schoonvaere. Je ne peux parler que de mon expérience. Comme je le disais dans mon exposé, parlons-nous toujours des mêmes choses lorsque nous évoquons les soins palliatifs ? Comment peut-on comparer ce que l'on fait ?
Je ne peux vous dire que l'expérience de 1 200 patients. Nous avons eu des demandes mais nous n'avons jamais « honoré » une demande. Je ne vais pas inventer. C'est le fruit d'une expérience. L'unité avec laquelle nous sommes jumelés au Québec, a eu 4 000 patients et deux demandes insistantes d'euthanasie qui ont abouti à une mise sous sédation.
Vous avez parlé des 2 %. Nous avons amorcé des sédations. Ce sont des sédations pour douleurs mais ce sont aussi des sédations pour angoisse extrême et agitation incontrôlée. Nous demandons parfois l'expertise d'un médecin spécialiste en psychiatrie ou en anesthésie pour aider les médecins du centre à juguler ces douleurs. Je ne peux vous parler que de l'expérience. Peut-être vous paraît-elle lénifiante mais je pense que d'autres unités, comme celle de St Jean, vivent les mêmes réalités.
Que fait-on ? Comment le fait-on ? Comment l'évalue-t-on ? Que les médecins en soins palliatifs disent bien ce qu'ils entendent par demande d'euthanasie. Un médecin me disait la semaine dernière qu'il y avait 30 % de demandes. Si le malade dit « ça ne va plus » et qu'il fait le geste de se supprimer, est-ce pour autant une demande d'euthanasie ? Nous n'avons jamais dû envoyer dans un autre centre un patient qui aurait dit : « Vous ne me calmez pas, il faut m'envoyer ailleurs. »
M. le président. Vous m'avez dit le contraire lorsque je me suis rendu dans votre centre.
M. A. Schoonvaere. Non, j'ai fait état de l'expérience de Hasselt. Nous n'avons jamais adressé un patient dans une autre unité. Il y a des patients qui n'ont jamais franchi notre unité, c'est autre chose, mais nous n'avons jamais honoré de demandes dans notre service.
Lors de votre visite, j'ai fait part d'une expérience que je vais raconter à présent aux membres de la commission.
Cela se passe à l'unité de Hasselt, chez le docteur Marc Desmet. Une patiente demande avec insistance l'euthanasie. Le médecin envoie cette patiente dans un hôpital après avoir pris contact avec le confrère et le médecin en question dit à la patiente qu'elle peut l'appeler quand elle veut.
La veille de cette euthanasie, la patiente rappelle le docteur en disant qu'elle a changé d'avis et demande de pouvoir être réadmise dans son unité. Bien entendu, le médecin répond que c'est tout à fait possible. La patiente rentre donc dans l'unité pour y décéder trois semaines plus tard.
C'est cette situation que j'ai évoquée lors de votre visite, mais il n'y a jamais eu chez nous une demande. Un patient s'est présenté chez nous avec une lettre de son médecin traitant prescrivant un traitement et demandant que nous l'exécutions. Nous n'avons pas accepté cette demande, mais avons informé le patient que nous pouvions l'aider d'une autre manière. Ce patient n'a pas accepté et il est rentré chez lui.
M. Philippe Mahoux. Je connais bien l'institution. J'y ai discuté longuement avec l'ensemble de l'équipe. Je peux dire qu'elle jouit de l'estime de toute la population et des médecins. Le dévouement des bénévoles est remarquable.
La nature de l'institution, qui est catholique, établit clairement qu'elle refuse l'euthanasie et qu'elle ne la pratique pas. C'est en tout cas ce que vous m'avez confirmé lorsque nous nous sommes rencontrés.
M. A. Schoonvaere. Elle ne l'écrit pas.
M. Philippe Mahoux. Vous m'avez dit que, dans la maison, vous refusiez l'euthanasie.
M. A. Schoonvaere. On ne l'a jamais pratiquée. C'est une nuance.
M. Philippe Mahoux. Je ne veux pas mal interpréter vos propos. Que vous refusiez l'euthanasie, c'est votre droit le plus strict, mais vous ne voulez pas l'écrire parce que, sinon, les personnes qui sont chez vous n'oseraient plus la demander.
Je voudrais vous poser trois questions qui ont trait aux soins palliatifs. Personnellement, je ne partage pas votre position sur l'euthanasie bien que je la trouve tout à fait respectable, mais nous souhaitons tous que les soins palliatifs se développent.
Tout d'abord, pourquoi une structure verticale et pourquoi ne pas favoriser les structures transversales de développement en soins palliatifs ? En d'autres termes, pourquoi, dans une institution comme la vôtre, avec dix lits, qui propose des soins d'une très grande qualité, un environnement et une écoute appréciés de tous, une structure verticale, isolée, et pas une structure transversale à la fois pour les domiciles, dans l'hôpital, avec des équipes de soins palliatifs mobiles mais qui font autre chose aussi que des soins palliatifs ? Notre volonté est d'aider au développement des soins palliatifs et il serait intéressant que nous comprenions ce style d'approche.
Ma deuxième question concerne le financement. Vous savez que nous souhaitons, par notre proposition de loi, favoriser le développement et l'accessibilité des soins palliatifs. Il serait intéressant que vous nous disiez comment vous êtes financé et la formule qui serait la plus optimale.
Enfin, a priori, vous êtes formé à l'écoute. Vous avez des positions tout à fait nettes que vous venez d'exprimer par rapport à l'euthanasie. Entendre les demandes et pouvoir les relativiser, c'est important, mais l'opposition que l'on peut avoir à l'égard de l'euthanasie n'entraîne-t-elle pas, de la part de celui qui écoute, une forme de sélectivité puisqu'il sait déjà que, par option philosophique, il ne répondra pas à cette demande ?
Je pose simplement la question parce que je suis interpellé par le fait que, suivant les structures de soins palliatifs, le nombre de demandes formulées et relatées est extrêmement différent. Vous dites que chez vous, le nombre est peu élevé.
D'autres services de soins palliatifs, tout aussi à l'écoute, aussi professionnels, aussi formés, font état d'un nombre de demandes beaucoup plus important. Je dirais que les différences sont un peu fonction des réponses que les équipes acceptent de donner à ces demandes. D'où une interrogation : l'interprétation qu'on peut faire des demandes n'est-elle pas parfois liée aux réponses qu'on accepte de donner ou non ?
Certaines statistiques en termes de demandes montrent des différences entre votre centre et d'autres centres de soins palliatifs, ayant une approche humaniste, professionnelle et pluridisciplinaire et une formation à l'écoute aussi importantes que chez vous.
Pourquoi ces différences de statistiques ?
M. A. Schoonvaere. Je répondrai à votre question relative à la verticalisation des soins palliatifs par une autre question. En quoi une unité, de plus une unité extra-hospitalière comme la nôtre, a-t-elle lieu d'exister dans ce que j'appellerais cette approche pluraliste, dans le sens plurimodal, des soins palliatifs ?
Un centre comme le nôtre ou une unité de soins palliatifs a, pour moi, trois missions, par rapport à une équipe mobile, au domicile et à des fonctions palliatives. Nous avons l'occasion d'avoir une concentration je dois mesurer mes mots parce que les malades qui sont là sont tous des malades très souffrants en fait, une population de malades qui nous autorise à avoir une professionnalisation des soins palliatifs de plus en plus aiguë.
Première mission : donner des soins, c'est clair. Et, tous les jours, nous devons améliorer nos soins. Je peux vous citer toute une série de recherches auxquelles nous nous intéressons. Au Canada, il y a vingt programmes de recherches sur la manière dont on peut valider l'appréciation d'une échelle de douleur, comment valider une charge morale que les familles accusent dans les unités de soins palliatifs.
Des études portent sur la stabilité des médicaments antalgiques utilisés dans les pompes, etc. Il y a là un champ à explorer et, de par la quotidienneté des soins intensifs palliatifs, c'est aussi le rôle d'une unité de le promouvoir.
Il y a la pratique, il y a l'enseignement. Comment apprendre à un étudiant en médecine en quatrième doctorat ? Mon fils est sorti de médecine, au mois de juin dernier. Son cours de soins palliatifs comportait deux heures de séminaire, et puis c'est tout, les stages étant facultatifs. Comment allez-vous faire passer une culture palliative chez les médecins si vous ne les accompagnez pas, quand ils sont jeunes stagiaires, à apprendre à un malade à entendre la vérité. C'est important, c'est capital. C'est cela aussi, l'approche des soins palliatifs. Et cela doit se faire dans des unités comme la nôtre. Il faut apprendre aux médecins à manipuler délicatement les anti-douleurs.
Des unités comme la nôtre ont le rôle de former, sur le terrain j'insiste et pas de façon livresque, avec un bouquin, dans un bureau médical d'un hôpital, à la thérapie anti-douleur de telle ou telle situation. Comment accompagner une famille quand elle apprend l'inéluctable ? Ce sont des situations vécues dans tous les hôpitaux et je crois qu'il y a là un travail énorme d'encadrement. C'est d'abord à travers un enseignement et une formation rigoureuse, dans des unités, avec des certificats en soins palliatifs, que cela peut se faire. La deuxième mission est donc l'enseignement.
Troisième mission : la recherche. On a cinq ans de recul, donc attendons encore, mais il y a des choses à faire et à étudier dans ce domaine médical nouveau.
M. Philippe Mahoux. Pourquoi de manière verticale et non transversale ? Et l'équipe mobile ?
M. A. Schoonvaere. L'équipe mobile a pour rôle d'aller, en seconde intention, auprès d'une équipe de première ligne pour, essentiellement, apporter des conseils dits de thérapie antalgique et des conseils de prise en charge de la famille. Mais vous ne pouvez pas imaginer une équipe mobile dans un hôpital : l'hôpital qui la finance le mieux y mettra quatre personnes rémunérées, ce qui représente six millions sur son budget. Comment voulez-vous, avec six millions, faire un accompagnement intensif ? On fait ce qu'on peut. Donc, il faut dégager des moyens financiers, ce qui nous mènera à l'autre question, celle du financement.
Je crois que dans les maisons de repos et de soins, il faut aussi que la culture passe. Comment ? Nous avons, par exemple, une convention avec les maisons de repos et de soins du CPAS de Namur, où les infirmières et les aides de soins viennent en stage pendant quinze jours. Ils viennent voir comment on entoure les mourants et comment les choses se passent en fin de vie. Je dois dire qu'ils sont étonnés et qu'ils repartent avec un acquis, mais frustrés parce qu'ils rentrent dans leur unité avec un environnement humain de travail évidemment cinq à six fois moindre.
Mais il y a des choses qui ne coûtent pas d'argent : c'est la manière dont, à l'heure du décès, on accompagne une famille. On reste une heure, deux heures auprès de la famille au moment de la mise en bière. Nous attachons une extrême importance à ces activités parce que c'est vital pour la famille, parce qu'on sait aussi qu'un deuil bien préparé est un deuil qui se passera bien.
Je pense que l'équipe mobile a sa place au sein d'une entité de cinq cents lits. Une fonction palliative a aussi sa place au sein d'un hôpital et je crois qu'à domicile, l'équipe de seconde ligne a sa place pour relayer, pour promouvoir les soins palliatifs auprès des gens de la première ligne. Mais nous devons travailler avec les moyens que nous avons, et nous en arrivons ainsi au financement : le financement des soins palliatifs en Belgique représente 3,8 francs pour 1 000 francs dans le budget.
M. Philippe Mahoux. C'est vrai, vous avez raison de manière très générale. Mais pour votre institution ?
M. A. Schoonvaere. Comme je l'ai dit dans l'exposé, du 4 octobre 1989 au 1er janvier 1995 : fonds propres d'une congrégation, dont coût 150 millions. C'est une volonté d'un pouvoir organisateur de décider de créer ce centre sur Namur. Je citerai Saint-Jean sur Bruxelles et l'IMTR quelques mois avant nous. D'autres institutions se sont développées au même moment sur leurs fonds propres, puisqu'il n'y avait pas de financement. Ensuite, le 1er janvier 1995, arrive un financement : 7 000 francs, en tout cas pour notre institution, puis 8 000 francs, etc. Nous avons maintenant un financement de 12 000 francs par jour par malade, pour une durée de séjour de trois semaines, ce qui nous donne un budget de 40 millions, mais qui est encore insuffisant. En fin d'exercice, il y a actuellement encore une perte.
M. le président. Quelle est la durée moyenne des séjours ?
M. A. Schoonvaere. Trois semaines à un mois. Les 12 000 francs, cela n'est guère plus cher c'est important de le dire dans une institution que dans une autre institution hospitalière. J'ajoute que dans notre institution, vu sa configuration extrahospitalière et géographiquement décentrée, on est vraiment dans une réalité de soins palliatifs purs, où il n'y a plus d'actes techniques que j'appellerais de routine et qu'on l'on continue parfois à prescrire dans certains hôpitaux.
Nous nous en tirons avec notre budget de 12 000 francs par jour. J'ai lu toutes les propositions de loi sur les soins palliatifs et il est clair qu'il faut absolument mieux financer, notamment en fonction des malades incurables, comme indiqué dans la proposition, ce qui constituera une dépense dont il faudra bien calculer les enjeux sur le plan économique, car elle se chiffrera en milliards. C'est une volonté politique et c'est votre responsabilité, je pense.
M. le président. Il y avait également la question sur la différence de statistiques de votre institution par rapport à d'autres.
M. Philippe Mahoux. Au niveau de la verticalisation, c'est extrêmement important. Vous formez des équipes depuis dix ans et, il y a dix ans précisément, j'avais fait sur le terrain namurois la proposition, qui ne fut pas acceptée, de créer des structures pluralistes de soins palliatifs. Quand je vous ai rendu visite, je vous ai demandé si les équipes qui travaillaient dans votre institution s'occupaient continuellement de soins palliatifs. Cette activité qui touche à la mort et à son accompagnement étant très difficile, ne serait-il pas souhaitable de prévoir une certaine rotation ? Les médecins travaillent également dans d'autres établissements, mais pour le personnel et vous-même, qui êtes directeur depuis quatre ans, ne faudrait-il pas envisager une certaine rotation ?
M. A. Schoonvaere. Vous semblez penser qu'il est morbide de travailler continuellement dans ce cadre ?
M. Philippe Mahoux. J'estime que c'est peut-être trop difficile.
M. A. Schoonvaere. Je pense que ce n'est pas le cas. J'ai dit dans mon texte que nous recevions autant que nous donnions. J'ai sous les yeux trois pages d'extraits de lettres des familles. Leur reconnaissance est extraordinaire. Je vous donne quelques exemples.
Avant son admission dans notre maison, M. X avait formulé une demande d'euthanasie. Chez nous, cette demande n'est jamais réapparue. Nous n'avons d'ailleurs appris qu'après le décès de M. X qu'elle avait eu lieu. C'est après son décès également que sa famille nous a dit qu'il avait fait une demande pour trouver un centre. La famille lui avait suggéré d'aller d'abord dans une unité de soins palliatifs. C'est un peu le préalable dont on parlait tout à l'heure. M. X est resté trois mois chez nous. Son épouse est constamment restée auprès de lui. Il est important de dire que, dans une maison comme la nôtre, nous accueillons autant le malade que son conjoint.
Dans une unité de soins palliatifs, l'axe patient-famille est indissociable. Je ne suis cependant pas certain que ce soit le cas partout. Il recevait régulièrement des visites de ses enfants et d'amis. Le lendemain des funérailles, j'ai reçu de sa fille la lettre suivante : « Un grand merci à vous tous pour votre accueil, votre compréhension et la compassion authentique qui vous anime pour réaliser dans un tel respect l'accompagnement d'êtres en partance pour l'autre rive, comme vous le dites, pour l'accompagnement et l'écoute de leurs proches aussi. Je suis reconnaissante que papa ait pu vivre ses derniers jours au sein de votre foyer.
À aucun moment, grâce aux soins attentifs que vous lui avez prodigués et au respect que vous lui avez témoigné, je n'ai eu le sentiment de la moindre déchéance, chose qui lui faisait le plus peur, même si la maladie poursuivait inexorablement son oeuvre. Je vous suis, du fond du coeur, profondément reconnaissante pour ce respect, cette attention et la chaleur humaine que vous lui avez offerte, à lui et à notre mère apparemment si démunie pour affronter la séparation. Elle en ressort avec une grande force et une grande confiance. »
Voici un autre témoignage. « Jacques entra seul au Foyer Saint-François, conduisant sa voiture. Sa lucidité sereine, son attachement à la vérité sur son état, sa bonne mine outrageuse, comme il la qualifiait lui-même, son autonomie militante, sa volonté inébranlable et sa bienveillance en même temps étonnèrent. Assez rapidement, sa force physique déclina, sans entamer ce qu'il nous montrait de sa force intérieure. Seulement son sourire se crispa-t-il légèrement. Puis survint la douleur de nuque, imprévue et terrassante, enfonçant soudain en lui la peur et l'invalidité majeure. Perdant totalement cette maîtrise de son corps qui lui était si précieuse, il se rendit. Il accepta enfin de se laisser faire. Sa peur ne dura que quelques jours et avec elle s'évapora la volonté farouche d'être fort. Se rendre à la tendresse des soins, à l'immense respect de sa personne, à l'apaisement minutieux de sa douleur lui permit sans doute de rejoindre la grandeur de la misère de l'homme. Il voulait vivre encore pour explorer plus à fond ce nouveau monde, cette ère nouvelle de son histoire. J'avoue avoir craint auparavant que cet homme fier refuserait sa déréliction, avoir imaginé un suicide ou une demande d'euthanasie.
Combien ce fut différent par sa grandeur intérieure mais aussi par ce qu'est le Foyer Saint-François. »
M. le président. La question concernait la différence de statistiques dans votre foyer par rapport à d'autres où les demandes, d'après ce que vous dites, sont pratiquement nulles.
M. A. Schoonvaere. Il serait malvenu de dire que nous sommes les meilleurs. Il y a d'abord un contexte. Je vous ai donné une statistique sur la maison Michel Sarrasin. C'est « le » centre à Québec.
Deux demandes d'euthanasie ont dû être sédatées. L'environnement joue. L'atmosphère particulière est due au fait que cette unité se trouve dans une maison familiale. Tout se vit ensemble. Ce sont deux familles qui, à un moment donné, se rejoignent.
Dans toutes les chartes d'associations de soins palliatifs américaines, canadiennes, australiennes et autres, il est dit que les unités de soins palliatifs ne recourent pas à l'euthanasie. Cela fait partie d'un présupposé de base. Je vous rappelle que lorsque la fédération belge a été créée il y a dix ans, elle était nationale et la charte de l'époque, à laquelle tout le monde adhérait précisait en son point 7 que les soins palliatifs excluaient l'acharnement thérapeutique et le recours à l'euthanasie. Il y eut ensuite splitsing et, dans un contexte pluraliste, on a un peu tronqué la notion de soins palliatifs. Je crois que la Belgique est le seul pays où cela a eu lieu. Dans d'autres chartes, on exclut tout à fait l'euthanasie de la pratique des soins palliatifs. Cela ne signifie pas que l'on n'entend pas les demandes. Je ne peux vous dire autre chose que la réalité des faits. Vous me direz peut-être que notre institution, du fait qu'elle s'appelle Saint-François, met un filtre.
Notre institution a une caractéristique particulière. Quand dans un hôpital, un patient passe du 7e étage, « cancérologie », au 8e étage, « soins palliatifs », il n'est pas nécessairement tout à fait conscient qu'il entre en soins palliatifs.
Il reste dans l'hôpital où il a été soigné. La démarche de venir au Foyer Saint-François est évidemment connotée. Tout Namurois sait que le Foyer Saint-François n'est pas une maternité. Le Foyer est chargé d'une connotation de mort réelle imminente. C'est important.
Quand le patient vient, tout un travail doit être accompli. Au début, nous avions pris les critères de la Maison Michel Sarrasin. Le patient qui entrait devait, comme dans la culture nord-américaine, savoir qu'il avait un cancer et était à la fin de sa vie. Nous avons fait des dégâts en précipitant les patients dans une vérité qu'ils n'étaient pas capables d'entendre. Maintenant, nous pensons que le critère est de considérer que le malade entre comme il peut. Je vous répète que nous avons été confrontés à une demande d'euthanasie très insistante, mais aussi ambiguë. Mais il faut relire l'histoire de ce patient. Il nous a été adressé par trois médecins spécialistes d'un hôpital. Ils lui avaient dit qu'il allait au Foyer Saint-François pour se revalider, se « requinquer » et qu'ensuite, il reviendrait à Bruxelles où l'on procéderait à une nouvelle petite intervention et qu'il irait mieux. Notre principe est de ne pas mentir. Ne se sentant pas bien, il a posé la question de savoir s'il avait un cancer. Alors, ce patient, déjà à moitié mort je tiens à l'expression en raison de cette relation qui n'était pas authentique et vraie, lorsqu'il découvre l'inéluctable, est pris par l'angoisse et demande à mourir. Il se sent trompé. Je pose ici toute la problématique des pratiques d'acharnement thérapeutique qui ne sont pas assez bien contrôlées dans les hôpitaux. Il faut aussi aller voir là-bas. Nous sommes en aval mais il faut aussi voir l'amont. Je pense que la pratique de la médecine et son humanisation vont amener à la diminution des demandes grâce à un bon encadrement, à une approche humaine et à une diminution de la hiérarchisation. La hiérarchie n'existe pas tellement dans les services mais bien entre les personnes. Si la hiérarchisation est moins forte, si l'on favorise la parole dans les lieux de parole comme les comités d'éthique, on pourra faire en sorte que ces demandes induites par un mauvais encadrement diminuent.
M. Alain Destexhe. Vous avez cité quelques exemples cliniques émouvants mais nous avons entendu ici d'autres exemples qui allaient plutôt dans l'autre sens. On a évoqué le cas d'un patient presque totalement paralysé, à l'exception de quelques doigts qui lui permettaient encore d'avoir un minimum de communication avec l'extérieur. Il faisait l'objet des meilleurs soins possibles et était entouré par sa famille et par le personnel médical. Il était dans cette situation depuis longtemps et avait décidé qu'il voulait en finir en raison de sa souffrance morale atroce. Ses demandes furent répétées et n'ont pas été entendues, ni par le personnel médical ni par la société en général. Je respecte les exemples que vous avez donnés et je ne doute pas de votre sincérité mais le mien est de nature quelque peu différente. Comment répondriez-vous à cette situation ? Refuseriez-vous systématiquement par principe d'accéder à ce type de supplication ? Dans l'affirmative, au nom de quelles valeurs ? Refuseriez-vous en fonction de votre éthique et de votre conviction ? Refuseriez-vous que cela se passe dans votre institution tout en pouvant concevoir que cette demande soit rencontrée dans d'autres institutions médicales ?
M. A. Schoonvaere. Ma réponse sera théorique. Le cas ne s'est jamais présenté. Les deux cas que nous avons eus étaient des patients comateux, en fin de vie. Je vous dirai surtout comment nous les avons accompagnés et qui nous avons accompagné. Dans le cas que vous décrivez, il faut prendre le temps d'entendre cette demande répétée, réitérée ... Vous parlez de souffrance intolérable ... Ce sont des concepts pleins de subjectivité. Qu'est-ce qu'une souffrance intolérable ? Qu'entend-on par répété ? Admettons qu'il faille prendre une décision, je pense qu'elle appartient aux médecins mais qu'ils doivent s'entourer d'avis extrêmement nombreux. Ils doivent consulter de multiples intervenants : un médecin doit consulter d'autres confrères et éventuellement des éthiciens. Vous parlez au fond d'extrême nécessité. Je pense que cette notion est difficile. La question est d'autant plus difficile qu'il faut opter entre deux mauvaises solutions. Je ne suis ni législateur ni juriste. Le cas ne s'est pas encore présenté chez nous.
Je peux parler de deux exemples qui ont sans doute été les plus proches. Il s'agit de deux patients comateux, stade 4, qui nous sont adressés. Quel est l'enjeu ? Ils séjournent tous les deux trop longtemps dans un hôpital et se chronicisent ...
M. Paul Galand. J'attire l'attention sur le fait que nous sommes en séance publique et qu'il ne faudrait pas qu'on puisse reconnaître les cas. Sur un nombre si limité de cas, il faut être très prudent en audition publique.
M. Philippe Mahoux. Cela relève du secret professionnel.
M. A. Schoonvaere. Je me bornerai à vous dire ce qui s'est dégagé. Quand il faut prendre des décisions de désescalade thérapeutique, il faut les prendre en concertation avec la famille. La famille est souvent partagée; elle voit là une personne qui lui est chère et sait que cela ne va pas aller et elle attend. Cette attente est difficile. L'instinct de survie fait qu'on ne lâche pas des thérapeutiques. Il est important de prendre la famille en codécision. Dans mon exemple, le patient fait une complication pulmonaire, infectieuse : il est important de faire comprendre la situation à la famille et de lui faire accepter la décision de ne pas relancer un traitement pour ce patient qui nous a été adressé dans une optique palliative, il faut lui faire comprendre que ce traitement curatif serait de « prolongation inutile » compte tenu des espérances. Il est important de prendre la famille à part.
M. Alain Destexhe. Vous dites que, pour vous, il s'agit d'une situation théorique. Si je comprends bien, vous n'êtes pas opposé systématiquement à ce que cette demande puisse être éventuellement rencontrée.
M. A. Schoonvaere. Je ne puis répondre à cette question. Je pense qu'il faut envisager chaque situation.
M. Patrik Vankrunkelsven. On a déjà posé beaucoup de questions longues, je tenterai donc d'être bref.
Il ressort en tout cas de votre exposé que vous aimez beaucoup votre profession et que vous avez le feu sacré. Cela vous vaut d'ailleurs tout mon respect. Comme chacun au sein de cette commission, j'appuie d'ailleurs pleinement votre démarche lorsque vous réclamez plus de formation et plus de moyens pour les soins palliatifs.
Je vous demanderais cependant de manier les chiffres avec plus de prudence. Vous affirmez par exemple qu'aux Pays-Bas, plus de 50 % des médecins ne déclarent pas les euthanasies qu'ils pratiquent. Je ne peux que le confirmer. Qui plus est, il ressort d'une enquête de 1995 que ce chiffre est encore plus élevé qu'en 1990. On peut en tirer des conclusions toutes autres que les vôtres. Le fait est qu'aux Pays-Bas, le nombre de médecins qui déclarent avoir pratiqué une euthanasie reste beaucoup plus élevé qu'en Belgique, car chez nous aucun médecin ne le fait.
On affirme également qu'aux Pays-Bas, nombre de médecins posent des actes euthanasiques sans consulter un collègue. C'est un fait, mais il y a beaucoup moins de médecins dans ce pays que partout ailleurs dans le monde. En Belgique, en Flandre, on pratique également l'euthanasie et les médecins ne demandent pas davantage un deuxième avis. Les chiffres que vous avez cités à propos des Pays-Bas prouvent en fait l'inverse de ce que vous vouliez dire.
La prudence qui entoure l'euthanasie aux Pays-Bas est nettement plus grande que partout ailleurs dans le monde.
Une dernière observation, il ressort des chiffres que le nombre de patients à la vie desquels on met fin sans qu'ils en aient fait la demande est à peu près quatre fois plus élevé dans notre pays qu'aux Pays-Bas.
M. Hugo Vandenberghe. Je pensais que vous alliez être bref !
M. Patrik Vankrunkelsven. Je n'ai que rarement pris la parole et je voulais seulement étoffer quelque peu ma question, Monsieur Vandenberghe.
M. Hugo Vandenberghe. Les chiffres que vous citez sont totalement inexacts !
M. Patrik Vankrunkelsven. L'enquête dont je cite les chiffres a été publiée dans le « New England of Medecine » et « The Lancet ». Aucune de ces deux revues n'a publié ces chiffres à la légère.
J'en arrive à ma question. Si la recherche scientifique démontrait qu'une loi sur l'euthanasie conduit à plus de prudence dans la pratique de l'interruption de vie, ainsi qu'à une diminution du nombre de cas où il est mis fin à la vie du patient sans que celui-ci en ait fait la demande, seriez-vous alors encore toujours opposé à une telle législation ?
Cette législation devrait évidemment être en parfaite symbiose avec le développement des soins palliatifs.
M. A. Schoonvaere. L'étude à laquelle je fais référence est parue dans le « Journal of Medical Ethics » et porte sur les lignes directrices médicales régissant l'euthanasie violées en Hollande. Je pense qu'il existe des euthanasies volontaires. De toute façon, la proposition de loi déposée actuellement va-t-elle empêcher ces euthanasies volontaires puisque cette proposition vise l'euthanasie pour des patients qui le demandent ? À mon avis, cela ne réglera rien. On poursuivra les euthanasies volontaires comme cela se fait en Hollande. Pour répondre à la dernière question que vous posez, un projet de loi visant à dépénaliser l'euthanasie est pour moi en opposition avec tout un programme de soins palliatifs qu'il faut développer. Les Hollandais veulent désormais promouvoir les soins palliatifs parce qu'ils se rendent bien compte que leurs pratiques n'ont pas été bien encadrées.
M. Patrik Vankrunkelsven. On fait souvent référence aux chiffres des Pays-Bas parce que ce pays est manifestement le seul où l'on réalise une recherche sérieuse. L'euthanasie est pourtant une pratique universelle et ce n'est pas parce que cette pratique aux Pays-Bas est bien documentée qu'elle s'y déroule plus mal. Au contraire, la recherche scientifique démontre que l'euthanasie accomplie selon des critères de prudence augmente et que l'imprudence diminue lorsqu'il y a une loi. N'admettez-vous pas qu'une réglementation légale représente malgré tout une plus grande sécurité pour la fin de vie que l'absence de toute réglementation ?
M. A. Schoonvaere. Je reste de toute façon opposé à cette proposition car s'il y a des euthanasies volontaires, la question qu'il faut se poser est de savoir pourquoi et comment elles sont pratiquées. S'il faut faire quelque chose, c'est examiner et encadrer ces pratiques.
Pour moi, des cocktails litiques donnés en hâte sans l'avis du patient sont une atteinte aux droits de la personne, c'est clair. Ce fait doit être réprimé. Faut-il pour autant instaurer une loi qui dépénalise une autre action afin de mieux voir ce qui doit être réprimé ? Pour moi, ce n'est pas nécessaire.
M. Jan Remans. Nous avons affaire ici à un excellent avocat des soins palliatifs de qualité. Il est donc à la bonne adresse, ici devant cette commission du Sénat car c'est ce que nous voulons tous. Il décrit la culture des soins palliatifs à l'appui d'exemples humains. Il pourrait cependant aussi plaider en faveur de l'euthanasie : d'abord parce qu'il fait référence à la zone de transition dont on a parlé au cours des jours et des semaines passés entre l'apaisement de la douleur, la sédation, contrôlée ou non, et finalement la mort.
De plus, il fait référence à des études qui doivent encore être réalisées et aux progrès considérables qui peuvent encore être réalisés dans le domaine de l'analgésie et de la sédation. Ensuite, il n'a pas parlé que de la douleur, mais aussi de la douleur insupportable, du sentiment insurmontable de faiblesse et de l'épuisement psychique. Il fait également référence au caractère limité des moyens actuels et au fait que l'on pourra sans doute faire davantage plus tard. Le patient qui est actuellement sur le point de mourir, qui est confronté à une souffrance insupportable et qui est dans un état de faiblesse extrême n'en a rien à faire de ces progrès ni de ce qui sera possible dans cinq ans. N'est-il alors pas tout aussi humain d'accéder aux demandes d'euthanasie chez les patients qui en font la demande ?
M. A. Schoonvaere. Est-ce que les gens ont le temps d'attendre ? Je crois que le problème de l'euthanasie n'est pas neuf. Je ne pense pas qu'il faille se précipiter et que ce soit une question de mois. L'épuisement psychique des familles est un de nos critères. Nous accueillons les familles quand elles sont au bout. Vous savez comment ça va dans la vie. On veut accompagner le malade chez soi, à domicile, parce que c'est encore la meilleure formule que l'on préconise. Mais quand des familles ont pendant des semaines, des jours, des nuits entières accompagné quelqu'un, elles nous font une demande parce qu'elles n'en peuvent plus. Qu'est-ce qu'on constate ?
Ces familles, après huit jours d'hébergement dans notre maison, nous disent « Mon Dieu, pourquoi ne sommes-nous pas venus plus tôt ? On découvre ici quelque chose qu'on n'aurait jamais imaginé. » Vous avez parlé de la souffrance morale. Je pense qu'on n'a jamais eu autant de psychologues et de bénévoles dans nos institutions. Il faut concentrer les ressources humaines autour du patient à travers un programme de soins palliatifs structuré et financé. Il convient également de développer la culture du bénévolat.
Je citerai comme exemple la maison Michel Sarrasin qui constitue quand même un modèle d'organisation culturelle, sociale et médicale. Cette maison, qui compte deux lits de plus que la nôtre, fonctionne avec 250 bénévoles; sans eux et sans les subsides qui sont de 25 % inférieurs aux nôtres, cette maison disparaîtrait; une fondation a également été créée. Cela démontre qu'il est possible de trouver des moyens pour le secteur social. La société doit encourager la pratique du bénévolat car certains ne demandent qu'à se former à l'accompagnement en soins palliatifs. Nous sommes en train de vouloir prendre une sortie d'autoroute, dans la précipitation et par mauvaise visibilité, alors que nous pourrions rester sur une route dont nous connaissons bien les repères. Vu les risques et les dérives possibles, il faut privilégier une autre voie.
M. Jan Remans. Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question. J'ai aussi évoqué cette mauvaise visibilité et cette zone transitoire. J'ai aussi exprimé toute mon estime pour la qualité des soins palliatifs. M. Schoonvaere a lui-même décrit les limitations des soins palliatifs actuels en faisant référence aux études et au travail encore à accomplir. N'est-il alors pas tout aussi humain d'autoriser l'euthanasie chez les patients auxquels les soins palliatifs ne peuvent être d'aucune aide ? Je pense que vous n'avez pas bien saisi le sens de cette question.
M. A. Schoonvaere. Je pense que, comme dans tous les domaines médicaux, les soins palliatifs ont leurs limites. Il ne faut pas exiger une obligation de résultats comme celle qu'on peut attendre d'une médecine de pointe, notamment de la chirurgie cardiaque. Celle-ci a aussi ses limites mais ce n'est pas pour cela que l'on ne fait pas de recherches en chirurgie cardiaque ou en cancérologie.
M. le président. Vous n'avez pas répondu à la question. J'ai d'ailleurs passé des heures chez vous sans obtenir de réponses à mes questions. Cela dit, je rends hommage à votre travail.
M. A. Schoonvaere. On ne me demande pas de répondre par oui ou par non; on me demande de prendre position.
M. le président. La question était de savoir ce que l'on allait faire des patients qui sont actuellement en train de souffrir.
M. A. Schoonvaere. On peut se poser les mêmes questions pour toutes les limites de la médecine. S'il faut consentir à euthanasier les patients parce que la médecine a atteint ses limites techniques, on se retrouve dans l'impasse et le ressac.
Mme de T'Serclaes. Pour en revenir aux propos tenus ce matin par le professeur Vincent en ce qui concerne la situation des patients en fin de vie, vous avez parlé d'état de confusion et le professeur a évoqué la difficulté de savoir si le patient était véritablement conscient. Pouvez-vous m'expliquer ce que recouvre exactement cette notion ? Vous avez déclaré que des analyses allaient être effectuées au Canada. Il serait, en effet, intéressant de connaître « l'état de conscience » du patient en fin de vie. Vous avez vous-même évoqué ce problème.
M. A. Schoonvaere. Il s'agit de réalités toujours difficiles à appréhender, plusieurs mécanismes intervenant ici. Il peut s'agir de mécanismes cliniques, biologiques, comme des métastases cérébrales ou de mécanismes psychologiques. Certains patients « entrent dans une confusion » un peu comme par déni de l'instant de mourir. On parle de « confusions pré-mortem ». Le protocole expérimenté dans cette maison au Canada est très important. Depuis deux ans, les infirmières notent toutes les huit heures l'état d'orientation du patient dans le temps et l'espace, puis les premiers signes de confusion, lorsque la personne ne reconnaît plus les lieux ou l'un de ses proches. Lorsqu'un certain score est atteint sur une échelle, les médecins, alertés, administrent éventuellement une médication afin d'éviter que ne s'installent en quelques heures des cataclysmes de confusion dramatiques pour la famille. Ces situations font l'objet de recherches sur le plan de la pharmacologie et de son utilisation. À un problème aigu, il faut donner plus qu'une réponse technique car il y a des interactions. Il est, en effet, très difficile d'évaluer ici la part de l'organique, du psychologique ou de l'inconscient.
M. Georges Dallemagne. Tout à l'heure, vous avez axé votre intervention notamment sur la question des droits du patient et des droits de la famille. C'est effectivement un principe fondamental qui est souvent évoqué par l'ensemble des groupes politiques.
J'aurais aimé savoir concrètement comment se passe cette mise en oeuvre des droits du patient. Quel est le rôle du patient en fin de vie dans votre unité ? Jusqu'à quel point est-il impliqué dans l'information relative à son état ? Vous avez répondu en grande partie à cette question. Comment est-il impliqué dans le type de soins, dans le moment où l'on arrête les soins, dans les formules de sédation, même si j'ai compris qu'il n'y avait pas de sédation entraînant la mort dans votre unité ? Comment s'exercent concrètement les droits du patient ?
Vous avez parlé du droit de la famille. Vous avez indiqué que celle-ci était considérablement prise en compte. Vous avez même dit, je pense, qu'après la mort, vous gardiez des contacts avec la famille. J'imagine qu'il n'est pas évident pour cette dernière de rentrer dans un processus de deuil. Votre expérience est-elle positive et utile à ce sujet ? Dans certains cas, j'imagine que la famille ne souhaite pas qu'on interfère dans son propre processus de deuil.
Vous avez développé un long plaidoyer en faveur des soins palliatifs. Vous avez souligné en même temps à quel point ces soins palliatifs ne répondaient pas totalement aujourd'hui à la problématique et à quel point la formation était importante. L'association des soins palliatifs mène-t-elle des initiatives pour que la situation change ? Vous avez évoqué le fait que votre fils venait de quitter l'université avec pour tout bagage, en matière de soins palliatifs, deux heures de formation. Où en sont les choses pour que, dans les facultés de médecine, dans les écoles d'infirmières ou ailleurs, cette situation change, puisqu'il s'agit d'un élément fondamental ?
M. A. Schoonvaere. Pour évoquer le droit des patients et la façon dont ils sont traités dans une unité de soins palliatifs, je vais vous donner un exemple. Nous avons reçu un patient souffrant d'un cancer du larynx et qui ne savait plus avaler. Dès son arrivée, le médecin lui a proposé, dans un souci de confort et d'alimentation, de lui placer, grâce à une technique simple et anodine, une microsonde. Le médecin en a d'abord discuté avec le patient. Il est important d'informer préalablement celui-ci des traitements dont il va bénéficier.
À la stupéfaction du médecin, le patient a refusé en lui tenant ce discours : « Docteur, je sais ce que j'ai. Je ne veux pas de microsonde. Je considérerais cela comme de l'acharnement thérapeutique à mon égard. Je vous demande, si vous me respectez, de ne pas me mettre une microsonde. Je sais qu'à cause de cela, je vais mourir quelques jours ou quelques semaines plus tôt. Je vous demande notamment que vous me donniez, quand je le veux, le plaisir de goûter, car il ne me reste que cela. Je veux goûter du bon vin et, puisque nous sommes en période de fêtes, du champagne. Je ne désire que cela. » Nous avons respecté cette volonté.
C'est, il est vrai, un peu déconcertant. Les infirmières lui ont donc proposé de l'excellent champagne à Noël et, lui, l'a dégusté. Ensuite, comme il ne savait pas l'avaler, il fallait bien qu'il le recrache. Ce patient affirmait que c'était son meilleur moment. La veille de sa mort, il a dit : « Docteur, je vous remercie de m'avoir respecté jusque-là. » C'est important. Cette notion de droit va de l'admission à l'hôpital à cette fin de vie. La réponse de ce patient nous avait un peut décontenancé car elle n'était pas dans la logique mais il nous a remercié pour cela.
Voici 18 ans, quand j'étais à Mont-Godinne, j'ai fondé une ASBL appelée « Un Centre d'éducation pour patients ». À l'époque, nous avons investi de l'argent et de l'énergie pour informer les patients sur leur état. C'est quelque chose qu'il faut développer dans nos pratiques hospitalières. Les patients sont amenés dans des situations de soins à leur insu, sans leur consentement. Si vous allez aux États-Unis, vous verrez comment les programmes préopératoires sont communiqués au patient. Les études montrent que lorsqu'on l'informe clairement avant l'intervention, le patient consomme moins d'analgésiques, a moins de nausées et son séjour à l'hôpital est plus court de 10 %. Cela entraîne donc une économie extraordinaire dans le domaine de la santé publique. Mais ça, c'est aux États-Unis. Il ne faut pas non plus tomber dans le revers de ce pays où le droit s'américanise au point qu'il devient une obligation de résultat. Entre les deux, entre l'information et l'absence d'information, il existe une grande marge.
Parlons maintenant du droit de la famille. Lorsque le décès survient, même s'il est attendu depuis des semaines voire des mois, c'est un moment crucial, dramatique. On ne s'y fait pas. Nous laissons alors le corps du défunt dans sa chambre pendant 24 heures et la famille a l'occasion de revoir cette personne qu'elle a aimée. Cela concerne toute la famille, y compris les petits-enfants. Vous me direz qu'il s'agit de détails morbides. Pas pour nous. Les familles nous disent combien ça les aide. L'heure qui suit le décès du patient ne nous appartient pas. Elle appartient à la famille et nous la laissons avec le défunt. C'est un moment d'une extrême intensité que nous n'avons pas le droit de violer par notre présence. Ensuite, il y a la présentation du défunt dans sa chambre. Je ne sais pas si l'étape suivante est propre à toutes les unités de soins palliatifs. Il y a ce moment où le personnel et la famille prennent congé de celui qu'ils ont soigné et aimé. C'est un moment de célébration dans le respect des convictions philosophiques de tout le monde. Un membre de l'équipe évoque ce qu'a été la vie de la famille, ce qu'elle a vécu au Foyer Saint-François, les moments que nous avons passés à ses côtés. Un texte religieux ou profane est aussi lu et la famille est encore invitée à aller revoir une dernière fois, en compagnie de bénévoles et du personnel, le malade dans son cercueil. Ce sont des petites choses mais elles sont très importantes pour la préparation du deuil. Un mois après le décès, nous envoyons un petit mot à la famille afin de lui signaler que nous sommes de tout coeur avec elle. Un an après le décès, c'est la même chose. Deux mois après le décès, nous convions les familles à un goûter. Et elles viennent. Lors de la dernière célébration, cent personnes étaient présentes. Elles sont touchées par la sollicitude des soignants et des bénévoles.
Désormais, nous voulons aller plus loin parce que des membres des familles nous téléphonent. Ils ne se sentent pas bien et souhaitent rencontrer à nouveau le médecin ou une psychologue. Nous projetons donc de créer un espace d'accueil pour les enfants qui ont connu un deuil dans leur famille et un second espace pour les personnes du Foyer Saint-François qui sont venues dans la maison. Il s'agit d'une proposition de suivi de deuil comme il en existe dans les institutions françaises, suisses ou canadiennes. Tout cet environnement fait qu'en termes de santé publique, des deuils bien assumés représentent aussi des économies à long terme, et ce en dehors de tout l'aspect de la souffrance morale.
La formation est actuellement rudimentaire. Deux heures de cours facultatifs, en faculté de médecine, sur les soins palliatifs, c'est dérisoire.
M. le président. La situation est-elle la même dans toutes les institutions universitaires ?
M. A. Schoonvaere. Il en est ainsi à l'UCL. Je vais rencontrer le doyen de la faculté de médecine pour essayer de promouvoir des stages en soins palliatifs. C'est important. Dans les écoles d'infirmières, on ne parle d'accompagnement en fin de vie que depuis quatre ou cinq ans. Nous n'en sommes donc qu'à l'ABC. Il faut continuer jusqu'à Z. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous bénéficierons d'une véritable culture palliative dans notre pays.
M. René Thissen. Je voulais poser la même question relative à la famille mais vous avez déjà répondu précisément. Je voudrais, par contre, vous interroger au sujet de l'acharnement thérapeutique. Existe-t-il un type de patient qui est toujours conscient quand il arrive chez vous et avec lequel vous avancez vers l'étape ultime grâce au dialogue ? Ou bien vous retrouvez-vous aussi avec des patients inconscients ou semi-inconscients face auxquels vous vous posez la question de l'acharnement thérapeutique ? Si oui, quelle est votre réponse ?
Ma seconde question porte sur le financement. Hier, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, nous avons entendu le rapport Peers relatif à la distribution des soins de santé. Un représentant de l'INAMI a cité un chiffre. J'aimerais savoir si vous pensez qu'il est réaliste. Ce représentant estimait qu'avec une somme d'un milliard, on pourrait couvrir les besoins en soins palliatifs dans le pays.
Je vous ai entendu parler de plusieurs milliards. Quelle est votre opinion sur le sujet ? Des études ont-elles été réalisées sur le sujet ?
M. A. Schoonvaere. Je répondrai tout d'abord à votre dernière question. Lorsque j'ai évalué le budget actuellement consacré aux soins palliatifs, y compris les soins à domicile en fonction de la nouvelle mesure, j'ai fait référence au budget de l'INAMI pour l'année 2000. Le budget des soins palliatifs s'élève à environ 1,7 milliard, dont 265 millions pour les soins à domicile, 565 millions pour les équipes mobiles etc.; il y aussi le budget pour les 360 lits qui s'élève à un montant compris entre 1,2 et 1,3 milliard. On arrive donc à un budget de 1,7 milliard, sur un budget général de 500 milliards. Nous avons donc encore une marge de manoeuvre mais il faut faire des choix dans ce secteur et cette tâche vous revient. Mais de toutes façons, ce budget est faible par rapport à ceux des autres pays.
J'en viens à votre question relative à l'acharnement thérapeutique. L'état des patients est très variable quand ils arrivent chez nous.
Certains sont tout à fait lucides et viennent en voiture. D'autres sont comateux et ont une espérance de vie statistiquement très limitée. Je pense au cas d'une malade qui avait subi une trépanation et qui avait une tumeur cérébrale avec récidive; le pronostic du médecin était de trois semaines. La patiente était comateuse, elle avait des sondes, des escarres, etc.
M. Philippe Mahoux. J'aimerais savoir pourquoi on envoie des patients comateux dans une unité de soins palliatifs.
M. A. Schoonvaere. Je vous raconte tout d'abord l'histoire de cette patiente. Elle était tout à fait confuse, dans un précoma, avec alimentation artificielle, escarres, sondage, etc. Elle nous était envoyée par l'hôpital, lequel doit aussi respecter des normes en matière de durée de séjour et autres. Cette personne a été soignée et, après un mois, elle a recommencé à s'alimenter. Le deuxième mois, on a pu enlever la sonde. Six mois plus tard, cette patiente a retrouvé sa lucidité et, après 220 jours d'hospitalisation, elle est retournée dans une maison de repos et de soins; elle marche à nouveau et elle va bien.
Voilà donc l'exemple d'une patiente qui nous est arrivée dans un état comateux et qui se retrouve bien vivante dans une maison de repos et de soins. Elle s'est cassée le col du fémur entre-temps mais elle va bien.
Il faut souligner cette réalité : 10 % de nos patients quittent l'institution pour aller ailleurs. Les soins palliatifs ne constituent pas le dernier ressac. Cette évolution positive est probablement due à un environnement favorable.
Je réponds à votre question, Monsieur Mahoux. Cette patiente comateuse nous a été envoyée parce que, après l'avoir opérée, le neurochirurgien a estimé qu'elle n'était pas guérie et qu'elle relevait des soins palliatifs. Il est clair que cette patiente avait quelque chose mais la médecine reste un art, Monsieur Mahoux. Et je crois que le médecin s'est trompé dans son pronostic, ce dont il se réjouit d'ailleurs.
M. Philippe Mahoux. La question que je me pose est de savoir pourquoi les patients comateux ne restent pas l'hôpital plutôt que d'être envoyés dans une unité de soins palliatifs.
M. A. Schoonvaere. En vous répondant, je vous dirai aussi pourquoi il faut que la culture palliative avance. Dans la première définition des soins palliatifs, intervenue en 1953 je crois, on limitait les soins palliatifs aux cancéreux en phase terminale. Le docteur Lamontagne dont j'ai l'article sous les yeux a repris quatre évolutions de la définition des soins palliatifs, sur une période de 25 ans, avec un élargissement du cancer à la phase terminale d'autres maladies et avec d'autres concepts. Le concept de suivi de deuil est aussi un élément qui entre dans la culture des soins palliatifs. Je pense que la santé publique est un continuum qui va de la naissance à la fin de la vie. Actuellement, l'OMS revoit ses définitions. Cela prouve qu'il faut du temps.
Mme Clotilde Nyssens. J'aimerais savoir pourquoi il y a tant de bénévoles dans les services de soins palliatifs. La raison est-elle un manque d'argent et de moyens ou cela fait-il partie de votre culture palliative ? Que ce soit en Belgique ou à l'étranger, il y a toujours une série impressionnante de bénévoles dans ces unités. Ces personnes sont-elles là pour aider le personnel soignant ou ont-elles un autre rôle ?
Deuxième question : lorsque j'ai rédigé, avec mes collègues, une proposition de loi sur les soins palliatifs, des kinésithérapeutes m'ont demandé à faire partie de cette culture palliative. Avez-vous des kinésithérapeutes dans votre institution ? Cette profession doit-elle être intégrée dans la proposition ? Dans l'affirmative, 12 000 francs par jour suffisent-ils pour offrir tous les soins que vous souhaitez donner ?
M. A. Schoonvaere. Il nous faudrait un montant de 14 000 à 15 000 francs et surtout un meilleur financement des médecins. La rémunération de ces derniers a été revue, mais elle est encore insuffisante. En soins palliatifs, il peut arriver que le médecin rende visite cinq fois au malade sur la journée. À cet égard, je plaide pour que cette médecine soit rigoureusement professionnelle. Je le dis clairement : donner une pompe à morphine et dire qu'on fait des soins palliatifs, c'est dénaturer profondément le concept de ces soins.
En ce qui concerne les kinésithérapeutes, certains viennent comme vacataires. Ce n'est pas une solution satisfaisante pour nous, mais si un traitement de kinésithérapie a été entrepris à l'hôpital, il faut pouvoir le continuer. De plus, comme je l'ai dit, 10 % des patients nous quittent pour aller ailleurs. Je pense que c'est la même chose dans les différentes unités de soins palliatifs du pays.
Lorsque l'état de santé d'un patient s'améliore pour des raisons que je ne peux vous expliquer la médecine reste un art il faut préparer l'arrivée en maison de repos et de soins et repasser à un traitement de revalidation; nous avons alors besoin de kinés.
Lorsque des patients souffrent beaucoup, un kiné ne serait pas de trop pour aider l'infirmière à faire des manipulations; de plus, certaines techniques de kiné peuvent calmer les douleurs. Pour calmer les douleurs d'un patient, il nous est arrivé de lui donner un bain à trois heures du matin. Il faut donc prendre tout ce dont on dispose pour faire de la médecine palliative, depuis les techniques simples jusqu'à la pharmacologie la plus élaborée.
J'en viens aux bénévoles. C'est probablement l'histoire des soins palliatifs qui a fait en sorte que l'Angleterre a eu ses bénévoles dès la première heure. Au Canada, sans doute en raison de la culture nord-américaine, il y en a 250 pour 15 lits. Vous me demandez si cette situation est due à un financement insuffisant. Ma réponse est non. Si un meilleur financement intervenait, je crois qu'on continuerait à avoir autant de bénévoles. Cela semble indispensable. Pour quelle raison ? Si on veut avoir une attention de toutes les minutes, ce n'est pas 1,25 infirmière par lit qu'il faut dans l'hôpital, mais le double. Chez nous, le bénévole a un rôle très important. C'est lui qui porte le récepteur d'appels des malades. Quand un patient appelle, il voit un visage dans les 30 secondes, celui du bénévole. Celui-ci trie les demandes : il se peut qu'il veuille simplement une tasse de café, ou le patient s'inquiète car il n'a pas encore vu sa famille ce jour, ou il voudrait se remettre au lit, etc. Si c'est pour une plainte médicale, on la relaie aux infirmières ou au médecin.
Une présence immédiate est importante parce qu'elle calme déjà beaucoup.
Le bénévole règle déjà la moitié des problèmes. Il a aussi un regard neuf sur une situation. Combien de fois ne sommes-nous pas interpellés par une parole d'un bénévole ? Il y a des coups de feu dans une unité de soins palliatifs. Lorsque plusieurs patients ne vont pas bien, que l'un d'entre eux est sur le point de mourir et que l'infirmière court, il est important qu'un ou deux bénévoles soient présents pour la famille. Laisser la famille seule, c'est très dur. Les familles nous disent souvent combien elles ont été aidées par nos bénévoles.
C'est par exemple la tasse de café qui arrive au moment où le décès survient. Ce sont de petites choses. Un bénévole, parce qu'il est un peu « déprofessionnalisé « et dégagé de certaines contraintes, est ce qu'on appelle au Québec le « soignant naturel », celui qui continue à agir comme la famille le faisait à domicile.
M. Jean-Pierre Malmendier. Je remercie M. Schoonvaere pour son exposé qui a été fait avec énormément d'humanité.
Sans ironie, j'ai envie de dire que je souhaiterais mourir chez vous, monsieur Schoonvaere. Une seule chose me tracasse. Vous citez le professeur Schwartzenberg qui dit qu'il arrêtera de pratiquer l'euthanasie lorsque les soins palliatifs seront suffisamment développés. Je crois qu'il dit vrai. C'est quelqu'un qui est également profondément humaniste. Il pratique donc l'euthanasie et il le dit.
Je vous ai aussi écouté parler et je réfléchis. Si je réclame l'euthanasie, j'entends que cette demande soit entendue et respectée. Or, que me dites-vous ? « J'entends votre demande et je l'interprète ». Je demande le blanc, et on me dit que le blanc n'existe pas. Il y a toujours un reflet. On me dit qu'on ne sait pas me le fournir.
Je trouve extrêmement frustrant d'être confronté à cette attitude. Admettons qu'un jour je me retrouve chez vous et que je demande l'euthanasie. Que me répondez-vous ? Me direz-vous d'aller me faire euthanasier ailleurs ou me direz-vous que ce n'est pas vraiment cela que je veux et vous vous substituez à ma demande ? J'aimerais obtenir une réponse précise à ce cas de figure.
M. A. Schoonvaere. Je vais sans doute vous décevoir en vous disant que je suis dans l'impossibilité de vous donner une réponse claire à ce sujet parce que la formulation que vous faites, c'est du blanc qui est décrit dans un contexte qui est le vôtre maintenant. Ce blanc, comment sera-t-il lorsque vous serez dans un lit ? Moi-même, je ne le sais pas. Il faut que la médecine et les soins palliatifs puissent se rendre à un moment donné et acceptent de ne pas tout contrôler. Ce serait peut-être là encore une plus grande preuve d'humanité. Le blanc que vous décrivez maintenant, je ne suis pas sûr qu'il va encore s'appeler blanc si vous vous retrouvez dans la situation. Beaucoup d'histoires que nous avons vécues le prouvent.
J'ai lu énormément sur cette question et tous les éthiciens s'accordent pour dire que poser la question en termes de blanc et de noir, c'est mal poser la question.
M. le président. Je remercie M. Schoonvaere pour son exposé sincère et intéressant.
Mme J. Vandeville. Je vous remercie de m'avoir choisie en tant que praticienne de terrain pour cette audition concernant les propositions de loi en matière d'euthanasie et de soins palliatifs.
C'est au nom du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, comme médecin chef de service de l'unité de soins palliatifs de Saint-Jean et comme médecin radiothérapeute ayant une pratique de terrain depuis 20 ans en oncologie que je souhaiterais m'exprimer.
Mon exposé s'appuiera donc sur des éléments du texte écrit par l'ensemble des membres du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, envoyé au Sénat le 26 janvier 2000. J'y ajouterai des remarques et des informations personnelles, en relation avec mon expérience quotidienne. L'analyse d'un cas vécu à l'unité de soins palliatifs sera développée en fin d'exposé.
Dans les propositions de loi, nous approuvons l'accent mis sur le développement des soins palliatifs : il s'agit du point le plus important du débat. Car les soins palliatifs offrent une prise en charge active et globale par une équipe interdisciplinaire, d'un patient atteint d'une affection incurable et qui va vers la fin de sa vie.
Cette équipe professionnelle et compétente est rassemblée par des objectifs communs. Elle considère que le malade en fin de vie est au centre de toutes les préoccupations, qu'il est un vivant jusqu'au bout et elle veut lui assurer une qualité de vie la meilleure possible.
Les professionnels veillent par leur compétence à soulager les douleurs physiques et les autres symptômes générateurs d'inconfort.
En outre, l'équipe prend en compte par l'écoute, le savoir faire et surtout le savoir être, la souffrance psychologique, sociale et spirituelle du patient. Elle est soutenue par l'aide précieuse de nombreux bénévoles.
La reconnaissance de la souffrance des proches et de la famille est primordiale. L'écoute, l'accompagnement par les membres de l'équipe soignante, l'assistante sociale, la psychologue aident à surmonter la période difficile du décès et du deuil. Car ceux qui restent doivent continuer à vivre malgré leur chagrin. Un suivi de deuil est donc proposé par une équipe de bénévoles encadrée par l'assistante sociale et un membre de l'équipe soignante.
À l'unité, où nous disposons de 12 lits, un staff d'admission est prévu une fois par semaine. En effet, parmi les demandes qui seront acceptées, 30 % ne pourront être honorées faute de place. En outre, notre quota d'occupation n'est que de 80 %. Au-delà de ce pourcentage, le supplément de charge de travail du personnel ainsi que les frais de fonctionnement ne sont pas remboursés. Lors de la demande d'admission, nous rencontrons la famille, parfois le patient s'il est en état de se déplacer. Nous leur expliquons les modalités de prise en charge, le contexte de vérité qui accompagne le patient tout au long de son séjour, qui respectera ses repères et son rythme.
Le fait qu'à l'unité Saint-Jean, l'euthanasie ne soit pas pratiquée, est aussi énoncé clairement. Nous y accueillons pourtant des patients de tout horizon. Ce choix sera expliqué à n'importe quel moment du séjour, si la famille et le patient en parlent ou le demandent. Il est évident que toute demande sera entendue, prise en considération, en concertation avec toute l'équipe.
Nous soulignons par cette démarche la reconnaissance de la valeur de la personne quel que soit son état physique et mental. La demande d'euthanasie n'est jamais banalisée dans le service, de même que la souffrance de la famille dont des pressions sur l'équipe sont parfois ressenties. Nous estimons en outre que l'acte d'euthanasie atteint celui ou celle qui la pratique; nous voulons que notre choix respecte la profession médicale et le personnel soignant.
Si nous pratiquions l'euthanasie à l'unité, qu'en serait-il du sentiment de culpabilité des familles qui déjà se reprochent d'avoir souhaité un instant une fin plus rapide pour leur parent. Par cette démarche transparente, nous pensons offrir au patient un lieu où il se sente en sécurité, mais aussi compris et aidé.
Après révision de nos dossiers, nous avons compté 18 % de demandes diversifiées touchant à la question du « mourir plus vite », par le patient ou par sa famille. 9 % environ des questions sont des demandes d'euthanasie, qui en tant que demandes n'ont pas été pratiquées mais ont toutes été prises en charge par l'équipe, par l'écoute attentive et empathique, la communication, la concertation. En même temps, nous visons à dispenser le confort physique, psychologique, social et spirituel, par les démarches adéquates. Toutes les initiatives créatrices venant de la part de l'équipe, du patient ou de sa famille, seront encouragées et aidées. Un soutien actif sera assuré aux proches. En effet, confrontée quotidiennement aux problèmes de fin de vie, une équipe de soins palliatifs devient de plus en plus capable de voir et de sentir la souffrance d'autrui et d'en décoder la complexité. Mais cela nécessite un temps d'identification et demande un investissement énorme.
Pour en revenir au projet de loi visant à garantir l'accès aux soins palliatifs, celui-ci met sur le même pied le code légal concernant l'euthanasie et l'offre en soins palliatifs. Or, ces alternatives n'ont pas le même poids, ni le même coût, ni la même rapidité d'exécution. Le projet de développement des soins palliatifs nous semble prioritaire. Car le corps médical et le personnel soignant sont insuffisamment préparés aux problèmes de fin de vie, tant à domicile qu'à l'hôpital. De plus, il y a encore trop peu d'unités résidentielles. On dit aussi que l'euthanasie et les soins palliatifs sont indissociables. Est-ce bien adéquat ? Car l'un et l'autre relèvent d'un esprit différent. En effet, ne va-t-on pas vers une dérive si par une loi, l'on en venait à proposer l'euthanasie à un patient sans lui proposer les soins palliatifs ?
Malheureusement, déjà maintenant, des témoignages de certaines familles et même de patients nous confortent dans ce sens.
Dans la même idée de dérive, si on proposait les soins palliatifs à un patient en fin de vie, pourrait-on admettre qu'on lui propose par la même occasion l'euthanasie comme alternative ? Cela n'exclut pas évidemment le fait que le médecin reste disponible pour cette discussion si l'occasion se présente, ou la suscite s'il pressent que le patient souhaite en parler.
Afin de développer leur compétence, on doit doter les unités de soins palliatifs et les associations de moyens pour la recherche, l'information, la formation des médecins et du personnel soignant.
Le prix de journée dans les unités parvient à couvrir le coût du nursing, de l'hôtellerie et des soins médicaux mais ne couvre pas l'entièreté de l'activité médicale bien que les honoraires médicaux aient été revus. L'acte intellectuel et la gestion d'une équipe pluri-disciplinaire ne sont pas rétribués.
Les activités de formation, les entretiens avec le psychothérapeute, l'accompagnement du deuil, les liens fonctionnels que nous devons avoir avec les maisons de repos et de soins ne sont pas couverts. L'accès aux soins palliatifs serait-il réservé à une certaine classe de la population ?
Nous appuyons le projet de loi quand il parle du financement des soins palliatifs à domicile, actuellement insuffisamment considérés, vu l'importance des moyens que cela requiert et le nombre croissant de patients qui souhaitent pouvoir mourir à domicile.
Actuellement, sur 100 000 décès par an en Belgique, on dénombre 50 % de décès à l'hôpital, 25 % en MRS et MR, 5 % en soins palliatifs et 20 % à domicile.
Qu'en est-il à l'hôpital en dehors des unités ? La fonction palliative à l'hôpital a été rendue obligatoire et c'est une bonne chose, mais comment la rendre crédible quand seulement 450 000 francs par an sont alloués à l'hôpital pour cette fonction ? Tout patient en fin de vie doit avoir la garantie d'accès aux soins palliatifs, aussi bien à domicile qu'en hospitalisation, en centre de jour, en maison de repos et en maison de repos et de soins, quel que soit son lieu de résidence, son âge et ses ressources.
À l'heure actuelle, trop de personnes âgées sont « abandonnées » faute de personnel soignant. Leur souffrance peut faire comprendre une demande d'euthanasie.
Au sein du comité d'éthique de la clinique Saint-Jean, nous nous sommes demandés si une loi ne risquerait pas d'aggraver la banalisation de l'euthanasie qui doit rester un acte d'exception considéré comme une transgression de l'interdit fondamental de tuer, car il faut éviter à tout prix que l'euthanasie ne devienne une réponse facile aux problèmes économiques liés au coût de plus en plus important des soins de santé face au progrès de la médecine et à l'augmentation de l'âge de la population.
Tous ses membres sont résolument adversaires de toute forme d'acharnement thérapeutique, c'est-à-dire l'instauration ou la poursuite de traitements inutiles, voire disproportionnés. La crainte de l'acharnement thérapeutique et ses conséquences peuvent être un incitant à une demande d'euthanasie.
Une désescalade thérapeutique se justifie dans des situations disproportionnées et doit se faire progressivement en fonction des pathologies. En effet, mourir aux soins palliatifs est différent de mourir en soins intensifs, en gériatrie ou dans certains centres spécialisés de neurologie.
La diversité de chaque situation rend difficile toute législation; il me paraîtrait préférable de proposer une réglementation et un encadrement de la décision médicale dans les situations les plus importantes concernant la fin de vie.
Quand un patient majeur, capable d'exprimer sa volonté, souffrant d'une maladie incurable et en phase terminale, fait de façon répétée une demande d'euthanasie, le médecin devrait avoir la possibilité de réunir ou de concerter l'équipe soignante, infirmiers, aides soignants, psychologue, assistant social, éventuellement les proches et un représentant de ses options philosophiques, s'il le désire.
De cette façon, un débat éthique de terrain peut être approfondi, afin de prendre la décision la plus adaptée à la situation. Cette procédure permettrait d'éclairer la décision du médecin et lui apporterait l'aide morale indispensable dans des décisions aussi difficiles.
Cette régulation a priori, après consultation collégiale des demandes d'euthanasie, assurerait une protection du patient vis-à-vis d'une décision trop rapide ou arbitraire. Cette protection devrait être assurée à tous les patients avec une attention particulière pour les plus vulnérables et les moins autonomes dans notre société, attention qui ne pourrait être assurée par un simple contrôle administratif a posteriori.
Cet encadrement qui permettrait au médecin d'être épaulé dans son appréciation de l'existence d'un état de nécessité devrait pouvoir lui garantir une certaine sécurité juridique dans la mesure où la décision serait prise après consultation. Le colloque singulier n'est qu'une étape mais elle est importante. Il sera bientôt dépassé dans une société qui se dit moderne et en progression s'il ne s'élargit pas à une concertation de l'équipe pour les situation les plus difficiles.
Nous tenons pour essentielle la différence entre les demandes d'euthanasie concernant les patients en fin de vie, et celles qui concernent les patients atteints d'une affection incurable mais non létale à brève échéance.
Ces deux situations sont à traiter de façon distincte sur le plan éthique. En amalgamant ces deux situations très différentes, on n'évitera pas des dérives prévisibles ni des abus liés à des pressions économiques et familiales.
En ce qui concerne la déclaration anticipée, elle ne peut tenir lieu d'obligation légale, mais peut être un indice dans la discussion concernant la fin de vie. Quelle serait en effet la portée d'une telle démarche expresse qui ne peut tenir compte de la situation réelle au moment de l'acte ?
Vous-même, Monsieur Monfils, dans la proposition de loi déposée en juillet 99, dites ceci : « Par définition, en bonne santé, le patient ne sait si et quand il sera atteint d'une affection grave. Il ignore l'environnement social dans lequel il évoluera à ce moment, il ne peut préjuger ni de l'évolution de sa personnalité, ni de l'attitude qu'il développera face à la maladie. » (Doc. Sénat, nº 2-22/1, p. 4).
M. Philippe Monfils. Madame, permettez-moi d'émettre une brève remarque sur la position que j'avais prise à l'époque. On discutait alors de la valeur d'un testament de vie, quel que soit l'âge auquel il était rédigé. J'avais cité l'exemple d'un étudiant de 25 ans qui rédigerait un testament de vie, un soir de sortie, testament que l'on invoquerait lorsqu'il aurait 65 ans.
Dans la proposition de loi que je défends avec mes collègues, la situation est très différente, puisque l'on tient compte, le cas échéant, d'un testament de vie qui a été fait moins de cinq ans avant le moment où le patient tombe dans l'inconscience. C'est donc la raison pour laquelle mon attitude a évolué, car les propositions que nous avons arrêtées sont très différentes des propositions initiales.
Mme J. Vandeville. Je trouve pourtant que l'idée était très bonne et je la retiens.
Je pense que la déclaration anticipée prive le patient inconscient de la possibilité éventuelle de se rétracter et déshumanise la relation médicale. Elle prive le médecin de sa liberté thérapeutique dans le choix des moyens que lui reconnaît l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, compte tenu des progrès de la médecine.
En outre, l'exigence de la présence de témoins pour faire cette déclaration paraît purement formaliste. Enfin, comment un article de loi sur la désignation de mandataires pourrait-il prendre en compte ce que les relations humaines ont de fragile ou d'imprévisible au cours du temps, et évaluer le poids de responsabilité de ces personnes ?
Telle que décrite dans la proposition de loi, une commission fédérale d'évaluation aurait-elle un autre rôle que celui d'une chambre d'enregistrement de données statistiques ?
Il faut absolument prévoir des moyens de contrôle efficaces pour éviter les dérives dont il a été question plus haut.
Avec l'accord de l'équipe soignante et de la personne la plus proche de monsieur A, voici son histoire lorsqu'il est arrivé à la fin de sa vie. Monsieur A est âgé de plus de 80 ans. Il vit depuis plus de cinquante cinq ans avec son ami, monsieur B. Il y a six ans, il est atteint d'un cancer ORL traité par chirurgie et par radiothérapie. Il garde comme séquelles une sécheresse de bouche importante, puis une asymétrie faciale sur atteinte nerveuse. Depuis trois mois, il présente des troubles de la déglutition qui ont débuté progressivement, puis qui ont abouti à des épisodes de reflux des aliments par le nez ou à des épisodes de vomissements en jets. Une hospitalisation en milieu universitaire est programmée par son médecin traitant. Divers examens poussés sont effectués pour trouver la cause. Malheureusement, la mise au point ne permet pas de mettre en évidence une étiologie bien particulière. On découvre cependant une mycose ainsi que des spasmes de l'oesophage inférieur. Après traitement de l'infection, on propose au patient le placement d'une sonde de gastrotomie pour le nourrir. En effet, ses ennuis sont sans doute des effets secondaires tardifs mais irréversibles de la thérapie effectuée pour le cancer.
Le patient rentre chez lui. Les médecins l'ont rassuré, rien de grave n'est à l'origine de sa symptomatologie. Pourtant, il se sent « moche », il sent qu'il va mourir. Quelques jours plus tard, on le retrouve au service des urgences de la clinique Saint-Jean. Il se sent toujours aussi mal et veut savoir pourquoi. Il est hospitalisé dans un service de médecine. Une nouvelle mise au point est donc effectuée. Celle-ci révèle une anémie, une légère insuffisance rénale mais surtout la présence de multiples métastases hépatiques. L'altération de l'état général s'accélère, l'amaigrissement devient plutôt un état de cachexie.
La paralysie faciale est en outre certaine, de même que la paralysie d'une corde vocale, ce qui rend le patient difficilement audible. Les effets secondaires tardifs semblent donc évoluer et associés à la présence de métastases hépatiques, ils expliquent la pathologie.
En cours de séjour, monsieur A présente une pneumonie sur fausse déglutition qui sera traitée.
Durant tout le mois de son hospitalisation dans le service de médecine interne, le patient alternera des demandes d'aide au suicide et d'euthanasie. Il recevra des doses importantes d'anxiolytiques. C'est dans ce contexte que nos confrères nous l'adresseront, car la situation est pénible. Le patient est devenu terminal.
Lors de l'admission à l'unité de soins palliatifs, nous trouvons un patient triste, que l'on dit déprimé, mais est-il déprimé ? Il pleure beaucoup, parle sans cesse de son souhait de mourir. Il manifeste aussi avec la même intensité, le besoin de présence à son chevet. Il dit qu'il se sent abandonné, qu'il a froid, malgré l'empressement des infirmières à lui mettre plusieurs couches de couverture. Il répète que c'est à l'intérieur de lui-même qu'il a froid.
À l'examen clinique, on lui décèle un léger encombrement bronchique, mais son foie qui est palpé n'est pas douloureux. Monsieur A réclame souvent son ami, qui vient le visiter tous les jours en soirée, et ne peut rester plus longtemps pour des raisons, dit-il, privées.
Inlassablement, monsieur A répète aux soignants sa demande de mourir avec « quelque chose », car ainsi il mourra rapidement sans souffrance morale. Il tente souvent de sortir du lit pour aller vers la fenêtre.
Les symptômes d'encombrement bronchique deviennent plus importants, il doit être aspiré régulièrement. Il a des diarrhées fréquentes, probablement secondaires à l'alimentation par sonde, et à des interventions digestives subies dans le passé. Le traitement symptomatique commencé en médecine interne est bien sûr poursuivi à l'Unité.
Je me pose cependant rapidement cette question que je partage à l'équipe : est-il bien nécessaire de poursuivre l'apport calorique chez ce patient qui malgré tout, continue à se dégrader physiquement, et reste cachectique, alors qu'il demande sans cesse la mort.
Après quelques jours d'évaluation et de discussion avec l'équipe, d'écoute attentive du patient et de son ami, nous lui proposons une diminution progressive de l'alimentation, tout en maintenant l'hydratation. Avec beaucoup d'humour, monsieur A signifie qu' il préférerait le champagne à l'eau.
Cette désescalade thérapeutique sera ensuite associée à une très légère sédation, afin qu'il oublie sa souffrance morale. Le patient acquiesce rapidement à la condition expresse que le médecin reste près de lui, ce que je fais. Cette décision est communiquée à l'ensemble de l'équipe, de même que la nécessité de présence constante. Les bénévoles relaient les soignants au chevet du patient. L'ami et les proches sont contactés et mis au courant, de même que le médecin traitant. Plusieurs rencontres avec celui-ci ont permis de nous éclairer sur la personnalité de monsieur A et de son histoire.
Un rendez-vous avec l'ami et moi-même est cependant fixé, car l'équipe décèle l'existence d'un secret entre eux. Au cours de la conversation avec l'ami qui accepte d'évoquer une partie intime de sa vie, j'en obtiens la confirmation. Avec beaucoup de bonté, l'ami raconte aussi l'allure et le comportement de monsieur A; celui-ci avait toujours été coquet, raffiné, fier de son apparence à laquelle il attachait énormément d'importance.
Depuis l'apparition des vomissements, il quittait fréquemment la table. Il avait le sentiment de se donner en spectacle et avait honte de l'image qu'il renvoyait à l'autre. Il pensait avoir perdu toute séduction.
De la conversation, le médecin a détecté un besoin urgent d'une nouvelle rencontre entre les deux partenaires, car il y avait sans doute un désir de réconciliation. De fait, à partir de ce moment, l'ami s'est découvert une plus grande disponibilité et nous l'avons vu de plus en plus souvent au service.
Entre-temps, la maladie gagnait du terrain, le patient devenait de plus en plus faible et de plus en plus somnolent, mais ne manifestait plus son désir de mourir et nous étions surpris car il ne mourait plus. Et cela, malgré la désescalade thérapeutique et malgré une légère sédation et malgré l'évolution de la maladie. N'y avait-il pas contradiction entre la demande et le désir ?
Devant ce mystère, l'ami a pu décoder qu'il appelait la mort mais que sur ce chemin, il avait peur de rencontrer sa mère, dont jamais il n'avait parlé. Celle-ci avait en effet joué un rôle important dans toute sa vie, par son autorité, le manque de reconnaissance de la valeur de son fils, et le déni de son homosexualité. Là encore, nous avons demandé à l'ami d'intervenir, ce qu'il a fait longuement.
Nous ne lui avons pas demandé quelles ont été les paroles qui ont permis à monsieur A de « décrocher » et de s'endormir paisiblement.
La démarche est restée bien sûr inconfortable, pour tous difficile et courageuse mais aussi confidentielle. Elle a permis au patient de s'éteindre dans l'apaisement qu'il réclamait. Tous les mots seront trop pauvres pour exprimer ce cheminement dans l'angoisse, le désespoir mais aussi l'espérance, la confiance, parfois même la transcendance, des patients que nous soignons. Ils tendent jusqu'au bout malgré leur ambivalence à l'accomplissement d'eux-mêmes et à la recherche de la tendresse et de l'amour d'autrui.
(La suite de l'audition a eu lieu à huis-clos).
Mme Micheline Roelandt. Je suis issue d'un milieu de libres penseurs et je ne suis bien entendu pas la seule à venir parler de l'euthanasie devant cette assemblée.
En tant que neuropsychiatre, j'ai souvent constaté que les personnes craignent de ne pas être entendues au moment où elles verront leur fin venir. Comme enfant et comme jeune adulte, je savais qu'il y avait des accords entre mes parents et des médecins amis.
Leur signification ne m'était pas totalement étrangère, mais je ne savais pas précisément ce que ces accords comportaient. Je ne pense pas qu'on évoque l'euthanasie ou le droit de regard quant à la détermination du moment de la fin de vie uniquement dans mon milieu.
Nous disposons d'informations très maigres pour nous permettre de nous forger une image de ce que sont véritablement les actes d'euthanasie.
L'euthanasie est certes fréquemment appliquée, mais les rares enquêtes à ce sujet qui ont été menées en Belgique ne nous donnent aucune vue précise du nombre d'actes réels. Nous ne savons pas si les chiffres sont surestimés ou sous-estimés. Je sais cependant, de par expérience professionnelle, que dans bon nombre de cas, on tue et que la volonté du patient d'avoir recours à l'euthanasie n'est pas du tout claire. C'est un gros problème pour le personnel infirmier et soignant, car il se rend compte que beaucoup de choses se passent dans le service dont il n'a pas une vision très claire. En tant que psychiatre, on me demande souvent de soigner ces personnes pour dépression, de les aider ou de les soumettre à une thérapie. Ils viennent souvent d'un autre milieu. Il est bien connu que ceux qui travaillent à l'hôpital Erasme, par exemple, se font soigner à l'hôpital de l'UCL et vice versa de manière à ce que les collègues ne sachent pas qu'ils ont un problème.
Lorsqu'il s'agit d'affaires illégales, je sais mieux ce qui se passe à Saint-Luc que dans mes propres hôpitaux. Il s'y passe comme dans d'autres hôpitaux des actes euthanasiques qui ne sont pas pratiqués ouvertement et pour lesquels on ne sait pas quel était le souhait du patient. Dans ces cas, on peut parler de meurtres.
M. le président. Souhaitez-vous parler à huis clos ?
Mme Roelandt. Non, car je ne pense pas raconter ici de grands secrets.
Je suis convaincue qu'il faut parvenir à une sécurité juridique absolue en matière d'euthanasie, pas seulement parce que les médecins seraient mieux protégés, mais surtout parce que le patient ainsi que sa famille et le personnel soignant seraient mieux protégés. Il incombe au législateur de concrétiser cette sécurité juridique.
J'en arrive à une situation personnelle. Je suis issue d'un milieu de libres penseurs. J'ai clairement compris à un moment donné que mon père souhaitait l'euthanasie dans certaines circonstances. Par la suite, les choses furent moins claires pour moi. Un an s'écoula, mon père tomba malade et l'ami médecin qui le soignait semblait considérer que la maladie était dans sa phase terminale. Moi, je ne savais plus très bien. Était-on en phase terminale ou mon père ne supportait-il plus la souffrance morale ? Je ne savais plus très bien quelle était la situation du point de vue médical car, comme c'est bien souvent le cas, on n'en soufflait mot.
On parle peu de l'acte euthanasique avec ses collègues, avec le personnel soignant ou la famille. En effet, le médecin prend des risques de sorte qu'on considère souvent qu'il s'agit d'un acte héroïque. L'euthanasie se pratique dans une atmosphère de clandestinité. Personne ne sait ce qui va se passer, ce qui se passe, ni pourquoi. La médecine n'est pas seulement une science mais aussi un art. Le médecin qui se trompe ou a l'impression de pouvoir se tromper n'a pas la possibilité d'en parler avec d'autres. Lorsqu'il pratique l'euthanasie ou pense devoir le faire, il préfère que le moins de personnes possible le sachent même si le patient a donné son approbation. Cette atmosphère de clandestinité autour de l'euthanasie existe aussi dans les milieux libres penseurs.
Enfin, il est également possible que quelqu'un, à un certain âge, dans un hôpital, ait une dépression sans savoir très clairement s'il veut en finir. Il se peut qu'un médecin doute et se demande si quelqu'un est dépressif ou s'il veut réellement en finir avec la vie. Le médecin qui est confronté à de telles questions est seul. Je ne plaide pas pour l'instauration obligatoire de l'un ou l'autre collège. Cela ne ferait que compliquer les choses. On serait obligé de transmettre à d'autres la demande d'euthanasie alors qu'ils ne connaissent pas le patient de la même manière que le médecin concerné. Ce serait finalement un imbroglio administratif qui ne simplifierait et n'éclaircirait en rien les choses. Si l'on parvient à une sécurité juridique, les médecins pourraient discuter du problème avec la famille et leurs collègues. Cela pourrait se discuter comme toute autre situation médicale qui n'est pas claire ou dans laquelle le médecin n'est pas tout à fait sûr de lui. Pour moi, la sécurité juridique présente un avantage pour le patient, pour le médecin et pour la famille. La famille peut aussi être impliquée ouvertement au lieu d'avoir la vague impression qu'il se passe bien quelque chose sans savoir quoi et sans savoir précisément à quel moment précis faire ses adieux.
J'en arrive à quelques considérations sur le concept de dignité. La souffrance inutile est relativement claire pour chacun. La dignité me semble être un concept qui est tout sauf clair. La dignité est liée aux valeurs culturelles. La dignité absolue n'existe pas. Ce qui est digne dans une culture déterminée, peut paraître indigne dans notre culture et vice versa. Ce qui est digne pour moi ne l'est pas nécessairement pour mon voisin. La dignité humaine est donc en partie déterminée par la personne elle-même qui parle de sa dignité humaine. Or, dans bon nombre de discussions, on a l'impression que l'une ou l'autre instance va déterminer ce qui est digne pour tous les individus.
La dignité et la souffrance inutile ne sont pas synonymes. Je peux estimer pour moi-même qu'il est particulièrement indigne d'agoniser pendant des semaines dans un lit d'hôpital même si je n'éprouve pas la moindre douleur. Je peux estimer que c'est indigne parce que j'ai décidé pour moi-même que je veux avoir quelque chose à dire quant au moment d'en finir. Je peux cependant très bien comprendre que, pour bon nombre de personnes, il soit particulièrement important de laisser le processus suivre son cours et que ceux-ci souhaitent seulement que la mort se déroule de la manière la plus confortable et sans douleur. Je suis irritée quand j'entends que dans les milieux catholiques, on place la dignité humaine en opposition avec le principe de solidarité.
Il n'est pas question de mettre fin à la vie de quelqu'un qui ne l'a pas voulu. Il n'est pas davantage question de raccourcir la vie pour des raisons économiques. Ce n'est cependant pas parce qu'on veut être solidaire avec moi, alors que je suis grabataire pendant des semaines ou des mois, que je dois apprécier cette solidarité. En fin de compte, je dois pouvoir m'exprimer quant à mon souhait de bénéficier ou non de cette solidarité.
Dire qu'il suffit de mettre fin à la souffrance inutile et qu'il ne faut pas tenir compte du principe de dignité parce que ce principe implique qu'une partie de la société doit être solidaire avec des personnes qui ne veulent pas cette solidarité me paraît un raisonnement assez absurde. Dans ce raisonnement, je ne puis plus me retrouver en tant qu'être humain ayant la faculté d'influencer sa propre vie et par conséquent sa fin de vie.
Dans tout ce débat relatif à l'euthanasie, il y a quelque chose de difficile à comprendre. Ces dernières années, on a élaboré les droits du patient.
On a une vision claire de ce qui peut se faire et de ce qui ne peut pas se faire. On reconnaît enfin le droit d'accepter ou non certaines interventions et le droit de se faire soigner ou non. Cela ne signifie pas qu'il ne vaille pas la peine, le cas échéant, de convaincre un patient. Si toutefois le patient maintient son opinion, alors cette opinion est respectée. Je peux donc décider pour moi-même de me suicider ou de ne pas suivre un traitement. Pourrais-je alors ne pas pouvoir décider d'en finir si j'ai le sentiment que la fin est arrivée pour moi et si j'ai fait mes adieux sereinement ?
Il est donc particulièrement important de fixer dans la loi que la souffrance inutile comporte aussi un aspect de souffrance morale inutile.
La souffrance morale inutile commence lorsque le patient a l'impression que sa vie ne correspond plus à sa conception du sentiment de dignité humaine.
Dans la dernière partie de mon témoignage, je vais en revenir à nouveau à des situations plus personnelles. Ma mère était libre penseuse. Elle avait des idées très claires sur la manière dont elle voulait mourir et des idées encore plus claire sur la manière dont elle ne voulait pas mourir. Son père était mort à 94 ans à la suite d'un processus de démence qui avait duré quelque 25 ans. Cet homme a relativement bien vécu jusque 85 ans. À partir de ce moment-là, il ne sut plus du tout qui il était et fut enfermé dans une institution. Cela dura encore 9 ans. Ma mère savait donc précisément ce qu'était la démence. Elle pensait aussi au fait que cela pourrait être héréditaire. Le risque de devenir démente n'était donc pas irréel.
Je l'ai entendu dire pendant des années que je devais mettre fin à ses jours si elle devenait démente. Elle me demanda de le promettre. C'est plus facile à dire qu'à faire. Elle est effectivement devenue démente. À 82 ans, il n'était quasiment plus possible de la garder à la maison car elle représentait un danger pour ses voisins et pour elle-même.
Nous l'avons alors transférée dans une maison de repos où l'on a supporté sa présence pendant quelques années bien qu'elle ne fût pas une patiente modèle et qu'elle ait perturbé le repos des autres patients plus d'une fois. Elle a passé les six dernières années de sa vie dans une institutions spécialisée pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres démences.
La situation dans laquelle se trouvait ma mère me paraissait relativement absurde. En dépit du fait que je sois fille unique et qu'il n'y eût pour ainsi dire aucun autre membre de la famille encore en vie, mes questions quant au sens d'une telle situation se heurtaient à l'incompréhension des médecins traitants de la maison de repos spécialisée. On me donnait l'impression que mon intention était d'assassiner ma mère. Cette situation eut pour conséquence que j'eus de moins en moins d'impact.
Pendant ces six années, elle ne savait plus qui elle était ni qui j'étais. Elle ne pouvait plus du tout parler. Elle ne pouvait plus non plus bouger parce qu'elle ne savait pas qu'elle ne savait plus marcher et tombait donc régulièrement se faisant des fractures. Ce fut donc tout sauf agréable.
À un moment donné, l'institution me fit savoir que ma mère de 91 ans était en réanimation à l'hôpital. Elle y séjourna pendant six semaines en cardiologie et fut ensuite transférée au service de neurologie afin de procéder à une anamnèse complète. Selon le dossier médical, elle ne fut pas complète. Après être tombée du lit dans ce service, elle dut être admise pour un temps en chirurgie. Finalement, elle fut à nouveau transférée dans l'institution de soins.
Huit mois plus tard, on insista de nouveau pour pratiquer un examen cardiologique. Par le biais d'un collègue de l'hôpital, où ma mère avait été admise, je me suis informée du but et du sens d'un tel examen. On décida alors que l'examen n'avait aucun sens. Ma mère est décédée l'an dernier.
Je raconte cela parce que je suis consciente que cette situation est tout sauf unique. Dans l'institution spécialisée, où les patients étaient d'ailleurs parfaitement soignés, il y avait une cinquantaine de personnes qui tournaient en rond sans savoir qui elles étaient et qui continueraient sans doute encore à tourner en rond pendant bien des années. Je suppose qu'une partie de ces personnes n'ont jamais demandé qu'on mette fin à leurs jours si elles devenaient démentes. Nous devons donc veiller à ce que de telles institutions fonctionnent parfaitement et à ce que les personnes qui y séjournent soient parfaitement soignées. Il y a cependant un problème pour ceux qui ont clairement conscience de ce qu'est la démence et qui ont décidé pour eux-mêmes qu'ils ne veulent pas confronter les autres à leur situation car elle ne correspond pas pour eux à leur définition de la dignité humaine.
Certains affirment qu'un testament de vie est relativement inutile car on ne peut en tenir compte dès lors que la personne en question se retrouve dans la situation qu'elle a décrite dans son testament de vie. Cette affirmation comporte évidemment un fond de vérité. Au cours de l'évolution de sa démence, lorsque ma mère avait régressé jusqu'à un âge de dix ans, elle jouait dans ses rêves avec ses petites camarades à la récréation. Lorsque l'instituteur était fâché parce qu'elle n'avait pas fait son devoir ou ne trouvait pas ses lunettes pour faire son devoir, elle ne parlait évidemment plus de sa volonté de mourir.
Je suis cependant profondément convaincue que ma mère quand elle savait encore qui elle était avait parfaitement conscience qu'elle ne voulait pas vivre cette dégradation ni confronter son entourage à une telle image.
Lorsqu'on dit qu'un testament de vie a peu de valeur parce que les gens changent d'opinion, la question se pose de savoir si à ce moment-là les personnes elles-mêmes n'ont pas fondamentalement changé. En d'autres termes, à quel moment une personne a-t-elle le plus le droit de disposer de sa vie ?
Un testament de vie est certes précieux lorsqu'il est établi au moment où une personne est en état de prendre une décision quant à la manière dont elle veut ou ne veut pas mourir. Il est logique qu'on ne puisse tenir compte à cent pour cent d'un tel document car certaines personnes ne sont pas au courant de certaines facettes médicales et ne peuvent pas prévoir toutes les situations. Je pourrais, par exemple, penser que je ne veux plus vivre si je deviens aveugle. Si au moment où je deviens aveugle, je suis encore tout à fait consciente, je puis encore raisonner et je me rends compte que je veux encore vivre, je puis encore révoquer le testament de vie en toute conscience et en pleine possession de mes moyens. Si toutefois je ne puis plus rien décider parce que je ne sais plus qui je suis, il faut tenir compte de ce que je pensais lorsque je n'étais pas démente.
J'espère qu'il y aura une réglementation légale, mais j'insiste pour que l'on revoie les arguments qui visent à relativiser l'importance du testament de vie. Le testament de vie peut être important et afin de lever les doutes relatifs au testament de vie, on peut acter dans ce testament les noms de personnes qui sont en contact étroit avec la personne concernée et peuvent la représenter dans certaines situations où elle ne serait plus capable de s'exprimer elle-même. Il me paraît évident qu'il faut réfléchir de manière plus approfondie sur cette décision ultime et que plus de personnes doivent être impliquées dans ce processus. J'estime cependant qu'il est insensé et dans bien des cas injustifié de jeter le testament de vie au panier parce que la personne qui l'a rédigé n'est plus ce qu'elle était.
M. Alain Destexhe. Merci, Madame. Je ne sais pas quoi vous dire. Je pense que, tout comme vous, nous sommes sous l'emprise de ce que nous venons d'entendre. Je partage très largement votre avis. Mais la question que le législateur, le médecin et la famille devraient éventuellement se poser pour votre maman ou toute personne dans la même situation, est celle du moment à partir duquel il faudrait franchir le pas. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Vous avez très bien expliqué qu'il s'agit d'un long processus qui s'étale sur plusieurs années, que l'on régresse à dix ans d'âge mental, puis à cinq, puis à trois avant de perdre totalement conscience de soi.
Vous nous dites qu'il faut discuter. D'accord, mais à quel moment ? Lorsqu'on perd vraiment le contact avec ce que l'on est à l'âge adulte, en pleine maturité ? Existe-t-il un certain seuil ? Doit-on au contraire mener cette discussion lors d'un épisode aigu, à un moment où le problème n'est plus seulement celui de la démence mentale mais où il est surtout physique ?
Je partage très largement votre avis. J'aurais tendance à réagir comme vous et à considérer qu'on doit absolument tenir compte des demandes qui auraient été exprimées lorsque le patient était totalement lucide. Mais, à partir du moment où on entre dans le processus, je ne vois pas quand il faudrait déclencher cet acte et qui aurait la légitimité pour le poser. En effet, le patient est en quelque sorte hors-jeu, même s'il a exprimé sa volonté dans un testament de vie.
Si j'ai bien compris, vous avez presque été accusée par les médecins de cette institution. Je peux comprendre qu'un certain nombre d'entre eux se demandent si la famille ne veut pas accélérer les choses dans un but matériel. Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet ?
Mme Micheline Roelandt. Il était clair pour moi que la réanimation physique n'avait aucun sens. J'avais aussi clairement dit au personnel : « Pas de zèle ».
M. le président. Pour vous, c'était de l'acharnement thérapeutique ?
Mme Micheline Roelandt. C'était plus grave que cela. La question de M. Destexhe ne portait cependant pas tout à fait sur ce point. Il est un fait que beaucoup de personnes démentes se portent physiquement particulièrement bien. La volonté, l'exigence, le souhait de ma mère a toujours été de ne pas devenir démente. Personnellement, je pense qu'il est possible d'indiquer dans un testament de vie quand on souhaite en terminer. Au nom de ma mère, je puis dire qu'elle voulait en finir le jour où elle ne pourrait plus vivre de manière autonome. Il est évident que l'on peut déterminer à un moment donné si une personne peut encore vivre d'une manière autonome. Si l'on veut placer une personne démente dans une institution, il vaut mieux aller tout d'abord chez le juge de Paix. Il décide sur la base d'attestations que quelqu'un n'est plus capable de gérer ses affaires de manière autonome. À ce moment-là, la démence chez ma mère n'avait pas atteint un stade tel qu'elle ne puisse plus être consciente qu'elle ne pouvait pas vivre de manière autonome. Elle se rendait compte qu'elle ne pouvait plus rien gérer, qu'elle ne pouvait plus véritablement suivre les choses, qu'elle ne savait plus en quelle année on était, qu'elle posait vingt fois la même question et qu'à la vingt et unième fois elle ne comprenait toujours pas ce qu'il en était. La démence est un processus progressif et évolutif. On se rend donc compte à un moment donné que cela ne va plus et qu'il faut prendre des mesures. Lorsque ma mère dut aller en institution, il restait encore quelque chose de la femme qu'elle était. Elle existait encore quelque part et continuait à dire clairement : « Je veux mourir et donne-moi quelque chose ». Elle avait à l'époque 83 ans et cela a encore duré neuf ans. J'ai donc le sentiment qu'il est possible de déterminer quand cela suffit. On ne peut bien entendu laisser cette décision à un seul médecin mais l'on doit pouvoir déterminer légalement que si quelqu'un a indiqué dans un testament de vie qu'il ne veut pas être placé et s'il le confirme au cours des mois cruciaux pendant lesquels il a conscience de sa propre évolution et de son placement prochain dans une institution, qu'il faut alors un moment de discussion pour aider cette personne à mourir en réponse à sa propre demande.
Dans la dernière institution où ma mère a séjourné, j'ai eu des contacts avec de nombreuses personnes. Tout le monde est assis dans la même salle et des personnes viennent discuter avec vous. Elles ne savent pas qui elles sont ni qui vous êtes. Elles ne savent pas non plus précisément de quoi elles parlent mais de temps en temps surgit cependant la requête : « Je veux mourir ». Il doit être possible dans ces périodes d'en finir et de ne pas obliger les personnes à vivre contre leur gré des choses qu'elles estiment invivables. Le placement était invivable pour ma mère, car à partir de ce moment-là elle ne retrouvait bien entendu plus rien du tout. Elle se trouvait dans un autre environnement et ne pouvait même pas assimiler qu'elle avait changé d'environnement.
M. Alain Destexhe. Je suis d'accord intellectuellement avec le raisonnement que vous venez de tenir et j'ai l'impression que j'adopterais la même approche que vous. Mais si, en tant que législateur, nous vous suivons dans votre raisonnement, cette décision gravissime serait prise in fine par un organe de type administratif ou judiciaire. En effet, la personne concernée, même si elle a clairement exprimé son sentiment, au moment où la décision est prise, n'est plus actrice de cette décision. Restent donc la famille, le médecin, l'équipe soignante et le magistrat qui prend la décision de placement. J'en déduis qu'en fin de compte, cette décision n'est plus prise, comme nous l'envisagions dans les propositions de loi, lors du colloque singulier entre le médecin et le patient, mais est consacrée par la décision administrative visant à retirer à quelqu'un la gestion de ses biens.
Ne craignez-vous pas que, si l'on suit ce processus, on devra faire face à un très grand nombre de cas similaires ? Après avoir entendu votre histoire, de nombreuses personnes n'ayant jamais pensé à rédiger un testament de vie auraient envie de le faire. Et finalement, la société se trouverait confrontée non plus à quelques dizaines de cas, mais à quelques milliers.
M. le président. Le sénateur Geens nous avait d'ailleurs raconté une histoire assez semblable.
Mme Micheline Roelandt. Je dois tout de même indiquer qu'une personne de 80 ans sur quatre et une personne de 90 ans sur deux est atteinte de démence. Il s'agit donc effectivement d'un grand nombre de gens. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà promené dans une institution psychogériatrique spécialisée. Mais si certaines personnes demandent à en finir au moment où elles doivent être placées dans une telle institution, je suis personnellement encline à dire qu'accéder à cette requête ne constitue pas un drame démocratique. Au contraire, il s'agit d'une plus-value démocratique que de donner l'occasion aux gens de déterminer cela pour eux-mêmes. Personnellement, je suis aussi favorable à inciter le plus grand nombre possible de personnes, comme aux États-Unis, à rédiger un testament de vie. Il s'agit d'une des choses qui fonctionnent particulièrement mal en Belgique. On parle bien du testament de vie, mais il y a bien peu de personnes qui en rédigent un. Ce n'est pas bien grave si le médecin de famille interroge ses patients sur leur vision à ce sujet, s'il leur demande s'ils ont déjà réfléchi et, si beaucoup de personnes trouvent qu'elles ont une vision claire de ce que mourir dignement représente pour eux. L'augmentation de l'espérance de vie est particulièrement positive mais prolonger la vie sans que l'on puisse vivre dignement, ne me paraît plus positif. Cela ne me dérange donc pas qu'un grand nombre de personnes indiquent qu'il faut mettre fin à leur vie s'ils sont déments à 80 ou 90 ans. Je ne pense pas que le testament de vie doive faire état d'une telle limite d'âge, mais il doit stipuler que l'on ne trouve plus sa vie digne si l'on ne peut plus accomplir certaines choses.
Je ne veux pas en faire une affaire juridique. L'implication d'un juge de paix ne doit pas être une obligation absolue. Dans ma réponse à votre première question, j'ai indiqué que des collèges sont déjà impliqués dans ces affaires. Un juge de paix doit décider si une personne peut continuer à gérer ses affaires et, le cas échéant, à vivre à la maison. Il faut avoir recours à un médecin de famille et il faut que des attestations médicales soient établies. Il faut à un moment donné régler de nombreuses formalités administratives car on ne peut chasser quelqu'un de chez lui contre son gré et le placer dans une institution. Il faut à ce moment-là qu'il y ait d'autres possibilités partiellement définies par le testament de vie et la volonté de la personne à ce moment.
Mme Jacinta De Roeck. Madame Roelandt parle de la démence. J'ai fait un stage auprès de personnes âgées démentes et j'ai constaté que si ces personnes ne sont peut-être pas heureuses, elles ne sont pas malheureuses non plus. Je ne me sens par conséquent pas encline à rédiger un testament de vie dans le sens que M. Destexhe préconise. Mais je me pose la question de savoir comment un testament de vie doit être rédigé pour pouvoir être lu de manière univoque par un médecin.
On a reproché à la proposition de loi de ne s'adresser qu'aux intellectuels. Tout le monde peut-il rédiger un tel testament de vie. Comment pouvons-nous faire en sorte que tout le monde puisse l'écrire ? Je ne souhaite cependant pas que la rédaction d'un testament de vie devienne une obligation. Vous avez été un peu trop loin. Cela doit rester une exception et chacun doit être libre de faire ce qu'il veut.
J'ai entendu que vous étiez assez hésitante quant à la question de savoir si une demande d'euthanasie doit être une véritable demande d'euthanasie. Dans la proposition de loi actuelle, on ne fait aucune différence entre les patients en phase terminale et les autres. Cependant certaines personnes sont d'avis que pour les patients qui ne sont pas en phase terminale, il faut prévoir davantage de garanties. Pensez-vous que le psychiatre est appelé à jouer un rôle en la matière ?
Mme Micheline Roelandt. En ce qui concerne la deuxième question, je ne crois pas qu'un rôle obligatoire doive revenir au psychiatre. La collaboration entre médecins et psychiatres à la demande des médecins ne se déroule pas si mal. Dans bien des cas, il est fait appel au psychiatre par un gynécologue, un dermatologue, un chirurgien ou un interniste qui se demande si l'évolution d'un patient est purement déterminée par des problèmes somatiques ou si des problèmes psychiques se posent aussi. Si l'on peut discuter ouvertement de la demande d'euthanasie parce qu'elle n'est plus illégale et clandestine, alors le médecin traitant qui devra, le cas échéant, pratiquer l'euthanasie, fera spontanément appel au psychiatre pour les cas douteux. Dans 99 % des cas, il est conscient qu'il se passe quelque chose d'autre. Peut-être un membre de la famille ou une infirmière attire-t-il son attention sur le fait que quelque chose ne va pas. Je ne souhaite donc pas en faire une obligation. Dans l'ensemble, je fais suffisamment confiance à mes collègues, même si je suis consciente que l'on risque de temps en temps de passer à côté d'un diagnostic de dépression.
Actuellement, un médecin peut difficilement demander à un psychiatre si un patient est dépressif et si sa demande de mourir est véritable. On ne parle pas de cela et le médecin reste confronté à la question de savoir si la demande est fondée ou non. La situation s'améliorera certainement s'il y a sécurité juridique et si l'on peut parler de l'euthanasie ouvertement. L'implication d'un psychiatre ne doit donc pas être une obligation; les médecins savent bien qu'il existe des dépressions et qu'il faut en tenir compte.
Il n'entrait pas du tout dans mes intentions d'imposer la rédaction d'un testament de vie à tout le monde. Nous vivons trop avec l'idée que nous sommes immortels. Nous voyons bien l'utilité d'un testament de vie pour les autres mais pas pour nous. Je pense qu'en cette matière, on peut confier un rôle aux médecins de famille. On peut les stimuler à discuter du testament de vie avec leurs patients. Si le patient ne souhaite pas y donner suite, alors on n'insiste pas. Si les médecins de famille étaient attentifs à cet aspect, plus de personnes seraient sans doute incitées à réfléchir à ce qu'elles veulent et à se demander jusqu'où elles veulent aller. Si le testament de vie est rédigé avec un médecin de famille, ce dernier pourra contribuer à mettre fin à certaines conceptions fausses. Il est arrivé plus d'une fois qu'un patient cancéreux qui n'est pas incurable pense immédiatement à ses souffrances prochaines. Grâce à des entretiens avec le médecin de famille, le patient peut être amené à relativiser le cancer.
Il faut dire clairement que certaines maladies soi-disant incurables peuvent quand même être guéries et ne connaissent pas toujours le déroulement horrible que les patients redoutent. Il faut encore mieux souligner le rôle du médecin traitant chez les personnes d'un moindre niveau intellectuel. Il peut non seulement par des conversations mettre fin à des conceptions erronées mais il peut aussi aider le patient à exprimer ce qu'il veut précisément.
M. Philippe Monfils. Je remercie madame de son intervention très claire et lucide et spécialement de la réponse qu'elle vient de donner. En effet, de nombreux médecins m'ont dit qu'il n'était pas possible de remplir des testaments de vie parce que les gens n'étaient pas capables de connaître l'évolution de l'art médical. Vous donnez une réponse intéressante, madame, en tout cas pour ceux qui n'ont pas le niveau nécessaire pour rédiger ce document en disant que le médecin peut aussi jouer un rôle de conseiller dans ce domaine.
Je voudrais vous poser deux questions. Vous avez rencontré un certain nombre de personnes qui avaient plus ou moins collaboré à l'acte d'euthanasie; vous avez parlé de Saint-Luc par rapport à l'ULB; vous avez évoqué les difficultés morales qui peuvent apparaître.
Un débat est ouvert ici depuis longtemps sur le point de savoir si, en cas de décision d'euthanasie, la consultation de l'équipe soignante devait être automatique et obligatoire. Je m'adresse au psychiatre que vous êtes, madame. Croyez-vous que la formation du personnel infirmer entre autres soit de nature à lui permettre de supporter la coparticipation dans une décision d'euthanasie ? Je sais que c'est le médecin qui prend cette décision. Si une consultation est obligatoire, cela se fera sous certaines formes et il ne suffira plus d'estimer que le patient a l'air à bout de souffle; il s'agira vraiment d'une participation à l'acte d'euthanasie. À votre avis, est-il possible de supporter ce genre de choses ? Personnellement, j'en doute, mais je suis juriste et non médecin.
J'en viens à ma deuxième question. Certains membres de cette assemblée et moi-même soutenons que l'euthanasie peut être octroyée en cas de souffrance physique ou de détresse morale sans souffrance. Certains proposent de séparer et de modifier la procédure qui serait plus courte en cas de souffrance physique et plus complexe et élargie en cas de détresse morale. Quel est votre sentiment ?
Pensez-vous que les procédures doivent être plus longues, plus adaptées, lorsque la personne n'est pas en fin d'existence mais, comme vous l'avez dit et comme nous le disons également, estime qu'elle a terminé son existence et demande qu'on en finisse ? À cet égard, le cas le plus célèbre est celui de M. Laurent, tétraplégique, qui s'est exprimé quelques fois dans les médias.
Mme Micheline Roelandt. Avant de répondre à ces questions, je voudrais d'abord rectifier quelque chose. Il n'entre pas dans mes intentions de jeter le discrédit sur Saint-Luc et je trouverais particulièrement regrettable de lire demain dans l'un ou l'autre journal que je reproche à Saint-Luc d'assassiner des patients. J'ai simplement dit que les tensions qui se manifestent dans d'autres hôpitaux me viennent souvent plus rapidement aux oreilles que celles qui se font jour dans les hôpitaux de mon réseau. L'inverse est incontestablement vrai aussi.
Quand j'ai parlé du personnel infirmier et d'autres personnes qui peuvent difficilement faire face dans leur hôpital à une euthanasie ou à l'assassinat d'un patient, je ne pensais pas aux infirmières qui se plaignent des médecins ni aux médecins qui se plaignent des infirmières. Il s'agit pour moi d'une situation dans laquelle médecins et infirmières pratiquent de tels actes sans que l'on sache clairement qui l'a demandé.
À mon avis, le personnel infirmier est parfaitement capable de faire face à des actes d'euthanasie et je dirais même plus, il doit être consulté à ce sujet comme pour tout ce qui se passe dans le service. Mais cela ne doit pas être fixé dans un règlement. Pour un médecin chef de service ou un médecin de salle, cela fait une énorme différence si tout ce qui se passe dans son service peut être discuté avec le personnel infirmier, que ce soit en réunion de staff ou pendant son tour ou de la manière habituelle, utilisée pour impliquer le personnel dans tout ce qui se passe au sein du service. Si l'on arrête ou change un traitement, si un antibiotique est changé pour un autre ... tout le monde a toujours un avis à ce sujet. Une infirmière fera, par exemple, remarquer au médecin que le patient pour d'autres raisons que sa maladie a encore besoin de l'un ou l'autre médicament.
Pour moi, il est absolument nécessaire que l'on parle de manière aussi franche des actes d'euthanasie sans que cela devienne pour autant une obligation, car dans ce cas cela aurait un tout autre caractère. Cela devient alors quelque chose qui ne fait pas partie de l'activité médicale normale.
Je suis assez certaine qu'un médecin qui pratique l'euthanasie deux ou trois fois sans en informer son personnel est confronté à des protestations de la même manière d'ailleurs que s'il prend d'autres décisions médicales sans participation du personnel.
En d'autres termes, même si l'on laisse aller les choses, le personnel infirmier se fera entendre. Le fait que l'on pose à temps la question de savoir si le patient n'est pas en dépression ou s'il n'est pas indiqué de consulter un psychiatre constitue d'ailleurs, à mes yeux, une garantie supplémentaire. Tout ceci doit être possible dans un climat de franchise et dans la sécurité juridique, et non pas par le biais d'une réglementation élaborée. Dans ce cas, on aboutirait à une procédure administrative.
J'en arrive à la deuxième question de M. Monfils relative à la souffrance physique et à la souffrance morale et au fait de savoir si un psychiatre doit toujours être consulté. Je ne le pense pas, en tout cas pas si le patient est conscient et en mesure de prendre des décisions. Bien sûr on suppose qu'un médecin le fera s'il n'arrive pas à se forger une idée précise de la souffrance psychique de son patient. Il s'agit cependant d'une question de bonne pratique qui ne doit pas faire l'objet d'une règle. Sinon, nous en arriverions à la situation du patient qui, par exemple, demanderait l'euthanasie après trois semaines de soins palliatifs parce que, pour lui, tout est clair et qu'il a fait ses adieux à tout le monde, mais qui devrait quand même encore en passer par une procédure compliquée parce que sa souffrance n'est que psychique et non physique. Une fois de plus, on ne répondrait pas aux attentes du patient.
Pour les incapables et les patients déments, les choses sont naturellement quelque peu différentes. La décision ne peut être le fait du patient et de son médecin.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Mme Roelandt, en qualité de psychiatre, a déclaré que la frontière n'était pas nette entre le désir d'euthanasie et la dépression. À cet égard, elle a évoqué de faux diagnostics de dépression. Cet élément m'interpelle fortement. Comment un psychiatre peut-il établir une distinction entre une dépression plus ou moins grave, éventuellement momentanée, qui pourrait être soignée, et un désir résultant d'une profonde souffrance morale induite par une situation sans issue ? Mme Roelandt a dit à plusieurs reprises qu'il existait des circonstances dans lesquelles il était judicieux de solliciter l'intervention d'un psychiatre. Je voudrais qu'elle précise sa pensée sur ce point.
J'ai remarqué par ailleurs que Mme Roelandt plaidait vigoureusement pour la formule de la déclaration anticipée dans les cas de démence. J'aimerais qu'elle nous communique à ce propos sa manière de voir les choses concrètement. Il se peut que certaines personnes fassent une déclaration anticipée et que d'autres s'abstiennent d'agir de la sorte. Comment cela sera-t-il vécu en institut ? À partir de quel moment pourra-t-on prendre une décision quant à la fin de vie de quelqu'un qui aurait fait une déclaration anticipée ? Mme Roelandt a évoqué le cas de sa mère. Certains , lors de l'audition de la présidente de la Ligue Alzheimer, ont estimé que la décision pouvait être prise dès que le diagnostic était posé. Qu'en pense Mme Roelandt ?
Mme Micheline Roelandt. La médecine n'est pas une science exacte. Il nous faut toujours tenir compte de cet élément. Il s'ensuit que dans bon nombre de cas médicaux, les situations ne sont pas toujours évaluées correctement. Je sais par expérience que bien des personnes vivent une dépression sans en être conscientes ou sans que quelqu'un d'autre en soit conscient. Le diagnostic de dépression ne peut être posé facilement.
Si quelqu'un masque sa dépression, l'entourage ne peut pas toujours voir ce qui se passe. Si l'on pouvait toujours déterminer précisément quand quelqu'un est dépressif, on aurait bien moins de suicides.
Nous devons être conscients que le cadre dans lequel la question de l'euthanasie se pose exige qu'il y ait aussi un processus évolutif, qu'il soit irréversible et entraîne la mort. Je suppose que le problème de la dépression qui est de nature passagère ne peut se poser dans un tel contexte. Un patient souffrant d'un cancer chronique pour qui on est plus ou moins arrivé au bout des possibilités d'intervention mais chez qui la douleur est relativement bien contrôlée, souhaite à un moment donné en finir. Ce moment peut être déterminé par une dépression supplémentaire, mais la décision de pratiquer l'euthanasie est prise sur la base de la maladie existante et du fait que le patient est au bout du rouleau. Le risque de prendre une décision sur la base d'une faute médicale est presque inexistant. Si quelqu'un décide de mourir le 24 décembre alors qu'il aurait survécu jusqu'au 25 janvier, nous devons reconnaître honnêtement que cela ne fait pas une différence fondamentale. Cela ne me paraît donc pas un problème insurmontable que de passer exceptionnellement à côté d'une dépression, dans pareil contexte. Je ne pense absolument pas qu'il faille accéder à la requête de quelqu'un qui, sans raisons médicales, demande à son médecin de famille d'en finir. Le processus normal de vieillissement ne constitue pas une raison suffisante pour aider quelqu'un à mourir s'il n'y a pas d'importants problèmes médicaux supplémentaires.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Certains auteurs ont longuement décrit le processus qui s'installe à l'annonce de la mort évidente d'une personne : d'abord, un processus de révolte, ensuite, éventuellement un processus de dépression et, parfois aussi, un processus de sérénité. La « non-dépression » la volonté d'en finir ne peut-elle également être envisagée comme une phase évolutive de l'approche de la mort, phase qui me paraît très intéressante sur le plan psychologique ?
Mme Micheline Roelandt. Sans aucun doute ! Je pense cependant qu'il est possible d'établir une différence entre la période de révolte et la période de dépression qui est le plus souvent assez courte, et la demande sereine d'euthanasie. On voit quand les personnes ont décidé quelque chose.
Je crois aussi que le médecin de famille, l'interniste ou le chirurgien sont capables, dans la plupart des cas, de faire la distinction entre une dépression et une demande sereine dans le cadre de l'acceptation de la mort prochaine. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'on passera une fois ou l'autre à côté d'une dépression, mais c'est la vie. Il y a aussi des personnes qui ne veulent pas se faire soigner, alors qu'on ne sait pas clairement si elles refusent les soins parce qu'elles sont dépressives. Je pense qu'à un moment donné, on est limité par les capacités humaines aussi bien du patient que du médecin. De temps en temps, on aidera quelqu'un à mourir alors que l'on se rendra compte par la suite que cette personne aurait encore pu bien vivre pendant trois mois si on lui avait administré du Prozac. Nous prenons ce risque en permanence, nous ne devons cependant pas le surestimer.
Mme Jeannine Leduc. En ce qui concerne le moment précis, je partage le point de vue de la représentante de la ligue Alzheimer, à savoir qu'il est extrêmement difficile de déterminer quand la demande peut être posée de manière fondée. Personnellement, je ne pense pas que ce soit au moment du diagnostic. Le moment du diagnostic me paraît relativement peu important. Ce qui compte, c'est la qualité de la vie de la personne et ses possibilités de fonctionnement. Il faut laisser à la personne elle-même la possibilité de décider quand il faut en finir. Cela peut être très variable. Pour certaines personnes, ce sera quand elles ne peuvent plus reconnaître les membres de leur famille; pour d'autres quand elles ne peuvent plus vivre de manière autonome; pour d'autres encore lorsqu'apparaîtront des complications physiques.
On ne peut prendre aucune décision au moment du diagnostic car le diagnostic peut être posé avant même que les symptômes de la maladie apparaissent. Ces limites doivent faire l'objet d'un consensus.
Il faut aussi se dire qu'une évolution est possible. Le débat relatif au testament de vie doit tenir compte de l'évolution de la médecine. Déclarer vouloir en finir quand on a le cancer, est insensé. Je peux cependant bien dire que je veux en finir si entre-temps ce cancer est devenu incurable ou si les possibilités de traitement ne se sont pas améliorées. Il n'est pas exclu non plus que le traitement de la démence ne devienne plus efficace. Si quelqu'un déclare que, si sa démence ne peut plus être traitée et qu'elle a atteint un stade qui l'empêche d'accomplir certaines choses, dans ce cas, on peut certes en tenir compte.
On entend souvent les membres de la famille expliquer que l'on fait parfois aux malades qui ont peur de la mort, des promesses qu'on ne peut en définitive pas tenir, le psychiatre ne peut pas les tenir, le médecin de famille et les proches non plus. Cela prouve bien qu'il faut une législation rapidement et que nous devons veiller à ce que le patient puisse faire connaître sa volonté dans un testament de vie. J'ai moi-même déclaré dans un tel document que je ne souhaite plus vivre dans certaines circonstances, pour autant que la situation à ce moment-là reste sans issue.
Trouvez-vous que l'on fasse des promesses trop rapidement et de quelle manière y remédier ?
Nombreux sont ceux qui ont peur de la douleur. Il existe des moyens efficaces de lutte contre la douleur bien que, dans certains cas, comme la douleur cérébrale par exemple, la douleur ne puisse être soulagée. On assomme ces patients de médicaments. Mais est-ce encore vivre ? Je pense que la souffrance insoutenable est encore plus supportable que de tomber dans un état où l'on n'a plus sa dignité humaine. C'est pourquoi nous avons inscrit le concept de détresse nood dans la proposition. Il est si difficile de définir le concept « d'état de nécessité ». Pour moi, c'est par exemple quand la vie n'est plus une vie, si le processus de dégradation physique et mentale est devenu insupportable ce dont on n'est pas toujours conscient soi-même , si la qualité de vie n'est plus compatible avec la dignité humaine. Et le plus important pour moi : si la personne en détresse a perdu ses facultés de réflexion et d'action ainsi que le contrôle de toutes ses fonctions vitales. Personnellement, je trouve qu'une telle situation est plus insupportable que ce que l'on appelle la souffrance insoutenable. Quelle est votre définition de la perte de la dignité humaine et comment décrire au mieux cette situation dans la loi ?
Mme Micheline Roelandt. En ce qui concerne les promesses, je partage votre point de vue. On fait constamment des promesses mais tant qu'il n'y aura pas de sécurité juridique, elles ne pourront être tenues.
La perte de la dignité humaine est un concept culturel particulièrement subjectif. Ce qui n'est pas digne pour moi peut être perçu différemment par quelqu'un d'autre. Le législateur doit rendre la relativité de ce concept dans le texte de sorte que ce ne soit pas le patient qui doive se conformer à la définition du législateur. La perte de la dignité est en rapport avec ce que chacun considère comme digne et l'on doit pouvoir l'intégrer dans son testament de vie.
Beaucoup de personnes deviennent incontinentes et cela ne leur pose aucun problème. D'autres au contraire trouvent que c'est insupportable. Moins le législateur apportera de précision et plus l'individu aura la possibilité de décider lui-même ce qui pour lui ou pour elle n'est pas compatible avec la dignité humaine, mieux nous répondrons à la détresse de ceux qui, à un moment donné, estiment que leur existence a perdu toute dignité. Je n'en ferais donc pas un carcan.
M. Philippe Mahoux. Madame, en tant que psychiatre, pouvez-vous nous expliquer combien la détresse morale peut faire mal ?
Souvent, des distinctions sont faites entre dépression et il existe des dépressions incurables et douleur physique, comme si on accordait une plus grande justification à la douleur physique qu'à la douleur morale. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est chez les patients que vous suivez, y compris les psychotiques ?
Vous êtes allée beaucoup plus loin que notre proposition de loi qui, contrairement à ce que d'aucuns lui reprochent, ne prend pas en compte la problématique des incapables démence sénile, maladie d'Alzheimer. Vous vous êtes interrogée sur les solutions à apporter en la matière. Dans l'état actuel des choses, nous n'en trouvons pas car nous ne parvenons pas à déterminer une limite, un moment par rapport à des personnes qui, sans être inconscientes notre proposition vise les personnes conscientes , sont dans l'état que vous décrivez si bien, compte tenu de l'expérience personnelle que vous avez connue et qui vous a touchée sur le plan affectif. La difficulté M. Destexhe en a parlé est de pouvoir situer la limite.
J'en viens au contrat moral que l'on passe avec le malade.
Madame Roelandt, vous êtes médecin et je souhaiterais avoir votre avis sur la question. On se trouve dans une situation où l'on ne peut pas respecter les contrats moraux passés soit avec des malades, soit avec des personnes qui nous sont chères. C'est un problème individuel. Pour vous, la réponse se situe-t-elle au niveau de la sécurité juridique ? Par ailleurs, la déclaration anticipée constitue-t-elle une forme de réponse à cette problématique ? En tant que médecin, pourriez-vous considérer une déclaration anticipée comme un contrat qui vous lie à l'auteur de cette déclaration ? Le point de vue du législateur est tout à fait autre.
Mme Micheline Roelandt. Le mot contrat est peut-être un peu trop fort. Je ne suis pas juriste, mais pour moi un contrat signifie un cadre juridique au sein duquel il reste peu de possibilités. Pour moi, une déclaration anticipée est un élément dont il faut tenir compte mais avec une certaine souplesse. Il est en effet important de tenir compte des sentiments de la personne lorsqu'elle se retrouve dans la situation en question et, de ce que son entourage peut faire pour elle. C'est une des raisons pour lesquelles j'estime qu'il est utile dans cette déclaration de nommer certaines personnes qui peuvent s'exprimer au nom du patient. Il ne s'agit pas nécessairement des proches. J'ai moi-même rédigé un testament de vie et j'ai désigné deux amis plus jeunes qui pourraient exprimer mon « être » au médecin comme je le ferais moi-même. Je n'ai pas impliqué ma fille dans ce processus. Je pense qu'il est impossible pour elle de déterminer le moment de la mort de sa mère. Bien qu'elle doive être impliquée, elle n'est pas immédiatement ma personne de référence et de confiance pour ma fin de vie.
Il s'agit pour moi d'un contrat moral, pas d'un contrat juridique. Il s'agit d'un contrat moral en ce sens que la personne impliquée peut expliquer ce qu'elle a voulu. La question est de savoir comment nous pouvons concrétiser cette volonté et la respecter au mieux quand on en est arrivé là, en tenant compte d'une foule d'autres faits indéniables et importants. C'est ainsi que les moyens financiers ou l'entourage permettent de rendre la vie plus agréable plus longtemps, pour autant que le patient le souhaite. Ce sont des évidences dans notre société. Il y a une différence entre celui qui est entouré de son propre personnel et celui qui passe des journées entières à l'hôpital. La qualité de vie n'est pas la même.
Tous ces éléments doivent pouvoir jouer un rôle. Le contrat moral conclu avec le médecin est de même nature que le contrat moral qui figure dans le testament de vie. Je suis convaincue que, si l'on peut en parler, moins de fautes seront commises. Tout le monde pourra mieux aborder de manière sereine la fin de vie. La sécurité juridique est pour moi le seul moyen d'aborder sereinement l'euthanasie.
Nous n'avons pas abordé tous les actes d'euthanasie. Quand on est sur le terrain, on constate de temps en temps que l'euthanasie est pratiquée comme une forme de acting out. On sait que le patient a demandé qu'on mette fin à ses jours. Un médecin qui est la plupart du temps un intime de la famille fait la promesse de pratiquer l'euthanasie quand cela s'avérera nécessaire. Bien des médecins respectent leur promesse, mais ces médecins sont souvent appelés à un moment où il n'est pas encore question d'une réelle demande d'euthanasie.
On les appelle parce qu'on ne trouve personne d'autre et qu'il y a une complication soudaine. De mauvaises interprétations sont assez fréquentes dans ces moments-là. Au cours des années à venir, s'il existe un cadre qui offre la sécurité juridique, à mon avis, on sortira des problèmes d'acting out, des problèmes d'assassinat de personnes qui n'ont pas demandé l'euthanasie et de toute une série de situations peu claires pour lesquelles on ne sait pas si le diagnostic était fatal.
C'est mon métier d'aborder la souffrance humaine sur le plan psychique mais je ne peux pas répondre à votre question en matière de dépression parce que je n'en ai jamais eu une moi-même. Je crois que quelqu'un qui n'a pas eu de dépression ne peut pas savoir ce qu'est une dépression. Je puis l'aborder de manière technique et me rendre compte de la gravité de l'état de la personne qui se trouve devant moi mais cette prise de conscience reste purement intellectuelle. Elle est le fait de la raison. Nous ne pouvons nous faire une idée de ce qu'est la souffrance que si nous la vivons nous-mêmes. C'est un des drames de la médecine. Quand les personnes disent qu'elles ont mal, nous ne sentons pas la douleur. Je pense que les personnes qui vivent une dépression ou que les psychotiques dans une situation d'angoisse et de confusion totale qui leur donne l'impression que tout le monde les poursuit et veut les tuer vivent des choses horribles. Mais ma capacité d'empathie ne serait jamais assez grande pour me rendre réellement compte de ce que c'est parce que je ne l'ai jamais vécu moi-même. En définitive, je ne peux donc pas répondre à votre question.
M. Paul Galand. Je vous remercie, Madame, de cet exposé qui a mêlé l'expérience personnelle et des réflexions scientifiques. On a bien vu que la clandestinité actuelle est malsaine et qu'elle va même contre l'éthique de la discussion qui doit être défendue face à ces problématiques. La situation actuelle est même anxiogène à double sens, puisque je peux penser qu'on risque de m'achever ou penser qu'on va me prolonger de façon abusive et contre tout ce que je pourrais souhaiter par rapport à moi-même.
Vous avez bien souligné que la sécurité juridique a quatre dimensions : le médecin, le patient, le personnel soignant et la famille. Peut-être pourriez-vous en dire un peu plus sur cette sécurité juridique pour les proches, dans ces situations-là ? À propos de la directive anticipée, certains éthiciens ont prôné que, dans certains cas, on fasse la distinction entre un contrôle a posteriori et un contrôle a priori. Au sujet des problèmes de démence, on sait qu'il y a plusieurs étapes dans la démence et que, dans les premiers degrés, il y a des moments de conscience, la disparition de la conscience par rapport à soi-même étant progressive.
Comment aborder ce problème-là ? Faut-il une consultation plus large ? Et qui doit être consulté à ce moment-là au niveau des compétences nécessaires ? Sur le plan psychologique, comment se sortir de la contradiction, bien connue, entre la demande qui peut même exprimer une culpabilité d'exister encore par rapport à ses proches ou au poids qu'on peut représenter ou, encore, par rapport à l'image renvoyée par les proches concernant cette charge pour eux, et le désir profond qu'on peut avoir dans un sens ou dans l'autre ? Au fond, comment faire en sorte que ce que le patient dit soit vraiment une expression de soi et non, parfois, une annihilation de soi ? Je crains que vous ne soyez un peu trop optimiste au sujet de la formation actuelle du corps médical dans son ensemble par rapport à cette possibilité d'apprendre à gérer ces situations, et je reviens ainsi à votre point de départ, en soulignant que dans le cadre actuel, la clandestinité n'est certainement pas favorable pour cette formation-là.
Mme Micheline Roelandt. Je n'ai pas véritablement de réponse à votre dernière question. Pour vous rassurer, je puis dire que mon optimisme quant au corps médical n'est pas illimité. Je persiste à penser que l'on est formé par certaines situations parce qu'on vit les choses d'une manière sereine.
On peut supposer qu'en faisant quelque chose, on apprend à mieux faire la distinction entre une situation où quelqu'un se sent coupable de vivre et de représenter une charge pour la famille et la société, et une situation où la personne concernée a décidé un jour de ne pas vouloir vivre cela. Le fait de savoir si avoir pris la décision de ne pas vouloir vivre cela a quelque chose à voir avec de lointains sentiments de culpabilité me paraît devoir être laissé de côté.
Je pense que seule l'expérience des personnes qui sont en fin de vie ou veulent mettre fin à leurs jours peut nous apprendre à distinguer le mieux possible les demandes pathologiques et les véritables demandes. Nous n'avons pas d'autre réponse. Nous n'aurons jamais la certitude à 100 % que des fautes ne sont pas commises. Cela n'existe dans aucun domaine. Quand on roule en voiture, on ne peut affirmer à l'avance qu'on ne commettra aucune faute ni que quelqu'un d'autre ne commettra pas de faute et ne causera pas un accident. La seule chose que le législateur puisse faire, c'est garantir qu'il créera les possibilités d'apprendre à aborder la fin de vie de manière positive, dans le respect du patient et de sa famille.
Vous m'avez demandé de réagir au rôle de la famille en cas de pratique clandestine. J'ai surtout voulu montrer par mon témoignage que la famille se sent tout à fait exclue. La famille sait bien qu'on a demandé au médecin de pratiquer l'euthanasie mais elle sait aussi que le médecin ne veut pas en parler. Si elle a l'impression que ce n'est pas vraiment le moment de pratiquer l'euthanasie, la famille, ou le proche intime n'ose la plupart du temps pas en parler avec le médecin. On sait que cette situation place le médecin en difficulté et cela pourrait aboutir à ce qu'il ne réponde pas à la demande d'un membre de la famille dont on sait qu'il a réellement formulé la demande. Il s'agit donc d'une situation insensée et impossible. Dans la pratique, on ne peut que parler avec les personnes ou mettre des décision en doute, quand cette décision peut être prise. Tant que ce n'est pas le cas, aucune discussion ne peut avoir lieu. On se trouve dans l'impasse.
J'ai moi-même fait partie de la commission euthanasie au Comité consultatif de bioéthique. Nous y avons discuté pendant des années des décisions a priori et a posteriori. Je pense que, dans tous les cas de fin de vie, chez des patients conscients qui peuvent exprimer leur point de vue quant au déroulement du processus de la maladie et au moment où ils veulent en finir, il doit s'agir d'un contrôle a posteriori. Mais pour les cas de démence, il faut un contrôle a priori. Il faut pour ce faire consulter un certain nombre de personnes et la loi doit le prévoir.
Mme Clotilde Nyssens. On a entendu à la fois le discours d'un psychiatre et les paroles d'une personne qui a vécu des expériences personnelles. À titre personnel, j'ai toujours du mal à entendre quelqu'un s'exprimer sur ces deux plans en même temps.
Quand quelqu'un parle comme acteur professionnel et relate ensuite des histoires personnelles, ce n'est pas très facile sur le plan de l'intérêt commun et de la norme générale.
J'ai trois questions à poser à Mme Roelandt, en tant que psychiatre. Le psychiatre doit tenir compte à titre principal des effets individuels et de la demande exprimée par le patient, mais je suppose qu'il tient compte également des effets collectifs de tels actes. En fonction de votre expérience de psychiatre, comment les familles qui ont vécu l'euthanasie d'un proche vivent-elles leur deuil ? Pour les proches, en particulier pour ceux qui ont assisté le patient jusqu'au bout et qui ont participé à la décision dont vous avez parlé, le deuil se fait-il aussi facilement que lors d'une mort naturelle ? Ce sont des psychiatres qui m'ont parlé de cela. Je n'ai aucun expérience en la matière mais j'aimerais savoir si les psychiatres ne sont pas en train de devoir assumer la nouvelle réalité de ces morts par euthanasie. Comment vont et iront les familles après une euthanasie ?
Vous m'avez très fort interpellée quand vous avez dit qu'au-delà de 80 ans une personne sur quatre sera sans doute en état de sénilité ou de démence.
M. le président. Et une personne sur deux après 90 ans.
Mme Clotilde Nyssens. Étant donné l'allongement de la vie, nous avons tous beaucoup d'espoir d'arriver à l'âge de 80 ou 90 ans. Vous avez très bien évoqué l'approche collective et culturelle de certains concepts et vous avez dit que la dignité était un concept culturel. J'ai très bien ressenti cela lorsque, la semaine dernière, j'ai participé à un premier débat sur l'euthanasie en ayant devant moi deux cents musulmans qui, dans notre pays, commencent également à s'intéresser à cette problématique. C'est heureux, mais ils sont à des années lumière de ce que l'on entend ici, en commission du Sénat. Je pense que nous devons tenir compte de cet élément. Nous ne sommes pas seulement dans une culture homogène. Énormément de cultures cohabitent en Belgique et voient les choses autrement. Dans cette approche culturelle et collective, sachant que nous allons tous vivre très longtemps en étant peut-être malades, comment avez-vous déjà essayé d'évaluer la pression sur les demandes d'euthanasie, au départ de cette nouvelle culture et des effets collectifs que nous allons induire avec une éventuelle réglementation ?
Mme Micheline Roelandt. Vous me posez naturellement des questions et cela me paraît assez normal auxquelles il n'y a pas de réponses objectives. Je n'ai pas, dans ma vie de psychiatre, fait une petite étude statistique pour voir comment les familles vivaient le deuil lorsqu'il y avait euthanasie, ou non. De facto, je n'aurais pu faire une telle étude.
Je ne puis donc répondre à votre question en me basant sur une étude statistique. Je puis cependant vous dire qu'il n'y a pas de raison pour que le processus de deuil soit plus facile ou plus difficile après une euthanasie. Il faut se dire qu'on ne pratique l'euthanasie que quand le patient a fait ses adieux à sa famille. Telle est en tout cas l'intention. Le but est d'en finir au moment décidé par le patient. Cela n'implique pas que le patient n'ait pas le temps de faire ses adieux à sa famille, ce qui est indispensable pour que celle-ci puisse entamer un processus de deuil positif. Je pense que le processus de deuil est plus difficile après une mort inopinée, parce qu'on se trouve placé devant une situation tout à fait inattendue.
Je ne vois pas pourquoi le processus de deuil serait plus difficile parce que j'en termine six mois plus tôt que si j'étais morte naturellement dans une unité de soins palliatifs. Tout dépend de la manière dont on en finit. Si cela se passe après que j'ai fait mes adieux, le processus de deuil sera plus facile que si l'euthanasie est pratiquée six mois après que j'ai fait mes adieux. Car après les adieux plus six mois ce qui implique l'obligation morale d'une visite quotidienne j'impose en définitive une lourde charge à ma famille. Je ne puis donc vous apporter de réponse précise. J'ai connu un certain nombre de cas d'euthanasie qui se sont déroulés de manière positive et où le processus de deuil a été considérablement facilité; mais je connais aussi des cas d'euthanasie qui se sont mal passés et où le processus de deuil n'a pas été facilité. Nous connaissons tous des fins de vie sans euthanasie qui se sont bien ou mal passées. Il n'y a donc pas grand-chose à dire à ce sujet. La seule chose que je puisse affirmer avec certitude est qu'il n'y a pas de raison pour laisser supposer que le processus de deuil soit plus difficile dans ces circonstances.
La deuxième question est une question purement politique. Tout dépendra en effet de la mesure dans laquelle les hommes politiques et la société toléreront qu'une pression soit exercée. Il ne faut pas mélanger les problèmes. Ce n'est pas parce que la possibilité de se faire avorter existe que la pression sur les femmes a augmenté pour qu'elles n'aient plus d'enfants. Je pense que le consensus sur l'avortement n'a pas eu d'influence sur la natalité. Mon opinion personnelle de ma grossesse ne sera pas directement influencée par la possibilité ou non de pouvoir avoir recours à l'avortement. Le consensus sur l'avortement a simplement permis d'améliorer les conditions dans lesquelles, le cas échéant, l'avortement est pratiqué.
Je n'ai donc pas le sentiment que l'existence d'un cadre légal en matière d'euthanasie va nécessairement de pair avec une pression morale de la société sur l'individu pour qu'il mette fin à ses jours. Il y aura toujours des personnes du moins je l'espère pour décider expressément qu'elles ne veulent pas qu'on mette un terme à leur existence.
Si dans notre société, la pression se fait de plus en plus forte mais il s'agit là d'un discours politique et économique pour affirmer qu'il faut dépenser moins en retraites et en assurance maladie, alors il pourrait être question d'un accroissement de la pression générale, mais cela. n'a rien à voir avec le fait d'offrir la possibilité d'euthanasie. Ces phénomènes ne vont pas de pair.
Mme Clotilde Nyssens. Ma question n'était en fait pas une question politique ou morale. Je posais la question d'un point de vue psychologique. Peut-être n'ai-je pas été jusqu'au bout du raisonnement. Je faisais allusion en fait à la pression des familles.
Pensez-vous, sur la base de votre expérience de psychiatre, que lorsque l'euthanasie sera réglementée, la volonté et l'autonomie du patient pourront s'exercer en pleine connaissance de cause ou existe-t-il des risques de pression psychologique je ne parle pas ici de pression économique ou politique, c'est un autre problème ? Une personne à moitié sénile, arrivée au crépuscule de sa vie, dans les conditions de dépendance que nous connaîtrons sans doute tous à 90 ans, ne risque-t-elle pas de faire l'objet de pressions psychologiques ?
Mme Micheline Roelandt. Cela se passe déjà maintenant. Certaines personnes ressentent déjà la pression de leur entourage ou de leur famille pour qu'elles en finissent ou ont l'impression psychologique souvent à raison qu'elles ne sont qu'une charge et que c'est bien trop lourd pour leur entourage. Je ne sais pas avec certitude si cela contribue à la régression de ces personnes ou à l'accélération de leur fin de vie sans que personne n'intervienne, mais cela peut naturellement être le cas. Nous savons que de nombreux vieillards sont maltraités, également au sein de leur famille.
Je ne pense pas que cela fera une grande différence. Si je vis aujourd'hui dans une famille qui ne veut plus de moi, je vis des moments insupportables et il vaut peut-être mieux en effet que je m'en aille. Maintenant, il me faut supporter tout cela et le cas échéant me faire maltraiter.
Cela ne fera aucune différence statistique.
M. Patrik Vankrunkelsven. Comme c'est prévu dans le projet , le témoin s'attache peu à la phase terminale du patient, ce qui a pour conséquence que le concept d'état de nécessité devient très précaire. Je déduis de l'exposé que le témoin considère la situation d'un patient dément comme relevant de l'état de nécessité pour autant qu'il y ait une déclaration anticipée. Aux Pays-Bas, il y a eu le cas très connu d'une patiente dépressive pour qui l'euthanasie fut pratiquée après qu'elle eut longuement insisté. Il ressort d'enquêtes que cela se produit une dizaine de fois par an aux Pays-Bas sans que cela soit pour autant communiqué. Les psychiatres estiment que, dans ces situations, la dépression ou l'envie de mourir sont si fortes qu'il y a état de nécessité et que l'euthanasie est justifiée. Le témoin peut-il partager ce point de vue en tant que psychiatre ? Cette situation correspond-elle au concept d'état de nécessité tel que prévu dans le projet ?
Mme Micheline Roelandt. Dans la grande majorité des cas, la dépression est une maladie qu'on peut parfaitement traiter si pénible soit-elle. J'ai cependant connu des patients chez lesquels le traitement n'avait aucun impact, en dépit de l'application de toutes les méthodes possibles de traitement. Je pense donc qu'il y a des dépressions qui ne peuvent être traitées. Elles restent cependant exceptionnelles. Je puis comprendre que, si on a le sentiment qu'on a tout essayé pour soulager la douleur de quelqu'un et que rien n'est efficace, on pratique l'euthanasie à la demande du patient. Lorsqu'il s'agit de patients qui ne sont pas en phase terminale, comme les cas de démence par exemple, on ne peut se permettre de procéder à l'euthanasie sur simple demande du patient et de la faire pratiquer par un médecin. Il faut alors faire en sorte que plusieurs personnes soient impliquées dans la décision.
M. Jan Remans. J'ai surtout retenu deux points forts de l'exposé de Mme Roelandt. Le premier est la dignité. La dignité ne provient pas tellement des droits que l'on a mais de la conscience que l'on a d'avoir le droit d'en avoir.
Pourquoi tant de personnes établissent-elles alors une distinction entre la vie végétative des déments à un stade extrême, qui ont rédigé un testament de vie, et les patients traumatisés à l'électroencéphalogramme plat pour lesquels les hélicoptères sont prêts à s'envoler afin de prélever leurs organes ?
Un deuxième élément important du témoignage est que Mme Roelandt parle en tant que libre penseuse. Où voit-elle une différence entre les points de vue des croyants et des libres penseurs en matière d'euthanasie ? Personnellement, je ne vois pas tellement de différence. Les juristes peuvent mieux expliquer que les médecins que le droit ne remplacera pas la morale. Le respect du droit n'implique pas que l'on prenne parti quant à savoir ce que signifie bien vivre ou mourir dignement. Le droit doit simplement garantir que chacun puisse agir en disposant librement de soi.
Mme Micheline Roelandt. Certains croyants éprouvent des difficultés à accepter les points de vue éthiques des libres penseurs. Cette difficulté est aussi d'ordre culturel. Accepter de discuter ouvertement de questions éthiques entre libres penseurs et croyants tout en acceptant que l'éthique des uns n'est pas nécessairement supérieure à celle des autres, est un phénomène relativement récent. Cela ne fait pas tellement longtemps que l'on est en mesure de respecter le point de départ de l'autre. Selon moi, il est tout aussi nécessaire d'élaborer une législation en matière d'euthanasie parce que la fin de vie des libres penseurs qui demandent l'euthanasie ne se passe pas dans une atmosphère sereine que parce que l'euthanasie est pratiquée chez beaucoup de personnes qui ne l'ont pas demandée. Il faut respecter tout autant la volonté de celui qui veut vivre jusqu'au bout quoi que cela implique que le souhait de celui qui veut pouvoir décider lui-même du moment où l'on en termine.
J'ai l'impression qu'au sein du groupe des croyants que je connais mieux, ce sont surtout les catholiques qui éprouvent une difficulté éthique à accepter que la personne décide elle-même. Les médecins ont aussi du mal à accepter l'idée que le patient décide lui-même du moment de la fin. De nombreux croyants et médecins éprouvent moins de difficulté à accepter des formes d'euthanasie passive comme le fait que l'on ne ranime pas, que l'on n'alimente ou n'hydrate plus. Ils défendent même souvent ces solutions. Octroyer le droit de décision d'en finir à un moment déterminé leur est cependant culturellement terriblement difficile. Quant à ma conception de la dignité, cet élément est certes un des éléments importants.
M. Alain Zenner. J'ai été particulièrement intéressé par votre intervention à divers égards. J'avais un ensemble de questions. Je crois qu'il y a été donné réponse dans une large mesure. Il me reste en fait trois questions.
La première est peut-être une observation que je crois utile de faire plutôt qu'une question. J'ai été très frappé par votre plaidoyer insistant au début de votre intervention en faveur d'une sécurité juridique. Or, la légistique, pas plus que la médecine, n'est une science exacte. C'est aussi un art. La sécurité juridique est toutefois directement fonction de la précision du cadre juridique qui peut être apporté aux situations que l'on veut voir traitées d'une manière sécurisée.
Au fil de votre exposé, j'ai constaté que vous insistiez sur la diversité des situations, sur le nombre important de zones d'ombre, sur le fait qu'il est très difficile de trouver des critères précis pour répondre à la complexité de la matière et que vous vous accrochiez finalement, excusez le terme, à la demande du patient. Certains de vos collègues, dont le professeur Vincent, avaient au contraire considéré que cette demande n'était pas déterminante. Ceux qui essaient de participer à la fonction législatrice sont alors face à une difficulté énorme qui consiste à essayer de retenir de l'ensemble des interventions qui se font ici et qui sont toutes aussi intéressantes les unes que les autres, les éléments sur la base desquels une sécurité juridique pourrait être apportée. Après les réponses que vous avez déjà apportées à d'autres intervenants, je ne pense malheureusement pas que vous puissiez apporter des éléments complémentaires. Comprenez néanmoins la difficulté de la situation. Comment apporter une sécurité juridique si l'on ne peut pas être précis si ce n'est en s'en remettant à la déontologie médicale ? Ce sont les droits du patient, que vous avez évoqués, qui se trouvent alors mis en péril.
Par ailleurs, nous n'avons reçu que peu d'informations sur la situation dans les pays anglo-saxons. Or, vous dites que le testament de vie est beaucoup plus répandu aux États-Unis. Je me suis demandé s'il existait un lien entre cette systématisation et une couverture beaucoup plus large en assurances. Les testaments de vie se seraient-ils multipliés sous la pression des compagnies d'assurance-vie ? Je me permets de poser cette question car nous nous soucions tous des conséquences économiques perverses éventuelles de la future loi.
Dans le même ordre d'idées, j'ai lu avec étonnement un éditorial du journal Le Monde qui racontait le cas d'un couple condamné à de longues années de prison en 1967 pour viol et assassinat d'enfant. Lui, condamné à perpétuité, a purgé 35 années de prison. Il ne peut sortir de prison car il s'agit d'une peine de sécurité et demande à être euthanasié alors qu'il est en pleine santé. Sa compagne a purgé sa peine mais, selon la loi anglaise, cette peine peut être prolongée administrativement.
Le ministre de la Justice entend la maintenir en prison alors qu'elle souhaite sortir et vivre bien qu'elle soit au seuil de la mort. Selon le journaliste, en Angleterre, des personnes incarcérées dans de telles conditions peuvent demander l'euthanasie, à condition d'être capables et conscientes et de pouvoir prendre une décision en connaissance de cause. En l'occurrence, l'administration a considéré que cette personne n'était pas à même de formuler une demande en connaissance de cause, alors que selon l'éditorialiste, aucun élément ne justifiait cette appréciation.
Ma deuxième question est donc la suivante : pourquoi le testament de vie est-il plus répandu dans le monde anglo-saxon ?
Ma troisième question est plus délicate. Je n'ai philosophiquement aucun mal à me ranger derrière les six auteurs de la proposition appelée, à tort à mes yeux, « de la majorité ». J'ai cependant été frappé, au travers du courrier que nous avons reçu, des interpellations dont nous avons été l'objet, des interventions à la tribune, par l'angoisse de certaines personnes âgées qui craignent non seulement une légalisation mais aussi une légitimation, voire une libéralisation de l'euthanasie.
J'ai tendance à considérer que, dans une matière qui concerne l'éthique de la vie, qui touche à la vie et à la mort, l'on ne peut se satisfaire d'un vote acquis majorité contre opposition, éventuellement à une faible majorité, et qu'il faut essayer de parvenir à un accord.
Mon travail dans cette commission s'est basé sur cette philosophie. Or ici, deux valeurs s'opposent. D'une part, celle de la sécurité juridique qui nous pousserait à aller de l'avant et à adopter des textes qui sont ficelés pour que cette sécurité juridique soit assurée dans certaines conditions, quitte à poursuivre ensuite le travail sur la base d'évaluations ou d'une évolution des mentalités. D'autre part, celle qui consisterait à rechercher un accord qui repose sur une assise sociale beaucoup plus large et qui empêcherait que ces angoisses, présentes dans une grande partie de la population à propos de l'éthique de la fin de vie, soient attisées. J'aimerais que vous me donniez votre avis sur ce conflit de valeurs auquel je me trouve confronté.
Mme Micheline Roelandt. Il existe dans l'esprit des gens une série de certitudes sur l'euthanasie et d'autres questions éthiques qui ne disparaissent que quand ils constatent que la réalité ne correspond pas à ce que leur imagination leur avait suggéré.
Si l'euthanasie ne peut se pratiquer dans la sécurité juridique, ces fantasmes qui n'existent pas que chez les personnes âgées mais aussi dans le corps médical, subsisteront. Ce qui se dit dans les milieux médicaux sur le scandale de l'euthanasie n'est pas tout. Chez certains, il ne s'agit pas seulement de la difficulté de l'aborder mais aussi d'une diminution éventuelle du volume de travail. Tout le monde n'aborde pas la question d'un point de vue idéaliste ou éthique.
Il faut dans le débat mettre de plus en plus l'accent sur le fait que personne n'est obligé de subir l'euthanasie et qu'en aucun cas, une pression morale ne peut être exercée sur ceux qui veulent l'euthanasie. L'accent est bien entendu mis sur le concept de « droit » à l'euthanasie puisque nous n'en disposons pas. Le débat sur l'euthanasie contribue à faire évoluer les mentalités tant au sein de la population que parmi les médecins. Quand on veut obtenir quelque chose, on met toujours fortement l'accent sur l'exigence que l'on a de l'obtenir.
Souvent, on met trop peu l'accent sur le fait que ce que l'on exige ne peut devenir un système et qu'il s'agit seulement d'offrir une possibilité à ceux qui le souhaitent vraiment. Je ne suis donc pas favorable à ce qu'on laisse le débat s'éterniser encore cinq ans dans l'espoir qu'une évolution se fasse jour dans l'esprit de la population et des médecins, de manière à aboutir à une conclusion commune en matière d'euthanasie. Cela ne se produira pas. Il y aura une évolution positive quand la population verra ce que cela implique. Les Pays-Bas peuvent servir d'exemple. On n'y a certes encore voté aucune loi, mais l'État laisse faire certaines choses. Cela a un effet rassurant. Cependant, de nombreux médecins ne communiquent pas les euthanasies qu'ils pratiquent parce qu'ils n'ont pas de certitude au sujet des risques qu'ils courent. Il faut élaborer un système qui offre la sécurité juridique mais qui prévoit en outre explicitement qu'une évaluation doit se faire pendant une période transitoire. Le concept d'évaluation est rassurant pour beaucoup de personnes. S'il apparaît après la période d'évaluation qu'aucune catastrophe ne s'est produite, une large majorité de la population sera rassurée.
Bien des pays anglo-saxons ont repris des principes protestants comme règles éthiques, ce qui a pour conséquence qu'ils réagissent de manière bien plus réaliste et pragmatique dans de nombreuses situations. La politique des Pays-Bas en matière de drogue et leur attitude face à l'euthanasie en sont des exemples. Dans certains états américains, nous retrouvons cette même attitude. Nous pouvons en effet nous demander si le fait que quelqu'un soit déjà en prison depuis 35 ans sans aucune autre perspective et passe par une dépression passagère ou des souffrances insupportables ne pourrait justifier sa demande d'euthanasie.
Selon moi, le pragmatisme des pays anglo-saxons a joué un rôle auquel les compagnies d'assurances ne sont probablement pas étrangères. Le rôle pervers d'une série d'instances pouvant tirer un bénéfice financier de l'élaboration d'une règle éthique ne doit cependant pas nous faire douter de la nécessité d'une réglementation juridique, même si certaines compagnies d'assurances y trouvent leur intérêt. Je serais en revanche opposée à ce qu'une telle réglementation soit instaurée à la demande des compagnies d'assurances. On peut d'ailleurs dire la même chose de notre INAMI ou de nos assurances maladie.
Vous avez encore posé une troisième question. Je suis criminologue, pas juriste, mais je suis consciente qu'il y a une contradiction entre d'une part, la demande de sécurité juridique et d'autre part, l'exigence que le législateur ne définisse pas les choses avec trop de précision. Je soutiens cependant cette contradiction. Si l'on élabore une réglementation trop stricte, on va automatiquement fausser certaines choses. Il faut donc pour une part avoir confiance dans la bonne pratique médicale et dans le fait que la plupart des médecins exercent leur métier le mieux possible et, comme ceci n'est qu'une certitude relative, il faut quand même prévoir un contrôle à posteriori.
Il y a deux semaines, j'ai eu le plaisir d'entendre l'exposé du professeur Vincent. Je ne partage pas sa position quand il dit qu'il faut tout laisser aux médecins. Il faut un cadre juridique. Le cas échéant, l'Ordre des médecins peut élaborer des règles complémentaires de manière à ce que l'euthanasie puisse être pratiquée d'une manière positive, sereine et en concertation.
Mme Iris Van Riet. Vous avez dit que votre mère avait rédigé un testament de vie, qu'il y avait eu une phase cruciale au moment où le diagnostic a été posé mais qu'elle a répété sa demande jusqu'à ce qu'elle ne soit plus consciente des choses. Selon vous, quelqu'un peut-il rédiger un testament de vie durant la période qui se situe entre la détermination du diagnostic et le moment où les symptômes de la maladie sont tels que le patient n'est plus conscient de ce qu'il dit ?
Mme Micheline Roelandt. Non, à ce moment il est trop tard. Dans la phase cruciale, pendant laquelle il est encore possible d'observer la souffrance de la personne mais où la personne ne dispose plus de toutes ses facultés de réflexion, un testament de vie ne peut plus être rédigé. On peut certes exprimer certains souhaits et le médecin peut en tenir compte mais, selon moi, un testament de vie doit être rédigé en toute conscience, à un moment où les capacités mentales ne souffrent encore d'aucun trouble. J'estimais qu'il était important de montrer qu'en cas de démence, il y a toujours une période transitoire au cours de laquelle des contacts sont encore possibles avec l'entourage. À ce moment, la déclaration anticipée existante est utile et utilisable.
Mme Iris Van Riet. J'ai une question complémentaire. Que faire lorsque le patient change d'avis au cours de la phase pendant laquelle tout porte à croire qu'il n'est plus tout à fait lui-même ?
Mme Micheline Roelandt. Je crains qu'à ce moment-là, il ne faille en tenir compte. Nous ne pourrons jamais élaborer une réglementation parfaite. Il y a bon nombre de situations où le doute subsiste. Au cours de cette phase, ma mère n'a pas changé d'avis et bien des personnes autour d'elle non plus. Il n'existe malheureusement à cet égard que peu d'études ou de données statistiques.
Mme Mia De Schamphelaere. En tant que juriste, je trouve dans votre exposé peu de points auxquels se raccrocher pour élaborer quelque chose, mais je pense que c'est dû au concept de dignité humaine que vous décrivez comme un concept culturel. Selon moi, c'est précisément faire progresser la démocratie et l'État de droit que de définir la dignité humaine de manière aussi objective et détaillée que possible et d'en faire découler tous les droits de l'homme. Vous affirmez que la dignité humaine et la perte de dignité sont des concepts culturels.
Voulez-vous dire par là que cela dépend de la tolérance et de l'ouverture que l'on a par rapport à la situation de certains patients ? Vous avez évoqué comme exemple l'incontinence. Si nous la considérons comme une situation inconfortable et que nous la tolérons, il ne peut plus s'agir d'un élément contribuant à la perte de dignité. Je fais donc allusion à la corrélation entre la tolérance et le fait de sentir que l'on perd sa dignité.
Mme Micheline Roelandt. Je ne doute pas que cela devienne un noeud juridique. On vient d'évoquer un débat sur l'euthanasie dans une communauté musulmane. Les sensibilités y sont très différentes de celles qui se font jour lors d'un débat dans une centre d'action laïque ou encore lors d'un débat avec les familles de patients déments ou avec des personnes âgées qui sont encore en pleine forme.
Nous ne sortirons pas du fait qu'un cadre juridique en matière d'euthanasie maintiendra des zones d'ombre.
Ces zones d'ombre seront interprétées différemment, par exemple, par des personnes appartenant à la communauté musulmane et par celles appartenant à des milieux protestants ou libres penseurs. Elles seront aussi interprétées différemment en fonction de toute une série d'éléments personnels. Je peux parfaitement m'imaginer qu'une personne de 93 ans dont les facultés mentales sont encore parfaites et qui ne peut plus rien faire d'autre que de rester assise ou alitée dans sa chambre ou que quelqu'un qui s'est toute sa vie durant cultivé grâce à la lecture et qui est maintenant aveugle et sourd mène une existence non conforme à la dignité humaine. Il y a également de nombreuses personnes qui n'ont jamais autant écouté de musique ou n'ont jamais éprouvé autant d'intérêt pour la compagnie des autres et qui ont encore une sorte de vie intérieure et éprouvent encore véritablement du plaisir à ne rien faire, à rester dans leur fauteuil ou dans leur lit. On ne peut estimer que l'un ou l'autre doit mourir ou ne doit pas mourir mais l'on peut certes tenir compte de la dame qui demande à ce que l'on mette fin à ses jours et qui le prouve en refusant de manger ou de boire, car il s'agit là de signes cliniques. Pour l'un, il n'est donc pas digne d'être aveugle et sourd, pour l'autre pas. Je crains que nous ne sortions pas de ce problème.
Je pense comme Mme Leduc qu'il faut une définition très large de la perte de dignité mais il faut que cette définition comporte des exemples. À certains moments, nous nous trouverons en effet dans une situation où il faudra discuter longtemps de ce qui ne figure pas dans les exemples, d'une nouvelle situation que certaines personnes estiment peut-être non conforme à la dignité humaine. Je crains que, dans une telle situation, un médecin ne doive de temps en temps faire preuve de courage et prendre un risque mais ce risque sera minimal s'il associe une série de personnes à la décision. Nous vivrons des situations nouvelles. Le législateur ne pourra tout définir, mais il est cependant possible de prévoir le plus de cas possible.
Le président. M. Marc Cosyns est médecin généraliste au sein d'une maison médicale (pratique de groupe). Il est collaborateur scientifique au sein de l'unité d'enseignement et de recherche sur la médecine générale et les soins de santé de première ligne, à l'université de Gand. Il est membre du groupe d'étude interuniversitaire sur la fin de vie et membre d'une commission d'experts interuniversitaire sur la formation complémentaire en soins palliatifs. Il est également un des dirigeants du réseau palliatif Gand-Eeklo.
M. Marc Cosyns. Marja a septante-sept ans. Sa fille et le prêtre du quartier lui apportent leur réconfort. Durant l'été, elle vient elle-même chercher sa médication; pendant l'hiver, elle m'appelle pour une visite à domicile. Elle s'en sort pendant trois mois avec les préparations à la digitaline pour son coeur. En vérité, je ne la vois pas beaucoup mais, lorsqu'elle vient chez moi, elle parle beaucoup d'elle-même et de ma mère, car elles se connaissent.
Quatorze jours après une visite, elle m'appelle parce qu'elle a senti une petite boule dans le sein. Elle ressent une douleur lancinante. La boule se révèle plus grosse que prévu. Un traitement utile serait : mastectomie, chimiothérapie et radiothérapie; pour parler simplement : ablation du sein, rayons et perfusions. Selon l'oncologue, son espérance de vie sans thérapie est peut-être d'un an tandis qu'avec une thérapie, elle est peut-être de six à sept ans. « Mais », ajoute-t-il, « elle a septante-sept ans et l'espérance de vie moyenne est de septante-huit ans. Tu sais aussi à quel point il est difficile de faire des pronostics. » Nous nous concertons. Elle dit : « Je considère ceci comme mon destin. Tu sais que j'ai toujours dit que, si je tombais dans le coma pour l'une ou l'autre raison, je considère que cela ne vaut plus la peine de vivre, mais je ne veux pas non plus de ce traitement sédatif. Je veux porter ma souffrance et je la consacrerai à Notre Seigneur et aux personnes qui ne peuvent vraiment pas supporter leur souffrance. » Durant toute sa vie, elle a toujours refusé les sédatifs.
Cela se passe encore bien pendant deux mois. Elle souffre peu. Mais la tumeur commence alors à s'infecter. Comme convenu, l'infirmière et moi ne dispensons que les soins nécessaires. Elle est soutenue dans sa souffrance et sa douleur par sa fille et Lieven, le prêtre du quartier, son accompagnateur spirituel. Jusqu'à la fin, elle reste lucide. Elle lit le journal et son missel, et écoute les prières du prêtre.
« Demain, Lieven vient m'administrer l'Extrême Onction, bien qu' on ne l'appelle plus comme ça », me dit-elle. « C'est pénible, mais je sais pourquoi je le fais et pour Job, dans l'Ancien Testament, c'était encore plus pénible. Toi, tu ne le comprends pas, mais ta mère le comprend. Elle trouve d'ailleurs fantastique que tu t'entendes si bien avec Lieven, le prêtre. Je n'en ai jamais douté; comme je ne douterai jamais que tu ne me laisseras pas dans le coma, car cette douleur devient peu à peu si intense que le coma en sera le résultat. Tu régleras cela avec ma fille, tout comme l'incinération. »
Deux jours après l'administration de l'Extrême Onction, elle est tombée dans le coma. Le sourire sur son visage était plus fort que la douleur. Je me suis concerté avec sa fille sur la manière de procéder lors de la phase terminale. Je lui administrerai une dose légère de penthotal de sodium, de telle sorte que, comme la bougie qui se trouve près d'elle, elle s'éteindrait en notre présence aux environs du soir. Cet après-midi, Lieven viendrait encore une fois pour un dernier salut.
Chers sénateurs,
Merci de m'avoir permis de m'exprimer ici et de témoigner en tant que médecin « de terrain ».
Il est évident que je parle ici en mon nom propre, même si je me sens soutenu par les différentes personnes avec lesquelles je me charge de certaines tâches. C'est aussi la raison pour laquelle j'opte pour la publicité des débats. Je trouve en effet qu'il est indispensable de recevoir ultérieurement un feed-back des collègues et de rester ouvert aux critiques constructives réciproques. Il a de toute façon été convenu qu'aussi bien moi-même que la personne qui pose la question pouvons demander le huis-clos, et ce par loyauté. J'en suis très reconnaissant au Sénat. Bien entendu, je ne porte pas de jugement de valeur sur ceux qui veulent témoigner à huis-clos. Je pense qu'il y a suffisamment de raisons qui permettent de motiver aussi cela.
En premier lieu, je veux d'abord situer, grâce à quelques mots-clés, mon point de vue et mes actions en tant que médecin. Ensuite, je donnerai encore un certain nombre d'exemples issus de ma pratique pour illustrer mon propos afin que vous puissiez finalement obtenir les réponses nécessaires à vos questions. Puisque le Sénat fait un effort exceptionnel pour utiliser au maximum les possibilités d'informations électroniques en témoigne le superbe site web , j'ai pensé exprimer mon estime envers cela en faisant usage de la projection de données. Je remercie aussi les membres du personnel du Sénat, qui m'ont apporté leur aide.
Je vais éclairer mon point de vue concret à l'aide que quelques mots-clés.
Le A correspond à la relation médecin-patient qui constitue l'élément central de mon travail. Cette relation représente plus qu'un colloque singulier. Certains orateurs ont déjà fait mention du désaccord existant entre les défenseurs de ce principe et ceux qui veulent impliquer beaucoup plus de personnes dans la décision. Le médecin est un chaînon important dans la relation entre la société et le malade.
La relation de médecin à patient(e) est en grande partie déterminée par la société au sein de laquelle on vit et travaille.
En outre, je voudrais parler du double pilier de l'informed consent (consentement éclairé). Aussi bien l'information destinée au patient que le consentement de celui-ci sont très importants. Peu à peu, ces notions recevront de plus en plus d'importance dans la relation entre le médecin et le patient.
La relation avec le patient est basée sur la concertation et la confiance. Auparavant, le médecin se trouvait plutôt dans une position de force vis-à-vis du patient.
Le deuxième mot-clé est la déclaration de volonté relative au traitement. Cette notion est, entre autres, aussi désignée par testament de vie, déclaration anticipée ou advanced directives. Je ne veux pas chicaner sur l'emploi d'un terme, mais je trouve que l'on doit tendre vers une terminologie uniforme dans la loi. Cette notion est en effet cruciale dans la proposition de loi et dans la relation entre le médecin et le patient.
Une déclaration de volonté relative au traitement constitue en premier lieu un accord de concertation. D'autres personnes, notamment les proches, le conjoint, les amis, sont de préférence impliqués dans cet accord. Je prends moi-même l'initiative d'associer ces personnes à la concertation.
La déclaration de volonté relative au traitement ou déclaration anticipée devrait faire partie du dossier médical. Celui-ci est de plus en plus utilisé . C'est à cet effet que les dispositions légales nécessaires sont élaborées. La discussion sur le dossier médical global est pleinement d'actualité. De nombreux médecins intègrent cette information dans leur dossier. Il devient ainsi possible de discuter de cette problématique.
Le C signifie crémation. Dans ce cas, il est question de contrôle a posteriori. En ce moment, on parle à juste titre beaucoup de ce sujet. Cependant, de nombreux médecins ne savent pas encore qu'un contrôle supplémentaire est effectué par un docteur lors de l'incinération. En outre, en vertu de la loi, la déclaration du décès doit encore être faite par un médecin et c'est le fonctionnaire qui doit faire la constatation. Je mentionne ceci parce qu'en cette matière, une disparité peut être constatée.
La définition de la notion d'euthanasie est un thème central du débat. Cependant, je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce point. En effet, comme l'affirmait le prince de Talleyrand, l'homme a inventé les paroles pour cacher les idées. La notion d'euthanasie est définie de très nombreuses manières. J'ai essayé de résumer la conception que les patients en ont. Une définition possible pourrait être : mourir bien, doucement et dignement, comme il ou elle le souhaite et comme on pense qu'il est bon pour elle ou lui, ainsi que pour ceux qui restent. Cette définition peut éventuellement aussi s'appliquer à la catégorie des incapables.
Je sais qu'on utilise ici une autre définition, celle de « mettre fin à la vie du mourant à sa demande ». Je constate, dans les médias, une énorme confusion autour de cette notion, malgré les tentatives faites pour n'utiliser qu'une définition. De nouveaux adjectifs sont constamment ajoutés à la définition : euthanasie active et passive, volontaire, économique et incontrôlée. Récemment, le professeur Nys a aussi parlé d'euthanasie thérapeutique. Cela vaut la peine de s'interroger sur ce phénomène. Je proposerais plutôt de ne plus utiliser ce terme.
La notion d'eutocie relative à la naissance est également tombée en désuétude parce qu'il existe trop de manières différentes de travailler autour de la naissance. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même pour la notion « mourir »?
La médecine est aussi un mot-clé. Le médecin a pour tâcher de guérir (to cure) et de soigner (to care). Il doit s'efforcer de maintenir en vie, de façon optimale (et aussi longtemps que possible), l'individu en relation avec autrui. Chacun peut sans doute se retrouver dans cette approche, aussi bien les catholiques et les libres-penseurs que ceux qui ont une autre conception de la vie. Chacun se rend indubitablement compte que nous ne sommes pas seuls au monde, que nous devons tenir compte des autres et que nous voulons volontiers vivre ensemble.
La médecine implique une intervention dans le cours naturel de la vie. Les gens le comprennent et l'apprécient fortement. Les médecins disposent de nombreux moyens pour intervenir dans la vie et la rendre plus humaine, plus longue et de meilleure qualité. Cela signifie aussi que nous regardons plus loin qu'une maladie. Nous essayons de voir l'homme dans sa totalité. Je dis ceci parce que c'est important pour le thème dont nous traitons ici, à savoir le droit de mourir en tant qu'homme en non en tant que malade. À ce propos, je renvoie au professeur Schotsmans qui, dans son exposé sur la sédation contrôlée, a déclaré que l'homme doit mourir d'une maladie.
Que l'on considère la vie comme un don de Dieu ou comme une étape de l'évolution, nous y sommes attachés avec raison et nous ferons tout pour vivre. Dans la relation médecin-patient, on exprime clairement qu'on est prêt à tout pour rester en vie. Je citerai tout à l'heure quelques exemples qui illustrent à quel point on est prêt à endurer des souffrances pour pouvoir survivre. Une personne en bonne santé peut difficilement s'imaginer jusqu'où on peut aller. On doit certainement tenir compte du processus de croissance que l'on traverse à cet égard.
Quelque dure que soit la vie et, pour certains, elle est dure , l'homme déplace ses limites lorsque la fin approche. Des patients meurent parce « cela doit se terminer comme ça » et trouvent le plus souvent que cette mort vient trop tôt. Nous le constatons surtout chez les jeunes patients souffrant du cancer. Ils ne meurent pas parce qu'il le veulent mais parce qu'il en est ainsi et, pour eux, la mort vient trop tôt. De l'autre côté, il existe un grand groupe, constitué surtout des plus âgés qui acceptent leur mort avec résignation parce qu'ils ont eu leur vie et parce que cette vie n'est plus digne. Malheureusement, en Belgique, six à sept personnes en moyenne optent chaque jour consciemment pour la mort. Réduire ce nombre doit, selon moi, être une des préoccupations sociales les plus importantes. Je sais qu'il s'agit d'un chapitre séparé, mais je trouve quand même important de l'aborder aussi en partie dans cette discussion.
Vous connaissez naturellement les soins palliatifs. Il est important que nous les situions dans une vision globale des soins de santé. L'arrêté royal nº 78, qui date, il est vrai, de 1967, aborde la médecine uniquement sous les angles curatif et préventif, sans que l'aspect care (soins) n'entre en ligne de compte. Je ne retrouve pas davantage ces soins dans l'actuelle proposition de loi qui veut seulement ajouter les soins palliatifs. Les soins en général, de la naissance à la mort, sont très importants, alors que l'on se focalise actuellement sur certains points. Je trouve toujours dommage que des personnes qui sont accueillies dans une unité palliative, disent qu'elles bénéficient finalement des soins qu'elles auraient peut-être déjà dû recevoir durant toute leur vie. Il importe de s'attarder quelque peu sur ce point.
Les soins palliatifs, la dispensation de soins au patient, supposent aussi une capacité d'endurance de la part de ceux qui se chargent de veiller à une vie et une mort dignes. Peut-être certains n'entendront-ils pas volontiers ce que je vais dire, mais, à côté de l'acharnement thérapeutique, il se manifeste aussi petit à petit un acharnement palliatif. Dans les soins palliatifs non plus, on ne peut nier la mort. Nous reviendrons encore sur ce point tout à l'heure. Dès que les soins palliatifs deviennent financièrement intéressants c'est peut-être une petite remarque perfide , certains groupes commencent également à s'en occuper et font preuve d'acharnement. Je ne vise aucune firme, mais cela vaut pour toutes les affaires de ce genre.
Je peux être très clair au sujet du meurtre. Il s'agit d'une matière pour le Code pénal qui, sur ce point, doit être sévère et clair, aussi bien pour l'auteur que pour le commanditaire. Nous y reviendrons tout à l'heure.
Pour moi, la mort est aussi une chose claire : elle fait simplement partie de la vie. Nous l'oublions encore trop souvent. J'ajoute encore ceci : ne laissons pas « périr la mort ». Actuellement, la mort revient souvent dans la discussion à propos des incapables. On laisse mourir les gens d'une manière ou d'une autre et je pense que l'on peut se poser de nombreuses question à ce sujet. Je trouve aussi important que la problématique des incapables soit abordée ici.
Je considère les soins au mourant et l'accompagnement de celui-ci comme le dernier épisode dans le continuum du traitement médical. L'accompagnement médical devrait être un continuum. La relation médecin-patient se découpe en épisodes. Nous pouvons renvoyer à la naissance et à tout ce qui la concerne : la procréation médicalement assistée, la grossesse, la naissance, les soins postnatals,... C'est ainsi que je vois finalement l'ensemble de la problématique autour de la mort : l'accompagnement des mourants, la mort elle-même et l'accompagnement post mortem des personnes qui restent. L'ensemble de cet accompagnement et de ces soins doit se dérouler suivant un certain nombre de recommandations. L'evidence based medecine est plutôt d'actualité et c'est justifié. Dans cette approche, on met en avant un certain nombre de recommandations relatives aux soins et aux thérapies. Elles sont examinées au sein des GLEM, des groupes de médecins qui procèdent à une peer review. Ces groupes deviennent très importants pour examiner toutes les matières auxquelles les médecins sont confrontés.
Tout le monde a déjà parlé ici de transparence. La transparence au niveau de la fin de la vie et du certificat de décès est, selon moi, très importante. Pour l'instant, on ne parle guère de ce problème. C'est le seul point sur lequel le Comité consultatif de bioéthique est parvenu à un consensus au printemps 1998. Il doit y avoir plus de transparence. Une législation doit certainement s'y intéresser et y veiller.
La demande du patient. On peut seulement accepter ou rejeter une demande. C'est aussi la raison pour laquelle je n'aime pas utiliser ce terme, pas plus que « mettre fin à la vie à la demande du mourant ». Dans une relation entre médecin et patient, une demande constitue finalement un appel à l'aide. Nous partons toujours de ce principe. Si un patient fait une demande de ce genre, nous ne la traitons pas telle quelle mais comme un appel à l'aide pour, à partir de là, en se concertant et en approfondissant davantage la demande, prendre ensemble la meilleure décision. Bien entendu, cela ne vaut pas seulement pour l'accompagnement des mourants, mais aussi pour l'accompagnement du patient et les soins dont il bénéficie durant toute sa vie.
L'étude scientifique. Je dois aborder brièvement ce sujet, même si je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails d'une étude qui a déjà été mentionnée ici à quelques reprises. Bien que je fasse partie du groupe d'étude, je ne m'étendrai pas ici sur cette étude. Il en a été convenu ainsi. Je veux toutefois citer un élément. Il ressort de l'étude pilote menée à Hasselt que, dans trois cas sur quatre, on a abrégé la vie ou l'on y a mis fin sans aucune concertation. Il s'agit quand même d'une donnée fondamentale.
Sur le plan législatif, je veux faire une comparaison avec les Pays-Bas. En Belgique, l'acte de mettre fin à la vie du patient à sa demande n'est pas mentionné dans le Code pénal. Les droits des patients n'ont pas encore été mis au point mais on s'y emploie, et à juste titre. Nous ne pouvons que l'encourager. Les soins palliatifs bénéficient peu à peu d'un financement limité. À juste titre également. Aux Pays-Bas, mettre fin à la vie du patient à sa demande figure bel et bien dans le Code pénal. Étant donné l'existence d'une politique de tolérance en la matière et de la loi sur l'autopsie, on y part d'une situation différente. Aux Pays-Bas, les soins palliatifs ont constitué un gros problème, mais ils commencent maintenant à se développer peu à peu. Du point de vue légal, les Pays-Bas ont même une petite longueur d'avance sur la Belgique.
Une modification de la loi est urgente. On en discute d'ailleurs depuis les années 80, alors que certains prétendent à tort qu'on n'en parle que maintenant. On a déjà fait un bon bout de chemin, non seulement dans le monde politique et dans la société, mais aussi dans les milieux médicaux.
Les membres de cette commission ont pu conclure de mon témoignage que je ne plaide pas pour une modification du Code pénal. Je veux dire que, lors d'une telle modification, trois aspects s'imposent. En premier lieu, les soins palliatifs et le droit de mourir dignement doivent former un tout parce qu'ils ne peuvent être considérés séparément. Je l'ai souligné en donnant une définition claire de ces notions. En deuxième lieu, la déclaration de volonté relative au traitement doit faire partie du dossier médical global.
La déclaration de volonté relative au traitement est un choix de société. Pour l'instant, elle n'existe pas encore; les médecins travaillent dans le vide. On affirme tout et son contraire, mais nous n'avons aucun point de repère. Elle doit se trouver dans le dossier médical global parce que celui-ci est pour l'instant réglementé par la loi. Il se voit attribuer une valeur juridique, ce qui rend possible l'instauration de critères de prudence et d'un contrôle de la qualité. Un financement devient aussi envisageable. Enfin, je plaide pour la création d'un centre de recherche et d'étude qui posséderait des compétences beaucoup plus larges qu'une commission d'évaluation. Cette dernière, telle qu'elle est proposée actuellement, est plutôt faible. On ne doit pas seulement étudier l'acte qui vise à mettre fin à la vie du patient à sa demande, mais aussi les décès dans leur ensemble. À ce sujet, je renvoie à un centre qui a déjà fourni du bon travail, le centre d'étude d'épidémiologie périnatale. Le centre de recherche et d'étude doit se voir conférer des compétences encore plus larges parce que, sur la base de ces données, une enquête sociale doit être réalisée, ce qui n'est maintenant pas le cas pour les déclarations de naissances.
Enfin, je ne peux pas ne pas parler de l'autodétermination. Je sais que beaucoup de personnes acceptent difficilement cette notion. Pour moi, il s'agit du point final d'un épanouissement. Elle doit être soumise au « A » de la relation médecin-patient, et non au « A » de l'autodétermination absolue.
Après m'être concerté, j'ai quand même décidé de montrer un certain nombre de dessins humoristiques. Le dessin 1 de ZAK, paru dans De Morgen, montre clairement ce que nous ne voulons pas. Nous nous trompons si nous, en tant que société, choisissons cela. D'un autre côté, je veux éviter ce que l'on voit sur le dessin 2. J'ai déjà dit que, chaque jour, six ou sept personnes se donnent volontairement la mort. Notre tâche est de l'éviter. Ensuite, les médecins ne peuvent plus être considérés comme les personnes qui commettent l'euthanasie. Un grand nombre de médecins craignent, à juste titre, d'être stigmatisés, comme dans le dessin 3 de ZAZA.
Je pense que notre point de vue sur la relation entre le médecin et le patient a été clairement exposé. Le dessin 4 de GAL, le dernier, montre bien ce que nous entendons par soins aux mourants et accompagnement de ceux-ci. Pour les libres-penseurs parmi nous, j'ai légèrement adapté les dessins.
Enfin, je voudrais terminer par quelques récits issus de la pratique : ces cas sont véridiques, mais rendus non identifiables, et sont mentionnés avec l'accord des proches.
Gerda a 67 ans et, depuis 31 ans, elle souffre de sclérose en plaques. Elle habite toujours dans ce qu'elle appelle sa « villa d'ouvrier restaurée » : son mari et ses deux enfants ont complètement adapté la maison de façon à ce qu'elle puisse se déplacer partout en chaise roulante. Il y a deux ans, son mari est soudainement décédé d'une rupture de l'aorte. Depuis sa création, ils étaient tous deux membres de « Recht op Waardig Sterven ». Ils y avaient surtout adhéré pour elle. « Mon mari n'en avait jamais eu besoin mais j'ai peur pour moi-même », dit-elle en riant. Aussi longtemps qu'elle a pu continuer à vivre dans sa maison, elle avait encore une vision positive des choses. Elle ne voulait pas d'un déménagement vers l'une ou l'autre section résidentielle. Elle avait vécu là et elle voulait y mourir. L'entourage social fut alors fortement optimalisé : deux infirmières indépendantes chaque jour, un kinésithérapeute cinq fois par semaine, une aide familiale trois demi-jours par semaine, le fils et la fille les jours pairs et impairs et, toutes les deux semaines, une petite réunion de famille avec les enfants. Enfin, il y a encore moi, son médecin. Je lui rends visite tous les quinze jours, le mardi après-midi, et quotidiennement durant les périodes aiguës. Ceci a très bien été intégré dans le plan de soins.
La mobilité de ses deux bras a constamment diminué au cours des dernières semaines. Elle pouvait encore à peine conduire elle-même son fauteuil roulant. Depuis lors, un ulcère fessier douloureux est venu s'ajouter, un « ulcère à mon postérieur » comme elle le dit elle-même, qui la force à rester couchée, presque 24 heures par jour, sur un matelas d'eau. Une hospitalisation résidentielle définitive ne devient-elle pas nécessaire ? Nous devons en discuter en équipe avec sa fille et son fils. Gerda ne veut pas être présente. Elle dit que chacun sait ce qu'elle veut : rester là en toute liberté et y mourir. Comment pouvons-nous les aider, elle et sa famille ? Dans l'équipe, chacun affirme qu'il serait presque souhaitable qu'elle meure de ses escarres de décubitus. Si cela ne se produit pas, dit l'infirmière, elle optera elle-même pour cela; elle fera le nécessaire pour pouvoir mourir chez elle. En tant que médecin, je demande à l'équipe soignante d'aider Gerda si elle échoue dans son choix de prendre elle-même les médicaments. Tout le monde est d'accord. La fille dit seulement qu'elle ne veut pas savoir quand ça se produira et, chaque fois, elle dira en partant : « À demain, peut-être. »
Elle a demandé que le prochain week-end soit son dernier. C'était un dimanche fantastique : nous étions tous ensemble. Les gosses rampaient sous ou sur son lit, ou jouaient à sauter sur le matelas d'eau. Elle trouvait ça si agréable, malgré la douleur engendrée par les ulcères sur ses fesses. « À demain, peut-être », dirent la mère et la fille en prenant congé, des larmes dans les yeux. Ce fut le même au revoir le lendemain.
« J'espère que je n'aurai aucune nausée et que cette quantité de sirop sera suffisante pour que je ne doive pas vous appeler ce soir », dit-elle à l'infirmière et à moi-même. « Votre présence me donne beaucoup de confiance. Tôt, demain, l'infirmière viendra me mettre en bière. Vous serez les seuls à connaître la vraie cause de ma mort. Et mon mari aussi, bien entendu », rit-elle. Sur le certificat de décès, on écrira « mort naturelle ». Le médicament sera indiqué sur le formulaire destiné à l'Institut national de statistiques. La fille demande après coup si sa mère aurait encore vécu longtemps. L'infirmière répond que, parce qu'elle a pu continuer à habiter chez elle, de façon autonome, entourée par ses proches, sa vie a probablement été beaucoup plus longue que si elle avait été envoyée dans une institution. Cela laisse un sentiment de quiétude.
Karen a 37 ans et est actrice. Elle a un petit garçon de 8 ans, qui fait maintenant ses premiers pas dans une série télévisée flamande grâce à laquelle sa maman est peu à peu devenue une Flamande célèbre. Elle veut interpréter elle-même sa propre maladie terminale. Être morte dans une série n'implique qu'une adaptation du scénario mais il n'y aura jamais de place dans la vraie vie pour une mort à son âge. Si on en arrive au point que l'hémorragie, la douleur et la déchéance sont irréversibles, son mari et moi-même devront décider ce qui est le plus souhaitable. Elle préférerait mourir chez elle mais elle ne veut en aucun cas faire ses adieux elle-même. Sa vie a été trop courte pour cela, son avenir d'actrice et de mère est loin d'être accompli.
Sa maladie commença par un abcès anal qui se reproduisit et se révéla être, en fin de compte, un cancer très malin. Malgré une opération recto-vaginale extrêmement mutilante, une dose de rayonnement maximale et la chimiothérapie, la situation resta très mauvaise. Une première hémorragie, un saignement grave du paquet tumoral s'arrêta heureusement grâce à une tamponnade locale. Le rétablissement du volume de sang et le renforcement du traitement à la morphine la ramenèrent à la maison et même sur le plateau. Deux jours avant l'enregistrement de sa mort pour la TV, une nouvelle hémorragie se produisit, accompagnée de douleurs intenses. Nous optâmes ensemble pour une nouvelle hospitalisation. Cela se révéla bien être une invasion tumorale artérielle qui causait des pertes de sang pulsatives. Impossible de tamponner.
Malgré une perfusion avec une dose maximale de morphine, la douleur restait affreuse. Le conjoint, l'oncologue et moi-même décidâmes ensemble d'administrer du penthotal de sodium et d'arrêter ensuite l'injection de sang. Son mari se pendit à son cou en pleurant et j'ai senti la main de sa femme tomber sans force.
Pour Roger, tout avait pris une mauvaise tournure lorsqu'il eut 60 ans et qu'il prit sa retraite, obtenant ainsi le temps de faire ce qu'il voulait. Deux mois plus tard, sa femme mourut subitement d'un infarctus. Sa tante de 83 ans, qui habitait chez lui, dut être emmenée six mois plus tard dans une section fermée d'une maison de repos et de soins. Elle était devenue totalement folle. Durant trois ans, il lui rendit visite tous les jours, lui donnait le repas du soir, la couchait dans son lit avec un « Dieu te bénisse et te protège ». C'est ce qu'elle avait toujours fait quand il était enfant car elle l'avait élevé et il estimait qu'il devait faire cela aussi pour elle. Il le faisait d'ailleurs volontiers. La seule chose épouvantable fut que le médecin de garde la fit emmener à l'hôpital et qu'elle y mourut, le corps couvert de tubes. Par la suite, ce docteur est venu s'excuser auprès de Roger. « Mais il n'y avait, dans le dossier, aucun code indiquant que l'on avait convenu quelque chose si une situation de ce genre se présentait », dit le médecin. « En ce qui vous concerne, une telle chose ne se produirait certainement pas », dit Roger. Ils commencèrent ainsi à bavarder de la manière dont il aimerait mourir.
C'était une lignée masculine : lui Roger, son fils Eddie et le fils d'Eddie, Hans, âgé de 13 ans. « Normalement, ce sont les femmes qui restent les dernières mais, chez nous, elles sont le sexe faible : ma femme est morte d'un infarctus à 58 ans et celle d'Eddie d'une hémorragie cérébrale à 37 ans », dit-il.
Il avait alors 68 ans. Trois ans auparavant, il avait commencé à perdre progressivement la mémoire. Il aurait volontiers fait procéder à un examen général, jusqu'à la résonance magnétique nucléaire. Cela se révéla être une véritable démence, « de M. Allesheimer », comme l'appelait Roger. « Après un an d'échantillons de cholineësteraceïnhibitor gratuits, je n'étais plus intéressant pour le neurologue, car cette camelote ne marchait pas. Pendant un an, je l'ai payée de ma poche, même si tu n'étais pas d'accord », disait-il, « mais je voulais tout essayer. J'ai toujours dit que je ne voulais pas finir comme ma tante; mais mon fils Eddie en a toujours fait peu de cas. » « Cela ne deviendra jamais si grave et, de toute façon, je m'occuperai de toi. » Nous nous sommes même disputés à ce sujet, tu sais, alors nous avons fait appel à toi. Depuis lors, nous avons tout mis sur papier : jusqu'où je voudrais aller et la manière dont l'enterrement doit se dérouler. Seulement, je ne veux pas de ce « Candle in the Wind ». L'année passée, lors de la fête des morts, il est encore une fois revenu sur le sujet. C'est incroyable comme il aime cette chanson, mais moi pas. Lorsque l'aide familiale est venue aujourd'hui, je n'avais pas encore touché au dîner d'hier et je ne le savais même plus. Et j'avais aussi déjà oublié le résultat de football. Je ne savais même plus si mon petit-fils Hans était venu me rendre visite le week-end précédent. Cela va un peu mieux maintenant, mais ma décision reste la même : vendredi soir, Hans vient souper et je lui dis que je ne serai probablement plus là quand il reviendra du tournoi de football. « Samedi : « Je suis heureux de pouvoir encore décider. De toute façon, selon moi, le petit Hans va gagner aujourd'hui. » Il prend les pilules pour s'endormir et je lui administre ensuite du penthotal, par doses réparties pendant plusieurs heures. Lorsque Hans revient, il dort profondément.
« Entend-il encore? », demande Hans à son père. « Dis-lui. » « Nous avons gagné 3-1 ... Je crois qu'il sourit », dit-il. Une heure plus tard, sa main glissait dans celles d'Eddie et de Hans. « Papy ne voulait pas devenir fou, hein papa », dit Hans.
Le dernier cas est celui de Marcel.
« Je conserve ces deux flacons de penthotal de sodium dans la boîte à pain et ces ampoules de pancuroniumbromide se trouvent dans le bac à légumes du frigo. J'ai aussi demandé de l'eau distillée au pharmacien de manière à ce que l'acidité soit bonne, comme indiqué sur la notice. Généralement, ça me tranquillise de savoir que tout est ici. Pour le reste, je vous fais confiance, à vous et à Sophie des soins palliatifs. » C'est ce que raconte Marcel, un laborantin retraité qui connaît son affaire.
Le rapport du pneumologue indique ceci : « Marcel est un gros fumeur, depuis plus de 20 ans, avec une douleur lancinante irradiant pour l'instant dans le bras droit. Une scanographie a révélé une néo-formation de cancer dans la partie inférieure droite du cou. Elle ronge les côtes supérieures et commence à s'attaquer aux vertèbres voisines. Puisque le patient réclamait avec insistance un entretien franc, il a été mis entièrement au courant. Nous lui avons aussi proposé une endoscopie des poumons, certes difficile à réussir. Le patient en discutera avec les médecins généralistes. »
La douleur ne sera pas réduite mais sa grande peur est celle des métastases du cerveau, du coma. Ne plus savoir ce qu'il fait ou dit constitue pour lui la fin. La dernière dose finale radiothérapeutique palliative améliora peu la situation. À la demande de Sophie et en concertation avec la clinique de la douleur, de la diamorphine, une héroïne, fut combinée jusqu'à 2 800 mg avec du Ketalar. De la scopolamine pour toux grasse peut aussi être injectée par dose de 16 ml. Marcel trouve d'ailleurs le « palliatif » fantastique, même s'il y était réticent dans un premier temps. « N'est-ce pas un truc des catholiques? », avait-il demandé.
La douleur ne doit pas être sous-estimée. Tous les deux jours, Sophie doit changer l'aiguille sous-cutanée à cause d'une réaction nodulaire, des petites bosses qui se forment sur la peau, autour de la zone d'injection. « Mon corps veut que ça sorte, il se bat », dit-il, mais des larmes lui sont entre-temps venues aux yeux. « Heureusement, j'ai encore ma petite femme, je ne comprends pas qu'elle tienne le coup si longtemps, nuit et jour, à mes côtés. Une petite toux et elle est éveillée. Elle doit d'ailleurs manger un peu plus. Ce n'est pas parce que je n'avale plus que ces petits trucs au lait... Les « Mokka » sont les meilleurs. C'est toujours au menu de fête, hein! »
Trois jours plus tard, téléphone. Après une forte quinte de toux accompagnée de sang, il est tombé dans le coma. Son frère me fait entrer : une respiration forte mais lente et sa main dans celle de sa femme; c'est l'image clinique. Il y a encore un peu de bave sanglante sur sa chemise blanche qu'il porte encore au lit. « Après cet accès de toux, il est devenu mauve, mais maintenant qu'il repose si paisiblement..., je sais qu'il montrerait la boîte à pain et le frigo, mais je voudrais attendre encore un peu, docteur. » Je dis que je reviendrais après mes consultations du soir et demandai d'avertir entre-temps Sophie. Aux alentours de 18 heures, je reçois un nouvel appel du frère : « Je pense que ça y est ... et Sophie est déjà là ».
M. Philippe Monfils. Je vous remercie, docteur, de votre intervention et je tiens à vous féliciter à titre personnel de votre touche d'humour. Ce n'est pas fréquent dans un problème extrêmement grave. Comme disait quelqu'un, je m'empresse de rire de tout pour ne pas être obligé d'en pleurer. Ce point m'a permis de comprendre une partie de votre position. Je vous avoue toutefois ne pas avoir exactement compris quelle est votre position personnelle par rapport aux propositions de loi qui sont déposées. Vous avez parlé des soins palliatifs en disant qu'on ne pouvait pas « nier la mort ». Vous avez également dit qu'il fallait éviter, dans la mesure où l'aspect financier serait intéressant, d'en arriver à l'acharnement palliatif. Par ailleurs, vous dites qu'une législation devrait tenir compte des soins palliatifs. Vous avez dit qu'il fallait changer la loi, mais je n'ai pas très bien compris dans quel sens. Vous avez donné l'exemple néerlandais que nous connaissons bien. De votre point de vue, la proposition des six auteurs, que je défends puisque je l'ai contresignée, et qui consiste à répondre à une demande d'euthanasie dans une série de conditions, est-elle acceptable compte tenu de votre éthique médicale ? J'ai bien compris que vous ne vouliez pas de « magasin d'euthanasie » nous non plus et que vous ne vouliez pas non plus arriver à une sorte de suicide de la personne qui s'en va toute seule. J'ai vu dans la dernière caricature, qui était très parlante, l'accompagnement de la mort. C'est exactement ce que nous voulons, mais un accompagnement actif, à la demande du patient.
Pouvez-vous nous donner votre position à cet égard ?
L'acte d'euthanasie lui-même, soit l'administration du cocktail létal ou de la piqûre, est-il un acte médical ou un acte qui peut être accompli par d'autres personnes, par exemple un infirmier ? Je vous dis cela parce que certaines personnes qui vous ont précédé, notamment des médecins ou même des personnes spécialisées en philosophie, divergeaient d'avis sur ce sujet. Personnellement, j'estime que l'acte concret d'octroyer la piqûre ou le cocktail létal est un acte profondément médical. Il serait intéressant que vous nous disiez quel est votre sentiment à l'égard des propositions de loi actuellement déposées.
Mme Kathy Lindekens. Par acharnement palliatif, désignez-vous la sédation contrôlée ou des formes extrêmes de sédation contrôlée qui peuvent aussi relever de l'acharnement ? L'encadrement du médecin généraliste revêt, selon vous, davantage que le colloque singulier. Ce médecin se trouve dans une situation tout autre que son confrère à l'hôpital, où une équipe infirmière et soignante est présente. Comment envisagez-vous l'encadrement par le médecin généraliste ? Selon vous, en tant que généraliste, une équipe palliative est-elle importante ou voyez-vous une autre possibilité pour dialoguer concernant le patient et discuter de la décision qui doit être prise ?
Vous avez lu un certain nombre de très beaux témoignages, dans lesquels le patient occupe, à juste titre, une place centrale. J'aurais voulu parler avec vous de l'expérience du médecin. Celui-ci est souvent présenté de façon caricaturale comme l'homme ou la femme qui tient la seringue. Dans un livre américain contenant des témoignages néerlandais, j'ai lu que chaque euthanasie est vécue par le médecin comme si elle était la première et que, chaque fois, il s'agit d'un processus psychique et émotionnel. À partir des témoignages que vous nous avez fournis, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'expérience du médecin ? Un encadrement est-il aussi nécessaire pour lui ?
M. Réginald Moreels. De temps à autre, il semble difficile de faire mourir dignement le patient grâce à la sédation contrôlée, par exemple en cas d'asphyxie. En tant que médecin généraliste, êtes-vous confronté à de tels cas, ou surviennent-ils plutôt dans les hôpitaux ? Vos patients qui ont été hospitalisés souffrent-ils de tels symptômes ? Pensez-vous, comme l'ont affirmé un certain nombre de personnes, que, grâce à la sédation contrôlée, presque tous les cas d'euthanasie deviennent superflus ou estimez-vous qu'il restera encore des cas pour lesquels l'euthanasie peut constituer une solution ?
J'ai encore quelques questions relatives à la déclaration anticipée. Si le diagnostic est communiqué au patient, celui-ci peut devenir dépressif ou suicidaire.
Le médecin, confronté à une demande d'aide en fait d'euthanasie , peut-il convaincre le patient de lui faire confiance pour décider de ce qui est la meilleure solution ? Existe-t-il, parmi votre patientèle, des personnes qui veulent absolument rédiger une déclaration anticipée et lui donner une valeur juridique ? Quel est votre point de vue à cet égard ?
M. Jean-Marie Dedecker. Je suppose que vous avez vous-même vécu les exemples que vous citez. Je trouve qu'il s'agit d'une explication très originale. Des médecins ont pris ici la parole. Ils disaient parler au nom de l'Ordre des médecins, affirmaient pratiquer depuis 40 ans mais n'avoir aucune expérience de l'euthanasie. Vous êtes, par contre, un jeune docteur. Je me pose donc des questions sur la médecine. Peut-être le problème est-il lié à l'aspect local ou régional ?
Vous affirmez clairement que l'on ne doit pas modifier le Code pénal. Je me demande alors comment vous vous en sortez, puisque vous pratiquez vous-même l'euthanasie. Agissez-vous toujours seul et en âme et conscience et trouvez-vous que ce doit être une base légale suffisante ou consultez-vous des collègues comme le prescrivent les mécanismes de contrôle prévus dans la proposition de loi ?
M. Marc Cosyns. Je vais d'abord aborder les questions relatives aux cas. Je pense que la sédation contrôlée peut être très importante comme forme d'accompagnement médical de la mort. Il est moins important de savoir si on l'applique par un cocktail ou un autre moyen. Il n'est pas non plus très important de savoir dans quel délai elle est appliquée. Il s'agit de la décision qui a été prise avec le patient afin de déterminer la manière dont il veut mourir. Le reste concerne des modalités.
Je veux faire une comparaison avec les naissances. Je suis assez connu pour les accouchements à domicile. J'informe les femmes des différentes possibilités d'accouchement, du plus « primaire » à domicile au plus sophistiqué dans un hôpital universitaire. Avec la patiente et bien entendu, la plupart du temps, avec son partenaire aussi, nous étudions quelle est la solution la plus valable et la plus acceptable pour les valeurs affectives de la future mère. Je détermine alors le rôle que je peux jouer dans ce processus. Si l'on opte pour un accouchement « haute technologie », je peux assurer l'accompagnement de la grossesse, mais pas l'accouchement. Pour celui-ci, je dois renvoyer la patiente vers un autre docteur. Si c'est l'accouchement à domicile qui est choisi, je suis naturellement toujours content. Je suis alors le processus du début à la fin , mais, durant l'accompagnement de la grossesse, avec l'accord de la future mère, je fais appel à un gynécologue, par exemple pour la réalisation d'une échographie. Si des problèmes surgissent durant l'accouchement, elle peut ainsi être assistée par un gynécologue qu'elle connaît déjà. Du même coup, je réponds à la question de M. Dedecker qui voulait savoir si je travaille toujours seul.
Je ne pourrais jamais travailler seul. Un médecin qui exerce la médecine comme je le fais ne peut pas travailler seul. Dans le contexte social actuel, ce n'est plus ni souhaitable ni possible. Pour les décisions importantes concernant la naissance, la mort et les maladies chroniques, on consulte toujours, en tant que docteur, ses collègues médecins, psychologues, assistants sociaux, ... C'est pourquoi les maisons médicales et les associations entre médecins gagnent en importance. On doit se concerter pour déterminer qui exécutera finalement la décision et de quelle manière. Une proposition de loi consacrée uniquement à l'euthanasie, indépendamment de l'ensemble de l'accompagnement de la mort, entraîne le risque que certains médecins se constituent pour ainsi dire une réputation d'euthanasiques. Je pense que personne ne veut cela.
Je veux aussi aborder la question de savoir si la sédation contrôlée peut résoudre tous les problèmes relatifs à l'euthanasie. Pour moi, comme j'ai déjà tenté de l'expliquer, l'euthanasie à la demande n'existe pas. Mais bon, je sais par expérience que la plupart des personnes veulent faire leurs adieux lentement. Si le patient se trouve dans un processus qui le mène irrémédiablement à la mort, le médecin évalue quelles sont les possibilités de ce patient et celles de sa famille et de son entourage. Il dispose des moyens pour, dans un certain laps de temps, en déterminer les conséquences.
Cela ne marche pas toujours. Avec la sédation contrôlée, on ne réussit par exemple pas toujours à ramener le patient à la conscience, comme les adeptes de la belle théorie l'affirment parfois. On doit donc en discuter avec le patient. Le choix entre une petite piqûre ou un processus de mort lent doit être fait par l'intéressé lui-même. Pour le travail de deuil des personnes qui restent, il est très important qu'ils aient pu vivre la mort avec un « bon sentiment ». Si le processus de mort peut être évalué à l'avance, on veut, la plupart du temps, qu'il se déroule lentement. Il n'est pas très important de savoir précisément quel produit on utilise, si vous, en tant que médecin, êtes apte à l'utiliser correctement, selon les recommandations.
La déclaration anticipée constitue le point crucial. Une législation à ce sujet s'impose. Un choix social doit être fait parce que des éléments médicaux et non médicaux interviennent pour cette déclaration. Si la société accepte celle-ci et qu'elle se réalise dans une relation entre médecin et patient, on aboutit alors à une phase comme lors de la mort.
Nombre de mes patients ont rédigé une déclaration anticipée, souvent parce que je l'ai proposé moi-même. Je considère qu'il est de mon devoir de médecin de fournir des informations sur la mort et l'accompagnement à cette occasion, tout comme en cas de grossesse et de naissance. La manière de faire varie selon les médecins. Mais cela doit se faire en dehors de la période de maladie. Lorsque le patient est confronté à un diagnostic, il risque de prendre la mauvaise décision. Je défends donc le droit de mourir dignement, mais aussi l'autodétermination en fonction du dossier médical. J'espère dès lors que la déclaration anticipée deviendra une partie du dossier médical. Je trouve que la discussion sociale à ce sujet est essentielle.
En fait, il n'existe plus de discussion au sujet de l'accompagnement de la mort. L'acharnement thérapeutique disparaît peu à peu et l'arrêt d'un traitement ce que l'on appelait auparavant l'euthanasie passive est généralement acceptée. La déclaration de volonté relative au traitement constitue encore un problème social. Il ressort clairement des cas que je vous ai exposés, qu'une personne en bonne santé fixe des limites à son traitement éventuel et discute avec ses médecins de la manière dont elle veut mourir dignement.
M. Dedecker a cité différentes choses, parmi lesquelles celle de « toujours décider seul, en âme et conscience ». À vrai dire, j'y ai déjà répondu. Je n'ai jamais eu le sentiment de travailler seul. Tout d'abord et surtout, je travaille dans le cadre d'une pratique de groupe (maison médicale), mais j'ai l'impression que les médecins qui ont une pratique individuelle se sentent tout aussi peu seuls, parce qu'ils travaillent selon différentes formes de collaboration. Pour toutes les décisions vitales au cours des différents épisodes de la vie, une concertation a lieu, indépendamment de toute une série de facteurs médicaux, sociaux et psychiques. Pour ces raisons, on ne peut pas, selon moi, inscrire simplement dans une disposition légale qu'un collègue médecin ou qu'un membre d'un comité d'éthique doit être impliqué dans la décision. Peut-être n'êtes-vous pas d'accord avec moi, mais c'est mon avis.
Il est très important que l'attitude qui est encouragée lors de la formation et du recyclage, évolue peu à peu vers ce modèle. Les médecins parmi nous peuvent approuver cela et constater que cette évolution a déjà commencé. Il s'agit bien entendu de tout un processus.
Nous venons d'une situation où le médecin occupait une position de force dans divers domaines et nous nous dirigeons vers une autre où, sur un arrière-plan de compétence médicale garantie, la concertation et la confiance prédominent.
C'est délibérément que je n'ai pas mentionné l'Ordre des médecins dans ma liste de A à Z. L'Ordre connaît une évolution. Je trouve bien que, chaque année, je me demande à nouveau si je souhaite payer ma cotisation. Au début, je faisais partie des adversaires ardents de l'Ordre en tant que puissance. Durant un certain nombre d'années, je n'ai pas payé ma cotisation et, pour cela, j'ai été traduit devant le juge de paix. Parce qu'il y a désormais plus d'ouverture et de possibilités de dialogue, j'ai décidé, à un moment donné, de payer quand même, non directement, mais par l'intermédiaire d'un huissier. Cette année, j'ai reçu une invitation de l'Ordre à verser ma cotisation, mais avec la mention que les objections ou remarques éventuelles seront prises en compte. En général, j'ai une attitude plutôt favorable et, en fait, je trouve fantastique qu'un dialogue soit possible. Avec un groupe de médecins, nous n'avons toujours pas payé suite à la suspension du professeur Amy, mais nous sommes disposés à en discuter.
Un deuxième point positif dans l'attitude de l'Ordre est qu'il encourage les médecins à parler avec leurs patients et qu'il fait en sorte qu'on ne puisse plus revenir à une situation où, sans qu'un mot soit échangé, le médecin doit prendre seul une décision parce qu'il est question d'incapacité du patient. Je pense qu'il s'agit d'un progrès énorme.
Mme Lindekens m'a demandé comment les médecins vivent un accompagnement de la mort. C'est très important car les généralistes et les psychiatres connaissent les taux de suicide les plus élevés. Il serait dommage que des nouvelles dispositions légales aggravent encore cette situation.
D'ailleurs, je suis toujours soucieux de convaincre les personnes qui présentent des tendances au suicide de ne pas passer à l'acte et de les aider à s'intégrer à nouveau dans la société.
L'expérience de la fin de vie est très profonde pour un médecin. Elle est comparable à l'expérience de la naissance, qui est bien entendu un événement plus agréable. Lorsqu'une personne que j'ai accompagnée meurt, je conserve toujours un « bon » sentiment, sans qu'il soit agréable. Lors de chaque décès, je suis confronté à la réalité selon laquelle la mort fait partie de la vie. Nous avons beau dire mais vivre la mort est bien entendu quelque chose d'autre. Dans aucune des situations que j'ai exposées ici, je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir tué quelqu'un. Je voudrais encore insister sur ce point, car, dans une interview récente au sujet de l'euthanasie, le professeur Admiraal des Pays-Bas, déclarait, que chaque fois, il a le sentiment de tuer quelqu'un. Je n'ai vraiment pas ce sentiment, étant donné que j'entretiens une certaine relation avec le patient, une relation qui évolue dans le temps, à travers un certain nombre de situations d'administration de soins et d'accompagnement de la mort.
Cela reste quand même un événement très éprouvant, mais d'autres situations le sont, par exemple lorsque l'on révèle le diagnostic d'une démence ou d'un cancer. Communiquer ce genre de chose au patient est pour moi épouvantablement plus difficile. Une fois que c'est dit, le reste n'est que la conséquence logique.
Mme Jeannine Leduc. Le médecin qui ne répond pas à la demande d'aide d'un patient souffrant, devra faire face à un sentiment de culpabilité beaucoup plus grand que vous, docteur, qui, face à une telle demande, avez le sentiment de faire ce que vous devez faire.
M. Marc Cosyns. Je ne peux pas juger des sentiments des autres médecins, mais je constate bel et bien, lors des réunions des GLEM des groupes peer review au sein desquels les médecins se rencontrent afin de procéder à des échanges de vues sur différents problèmes, et de parler de leurs sentiments, que ce sont surtout les situations graves dans lesquelles on se sait pas bien quoi faire, qui sont vécues difficilement. Je pense que la formation médicale présente encore des lacunes sur ce point.
Aujourd'hui, il existe, pour les situations graves, des produits qui font disparaître la souffrance aiguë et garantissent au mourant une mort rapide mais digne. Mieux les médecins y ont été formés, moins ils auront la sensation d'avoir manqué à leurs responsabilités.
Je répète encore une fois que, pour moi, ce n'est pas la demande du patient qui constitue le point central, mais la concertation. Pour moi, celle-ci est l'aspect fondamental de la discussion autour de la mort et elle entre trop peu en ligne de compte.
L'acte visant à mettre fin à la vie du patient à la demande de celui-ci n'est pas inscrit dans notre code pénal. On doit certainement l'examiner de plus près avec les juristes. Aux Pays-Bas, la situation est tout autre. Cet acte figure bien dans le Code pénal et on prévoit une peine qui est beaucoup moins lourde que celle pour meurtre et homicide. On ne parle pas de celui qui pratique l'euthanasie, mais seulement du fait lui-même.
M. Jean-Marie Dedecker. Comme l'a dit M. Mahoux, l'interprétation dépend un peu de la volonté du procureur ou des conceptions qui prédominent à la justice.
M. Marc Cosyns. C'est pourquoi une modification de la loi est nécessaire. Il s'agit du « droit » à certaines choses. La loi peut définir ou encadrer ce droit, mais le législateur ne peut pas déterminer comment il doit être appliqué dans la pratique. Ce sont les médecins et les autres dispensateurs de soins qui doivent le faire, sur la base des recommandations de l'evidence based medecine et en s'appuyant sur le contrôle de qualité. Aux Pays-Bas, l'euthanasie n'est plus punissable si l'on satisfait à certaines exigences et lorsque le médecin légiste dit que l'affaire ne doit pas être signalée au procureur. Cette obligation de communication vaut aussi chez nous. Lorsque, par exemple, à l'occasion d'une incinération, un médecin assermenté trouve qu'une affaire est louche, il le fait savoir au procureur qui décide de ce qui doit se passer. Pour autant que je sache, nous ne connaissons aucun cas d'acte de fin de vie, posé après concertation qui ait été déféré au tribunal.
M. Philippe Mahoux. Je vais évoquer le médecin dont vous avez parlé et aborder les quatre cas qu'il a traités et auxquels vous avez fait allusion. L'intervention du médecin vise à procurer, à la demande du malade, une mort digne, soit une mort programmée. Je voudrais connaître votre point de vue en la matière car je voudrais être sûr d'avoir bien compris ce dont il s'agissait. J'ai entendu parler de substances comme le penthotal, par exemple, mais alors, il n'est plus question d'analgésiques au sens strict du terme. Ce problème me paraît extrêmement important parce que vous n'aimez pas que l'on définisse l'euthanasie de manière tout à fait stricte, c'est-à-dire en quelque sorte « la mort au bout de la seringue ». Vous avez très bien décrit le processus, variable selon les substances et la méthode utilisées, mais il s'agit bien de répondre à la demande d'un malade qui souhaite une mort digne, que l'on va programmer à un moment donné.
Par ailleurs, le médecin dont vous parlez a eu le courage d'aller jusqu'au bout de ses convictions et de sa pratique médicale en posant un geste d'humanité, à la demande d'un malade. Je trouve cela admirable. Si de nombreux médecins suivent cet exemple, d'autres, encore plus nombreux, ne le font pas parce que, dans l'état actuel des choses, ce geste est considéré comme un meurtre ou plutôt comme un assassinat parce qu'il y a préméditation. C'est là que réside le véritable problème.
La difficulté, c'est de trouver des termes qui permettent précisément que la pratique que vous avez décrite ne fasse plus l'objet de poursuites. Or, on constate que, si ce médecin avait exercé à Liège, il se serait trouvé à un moment donné derrière les barreaux.
Vous avez parlé de penthotal et de progressivité. En évoquant la sédation prolongée, vous avez déclaré que l'on pouvait parfois ramener l'un ou l'autre malade à la conscience. J'aimerais avoir votre opinion en la matière, en fonction d'éventuelles expériences que vous auriez vécues.
Voyez-vous une différence fondamentale entre la sédation prolongée et les solutions qui ont été apportées aux quatre cas que vous avez décrits ? Selon vous, s'agit-il d'une euthanasie ?
M. Jan Remans. Je remercie M. Cosyns pour son témoignage en tant que généraliste et parce qu'il défend des droits du patient. J'espère que cela suscitera une certaine compréhension chez tous les défenseurs des droits individuels de l'homme.
Comment contrôlera-t-on le respect des critères de prudence ? Peut-on en laisser le soin au procureur ou une commission de contrôle est-elle nécessaire ? Comment M. Cosyns envisage-t-il la procédure de déclaration dans la législation actuelle ?
M. Alain Zenner. Je voudrais éviter un malentendu. J'ai l'impression que notre collègue Mahoux a cru comprendre que tout médecin qui interviendrait dans les conditions qu'a énoncées le docteur Cosyns, se retrouverait derrière les barreaux, comme cela a été le cas à Liège. Moi, j'ai entendu le contraire.
M. Philippe Mahoux. Je voulais simplement dire que, dans certains des cas qui ont été décrits, avec toutes les nuances que cela suppose et selon certaines interprétations, dans l'état actuel du code, il est effectivement tout à fait possible que certaines inculpations auraient pu être prononcées. Je ne parle donc pas de l'ensemble des choses qui auraient été exposées. Je parle de certains des quatre cas qui ont été évoqués. Je ne voulais donc pas faire de généralités.
M. Alain Zenner. Je croyais avoir compris que le Dr Cosyns nous disait qu'à sa connaissance, dans les conditions dont il a parlé et notamment dans l'esprit très positif qu'il nous a décrit, il n'y a jamais eu de poursuites. Je pense qu'il est important de le savoir. Ceux qui se sont éventuellement penchés sur ce cas ont sans doute été convaincus que, confronté à ces deux devoirs et en vertu de la théorie de l'état de nécessité, le médecin avait agi en honneur et conscience.
M. Paul Galand. Merci, docteur, d'être parti de votre expérience de médecin généraliste et du vécu des patients et de leur famille que vous avez évoqué ici. Mes remerciements s'adressent donc aussi à eux. Vous avez dit que vous n'aviez jamais eu l'impression d'avoir tué quelqu'un parce que vous aviez toujours construit avec le patient et ses proches un processus relationnel. Vous vous situez donc dans une éthique de la discussion. Ma question est la suivante. En fonction de votre expérience et de celle des confrères avec lesquels vous travaillez, quelles sont les conditions minimales pour que ce processus relationnel puisse se développer ?
M. Patrik Vankrunkelsven. Je suis en grande partie d'accord avec M. Mahoux. Je trouve qu'il s'agit d'un témoignage magnifique dans lequel, en tant que collègue médecin, je me retrouve.
On peut ressentir l'impression que les pratiques citées sont courantes chez les généralistes. M. Cosyns peut-il extrapoler son témoignage à tous les médecins ? Si c'est le cas, aucune législation n'est nécessaire. De mes contacts avec des étudiants en formation et avec des généralistes, j'ai plutôt l'impression que les médecins sont bel et bien convaincus qu'ils agissent correctement, mais qu'ils ne pratiquent pas l'euthanasie parce qu'elle est toujours inscrite dans le Code pénal. Nous aimerions un peu plus de précisions à cet égard.
M. Marc Cosyns. Il est exact que, lors de la mort, un certain nombre de traitements ne sont acceptés ni par la société ni par les médecins. La déclaration anticipée et la déclaration de volonté relative au traitement n'ont en fait rien à voir avec une agonie aiguë. C'est pourquoi une modification de la loi est nécessaire. Cela devient le point crucial au sujet duquel nous devons tenter d'obtenir un accord.
Les différences ne résident plus dans le fait de savoir si, dans une situation critique, on doit administrer ou non certains médicaments. Durant des années, on a par exemple considéré la morphine comme un produit qui engendre l'accoutumance, mais il s'agit aussi de l'analgésique par excellence. Certaines substances ne doivent pas être considérées comme des armes du crime, mais bien comme des moyens de mourir dignement. Pour cela, aucune loi n'est nécessaire. Une modification de la loi et une loi sont toutefois nécessaires en ce qui concerne la déclaration anticipée ou la déclaration de volonté relative au traitement afin d'en faire une pratique courante. En cas de plainte, tout dépendra en effet de ce que la Justice pense de l'affaire. Cela ne me poserait aucun problème parce que je trouve que j'ai participé d'une certaine manière à un accompagnement de la mort. Je peux m'imaginer que des problèmes peuvent surgir à ce propos. Si aucun jugement n'a jamais été rendu en cette matière, ce n'est pas par manque de volonté mais parce que les faits n'ont jamais fait l'objet d'une plainte et parce que qu'ils ont été ressentis comme un accompagnement de la mort.
C'est justifié. La déclaration anticipée doit constituer un point crucial de la législation. C'est le choix de société que nous devrons effectuer. Je suis moi-même partisan d'une telle réglementation puisque je la considère comme une partie de ma pratique.
Les critères de prudence et les contrôles font l'objet de normes très strictes aux Pays-Bas. On y a récemment ajouté les commissions de contrôle parce que, après l'entrée en vigueur de la loi, le pourcentage de déclarations n'était que de quarante pour cent. Afin d'éviter que l'on doive se désigner comme une sorte de criminel pour démontrer le contraire, on a créé les commissions de contrôle comme stade transitoire avant le procureur général. Aux Pays-Bas, les critères de prudence sont strictement définis. Je pose la question : est-ce légalement nécessaire ? Ils peuvent et, sur ce point, je suis l'avis de l'Ordre difficilement être inscrits dans une loi. Mes confrères ressentent la même chose. Dans la pratique, l'évolution en ce qui concerne notamment les médications et les méthodes de traitement est en effet très rapide. On peut uniquement esquisser un cadre dans lequel on peut travailler de manière prudente. On ne peut pas ordonner que, par exemple, un médecin ou un psychiatre doit être impliqué dans la décision. En effet, cela dépend fortement de la situation individuelle et de l'attitude du médecin. Je suis peut-être naïf mais je suis fermement convaincu que le monopole du pouvoir du médecin est en train de décroître petit à petit.
Une modification de la loi est très importante pour la déclaration de volonté relative au traitement. À ce sujet, il existe pour l'instant une zone d'ombre. J'y vois un problème. Pour cette raison, nombre de confrères ne respecteront pas la déclaration anticipée. Je peux le comprendre. Nous le vivons aussi au sein des groupes avec lesquels nous discutons. Y surgit la question de savoir qui est responsable légalement ou socialement.
Ma réponse est plus ou moins la même en ce qui concerne les conditions minimales. Pour des phases très importantes de la vie, on ne prend presque plus jamais la décision seul. Nous parlons de recommandations pluridisciplinaires. Ces cas sont de plus en plus abordés dans l'enseignement. Les réformes des programmes d'études sont basées là-dessus. J'ai aussi confiance en cela.
Les conditions minimales peuvent très difficilement être inscrites dans une loi, à l'exception du cadre.
En ce qui concerne l'extrapolation à tous les médecins, je pense que certains ne savent pas quoi faire dans le domaine de la sédation.
Encore aujourd'hui, j'ai lu dans le journal que, selon le Dr Distelmans, la sédation est encore un grand problème. Je trouve son affirmation trop manichéenne. L'enseignement y consacre beaucoup d'attention.
Le Dr Distelmans affirme que beaucoup de personnes meurent encore dans des souffrances inutiles et que ce problème doit d'abord être résolu avant que la question de l'euthanasie ne soit traitée. Je ne suis pas d'accord. Toute douleur ne doit pas être traitée avec des médicaments. L'homme est plus que sa maladie et plus que sa douleur. Celle-ci doit être considérée globalement, pas seulement sous l'angle médical mais aussi sous l'angle spirituel. Aussi bien les catholiques, les libres-penseurs, les juifs que les autres peuvent agir sur le plan spirituel. La prise en charge spirituelle de la douleur est aussi importante que la prise en charge médicale. J'ai connu des personnes qui ressentaient d'énormes douleurs qui ne pouvaient être calmées par toutes sortes de médicaments, ce qui nous poussait à nous demander si une certaine forme de communication ou d'expérience ne nous faisait pas défaut. Si les dispensateurs de soins palliatifs, le psychologue, le prêtre ou le conseiller laïque répondent à ce besoin, une partie de la douleur disparaît. J'ai un peu de mal à me faire à l'idée que la douleur ne peut plus exister et qu'il y a une pilule pour chaque douleur. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas seulement un problème pharmacologique.
M. Philippe Mahoux. Vous avez parlé du danger de médecin spécialisé dans l'accompagnement de la mort ou de l'euthanasie.
Que peut-on faire pour empêcher un tel phénomène ?
M. Marc Cosyns. Lors de la formation et du recyclage, nous pouvons précisément mettre un certain nombre de choses fondamentales en évidence, de façon à ce que les médecins considèrent les différentes formes d'accompagnement de la mort comme leur fonction normale, comme une partie de leur travail. Mais on a bel et bien besoin de spécialistes pour lutter spécifiquement contre la douleur ainsi que pour la sédation contrôlée et la souffrance spirituelle. Tous les médecins ne possèdent pas une expérience suffisante dans ce domaine. Les spécialistes resteront nécessaires et il pourra y avoir une collaboration concrète. Dans l'exemple de l'hôpital, je ne suis pas seul face à une patiente; je suis par exemple accompagné par l'oncologue. Nous décidons ensemble des traitements médicaux, non pas d'après les « disciplines imposées » mais avec les personnes qui possèdent ces capacités, sur la base de ce que nous savons du patient et de ses proches.
Mme Catherine Diricq. Je précise tout d'abord que je viens devant votre commission en accord complet avec les institutions dans lesquelles je travaille mais que je ne suis pas mandatée par celles-ci. Je prendrai donc la parole uniquement en mon nom et au nom de certains psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes et psychiatres qui ont enrichi ma réflexion à ce sujet.
Je viens ici quelque peu rassurée par l'ouverture actuelle des débats. En effet, dans une lettre précédente que j'avais fait parvenir au président de la commission et publier dans la presse, je m'inquiétais du risque majeur de précipiter les débats avec une volonté de les clôturer trop rapidement. Cette précipitation n'aurait pas été sans rappeler celle d'un monde voué à l'efficacité et la reproductibilité, tout ce que ne sera jamais une demande d'euthanasie qui, au contraire, renvoie avant tout à la singularité de celui qui vit et meurt. Les auditions actuelles de médecins, d'infirmières, de « psy », de juristes et de patients tentent à montrer que vous ne faites pas l'économie de cette réflexion.
Je voudrais repartir de quelques définitions et essayer de voir avec vous l'ambiguïté autour de celles-ci. La confusion demeure autour des termes « euthanasie active », « euthanasie passive », « suicide assisté », « acharnement thérapeutique ». Je ne parlerai que de l'euthanasie telle que définie par le comité de bioéthique : « l'acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ».
Cette définition renvoie à plusieurs questions à propos de la fin de vie. S'agit-il de la fin de vie en général ou de celle d'une personne en particulier ? Quand commence-t-elle, où s'arrête-t-elle ? Comment préciser ce fameux stade terminal ? Y a-t-il un début au stade terminal ? Ces questions nous ramènent à l'interrogation fondamentale sur la temporalité. Celle-ci n'est évidemment jamais la même pour un patient, particulièrement lorsqu'il est hospitalisé, ni pour sa famille ni pour les soignants. Le patient ne vit plus qu'au rythme des soins, des examens; mais, en même temps, il a une adaptation psychologique qui lui est propre. L'entourage continue à avoir une vie sociale et professionnelle et d'autres temps de vie; l'évolution psychologique est différente pour l'entourage et pour les soignants. D'emblée, on voit une différence dans la façon de penser la fin de vie.
S'agit-il de la fin de vie en termes de quantité, ce qui nous renvoie aux questions précédentes, ou en termes de qualité ? Mais n'a-t-on pas chacun nos propres critères de qualité de vie ? À ce propos, je voudrais vous relater un exemple clinique qui ne s'est pas produit dans mon institution mais qui m'a été rapporté par une collègue travaillant également avec des patients en fin de vie.
Il s'agit du cas d'une femme qui meurt d'un cancer en phase terminale. Elle a, notamment, des métastases pulmonaires et elle étouffe.
Ses proches vont trouver le médecin, lui disent que c'est insupportable et qu'il faut faire quelque chose. La seule chose que le médecin pourrait encore faire, c'est une sédation. Il en parle à la patiente et celle-ci lui dit qu'elle a pu, pendant toute la durée de sa maladie, supporter son cancer parce qu'elle en avait la maîtrise et que la faire dormir serait lui faire perdre ce contrôle. Pour elle, étouffer était moins insupportable que cette perte de contrôle.
Ce simple exemple vous montre combien l'entourage même s'il est de bonne volonté et à l'écoute du patient et le malade lui-même peuvent avoir des notions très différentes de cette qualité de fin de vie.
Cette série de questions autour de ces mots « vie » et « fin de vie » met en évidence toute l'ambiguïté de la sémantique et nous pourrions continuer la réflexion avec d'autres questions. Qui doit décider de cette fin de vie ? Le médecin et le patient ? Le médecin, son équipe et l'entourage ? Tout le monde ensemble ?
Les psychiatres, psychologues, psychothérapeutes et psychanalystes se sentent le devoir de participer à ce questionnement éthique. Je voudrais rappeler que l'être humain, s'il est le seul être vivant à avoir conscience de sa mort, ne peut, au niveau inconscient, se la représenter. Il faut également reprendre un des trois principes fondateurs de notre société, à savoir : « Tu ne tueras point. » Les deux autres interdits étant l'inceste et l'anthropophagie, il est et restera toujours dangereux qu'une loi pénale aille a priori à l'encontre d'un de ces interdits, fondements de notre éthique et garants des relations humaines.
D'un point de vue « sociétal », on se rend compte que le médecin a aujourd'hui les capacités de cloner, d'avorter, d'inséminer et d'euthanasier. La nature peut de moins en moins s'exercer sur la condition humaine sans que la médecin intervienne.
Traiter l'euthanasie en termes légaux peut être dangereux pour les patients mais, certainement aussi, pour le médecin. Quels sont donc les enjeux psychiques d'une telle maîtrise ? Comment l'être humain qu'est le soignant pourra-t-il assumer des actes aussi lourds moralement ? Quels aménagements va-t-il devoir trouver avec lui-même et avec les autres s'il est amené à transgresser de manière répétitive un tabou universel ?
Même si cet acte est autorisé par une loi humaine, il restera, au niveau symbolique, de l'ordre d'une transgression radicale et impossible sans grandes répercussions psychiques, qu'on le veuille ou non. Quel rôle, interroge le professeur Zittoun, chef d'un service d'hématologie mais également d'une équipe mobile de soins palliatifs à Paris, la société risque-t-elle de faire jouer au médecin chargé par le patient de porter la mort ?
L'actualité en Belgique a illustré combien toucher à la vie et à la mort des autres êtres humains équivaut à toucher à des mécanismes archaïques et suscite parfois des émotions violentes et des passages à l'acte.
Comment, interroge le professeur Schaerer, demander à la société qui nous accueille comme l'un des siens de nous faire mourir ? Cela constituerait la rupture d'un contrat. Ce sont les valeurs et les symboles qui donnent ses forces à notre société que nous remettons aujourd'hui en question. Une loi ne supprimera ni le mystère de la mort ni la peur que ce mystère génère.
Si l'on s'intéresse à une approche individuelle, il y a lieu de se centrer sur la personne malade et de la penser dans sa globalité, c'est-à-dire en tant qu'être humain dont la dignité s'inscrit dans la relation à l'autre et ne pas seulement penser le malade.
Les soignants et les « psy » le savent bien : les demandes « d'en finir » sont relativement fréquentes chez les patients atteints d'une maladie à pronostic létal.
Le docteur Cicely Saunders, fondatrice de l'hospice Saint-Christophe en Angleterre, parlait de « souffrance globale » qui crée une situation sans issue à laquelle le malade n'imagine échapper qu'en mourant.
Interpréter systématiquement toutes ces demandes de mort comme une véritable demande de mourir me semble un abrègement pour éviter notre confrontation à la souffrance de l'autre et donc à la nôtre.
Il est illusoire de penser supprimer la souffrance en abrégeant la vie. Quand la demande est en tout ou en partie portée par les proches, il est vrai que l'acte et sa conséquence, la mort du malade, peuvent apaiser dans un premier temps la famille. Toutefois, mon expérience clinique avec des conjoints ou des enfants endeuillés m'a permis de mettre en évidence des sentiments sous-jacents très lourds qui vont compliquer étonnamment le travail de deuil, voire le rendre impossible.
L'élaboration psychique est freinée par cette culpabilité souvent très inconsciente car refoulée, mais terriblement efficace en souterrain et perturbant les liens familiaux. Qu'en sera-t-il des répercussions psychologiques sur les personnes elles-mêmes mais aussi sur les générations à venir ?
Nous découvrons progressivement l'impact de ces non-dit et de la loi du secret sur les générations futures. Il faut savoir que plus les secrets sont déniés et étouffés, plus ils sont porteurs de transmission impossible.
Le malade ne désire évidemment pas mourir. Ce serait se tromper sur la demande que de l'interpréter à la lettre. Il est plus souvent question de vouloir vivre autrement que de vouloir mourir.
Derrière cette demande d'euthanasie que peut formuler le patient, nous retrouvons parfois une demande de représentation : « Aidez-moi à me représenter ce passage entre vie et trépas. Comment cela va-t-il se passer, Docteur ? » C'est une question que l'on entend souvent.
Bien sûr, personne n'a la réponse. C'est un besoin d'imaginer l'inimaginable mais, au moins, le patient se sent un peu moins seul.
Cela peut également être une demande de relation je crois qu'on vous en a beaucoup parlé ainsi qu'une demande de reconnaissance. Besoin d'être reconnu dans sa totalité, dans ses ambivalences. Je suis celui qui demande à mourir mais, en même temps, je ne demande pas à mourir. Il s'agit d'une demande de rester en vie mais de vivre autrement.
S'il peut prendre le temps, dans le sens d'accepter, de supporter, de s'engager activement dans un véritable dialogue avec la personne malade, celui qui écoute et que je nommerais volontiers, quelle que soit sa fonction, « le passeur », pourra parfois entendre la question fondamentale du patient à propos des perturbations de son identité : « Me reconnais-tu malgré mon apparence si détériorée, malgré les transformations psychiques que la maladie a provoquées chez moi? » Nous avons malheureusement tous l'expérience d'un proche ou d'un patient en fin de vie et nous savons tous combien, à ce moment-là, l'humeur peut changer, combien la personne est plus irritable, plus facilement fatiguée et combien ceux qui l'entourent, même avec beaucoup d'amour, ne la reconnaissent pas toujours.
À ce propos, je voudrais vous lire le témoignage d'une femme écrivain qui accompagne actuellement son mari, beaucoup plus âgé qu'elle, qui meurt d'une maladie neurologique dégénérative.
Elle écrit à propos de sa relation avec son mari : « J'ai l'impression que dans ce temps de fin de vie annoncée, ce temps du trépas, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, il se produit du point de vue psychique une sorte de retour à la case départ. Disant cela, je me réfère à ce que Winnicot dit du petit enfant qui ne peut se passer de sa mère que lorsqu'il l'a intégrée, lorsqu'il l'a à l'intérieur de lui.
J'ai l'impression qu'à la fin, c'est cette présence intérieure qui commence par s'en aller, si bien que celui qui va mourir a souvent besoin d'une présence plus active, plus matérielle. En l'absence de l'autre, il redevient comme un nourrisson démuni, perdu. Bien sûr, ce que je dis là est un peu excessif. C'est un mouvement général, mais j'observe cela chez lui qui a aujourd'hui besoin de moi comme il n'a jamais eu besoin de moi. Alors, cette demande a quelque chose qui vous aspire, qui par moments vous épuise et, pour la soutenir, il faut savoir retrouver des forces. Disons que, pour le moment, j'y parviens à peu près, mais il m'arrive aussi de sentir pointer mes limites. »
En fait, le malade en train de mourir nous demande s'il est encore digne de relation avec les autres êtres humains. Cette question nous ébranle. Nous pouvons choisir de l'esquiver, activement ou passivement, ou, si nous l'entendons, de l'écarter de notre pensée sans même nous en rendre compte. Comme si le contrat avec le patient était tacitement rompu par cette conspiration du silence. La lecture de certains dossiers médicaux dans les services curatifs est parfois instructive à ce propos : plus le patient se dégrade, plus il s'approche de la mort, plus les notes dans son dossier diminuent, au même rythme parfois que les passages dans sa chambre. « Il n'y a plus rien à faire » et la mort sociale précède la mort clinique. On parle déjà de lui à l'imparfait. C'est tout juste si le patient ne s'excuse pas d'être encore là !
Aux États-Unis, une étude réalisée dans un service de réanimation a révélé que les infirmières avaient l'habitude de fermer les yeux des patients en coma végétatif avant même qu'ils ne soient décédés. Une de ces infirmières, interrogée à propos de cette pratique, a expliqué que c'était plus facile avant qu'après. Si le corps n'est plus regardé, n'est plus investi, comment cette réalité n'engendrerait-elle pas un sentiment de coupure entre soi et les autres et, au bout du compte, entre soi et soi-même ? Rappelons-nous qu'on a ainsi enlevé aux prisonniers jusqu'au sentiment de leur humanité en les isolant et en ne les regardant plus. Exister pour un être humain dépend de la présence de l'autre depuis l'origine de la vie jusqu'à la mort. Pour vivre, le bébé a besoin d'être regardé, d'être touché; il a besoin d'une présence qui lui parle, qui le nomme. Ce regard de l'autre sur soi sera, jusqu'au bout de la vie, le fondement de notre humanité. Le docteur Kubler Ross, dès la fin des années soixante, a tenté de montrer au travers de sa clinique en soins palliatifs que mourir n'est pas seulement un mouvement de bascule entre tout et rien mais relève bien plus d'un processus, d'une temporalité psychique très complexe, d'une évolution passant par des étapes dont les caractéristiques ne sont pas toutes négatives. À cet égard, je songe en particulier à la négociation. Quand un patient demande à son médecin de pouvoir, par exemple, assister à une dernière fête de famille, il est prêt, après avoir obtenu cette ultime satisfaction, à négocier avec le médecin et « avec la mort ». Il pourra ensuite accepter plus facilement de partir.
Je songe aussi à l'acceptation. Nous voyons dans les services de soins palliatifs des patients qui acceptent leur mort, selon un processus très différent de la résignation, laquelle relève davantage de la passivité ou de la dépression. Pour saisir ce processus, cette temporalité psychique complexe, il faut se donner, avant toute décision, le temps de penser et dialoguer avec le patient. La personne en fin de vie, en colère contre la maladie, contre la perte d'une partie de son autonomie, par exemple, peut parfois demander la mort. Toutefois, répondre par un acte ne revient-il pas à refuser de la soutenir dans cette dernière étape, n'est-ce pas la figer dans un moment d'un processus beaucoup plus complexe ?
Le fait pour le malade d'être en mesure de verbaliser sa colère peut certainement l'aider à comprendre à qui elle s'adresse vraiment au médecin, à la maladie, à la mort, au destin, ... de l'aider à comprendre comment son courroux est relié à des événements de son histoire, à d'autres colères enfuies et ravalées. Cette réflexion ne peut être menée dans l'urgence, dont le propre n'est pas de penser mais d'agir. Cette réflexion est d'autant plus nécessaire qu'elle doit à la fois prendre en considération la demande du patient, mais aussi entendre la souffrance de la famille et des soignants. Les enjeux d'une telle demande peuvent être source de conflits et de tensions entre les uns et les autres, selon leurs positions respectives, faisant parfois oublier que c'est lui, le patient, qui est au centre du processus.
Je voudrais à présent aborder la question de l'interdisciplinarité dans les équipes. Il n'est pas simple de prendre des décisions en équipe. L'interdisciplinarité, le dialogue interprofessionnel, sont indispensables mais ne s'improvisent pas. Il ne suffit pas d'organiser des réunions entre médecins, infirmières et paramédicaux pour rendre la pluridisciplinarité effective. Il ne suffit pas d'accepter sur un mode opératoire de réfléchir de manière collégiale avec le patient ou sa famille pour que la prise de décision soit le véritable aboutissement d'un processus mature.
Le professeur Zittoun a défini la décision en médecine comme un acte inévitable effectué dans des conditions d'incertitude et sous-tendu par des jugements de valeur. Il convient, pour qu'une réunion d'équipe aboutisse à la prise de décision la plus juste possible, d'entendre tous les points de vue, tous les vécus, par rapport à la situation du moment. Il ne s'agit pas d'additionner les idées mais de permettre leur interpénétration. Par ailleurs, une décision valable au temps T 1, n'est plus nécessairement correcte au temps T 2, quand certains facteurs auront peut-être évolué. Ces variables sont, notamment, l'état physique du malade et les mécanismes psychiques qu'il met en place, ainsi que ceux de ses proches et ceux de l'équipe soignante.
Dans cette prise de décision, le malade a souvent moins de connaissances scientifiques que l'équipe. Il est atteint de troubles de la concentration, il souffre parfois de troubles cognitifs, se fatigue très vite et finit par s'en remettre à ceux qui « savent ». À ce stade, il demande souvent au médecin de prendre la décision. Ce dernier va, en principe à l'hôpital en tout cas recueillir les avis des autres membres de l'équipe soignante en gardant en mémoire ce qu'il sait de l'histoire du patient, de ses désirs actuels, de ses liens avec ses proches.
Cependant, face à la souffrance et la mort, les soignants ne sont bien sûr pas épargnés. Nous, soignants, mettons tous en place des mécanismes de défense : déni, rationalisation, maîtrise, conformisme, contrôle. L'ambivalence propre à chacun rend incertaine toute prise de décision. Dans un groupe, sont à l'oeuvre des phénomènes d'identification, par exemple au leader, mais à l'hôpital, lors des réunions d'équipe, il peut s'agir d'une identification au malade ou à un proche.
Il y a également dans les groupes, vous devez certainement le savoir, des phénomènes d'opposition, voire d'agressivité ou de rivalité. C'est inhérent à l'existence d'un groupe mais cela rend la prise de décision plus complexe encore. Celle-ci demande une confiance mutuelle et un respect de tous. Les regards sur le patient peuvent être biens différents, voire contradictoires. La personne malade dépose des vécus parfois très différents chez ses proches ou chez les soignants. Une infirmière n'entend pas la même chose qu'un médecin.
Un peu comme si chacun recevait une pièce différente d'un puzzle jamais abouti, puzzle qui reflète l'ambivalence profonde du malade : « Je veux et je ne veux pas mourir. Je veux et je ne veux pas parler ou être en lien avec vous. » Donc, un très long travail de formation serait nécessaire dans la majorité des équipes pour aboutir au dialogue juste, dialogue dont devraient toujours être absents l'intimidation, la séduction, le mensonge.
En guise de conclusion, je voudrais dire, à propos de la mort de l'autre, car aujourd'hui, nous débattons de la fin de vie d'autres êtres humains, qu'il n'y a pas de bonne décision. Sans doute, pourtant, y en a-t-il de moins mauvaises ...
La mort est et restera une violence en soi, un fait conflictuel; une loi ne permettra pas d'éviter cela. Le débat actuel a pourtant le mérite de rendre à la mort une place dans la société.
Les équipes de soins continus et de soins palliatifs ne seront jamais un idéal du « bien mourir », mais elles peuvent aider à la réflexion, à la prise de décision, au respect de tous les intervenants, au travail des deuils qu'auront à traverser le malade, ses familiers et les soignants de première ligne.
Les équipes mobiles de soins palliatifs devront permettre de prendre le temps de penser la demande d'euthanasie dans toute sa complexité, sans nécessairement l'acter. Elles pourront aider à sortir des spirales curatives et donc, éviter certains acharnements.
Mais une loi qui régit la capacité de vivre ensemble ne peut être un écart à un interdit fondateur plus fondamental encore. Les dégâts sur la santé mentale des générations futures sont inestimables. Pourtant, je reconnais qu'il y aura toujours un cas unique, un cas douloureux où une équipe prendra la responsabilité d'accéder à cette demande réitérée d'euthanasie. Ce sera un état de nécessité, dans une situation très précise et donc, jamais reproductible. Je pense que cela ne peut être institué en loi.
M. Frans Lozie. Madame Diricq, en évoquant la crainte de la mort, vous laissez entendre que tout le monde a peur de mourir. Or, de nombreuses personnes envisagent la mort sans la moindre appréhension. Les progrès accomplis ces dernières années dans le domaine des soins palliatifs permettent de libérer de nombreux patients de la peur de mourir.
Vous avez dit : « La mort est une violence en soi. » C'est effectivement le cas si l'on n'a pas prise sur elle, mais pour moi, le décès fait partie de la vie. Chacun sait qu'il mourra tôt ou tard. Il faut s'efforcer de considérer que la mort fait partie intégrante de la vie.
Aujourd'hui, un nombre croissant de personnes se demandent comment mourir dignement. Les soins palliatifs y contribuent dans une large mesure. Les soignants en milieu palliatif ont pour tâche d'accompagner la personne concernée jusqu'au moment où elle pourra prendre congé de sa famille, de ses amis et de la vie dans les meilleures conditions. Dès que la personne concernée, accompagnée d'une équipe médicale et palliative, a pris congé, elle désire le plus souvent partir réellement. Que se passe-t-il alors ? Deux possibilités se présentent.
La première est l'euthanasie déguisée. Cette possibilité est déjà appliquée dans les soins palliatifs. On peut administrer une surdose de calmants ou, dans le cadre du traitement de la douleur, employer toutes sortes de techniques se situant actuellement dans une zone d'ombre et destinées à rencontrer la demande de mourir.
Une deuxième possibilité, dont nous désirons créer aujourd'hui la base légale, consiste, après un long dialogue et en concertation avec la personne concernée et les équipes médicale et palliative, à intervenir activement au moment choisi par le patient.
Le coeur de ce débat est absent de votre récit : qui décide du moment où la personne concernée souhaite partir ? J'ai l'impression que vous confiez cette responsabilité aux accompagnants médicaux ainsi qu'à l'équipe palliative. Selon vous, il convient d'impliquer une équipe multidisciplinaire à la décision. Pourtant, lorsque j'ai pris congé de ma famille et de mes amis, je ne veux laisser personne d'autre décider du moment précis où je souhaite partir. Étant le premier concerné, je désire pouvoir décider moi-même de ma fin.
Les soins palliatifs sont-ils prêts à créer les circonstances idéales dans lesquelles la personne concernée décidera en âme et conscience, en concertation avec le médecin et pour autant que certaines conditions soient remplies, quand elle partira ? Ce n'est ni l'équipe médicale ni l'équipe palliative qui doit pouvoir prendre cette décision, mais la personne concernée. Si l'on accepte que c'est au patient de pouvoir décider, il est nécessaire de modifier la loi. Cette modification de la loi signifie que nous évoluons non pas vers une société sans principes moraux, mais bien vers une société qui offre au patient, le premier concerné, la base légale l'autorisant à décider de la fin de sa vie. Dans votre exposé, vous ne tenez pas compte des droits du patient.
Mme Clotilde Nyssens. J'ai été particulièrement intéressée par l'apport des sciences humaines et j'ai constaté qu'on ne pouvait se limiter à l'utilisation de concepts philosophiques, éthiques, parfois un peu simplistes. Les sciences humaines révèlent la complexité de la nature humaine et, plus particulièrement, d'une personne à la veille de sa mort. Ce sont les psychologues, les psychiatres qui découvrent petit à petit cette zone de conscience ou d'inconscience. En tant que juriste, je ne connais pas ce domaine et je suis particulièrement heureuse, madame Diricq, que vous soyez venue nous éclairer à ce sujet.
Vous avez dit que les dégâts que l'on causerait en établissant une législation, en faisant un choix politique, pourraient être dangereux pour la santé des générations futures. Vous avez employé un mot qui m'a presque choquée : vous avez dit que les dégâts seraient « inestimables ». Je voudrais savoir en quoi consistent ces dégâts.
Vous avez également expliqué le processus par lequel vous tâchez de « penser la demande » d'euthanasie. Que vous faut-il, que vous manque-t-il dans votre pratique quotidienne pour penser la demande comme vous le souhaitez : des moyens matériels, des moyens humains, des pratiques médicales différentes, des aménagements de la relation entre le patient, le médecin et l'équipe ?
M. Philippe Monfils. Je voudrais reprendre la question de Mme Nyssens et la développer quelque peu en ce qui concerne les dégâts que pourrait provoquer une éventuelle législation. Question subsidiaire : qu'en est-il des dégâts provoqués actuellement non par l'absence de législation, mais par l'interdit qu'elle contient, interdit qui est franchi tous les jours, on le dit de plus en plus ? Je ne parle pas ici des statistiques, mais des nombreux témoignages que nous entendons depuis des semaines, sinon des mois.
Personne ne nie que l'euthanasie est pratiquée dans ce pays, malgré l'interdit. Parlez-nous également des dégâts que pourrait entraîner un refus de législation qui aboutirait soit à ce que l'on poursuive des médecins qui pratiquent l'euthanasie, soit à ce que l'on considère que tout cela sort du Code pénal, malgré l'article 417 qui prévoit l'interdiction (de tuer).
Vous faites, Madame, une très belle démonstration d'humanité et d'humanisme, et nous la partageons. Je pense que tous les membres présents ici et ceux qui ont déposé des propositions de loi différentes la partagent. Mais je pose la question de savoir si, de cette analyse, on peut tirer une conclusion, dans l'un ou l'autre sens. D'ailleurs, les vérités sont parfois peu objectives et contingentes.
Vous dites que le travail de deuil est considérablement amplifié dans certaines circonstances. Votre prédécesseur ici nous a dit exactement l'inverse. Il a estimé que, dans certains cas d'euthanasie, le travail de deuil était plus compliqué et que, dans d'autres, il était plus simple. Cette personne a ajouté qu'il existe des cas où la mort naturelle est très difficile et des cas où le travail de deuil est plus facile. Ce n'est pas l'euthanasie qui crée des difficultés dans le travail de deuil, c'est la mort et ses circonstances. Qu'on s'y attende ou non, qu'elle soit précédée d'atroces souffrances ou pas, une série d'éléments font que la mort est plus ou moins durement ressentie par les proches.
Cela dit, nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance de la relation avec l'ensemble de l'équipe, avec les médecins, etc.
Nous approuvons tout à fait l'accompagnement. Nous ne pouvons pas accepter non plus que l'on abandonne en quelque sorte des malades en train de mourir en soins curatifs. Tout cela est vrai, mais quelle est la conséquence ?
Vous parlez des soins palliatifs. Croyez-vous qu'ils soient « la » réponse ? Jusqu'à présent, nous avons toujours considéré qu'ils constituaient une des réponses possibles. D'ailleurs, et je vous pose la question, oseriez-vous dire qu'il n'y a pas d'euthanasie dans les services de soins palliatifs ?
Certains intervenants en soins palliatifs nous ont raconté le cas de médecins qui, malgré tous les efforts de l'équipe, avaient demandé l'euthanasie. On ne l'a pas pratiquée en soins palliatifs, on a envoyé le patient ailleurs.
On a également parlé de sédation contrôlée, ce qui pour moi est une hypocrisie, car la sédation contrôlée jusqu'à la mort ou l'euthanasie sont identiques à mes yeux. Certains l'ont dit également, dont une personne de l'UCL, je crois.
Une personne qui se trouve en soins palliatifs jouit d'une liberté relative; elle est à ce point entourée et tellement écartée de la demande de mort qu'elle finit même par ne plus oser la formuler. Se pose alors la question du libre arbitre de la personne. On l'a posée au niveau des patients qui sont en phase terminale et en difficulté; je crois qu'on pourrait la poser d'autant plus en matière de soins palliatifs.
J'accepte parfaitement votre plaidoyer, Madame. Nous le soutenons également. Vous dites qu'il n'y aura plus que quelques cas et que ceux-ci correspondront à l'état de nécessité. Je ne le crois pas. Je crois que ces quelques cas seront plus nombreux et que l'on ne pourra pas les empêcher, car il s'agit du libre arbitre de la personne. C'est pour ces cas-là qu'il faut permettre une organisation légale.
C'est pour cela que les propositions de loi présentent l'une ou l'autre possibilité. J'ai le sentiment que quoi qu'il arrive, quel que soit le développement des soins palliatifs, quelles que soient les mesures que l'on prend, la façon dont on entoure le patient, le décryptage de son appel au secours qui est bien une demande d'aide et pas une demande de mort nous sommes bien d'accord , malgré tout cela, il restera un certain nombre de personnes qui ne voudront pas. Pour celles-là, croyez-vous que le simple appel à l'état de nécessité, qui n'empêche en aucun cas une quelconque poursuite, suffit ? N'êtes-vous pas en train de vous contenter de dire : « maintenons la situation actuelle, et on verra bien et prions pour qu'il n'y ait pas d'incident, pas de poursuite » ?
M. Paul Galand. Madame, je commencerai par la fin de votre exposé au sujet des soins palliatifs. Vous avez une longue expérience en la matière. Selon vous, les propositions de loi qui sont déposées répondent-elles aux besoins que vous avez constatés ?
Vous insistez beaucoup dans vos écrits sur des soins continus et palliatifs. Pourriez-vous nous éclairer davantage sur l'aspect continu ?
Faut-il une mixité d'équipe mobile et de lits dans les mêmes institutions ou une équipe mobile suffit-elle dans certaines institutions ?
J'aimerais en savoir plus, à la lumière de votre expérience et des contacts que vous avez avec de nombreux collègues.
Vous avez essayé, et je vous en remercie, d'aborder le niveau de l'inconscient humain. Nous savons que, dans notre psychisme, l'inconscient semblerait occuper plus d'espace psychique que le conscient, ce qui doit nous amener, bien entendu, à une certaine humilité.
Votre collègue Francis Martens dit ceci : « Or, dans ce contexte » il parle de la fin de vie « de nécessité extrême, ce n'est qu'en protégeant l'espace ténu de la liberté que la mise en congé de l'existence restera un acte vivant plutôt qu'une technique de la mort. Le passage est fragile qui permet à un être humain de rester sujet de sa fin plutôt qu'objet des technologies mises en oeuvre pour le sauver. Il est clair que cet ultime espace du possible ne s'accommode ni de la clandestinité ni de la simple conformité à un règlement édicté par la loi. »
Plus loin, il poursuit : « En un tel domaine, il importe de prendre son temps pour trouver une formule qui, en ménageant du tiers, puisse donner au temps de l'ultime décision ses chances de liberté et d'humanité. » Pourriez-vous nous éclairer sur les mots « ménageant du tiers » ?
J'entends beaucoup parler de cette notion qui est souvent mise en évidence dans le milieu des psychothérapeutes.
Vous avez insisté sur l'effet du non-dit. Vous avez souligné à quel point le non-dit peut avoir des effets dévastateurs dans une société. Il me semble que mes collègues et moi-même tentons de sortir de ce non-dit. Vous semblez avoir des objections par rapport à la clarification que pourrait apporter une tentative législative à ce sujet. Est-ce une contradiction de ma part ou n'ai-je pas tout compris sur ce point ?
J'aimerais également vous interroger sur les contradictions entre demande et désir. Comment distinguer qu'une demande réitérée exprime non pas un conditionnement de la personne mais son autonomie ?
Enfin, un de vos collègues que j'avais interrogé a évoqué le cas d'interactions familiales euthanogènes. Évidemment, nous devons nous prémunir contre cela. Quelles garanties faut-il se donner ? Avez-vous une expérience à ce sujet ?
Mme Catherine Diricq. Je vais essayer de reprendre toutes ces questions fort complexes. Je commencerai peut-être par vous frustrer en vous rappelant que les psys n'ont pas beaucoup de réponses à donner et qu'en général, nous répondons souvent par d'autres questions pour faire avancer l'élaboration de chacun.
Vous m'avez interrogée sur la peur de la mort et vous avez demandé si tout le monde a peur de mourir, du fait que j'avais parlé de l'angoisse autour de la fin de vie. Je pense effectivement que certaines personnes qui ont eu le temps, et donc peut-être davantage des personnes plus âgées qui ont connu des rythmes de vie, qui ont connu les grands passages de vie, arrivent peut-être un peu plus sereines à leur fin de vie. Mais dans tous les cas, d'après mon expérience, je crois que l'inconnu fait toujours peur et la mort reste et restera quelque chose d'inconnu. Je pense que la sérénité n'empêche pas d'éprouver quand même de l'angoisse et si vous dites que vous avez rencontré des personnes qui étaient en train de mourir sans aucune peur, sans aucune angoisse, je trouve cela probablement fabuleux pour elles mais, moi, je ne les ai pas rencontrées. Maintenant, si vous me dites que vous avez rencontré des personnes qui ne parlaient pas de leur angoisse parce que, tout au long de leur vie, elles avaient toujours été du côté du contrôle et du non émotionnel, cela, c'est sans doute possible ...
Vous m'avez aussi interpellée sur le fait que j'ai parlé de la violence autour de la mort. Je vais vous faire un aveu : avant de travailler en soins palliatifs, j'ai travaillé pendant de nombreuses années avec des patients HIV et ce n'est certainement pas par hasard que je me suis orientée ensuite vers les soins palliatifs. C'est vrais que les patients HIV sont souvent ou étaient, parce depuis, il y a eu beaucoup de progrès médicaux des personnes très jeunes et la mort d'une personne jeune reste quelque chose d'injuste et il y a toujours une violence. À nouveau, quel que soit l'âge de la mort, il reste quelque chose de difficile à supporter, mais le terme « violence » était probablement plus lié à cette expérience-là, où vraiment il s'agissait de morts très violentes, souvent très brutales. Je vous rappelle quand même qu'à un certain moment, les patients HIV décédaient très rapidement, dans des circonstances terribles, et on n'avait pas beaucoup de maîtrise médicale pour les aider. Je crois qu'effectivement, ce terme était lui-même contaminé par cette expérience-là. Reste que je pense que la mort est un phénomène qui fait bien sûr partie de la vie mais qui est difficile à admettre.
M. Frans Lozie. La demande d'euthanasie provient le plus souvent de personnes âgées qui sont conscientes que leur fin approche. N'est-ce pas le patient, le premier concerné, qui a le droit de décider lui-même - avec sa famille, ses amis et l'équipe médicale, cela va de soi - de sa mort et non l'équipe palliative ou multidisciplinaire ?
Mme Catherine Diricq. J'espère n'avoir pas dit qu'il fallait abandonner ce droit aux soins palliatifs. En revanche, je crois avoir dit que les soins palliatifs n'étaient certainement pas un idéal du bien mourir. J'ai aussi répété que c'était toujours le patient qui devait rester au centre du processus. Mais que se passe-t-il dans la pratique ? On est quand même relativement rarement face à des patients qui ont toutes leurs facultés cognitives, qui ont toute la maîtrise d'eux-mêmes, et qui arrivent de manière sereine à demander une euthanasie.
Alors, à nouveau dans ma pratique c'est mon expérience mais il y en a certainement d'autres c'est un membre de la famille qui nous dit que le patient n'en peut plus, qu'il en a marre, ou c'est le patient lui-même qui le dit à un intervenant en particulier, et qui ne le dira pas à d'autres. Je pense à une dame d'une cinquantaine d'années, qu'on a suivie pendant plusieurs semaines, et qui, à un moment donné, a formulé une demande d'euthanasie à deux médecins : son psychiatre, qui n'était pas dans l'équipe des soins palliatifs, et son médecin hématologue. Jamais elle n'en a parlé à ses deux filles, jamais elle n'en a parlé aux infirmières, jamais elle ne m'en a parlé.
Au contraire, elle avait un autre discours avec certains d'entre nous, dont moi, qui était beaucoup plus un discours du côté de la vie. Elle me disait : « J'ai vraiment envie de revoir mon petit-fils. » Et puis, elle me parlait de sa mort comme d'un passage qui serait nécessaire mais pas tout de suite. Donc, le rôle des équipes de soins palliatifs est aussi un peu de collationner tous ces avis, toutes ces expériences, tous ces morceaux d'histoire je parlais tout à l'heure de puzzle que le patient confie à des personnes différentes. J'espère que cela répond à votre question mais loin de moi l'idée de ne pas laisser le malade au centre du processus. Ce que je veux dire, c'est que sa demande est toujours teintée de tellement d'ambivalence ... Au fond, tout être humain veut d'abord et avant tout vivre, mais parfois, vivre autrement, bien sûr.
Quand j'ai parlé de dégâts inestimables, j'entendais qu'on ne peut les estimer aujourd'hui. Tant mieux si ces dégâts sont réduits mais on sait combien ce qu'on appelle dans notre jargon « les fantômes dans les chambres d'enfants », c'est-à-dire ces secrets de famille, ces non-dits qui passent de génération en génération, ressortent parfois sous la forme d'autres symptômes. Vous avez tous entendu parler d'un enfant qui va excessivement mal, à l'école, par exemple, qui ne peut pas apprendre, et derrière cela, on découvre qu'il y a un secret de famille qu'il ne pouvait connaître. Mais l'idée de dégâts inestimables était simplement liée au fait qu'on ne dispose pas d'échelle d'estimation.
Mme Clotilde Nyssens. Voulez-vous dire par là que si jamais des euthanasies devaient être pratiquées, il y aurait plus de risques que des paroles ne soient pas dites avant la mort et resteraient des tabous, ou bien le fait de l'euthanasie rendrait-il difficile le deuil des familles parce qu'il y aurait des sentiments non dits ou à moitié dits, voire des sentiments de culpabilité ?
Mme Catherine Diricq. Les sentiments de culpabilités nous renvoient à une autre question sur les deuils. Je pense que c'est la culpabilité qui empêche l'élaboration psychique. Que ce soit l'élaboration d'un deuil ou une autre élaboration, la culpabilité est quelque chose qui arrête les processus psychiques. Une euthanasie peut être teintée de culpabilité, et aujourd'hui, encore une fois, avec ma petite expérience, j'entends souvent des proches n'être capables de l'exprimer que longtemps après le décès. Immédiatement après, comme je l'ai dit, ils sont souvent apaisés, il y a un moment où on ne souffre plus et donc, on imagine forcément aussi que l'autre qui est mort ne souffre plus et que c'est mieux pour lui. Mais c'est des mois, voire des années après, que les gens reviennent pas souvent dans les mêmes services d'ailleurs pour consulter et qu'ils disent combien ce qui s'est passé n'est pas clair pour eux.
De nouveau, ce n'est pas l'acte en soi, mais la culpabilité qu'il y a autour de cet acte d'euthanasie qui rend le processus de deuil difficile.
M. Philippe Monfils. C'est votre expérience, Madame, mais ce matin un autre intervenant a dit exactement le contraire, également sur la base d'une expérience. Je tenais à vous dire que les expériences sont vécues de manière différente par les uns et les autres.
Mme Catherine Diricq. Par rapport à l'intervention de ce matin, que je n'ai pas entendue, je pense qu'effectivement le problème des approches psychologiques ou psychanalytiques est que l'on n'a pas de données concrètes et scientifiques. On parle avec empathie, avec les émotions.
M. le président. La question de M. Monfils portait sur le fait qu'il y a des euthanasies aujourd'hui.
Mme Catherine Diricq. Je ne le nie pas.
M. Philippe Monfils. Toutes les angoisses dont vous parlez, ne pouvez-vous pas les émettre aussi actuellement, alors qu'il y a en plus une énorme opacité qui entoure d'éventuels actes d'euthanasie ? Cette opacité nous permet, à nous législateurs, de tout craindre car je ne sais pas ce qui se passe quand on euthanasie des patients sans leur consentement.
Mme Catherine Diricq. Avant de tout focaliser sur l'euthanasie, il y a un travail à accomplir en amont. Je ne veux pas idéaliser les équipes de soins palliatifs, mais je pense qu'elles peuvent grandement participer à ce travail. C'est un travail de réflexion mais aussi de formation.
J'en viens à une autre question : que manque-t-il aux soins palliatifs ? Certainement du temps. C'est un travail qui demande un temps incroyable. Dans l'équipe à Saint-Pierre, nous avons simplement six lits mobiles, c'est-à-dire des lits qui sont répartis dans des services différents. Six lits, c'est peu, parce que cela concerne six patients maximum en même temps, mais c'est aussi énorme quand on doit, pour chaque patient, prendre le temps de l'écouter au niveau médical, infirmier, psychologique, d'écouter son entourage, de faire des réunions ... Toute cela prend un temps incroyable et pour six lits, il faut énormément d'argent, de temps et de formation.
M. le président. J'imagine que ces gens sont en chambre particulière ?
Mme Catherine Diricq. Pas forcément. Étonnamment, nous avons actuellement une patiente qui quitte le service, à sa demande, pour aller dans une chambre à deux lits.
M. Paul Galand. Pouvez-vous dire ce qui manque dans votre équipe, en plus de ce que vous avez jusqu'à présent ?
Mme Catherine Diricq. Comme je l'ai dit, c'est un travail qui prend énormément de temps. Dans les hôpitaux curatifs, universitaires, où l'on travaille à l'efficacité, le temps et les moyens manquent.
M. Paul Galand. Quand vous parlez de temps, s'agit-il d'un tiers temps, un quart temps de l'équipe ? Faudrait-il faire le travail en deux fois plus de temps ? Comment pouvez-vous évaluer ce temps ?
Mme Catherine Diricq. Je n'ai pas réfléchi en termes d'évaluation et je ne citerai donc pas de chiffres. Vous parlez de tiers temps et de mi-temps mais un patient émet des demandes à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Les proches continuent à travailler et à s'occuper de leurs enfants. Ces petits bouts de temps qu'on nous donne sont très compliqués à gérer. Il faut un mi-temps qui est là tous les matins, mais non, c'est la fille d'une patiente qui ne peut venir que l'après-midi. C'est donc très difficile. S'il nous faut des temps pleins partout, cela coûte beaucoup d'argent. Les équipes mobiles de soins palliatifs sont dites de seconde ligne puisqu'elles se rendent dans les services où les patients sont hospitalisés. Les équipes de première ligne manquent grandement de formation et de groupes pour pouvoir parler de tout ce qui se passe.
En ce qui concerne les besoins en soins palliatifs, je crois qu'actuellement, on connaît encore trop le clivage « unités de soins palliatifs ou équipes mobiles de soins palliatifs ». Tout le monde perçoit-il bien la différence ? Je pense qu'il faudrait peut-être avoir davantage de projets mixtes dans un même hôpital. C'est une question à laquelle nous nous heurtons pour l'instant. Il serait peut-être important que l'on puisse à la fois aller travailler dans les différents services mais également avoir un petit service « à nous « avec des patients souhaitant résider dans une petite unité où il y aurait sans doute plus de convivialité, plus de moyens pour accueillir les familles, etc. Il faudrait donc prévoir des soins palliatifs plus mixtes.
M. Paul Galand. Je n'ai pas eu de réponse à propos du conditionnement possible de la demande. Est-ce vraiment l'expression de la personne ?
Mme Catherine Diricq. Je crois qu'on ne désire jamais mourir. Des demandes sont exprimées et elles doivent toujours être écoutées. Cependant, dans certains cas, on a tout essayé sans parvenir à aider le patient; il faut alors reconnaître qu'il s'agit d'un échec par rapport au fait de permettre au malade de continuer à se sentir digne de vivre.
M. Alain Destexhe. Je passe mon tour. En effet, j'éprouve des sentiments très ambivalents vis-à-vis de tout ce que vous avez expliqué. D'un côté, je respecte votre opinion, mais d'un autre, quand vous dites qu'on ne désire jamais mourir, que le malade a moins de connaissances scientifiques que l'équipe et s'en remet à ceux qui savent ou que seule une décision de l'équipe permet d'aboutir à la décision la plus juste possible, je suis en fondamental désaccord avec vous. D'un côté je vous respecte, mais d'un autre, je suis choqué par la sûreté de vos propos qui consistent à affirmer, en dépit de tous les autres témoignages que nous avons écoutés ici de la part de gens qui ont au moins autant d'expérience clinique et pratique que la vôtre, qu'on ne désire jamais mourir.
M. le président. C'est l'avis de M. Destexhe, qui passe donc son tour. Nous n'allons pas entamer une polémique entre nous en présence de nos invités.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Essayons de retrouver un peu de sérénité pour débattre de ces questions difficiles. Il faut respecter la parole des uns et des autres dans ce débat où chacun doit pouvoir parler et où des points de vue contradictoires sont exprimés.
Je voudrais surtout revenir au cas du patient en hôpital. Je pense que c'est dans cette situation qu'il a le plus besoin d'être soutenu en tant que personne. En effet, dès qu'on est hospitalisé, on est pris dans un système où l'on ne s'appartient plus. Beaucoup de professionnels tournent autour de vous, disent ce que vous avez et parlent pour vous. Je crois donc qu'il est extrêmement important de rendre sa juste place au patient hospitalisé. Il faut lui permettre de s'exprimer, d'exprimer toutes ses demandes en sachant qu'elles peuvent être contradictoires et évoluer en fonction de sa situation personnelle et de la manière dont il est pris en charge. Je pense qu'un patient qui n'est pas dans un service de soins palliatifs n'est pas entouré de la même manière et les situations des patients peuvent donc être profondément différentes.
Vous avez une expérience d'équipe mobile, vous voyez des patients dans des services très différents et vous savez comment ils peuvent y être accueillis et soutenus. Je voudrais dans mes questions, faire abstraction de la question très limitée de l'euthanasie telle qu'elle est définie de manière assez restrictive et me centrer sur la problématique des relations entre médecins et patients et entre patients et soignants, sur leur rôle dans l'évolution de la maladie et en matière d'acharnement thérapeutique.
Vous avez parlé des soins continus et du passage difficile du curatif au palliatif. Le médecin qui vous a précédée à cette tribune a insisté sur la nécessité d'une prise en charge tout au long de la vie et en cas de maladie, à quelque phase que l'on soit jusque et y compris la fin de vie. Comment pensez-vous que le législateur doive organiser cette prise en charge dans la société ? Comment s'assurer que le patient soit au centre de toutes les décisions médicales ?
Laissons de côté pour l'instant la question de l'euthanasie dont on sait qu'elle peut se poser. Croyez-vous qu'il faille prévoir une législation garantissant les droits du patient ? Je pense entre autres à la notion d'information, car la gestion d'un cas peut dépendre de la manière dont on annonce le pronostic au patient et dont on lui explique les soins. Comment garantir une interaction entre médecins, patients et soignants à tous les stades de l'hospitalisation ? Quel est votre point de vue sur la déclaration anticipée ? Je pense au patient inconscient mais qui aurait fait valoir ses volontés. Comment analysez-vous cette déclaration anticipée, en tant que psychologue ?
Mme Kathy Lindekens. Vous prétendez qu'une proposition de loi relative à l'euthanasie aura un impact important sur le processus de deuil des générations futures. Ce sont là des propos graves. J'ai moi-même vécu sept ans de deuil quand ma mère est décédée. Elle avait demandé à être aidée, mais quand le moment était venu, nous n'avons pas pu le faire. Nous n'avons pas pu non plus prendre congé d'elle car elle avait été placée sous sédation. En raison de métastases au cerveau, elle a été déclarée cliniquement morte avant de pouvoir se réveiller. C'est une femme qui prenait toujours tout en main, mais elle est morte de manière impuissante, sans rituel, alors qu'elle en avait toujours ponctué sa vie de famille. Elle aurait voulu vivre en personne ses adieux.
Vous prétendez qu'en cas d'euthanasie, le processus de deuil est plus difficile. Comment pouvez-vous le savoir ? Sur combien de cas concrets vous basez-vous pour extrapoler votre expérience aux générations futures ?
M. Jacques Santkin. Je poserai des questions précises à Mme Diricq qui témoigne ici en tant que psychologue en unité de soins palliatifs. J'aimerais tout d'abord savoir quel rôle exact Mme Diricq et ses collègues psychologues jouent dans les unités de soins palliatifs pour les patients comme pour le personnel. En effet, quelques lectures que j'ai faites me portent à croire que le personnel de ces unités a parfois besoin de s'évader de la situation psychologique et mentale dans laquelle il se trouve, ne fût-ce que pour rester capable d'accompagner les patients et d'avoir un dialogue avec eux. J'insiste sur cet aspect au sujet duquel je souhaiterais que Mme Diricq nous en dise un peu plus, peut-être sur le fondement même de cette mission.
Vous avez fait un certain nombre de citations et invoqué plusieurs éminents spécialistes. Mais vous, dans votre expérience, quelles sont les demandes les plus fréquentes qu'on vous adresse, si vous avez encore l'occasion de mener un dialogue avec les patients ? On nous a souvent dit que chaque cas est un cas d'espèce mais quand on est psychologue, on doit pouvoir faire face à tous les cas d'espèce. Les patients vous disent-ils ce qu'ils veulent, ce qu'ils voulaient il y a quelque temps et qu'ils maintiennent ? Avez-vous ce genre d'échange avec les patients ? Je suis convaincu que le personnel est fréquemment au bout du rouleau et n'a plus le type de réactions que des personnes moins fatiguées physiquement et mentalement peuvent avoir.
J'ai eu l'occasion de lire récemment l'ouvrage La Mort intime dont l'auteur, Marie de Hennezel, travaille dans l'unité de soins palliatifs d'un hôpital parisien. Elle insistait beaucoup sur les relations entre le personnel des unités de soins palliatifs et la famille ou les plus proches. Comment ressentez-vous cela ? Appliquez-vous certaines règles en la matière ou est-ce du cas par cas ?
Je sais que, dans de nombreux services, la formation du personnel en charge des soins palliatifs laisse à désirer. C'est la raison pour laquelle des modules de formation continue sont mis en place pour les personnes qui prennent en charge les patients en fin de vie.
M. Philippe Mahoux. Si on parle moins de soins palliatifs que d'euthanasie, c'est parfois à notre corps défendant. En effet, chaque fois que des personnes travaillant dans les soins palliatifs sont intervenues, elles sont intervenues sur l'euthanasie et non sur les soins palliatifs. Il faut dès lors parler de soins palliatifs. Je vais d'ailleurs vous poser quelques questions à ce sujet.
En termes de moyens, avez-vous utilisé les aides Maribel pour renforcer les équipes mobiles ?
La spécialisation d'une fonction en soins palliatifs, et sa pérennisation, sont-elles ou non souhaitables ? En d'autres termes, y a-t-il une limite humaine dans une vie de soignant, quelle que soit la fonction, pour se centrer sur les soins palliatifs ou n'est-il pas préférable d'avoir une certaine mobilité de manière à pouvoir s'occuper, à des moments différents de son existence, d'autres problèmes ?
En ce qui concerne les soins palliatifs, intervenez-vous à la demande ou d'autorité ? Si c'est à la demande, est-ce à la demande du malade, du médecin, du personnel soignant ? Est-ce que votre intervention est toujours souhaitée ?
J'ai beaucoup entendu parler aujourd'hui de difficulté de deuil pour les familles si la mort est survenue dans des circonstances où il y a eu intervention. Est-ce que vous avez une expérience personnelle relative à cette énorme difficulté de deuil des familles quand il n'y a pas eu de réponse aux demandes ? En effet, quand on entend des familles qui parlent de deuil, le deuil est presque infaisable quand la mort s'est déroulée dans des circonstances inadmissibles, difficiles, douloureuses, surtout quand il n'y a pas eu de réponse à des demandes. Il peut s'agit de demandes de soulagement de la douleur, mais aussi de demandes visant à ce que la douleur et la vie se terminent.
Avez-vous l'expérience de ce deuil extrêmement difficile pour les familles ?
Je comprends enfin la difficulté de répondre à cette dernière question. Vous avez évoqué tout à l'heure des demandes parfois différentes formulées à diverses personnes. Les personnes à qui on les formule changent. Quand on s'adresse à une infirmière, cela signifie que l'on veut que l'infirmière soit impliquée dans le processus. Si on s'adresse à une aide soignante, cela signifie que le malade souhaite que l'aide soignante y soit également impliquée. Je crois que cela se fait de manière automatique. Mais vous avez dit tout à l'heure que les demandes étaient différentes en fonction des personnes à qui elles étaient adressées Qui détermine alors quelle est la bonne demande de la part du malade ?
Mme Catherine Diricq. Par rapport à la question relative à l'information à donner au patient, on a souvent affirmé combien il était important de dire la vérité et d'informer le plus complètement possible le patient. Je pense qu'a contrario, il ne faut pas briser les défenses d'un patient. Je prône le fait que l'on informe le patient afin qu'il reste maître du processus, mais pas n'importe quand ni n'importe comment. Cela prend parfois du temps. Je suis parfois étonnée d'entendre le médecin responsable de notre équipe de soins palliatifs donner tout à fait clairement des explications à un patient, répondre au rythme des questions que lui pose le patient.
Pourtant, le patient revient le lendemain avec les mêmes questions. Or, il ne s'agit pas d'une personne qui a perdu ses facultés cognitives. Il y a d'autres processus, tels le déni, qui empêchent parfois d'être en contact avec certaines vérités. Je suis pour l'information la plus complète au patient. Mais il faut veiller à ne pas forcer les défenses du patient. Tout le monde n'est pas capable à n'importe quel moment d'entendre les choses terribles qui vont lui arriver.
Comment donner cette information ? Il faut essayer de se situer sur une échelle qui va d'un paternalisme à outrance à l'autre extrême qui consisterait à ne prôner que l'autonomie. Entre les deux, je crois qu'il y a l'alliance thérapeutique. Pour pouvoir dire certaines choses au patient, il faut avant tout qu'il y ait un lien de confiance entre lui et son médecin.
Sans doute me suis-je mal exprimée, mais je n'ai jamais voulu dire que c'était la loi sur l'euthanasie qui aurait des répercussions gravissimes. C'est l'euthanasie en tant que telle. Je ne suis pas du tout en train de responsabiliser les personnes qui auront cette tâche si difficile de décider si on légiférera ou pas, s'il faut dépénaliser ou pas. Je pense que c'est l'euthanasie en tant que telle qui pourrait avoir des répercussions sur les générations à venir.
Le rôle du psychologue en soins palliatifs est multiple puisqu'on peut travailler à la fois avec les patients, avec les soignants et l'entourage. Je ne travaille, tout comme mes collègues, qu'à la demande d'une personne. Il n'y a donc pas d'attitude systématique. Je ne vais évidemment pas voir les patients de manière systématique, certainement pas quand ils ne le souhaitent pas. Les cas sont chaque fois très différents. Parfois, je travaille avec le patient. Parfois, c'est à la demande du médecin qui me présente au patient. Si une alliance thérapeutique peut se faire, je continue à travailler avec le patient. Parfois, je travaille avec l'entourage.
Mon travail est essentiellement un travail de lien à la fois entre le patient, l'entourage et l'équipe. Il s'agit parfois d'un travail de transmission consistant à faire circuler la parole. Très souvent encore, il y a énormément de choses qui ne peuvent pas se dire entre quelqu'un qui va mourir et ses proches. En effet, celui qui va mourir veut protéger la famille. La famille veut protéger son malade.
Finalement, on ne se parle plus. Il s'agit donc d'un travail de lien, également avec l'histoire du patient. Ce que l'on fait aujourd'hui est toujours en lien avec notre expérience de vie. Il est parfois important, pour donner du sens à ce qui arrive au patient, de l'aider à retrouver ces liens ou d'aider l'équipe à retrouver ces liens, de mieux comprendre la colère actuelle. En effet, cette colère, quand elle s'adresse par exemple à l'infirmière, s'adresse en fait souvent à quelqu'un d'autre. Il s'agit donc de liens dans le temps et l'espace.
La question sur la spécialisation en soins palliatifs est tout à fait pertinente car je ne suis pas du tout convaincue que l'on puisse travailler dans ce domaine pendant plusieurs dizaines d'années. Il est bon que les médecins, les infirmières en soins palliatifs ou la psychologue aillent voir de temps en temps du côté de la vie. Cette spécialisation, qui n'existe pas encore en Belgique, est importante mais la remise en question reste fondamentale et le travail personnel aussi. Ce n'est pas parce que l'on est spécialisé dans un domaine que l'on doit y rester toute sa vie.
M. le président. Il y avait une question très précise sur le Maribel.
Mme Catherine Diricq. Dans notre équipe, nous n'avons pas utilisé les possibilités de Maribel.
M. Mahoux. Vous dites que vous ne travaillez que sur demande. Vous ne voyez donc que les malades qui le souhaitent ?
Mme Catherine Diricq. Posez-vous la question à la psychologue ou à l'équipe ?
M. Mahoux. À la psychologue. Votre expérience concerne donc des malades qui souhaitent ce type d'accompagnement.
N'êtes-vous pas automatiquement amenée à rencontrer les malades qui acceptent la mort et formulent une demande d'euthanasie ?
Mme Catherine Diricq. En théorie, non mais dans la pratique, il est extrêmement rare qu'un patient refuse d'emblée au moins une rencontre avec la psychologue.
M. Mahoux. Je me posais la question de savoir quelle est la bonne demande, parmi celles qui sont formulées. La subjectivité de celui qui reçoit la demande peut être un élément déterminant, même si on tente d'objectiver, mais l'objectivation peut se faire dans un sens ou dans l'autre.
D'autre part, j'aurais voulu que vous me fassiez part de votre expérience éventuelle en ce qui concerne le sentiment de culpabilité, de difficulté du deuil pour toutes ces familles qui ont l'impression que peut-être, elles n'ont pas répondu à une demande d'un malade, mais qui peut-être aussi n'ont pu obtenir qu'un médecin y réponde.
Mme Catherine Diricq. Je vous répondrai par une autre question. N'y a-t-il qu'une seule bonne demande ? Ce que le malade va dire à l'infirmière est à ce moment-là aussi vrai et juste que ce qu'il dira à un autre moment à un proche ou au médecin. L'importance de l'interdisciplinarité, c'est qu'elle tient compte de toutes ces bribes de demande.
M. le président. Jouez-vous un rôle particulier dans cette équipe ? J'imagine que votre formation vous permet de mieux décoder une demande...
Mme Catherine Diricq. C'est une question à poser aux autres membres de l'équipe. Je n'ai cependant pas de rôle décisionnel, par exemple.
M. le président. Non, bien sûr. Au bout du compte, c'est quand même le médecin qui prend la décision. Au moment où vous discutez en équipe, j'imagine qu'on fait appel à vous pour « décoder ». C'est votre métier.
Mme Catherine Diricq. Tout à fait. Il est vrai que ma spécificité, c'est de tenir compte des demandes inconscientes sous-jacentes à la demande, ou de faire les liens avec l'histoire du patient, avec les conflits parfois sous-jacents dans une équipe. Il m'est déjà arrivé, lorsqu'il y a une réunion un peu plus violente, de demander si l'on parle vraiment du patient ou si l'on est en train de régler un autre conflit.
M. le président. Vous voulez parler d'une demande d'euthanasie formulée par la famille ? Qu'entendez-vous par « conflit violent » ?
Mme Catherine Diricq. Cela arrive quand les membres d'une équipe n'arrivent pas à se mettre d'accord. Mon rôle est un peu de « décaler ».
M. Mahoux. Vous n'avez pas répondu à ma question sur le sentiment de culpabilité, de deuil, de douleur des familles quand, pour toutes sortes de raisons, on n'a pas répondu à la demande du malade qui souhaitait pouvoir mourir dignement. On évoque souvent ce sentiment de culpabilité dans les cas de mort assistée, mais avez-vous une expérience de la douleur des familles quand on n'a pas voulu répondre à la demande du malade ?
Mme Catherine Diricq. Je ne puis répondre à votre question car je ne pense pas avoir été confrontée à ce genre de problème.
Mme de T'Serclaes. On n'a pas répondu à une question importante de Mme Lindekens qui évoquait une situation où on avait un peu occulté le moment du décès et où le deuil n'avait donc pu se faire.
Mme Kathy Lindekens. Vous affirmez maintenant à M. Mahoux ne connaître aucun cas inverse, mais vous portez un jugement lourd de conséquences en disant que le deuil des générations futures sera rendu plus difficile. C'est quand même une extrapolation. Sur quoi basez-vous une telle affirmation, alors que vous avouez ne pas disposer de données concernant la situation inverse ?
Mme Catherine Diricq. Je n'ai pas de chiffres sous la main mais je me suis basée sur mon expérience personnelle. En me rappelant le témoignage que vous avez apporté, j'avais l'impression que ce que vous disiez, c'est qu'il avait manqué de moments de ritualisation.
Mme Kathy Lindekens. Il faut dire qu'il est impossible de déterminer ce moment. On ne peut faire ses adieux cinq fois.
Il est impossible de prévoir le moment où un patient sera cliniquement mort. Vous avez fait des déclarations très claires sur l'euthanasie. Combien de cas connaissez-vous ?
Mme Catherine Diricq. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez savoir ...
Mme Kathy Lindekens. Le processus de deuil est lié à de nombreux facteurs. L'euthanasie se passe tantôt bien, tantôt mal. Il en va de même pour la sédation contrôlée ou l'encadrement palliatif. Il est donc impossible d'en tirer des conclusions claires.
Mme Catherine Diricq. Je suis d'accord avec vous pour affirmer qu'il n'existe pas de soins palliatifs idéaux. Ces soins n'empêcheront jamais les souffrances à la fin de la vie et ne permettront pas à tous les patients de mourir sereinement.
Mme Kathy Lindekens. Et inversement.
Mme Catherine Diricq. J'en viens à la question relative au testament de vie. Je pense que ce testament est un élément dont on peut tenir compte, mais qu'il n'est certainement pas le seul sur lequel se baser. Je crois qu'on vous l'a déjà souvent dit. Le patient connaît une évolution psychique très importante au cours de sa maladie. Je reprendrai la phrase que j'ai utilisée dans un autre contexte tout à l'heure : ce que le patient décide au temps T1 n'est pas forcément valable au temps T2. Nous avons connu des patients qui avaient fait une déclaration anticipée et qui, pour des raisons trop compliquées à décrire ici, ont finalement été acceptés en réanimation où ils ont subi des traitements terriblement lourds et intensifs. Aujourd'hui, ces personnes se portent très bien. Je pense notamment à une patiente américaine qui est retournée dans son pays. Le testament de vie est donc un indice, sans plus.
Mme Chris Aubry. Je voudrais tout d'abord préciser que j'ai fait partie d'un groupe de travail restreint « euthanasie » au sein du Comité d'avis fédéral. Ayant contribué à l'élaboration d'un avis, j'ai beaucoup réfléchi au problème. Je désire aujourd'hui vous parler avant tout en ma qualité d'infirmière.
Ma mission d'infirmière est d'améliorer le bien-être des gens. Puisqu'il s'agit du bien-être d'une autre personne, il importe de connaître le contenu de ce bien-être. Je peux y parvenir avant tout en construisant une relation avec le patient, ce qui permet une plus grande dignité. Ma mission d'infirmière en devient une mission éthique. Étant donné que nous parlons aujourd'hui du droit de mourir dans la dignité, il est de mon devoir de prendre la parole.
En me basant sur ma longue expérience au contact de malades et de mourants, je voudrais brosser un tableau réaliste de la fin de vie des gens. On a déjà longuement évoqué les soins palliatifs. C'est pourquoi je vous entretiendrai de mon expérience dans des départements ne comprenant pas de soins palliatifs.
Nous sommes tous confrontés à la mort. Accompagner des mourants me fait ressentir toute la profondeur de cet événement. Le soignant ne s'y habitue jamais. Il est confronté à l'image de sa propre mort. Je vais maintenant partager avec vous ma conception d'une mort digne. Je veux avant tout être entourée des êtres qui me sont chers et qui auront le courage, malgré toutes les difficultés, d'être présents à mes côtés jusqu'au bout. J'espère aussi ne pas devoir souffrir trop. Mais il est pour moi très difficile de prédire maintenant ce que trop souffrir signifiera alors. J'ai en tout cas remarqué que les patients reculaient leurs limites très loin une fois venu le moment ultime. J'ai souvent été stupéfaite de leur force et de leur volonté de vivre. Alors que les soignants pensaient que la situation n'était plus digne, la personne en question souhaitait malgré tout continuer. Je suis en tout cas certaine que je ne pourrai pas vivre seule cet ultime moment. J'aurai certainement besoin du soutien de soignants spécialisés courageux et expérimentés. On a exposé à plusieurs reprises en quoi consiste cette assistance. Les soins adéquats en fin de vie représentent bien plus qu'un bon contrôle de la douleur et des symptômes. Ce n'est pas pour rien que les soins palliatifs parlent de douleur globale et de soins globaux.
Un soignant s'occupant de patients en fin de vie a besoin de savoir et de savoir-faire. Il doit non seulement disposer d'une série d'aptitudes, mais aussi de suffisamment de maturité et de stabilité émotionnelle car la confrontation existentielle est difficile et peut exiger, si elle est quotidienne, un lourd tribut.
L'infirmière a un rôle spécifique à jouer à l'égard du patient. À la psychologue qui m'a précédée, vous avez demandé quel était son apport spécifique dans l'équipe. Je peux peut-être y ajouter la tâche spécifique de l'infirmière. L'infirmière assiste le patient dans ses actions quotidiennes. Ces actions entraînent très souvent un contact extrêmement intime. Songez que nous l'aidons à se nourrir, se laver ou faire ses besoins. Par ce contact quotidien, c'est souvent le patient qui ressent le plus profondément la déchéance et l'humiliation .
La manière dont l'infirmière écoute et accepte le malade peut, dans le cadre du contact avec celui-ci, faire la différence entre d'une part le désespoir et d'autre part le sentiment d'être accepté malgré tout et la volonté de continuer.
Voilà pour mes attentes à l'égard de ma propre mort et les conditions pour y parvenir.
En ce moment, je suis quelque peu inquiète car la pratique quotidienne ne me permet pas vraiment d'espérer que cette conception sera respectée.
Ce n'est que depuis peu que la formation des médecins et des infirmières prévoit l'enseignement de savoir, de savoir-faire et d'aptitudes dans ce domaine. Mais qu'en est-il des médecins, des infirmières et des aides-soignantes qui travaillent et ne peuvent donc acquérir de nouvelles aptitudes que dans le cadre de formations complémentaires en soins palliatifs qu'ils doivent suivre de leur propre initiative ? Dans les départements moyens, ces conditions ne sont absolument pas encore remplies.
Je voudrais en outre souligner à quel point la charge de travail des infirmières est élevée. Un encadrement palliatif exige pourtant énormément de temps et de moyens. Or, ceux-ci ne sont pas toujours disponibles. J'assure la formation complémentaire d'infirmières qui me disent que la charge de travail n'a fait qu'augmenter ces dernières années et que tout est devenu si complexe et difficile qu'il n'est presque plus possible d'encore réserver la priorité dans leur travail à l'assistance aux patients. Même si le soignant peut ou veut y accorder de l'attention, le temps lui manque souvent.
« Les soins palliatifs offrent une solution », dit-on alors. Les soignants en milieu palliatif ont été formés à leur tâche et disposent des aptitudes requises. En outre, ils sont motivés par ce travail car ils ont choisi d'être quotidiennement en contact avec des mourants. La réalité quotidienne des départements ordinaires de notre pays est cependant différente; les personnes qui y travaillent n'ont généralement pas acquis les aptitudes et le savoir-faire exigés. Elles n'adoptent dès lors pas toujours les bonnes attitudes.
C'est précisément pour cela que je voudrais échanger avec vous quelques réflexions, car les gens ne meurent pas que dans les six lits privilégiés de Saint-Pierre ou dans l'un ou l'autre département palliatif.
Je remarque que les cancérologues acceptent plus facilement l'impuissance car ils sont régulièrement amenés à abandonner le combat pour la guérison. Ils ressentent moins cet abandon comme un échec que les autres spécialistes. Je ne nommerai aucune spécialité, mais grâce au progrès scientifique, certains spécialistes disposent de tels pouvoirs « magiques » pour prolonger la vie qu'ils admettent plus difficilement qu'un patient est arrivé en phase palliative. Je pense aux patients en cardiologie, pneumologie etc. Dans ces départements, il est souvent plus difficile d'admettre qu'un patient a quitté la phase curative pour la phase palliative. Je préfère entendre parler de soins continus que de la différence entre cure et care. On ne peut faire cette distinction de manière précise, cette transition se fait progressivement et dépend surtout de l'attitude que l'on adopte vis-à-vis du patient.
En soins curatifs, les médecins et les infirmiers se considèrent plus comme des experts car ils savent ce qui est nécessaire pour parvenir à la guérison. En soins palliatifs, c'est le patient lui-même qui devient l'expert en ce sens que la qualité de vie prime la quantité. Seul le patient peut dire aux soignants ce qu'est pour lui une vie de qualité.
Ce n'est pas un reproche, mais à certains endroits, des personnes sont toujours confrontées à l'acharnement thérapeutique, non seulement parce que les connaissances en matière de soins palliatifs sont insuffisantes, mais aussi parce que les soignants ne reconnaissent pas assez rapidement que le patient a atteint la phase palliative, ou parce qu'ils n'ont pas encore apprivoisé le sentiment d'échec.
Il faut dire aussi que dans ces endroits, le temps manque pour vraiment établir le contact avec le patient et écouter ses craintes. J'ai déjà évoqué la charge de travail élevée. La famille aussi est abandonnée à son sort. Cela entraîne des abus : on administre au patient une dose létale sans qu'il l'ait demandé. Ce n'est pas non plus un reproche, c'est une constatation. La famille ainsi que les médecins et les soignants ne savent plus à quel saint se vouer. Ils ne supportent plus la situation. Cela donne lieu à des euthanasies actives sans demande du patient. Ce faisant, les soignants et l'entourage s'aident eux-mêmes. Ce n'est pas un reproche : ces médecins et infirmières sont convaincus d'agir par compassion et donc de faire le bien. Les infirmières sont convaincues qu'elles ne font rien de mal, qu'au contraire, elles aident seulement à abréger les souffrances des personnes dans le coma ou incapables de manifester leur volonté.
Ceci témoigne de la difficulté qu'il y a à faire la distinction entre la souffrance insupportable à voir et la souffrance insupportable à subir. Il arrive souvent que l'entourage trouve la souffrance plus insupportable que la personne qui souffre.
Je prendrai l'exemple d'une femme de 35 ans souffrant d'un carcinome incurable de la poitrine. Elle recevait des doses de morphine permettant de maîtriser la douleur ainsi qu'un soutien lorsque c'était nécessaire. Il ne s'agissait certainement pas d'acharnement thérapeutique. En fait, elle se trouvait dans une situation palliative et en était parfaitement consciente. Lors de l'examen du dossier dans le bureau du médecin, on a constaté que son taux d'hémoglobine était trop faible à cause d'un nombre trop peu élevé de globules rouges. Dans le cadre de l'approche palliative, on a refusé la transfusion car celle-ci n'aurait pas pu entraîner une amélioration suffisamment sensible. À un certain moment, la patiente m'a interpellée. Je la connaissais depuis tout un temps et j'avais partagé tout son cheminement. Tout les membres de l'équipe soignante compatissaient intensément et étaient très concernés par son sort; ils étaient d'accord pour dire que cette vie n'était plus digne.
La patiente me demanda avec pertinence quand sa transfusion sanguine aurait lieu. C'est à ce moment que nous avons réalisé que nous nous étions comportés comme des experts en soins palliatifs sans avoir posé la question à l'expert en question, la patiente elle-même. Elle a exigé la transfusion, car elle voulait aller jusqu'au bout des jours qui lui restaient à vivre. Par cet exemple, je veux non seulement montrer que nous devons prendre garde à l'acharnement palliatif, mais surtout que c'est le patient qui a le dernier mot et qui est expert en ce qui concerne sa propre souffrance. Des études ont montré que les soignants évaluaient l'état du patient avec plus de sévérité que le patient lui-même. Les soignants, la famille et les médecins devraient reconnaître qu'ils sont partie prenante en matière d'euthanasie. Ce n'est pas un reproche, mais une constatation, car il n'est pas simple d'accompagner quelqu'un dans sa souffrance extrême. Cette situation vous confronte à votre propre souffrance et votre propre vision de la mort. On le sous-estime souvent.
L'euthanasie délivre de la souffrance non seulement le patient, mais aussi son entourage. C'est pourquoi les soignants et les médecins doivent être extrêmement prudents lorsqu'ils s'expriment sur la question de savoir si l'euthanasie se justifie ou non pour les patients qu'ils soignent.
Ces situations confirment que le débat sur les actes mettant fin à la vie est bel et bien nécessaire. Les abus prouvent que l'on n'a pas encore accordé suffisamment d'importance à un tel débat.
La confusion règne encore, même chez les soignants. Il y a encore des médecins qui commencent trop tard à administrer de la morphine car ils croient que celle-ci raccourcit la durée de vie et entraîne l'accoutumance. Il arrive régulièrement que des infirmières administrent trop peu de médicaments contre la douleur parce qu'elles n'osent pas, estiment que ce n'est pas nécessaire ou ne disposent pas des connaissances suffisantes. L'influence de l'entourage peut aussi constituer une source de perturbations. J'ai appris récemment qu'une dame bénéficiant de soins palliatifs à domicile et ayant à sa disposition suffisamment de morphine souffrait malgré tout encore car sa meilleure amie n'était pas vraiment pour l'usage de morphine.
Cet exemple permet clairement de comprendre que les médecins et les infirmières doivent disposer d'énormément de confiance en soi, de savoir et de savoir-faire afin d'aider les autres à dépasser leurs préjugés.
Le concept des soins palliatifs consiste en fait en « bons soins » où le patient occupe une place centrale. Un meilleur financement des soins palliatifs est nécessaire mais j'espère que vous comprendrez que le seul refinancement ne résoudra rien. On a dit aujourd'hui l'importance de l'encadrement que requéraient six lits à Saint-Pierre à Bruxelles. Pour faire en sorte que les médecins et les infirmières soient suffisamment experts en matière de contrôle de la douleur, ce n'est pas tant l'argent qui manque que la volonté et le courage nécessaires. En créant une équipe de soins palliatifs, on transmet le savoir aux autres départements de l'hôpital. Les infirmières de cette équipe me disent pourtant que leurs collègues des autres départements n'ont pas suffisamment de temps, non pas pour un contrôle efficace de la douleur, mais pour la totalité des soins, pour l'encadrement, pour l'approche psychologique du patient, afin de lui permettre de régler ce qu'il veut encore régler, du temps enfin pour soutenir la famille. Le refinancement du département palliatif n'est pas une solution. Le problème est beaucoup plus profond. Il ne s'agit pas seulement des dernières semaines. Avant de mourir dans la dignité, il y a être malade et être vieux dans la dignité. C'est seulement quand le monde médical au sens large aura accepté le concept des soins palliatifs que nous pourrons réellement parler de « continuité » des soins et que ceux-ci deviendront une priorité. On n'informe pas encore suffisamment les gens de ce qui leur arrive et ce, pas seulement en phase terminale. Contre toute logique, il arrive qu'on refuse les soins palliatifs. Le médecin généraliste estime par exemple qu'il s'y connaît suffisamment. D'autre part, il arrive qu'on n'administre pas les soins palliatifs parce que le patient n'est pas encore tout à fait au courant de son état et que les soignants ou la famille ne sont pas encore prêts à lui dire la vérité. Pour moi, prendre ses responsabilités signifie disposer du savoir-faire suffisant pour pouvoir choisir la bonne solution parmi celles qui se présentent. Cela suppose que l'on informe et accompagne les malades, ce qui arrive trop peu souvent. Les droits du patient sont insuffisants. Même l'infirmière se base encore régulièrement sur le modèle paternaliste ou plus exactement sur la conviction qu'elle est l'expert et sait ce dont le patient a le plus besoin. L'approche palliative accorde au patient une place centrale. C'est lui l'expert. C'est une toute autre philosophie de soins qui rend la participation et la collaboration possibles.
L'autodétermination ou pouvoir de décision autonome est un des principaux points sur lesquels repose la proposition de loi actuelle. En tant qu'infirmière, je ne doute pas du droit à l'autonomie. Je tente de me battre chaque jour pour que les patients obtiennent un plus grand pouvoir de décision bien avant que ne commence la phase terminale. Je partage cependant l'inquiétude du témoin précédent concernant le concept d'autonomie. Nous devons régulièrement faire des choix, ce qui est difficile. Choisir, c'est renoncer à une partie. L'autodétermination est encore plus difficile à appliquer dans des situations de détresse extrême, au moment le plus vulnérable de la vie. Je ferai la comparaison avec la loi relative à l'avortement, où l'autonomie est également centrale. Des études portant sur la manière dont la mère accepte l'avortement montrent que mieux elle a été accompagnée et soutenue dans cette situation difficile, mieux le processus d'acceptation se passe. On parle de non-directivité et de directivité concernant la décision du patient. Selon soeur Léontine, un bon accompagnement de la demande d'euthanasie, au moyen des soins palliatifs par exemple, peut contre toute attente faire refluer la demande tout en maintenant une certaine qualité de vie. La seule différence avec l'avortement est que le patient ne peut plus raconter par après si c'était ou non la bonne solution. Dans ce cas, notre conscience est épargnée. Outre les raisons que j'ai déjà citées, il convient d'ajouter qu'une décision relative à la fin de vie ne concerne pas uniquement le patient, bien que celui-ci puisse prendre seul la décision. Les membres de sa famille, mais aussi les soignants et toute la structure sociale sont profondément touchés par la décision. J'ai le sentiment qu'en ce moment, le débat tourne plus autour de la question de savoir qui peut décider plutôt que de la question de savoir quelle est la bonne décision dans une situation donnée. Je préfère me diriger vers un modèle de participation et de collaboration.
On évoque la comparaison avec la situation néerlandaise parfois à raison mais parfois à tort également. J'ai des contacts réguliers avec des collègues néerlandais, y compris des médecins. Je constate de grandes différences culturelles avec les Pays-Bas. La première de ces différences est la mentalité. Les Néerlandais, tant les patients que les soignants, sont beaucoup plus émancipés, ouverts, capables de s'exprimer que les Flamands. On annonce beaucoup plus vite la vérité aux Pays-Bas et les informations médicales y circulent mieux. En outre, la formation prévoit depuis des années des cours de communication approfondis. Dans notre pays, on n'en est qu'au commencement.
Deuxièmement, la société néerlandaise a intégré les droits des patients, comme en témoigne la présence d'organisations de patients dans de nombreux organismes consultatifs. Dans notre pays, il serait possible de développer bien davantage les droits des patients. Les infirmières néerlandaises s'étonnent par exemple toujours que nos patients n'aient pas accès à leur dossier infirmier.
Troisièmement, il y a plus d'infirmières dans les hôpitaux néerlandais. En outre, on leur délègue moins d'actes médico-techniques, ce qui leur permet de consacrer plus de temps et d'attention à l'accompagnement des patients. Lorsqu'il n'y a pas suffisamment de personnel soignant, on ne remplit pas les lits libres. Je n'ai jamais vu cela ici. Nous courons juste un peu plus et changeons les priorités.
Ces exemples prouvent à suffisance qu'il ne faut pas sous-estimer les différences avec les Pays-Bas. La réalité quotidienne en Flandre est différente de celle de nos voisins du Nord. Il y a malgré tout un point commun : en Flandre également, les infirmières ont plus de contacts avec les patients, du moins en termes de quantité, que beaucoup d'autres soignants. L'infirmière soutient le patient dans les moments les plus quotidiens et intimes. Si par ailleurs on attribue à chaque infirmière certains patients, on augmente les chances de voir se développer une véritable relation avec le patient.
Selon une étude effectuée aux Pays-Bas, dans 60 % des cas, c'est à l'infirmière que le patient expose en premier lieu son désespoir. Il ne l'exprime pas nécessairement en disant « je ne veux plus continuer ». Ces chiffres confirment mon expérience et celle de mes collègues, du moins en milieu hospitalier. La capacité d'écoute et l'engagement sont donc d'une importance vitale.
On reproche parfois aux infirmières d'être trop impliquées d'un point de vue émotionnel, de réagir de manière émotive. Toute la formation d'infirmière présuppose l'empathie ainsi que la proximité du patient. Je soutiens ces attitudes, mais la proximité du patient prend parfois les infirmières en otage, ce qui rend parfois la vue de la souffrance plus difficile. Heureusement que les soignants ressentent des émotions, car les émotions peuvent être les symptômes de ce qui est inacceptable du point de vue éthique. Si une infirmière constate dans une situation donnée un contraste entre ce qu'elle voit et l'image qu'elle a intuitivement de soins bien donnés, elle se sent envahie d'une émotion d'indignation, de peur, de colère, de chagrin. Nous devons apprendre à transposer ces émotions en une réflexion éthique. Les médecins reprochent parfois aux infirmières de réagir de manière trop émotive parce qu'elles veulent réagir spontanément à partir de leurs émotions. En fait, il faut d'abord faire un pas en arrière avant de pouvoir transposer cette émotion en une réflexion éthique. Si ce n'est pas le cas, ces émotions ne s'expriment pas et l'impuissance des soignants peut stimuler la demande d'euthanasie au lieu d'y répondre d'une manière appropriée.
Comme les études le prouvent, nombreuses sont les situations où des décisions sont prises dans le cadre de la fin de vie. Ces décisions sont bien plus nombreuses que les décisions de procéder à l'euthanasie. Les infirmières demandent ici une contribution formelle. Elles ne réclament pas le dernier mot, ni le droit de prendre la décision, elles veulent une concertation transparente et une politique cohérente. Les infirmières peuvent transmettre des informations importantes concernant les limites du patient, par exemple, mais aussi sur sa vision de la vie. Les infirmières demandent en outre une bonne motivation de la décision. Ce sont souvent les infirmières qui doivent exécuter la décision, quelle qu'elle soit. Il ne s'agit pas de la décision de procéder à l'euthanasie, mais par exemple de commencer le traitement de la douleur ou d'arrêter un traitement. Les infirmières le vivent tout au long de la journée pendant leur présence auprès du patient. L'infirmière est donc confrontée au résultat et aux conséquences de la décision. Dans le cas de l'euthanasie, je serai aux côtés du patient et de sa famille, c'est moi qui aurai été présente le plus longtemps, et je mettrai littéralement un terme à l'histoire : dans le cas d'un décès, je ferai la toilette de la dépouille et j'accompagnerai la famille lorsqu'elle viendra saluer le défunt une dernière fois. Je peux vous l'assurer : il est impossible de mélanger maturité émotionnelle et soutien, si vous voulez agir bien. Les équipes qui vivent cela jour après jour doivent recevoir l'attention qu'elles méritent. On ne doit pas seulement leur donner le temps de faire leur travail, mais aussi le temps d'accepter leurs propres émotions.
Lorsque les infirmières sont confrontées trop souvent à cette problématique, elles n'ont plus suffisamment la possibilité d'accepter leurs émotions et se construisent une forteresse éthique qui leur interdit, par instinct de conservation, d'avoir ces émotions. On est alors évidemment bien loin de soins appropriés. C'est ce que l'on appelle le burn out.
Un autre argument en faveur de la proposition de loi actuelle est qu'une réglementation légale multipliera les possibilités de discuter de l'euthanasie, ce qui est favorable à la sérénité du patient, et qu'elle ne stimulera pas la demande finale, voire la rendra superflue.
Moi, j'y crois. Pour un patient atteint d'une maladie incurable, la garantie d'être aidé et soutenu, sous quelle forme que ce soit, a déjà en soi un effet curatif. Cela le réconforte. Mais je crois aussi qu'une réglementation légale peut avoir l'effet inverse, en particulier pour les personnes âgées et handicapées. Le fait que l'on ait l'autorisation de demander l'euthanasie oblige tout le monde à envisager cette possibilité. Je ne crois pas à une ultime liberté de choix, car nous sommes toujours influencés par de nombreux facteurs, les personnes qui nous entourent, les médias.
Je vois là la principale objection à abandonner la condition de la maladie incurable dans la loi. Je ne veux accuser personne de motivations économiques. Il faut cependant être réaliste. La confrontation à une conception utilitariste de la société augmente le risque de se sentir obligé de ne plus être une charge pour les autres. Des études montrent que les patients ne veulent absolument pas donner l'impression de faire appel aux maigres moyens en soins de santé dont les autres ont davantage besoin. Mon expérience d'infirmière me permet de vous dire qu'il y a plus de patients qui sonnent trop peu souvent pour obtenir de l'aide et de l'assistance que de patients qui sonnent trop souvent. La frontière entre liberté et pression est ténue. Le risque de pression est d'autant plus grand si ceux qui devraient donner le choix au patient sont eux-mêmes intéressés au choix qui est fait. Je renvoie à la difficulté de voir souffrir les autres.
Je pense, dans ce cadre, à la pression liée au diagnostic prénatal de malformations congénitales ou d'anomalies chromosomiques. La grossesse n'est plus une joyeuse attente; c'est devenu un thriller. Un certain nombre de centres placent les futurs parents nolens volens devant le choix d'opter ou non pour un enfant « imparfait ». Si les parents refusent sciemment de subir un diagnostic prénatal, on les met de toutes parts sous pression. La famille, les amis ainsi que les soignants donnent leur avis sans qu'on le leur ait demandé et témoignent de peu de respect pour le choix des parents. La non-directivité devient ici presque de la directivité. Il faut disposer d'une forte personnalité et de beaucoup de force pour résister à cette pression. L'autodétermination est donc un concept très fragile, qu'il convient d'entretenir et de respecter en toutes circonstances. Il est en effet humain de vouloir imposer aux autres nos propres convictions.
L'utilisation d'une déclaration de volonté anticipée s'avère assez difficile à mettre en pratique. La littérature témoigne des difficultés pratiques rencontrées par les pays ayant quelque expérience en la matière. Ce sont des personnes émancipées, scolarisées qui en font le plus souvent usage. Elle reste en outre très hypothétique. J'ai déjà évoqué mon expérience avec un jeune patient atteint de sclérose en plaques, qui m'a appris que les gens repoussent souvent leurs limites dans une situation donnée. Ce jeune patient revoit chaque année son testament de vie, car il modifie constamment ses limites et ses espoirs au cours de sa maladie. Il a considéré très longtemps son ordinateur comme son dernier moyen de communication avec les autres et répétait sans cesse que sa limite serait atteinte lorsqu'il ne pourrait plus l'utiliser. Jusqu'à ce que ce moment arrive. Ses amis continuaient malgré tout à venir lui rendre visite, même s'ils ne pouvaient plus communiquer directement avec lui. Ils lui lisaient des histoires, ce qui, à ce moment, s'avérait suffisant pour choisir de continuer à vivre malgré tout.
Le débat d'aujourd'hui constitue pour moi le symptôme d'un problème plus profond. Les progrès accomplis lors de la dernière décennie nous ont conféré un sentiment de toute-puissance. Nous voulons voir tous nos voux réalisés. Nous estimons avoir droit tant à un revenu, au confort et à un certain luxe qu'à un enfant en bonne santé et à notre propre scénario pour notre mort. Ce droit ne peut nous être refusé et il ne le sera pas. Et le progrès scientifique nous fait miroiter une image idéale et irréelle.
Comme je peux combattre le processus de vieillissement au moyen d'un face lift, je ne veux plus être confronté à la déchéance ni à un processus de décès imparfait. C'est en effet devenu « indigne ». Cela doit disparaître de la même manière que le vieil homme sénile et le fou du village ont quitté nos rues. Ma dignité à moi est constituée des valeurs qui font que ma vie vaut plus la peine d'être vécue.
Parmi ces valeurs, je place l'acceptation, le respect et le droit à une identité propre. Ma dignité à moi dépend en partie des autres. Par conséquent, les autres rendent non seulement ma vie, mais aussi ma mort plus dignes.
Je ne veux pas nier que même des soins de santé parfaits n'élimineront pas la demande d'euthanasie. Je suis favorable à un débat ouvert et à une bonne réglementation légale, mais j'espère que la réalité que je vous ai décrite ainsi que mes inquiétudes d'infirmière vous amèneront à une certaine prudence. Il faut remplir un certain nombre de conditions avant d'élaborer une réglementation.
Certains sont d'avis que la création d'une réglementation légale fera évoluer les choses dans le bon sens. Je ne partage pas cet optimisme; la prudence est de mise. Une légalisation de l'euthanasie serait dépourvue de tout fondement si l'on ne crée pas d'abord les conditions nécessaires à des soins de qualité pendant la dernière phase de la vie. Je pense par exemple à l'amélioration des soins dans les MRS, à davantage d'attention accordée aux problèmes non médicaux dans le cadre des soins à domicile et à un meilleur soutien de l'action médico-sociale. Ces conditions seront remplies si l'on accorde plus de temps aux soins. Une meilleure formation du personnel et une plus grande attention accordée à celui-ci constituent les conditions autorisant une attitude plus libérale face à l'euthanasie.
Transposer nos émotions en une concertation éthique constitue un processus d'apprentissage difficile. La pratique de la plupart des commissions éthiques ne peut nous convaincre du contraire. La plupart des commissions se cantonnent en effet principalement à la discussion d'expériences. Le débat éthique devant aboutir à la formulation d'avis est encore très limité. La confrontation aux dilemmes éthiques augmentera encore durant les prochaines années.
Lorsque les pédagogues parlent du processus d'apprentissage, ils soulignent l'importance de l'apprentissage réflectif, autrement dit, apprendre à partir des expériences en y réfléchissant. Les premières évaluations des commissions de contrôle néerlandaises confirment ce besoin. Les personnes en question doivent recevoir un feed-back concernant l'événement afin de pouvoir en retirer un enseignement. Le lancement préalable d'une commission de contrôle témoignerait de prudence et de sens des réalités, non pas dans la fonction d'un « tribunal » comme beaucoup le craignent, mais pour accompagner les premières étapes de ce processus d'apprentissage délicat.
Pour prévenir une politique trop conservatrice ou trop libérale, les institutions devraient désigner des personnes de confiance à qui les infirmières et les autres membres du personnel pourraient s'adresser lorsqu'elles ont des doutes portant sur la politique de fin de vie dans laquelle elles sont directement ou indirectement impliquées au sein de leur département. La législation doit être dynamique et prévoir une étape supplémentaire lorsque les temps seront mûrs. On me dit que le débat sur l'euthanasie dure maintenant depuis plusieurs années. Je peux dire que la réalité quotidienne nous prouve le contraire. Les départements ont jusqu'à présent trop peu souvent mené le vrai débat.
M. Philippe Mahoux. Je partage certains constats qui viennent d'être faits.
L'analyse est fouillée; l'expérience l'est certainement aussi. Cependant, on peut partager les mêmes constats et aboutir à des conclusions différentes, probablement en raison d'une vision plus optimiste ou plus pessimiste de la société ou de certaines conceptions idéologiques, par ailleurs parfaitement respectables.
Je voudrais savoir, madame Aubry, combien d'heures sont consacrées à la prise en charge de la douleur ou aux soins palliatifs dans votre école d'infirmières. Je souhaiterais également faire une suggestion au président : l'enseignement étant communautarisé, il serait intéressant de faire, tant du côté francophone que du côté néerlandophone, une analyse par école je pense aux écoles d'infirmières mais aussi aux facultés de médecine du nombre d'heures obligatoires consacrées à la prise en charge de la douleur et éventuellement, à une approche palliative. Nous disposerons ainsi d'un élément statistique très important en ce qui concerne la proposition de loi que nous avons élaborée, élément qui vise les communautés et non le fédéral, mais qui devrait nous permettre d'avancer.
Par ailleurs, la particularité en matière d'euthanasie est que le malade n'est plus là pour donner son appréciation. Vous avez parlé d'erreurs qui pourraient être commises. Il y a les erreurs par défaut et les erreurs par excès. Les erreurs par défaut sont les non-réponses à des demandes formulées. Les erreurs par excès sont les éventuelles anticipations sur des demandes, les mauvaises interprétations, les euthanasies pratiquées sans qu'il y ait demande du malade, comme c'est actuellement souvent le cas, ce qui est totalement inadmissible. Nous partageons probablement un certain nombre de constats sur les erreurs par excès et par défaut.
Cependant, nous pensons quant à nous que la législation a pour objectif de les corriger, même si elle ne peut résoudre toutes les situations. J'ai cru comprendre que vous n'aviez pas la même opinion, même si vos propos étaient nuancés.
Par ailleurs, on parle de l'autonomie du patient comme s'il s'agissait d'une liberté absolue. Si notre volonté est que toutes nos décisions soient marquées de la plus grande autonomie possible, car c'est important philosophiquement, cela ne signifie pas que les choix du patient ou de l'individu dans toutes les circonstances de son existence soient dépourvus de toute forme de conditionnement. Bien entendu, tout au long de l'existence, on essaye de se libérer de tous les conditionnements, mais c'est impossible. Dans la décision finale, c'est-à-dire la demande d'euthanasie ou toute forme de demande en fin d'existence, l'autonomie ne signifie pas l'absence totale de conditionnement. Vous avez très justement fait remarquer qu'il faut tenter de décanter tout ce qui peut être un conditionnement, mais il est impossible de supprimer toute forme de conditionnement. Ce n'est pas antinomique avec ce que je qualifie d'autonomie du patient.
Enfin, j'aimerais savoir quelle est la réceptivité de vos élèves quand on aborde ce type de problème ?
Mme Chris Aubry. Le nombre d'heures dans la formation des infirmières n'est pas fixe, en Flandre non plus.
Le décret est clair : les soins palliatifs, le contrôle de la douleur et des symptômes doivent être enseignés, mais il ne précise nulle part combien d'heures de cours il faut y consacrer. Le nombre d'heures de cours diffère d'une école à l'autre. Je ne peux parler que des écoles avec lesquelles j'ai le plus de contacts. Le nombre d'heures consacrées à la formation d'infirmière est actuellement assez élevé, mais il n'est pas toujours fixé très concrètement.
Une formation approfondie en communication la première année constitue la base permettant de faire face ultérieurement à la communication de la vérité et à l'accompagnement du mourant. Dans l'école avec laquelle je suis le plus souvent en contact, trente heures sont consacrées en deuxième année de nursing à la prise en charge du patient en phase terminale. Ce cours constitue donc une part importante de la formation d'infirmière.
M. Philippe Mahoux. Trente heures, c'est important !
Mme Chris Aubry. Vous parlez d'erreurs, plus précisément de d'abus ou de déficiences. Il importe de définir exactement ce qu'est l'euthanasie. C'est selon moi le principal apport du débat en ce moment. L'étude de Deliëns montre que les abus, autrement dit le fait d'administrer des doses létales à des patients qui ne l'ont pas demandé, sont fréquents. L'abus ne provient pas de la pensée que l'on va en finir parce qu'il faut libérer le lit mais plutôt de l'impuissance ainsi que du manque de formation, de stabilité émotionnelle et de temps. Il est certain que le débat et la réglementation légale doivent préciser que le fait d'abréger la vie d'un patient parce qu'il souffre énormément, même s'il ne l'a pas demandé, n'est pas « faire le bien » et ne peut donc être considéré comme une euthanasie. C'est pourtant ce que considèrent nombre de soignants. En ce moment toutefois, de nombreuses conditions permettant de pratiquer l'euthanasie comme il convient ne sont pas encore remplies.
Vous avez évoqué l'autonomie et le droit à l'autonomie en affirmant que des influences se feront toujours sentir. Je n'ai pas dit le contraire. Il ne faut pas essayer d'annihiler les influences, car elles existeront toujours. J'espère seulement que notre société continuera à influencer dans un sens favorable. Or, j'entends très souvent dans les médias que les soins destinés aux personnes âgées coûtent très cher à notre pays et que ces coûts augmenteront encore à l'avenir, que l'on peut prendre en charge de moins en moins de personnes dépendantes à domicile, parce que la société change et que les femmes, qui se chargeaient autrefois des tâches paramédicales, travaillent désormais à l'extérieur. En raison de cette pression, le fait de ne pas être une charge et l'aspect financier priment l'offre d'une prise en charge. Nous devons veiller à ce que les influences continuent à s'exercer dans le bon sens. Et que cela soit souligné.
M. Philippe Mahoux. Vous avez répondu, madame. Il n'est pas simple, me semble-t-il, d'intégrer ce type de données dans une formation initiale.
Mme Chris Aubry. Nous constatons une très grande réceptivité, mais les étudiants qui apprennent pendant leur formation comment agir, sont confrontés, dans la pratique, au manque de temps; ils ne peuvent appliquer les connaissances qu'ils ont acquises. C'est une des raisons pour lesquelles de nombreux étudiants décrochent. Des jeunes gens qui se sentent attirés par une profession dans le domaine des soins entament leur formation avec beaucoup d'idéalisme mais abandonnent souvent très vite, parfois après une seule semaine de stage, parce qu'ils constatent que la réalité ne laisse aucune place à l'idéalisme. Ils ne peuvent accepter les conditions dans lesquelles ils sont obligés de travailler.
M. Philippe Monfils. Vous avez utilisé trois arguments qui personnellement me posent toujours problème.
Le premier est évidemment traditionnel : c'est l'insuffisance de moyens financiers. En fait, nous ne sommes pas prêts à organiser la fin de vie et bien entendu aussi, d'une certaine manière, à reconnaître l'acte d'euthanasie. Depuis que je suis parlementaire, depuis que je suis au Sénat, depuis cette session et depuis que je m'occupe d'euthanasie, je n'ai jamais entendu quelqu'un me dire que les moyens financiers d'un service étaient suffisants. C'est un argument que nous devons avoir à l'esprit. Dieu sait que les parlementaires ici présents sont partisans des soins palliatifs, mais ce n'est pas une raison pour ne pas avancer dans une réforme.
Le deuxième argument concerne la formation. Vous avez posé la question et cela me gêne toujours un peu du niveau de formation du patient, niveau qui pourrait être insuffisant pour s'exprimer lucidement dans un testament de vie, par rapport à ce qui va lui arriver. Je suis désolé de le dire, mais j'y vois une fois de plus une résurgence de cette espèce de caractère de démiurge que l'ensemble du monde médical et du personnel paramédical revêtent inconsciemment : le patient n'est pas capable de dire ce qu'il souhaite faire de lui, en quelque sorte. Or, ce patient vote; dans certains pays, il participe à des référendums; il remplit sa déclaration fiscale ou il dirige une famille, ce qui n'est pas évident, mais on lui dit qu'il n'est pas capable de déterminer lui-même ce qu'il fera de sa propre vie si, d'aventure, les choses évoluent de manière dramatique. Je ne peux pas accepter ce genre d'argument. Les personnes sont suffisamment formées; d'ailleurs, elles peuvent se faire aider, si je puis dire, dans une réflexion visant à déterminer ou délimiter les axes d'un testament de vie ou de déclaration de volonté.
Le troisième élément consiste à dire que nous vivons dans une société utilisatrice. Vous avez tout à fait raison, mais il y a une heure, vous avez expliqué qu'il se passe un certain nombre de choses actuellement, des actes d'euthanasie par impuissance ou par épuisement du personnel. On ne peut pas dire, me semble-t-il, que si une loi pouvait régler demain un certain nombre de cas, ces derniers feraient entrer davantage encore notre société dans un monde de consommation. Nous sommes déjà plongés dans des situations que vous avez dénoncées. Je ne crois pas qu'une loi aboutisse à cela, dans un certain nombre de cas.
Vous avez plusieurs fois utilisé c'est en tout cas la traduction française de vos propos l'expression « lorsque le patient arrive en phase palliative ». On connaît la phase terminale et les soins palliatifs. Que signifie pour vous la phase palliative ?
Cela veut-il dire qu'à un moment donné, le patient étant au bout des possibilités médicales, il entre d'office, je pourrais presque dire obligatoirement et c'est important, parce que c'est une des propositions de loi qui le propose en quelque sorte dans le « tuyau » de la phase palliative, avec ce que cela comporte d'aide sociale et autres, au-delà de la simple aide médicale et de l'octroi de remèdes ? Si c'est cela, ne croyez-vous pas que déjà, à ce moment-là on en revient au libre arbitre , on place la personne dans l'impossibilité morale d'exercer son libre arbitre, car elle sera, dans ce choix-là, entourée, amenée vers un certain style de fin de vie ? Elle sera en quelque sorte dans l'incapacité, si elle voulait changer de fin de vie, de le faire. Je suis, bien entendu aussi très partisan de l'autonomie de la personne humaine nul ne niera au patient le droit de demander les soins palliatifs et d'y entrer mais qu'on en arrive, en quelque sorte par là, à limiter son libre arbitre me semblerait extrêmement dommageable, dans la conception même que l'on a de la dignité individuelle. C'est une question que je me pose et qui appelle peut-être une explication complémentaire par rapport à votre intervention.
Mme Chris Aubry. Lorsque je parle de phase palliative, je ne veux pas dire que le patient se trouve dans une phase où il doit recevoir des soins palliatifs, mais qu'il passe d'une phase curative lui offrant encore des chances de guérir, à une phase où guérir est exclu bien qu'il puisse vivre encore des années avec une qualité de vie suffisante. La phase palliative suit la phase curative et précède la phase terminale. Pour moi, un patient est en phase terminale lorsqu'il va décéder dans un délai relativement court. Cela ne signifie certainement pas que le patient se situant dans la deuxième phase doit obligatoirement bénéficier de soins palliatifs.
Par mon exemple, j'ai tenté de montrer que nous devons faire en sorte de toujours réserver au patient la place centrale. Il ne peut pas davantage y avoir d'acharnement palliatif. Il faut bien préciser quelles sont les possibilités. En ce moment, c'est le soignant qui décide quand le patient est prêt pour les soins palliatifs. Il arrive que l'on ne parle pas à certains patients du bien-fondé des soins palliatifs parce qu'ils ne savent pas encore qu'ils ne vont pas guérir. Être en mesure d'annoncer la vérité est une condition importante pour pouvoir opter pour les soins palliatifs.
Je voudrais revenir un instant sur la déclaration de volonté anticipée. Je n'estime évidemment pas que les personnes faiblement scolarisées sont incapables de décider. Il faudrait davantage tenir compte de l'avis du patient dans les aspects quotidiens des soins de santé. C'est pourquoi je milite en faveur de l'octroi de davantage de droits au patient. Les patients ont néanmoins besoin d'aide lors de la rédaction de leur déclaration de volonté. Une étude récente menée auprès de 579 médecins européens fait apparaître que moins de la moitié des médecins se sentent prêts à aborder la déclaration de volonté anticipée avec les patients. Les gens ont besoin d'aide pour exercer leur droit d'autodétermination et d'autonomie. Ils nécessitent un soutien dans le processus de décision. Les soignants ne peuvent décider à la place du patient, mais ils peuvent attirer son attention sur les facteurs à prendre en compte.
Vous prétendez que vous entendez continuellement des plaintes relatives au manque de moyens financiers. Ce n'est pas tellement l'objet de mon propos. Je pense même qu'il y a actuellement suffisamment de moyens financiers, mais qu'ils ne sont pas toujours affectés adéquatement. Mon propos concerne plutôt la mentalité qui entoure le contrôle de la douleur, l'attitude vis-à-vis des soins et le fait que le patient doit occuper une place centrale, non seulement au moment où il va mourir, mais déjà bien avant.
Ceci n'exige pas seulement une augmentation des moyens financiers, mais aussi un suivi efficace et des mesures visant à garantir à chaque patient qu'il est entre les mains de soignants experts. Le patient a ce droit. J'insiste pour que ces conditions soient remplies.
Une loi est effectivement nécessaire, mais je ne partage pas votre optimisme quand vous dites que cette loi réglera tous les problèmes. Une loi peut être mise en ouvre en plusieurs phases : on essaie d'abord de satisfaire à certaines conditions et on crée des commissions de contrôle fournissant un feed-back lors du processus d'apprentissage. On pourra dans une phase ultérieure passer à l'étape suivante du débat sur l'euthanasie. Nous ne devons pas essayer de courir avant de savoir marcher.
M. Paul Galand. Madame, vous parlez de la pression sur le personnel soignant qui augmente le stress, etc. Cette pression s'est-elle accrue très progressivement ou pouvez-vous fixer avec précision la période de son apparition ?
Par ailleurs, vous avez dit qu'aux Pays-Bas, il existait une formation à la communication. À cet égard, que pouvez-vous dire de la comparaison de la situation entre les Pays-Bas et la Belgique ?
Mme Chris Aubry. J'ai vingt ans d'expérience. Je remarque que la charge de travail a fortement augmenté ces cinq à six dernières années. En effet, le temps moyen que les patients peuvent encore passer à l'hôpital est beaucoup plus court étant donné que l'on a réduit le nombre de lits. Cela signifie qu'un patient qui occupe aujourd'hui un lit d'hôpital nécessite énormément de soins. Il y a dix ou quinze ans, il y avait dans chaque département un certain nombre de personnes en observation. Elles n'avaient donc pas besoin de tant de soins. Cela permettait d'accorder plus d'attention aux autres. Actuellement, ces patients ne se trouvent plus dans les hôpitaux, on les traite à domicile. Tous les lits sont donc occupés par des patients qui nécessitent des soins, davantage de soins qu'auparavant. Dans la plupart des départements, la taille du personnel n'a cependant pas suivi l'augmentation de la complexité des soins. L'évolution de la médecine, les progrès scientifiques et le manque de lits qui oblige les patients à rentrer plus vite chez eux et donc à recevoir une aide efficace en peu de temps, sont autant de facteurs créant des problèmes. Les patients bénéficient dès lors plus tôt de soins à domicile, ce qui ne fait que déplacer le problème. Là aussi, le personnel est actuellement insuffisant pour prendre en charge les patients, qui sont en outre plus malades qu'auparavant.
La deuxième question portait sur la formation à la communication. Les pays anglo-saxons et les Pays-Bas organisent ce genre de formation pour les étudiants en médecine depuis bien plus longtemps que dans notre pays. Elle est en outre plus étendue. C'est vraiment une différence substantielle. Dans les facultés de médecine belges, il n'y a que quelques années que l'on organise des formations à la communication. Aux Pays-Bas et dans les pays anglo-saxons, cela fait déjà plus ou moins quinze ans que l'on y a pensé. La formation y est standardisée et on contrôle si les intéressés disposent effectivement de qualités communicationnelles suffisantes. En Belgique, il n'y a que pour les médecins généralistes que cette formation existe depuis plus longtemps. Cette formation à la communication est donnée depuis une vingtaine d'années en septième année, qui correspond à la formation de médecin généraliste. Je crains que ce soit un peu tard. À ce moment, les étudiants ont déjà un an de stage en hôpital derrière eux. Il ont déjà pris certaines habitudes. Je pense qu'il est important de leur « apprendre « dès le début les bonnes habitudes. Quant aux spécialistes, ils ne recevaient jusqu'à présent guère, voire pas de formation à la communication.
Mme Jeannine Leduc. Vous dites à juste titre que pour savoir ce que doit être la fin de vie, il faut considérer la manière dont on veut soi-même être soigné, pris en charge en phase palliative et mourir. Vous avez également raison quand vous dites que notre législation doit s'en inspirer largement.
J'aime vous entendre dire que l'idéal est de mourir entouré de soignants et de sa famille. Mais vous savez probablement bien mieux que moi combien de personnes, que ce soit chez elles ou en milieu hospitalier, crèvent passez-moi l'expression dans la plus grande solitude. Je vous crois quand vous dites que les gens reculent les limites de leur douleur. Je l'ai constaté chez certaines personnes. La force de résistance n'est pas identique pour tout le monde. Je me demande ce qui est pire : pouvoir et vouloir supporter la douleur ou mettre un terme au processus de vieillissement ? J'aimerais connaître votre avis sur la question.
Vous dites qu'il vaut mieux contrôler d'abord. Que faire alors des personnes dont la douleur est insupportable ? Attendre que nous ayons suffisamment d'expérience ? Je ne peux imaginer qu'étant infirmière, vous proposiez cela.
On parle souvent de phase terminale et non-terminale. Vous affirmez que les phases terminales ne durent plus longtemps. Moi, je connais des personnes qui se sont trouvées en phase terminale pendant plus de huit mois. Ne faut-il pas les aider ?
Vous dites que les soignants sont parfois plus enclins que le patient à considérer que la douleur est insupportable. Mais en fin de compte, qui ressent la douleur ? Le patient. C'est lui qui ressent la douleur et la détresse. Les patients sont parfois très forts, mais que faites-vous des 80 % qui ne le sont pas ?
Mme Chris Aubry. Je voudrais d'abord répondre à cette dernière question. Des soins adéquats augmentent substantiellement la force de résistance des patients. Cette force peut aussi varier selon le moment. Des études ont montré que les patients pouvaient changer d'avis d'une heure à l'autre. Qu'est-ce qui fait la différence ? La présence de la douleur, mais également les distractions, le fait qu'il peut y avoir autre chose. Voici un exemple. Lorsque les patients reçoivent de la visite, ce qui représente une distraction, cela leur permet de reculer les limites de leur douleur. Au moment où les visiteurs s'en vont, le patient fait savoir que sa douleur augmente. Je parle de la douleur que le patient affirme ressentir. Je ne juge pas du caractère supportable ou non de la douleur. Je suis là pour contribuer à la soulager. La force de résistance dépend de nombreux facteurs. Vous parlez de la solitude et du miroir du processus de vieillissement. Le miroir, c'est l'autre. En l'absence de l'autre, je n'ai personne pour attester de ma dignité. Mon miroir devient alors beaucoup plus lourd à porter que lorsque je suis soutenu, accepté et respecté par les êtres qui me sont chers. J'estime qu'il est faux de penser que l'euthanasie constitue une réponse à cette solitude.
Mme Jeannine Leduc. Nous ne pouvons pas créer pour tout le monde cet encadrement, cette famille qui prend soin du patient. Pour 50 % des gens, la famille n'a plus cette attention ou n'y consacre plus le temps nécessaire.
Mme Chris Aubry. Dans notre société, les mentalités ont tellement évolué que s'occuper d'autrui a moins de valeur que jamais. La société est plus utilitariste que jamais et devenir dépendant est considéré comme sordide. Il faut en revenir à une mentalité où s'occuper d'autrui peut être bien. Je ne sais pas non plus comment faire concrètement pour atteindre cet objectif, je crains seulement qu'un regard plus libéral sur l'euthanasie soit une excuse pour y accorder moins d'attention. Il existe malgré tout une forme d'aide. Laisser quelqu'un mourir dans la solitude est indigne, donc, finissons-en. Le patient le demande lui-même puisqu'on tient devant lui le miroir de sa déchéance que les autres ne veulent pas regarder.
J'ai déjà dit que le fou du village et le vieil homme sénile avaient disparu de nos rues. Les jeunes ne sont plus confrontés au vieillissement et à la déchéance. Les médias et l'ensemble de la société leur présentent le vieillissement comme un processus répugnant. Ce n'est pourtant pas nécessairement le cas; cela devient répugnant à partir du moment où le spectateur trouve répugnante la personne en question.
C'est là que se trouve ma dignité. Une des principales valeurs de ma vie est le respect et l'acceptation par l'autre de mon identité, quelle qu'elle soit. Par l'idée que nous ne devons pas laisser les gens crever, on passe en partie à côté de cette valeur. Cette solution est trop facile.
Mme Jeannine Leduc. Je ne pense pas à une solution de facilité, mais à la réalité, que vous connaissez indubitablement mieux que moi.
Mme Chris Aubry. Je pense aussi à la réalité.
Mme Jeannine Leduc. Je considère moi aussi que l'éducation néglige l'apprentissage des valeurs et des normes. On accorde plus d'attention au transfert de connaissances. Ces valeurs et ces normes sont identiques pour tout le monde, que l'on ait reçu une éducation catholique ou laïque.
Lorsque je parlais de miroir, il ne s'agissait pas du même miroir que le vôtre. La manière dont on souhaite soi-même mourir doit être le miroir que l'on présente aux autres. Ce que l'on veut pour soi-même doit également valoir pour les autres. Or, nous en sommes loin. Lorsqu'une personne affirme que sa force de résistance est épuisée, qu'elle ne peut plus continuer et que la déchéance et la détresse sont devenues trop grandes, lorsqu'elle ne peut plus penser ou agir, qu'elle est devenue totalement dépendante et a perdu le contrôle de ses fonctions corporelles, si cette personne dit vouloir partir, elle doit pouvoir partir.
Mme Chris Aubry. Je ne le nie pas. J'ai seulement voulu montrer que les conditions nécessaires pour rencontrer la demande de personnes qui ne disposent plus de la force de résistance requise ne sont pas encore remplies. Même si tous les soins de santé fonctionnaient bien et que toutes les conditions étaient remplies, il restera toujours des demandes d'euthanasie qu'il faudra rencontrer d'une manière ou d'une autre. Je pense toutefois que nous devons essayer de passer par les étapes précédentes.
Mme Jeannine Leduc. Il faut faire les deux en même temps.
Mme Chris Aubry. Alors il faut être prudent. Vous avez parlé des commissions de contrôle. Je ne souhaite pas que le patient souffre en attendant l'avis de ces commissions. Je ne parle pas de l'éventualité que ces départements ne disposent pas du savoir-faire technique suffisant mais plutôt que le processus d'apprentissage de la réflexion éthique ne soit pas complet. Il faut prendre un peu de recul par rapport à ses propres émotions et considérer la réalité du patient. En arriver à une réflexion éthique est un long processus d'apprentissage. Avant de prendre une certaine décision, il faut effectuer un contrôle approfondi. Il faut éventuellement y impliquer l'ensemble de l'équipe. Le témoin précédent a déjà indiqué que l'on peut répondre à la question de différentes façons. Les commissions ont aussi un rôle à jouer après l'acte : elles doivent fournir un feed-back aux personnes qui ont pris la décision. Elles doivent savoir que certains processus se sont déroulés en âme et conscience mais qu'il y a eu certains manquements. Il faut transmettre cette expérience de manière à ce que les personnes qui l'ont vécue puissent évoluer. C'est ce que j'entends par commissions de contrôle. J'espère qu'on décidera rapidement que tout le monde doit disposer de ce savoir-faire. Il n'est pas nécessaire d'attendre des années, cela peut être réglé dès demain. Il s'agit toutefois d'un processus d'apprentissage délicat et il faut donner aux gens le temps d'apprendre. Cela ne signifie pas que nous devions attendre qu'ils aient appris. Il faut être prudent et appliquer la loi de façon dynamique. Il faut d'abord élaborer une réglementation accordant une grande attention aux exigences de prudence. Il faut veiller à ce que les personnes concernées aient pu parcourir un processus d'apprentissage. À un certain moment, on est alors prêt à aller plus loin. J'ai le sentiment qu'on veut actuellement parcourir quatre étapes en une. Je ne dis pas que l'on ne pourra jamais passer à l'étape ultime, mais c'est encore trop tôt.
Mme Jeannine Leduc. Lorsque la personne qui souffre le demande, il faut passer à l'étape ultime. Nous avons par ailleurs le devoir de résoudre les autres problèmes. Nous travaillons depuis de nombreuses générations à une société idéale, mais nous savons que l'homme est souvent faible et que d'autres facteurs jouent un rôle.
Mme Chris Aubry. J'espère que la législation tiendra compte du fait qu'il faut remplir les conditions. Votre réalité diffère de celle des infirmières qui sont tous les jours au chevet des patients et font tout pour les aider. Je ne vous le reproche pas, mais je veux seulement rapporter ce que vivent actuellement les infirmières de notre pays.
Mme Mia De Schamphelaere. Je désire remercier chaleureusement Mme Aubry, parce qu'à la fin de cette journée, elle nous a apporté de nouveaux éclairages reposant sur l'expérience vécue et une réflexion approfondie. Elle a déjà répondu à un grand nombre de mes questions, concernant par exemple la commission de contrôle.
Les Pays-Bas ont une politique très tolérante. Mais il n'existe encore aucun pays disposant d'une loi sur l'euthanasie telle qu'elle est proposée ici. Nous n'en connaissons donc pas les conséquences sociales. C'est pourquoi changer les choses pas à pas constitue une sage méthode. La frontière entre liberté et contrainte est en effet ténue.
Pour ce qui est de la commission de contrôle, j'aimerais que Mme Aubry me dise qui doit en faire partie selon elle. Elle a en effet prouvé que ceux qui sont impliqués au plus près dans la souffrance des autres sont aussi ceux pour qui l'euthanasie met un terme à leurs propres souffrances. D'un côté, les membres de cette commission de contrôle doivent bien connaître le patient et ses capacités réelles, mais d'un autre côté, nous devons éviter qu'ils ne prennent des décisions pour se débarrasser du patient ou de leurs propres souffrances.
Mme Chris Aubry. Le principal critère est pour moi que la composition de la commission n'alourdisse pas ou ne complique pas le processus. Cela n'aiderait personne.
Mme De Schamphelaere cite par ailleurs un élément important : les personnes les plus impliquées doivent pouvoir participer au processus de décision. Pour moi, il s'agit du personnel soignant, sauf demande contraire du patient. De par leur implication et leur relation avec le patient, les infirmières peuvent fournir de nombreuses informations.
Elles doivent cependant avoir la possibilité de confronter leur savoir, leur savoir-faire et leur réflexion éthique avec d'autres personnes. La nature de ces autres personnes peut dépendre de la situation. Il peut s'agir d'un psychologue n'appartenant pas à l'hôpital, d'un médecin ou encore d'une autre infirmière.
Nous devons encore apprendre à mener le débat éthique. Nous n'en sommes en effet qu'au début d'une série de dilemmes éthiques. Je pense au diagnostic prénatal, aux manipulations génétiques et j'en passe. Le débat éthique requiert tout un processus d'apprentissage. La formation consacre peut-être trente heures aux soins palliatifs et terminaux, mais beaucoup moins à l'apprentissage des problèmes éthiques. C'est tous les jours, à travers la pratique, qu'il faut y consacrer du temps. C'est en forgeant qu'on devient forgeron.
La composition de la commission de contrôle peut aussi varier selon la nature des patients. Elle sera évidemment différente pour les personnes séniles, les patients cancéreux, les malades atteints de sclérose en plaques etc.
M. Philippe Mahoux. Je voudrais simplement vous faire remarquer, Madame, que, quand vous parlez du temps qu'on a, nous n'avons pas le même temps que ceux qui sont en fin de vie, qui souffrent et demandent une mort digne. Je crains que le temps que vous demandez qu'on prenne ne soit pris permettez-moi l'expression sur le dos de quelqu'un qui ne pourra pas bénéficier de la mort digne et programmée qu'il souhaite obtenir parce que la loi reste ce qu'elle est.
Par ailleurs, vous craignez les dérives de facilité. Pensez-vous sincèrement je suis certain que non que toute réponse apportée par des médecins et par l'équipe soignante à une demande de mort digne puisse être facile ? Ce n'est jamais facile et donc je pense que cette crainte n'est pas fondée. Il est plus facile de ne pas répondre à ce type de demande que d'y répondre. Il est plus facile de contourner la chambre d'un mourant que d'y entrer, de s'asseoir, de l'écouter, d'entendre sa demande et d'y répondre. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire quand vous évoquez le danger de facilité qui existerait dans le cadre d'une loi telle que proposée.
Je profite de votre expérience et de votre présence ici pour vous demander ce que vous pensez de la situation des patients qui entrent dans des unités de soins palliatifs sans connaître la nature de cette unité. Selon certaines informations qui nous ont été communiquées, il existe des services de soins palliatifs où 60 à 80 % des patients ignorent la nature réelle de la structure au sein de laquelle ils se trouvent.
On a évoqué des problèmes géographiques auxquels je ne crois pas. En revanche, comment expliquez-vous que, dans des unités de soins palliatifs de nature identique, avec des pouvoirs organisateurs philosophiquement semblables, on parle, pour l'une, de 18 % de demandes d'euthanasie et, pour l'autre, de 4 pour mille ? Je suis surpris par de telles différences et je souhaiterais connaître votre opinion. Constatez-vous des différences, en termes de formulations de telles demandes, ou bien s'agit-il de différences dans l'interprétation de ces demandes ?
Mme Chris Aubry. Je répondrai d'abord à votre dernière question.
Je n'ai pas suffisamment d'expérience dans les différents départements pour pouvoir noter les différences. Votre question consiste cependant à savoir si c'est la demande ou l'interprétation qui est différente. Une personne qui pense que l'on peut dépasser la frontière de la vie interprétera peut-être cette question d'une autre manière qu'un soignant qui estime que l'on ne peut franchir cette frontière. Soeur Léontine dit que son département ne prodigue pas de soins palliatifs mais que le patient est réorienté vers un collègue, ce qui fait refluer les demandes au sein de son département. Je pense que cela détermine probablement en partie la manière dont la demande est interprétée et traitée. Je ne sais pas si les patients de Soeur Léontine, qui ne reçoivent pas de réponse, sont plus malheureux que ceux qui reçoivent une réponse. Il faudrait vérifier la qualité des soins dont ils bénéficient.
M. Philippe Mahoux. C'est sur la demande et non sur la réponse. En réalité, nous avons obtenu deux statistiques. Je ne parle donc pas du tout des réponses, mais de l'enregistrement des demandes. D'un côté, on nous parle de 18 % qu'on peut réduire à 9 et, de l'autre, de 4 %. Je vous demande donc simplement votre avis sur cette différence, ou bien de demandes qui sont formulées, ou bien d'enregistrement de ce qui est formulé comme une demande d'euthanasie.
Mme Chris Aubry. Je crois que cela dépend, en partie tout au moins, de la vision de la personne qui entend la demande. Il est normal que quelqu'un qui envisage l'acte entendra la demande autrement. Cela ne veut pas dire que la demande n'est pas rencontrée par les autres. Ceux qui n'envisagent pas aussi facilement l'acte ne refusent pas d'entendre la demande. Ils essaient quand même d'en tenir compte.
M. Philippe Mahoux. Ces divergences m'avaient vraiment étonné. Elles sont très impressionnantes.
Mme Chris Aubry. On ne sait pas comparer si les 18 % dans un cas seraient aussi contents que les 4 %. C'est là le problème, évidemment.
M. Philippe Mahoux. Ce n'est pas du tout l'objet de ma question. Ma seconde interrogation porte sur l'accès des patients aux centres de soins palliatifs sans qu'ils soient au courant. Comment cela peut-il se passer ?
Mme Chris Aubry. Cela ne m'étonne pas. Je pense qu'un grand nombre de patients ne se retrouvent jamais en département palliatif, même s'ils le souhaitent. C'est un problème qui concerne les informations médicales et la manière dont on traite la vérité. C'est précisément une des principales conditions d'autonomie des patients. On ne peut agir de manière autonome et prendre ses responsabilités que si l'on est libre et suffisamment expert. Pour un patient, être expert signifie que le soignant transmet suffisamment d'informations. C'est ici que le bât blesse. Transmettre de mauvaises nouvelles est une première étape. Les médecins rencontrent encore des difficultés à cet égard parce qu'il n'ont pas ou pas suffisamment été formés à cet aspect. Une enquête européenne portant sur plus de 500 médecins prouve que pour plus de la moitié des médecins, cet aspect ne faisait pas partie de leur formation. Leur problème n'est donc pas qu'ils ne peuvent pas en parler, mais qu'ils en ont peur. Certains patients se retrouvent donc en département palliatif sans le savoir, alors que d'autres n'y arrivent jamais parce qu'ils ne savent pas que cela pourrait leur faire du bien. Aujourd'hui, tout le monde ne sait pas ce à quoi il a droit. Dans les départements ordinaires, de nombreuses personnes sont confrontées à des patients qui crèvent littéralement, comme l'a dit le Dr Distelmans. Beaucoup de soignants croient encore aux légendes qu'on raconte sur la morphine. C'est donc mal informés que les patients arrivent dans les départements de soins palliatifs. Les Pays-Bas et les pays anglo-saxons éprouvent beaucoup moins de difficultés à annoncer la vérité. Je ne suis pas partisane de dire crûment aux patients ce qui les attend. L'annonce de la vérité doit être dosée et tenir compte de la capacité de résistance du patient. En ce moment, elle est cependant plus adaptée à la capacité de résistance des personnes qui doivent annoncer la vérité. Il faut donc continuer à développer les droits du patient. C'est nécessaire non seulement pour les médecins, mais aussi pour les infirmières.
Je voudrais revenir sur la remarque selon laquelle nous n'aurions pas assez de temps.
Je ne demande pas qu'on prenne trop de temps; je demande que l'on prenne des mesures en même temps. Je veux avoir la certitude que l'on va tout aussi bien contrôler les mesures que le reste.
M. Philippe Mahoux. Si je comprends bien ce que vous dites, quand vous évoquez le temps, vous parlez de la simultanéité entre ce qu'on peut affecter au développement des soins palliatifs et le travail que l'on peut effectuer pour la prise en compte de demande d'une mort digne, y compris d'une mort programmée.
Mme Chris Aubry. La manière dont il faut tenir compte de la déclaration de volonté anticipée et des patients incapables d'exprimer leur volonté est en fait un autre problème.
Je crois qu'il faut un certain recul avant de parler des autres et de savoir ce qu'ils veulent ou non et ce qu'ils voulaient ou non.
M. Frans Lozie. Nous sommes tous d'accord au sein de cette commission pour dire que notre travail législatif ne concerne pas encore les personnes incapables d'exprimer leur volonté. Je veux rassurer Mme Aubry à ce sujet.
Mme Chris Aubry. Je ne peux que m'en réjouir.
M. Nathan Clumeck. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner. Vous avez eu le mérite et le courage d'avoir ouvert un débat de société qui, à mes yeux, dépasse largement la question du « comment mourir » pour poser celle beaucoup plus large du type de prise en charge médicale que veut notre société, de ses limites et de ses enjeux.
Je témoigne ici en tant que médecin laïque, issu de l'Université Libre de Bruxelles et qui, dans ma pratique médicale depuis 20 ans, s'est principalement occupé du syndrome d'immunodéficience acquise, le sida, dont tout le monde connaît l'impact sur la santé publique. Avec le sida, maladie incurable et rapidement fatale sans traitement, j'ai été confronté d'une manière paradigmatique aux situations médicales et aux interrogations éthiques et sociétales qui sous-tendent le débat actuel. Cela a, bien entendu, eu des conséquences sur mon évolution personnelle en tant qu'homme et en tant que médecin. C'est ainsi que, parfois, mes positions sont perçues comme atypiques par rapport au milieu philosophique et universitaire dont je suis issu. Entre autres, j'ai été amené à relativiser l'hospitalocentrisme et la médecine fragmentée en hyperspécialités, pour développer une approche globale médico-psycho-sociale de la maladie qui je, le pense, est extrapolable à d'autres pathologies médicales.
En me référant à mon expérience, je voudrais distinguer trois périodes au cours de ces années passées.
Pour la première période, situons-nous au début des années 80, moment où des hommes et des femmes jeunes venaient mourir dans nos hôpitaux sans qu'on puisse faire grand-chose, sans même qu'on comprenne ce dont ils souffraient exactement. Pour moi, jeune médecin à l'époque, formé en médecine interne et en réanimation à la médecine triomphante dans ces progrès technologiques, le choc de la remise en question fut terrible. Nous étions confrontés à une impuissance totale face à une vague dont nous avions le sentiment qu'elle pouvait tout emporter. Les soins palliatifs à cette époque n'existaient pas : s'ils avaient existé, on n'aurait pas eu le temps de les appliquer vu la rapidité de l'évolution du sida. Quant à la question de l'euthanasie, elle ne se posait pas; en effet, chaque jour gagné sur la mort était une petite victoire qui permettait de tenir jusqu'à l'échec qu'on savait inéluctable dans un proche futur. Très rapidement, au cours des mois, le nombre de malades hospitalisés a augmenté. Dans mon hôpital, dont je n'étais pas encore le directeur général, on me rapportait que certains commençaient à s'élever contre ce qui était perçu comme un « envahissement » par les cas de sida. Plus grave encore, certains de mes confrères se demandaient s'il était opportun de se battre pour des malades qui, de par leur comportement homosexuel, toxicomane ou autre, étaient considérés finalement comme des déviants de la norme sociale. Certains insinuaient même que ces malades, finalement, avaient cherché ce qui leur arrivait.
Il me peine évidemment de raconter publiquement ce genre d'attitude haïssable qui déshonore la profession médicale, mais nous savons tous qu'en situation de crise ou de pénurie, les propos se radicalisent et deviennent réducteurs et simplificateurs. Et ces propos appliqués, hier, aux sidéens considérés comme des déviants sexuels, pourquoi ne s'appliqueraient-ils pas, demain, à d'autres catégories de patients vulnérables considérés dans une société marchande comme « inutiles, ou trop coûteux » ? Nous frôlons déjà ces dérives dans des pays où l'économie est plus libre et où le marché dicte sa loi. Sous la pression économique, la médecine risque de devenir utilitariste (ne faut-il pas soigner particulièrement et prioritairement ceux qui sont encore productifs, actifs ?) et moralisatrice (est-il raisonnable d'opérer des artères coronaires un malade qui persiste à vouloir fumer ?). Ces raisonnements d'exclusion, dont la logique est perverse, sont déjà d'application par les assurances santé avec bonus-malus de certaines compagnies américaines. À titre d'exemple, je vous signale qu'une étude américaine récente a démontré qu'en cas de problème cardiaque grave, ceux qui avaient un revenu économique élevé étaient statistiquement mieux et plus vite traités et avaient une meilleure survie que les autres.
La deuxième période de mon histoire débute à la fin des années 80; les premiers traitements contre le VIH étaient devenus disponibles, surtout dans le cadre d'essais cliniques, et les résultats commençaient à être plus encourageants. De fait, les malades ne mouraient plus dans les semaines de leur admission à l'hôpital; on arrivait à les stabiliser mais, malheureusement, la rechute était inévitable avec parfois trois à quatre hospitalisations dans l'année, qui aboutissaient après deux à trois ans au décès. C'est à ce moment que, confrontés à la douleur des patients, à leur angoisse de décrépitude devant les atteintes multiples d'organes vitaux, nous avons dû transformer le modèle dominant sur le plan organisationnel d'une médecine hyperspécialisée, orientée sur l'organe malade plutôt que sur le patient. En tâtonnant et par étapes successives, nous avons pu développer une approche globale du patient vu en tant que « personne totale », approche où l'ensemble des problèmes du patient, tant médicaux que psychologiques ou sociaux, étaient envisagés dans un travail d'équipe pluridisciplinaire, collaborant avec des relais extrahospitaliers d'associations de soins à domicile. C'est pendant cette période que nous discutions pour chaque patient la limite entre l'obstination thérapeutique (qui consiste à se battre parce qu'on est convaincu qu'un traitement, même expérimental, pourra améliorer la situation et fera reculer l'inévitable ...) et l'acharnement thérapeutique (qui impose, parce qu'on refuse la mort du patient vécue comme un échec personnel, des traitements futiles parfois douloureux et agressifs ...). C'est par l'obstination thérapeutique de certains que les connaissances médicales progressent pour le bien de tous et que le pronostic de certaines maladies change parfois de manière spectaculaire en quelques années.
C'est pendant cette période là aussi que comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous avons développé une approche palliative. Au début, nous avons tâtonné, nous n'avions aucune formation dans ce domaine et les arrêtés royaux réglementant cette pratique n'étaient pas encore nés. Mais il est apparu progressivement que cette approche respectant l'autonomie et la dignité des patients se situait « naturellement » dans le continuum de notre prise en charge globale et qu'elle répondait tant aux besoins des patients qu'aux demandes des familles et à l'attente du personnel soignant. Dans certains cas où les soins continus se prolongeaient pendant plusieurs semaines, devant les contraintes financières imposées par une unité universitaire de soins aigus, il nous fallait transférer certains de nos malades dans les rares unités de soins palliatifs existant à l'époque.
Pendant toute cette période où le diagnostic de sida signifiait la mort à plus ou moins brève échéance, nous n'avons été confrontés qu'à de rares demandes d'euthanasie qui persistaient après plusieurs entretiens avec le médecin ou le psychologue.
À titre exemplatif, et parce que c'est de nature à clarifier ma position dans le débat actuel, je voudrais vous rapporter ici deux d'entre elles. L'une, nous l'avons refusée avec persistance; l'autre, j'y ai répondu personnellement lorsque j'ai estimé, à l'époque, qu'il n'y avait pas d'autre alternative acceptable.
Dans le premier cas, il s'agissait d'un homme qui avait toujours caché à sa famille son homosexualité. Celle-ci, en même temps que le diagnostic de sida, fut révélée par le patient à sa famille, à l'occasion d'une hospitalisation pour une infection grave. Ce fut, bien entendu, un choc terrible pour les membres de cette famille qui ignorait tout de la vie intime de leur fils. Dans les mois qui suivirent, le patient fut réhospitalisé plusieurs fois pour des infections à répétition. Un matin, il exprima le désir d'en finir et évoqua une euthanasie qu'il souhaitait voir programmer dans les semaines à venir. Après quelques entretiens avec le médecin et la psychologue, il s'avéra que cette demande était sous-tendue par un énorme sentiment de culpabilité; le sentiment d'avoir gâché la vie de ses parents et de les avoir déshonorés socialement. Cette demande fut exprimée et retirée à plusieurs reprises en fonction de l'état de découragement du patient. C'est à ce moment-là et à notre grande surprise que la demande d'euthanasie fut relayée par la famille et, en particulier, par le père. Ce père, tout d'un coup omniprésent, portait ouvertement des jugements négatifs sur le comportement passé de son fils, d'une part, et semblait, d'autre part, s'inquiéter de ce qu'il qualifiait d'acharnement thérapeutique de notre équipe. Devant notre refus, vu l'ambivalence de la situation, de répondre à cette demande formulée par le père qui exigeait même que l'on fixe rapidement la date à laquelle l'acte euthanasique allait être pratiqué, la situation se dégrada rapidement sur le plan relationnel avec l'équipe soignante qui fut alors accusée d'« insensibilité » et de « dureté ». L'ambivalence et la théâtralité de la demande du fils persista encore quelques jours. Finalement, le patient accepta une approche palliative et demanda une discussion entre le psychiatre, sa famille et lui-même. Il sortit soulagé de cette discussion. Ce patient mourut quelques semaines plus tard d'une complication infectieuse, mais il était évident que, pour cette famille et pour le père en particulier, nous avions bafoué le droit à l'autonomie de leur fils.
Et c'est ici que je voudrais venir au coeur du débat de la proposition de loi actuelle. Si on s'en tient à l'énoncé de votre projet et dans l'hypothèse où la loi aurait existé à l'époque, ce patient aurait parfaitement pu être euthanasié légalement. En effet, il souffrait d'une maladie incurable, il en était profondément amoindri et présentait une souffrance qui ne pouvait à l'évidence pas être soulagée par des traitements. Cette souffrance, qui était d'ordre moral, le conduisait à exprimer une demande d'euthanasie, qui était réitérée et renforcée par la famille. Un confrère aurait pu témoigner de cet état de souffrance et il n'aurait pas été nécessaire, aux yeux du patient et de la famille, de consulter l'équipe soignante qui était qualifiée d'« insensible ». En tant que médecin traitant, j'aurais pu refuser de poser l'acte euthanasique, mais j'aurais dû me justifier par écrit dans le dossier et j'aurais dû transférer le dossier à un autre confrère convoqué par la famille. Ce confrère aurait pu très bien estimer que la relation entre le père et le fils n'avait rien à voir avec l'émergence du désir de mort du patient. Une déclaration a posteriori aurait été faite au procureur du Roi qui n'aurait rien trouvé à y redire, les conditions fixées par la loi ayant été remplies. Et si ce patient avait été euthanasié, cela aurait été, à mes yeux, un acte barbare, violent et déshumanisé couvert par la loi.
Le deuxième cas est celui d'un homme d'une quarantaine d'année, qui après plusieurs années de suivi sans problèmes, commença à présenter des complications infectieuses graves. Cet homme, grand voyageur, d'une grande culture et d'une intelligence fine, m'exprima lors d'une consultation son désir de ne pas se voir « transformé en légume », dépendant d'une machine, décrépit mentalement et physiquement. Il me demanda clairement de ne pas le laisser vivre si jamais cela arrivait. Sans rien promettre, je répondis que j'avais bien entendu sa demande. Son cas fut discuté lors de notre réunion d'équipe hebdomadaire et il se dégagea une majorité pour reconnaître qu'étant donné la lucidité du patient, la clarté et la persistance de sa demande, il serait bien difficile de s'opposer à son désir le moment venu. Toute la question était : quand cela serait-il d'application ?
Ce patient fut hospitalisé à nouveau quelques semaines plus tard dans un état d'insuffisance respiratoire aiguë; il suffoquait, agrippé à mon bras, son regard était suppliant et il parvint à murmurer que le moment était venu. L'évaluation rapide de la situation me convainquit que l'on pouvait encore tenter quelque chose médicalement. Je le rassurai en lui disant qu'il avait un pneumothorax bilatéral, qu'on devait lui mettre des drains dans les deux poumons et l'aider à respirer pendant quelques jours mais que tout irait bien. Effectivement, après quelques jours pénibles, le patient put sortir et reprendre sa vie normale. Malheureusement, trois à quatre mois plus tard, il revenait dans le même état de suffocation mais, cette fois-ci, la radio montrait que ses deux poumons étaient « blancs » : l'oxygène ne passait plus et les chances de survie devenaient infimes et nécessiteraient des moyens agressifs, tels qu'un passage au respirateur pendant des semaines sans qu'on soit sûr du résultat. Nous avons échangé un regard que je n'oublierai jamais, aucun mot ne fut prononcé. Il savait qu'il allait mourir et attendait que je l'aide. L'injection de calmant faite, il mourut paisiblement dans les heures qui suivirent.
Cet acte d'euthanasie fut dicté par des circonstances exceptionnelles et il avait fait l'objet d'une discussion préalable avec l'équipe. Il apparaissait comme un acte d'humanité et en cela, il pouvait à mes yeux se situer dans la transgression de la loi.
La troisième période est celle que nous vivons actuellement. L'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) reste toujours une maladie incurable mais elle est traitable avec des hauts et des bas, des évolutions variables et des situations encore dramatiques bien que plus rares. Peut-être encore plus maintenant que par le passé, les demandes d'euthanasie sont quasi inexistantes. Peut-être parce que nous essayons d'anticiper les problèmes potentiels et extirper les racines des situations d'impasse, parce que, peut-être aussi, notre équipe est animée par la conviction que des nouveaux traitements arriveront et que cet aspect est essentiel, même quand tout semble désespéré.
Mais, me direz-vous, il n'y a pas que le sida ! Ce qui a été fait, ce qui a été mis en place pour le sida n'a-t-il qu'une valeur limitée parce que « exceptionnelle » ou cela a-t-il valeur de paradigme pour les autres maladies incurables et chroniques ? Je suis personnellement convaincu que le sida, sur de nombreux plans, sur lesquels je ne peux pas m'étendre ici, a valeur de révélateur de dysfonctionnement de nombreux systèmes tant sociaux que médicaux et individuels. À cet égard, l'expérience que nous avons acquise et développée dans la prise en charge des patients infectés par le VIH a, à mes yeux, bien entendu valeur exemplative pour ce qui devrait se faire dans d'autres domaines de la médecine.
D'ailleurs, quand on sort du domaine du SIDA et que l'on se tourne vers d'autres maladies incurables telles que la sclérose latérale amyotrophique, maladie terrible qui conduit à une dégénérescence inexorable du système nerveux avec paralysie progressive et insuffisance respiratoire et décès dans les trois à cinq ans du diagnostic, on constate vis-à-vis du suicide assisté (seule forme d'euthanasie actuellement autorisée sous certaines conditions dans l'État d'Oregon aux États-Unis), dans une étude du New England Journal Of Medicine, que 56 % des patients avec une sclérose latérale amyotrophique ont répondu qu'ils considéreraient favorablement un suicide assisté. Mais un seul patient souhaitait cet acte dans un avenir plus ou moins proche qui restait néanmoins indéterminé. D'une manière générale, les patients qui refusaient l'alternative du suicide assisté étaient plus combatifs, se focalisant sur la résolution et l'amélioration de leurs symptômes, programmant une trachéotomie et une ventilation pulmonaire assistée, en cas d'insuffisance respiratoire, à domicile, dans une vision « d'espoir dans le futur ». Par opposition, ceux qui envisageaient le suicide assisté étaient plus souvent des hommes, moins religieux, d'un niveau de scolarité plus élevé. Mais le plus significatif, c'est qu'il n'y avait aucune différence entre les deux groupes concernant la perception d'être une charge ou une cause de stress pour l'entourage, la gravité des handicaps ou l'intensité de la douleur physique. Sur le plan psychologique, seul un sentiment de désespoir (« hopelessness ») caractérisait le groupe demandeur de suicide assisté.
Comment le soignant confronté à cette désespérance, qui se situe totalement dans « l'intersubjectivité », doit-il agir, réagir ? C'est bien là que réside la difficulté du débat sur l'euthanasie. C'est bien là que la prudence s'impose.
Pour conclure, je pense que si le débat actuel a le mérite de lever le tabou des actes euthanasiques commis dans la clandestinité et en infraction avec la loi, la proposition de loi actuellement discutée nécessite, à mes yeux, des amendements importants.
Les demandes d'euthanasie, telles que définies dans la proposition de loi, sont marginales et rares. Elles peuvent néanmoins représenter la seule alternative dans des « circonstances exceptionnelles » qu'il conviendrait d'inventorier et de définir après une période d'évaluation, période qui est d'ailleurs prévue dans le projet de loi.
Une déclaration a posteriori n'a aucun sens. Elle n'a aucune vertu pédagogique, elle vise à permettre au procureur du Roi de se saisir des rares cas en infraction avec la loi, mais qui va déclarer quelque chose alors qu'il sait être en infraction ? Le plus probable, c'est que dans les cas douteux, il n'y aura pas déclaration, comme cela se passe en Hollande dans plus de 20 % des cas.
Dans le colloque singulier avec son patient, le médecin est in fine le seul détenteur de la décision finale. Afin qu'il ne porte pas seul le poids parfois lourd d'une décision difficile, outre l'avis d'un collègue indépendant expert en la matière, il devrait également éclairer la demande du patient de l'avis de l'équipe soignante et de l'équipe soins palliatifs si elle existe localement.
Enfin, une fois toutes les conditions réunies, une déclaration « préalable » résumant les caractéristiques du cas devrait être faite à une instance à définir. Loin de se situer dans une approche de tribunalisation de la demande, cette « instance », composée de personnes indépendantes et « sages », serait chargée, en cas de situations discutables ou douteuses, de demander au médecin de revoir avec son patient et un soutien extérieur les tenants et aboutissants de la demande d'euthanasie.
La récolte des déclarations préalables au niveau des différentes instances constituerait le matériau permettant, après une période déterminée, de revoir de la manière la plus objective possible les définitions et les bases d'une bonne pratique pour le futur.
Pour terminer, je regrette que la proposition de loi actuelle n'aborde aucunement les situations les plus fréquentes et les plus problématiques en clinique, celles des patients qui n'ont pas fait de testament de vie et qui inconscients, semi-conscients, plus ou moins scléreux, débilités ou déments, sont perçus comme un poids par les familles, par certains homes, par certains hôpitaux ... C'est probablement pour ces patients-là que la plupart des euthanasies clandestines se déroulent. C'est pour ces patients-là que le risque est le plus grand, dans un contexte législatif tolérant, que des pratiques euthanasiques pour raisons économiques se développent. Je ne pense évidemment pas que ce soit dans l'intention du législateur actuel de susciter ou de favoriser ce type de pratiques. Il reste néanmoins qu'au niveau des institutions de soins et en particulier les hôpitaux, nous sommes soumis à des contraintes économiques de plus en plus sévères. En tant que directeur médical d'un hôpital public, je peux témoigner que le prix de journée attribué à notre institution, source importante de financement de notre hôpital, est dépendant de la réalisation de certaines performances médicales. Ces performances se situent pour l'instant, entre autres, au niveau des durées d'hospitalisation et des taux d'occupation. Des mesures sont à l'étude pour étendre les indices de performance à certaines pathologies. Dans ce contexte de carcan financier, des glissements dans la logique gestionnaire et médicale risquent de survenir d'une manière plus ou moins volontaire ou consciente et ce, afin de maintenir à tout prix l'hôpital à son niveau le plus performant, afin de garantir l'emploi et les rétributions des médecins.
C'est dans ce contexte que je pense que l'on ne peut pas dissocier le débat sur l'euthanasie et les soins continus d'un véritable débat de société sur le droit des patients, le droit à la santé, et le type de médecine que nous souhaitons dans un pays où le nombre de personnes non économiquement productives et de personnes âgées est en constante augmentation.
C'est dans ce contexte que j'exprime mon extrême réserve quant à une dépénalisation de l'euthanasie.
Il n'y a pas d'urgence en la matière; des dispositions intermédiaires ou transitoires, tout en assurant une sécurité juridique au médecin et une protection au malade, permettraient d'élargir le débat actuel, de l'enrichir des réflexions qui se déroulent actuellement dans d'autres pays de la Communauté européenne, en particulier en France. Il faut prendre le temps, pour que la Belgique puisse se situer dans une cohérence européenne, plutôt que dans une singularité contestable.
M. Philippe Mahoux. Je dirai d'emblée que je partage votre combat contre toute forme d'exclusion, de discrimination, par rapport à la maladie et, plus particulièrement, en ce qui concerne le sida, les attitudes rencontrées voici plus d'une dizaine d'années impliquant ce combat.
Dans le premier exemple que vous donnez, ce qui dénoue la situation par rapport à la demande formulée, c'est la consultation d'un psychiatre, un entretien, une brève psychothérapie du patient. Vous avez expliqué qu'il y avait lieu de décoder la culpabilité du malade et la raison de la demande d'euthanasie, relayée par la famille. Le danger, extrêmement important, était de ne pas pouvoir assumer, non pas l'état dans lequel le patient se trouvait, mais l'homosexualité qu'il faisait subir à sa famille.
Vous avez demandé la consultation d'un psychiatre et la demande s'est effacée suite à cet entretien, et donc à une décantation de l'objet et du fondement de cette demande. Je comprends donc parfaitement que vous n'y ayez pas répondu, même si la famille considérait que vous deviez y répondre. Vous soulignez, en effet, la difficulté que peut soulever l'intervention des familles. Mais, dans ce cas, par rapport à la demande, vous avez adopté la solution qui, médicalement, vous paraissait la meilleure. Par votre attitude, la demande a disparu. C'est une démarche d'ordre « thérapeutique » qui a été faite parce que la réponse a été donnée par une approche psychothérapeutique, même si elle est limitée.
Je comprends mal comment ce cas pourrait être utilisé dans le cadre de la problématique fondamentale d'une demande réitérée et d'absence de solution à la demande. Je vous rappelle que, dans la proposition de loi, il est prévu d'informer le patient de toutes les possibilités, y compris palliatives.
En ce qui concerne le problème d'a priori et d'a posteriori, nous connaissons vos positions. Vous parlez d'une structure tierce qui a un pouvoir de décision. Ce n'est pas un tribunal au sens juridique du terme, mais c'est quand même une structure décisionnelle qui sort du cadre du médecin et du malade. À cet égard, j'aimerais avoir votre sentiment. Dans la procédure prévue dans la proposition de loi, il y a toute une série d'obligations et, entre autres, celle de consulter un médecin tiers.
Le pouvoir ultime de décision, quel que soit le temps où la décision est prise ou rendue publique, a priori ou a posteriori, est également très important. Qui prend cette décision ? En ce me qui concerne, je considère qu'il revient au médecin de prendre cette décision à la demande réitérée du malade. Si j'ai bien compris, vous souhaitez rendre obligatoire un partage de décision vis-à-vis de tiers. J'aimerais connaître votre avis par rapport à ce partage de décision, cette structure tierce, et la consultation obligatoire, qui n'est peut-être pas la même chose dans votre chef, de personnes concernées par la problématique individualisée. Je voudrais ajouter que, si on lit bien la proposition de loi, le médecin doit en réalité s'enquérir auprès du patient s'il a pu consulter tout qui il voulait consulter. Je pense d'ailleurs qu'il est important que les médecins apprennent à s'asseoir en face des malades, se mettent à écouter et à discuter. En outre, il y a obligation de consulter à la demande du malade et, en tout état de cause, comme vous le faites d'ailleurs, la liberté du médecin, c'est de répondre tantôt oui, tantôt non à la demande, ou de dire oui conditionnellement, ce que vous faites dans la pratique. La différence et je voudrais avoir votre opinion à ce sujet c'est le caractère obligatoire de la consultation en dehors de la demande, sachant très bien que la responsabilité ultime n'est pas partageable. Elle revient au médecin et je trouve que c'est une responsabilité assez difficile à assumer.
M. Nathan Clumeck. Le premier cas peut être interprété dans tous les sens. J'ai évoqué ce cas et j'ai fait une démonstration par l'absurde. Il est clair que cette demande devait être rejetée. La situation était cependant plus complexe, parce que la demande avait été réitérée et que le patient refusait de rencontrer un psychologue ou un psychiatre. Nous nous trouvions donc devant un état de persistance de part et d'autre. J'ai voulu, en relatant ce cas, démontrer par l'absurde que s'il n'y avait pas eu de la part de l'équipe cette persistance, ce désir d'aller jusqu'au fond des choses, de prendre en charge les familles, etc., la loi telle que proposée aurait permis un acte euthanasique en partie dicté par la lassitude du personnel.
La grande inquiétude de mes collègues français a été exprimée par le président de la commission d'éthique nationale française, qui s'est précisément déclaré effrayé de constater la lassitude du personnel soignant. Dans un état de lassitude, quand il y a une demande pressante, je ne dis pas que c'est la solution de facilité, mais cela pourrait l'être, dans un contexte où la route est ouverte et pavée. Donc, ce cas est un cas limite mais je crois qu'il faut plutôt s'attacher à la démonstration par l'absurde qu'à l'énoncé du cas lui-même. La structure, que j'appellerais comité des sages, ou une instance qu'il faudra définir, à laquelle il faudra réfléchir, qu'il faudra accepter ou non, n'est pas , en ce qui me concerne, une structure décisionnelle. Je réponds donc négativement à votre question. Pour moi, il s'agit d'une structure non décisionnelle qui est amenée à dire : « L'histoire telle que vous me la racontez me semble exiger un approfondissement, une réflexion plus grande, même si les caractères décrits sont clairs. Donc, ne pourriez-vous pas réfléchir davantage ? »
Maintenant, si le médecin responsable dit « non, votre argumentation ne me convainc pas » et que le malade persiste dans sa demande, libre au médecin de l'assumer. Comme je l'ai dit dans ma présentation, la décision appartient in fine au médecin. C'est net.
En ce qui concerne le caractère obligatoire d'avoir des consultations, l'expérience nous apprend que si certaines choses ne sont pas clairement obligatoires, elles ne se réaliseront pas dans un certain nombre de cas. Ne parlons pas des unités de pointe, des hôpitaux ou des cliniques qui ont les moyens de prendre le temps. Parlons des gens qui sont isolés dans de petites structures. Il faut définir un cadre qui donne une sécurité. Le chauffeur de taxi qui m'a amené ce matin m'a dit « quand on ira à l'hôpital, il faudra quand même que l'on sache si c'est pour guérir ou pour mourir ». Les patients ont droit à une certaine sécurité et donc à ce que leur médecin s'entoure d'avis. C'est ma conviction profonde. Cela permet également au médecin de supporter le poids d'une décision. Je ne voudrais pas qu'on arrive à définir une catégorie de médecins « euthanasieurs » qui serait une sous-spécialité de la médecine, avec des médecins omnipotents, omniscients, qui n'estiment pas nécessaire de s'entourer d'avis puisque ce sont des spécialistes et qu'ils en ont vu d'autres.
Cette dérive serait extrêmement dommageable. Ce n'est certes pas l'intention du projet de loi mais une garantie supplémentaire ne fait pas de tort.
M. Philippe Monfils. Je n'interviendrai pas sur certaines des appréciations de détail du docteur Clumeck, comme le fait de savoir si une consultation de l'équipe est nécessaire ou non, parce que d'autres médecins sont d'un avis contraire au sien au nom de l'indépendance médicale.
J'ai à nouveau l'impression que l'on fait peser sur cette proposition de loi, finalement bien modeste, tous les problèmes survenus dans le domaine de la santé depuis plus de 20 ans.
Le docteur Clumeck est tombé dans ce travers puisqu'il a commencé son exposé en nous parlant des problèmes des patients sidéens en 1980 et en rappelant qu'à l'époque, des tentations existaient déjà d'éliminer les sidéens parce que s'ils l'étaient, c'était de leur faute et qu'ailleurs, dans certains pays, on n'opérait pas les malades « coronariens » s'ils n'avaient pas arrêté de fumer.
Tout cela, nous le savons mais, en 1980, parlait-on d'euthanasie ? Y avait-il une loi sur l'euthanasie ? Non. Mais les risques de mettre fin à la vie pour des raisons économiques ou pour d'autres raisons existaient déjà en 1980. Ce n'est pas la loi qui entraînerait ce phénomène.
Vous me direz que c'est un problème de santé qui découle de ce que les besoins ne sont pas satisfaits dans les services, ce qui induit le risque de voir à l'avenir des euthanasies économiques. Cela n'est absolument pas dû à la loi que nous pourrions voter au Sénat, mais à la capacité d'un État de satisfaire les besoins financiers dans le domaine de la santé. C'est un autre débat que nous devrions avoir. Chaque fois qu'un problème particulier se pose, il ne faudrait pas qu'il soit bloqué au profit d'une réflexion philosophique portant sur l'ensemble du secteur de la santé.
La même chose s'est produite autour du projet de loi sur la comparution immédiate actuellement en discussion, où l'on a fait tout le procès de la justice. À un moment donné, il faut s'arrêter. Il n'est ici question que d'une proposition relative à la décision d'euthanasie dans certaines circonstances. Il ne s'agit pas de reprendre l'ensemble de la problématique, d'autant plus que, comme l'avez dit vous-même, Docteur, le risque de déviations existe depuis longtemps et qu'il existera avec ou sans proposition de loi sur l'euthanasie. Si cette loi, ou une autre, n'est pas votée dans six mois, un an ou deux ans, on continuera à discuter c'est tout à fait logique des risques d'euthanasie économique.
Je ne comprends pas bien les deux exemples que vous avez donnés. La proposition de loi ne dit pas qu'il fallait faire ceci dans un cas et cela dans l'autre. D'ailleurs, vous avez pris vos responsabilités : dans un cas, vous avez refusé et dans l'autre, vous avez accepté. Si vous avez refusé, ce n'est évidemment pas parce que vous aviez peur de la loi : elle n'existait pas. Vous l'avez fait en conscience, en tant que médecin. En quoi une loi qui aurait été votée je pense à la proposition de loi actuelle aboutirait-elle dans votre chef à un raisonnement différent dans le premier et dans le second cas ? La seule différence est que dans le second cas, à partir du moment où vous répondriez à la demande d'euthanasie, vous auriez la garantie de ne pas être poursuivi par les tribunaux; ce qui est un élément important. Dans aucun des deux cas, la loi n'impose un comportement particulier. C'est une loi de procédure qui dit que si, dans certaines circonstances, le médecin accepte de pratiquer l'acte d'euthanasie et pour autant qu'une série de procédures soient respectées , il ne sera pas poursuivi.
J'ai aussi été étonné de vous entendre dire que la proposition de loi ne vise que les actes d'euthanasie active de personnes conscientes, mais qu'il y a également des actes d'euthanasie de personnes inconscientes et d'autres cas encore. Je comprends très mal qu'on nous reproche de légiférer dans un cas bien précis la personne consciente tout en nous reprochant de ne pas légiférer dans les cas d'inconscience, qui sont des cas extrêmement difficiles, d'ailleurs. Personnellement, je ne m'avancerais jamais dans un tel secteur, car ce serait s'attribuer l'appréciation constitutive du pouvoir médical, avec ce que cela entraîne, par exemple, en matière d'acharnement médical. En tant que législateur, je ne me sens pas capable d'appréhender ce genre de choses. Pour la sécurité juridique, et la sécurité des patients, il me paraît au contraire essentiel de ne légiférer que sur l'euthanasie de patients conscients et de donner un signal montrant que, pour nous, il n'est pas question de pratiquer des actes d'euthanasie ni sur les patients inconscients, ni sur les patients incapables, ni sur les patients mineurs. Là, le médecin se trouve aux limites de sa science et face à sa responsabilité. Nous ne légiférerons pas dans ce secteur, c'est très clair.
Vous avez également évoqué la nécessité de légiférer en raison de la lassitude. La semaine dernière, une infirmière nous a dit que dans certains hôpitaux, certains membres du personnel infirmier n'en peuvent plus : on pratique actuellement des actes d'euthanasie passive par lassitude, par épuisement, par incapacité à répondre sérieusement aux problèmes des patients. Je voudrais savoir si c'est vrai ou faux. En effet, les auditions se suivent mais ne se ressemblent pas toujours et tout le monde n'a pas nécessairement le même langage, même au niveau hospitalier.
Enfin, j'ai sous les yeux une interview de François Lemaire, président du Comité d'éthique des sociétés de réanimation de langue française, réalisée à la suite d'ailleurs de l'avis émis par le Comité éthique français à propos de l'engagement, éventuellement, dans la voie de l'euthanasie. Deux questions m'interpellent. À une question du journaliste, le professeur répond que, selon une étude de 1995 réalisée par questionnaire auprès de 140 anesthésistes réanimateurs de centres hospitalo-universitaires en France sous couvert de l'anonymat, 25 % d'entre eux répondent positivement à la question : « Vous arrive-t-il de provoquer le décès par injection de médicaments ? »
Une autre étude française de 1999 précise que 20 % des décisions de limitation ou d'arrêt de traitement actif sont des injections avec intentionnalité de décès. Que pensez-vous de ces chiffres qui me paraissent faramineux ? Vous dites que la proposition de loi que l'on vise ne concerne que quelques personnes.
Il est également demandé au professeur Lemaire si les progrès de la lutte contre la douleur et la loi de 1999 sur les soins palliatifs ont modifié la donne du débat sur l'euthanasie, à quoi il répond et j'aimerais avoir votre avis sur cette réponse que ces décisions sont très importantes et qu'elles devraient permettre de réduire le nombre d'euthanasies pratiquées pour de mauvaises raisons, mais pas de répondre au noyau dur des demandes, celles de patients lucides qui ne sont pas motivées par la peur d'avoir mal, mais par le refus de la déchéance. Partagez-vous la position de ce professeur français ?
M. Nathan Clumeck. Je vais essayer de suivre le fil rouge de votre pensée, car vous posez beaucoup de questions et vous soulevez beaucoup de problèmes.
En ce qui concerne la première partie de votre intervention, je ne pense pas qu'une approche globale telle que je la pratique soit condamnable. Mettre les choses en perspective permet d'avoir un regard. Il vous appartient de choisir la voie que souhaitez pour voir un problème. Si vous voulez le voir d'une manière pincée et limitée, c'est votre droit, tout comme c'est le mien de voir les choses d'une manière plus large. Moi, je situe les choses dans leur contexte et quand on parle d'un projet de loi sur l'euthanasie, je pense que je n'ai pas à me justifier d'essayer de situer cette problématique dans un contexte plus large des droits des patients, de la fin de vie, de la prise en charge des patients, etc.
Quant à la réflexion philosophique, je sais qu'on a tendance à la dévaloriser. Pourtant, l'histoire retient davantage le nom des philosophes que celui...
M. Hugo Vandenberghe. ... des hommes politiques (rires), surtout belges.
M. Nathan Clumeck. À mes yeux, la réflexion philosophique, quand elle n'est pas stérile et coupée de l'action, a un sens. Pour moi, elle est dans le réel. Je vous parle de mort en en ayant l'expérience. Beaucoup de gens ont émis des avis très avancés sans avoir jamais vu et assisté un patient mourant. C'est peut-être la différence, sans parler de philosophie.
M. Philippe Mahoux. Qui, par exemple ?
M. Nathan Clumeck. Je n'ai pas à citer de noms.
M. Philippe Mahoux. Si vous dites ce genre de chose, il faut également dire qui cela concerne.
M. Nathan Clumeck. Je n'ai pas à citer de noms. Je dis simplement que ce dont je parle, c'est le réel, avec une réflexion philosophique ancrée dans le réel.
En ce qui concerne le cas contestable que j'ai raconté, en quoi la loi obligerait-elle le médecin à pratiquer l'euthanasie ? Évidemment, la loi ne l'obligerait pas. Je le dis d'ailleurs dans ma démonstration par l'absurde. En tant que médecin, je refuserais. En racontant ce cas, j'ai voulu montrer la subjectivité et le fait que celle-ci, dans un contexte législatif particulier, pourrait conduire certains à appliquer la loi sans que ce soit critiquable et peut-être est-ce cela qu'il faut faire, je n'en sais strictement rien. Peut-être aurait-on soulagé cette famille si on avait euthanasié leur enfant. Je n'en sais rien.
Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une subjectivité et qu'il n'y a aucune obligation. Je vous remercie d'avoir précisé, dans la proposition de loi, l'absence d'obligation pour le médecin de pratiquer un acte euthanasique.
Vous dites que l'on vous reproche de légiférer. Vous m'excuserez, Monsieur Monfils, mais on ne vous reproche rien. On demande que la législation couvre l'ensemble des situations.
M. Philippe Monfils. Vous avez clairement dit qu'une loi n'était pas utile. Vous nous dites que l'on aurait dû aussi légiférer pour les patients inconscients.
M. Nathan Clumeck. Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que je n'étais pas favorable à la dépénalisation. Je n'ai pas dit qu'une loi sur l'euthanasie n'était pas utile. J'appelle de mes voeux une loi sur l'euthanasie, mais une bonne loi, une loi qui permette au médecin, au personnel soignant de ne pas hésiter entre la lassitude et la lâcheté.
Dans son interview, le professeur Lemaire, que je connais extrêmement bien, dit au Conseil national de l'Ordre que s'il n'aborde pas le problème de ces malades dont nous avons la charge tous les jours, il n'aura réglé qu'une petite partie du problème. Notre position est identique. Les chiffres du professeur Lemaire sont tout à fait applicables à nos hôpitaux.
M. Philippe Monfils. Cela veut dire qu'on pratique actuellement l'euthanasie.
M. Nathan Clumeck. Cela se trouve d'ailleurs dans le préalable de votre proposition de loi. Tout le monde sait que des euthanasies sont pratiquées.
M. Philippe Mahoux. Beaucoup le contestent.
M. Nathan Clumeck. Moi, je ne le conteste pas.
M. Philippe Mahoux. C'est très bien. Votre déclaration est très importante.
M. Nathan Clumeck. Évidemment. Que vous appeliez cela euthanasie ou endormissement subtil, il y a des moments où les soins sont arrêtés. C'est l'intention, l'intentionnalité qui compte. Il faut une loi sur l'intentionnalité. On ne peut pas laisser se faire n'importe quoi par lassitude, par manque de moyens, etc.
M. Alain Zenner. Je vous remercie pour votre intervention très intéressante. Ma question est très simple, mon but étant, à ce stade, de nourrir la réflexion plutôt que de débattre.
Vous avez présenté deux cas. Vous avez dit que vous vous portiez juge de la demande du patient dans les deux cas, la décision finale appartenant au médecin. Je voudrais vous demander si, dans le deuxième cas qui semble très proche d'un arrêt de l'acharnement thérapeutique, vous auriez agi autrement si le patient n'avait pas formulé de demande.
M. Nathan Clumeck. La réponse est clairement oui. Si aucune demande n'avait été formulée, j'aurais intubé le patient, je l'aurais placé en réanimation. À l'époque, les statistiques montraient en effet qu'il y avait une toute petite chance moins de 5 % que le patient se trouvant dans une telle situation dramatique s'en sorte. S'il n'avait pas formulé clairement sa demande, j'aurais tenté cette chance au prix peut-être d'une très grande souffrance pour le patient. À l'époque, de nombreux patients aux USA précisaient au préalable qu'ils refusaient l'intubation car les chances de survie étaient alors très minimes. On a ensuite assisté à une évolution intéressante, et c'est en cela que la perspective historique est intéressante, des traitements plus efficaces ont été mis au point. Grâce à ces traitements, un passage en unité de réanimation pouvait permettre au patient de sortir de la situation aiguë.
Dans le premier cas que j'ai exposé, il n'existait pas de traitement, les chances de survie étaient très minimes. Dans le second cas, en l'absence d'un testament de vie, je l'aurais très certainement intubé.
Quelques années plus tard, des traitements étant disponibles, je les aurais appliqués, même en connaissance d'une demande du patient.
M. Alain Zenner. La demande, l'expression de la volonté du patient, est donc capitale à vos yeux. Une question revient souvent et je me permets de vous la poser : y a-t-il, selon vous, un sens à exprimer cette demande dans un testament de vie, plutôt qu'au moment même ?
M. Nathan Clumeck. Il y a certainement un sens pour le patient. Pour certains patients, il est très important de pouvoir se projeter dans un avenir, dans certaines circonstances, dans ce que je suis obligé d'appeler un « fantasme de mort », puisque la mort n'est pas là. Dans ce fantasme de mort, certaines personnes ne s'imaginent pas plongées dans des circonstances qu'elles jugent contraires à leur dignité et à leur souhait.
Il est très important d'entendre les demandes et de prendre note du testament de vie. Pour moi, ce testament de vie n'est toutefois qu'une indication.
Dans le deuxième cas que j'ai présenté, la situation du patient était très complexe. Lors de sa première hospitalisation, il suffoquait autant que la deuxième fois. Je n'ai toutefois pas tenu compte de son testament de vie, de sa situation de suffocation et n'ai pas décidé de pratiquer un acte euthanasique. Je me suis d'abord demandé s'il n'était pas possible de faire quelque chose sur le plan médical, même au prix d'une souffrance.
Je pense donc que le testament de vie est important pour le patient. Il constitue une très bonne indication pour le médecin mais il doit être situé dans un contexte.
M. Hugo Vandenberghe. L'intervention était très convaincante. Je voudrais réagir à l'idée selon laquelle l'élargissement du débat sur l'euthanasie serait une erreur politique. Dans un tel débat, il est très important d'établir clairement le fondement éthique et philosophique de la discussion. Les choix politiques opérés en la matière ne peuvent uniquement s'appuyer sur des données chiffrées. Le choix d'une politique déterminée doit aussi se faire sentir. La question essentielle est en tout cas de savoir quelle valeur on accorde à la personne humaine; cette question a une dimension éthique et philosophique importante. Si on omet ces questions, on limite le débat, et je ne pense pas que cette intention soit partagée par l'opinion publique. Les considérations sur l'homme ont précisément apporté une dynamique dans la civilisation au cours des derniers siècles.
J'aimerais avoir deux précisions. La première concerne votre constatation et votre conviction que l'euthanasie doit rester punissable, mais avec une sécurité juridique pour le patient et pour les médecins. Vous avez fait référence au rapport français dans lequel on tire une conclusion : l'euthanasie doit être maintenue dans le code pénal, mais avec une possibilité d'exception sans description juridique précise. Selon vous, des normes déontologiques sont-elles suffisantes dans ce cas ou faut-il envisager une législation spécifique ?
Ma deuxième question concerne la consultation au moment de prendre une décision. Vous avez à juste titre souligné que d'autres personnes doivent être consultées lorsqu'une décision aussi importante doit être prise et que l'on n'est pas devant un tribunal. On dit souvent qu'une consultation n'est pas possible en raison des délais et parce qu'une procédure plus lourde accentuerait encore le côté inhumain de la situation. En fonction de votre expérience, pouvez-vous nous dire s'il est possible de consulter d'autres personnes ?
M. Nathan Clumeck. Des normes de déontologie suffiraient-elles ? Je pense que tout dépend de la manière dont l'Ordre des médecins est perçu et accepté, tant par l'opinion que par les médecins et par les pouvoirs publics. J'ai pu constater qu'en France, l'Ordre des médecins était un organe éminemment respecté. Le président de l'Ordre des médecins est venu avec son Code de déontologie, qui prévoit à ses articles 37 et 38, qu'il ne faut pas faire d'acharnement thérapeutique et qu'il faut faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la dignité du patient soit préservée. Et l'ensemble des médecins présents accepte le Code de déontologie français. Je ne connais pas bien le domaine du Code de déontologie mais je pense que le Code de déontologie français a été approuvé par le pouvoir public, ce qui n'est pas le cas en Belgique. De plus, en Belgique, et la presse en a fait récemment état, il existe visiblement ce qu'on pourrait qualifier de crise d'identité de l'Ordre des médecins. Des élections ont eu lieu récemment, il y a un nouveau courant ... Je pense que, dans le contexte actuel, la légitimité de l'Ordre des médecins est telle en Belgique qu'elle ne suffirait pas à garantir celle des normes.
Quant au délai de consultation, pour moi, l'acte euthanasique n'est pas une urgence médicale. Mais on peut être amené à le pratiquer dans l'urgence. C'est ce qui s'est passé dans le deuxième cas que je vous ai rapporté. Cependant, la réflexion, la clarification de « ce qu'on ferait si jamais cela arrivait » avait été entamée bien avant. À l'époque, il n'y avait aucune norme à laquelle se soumettre, donc la consultation était une discussion en équipe. Et dans notre équipe, la discussion est ouverte. Certains trouvent que l'euthanasie n'est pas bien, d'autres disent que c'est bien ... il y a discussion et c'est cela qui est important. Le mot « s'enrichir » d'une discussion, je crois qu'il faut l'accepter. Monsieur Mahoux, les médecins qui sont « l'indépendance médicale » pour reprendre les mots que vous avez utilisés ... L'indépendance médicale, cela sonne un peu paternaliste.
M. Philippe Mahoux. Je n'ai pas parlé de l'indépendance médicale...
M. Nathan Clumeck. Mais vous dites que certains médecins défendent l'indépendance médicale ...
M. Philippe Mahoux. Puisque vous m'attribuez ces propos, je tiens à souligner que je partage évidemment le souci d'un travail d'équipe. Je le dis et je le répète. Cela se trouve d'ailleurs dans le texte de loi. Vous m'attribuez peut-être une intention ou un propos que je ne partage pas. Je dis simplement que, comme in fine, la décision et la responsabilité appartiennent au médecin, le fait de rendre obligatoire même s'il faut la souhaiter une consultation de cette nature avec une structure tierce, signifie évidemment alors que quoique la responsabilité finale reste une responsabilité de médecin, la responsabilité serait partagée sur un plan juridique. C'est cela que je voulais dire. Bien entendu, il faut favoriser le travail d'équipe et favoriser au maximum toutes les consultations. Cela figure d'ailleurs dans la proposition de loi.
M. Nathan Clumeck. Je ne sais pas si, juridiquement, la responsabilité de la décision serait partagée parce que dans nombre d'actes médicaux, le médecin s'entoure d'avis, et s'il commet une faute médicale, il est le seul à l'assumer. Il ne dira pas que ses collègues lui ont dit de faire ceci ou cela. Votre intervention et celle de M. Vandenberghe posent la question de l'arbre décisionnel. Différentes étapes se présentent : il faut recueillir la demande, la filtrer, la compléter par des éléments d'information objectifs, puis la soumettre à une discussion. In fine il faut aboutir à une décision qui relève de la responsabilité d'une seule personne laquelle devrait être un médecin il n'y a qu'un commandant de bord dans un avion. C'est ma conviction profonde. Ce n'est pas une défense du pouvoir médical. Celle-ci consisterait à dire que le médecin décide et demande l'avis des autres s'il en a envie. Or, ce n'est pas le cas. On ne défend donc pas le pouvoir médical mais la pluralité des éclairages dans une décision donnée. C'est ce que l'on fait tout le temps dans la vie, du moins je l'espère, sinon on risque de se trouver dans des impasses. Pour moi, la consultation doit se dérouler avant et si les circonstances nécessitent un acte urgent, il faut le pratiquer en urgence mais, dans la majorité des cas, il n'y a pas d'urgence. On peut prendre le temps de discuter.
Mme Marie Nagy. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'intervention du docteur Clumeck. Je pense qu'il a accepté un élément important de la proposition de loi, à savoir qu'il y a aujourd'hui une pratique d'euthanasie dont il est difficile de parler. Vous l'avez fait de manière très ouverte mais vous accepterez de reconnaître nous en avons eu la preuve dans les auditions précédentes que l'on n'en parle pas facilement. C'est un vrai tabou, ce qui est normal puisque cette problématique est liée à la question de la mort.
Si j'ai bien compris, vous ne souhaitez pas qu'on dépénalise mais vous n'êtes pas opposé au fait de légiférer. La distinction est difficile à traduire en droit. Il n'empêche que vous reconnaissez que la pratique existe aujourd'hui et qu'elle est contraire à la loi pénale. Quand vous dites que vous avez accepté de répondre positivement à une demande d'euthanasie, vous êtes dans un contexte d'humanité, mais dans une situation difficile par rapport à la loi. Il faudra trouver une réponse. Si je comprends bien, vous n'êtes pas contre le fait de légiférer. Vous considérez qu'il faut aussi envisager une application plus large à des situations qui ne sont pas prévues, ce qui pourrait s'inscrire dans le cadre de la commission d'évaluation prévue par les propositions. Les cas des personnes qui n'ont pas exprimé une volonté et ne sont plus en état de l'exprimer sont extrêmement difficiles à résoudre pour le législateur.
Pensez-vous qu'il faille rendre obligatoire la consultation de l'équipe soignante ? Est-ce pour vous une condition à la possibilité de réaliser une euthanasie ? Oui ou non ? Le texte doit-il également être amendé sur ce point ?
J'ai deux questions à vous poser.
Souhaitez-vous que l'on touche au Code pénal ? Dans la négative, comment pourrait-on lever ce tabou ?
Par ailleurs, considérez-vous la consultation de l'équipe soignante comme obligatoire ? Et dans l'affirmative, comment la définissez-vous ? Nous avons en effet déjà eu de nombreuses discussions à ce sujet et je souhaiterais savoir si, dans un hôpital comme le vôtre, vous en avez une définition claire. Si cette définition n'existe pas ou si l'on se trouve en milieu extrahospitalier, comment régler cette question ?
M. Nathan Clumeck. À mon avis, la consultation de l'équipe soignante devrait être impérative. Il y a trop d'hôpitaux où la relation entre le médecin et son malade et celle entre le médecin et son équipe sont de type paternaliste. Je pense que le paternalisme appartient à l'histoire de la médecine. Aujourd'hui, la relation qui s'établit est une relation de partenariat. Et à cet égard, les pays anglo-saxons sont en avance sur nous. Le médecin et le patient sont des partenaires. Avec l'Internet, aujourd'hui n'importe quel patient peut se présenter avec une liste de médicaments et de propositions thérapeutiques dont le danger réside dans le fait qu'elles sont diffusées sur l'Internet sans aucune validation scientifique ! et demander pourquoi on ne les lui administre pas. Une telle situation était inimaginable il y a quinze ans : le patient remerciait son médecin et ne posait pas de question sur ses choix thérapeutiques. Actuellement, l'information circule de manière extraordinaire et plus personne n'est détenteur d'un savoir absolu et universel. Cela n'existe plus ! Le médecin doit accepter comme n'importe qui, en toute modestie, que son savoir puisse être enrichi par le contact avec d'autres personnes.
Quant au deuxième point, dans l'esprit de votre proposition de loi et lors des discussions que vous avez eues ici, vous avez clairement situé les soins palliatifs comme une alternative importante, voire préalable, à l'euthanasie. Or, vous ne pouvez pas imaginer des soins palliatifs sans une équipe. Il s'agit, par définition, d'un travail d'équipe.
Mon hôpital compte une équipe mobile de soins palliatifs. Quand celle-ci arrive dans une unité, le chirurgien est le plus souvent en salle d'opération depuis sept heures du matin, et les interlocuteurs de l'équipe mobile de soins palliatifs sont les infirmières ou le kinésiste, s'il est présent à ce moment-là. Si on considère ceux-ci comme des bonnes à tout faire ou des exécutants qui n'ont pas le droit à la parole, comment peuvent-ils dialoguer avec l'équipe de soins palliatifs ? Comment peuvent-ils dire par exemple : « Vous savez, la dame de telle chambre ne va pas bien. Elle a passé une mauvaise nuit. Les médicaments que vous avez prescrits ne donnent pas de résultat. Elle est angoissée et la famille vous demande. » C'est, bien sûr, un travail d'équipe. Pour moi cela mériterait des débats , la définition de l'équipe soignante pourrait se fonder sur certains concepts repris par l'INAMI, comme le résumé infirmier minimum le RIM. Devrait-on considérer que fait partie de l'équipe soignante celui qui remplit le RIM ?
M. le président. Qu'est-ce que le RIM ?
M. Nathan Clumeck. Chaque malade est attribué à une infirmière qui est chargée de noter tous les actes qu'elle a effectués. Ces derniers sont encodés. L'encodage permet de définir une lourdeur des soins qui est analysée par l'INAMI pour vous accorder des points en fonction desquels on augmente ou diminue le prix de la journée d'hospitalisation. On essaie ainsi de ne pas vous accorder de l'argent pour effectuer des tâches légères alors que ces sommes seraient nécessaires ailleurs. Donc, le RIM fait partie de la gestion journalière d'un hôpital. L'infirmière qui remplit le RIM fait certainement partie de l'équipe mais faut-il se limiter à elle ? Faut-il y inclure le kinésiste qui passe du temps à masser le malade, à le faire bouger, à l'entendre ?
Il est évident que ce que dit un patient à sept heures du matin à l'infirmière qui vient le laver n'est pas du tout identique à ce qu'il dit à midi au médecin qui passe entre deux actes techniques extrêmement importants. Le médecin doit entendre ce que l'infirmière a recueilli et vice versa. S'il n'y a pas confrontation de ce que l'on dit, il y a confusion et conflit dans les équipes. Les problèmes proviennent du manque de communication. Avoir une équipe, c'est établir la communication. Cela nécessite des efforts, un apprentissage. Dans notre hôpital, nous sommes en train de donner des formations en communication. La communication, cela s'apprend et la majorité des grandes multinationales ont des experts et organisent des séminaires dans ce domaine. Nous négligeons cet aspect fondamental qu'est la communication. L'équipe doit donc tourner autour de la définition de ce qui doit se partager et ce qui doit se communiquer.
Mme Marie Nagy. N'est-ce pas exceptionnel parce qu'il s'agit d'un hôpital de pointe ?
M. Nathan Clumeck. Non, je ne pense pas que ce soit exceptionnel parce qu'il s'agit d'un hôpital de pointe. Cela existe dans des petites structures, au sein d'associations de médecins généralistes qui rendent visite à leurs patients à domicile, cela existe dans des associations de soins à domicile. Je pense que la communication n'est pas l'apanage des grands hôpitaux universitaires.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Comme vous, Monsieur Clumeck, je crois qu'une loi ne peut pas s'imaginer en elle-même mais qu'elle doit se penser dans un contexte précis. C'est par rapport à ce contexte précis que je voudrais vous interroger. On sent que les pratiques médicales sont en pleine évolution, que le dialogue plus ouvert avec le personnel infirmier et soignant de manière générale ou les équipes de soins palliatifs dans des cas précis est une pratique qui commence seulement.
Actuellement, les patients ne sont généralement pas encore confrontés à ce type de médecine-là. Aujourd'hui, ils sont encore face à un médecin très puissant et à des équipes soignantes relativement puissantes également même si elles ont un autre type de rapports avec le médecin. Nous devons donc être très attentifs à cette situation.
En tant que Bruxelloise, je me pose des questions à propos de la population multiculturelle que vous rencontrez à Saint-Pierre. Ces patients éprouvent des difficultés à communiquer, ne fût-ce qu'au niveau de la langue, et à bien comprendre ce dont il s'agit quand on les soigne. Je voudrais savoir comment vous imaginez l'impact d'une telle loi qui donne énormément de pouvoir au médecin, même si c'est à la demande du patient. C'est en effet le médecin qui va décider s'il répond ou non à la demande. Comment pensez-vous qu'une telle loi peut être conçue concrètement aujourd'hui dans le cadre médical actuel et étant donné les pratiques actuelles ?
Deuxièmement, le professeur Vincent a dit lors de son audition que dans la majorité des cas, il s'agit de patients inconscients ou pour lesquels il est extrêmement difficile de distinguer les moments de conscience. Que pensez-vous dès lors d'une demande exprimée dans un tel contexte où la frontière entre conscience et inconscience est très difficile à cerner ? Comment situez-vous dans la pratique médicale de tous les jours les notions de patient capable, conscient et de demande répétée dont parle le projet de loi ?
Enfin, quelle pourrait être la conséquence d'une telle législation, même si elle est limitée à une demande dans le cas de malades conscients, sur la pratique médicale dans tous les autres cas qui ne sont pas visés par la loi ?
M. Nathan Clumeck. L'impact d'une législation en la matière vaudrait la peine d'être étudié. À mon sens, certaines populations comprendraient très mal, culturellement, ce que l'on propose.
Pour en revenir à l'hôpital comme « lieu de mourir », savez-vous qu'au début du siècle, les hôpitaux de l'assistance publique étaient considérés comme des lieux à éviter parce qu'ils étaient des mouroirs ? En effet, les soins y étaient épouvantables, les traitements déplorables et on y contractait un tas d'infections. Je vous rappelle que la fièvre puerpérale se transmettait d'un gynécologue à l'autre car ceux-ci ne se lavaient pas les mains entre deux accouchements et un passage en salle de dissection. La hantise des femmes était d'être amenées à l'hôpital, considéré comme le mouroir du petit peuple. Progressivement, l'image de l'hôpital public s'est modifiée, notamment au moment où les universités y ont investi et où l'on y a intégré les professeurs qui auparavant pratiquaient uniquement dans le privé. M. Monfils aurait dit : « Vous refaites encore l'histoire. » Mais cela est important.
Il ne faut donc pas que la perception de l'hôpital par le malade change à l'occasion d'une loi dont le bien-fondé peut être réel. Certains de mes patients africains ont des réticences énormes à se faire hospitaliser avec un diagnostic de tuberculose. Vous me direz que cette maladie se soigne, mais dans l'inconscient de ces gens, avoir la tuberculose et se faire hospitaliser, cela équivaut presque à une condamnation à mort. En effet, des membres de leur famille sont morts de tuberculose dans leur pays, sans traitements parce que ces derniers n'existaient pas ou étaient trop chers. Nous devons donc passer du temps à leur expliquer que l'hôpital va les soigner et qu'ils ressortiront guéris.
M. Philippe Mahoux. La crainte de beaucoup de familles et de malades par rapport à l'hôpital, c'est probablement celle que vous décrivez, mais c'est celle surtout de l'acharnement thérapeutique. Leur crainte, c'est qu'à l'hôpital, on leur donne des soins et on les prolonge sans prendre en compte la douleur. Il s'agit là d'un élément important de notre débat.
M. Nathan Clumeck. Je suis heureux que vous ayez soulevé ce problème. Ce n'est pas parce que l'on pratique l'acharnement thérapeutique que l'euthanasie doit être une solution alternative. Il faut lutter contre l'acharnement thérapeutique. Quand je dis qu'il faut un débat plus large, une réflexion globale, à mes yeux, celle-ci doit également inclure l'acharnement thérapeutique et les unités de soins intensifs. Il est clair qu'actuellement, avec toutes les possibilités de transplantations, de prolongations technologiques, de substitutions d'organes par des machines, on arrive à l'« homme bionique ». La haute technologie médicale nécessite une réflexion sur l'acharnement thérapeutique. Il faudrait définir ce que l'on appelle les « actes futiles », ceux-ci étant pour l'instant laissés à l'appréciation de chacun.
Cependant, vous devez savoir, Monsieur Mahoux, que les unités de soins intensifs sont débordées. Le problème qui se pose, c'est qu'il faut libérer des lits. Je puis vous le garantir. On a pu en voir la caricature en Angleterre pendant l'épidémie de grippe. Dans ce pays sous-équipé par rapport à la Belgique et dont le système de santé est moins bon que le nôtre, on a vu les unités de soins intensifs complètement débordées et les malades laissés dans les couloirs mourir d'infections pourtant soignables. Par conséquent, sans dire que l'acharnement thérapeutique n'est pas prévalent, je pense qu'il y a une prise de conscience, par les unités de soins intensifs, des actes futiles et des indications de réanimation.
En ce qui concerne la frontière entre les notions de conscience et d'inconscience, je suis inquiet. Je pense qu'il faut limiter la législation actuelle aux cas exceptionnels qui feraient l'objet d'une évaluation. Il existe une zone grise importante dont personne ne peut déterminer l'étendue. C'est pourquoi une période intermédiaire d'évaluation est fondamentale. Mais elle doit vraiment être respectée. En effet, une telle période avait été envisagée pour l'avortement mais rien n'a été évalué. De plus, il est nécessaire d'assurer une définition et une publication des résultats ainsi que leur transformation en actes.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Pensez-vous vraiment qu'aujourd'hui, dans les hôpitaux, les médecins sont prêts à procéder à ce type d'évaluation ? Est-on disposé à clarifier la situation et les pratiques de fin de vie ? Je ne suis pas certaine qu'une loi amènerait les médecins à procéder à une évaluation. Dans les hôpitaux, on éprouve encore des difficultés à dire ce que l'on fait.
M. le président. Monsieur Clumeck est directeur d'hôpital. Il va nous dire si c'est possible chez lui.
M. Nathan Clumeck. Vous avez tout à fait raison. Cette difficulté existe mais elle est liée au fait que le sujet est tabou et qu'il existe des risques de poursuites. Il revient aux ingénieurs juridiques de trouver la bonne formule. Il s'agirait par exemple d'un texte qui met le médecin à l'abri et qui protège le patient. En échange, une déclaration préalable serait exigée. Elle obligerait le médecin à établir une synthèse, calmement, sans se sentir jugé, dans le but de partager son expérience. Ce n'est pas le cas de la déclaration a posterori en Hollande. Personne n'y partage rien avec personne. On en arrive alors à des situations telles que celles relatées voici quelques semaines dans le New England. On y constate qu'entre 16 et 20 % des malades qui recourent au suicide médicalement assisté ne meurent pas au moment de la pratique. Ils se ratent et le médecin doit intervenir dans la précipitation afin d'aider un patient agonisant. Aucune information n'est échangée. Notre pays pourrait ainsi ouvrir une voie nouvelle dans la manière dont on aborde le problème de la pratique euthanasique. Nos amis français sont d'ailleurs très soucieux de cela. Ils s'inquiètent du fait que la Belgique pourrait devenir le premier pays au monde qui introduirait une dépénalisation de l'euthanasie. Toutefois, ils sont preneurs d'une réflexion législative et des instruments permettant un état des lieux, une évaluation du problème et une ouverture de la parole.
M. Paul Galand. Docteur, je vous remercie pour vos témoignages. Je remercie également les patients qui, par votre truchement, viennent nourrir notre réflexion. Vous avez vécu la mise en place d'une structure de soins palliatifs. Vous avez donc été un pionnier en la matière. Selon votre expérience, faut-il s'orienter vers des équipes mobiles, des lits spécifiques, voire les deux dans les structures hospitalières ? Dans l'ensemble des hôpitaux ? Nous discutons en effet aussi de deux propositions de loi relatives aux soins palliatifs.
Des problèmes d'ambivalence peuvent surgir dans les demandes d'euthanasie. Un « décodage » des ces demandes est nécessaire. Quels sont les conditions de préparation et de fonctionnement d'une équipe afin qu'elle puisse faire face à ces situations difficiles ? Quelle devrait être la composition des équipes ? Qu'avez-vous souhaité comme médecins et comme mode de supervision au sein de votre propre équipe ?
L'étude américaine que vous avez citée montre que ce qui fait la différence, c'est le sentiment de désespérance. Quelles compétences doivent posséder les équipes médicales pour pouvoir aborder ces questions et assurer la protection du patient ? Vous avez parlé de l'indice de performance imposé aux hôpitaux concernant la durée de l'hospitalisation et l'occupation des lits. Des infirmières nous ont dit que de ces années-là datait une plus grande charge de travail pour elles, engendrant un stress important. Si les équipes doivent pouvoir répondre aux critères des questions précédentes, que faudrait-il éventuellement modifier dans cette façon d'aborder les indices de performance pour rencontrer les nécessités en matière de viabilité, d'écoute et de décodage au sein des équipes ?
M. Nathan Clumeck. Il était primitivement prévu des unités de lits de soins palliatifs. Nous avons demandé une équipe mobile. Pourquoi faut-il à la fois des équipes mobiles et des lits de soins palliatifs ? Je pense que l'approche « soins palliatifs » fait partie d'une culture. L'objectif est d'avoir dans tout l'hôpital une approche de la douleur, une approche « soins palliatifs », plutôt que des hyperspécialistes détenteurs d'un savoir absolu. Cela implique l'existence d'une équipe mobile qui éclaire les réalités par une autre approche.
Sur ce plan, il reste un travail énorme à accomplir. Nous avons encore des a priori et des préjugés au sujet de la morphine. J'ai entendu l'une ou l'autre personne de grande réputation s'insurger contre un projet de lutte contre la douleur en estimant que cette façon d'agir aboutirait à faire des toxicomanes. Je vous assure que je n'invente rien; ces propos ont été tenus voici quelques jours. Il y a donc un énorme travail à faire en termes de dédramatisation des moyens de lutte contre la douleur. En France, ils se heurtent très fort au tabou de la morphine, à la peur de rendre les gens toxicomanes. Une équipe permet à une culture de soins palliatifs de se répandre dans l'institution. Quant aux lits de soins palliatifs, ils autorisent le regroupement dans des lits avec des indices particuliers devant être sortis de la norme hospitalière. Les lits soins palliatifs pourraient entraîner l'hôpital dans un déficit. Un hôpital comme Saint-Pierre, par exemple, doit se situer dans une durée d'hospitalisation moyenne de sept jours alors que les gens séjournent deux ou trois mois en soins palliatifs. Par conséquent, il faut des normes qui correspondent exactement à la pathologie. À cet égard, je crois que des négociations sont en cours avec l'INAMI et le ministère des Affaires sociales. L'équipe qui décode ou qui reçoit le patient doit être formée. Nous avons été formés sur le tas. On a fait venir des psychologues extérieurs pour superviser l'équipe. À l'époque, nous avions entre un et deux malades par semaine qui décédaient. L'ambiance n'était pas gaie dans le service, les gens encaissaient, encaissaient, encaissaient ... La seule manière de tenir, c'était de parler. Nous avons donc organisé des réunions d'équipe, nous avons supervisé. Ce n'était pas l'idéal. Il y a eu des problèmes; des gens sont partis, d'autres sont arrivés. Bref, il faut que le personnel soit formé. La formation est à mes yeux fondamentale quand on lance un projet de soins palliatifs. Il faudrait d'ailleurs peut-être réfléchir davantage à cette formation.
L'étude sur la désespérance me paraît intéressante parce qu'elle montre que, parmi des gens ayant un même niveau de handicap, certains ont une bonne vision de l'avenir et d'autres en ont une mauvaise. Je suis profondément émerveillé et bouleversé par l'acteur ayant joué Superman et qui est aujourd'hui quadriplégique; il est vrai qu'il a un compte en banque conséquent, une aura mais il se bat et il n'est pas dans un état de désespérance. En outre, les progrès de la médecine vont dans le sens d'une possibilité d'amélioration de son état, une fois encore à partir des approches bioniques : on implanterait dans le cerveau des relais d'ordinateurs qui stimuleraient les muscles. C'était de la science-fiction il y a quelques années et aujourd'hui cela devient possible.
Prenons le cas d'une personne atteinte de sclérose latérale amyotrophique, paralysée, qui ne respire pas bien et qui est dans un état de désespérance; sa souffrance est morale, on ne peut pas la guérir. Même dix psychiatres n'y changeront rien. Si ce même patient n'est pas atteint de désespérance morale, il sera combatif et ne demandera pas l'euthanasie. On ne peut rien y faire, c'est la nature humaine.
Mais il ne faut pas s'en tenir au premier degré d'une demande d'euthanasie. D'autres l'ont dit avant moi. Il faut aussi que les moyens soient justement répartis entre les gens. Il ne serait pas normal que le patient A dispose d'une kinésithérapeute, d'une télévision couleur, d'un respirateur et d'un matelas à eau pour éviter les escarres et ne soit donc pas en désespérance, alors que, dans le cas d'un malade B, le lit soit changé une fois par semaine, le kinésithérapeute passe le voir de temps en temps, il n'ait pas de télévision et il se trouve dès lors en état de désespérance. Pour ce malade B, la maladie va le faire souffrir, même si on lui donne de la morphine.
Je crois donc qu'il faut définir les moyens nécessaires pour certaines maladies : le pronostic doit être posé et la prise en charge optimale doit être définie. C'est un fameux projet.
L'influence sur le stress des infirmières des indices de performance est énorme. Celles-ci sont en nombre réduit mais ce n'est pas en raison de normes insuffisantes. À l'hôpital Saint-Pierre, 40 places au cadre ne sont pas occupées. Les annonces sortent dans les journaux, mais on ne trouve plus d'infirmières pour travailler dans des conditions pareilles. Sur ce point, il doit y avoir un débat de société. Comment veut-on payer les gens ? Comment veut-on investir dans le secteur non productif ? Ce n'est pas moi qui pose cette question importante, d'autres la posent dans la rue. Et le stress est d'autant plus grand que le personnel est réduit.
Un autre stress est celui des médecins. À l'hôpital, ceux-ci sont payés à partir des honoraires, lesquels sont synonymes de production. Les normes existantes, un nombre insuffisant de lits, des chutes dans les indices de lits, tout cela a des répercussions sur les honoraires. Ce sont les médecins qui ne peuvent pas demander de supplément d'honoraire, c'est-à-dire les médecins de la médecine publique, qui seront touchés en première ligne. On arrive ainsi au risque d'une société duale, avec la médecine publique, qui sera confrontée à des économies « obligées » par rapport à une médecine privée où les moyens sont plus importants. Ce n'est pas le cas actuellement, mais il faut y être attentif.
M. Jan Remans. J'ai surtout entendu le médecin hospitalier s'exprimer. Les patients semblent craindre l'hospitalisation. Comment le témoin réagit-il lorsqu'un patient lui demande de pouvoir rentrer à la maison pour y mourir tranquillement ? Il peut arriver qu'un patient rentré chez lui soit à nouveau hospitalisé la nuit suivante ou le week-end suivant, sur ordre d'un médecin de garde, pour être placé sous respiration artificielle. Le témoin a-t-il une expérience dans l'organisation du décès à domicile ?
Le témoin a-t-il une expérience en matière de responsabilité partagée du médecin ou de l'équipe soignante ? A mes yeux, la responsabilité partagée n'est pas une responsabilité; elle peut d'ailleurs être à l'origine d'un stress important. Finalement, le médecin est responsable et doit prendre une décision pour laquelle il doit naturellement tenir compte de certains avis. Plus les gens impliqués dans la décision sont nombreux, plus il y a d'oppositions et de discussions. Quand je serai sur mon lit de mort, je ne parlerai pas de mon désir de mourir au kinésithérapeute, ni à l'infirmière ni aux autres membres du personnel soignant. Je m'adresserai uniquement à mon médecin et je lui laisserai prendre ses responsabilités, parce que ma vie privée doit être respectée et aussi parce que cela reste une décision médicale.
M. Nathan Clumeck. Nous favorisons évidemment la mort à domicile.
Quand des patients souhaitent mourir à domicile, nous organisons leur transfert mais, dans ce cas, nous travaillons avec des associations relais, dont l'association Aremis. Le problème rencontré par ces associations est le manque de moyens mis à leur disposition pour pouvoir accomplir cette tâche à domicile.
M. le président. Aremis, c'est une ONG ?
M. Nathan Clumeck. C'est une ASBL connue sur la place publique qui travaille avec différentes institutions, outre la nôtre, et qui est composée de médecins généralistes, de psychologues et d'infirmiers qui se rendent à domicile.
Mourir à domicile aujourd'hui, ce n'est pas évident. Il faut un lit spécial, des pieds à baxters parce qu'on ne va pas laisser le malade mourir déshydraté. Cette situation nécessite l'apport d'un certain confort et d'un réel soutien.
Je fais partie de ceux qui, chaque fois que l'occasion se présente, le disent ouvertement. S'il y a quelqu'un qui casse les murailles de l'hôpital, c'est moi. Je ne suis pas du tout pour l'hospitalo-centrisme, mais je ne suis pas non plus pour mettre sur le dos de l'hôpital tous les dysfonctionnements de la société et de la médecine. L'hôpital a sa place dans une pratique au même titre que les médecins généralistes, les médecins spécialistes de ville et qu'un grand nombre de personnes.
Tout d'abord, nous ne sommes pas là pour organiser l'euthanasie.
Cependant, il est important que le projet de loi envisage cette possibilité.
Ensuite, si le patient demande l'euthanasie à domicile, le problème devient de la responsabilité du médecin traitant à domicile. Nous ne sommes pas là pour dire à un médecin traitant ce qu'il doit faire.
En ce qui concerne le paternalisme du groupe, vous avez raison de souligner que le groupe n'est pas la solution miracle. Dans un groupe, il y a des tensions, des conflits, des luttes et des intérêts de pouvoir. L'approche systémique décode cette situation. En outre, il est important que le groupe ait un animateur extérieur qui ne rentre pas dans les jeux de pouvoir. Ce type d'approche doit être envisagé pour ne pas tomber dans le piège d'une équipe qui deviendrait omnipotente et où les dilutions des responsabilités seraient telles.
Quant à moi, l'équipe ne peut pas partager la responsabilité. Elle donne son opinion sur un éclairage particulier. La responsabilité appartient in fine au médecin. À lui d'assumer et de tenir compte ou non de ce qu'il a entendu.
M. le président. Sur ce point, vous êtes d'accord avec la proposition de loi ?
M. Nathan Clumeck. Tout à fait.
Mme Marie Nagy. En ce qui concerne la responsabilité telle que vous la définissez, acceptez-vous qu'elle reste assortie d'une contrainte pénale, mais qu'il n'y ait aucune sanction lorsque l'acte d'euthanasie est pratiqué dans le respect d'un certain nombre de conditions ?
M. Nathan Clumeck. La situation que vous décrivez est celle qui existe actuellement en Hollande : la responsabilité reste sous le coup de la loi pénale, avec une garantie de ne pas être poursuivi.
Par rapport à la situation hollandaise et compte tenu de mon expérience , j'ajouterai que cela doit rester exceptionnel. C'est cet exceptionnel-là qui devrait être défini par la période intermédiaire, la période d'étude, quitte à ce qu'on arrive à la conclusion que l'exceptionnel n'est pas tellement exceptionnel et que c'est l'expérience hollandaise qui est la bonne. Mais une des grandes critiques concernant cette expérience est qu'elle n'est pas remise en question : elle a débuté à l'époque où les soins palliatifs n'existaient pas, où la médecine était paternaliste, où il n'y avait pas de travail d'équipe. Les Hollandais ont entrepris récemment un processus de réflexion pour essayer d'insérer leur projet dans un ensemble.
Mme Clotilde Nyssens. Docteur, vous avez parlé d'approche systémique. L'équipe soignante est-elle uniquement là pour faire circuler les différentes paroles que les acteurs ont entendues à divers moments dans la demande du patient ? Ou un tiers est-il nécessaire, c'est-à-dire une personne extérieure qui aurait une certaine distance par rapport à la situation ?
J'ai été interpellée par votre souci de précaution loi provisoire à évaluer et cohérence avec les pays voisins. Je pense qu'il y a plus d'idées dans plusieurs pays que dans un. Dès lors, vos contacts avec l'étranger sont-ils éventuellement formalisés dans une enceinte européenne que je ne connaîtrais pas, où l'ensemble des pays discutent de ces questions, les pratiques médicales étant, je suppose, semblables en France, en Belgique et dans d'autres pays ? Y a-t-il un lieu où les acteurs concernés par l'euthanasie mènent une réflexion commune au niveau européen ?
M. Nathan Clumeck. À ma connaissance, aucune instance européenne regroupant, par exemple, des médecins, ne discute actuellement de la pratique euthanasique.
Il y a eu une résolution du Conseil de l'Europe qui a élaboré des recommandations concernant la fin de vie. Celles-ci ont été largement publiées et diffusées. Mais, pour l'instant, la plupart des pays européens n'ont pas ouvert le débat. Il faut savoir que c'est incidemment que la France a entamé le débat. Les associations de soins palliatifs reprochent au Conseil national d'éthique français d'ouvrir un débat sur l'euthanasie alors qu'il y a une loi sur les soins palliatifs qui n'arrive pas à s'implanter en France en raison des résistances, d'un manque de moyens.
La crainte exprimée en France est qu'une discussion sur l'euthanasie empêche l'application de la loi sur les soins palliatifs. Comme vous le voyez, nos voisins sont à des années-lumière de nos discussions.
C'est la raison pour laquelle je pense que, d'une certaine manière, d'autres devraient pouvoir bénéficier de notre réflexion. En tout cas, elle ne devrait pas être utilisée dans un sens où il n'y aurait pas de débat.
Mme Nyssens a demandé s'il fallait un intervenant extérieur à l'équipe. Si un tel intervenant existait et si son concours semble nécessaire, il serait bon de le solliciter. Mais selon moi, ce serait alourdir de manière importante les structures et les procédures que de rendre obligatoire la consultation d'une personne extérieure à l'équipe. Cependant, s'il y a une unité de soins palliatifs mobile dans l'institution et s'il y a, dans une salle d'hospitalisation, un cas bien précis qui conduirait à une demande d'euthanasie réfléchie, discutée, pourquoi ne pas demander à l'équipe de soins palliatifs si elle peut encore faire quelque chose ? Mais à mes yeux, cela ne doit pas être obligatoire.
Mme Jeannine Leduc. Monsieur Clumeck, vous avez naturellement acquis votre conviction à la suite d'une longue expérience. Nous avons aussi de l'expérience et, de plus, nous avons mené une enquête comparative.
Ma première question concerne un problème qui, pour beaucoup d'entre nous, n'est pas encore résolu. D'après vous, quand un patient se trouve-t-il en phase terminale ? Combien de temps cette phase peut-elle durer ?
Deuxièmement, vous venez de dire que l'acte n'est pas une urgence médicale. Nous indiquons dans notre proposition de loi que les patients qui endurent des souffrances continuelles et insupportables, dont la situation est médicalement sans issue et qui l'ont demandé à plusieurs reprises ont droit à l'euthanasie. N'estimez-vous pas que, dans de tels cas, une décision urgente doit être prise ?
Naturellement, nous pensons comme vous nous l'avons d'ailleurs inclus dans notre proposition de loi que, d'une part, le patient doit en avoir fait la demande et, d'autre part, le médecin traitant, ou une équipe de médecins traitants, qui prennent une décision, doivent constater la situation réelle du patient. Ce dernier peut en effet faire une mauvaise évaluation de sa situation. Si la douleur est réellement insupportable et si la médecine n'offre aucune perspective, pratiquer l'euthanasie le plus rapidement et le plus correctement possible est à mes yeux un simple acte d'amour et de compassion à l'égard du patient.
J'ai encore une troisième question. Nous parlons souvent de douleurs insupportables dans une situation médicalement sans issue, mais aussi de détresse insupportable, de souffrance psychique, de l'impossibilité pour le patient de supporter plus longtemps de ne pouvoir maîtriser ses fonctions vitales et d'être totalement dépendant des appareils auxquels il est raccordé. Qu'en pensez-vous ?
M. Nathan Clumeck. La définition de la phase terminale est la plus difficile parce que subjective. Je connais des patients en phase terminale qui actuellement travaillent, ont grossi de vingt kilos et vont tout à fait bien. La phase terminale pour un médecin peut ne pas l'être pour un autre et c'est là que l'on touche au domaine de l'acharnement thérapeutique versus l'obstination thérapeutique. C'est donc la chose la plus difficile et c'est entre autres pour cela, Madame, que je trouve la concertation en équipe très importante. Nous avons beaucoup de discussions dans notre équipe. Un médecin dit : « Moi, je pense qu'il est arrivé au bout. » L'infirmière abonde dans ce sens. Mais un autre médecin dit : « Mais non, pas du tout. Je viens de lire un article, je viens de téléphoner : le dernier traitement est disponible, on pourrait le recevoir, etc. » Ainsi, ce qui est une phase terminale pour l'un est pour l'autre le début d'une phase où il va se battre. C'est à ce moment-là que l'on doit parfois dire à quelqu'un qu'il exagère, que ce traitement n'a été essayé que sur des souris, qu'on n'a aucune idée de la toxicité et que l'on doit éviter de faire souffrir le patient qui est bien en phase terminale. Mais dans d'autres cas, on peut très bien accepter de continuer à se battre. C'est cette définition de la phase terminale qui bénéficie le plus, à mes yeux, d'une discussion d'équipe. Quand je parle d'équipe, cela signifie l'équipe de la salle, ce qui implique d'autres médecins et donc d'autres éclairages.
J'en viens à la définition de l'urgence. Prenons un exemple : vous faites un arrêt cardiaque. On doit vous intuber, vous masser. Pour moi, c'est une urgence. Autre exemple : vous avez mal depuis six mois, on vous a fait un premier traitement, vous avez toujours mal, mais un peu moins. Puis, cela refait de nouveau mal après trois mois. C'est une urgence pour vous parce que vous avez mal, mais ce n'est pas véritablement une urgence. Cela ne signifie pas qu'il faut placer le dossier en dessous de la pile et le reporter à plus tard. Mais l'acte de pratiquer une euthanasie dans ce cas-là n'est pas une urgence. Il faut d'abord évaluer l'ensemble du problème le plus rapidement possible, mais il n'y a pas d'urgence dans la décision. Il existe de véritables urgences, et je vous renvoie à mon texte : ce qui a été pratiqué l'a été fait dans l'urgence. Le patient était en train de mourir suffoqué; on n'allait pas le laisser souffrir comme un poisson hors de l'eau.
M. Josy Dubié. Et le désespoir insupportable ?
M. Nathan Clumeck. Le désespoir insupportable est un problème existentiel. On ne peut rien y faire. Ce n'est pas de l'ordre de la médication, du soutien thérapeutique. Il existe des cas de vrai désespoir existentiel. Si ces personnes se suicident ou demandent un acte d'euthanasie, cela devrait rentrer dans le cadre de l'évaluation. Combien de demandes y a-t-il pour désespérance existentielle en Belgique ? Je n'en sais rien. Il serait bon de pouvoir l'évaluer et de savoir si cela est exceptionnel ou si cela est fréquent, habituel. Cela fait partie, pour moi, de la zone grise.
Mme Jeannine Leduc. Dans certains cas, la souffrance du patient ne peut être apaisée. Dans certains cas, la morphine n'apporte aucune aide, par exemple en cas de douleurs cérébrales ou de tumeur au cerveau. Vous admettrez tout de même que, si plus aucun traitement thérapeutique n'est possible et si ces patients demandent l'euthanasie, ils sont en droit de la recevoir ? Le patient est quand même le principal concerné ?
M. Nathan Clumeck. Je suis entièrement d'accord avec cette approche. Vous avez parlé d'amour; c'est un acte d'humanité. Je l'ai écrit.
Je pense que cela doit être défini et enseigné. Vous seriez étonné de savoir à quel point les médecins ne connaissent pas les possibilités de traitement de la douleur. Ce domaine est devenu une spécialité en soi. Il faut donc assurer cette formation. Quand tous les moyens sont épuisés et que la douleur est intolérable, c'est une acte d'humanité d'aider les personnes.
M. René Thissen. Je remercie le docteur Clumeck de la clarté de ses réponses. Je voudrais noter que, comme chez tous les autres intervenants qui ont parlé de cas vécus, on ressent encore l'émotion qu'il a ressentie.
Ma question porte sur les soins palliatifs. Au début de nos discussions, le sentiment assez général était qu'il fallait lier la problématique des soins palliatifs à celle de l'euthanasie. Certains intervenants ont indiqué que cette approche n'était, à leurs yeux, pas correcte, même si les soins palliatifs étaient souvent le préalable à une euthanasie. Quelle est votre approche en la matière ? Faut-il que, sur la forme, la discussion sur ces matières soit intégrée ou s'agit-il pour vous de problèmes tout à fait différents à traiter séparément ?
M. Nathan Clumeck. Les soins palliatifs et l'euthanasie se situent dans un continuum de la prise en charge. Les dissocier ou les associer me semble une question théorique. Dans ma présentation, j'ai été amené à citer les soins palliatifs. En tant que préalable à une approche d'euthanasie, la problématique des soins palliatifs mérite d'être abordée et il faut que les moyens à y consacrer soient suffisants. Si on n'a pas la possibilité de lutter contre la douleur, de soulager les patients, si on les abandonne à leur sort, s'il n'y a pas de personnel soignant, quelle personne aura envie de continuer à se battre, de continuer à souffrir ? Personne, évidemment. Le débat est un peu faussé. Une loi sur les soins palliatifs me semble donc indispensable. Certaines propositions vont tout à fait dans ce sens. Quant à savoir si elles doivent être déposées en même temps, avant ou après, il s'agit, à mes yeux, d'un débat technique où je suis mal placé pour juger. Pour moi, il s'agit d'une problématique globale.
M. Josy Dubié. Je vous remercie de votre témoignage extrêmement important d'homme de terrain qui a vu mourir beaucoup de personnes.
M. Didier Moulin. Je remercie mesdames et messieurs les sénateurs de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui, mais surtout d'avoir favorisé ce large débat à propos du projet de loi sur l'euthanasie. Une telle réalisation témoigne de la vitalité des institutions démocratiques de notre pays. Permettez-moi de penser et même de suggérer que ce débat soit un moment fort, une accentuation d'une réflexion et d'une action qui seront toujours nécessaires devant un des grands mystères de l'existence : le moment de mourir. J'utilise à dessein le mot mystère dans son sens le plus primitif parce que tous les mortels dont nous sommes seront tôt ou tard confrontés (c'est-à-dire initiés) à la mort, plus précisément au fait de mourir. Ce débat intéresse de ce fait tout citoyen et interpelle plus particulièrement les différents professionnels de la santé.
Vous avez invité les praticiens dont je suis pour vous faire part de leur expérience du terrain et c'est à cette demande que je compte répondre. Je suis pédiatre, et à ce titre me suis interrogé sur la pertinence de votre invitation. D'emblée, je puis vous dire que ma pratique, que je préciserai tout de suite, me confronte de deux façons à l'euthanasie (sans cependant préciser maintenant ce mot, dont les significations et les vécus sont multiples) : d'une part, des demandes d'euthanasie sont formulées par des parents, d'autre part, certains de ceux-ci expriment spontanément et depuis quelques années déjà des craintes d'une pratique de l'euthanasie à l'égard de leur enfant. J'y perçois déjà d'une part la formulation d'une exigence, l'expression d'un droit exprimés par les parents au nom de l'enfant, d'autre part la crainte d'un devoir, d'une obligation qui serait imposée par la société à ces parents.
Il est bien clair que le texte du projet de loi n'envisage pas le mineur d'âge ni l'incapable. Permettez-moi cependant de penser que vous présenter une expérience pédiatrique peut être en quelque sorte exemplatif, en tout cas utile.
Je formulerai tout d'abord l'hypothèse la plus souvent vérifiée, que les familles et les équipes infirmières et médicales abordent l'enfant avec bienveillance et un profond souci de bienfaisance. C'est dans ce contexte que sont évoquées puis envisagées les stratégies thérapeutiques et de soins en fin de vie, c'est à dire celles qui permettent « la bonne mort « ou de façon plus réaliste, la recherche de la meilleure façon de mourir compte tenu des circonstances. J'évoque ainsi d'emblée un des sens originels du mot « euthanasie ». Ensuite, la relation triangulaire inévitable des soins pédiatriques (enfant, parents, équipe de soins) du fait de l'incapacité de l'enfant à s'autodéterminer est aussi évocatrice des relations thérapeutiques qui s'établissent autour des grands malades.
Je mentionnerai dans ce contexte la diversité des sentiments parentaux et j'attirerai votre attention sur les effets durables des événements et des décisions prises pour les mourants, sur les survivants (à l'enfant disparu) que deviennent les parents. Leur rôle dévolu socialement de responsable de l'enfant se prolonge bien au-delà du moment du décès et son vécu est très souvent contaminé par des sentiments irrépressibles de culpabilité (d'avoir en quelque sorte donné la mort en donnant la vie le décès de l'enfant avant ses parents apparaît comme un contresens biologique et chronologique). Tout ce qui sera dit et sera fait pour l'enfant au cours de sa maladie et pendant le temps de mourir contribuera aussi à faire l'histoire de l'enfant, à l'inscrire dans l'histoire et dans la mémoire de la famille.
Cela a bien sûr beaucoup d'importance pour les membres de la famille mais aussi, j'en suis convaincu, pour l'enfant lui-même qui, à l'instar des adultes qui se quittent, qui doivent se quitter et qui s'aiment, veulent s'entendre dire qu'on ne les oubliera pas, qu'ils vivront au moins dans les mémoires. Plusieurs comportements d'enfant attendant la résolution de certains problèmes conflictuels parentaux avant d'accepter la mort qui s'en vient, avant de se laisser aller, avant de ne plus lutter, soulignent pour moi l'importance de l'inscription des faits dans la durée du temps, y compris pour ceux qui s'en vont et cela pendant ce temps de mourir, ce temps pendant lequel ils se sentent mourir. Ce temps doit se vivre pour eux avec une intensité particulière, avec une notion du temps toute différente et je suis enclin à penser que ce qui se passe durant ce temps dans les esprits (la pensée, les sentiments ...) devient plus important que ce qui se passe dans les corps à condition que celui-ci ne soit pas tourmenté par la douleur. Et je souligne ici d'emblée un certain risque de tout considérer du seul point de vue des éléments objectifs. Considérer le mourir comme le simple arrêt de la vie objectivé par l'arrêt du coeur, serait un peu comme si on ramenait l'amour entre deux êtres à leur seule union sexuelle.
Plus concrètement, j'ai été responsable d'une unité pédiatrique de soins intensifs dans un hôpital académique pendant plus de vingt ans. Une telle unité accueille en moyenne 500 enfants par an. Une ou plusieurs fonctions vitales de ces enfants sont compromises, mais de façon initialement réversible, ce qui constitue la motivation de l'admission en soins intensifs. Dans une telle unité, la mortalité est de 10 à 12 %. Il y a donc environ 50 patients de moins de 15 ans décédant dans l'unité chaque année, en moyenne un par semaine. C'est dire que la présence d'enfants mourants est constante.
L'équipe infirmière et médicale constituée en novembre 1979 lorsque l'unité a été inaugurée a rapidement vécu et pris conscience de la difficulté de faire face quotidiennement à l'enfant menacé de mort et à l'enfant mourant, au désespoir et à la désespérance des familles. Elle a donc très précocement décidé d'aborder ce défi en équipe pluridisciplinaire (infirmières, kinésithérapeutes, médecins ...) grâce entre autres à des rencontres régulières mais aussi improvisées hors programme lorsque la nécessité l'impose.
Lors de ces réunions, tous les problèmes à dimension humaine sont abordés. J'entends par cela tous les problèmes qui engendrent les questions suivantes : pourquoi faisons-nous cela, est-ce raisonnable, est-ce justifié, quel est le sens de cette action, que faire pour bien faire ... Il s'agit de s'éclairer mutuellement, de s'informer, de réfléchir, de trouver les meilleures réponses face à des situations chacune nouvelle et unique, de prendre des décisions, de les partager si possible, de les concrétiser ensemble dans une certaine harmonie de l'action et du sens de celle-ci pour chacun des membres de la famille et de l'équipe. La discussion est nourrie de tous les apports du dossier médical objectifs, mais aussi de ceux qui résultent des rencontres et du cheminement tant avec l'enfant que ses parents. Au cours de ces rencontres, chacun dans sa fonction plus spécifique de soignant ou de médecin s'entend confier des questions, des angoisses, des demandes, des colères, des désespoirs, dont seul le partage en équipe pluridisciplinaire permet d'ajouter à la compétence professionnelle une réelle présence et une action dont la dimension humaine est profonde.
Dans une unité de soins intensifs, les tâches sont multiples et variées; elles sont réparties entre des personnes de divers corps professionnels. Une organisation rigoureuse est essentielle pour l'utilisation optimale des ressources humaines et matérielles concentrées en unité de soins intensifs.
Les réunions évoquées ci-dessus permettent le partage et la réflexion commune afin de maintenir tout au long le climat d'écoute nécessaire à la tentative de répondre dans les actes aux nombreuses questions que posent les problèmes objectifs du patient. Ces questions et les réponses ébauchées sont nécessairement confrontées au projet de vie de l'enfant, que portent ses parents. Celui-ci semble être en quelque sorte inscrit dans la physiologie. L'enfant est programmé pour grandir et acquérir l'autonomie. Il est surtout inscrit dans la culture qui confie aux parents l'éducation de l'enfant.
Le projet de traitement pour guérir est toujours présent lors de la prise en charge initiale de l'enfant en soins intensifs; c'est pour ainsi dire une constante méthodologique et une justification de l'admission en unité de soins intensifs. Parfois, le projet de traiter pour guérir devient irréalisable, son but et donc son sens primitif ne peuvent plus être atteints. Parfois, la vie ou la survie qui peut être anticipée n'est plus souhaitable ou acceptable compte tenu d'éléments de qualité de vie par exemple. L'importance des moyens mis en oeuvre en soins intensifs dans un réel corps à corps (où le corps est maîtrisé) pose inévitablement la question du sens de l'action, du but poursuivi. Celui-ci doit nécessairement s'adapter non seulement aux faits objectifs, mais aussi au vécu des familles et des équipes. La cohérence globale de l'action et son partage, l'adhésion des adultes au projet, est un devoir de respect de l'enfant et de ses parents. J'entends dans ce devoir de respect de l'enfant, concrètement, une personnalisation des soins, c'est-à-dire une thérapeutique et des soins qui sont adaptés et en quelque sorte uniques pour lui, qui font sens pour lui seul. C'est dans ce contexte que l'action thérapeutique se modifie pour certains patients. Sa visée initiale curative devient palliative, elle devient aidante non plus pour vivre mais pour mourir. C'est toujours le patient et sa famille qui sont aidés et non pas la mort, notion relativement abstraite. Le patient est aidé pendant qu'il vit sa mort.
Les soins apparaissent ainsi indissociables du projet et de l'action à visée curative. Le projet et l'action de soins peuvent être entendus littéralement comme la mission de prendre soin, de se soucier du bien-être du patient. Les mots néerlandais « zorg » pour soins et « bezorgdheid » pour souci illustrent également cette bienveillance active pour le patient, y compris dans les situations difficiles, même lorsque, objectivement, rien ne va plus et que l'on se trouve dans le processus de mourir. Il s'agit de prendre soin de la personne qui meurt; il s'agit de prendre soin de sa famille. Il s'agit de faire face à la souffrance de tous, y compris celle des soignants qui font face rudement à la condition humaine. Beaucoup de choses peuvent être faites pour alléger cette souffrance, pour aider à en supporter le fardeau. L'étymologie de ce mot « souffrir » est la même que celle du mot « supporter », en l'occurrence supporter la condition humaine. Heureusement, très souvent, d'autres, dont les soignants, aideront à porter le fardeau ou à l'alléger. Les soins déjà présents dans la tentative de concrétisation du projet curatif vont en quelque sorte prédominer lorsque la tentative se transformera en un projet palliatif.
Les causes possibles de souffrance sont nombreuses pour l'enfant qui va mourir et pour son entourage, y compris les soignants.
Les causes potentielles de souffrance pour l'enfant qui meurt sont la douleur physique, l'anxiété, l'abandon. La douleur physique peut être provoquée par la maladie, mais aussi par les actes médicaux et même par les actes de soins. Ces douleurs peuvent aujourd'hui être prévenues, évitées, et sinon parfaitement contrôlées grâce à l'arsenal médicamenteux disponible. Même si la douleur physique apparaît à première vue la plus révoltante, la plus inacceptable pour celui qui en est un témoin, j'ai vu plusieurs enfants la dissimuler, soucieux qu'ils étaient de répondre à certaines attentes ou espoirs de leurs parents. Ils montraient ainsi que peut être pour eux une autre souffrance, plus grande ou du moins à laquelle ils attachaient plus d'importance, résultait de l'incompréhension, du refus de voir, de l'aveuglement de l'adulte.
L'anxiété, la peur, l'angoisse de l'enfant naît surtout de l'absence de réponse ou de répondant à ses questions. Celles-ci sont axées sur son vécu et ses perceptions immédiates, sur la vie familiale et amicale de tous les jours avec des projets à court terme et enfantins. Les parents désemparés par les événements auxquels ils ne sont naturellement pas préparés risquent d'être anxieux et moins présents ou moins répondants.
Les causes de souffrance pour les parents et les familles sont inévitablement celles de la séparation inévitable dans la violence de la maladie, aggravée parfois par la violence des traitements. La séparation avec l'enfant chéri et sa perspective entraînent des sentiments de non-sens, celui de vivre l'échec de la mission parentale, un sentiment d'étrangeté et de solitude qui seront renforcés si l'entourage et les soignants - qui sont en partie cet entourage du moment - favorisent, par leur attitude et leur silence, l'isolement.
Le respect, la prise en compte de la dignité des personnes, entraîne la reconnaissance du caractère unique et particulier de chacune d'entre elles, en l'occurrence l'enfant, ses parents et les soignants. Les soins du patient et l'accueil de ses proches doivent donc être personnalisés.
La première démarche de personnalisation devant l'enfant en danger vital ou qui va mourir consiste d'abord à être là. Une présence non seulement rendue nécessaire par les devoirs des tâches techniques et les règles du métier, mais une présence qui consiste à accompagner (cheminer ensemble), même dans ces circonstances les plus difficiles.
Cela consiste à être là, présent, et d'autant plus que la vie apparaît plus fragile, moins prometteuse d'avenir, de bénéfices futurs. Être là de plus en plus lorsque apparemment, objectivement, il y a de moins en moins de raisons strictement techniques d'être là, parce que la technique échoue, parce que l'objectif initial se perd. La présence même silencieuse dans le dénuement le plus grand, c'est-à-dire face à la mort qui s'en vient, est une façon de maintenir jusqu'au dernier moment le patient comme être humain à part entière, comme personne dans le monde des vivants avec toute sa dignité (sa dimension d'homme) préservée, même si le corps et son fonctionnement suggèrent la déchéance (mot cruel et cru s'il en est, s'agissant d'un être humain). Le rôle des soignants devient surtout à ce stade de donner de l'humain, c'est-à-dire de donner de soi, ce qui pour le patient équivaut à recevoir de l'autre. Le plus souvent, la présence du soignant ne sera ni sourde ni muette. Elle sera accueillante, à l'écoute des questions et même des projets.
En résumé, dans la pratique concrète de l'art de soigner et de l'art de guérir en pédiatrie et particulièrement dans une structure de soins intensifs, l'issue fatale de l'enfant peut s'imposer aux parents comme à l'équipe médicale et de soins par l'évolution défavorable. Les actions entreprises se modifient alors pour faire prédominer le processus d'accompagnement déjà présent lors de la tentative curative. Une telle attitude réfléchie et choisie fait sens et donne sens à l'action de chacun, parents comme soignants et médecins. Elle donne sa place à l'enfant, qui existe jusqu'à son dernier souffle et au bénéfice duquel l'action reste centrée ou recentrée. Elle donne aussi leurs places aux adultes qui apportent une réponse adaptée et personnalisée. Chacun de ces adultes y rencontre sa responsabilité de parent ou de soignant. Tous les éléments objectifs, mais aussi tous les éléments subjectifs, sont pris en compte de manière telle que l'action fait sens. Elle s'inscrit ainsi dans le temps, c'est à dire dans l'esprit et le corps de chacun des acteurs, leur mémoire, leurs émotions et leur vie, ce qu'ils vivent après le décès de l'enfant.
M. Philippe Monfils. Je tiens à répéter, précisément parce que la presse est présente et que c'est important, que si j'ai trouvé votre exposé fort intéressant je vous dirai pourquoi dans un instant il est bien évident qu'il n'a, directement, rien à voir avec cette proposition de loi, parce que ses six auteurs ont totalement exclu de l'application de cette loi et les mineurs, et les incapables, et les inconscients qui n'ont pas fait de testament de vie. Je veux clairement dire aussi que les six auteurs n'accepteront jamais un quelconque amendement qui fasse entrer dans cette proposition de loi ou les mineurs, ou les incapables, ou les inconscients qui n'ont pas fait de testament de vie. Je tiens à le dire parce que certains mais pas vous, Monsieur le doyen se sont parfois dit qu'on pourrait développer ... Non, cette proposition a un objectif précis et aucun autre. Cela étant, Monsieur le doyen, votre intervention m'a intéressé, mais en dehors du cadre de cette proposition, car en tant que parlementaire, je me suis beaucoup intéressé au problème des maltraitances et que j'ai également déposé des propositions pour lutter contre la pédophilie. J'ai très bien connu tous ces secteurs-là.
Ayant entendu vos propos, j'aimerais vous interroger sur votre pratique et votre connaissance de l'intervention des parents. Vous avez beaucoup parlé de l'intervention des parents dans le décès d'un enfant, qui est évidemment toujours dramatique. Selon votre expérience, les parents interviennent-ils uniquement quand il s'agit de se demander s'il faut encore poursuivre un acharnement thérapeutique particulièrement après un accident lorsqu'il n'y a plus rien à faire ou bien ce serait évidemment dramatique arrive-t-il que dans certains cas, ils se substituent en quelque sorte à l'enfant ou font croire qu'ils parlent de l'intérêt de leur enfant alors qu'en fait ils parlent de leur intérêt propre ? Par exemple, en cas d'accident qui laisserait des séquelles graves, physiques ou mentales, à leur enfant, vous demandent-ils de l'euthanasier sous le prétexte de sa souffrance alors qu'en fait, ils veulent en quelque sorte être libérés d'un poids ? J'aimerais savoir si vous avez déjà connu ce type de réaction des parents qui, pour moi, est évidemment inacceptable, mais qui pourrait se produire; avec l'espèce humaine, tout est malheureusement possible.
Ma deuxième question, assez proche de la première, concerne la lutte contre la maltraitance. Vous est-il déjà arrivé de voir des enfants dans des conditions extrêmement pénibles pour lesquels les parents demandent des mesures ultimes, qui ne sont en fait que la poursuite et, hélas, la dramatique fin de leur volonté de maltraitance à l'égard des enfants ?
Voilà les deux questions que je souhaitais vous poser, non pas en tant que corédacteur de la proposition mais en tant que personne qui s'intéresse beaucoup aux problèmes et aux drames vécus par la petite enfance, notamment au niveau de la maltraitance.
M. Didier Moulin. J'ai bien pris note de votre première affirmation.
Lors d'un accident avec des séquelles graves qui peuvent soulever la question du futur, les parents posent de fait de telles questions et je dois dire que, personnellement, je les comprends. Dans certaines situations, je pense qu'il y a dans le chef de tout être, et certainement aussi de parents, une certaine ambiguïté. Il est également des situations où la maîtrise n'est plus possible. Les parents veulent réaliser un certain rêve, un projet, où l'image de l'enfant idéal est importante, et dans ces situations, ce rêve se casse. Je pense qu'on a affaire à des parents extrêmement désemparés. Probablement tout comme vous, je m'abstiendrai de les juger. Ce que nous nous efforçons de faire c'est ce que j'ai essayé d'illustrer à coté de ce travail qu'on nous reconnaît comme infirmier ou comme médecin, c'est-à-dire les aspects techniques, c'est de créer ce climat qui permet l'écoute, qui permet de cheminer ensemble, de réagir et qui, finalement, permet à chacun de faire face à cette réalité qui s'impose et d'essayer de trouver les meilleures ou les moins mauvaises réponses. C'est vrai qu'en soins intensifs, il y a toujours à mettre en balance l'importance des efforts mis en branle et les résultats. Quand je parle de résultats, je ne veux pas rester sur un plan strict tout à fait objectif mais parler des services rendus à l'enfant et sa famille. C'est difficile de dissocier les deux, parce que cet enfant vivra dans cette famille et qu'il y a donc un projet familial.
Quand je parlais du corps à corps, il est certain, en soins intensifs particulièrement, qu'on interfère très fort dans le processus naturel, parfois dans la maîtrise des corps, et qu'on empêche ce qui se passerait normalement. La question est donc de savoir si c'est bien raisonnable, si on doit poursuivre ... La question d'une modification de stratégie se pose et elle se choisit parfois. Elle consiste, comme je l'ai évoqué, à plutôt choisir à un certain moment d'aider l'enfant à mourir, plutôt que de l'aider à vivre. Bien sûr, dans des unités de soins comme les nôtres tout comme, je pense, dans les différentes unités de soins pédiatriques du pays, il y a ces moments qui sont le fruit d'un cheminement, d'un partage, d'une recherche, d'une écoute, et qui sont toujours un déchirement. Ce n'est jamais quelque chose de facile.
M. Philippe Monfils. Votre réponse est très ambiguë, mais vous ne pouvez bien entendu pas aller au-delà. Dans certains cas, n'en arrivez-vous pas à considérer que c'est plutôt l'intérêt de la famille que celui de l'enfant que vous choisissez ? Est-ce acceptable sur le plan d'une réflexion éthique sur la vie de l'enfant ? Quand on arrive ainsi aux frontières, c'est très difficile. Il faut trouver des formules pour que l'enfant vive malgré tout, que ce soit dans ou en dehors de la famille.
M. Didier Moulin. Votre question est tout à fait pertinente. On doit s'efforcer de penser à l'enfant. Je me demande si ce n'est pas exemplaire de toutes ces situations, quel que soit l'âge. On ne peut pas voir les choses hors contexte. Je sais aussi que le projet de loi est associé à un projet sur les centres palliatifs. Il est certain que tout ce qui est à disposition pour les personnes rend les choix réels. Il n'y a de choix que dans la diversité. Nous essayons dans ce cheminement difficile de tenir compte de la famille. Cela va dans les deux sens. On a parfois l'impression que les parents nous demandent des choses qui ne sont pas raisonnables.
Je caricature, au risque de choquer, ce qui n'est pas ma volonté. On en arrive à des situations où il n'y a pratiquement plus de cerveau chez l'enfant, ce qui équivaut à un décès et certaines familles supplient pour que tout soit fait afin que l'enfant puisse encore rester à la maison avec un respirateur artificiel. Ce sont des demandes qui ne nous semblent pas plus raisonnables que certaines demandes d'euthanasie.
J'en profite pour illustrer mon propos : je me souviens souvent de cette demande d'euthanasie pour un nouveau-né qui nous est envoyé d'une ville relativement éloignée puisque notre pays est petit. Le père avait choisi de rester près de son épouse. Je lui parle au téléphone et je lui fais part d'un diagnostic fatal, en lui disant que l'on ne peut rien faire pour son enfant qui va mourir. Je l'invite à venir, mais le père me demande une euthanasie par téléphone. Je lui demande de venir pour en parler. Il se fâche au téléphone en disant qu'il aurait dû réfléchir, qu'il n'aurait jamais dû l'envoyer dans une institution liée à l'Université catholique de Louvain parce qu'il savait qu'on n'aurait jamais entendu cette demande. Je lui demande une nouvelle fois de venir. Il arrive le lendemain avec son épouse et je vois un monsieur au visage fermé, contrarié par la conversation. Je les amène auprès de l'enfant et je me rends compte que le dialogue ne prends pas. Je fais part de ma disponibilité. Une infirmière met l'enfant dans les bras des parents. Durant l'après-midi, on va pouvoir observer cet enfant passant des bras de la mère dans les bras du père, ces gens exprimant beaucoup de choses, comme des gens qui s'aiment, qui se quittent et qui se disent des choses. Et puis l'enfant va décéder calmement dans les bras d'un des deux parents. Lorsque les parents s'apprêtent à partir, je propose sans trop d'espoir de les revoir. Cela se fait très souvent mais ici le contact avait été difficile. Le lendemain, le père m'a téléphoné en me remerciant. J'ai accepté le remerciement en disant que cela me faisait beaucoup de plaisir, que je transmettais son message à l'ensemble de l'équipe infirmière et médicale. Je n'ai pas fait de commentaires, ce qui aurait été maladroit de ma part. Je me suis posé après coup la question suivante : si j'avais euthanasié cet enfant la veille, sur le plan strictement objectif, rien n'aurait changé mais sur un plan subjectif, les choses auraient été tout à fait différentes. Je pense que le père pourrait encore se demander maintenant si je n'avais pas fait une erreur de diagnostic, si l'enfant n'était pas mort parce que je l'avais euthanasié. Ici, il a vu une évolution normale. Objectivement, on ne peut pas préjuger de la valeur de ce que disent les parents, mais pour eux c'est important. Je sais par les nombreux parents que je revois que tout ce qui se dit est important. Pour l'enfant, je ne peux pas juger puisqu'il est mort. Je pense qu'à l'échelle humaine, on ne peut pas juger de la durée de la vie. Cet enfant a bénéficié de quelques heures, de la chaleur, de l'odeur de sa mère, de son père; il a vécu quelque chose dont je ne peux pas juger. C'est un exemple. J'essaie de répondre à votre deuxième question.
Elle concerne le cas d'enfants admis à la suite de maltraitances, où la perversité irait jusqu'à la demande d'euthanasie. Il est clair que nous avons eu des admissions d'enfants en unité de soins intensifs avec des évolutions fatales secondaires des maltraitances. Ces cas sont réels et malheureusement pas uniques. Je ne me souviens toutefois pas d'avoir vécu le cas de figure que vous me présentez. Je n'ai donc pas de réponse à votre question.
M. Philippe Monfils. Il y a eu des cas de maltraitances qui entraînaient le décès des malheureux enfants.
M. Didier Moulin. Oui.
M. le président. Dans ces cas, la justice intervient ...
M. Didier Moulin. Oui, bien sûr. Cela ne fait pas l'objet du débat mais je dirai qu'il est des cas moins dramatiques, qui aboutissent plutôt en salle d'urgence, des situations auxquelles nous essayons, avec l'aide d'ailleurs de toutes les structures mises en place par notre société comme SOS Enfants par exemple de faire face sans qu'il s'ensuive nécessairement un processus d'ordre pénal. Il y a des modalités inventées par la société qui sont riches de possibilités. Ce sont les cas les plus fréquents où nous pouvons vraiment aider les parents. Encore une fois, il s'agit d'un autre débat.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voudrais tout d'abord interroger le témoin sur la pratique des soins palliatifs et du contrôle de la douleur. Ces problèmes se posent peut-être de manière un peu différente pour les enfants. Je pense, entre autres, à ceux qui sont soumis à des traitements réguliers, qui font des allers et retours en clinique et souffrent de maladies difficiles et lourdes. Existe-t-il des pratiques spécifiques dans ces domaines des soins palliatifs et du contrôle de la douleur pour les enfants ?
Vous êtes pédiatre et travaillez en soins intensifs, mais vous êtes aussi doyen de la faculté de médecine. Je voudrais donc vous interroger sur la formation des médecins. Quels cours reçoivent-ils en matière d'accompagnement du patient jusqu'au bout, même quand les soins curatifs n'ont plus guère de sens ?
Qu'enseigne-t-on par rapport à l'acharnement thérapeutique et à l'abandon thérapeutique ? Il reste souvent du temps à vivre au patient incurable et les médecins de la génération actuelle, exerçant dans des services curatifs, ne semblent guère se préoccuper de ce temps-là. Sans doute n'y ont-ils pas été formés. Beaucoup d'infirmières et de familles en parlent. Il faut constater que beaucoup de patients sont laissés dans des états où le contrôle de la douleur n'est pas exercé alors que les moyens existent mais que les médecins ne savent comment les utiliser. Que fait-on dans les facultés de médecine pour améliorer cette situation ? Cela contribuerait à lever des malentendus entre les citoyens patients potentiels et la pratique médicale.
M. Didier Moulin. Je ferai d'abord un commentaire général préalable concernant les deux questions. Depuis la dernière guerre, la médecine s'est profondément modifiée. Les progrès du savoir et du savoir-faire ont peut-être pris une certaine avance sur la ré-flexion, d'une part, et sur l'éducation, d'autre part. Il est vrai que pour les patients, pour leurs familles, pour les soignants, on se trouve encore aujourd'hui en porte-à-faux dans de nombreuses situations. On a aussi pu avoir l'espoir fou que la technique allait tout résoudre, y compris la douleur. Il est vrai que des traitements in fine bénéfiques, mais extrêmement pénibles, ont été mis au point avant qu'il n'ait été possible de les appliquer tout en évitant la douleur. On avait pris beaucoup de retard à cet égard. Mais ce retard se résorbe progressivement. Beaucoup de traitements et de pratiques extrêmement pénibles se sont profondément modifiés au bénéfice d'une réduction de la douleur physique.
Une autre difficulté est que la formation des professionnels dont on parle s'étale sur des années, au moins neuf ans pour les généralistes et au moins douze ans pour les spécialistes. Quand on veut changer quelque chose, l'effet n'est pas immédiat.
Dans toutes les facultés, les études de médecine font quasi continuellement l'objet de modifications. Le défi paraît parfois insurmontable parce qu'on a l'impression de toujours devoir ajouter alors qu'il faudrait aussi sélectionner et faire des choix. Ceux-ci sont certainement faits. Dans l'emballement des découvertes et d'une meilleure maîtrise du corps, on a cru tout résoudre, mais on attache maintenant, par exemple, plus d'importance à l'humain et à son vécu. Mais cette évolution prend du temps. On en parle dans des cours, dans des séminaires, dans des rencontres. Il faut encore que l'exemple vécu dans des hôpitaux en témoigne. La formation continue permet également de modifier les choses. Mais on ne peut sans doute pas considérer qu'aujourd'hui, la situation soit parfaite.
M. le président. Très concrètement, dans votre université, y a-t-il un cours spécifique en soins palliatifs ?
M. Didier Moulin. Il y a un cours en soins palliatifs et des cours sur la douleur. Ces problèmes sont également abordés durant des séminaires.
M. le président. Depuis longtemps ?
M. Didier Moulin. Non. C'est relativement récent.
Mme Mia De Schamphelaere. Professeur, votre témoignage repose sur une longue expérience. La mort des enfants nous touche de très près parce qu'elle ne correspond pas au cours normal des choses. Elle peut nous apprendre énormément car ce sont les enfants qui sont le moins influencés culturellement ou socialement. Socialement parlant, ils meurent dans une situation idéale. Ils sont généralement entourés de parents très attentionnés. Si j'ai bien compris, la principale demande actuelle est la demande de communication relative au décès lui-même. Dans de nombreuses familles, et pas seulement lors du décès d'enfants, on ne parle pas ouvertement du décès en lui-même, de la signification qu'on peut lui donner. Chacun veut épargner aux autres le chagrin, ce qui ne fait que renforcer la frustration ou la peur.
J'ai une autre question. Vous êtes doyen de la faculté de médecine. J'ai lu dans les journaux néerlandophones que votre faculté avait adopté un point de vue général dans le débat sur l'euthanasie. Est-ce exact ?
M. Didier Moulin. Non, c'est faux.
Je ne pense pas que cela ait été fait. En ce qui concerne votre première question, vous avez raison, me semble-t-il, de souligner que ces décisions qui sont prises pour l'enfant dépendent fortement du contexte. J'apprécie beaucoup que vous l'ayez souligné car je suis persuadé qu'il en va de même pour l'adulte. Si je puis faire un commentaire à propos de la proposition de loi, c'est un aspect qui me laisse perplexe. Les intentions des auteurs de la proposition sont certes louables et je suis très préoccupé de l'autonomie des personnes. Je pense qu'il s'agit d'un problème tout à fait particulier, surtout en ce qui concerne les unités de soins intensifs.
La proposition de loi, telle qu'elle est formulée, me donne parfois un certain sentiment d'irréalisme ou d'idéalisme. Je me demande si elle ne concerne pas un nombre relativement restreint de personnes particulièrement bien armées sur le plan de la culture, du caractère et de l'éducation. J'ai un peu l'impression qu'elle ne répond peut-être pas aux questions que se posent la majorité des gens. Votre question est intéressante car mon expérience en pédiatrie est une illustration de ce qui se passe pour la majorité des malades et des très grands malades qui finissent, en quelque sorte, par régresser. Cela arrive également aux parents d'enfants que l'on veut responsabiliser et qui nous demandent de prendre les décisions.
M. Jean-Pierre Malmendier. Monsieur le professeur, on parle beaucoup d'enfants et d'adultes, mais il y a aussi la tranche des adolescents. Avez-vous une expérience en la matière ? J'aimerais savoir si des adolescents souffrant, par exemple, de mucoviscidose depuis leur naissance, formulent parfois des demandes d'euthanasie.
M. Didier Moulin. J'aurais tendance à vous répondre que, curieusement, il n'y en a pas. Je me souviens malgré tout de patients souffrant de mucoviscidose et que l'on m'avait envoyés « pour mourir », ce qui peut sembler paradoxal car on ne va pas en soins intensifs pour y mourir. Cette expérience avec ces adolescents, parfois de jeunes adultes, a été extrêmement étonnante et enrichissante. Je leur ai annoncé que je répondrais très franchement à toutes leurs questions et que l'on discuterait de toutes leurs demandes. J'ai été frappé par le fait qu'ils semblaient ne pas vouloir aborder certains problèmes. Il s'agissait de jeunes, intelligents, qui me demandaient des livres à prêter. Je leur passais les miens. Ils pouvaient tout y lire, et je suis certain qu'ils les lisaient et les comprenaient.
Je leur avais dit que toutes les questions nous interpelleraient. Beaucoup de questions s'y trouvaient, mais pas celles concernant la mort. Certaines portaient par exemple et cela m'a toujours surpris, particulièrement dans le cas de la mucoviscidose sur la stérilité, sur la possibilité d'avoir des enfants, de fonder une famille, etc, alors que les interrogations portaient davantage sur les perspectives vitales.
Je pense à d'autre patients dont on pourrait juger que la vie n'était pas simple. S'ils écoutent, ils le confirmeront.
M. le président. Ce sont des adolescents ...
M. Didier Moulin. Oui, des jeunes qui étaient admis dans l'unité où, personnellement, je me demandais parfois s'il était nécessaire ou raisonnable d'ajouter des difficultés supplémentaires. L'alternative revenait bien entendu à considérer que la mort était inévitable. Plutôt que d'avoir des débats prolongés, répétés et difficiles, sans parvenir à décider les parents, avec toute cette ambiguïté quant à la meilleure solution pour leur enfant ... Ne valait-il pas mieux que celui-ci soit en paix ? Tout en essayant de respecter les parents dans leur rôle, je m'engage toujours à ne pas aborder certains problèmes avec les jeunes sans avoir l'accord des parents. Dans certaines situations, ceux-ci refusent que j'aborde certains problèmes avec leur enfant, mais, le plus souvent, ces refus disparaissent. En outre, de temps en temps, les parents se trahissent; ils prennent d'infinies précautions ... Ils m'attirent dans les couloirs pour discuter et font la même chose avec les infirmières. Dans ces cas-là, nous essayons d'aboutir à des décisions positives.
M. le président. Des décisions de continuer ...
M. Didier Moulin. Oui, malgré les difficultés. Toute expérience est limitée. Je ne soutiendrai pas que d'autres collègues n'aient pu avoir d'autres expériences par rapport à ce problème spécifique ... Mais ce n'est pas ce qui prédomine, selon moi. En fait, ce qui me frappe, c'est que la difficulté de vivre les choses est fortement soulignée par l'entourage. Quand on est impliqué, cela devient un peu plus aisé, mais il est extrêmement difficile d'être spectateur de certaines situations. Il n'y a, selon moi, de bonnes décisions que si l'on est impliqué et quand le patient l'est. L'adolescent, le sujet très jeune, doit être impliqué. Je n'oublierai jamais cette fillette, de huit ou neuf ans, qui se trouvait dans une situation extrêmement douloureuse. Je ne veux pas rentrer dans trop de détails ... Je ne vous dis pas pourquoi mais je voulais absolument commencer un traitement à la morphine pour qu'elle ne souffre plus, ce qui était possible. Les parents étaient convaincus que je voulais euthanasier l'enfant. Nous en avons discuté et rediscuté. Vous pourriez dire que j'aurais pu prendre une décision d'autorité, mais il y avait un passé important dont je ne peux pas parler. Si je le faisais, je manquerais de délicatesse et commettrais même une faute.
Un jour, cette enfant a surpris la conversation de ses parents qui commençaient à douter. À ma grande surprise, elle a exigé le traitement. Elle a dit que cela dépendait d'elle. Il y eut alors un moment à la fois grave et heureux parce que cette fillette a ressuscité. Je suis assez convaincu des effets de la morphine sur un patient qui ressent de grandes douleurs. La morphine ne le tue pas, au contraire de la douleur et du stress. Cette fillette a pu passer deux ou trois semaines chez elle. Malheureusement, les parents ont recommencé à croire que nous nous trompions et que nous avions trouvé un traitement. Voilà donc une situation où une enfant de neuf ans a exigé un traitement. Bien sûr, je suis convaincu qu'elle savait qu'elle allait mourir. J'ai l'impression que la mort pose moins de problèmes aux enfants qu'aux adultes. Mais on rencontre des enfants qui, de temps en temps, attendent que certains problèmes soient résolus. Ils veulent voir une espèce de réconciliation dans leur famille, autour de leur lit. Ils attendent une certaine paix avant de se laisser aller, un peu comme on voit certains adultes attendre, pour mourir, le retour de gens qui sont très loin. On se demande comment ils tiennent le coup et, le lendemain, ils ne sont plus là. Je me souviendrai toujours d'une fillette qui, assise sur les genoux de son grand-père, lui disait : « Maintenant, tu es là, tu peux partir. » On s'était interrogé : que signifiaient ces mots ? Mais, le lendemain, le grand-père décédait. Comment avait-elle deviné ? Les enfants perçoivent donc beaucoup de choses. Tout cela correspond à la réalité autour des grands malades; il faut cheminer dans le dialogue et la recherche. C'est un peu ce que j'ai voulu illustrer.
M. Jean-Pierre Malmendier. Je pose cette question suite à ce que m'a rapporté ma fille âgée de 16 ans. Un de ses amis doit subir une intervention. Ma fille lui demande s'il a peur et il répond que tout ce qui compte pour lui, c est d'être débarrassé de la maladie, qu'il meure ou qu'il vive. Cette attitude est interpellante de la part d'un jeune. Il ne s'agit pas d'une demande d'euthanasie mais ce jeune s'en remet au sort et on n'est pas loin d'une telle demande. Si on le place devant la perspective d'une opération pas forcément couronnée de succès ou seulement partiellement, on peut être confronté à ce genre de situation. J'aimerais savoir si des adolescents formulent ce type de demande.
M. Didier Moulin. Ce que l'on voit, ce sont des suicides d'adolescents. En général, j'aurais tendance à dire qu'ils réussissent leur suicide. Mais on est hors de la sphère médicale. Si on était présent, on empêcherait cet acte qui ne fait pas partie du rôle du médecin, ni de personne d'ailleurs. On est dans une tout autre sphère : il s'agit de quelqu'un qui use de sa liberté et de son autonomie. Quand un jeune fait part au médecin de son intention de se suicider, c'est une forme de demande d'aide dans la majorité des cas.
Mme Kathy Lindekens. Je vous suis extrêmement reconnaissante d'aborder ce sujet aujourd'hui. Il s'agit d'un débat extrêmement difficile parce que nous projetons nos propres enfants dans la situation. Quand je pense au cancer des enfants, je ne peux pas penser à mon fils de huit ans en bonne santé, mais à mon fils de huit ans dans cette situation. Ce n'est pas facile. J'ai une grande expérience en centre pour enfants cancéreux. J'en ai vu mourir plusieurs. J'ai beaucoup parlé avec des enfants cancéreux, avec des parents et des personnes qui accompagnent les enfants et leurs parents. Ces conversations m'ont en tout cas appris une chose : les enfants qui se sont battus pendant des années contre leur maladie, qui sont incurables et voient leur mort arriver, ont bien plus de huit ou neuf ans d'âge mental. J'ai beaucoup appris d'une petite fille de cinq ans avec qui j'avais souvent parlé. Sa vision de la vie, de ce qu'elle voulait encore donner à ses parents, ses adieux m'ont convaincue que les enfants se trouvant dans cette situation traversent un processus de mûrissement qui peut prendre toute une vie chez certains adultes.
J'ai quelques questions concrètes à ce sujet. La capacité est un concept juridique, mais c'est aussi une notion morale. D'après votre expérience, les enfants qui sont face à la mort après avoir longuement souffert et s'être longuement battus, sont-ils moralement incapables d'exprimer leur volonté ?
On dit que pour un certain pourcentage d'adultes, les antidouleur disponibles ne parviennent pas à supprimer la douleur. Est-ce également le cas pour les enfants ?
Je sais que les soins palliatifs développés autour des enfants, ainsi que l'accompagnement psychique, le lancement d'un processus de deuil, et ainsi de suite, constituent un exemple pour les soins palliatifs pour adultes. Vous l'avez d'ailleurs vous-même expliqué. Indépendamment de la discussion en faveur ou en défaveur de l'euthanasie, avez-vous l'impression qu'il existe une grande différence entre un adulte qui veut sciemment vivre avec sa famille un rituel d'adieu intime et un enfant qui veut consciemment prendre congé de ses parents ?
Pensez-vous que les enfants peuvent accepter plus ou moins de souffrances qu'un adulte ? Arrive-t-il un moment où l'enfant ne peut plus supporter sa douleur et entame avec ses parents un dialogue serein sur le fait de mettre un terme à sa vie ? Est-il pensable selon vous que l'enfant et les parents vous fassent cette demande sereine ?
M. Didier Moulin. Vous avez donc rencontré de nombreux enfants cancéreux qui ont lutté plusieurs années. Vous les avez trouvés très murs. Je confirme le fait que l'on voit chez ces enfants une maturité exceptionnelle, comme si le temps prenait une autre importance.
Vous demandez quelle responsabilité les enfants peuvent prendre dans la décision.
Mme Kathy Lindekens. Lorsque l'on parle d'enfants dans cette situation, faut-il interpréter l'incapacité d'un point de vue juridique ou moral ?
M. Didier Moulin. En fait, vous demandez si on doit considérer la responsabilité d'un point de vue juridique ou moral. Ces deux aspects sont-ils nécessairement dissociés ? Certes, on aborde ces enfants selon un cheminement que j'ai essayé d'expliquer, avec la responsabilité professionnelle et celle des parents. Ce qui nous mobilise, ce sont quand même les valeurs qui sont données à l'individu. J'aurais donc tendance à dire que c'est notre responsabilité morale que nous mettons en oeuvre. La loi, elle, donne des balises. Mais il s'agit de deux aspects d'une même chose. Quand on est devant l'enfant, devant le patient, on se pose la question de savoir ce qu'on doit faire pour bien faire. Je pense que c'est la valeur de l'individu et donc la question morale qui prédominent.
Si les solutions que l'on envisage s'écartent des règles habituelles, on se pose alors la question de savoir si la société les autorise, si la responsabilité juridique peut nous « rattraper » dans cette situation. C'est probablement une de vos préoccupations dans vos débats; agissant en âme et conscience c'est une autre façon de parler de la responsabilité morale ... Mais peut-être ai-je mal compris votre question ... ?
Mme Kathy Lindekens. Alors vous parlez de ce qui se passe chez les médecins. Ma thèse est que les enfants se trouvant dans cette situation ne sont pas incapables.
M. Didier Moulin. Je ne peux répondre à votre question. Vous avez la conviction que l'enfant pourrait exercer sa responsabilité.
Dans ce que je viens d'évoquer, un enfant peut s'exprimer soit en gestes, soit en paroles mais aussi par sa façon de se comporter, de réagir à certaines visites, par sa participation ou son refus de participation. Finalement, il nous dit beaucoup de choses mais nous avons intégré tout cela et il est évident que la relation n'est pas la même que celle que nous pouvons avoir avec les parents avec qui nous pouvons avoir une discussion, élaborer un plan et faire une proposition de plan de bataille. Toute la question est dans la présentation. Nous ne voulons pas faire porter toute la responsabilité par les parents. Nous le faisons de façon ouverte en leur laissant une possibilité de réaction.
Il est vrai que le débat ne se passe pas de la même façon avec l'enfant. On essaye de ressentir comment lui vit les choses. Lorsque vous dites qu'il pourrait exercer sa responsabilité, il ne l'exprime pas verbalement. Il ne l'exprime pas avec le même vocabulaire. Quelque part nous devons traduire et interpréter ses gestes. Il est évident que nous avons une certaine conviction de ce que dit ou veut faire comprendre l'enfant. Parfois, nous avons aussi l'impression qu'il y a un désaccord entre l'enfant et les parents. Même s'il est visible, dans mon expérience, l'enfant ne l'exprime jamais verbalement.
Mon expérience est celle d'un médecin qui travaille en soins intensifs et l'expression verbale est plus difficile en soins intensifs si, par exemple, l'enfant est sous respirateur encore que, s'il s'agit de grands enfants, ils écrivent. Il y a plusieurs façons de communiquer avec eux.
Mais ce qu'ils disent est important, là je suis tout à fait d'accord avec vous. Finalement, ce sont nos patients, c'est eux que cela concerne mais cela n'efface pas notre responsabilité. Je prends le terme responsabilité en tant que réponse à donner comme adulte qui a, vis-à-vis de l'enfant, une sorte d'instinct de protection. Si, en sortant d'ici, je vois un nourrisson sur la route, je vais me précipiter pour le protéger. N'importe qui ferait la même chose sans réfléchir.
Mme Kathy Lindekens. Je vous pose cette question parce que je connais des endroits où l'enfant et ses parents ont fait cette demande ensemble.
M. Didier Moulin. Vous m'apprenez quelque chose. Je vous remercie.
Vous me demandiez également s'il y a des douleurs insurmontables chez l'enfant qui résisteraient aux traitements anti-douleur. Je crois que oui. Cela existe chez l'adulte, cela doit exister chez l'enfant. Maintenant ces situations me semblent être tout à fait exceptionnelles.
Pour revenir à la question de savoir si l'enfant a une plus grande capacité de supporter ... il m'est difficile de répondre à cette question ... mais je suis quand même surpris de constater la capacité d'adaptation et d'invention de l'enfant dans des circonstances où l'on a l'impression que beaucoup d'adultes abandonneraient.
Voilà comment je répondrais mais il est vrai que je ne travaille pas en cancérologie. Il faudrait peut-être que j'interroge mes collègues qui travaillent plus spécifiquement dans ce domaine.
Vous demandiez également la différence entre adultes et enfants par rapport à la douleur ?
Mme Kathy Lindekens. J'évoquais le moment où l'on prend en toute conscience la décision de partir.
M. Didier Moulin. ... au moment de la séparation.
C'est une question à laquelle il m'est également difficile de répondre précisément parce que j'ai l'expérience des enfants. Une chose est certaine, les parents veulent être présents. Quand la mort arrive inopinément, quand on ne l'a pas anticipée il y a parfois des morts brutales en soins intensifs les parents la vivent toujours comme un drame. En tout cas, quand la mort survient, nous nous organisons pour que les parents puissent être là. Les enfants souhaitent être entourés. Ce sont les infirmières qui réalisent ce travail et qui le font merveilleusement. Il s'agit en majorité de femmes. Certains pourront critiquer ce point de vue mais je pense qu'elles le font avec leurs qualités de femmes même si des hommes y arrivent très bien. Elles garantissent toujours aux parents qu'elles seront présentes.
Nous avons aussi des enfants qui sont abandonnés et, à nouveau, dire cela n'est pas juger. Certains parents sont tellement désemparés, parfois les choses se passent très vite. Quelque chose s'est cassé avant. Nous avons l'impression que certains parents ont fait le deuil de leur enfant alors qu'il est encore là. C'est une source de souffrance pour l'enfant. Tout un travail est fait par l'équipe qui consiste précisément à compenser cette situation et à donner des soins à ces enfants pour leur donner l'impression qu'ils comptent. Nous nous efforçons même parfois de restaurer l'image des parents. Souvent nous avons de très longs cheminements car, en soins intensifs, nous sommes parfois dans l'incertitude de l'évolution pendant assez longtemps et, à notre grande surprise, les choses s'améliorent malgré tout. Il y a tout un travail à réaliser. Il est extrêmement difficile de recréer ce lien parental, de restaurer la confiance.
On voit aussi de la jalousie. Jalousie de certaines mères à l'égard de l'attachement que leur enfant éprouve pour les infirmières. C'est un des problèmes que nous sommes obligés d'aborder. À chaque fois c'est une aventure humaine avec énormément de difficultés mais je pense qu'elle permet à ces patients d'avoir leur place même si ce n'est pas pour longtemps.
J'espère avoir répondu à vos questions.
M. Paul Galand. Nous avons la chance de bénéficier de votre double expérience de pédiatre et de doyen. Vous nous transmettez le vécu de vos jeunes patients et de leurs proches. Nous bénéficions ainsi de l'expérience de ces derniers et nous devrions pouvoir leur transmettre nos remerciements car cette expérience contribue à l'amélioration de notre travail législatif.
Je m'inscrirai dans le cadre des questions de Mme de T'Serclaes. Il y a deux propositions concernant les soins palliatifs et continus. Sur la base de votre expérience de pédiatre, pensez-vous qu'il faut s'orienter vers des équipes spécifiques pour les enfants ? Faut-il favoriser la coexistence dans les institutions hospitalières d'équipes mobiles et de lits « soins palliatifs » spécifiques ? Quelles conditions faut-il réunir pour que les adolescents et les enfants puissent trouver leur place dans ces lits ?
Je demanderai aussi au doyen si des recherches sont en cours en matière d'accompagnement et de soins palliatifs, étant donné que les facultés de médecine ont une mission de recherche. Dans l'affirmative, nous pourrions déjà être partiellement éclairés. Il y a une proposition concernant le suivi et l'évaluation des autres législations. Avez-vous l'expérience de programmes d'évaluation en matière d'accompagnement de fin de vie ? En ce qui concerne la formation au traitement de la douleur, y a-t-il actuellement un consensus entre les facultés de médecine à propos du cursus de formation à la clinique de la douleur et des soins palliatifs et continus ? À quel stade des études de médecine convient-il de prévoir cette formation ? Dès les candidatures ? En premier doctorat ? À la fin des études seulement ? Un accord est-il intervenu entre les facultés à ce sujet ?
M. Didier Moulin. Il faudrait effectivement mettre en place des unités spécifiques de soins palliatifs et continus pour les enfants. Cependant, je pense qu'il y a concrètement des difficultés sur le plan des ressources. Notre société est confrontée au défi de dégager les ressources nécessaires. Il faut faire des choix réalistes et on peut imaginer que les équipes ne soient pas spécifiques. Toutefois, des équipes spécifiques existent déjà sur le terrain, sans être officiellement reconnues. Des personnes se consacrent aux enfants mourants évoqués par Mme Lindekens. Je crois par ailleurs que des équipes mobiles seraient très utiles. Les familles demandent très souvent à pouvoir faire leurs adieux à domicile. Ces patients ne sont pas faciles à accompagner et à entourer.
La question est judicieuse. Cependant, on doit évaluer les moyens dont on dispose et faire des choix. S'agissant de projets qui nécessitent des moyens dont on ne dispose pas, l'important n'est pas d'abandonner l'ensemble. L'idéal serait d'organiser l'accueil de tout le monde, quitte à sacrifier, par exemple, certains aspects qui demeurent néanmoins aussi importants. Quoi qu'il en soit, chaque patient doit pouvoir être entouré.
J'en viens à la question plus spécifique concernant les adolescents. L'adolescent, entre enfant et adulte, veut se faire traiter en adulte. Il me semble un peu difficile d'imaginer une spécialisation supplémentaire à ce niveau. La question devrait être posée à des spécialistes. Pour ma part, j'aurais tendance à proposer une prise en charge par des équipes « adultes ». Ou alors, il faudrait tenir compte de ce qui s'est passé avant et veiller à une certaine continuité. La situation sur le terrain devrait permettre d'orienter la décision.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous avez parlé d'une limite d'âge de quinze ans en service pédiatrique ou en soins intensifs. Concrètement, que faites-vous avec les enfants qui ont un processus évolutif de maladie ? Sont-ils transférés dans la section des adultes ?
M. Didier Moulin. Pour la répartition des tâches en fonction de l'âge, il y a la règle des quinze ans. Compte tenu des évolutions qu'a connues la médecine et de ses ressources, il y a un besoin d'organisation, de répartition des tâches, de rigueur. Il faut pouvoir s'écarter des règles en fonction des circonstances. C'est une question de bon sens de la part des équipes.
À la question de savoir si les différentes facultés de médecine sont tombées d'accord sur un programme commun en matière d'enseignement des soins palliatifs, je réponds que la question n'a pas été abordée sous cet angle. Il y a une conviction selon laquelle cet enseignement doit se faire et il se fait dans toutes les facultés. Y a-t-il un programme commun ? On peut le présumer. Mais il n'y a pas eu de démarche visant à se mettre d'accord sur un même cours. Je pense que les spécialistes dans ce domaine se connaissent bien. Il y a des spécificités locales, peut-être plus au niveau de la forme.
Si un souhait existe dans ce sens, il doit être exprimé. Jusqu'à présent, on a bien compris l'importance de cette matière abordée dès la première année de doctorat et déjà évoquée en candidature, au niveau des cours de neurophysiologie, la douleur ayant, en effet, une base neurologique. Ce sont des choses dont nous avons déjà parlé, à l'occasion, dans la plupart des facultés, mais je n'ai jamais entendu de demande concernant un programme « commun », ou alors, je comprends mal le sens de ce mot.
Je pense que c'est commun, en tout cas dans l'esprit, car nous avons une très bonne communication et une bonne collaboration; je m'en réjouis.
En ce qui concerne la recherche, je peux répondre de deux façons. En somme, les soins palliatifs impliquent aussi un aspect technique qui est mis au service du patient et des buts qui sont poursuivis pour lui. Certaines recherches se font pour telle ou telle technique, tel ou tel protocole dans telle ou telle circonstance.
On peut aussi parler, bien que le terme ne soit pas tout à fait approprié, d'une certaine recherche-action où les équipes, puisqu'il s'agit toujours d'équipes pluridisciplinaires, font régulièrement le bilan, le partage de leur expérience, avec des choses négatives et d'autres positives. Vous me posiez la question de savoir s'il existait un programme d'évaluation. Il n'y a rien d'officiel, mais bien une évaluation continue. Je rappelle un des points sur lesquels je voulais insister dans mon intervention : toutes les situations sont spécifiques et très particulières. Le souhait de voir tout bien catalogué comporterait un piège. Certes, cet effort est aussi nécessaire, mais on ne pourra jamais mettre toute la réalité dans des mots et des programmes.
Mme Clotilde Nyssens. Votre équipe compte-t-elle des psychologues ou des psychiatres ?
Par ailleurs, j'ai eu la chance de rencontrer une infirmière de liaison de Saint-Luc dont la façon d'aborder la problématique m'a touchée. L'institution d'infirmières de liaison, entre l'hôpital et le domicile, est-elle propre à votre hôpital ? Je ne connaissais pas cette fonction.
Dans votre unité, existe-t-il, comme pour les adultes, un processus de désescalade thérapeutique qui suit des guide lines construits au sein de votre équipe ou qui viendraient d'un comité d'éthique de votre hôpital ? Le comité d'éthique de Saint-Luc a-t-il des règles générales de pratique qui s'adressent à votre unité ?
Enfin, soignez-vous un grand nombre de patients qui viennent de l'étranger, étant donné la réputation de votre hôpital universitaire ?
M. Didier Moulin. Des psychologues et psychiatres sont effectivement disponibles, mais ils ne font pas partie de l'équipe, même s'ils participent à toutes les réunions qui sont organisées. Ils sont mobilisables à tout moment et jouent un rôle important. En plus de leurs qualités propres liées à leur spécialité, ils jouent aussi pour nous le rôle de la prise de distance. C'est important, car nous sommes immergés dans les problèmes. Donc, ces professionnels qui ne travaillent pas dans l'unité peuvent nous aider. Ils nous font comprendre des choses; ils jouent en quelque sorte le rôle de la personne qui regarderait la réalité naïvement.
Quant aux intermédiaires de liaison ce terme a pu être employé dans différents sens, mais ici, vous parlez de la liaison à domicile je ne pense pas qu'ils soient spécifiques à notre hôpital. Je pense qu'il y a, dans le pays, plusieurs endroits où cette formule a été développée.
Pour ce qui est du processus de désescalade, en unité de soins intensifs, comme il y a ce dialogue, nous n'utilisons pas vraiment une échelle. C'est vrai que la réflexion a eu lieu et qu'elle se poursuit, probablement un peu comme la vôtre, car je pense qu'on n'est jamais au bout de ce genre de réflexion. Pour les patients qui sont aux étages, il faut s'organiser, anticiper et éviter de prendre des initiatives dénuées de sens, sachant que toutes les équipes ne sont pas toujours présentes à toutes les heures du jour et de la nuit. Il existe une espèce de codification qui permet au service de garde de mettre en évidence les décisions qui ont été prises. Le comité ou la commission d'éthique a insisté pour que les décisions soient toujours partagées, y compris avec le patient et la famille. Elles ne doivent en effet pas exclusivement être le fait des médecins et des équipes de soins. Les décisions sont concertées, le choix a été fait, mais dans le cas des gardes, il faut que le médecin qui est appelé puisse savoir dans quelle catégorie on se trouve. En soins intensifs, comme la présence est continue, ce n'est pas nécessaire.
Mme Clotilde Nyssens. Indépendamment de la garde et de l'urgence, au moment où vous déléguez, parce que l'équipe n'est pas là, dispose-t-on d'une codification, de règles générales dictées par une instance supérieure, que ce soit le comité d'éthique ou ...
M. Didier Moulin. Non, les choses ne sont pas dictées. Il y a ...
Mme Clotilde Nyssens. Une règle générale ?
M. Didier Moulin. Il y a certainement une culture de la maison. Les gens travaillent dans un climat de confiance, ils sont supposés travailler en âme et conscience et ont la possibilité de demander conseil. Des cellules d'aide à la décision sont organisées, auxquelles ils peuvent faire appel. Une telle cellule comporte des membres de la commission d'éthique, des médecins, des personnes qui ne sont ni médecins ni infirmiers, comme des juristes, des philosophes, parfois des membres d'un des cultes. À Saint-Luc, il s'agit le plus souvent d'un prêtre, mais il nous est arrivé de nous réunir avec un imam ou avec un délégué de la morale laïque pour évoquer ces problèmes, en fonction du patient. Ces cellules ne prennent pas de décisions pour les équipes mais essaient de les éclairer au maximum, de les aider et aussi parfois de prendre du recul, en attirant l'attention sur l'un ou l'autre aspect. Il est certain que dans les équipes, des décisions se prennent. Donc, il n'y a pas un système de contrôle, de surveillance ou de réglementation, mais une invitation à la réflexion, à agir en âme et conscience, ce qui est propre à toutes les professions de la santé.
M. le président. Reste encore la question de savoir s'il y a beaucoup d'enfants étrangers dans votre service.
M. Didier Moulin. La réponse est oui.
Mme Clotilde Nyssens. En fait, je réfléchis ... Étant donné que dans notre pays, on soigne beaucoup de personnes étrangères, notamment des enfants, parce que nous avons une bonne réputation médicale, il faut être conscient qu'à l'avenir, dans l'éventualité où la Belgique aurait une réglementation particulière, celle-ci touchera des personnes étrangères.
M. Didier Moulin. Il existe chez nous une équipe chirurgicale jouissant d'une grande renommée dans le domaine de la transplantation hépatique chez l'enfant. Plus de mille transplantations sont effectuées chez des enfants venant de presque tous les pays d'Europe.
M. Jean-François Istasse. Je voudrais rappeler, à titre de précaution, comme M. Monfils l'a fait au début du débat, que les propositions sur l'euthanasie ne concernent en rien les enfants ou les adolescents. On a aussi évoqué, au cours de notre débat, des hypothèses fort négatives, où les parents ne remplissaient pas leur rôle. On peut aussi aborder l'autre aspect où les parents surprotègent leurs enfants ou adolescents et demandent au médecin d'aller « au-delà du raisonnable ». Quand est-on au-delà du raisonnable et quand y a-t-il acharnement thérapeutique au détriment des intérêts de l'enfant ?
M. Didier Moulin. À la demande des parents ?
M. Jean-François Istasse. Exactement.
M. Didier Moulin. Nous rencontrons cette problématique qui est bien réelle. Nous suivons alors le même cheminement. Nous essayons, dans la rencontre, dans le respect réciproque, d'entendre, de ne pas tricher. Je fais part d'une conviction tout à fait différente, mais je ne me sens pas autorisé à négliger le rôle parental. Dans la majorité des cas, ce cheminement a lieu. Tout doit être décrypté. On rencontre des problèmes de compréhension, de refus, de déni. Quand on vit quelque chose qu'on ne voudrait pas vivre, on a parfois tendance à dire que ce n'est pas vrai, que ce n'est pas possible. Il faut du temps pour qu'on finisse par accepter l'inacceptable. C'est pourquoi je pense que le cheminement de la souffrance humaine est inévitable mais, pour utiliser une image, qu'on peut essayer d'alléger le fardeau, d'aider à le porter. Ma façon de m'exprimer peut peut-être choquer. Dans notre société, indépendamment du problème abordé aujourd'hui, il y a beaucoup de choses difficiles à porter. Le souci des responsables de notre pays est probablement que la solidarité qui a été organisée dans notre société soit vivante. Le débat traduit le souci de penser aux patients qui sont dans des situations exceptionnelles.
M. Josy Dubié. Nous vous remercions de votre témoignage empreint d'une très grande humanité, ce qui est la moindre des choses que l'on peut espérer quand on traite d'enfants.
M. Ben Van Camp. Permettez-moi de me présenter avant d'en venir à l'objet de l'audition à laquelle vous m'avez convié aujourd'hui. Je suis chef de service en oncologie médicale et en hématologie à l'AZ-VUB; ce service fait partie du département des maladies internes et est intégré en raison de la pathologie traitée au Centre du cancer ou Centre d'oncologie de la VUB. Mon service est spécialisé dans le traitement médical de patients atteints de tumeurs fixes et de maladies du sang. Cela englobe aussi bien la prévention, le diagnostic, la chimiothérapie et les soins supportifs que le suivi des patients. Étant donné que souvent, différentes disciplines médicales sont impliquées dans le diagnostic et le traitement (chirurgie, radiothérapie), le patient fait l'objet d'un traitement multidisciplinaire. Dans le cadre de ce suivi intégré par différents spécialistes, l'unité de soins palliatifs dirigée par le Dr. Distelmans fait également partie du Centre d'oncologie. Je suis en outre professeur ordinaire à la faculté de médecine de la VUB et depuis 7 ans, le doyen de cette faculté. Je suis notamment chargé de la formation des médecins; celle-ci a fait l'objet de profondes réformes ces dernières années, à la suite d'un certain nombre de mouvements sociaux.
Dans le contexte actuel et en me basant sur mon expérience personnelle, mon témoignage se limitera au contenu des propositions de loi à l'examen, qui donnent de l'euthanasie la définition utilisée par la sous-commission du comité consultatif de bioéthique : l'interruption intentionnelle, par un médecin, de la vie d'un patient en phase terminale, à la demande expresse de ce dernier. Cette demande doit se fonder sur des conversations répétées avec le patient, être évaluée avec un autre médecin, de préférence faire l'objet de discussions avec les autres prestataires de soins et les proches, et être étayée par un testament de vie récent exprimant la volonté du patient. Mon expérience concerne des cas de patients cancéreux. Mes propos ne reflètent que mon opinion personnelle et ma conviction propre; ils ne traduisent en rien le point de vue de la VUB ni celui de l'AZ-VUB en tant qu'institution.
Pour le patient, le diagnostic de cancer comporte une connotation dramatique. Le patient est brusquement confronté à une tumeur qui grossit de manière incontrôlée et qui menace sa vie plus rapidement ou du moins, plus soudainement qu'il ne l'avait prévu. Ce sentiment est encore attisé lorsqu'il s'agit d'un patient jeune. On met alors tous les espoirs dans la technologie médicale, convaincu que les progrès scientifiques accomplis au cours du siècle dernier viendront à bout de la maladie. Même si c'était le cas et j'y reviens immédiatement la guérison est encore une notion toute relative puisque chacun d'entre nous est génétiquement prédestiné à mourir. La science nous a en effet appris que toutes les cellules humaines sont programmées pour mourir, certaines au bout de quelques heures, d'autres au bout de plusieurs années. Leur addition détermine la durée de vie de notre organisme. La mort est donc une horloge biologique intégrée à la cellule vivante. Il est étonnant de constater qu'alors que la connaissance de la biologie a démontré cette réalité (le caractère indissociable de la vie et de la mort), nos contemporains continuent à vouloir prolonger indéfiniment la vie et à considérer la mort comme une ennemie. La technologie médicale a-t-elle amélioré le pronostic ou les chances de guérison du cancer au cours des dernières décennies ? Il est essentiel que nous nous arrêtions quelques instants sur ce point à la lumière de mon exposé. L'appellation « cancer » englobe toutes sortes de tumeurs malignes provenant de différents tissus. Le degré de développement de la tumeur et son mode de dissémination non seulement provoquent des symptômes cliniques différents mais requièrent également des traitements différenciés.
Après avoir utilisé pendant 40 ans diverses thérapies telles que la radiothérapie, la chirurgie et la chimiothérapie, on constate que les tumeurs limitées se guérissent par chirurgie ou radiothérapie locale, alors que la plupart des tumeurs disséminées, traitées par chimiothérapie, ne guérissent jamais. La seule exception à la règle concerne quelques tumeurs spécifiques des cellules sanguines que l'on guérit, grosso modo, dans 50 % des cas. Malgré la multiplicité des nouveaux traitements, ces statistiques n'ont pas évolué au cours des 40 dernières années. Cela signifie qu' un cancer détecté à un stade avancé n'a, dans la plupart des cas, aucune chance de guérir; en d'autres termes, la chimiothérapie n'est proposée qu'à titre palliatif : elle permet de réduire pendant un certain temps la masse tumorale et d'atténuer les symptômes cliniques jusqu'au moment où la maladie devient réfractaire et l'emporte sur chaque cytostatique. La recherche d'un remède miracle contre le cancer continue à mobiliser de nombreuses énergies. Le patient est donc de plus en plus souvent exposé à des traitements expérimentaux incluant la recherche de la bonne combinaison, la dose, la toxicité acceptable, etc. Le seul moyen de tester ces nouveaux traitements est de les mettre en oeuvre dans le cadre d'une étude comparative. Différents scénarios sont utilisés; ils doivent tous satisfaire à certains critères éthiques et statistiques. L'utilisation de nouveaux médicaments dont les effets n'ont pas été démontrés ne devrait être autorisée que dans le cadre d'une étude et moyennant un contrôle indépendant. J'ai évoqué ce problème pour démontrer que d'une part, de nombreux traitements du cancer sont, dès leur début, de nature palliative et que dans le meilleur des cas, ils prolongent la vie et que, d'autre part, l'expérimentation de nouvelles thérapies doit être soumise à des normes strictes. Dans chaque cas, un médecin traitant est confronté à un patient auquel il doit d'abord expliquer le diagnostic et le pronostic avant de lui proposer une stratégie thérapeutique sensée pour lui (et non pour le médecin). Cela implique que le patient doit bien comprendre quels sont ses choix, quelle est son espérance de vie avec ou sans traitement, quels sont les problèmes cliniques auxquels il sera confronté, les effets secondaires d'un traitement, le sens d'une thérapie expérimentale et enfin envisager les conditions dans lesquelles il pourrait survivre. Le médecin doit en même temps tenter d'évaluer si le patient a bien compris son explication, quelle est sa situation personnelle et familiale, quelle est sa perception de la vie et de la mort, etc. Durant plus de 25 ans de pratique, j'ai appris que l'on ne pouvait pas se contenter d'une seule explication d'une demi-heure ou davantage. Le patient va passer par un certain nombre de phases, différentes à chaque fois, qui sont fonction de son éducation, son niveau intellectuel, sa philosophie de la vie, sa perception de la dignité, etc. Le plus important et le plus difficile à admettre, c'est qu'une maladie en arrive au stade terminal, particulièrement lorsqu'on a entamé des traitements qui provoquent, pour un temps, une rémission complète de la maladie. Par conséquent, le médecin doit accepter de dialoguer, en toute franchise et à tout moment, avec le patient et l'inciter à parler de sa maladie. Il est dès lors essentiel que le médecin soit bien formé à l'écoute du patient et au questionnement proactif. Et, plus important encore, le médecin doit être prêt, à tout moment, à consacrer du temps à l'écoute de son patient. Malheureusement, c'est souvent l'inverse qui se passe.
Il est en effet plus facile pour un médecin de décider, à partir d'une attitude d'omniscience, ce qui est bon pour le patient, de lui fournir une explication unique, sans trop entrer dans les détails, de faire peser sur la famille tout le poids d'un accompagnement psychologique plus profond et de parler avec optimisme des nouvelles possibilités offertes par les technologies médicales modernes. Je suis effrayé par l'idée que l'on pourrait prétendre que, si le médecin ne peut consacrer davantage de temps à son patient, c'est en raison de l'insuffisance des remboursements des actes de la part de l'INAMI. Ce scénario va pourtant se multiplier au cours des prochaines années en raison de la limitation draconienne du nombre de médecins que vous, hommes politiques, avez approuvée en concertation avec les syndicats de médecins et les mutualités.
L'information complète et la prise en charge émotionnelle du patient cancéreux sont donc au centre des préoccupations. Ce principe repose sur le droit inaliénable de tout homme à disposer de lui-même. Le médecin ne peut que prêter assistance, en son âme et conscience. Un « colloque singulier » entre patient et médecin peut être extrêmement enrichissant pour tous les deux. Cette confiance sera également à la base des décisions ultérieures qui seront prises au cours de l'évolution de la maladie. L'expérience m'a pourtant appris que tous les patients ne sont pas toujours capables de prendre une décision en toute autonomie. Mais ils doivent faire confiance au médecin pour prendre à leur place la décision appropriée. Prenons l'exemple d'un nouveau plan thérapeutique proposé dans le cadre d'une étude contrôlée. Le patient ne peut y participer que si l'étude a été approuvée par une commission éthique reconnue et que le patient a donné son consentement par écrit : c'est ce que l'on appelle le « consentement éclairé ». Par ce document, le patient reconnaît qu'il connaît la nature de son affection, les effets secondaires possibles du traitement, qu'il sait qu'il s'agit d'un traitement expérimental, et qu'il est « tiré au sort » (dans la première branche du schéma, le traitement conventionnel, dans l'autre le schéma expérimental). Lorsque vous apprendrez que, dans la première phase et deux études, les décès sont attribués, dans 20 % des cas, à la toxicité du traitement, vous comprendrez qu'en signant le « consentement éclairé » en connaissance de cause, le patient accepte en même temps le risque d'un décès anticipé. Je doute cependant que le patient soit toujours informé complètement dans de nombreux cas de « consentement éclairé ».
Comme je l'ai déjà indiqué, la plupart des traitements de chimiothérapie sont palliatifs et visent à prolonger la vie. Ces dernières années, la poursuite de la chimiothérapie et de son cortège d'effets secondaires, surtout en cas de résistance et en dehors du cadre d'une étude, se heurte à l'objectif du maintien de la qualité de la vie. C'est ce qui est à l'origine du mouvement actuel en faveur des soins palliatifs. Même si je suis convaincu de la nécessité de reconnaître, subventionner et développer le réseau de soins palliatifs, j'estime que ceux-ci doivent faire partie intégrante de l'approche globale du traitement du cancer. Les soins palliatifs débutent en effet au moment où l'on diagnostique un cancer incurable. Dans leur phase finale, ces soins devront mettre l'accent sur l'aggravation des douleurs physiques, la préparation à la séparation ou l'entrée dans la mort. L'accompagnement doit permettre de savoir exactement comment le patient appréhende cette phase terminale. Fort de ces informations, le médecin aidé de toute son équipe devenu au cours du traitement la principale personne de confiance fera, en son âme et conscience, tout ce qui est en son pouvoir pour offrir au patient une fin aussi confortable que possible.
Il est hypocrite d'affirmer que des soins palliatifs de bonne qualité supprimeraient toute demande d'euthanasie dans le chef des patients. Ce qui va disparaître, ce sont les demandes d'euthanasie inspirées par la panique; seuls quelques patients choisiront de prendre une telle décision, de la manière qu'ils préfèrent. Il est de notre devoir, en tant que médecin de confiance, de les y aider.
Il est tout aussi hypocrite de prétendre que des soins palliatifs de bonne qualité vont se substituer à l'euthanasie. Dans de très nombreux cas, les soins palliatifs terminaux abrègent délibérément la vie, la plupart du temps avec le consentement de la famille et, espérons-le, après consultation de l'équipe soignante et sans avoir subi de pression économique. Selon une étude flamande récente de la VUB-RUG, les pratiques médicales visant à abréger la vie de patients terminaux atteints de maladies telles que le cancer constitueraient en fait une euthanasie pure et simple, dans la mesure où le patient a été consulté. Lorsque cet acte correspond effectivement à la volonté du patient, comme il a été dit plus haut, je considère qu'il s'agit de bonnes pratiques cliniques. Le problème, c'est que pratiqués dans l'illégalité, sous le couvert de soins palliatifs, ces actes ouvrent la porte à des abus.
En résumé, j'aimerais que vous compreniez bien que je plaide, en tant que chef de service du département d'oncologie médicale et d'hématologie, pour une prise en charge complète du patient cancéreux, celui-ci ayant le droit de décision, à chaque stade de l'évolution de la maladie, depuis le moment du diagnostic jusqu'à son décès éventuel. Il nous appartient à nous, médecins, de nous montrer loyaux et de faire du « colloque singulier » une expérience unique. Je sais par expérience qu'une belle mort est préférable, tant pour les patients que pour leurs proches, à une perte prolongée de dignité. En tant que médecin, je veux être protégé lorsque j'exécute la volonté du patient. C'est pourquoi la déclaration de volonté doit acquérir une force légale. Je demande que la société démocratique et pluraliste à laquelle j'appartiens contrôle la qualité de mes actes. C'est pourquoi j'approuve sans réserve le texte de loi à l'examen.
Mme Kathy Lindekens. Docteur, j'ai déjà eu le plaisir de pouvoir échanger avec vous des idées sur l'accompagnement de patients dans la dignité. Vous dites que le médecin doit, en permanence, être prêt à l'écoute. Il y a un an et demi, ce sujet n'était pratiquement pas abordé dans la formation des médecins. Je suppose que vous êtes intervenu pour faire changer les choses à la VUB. Comment les futurs médecins seront-ils formés à l'écoute ? Existe-t-il des formations complémentaires pour les médecins actuels ?
M. Ben Van Camp. La réforme du cursus est en cours dans toutes les facultés de médecine de Flandre mais aussi de Wallonie. La faculté de médecine de la VUB a approuvé la réforme du cursus jusqu'à la sixième année.
Sans vouloir négliger les connaissance théoriques, il faut également accorder de l'importance aux capacités de communication. On s'y attelle déjà en première candidature. Les étudiants s'exercent au dialogue. Au cours de séminaires, on organise des exercices de simulation durant lesquels le personnel qui accompagne les patients hospitalisés au centre du cancer jouent le rôle du patient. On y enseigne la meilleure manière de communiquer le diagnostic à un patient.
Une deuxième série de cours est dispensée pendant les années de doctorat. Pendant le stage qui dure près de trois ans, la moitié à mi-temps, l'autre à temps plein on travaille par modules intégrés. L'un de ces modules est l'oncologie. Étalé sur deux ans, ce module regroupe un certain nombre de sous-spécialisations qui sont enseignées au niveau de la médecine de base, c'est-à-dire un niveau conçu pour des personnes disposant d'une connaissance suffisante pour entamer ultérieurement n'importe quelle spécialisation, également celle de médecin généraliste. Dans ce module intégré, on exerce les capacités de communication avec le patient, au cours des stages effectués dans les différentes disciplines oncologiques. On y aborde également les soins palliatifs. Le professeur Distelmans donnera ce cours à partir de la prochaine année académique.
En ce qui concerne la formation post-universitaire la spécialisation , toutes les spécialités sont dispensées à l'université, conformément à la loi fédérale. Cette formation dure deux ans. Les facultés flamandes sont en train de réfléchir à la manière d'y intégrer les soins palliatifs; j'espère que le programme laissera de la place aux capacités de communication.
Je profite de l'occasion pour souligner le risque de pénurie de médecins. La population n'en a pas conscience mais la spécialisation universitaire absorbe, de par sa grande technicité, beaucoup de temps et d'énergie. Dès à présent, les médecins manquent de temps pour dialoguer avec leurs patients; je crains que la situation ne s'aggrave encore à l'avenir.
Mme Mia De Schamphelaere. J'ai un grand nombre de questions à vous poser. Vous partez de l'idée que tout traitement du cancer est de nature palliative, que la filière palliative débute dès l'instant du diagnostic.
M. Ben Van Camp. Non, je n'ai jamais dit cela. Ne m'interprétez pas mal. Ce que j'ai dit, c'est qu'un cancer avancé, par exemple une tumeur pulmonaire au stade 2 c'est-à-dire avec envahissement des tissus voisins est une maladie incurable. En revanche, un cancer du sein dont la tumeur est enkystée est parfaitement curable. Pour une leucémie aiguë, les chances de survie sont, dans le meilleur des cas, de 50 %; toutefois, il ne s'agit que d'un pronostic et naturellement, nous ne savons pas d'avance qui va s'en sortir. Ce seront les personnes auxquelles la chimiothérapie donne une chance de guérison. Dans ce cas, notre attitude sera différente car nous voulons offrir à ces personnes les meilleures chances possibles. Je n'ai donc jamais dit que tous les types de cancer faisaient, dès leur début, l'objet de soins palliatifs.
Mme Mia De Schamphelaere. Pour certains diagnostics, on sait qu'à un stade donné, la maladie est incurable. Faut-il à ce moment passer à la phase palliative ou le médecin doit-il, s'il est confronté à une demande d'euthanasie, ne renseigner le patient que sur les possibilités de prise en charge palliative, comme l'indique la proposition de loi ? Souvent, on critique le fait que la proposition de loi place le patient devant une alternative : soit on répond à une demande d'euthanasie, soit on propose des soins palliatifs. Êtes-vous de cet avis ?
M. Ben Van Camp. Je n'ai pas lu le texte de loi de cette manière. Selon moi, il y est dit que l'on doit offrir une prise en charge complète et que le patient peut, à un moment donné du traitement, formuler une demande d'euthanasie. Je suppose que « le médecin » dont il est question dans le texte de loi, est le médecin traitant qui consulte un (ou plusieurs) de ses confrères et, idéalement, les proches du patient. C'est ce que l'on appelle la continuité dans les soins. Il ne s'agit pas d'une alternative mais d'une continuité. Selon mon interprétation du texte de loi, le patient doit être suffisamment au courant et comprendre tout ce qui se passe. Tout au long de la discussion, il doit pouvoir faire un choix. À ce moment-là, le patient se trouve peut-être effectivement devant une alternative. Il est alors particulièrement désarmé et doit être protégé par ce médecin qui a établi avec lui un colloque singulier. Le patient doit ressentir et comprendre cela. Il ne doit pas craindre son médecin en raison de son statut. Il doit admettre que le médecin est un homme comme lui, placé devant les mêmes interrogations, les mêmes difficultés que lui, mais ouvert à une discussion approfondie. Parfois, le dialogue ne peut avoir lieu parce que le patient ne le souhaite pas. Je connais une foule d'exemples de personnes très intelligentes qui criaient haut et fort que le jour où cela leur arriverait, elles demanderaient aussitôt l'euthanasie ou se suicideraient, mais lorsque la situation se présente, elles refusent d'en parler, même si on les y incite. Chaque patient a son individualité et nous ne pouvons rien lui imposer. Je ne trouve pas que la loi nous place devant une alternative.
Mme Mia De Schamphelaere. Article 3, premièrement : l'une des obligations préalables du médecin est d'informer le patient des différentes possibilités de prise en charge palliatives existantes, plutôt que de se contenter de le proposer et d'attendre ses questions. Peut-être le texte doit-il être réécrit.
M. Ben Van Camp. Je ne pense pas qu'il s'agisse véritablement de l'essence du texte.
Mme Mia De Schamphelaere. Ce l'est pourtant à certains égards. Si l'on part d'un état de nécessité, il faut avant tout proposer toutes les possibilités de soins palliatifs. Pour nous, c'est essentiel.
Vous avez vous-même évoqué les « demandes paniques ». Nous avons souvent entendu dire que de nombreuses demandes d'euthanasie sont conditionnées par des pressions sociales. La demande n'est pas le désir. L'enquête approfondie menée aux Pays-Bas l'a également démontré. Si vous mettez le colloque singulier au centre des préoccupations et que seule compte la relation médecin-patient, comment les « demandes paniques » ou les demandes dictées par des préoccupations sociales peuvent-elles êtres totalement éliminées ?
M. Ben Van Camp. J'essaie de comprendre ce que vous entendez par pressions sociales. J'ai connu beaucoup de patients et je ne vous comprends pas lorsque vous dites que les « demandes paniques » seraient dictées par des préoccupations sociales. Voulez-vous dire que la pression de la famille devient trop forte ?
Mme Mia De Schamphelaere. Par exemple.
M. Ben Van Camp. Pour moi, il ne s'agit pas de pression sociale. Par « demande panique », je vise le cas suivant : on annonce à un patient qu'il a un cancer disséminé. Il veut savoir ce que cela implique exactement et le médecin lui fournit une explication. Lorsqu'il veut connaître la suite des événements, on lui répond que la chimiothérapie peut permettre de réduire la masse tumorale. Le patient peut alors interroger le médecin sur ses chances de survie. En cas de réponse négative, il sera pris de panique. La plupart du temps, la famille ou les proches assistent à la conversation. Malheureusement, de nombreux médecins refusent de révéler un tel diagnostic au patient. On peut sans doute incriminer leur formation. La vérité est voilée et l'annonce, remise à plus tard. On entame une thérapie dans le plus grand optimisme. J'estime que cette attitude n'est pas correcte vis-à-vis du patient. Le patient doit traverser cette phase pénible avec l'aide du médecin. Je n'ai pas le sentiment que la pression sociale ait de l'importance. Le patient se pose lui-même des questions. Que va-t-il advenir de moi ? Quelle est ma situation familiale ? Comment préparer mon départ ? Sa panique, comme toutes les autres, est due à l'ignorance.
Mme Mia De Schamphelaere. Ne trouvez-vous pas qu'une fois que la décision d'euthanasie a été prise par vous-même ou par le patient, il devient nécessaire d'envisager l'une ou l'autre forme de soutien de la part d'un collègue, de l'équipe soignante ou de la famille ? Ou cela doit-il rester une affaire entre vous et le patient ?
M. Ben Van Camp. Ce n'est pas moi qui prends la décision d'une euthanasie. La demande émane du patient. Cette demande fait l'objet d'une discussion approfondie avec l'équipe. Assez souvent, l'équipe n'accepte pas l'euthanasie. Je parle ici de la véritable euthanasie : le patient n'en peut plus et demande qu'on le mette sous perfusion. Cela se produit très rarement. Dans la plupart des cas, la panique est endiguée et le patient retrouve confiance : il sait qu'il sera bien pris en charge. À un moment donné, on entame alors les soins palliatifs. J'estime que 40 % des soins palliatifs dispensés aux patient cancéreux se terminent pas une euthanasie. Cette décision se prend en groupe. On comprend intuitivement ce que le patient demande ou qu'il s'agit de la démarche la plus appropriée.
Je voudrais en venir brièvement au problème de la pression économique. Je puis m'imaginer que la pénurie de lits pose, à certains moments, de réels problèmes aux médecins hospitaliers. Lorsque tous les lits des hôpitaux sont occupés, une situation fréquente en hiver, et que des patients atteints d'une maladie aiguë doivent être hospitalisés, on peut être tenté d'abréger l'agonie d'un patient hospitalisé en soins palliatifs et dont la situation est désespérée . Il endure des souffrances insupportables et son calvaire peut encore se prolonger deux ou trois semaines. Le manque de lits pour les patients qui en ont réellement besoin peut être un argument supplémentaire pour mettre fin à ses souffrances. Je crains qu'un tel argument soit envisagé dans de nombreux hôpitaux, même si on ne le dit pas ouvertement.
Ce problème s'écarte toutefois de celui de l'euthanasie proprement dite, c'est-à-dire une situation dans laquelle le patient formule lui-même une demande expresse. Ce type de demande est rare parce que, comme nous l'avons déjà dit, le patient est bien pris en charge. Mais elle existe.
Mme Mia De Schamphelaere. Y a-t-il, pour vous médecin, des facteurs médicaux objectifs qui vous empêchent de répondre à une demande expresse d'euthanasie ? Votre hôpital, par exemple, a-t-il établi des directives générales limitant l'euthanasie à des maladies bien définies et à des stades précis de ces maladies ?
M. Ben Van Camp. Dans l'hôpital où je travaille, le conseil médical a adopté, la semaine derière, une attitude extrêmement pluraliste dans le sens que l'on n'impose aucune obligation à personne. Toute demande d'euthanasie formulée par un patient est, par définition, discutée au sein du centre d'oncologie, notamment avec le service de soins palliatifs du professeur Distelmans.
Cette demande émane également d'autres types de patients qui ne sont pas traités chez nous (c'est-à-dire au Centre du cancer). Le conseil médical demande alors que les médecins qui accompagnent ces patients recueillent l'avis d'un ou plusieurs médecins médiateurs, membres du comité de réflexion éthique.
Je puis vous assurer qu'au sein de notre hôpital, le débat sur l'euthanasie se déroule dans les mêmes conditions que celui-ci et que nulle part, contrairement à ce qui se passe apparemment à l'UCL et à la KUL, on ne nous dicte ce qui peut ou ne peut pas se faire.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous voulez dire qu'on n'y donne pas de directives générales ?
M. Ben Van Camp. On y dit surtout ce qui ne peut se faire, qu'on ne peut pas appliquer le texte de loi. C'est en tout cas ce que j'ai lu, aussi bien à propos de l'UCL que de la KUL.
Mme Mia De Schamphelaere. On y recherche apparemment des alternatives.
M. Ben Van Camp. Pour notre part, nous partons du principe que tout homme est responsable de ses actes, sur tous les plans, et qu'il faut que la société exerce un contrôle sur ces actes. Nous ne pouvons cependant pas définir ce qu'implique exactement cette responsabilité. Nous ne pouvons que prévoir une protection pour ces actes. C'est précisément ce qu'offre la loi. Chez nous, il n'existe pas de directives, nous discutons chaque fois au cas par cas. Il est d'ailleurs très rare que des patients demandent une euthanasie pure et simple. Les soins palliatifs qui ont pour effet d'abréger la vie du patient sont plus courants; pour moi il s'agit également d'une forme d'euthanasie.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous dites être très rarement confronté à une demande expresse d'euthanasie. C'est vraisemblablement parce qu'il existe une relation de confiance entre le médecin et le patient.
M. Ben Van Camp. C'est aussi parce que les patients n'osent pas en parler. Ce n'est que tout dernièrement, notamment grâce à cette commission, que des patients et des médecins osent aborder ce sujet. Je m'attends à présent à une multiplication des demandes.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous insistez également beaucoup sur la déclaration anticipée. Quelle est la position du médecin à ce sujet ? La considère-t-il comme un « ordre d'exécution » dans des situations où le dialogue n'est plus possible ? N'existe-t-il pas des facteurs médicaux objectifs qui excluent la mise en oeuvre de la déclaration anticipée ?
M. Ben Van Camp. J'estime que vous vous écartez à présent de la proposition de loi proprement dite. L'euthanasie de patients incapables n'entre pas dans le cadre de ce débat. J'ai mon opinion personnelle à ce propos, mais elle n'a pas sa place dans la discussion que nous menons aujourd'hui. Nous pouvons en effet soumettre la déclaration anticipée à un certain nombre de conditions. Comme le prévoit la proposition de loi, elle doit être répétée, récente et faite devant témoins. Son application est toutefois subordonnée à la nature de la maladie. Le cancer est une maladie évolutive dont l'issue négative, voire fatale est évidente. Il en va tout autrement d'un patient soudain frappé d'une hémorragie cérébrale. J'ai récemment eu le cas d'un patient qui avait fait longtemps auparavant une déclaration anticipée ou qui avait en tout cas dit quelque chose de ce genre en présence de nombreux témoins. Après son hémorragie cérébrale, il n'a plus demandé l'euthanasie. De tels patients sont pourtant confrontés à la situation inacceptable qu'ils avaient envisagée dans leur déclaration anticipée. Il est évident que dans ce cas, aucun médecin ne pratiquera malgré tout l'euthanasie.
Mme Jacinta De Roeck. Je tiens à remercier M. Van Camp, à la fois pour la clarté de son exposé tout en nuances et pour les réponses précises qu'il nous a déjà apportées. Ce n'était pas le cas de tous les orateurs, loin s'en faut ...
Ma première question rejoint celle de Mme Lindekens. M. Van Camp accorde énormément d'importance à la formation des médecins : on leur demande non seulement de poser un diagnostic et un pronostic sûrs, mais également d'être formés à l'écoute. À l'instar des professeurs, ils doivent posséder une bonne dose d'aptitudes sociales. Que fait-on alors des étudiants en médecine qui n'ont pas ou pas suffisamment ces aptitudes ?
Ma seconde question porte sur les différentes phases par lesquelles passe le patient entre le moment où il est confronté pour la première fois à sa maladie fatale, et ses derniers instants. Quelles sont ces phases ? Y a-t-il des moments où les demandes d'euthanasie se répètent et l'expérience du médecin lui permet-elle d'apprécier s'il s'agit d'une demande passgère, persistante ou autre ? Il me paraît essentiel de pouvoir juger cela correctement, d'autant plus que l'on s'attend à ce que les demandes d'euthanasie se multiplient dans un proche avenir.
M. Ben Van Camp. Je répondrai d'abord à la question la plus simple, celle sur les étudiants. Les étudiants flamands doivent présenter un examen d'entrée. Je fais d'ailleurs partie de la commission d'examen et je suis donc relativement bien au courant de son contenu. On cherche à sonder certaines aptitudes; il s'agit notamment de la compréhension, la capacité d'appréhender les situations. On présente une vidéo montrant un médecin en conversation avec un patient et l'on examine s'il s'agit d'une attitude négative ou positive. Cette situation est intégrée dans l'examen. L'avenir nous dira si ce mode de sélection est valable. Personnellement, j'en doute.
À mon sens, le contact facile est une aptitude innée. Au fil des ans, on s'aperçoit que ce ne sont pas toujours les meilleurs étudiants qui sont les plus aptes à communiquer. On observe aussi l'inverse : souvent, les étudiants noceurs seront plus tard les meilleurs médecins. Pendant le stage, on remarque parfois que certains étudiants ont des problèmes de communication avec les patients, sans pourtant poser un mauvais diagnostic. Heureusement, il existe des sous-spécialisations dans lesquelles les médecins sont moins en contact avec les patients. Mais si les problèmes sont graves, on bloque l'étudiant.
Mme Jacinta De Roeck. Il faut alors qu'il y ait suffisamment de candidats médecins. Ceux qui possèdent des aptitudes sociales peuvent ensuite suivre une spécialisation en soins palliatifs.
M. Ben Van Camp. Il s'agit là d'un autre débat. Le médecin occupe une position clé en raison de la formation diversifiée dont il a bénéficié. En soins palliatifs, on fait appel à différentes personnes, (psychologues, travailleurs sociaux). Dans notre centre, par exemple, une personne apprend aux patients traités par chimiothérapie à se maquiller pour avoir meilleure mine. Le médecin joue toujours un rôle clé, mais il ne doit pas à lui seul s'occuper de la communication. Des psychologues, formés à cette tâche, peuvent s'en charger.
Vous avez également demandé si, à certains moments, la demande d'euthanasie se faisait plus pressante pour ensuite s'estomper. Je crois que l'idée de l'euthanasie traverse sporadiquement l'esprit des patients. Je ne sais pas si cela est dû à la pression sociale, mais souvent, le patient a le sentiment profond qu'il n'en peut plus. Peut-être parce que la chimiothérapie devient difficile à supporter ou parce que le séjour en chambre stérile rend difficiles les contacts avec le monde extérieur. À ces moments-là, la nécessité du dialogue se fait plus pressante. Toutefois, je ne pense pas qu'à cet instant, les patients recherchent des possibilités d'euthanasie active. Le dialogue peut d'ailleurs être un exutoire. Je donne l'exemple de la maladie de Kahler. Il s'agit d'une maladie incurable. Dans les cas extrêmes, un certain nombre de patients pourront peut-être bénéficier de transplantations allogéniques, mais 99 % des patients devraient savoir que cette maladie évolue lentement mais que son issue est fatale. Il y a des périodes de rémission complète avec disparition totale des symptômes. Cela incite à l'optimisme : le patient se sent très bien, la maladie n'est plus visible et les analyses de sang ne détectent plus rien. Il est difficile pour un médecin d'avertir que la maladie va réapparaître, car elle le fait. Il faut cependant dire la vérité au patient. Lorsqu'il y a rechute, le patient peut avoir besoin d' une assistance psychologique car il va traverser des moments pénibles. Dans de telles circonstances, certains songeront à l'euthanasie mais je ne pense pas qu'ils la demanderont effectivement.
M. Paul Galand. Vous avez insisté sur le temps pour le dialogue et vous avez parlé du programme de formation qui avait été approuvé dans votre faculté. Pourrait-on éventuellement avoir communication de ce programme via les services de la commission ?
Ce matin, le docteur Clumeck a évoqué les effets pervers des indices de performance imposés aux services hospitaliers. Comment faudrait-il les corriger à votre avis ? Quelles améliorations ou modifications faudrait-il apporter pour renforcer ce temps disponible pour le dialogue, en fonction de l'évolution de la psychologie des gens et de l'accroissement du nombre d'informations dont ils peuvent disposer ? Il est évident, comme vous l'avez dit, qu'on ne peut en terminer en 25 minutes avec le problème du dialogue. Celui-ci doit être repris régulièrement en fonction des phases d'évolution de la maladie. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Je reprends des questions que j'ai déjà posées à d'autres intervenants concernant les soins palliatifs et continus puisque deux propositions concernent cette problématique. Dans votre hôpital, êtes-vous plutôt partisan d'équipes mobiles de soins palliatifs qui vont, en deuxième ligne, renforcer les différents services, ou de lits spécifiques, ou des deux à la fois. Dans ce cas, comment peut-on articuler ces deux aspects ? Dans votre faculté de médecine, avez-vous des programmes de recherche sur l'accompagnement des patients en fin de vie et des programmes d'évaluation de ces accompagnements. Une des propositions en discussion concerne en effet le suivi de cette problématique ?
M. Ben Van Camp. Les indices de performance posent de graves problèmes. Les hôpitaux sont pénalisés lorsque l'hospitalisation est trop longue. Plus la pathologie est lourde, plus on reçoit d'argent. Étant donné que bon nombre de médecins sont bien formés, certaines techniques spécifiques ne sont plus limitées aux seuls hôpitaux universitaires. En Belgique, selon mes estimations, on compte 27 centres qui réalisent des greffes de moëlle osseuse. Le 28e, qui compte deux lits, vient de voir le jour à Bruxelles. Une telle situation est inimaginable à l'étranger. C'est scandaleux, d'autant plus que la qualité laisse à désirer. Mais les hôpitaux trouvent cela essentiel pour leur prestige et pour attirer des patients.
La haute technicité rapporte beaucoup aux hôpitaux et ce, au détriment du dialogue avec le patient. Je m'exprime en tant qu'interniste. En médecine interne, une consultation revient à environ 700 francs. Une gastroscopie qui ne prend qu'une minute coûte 4 à 5 000 francs. Pour être rentable, un interniste d'un grand hôpital doit consacrer à son patient non pas une demi-heure, mais cinq minutes. Cette pression va encore s'aggraver. Il faudrait dès lors limiter les actes techniques. Je plaide pour un subventionnement forfaitaire des hôpitaux, qui leur permette de déterminer eux-mêmes leurs activités centrales et de consacrer du temps à leurs patients.
À l'AZ, les soins palliatifs sont confiés au groupe du professeur Distelmans qui est à la disposition de tout l'hôpital. L'aspect technique des soins palliatifs ne pose pas de problèmes. Les baxters et les pompes à perfusion sont en effet transportables dans tout l'hôpital. En revanche, on peut discuter longtemps de la question de savoir s'il faut ou non regrouper les patients palliatifs . Bon nombre d'hôpitaux ont prévu des sections séparées pour ces patients. À l'hôpital du Stuivenberg d'Anvers, où j'ai entamé ma formation, il y avait de grandes salles où se trouvaient réunis 20 à 30 patients. La solidarité entre les patients était extrêmement forte. Lorsque l'un d'entre eux mourait, il était entouré par les autres. Je puis facilement m'imaginer le réconfort que l'on peut éprouver à se sentir entouré par des personnes confrontées aux mêmes problèmes que soi. Mais on pourrait aussi tenir le raisonnement inverse et dire qu'il vaudrait peut-être mieux intégrer les patients palliatifs aux autres. L'essentiel, c'est que l'accompagnement se déroule dans les meilleures conditions possibles. Les soins palliatifs ne doivent pas s'arrêter à l'équipe soignante de l'hôpital. Des contacts doivent s'établir avec le monde extérieur, non seulement par le biais d'un centre de jour de soins palliatifs mais également via les soins à domicile. Le patient qui entre en soins palliatifs doit ressentir une impression de continuité. Au départ, nous avons remarqué que les médecins de l'AZ refusaient d'envoyer leurs patients chez le professeur Distelmans, comme s'ils avaient du mal à se séparer de leur patient, estimant être eux aussi capables de leur dispenser des soins palliatifs. À présent, la page est tournée. Il y a aujourd'hui un continuum, une concertation où le patient occupe la place centrale.
Selon moi, aucune enquête spécifique sur les soins palliatifs n'est organisée chez nous. En ce qui concerne la formation, les quatre universités proposent un cours post-universitaire en soins palliatifs. En ce moment, une vaste étude portant sur l'accompagnement des mourants en Flandre est effectuée à l'initiative de Gand et de la VUB. J'ai appris qu'elle bénéficie également du soutien de la Communauté européenne. Je pense qu'elle nous fournira une foule de données intéressantes.
M. Philippe Monfils. Je remercie le doyen de son intervention et du jugement qu'il a porté sur cette proposition de loi que, pour ma part, je défends.
Je commencerai par une boutade. J'ai bien entendu que le médecin doit avoir une capacité d'écoute et de contact avec les patients. Il est parfois utile qu'il n'en ait point si j'en juge d'après certaines situations que j'ai vécues. Il eut parfois mieux valu que le médecin ne parlât pas ! En effet, un médecin avait condamné un de mes proches à une mort très rapide, or non seulement celui-ci est toujours vivant, mais de plus il est en pleine santé ! Il est donc heureux que, parfois, les médecins soignent et ne fassent pas de la fausse psychologie !
Revenons-en aux soins palliatifs, monsieur le doyen. J'aimerais que les choses soient claires. On a évoqué tout à l'heure ce que prévoit la proposition de loi en essayant de vous faire dire qu'il fallait peut-être d'abord entrer en soins palliatifs . De votre intervention, j'ai compris que vous parliez de soins continus mais qu'il n'était pas question pour vous de répondre au patient, qui demande l'euthanasie : « Essayez d'abord les soins palliatifs et reformulez votre demande d'euthanasie si vous n'êtes pas satisfait ! » C'est cela qu'on voudrait vous faire dire; or, je crois que ce ne sont pas là vos propos et qu'en effet, vous parlez plutôt d'une possibilité, d'un ensemble de soins, d'un accompagnement du patient mais qu'il n'est pas question de considérer les soins palliatifs comme une étape préalable pour demander l'euthanasie. C'est une vision mécaniste de la situation. Vous avez très bien expliqué qu'il s'agissait d'un continuum. J'aimerais que vous nous le confirmiez. C'est essentiel tout comme votre remarque et votre exemple des quinze malades que d'autres personnes souffrant du même mal aidaient à mourir. Mais je crois que l'inverse peut se produire aussi : certains refusent de se trouver avec des patients atteints de la même maladie et s'accrochent à la vie précisément en « restant parmi les vivants ».
L'être humain a des attitudes personnelles tout à fait variables et nombreuses sont les possibilités.
Vous avez dit qu'il fallait prendre une série de contacts, avant de répondre éventuellement à une demande d'euthanasie, et cerner le patient. Faut-il, selon vous, qu'une loi impose une consultation obligatoire de l'équipe soignante par rapport au médecin amené à prendre la décision ? C'est un point dont nous discutons depuis des mois, et j'aimerais connaître votre sentiment.
Par ailleurs, je voudrais aborder une question qui déborde du cadre de la proposition. Vous avez parlé de l'existence de protocoles très précis lorsqu'on est atteint de cancer, qu'on ne peut administrer n'importe quel produit et qu'il faut une déclaration écrite de l'intéressé qui est disposé à jouer le rôle de cobaye. J'imagine que celui-ci donne l'autorisation tout en dégageant le médecin de toute responsabilité si, d'aventure, un problème se pose et que le décès est hâté. Je me demande si ce genre de procédure est souvent proposé et si le patient demande parfois si on ne peut essayer des médicaments même peu sûrs.
Dans l'affirmative, quand vous donnez le choix et avertissez le patient des risques, le patient choisit-il en général le risque de vie ou abandonne-t-il et préfère-t-il en rester aux thérapies éprouvées ?
M. Ben Van Camp. Il m'est facile de répondre à votre première question : c'est en effet ce que j'ai dit.
Le médecin doit-il consulter l'équipe de soins palliatifs ? Je pense qu'il doit demander l'avis de cette équipe ou de l'équipe soignante et faire en sorte qu'il en reste une trace dans le dossier médical. Cela reste finalement une décision que le médecin doit prendre, comme toutes les autres décisions médicales, en son âme et conscience. Lorsqu'il propose un accouchement par césarienne, il ne doit pas tenir compte d'un article du code pénal qui prescrirait que seul un médecin a le droit d'inciser le corps humain.
Le médecin décide en son âme et conscience, après consultation de tous les intéressés.
Mme Mia De Schamphelaere. Monsieur Van Camp, vous avez répondu à ma question en disant qu'il s'agissait d'une décision du patient et vous dites à présent que le médecin décide en son âme et conscience. Je trouve votre réponse ambiguë.
M. Ben Van Camp. Elle ne l'est absolument pas. En premier lieu, on analyse la demande du patient mais en fin de compte, c'est au médecin que revient la décision. Nous ne parlons pas ici d'un patient qui souhaite se suicider mais d'un patient qui demande l'euthanasie. Cet acte est pratiqué par le médecin et non par le patient; il incombe donc au médecin de prendre à cet effet une décision personnelle.
M. le président. La troisième question de M. Monfils portait sur le fait de savoir si des patients préfèrent risquer un traitement dont les résultats ne sont pas certains.
M. Ben Van Camp. Cela dépend du contact avec le patient. Lorsque l'on demande un consentement éclairé, le patient doit être au courant de ce que cela implique, des risques, de la toxicité, etc. Trop souvent, on lui fait signer un document après lui avoir fourni une explication sommaire. Bon nombre de médecins sont soumis à des pressions économiques. Les grandes firmes pharmaceutiques évaluent les médecins en fonction de leur comportement en matière de prescriptions. Les personnalités influentes des grandes universités reçoivent régulièrement d'importantes études. Nous nous demandons si le patient comprend suffisamment cette situation. Même s'il ne la comprend pas, il y a une chance sur deux qu'il marque son accord. Évidemment, tout cela dépend de son attitude et du pouvoir de persuasion du médecin. En tant que spécialiste des greffes de moëlle osseuse, je suis régulièrement confronté à ce genre de situation. Une fois que je leur ai expliqué les risques du traitement et la toxicité de la chimiothérapie, près de la moitié des patients renoncent. Les autres estiment qu'il leur reste une chance et poursuivent le traitement.
M. Philippe Mahoux. Je vous remercie pour votre intervention. Vous avez exprimé votre point de vue. Je suis frappé de constater que les deux doyens de faculté et les médecins qui se sont succédé à cette tribune ont des points de vue divergents.
Quant au caractère obligatoire ou non de la consultation de l'équipe soignante et de la famille, je pense que la réponse que vous avez formulée était très claire. Aucun intervenant ne l'avait formulée aussi clairement jusqu'à présent. Elle vous paraît nécessaire et souhaitable mais ne peut revêtir un caractère obligatoire d'un point de vue légal, si je vous ai bien compris. J'ai été surpris par le témoignage qu'a fait votre collègue doyen cet après-midi. Il nous a parlé d'une structure existant dans l'hôpital et pouvant être consultée par le médecin. L'utilisation du verbe pouvoir me porte à croire que son point de vue rejoint en quelque sorte le vôtre. En termes de consultation, disposez-vous dans l'hôpital d'une structure éthique qu'on peut consulter ?
Si j'ai fait une réflexion initiale sur la diversité des opinions c'est parce que j'ai été frappé d'entendre le même jour, ici, le chef d'une unité de soins intensifs qui exprimait une opinion et le responsable d'une unité de soins intensifs d'un hôpital de Liège, au cours d'un débat, qui m'avait lui fait part d'un point de vue identique au vôtre. Cette diversité est importante.
Vous avez aussi évoqué la formation post académique : pourquoi post académique ? La problématique de la prise en charge de la douleur ou de la formation aux soins palliatifs ne peuvent-elles s'inscrire dans le cursus habituel ?
J'en reviens à la difficulté de pouvoir déterminer quelle est l'habilité à l'écoute. Vous nous en avez parlé de manière assez franche. Il est vrai que dans notre métier de médecin il y a les aspects techniques et la compétence mais cette compétence ne va pas nécessairement de pair avec la qualité de l'écoute. Comment améliorer cet élément au niveau des études de médecine ? Cela s'inscrit, selon moi, dans un courant général de prise en compte de la douleur, de l'approche palliative et de ces demandes d'euthanasie que l'on ne veut pas entendre et qu'il faut pouvoir décoder. Comment intégrer cela dans le cursus, que ce soit en doctorat ou en candidature ?
Enfin, je ferai une dernière remarque relative à l'approche économique. Il faut répéter que toute forme d'approche économique discriminatoire et comportementaliste, en termes de prise en charge d'un patient, doit être non seulement prohibée mais véritablement combattue. Je suis frappé par le fait que la législation prévoit une pénalisation en cas d'hospitalisation trop longue. Il serait intéressant d'établir des distinctions pour apaiser les craintes relatives à une éventuelle approche économique visant à raccourcir les durées de séjour. Il faut peut-être valoriser l'hôpital si la durée est moins longue pour une même pathologie dans le cas où le résultat est positif. On pourrait ainsi lever cette crainte exprimée à de nombreuses reprises au sujet du raccourcissement de la durée de séjour par le biais de l'acte d'euthanasie ou d'ailleurs par le biais de soins palliatifs dont on dit qu'ils raccourcissent l'existence. Tout ceci peut paraître éloigné de notre problème mais les craintes de visées économiques menant à des actes d'euthanasie ou aux soins palliatifs sont réelles. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
M. Ben Van Camp. Vous vous demandez si les choses fonctionnent comme elles doivent à l'AZ-VUB où je travaille ? Le texte du groupe de réflexion éthique de l'AZ, approuvé par le conseil médical, fait apparaître que l'on n'impose pas de consensus quant à l'approche à mettre en oeuvre. Ce qui est essentiel, c'est que le patient puisse formuler une demande et être entendu.
À l'AZ-VUB certains médecins ne sont pas partisans de la proposition de loi. L'AZ ne prendra pas de position unanime à ce sujet. Cela serait d'ailleurs contraire au libre arbitre. Chacun peut avoir son opinion, pour les raisons qui lui sont propres. À l'AZ, il n'y a pas unanimité sur le maintien ou non de l'euthanasie dans la loi pénale. Mais on permet au patient de formuler une demande. Le médecin qui est confronté à une telle demande la transmet à un groupe qui examine quels sont les problèmes, comment on peut aider le patient, quelle serait la meilleure solution. L'unité de soins palliatifs de Wim Distelmans y est, par définition, impliquée. Je suis pourtant effrayé des propos tenus par certains médecins, dans une publication telle que le Journal du Médecin. J'ai souvent l'impression qu'ils sont tout à fait à côté de la question. On y trouve des choses qui n'ont rien à voir avec le texte de la proposition de loi. Aucun médecin ne souhaite faire du mal à son patient. Cela serait contraire à la définition de la fonction de médecin. Il ne s'agit pas de faire du mal. Il s'agit d'une décision que l'on prend à un moment donné, après avoir pesé longuement le pour et le contre. Il n'y a d'ailleurs pas deux cas similaires.
Il existe en effet un cours post-universitaire en soins palliatifs. Il s'agit d'une nécessité puisque pour l'instant, aucune formation de ce type n'est dispensée au cours des années inférieures. Ce type de formation n'est nécessaire que pour les médecins spécialisés ayant un rôle à jouer en soins palliatifs. Un radiologue, par exemple, n'a sans doute pas besoin de ce type de formation. Il est dès lors logique qu'il existe une formation post-universitaire qui aille beaucoup plus loin. À un niveau inférieur, on exerce plutôt les aptitudes à la communication.
L'aspect technique des soins palliatifs ne fait pas partie de notre cursus. L'enseignement intégré aborde également la lutte contre la douleur, que ce soit au niveau des connaissances théoriques ou dans l'accompagnement au cours du stage. Je crois qu'un stage est prévu à la clinique de la douleur. Le grand avantage de la pénurie d'étudiants dans toutes nos facultés est peut-être que nous pouvons leur consacrer beaucoup plus de temps. Je doute cependant que plus tard, ils prennent eux aussi le temps qu'il faudra.
Le troisième point concerne l'aspect économique. La discussion porte sur le coût des soins palliatifs. Les soins palliatifs ne sont que l'un des aspects auxquels nous devons consacrer davantage de temps.
Je vous donne l'exemple d'une personne à qui l'on a placé une prothèse de la hanche. L'opération s'était parfaitement bien déroulée, mais la personne n'avait reçu aucune explication, ni avant ni après l'intervention. Le traitement postopératoire, incluant la kinésithérapie, était réduit au minimum, alors que selon moi, il est essentiel après une opération de ce type. Il faut prendre son temps, expliquer au patient ce qui l'attend et dans ce cas précis, comment il doit marcher.
Ceci me ramène aux soins palliatifs. Une des possibilités consiste à mettre l'accent sur les soins de deuxième ligne. Les grands hôpitaux peuvent mettre sur pied des soins palliatifs. Dès que l'on a fait une mise au point de l'état du patient, on peut également envisager les soins palliatifs et en charger un service extérieur. J'insiste une fois de plus sur la continuité des soins. Ceux-ci forment un tout, du début à la fin. Je n'ai malheureusement pas de réponse à donner en ce qui concerne l'aspect économique, sauf peut-être un système d'enveloppes.
Mme Myriam Vanlerberghe. En ce qui concerne les soins palliatifs, M. Van Camp a bien lu la proposition de loi, du moins celle que j'ai cosignée. Pour nous, les soins palliatifs sont en effet essentiels, ils font partie des soins continus. Nous estimons que chacun a droit à des soins palliatifs, sans qu'il s'agisse pourtant d'une obligation absolue. Le médecin ne peut dispenser ce type de soins contre la volonté du patient. J'ai compris que vous respectiez ce principe.
J'en profite pour souligner que les soins palliatifs font l'objet d'une proposition de loi distincte. Il est faux de prétendre, comme certains ont cru pouvoir l'interpréter, que nous donnons la préférence à l'un des deux aspects. Cette décision incombe au patient et à lui seul.
J'ai encore une question à vous poser en ce qui concerne le groupe consitué par le médecin, la famille, le personnel soignant que vous impliquez entièrement lorsqu'une demande d'euthanasie est formulée. Estimez-vous qu'un texte de loi doive établir la composition de ce groupe ? Le patient peut-il également déterminer qui, à un moment donné, devra décider de son sort ?
Par ailleurs, j'ai bien écouté ce que vous disiez à propos de l'information. Vous affirmez que, lorsque la communication est bonne, les patients se rendent finalement compte de leur état. Qu'en est-il du droit à l'ignorance ? Certaines personnes préfèrent sans doute ne pas être informées. Êtes-vous parfois confronté à de telles situations et comment faites-vous pour prendre en compte ce droit du patient ?
M. Ben Van Camp. Par définition, un médecin porte la responsabilité des actes qu'il pose, mais lorsqu'il s'agit de prendre une décision, il s'entoure d'un maximum de conseils.
En fait, il consulte autant que possible ses collègues, radiologues ou autres.Toute décision de « passer à l'acte » est consignée dans un document, le dossier du patient. Il me paraît normal et indispensable que l'on recueille un maximum d'avis. La consultation de personnes qui ne connaissent pas bien le patient permettra de se former une autre opinion. Il faut qu'une décision intervienne, mais elle doit être transparente et contrôlée par la société. Elle ne peut pas être prise dans le secret.
Il n'arrive pas si souvent que le patient nous dise « je ne veux pas savoir ». À l'annonce d'un diagnostic pessimiste, le patient est ébranlé. Il n'en retient que la première partie. Après la première phase, le patient rentre chez lui. Le plus souvent, nous lui proposons de noter toutes les questions qui lui viennent à l'esprit et d'en parler avec sa famille. Il arrive que des patients qui ont parfaitement compris refusent par la suite de prononcer le nom de la maladie. Cela ne signifie pas qu'ils n'y pensent pas. Cela se complique lorsque le patient refuse de se soumettre à des traitements lourds. Toutefois, rares sont ceux qui revendiquent le droit de ne pas savoir, ceux qui déclarent « faites de moi ce que vous voulez ».
Mme Jeannine Leduc. Nous savons tous qu'il y a eu autrefois énormément de cas d'acharnement thérapeutique et qu'il y en a encore, car il n'est pas facile de « lâcher » un patient. Nous connaissons aussi des cas de patients qui ont tenu à tout prix à ce qu'on poursuive cet acharnement thérapeutique. Certains ont exprimé ici leur crainte d'un « acharnement palliatif ». Quelle est votre opinion à ce sujet ? De même que l'acharnement thérapeutique rapporte beaucoup d'argent, l'acharnement palliatif peut être très rentable.
Vous avez bien sûr votre propre expérience, mais certains d'entre nous ont, parmi leurs proches et leurs amis, des personnes qui sont décédées dans des circonstances horribles. Nous avons aussi parcouru beaucoup de littérature et fait des études comparatives, mais j'ai souvent entendu dire qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'endurer longtemps des souffrances insupportables. On prétend qu'il est très difficile de venir à bout des douleurs cérébrales. Les thérapies restent parfois sans effets et certains patients ne réagiraient pas à la morphine. J'aimerais savoir quels sont les symptômes qui sont particulièrement difficiles à combattre. Dans quels cas l'euthanasie doit-elle être pratiquée sans tarder pour éviter que le patient n'endure de terribles souffrances ?
Le seuil de douleur varie d'un individu à l'autre. D'autre part, les malades reculent constamment leurs limites. La douleur est pour nous tous une expérience terrible mais certains la supportent mieux que la souffrance psychique, la régression, la perte du contrôle des fonctions organiques. Quelle est votre opinion en la matière ? Certaines personnes n'acceptent pas que des patients non terminaux puissent également revendiquer l'euthanasie lorsqu'ils ne sont plus capables de supporter la perte de leur qualité de vie et qu'ils considèrent que leur vie n'a plus aucune valeur.
Nombreux sont ceux qui font un testament de vie dans lequel il décrivent les conditions dans lesquelles ils ne souhaitent absolument plus vivre. Il paraît qu'aux Pays-Bas, on ne tient pas compte du testament de vie lorsque le patient n'est plus capable d'exprimer sa volonté. Il est possible que notre pays suive la même voie. Nous avons des témoignages de personnes qui n'ont pas tenu leurs promesses envers leurs patients. J'ai l'impression qu'on leurre souvent la personne qui souffre. À votre avis, à quel moment le testament de vie doit-il être exécuté lorsque le patient ne peut plus exprimer sa volonté ?
M. Ben Van Camp. L'acharnement palliatif peut être un véribable problème. Le patient à qui l'on dispense des soins palliatifs doit en être averti. S'il souhaite rester en vie de cette manière, il doit comprendre que le traitement risque de se poursuivre assez longtemps. La plupart des problèmes proviennent des patients qui ne sont pas conscients de leur état et que l'on s'acharne à maintenir en vie. Mais il faut respecter le choix d'un patient conscient qui souhaite bénéficier de soins palliatifs. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'acharnement.
Mme Jeannine Leduc. À votre avis, l'acharnement thérapeutique est-il parfois justifié ?
M. Ben Van Camp. Il l'est si le patient le demande et si le traitement a un sens. La décision revient toujours au médecin.
Mme Jeannine Leduc. Vous vous rappelez peut-être du cas d'un patient néerlandais qui voulait que l'on poursuive son traitement contre la volonté des médecins.
M. Ben Van Camp. Certains patients veulent en effet aller très loin. Ce type d'attitude se rencontre fréquemment parmi les membres de la famille, par exemple des parents qui s'obstinent à poursuivre le traitement de leur enfant. Dans de tels cas, le médecin doit avoir le courage de dire que le traitement est dénué de sens. On peut invoquer ici les même raisons que dans le cas d'un médecin qui refuse de pratiquer une euthanasie pour les raisons qu'il a définies pour lui-même.
À ce propos, je me réfère à un cas que j'ai vécu avec des témoins de Jéhovah. Nous avons un jourpris en charge des témoins de Jéhovah atteints de leucémie aiguë qui avaient été refusés par deux autres hôpitaux universitaires. Les médecins estimaient ne pas pouvoir les traiter valablement en raison de leurs convictions philosophiques. Pour une leucémie aiguë, la chimiothérapie est tellement lourde que le patient a tendance à faire des hémorragies et contracte des infections. Un de mes collaborateurs est parvenu à convaincre notre groupe de faire admettre ces patients dans notre hôpital.
Sans pour autant partager les convictions des témoins de Jéhovah, nous reconnaissons ce droit au patient. Nous avons traité le patient, en lui expliquant clairement ce qui pouvait arriver. Étonnamment, le patient a connu une rémission complète avec des analyses de sang que je n'ose montrer à personne sans qu'il n'ait subi aucune transfusion sanguine. Les parents et les membres de la famille approuvaient totalement le traitement. En toute honnêteté, je pense que nous avons agi comme il le fallait. Nous avions bien agi, même si le patient était décédé car nous avons respecté son souhait. Nous avons pratiqué un acharnement minimal en respectant des accords précis. Nous estimions que ce devait être possible. Je cite cet exemple parce que dans ce cas, le patient était au centre de la dicussion et avait clairement indiqué ce qu'il souhaitait et ce qu'il ne souhaitait pas. Nous nous trouvions devant le choix suivant : soit la leucémie l'emportait, soit nous poursuivions le traitement, mais aux conditions qu'il avait indiquées. Pour nous, ces conditions n'étaient pas contraires à l'éthique.
L'acharnement palliatif peut être un danger si le patient n'en est plus conscient. Je m'imagine aisément que cela puisse poser un véritable problème dans le cas de patients déments. Je refuse cependant de me prononcer sur un sujet que je ne connais pas suffisamment. J'ai décidé de m'en tenir à ma discipline pour ne pas risquer de dire des bêtises.
Chez quel type de patient rencontre-t-on des douleurs inapaisables ? Je ne pense pas que cela concerne un type particulier. Il est vrai que certaines personnes connaissent des douleurs violentes, centrales, difficilement localisables, inapaisables et qui sont plutôt des douleurs fantômes. La morphine ne peut pas y faire grand-chose. Une douleur fantôme n'a pas d'origine précise. On tente toutes sortes de stratégies. L'administration de marijuana semble être efficace. Il ne s'agit pas spécifiquement de patients atteints d'une tumeur au cerveau; d'autres types de patients peuvent être concernés. Il existe donc effectivement des douleurs inapaisables.
Les souffrances morales sont un point particulièrement important. Je m'écarte ici un instant de ma pratique de cancérologue pour évoquer une situation qui me concerne pour l'instant au plus haut point sur le plan familial, mais sur laquelle je ne m'étendrai pas davantage. Une personne, médecin également, avait déclaré naguère qu'elle ne souhaitait pas certaines choses si elle se retrouvait un jour dans un état déterminé, qu'elle voulait donc que les médecins interviennent et donc pratiquent sur elle l'euthanasie pour lui éviter de souffrir inutilement. Elle était donc capable à 100 % de manifester sa volonté. Plus tard, une hémorragie cérébrale la laissa entièrement consciente mais aphasique. Dans ce cas, sachant que cette personne n'a pas rédigé de testament, dois-je ou non exécuter sa volonté ? Pour moi, la réponse est négative car on ne se trouve plus face à une demande répétée. Si au cours de cette nouvelle phase, cette demande revient, de façon claire, réitérée et bien réfléchie, j'y répondrai positivement. Les souffrances morales sont un débat très délicat. Chez la personne en question, la souffrance morale est évidente, mais le fait qu'elle ne puisse plus la formuler comme auparavant, ajouté à cela que son raisonnement n'est plus aussi subtil, font que l'on à affaire à une autre personne. Se pose alors un autre problème qui est peut-être également de nature juridique. Je parle d'une personne tout à fait consciente qui se rend parfaitement compte de sa situation.
Je crois que l'on demande également dans la loi que l'on consigne la déclaration de volonté, de façon à ce qu'elle acquière une valeur juridique. Pour un patient ayant fait une déclaration anticipée récente et répétée qui soudain, devient incapable de manifester sa volonté, cela ne me poserait personnellement aucun problème. Je parle en mon nom personnel. Je ne rencontre pas tellement souvent ce type de patients mais dans la mesure où il s'agit d'une demande répétée, j'estime qu'elle reflète réellement la volonté du patient. Cette discussion s'écarte toutefois de la proposition de loi.
M. Jean-François Istasse. Monsieur le doyen, je vous remercie de votre engagement clair en faveur de la proposition de loi des auteurs issus de la coalition arc-en-ciel.
Nous avons entendu dans cette commission des personnes opposées à la proposition de loi qui nous ont dit à plusieurs reprises que les cas qui pourraient être réglés par cette proposition de loi seraient extrêmement peu nombreux. En effet, cette proposition ne s'appliquerait qu'aux patients bien conscients de leur situation ou disposant de facultés intellectuelles fortes. C'est un des arguments utilisés assez fréquemment. Je voudrais savoir ce que vous pensez de cet argument.
Par ailleurs, même des personnes qui pensent que l'euthanasie peut être un acte légitime nous ont dit qu'il était impossible de légiférer car il n'est pas possible de poser dans une loi les termes rencontrant la demande d'euthanasie. Que pensez-vous de ces deux arguments ?
M. Ben Van Camp. Lorsque vous exprimez la crainte que seule une classe sociale privilégiée serait concernée, vous faites référence au niveau intellectuel. Or, l'expérience que j'ai acquise dans le domaine de l'accompagnement des mourants, de la compréhension du cancer et de tout ce que cette maladie implique pour les patients m'a appris que cela n'avait pas grand-chose à voir avec l'intelligence mais plutôt avec la perception que chacun a de sa personne. Bien souvent, un QI de 140 ne constitue pas un avantage mais plutôt un inconvénient. Un agriculteur, régulièrement confronté à la mort de ses bêtes, accepte plus facilement ce processus inéluctable qu'un professeur d'université qui donne des conférences sur l'euthanasie. Généralement, au moment où la personne y est elle-même confrontée, elle ne veut plus en entendre parler. Ceux qui considèrent la vie et la mort comme inhérentes à l'existence et comme un équilibre naturel seront probablement plus enclins à demander l'euthanasie que ceux qui ont du mal à l'accepter. Les différences de comportement ne sont pas fonction de la classe sociale mais de la nature de la personne.
M. Jean-François Istasse. Avez-vous le sentiment que cette proposition de loi s'appliquera à très peu de personnes ?
M. Ben Van Camp. Je pense que oui pour ce qui est de la vraie euthanasie active dont on parlait. La demande de pouvoir recevoir un baxter à domicile sera assez rare. Mais elle doit être possible. Il se peut que la demande augmente, mais il est trop tôt pour le dire. Cela dépend de l'ouverture d'esprit que l'on a.
Je pense personnellement qu'il règne actuellement une trop grande insécurité juridique et qu'une loi s'avère indispensable. Je fais référence à un ami médecin, aujourd'hui décédé, qui suivait un patient de notre Centre d'oncologie. Il s'agissait d'un jeune patient cancéreux présentant des métastases et dont l'espérance de vie ne dépassait pas un mois. Il a formulé une demande d'euthanasie active, à pratiquer de préférence chez lui et entouré de ses proches. Le médecin de famille a eu à ce propos une discussion remarquable avec la famille, en présence du patient qui y participait en pleine possession de ses moyens.
On avait cependant négligé un élément : cet homme avait une maîtresse dont le nom n'apparaissait pas dans le testament; elle a porté plainte contre le médecin qui a fait une semaine de détention préventive. Dans un tel cas, le procureur peut choisir de classer l'affaire ou d'ordonner une enquête complémentaire. Il a classé cette affaire, mais il aurait pu en décider autrement. Cette insécurité juridique n'est pas honnête par rapport au médecin.
Cet exemple d'euthanasie est loin d'être unique; au cours de ma carrière, j'ai été confronté à plusieurs cas similaires. La plupart du temps, l'affaire se termine bien, mais il peut toujours arriver que l'une ou l'autre personne dépose plainte, soit parce qu'elle ne figure pas dans le testament, soit en raison d'objections morales ou autres. Ce sont des choses qui arrivent, mais selon moi, c'est le patient qui doit êtrer au coeur du débat et non les personnes qui lui sont indirectement liées. Le médecin qui prend une telle décision, en âme et conscience, doit être protégé. C'est pourquoi il est préférable de légiférer en la matière.
Le professeur Vermeersch propose de maintenir l'euthanasie dans le Code pénal et de ne l'autoriser qu'à certaines conditions suspensives. Je partage son opinion; l'essentiel, c'est que le médecin soit protégé dans l'exercice de ses fonctions et qu'une réglementation transparente et contrôlable voie le jour.
M. le président. Je remercie le docteur Van Camp pour son point de vue clair et pour son apport aux travaux de notre commission.
Le témoin suivant est le Dr Mullie. Son activité clinique est celle d'anesthésiste-réanimateur à l'Algemeen Ziekenhuis Sint-Jan Brugge depuis 1975. Il travaille au service de réanimation et de soins intensifs. Le Dr Mullie est également membre de la Fédération des soins palliatifs de Flandre et président du groupe de travail « Éthique » de cette même fédération.
M. Arsène Mullie. On constate une crainte grandissante des citoyens de mourir d'une manière contraire à la dignité humaine; pour certaines personnes, cette crainte est si prononcée qu'elles veulent dès à présent, longtemps avant leur décès, faire à ce sujet une déclaration anticipée. Il y a, d'une part, une proposition de dépénalisation de l'euthanasie (le fait pour un médecin d'administrer intentionnellement des médicaments à un patient endurant des souffrances sans espoir d'amélioration, à la demande expresse et répétée de celui-ci même s'il n'est pas encore physiquement en phase terminale en vue d'accélérer la mort), et ce bien sûr à la condition de respecter certains critères de précaution, et plus particulièrement l'obligation de consulter un deuxième médecin sur le caractère incurable de l'infection. Il y a, d'autre part, une proposition visant à développer les soins palliatifs (SP). À cet effet, les ministres compétents devront élaborer une proposition d'ici la fin de l'année 2001. (Il y a aussi une troisième proposition de loi visant à créer une commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi relative à l'euthanasie et définissant les missions et le fonctionnement de cette commission). L'élaboration de la proposition de loi relative à l'euthanasie représente une tâche ardue pour le législateur de par les nombreuses différences philosophiques et culturelles qui se concentrent dans une certaine mesure dans les visions défendues par les partis politiques. Il n'est pas chose aisée d'apporter au monde politique des éléments provenant de la base, de la pratique quotidienne, qui soient de nature à les faire changer de point de vue; nous souhaitons néanmoins faire part ici de quatre réflexions émanant de personnes soignant les malades en phase terminale, réflexions dictées par l'expérience des soins telle qu'elle est vécue par de nombreux acteurs des soins palliatifs (cf. groupe de travail « Éthique » de la Fédération des soins palliatifs de Flandre) et qui abordent le problème vu de l'intérieur.
1. La crainte grandissante de mourir d'une manière contraire à la dignité humaine et les idées allant dans le sens de l'euthanasie (= mort douce, etc.) sont très compréhensibles.
En avril 1998, ma soeur Annie a contracté, à l'âge de cinquante ans, une maladie évolutive agressive qui attaque les protéines, qui résiste à presque toutes les formes de chimiothérapie et qui finit par se porter sur l'ensemble des organes vitaux (coeur, foie, reins, etc.). Elle est traitée par des professeurs dans un hôpital universitaire. Elle encourage tout le monde en disant que cela ira bientôt mieux. Lorsque je lui ai rendu visite fin juin (en tant que frère mais aussi en tant que médecin de la famille avec des années d'expérience dans le domaine de la réanimation), le premier regard échangé à mon arrivée me fait l'effet d'un énorme appel à l'aide ... L'imploration que l'on fasse quelque chose contre cette « prolifération » si intense et incontrôlée dans son organisme qui ne va en fait pas mieux ! Quelques minutes plus tard, elle répète que cela ira bientôt mieux ...
Voilà une petite heure que nous sommes ensemble et l'angoisse commence à m'étreindre à mesure que je me rends compte de plus en plus nettement que ma soeur n'en réchappera pas et qu'elle connaîtra une fin encore plus atroce si à son état viennent s'ajouter toutes sortes de chimiothérapies et de réanimations ... Nombreux coups de téléphone, par la suite aussi nombreuses concertations avec les médecins qui la traitent. À mon départ, je pus sentir, au travers des mots et des regards échangés, une espèce de basculement, un début de prise de conscience et de perception de la vérité; et puis, il y a la promesse de rester proches quoi qu'il arrive, de ne jamais abandonner l'autre même si on est impuissant à soigner l'enveloppe charnelle et la maladie ... Une fois sorti de la chambre et durant les jours suivants, le chagrin s'abat telle une chape de plomb et lentement c'est l'adieu, un adieu inoubliable et émouvant, teinté d'un sentiment d'éternité ... Ma soeur est morte fin septembre.
Pourquoi cette expérience personnelle d'angoisse face à une souffrance sans espoir d'amélioration, même pour le médecin expérimenté ?
Le danger et la crainte de perdre sa dignité humaine à l'approche de la mort ont en effet considérablement augmenté ces dernières années avec l'application généralisée de techniques avancées de réanimation, de chimiothérapie, etc. Il importe non seulement de se concerter suffisamment tôt avec le patient en vue de prendre une décision sur la faisabilité plus ou moins « factuelle » de la mort médicalement assistée; mais il faut aussi bien se rendre compte (sentir) que la « mort médicale » avec l'aide de professionnels n'est qu'une introduction à une mort beaucoup plus grande et globale, une mort naturelle, une mort véritable. Cette mort est ce qui arrive vraiment à l'intéressé. Je veux dans un même temps rappeler une vérité fondamentale sur la vie (et la mort). L'homme est et vit essentiellement pour et par la relation avec autrui. C'est l'homme qui fait l'homme, ma soeur fait de moi ce que je suis même, jusqu'à la dernière phase de sa vie. Ma soeur est. Elle existe également ici dans cette discussion, elle vous en est reconnaissante. C'est une bonne chose que, par notre voix, surtout les mourants et les personnes décédées prennent part à ce dialogue. C'est la seule manière de plonger au coeur du problème plutôt que de se contenter d'en parler de manière superficielle. Le concept de coexistence entre « toi, moi et nous » englobe également l'idée de mourir « toi, moi et nous ... » Le tout est de savoir à quel point nous sommes ouverts, libres et combien de temps nous nous façonnerons les uns les autres ... Il y a, parmi les acteurs des soins palliatifs, une croyance profonde dans le phénomène de « bonne mort », non pas une mort douce et sans douleur mais une mort vécue avec amour, dans laquelle on sent le principe du « personne ne vit pour soi, personne ne meurt pour soi »« ... une mort qui a la froidure des mois d'hiver mais qui peut apporter un peu de chaleur sur le plan social. Nous ne pouvons pas aller trop loin dans l'adoption de règles relatives à la souffrance sans issue des mourants. Il ne faut pas lutter contre les mois d'hiver ni même les supprimer, mais adopter des règles permettant à la chaleur humaine de produire un effet apaisant maximum pour calmer la douleur.
2. Les soins palliatifs constituent une réponse appropriée à une souffrance sans issue (« douleur », « sens du métier ») qui va de pair avec la mort, que l'on peut ressentir par empathie et par le coeur.
À l'automne de l'année 1947, David Tasma, un polonais d'une quarantaine d'années atteint d'un carcinome inopérable au rectum, « perdu » à l'hôpital londonien de Saint-Thomas, et Cicely Sanders, son assistance sociale, ont (re)découvert les soins palliatifs. David avait très mal, se sentait terriblement seul, loin de son pays et de sa famille, et inutile. Cicely était à peu près sa seule visite. Leur relation a pris le tour d'une espèce d'histoire d'amour, elle l'écoutait exprimer son sentiment que sa vie était inachevée ... Cicely s'est fait le porte-parole de David auprès des médecins leur expliquant qu'ils ne l'aidaient pas avec des pseudo-soins toutes sortes de thérapies expérimentales et en faisant comme s'il pouvait guérir. Une sorte de concertation interdisciplinaire avec le patient a mis en évidence que seuls les soins les plus humains pouvaient apporter quelque soulagement; les soins palliatifs sont radicalement opposés à l'acharnement thérapeutique. L'arrêt de toute thérapie « futile » ou le fait de ne pas démarrer une telle thérapie relève donc des soins palliatifs et ne doit donc pas être confondue avec l'euthanasie.
Dans les semaines qui ont suivi, le caractère sans issue de la situation de David a été littéralement fait sien par Cicely et a été partagé par l'ensemble de l'équipe soignante. Cicely ne tolérait pas que David subisse inutilement des douleurs ou autres désagréments les soins palliatifs accordent une grande importance au contrôle des symptômes. Comme dans une espèce d'effet d'osmose, une espèce d'effet d'assise, on a vu apparaître d'une part une vie nouvelle chez David le solitaire et d'autre part un sentiment très positif au sein de l'équipe soignante, le sentiment de faire ce qu'il faut ...
Les soins palliatifs ont été inventés, ont été suscités en nous par des patients mourants !
Une situation sans issue sur laquelle on n'a pas prise devient par véritable compassion une source partagée et reconnaissable de nouveaux aspects de la vie. Les soins palliatifs sont comme le cordon ombilical entre l'enfant et la mère (entre le patient et la famille) : l'enfant fait tout autant la mère que la mère fait l'enfant; le mourant fait tout autant sa famille jusque et après sa mort que la famille fait le mourant ... Les soins palliatifs n'évitent pas la mort mais la rendent très naturelle, très vivante, une vie d'amour jusqu'aux dernières heures. Y arriver est pour l'individu tellement plus important que les grandes théories. Il y a donc quelque chose de très positif dans les soins palliatifs, quelque chose à faire; cela rend pour moi si facile de mettre un terme aux soins curatifs si actifs. Les soins palliatifs sont donc synonymes d'une grande proximité du patient dont la situation est sans issue, le fait de ne plus jamais l'abandonner ... L'attention se déplace de sentiment de faute et de colère vers une espèce de compréhension que s'il ne nous reste plus que deux mois à vivre chaque heure mérite d'être conservée, une ambiance de récolte de fruits, voire d'indépendance, d'autonomie, parfois si intense et si juste, suscitée par les gens eux-mêmes. Cette découverte a quelque chose d'une gratitude tranquille, indicible, le fait d'atteindre ensemble la sérénité face à l'inéluctable ... tout cela n'a pas été inventé (imaginé) par des gens qui en parlent pour plus tard mais par des personnes mourantes ou agonisantes. Cicely Sanders ne le savait pas à l'avance mais a tiré les leçons de sa grande proximité par rapport à un quasi mourant : l'homme prolonge sa vie de quelques jours et finit par mourir quelque temps plus tard. Ce phénomène se répète souvent avec une régularité telle qu'on pourrait en faire une loi ... Les personnes chez qui naît un désir d'euthanasie en raison du caractère sans issue de leur situation suscitent, elles aussi, chez nous le réflexe des soins palliatifs. Leur demande d'euthanasie devient notre demande. La proximité avec ces personnes et l'écoute de leur demande font naître en nous de nouvelles idées, une nouvelle vie, même si l'on en reste à une vraie demande. Dans les soins palliatifs, on respecte toujours le souhait profond (âme) de l'individu ... Maintenant que l'on utilise plus librement les mots « mourir » et « mort », il est vraiment bon que la demande d'euthanasie qui va croissant s'accompagne d'un souci grandissant de la faisabilité de ce que souhaitent vraiment les gens.
Encore deux observations par rapport aux soins palliatifs :
Les soins palliatifs constituent un aspect nouveau, mais fondamental, de la médecine moderne (aussi fondamental que l'hygiène, la médecine préventive, etc.). Tous les prestataires de soins doivent acquérir dans ce domaine un minimum de compétences. Les soins palliatifs sont donc beaucoup plus que quelques structures spécifiques de soins palliatifs (équipes de support à domicile, dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite, unité spécifique de soins palliatifs). Par expérience, le travail de ces structures spécifiques consiste bien souvent à confirmer les besoins palliatifs que pressentent les prestataires de soins du premier échelon et, en assurant le « réflexe palliatif » des prestataires de soins, à ramener chez les malades condamnés une certaine tranquillité, un certaine confirmation et une certaine confiance. Le développement des soins palliatifs en Belgique diffère en cela quelque peu du modèle anglais où les soins palliatifs étaient développés précédemment dans des structures plus distinctes et plus spécialisées.
Les structures spécifiques de soins palliatifs constituent néanmoins le ferment nécessaire, les catalyseurs qui permettront un changement de mentalité. Ils se sont développés lentement mais sûrement au cours des dix à quinze années écoulées, principalement dans cadre des soins à domicile et des unités palliatives. Les moyens financiers leur manquent, surtout dans les maisons de repos et les hôpitaux et pour ce qui est de l'apport médical. La loi en préparation concernant les soins palliatifs ne doit pas élaborer un plan de soins palliatifs avant la fin 2001, mais confirmer le plan de développement qui existe depuis déjà dix ans et libérer pour ce faire les budgets nécessaires (+ 2 milliards); les moyens actuels permettent tout au plus d'encadrer un mourant sur trois.
3. En dépit de bons soins palliatifs, des personnes continuent (exceptionnellement) à demander l'euthanasie.
Les soins palliatifs ne suppriment pas toute absence de perspective chez chacun. Nous n'avons absolument aucune difficulté à admettre cette réalité. Notre principale préoccupation est de ne retenir que les « vraies » demandes d'euthanasie au bon moment (c'est ce que l'on appelle le décodage de la demande d'euthanasie).
Monique a 64 ans. C'est à vrai dire une amie de la maison. Elle souffre d'un cancer du sein et de métastases pulmonaires. Elle « sait », elle le dit une fois comme pour me faire confirmer la situation et s'abstient alors durant tout un temps de parler du problème. Un beau jour, elle demande, avec son mari et ses deux enfants, d'avoir un entretien. « Veux-tu m'aider au cas où ... ». Une question très franche, très directe, apparemment une demande d'euthanasie (la mort semble et s'avérera par la suite encore éloignée de plusieurs mois). La réponse « Monique, nous (les SP, soins palliatifs) ne laissons jamais tomber personne » était déjà presque suffisante. On lui a encore expliqué ce que nous pouvons faire dans des circonstances extrêmes (de souffrance intolérable physique ou psychique c'est elle qui fixe le moment), c'est-à-dire « anesthésier » plus profondément y compris l'endormissement (voir plus loin). Mais elle se referme vite sur elle-même ... Il lui suffit de savoir que nous avons très bien saisi sa demande, que nous la comprenons (j'ai connu des personnes qui se sentaient coupables de sentir en eux une aspiration à l'euthanasie, ce sentiment de dégoût à l'idée de devoir rester éveillée un jour de plus). Elle est tranquille et veut à présent vivre le plus pleinement et le plus longtemps possible. À un moment donné, des mois plus tard, les difficultés respiratoires et la détérioration de son état général étaient devenues intolérables malgré la morphine. Dans l'atmosphère sereine et pleine d'affection de sa chambre à coucher, Monique a été endormie pour mourir le lendemain ... Les personnes qui demandent l'euthanasie (et en précisant le moment) sont pour moi des personnes très particulières, souvent sur le plan de la douceur et du courage, comme beaucoup de mourants d'ailleurs. Elles touchent les professionnels des soins palliatifs au plus profond d'eux-mêmes.
Pourquoi le récit de Monique et sa demande, suivie d'exécution, de sédation contrôlée (ou d'euthanasie, selon les définitions utilisées dans la proposition de loi) ?
Examiner soigneusement les demandes d'euthanasie, réduire les demandes d'euthanasie à de véritables questions autonomes (sans angoisse et/ou ignorance) requiert à notre sens l'intervention d'experts en soins palliatifs. Le but n'est pas de « juger » (ou d'autoriser) la demande. Grâce à la compréhension, la compassion, il s'agit au contraire d'apporter l'apaisement dans ce processus très particulier, en témoignant le plus grand respect, en regardant l'autre comme son prochain. Il s'agit d'un contrôle fort simple, mais au niveau des soins. « Vous ne demandez pas inutilement et prématurément l'euthanasie ». Nous ferons, si pas tout, énormément de choses pour atténuer la douleur globale, pour prendre « éternellement » congé du patient.
Nous devons pouvoir accomplir de la manière la moins bureaucratique possible, en respectant le temps et la vie privée du patient, cette sorte de contrôle a priori par le biais des SP, le traitement empathique de la demande d'euthanasie en partant du point de vue « commençons de préférence par les SP, et n'envisageons l'euthanasie que par la suite si la situation reste sans issue ». Il s'agit de faire comprendre les possibilités des SP. Le médecin de confiance est certainement le porte-parole, le décideur et l'exécutant par rapport au patient, mais cette mission doit à tout le moins être optimalisée grâce à l'intervention de l'équipe palliative qui le supporte (cf. notre proposition d'amendement ci-dessous). L'équipe de SP est à notre sens, a fortiori chez les patients (pré)terminaux, l'instance la plus appropriée sur le plan éthique, vu son expérience interdisciplinaire, lorsqu'il s'agit de fournir un avis et d'assurer les soins au lit du patient.
Cette offre de réseaux de SP fondamentalement pluralistes (responsables de tous les patients terminaux dans leur région) ne peut pas être interprétée comme envahissante, comme une sorte de « promotion » des SP. Elle se traduit plutôt par notre ouverture à l'égard de ceux qui font une demande d'euthanasie. Fondamentalement, nous n'avons aucune crainte sur ce plan. Nous ne sommes pas des partisans de l'acharnement palliatif ou des hérauts de certaines positions fondamentalistes et passionnelles (tu ne tueras point). Notre position est au contraire de dire « rien ne sera fait qui aille à l'encontre de la dignité humaine; nous donnerons des soins respectant la dignité humaine à l'approche de la mort ». Il s'agit de limiter le nombre de suicides grâce à une offre valable de soins psychiatriques, de limiter le nombre d'euthanasies grâce à une offre valable en matière de soins palliatifs.
4. Il est exceptionnel qu'un sentiment d'horreur subsiste à l'égard de l'approche de la mort malgré l'existence de soins palliatifs optimalisés, malgré la peur des techniques les plus avancées de lutte contre la douleur (importance d'un accès aisé aux cliniques de la douleur !). Exceptionnellement, mais surtout en concertation au sein de l'équipe soignante (y compris le médecin traitant !) ainsi qu'avec une contribution ouverte de la part des infirmiers et autres aides soignants, l'on peut procéder à une « sédation contrôlée ». La sédation contrôlée est une technique d'anesthésie avec adjonction d'un somnifère (pouvant aller jusqu'à l'injection intraveineuse continue de barbituriques). Cette « anesthésie profonde » et, a fortiori dans un premier temps, « l'attente de la mort » est un art (cf. la narcose en chirurgie), dont le but n'est pas d'entraîner immédiatement un sommeil fatal, mais d'apporter temporairement le sommeil et le repos, permettant de reprendre temporairement son souffle face à cette situation sans issue redevenue supportable. La sédation contrôlée se situe, dans cette optique, vraiment dans la ligne, dans l'ambiance des soins palliatifs, de l'attente accompagnée de soins ...
Dirk a à peine 35 ans, il est ingénieur, heureux, et forme une jeune famille avec sa femme aimante et ses deux enfants de 8 et 6 ans. Jusqu'au jour où on lui annonce subitement qu'il a une tumeur cérébrale dont les symptômes sont, dans un premier temps, minimes (troubles temporaires de la mémoire et maux de tête, soudain une crise d'épilepsie ...). La maladie dure quelques mois, malgré une thérapie curative et palliative maximale, elle poursuit ses ravages ... Les pertes sont de plus en plus grandes, jusqu'à l'ensemble des facultés mentales ... Dirk finit par ne plus reconnaître la femme qui l'a tant soigné et ses enfants qui, effrayés par cette personne « qui n'est plus leur père », n'osent plus l'approcher. Après concertation entre l'équipe et la famille, on choisit en guise de solution la moins mauvaise de plonger Dirk dans une « situation de sommeil » au moyen d'une perfusion de Pentothal ... Rien que le sommeil, le repos du sommeil, les enfants qui sont à nouveau près du lit, rester l'un près de l'autre encore quelques heures ... avec les infirmiers qui vous entourent pour « titrer » la médication ... les mots me manquent pour décrire comment, en tant qu'homme, nous nous construisons mutuellement jusqu'aux derniers moments de l'existence. Dirk mourut deux jours plus tard.
Tout ceci inspire quelques réflexions complémentaires :
Les soins palliatifs sont une forme de médecine qui fait appel à des techniques d'anesthésie très avancées en vue de rendre la souffrance acceptable. La morphine anesthésie aussi, généralement sans grand impact ni sur la conscience ni sur le caractère de la personne. Mais en cas de souffrance physique ou psychique insupportable (et c'est le patient qui détermine ce qui est insupportable), il n'est pas nécessaire que la personne reste consciente. La médecine et partant les soins palliatifs a pour mission d'anesthésier le patient de manière suffisante pour lui éviter le « sentiment d'une mort atroce ».
L'évolution d'une maladie et des soins qu'elle requiert est unique, difficile à prédire, individuelle, changeante de jour en jour tant du point de vue du patient que de celui de ses proches et de ses soignants. Cette unicité de la mort d'un individu ne peut être respectée que dans un esprit de prévenance par des infirmiers et des médecins qui ne se comportent pas comme des « exécutants de l'ingénierie médicale ». Pour cela il faut anesthésier au moment opportun et autant que nécessaire. La sédation contrôlée est appliquée dans notre réseau PS du Nord de la Flandre occidentale (plus ou moins 1000 décès par an) chez environ 1 % des mourants. Une telle intervention n'est pas anodine, elle impressionne chaque fois l'équipe et en particulier les médecins qui en fait endorment le patient pour toujours ... il y a toujours plusieurs membres de l'équipe qui hésitent au moment de la concertation ... et ce n'est que grâce au soutien de l'ensemble de l'équipe soignante que médecin peut se percevoir lui-même comme un « digne soulageur » dans cet acte extrême (même si les choses deviennent un peu plus faciles à la deuxième ou la troisième fois). Faire les choses de manière contrôlée peut parfois conduire à faire les choses trop facilement, voyez l'acharnement thérapeutique.
Même en cas de sédation contrôlée, la demande d'euthanasie refait parfois surface, surtout lorsqu'il ne s'agit pas d'une forme extrême de contrôle des symptômes mais d'une véritable demande d'euthanasie récurrente ... la paix du sommeil, une réoxygénation a apporté un soulagement ... mais maintenant chaque heure qui passe risque de mettre en péril la dignité du départ ... Dans ces cas (exceptionnels), nous augmentons de manière substantielle la sédation, ce qui aux termes de la proposition de loi peut être qualifié d'euthanasie. Nous ne sommes pas un service qui pratique systématiquement l'euthanasie (nous voulons être des conseillers utiles pour toutes les personnes qui pensent à l'euthanasie) mais par souci de prévenance nous ne voulons pas laisser survenir de morts atroces et nous ne voulons pas abandonner les gens à leur sort ... Si les gens ont mis l'ensemble de leur assistance entre nos mains, nous devons oser et être capables de faire « ce qui est nécessaire pour eux ». Des éléments importants sont : discuter le plus possible à l'avance de ce que chaque personne et son entourage considèrent comme important, oser écouter, rester une équipe, rester présents ..., opter pour le respect maximal de la dignité humaine en restant présent jusqu'au moment ultime ou en faisant ce que la personne demande, ce que la personne estime être le plus digne. Par ailleurs, tous les cas de sédation contrôlée (conduisant le cas échéant à l'euthanasie) font l'objet d'un rapport interne. Soins palliatifs (en ce compris la sédation contrôlée) et euthanasie sont deux notions différentes. Toutefois, dans certains cas extrêmes ils peuvent se superposer.
Nous essayons (hélas insuffisamment) d'apporter une assistance au deuil (la vie au-delà de la mort), notamment aux parents et aux proches de patients morts sous sédation contrôlée.
Là nous y détectons l'importance d'une extrême circonspection. À entendre l'expression de sentiments parfois tout à fait inattendus, on se rend compte que sans cette grande circonspection, certaines personnes pourraient se retrouver dans un désarroi insurmontable.
Conclusion :
Un texte a été élaboré par le groupe de travail Éthique de la Fédération des soins palliatifs de Flandre. Ce texte est à votre disposition. Je vous ai fait part des principaux éléments de ce texte en les assortissant de mon expérience personnelle. En tant que fédération pluraliste, nous estimons qu'il ne nous revient pas de prendre une position globale ou exhaustive vis-à-vis des actuelles propositions de loi en matière d'euthanasie. Certains aspects tels que la dépénalisation, la limitation éventuelle à des patients en phase terminale, les problèmes autour de la déclaration de la volonté, interpellent de nombreux soignants palliatifs, mais nous pensons que d'autres experts sont plus autorisés. Nous avons néanmoins estimé au départ de notre expertise commune et de notre expérience avec les mourants devoir exprimer unanimement une position critique à l'égard de la manière dont les propositions en discussion marquent la séparation entre les soins palliatifs et l'euthanasie. Pour rencontrer nos critiques fondamentales, deux choses nous paraissent essentielles. Premièrement, les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour accroître au plus vite et de manière importante l'offre de soins palliatifs de qualité. Attendre jusqu'à la fin de 2001 pour soumettre un plan fédéral en matière de soins palliatifs nous paraît tout à fait insuffisant. Ainsi faut-il remédier sans tarder à l'insuffisance du financement des fonctions palliatives dans les maisons de repos et de soins, améliorer le financement actuellement symbolique des équipes d'appui palliatives dans les hôpitaux et relever les honoraires de surveillance insuffisants des médecins dans les unités palliatives. Deuxièmement, par respect pour les malades incurables, il faut absolument revoir les propositions en matière d'euthanasie sur un certain nombre de points :
(1) Il faut associer l'équipe de soutien palliatif à l'exploration des possibilités palliatives. Premièrement, le médecin doit se concerter avec l'équipe palliative, sur la base du dossier médical du patient, sur les possibilités concrètes de soins palliatifs à apporter. Deuxièmement, le médecin doit communiquer l'avis de l'équipe palliative au patient. Troisièmement, la possibilité doit être offerte expressément au patient de consulter l'équipe palliative.
(2) Le rôle du second médecin doit être accru. Le second médecin doit donner son avis non seulement sur le caractère incurable de la maladie mais aussi sur les conditions posées à la requête du patient et sur la situation de souffrance continue et insoutenable ou de la détresse qui ne peut être soulagée.
(3) L'équipe soignante doit être associée à la décision. Sauf si le patient s'y oppose expressément, le médecin se concerte avec les membres de l'équipe soignante au sujet de la demande.
(4) Les moyens de contrôle et d'évaluation doivent être améliorés. L'équipe palliative et le second médecin transmettent leur avis à une instance de contrôle et d'évaluation à créer. Ainsi cette instance sera mieux en mesure d'évaluer l'application de la loi.
Précisons que par ces propositions nous n'entendons nullement dire que les soignants palliatifs doivent se prononcer sur la demande d'euthanasie du patient, nous ne sommes pas demandeurs sur ce point. Ce que nous voulons, c'est veiller à ce que les possibilités palliatives soient toujours offertes ou à tout le moins discutées de manière approfondie de sorte que l'euthanasie ne soit pratiquée que dans les cas où le patient le souhaite véritablement.
M. Paul Galand. Merci pour ces témoignages très personnels.
Si le financement ne suit pas, vous voulez dire, pour paraphraser M. Mahoux, qu'il y aura inévitablement des demandes d'euthanasie « par excès ».
Par ailleurs, j'ai eu des échos inquiétants concernant la situation actuelle dans les maisons de repos et de soins. Faudrait-il préciser certains points pour éviter des dérives à ce niveau ? Quant à la formation des médecins et du personnel infirmier, vous avez déclaré que les soins palliatifs étaient des soins très poussés. Il me semble qu'aujourd'hui, dans certains services, on utilise encore la morphine et les autres moyens palliatifs de façon quelque peu élémentaire. En fonction de votre expérience, que faudrait-il pour que les équipes, en nombre suffisant, puissent acquérir la compétence nécessaire en la matière ? En ce qui concerne le décodage de la demande, vous déclarez qu'il faudrait pouvoir faire référence aux équipes de soins palliatifs. S'agirait-il de plates-formes ou d'autre chose ?
M. Arsène Mullie. Avec les moyens actuels, nous atteignons environ un tiers des patients qui ont besoin de soins palliatifs. C'est surtout dans les maisons de repos et dans les hôpitaux que le financement est insuffisant. Dans les hôpitaux, nous assistons encore à beaucoup d'acharnement thérapeutique. De plus en plus de personnes décèdent dans les maisons de repos, mais là il y a un manque de personnel. Les soignants dans les maisons de repos fournissent souvent un travail magnifique avec peu de moyens. Les soins dans les maisons de repos diffèrent de ceux des hôpitaux. Dans les hôpitaux on fournit des services, dans les maisons de repos on partage la vie des gens.
Dans un des documents que je vous transmets, vous trouverez une énumération des besoins des soins palliatifs. En premier lieu, il faudrait un infirmier équivalent temps plein par 120 occupants d'une maison de repos. Cela représente au niveau du pays un budget supplémentaire de 1,350 milliard. Le montant peut paraître élevé, mais il est de notre devoir de dire ce qui est nécessaire pour que les gens puissent mourir dignement.
Pour ce qui est de la formation, il existe une formation de base et une formation continuée. La formation de base est très importante pour poser les jalons essentiels de soins de qualité. Par exemple, nous ne sommes pas uniquement médecin ou infirmier pour guérir mais aussi pour assurer une mort digne. Concernant la douleur, certains principes fondamentaux doivent faire partie de la formation de base. Un exemple est la douleur centrale, celle que Mme Leduc a qualifié de douleur cérébrale. En matière de lutte contre la douleur, des découvertes importantes telles que le principe du « point d'accès » ont été faites. La douleur utilise certaines voies d'accès pour atteindre le cerveau. Lorsqu'on bloque le « point d'accès », on laisse passer moins de douleur. Un autre principe est que lorsque la douleur perdure, elle se centralise : un douleur à l'origine périphérique finira par se déplacer vers la moelle épinière et le cerveau. Il est donc important de lutter contre la douleur rapidement. De tels principes doivent faire partie de la formation de base. Ensuite il existe une formation postscolaire et une spécialisation. Il n'est pas aisé d'enseigner la communication autour de la mort. Cela prend du temps.
Mme Jacinta De Roeck. Les choses évoluent vite et une formation postscolaire sera toujours nécessaire.
M. Arsène Mullie. En effet. Une des tâches du réseau des soins palliatifs consiste à offrir de la formation permanente. Chaque année, quatre sessions de formation sont organisées pour les médecins généralistes et pour les infirmiers à domicile. Il y a sans cesse des nouveautés à communiquer aux soignants de première ligne. Il faut les sensibiliser pour qu'ils acquièrent le réflexe palliatif. Un généraliste connaît la morphine. Moyennant une formation continuée, il peut aussi devenir un bon soignant palliatif.
À côté de cela, des personnes de référence reçoivent une formation supplémentaire de cinq jours. Ils sont les porte-parole au niveau le plus élevé, ce sont les coordinateurs palliatifs. Elles veillent à ce que les connaissances disponibles en matière de soins palliatifs soient correctement appliquées dans la pratique quotidienne par exemple d'un hôpital.
Pour le niveau supérieur, il existe une formation continuée d'environ quinze jours.
M. Jacques Santkin. Je voudrais dire en toute sincérité au docteur Mullie que j'ai été impressionné par la présentation qu'il nous a faite. C'est la première
fois, docteur, que j'ai entendu parler des soins palliatifs comme vous l'avez fait. Vous l'avez fait de façon objective et en mettant en avant tout ce qui est nécessaire pour mener à bien ces soins palliatifs, c'est-à-dire la science, le savoir-faire, le dialogue, l'écoute et le cour. On a d'ailleurs reproché l'absence de ces éléments, à l'exception de la science, à d'autres disciplines médicales. Je vous remercie aussi de n'avoir pas présenté les choses en termes d'opposition entre les soins palliatifs et l'euthanasie. Vous avez terminé votre intervention en disant que vous n'étiez pas contre l'euthanasie. Cela mérite aussi d'être remarqué car bien souvent, à tort ou à raison à mon sens, ce serait plutôt à tort on a semblé présenter les soins palliatifs comme une discipline merveilleuse évitant l'euthanasie. Vous faites la part des choses. Vous avez montré à travers vos exemples quelle est l'évolution. Vous avez même avoué procéder à l'anesthésie de temps en temps. Je ne me risquerai pas à un décryptage de vos paroles mais on pourrait qualifier cela de fin un peu plus rapide de la vie. Sans flatterie aucune, je voulais rappeler l'objectivité et la force de conviction avec lesquelles vous avez expliqué votre point de vue.
Nous essayons de légiférer. Vous avez avancé un certain nombre de propositions, de correctifs, d'améliorations, etc. En fonction de la façon dont vous vivez les soins palliatifs, de cette progression dans l'accompagnement, est-ce que vous croyez qu'il est possible, dans le texte de loi, de trouver les termes corrects, adaptés, qui permettent à la fois de respecter la volonté du patient mais qui vous permettent en même temps de travailler comme vous le faites jusqu'à présent ?
M. Arsène Mullie. Ma réponse est oui. Je pense que c'est possible.
Je suis de tout coeur avec ceux qui demandent l'euthanasie. Les gens ne demandent pas cela à la légère. J'espère que le législateur trouvera une voie permettant à ces personnes d'obtenir satisfaction sans devoir y associer des tiers en cachette. À l'inverse, il ne faudrait pas que cette pratique se multiplie à l'excès et que l'on aille en quelque sorte escamoter la mort. Ce serait regrettable. Pour moi, les soins palliatifs ont un rôle à jouer dans cette question, même si je ne vois pas très bien moi-même comment. Il faut conserver un grand respect pour la vie privée. Qui représente les soins palliatifs ? Est-ce le réseau ou est-ce le coordinateur ? Actuellement il existe partout en Belgique un réseau de soins palliatifs avec un coordinateur.
Une des tâches des réseaux est de bien diffuser l'information. Partout en Belgique on peut téléphoner à un coordinateur de soins palliatifs. Partout il y a des équipes d'appui pour les soignants à domicile. Il n'y a pas encore de points de contact bien reconnaissables dans toutes les maisons de repos, mais bien dans la plupart des hôpitaux. Il existe aussi des unités palliatives spécialisées. Reste à savoir comment on les implique. Dans notre proposition, la vie privée du patient est respectée par le maintien de la position clé du médecin de confiance. J'espère que vous y serez attentifs. Ce médecin de confiance n'est évidemment pas toujours un expert en soins palliatifs ou en euthanasie. Pratiquer l'euthanasie n'est pas une chose aisée. Il faut veiller à ce que les proches ne soient pas traumatisés. Il faudrait donc contraindre le médecin de confiance à faire preuve d'une grande circonspection. Il faudrait aussi lui donner tous les moyens nécessaires. La mission du second médecin devrait être élargie et l'avis de l'équipe soignante doit être demandé. Ceux qui ont soigné une personne pendant des années dans une maison de repos savent ce qui est important pour cette personne. Si la demande d'euthanasie est formulée, le médecin de confiance doit écouter l'équipe soignante. L'exemple a été cité de l'ignorance de l'existence d'une maîtresse. Le personnel soignant sait ces choses. Il faut en tenir compte.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous venez de parler du « médecin de confiance ». Je crois que, dans les grandes villes, cette notion n'existe plus, les gens n'ont plus ce médecin de confiance. Pour des raisons financières également, ils vont directement se faire soigner à l'hôpital au service des urgences. Les médecins généralistes sont encore probablement les plus actifs dans les milieux culturellement favorisés mais la plupart des gens, en tout cas dans des villes comme Bruxelles, se rendent directement dans des hôpitaux publics, comme Saint-Pierre et Brugmann, et n'ont pas ce médecin traitant qui les suive depuis longtemps.
Par ailleurs, dans votre proposition, vous dites qu'il faut consulter telle personne, vous faites des suggestions mais vous ne faites aucune allusion à la famille. Or, après vous avoir entendu, il me semble qu'il doit aussi y avoir des relations avec celle-ci. Il s'agit peut-être d'un malentendu. Je pense en effet que, sauf si le patient s'y oppose formellement pour des raisons personnelles, dans une demande d'euthanasie, la famille doit être consultée, sinon le deuil est trop difficile à faire.
Enfin, en ce qui concerne les techniques de sédation prolongée, on nous en a déjà parlé comme moyens permettant aussi de « récupérer ». Certains nous ont dit que cette sédation était réversible. Pour votre part, vous nous avez donné des exemples où la sédation était définitive et permettait au « processus naturel » de se poursuivre. Pour d'autres, l'intérêt de la sédation prolongée était de permettre dans certains cas au patient en souffrance de récupérer mais cette situation était réversible et des moments de conscience étaient possibles pour des raisons familiales ou autres. Utilisez-vous aussi cette pratique et, dans l'affirmative, quel en est l'intérêt ?
M. le Président. Le terme qui a été utilisé est celui de « sédation contrôlée », je pense.
M. Arsène Mullie. Il est regrettable qu'il n'y ait pas toujours des médecins de confiance. Mais les hommes politiques ont un rôle à jouer à cet égard. Je crois très fortement au précieux rôle joué par le médecin généraliste, voire le spécialiste de confiance, qui vous assiste pour vos soins de santé en tant qu'ami et conseiller. Du point de vue politique également, il me paraît important de faire en sorte que les médecins généralistes jouent à nouveau un rôle plus important. Je ne connais pas suffisamment cet aspect.
Toutefois, je voudrais mettre l'accent sur le fait que le médecin généraliste est très fortement impliqué dans l'ensemble des activités afférentes aux soins palliatifs. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas une mince affaire que d'appliquer une sédation à une personne ou de l'endormir. Dans notre région, il est en tout cas impensable de faire cela sans y impliquer le médecin généraliste.
Pour le médecin qui pratique l'euthanasie, il est très important de pouvoir compter sur une équipe. Dans un certain sens, il doit pouvoir continuer à vivre par la suite. En théorie, on peut évidemment dire que c'était pour le bien du patient. Mais certains actes se situent à la limite et ils peuvent vous empêcher de dormir. D'où le rôle inestimable du médecin de confiance et du travail en équipe.
Par ailleurs, il importe d'y associer également la famille. Nous travaillons, certainement pour ce qui est des soins palliatifs, en relation étroite avec la famille du patient ou, par exemple, son ami homosexuel. Pratiquer l'euthanasie sans impliquer la famille est quasi impossible. Si l'on me demande s'il n'est jamais possible de se passer de la famille, je répondrai sans doute que cela doit quand même être possible dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit alors de la liberté de l'individu. Mais je vois plus loin que la personne, je vois à travers la personne tout ce qui lui est lié. C'est la raison pour laquelle la famille y est quasiment toujours associée.
En cas de sédation contrôlée, on commence par une sédation légère. À ce stade, le patient est informé que la sédation légère l'apaisera d'abord dans une situation qui est devenue insupportable, mais qu'il se réveillera à nouveau par la suite. Ce n'est qu'ensuite qu'il recevra la sédation plus profonde.
Mme Kathy Lindekens. Je m'associe volontiers aux éloges de mes collègues. Vos propos étaient justes et équilibrés. Davantage que les orateurs précédents, vous m'avez donné une meilleure idée de la sédation contrôlée. Je retiens également de ce que vous avez dit que ce n'est pas une mince affaire que de donner une injection à quelqu'un en sachant qu'il ne se réveillera plus.
Je comprends également que, dans beaucoup de cas, la famille doive être impliquée dans la sédation contrôlée afin qu'elle puisse surmonter le processus de deuil imminent.
Parfois, ce processus peut durer longtemps et cela peut devenir très lourd pour les personnes. On espère que ce sera vite passé.
J'ai été frappée par le fait que d'autres orateurs opposent nettement la sédation contrôlée à l'euthanasie. La sédation contrôlée était présentée comme la bonne solution et l'euthanasie comme la mauvaise. Je retiens des explications du témoin que la sédation contrôlée est une forme longue d'euthanasie, à opposer à une forme courte. Ai-je bien compris ? Est-ce que durant la forme longue d'euthanasie, il peut surgir des problèmes qui nécessitent l'administration d'une dose plus forte, ce qui débouche quand même sur la forme courte d'euthanasie ?
M. Arsène Mullie. Les premiers aspects dont j'ai parlé à propos de la sédation contrôlée sont soutenus par le groupe de travail éthique de la fédération flamande. Mes dernières déclarations au sujet de la sédation contrôlée sont plutôt des opinions personnelles, pour lesquelles je me sens soutenu par la majorité du réseau actif dans le Nord de la Flandre occidentale, où l'on a discuté de ce point.
S'il est exact que la sédation contrôlée est parfois désignée par le terme slow euthanasia, elle n'est pas ressentie comme telle. C'est un acte ressenti comme apaisant. Je ne m'attache pas aux mots. Lorsqu'en cas de sédation contrôlée la situation devient insupportable, nous administrons une dose plus forte. Pour la famille, cela devient souvent insupportable parce qu'ils savent que leur proche mourant n'aurait vraiment pas voulu cette situation et qu'ils trouvent que ce n'est pas digne. C'est la raison pour laquelle on discute autant que possible préalablement avec la personne pour savoir ce qu'elle juge digne. Certaines personnes jugent la situation digne pourvu qu'elles dorment.
Toutefois, nous donnons intrinsèquement la préférence à la slow euthanasia, car l'expérience nous a appris que l'on peut avoir des surprises par la suite. On peut avoir l'esprit serein si l'on a été prudent. Je donnerai un exemple. Un jour, j'assistais quelqu'un. Le médecin généraliste de la patiente avait visiblement dit qu'il l'aiderait au besoin si elle le demandait. Pendant qu'on effectuait un accompagnement palliatif, l'euthanasie a été pratiquée par le médecin de famille à la demande de la patiente. L'époux de celle-ci qui se sentait très bien entouré par l'équipe palliative a eu besoin de plusieurs années pour accepter la situation. Son épouse était décédée dans les cinq minutes. Il a dit qu'il s'était trouvé devant un cadavre après dix minutes, qu'il n'avait pas pensé que cela se serait déroulé ainsi. Pendant de nombreuses années, il a ressenti très fort le besoin de visiter à nouveau divers endroits où il avait été avec son épouse.
Je donnerai un autre exemple. L'épouse avait jugé bon que nous donnions la possibilité d'une sédation. Mais à notre surprise, elle avait un sentiment de culpabilité après le décès de son mari. Nous disons toujours aux personnes que nous prenons la décision, non pour montrer notre autorité mais sur la base de notre expérience. Néanmoins, elle avait le sentiment que son époux aurait encore vécu si elle n'avait pas cédé. La sédation contrôlée se situe davantage dans la ligne des soins palliatifs et cela nous convient.
Mme Kathy Lindekens. Le sentiment d'avoir bien ou mal agi n'est finalement pas tellement lié à la décision prise, mais plutôt à la communication avec le patient.
M. Arsène Mullie. Ce n'est que si la communication est bonne que nous ne procédons, dans la mesure requise, à une sédation, compte tenu du patient, de la famille etc. Et alors nous avons aussi le sentiment que nous avons vraiment aidé la personne.
Mme Kathy Lindekens. J'ai encore une question au sujet de l'équipe soignante. Qu'entendez-vous par là ? Elle peut être constituée d'infirmiers mais aussi de bénévoles. Certains mentionnent même la nettoyeuse.
M. Arsène Mullie. La communication est parfois rendue difficile par le nombre de personnes qui participent aux soins. C'est surtout à l'hôpital qu'il y a deux instruments importants de communication. D'une part, il y a la concertation sur le patient et son transfert et, d'autre part, il y a le dossier. Mon objectif est de stimuler ces moyens afin de promouvoir une culture déterminée. Certains parlent d'une éthique au chevet du patient et d'une concertation où les intéressés s'écoutent surtout mutuellement sans imposer leur propre idée. La décision est prise en concertation, souvent progressivement. C'est un art. S'il existait une culture où dans des situations difficiles l'infirmier de service, le médecin et l'équipe de soutient palliatif prenaient le temps de se concerter, on épargnerait beaucoup de souffrances inutiles, de même que des dépenses injustifiées.
Mme Jeannine Leduc. Une société qui se dit civilisée doit faire en sorte que ses malades puissent mourir dignement, c'est-à-dire sans douleur, tel que Monsieur Mullie le décrit, et de manière digne. Les parlementaires doivent créer les conditions pour rendre cela possible et ils doivent également prévoir les moyens à cet effet. Il faudra encore discuter de ces moyens et se posera alors la question de savoir si ces derniers doivent être déduits des dépenses destinées à l'acharnement thérapeutique.
Vous avez dit tout à l'heure que vous souhaiteriez une évaluation a priori. Comment la concevez vous ? Je suis évidemment partisan de soins optimums pour les malades, y compris les malades incurables. Il faut toujours se demander de quelle manière on voudrait vivre cela soi-même, mais parfois la sédation contrôlée m'effraie. Souvent il s'agit simplement d'abrutir les personnes à coup d'injections. S'ils doivent subir un tel traitement très longtemps, je me demande s'ils ont encore une vie. L'euthanasie ne doit pas se faire brusquement, mais pendant combien de temps une personne doit-elle être totalement inconsciente ? Combien de temps doit durer cette sédation profonde ? Je suis d'accord avec vous pour dire que de bons soins palliatifs sont très importants, mais ils ne peuvent pas durer à l'infini si le patient a demandé l'euthanasie, fût-ce douce, telle que vous la décrivez. Je me demande d'ailleurs quelle est la frontière entre la sédation contrôlée et l'éventuelle euthanasie. Vous avez dit tantôt que vous souhaitiez que le deuxième médecin joue un rôle plus important. Nous avons tenté de rendre la proposition de loi aussi claire et aussi courte que possible. Si certaines personnes estiment qu'elle n'est pas suffisamment claire, nous pouvons évidemment l'affiner. Je suis convaincue que les soins palliatifs et une éventuelle euthanasie demandée impliquent un processus d'acceptation. Nous devons trouver un écho parmi le groupe des prestataires de soins. C'est un processus d'échange réguliers d'expériences. On aboutit progressivement à la conclusion qu'il faut faire quelque chose.
M. Arsène Mullie. Cette évaluation a priori est bel et bien une évaluation et non une approbation ou un rejet. Le médecin se verrait obligé d'avoir une discussion au sujet du patient et d'examiner le dossier avec l'équipe de soins palliatifs.
Mme Jeannine Leduc. Nous étions d'accord pour dire qu'il valait mieux que cette obligation figure dans la proposition. En fait, elle s'y trouve. Le patient doit être informé de la possibilité des soins palliatifs et de ses conséquences. L'éventuelle tierce personne ou le deuxième médecin peut également être un médecin expert en soins palliatifs. Cette possibilité figure déjà partiellement dans le texte, mais je suis d'accord avec vous pour dire que nous devons mieux la préciser.
M. Arsène Mullie. La sédation contrôlée ne peut pas aboutir à une situation indigne en soi. La plupart du temps, la sédation contrôlée apaise le patient. J'expliquerai le phénomène. Après une période de tension, le patient s'endort grâce à la sédation légère ou profonde et, au lieu de mourir, il continue à respirer, ce qui donne un sentiment de quiétude parce que tout le monde se rend compte qu'on dispose encore de temps.
Mme Jeannine Leduc. En fait, on veille donc de cette manière à ce que les personnes qui entourent le patient puissent voir ce dernier dans un état de quiétude.
M. Arsène Mullie. Effectivement, la sédation donne un sentiment de quiétude. Si après l'état de quiétude, il se manifeste un sentiment d'indignité, nous procédons à une sédation plus profonde.
Mme Jeannine Leduc. Alors cela devient de l'euthanasie.
M. Arsène Mullie. À ce moment, la sédation aboutit à l'euthanasie et nous évitons de créer un sentiment d'effroi chez le patient, ou dans la famille par la suite. Dans le cas d'une sédation, il y a également un besoin marqué de suivi. La sédation débouche en fait sur le sommeil et une brève attente. Je donnerai un exemple de réaction inattendue. Nous avons eu un jour affaire à un patient qui demandait l'euthanasie. Au moment où nous allions commencer la sédation contrôlée, son état avait tellement empiré qu'il s'est endormi de lui-même et qu'il est décédé. Plusieurs mois plus tard, son épouse décrivait quels moments d'effroi elle avait vécu parce qu'elle craignait de poser un acte illicite. Je ne prétends pas que de tels sentiments se manifestent toujours, mais nous étions en tout cas surpris.
Mme Jeannine Leduc. Nous devons concéder que les personnes qui souhaitent que leurs proches et amis aient une fin digne sont culpabilisées, y compris par notre législation. Il suffit de voir le désarroi entourant l'euthanasie aujourd'hui. Les articles de presse donnent aussi souvent une image tronquée du problème. C'est la raison pour laquelle je demande une attention particulière pour l'évolution que tout patient traverse dans le processus d'accompagnement des derniers moments, des soins palliatifs et de l'éventuelle euthanasie. Chaque personne doit décider elle-même qui y participe.
M. Arsène Mullie. La législation dispose que le médecin doit expliquer les possibilités des soins palliatifs. Ce n'est pas une affaire simple et bien que je m'occupe depuis longtemps de cette matière, j'en apprends encore tous les jours. Il s'agit d'une évaluation a priori. Il est utile d'avoir une bonne connaissance des réactions éventuelles.
C'est une évaluation où la demande n'est pas jugée ou condamnée préalablement. On examine si l'on a bien fait tout ce qui était en son pouvoir pour éliminer l'angoisse chez le patient.
M. Jean-François Istasse. Cette audition est extrêmement importante. La commission pourrait-elle disposer d'une version en français des trois documents qui ont été remis par le docteur Mullie ? Ils devraient être versés au dossier. Je demande à pouvoir y réfléchir.
M. le président. Je partage votre avis. Je suis également touché par le témoignage de M. Mullie, par sa connaissance de la question, la manière mesurée dont il en parle et sa capacité de prendre en compte la position de tout un chacun. Je pense aussi que ce témoignage très important doit être disponible dans les deux langues pour chacun d'entre nous. Le nécessaire sera fait.
Mme Mia De Schamphelaere. Je trouve également que c'est un magnifique témoignage qui montre que l'on est très proche du mourant. Si j'ai bien compris, toutes vos idées et activités tournent autour de la mort douce et consistent à éviter le sentiment d'effroi face aux personnes mourantes ou proches de la mort. Elles ne concernent pas les malades incurables qui demandent une euthanasie active. Une mission importante pour nous et pour l'ensemble de la société, et pas seulement pour les soignants palliatifs, consiste à décoder chaque demande d'euthanasie. Que demande-t-on exactement, que vise-t-on et comment pouvons-nous tous ensemble faire en sorte que seules les véritables demandes d'euthanasie soient prises en compte ? Vous pouvez nous apporter beaucoup à partir de votre expertise palliative : éliminer les angoisses, aider à supporter une situation sans issue, mais j'entends très souvent dans notre société où le stress et le manque de temps sont importants que beaucoup de personnes meurent dans un climat de tension au sein de la famille. Comment pouvons-nous faire en sorte que la situation familiale ne soit pas une des causes de la demande d'euthanasie ? Comment la société en général peut-elle y faire quelque chose ? Quelle est l'impact de l'image qui règne au sujet des personnes gravement malades ou très âgées qui demandent l'euthanasie ?
Sur la base de votre expérience avec votre réseau de soins palliatifs dans le Nord de la Flandre occidentale, vous citez un pourcentage de 1 % de sédation contrôlée. Quel est le pourcentage de demandes d'euthanasie au sens strict qui restent lorsque vous faites votre travail avec tout l'engagement et les possibilités dont vous disposez actuellement ?
M. Arsène Mullie. La première partie de votre question concernait plutôt la souffrance psychique des personnes seules. Je puis seulement répondre que la souffrance psychique est une souffrance aussi grande, voire plus grande que la souffrance physique. D'une part, elle est peut-être plus longtemps réversible, mais d'autre part elle peut être tout autant sans issue. Pensez seulement à un patient qui est admis pour la énième dépression. Dans ce cas également, l'élément palliatif peut souvent faire la différence. Je trouve qu'il faut offrir cette possibilité avant d'accéder à une demande d'euthanasie. Je trouve cela essentiel.
Il est vraiment très difficile de déterminer le pourcentage de véritables demandes d'euthanasie. On n'a connaissance d'une véritable demande d'euthanasie que si on veut l'entendre. Certaines personnes disent qu'elles ne sont jamais confrontées à des demandes d'euthanasie, mais si les malades ne trouvent pas d'écoute, ils vont ailleurs. Les meilleurs références sont peut-être les chiffres néerlandais qui parlent de 2,5 %; avec la sédation contrôlée, le pourcentage est de 0,5 %, voire moins. Ce n'est évidemment qu'une indication.
M. le président. Docteur Mullie, je crois qu'on peut dire que votre témoignage fait partie de ceux qui ont le plus impressionné les sénateurs, membres de la commission; en tout cas, personnellement, c'est un de ceux qui m'ont le plus touché. Je pense qu'il faudra tenir compte des nombreuses remarques que vous avez formulées. Je vous remercie donc chaleureusement. Maintenant je comprends pourquoi vous aviez été proposé par plusieurs membres de la commission appartenant à des partis différents. Vous avez fait ouvre utile pour que nous arrivions à mieux nous comprendre les uns les autres.
M. le président. Je souhaite la bienvenue au professeur Bart Van Den Eynden. Il fait partie du département de médecine générale de l'Universitaire Instelling Antwerpen. Selon son curriculum vitae, il est non seulement médecin mais aussi agrégé de l'enseignement supérieur. Il a défendu une thèse consacrée à la qualité de la vie dans les soins palliatifs. Il est médecin généraliste et chargé du cours de médecine générale à l'Academisch Centrum voor huisartsgeneeskunde et titulaire de la chaire de soins palliatifs à l'Université d'Anvers. Il est également chef de service et coordinateur médical de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Sint-Camillus et coordinateur de l'équipe de soins palliatifs à l'hôpital Sint-Augustinus d'Anvers. Il est vice-président et coordinateur scientifique de l'aide palliative d'Anvers et du réseau palliatif de l'équipe de soins à domicile. Il est membre du Board de l'EORTC et du Pain and Symptom Control Study Group et du Quality of Life Study Group de cette organisation, ainsi que de l'Educational Board de l'Association européenne de soins palliatifs.
Je voudrais excuser notre collègue Dubié qui préside la journée d'étude sur l'enlèvement d'enfants, organisée par le Sénat.
M. Bart Van den Eynden. Je scinderai mon intervention en trois parties. Une première partie concerne les possibilités qui s'offrent aux dispensateurs de soins. La deuxième partie traite d'une option que nous avons expérimentée au sein des soins palliatifs, à savoir la sédation contrôlée. Je voudrais approfondir cette question et réfléchir sur la rationalité qui sous-tend cette option. Je voudrais, enfin, présenter une déclaration faite par une soixantaine de médecins actifs dans les soins palliatifs. Elle diffère du point de vue général adopté par la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen (Fédération flamande des soins palliatifs) à propos des propositions de loi.
Alors que la littérature exposant des arguments pour et contre l'euthanasie et consacrée aux considérations éthiques et morales relatives aux décisions en fin de vie abonde, on sait peu de chose sur le pourquoi des demandes d'euthanasie et peu d'ouvrages ont été écrits à ce sujet.
L'étude la plus fouillée sur la pratique de l'euthanasie et les autres décisions en fin de vie a été entreprise, au début des années nonante aux Pays-Bas, par M. Pijnenborg. Il a été demandé aux médecins qui avaient donné suite à une demande d'euthanasie quelles étaient les raisons de la demande des patients. Les principales raisons avancées étaient : une situation insupportable (70 %), la peur de souffrir à l'avenir (50 %), une « mort indigne » (46 %), la perte de la dignité (57 %), la dépendance d'autrui (33 %), la lassitude existentielle (33 %).
La souffrance a été citée comme raison dans 46 % des cas mais n'a été la seule raison avancée que dans 3 % des cas seulement. La distinction entre toutes ces catégories n'est pas assez précise pour pouvoir en dégager des conclusions très claires. Il est toutefois manifeste que les patients demandent l'euthanasie pour bien d'autres raisons que la seule souffrance physique.
Cette observation a été étayée par les conclusions de Searle et Addington-Hall en 1995. Durant leur étude, ils ont récolté les données relatives aux demandes d'euthanasie formulées par des patients en s'adressant aux proches de ceux-ci; 3,6 % des patients expriment une demande d'euthanasie au moins une fois au cours de leur dernière année d'existence. Les chercheurs se sont enquis de paramètres comme la gravité des symptômes, la dépendance et d'autres facteurs culturels et ont conclu qu'il existait une corrélation beaucoup plus étroite entre la dépendance et la demande d'euthanasie qu'entre la souffrance et d'autres distressing symptoms et la demande d'euthanasie. Ceci nous paraît concorder avec notre propre étude qui fait apparaître que les plaintes physiques ne constituent pas la première raison d'admission de patients (cancéreux) en soins palliatifs; les problèmes psychiques et sociaux sont à nouveau cités en premier lieu.
En 1995, Chochinov et ses collègues ont interrogé 200 patients en phase terminale aux États-Unis. Ils ont analysé leur désir de mourir et ont également évalué l'intensité de la douleur, le degré de soutien social et la question de savoir s'ils étaient ou non dépressifs. 8,5 % des patients ont admis éprouver un désir persistant et profond de mourir. Ce désir était en corrélation avec une douleur intense et le manque de soutien social mais était surtout corrélé avec la présence d'une dépression et la gravité de celle-ci. 60 % des patients qui souhaitaient mourir étaient dépressifs, contre 8 % seulement dans le groupe de ceux qui n'aspiraient pas à la mort. Ils en ont déduit que pour la grande majorité des patients en phase terminale désirant mourir, on était en présence d'une affection pouvant être traitée. Madeley a suggéré à cet égard que chez 23 % des patients de l'étude Remmelinck, la demande d'euthanasie motivée par une « lassitude existentielle » était une manifestation et un symptôme de la dépression.
Chochinov et consorts ont conclu par ailleurs que l'intensité du désir de mourir peut varier sensiblement dans le temps. Après un laps de temps de deux semaines, les deux tiers des patients non dépressifs qui avaient fait part de leur désir de mourir, ne souhaitaient plus mourir.
La dépendance est peut-être le problème le plus insurmontable pour de nombreux patients, surtout pour ceux qui étaient attachés à l'idée d'une totale indépendance et action : « Personne n'a jamais rien dû faire pour moi ... je ne peux tout simplement pas supporter de devoir faire appel aux infirmières quand je veux faire quelque chose ... » En dépit d'un contrôle optimal de leurs plaintes et symptômes physiques, beaucoup de patients jugent insupportable d'être dépendants. Ils pourraient avoir le sentiment que le seul aspect de leur vie qu'ils peuvent potentiellement encore contrôler, est le moment de leur mort et leur façon de mourir.
Si les patients ont le sentiment de pouvoir contrôler leur situation, leurs possibilités de faire face à des situations de stress, comme des maladies incurables, seront améliorées. Ce sont surtout les patients qui ont acquis des mécanismes de contrôle comportementaux ou des aptitudes de contrôle cognitives qui sont mieux à même de faire face à des maladies graves ou de s'adapter à une telle situation. Pour les patients qui sont toutefois confrontés à la dépendance à la suite de maladies arrivées en phase terminale et qui ne sont plus capables d'influencer le cours des événements, ces mécanismes de contrôle ne sont plus tellement utiles. Il se peut que ce soient surtout les personnes qui se servent du contrôle comme un moyen de vivre leur vie et leur maladie qui éprouvent des difficultés particulières lorsqu'elles sont confrontées à une dépendance insoluble. Certaines demandes d'euthanasie peuvent donc être interprétées comme une tentative de prolonger les mécanismes de contrôle qui se sont avérés utiles, dans le passé, à la personne concernée mais qui sont devenus inopérants aujourd'hui.
Un deuxième aspect relève du spirituel. En 1992, Kearney a établi que certains patients demandent l'euthanasie en raison d'une souffrance spirituelle très profonde. Il a remarqué que les patients doivent pouvoir avoir le sentiment que leur vie est traversée de part en part par un fil conducteur. Les patients qui meurent dans la souffrance et la détresse, perdent ce sentiment d'identité et souffrent d'une dissociation et d'une aliénation du niveau profond de leur psyché. Chez ces patients, la demande de la mort découle de cette aliénation d'eux-mêmes. Il est donc important de considérer le problème de ces patients comme un problème existentiel essentiellement d'ordre spirituel. Le soutien et l'accompagnement spirituels sont nécessaires et deviennent alors possibles.
Le mot spirituel n'est pas utilisé ici au sens strictement religieux mais au sens existentiel large.
J'en arrive maintenant à une brève conclusion intermédiaire.
En résumé, de 3 à 8 % des patients en phase terminale expriment une demande d'euthanasie ou éprouvent un désir persistant et profond de mourir.
Les patients ont différentes raisons de demander qu'il soit mis intentionnellement fin à leur vie : certains présentent des symptômes réfractaires, ne pouvant être traités, ou « sont morts de peur » face à une souffrance future. Un groupe important de patients est dépressif. Une bonne communication, une explication patiente, une prise en charge médicale et psychique peuvent apporter une réponse à beaucoup de ces situations.
Un facteur essentiel dans beaucoup de demandes est la dépendance croissante et la perte de la dignité. Il est plus difficile de remédier à ces situations. Lorsque la pratique des soins palliatifs se développera, qualitativement et quantitativement, les demandes d'euthanasie, motivées par des problèmes physiques réfractaires, non traités, devraient diminuer. Si l'autonomie et le maintien du contrôle personnel sont de plus en plus importants dans notre société, la dépendance pourrait bien devenir le fondement principal et le motif le plus fréquemment avancé d'une demande d'interruption volontaire de vie.
Comment répondre à une demande d'euthanasie ? Comment réagir à une demande d'interruption volontaire de vie ?
L'un des aspects essentiels dans la pratique clinique journalière est : comment répondre à une demande d'euthanasie formulée par un patient ? Sur le plan pratique, il n'est guère utile que les dispensateurs de soins saisissent les fondements éthiques des décisions et actes posés en fin de vie mais ne sachent pas que dire ou que faire lorsqu'ils sont confrontés concrètement à un patient qui demande à mourir.
Je voudrais m'attarder quelque peu sur cet aspect.
Je citerai d'abord quelques attitudes possibles face à une demande d'euthanasie :
Posez (explicitement) la question;
Reconnaissez une telle demande;
Enquérez-vous consciencieusement des motivations;
Tentez d'améliorer ce qui peut l'être;
Rendez le plus possible au patient le contrôle (de lui-même et de sa vie);
Pensez aux problèmes spirituels, existentiels;
Admettez votre propre impuissance.
Dans les unités de soins palliatifs, une demande d'euthanasie est doublement pénible et stressante parce que, d'une part, elle démontre la gravité et la profondeur de la souffrance du patient et, d'autre part, elle est perçue, par le staff et l'équipe, comme un échec dans le soulagement de la douleur du patient concerné.
Quand il est confronté à une demande d'euthanasie, il importe que le soignant sache mettre de côté ses propres sentiments et considérations sur le caractère moral de la demande en tant que telle; il sera ainsi à même de reconnaître la réalité de la douleur qui a conduit le patient à demander à mourir (Cole, 1993). Beaucoup de soignants estiment cela difficile (Di Mola, 1994) mais les patients éprouvent le besoin de parler de leurs angoisses face à la mort et à la vie qui les attend. Comme nous l'avons dit, il est possible de remédier à certaines des raisons qui amènent à demander une interruption volontaire de vie. Il est donc important que le soignant prenne l'initiative d'interroger spontanément le patient à ce sujet. Tout comme les médecins généralistes et les psychiatres sonderont de manière spécifique d'éventuelles pensées ou aspirations suicidaires chez des patients dépressifs, il sera parfois absolument indispensable de demander à des patients en phase terminale s'ils envisagent une interruption volontaire de vie. Si le patient répond affirmativement à une question telle que « Vous demandez-vous parfois si cela vaut la peine de continuer ? », on peut lui demander : « Avez-vous déjà envisagé de demander à quelqu'un de mettre fin à cette situation à votre place ? » Savoir que quelqu'un est prêt à parler et discuter d'un sujet aussi difficile et déroutant, peut apporter un immense soulagement au patient. Bien loin de vouloir choquer le patient ou de vouloir conforter une ébauche de réflexion sur l'euthanasie, le fait d'interroger le patient peut lui permettre d'exprimer les angoisses et les craintes qu'il aurait sans cela gardées en son for intérieur. Les patients considèrent presque toujours comme déroutantes et choquantes les réflexions à propos d'une intervention intentionnelle en vue de mettre un terme à la vie. S'ils ont le sentiment de subir des reproches de la part des soignants ou s'ils ressentent une confusion chez les soignants, ils sombrent dans un désarroi et une détresse plus profonds encore; ils éluderont à l'avenir toute discussion.
La reconnaissance de la valeur des sentiments d'un patient permettra à celui-ci d'échanger des idées sur des sujets et thèmes de plus en plus difficiles (Maguire/Faulkner, 1994). La reconnaissance de tout (nouveau) problème au moment où il est évoqué (par exemeple cela me semble important et je voudrais y revenir; je me demande s'il y a d'autres choses qui vous préoccupent ou qui vous causent des difficultés ...) permet de répondre de plus en plus et de plus en plus profondément aux problèmes du patient et de les faire émerger. Il est préférable de ne pas corriger d'emblée les opinions erronées, les préjugés ou de rassurer ou de donner des conseils tant que tous les problèmes n'ont pas été exprimés. Un soignant peut ainsi se forger une idée beaucoup plus complète des raisons qui motivent la demande d'euthanasie et mieux les comprendre.
Une fois que toutes ces raisons sont identifiées, il est possible de s'y attaquer et d'y remédier. Les symptômes physiques non résolus doivent au préalable être traités pour que le patient puisse prendre les décisions justes, fondées sur une information correcte, à propos de son avenir. Si une dépression est constatée, ce diagnostic doit être communiqué au patient et un traitement doit lui être proposé. En alliant un contrôle adéquat des symptômes et une juste application du principe du « double effet », on pourra traiter adéquatement la toute grande majorité des symptômes physiques les plus fréquents, comme le douleur ou la dyspnée, sans devoir recourir à l'interruption volontaire de vie.
Bon nombre de patients ont des conceptions erronées ou des notions fausses de leur maladie et ne disposent pas d'une information suffisamment bonne sur laquelle fonder leurs décisions. Comme de nombreux professionnels, ils n'ont souvent aucune idée précise de la distinction entre l'euthanasie et les autres décisions et actes en fin de vie. Ils croient souvent que le médecin doit s'obstiner à lutter pour prolonger la vie; ils seront donc rassurés d'entendre et d'obtenir l'assurance que le traitement est axé sur le maintien et l'amélioration de la qualité de la vie et sur le soulagement des symptômes, même si cela abrège l'existence.
Beaucoup de patients ont l'illusion que la souffrance ne trouve jamais de fin et que la mort ne surviendra pas avant plusieurs mois. Si l'on donne à ces patients une vision claire de l'évolution et du pronostic de leur maladie, on annihile la « peur de la souffrance à venir » et on leur redonne espoir.
De très nombreux patients ignorent dans quelle mesure ils contrôlent déjà les décisions relatives à leur traitement. Associer véritablement les patients à ces décisions est une des manières de leur rendre ce (sentiment de) maîtrise. Cela permettra, par ailleurs, au patient de prendre des décisions complètes et bien informées au sujet de son traitement et de réduire le contrôle qu'un soignant conserve d'une situation clinique. Il peut en résulter un sentiment plus aigu de vulnérabilité chez le soignant mais un sentiment plus affirmé de maîtrise chez le patient. Les autres voies permettant de donner au patient une plus grande possibilité de contrôle, doivent être explorées.
Nous avons dit que des problèmes spirituels peuvent être à l'origine de la demande d'euthanasie d'un petit groupe de patients et qu'ils peuvent jouer un rôle chez de nombreux autres. Le soulagement de la souffrance physique, le développement d'une relation de confiance entre le patient et le soignant permettent à la plupart des patients de trouver une stabilité et paix intérieures (Mount & Kearney, 1996). Un groupe très restreint de patients reste enfermé dans une « prison spirituelle » douloureuse et tenaillante. Un groupe de patients persiste à demander l'euthanasie malgré un contrôle adéquat de la douleur et des symptômes et une stabilité psychique apparente. Hockley (1991) décrit leur situation comme une situation de rational no-hope. Hockley (1991) comme Kearney (1992) relatent le cas de patients qui, bien que se trouvant dans un tel contexte, ont pu être amenés à se réconcilier avec eux-mêmes, soit par la prière, soit par la visualisation. Les deux auteurs écrivent que ces décès ont été davantage porteurs de sens et plus paisibles que si l'on avait réellement accédé aux demandes d'euthanasie. Des techniques spéciales, comme l'imagework et la visualisation peuvent aider le patient à vivre sa situation différemment et contribuer à lui assurer le confort auquel il aspire.
Il y a, enfin, des patients pour qui nous ne pouvons pas faire grand-chose pour améliorer leur situation. Ils resteront dépendants, sans possibilité de contrôle, désemparés et tenaillés par leur impuissance. Il n'est alors certainement pas utile de dire : « Ne vous inquiétez pas; nous sommes là pour vous aider. » Les patients attendent plutôt que nous reconnaissions leur souffrance et que nous admettions que ce qui les ronge, c'est leur dépendance extrême. Nous ne serons jamais capables de rendre à ces patients leur autonomie pour agir. Nous devons nous préparer à partager l'impuissance d'un tel patient en admettant notre propre impuissance. Sheila Cassidy écrit : « Slowly, as the years go by I learn about the importance of powerlessness ... The dying know we are not God. They accept that we cannot halt the process of cancer ... All they ask is that we do not desert them » (1988). Cette approche ne permettra pas de résoudre le problème de tous les patients et ne fera pas disparaître toute demande opiniâtre d'interruption volontaire de vie. Mais elle peut aider à découvrir et identifier des problèmes et préoccupations spécifiques, ce qui permet de s'y attaquer. Cette approche permet également au patient de développer une relation de confiance avec le(s) soignant(s); dans ce contexte, il est en outre beaucoup plus facile pour le patient de tenir compte des problèmes moraux et éthiques que rencontre l'équipe soignante et de les accepter.
Pour illustrer mon propos, je vous raconterai le cas clinique de Martha. Les notes présentent également un autre cas.
Martha est âgée de 48 ans, elle est divorcée et la mère d'un fils autiste de 19 ans. Depuis 5 ans, elle entretient une nouvelle relation avec Bob. Elle est secrétaire de direction dans un bureau d'avocats. Je vous passe les détails de sa situation : maux de ventre, diarrhée, sensation de réplétion, odème aux jambes. On a diagnostiqué des métastases malignes, dont l'origine n'a jamais pu être déterminée. Il s'agissait sans doute d'un cancer de l'intestin ou d'un cancer des ovaires. Elle est à court d'haleine, elle vomit et a la nausée. Au terme d'une concertation intense au sein de l'équipe et avec la patiente, il est décidé de ne plus franchir d'étapes nouvelles dans l'établissement du diagnostic. Une chimiothérapie palliative est appliquée à la patiente pour contrôler le mieux possible ses plaintes et sa souffrance physique. La patiente ne réagit pas à la chimiothérapie, ni aux antiémétiques, ni à la morphine. Elle présente une thrombophlébite aux deux jambes et doit donc absorber des anticoagulants. Elle est continuellement fatiguée et agitée et doit dormir en position assise. Elle demeure consciente et éveillée et présente une orientation normale dans l'espace et le temps.
Un matin, elle appelle le médecin et, après une longue conversation, elle obtient l'assurance que nous avons fait le maximum en ce qui concerne le contrôle des symptômes et que toutes les tentatives se soldent par des échecs. Elle déclare : « C'est la fin de ma souffrance, je ne peux le supporter, donnez-moi le confort, je veux dormir. » Elle n'exprime donc pas une demande explicite d'interruption active, volontaire de vie. Son partenaire appuie sa requête et accepte sa vision des choses, si pénible soit-elle pour lui. Elle demande à pouvoir voir une dernière fois son fils. Comment pouvons-nous interpréter cette demande ? De quelle manière allons-nous justifier notre décision de nous abstenir de tout traitement ? Qu'il s'agisse d'un traitement curatif ou palliatif ne change rien. L'arrêt d'un traitement fait surgir la menace d'un acharnement palliatif. Sa deuxième demande vise à un soulagement de la douleur jusqu'à l'extrême, jusqu'à la sédation et jusqu'au respect de son sommeil. Il existe souvent une confusion entre le sommeil et l'endormissement. L'endormissement est en fait un euphémisme pour euthanasie, tandis que le sommeil signifie qu'on laisse la personne dormir au sens journalier du terme.
Il importe de toujours faire toute la lumière sur la demande du patient. Demande-t-il qu'on soulage ses souffrances ou veut-il réellement l'application d'une sédation ? Une douleur insupportable peut aussi modifier les facultés de perception et de jugement d'un patient et influencer ainsi les décisions. Un patient a le droit de refuser ou d'arrêter un traitement en vertu de son droit à l'autodétermination. Lorsqu'il s'agit d'un patient conscient, capable, le médecin doit respecter cette décision. Face à un patient incapable d'exprimer sa volonté, le médecin devra trouver un juste équilibre entre les avantages et les inconvénients, entre les benefits and burdens. Si le patient a déjà fait part de ses souhaits précédemment, le médecin doit respecter cette opinion.
Dans le cas que j'ai exposé, chacun admettra même si les possibilités de contrôle de la douleur n'ont pas été entièrement épuisées que ces possibilités représentent en tout cas une approche agressive assortie de risques importants d'effets secondaires, sans garantie de soulagement efficace. Le patient est conscient et, bien que des facteurs organisationnels externes aient également influencé son choix, chacun peut approuver sa décision de ne plus poursuivre les soins palliatifs, par exemple une chimiothérapie palliative.
On confond parfois arrêter un traitement et s'abstenir de traiter. De nouveau, ce type de décision s'appliquera généralement à un traitement curatif intentionnel mais cette distinction est également pertinente dans le cadre d'une intervention à orientation purement palliative. Nous avons ainsi tendance à considérer qu'une fois qu'un traitement a débuté, on ne peut plus l'arrêter.
Même si, à première vue, cela paraît évident, une telle attitude n'a aucun fondement éthique, médical ou légal; elle ne peut s'expliquer que par le fait qu'il est effectivement beaucoup plus difficile d'arrêter un traitement que de ne pas le commencer. Une analyse éthique plus approfondie nous apprend que les raisons sous-jacentes sont identiques dans les deux cas : le caractère inutile du traitement et l'intérêt du patient. Autrement dit, quand un traitement devient à la longue inutile, ou trop éprouvant, sans offrir encore d'avantages manifestes, n'est-il pas justifié de l'arrêter, tout comme il était raisonnable de ne pas entamer un traitement dont on estimait au préalable qu'il était inutile ? Qu'il s'agisse ici d'un traitement curatif ou d'une thérapie palliative ne change rien.
La deuxième question sur laquelle je souhaiterais m'arrêter est celle de savoir si la sédation est admissible dans le but d'un contrôle des symptômes chez un patient en phase terminale. Quand, en fin de comptes, une maîtrise de la maladie n'est plus possible, quand toute perspective de guérison est exclue, il n'en reste pas moins que le médecin doit continuer à soulager la douleur et les autres symptômes et s'y employer. Chacun se rappellera les objectifs de la médecine : « Cure sometimes, relieve often, comfort always. » C'est un adage très ancien qui devrait en fait encore s'appliquer dans de nombreux cas à la médecine d'aujourd'hui. Jusqu'il y a peu, les interventions des médecins étaient inspirées par ce principe; mais l'accent qui, au sein de la pensée médicale occidentale, est mis sur les aspects biologiques de la maladie et de la santé, nous a rendus aveugles à nos véritables capacités de guérir et nous fait parfois oublier notre obligation fondamentale de veiller au confort et de soulager la souffrance. Le soulagement de la douleur et le contrôle des symptômes est une obligation morale et l'objectif majeur, basé sur le principe éthique de « donner du bien-être », « faire du bien » (beneficence).
Même si des soins palliatifs de qualité peuvent soulager les symptômes de nombreux patients, il arrive que, chez certains patients présentant des affections malignes avancées, certains symptômes physiques et psychiques ne soient pas éliminés parfaitement. Certains d'entre eux restent réfractaires (ou intractable), à la lumière des connaissances médicales actuelles. Par symptôme réfractaire, on entend un symptôme qui ne peut plus être maîtrisé adéquatement, en dépit des efforts éventuellement agressifs déployés pour identifier une thérapie acceptable qui ne compromette pas la conscience du patient. L'incidence des symptômes réfractaires est toujours controversée (5-52 %) mais il est certain qu'ils sont plutôt fréquents.
Dans une telle situation, que signifie le contrôle de la douleur et des symptômes ? Le médecin doit veiller à ce que toutes les étapes successives soient entreprises pour soulager la douleur au moyen de tous les traitements qui sont applicables, compte tenu des circonstances. Mais si tous ces traitements échouent et que le médecin est confronté à un symptôme réfractaire ou intractable, est-il justifié sur le plan éthique d'envisager la sédation comme une option possible ? Cette attitude constitue-t-elle une forme d'aide au suicide ou d'euthanasie ?
Un traitement adéquat ou adapté, compte tenu des circonstances, est un traitement qui prend en considération la volonté et les désirs du patient et qui tient compte de l'objectif fixé et des normes et directives médicales. Dans le cas de Martha, où tout a été fait, fût-ce en vain, pour assurer un contrôle de la douleur et où la patiente ne souhaite plus de nouvelles initiatives agressives, la sédation constitue, à nos yeux, une alternative acceptable et justifiée sur le plan éthique. Il nous paraît à cet égard utile de souligner que la sédation ne constitue pas un objectif en soi d'une analgésie bien comprise mais une « mesure exceptionnelle » qui présente ses propres indications spécifiques. Il nous paraît clair que la décision de pratiquer la sédation doit de préférence être prise par une équipe dans le cadre d'une approche interdisciplinaire dont l'ambition doit être de faire la lumière sur les options thérapeutiques qui subsistent et sur les objectifs du traitement. Une telle décision ne devrait jamais être prise sans l'accord du patient ou de ses proches.
Quel rationale éthique justifie donc une telle décision ? Nous pouvons trouver la réponse à cette question dans le principe du « double effet » qui peut s'appliquer aux situations où il existe une différence entre les effets recherchés d'une intervention prévue (en l'occurrence, le soulagement de la douleur) et les éventuels effets non recherchés de cette même action (l'accélération de la mort). Dans le cas de Martha, il sera évident pour chacun que l'objectif visé, l'intention, est de soulager la douleur et non d'accélérer la survenance du décès, ce qui peut cependant être un « effet secondaire ».
Pour être admissible sur le plan éthique, l'intervention doit remplir les conditions suivantes : le traitement en question doit avoir un effet favorable, à savoir soulager les symptômes insupportables, ou ne peut en tout cas pas faire de tort; le médecin ne peut que rechercher l'effet favorable, en l'occurrence le soulagement de la douleur, même s'il peut prévoir certains effets secondaires défavorables, comme l'accélération du décès ou la perte de conscience; les effets défavorables, négatifs ne peuvent constituer un moyen, ne peuvent être indispensables pour obtenir l'effet positif, favorable; l'effet favorable, à savoir le soulagement de la douleur, doit l'emporter sur l'effet défavorable, concrètement l'accélération du décès.
L'application du principe du « double effet » repose sur l'intégrité du soignant et sur la sincérité de son intention. Ce dernier point est crucial pour la distinction avec l'euthanasie et l'aide au suicide.
Dans quelle mesure l'arrêt d'un traitement et la sédation diffèrent-ils de l'assisted-suicide, de l'aide au suicide et de l'euthanasie ?
La patient assisted suicide (PAS), l'aide au suicide et l'euthanasie sont également présentés comme des possibilités de traiter la douleur et la souffrance incontrôlables. Ici, l'intention est manifeste : la maîtrise de la souffrance du patient est atteinte par la mort de la personne qui souffre.
L'euthanasie et l'aide au suicide contrastent donc nettement avec l'arrêt d'un traitement ou l'application de la sédation à un patient dans le but de soulager sa souffrance. Même si le résultat final peut être identique dans tous ces cas, la différence réside dans l'intention. Alors qu'en cas d'arrêt d'une thérapie ou de sédation, la mort peut être la conséquence non prévue, non recherchée mais ne pouvant être exclue, il s'agit bien de l'objectif visé dans le cas du PAS ou de l'euthanasie. Comme nous l'avons dit, en cas d'arrêt d'un traitement, cette décision sera prise parce que cette thérapie ne permet plus d'atteindre l'objectif visé, notamment parce que le processus de cheminement vers la mort n'est plus freiné, processus qui, auparavant, était différé et ralenti par des moyens artificiels. Nul ne peut en effet être contraint de rester en vie par des moyens artificiels. En cas de sédation, il s'agit au contraire d'appliquer la thérapie la plus efficace dont nous disposons pour maîtriser quand même ce qui échappait au contrôle par les moyens ordinaires.
Quelle est la solution finale ? La résolution de ce problème exige-t-elle nécessairement l'élimination totale de la souffrance dans son ensemble ? Ou bien est-il préférable de s'intéresser à chaque élément du problème ? Sur quels arguments pouvons-nous nous fonder pour étayer notre choix ?
L'euthanasie et l'aide au suicide signifient que l'on reconnaît non seulement le droit au soulagement de la souffrance mais aussi le droit de mourir. Beaucoup considèrent ceci comme une extrapolation (extrême) du principe de l'autonomie : chacun a le droit de choisir le moment et les moyens de son décès et de sa mort.
Ceci soulève néanmoins quelques questions : est-ce vraiment de cela qu'il s'agit quand on parle d'autonomie ? A-t-on la liberté de mettre soi-même un terme à sa liberté ? Existe-t-il une liberté de s'autodétruire ? Existe-t-il des limites à notre liberté et au droit de mourir ? Quelles sont alors ces limites ? Seulement en cas de souffrance « incontrôlable » ? Seulement pour des malades en phase terminale ? Pourquoi pas en cas de souffrance psychique insupportable qui est souvent plus grave encore que la souffrance purement physique ? Quelle doit être l'importance de la souffrance ?
Toutes ces questions montrent combien il est difficile de prendre une décision à cet égard.
Un argument souvent utilisé pour justifier l'euthanasie et l'aide au suicide, est celui du soulagement de la souffrance inspiré par la compassion et la pitié. On peut affirmer à cet égard que le médecin a le devoir de soulager la souffrance, peut-être est-ce même l'essence de la médecine, mais qu'il doit consacrer toute ses forces et son énergie à l'élimination de la souffrance et non de celui qui souffre. Il existe de nombreuses possibilités de soulager la souffrance et la médecine palliative a réalisé d'importants progrès à cet égard au cours des dernières décennies. Mais il faut bien admettre que toute la souffrance ne peut être bannie. On peut même se demander si cela sera un jour possible.
En principe, l'euthanasie et l'aide au suicide ne sont envisagées que pour des patients conscients, capables mais on ne peut ignorer sans plus toutes les considérations relatives au consentement et à l'approbation. Quand un patient est dans le désarroi, bon nombre de facteurs peuvent interférer dans sa vie et influencer son état mental. L'équilibre est souvent fragile. Le patient veut-il mourir en raison du contrôle déficient des symptômes ? Comment savoir si tout ce qui est possible a réellement été fait pour soulager la souffrance ? Le patient est-il peut-être trop peu soutenu par sa famille, ses amis ou même par l'équipe professionnelle ?
Intervient encore l'argument économique. Dans une société où la maîtrise des coûts et des budgets est une priorité, la tentation ne sera-t-elle pas grande, chez les responsables politiques, les gestionnaires, ainsi que chez les médecins, d'accélérer la mort par l'euthanasie ou le PAS, comme moyen ultime de maîtrise des coûts ? Même si l'on met en place de nombreux mécanismes de sécurité pour éviter cette situation, ceci demeure un slippery slope.
La profession médicale s'est depuis toujours opposée à l'euthanasie. Le respect de la vie est capital dans l'éthique et la pratique médicale. D'où vient le besoin de changement ? Le contrôle de la mort est-il à la portée de la profession médicale ? La médecine peut-elle maîtriser le sens de la vie et de la mort, a-t-elle atteint cette compétence et capacité ? Ou s'agit-il seulement du contrôle de quelques phénomènes, comme la souffrance ? La mort de l'homme n'est pas un droit ou un bien, c'est seulement quelque chose d'inévitable. Il serait illusoire de croire que la médecine pourra maîtriser toutes les souffrances puisque celles-ci font définitivement partie de la condition humaine. On pourrait en conclure que les médecins ont le devoir d'aider leurs patients à traverser les moments difficiles avec tous les moyens dont ils disposent; mais ils ne doivent pas en arriver à éliminer le patient.
En conclusion, nous rappellerons la considération de Callahan : « It is a strange kind of community that would require consensual homicide to realize its members' individual dignity. »
Je voudrais conclure l'histoire de Martha. Elle a avant tout été rassurée : tout était mis en oeuvre pour son confort. L'intraveineuse a été enlevée et on lui a administré de fortes doses de somnifères. Pendant deux jours, elle a été maintenue dans un sommeil artificiel. Elle est décédée paisiblement, entourée de sa famille. La communication est restée possible. Le degré de sédation peut en effet être adapté pour que certaines formes de communication non verbale restent possibles. De nombreuses familles nous en sont particulièrement reconnaissantes. Aucun accompagnement supplémentaire pour l'acceptation du deuil n'a été nécessaire.
Je voudrais conclure mon exposé par une brève déclaration émanant d'une soixantaine de médecins actifs dans les soins palliatifs et provenant des quatre coins de Flandre. Ils sont occupés à temps plein ou à temps partiel dans des unités de soins palliatifs, des équipes consultatives en matière de soins palliatifs, des équipes ou réseaux de soins palliatifs à domicile. C'est la pratique des soins palliatifs qui nous unit, et non l'une ou l'autre tendance philosophique. Par cette déclaration, nous voulons associer directement la société et surtout les responsables politiques au débat sur l'euthanasie, nous voulons donner un signal. Nous y exposons, non pas tant des arguments je viens de les formuler dans mon exposé et bien des arguments ont déjà été avancés au cours des dernières semaines et des derniers mois mais bien des convictions qui sont le fruit de notre pratique et qui ont fait l'objet d'un consensus au sein de notre groupe. Nous estimons et nous supposons que l'on ne peut ignorer l'opinion des médecins qui, chaque jour, sont directement concernés par les problèmes de la fin de vie. Cette déclaration comporte sept points. J'y ajouterai à titre personnel deux autres points.
1. Nous ne sommes pas a priori opposés à une réglementation légale des éventuels problèmes éthiques qui se posent en fin de vie. L'ambition d'une telle réglementation doit toutefois être de parvenir à des soins médicaux en fin de vie plus compétents, plus consciencieux et plus justifiés sur le plan éthique. Ceci implique qu'une réglementation légale doit réduire et non accroître les abus, pour que les plus faibles soient mieux protégés. Telle est en effet la raison d'être de toute loi. C'est pourquoi, la prudence et la circonspection sont ici de mise et la précipitation malvenue.
2. Une éventuelle réglementation légale doit créer un cadre légal au sein duquel sera garantie une meilleure qualité de toutes les décisions médicales relatives à la fin de vie. Des objectifs importants à cet égard sont la réduction de l'acharnement thérapeutique et la promotion de la concertation avec le patient, pour autant que celle-ci soit possible, son entourage et l'équipe. Sous l'angle statistique, l'euthanasie l'acte consistant, pour un tiers, à mettre fin à la vie d'une personne à sa demande ne constitue qu'un « problème mineur » en comparaison avec des décisions telles que celle de ne pas entamer ou d'arrêter un traitement médical et d'intensifier la lutte contre les symptômes et la douleur. Il faut en outre que cette réglementation formelle n'entraîne pas une charge administrative telle qu'elle en deviendrait impraticable.
3. Nous ne considérons pas l'euthanasie comme un acte médical normal mais comme un acte médical exceptionnel. C'est pourquoi nous souhaitons que l'euthanasie ne soit pas dépénalisée. Des soins palliatifs bien développés et la sédation contrôlée peuvent d'ailleurs permettre de réduire à un minimum le nombre des demandes d'euthanasie.
4. Nous estimons qu'il est injustifiable sur le plan éthique et social de rendre l'euthanasie légalement possible pour des patients ne se trouvant pas en phase terminale. Les médecins associent spontanément l'euthanasie à un acte consistant à mettre fin à une vie dans une situation terminale, extrêmement pénible. L'enquête réalisée par les scientifiques de la RUG, de la VUB et de la KU Nijmegen à propos de l'attitude des médecins face à la fin de vie des patients montre en effet que la pratique de l'euthanasie ne consiste qu'à abréger l'existence d'une à quatre semaines. Il s'agit donc bien de patients en phase terminale. Face à des patients qui ne se trouvent pas en phase terminale, on est confronté à une problématique toute différente qui est davantage associée (à l'aide) au suicide et dont les conséquences pour la pratique médicale, pour le rôle de la médecine et pour notre culture vont encore bien au-delà qu'en cas d'arrêt de la vie à la demande de patients en phase terminale.
5. L'euthanasie n'est ni banale, ni simple, notamment parce que la demande d'euthanasie est tellement complexe. C'est pourquoi une réglementation légale doit rendre la pratique de l'euthanasie non pas plus facile mais plus vigilante, de manière à ce que l'on n'accède pas à des demandes d'euthanasie qui n'en sont pas véritablement ou à des demandes formulées sous la pression de tiers. Ceci implique un contrôle réel a priori et a posteriori. L'actuelle proposition de loi n'offre pratiquement aucune garantie d'une pareille vigilance.
6. Cette vigilance doit en outre garantir que soient associés des spécialistes des soins palliatifs. Nous nous rallions à la proposition de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen (Fédération flamande des soins palliatifs). On ne peut pas parler d'une véritable choix de l'euthanasie si l'on n'a pas au moins connaissance des possibilités de soins palliatifs. On ne peut supposer que chaque médecin ou infirmier connaisse ces possibilités. C'est pourquoi l'avis d'un spécialiste des soins palliatifs nous semble une mesure indispensable de précaution. Ceci implique certes une augmentation du nombre de ces spécialistes.
7. Le besoin éthique le plus criant en fin de vie n'est pas l'euthanasie mais le manque de possibilités de soins, non pas au sein des unités de soins palliatifs, mais dans les autres structures où l'on assiste parfois à des situations déplorables. Les responsables politiques devraient avant tout rendre des soins de qualité possibles. Le droit à des soins (palliatifs) est prépondérant. Ceci implique, d'une part, de véritables garanties de développement des soins palliatifs et, d'autre part et d'une manière plus générale, un plus grand nombre de soignants dans les unités hospitalières ordinaires, les soins à domicile, les maisons de repos et de soins et les homes pour personnes âgées. Il va de soi qu'il est beaucoup plus malaisé de concrétiser cette culture des soins de santé par la voie légale que d'élaborer une loi sur l'euthanasie. Des décisions médicales plus circonspectes en fin de vie peuvent en principe permettre de transférer les moyens financiers engloutis par des traitements coûteux et inutiles vers des investissements en personnel soignant.
Telle est la teneur de la déclaration de l'ensemble du groupe. Je voudrais, à titre personnel, y ajouter deux autres points.
D'une part, un des aspects très importants pour une bonne qualité des soins palliatifs est que les différents dispensateurs de soins, non seulement les médecins mais aussi les infirmiers, les assistants sociaux, les kinésithérapeutes, etc., disposent des connaissances et aptitudes nécessaires et adoptent les attitudes requises. Même si le chemin parcouru en ce qui concerne la formation et le recyclage, notamment dans le domaine du contrôle de la douleur et des symptômes, des aptitudes à communiquer et de la confrontation à des problèmes spirituels et existentiels, est déjà long, on n'est pas encore au bout du tunnel. Dans un avenir immédiat, il faut accorder une attention beaucoup plus soutenue tant à la formation de base qu'à la formation undergraduate. Une collaboration interdisciplinaire est absolument indispensable sur le fond et doit dès lors est développée.
D'autre part, il convient d'élaborer un réglementation relative à la déclaration de volonté, ce que l'on appelle les advanced directives. Je vous ferai part des considérations suivantes à ce propos.
L'expérience avec des patients en phase terminale apprend que les personnes qui ont formulé leur souhait d'une interruption active de vie au moyen d'un testament de vie, ne tiennent plus à le concrétiser le moment venu. Dans quelle mesure l'angoisse, les préjugés, les expériences négatives du décès et de la mort, l'impuissance ressentie dans le passé face à la déchéance, etc., n'ont-ils pas joué un rôle dans la formulation de la demande d'euthanasie lors de la rédaction du testament de vie ?
De plus, l'absence de guérison n'est absolument pas synonyme d'une existence dénuée de sens. Enfin à ma connaissance, aucune étude n'a été réalisé à ce sujet , personne ne sait quel sera l'impact véritable d'un testament de vie, ou précisément de l'absence de celui-ci, sur les soins donnés aux patients en fin de vie.
On constate d'ailleurs que chez beaucoup de patients ayant établi une advanced directive envisageant l'euthanasie, la demande d'euthanasie passe au second plan ou n'est même plus du tout évoquée lorsque des soins palliatifs de qualité, des soins de confort de qualité, un bon contrôle de la douleur et des symptômes, un accueil psychosocial de qualité et un bon accompagnement pour ce qui concerne les questions existentielles leur sont offerts.
En général, on résume le testament de vie et la plupart des discussions y afférentes à la question de savoir si l'on souhaite ou non l'euthanasie. De nombreuses autres options thérapeutiques et politiques, qui sont bien plus importantes pour les soins palliatifs et terminaux pratiqués tous les jours, devraient toutefois entrer explicitement en ligne de compte dans un tel testament de vie. Le patient désire-t-il encore être alimenté ou hydraté de manière artificielle ? Le patient en phase terminale souhaite-t-il encore être réanimé ? Le patient veut-il que ses fonctions respiratoires soient entretenues artificiellement ? Le patient au stade terminal désire-t-il qu'on lui administre encore des antibiotiques en cas d'infections graves ? Où le patient veut-il être soigné durant les derniers jours de son existence ?
Le testament de vie est, en outre, d'ordinaire perçu comme quelque chose de statique, de définitif, de rigide, comme un « contrat pour toujours », alors qu'il devrait plutôt s'agir d'un moyen de communication invitant le patient, la famille et les soignants à dégager ensemble un consensus, sur mesure, s'appliquant au contexte concret du patient et de sa famille ... Quelque chose qui peut donc évoluer et changer. Il s'agit, pour nous, d'une idée tout à fait nouvelle. Dans les pays anglo-saxons, elle est déjà beaucoup plus ancrée dans la culture.
M. Philippe Monfils. L'intervention du docteur Van den Eynden m'a fortement intéressée. Il a évidemment prononcé un plaidoyer pro domo pour les soins palliatifs, secteur qu'il connaït et dans lequel il travaille. Je ne veux pas critiquer les conceptions personnelles qui sont à la base de sa réflexion philosophique. Il a les siennes et les parlementaires ont les leurs. Avant de poser mes questions, je voudrais faire une remarque. Dans sa fougue, notre remarquable orateur a un peu caricaturé la déclaration anticipée telle qu'elle est présentée par les six auteurs des propositions. Il ne s'agit pas un texte statique puisqu'il peut être refait autant de fois que nécessaire. J'ai d'ailleurs rencontré moi aussi parce que je suis aussi sur le terrain des personnes qui, tous les ans, rédigent un nouveau testament de vie. Par ailleurs, ce n'est pas non plus un texte qui dit oui ou non à l'euthanasie. Si on relit l'article 1er, on constate qu'il est question de manifester sa volonté, ses préférences ou ses objections pour certains types de prise en charge médicale, ce qui va bien au-delà de la question de savoir si oui ou on je veux être euthanasié. Je voulais faire cette remarque car je pense que l'on a un peu caricaturé le sujet.
J'en viens maintenant aux questions. Je suis de plus en plus étonné, lorsque j'entends parler des soins palliatifs, de l'intensité de votre raisonnement à remettre en cause l'euthanasie alors que vous considérez que le nombre de cas sera peu important. Pourquoi êtes-vous si violemment opposé à des propositions qui reconnaissent l'euthanasie alors que vous dites que ce n'est pas important et que, de toute façon, les soins palliatifs vont s'en occuper ?
Par ailleurs, pourquoi les soins palliatifs ne suppriment-ils pas, depuis un certain nombre d'années, l'euthanasie alors que tout le monde a reconnu ici que des euthanasies sont actuellement pratiquées ? Des soins palliatifs sont pourtant organisés. Je veux bien admettre que, plus il y a de soins palliatifs, moins il y a d'euthanasies. Toutefois, celles-ci existent toujours. Je ne comprends donc pas très bien qu'on lie les deux et qu'on affirme qu'un jour, on ne pratiquera quasiment plus d'euthanasies grâce aux soins palliatifs.
Croyez-vous que, lorsqu'un patient demande une euthanasie, il faut d'abord le placer dans une unité de soins palliatifs ? Ou s'agit-il, selon vous, d'une possibilité offerte au patient d'entrer ou non dans ce secteur ? Autrement dit, les soins palliatifs constituent-ils le préalable à l'exécution d'une demande d'euthanasie qui se poursuivrait éventuellement après l'octroi de soins palliatifs ? Il s'agit d'un point important pour nos délibérations.
Ma question suivante porte également sur les soins palliatifs. Vous dites que le nombre de demandes d'euthanasie diminue fortement parmi les personnes qui bénéficient de soins palliatifs. Ce qui est vrai. Pourquoi ? Est-ce parce que le patient a vraiment conscience qu'il existe d'autres possibilités ? Ou est-ce que l'environnement dans lequel il se trouve est tel qu'il a perdu son libre arbitre ? C'est une question que nous avons déjà posée à une des personnes entendues précédemment. Nous n'avons jamais obtenu de réponse. Je me demande si, lorsqu'un patient est encadré de cette manière, son autonomie que vous niez d'ailleurs lorsqu'il demande librement l'euthanasie me semble encore plus niée lorsqu'il est complètement entouré d'un système de soins palliatifs qui ne lui permet pratiquement plus de maintenir sa demande d'euthanasie.
Enfin, ma dernière question porte sur la sédation contrôlée. Vous avez dit que la différence entre l'euthanasie et la sédation contrôlée résidait dans l'intention. Vous allégez les souffrances mais vous ne voulez pas accélérer la mort. Cependant, celle-ci arrive. Vous avez appliqué la sédation contrôlée à Martha mais, pour moi, vous l'avez euthanasiée. Je ne vous le reproche pas, bien entendu. Mais c'est la réalité des choses puisque vous dites qu'elle était morte deux ou trois jours plus tard. Vous n'avez donc pas donné de la morphine ou d'autres produits pour adoucir ses souffrances. Vous saviez que, par la sédation contrôlée, elle allait mourir. À ma question concernant la différence entre sédation contrôlée et euthanasie, Mme Baum, de Louvain, qui vous a précédé à la tribune, a répondu que c'était la même chose et que l'on faisait donc preuve d'hypocrisie. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation ?
M. Bart Van den Eynden. Je ne suis absolument pas d'accord avec cette dernière affirmation. Je croyais avoir été clair dans mon exposé. Si M. Monfils le souhaite, je suis prêt à réexpliquer la différence. Il s'agit de l'intention.
J'ai déjà présenté cet exposé à plusieurs reprises en présence de juristes mais jamais encore quelqu'un ne m'a contredit. Je vais vous donner un exemple qui n'est peut-être pas tout à fait correct sur le plan juridique mais qui a le mérite d'être clair.
Si, tout à l'heure, en rentrant en voiture à mon domicile, je provoque un accident, je n'avais pas l'intention de causer des dommages à la partie adverse. Si, tout à l'heure, en rentrant en voiture à mon domicile, je vois traverser mon plus grand ennemi et pense que le moment est venu de me venger, on peut dire que mon acte est intentionnel. Dans la réalité, les tribunaux doivent tenter d'établir une distinction entre les diverses intentions. Je ne prétends pas qu'ils y parviennent toujours mais tel est en tout cas leur rôle. M. Monfils a sans doute raison de croire que l'intention du soignant est négligeable mais, dans ce cas, il mélange tout.
M. Philippe Monfils. L'intention y est tout de même puisque vous agissez en sachant que l'aboutissement sera la mort. Même si cette intention n'est pas directe. C'est comme si roulant à 200 km à l'heure, je vois un groupe d'enfants. Je n'ai pas l'intention de les renverser mais sachant que je n'arriverai pas à freiner, l'accident se produit évidemment. Croyez-vous que je serais acquitté par les tribunaux dans de telles conditions ?
À mes yeux, l'intention est claire, mais elle est indirecte parce que vous savez que la personne mourra par l'usage des produits de la sédation contrôlée. La différence est donc extrêmement minime pour un juge et je ne crois pas qu'elle tiendrait très longtemps devant un tribunal.
M. Bart Van den Eynden. Dans le cas de Martha, on ne peut certainement pas parler d'un abrégement de la vie. Dans le texte en annexe, je fais référence à deux études. La première a été réalisée par M. Ventrafridda, ancien président de l'Organisation européenne des soins palliatifs, en 1990; la seconde est de Burke. Ces études montrent que la sédation contrôlée allonge même la durée de vie de certains patients parce qu'elle soulage la souffrance, que le patient ne souffre plus physiquement et est donc moins stressé. Martha serait aussi morte deux jours plus tard mais dans une très grande souffrance et misère. J'ai déjà mené une discussion semblable avec des médecins. Le reproche d'hypocrisie me fait toujours beaucoup de peine car nous nous efforçons dans la pratique de faire face à la souffrance de manière très nuancée et très vigilante. M. Monfils n'est pas le premier à me faire ce reproche, des collègues l'ont déjà fait avant lui.
M. le président. Je signale à M. Monfils que le docteur Van den Eynden expose en détail cet aspect dans son texte écrit qui sera joint au rapport.
M. Philippe Monfils. Je voudrais poser une question sur les soins palliatifs : devraient-ils être rendus presque « obligatoires » avant l'exécution ou la réponse à la demande d'euthanasie, ou au contraire rester un choix.
M. Bart Van den Eynden. Je suis, moi aussi, convaincu que les soins palliatifs n'éliminent pas totalement les demandes d'euthanasie. Les chiffres le prouvent d'ailleurs. D'un autre côté, je ne doute pas que les soins palliatifs vont réduire le nombre de demandes d'euthanasie. Pour moi, il ne s'agit donc pas avant tout d'offrir des soins palliatifs structurés, avec l'aide de toute une équipe et avec diverses facilités techniques et autres. L'essentiel est, pour moi, que le médecin et toute l'équipe concernée aient une connaissance, des aptitudes et des possibilités suffisantes. Si ces conditions sont suffisamment remplies, ce qui devra être évalué par les personnes actives dans les soins palliatifs, le nombre de demandes d'euthanasie diminuera sensiblement.
Mme Myriam Vanlerberghe. Vous craignez manifestement beaucoup qu'une réglementation légale ne réduise pas mais, au contraire, accroisse l'euthanasie pour des raisons économiques. Pensez-vous que ceci ne pose aucun problème actuellement ? Pensez-vous que les abus dans la pratique de l'euthanasie pourront un jour être totalement exclus ?
Lors de l'élaboration d'une réglementation légale, nous devons, bien sûr, tendre le plus possible vers cet objectif mais je crains que, avec ou sans loi, certaines personnes estiment toujours devoir pratiquer une euthanasie pour d'autres raisons que des raisons humanitaires.
Ma deuxième question porte sur la définition du terme « terminal », un terme qui revient souvent dans votre exposé. Je voudrais savoir s'il est justifié de laisser une personne endurer des souffrances insupportables rien que parce que l'on ignore à quel moment précis surviendra son décès, même si la maladie dont elle est atteinte est incurable et si sa souffrance est tout aussi insupportable que celle d'un patient en phase terminale.
Certains considèrent la sédation comme une forme d'euthanasie. Selon vous, ce n'est pas le cas. Ma question est la suivante. Si un patient refuse la sédation et demande explicitement et constamment l'euthanasie, si vous ne parvenez pas à l'en dissuader, même en tentant d'identifier toutes les motivations possibles de sa demande et d'y répondre, que faites-vous ? Administrez-vous une sédation sans le consentement du patient ou pratiquez-vous une euthanasie active ?
En quatrième lieu, je voudrais obtenir des précisions sur le concept de « déclaration de volonté ». Vous dites que celle-ci peut être un outil à condition qu'elle soit formulée beaucoup plus clairement et qu'il existe un consensus sur la manière de donner suite à cette demande d'euthanasie. Doivent être associés à ce consensus l'équipe soignante, l'entourage du patient et, bien sûr, le patient lui-même. Il doit pour ainsi dire s'agir d'une décision collective. On peut toutefois se demander quelle importance a encore l'opinion du patient dans ce processus.
Je pense également que chacun doit avoir accès à des soins palliatifs de qualité. La question est de savoir si un patient a également le droit de refuser la prise en charge palliative s'il considère que celle-ci va simplement différer inutilement son décès.
M. Bart Van den Eynden. Un étudiant à qui on pose une telle succession de questions, dispose généralement d'une demi-heure pour préparer sa réponse. Je vais donc faire de mon mieux pour y répondre aussi bien que possible.
Je n'ai, en effet, jamais compris l'argumentation, que développent également bon nombre de collègues, selon laquelle une loi sur l'euthanasie, telle que proposée actuellement, peut éliminer les situations intolérables. Il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui déjà, des abus sont commis. Je ne vois cependant pas comment ces pratiques de « cow-boy » peuvent être réfrénées par le seul fait d'une loi. Si le Parlement décide d'élaborer une loi, que ce soit une loi qui englobe toute la problématique. Ce n'est qu'alors que nous pourrons veiller à ce que moins de personnes passent au feu rouge ou franchissent la ligne blanche. Ce que je ne comprends pas, c'est comment une personne peut défendre la logique simpliste selon laquelle il est possible de mieux lutter contre les abus avec une loi qui autorise davantage. Ceux qui jouent au cow-boy aujourd'hui le feront certainement si la loi devient plus libérale.
Quant à la définition du mot « terminal », elle fait l'objet de volumineux ouvrages. La manière la plus simple est de revenir en arrière à partir de la date du décès : il s'agit alors d'un, deux, trois jours, semaines ou mois précédant le décès. Il s'agit globalement d'une donnée particulièrement arbitraire à laquelle chacun donne un contenu différent et avec laquelle nous ne résolvons donc rien. Puisque les médecins et les scientifiques commencent à comprendre de mieux en mieux le processus du décès au sens large, nous pouvons définir de mieux en mieux ce qu'il faut entendre par « terminal ». En cas de cancer du sein avec métastases au foie, la moyenne est de deux mois, ce qui veut dire que cinquante pour cent des patientes décèdent après deux mois. Aucune n'atteint six mois. Ce types de données scientifiques permettent de dissiper progressivement beaucoup de flou. Pour certaines maladies comme la dystrophie musculaire, il est déjà possible, grâce à une analyse génétique, de prévoir, à l'âge de quarante ans, que le patient connaîtra une déchéance à partir de 55 ans et qu'il décédera finalement de cette maladie. Ce patient peut vivre cet événement comme une souffrance insupportable, même s'il est loin d'être en phase terminale. Ces questions sont actuellement vivement débattues aux Pays-Bas. Que devons-nous faire d'un jeune homme qui fonce contre un mur en cyclomoteur, se brise plusieurs vertèbres et en garde une paralysie des membres inférieurs ? Après six mois de rééducation, il constate que son état ne s'améliorera jamais véritablement, qu'il restera impotent et incontinent, que son amie l'a entre-temps laissé tomber, etc. Que doit répondre son médecin quand il dit qu'il ne veut pas continuer à vivre ainsi ? Si je comprends bien la proposition de loi, l'euthanasie est permise dans un tel cas. Pour moi, il ne s'agit nullement d'une situation terminale. Pour moi, la période terminale est le laps de temps qui précède le décès; il peut varier de quelques jours à quelques mois mais ne peut pas atteindre une dizaine d'années.
La troisième question portait sur la sédation. Je pense avoir dit explicitement que nous n'avons jamais administré une sédation contrôlée à une personne qui ne l'aurait finalement pas accepté. Je plaide pour qu'une réglementation légale dispose que cet accord doit être donné par écrit. Il est en effet absolument inadmissible qu'une personne soit soumise à une sédation contrôlée contre son gré et sans son accord. J'admets certes que cette question doit faire l'objet de longs entretiens avec le patient. Je l'ai également précisé dans la première partie de mon exposé et le dialogue avec le patient sur ce thème prend parfois véritablement des heures.
Vous avez également posé une question sur la déclaration de volonté. Ici aussi, la volonté du patient a beaucoup plus de poids que celle de la famille et des soignants.
Votre dernière question concernait les soins palliatifs et, plus précisément, le droit de ne pas opter pour les soins palliatifs, sachant quel sera le résultat. Pour moi, cela est possible et j'en ai fait deux fois l'expérience. Pareil cas peut, selon moi, être considéré comme un état de nécessité.
M. Hugo Vandenberghe. J'ai beaucoup apprécié l'intervention du professeur Van den Eynden. Elle est de haute tenue et est remarquablement étayée de données scientifiques. Elle contribue également à battre beaucoup de slogans en brèche et à dissiper de nombreux malentendus.
Avant de poser ma question, je voudrais encore revenir un instant sur l'idée selon laquelle la sédation contrôlée est une forme d'euthanasie. Cette idée est avancée à chaque séance. La faculté de médecine de Louvain a publié une déclaration officielle sur la distinction entre ces deux concepts en en précisant le fondement scientifique. Dois-je en déduire que Louvain ne pratique pas la médecine mais une forme de sorcellerie et qu'elle ne sait pas de quoi elle parle ? Quand il s'agit de porter un jugement éthique sur un acte, c'est surtout l'intention qui constitue un élément important. Le droit pénal parle, lui aussi, de délits volontaires, parce l'intention de l'acte joue un rôle très important. Comme vous le dites vous-même, certains actes entraînent en fait un allongement de la vie et non un abrégement.
Notre proposition dispose qu'une réglementation doit être adoptée à propos des décisions médicales en fin de vie en général. Votre exposé m'amène à penser qu'en matière de décisions en fin de vie autres que l'euthanasie formelle, vous proposez également que de nouvelles règles soient édictées. Cela doit-il se faire par la voie déontologique ou faut-il donner une base légale ? Vous dites qu'il faut éviter une approche trop administrative. Comment envisagez-vous, concrètement, la formulation des conditions des décisions médicales en fin de vie autres que l'euthanasie ? Voilà ma première question.
Ma deuxième question porte sur la déclaration de volonté. Vous avez fait référence aux pratiques anglo-saxonnes. Si je suis bien informé, cette déclaration de volonté n'entraîne jamais automatiquement un droit à l'euthanasie dans les pays anglo-saxons. Il faut dissiper tout malentendu à ce sujet.
Ma question suivante concerne la déclaration très importante que vous avez faite au nom des 60 médecins spécialistes des soins palliatifs. Dois-je déduire de la déclaration que vous faites ici en leur nom que votre point de vue est différent de celui formulé dans la déclaration de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen (Fédération flamande des soins palliatifs) ? Faites-vous cette déclaration au nom de ces 60 médecins parce que vous n'approuvez pas cette déclaration générale ?
J'ai également appris que l'Association belge ou la Fédération flamande des soins palliatifs n'ont pas adhéré aux organisations européennes des soins palliatifs. Pourquoi ?
M. Bart Van den Eynden. En ce qui concerne les décisions médicales en fin de vie et les formes possibles de réglementation, je plaide pour la fixation de règles déontologiques par les médecins eux-mêmes si une réglementation légale s'avère impossible dans ce domaine. Pour autant que je sache, on y travaille déjà en différents endroits. À l'hôpital et, plus particulièrement dans l'unité de soins palliatifs où je travaille, des limites ont été définies à l'intérieur desquelles on peut appliquer un traitement de manière justifiée sur le plan éthique et médical. L'autoréglementation par la corporation réduit également le risque d'actes non justifiés sur le plan éthique. Personnellement et dans l'optique du patient, je pense que ces règles devraient de préférence être établies dans un cadre légal mais qu'il ne faut pas compliquer les choses sur le plan administratif. Il a, par ailleurs, déjà été dit à des cours qu'il n'est pas possible de laisser les médecins régler eux-mêmes cette matière. Certaines dispositions légales s'imposent, donnant, tant au patient qu'au médecin, une certaine sécurité, non seulement pour l'acte d'euthanasie mais aussi pour d'autres décisions comme l'hydratation, l'alimentation, etc.
En ce qui concerne la déclaration de volonté, je sais, grâce à des contacts en Angleterre et en Amérique, que, dans ces pays, celle-ci est un acte beaucoup plus dynamique. Dans notre pays, les déclarations de volonté datent souvent de quelques années et ne sont plus modifiées. On peut donc se demander dans quelle mesure ces déclarations sont encore valables, ce qu'il convient de vérifier dès le début.
Il est vrai que les 58 médecins concernés estimaient ne pas avoir été suffisamment associés par la Fédération à l'élaboration de la formulation. Leur plus grand reproche était qu'elle ne répond pas aux remarques éthiques. Lors du congrès sur les soins palliatifs, organisé la semaine dernière à Jérusalem, nous avons appris, à notre grand étonnement, que nous n'étions pas membre de l'Association européenne de soins palliatifs. Le président présente son point de vue personnel en matière d'euthanasie et le confond avec le point de vue de la Fédération. Son point de vue n'est pas conciliable avec celui de l'AESP. Je pensais que cette question avait été réglée l'année dernière. Mais la charte n'a toujours pas été signée.
M. Paul Galand. Je voudrais poser deux questions précises au sujet des soins palliatifs. Vous avez abordé la question de la détresse existentielle des patients en fin de vie. On connaît le poids de la culpabilité plus ou moins consciente, le questionnement sur le sens même de la vie qu'on a pu mener, de la douleur. D'après votre expérience, le recours à des conseillers laïcs ou philosophiques de différentes tendances est-il facile actuellement ? N'y a-t-il plus d'obstacles à un tel recours ? Tous les patients que vous avez rencontrés ont-ils pu sans grande difficulté recourir, au moment où ils le souhaitaient, au conseiller qu'ils désiraient ?
Deuxième question : à votre connaissance, une étude récente a-t-elle été réalisée sur l'évaluation des besoins en soins palliatifs dans notre pays, tant en ce qui concerne le nombre d'équipes ou le personnel nécessaires que la formation des membres de ces équipes ?
M. Bart Van den Eynden. Ce n'est, en effet, pas toujours facile. Tout dépend des moyens et des possibilités. Il faut également établir une distinction entre ce qu'il est possible de faire dans les soins à domicile et ce qui est possible intra-muros. Jusqu'à présent, je n'ai jamais constaté que cela n'était pas possible. Dans une grande partie des soins palliatifs, on tente de développer une approche intégrante. Les trois piliers sur lesquels repose le travail quotidien, les médecins, les infirmiers et l'assistant social, s'efforcent de résoudre eux-mêmes la plupart des problèmes. Par respect de l'intimité, il n'est pas possible que sept personnes s'occupent en même temps d'un problème. Ce n'est que lorsque se pose un problème existentiel ou psychique particulier ou que se font sentir des besoins culturels spécifiques, par exemple, si des Juifs sont admis dans notre unité, que nous faisons appel à une personne supplémentaire. Mais le travail clinique courant, qui représente 80 % des cas, peut généralement être réglé par l'équipe ordinaire. Il serait certes utile de disposer de davantage de moyens de manière à pouvoir faire appel à des psychologues, des anthropologues, etc.
Des études sur l'évaluation des besoins sont en cours. Par manque de moyens et d'effectifs, nous accusons en effet toujours un retard sur le plan international pour ce qui concerne l'enseignement et les études. C'est toujours aux mêmes services qu'il est fait appel.
M. Philippe Mahoux. Confrère Van den Eynden, vous avez évoqué toute la difficulté de définir la phase terminale. Je vous demanderai simplement de rectifier l'exemple que vous avez donné. Vous avez parlé de cancer du sein avec métastases et vous avez
parlé d'un délai de deux mois et demi. Je suis très étonné d'entendre cela. Je pense qu'il est extrêmement important, pour tous les malades qui nous écoutent, de pouvoir infirmer vos propos qui ne correspondent pas à la réalité en termes de pronostic. Cela montre toute la difficulté que nous avons à définir une phase terminale. Je vous demanderai d'apporter une précision à cet égard. Je pense que l'on doit encourager tous les malades à se soigner, quel que soit l'espoir que leur laisse la maladie. Quand on parle de maladies incurables, on parle toujours de cancers mais il existe d'autres maladies incurables. Vous devez être confronté à des patients atteints de différentes maladies. Il est peut-être important de ne pas priver ces malades du bénéfice d'une mort digne.
Deuxièmement, à propos des dérives économiques possibles, vous disiez que vous ne compreniez pas quels pouvaient être les arguments utilisés par rapport à la situation actuelle et à l'amélioration que pourrait apporter une proposition de loi. Ne pensez-vous pas que la transparence qu'impose la proposition de loi amènera une amélioration par rapport à la situation présente et à tous les dangers de dérives économiques ?
Troisièmement, en ce qui concerne la sédation prolongée, vous avez dit que des malades ne donnaient pas toujours leur accord. Quand ils ne donnent pas leur accord, que faites-vous ? Que pouvez-vous proposer ?
Vous avez dit aussi que les soins palliatifs ne résolvaient pas la problématique de l'euthanasie et qu'ils ne supprimaient pas les demandes et les pratiques d'euthanasie. Pensez-vous que le patient a le droit de choisir entre les soins palliatifs et une mort rapprochée, provoquée ? Vous avez bien dit qu'il fallait évidemment expliquer au malade quelles étaient les solutions possibles pour obtenir une mort digne.
Enfin, je constate qu'il existe des dissensions au sein du corps médical. Ce dernier mène-t-il des discussions importantes et depuis longtemps sur la problématique de la fin de vie ? Quand ces discussions ont-elles commencé véritablement ? Elles sont aujourd'hui publiques et je crois que cela est positif. Au de l'ensemble du corps médical, et pas exclusivement des médecins dont l'activité est centrée sur les soins palliatifs, depuis quand la discussion sur ces problèmes existe-t-elle ?
M. Bart Van den Eynden. En ce qui concerne la première partie de votre question, je voudrais en effet apporter une correction découlant de discussions récentes. Je ne suis pas cancérologue. Les cancérologues m'assurent qu'ils sont de plus en plus capables de définir le processus terminal dans certains groupes et pour certaines maladies. L'essentiel de la question était de savoir si, de l'une ou l'autre manière, il était possible de mieux définir la terminalité. Il sera effectivement possible de déterminer ce stade avec plus de précision à l'avenir. Je perçois toutefois une ambiguïté dans votre question. Vous dites que les patients veulent pouvoir espérer, ce que permet précisément l'imprécision de la définition de ce stade. Plus de précision ferait disparaître l'espoir. Il ne doit pas en aller ainsi. On peut s'entretenir avec le patient quand on a une connaissance précise de la situation mais sans le priver de tout espoir.
M. Philippe Mahoux. Il y a un grand danger à parler de situations particulières comme vous l'avez fait. De manière générale, on parle effectivement des pronostics en termes de statistique. Sur le plan médical, nous avons tout intérêt à pouvoir préciser le pronostic et à catégoriser, tout en sachant que nous nous trompons souvent quand il s'agit de problèmes individuels.
D'ailleurs, comment situer ce qu'est une phase terminale ? C'est la grosse difficulté. Vous le reconnaissez. Avez-vous une réponse à cette question ?
M. Bart Van den Eynden. Des aspects comme la douleur et les symptômes, ainsi que la diminution progressive des possibilités du patient joueront effectivement un rôle. Il faut en outre se fonder sur certains pronostics pour pouvoir évaluer quand arrivera la fin. Il n'existe pas d'autres possibilités. Comment pourrais-je admettre une personne dans mon service si je prévoyais que sa vie peut encore durer des années ? Et je fais abstraction des problèmes de contrôle des symptômes. Face à une dégradation progressive surtout et lorsque les éléments cliniques semblent indiquer que la fin est proche, il ne m'importe pas vraiment de savoir si la vie durera encore une semaine ou un mois. À ce moment, le patient a droit à des soins de confort intensifs, au contrôle de la douleur et à un soutien psychique. Il arrive que nous nous trompions. Nous connaissons une personne qui a été admise trois fois en neuf mois et dont on pensait chaque fois que la fin était proche. Mais les soins ont amélioré l'état du patient. Dans de tels cas, nous tentons à nouveau d'apporter des soins à domicile. Voilà la réalité clinique. Je vous invite à en faire l'expérience.
M. Philippe Mahoux. Je désire poser une question sur l'avantage d'une législation par rapport aux possibilités de dérive économique. Une transparence plus importante n'est-elle pas souhaitable ? Les pratiques ne doivent-elles pas être connues du public ? Ne s'agit-il pas là d'un élément important pour lutter contre cette dérive économique ?
M. Bart Van den Eynden. Un avantage du dépôt d'une proposition de loi est, en effet, qu'il donne lieu à un débat public. Je persiste à croire que pour une petite minorité de cas qui, selon moi, est inférieure aux 2 % cités dans certains écrits, on va enterrer l'une des clés de voûte éthiques de notre société. Je ne peux l'admettre. J'accepte que l'on élabore certaines réglementations mais elles doivent alors englober bien plus que l'euthanasie. La transparence est une conséquence du débat de société qui est en cours actuellement. Ce n'est pas parce que l'on discute d'une proposition de loi que celle-ci est bonne.
M. Philippe Mahoux. Que se passe-t-il quand un malade ne donne pas son accord en ce qui concerne la sédation prolongée ?
M. le président. Je voudrais joindre à la question précédente de M. Mahoux une autre question : des règles déontologiques, qui seraient ou non établies par la loi, garantissent-elles suffisamment qu'une réponse sera apportée à certains manques de vigilance, dénoncés par M. Van den Eynden ?
M. Bart Van den Eynden. Quelles que soient les règles fixées par la voie légale, il faut en tout cas mettre en place une autoréglementation. Quant à savoir si celle-ci sera suffisante pour le législateur, c'est pour moi la grande question.
M. le président. M. Mahoux a également posé une question sur la sédation prolongée et sur ce qu'il faut faire si le patient n'est pas d'accord.
M. Bart Van den Eynden. La sédation contrôlée n'a jamais été appliquée sans l'accord du patient, du moins pas par moi et je pense qu'il en va en général ainsi au sein des soins palliatifs. Jusqu'à présent, nous n'avons connu qu'un seul cas de renvoi du patient vers un autre service en vue d'une euthanasie. Il s'agissait pour moi d'un état de nécessité.
M. Philippe Mahoux. Peut-on dire à un malade combien de temps va durer la sédation prolongée ? Comment formulez-vous les choses quand vous en parlez à vos malades ?
M. Bart Van den Eynden. En réponse à la première question, je peux dire que des études, publiées notamment dans la revue Palliative Medicine, montrent qu'une période de un à sept jours est la moyenne. Il s'agit très exceptionnellement de trois à quatre semaines. C'est ce que je dis au patient, tout en précisant bien que je ne peux pas le prévoir avec exactitude. Dans ma pratique, cela n'a jamais duré plus d'une semaine. En règle générale, nous laissons le patient s'endormir à l'aide d'une sédation légère. C'est ce que nous disons. Nous le ramenons ensuite à l'état d'éveil et nous lui demandons si cela correspond à son souhait. En général, la réponse est « oui »; nous plongeons ensuite le patient dans un sommeil plus profond dont il ne se réveille plus jamais.
M. Philippe Mahoux. Il est inconscient dans la sédation prolongée ?
M. Bart Van den Eynden. Pas si vous réduisez la dose.
Mme Clotilde Nyssens. D'après votre expérience de médecin généraliste, que manque-t-il au niveau législatif pour permettre un développement adéquat des soins palliatifs à domicile ? Où se situe la priorité en la matière ? Est-ce le financement ? Le mode d'accompagnement des équipes ?
Par ailleurs, dans votre introduction, vous avez longuement parlé des causes psychiques conduisant aux demandes d'euthanasie. Vous avez évoqué les dépressions, les angoisses, les peurs devant la dépendance, la déchéance, la perte d'identité. Ces phénomènes sont-ils de plus en plus marqués ? Dans votre pratique, voyez-vous une évolution de la société en la matière ? S'agit-il d'un élément nouveau caractéristique d'une société en transformation ou cela a-t-il toujours existé ?
Enfin, vous avez évoqué les testaments de vie qui existent notamment dans le système anglo-saxon. Quel est, selon vous, le moment approprié pour qu'une personne mette ses dernières volontés dans un testament de vie ? J'ai également apprécié la manière dont vous concevez ce testament de vie.
M. Bart Van den Eynden. Je pense que les moyens financiers jouent un grand rôle, surtout dans les soins à domicile. Cela peut bien sûr se traduire en structures. Voici un an, j'ai rédigé une thèse de doctorat sur les soins palliatifs à domicile ou en hôpital et il apparaissait déjà, et cela se vérifie toujours malgré les récentes mesures en faveur des soins à domicile, notamment l'octroi de 20 000 francs pendant deux mois dont je remercie les responsables politiques, que mourir à la maison coûte toujours sensiblement plus cher que mourir dans une quelconque situation intra-muros, sauf peut-être dans une maison de repos où le coût est comparable à la situation à domicile.
Il est très difficile d'appréhender ce problème par des études parce que les gens ne se confient pas facilement. Qui tente de se faire une idée de la situation, se heurte en partie à un sentiment de honte et à un certain scrupule à parler.
La plupart des raisons sont de nature sociale. Dans les soins à domicile, le grand problème est le manque d'encadrement et d'appui médico-social qui force la toute grande majorité des patients à se rendre dans une institution lorsque les besoins de soins deviennent plus grands. Je ne sais pas davantage comment les soins pourraient être organisés différemment sous l'angle financier, sauf si des moyens importants sont enlevés du secteur curatif pour être transférés vers les soins palliatifs. Je ne fais bien sûr que formuler une idée et je suis conscient de la difficulté de la mettre en pratique.
J'en viens maintenant à la société où nous vivons. La peur de la mort, de la dépression et de la déchéance grandit, à mon avis, et ce, en dépit du mouvement des soins palliatifs, lancé, comme en réaction, voici 20 à 30 ans chez nous et précédemment en Angleterre et aux États-Unis.
Je ne suis pas sociologue et je ne me sens donc pas appelé à de telles analyses mais, en tant que médecin généraliste, j'ai le sentiment que ces choses émergent aujourd'hui beaucoup plus. Quiconque a travaillé un certain temps en Angleterre ou en Amérique, sait que le secteur des soins médicaux y fait l'objet d'une approche plus strictement juridique que chez nous. Il existe une culture différente. De par mes contacts avec des éthiciens et des médecins, j'ai appris que le testament de vie n'y est pas considéré comme un instrument de communication. C'est ce qui me semble le plus intéressant.
Quand le testament de vie doit-il être établi ? Pas en phase terminale car que reste-t-il alors à régler ?
L'étude Support américaine a examiné la situation de 9 000 patients dans quatre hôpitaux du Missouri. Elle a analysé certains paramètres. Plus de 50 % des décisions do not nessitate, autrement dit des décisions de ne pas réanimer, sont prises au cours des deux jours qui précèdent le décès du patient. Il est évident qu'il s'agit d'un non-sens car, à ce moment, le patient est sous respirateur. Il est insensé de faire rédiger un testament de vie par un patient durant les deux, trois, quatre ou cinq derniers jours de sa phase terminale. C'est, par exemple, au moment où la grand-mère en bonne santé quitte son domicile pour s'installer dans un home pour personnes âgées que cette discussion doit être menée. La famille peut alors lui demander ce qu'il faudra faire si, demain, il lui arrive quelque chose dans le couloir. C'est dans ce contexte que l'on peut parler de ces choses. Elle a peut-être encore dit, à un moment donné, qu'elle veut être réanimée si, demain, elle est victime d'un infarctus ou d'un arrêt cardiaque mais il se peut que, trois ans plus tard, quand son état aura décliné un peu plus, elle ne le souhaite plus. De cette manière, le testament de vie peut être un instrument de travail permettant de garantir le droit à une mort digne.
M. Patrick Vankrunkelsven. Cher confrère, vous n'êtes pas le premier médecin tenant de l'approche palliative que nous entendons. Chaque fois, je suis frappé par le fanatisme avec lequel vous défendez tous les possibilités des soins palliatifs. Je partage en partie ce fanatisme à réclamer un développement des soins palliatifs. Je ne peux toutefois cacher que vous considérez en partie l'euthanasie comme un échec. Je me demande si le problème n'est pas déterminé et même en partie biaisé par la manière dont il est approché.
Je voudrais vous poser trois questions concrètes. La sédation contrôlée est en quelque sorte le mot à la mode et la grande solution que vous proposez lorsque tant le patient que le dispensateur de soins sont réduits à l'impuissance. Vous l'avez exprimé joliment en disant que nous devons partager cette impuissance. Si j'étais concerné, je ressentirais toutefois la sédation contrôlée comme une perte supplémentaire de contrôle de moi-même. La maîtrise de soi était quand même un aspect important de la détresse. En fait, le sort du patient est alors placé entièrement entre les mains d'autres personnes. Cela ne pose sans doute aucun problème à certaines personnes mais, personnellement, je trouve que cette intervention est grave.
Pouvez-vous admettre que la sédation contrôlée ne soit qu'une alternative à l'euthanasie ? Je peux également formuler ma question différemment. Ne trouveriez-vous pas logique, par exemple dans le cas du patient que vous nous avez présenté, de proposer l'alternative de l'euthanasie en même temps que la possibilité de la sédation contrôlée, qui constitue quand même une intervention radicale ? Je peux imaginer que certaines personnes opteraient pour l'euthanasie et non pour la sédation contrôlée, si, du moins, il leur était permis de choisir.
M. Bart Van den Eynden. Je voudrais renvoyer la balle. Je me réfère à cette fin au professeur Van der Maas qui a présenté une étude de la situation néerlandaise au congrès de l'IAPC à Genève. Je peux vous transmettre le texte de son intervention. Selon lui, le changement le plus marquant dans tout le contexte de l'euthanasie aux Pays-Bas a été que le pouvoir et l'influence des médecins sur ce processus de décision se sont renforcés et ne se sont pas atténués, comme on s'y attendait. Je peux en partie comprendre votre raisonnement : tant pour l'euthanasie que pour la sédation contrôlée, il faut faire appel à un médecin, à moins d'avoir recours à d'autres procédures.
En ce qui concerne l'impuissance dont vous parlez, je peux répondre que nous vérifions au préalable, avant même d'envisager la sédation contrôlée, si une demande d'euthanasie a été formulée. Quant à prétendre qu'à ce moment, deux options sont ouvertes, je peux difficilement m'y résoudre de par ma sensibilité, comme vous dites. Quand un patient refuse vraiment la sédation, l'euthanasie reste une option possible que je considère comme une forme d'état de nécessité, comme je l'ai expliqué à l'aide de l'exemple que j'ai cité.
M. Patrik Vankrunkelsven. Bon nombre de médecins sont convaincus que l'euthanasie est la seule possibilité dans certaines situations. Vous-même et d'autres personnes voulez à tout prix que l'euthanasie reste dans la loi pénale et qu'il ne soit éventuellement fait appel qu'au seul concept d'« état de nécessité ». Pourquoi vous opposez-vous à la pratique de l'euthanasie à certaines conditions ? Vous ditent que l'euthanasie ne peut être dépénalisée. Mais, strictement parlant, elle ne figure pas dans la loi pénale. Si vous prétendez que l'euthanasie équivaut à un meurtre, vous avez naturellement raison de dire qu'elle tombe sous le coup de la loi pénale. Puis-je attirer votre attention sur le fait que, dans certains pays, l'euthanasie figure effectivement dans la loi pénale. Pourquoi plaidez-vous avec tant de passion pour que l'euthanasie reste dans la loi pénale alors que vous demandez, par ailleurs, que le législateur veille particulièrement au respect d'une plus grande vigilance.
M. Bart Van den Eynden. Je renvoie à la réponse que j'ai déjà donnée. Je ne suis pas juriste et ne tomberai donc pas dans le piège qui consiste à formuler des propositions incorrecte sur le plan juridique.
M. Patrik Vankrunkelsven. En signant une déclaration avec tant d'autres médecins, vous posez un acte politique. Vous culpabilisez une série de personnes qui souhaitent sortir l'euthanasie de la loi pénale.
M. Bart Van den Eynden. Notre intention n'a jamais été de culpabiliser qui que ce soit. Nous voulons juste affirmer que, sur la base de notre préoccupation de médecin et d'homme, nous sommes en faveur de la vie. Dans certaines circonstances très extrêmes, l'euthanasie doit être possible, il est possible de déroger à la loi pénale où l'euthanasie ne figure pas explicitement mais bien implicitement. Je n'ai aucun mal à tolérer l'euthanasie dans certains cas très extrêmes, définis précisément. Cela ne doit pas nous amener à renier notre conviction fondamentale de soutien de la vie. Si nous autorisons l'euthanasie, nous donnons l'impression que l'euthanasie est une pratique médicale ordinaire.
M. Patrik Vankrunkelsven. Je ne partage pas votre avis et me demande toujours pourquoi vous persistez à penser que l'euthanasie doit rester dans la loi pénale. J'ai le sentiment que, par cette prise de position, vous vous inscrivez dans l'approche développée par un groupe déterminé de notre société.
Cela me gêne que M. Van den Eynden affirme que, même si la loi pénale est modifiée, les pratiques actuelles de cow-boy subsisteront. Cette affirmation n'est pas scientifique. Nous pouvons déduire d'une étude comparant la situation néerlandaise et flamande qu'une modification de la loi pénale en ce qui concerne l'euthanasie conduira à une plus grande vigilance et donc à moins d'euthanasies sans demande du patient. Cette étude scientifique contredit votre point de vue. Votre affirmation est-elle le fruit d'une réaction instinctive ?
M. Bart Van den Eynden. Je ne dispose pas des données auxquelles vous faites référence. Je sais en revanche qu'aux Pays-Bas, on dénombre encore au moins mille cas d'euthanasie non désirée par an.
M. Patrik Vankrunkelsven. C'est toujours beaucoup moins qu'ici.
M. Bart Van den Eynden. Libéraliser ne résout pas le problème. Si le législateur tient quand même à réglementer, il devrait plutôt élaborer une réglementation générale. C'est l'essentiel de mon exposé. Cette réglementation générale n'existe pas non plus aux Pays-Bas.
M. Patrik Vankrunkelsven. En tant que sénateurs, nous ne sommes pas opposés à l'idée de prendre une initiative législative pour les domaines connexes. Ce ne sera toutefois pas aisé. En attendant, il nous paraît utile de déjà régler un des aspects. Vous plaidez d'ailleurs vous-même pour une autoréglementation. Ne devez-vous pas admettre qu'une nouvelle législation en matière d'euthanasie améliorera les choses et que le nombre d'euthanasies sans demande du patient diminuera, comme ce fut le cas aux Pays-Bas ? Ne trouvez-vous pas préférable de n'avoir que mille euthanasies non désirées au lieu de quatre mille ?
Mme Jeannine Leduc. J'ai trouvé effrayante votre comparaison entre un accident provoqué fortuitement et un accident provoqué volontairement contre une personne. J'en déduis que, pour vous, c'est l'intention qui fait la différence entre la sédation contrôlée et l'application de l'euthanasie.
L'objectif de la sédation contrôlée est de soulager la douleur et la souffrance et non plus de protéger la vie. La sédation contrôlée peut d'ailleurs accélérer le décès. Où réside donc, selon vous, la différence avec l'euthanasie ? L'euthanasie peut aussi être un acte d'amour et de compassion envers un semblable en souffrance se trouvant dans une situation sans issue.
Vous nous avez dit que vous avez assisté à un congrès international sur les soins palliatifs à Jérusalem. Quels sont les résultats de ce congrès ? Quelle est la situation dans les pays voisins ? Des chiffres sont-ils disponibles ? Je suppose que ce congrès a également abordé la question de la sédation. Je ne suis certainement pas opposée aux soins palliatifs mais je crains que nous n'évoluions vers un acharnement palliatif, dès lors que cette application pourrait s'avérer très lucrative pour certains.
M. Bart Van den Eynden. Toute comparaison ne vaut bien sûr que partiellement. Elle ne visait qu'à illustrer l'élément très important que constitue l'intention.
Mme Jeannine Leduc. Le médecin qui pratique l'euthanasie pose, selon moi, un acte d'amour et de compassion.
M. Bart Van den Eynden. Même si nos opinions divergent quant aux décisions et aux modes d'action, je n'ai jamais douté que les collègues qui pratiquent l'euthanasie agissent par compassion. Je n'ai d'ailleurs jamais jeté la pierre à personne. Ce n'est pas parce que quelqu'un fait quelque chose animé de bonnes intentions qu'il faut en accepter les conséquences.
En ce qui concerne la troisième partie de votre question, je dois vous décevoir. En effet, le seul exposé sur l'euthanasie présenté à l'Association européenne de soins palliatifs était un exposé d'un philosophe flamand qui a tenté de préciser les définitions.
Mme Jeannine Leduc. Qui assistait à ce congrès sur les soins palliatifs ? Quel en était l'objectif ? Combien de temps a-t-il duré ? Des documents ont-ils été distribués ? Quel était la teneur de ces documents ?
M. Bart Van den Eynden. Si vous le souhaitez, je peux vous faire parvenir ces documents. Les participants venaient des quatre coins de l'Europe. L'Allemagne et la Grande-Bretagne y étaient moins représentées, surtout parce qu'un congrès parallèle se déroulait au même moment dans ce dernier pays. Quant au fond, les thèmes abordés ont été : le contrôle des symptômes, la qualité de la vie, la « break through pain » et les nouvelles techniques. Les questions éthiques n'ont pas été abordées, en tout cas pas au sein de l'assemblée plénière.
Enfin, je reconnais comme vous que l'acharnement palliatif implique des risques théoriques et probablement pratiques. C'est pourquoi je plaide pour une réglementation générale des soins aux mourants, aux patients en phase terminale.
Mme Jeannine Leduc. Il est apparu dans le passé, tant en Belgique que dans le monde entier, que lorsque des structures sont mises en place, elles se transforment en centres de pouvoir et que le risque qu'elles amassent de l'argent et profitent de la souffrance des autres est très grand. C'est pourquoi je crains que l'acharnement palliatif représente un réel danger et je me demande comment maîtriser le phénomène.
M. Theo Kelchtermans. Cela est sans doute également lié à la déontologie.
Je voudrais conclure en observant que le docteur Van den Eynden a fourni un effort important pour présenter un point de vue bien documenté et étayé scientifiquement à la commission. Une deuxième constatation est que, bien qu'il s'agisse ici d'une audition, les commissaires veulent souvent convaincre l'orateur de la pertinence de leur point de vue. Cela est bénéfique au dialogue que nous voulons mener sur ce thème. En confrontant les prises de positions et arguments clairs des différents participants à ce débat, nous tentons de parvenir à une proposition utilisable ayant une assise aussi large que possible. Je remercie donc le docteur Van den Eynden pour l'effort qu'il a fourni et pour le fait de ne pas s'être dérobé au débat.
Mme Jeannine Leduc. Une dernière question : qu'est-ce que la break through pain ?
M. Bart Van den Eynden. Au congrès en Israël, il m'est apparu clairement que ces termes sont mal choisis. Il s'agit de la traduction de l'expression anglaise break through pain. Il s'agit en fait d'une douleur sporadique. Il s'agit principalement d'une douleur aux os, par exemple, consécutive à des métastases. La thérapie de la douleur permet de bien maîtriser la douleur d'un patient au repos mais lorsque celui-ci fait certains mouvements, par exemple, au moment de soins, il ressent à certains moments une douleur intense que le traitement de la douleur de base ne soulage pas. Si la dose d'analgésiques est accrue, le patient est plongé dans un état confus sans qu'on lui ait demandé son avis; si elle ne l'est pas, il souffre. Il faut donc peser le pour et le contre et rechercher chaque fois une nouvelle médication.
Mme Dominique Bouckenaere. Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invitée à apporter mon témoignage aux travaux de votre commission.
Je vais vous communiquer l'expérience d'une pratique de terrain que je vais situer préalablement.
Je suis radiothérapeute-oncologue de formation et j'ai exercé cette discipline durant dix ans. De plus, depuis treize ans, je suis le médecin responsable de l'unité de soins continus et palliatifs des cliniques de l'Europe-Saint-Michel. Il s'agit d'une unité résidentielle de huit lits, qui est la deuxième unité intrahospitalière en Belgique. Je vous parle donc d'une expérience très ancienne. Je suis également médecin consultant à l'ASBL Arémis qui prodigue des soins continus à domicile. En outre, je suis l'un des trois membres du collège directeur de la Fédération bruxelloise pluraliste de soins palliatifs et continus. Je précise que je m'exprime ici à titre tout à fait personnel et non en tant que représentant d'une clinique, d'une association ou d'une fédération. Je suis d'ailleurs chargée de vous dire qu'au sein des cliniques où j'exerce, aucune position officielle n'a été prise à ce sujet, ni par la direction, ni par le corps médical.
De par ma spécialité, j'ai toujours été confrontée de manière très répétitive à des situations de fin de vie, mais je ne les ai pas toujours abordées de la même manière. Je distinguerais deux phases dans mon évolution personnelle.
La première se situe avant que je découvre les soins palliatifs.
À cette époque-là, je me sentais terriblement désarmée lorsque le dernier traitement chimiothérapique possible échouait. Je n'osais pas annoncer la mauvaise nouvelle au patient de peur d'engendrer une perte d'espoir. Je ne maîtrisais pas bien les thérapeutiques de soulagement. Je me sentais fort seule pour assumer les décisions cruciales d'arrêt du traitement oncologique, puis d'abandon progressif des thérapeutiques de soutien de vie. Je vous avoue que c'était très lourd à porter et ce, d'autant plus, que je devais prendre ces décisions sur la base d'une vision très fragmentaire de la situation du patient. À cette époque, je ne connaissais pas la pratique de l'interdisciplinarité qui est cette interaction permanente avec l'équipe soignante. Je me rends compte que certaines de mes décisions étaient mal vécues par l'équipe, soit parce que celle-ci n'était pas bien informée du pourquoi de la décision, soit parce que la décision aurait pu être mieux affinée, grâce au dialogue avec l'équipe.
Je ne vous le cache pas, à cette époque, j'ai pratiqué une euthanasie active, suite à la supplication d'un patient qui endurait une souffrance intolérable que je ne parvenais pas à soulager. Je l'ai fait en âme et conscience parce que, dans l'état de mes connaissances à ce moment-là, je ne pouvais envisager d'autre alternative. Je l'ai fait en accord avec le membre de la famille le plus proche du patient et l'infirmière responsable du service. Mais un acte de cette nature n'est jamais anodin pour un médecin. C'est quelque chose de très lourd à porter et qui laisse une trace.
La deuxième phase de mon évolution commence en 1986. J'ai suivi une formation en soins palliatifs et j'ai initié ce service intrahospitalier de soins continus. Je peux vous affirmer que cette pratique a radicalement transformé mon approche des patients en fin de vie. J'ai découvert d'autres alternatives pour exprimer ma compassion. De plus, étant mieux armée, j'ai pu m'engager plus profondément dans le dialogue avec ces patients, notamment en cas de dilemme éthique.
Dans un premier temps, j'essayerai de vous expliquer en quoi cette approche spécifique représente une véritable prévention de nombreux drames de la fin de vie. Mais je voudrais que vous gardiez bien présent à l'esprit le fait que je m'en réfère à une pratique encore peu courante qui ne touche qu'une minorité de patients.
Les soins continus sont une approche globale qui allie une compétence médicale spécifique, une approche relationnelle et des éléments de repérage éthique.
La compétence médicale spécifique est essentielle. Un patient qui reste enfermé dans sa souffrance physique perd son autonomie et son désir de vivre. Il faut donc mettre en oeuvre toutes les thérapeutiques susceptibles de le soulager.
L'approche relationnelle est tout aussi importante. Elle comprend l'écoute et l'accompagnement du patient et de ses proches.
Notre pratique nous montre l'extrême ambivalence des demandes d'euthanasie. Dans ces situations très émotives, la communication se brouille souvent. Il y a alors une discordance entre les mots qui sont prononcés, ce que chacun veut dire et ce que chacun peut entendre. Si vous le désirez, je peux vous illustrer cela par un cas clinique tout à l'heure. Lorsqu'un patient nous dit : « C'est intolérable, il faut que cela finisse », cette demande peut recouvrir de multiples significations. Simple désir d'exprimer une souffrance sans réelle volonté de passage à l'acte, appel à la présence et à la sollicitude d'autrui, demande de soulagement ou encore mais plus rarement volonté déterminée que l'on mette fin à ses jours. Il faut du temps, de l'expérience et l'aide d'une équipe interdisciplinaire pour espérer entendre la véritable demande du patient.
Dans de très nombreux cas, l'autonomie du patient est fragilisée. Il est désemparé, il a perdu son identité, il dépend des autres. Partagé entre le désir de vivre et le désir d'en finir, son pouvoir de décision est amoindri. De multiples éléments peuvent alors peser dans cette balance en équilibre fragile : ce que le médecin juge bien pour lui, ce que lui rapporte le discours social, ce que lui renvoient ses proches et ses soignants. Il est alors extrêmement important que les soignants, par leur attitude d'écoute, de dialogue et de participation aux décisions, puissent constituer un espace de choix où le patient peut se réapproprier en tant que sujet.
La personne atteinte d'une maladie grave et évolutive fait un travail psychique qui passe par différentes phases : révolte, dépression, désespoir ... Ces crises existentielles nécessitent un travail d'accompagnement pour que le patient puisse élaborer le processus de deuil, se reconstruire un sens et d'autres objectifs de vie. C'est la reconnaissance des autres les proches et les soignants qui soutient le patient dans son désir de vivre cette étape de son existence jusqu'à son terme.
Ce travail d'accompagnement doit également s'adresser aux proches du patient. Ceux-ci vivent difficilement leur impuissance face à la lente dégradation corporelle. Du fait de leur proximité avec le patient, ils ont tendance à projeter sur lui leur propre souffrance. Il est fréquent que des familles exercent des pressions sur le médecin pour qu'il abrège l'existence du patient qui n'a rien demandé pour des raisons de perte de dignité. En fait, ses proches ne se sentent plus capables d'assumer plus longtemps la situation. Mais leur demande est ambivalente, ce qui peut les exposer à une culpabilité ultérieure.
Le troisième élément important de l'approche palliative est le repérage éthique.
L'évolution du patient durant la phase palliative amène le médecin à prodiguer des soins. Il doit abandonner progressivement les traitements devenus disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés. Ces choix sont difficiles et douloureux pour les médecins qui sont, par vocation, tournés vers la vie. Il est donc indispensable d'instaurer une méthode d'aide à la décision. Les questions éthiques relatives à la fin de vie réclament impérativement une discussion collégiale préalable impliquant l'équipe soignante, si possible les proches du patient et, dans des cas plus complexes, tels qu'une demande d'euthanasie persistante, il me semblerait utile de disposer de cellules d'aide à la décision. Cette méthode, destinée à mieux trancher les dilemmes éthiques, représente le pilier central de l'approche palliative dans tous les pays occidentaux. Elle est destinée à éclairer la décision que le médecin prendra dans le cadre du colloque singulier avec son patient.
À présent, je vous propose de faire un état des lieux des pratiques actuelles. En fait, on constate que les soignants ne sont ni bien armés ni soutenus pour aborder les questions éthiques relatives à la fin de vie.
La majorité des décès plus de 50 % ont lieu dans les institutions hospitalières, qui sont destinées à devenir des « plateaux techniques » hyperspécialisés, répondant aux normes de performance qu'on leur impose : durée de séjour brève, bilans paracliniques très pointus. Les contraintes budgétaires qui pèsent sur les hôpitaux sont telles que les infirmières peuvent difficilement prendre le temps d'écouter le patient et ses proches, et de le soigner au rythme qu'impose son état. En ce qui concerne les médecins spécialistes, tout leur enseignement, tout l'idéal vers lequel ils tendent, les amènent à se battre pour la guérison, mais lorsque la maladie triomphe, ils se sentent profondément désarmés et impuissants face à ce qu'ils ressentent comme un échec. Leur formation médicale les prépare à agir, mais elle ne les prépare pas à pouvoir prendre une distance émotionnelle, ni à prendre le temps pour écouter le patient. Ils jouissent d'une excellente compétence en ce qui concerne les thérapeutiques curatives et la démarche scientifique, mais ils ne sont pas formés pour soulager les symptômes ni pour approcher globalement les situations de fin de vie. En outre, les médecins ne disposent pas, à l'heure actuelle, d'outils de réflexion éthique pour guider leur action. L'interdisciplinarité n'est appliquée que dans de rares services gériatrie, centres de référence sida plus fréquemment confrontés à la fin de vie.
Environ 25 % des décès ont lieu dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins. Il s'agit de personnes âgées, qui y décèdent plus souvent de mort « naturelle ». Néanmoins, il faut dénoncer le manque d'encadrement de ces structures et le manque de formation palliative du personnel soignant.
Moins de 20 % des patients décèdent à leur domicile. L'approche palliative commence à s'y implanter, notamment grâce à l'excellente collaboration de certains médecins généralistes, mais beaucoup reste à faire et la progression restera limitée du fait de l'éclatement des familles.
Quant aux services spécialisés de soins palliatifs, ils ne sont accessibles qu'à une minorité de patients (moins de 5 % des personnes y décèdent). Ces services ne peuvent souvent pas bien répondre à la demande. Pour vous donner un exemple, dans mon unité, le taux d'occupation est de 90 % alors qu'il ne devrait pas dépasser 80 %. En outre, chaque année, 30 % des demandes d'admission sont refusées par manque de place.
En fait, lorsque je compare tout ce qui peut être fait pour éviter les drames de la fin de vie et ce qui existe actuellement, je constate qu'il y a un abîme de différence. Pour y remédier, il faut diffuser la culture des soins continus, ce qui nécessite deux choses.
1º Poursuivre l'effort de formation (notamment au niveau des universités). Entre l'arrêt des traitements actifs et la fin de la vie, il y a un temps qui doit être investi par les soignants non plus pour lutter contre la maladie, mais pour soulager et accompagner les patients. Cela paraît évident, et pourtant on n'aborde pas ce sujet au cours de la formation médicale ! Il faudrait qu'à la sortie de l'université, tout futur médecin sache que face à une demande d'euthanasie, la première question qu'il doit se poser n'est pas : « Quelle est la meilleure formule de cocktail lytique ? » mais plutôt celle-ci : « De quelle souffrance s'agit-il et comment la soulager ? »
Pour cela :
il devrait connaître les médicaments à prescrire pour soulager une douleur ou un symptôme, afin que ceux-ci ne soient plus qualifiés trop vite, comme ils le sont aujourd'hui, de symptômes « irréductibles »;
il devrait aussi savoir écouter, avoir un dialogue de vérité et établir une relation de confiance avec le patient. Que le patient ait la conviction que son médecin est prêt à entendre sa souffrance, qu'il fera tout pour l'endiguer et qu'il restera à ses côtés jusqu'à la fin, car cela, je vous assure que c'est de la prévention à grande échelle des drames de la fin de vie !
2º Mieux financer l'approche palliative.
Les fédérations bruxelloise, flamande et wallonne de soins palliatifs ont élaboré un projet commun de développement des soins palliatifs, qui a été déposé tout récemment auprès des ministères des Affaires sociales et de la Santé publique. Ce projet concerne les associations de soins palliatifs, les soins palliatifs à domicile, les unités résidentielles de soins palliatifs (où il faut financer l'activité médicale) et les maisons de repos et de soins. Il insiste particulièrement sur la nécessité de développer obligatoirement de véritables équipes mobiles dans tous les hôpitaux.
Notre pratique nous montre que lorsque l'approche des soins continus est correctement appliquée, il ne persiste que de l'ordre de 1 % de demandes d'euthanasie répétitives et non ambivalentes (j'insiste sur ces deux termes). Ce chiffre représente une moyenne entre le chiffre de 0,5 % que je retrouve dans ma pratique et le chiffre de 2 % rapporté par d'autres sources mais qui concerne d'autres populations de patients.
Que proposer pour ce 1 % de « vraies demandes » d'euthanasie ?
Personnellement, je pense qu'il est du devoir du médecin de « faire quelque chose ». Soit il se sent capable d'assumer avec son équipe un acte d'euthanasie active vécu comme transgression éthique, soit il doit proposer au patient un transfert dans une autre institution susceptible de répondre à sa demande, ou encore, lui proposer une sédation contrôlée. En ce qui concerne mon unité, ce sont ces deux dernières alternatives que nous proposons à ces très rares patients.
Je n'ai plus pratiqué d'acte d'euthanasie active depuis dix-huit ans.
Il ne faut surtout pas modifier le Code pénal. L'interdit de tuer est un signal fort, une indication claire de la nécessité de protéger toute vie humaine. Il est d'autant plus important de préserver la vigilance de cette barrière éthique que la confrontation avec la mort est difficile. Nous devons maintenir une protection solide contre le risque de légitimer, de déresponsabiliser, de déculpabiliser trop rapidement les acteurs de terrain. Si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée. Elle fera d'emblée partie des options envisageables et nous permettra de faire l'économie de la recherche d'autre possibilités. Il me semble important que l'euthanasie reste toujours un geste d'exception, celui auquel on n'a recours qu'après avoir épuisé les autres possibilités humaines et médicales.
Je suis toujours étonnée de constater à quel point certaines personnes semblent peu sensibles au registre symbolique de la loi. Personnellement, je pense que la dépénalisation de l'euthanasie risque d'influencer les mentalités et de créer un nouveau discours social. La question se pose dans les termes suivants : « Quelle représentation de la mort allons-nous créer pour la société de demain ? »
Il me semble important de réinscrire la maladie et la mort comme des dimensions constitutives de la vie sociale et non comme des réalités à occulter. Nous devons veiller à ce que l'euthanasie ne devienne jamais pour nos petits-enfants le modèle de la « bonne mort » la mort propre, rapide, médicalisée. Ce risque est réel car nous vivons dans une société fort imprégnée des concepts de performance, de matérialisme et d'individualisme.
En conclusion, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, ce que nous voulons tous, c'est que notre société progresse en humanité. Nous voulons tous une fin de vie plus digne, plus humaine et plus respectueuse de l'autonomie pour tous nos patients.
Il me semble dès lors important de privilégier deux lignes directrices. La première consiste à mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour prévenir les actes d'euthanasie évitables dans une société vieillissante. La seconde consiste à opposer une résistance par rapport à la tendance à fuir le temps du mourir que manifestent la médecine et la société d'aujourd'hui.
Pratiquement, dans un premier temps, et j'insiste sur ce premier temps, il faudrait mettre en oeuvre une véritable politique de santé publique afin de diffuser largement la culture des soins continus.
La plupart des demandes d'euthanasie sont motivées par une souffrance physique ou morale sur laquelle il est tout à fait possible d'agir par cette approche qui ne fait pas violence à notre déontologie médicale. Ce n'est qu'à ce moment-là que le débat se focalisera réellement sur les « vraies demandes d'euthanasie », celles qui sont motivées par une souffrance physique que la médecine actuelle est incapable de soulager et celles qui sont motivées par une conception philosophique personnelle de la dignité que l'accompagnement le plus respectueux ne parvient pas à réduire.
Le deuxième point qui me semble important est de renforcer la capacité éthique des soignants. Les soignants doivent être mieux outillés pour combattre l'acharnement thérapeutique et pour pouvoir trancher dans les conflits de valeurs. Dans ces situations graves qui touchent à la vie et à la mort, il est humain de développer des mécanismes de défense qui faussent les jugements.
Les dilemmes éthiques n'entreront jamais dans le cadre rigide d'une loi ; ils doivent être résolus au cas par cas. Les médecins seront toujours obligés de trancher dans ces dilemmes et d'agir en leur âme et conscience. Il faut donc leur faire confiance tout en les incitant à s'arrêter et à prendre le temps de réfléchir avec l'aide d'une équipe interdisciplinaire. De plus, il me semblerait important de développer des « cellules d'aide à la décision » au sein des comités d'éthique. Leur rôle ne serait pas d'imposer une norme souveraine mais plutôt d'être le catalyseur qui conduit les différents acteurs de terrain à aller plus loin dans l'analyse de la problématique éthique.
Je ne suis pas favorable au projet actuel de dépénalisation. L'euthanasie doit rester la transgression d'une norme et ne peut jamais devenir quelque chose qui fait partie de la norme. Elle doit rester un geste d'exception pris dans un état de nécessité. Je souhaiterais que les législateurs recherchent un cadre permettant de sortir de la clandestinité et d'offrir une sécurité juridique aux médecins qui, à titre exceptionnel et après avoir épuisé toutes les autres possibilités humaines et médicales, se résoudraient à pratiquer cet acte dans une optique du moindre mal. Il serait vraiment dérangeant que ces médecins soient poursuivis !
M. Philippe Monfils. Madame, je relève certaines contradictions dans votre exposé, lorsque vous vous interrogez sur le point de savoir ce qu'il faut faire en cas de demande d'euthanasie. Vous avez parlé des soins palliatifs, de la sédation contrôlée on a dit ce matin ce qu'il fallait en penser, je n'y reviendrai pas et vous avez dit « on transfère ailleurs », là où la demande d'euthanasie sera faite.
Vous ajoutez, d'un côté, que « les soins palliatifs vont pratiquement supprimer tous les problèmes d'euthanasie », mais de l'autre, vous précisez que « dans certains cas, il faut transférer ». Vous dites encore qu'il n'est pas possible de dépénaliser et qu'il faut trouver « autre chose ». J'ai été étonné de vous entendre dire qu'il faudrait donner une certaine sécurité juridique aux médecins, car « il serait vraiment dérangeant que ces médecins soient poursuivis ».
Certes, c'est très dérangeant, Madame, mais au-delà de la philosophie, il faut faire du droit. Actuellement, l'euthanasie est interdite et les médecins peuvent donc être poursuivis. C'est dérangeant pour vous. Vous savez pertinemment bien qu'il y a plusieurs propositions sur la table et que les partisans de l'exception portant sur l'état de nécessité ne peuvent pas apporter la preuve qu'il y aurait ainsi une sécurité juridique complète. C'est d'ailleurs précisé dans les développements de la proposition. En effet, le parquet peut contester l'état de nécessité et donc se substituer au médecin.
Vous ne voulez pas de modification du Code pénal, mais que voulez-vous ? D'un côté, on exprime son refus d'une modification, mais on rejette aussi l'idée que les médecins puissent être poursuivis. Seriez-vous alors favorable à cette idée que l'on essaye de répandre dans certaines universités et facultés de médecine, idée selon laquelle il serait temps de sortir tous les actes médicaux du Code pénal ? Ce serait, je le dis d'emblée, inacceptable car nous ne pouvons pas imaginer qu'un corps social, quel qu'il soit, ne réponde pas aux lignes directrices imposées dans un état démocratique par la voie législative.
Le problème est donc fondamental. On ne veut rien, mais on veut qu'il ne se passe rien. Alors, comment faire pour qu'il ne se passe rien en ne voulant rien ?
J'en viens à une deuxième question. Vous parlez beaucoup d'éthique. Trouvez-vous normal, dans cette optique, de proposer d'abord un aménagement des soins palliatifs et de la formation sans qu'il puisse être question d'euthanasie ? Cette dernière ne pourrait être éventuellement envisagée que dans un deuxième temps, pour le dernier pourcent restant. Qui sommes-nous, vous comme nous, pour interdire, en quelque sorte, à quelqu'un de manifester sa volonté, en attendant qu'un certain nombre de choses soient mises en place, des choses qui incontestablement seront de nature à diminuer le nombre d'euthanasies mais ne les supprimeront pas totalement. Je m'interroge sur ce raisonnement qui consiste à décider de ne toucher à rien mais d'augmenter le budget des soins palliatifs, de dispenser la formation et d'attendre dix ans en supposant qu'à ce moment-là, on accordera peut-être l'euthanasie à ceux qui la demanderaient encore. Qui sommes-nous tant au niveau médical que politique pour adopter une telle attitude, alors que nous touchons à la liberté individuelle ? J'ai bien entendu que votre expérience passée avait transformé votre approche. Pourrions-nous aussi parler de l'approche du patient ?
Enfin, nous avons un plan financier des soins palliatifs et je m'en réjouis. Je dirais simplement qu'il va plus loin que la proposition de loi déposée par certains collègues sur les soins palliatifs. Ou bien cette proposition de loi est modérée ou bien ces propositions en matière de soins palliatifs sont excessives. Nous verrons plus tard. J'ai l'habitude de lire rapidement un texte, Madame, et je puis vous dire que la proposition relative aux soins palliatifs va plus loin dans les dépenses que la proposition de loi de Mme Nyssens. J'ai même comparé les équipes de soutien. Je pourrais vous faire maintenant une comparaison entre vos suggestions et celles de Mme Nyssens. Nous verrons plus tard ce qu'en pensera le ministre.
Vous avez dit que l'autonomie du patient était fragilisée. Certes, elle l'est, par la fin de la vie, mais ne l'est-elle pas autant sinon plus quand on l'insère dans un système de soins palliatifs où il est pris totalement en charge par un psychologue, un kinésithérapeute, on a même parlé d'un anthropologue ce matin, si la traduction était exacte, un sociologue et que sais-je encore avec la conséquence que le patient n'est plus capable d'exprimer sa propre volonté. Venir dire que l'on ne peut pas prendre en compte l'attitude d'un patient fragilisé par la souffrance et la mort probable, mais que par contre on va considérer son refus ultérieur de l'euthanasie comme valide, alors que ce refus est éventuellement conditionné par l'impossibilité d'exprimer sa volonté, entouré qu'il est par un système de soins palliatifs. Il y a matière à réflexion. L'autonomie ou le manque d'autonomie du patient jouent dans les deux sens, au sens où il est seul par rapport à la mort et au sens où il n'est plus capable, tel qu'il est entouré, d'exprimer sa volonté propre. C'est un peu la différence qu'il y a entre un élève libre et un élève qui est dans un internat.
Je vous adresse ces questions tout en vous remerciant de nous voir présenté votre vision des choses.
Mme Dominique Bouckenaere. Vous me demandez ce que je voudrais. D'abord, éviter les euthanasies évitables ce point est important dans la politique à mettre en oeuvre. Ensuite, réduire les euthanasies inacceptables d'un point de vue éthique. Pour ce faire, je pense qu'il faut augmenter la capacité éthique des soignants.
Pour cette raison, je souhaiterais qu'une législation rende obligatoire la consultation collégiale. Ce moyen me semble éprouvé pour aller plus loin dans la réflexion éthique. Ce n'est tout de même pas pour rien que cette interdisciplinarité constitue véritablement le centre de l'approche palliative dans tous les pays du monde. C'est effectivement quelque chose qui nous permet d'approcher globalement les situations de fin de vie et qui nous permet d'avoir une analyse éthique plus approfondie.
Je suis d'accord, je le répète, avec votre argument qui consiste à dire qu'il n'est pas bon de rester dans la clandestinité et qu'il est bon de garder le débat ouvert, mais pour cela il faudrait, il est vrai, une solution juridique. Pour ma part, je souhaiterais que celle-ci assigne l'euthanasie à sa juste place. Je ne voudrais pas que l'euthanasie devienne le premier choix aux yeux de la société, des patients, des familles et des médecins ; elle doit rester un cas d'exception. Vous, en tant que juriste, semblez dire que la notion d'état de nécessité est fragile et n'est pas une bonne solution. À nous médecins, cet état de nécessité nous parle beaucoup. La norme, pour les médecins, est de tout faire pour la vie, ce qui ne signifie pas la vie à tout prix. Il existe des cas d'exception pour lesquels il devrait être possible d'agir sans risquer d'être poursuivi.
M. Philippe Monfils. À Liège, les médecins avaient évoqué l'état de nécessité ...
Mme Dominique Bouckenaere. Je ne connais pas les solutions légales qui permettraient de rendre plus solide cette notion. Je souhaiterais qu'elle soit inscrite dans une loi. Une autre idée à laquelle je suis attachée est une charte des droits des patients légalisée qui permettrait de faire référence.
Je n'ai jamais dit que les soins palliatifs supprimaient toutes les demandes d'euthanasie.
Vous me parlez de l'autonomie des patients qui est fragilisée. Effectivement, cette autonomie est très fragilisée en fin de vie, d'abord d'un point de vue physique beaucoup de patients souffrent de problèmes confusionnels , mais aussi d'un point de vue psychologique. Certains patients qui ont parfois été de grands décideurs durant toute leur vie ne se sentent plus capables de décider. Ce n'est pas une règle générale; j'ai aussi rencontré des patients qui avaient une force de caractère exceptionnelle et qui continuaient à exprimer clairement leur volonté sans être influencés par personne.
Nous mettons tout en oeuvre et c'est un élément central de l'approche palliative pour renforcer l'autonomie du patient. Je ne décide jamais d'un traitement seule; j'en parle avec le patient.
Par exemple, pour un traitement à la morphine, la dose prescrite peut parfois induire une certaine sédation. Quelle est la priorité du patient ? Sa priorité est-elle d'avoir toute la lucidité possible, quitte à garder un certain niveau de douleur ou bien de n'avoir plus aucune douleur, quitte à avoir un certain niveau de sédation ? C'est au patient que le choix appartient.
Pour moi, l'autonomie du patient est très importante et je n'accepterais pas qu'on me dise qu'en soins palliatifs, je n'entends pas les demandes d'euthanasie. Dès que le patient ou ses proches expriment une demande qui se rapproche un tant soit peu d'une demande d'euthanasie, immédiatement, toute l'équipe réagit pour détecter tout de suite de quelle souffrance il s'agit, pour pouvoir avoir un dialogue avec le patient, pour approfondir cette demande et en voir le sens réel. Nous entendons les demandes d'euthanasie.
Avec les trois fédérations, nous avons élaboré un projet qui nous semblait raisonnable. En Belgique, le squelette, l'organisation générale des soins palliatifs est excellente, est un modèle européen mais il faut l'étoffer. On manque actuellement de moyens. C'est pour cette raison que les trois fédérations ont discuté ensemble ce qui est un point important pour élaborer ce projet.
D'un point de vue financier, le coût le plus important concerne les maisons de repos et de soins. Nous y demandons en effet une infirmière-ressource en soins palliatifs par 120 lits. C'est un budget considérable de l'ordre de 1,5 milliard.
M. Josy Dubié. Je voudrais vous poser très concrètement deux questions. D'abord, je tiens à dire que j'ai visité votre centre de santé avec le sénateur Galand et que j'ai été très impressionné par la manière dont vous traitez vos patients. Je suis aussi très impressionné par votre honnêteté. Contrairement à certains de vos prédécesseurs, vous reconnaissez que même dans votre centre, malgré tous les soins remarquables que vous prodiguez, 1 % des patients demande finalement l'euthanasie.
Les deux questions que je vous pose sont très concrètes.
1) Je sais que vous ne pratiquez pas l'euthanasie chez vous mais vous savez comment procéder. J'aimerais savoir comment on la pratique.
2) Vous avez dit que vous appliquiez deux solutions. Soit vous transférez le patient, soit vous pratiquez une sédation contrôlée. Quelle est la différence entre une sédation contrôlée et l'euthanasie ?
Mme Dominique Bouckenaere. J'ai avancé le chiffre de 0,5 %. Le chiffre de 1 % est pour moi une moyenne par rapport au chiffre de 2 % qui a été retenu par une institution comme Bordet, qui est confrontée à une population de patients différente. En effet, il est, à mon sens, normal qu'un patient qui a fait une déclaration anticipée, aille plutôt se faire soigner pour sa fin de vie dans une institution laïque. Chez moi, j'ai noté 0,5 % de demandes d'euthanasie, sur la base de l'analyse des cinq dernières années où nous avons pris en charge 600 cas, parmi lesquels trois personnes ont formulé une demande d'euthanasie répétitive et non ambivalente.
Au début de mon évolution comme médecin oncologue, j'ai pratiqué l'euthanasie.
Au moment où je l'ai pratiquée, je l'ai fait par compassion. Je voulais absolument aider ce patient qui souffrait. Je n'avais pas d'autres moyens de l'aider. Cependant, par la suite, cet événement est revenu dans mon inconscient comme un meurtre que j'avais commis. Je pense que c'est un peu normal car il s'agit d'une transgression d'un interdit fondamental de notre société. Quelles sont les raisons pour lesquelles je ne pratique plus maintenant l'euthanasie active ?
L'une des raisons est que je connais mieux les moyens de soulager les patients. Mais cela n'est pas suffisant.
Une autre raison est le fait que je me suis vraiment investie dans les soins palliatifs qui sont très centrés sur la vie. On s'y démène parfois extraordinairement pour privilégier les derniers moments, la qualité de vie d'un patient. On sait, en effet, que quand le temps est limité, cela est important.
On ne peut oublier l'aspect mortifère de l'acte d'euthanasie. Personnellement, j'aurais du mal à passer dans la chambre d'un patient et à tout faire pour préserver sa qualité de vie puis, l'instant d'après, me rendre dans une autre chambre et y brancher un cocktail lytique parce que le patient l'a demandé et, enfin, visiter dans une troisième chambre un patient inconscient, qui n'a rien demandé mais dont l'état se dégrade progressivement, et ne rien pouvoir faire parce que ce n'est pas prévu par la loi.
Les médecins ont besoin d'une certaine cohérence dans leur pratique. Je travaille dans un contexte très spécifique, celui d'une unité de soins palliatifs. Je suis confrontée continuellement à des situations extrêmes. Ce n'est pas comme le médecin généraliste qui soigne deux ou trois patients en fin de vie au cours de l'année. Nous avons vraiment besoin d'une limite « intransgressable », d'une ligne de conduite univoque qui consiste à se dire qu'on va tout faire pour soulager, même si cela devait abréger l'existence du patient. Ce que nous visons, c'est le soulagement du patient.
Vous me demandiez les possibilités de transfert. Quand j'ai proposé cette possibilité à ces très rares patients, aucun n'a accepté. Je leur ai pourtant expliqué que je ferais tout pour que ce transfert se passe dans de bonnes conditions, que j'irais même les voir dans la nouvelle institution, mais ils n'ont pas accepté.
Quant à la sédation contrôlée, il en existe différentes formes. Je n'aborderai que celle qui apporte une sorte de réponse à une demande d'euthanasie, à laquelle le médecin ou l'équipe ne pourrait répondre. Personnellement, je ne considère pas qu'il s'agisse d'une bonne solution mais c'est la moins mauvaise possible. C'est celle qui tient compte de la nécessité pour nous d'avoir une ligne de conduite cohérente et de préserver nos potentialités futures pour les autres patients. Il y a là un conflit entre, d'une part, le bien individuel du patient que l'on a en face de soi et dont on voudrait tellement préserver l'autonomie parce qu'elle est tellement centrale pour nous, et, d'autre part, le bien commun, celui des futurs patients. Mon équipe et moi avons entamé une réflexion à ce sujet. Actuellement, nous considérons la sédation comme un moindre mal.
M. Josy Dubié. Quelle est la différence avec l'euthanasie ? Dans le cas de la sédation contrôlée, la personne est inconsciente. Dans ce cas, c'est la durée qui fait la différence, ce n'est pas l'intention.
Mme Dominique Bouckenaere. L'intention est différente. Elle est de soulager la souffrance. Dans un premier temps, nous proposons aux patients une sédation intermittente. La plupart des patients acceptent cette solution. On les fait dormir profondément, ce qui leur évite une souffrance morale, et on leur préserve des moments où ils sont bien conscients. En général, ce sont les moments où la famille est présente et ils peuvent échanger des choses avec elle.
M. Philippe Monfils. Par rapport à ce qui a été dit ce matin, l'intention n'est pas présente, mais le résultat de la sédation contrôlée est que la mort survient de manière inéluctable. On nous a également parlé, ce matin, de sédation intermittente. Souvent, le malade demande que l'on continue jusqu'au bout. Croyez-vous qu'au moment où il est péniblement réveillé, son libre arbitre soit encore tout à fait présent ? Quand il a été légèrement endormi, qu'il se réveille et vous demande de continuer jusqu'au bout, pensez-vous qu'il s'agisse d'un élément dont il faut réellement tenir compte ? Nous sommes pour l'autonomie du patient, mais quand on dit qu'il accepte cette position dans un état où il est particulièrement fragilisé au niveau non seulement psychologique mais aussi physique, cela appelle une réflexion.
Mme Dominique Bouckenaere. Je vous ai dit que ce n'était pas une bonne solution, mais je pense que vous devez aussi tenir compte du vécu des médecins, surtout dans le cadre très particulier d'une unité de soins palliatifs où nous sommes continuellement confrontés à des situations extrêmes. J'insiste sur ce point. Je pense qu'il est bon qu'il y ait des équipes de soins palliatifs qui acquièrent une très grande expérience pour pouvoir la transmettre aux autres mais, par rapport à cela, nous avons besoin d'avoir cette ligne de conduite univoque. Je m'étonne toujours que le patient qui le veut réellement ne demande pas le transfert dans une autre institution. C'est son droit. Un transfert est peut-être pénible à supporter, je n'en sais rien, mais en tout cas, ces situations heureusement très rares sont difficiles pour nous.
Mme Nathalie de T'Serclaes. La frontière entre sédation contrôlée et euthanasie est très difficile à délimiter. Dans le chef tant du patient que du soignant, il y a des éléments extrêmement ténus et difficiles qui font qu'il existe réellement une frontière entre ces deux notions. C'est un respect profond à la fois du soignant et du patient et on ne peut rejeter cette voie en disant qu'il s'agit de la même chose.
À partir du moment où nous sommes législateurs, cela pose un problème pratique. Vous dites, et je vous rejoins, que l'euthanasie doit rester un acte de transgression par rapport à la loi naturelle qui est « tu ne tueras point ». Cela doit rester une exception. Vous dites en même temps qu'il faudrait instituer une sécurité juridique. Les deux éléments sont quelque peu contradictoires. À partir du moment où il y a sécurité juridique, il doit y avoir une définition des cas dans lesquels cet acte est permis. S'il y a transgression, l'acte de transgression doit au moins, a priori et a posteriori, pouvoir être contrôlé de manière efficace. Sinon, ce n'est plus une transgression, c'est une porte qui s'ouvre. Je voudrais vous entendre à ce propos. Si vous dites qu'il faut une certaine sécurité juridique, comment imaginez-vous que l'on puisse contrôler cette transgression ?
Nous avons eu un plaidoyer vraiment intéressant de votre collègue, M. Clumeck, qui ne croyait pas au contrôle a posteriori, mais était partisan d'un contrôle a priori. Il allait très loin dans sa proposition puisqu'il disait : « Nous devrions pouvoir soumettre à une instance », sur la qualification de laquelle il hésitait, « l'acte de transgression que nous serions amenés à poser. Nous devrions pouvoir mener un dialogue avec cette instance, lui dire que nous pensons qu'elle va un peu loin et qu'elle doit se poser à nouveau des questions, même si cette instance n'est pas décisionnelle et que la décision revient au médecin. » Que pensez vous de cette position ?
Mme Dominique Bouckenaere. Je ne suis pas juriste et c'est un domaine où je peux dire peu de choses. J'ai également parlé de contrôle a priori. Pour moi, la discussion collégiale préalable rendue obligatoire ainsi que les cellules d'aide à la décision sont une forme de contrôle a priori. En tant que médecins, nous pouvons définir nos priorités mais nous devons demander aux juristes ce qu'ils peuvent faire sur cette base. Je ne puis en dire davantage.
Mme Nathalie de T'Serclaes. En tant que médecin, comment vous positionnez-vous par rapport à la loi ? J'ai le sentiment que les médecins estiment que la loi ne les concerne pas, alors que certains disent qu'ils veulent la sécurité juridique. Cela me semble contradictoire. D'aucuns estiment préférable de ne pas disposer d'une loi et de mener un véritable dialogue avec le patient.
Mme Dominique Bouckenaere. La question qui se pose est la suivante : y a-t-il ou non moyen de légiférer sur l'état de nécessité ?
Mme Nathalie de T'Serclaes. L'état de nécessité existe. N'importe quel acte de transgression, qu'il s'agisse de légitime défense, de force majeure, etc, est un moyen de dire que la norme est « tu ne tueras point » mais que, dans telle ou telle circonstance, la loi pénale permet déjà aujourd'hui, à n'importe quelle instance, de ne pas aller jusqu'à un procès puisqu'elle peut classer sans suite. Tel est le débat aujourd'hui sur le plan strictement juridique. Je préfère à la limite tous les autres débats parce qu'ils sont plus concrets.
M. Philippe Monfils. Il y a une proposition qui parle de l'état de nécessité. Même dans la proposition des six, que vous écartez, on indique « qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque les faits visés ... ont été commis par un médecin et commandés par la nécessité de mettre fin à la souffrance ... » Nous parlons aussi d'état de nécessité. Le rôle du juriste n'est pas d'habiller une position présentée par quelqu'un. Il doit aussi se demander ce qu'il est possible de faire en droit. Mme de T'Serclaes qui, je crois, ne partage pas tout à fait notre opinion a entièrement raison de dire cela. Dans les deux cas, on parle d'état de nécessité mais on n'échappe pas à la question de savoir comment vérifier cet état de nécessité et comment faire pour que la position du pouvoir judiciaire ne soit pas telle qu'il se substitue au médecin dans cette appréciation. La seule façon que vous avez de répondre à cela, c'est une loi de procédure. C'est tout le problème. En effet, les médecins doivent se dégager de cette illusion suivant laquelle ils ne veulent plus la poursuite selon le Code pénal actuel, mais veulent qu'on leur fiche la paix. Il est impossible, Madame, de sortir les médecins du Code pénal. Ce n'est pas possible, car on créerait une espèce de bulle à l'intérieur de laquelle les médecins autocontrôleraient tous leurs actes. C'est radicalement impossible du point de vue du droit, du point de vue d'une société démocratique qui doit légiférer pour l'ensemble des corps sociaux, qu'il s'agisse des avocats, des notaires, des magistrats, des médecins, des parlementaires qui contrôlent de plus en plus, mais sont aussi contrôlés par un certain nombre d'éléments. Telle est la réalité des choses. On tourne en rond quand on entend un médecin nous parler comme vous le faites. À un moment donné, il faut trouver une issue.
Mme la présidente. Mme Bouckenaere a entendu les remarques du futur législateur mais n'est pas là pour donner des solutions en droit.
Mme Iris Van Riet. Ma question est la même que la première de M. Monfils, mais je laisserai l'aspect juridique de côté. À un certain moment, vous avez dit à propos du « repérage éthique » : « Il me semblerait utile de disposer de cellules d'aide à la décision éthique. » Que voulez-vous exactement dire par là ? Pouvez-vous donner des informations supplémentaires à leur sujet ? Quelle est leur composition ? Quelle est leur fonction ?
Mme Dominique Bouckenaere. Je n'ai pas d'expérience personnelle de ces cellules d'aide qui n'existent pas dans ma clinique, je tiens à le souligner. D'une part, j'ai lu beaucoup d'articles de référence à ce sujet et, d'autre part, j'ai eu des contacts avec des médecins que je connais bien et qui travaillent dans des institutions où ces cellules d'aide à la décision existent.
Lorsqu'un problème éthique important se pose sur le terrain il ne s'agit pas des problèmes éthiques quotidiens que nous sommes tous amenés à régler dans notre pratique mais bien d'un problème qui sort de l'ordinaire, que ce soit au niveau de l'euthanasie ou de la néonatologie , on adresse une demande écrite au comité d'éthique de l'hôpital, en expliquant bien l'objet de la demande, et l'on peut organiser rapidement dans les 24 à 48 heures au maximum , une réunion avec le médecin spécialiste responsable du patient, le médecin généraliste si possible, car il connaît souvent d'autres aspects qui nous échappent puisqu'il suit le patient et ses proches depuis très longtemps, les principaux soignants impliqués dans cette problématique et un éthicien, à savoir quelqu'un qui a une formation en éthique. Un autre médecin spécialiste de ce type de cas qui n'est pas éthicien peut éventuellement se joindre à ce groupe. Cette réunion a pour objectif d'aider le médecin à peser tous les enjeux de la question de manière à ce que sa décision soit mûrement réfléchie. Toutefois, l'avis de ce groupe n'est pas contraignant. C'est le médecin responsable du patient qui prend sa décision, mais il dispose de plus d'éléments et sa décision sera mieux analysée. Il est vrai que j'estime que c'est intéressant pour inculquer une culture éthique dans des institutions. En effet, nous n'avons pas encore de bonne formation à cette dimension éthique, nous les médecins.
Mme Iris Van Riet. La composition de la cellule varie-t-elle dès lors en fonction des médecins et du personnel infirmier concernés ?
Mme Dominique Bouckenaere. Oui, la composition de la cellule est chaque fois différente puisqu'elle réunit l'équipe qui encadre le patient et que, selon le problème posé, un spécialiste différent se joint au groupe. S'il s'agit d'une question de néonatalogie, ce n'est pas le même que pour une question d'euthanasie.
Mme Ingrid van Kessel. La notion d'état de nécessité a déjà été évoquée dans la question précédente. Tout comme vous, je pense qu'il doit s'agir d'une situation exceptionnelle. Mais si la demande d'euthanasie active persiste, il faut pouvoir la formuler. Comment décrivez-vous l'état de nécessité ?
On a souvent parlé d'acharnement thérapeutique. De nombreuses personnes en ont peur. Certains médecins utilisent un code dans leur hôpital. Connaissez-vous ces codes ? Quel est votre point de vue à ce sujet ?
L'expression « acharnement palliatif » a été prononcée ici à plusieurs reprises. Vous avez vous aussi dit vouloir faire l'impossible. L'acharnement palliatif existe-t-il ?
Mme Dominique Bouckenaere. Comment décrire la détresse, à savoir ce 1 % de vraies demandes d'euthanasie ? Ces patients-là réitèrent leurs demandes, en dépit de tous nos efforts, des thérapeutiques visant à les soulager, de notre approche très respectueuse et de tout l'accompagnement mis en oeuvre. Je pense qu'il faut, tout d'abord, passer par cette écoute, par cet accompagnement de la demande, par le décodage de la souffrance sous-jacente et par la vérification du caractère non ambivalent de cette demande. Il s'agit d'une priorité. Si on est passé par toutes ces étapes, il y a de vraies demandes d'euthanasie. J'aimerais, pour ma part, qu'on les envisage dans le cadre d'une législation sur l'état de nécessité. Certes, il y a encore énormément de choses à faire pour lutter contre l'acharnement thérapeutique. Il reste un problème dans nos hôpitaux. Le chef de cabinet de la ministre Magda Aelvoet a dit que tant que les hôpitaux resteraient subventionnés sur base des actes techniques, l'acharnement thérapeutique persisterait. Il y a là une politique de santé publique à reconsidérer mais l'intéressé reconnaissait lui-même que cela ne pourrait se faire du jour au lendemain. Il faut, en effet, modifier tout un système.
Les outils permettant d'améliorer les décisions sont surtout utilisés, je crois, dans les services de réanimation et je n'en ai pas connaissance. En revanche, nous utilisons des grilles d'évaluation éthique. Il s'agit de méthodes d'aide à la décision nous permettant d'analyser les différentes possibilités d'une problématique. Il s'agit d'un outil éthique.
Je ne sais pas ce qu'on entend par acharnement palliatif. Nous avons une approche qui n'a jamais été une approche « palliative pure ». Il y a une certaine manière de pratiquer les soins palliatifs je n'ai jamais été en accord avec cela qui est de laisser tomber toutes les techniques et toutes les médications curatives et de passer brusquement à un tout autre type de démarche, où on ne va plus utiliser que des thérapeutiques de soulagement. Effectivement, je pense que cela peut convenir à certains patients qui sont en fin de vie ou à des patients qui souhaitent uniquement ce type d'approche. Mais pour moi, le fait d'entrer en soins palliatifs ne veut pas dire qu'il ne faut pas dans certains cas, quand c'est le souhait du patient et quand c'est justifié, soutenir la vie du patient. C'est souvent cela qu'il nous demande, en plus d'être soulagé. Donc, nous avons une attitude très souple, qui est de se baser vraiment sur le désir du patient et sur la manière dont il veut être soigné en phase palliative. Je pense que lorsqu'on se base sur le souhait du patient, on n'est jamais dans l'acharnement, qu'il soit thérapeutique ou palliatif. Vous êtes dans l'acharnement à partir du moment où vous décidez quelle est la technique ou la méthode de traitement à suivre, sans tenir compte de ce que le patient veut.
M. Paul Galand. Je vous remercie d'avoir signalé que l'organisation des soins palliatifs en Belgique est une référence au niveau européen et que donc, il faut voir quelles étapes sont encore à franchir pour l'étoffer de façon à ce qu'elle réponde aux besoins. Il est peut-être utile de rappeler que la commission des Affaires sociales du Sénat examine les suites du rapport Peers et a décidé de poursuivre son travail par rapport aux besoins en soins de santé. Donc, cette problématique des soins palliatifs sera probablement reprise aussi dans le suivi du rapport Peers et dans les recommandations qui pourraient être faites par le Sénat à ce sujet.
Ma première question porte sur la formation. Dans l'état actuel, à partir de ce que vous constatez, quelles seraient les étapes encore à franchir pour que la formation du personnel soignant et médical soit d'un niveau que vous jugeriez correct par rapport au traitement de la douleur et de l'accompagnement des personnes en fin de vie ?
Ma deuxième question et je fais référence à ce qui a été dit ce matin concerne la fréquence des états dépressifs. Quelles sont les difficultés pour distinguer ce qui est état dépressif ou douleur morale et existentielle ? Quelles sont les approches, éventuellement complémentaires, permettant de faire la distinction ? Peut-être pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Ma troisième question porte sur le soutien aux familles. D'après ce qu'on entend, la souffrance des proches, des familles, est parfois extrêmement lourde. Il y a des moments de discordance de perception entre la façon dont la personne malade voit sa situation et la façon dont ses proches perçoivent cette situation et ces souffrances. Et cette discordance elle-même peut être source de souffrances supplémentaires, aussi bien pour le patient que pour la famille. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Ma dernière question a trait aux maisons de repos et aux maisons de repos et de soins. Comment se structure, à ce niveau-là, l'intervention des spécialistes en soins palliatifs ?
Mme Dominique Bouckenaere. En réponse à votre première question concernant la formation, c'est vrai qu'il y a encore énormément à faire, même si beaucoup a déjà été fait. Cela a bougé très fort, mais il faut aller beaucoup plus loin. Les médecins ont un rôle très important à jouer pour lutter contre l'acharnement thérapeutique, pour être plus à l'aise par rapport à la fin de vie.
C'est donc vraiment au niveau de l'enseignement universitaire qu'il faut inclure, dans le cursus de base des médecins, une formation palliative. Cela n'existe pas actuellement. Ma fille est en quatrième doctorat et a eu, en tout et pour tout, quatre heures de séminaire sur la fin de vie.
De nombreuses initiatives ont été prises. Il y a eu un engouement inattendu pour un projet de formation pour les médecins généralistes. Cinq cents médecins généralistes se sont inscrits à ce projet se situant dans le cadre de la SSMG. C'est une formation post-universitaire qui a fait bouger les choses.
En ce qui concerne les infirmières, il existe déjà des cursus très complets. Les infirmières ont toujours été fort en avance par rapport aux médecins en ce qui concerne l'approche palliative.
Je pense que les unités de soins palliatifs sont des lieux de formation. Nous avons constamment des stagiaires de troisième et quatrième doctorats, des infirmières, des assistants sociaux, des psychologues. Ces personnes reçoivent ainsi une formation pratique sur le terrain, c'est-à-dire qu'elles « voient » vraiment l'approche palliative même si, par la suite, elles doivent l'adapter à leur situation particulière.
Un point important est que cette formation, destinée notamment aux médecins généralistes, soit assurée par des personnes de terrain, qui ont l'habitude, qui ne donnent pas un discours idéalisant concernant les soins palliatifs mais qui sont confrontées à ces situations difficiles et qui peuvent partager cela avec d'autres médecins qui n'ont pas cette même confrontation.
En ce qui concerne les états dépressifs, j'ai entendu très récemment citer le chiffre de 40 % d'états dépressifs en fin de vie, selon le docteur D. Razavi. Je ne peux que confirmer le fait qu'il est très difficile de faire la part des choses entre un état dépressif en fin de vie et la demande du patient, parce que les symptômes physiques de l'état dépressif fatigue, anorexie sont les mêmes que ceux qui sont liés à la maladie. Dans les cas où j'ai un doute, je n'hésite pas à demander l'avis d'un psychiatre. Je pense que tout médecin devrait le faire.
Le soutien des familles est un point extrêmement important. Dans tous les soins continus, que ce soit à domicile, dans les unités ou dans les équipes mobiles, on passe énormément de temps à soutenir les familles. En fait, le patient et ses proches forment une unité de soins, et tout ce qui a une influence sur un membre du système retentit sur les autres. Comme vous le dites très bien, dans ces phases évolutives, donc dans l'évolution psychique du patient et de ses proches, il n'y a pas toujours concordance. L'un se trouve encore dans le déni alors que l'autre est beaucoup plus loin dans l'acceptation de la maladie. Notre rôle est de faire circuler la parole entre le patient, ses proches et l'équipe soignante. On y consacre énormément de temps. Cette circulation de la parole est très importante. Elle permet de mettre tout le monde à niveau. En améliorant le dialogue, elle rend la situation moins difficile à supporter.
Je connais moins bien la problématique des maisons de repos et de soins. Le projet demande une infirmière ressource par 120 lits. Cela représente donc un budget très important. Il existe un arrêté royal qui parle d'une fonction palliative obligatoire dans les maisons de repos et de soins. Il n'y a toutefois aucun budget pour cela. Il faut donc prévoir un budget valable.
Je donne des formations pour les soignants des maisons de repos et de soins. Il est épouvantable de les entendre témoigner de la situation qu'ils vivent. Ces personnes travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Elles ont chaque fois affaire à des médecins différents puisque c'est le médecin généraliste qui s'occupe du patient. Ce n'est pas toujours facile pour elles. Elles commencent néanmoins à se former en soins palliatifs. Des formations sont organisées.
M. Alain Zenner. Je vous remercie de votre intervention marquante. Je voudrais revenir sur un élément de réponse que vous apportiez tout à l'heure à Mme van Kessel au sujet de l'acharnement thérapeutique. En faisant référence à une déclaration du chef de cabinet du ministre de la Santé, vous avez dit que notre système de maladie-invalidité induisait l'acharnement thérapeutique. Vous donnez donc à entendre, si je comprends bien, que certains de vos collègues commettent des actes médicaux inutiles, c'est-à-dire des actes qui font souffrir des malades en fin de vie dans un but purement lucratif. C'est du moins ce que je déduis de vos propos. Est-ce fréquent ? Les comités éthiques au sein des hôpitaux où ils interviennent le savent-ils ? Quelle est alors leur réaction ?
Arrive-t-il, dans votre éthique de l'aide à la fin de vie, que l'on pratique la sédation contrôlée sans demande du patient ? Cela se fait-il de manière générale ou uniquement à la demande ?
Mme Dominique Bouckenaere. En ce qui concerne la première question, il y a dans le système actuel un défaut important : l'acte intellectuel n'est pas valorisé financièrement. C'est quelque chose qu'il faudrait vraiment changer. Il est difficile de définir la question de l'acharnement thérapeutique. En effet, les médecins n'agissent pas dans le but d'être néfastes vis-à-vis de leurs patients. Ils éprouvent eux-mêmes des difficultés à faire la part des choses. Ils ont une formation qui les amène à avoir cette démarche scientifique qui consiste à toujours rechercher l'étiologie de la maladie. Cette démarche est très honorable car elle permet de faire des progrès extraordinaires en médecine. Je pense cependant que la difficulté, sans condamner les médecins, est de se dire que l'on va arrêter parce que cela n'apporte plus rien de positif au patient en question. J'ai éprouvé moi-même les mêmes difficultés.
Lorsque des formations en soins continus ou en éthique auront permis aux médecins d'être plus à l'aise avec la fin de vie, les choses vont changer.
M. Alain Zenner. Vous ou le chef de cabinet donniez à entendre que des actes inutiles étaient commis dans un but intéressé. Si on dit que c'est le système de subventionnement qui provoque cet acharnement thérapeutique, cela signifie que le système induit certains médecins à poser des actes inutiles qui contribuent à prolonger inutilement l'agonie du mourant dans un but intéressé. Quelle est alors la réaction des comités éthiques face à cela ?
Mme Dominique Bouckenaere. J'ai cité une déclaration du chef de cabinet du ministre de la Santé. Cet homme mène justement toute une réflexion sur les soins palliatifs. Les comités ne sont pas touchés par cela.
M. Alain Zenner. Pardon ? Dans un hôpital, un comité d'éthique devrait tout de même se préoccuper de savoir si on fait souffrir des gens pour rien dans un but intéressé ! Je suis assez indigné par ce que j'entends. C'est peut-être dû à ma méconnaissance de certaines réalités, mais je trouve cela invraisemblable. Quel peut être le crédit de comités éthiques qu'on nous suggère de consulter obligatoirement sur des euthanasies ? À quoi servent-ils, comme le dit M. Galand, s'ils ne réagissent pas à des situations de ce genre ? Ne voyez pas de réserve à votre égard dans ce que je dis ici. Vous avez l'honnêteté de dire les choses telles qu'elles sont. Comprenez toutefois notre émotion. Quand un ensemble de vos confrères vient nous dire que nous devons rendre la consultation des comités éthiques obligatoire et que le chef de cabinet du ministre de la Santé publique déclare lui-même que des actes inutiles se commettent dans un but intéressé sans réaction de la part des comités éthiques, on se demande quelle est la pertinence de l'existence de ces comités et de leurs avis.
Mme Dominique Bouckenaere. En tout cas, M. Manu Keirse est pour un système de forfaitarisation en disant que si l'acte intellectuel était mieux valorisé, nous aurions un meilleur système de santé.
M. Alain Zenner. Pour vous, la sédation contrôlée suppose toujours une demande du patient.
Mme Dominique Bouckenaere. Absolument. C'est quelque chose dont on discute très longuement avec les patients. En aucun cas on ne le ferait sans l'avis des patients.
M. Josy Dubié. Le patient sait-il qu'au bout du compte, c'est la mort qui l'attend ?
M. Alain Zenner. Je comprends la question de mon collègue Dubié, car nous nous interrogeons sur la différence entre l'euthanasie et la sédation contrôlée. Quelle est vraiment cette différence ? N'est-ce pas simplement une question de délai dans la survenance du décès ? Un peu plus rapidement et avec moins de souffrances dans le cas de l'euthanasie, un peu plus tard avec peut-être des moments de rémission, que je comprends très bien, dans le cas de la sédation contrôlée.
M. Philippe Monfils. On parlait de différence dans l'intention. Mais en fin de compte, l'intention est la mort.
Mme Dominique Bouckenaere. Je pense que l'intention est différente. Ce que vous devez comprendre, c'est que dans le vécu de certains médecins, il y a une différence. L'intention est de soulager le patient.
M. Alain Zenner. Dans le cas de l'euthanasie également. S'il y a une différence d'intention dans le vécu de certains médecins, cela peut ne pas être le cas dans le vécu d'autres.
Mme Dominique Bouckenaere. Je suis absolument d'accord avec vous. C'est pour cette raison que j'ai dit que si certains médecins et équipes soignantes se trouvent bien en accord avec un acte d'euthanasie vécu comme transgression éthique, c'est pour moi une solution tout à fait acceptable.
Je vous parle de mon vécu très spécifique dans le cadre d'une unité de soins palliatifs où je suis confrontée continuellement à des situations extrêmes.
M. Jean-François Istasse. Dans le même ordre d'idées, vous dites que pour certains médecins, la décision d'euthanasie est une décision acceptable. Sans être moi-même juriste, j'estime qu'il faut changer le Code pénal car aujourd'hui, l'euthanasie est assimilée à un meurtre. Nous savons que d'éminents philosophes prétendent le contraire et que des « éthiciens » et des centaines de médecins demandent qu'elle ne soit plus considérée comme un meurtre. J'attire donc votre attention sur cette contradiction.
J'aurais voulu vous interroger sur un problème qui a été plusieurs fois soulevé au cours de ces auditions. Lorsqu'on parle de la véritable demande du patient, ne pensez-vous pas que c'est finalement le patient lui-même qui peut en juger ? Je sais qu'il faut probablement l'aider à voir clair en lui et lui fournir des informations. Mais qui peut juger de la véritable demande du patient, sinon le patient lui-même ? Ne pensez-vous pas qu'il y a là aussi une sérieuse contradiction ? De plus, ne pensez-vous pas qu'il faut interroger le patient au moment où il peut encore s'exprimer en toute conscience et pas lorsqu'il est déjà trop tard, entre deux sédations, par exemple ?
Mme Dominique Bouckenaere. En ce qui concerne la véritable demande du patient, on voit souvent que la demande réellement exprimée par le patient en cache une autre. Dans un tel cas, il ne serait pas opportun de poser un geste euthanasique. Si c'est la volonté déterminée et le désir profond du patient, il s'agit d'une véritable demande. C'est pour moi l'unique critère. Seul le patient peut dire qu'il veut une autre solution ou que sa qualité de vie n'est plus satisfaisante, par exemple.
M. Jean-François Istasse. Je vous remercie de votre franchise. D'autres avant vous ont affirmé qu'il n'y avait pas de véritables demandes d'euthanasie. Dans certains cas, il peut donc y avoir une vraie demande ?
Mme Dominique Bouckenaere. Bien sûr.
Mme Mia De Schamphelaere. Je remercie le docteur pour son exposé franc et témoignant de sa compétence. Nous constatons que nos invités se sont très bien préparés à ces auditions, mais aussi que les questions qui s'ensuivent sont des plus éprouvantes parce qu'elles débouchent souvent sur un interrogatoire ou un débat politique au cours duquel l'orateur est considéré comme un adversaire politique. Ce n'est bien entendu pas le but des auditions. Cela m'irrite et j'en suis un peu gênée.
M. Philippe Monfils. Madame, à partir du moment où les personnes entendues donnent leur avis politique général à propos de la position des uns et des autres, il est normal que nous discutions d'avis politiques. Ce ne serait pas le cas s'ils restaient dans leur domaine médical. Ici, tout le monde fait de la politique : les personnes auditionnées et nous-mêmes. Je ne puis donc accepter le procès d'intention que vous me faites ici.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous dites que nous devons travailler au développement des soins palliatifs, actuellement insuffisants. Le cadre requis existe déjà et nous disposons maintenant de la belle proposition de toutes les fédérations du pays. Vous vous demandez quelle est la différence entre la loi qui rend l'euthanasie possible et celle qui développe les soins palliatifs. La différence, c'est que la première peut être réalisée immédiatement alors que la seconde a besoin d'investissements et de développement. En supposant que les politiques prévoient immédiatement les moyens nécessaires, dans quels délais le plan des soins palliatifs pourra-t-il être réalisé ?
J'ai une seconde question, un peu inhabituelle. Vous avez excité notre curiosité en annonçant vouloir vous exprimer à huis clos. Vous avez raconté comment votre point de vue a changé. Vous avez aussi une opinion nette. Ressentez-vous, à cause d'elle, une pression sociale, professionnelle ou politique ? Vous n'êtes pas obligée de répondre à cette question.
Mme Dominique Bouckenaere. Quant à la nécessité de développer les soins palliatifs, je ne puis que vous répéter ce que nous ont dit les chefs de cabinet des ministères, à savoir que ce projet se ferait par étapes car il n'était pas possible de dégager immédiatement tous les moyens nécessaires. Je ne puis répondre à la question du délai d'exécution mais j'espère qu'il sera le plus bref possible.
Pour changer la culture, il me semble cependant important de constituer des équipes mobiles au sein des hôpitaux. Cela permettrait déjà de résoudre de nombreux problèmes d'acharnement thérapeutique et d'améliorer la prise en charge des patients.
Je me réserve de parler de cas cliniques à huis clos. Je tiens à dire que je n'ai subi aucune pression à ce sujet.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Je voudrais vous poser deux questions très brèves qui rejoignent d'ailleurs celles de mes collègues.
Vous avez répondu à M. Galand que vous faisiez souvent appel à un psychiatre pour faire la différence entre un état dépressif profond et un refus ferme de continuer à vivre. Le problème, c'est qu'une psychiatre que nous avons entendue nous a dit avoir elle-même énormément de difficultés à faire cette différence. C'est pour moi une question tout à fait fondamentale, surtout dans la mesure où l'on voit la demande d'euthanasie comme une sorte d'aide au suicide pour des malades qui ne se trouvent pas en phase terminale.
J'aimerais ensuite vous poser une question très précise qui rejoint celle de M. Zenner à propos de la sédation contrôlée.
La sédation contrôlée répétée conduit-elle à la mort ? Est-ce une euthanasie lente ? Ou est-ce la maladie qui tue finalement le malade, la sédation contrôlée lui évitant les souffrances ?
Mme Dominique Bouckenaere. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les problèmes de dépression sont fréquents. Lorsque nous avons un doute, nous commençons à administrer, particulièrement chez une personne qui n'est pas en fin de vie, des antidépresseurs tout en poursuivant l'accompagnement. Le traitement médical ne suffit en effet pas. Il faut donc associer les démarches médicamenteuse et relationnelle. Comme vous, je pense que c'est particulièrement important parce que la proposition de loi prévoit aussi le cas de patients incurables mais qui ne sont pas en phase terminale. C'est très important, dans ce cas, d'envisager ce diagnostic.
À partir du moment où le patient demande que la sédation contrôlée soit continue, je pense je vais être franche avec vous que cela peut abréger son existence, non à cause des médicaments mais parce qu'il n'est plus hydraté. En ce qui me concerne, je n'y ai eu recours que dans des situations vraiment terminales, lorsque les patients n'en avaient plus pour longtemps à vivre. Mais je pense que cette sédation a son influence, même si les patients meurent parce qu'ils ont un cancer ou une maladie incurable. Leur vie est abrégée par le fait qu'ils sont alités en permanence et qu'ils ne sont pas hydratés. Il existe par contre d'autres situations en soins palliatifs. Je ne parle plus de sédation. J'ai entendu une audition durant laquelle il a été dit que les soins palliatifs abrègent la vie des patients. Là, je suis un peu perplexe parce que je constate qu'au contraire, dans certaines situations, l'existence des patients, mieux soulagés et encadrés, s'alimentant et dormant mieux, ayant un comportement plus adéquat, est prolongée. Mais cela déborde de votre question sur la sédation contrôlée.
M. Louis Siquet. Vous avez parlé à plusieurs reprises de soins continus au niveau médical. Pensez-vous que le passage des soins curatifs aux soins d'autonomie puis aux soins palliatifs, peut s'effectuer automatiquement au sein d'une même équipe ? Ou doit-on recourir à plusieurs équipes ? On a souvent parlé des soins d'autonomie. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre soins d'autonomie au niveau médical et soins palliatifs ?
Mme Dominique Bouckenaere. En fait, si nous parlons actuellement plus de soins continus que de soins palliatifs, c'est parce que nous voulons éviter une vision qui ne correspond pas à la réalité. Selon cette vision, l'évolution de la santé d'un patient serait constituée de deux phases : une phase curative durant laquelle on ferait tout pour la santé et la vie du patient mais sans se soucier du soulagement de la douleur et de la relation, et une phase palliative où on ferait tout le contraire, à savoir mettre l'accent sur le soulagement et la sédation mais sans se préoccuper de la vie du patient. En fait, il existe une intrication des deux. Nous travaillons donc dans une optique de soins continus. Cela peut-il être fait par la même équipe ? Si elle en est capable, pourquoi pas ? C'est vers ça que nous devons tendre.
M. Louis Siquet. Pour les patients à domicile ?
Mme Dominique Bouckenaere. Les patients à domicile sont suivis par leur médecin généraliste. Puisque je travaille dans un service de soins continus à domicile, je peux vous dire que je ne me rends jamais au domicile du patient. Il est suivi par son médecin. Moi, j'agis en tant que personne-ressource. Si le médecin ou les infirmières ont besoin de renseignements spécifiques sur le contrôle de la douleur, je peux les leur fournir.
Actuellement, étant donné que beaucoup de médecins appliquant les soins curatifs n'ont pas encore cette expérience dans le contrôle de la douleur et des autres symptômes, ils font facilement appel à une équipe mobile de soins palliatifs qui vient leur donner un coup de main pour un problème précis comme, par exemple, le contrôle de la douleur. De même, il pourrait être intéressant de transférer un patient dans une unité de soins palliatifs, s'il le désire et si la situation est difficile à contrôler. Toutes ces solutions peuvent être valables. Il faut s'adapter.
M. Jan Remans. Monsieur le Président, je me joins à mes collègues qui ont indiqué à quel point ils estimaient la compétence médicale du témoin.
Je voudrais cependant attirer son attention sur deux limitations scientifiques. La première concerne le traitement statistique des données. Seulement 0,5 % des patients qui font appel aux soins palliatifs demanderaient aussi l'euthanasie. Ces 0,5 % de 600 patients sont à comparer aux 2,7 % de milliers d'autres patients. Ce rapport ne peut donc pas être tout simplement ramené à 1 %.
En outre, c'est comme si ces gens avaient déjà choisi une porte. Si les statistiques sur la vente des portes en métal sont basées sur les chiffres de vente des ébénistes, elles risquent d'être faussées. Celui qui choisit un spécialiste choisit aussi un traitement. Un patient qui souffre de calculs biliaires et qui s'adresse à un spécialiste en maladies internes, reçoit des médicaments. S'il va d'abord chez le chirurgien, il est opéré.
En second lieu, Mme Bouckenaere, seriez-vous d'accord, après la discussion que nous avons eue depuis le début de cette séance, pour rejeter la phrase « Si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée » ? De divers côtés, vous avez pu apprendre que notre intention n'est pas de dépénaliser ce qui ne fonctionne pas correctement. Nous voulons juste marquer la différence en développant l'euthanasie tout en appliquant les mesures de précaution que nous souhaitons maintenant. Vous avez participé à la discussion juridique et vous avez compris tout comme nous que des limitations juridiques continueront à exister. Pouvez-vous alors approuver le rejet que je propose ?
Mme Dominique Bouckenaere. En ce qui concerne les chiffres, je suis d'accord avec vous pour dire qu'ils sont très discordants d'une unité de soins palliatifs à l'autre. Nous avons travaillé avec les moyens du bord. Nous devons faire des études plus scientifiques que celles qui existent actuellement.
Pour tirer des conclusions valables, il faudrait un nombre important de cas et, surtout, utiliser les mêmes critères d'évaluation de la demande d'euthanasie : à partir de quand est-elle reconnue, comment est-elle interprétée, combien de fois le patient doit-il la répéter pour qu'elle soit considérée comme vraie demande ?
Je crois donc qu'il serait intéressant de disposer d'études multricentriques et de se mettre d'accord entre unités de soins palliatifs sur des outils communs d'évaluation pour pouvoir donner des chiffres plus précis.
Vous avez posé la question du choix. Je ne suis pas persuadée que les gens qui vont dans les unités de soins palliatifs se disent qu'ils n'auront jamais d'euthanasie, bien au contraire; il y a parfois une confusion entre soins palliatifs et euthanasie. Certains patients sont persuadés que, dans une unité de soins palliatifs, ils auront l'euthanasie.
N'étant pas juriste, je ne peux que vous dire que je ne veux pas que l'euthanasie devienne la première solution à laquelle on fait référence lorsqu'il y a une souffrance physique ou morale; or, c'est déjà à cela que les gens pensent ces derniers temps. Ma pratique me montre qu'il y a suffisamment d'expertise à avoir et qu'on peut, dans la plupart des cas, donner un autre type de réponse qui satisfait tout à fait ces patients et qui ne leur procure pas la mort. Je pense donc qu'il faut être sûr d'avoir mis ces moyens en oeuvre, ce qui n'est pas encore le cas actuellement. Mon souci est de recourir à l'euthanasie uniquement en cas d'échec d'une pratique dite actuellement « palliative », « spécifique », etc., mais qui devrait faire partie de la pratique de tout médecin.
M. Jan Remans. Actuellement, la charge psychique est devenue insupportable pour les infirmiers et les soignants dans les maison pour personnes âgées et les centres palliatifs. Ils ont peur que quelqu'un meure dans leur service parce que l'on n'a pas suffisamment attiré l'attention sur le fait que la demande d'euthanasie peut émaner du patient, et sur l'autonomie du médecin qui peut ou non réagir à cette demande. Comme ce message n'est pas transmis, nous entendons des déclarations telles que « si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée ». Le fait que la demande doit émaner du patient et que le docteur décide en toute autonomie si l'on doit pratiquer l'euthanasie constitue le plus grand frein à toute mort et à tout meurtre.
Mme Dominique Bouckenaere. Je connais votre proposition de loi. Il y est prévu que cela se fasse uniquement à la demande du patient et que le médecin a son libre choix. Dans le grand public, le message qui passe actuellement, c'est que l'euthanasie est permise. Ils n'envisagent parfois pas le fait qu'il n'est question que d'une proposition de loi.
Par rapport à la situation hollandaise connue depuis longtemps, j'ai été frappée par le fait que, pour les patients et les familles, seul compte le fait de savoir si l'euthanasie est permise ou non. On fait massivement abstraction de toutes les restrictions imposées par la loi. L'euthanasie est soumise à des conditions très précises lorsque le patient en fait la demande, et non lorsque la famille la demande. Le public a tendance à ne pas considérer ces choses. Ce sont aussi des questions très émotionnelles. Nos jugements sont un peu faussés.
Mme la présidente. Nous allons à présent passer à huis clos.
M. le président. J'ai l'honneur de vous présenter le docteur Ingels, qui travaille au service d'oto-rhino-laryngologie de l'Academisch ziekenhuis de Nimègue, aux Pays-Bas. Il nous informera au sujet des pratiques en matière d'euthanasie aux Pays-Bas.
M. Koen Ingels. Je me sens flamand de tout mon être. J'ai fait mes études à Gand. Après une spécialisation aux Pays-Bas, j'ai été membre pendant six ans de l'Academisch ziekenhuis à Gand. Il y a quatre ans, je suis retourné aux Pays-Bas. J'ai donc vécu de près le système néerlandais en matière d'euthanasie et j'ai également accompagné différents patients en fin de vie, en Belgique. Certains parmi vous se demandent sans doute si un oto-rhino-laryngologiste s'occupe de pathologies à ce point graves. Il faut savoir que les voies respiratoires supérieures peuvent présenter des tumeurs malignes. J'ai donc acquis une certaine expérience en la matière. Depuis quatre ans, je travaille à nouveau aux Pays-Bas. Cela n'a aucun rapport avec mon intérêt pour la fin de vie ni avec le fait que l'euthanasie y soit ou non autorisée. D'autres raisons sont à la base de ma décision.
J'ai intitulé mon exposé « Décisions médicales relatives à la fin de vie aux Pays-Bas » mais je vous communiquerai aussi quelques chiffres concernant la Flandre.
Chacun sait surtout dans le monde médical qu'il est difficile de maintenir l'attention pendant plus d'une demi-heure après une longue journée de travail. Je commencerai donc par formuler mes conclusions et, ensuite, je les commenterai une à une.
Les décisions relatives à la fin de vie, parmi lesquelles l'administration de produits létaux, sont au moins aussi fréquentes en Belgique qu'aux Pays-Bas. Cependant, la concertation au sein de l'équipe soignante et la concertation avec le patient sont moins bonnes en Belgique. De plus, dans notre pays, on intervient plus souvent qu'aux Pays-Bas en vue de mettre fin à la vie, sans que le patient en ait fait la demande. Il en ressort que les critères de prudence, tels que formulés aux Pays-Bas, sont moins respectés en Belgique. Quand on en sera arrivé à l'une ou l'autre forme de législation en Belgique, qu'il s'agisse d'une légalisation ou d'une dépénalisation, il faudra accorder une importance primordiale au contrôle.
Aux Pays-Bas, une jurisprudence existe déjà depuis 1973, époque à laquelle deux médecins, les époux Postma, ont pratiqué l'euthanasie sur la mère démente de Mme Postma. Le ministère public de la Frise a jugé Mme Postma coupable mais ne l'a condamnée qu'à une faible peine, ce qui montre que le tribunal a fait preuve de compréhension pour la situation. Vers 1985, la Koninklijke Nederlandse Maatschappij ter Bevordering van de Geneeskunst comparable à l'Ordre des médecins en Belgique a rédigé, en collaboration avec la Justice, une liste de critères de prudence jugés nécessaires pour arriver à un processus visant à mettre fin à la vie qui soit responsable. Il était donc possible de mettre délibérément fin à la vie d'un patient à condition de respecter des critères déterminés et d'informer le Procureur. À l'époque, il n'y avait pas encore de législation.
Dès l'instant où suffisamment d'expérience fut acquise concernant ces critères de prudence, le monde politique jugea que le moment était venu de prévoir une législation. Dans l'accord de gouvernement conclu en 1989 entre le CDA et le PvdA, il fut décidé de créer une commission chargée d'étudier la question de manière approfondie, les résultats des travaux de cette commission devant servir de base à une éventuelle législation.
Ce rapport fut publié en 1991 sous la dénomination Rapport Remmelink, nom du président de la commission concernée. Ce document contient quantité de données chiffrées et une foule d'informations qui furent rassemblées avec grand soin et peuvent donc être considérées comme très fiables. Toutes les publications qui en ont résulté ont fait la une de nombreuses revues dans le monde, ce qui prouve aussi le sérieux de cette étude qui fut effectuée par l'Instituut voor Maatschappelijke Gezondheidszorg, sous la direction du professeur Van der Maas, de Rotterdam.
Par la suite, en 1993, une législation a permis le processus visant à mettre fin à la vie, moyennant le respect de conditions déterminées. L'euthanasie était donc maintenue dans le Code pénal mais était autorisée à certaines conditions. L'accord de gouvernement de 1989 et la législation de 1993 prévoyaient déjà qu'une évaluation devrait être faite un certain nombre d'années après l'instauration de la législation, afin de contrôler le comportement des médecins après l'entrée en vigueur de la législation.
Les mêmes chercheurs ont alors étudié de manière identique les cas de décès et ont présenté, en 1995, un nouveau rapport analysant les mêmes données qu'en 1991. Cette façon de procéder a permis de vérifier si le nombre d'actes visant à mettre fin à la vie était en augmentation ou en diminution. À son tour, ce rapport a mené à la création d'une commission de contrôle, dont étaient membres un médecin, un juriste et un éthicien, chargés de vérifier si les médecins faisaient suffisamment de déclarations, s'ils communiquaient bien les actes pratiqués aux instances officielles et s'ils agissaient bien conformément aux critères de prudence exigés. L'euthanasie figure toujours dans le code pénal. Le fonctionnement de ces commissions de contrôle est actuellement à nouveau évalué aux Pays-Bas et nous réfléchissons sérieusement à la question de savoir si, finalement, l'euthanasie peut et doit être retirée du Code pénal.
Les chiffres du rapport Remmelink vous passionneront sans aucun doute mais, auparavant, il faut préciser clairement quelques définitions. Ce rapport est intitulé « Décisions médicales relatives à la fin de vie ». Il s'agit de toutes les décisions des médecins au sujet d'actes qui ont pour but d'accélérer la fin de vie du patient ou pour lesquels, à tout le moins, le médecin tient compte de la probabilité que la fin de vie pourrait être accélérée. Il ne s'agit donc non seulement de l'administration d'un produit entraînant la mort, mais aussi de tous les actes pouvant éventuellement contribuer à accélérer le décès.
Ce rapport a subdivisé l'étude en trois parties. Le but était d'analyser chaque fois les mêmes données dans chacune de ces trois parties et, dans la mesure où les données correspondaient entre elles dans ces subdivisions, d'obtenir une évaluation de leur fiabilité. La collecte des données dans chacune des parties peut être faite séparément, mais leur fiabilité est d'autant plus grande qu'elles concordent entre elles.
La première partie consiste en l'interview de 400 médecins par des interviewers entraînés, sur la base d'un questionnaire standard. La deuxième partie, la plus importante, porte sur un échantillon de 8 500 cas de décès provenant du registre du Bureau central de statistique des Pays-Bas, le questionnaire étant envoyé au médecin traitant des personnes décédées. On n'a évidemment pris en considération que les cas de décès pour lesquels une décision médicale concernant la fin de vie était possible. Pour les accidents de la circulation ou des crises cardiaques soudaines entraînant le décès, par exemple, il n'est bien entendu pas question d'une décision médicale, en raison du manque de temps. Ces cas n'entraient donc pas en ligne de compte.
Quant à la troisième partie, il s'agit d'une enquête prospective menée chez les médecins interviewés dans le cadre de la première partie. Les personnes familiarisées avec les enquêtes savent qu'une enquête rétrospective est toujours un peu moins fiable qu'une enquête prospective. Quand un médecin passe en revue ce qu'il a fait, les choses sont toujours un peu déformées par ses propres souvenirs. Une enquête portant sur ce qui doit se produire à l'avenir est toujours plus fiable. On a demandé aux médecins s'ils étaient disposés à collaborer en fournissant des données à l'occasion du décès d'un patient qui surviendrait au cours des six prochains mois. Il est frappant de constater que 90 % des médecins interviewés étaient d'accord. Aux Pays-Bas, la volonté de collaborer à de telles enquêtes est fortement présente, ce qui renforce leur crédibilité.
On s'est concentré sur quatre question importantes. Que fait le médecin ? Quelles sont ses intentions lorsqu'il pratique un acte ? Celles-ci peuvent en effet faire la différence. Le patient en a-t-il fait lui même la demande ? Cet aspect est très important. Au moment de l'acte, le patient était-il en état de faire part de son opinion ? Il se pourrait qu'une personne ayant signalé des mois auparavant que, dans des circonstances précises, elle voulait qu'on pratique un acte déterminé, se trouve dans le coma le moment venu et ne puisse donc plus faire connaître son opinion.
J'en reviens à la question des intentions. Les médecins peuvent agir dans le but délibéré d'accélérer la fin de vie. Ils peuvent aussi prescrire des sédatifs ou de la morphine qui soulagent la douleur mais qui ont aussi pour effet d'accélérer la fin de vie. Cet effet peut aussi être le but recherché. Il s'agit donc ici d'une grande zone d'ombre, parce qu'on n'est jamais certain des intentions du médecin. En fin de compte, il est possible aussi que des analgésiques soient administrés sans aucune intention d'accélérer la fin de vie, tout en sachant que cela peut arriver. Il faut donc distinguer trois nuances. La commission Remmelink a étudié cela de manière approfondie.
Je parle continuellement de décisions relatives à la fin de vie. Quelles sont-elles ? Je suppose que vous êtes bien informés, mais je souhaite quand même les évoquer. Les décisions médicales relatives à la fin de vie sont toujours une combinaison d'un acte et d'une intention sous-jacente, intention à trois gradations dont je viens de parler.
Une décision médicale peut consister à ne pas entamer ou à suspendre le traitement, l'intention d'accélérer le décès pouvant être soit intentionnelle, soit totalement absente, soit partiellement présente.
La lutte contre la douleur et les symptômes constitue une deuxième forme de décision relative à la fin de vie, cette lutte pouvant être intensifiée avec ou sans intention de mettre fin à la vie.
Une troisième décision médicale relative à la fin de vie consiste en la prescription, la fourniture ou l'administration de substances dans le but précis d'accélérer le décès du patient. La discussion éthique est centrée sur ce dernier point parce que le fait de ne pas entamer un traitement ainsi que l'intensification de la lutte contre la douleur et les symptômes font véritablement partie d'un traitement médical responsable. Je suis prêt à jurer que, dans le monde médical occidental moderne, il n'y a plus, à proprement parler, de médecins partisans inconditionnels de l'acharnement thérapeutique. D'ailleurs, le Code de déontologie médicale juge un tel acharnement inadmissible. Le problème est la prescription, la fourniture ou l'administration de substances.
Quand un médecin prescrit ou fournit une substance mais ne l'administre pas, on parle d'assistance au suicide. Sur le plan éthique, le fait d'administrer soi-même le médicament au patient ou de laisser celui-ci l'absorber ne constitue peut-être pas une grande différence, mais sur le plan psychologique, l'initiative est davantage celle du patient lorsqu'on parle d'assistance au suicide. D'ou la distinction. Reste alors l'intervention visant à mettre fin à la vie en l'absence d'une telle demande. Il est intéressant de savoir pourquoi certains médecins agissent de manière à mettre fin à la vie alors que le patient ne l'a pas demandé.
La définition de l'euthanasie est très importante : il s'agit d'un acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Aux Pays-Bas, à vrai dire, cet acte est toujours pratiqué par un médecin, mais cela ne figure pas dans la définition et la demande doit émaner du patient. Si le patient lui-même ne fait pas cette demande, nous ne parlons pas d'euthanasie mais d'un acte mettant fin à la vie en l'absence de demande.
En 1990, 8 500 cas de décès furent étudiés. Les chiffres furent divulgués en 1991. Aux Pays-Bas, en 1990, il y a eu euthanasie dans 1,7 % du nombre total de décès, ce qui représente environ 2 300 cas. Il y a eu assistance au suicide dans 0,2 % des cas, ce qui est nettement moins mais représente quand même 400 cas cette année-là.
On a toutefois été effrayés d'apprendre qu'il y avait 0,8% d'actes mettant fin à la vie en l'absence de demande. En 1990, 1 000 patients sont décédés aux Pays-Bas à la suite de l'intervention d'un médecin alors qu'il n'y avait pas de demande. Dans quelles circonstances cela se passe-t-il ? En réalité, la demande ne pouvait plus être formulée. On n'imagine pas un médecin, muni d'une seringue, se glisser en cachette dans la chambre d'un patient âgé pour y procéder à l'injection. Il s'agit de patients gravement malades, avec lesquels la concertation n'est plus possible, et pour lesquels on a quand même décidé de mettre fin à la vie. Cela constituait une source de préoccupation aux Pays-Bas et on y a donc accordé de l'attention.
Le fait d'arrêter un traitement ou de ne pas le commencer s'est produit dans 17,9 % des cas et l'intensification de la lutte contre la douleur et les symptômes est présente dans 18,8 % des cas. Au total, une décision médicale a été prise dans presque 40 % du total des cas de décès. Il est donc très fréquent que les médecins prennent de telles décisions.
Je souhaite parler plus longuement de l'intention des médecins dans les deux dernières formes de décisions médicales. Nous considérons celle-ci comme des actes médicalement justifiés. Aux Pays-Bas et en Belgique, tous les groupes d'intérêts les considèrent comme admissibles et peu de gens s'y opposent. On s'aperçoit cependant que dans 3,8 % des décès survenus à l'occasion d'une intensification de la lutte contre la douleur et les symptômes, il y avait intention d'accélérer la fin de vie. On peut considérer que le renforcement de la médication n'est pas très important sur le plan éthique mais il n'en demeure pas moins que le chiffre de 3,8 % de cas où l'on agit avec l'intention de mettre fin à la vie, est loin d'être négligeable et doit être considéré à la lumière des 1,8 % de cas d'euthanasie.
Les médecins peuvent facilement invoquer la lutte contre la douleur, car il n'est pas nécessaire d'appeler cet acte euthanasie. Il ne s'agit en effet pas d'administrer intentionnellement un produit mettant fin à la vie mais un médicament pour soulager la douleur, bien que l'intention de mettre fin à la vie soit présente elle aussi, à l'arrière-plan.
Les caractéristiques du patient, la maladie dont il est atteint, nous fournissent des informations intéressantes. Dans presque 70 % des cas, il s'agissait de patients gravement malades, atteints d'un cancer, d'affection malignes, sans chance de guérison. L'euthanasie est pratiquée aussi dans le cas d'autres affections, mais significativement moins.
Quelle proportion représentent les 2 300 cas d'euthanasie par rapport au nombre total de demandes ? Ce chiffre nous permet d'entrevoir dans quelle mesure les médecins accèdent à la demande, dans quelle mesure ils sont disposés à faire ce que le patient demande. Les demandes étaient nombreuses 25 100 mais les médecins néerlandais sont très consciencieux et vérifient d'abord, sur la base des critères de prudence, s'il n'y a pas d'autre alternative, si le traitement de la douleur est suffisant, s'il n'existe pas de dépression cachée.
C'est seulement après avoir contrôlé tout cela que l'on procède à l'euthanasie. Cela signifie que dans plus de 20 000 cas, on a réussi à dissuader le patient d'exprimer cette demande. Il ne faut pas penser qu'aux Pays-Bas, on euthanasie avec plaisir. Au contraire, on tente par tous les moyens d'éviter au patient d'en arriver là. On ne répond par toujours aux demandes, même quand elles sont explicites. Seulement dans un cas sur trois, on a finalement pratiqué l'euthanasie. Les médecins ne sont pas facilement disposés à faire ce pas. Quand à savoir si l'on fait preuve de suffisamment de respect à l'égard du patient, la question reste posée. Je tiens simplement à souligner que les médecins sont très prudents en matière d'euthanasie.
La douleur est certes une motivation importante pour l'euthanasie, mais la lutte contre la douleur seule n'est pas suffisante pour dissuader les patients de faire la demande. D'autres raisons, au moins aussi importantes, peuvent inciter à demander l'euthanasie, à savoir le sentiment d'humiliation et la crainte de ne pas pouvoir mourir dans la dignité. Afin d'éviter d'en arriver à cette extrémité, certains patients demandent à en finir. Dans 80 % des cas, il s'agit de patients gravement malades et atteints d'une affection maligne. De plus, il savent que la douleur augmentera encore et qu'ils vont vers une fin humiliante.
Combattre la douleur ne suffit donc pas. Des mesures doivent être prises pour éviter au patient une fin de vie humiliante et indigne. J'ignore quelles sont ces mesures mais les soins palliatifs n'apportent pas de solution satisfaisante à cet égard. Je suis un grand partisan des soins palliatifs et je souligne que l'euthanasie doit faire partie d'un bon traitement palliatif. L'euthanasie ne peut être pratiquée qu'au terme d'un processus palliatif poussé. Je répète que les soins palliatifs seuls ne sont pas suffisants et ne permettent pas d'éliminer toutes les demandes d'euthanasie.
Dans quelle phase de l'évolution de la maladie se trouvaient les patients qui ont demandé l'euthanasie ? Combien de temps leur restait-il à vivre ? Près de 70 % des 2 300 cas seraient décédés dans le mois. Aux Pays-Bas, les médecins ne décident de pratiquer l'euthanasie que s'il n'y a vraiment plus d'autre alternative et quand les patients ont atteint la phase terminale de leur maladie. La plupart des patients étaient mourants.
L'étude de Remmelink aborde également les critères de prudence. Elle a démontré qu'aux Pays-Bas, les médecins étaient bien au courant de ces critères et qu'ils essayaient de s'y tenir. Cela signifie que le patient faisait librement le choix de l'euthanasie, que sa demande était mûrement réfléchie et son souhait persistant. La concertation au sein de l'équipe soignante est considérée comme un critère de prudence important et l'on préfère associer la famille du patient à la décision, sauf quand le malade émet clairement des objection à ce propos.
Aux Pays-Bas, il y a 1 000 cas à problèmes où le patient n'avait pas exprimé de demande. L'étude Remmelink mentionne les circonstances dans lesquelles il a quand même été décidé de pratiquer l'euthanasie.
Tous les médecins ont déclaré que la concertation n'était plus possible. L'acte visant à mettre fin à la vie n'a été pratiqué que lorsque le patient était dans l'incapacité de faire connaître sa volonté. Un quart de ces patients n'avaient jamais fait part de leur souhait. Un médecin ne prend quasiment jamais de décision sans concertation avec des tiers au sujet d'un patient qui ne peut plus exprimer sa volonté mais pour lequel la vie est devenue insupportable. 70 % d'entre eux se concertent avec des collègues et 80 % avec les infirmiers, une profession dont il faut tenir compte. Dans un grand nombre de cas, la famille a également été consultée. Les cas ayant donné lieu à un acte mettant fin à la vie sans demande ont été abordés avec la plus grande circonspection. La décision a été prise parce qu'il n'y avait pas d'autre alternative et parce que la vie du patient allait prochainement arriver à son terme, à cause de la maladie. Dans ces cas, les médecins ont estimé que faire traîner les choses en longueur n'avait pas de sens et qu'il était temps de mettre fin à la vie.
Les conclusions de la commission Remmelink peuvent être résumées comme suit. Des décisions médicales relatives à la fin de vie sont fréquentes, elles font partie des traitements médicaux dans la pratique courante et concernent 40% des décès. Aux Pays-Bas, ces décisions sont prises de manière responsable. Les médecins pratiquent la concertation, respectent les critères de prudence et agissent, si possible, à la demande du patient. Quand le patient ne peut faire connaître son souhait, on agit avec la plus grande circonspection.
Il est intéressant de comparer les chiffres de la commission Remmelink aux chiffres tels qu'ils se présentent cinq années plus tard, après que la législation ait rendu l'euthanasie possible, moyennant certaines conditions. La commission Remmelink avait prévu un accroissement du nombre de cas d'euthanasie. Une loi garantit en effet davantage de sécurité aux médecins. Il était donc clair que le nombre de déclarations augmenterait. De plus, il faut tenir compte du vieillissement de la population et du fait qu'un plus grand nombre de personnes décèdent d'affection malignes. On a effectivement pu constater qu'aux Pays-Bas, le nombre annuel de cas d'euthanasie est passé de 2 300 à 3 200, soit de 1,7 % à 2,4 %. Le nombre de cas d'assistance au suicide est demeuré inchangé et le nombre d'actes d'euthanasie non demandés est même en légère régression.
En résumé, cinq ans après le vote de la loi, les glissements sont peu importants et le comportement des médecins en matière d'euthanasie n'a pas subi de grands changements. Voilà qui réfute l'argument selon lequel il suffit d'entrouvrir la porte, pour que le nombre de cas d'euthanasie augmente. Le délai de cinq ans est sans doute un peu court mais, entre-temps, cinq années supplémentaires se sont écoulées sans qu'on n'observe aux Pays-Bas une augmentation spectaculaire du nombre de cas d'euthanasie. La législation ne constitue donc pas une incitation à mettre fin à la vie des patients.
Les médecins déclarent-ils les cas d'euthanasie ? En 1990, cette question préoccupait la commission Remmelink. Des études anonymes, des enquêtes, des analyses de cas de décès et des interviews ont montré que si les cas d'euthanasie étaient fréquents, les médecins n'étaient toutefois disposés à en faire la déclaration que dans 18 % des cas, parce qu'ils craignaient malgré tout des poursuites et parce qu'ils ne voulaient pas faire souffrir inutilement la famille en ouvrant de tels dossiers. Depuis que la législation existe, le nombre de déclarations a fortement augmenté, atteignant 41 %, ce qui demeure toutefois inférieur à la moitié. En effet, aux Pays-Bas, l'euthanasie figure toujours dans le Code pénal et l'on ne peut la pratiquer qu'en respectant les critères de prudence ou en répondant à des conditions déterminées. Aux Pays-Bas, on souhaite évidemment accroître le nombre de déclarations. Si les faits sont transparents et totalement acceptables, il n'y a évidemment aucune raison de craindre les effets d'une telle déclaration, au contraire. Quand les faits sont connus, il est plus aisé d'en tirer des conclusions, de gouverner et de définir une politique. Grâce à la législation, le pourcentage des déclarations a déjà nettement augmenté mais ils devrait encore s'accroître.
Je voudrais poursuivre quelques instants à huis clos. En effet, je compte citer certains chiffres qui devraient rester secrets, comme j'en ai fait la promesse à la personne qui me les a communiqués.
M. le président. Je demande aux journalistes encore présents de bien vouloir quitter la salle, le professeur ayant promis de ne pas révéler certains chiffres en séance publique.
M. Koen Ingels. Ces deux petites études conclurent que l'euthanasie se pratique en Flandre et en Belgique mais qu'on n'en discute pas de manière adéquate, voire pas du tout avec le patient. Cette situation n'est satisfaisante ni pour le médecin ni pour le patient.
Nous avons alors réuni un certain nombre de chercheurs et formé le projet de réaliser en Flandre une large étude au sujet des cas de décès et des décisions médicales relatives à la fin de vie. À cet effet, nous avons obtenu des subsides du Fonds national pour la recherche scientifique. Nous avons engagé un coordinateur, M. L. Deliens, qui a réalisé, sur la base d'une enquête ayant bénéficié de l'appui de l'Ordre des médecins et de la collaboration de l'instance chargée de la tenue des registres de décès, une étude aussi fiable que celle effectuée aux Pays-Bas. Elle est d'autant plus passionnante que nous nous sommes inspirés de la structure de l'étude néerlandaise, dont nous avons repris de nombreuses questions, et que les résultats peuvent donc être comparés.
Nous voulions réaliser cette étude de manière sérieuse. C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord mené une enquête pilote à Hasselt, afin de nous rendre compte des réactions provoquées par le questionnaire. S'agissant d'un questionnaire néerlandais, nous voulions savoir comment les médecins l'interpréteraient. De plus, au moyen de certaines questions, nous voulions mettre en évidence la situation spécifique en Flandre. Nous voulions donc d'abord tester le questionnaire. Pour ce faire, nous avons obtenu la collaboration de l'administration communale ainsi que des médecins et des hôpitaux locaux. Je puis vous communiquer les résultats de cette enquête pilote mais pas ceux de l'enquête globale. Nous disposons des résultats de cette dernière mais ceux-ci ont été proposés à une importante revue médicale. Ces revues refusent toute divulgation de chiffres avant qu'elles ne les aient publiés. En tant que scientifiques, nous considérons qu'il est important que nos chiffres soient publiés dans de telles revues. Aussi suis-je dans l'obligation de vous en priver provisoirement. Vous pourrez en disposer dans quelques semaines, après leur publication.
Par contre, je suis en mesure de vous communiquer les chiffres de l'enquête pilote. À Hasselt, 489 médecins ont été priés de compléter le questionnaire concernant le cas de décès. Nous avons reçu une réponse pour 269 cas. Le taux de réponse était donc assez bon. Quant à l'enquête principale, elle porte sur 2 000 cas de décès et sera donc beaucoup plus fiable.
Je parcours rapidement les chiffres relatifs à une même décision médicale concernant la fin de vie, exprimés en pourcentage du nombre total de cas de décès. Pour la première catégorie l'arrêt ou le fait de ne pas entamer un traitement ainsi que l'intensification de la lutte contre la douleur et les symptômes les chiffres sont comparables à ceux des Pays-Bas.
Nous passons immédiatement à la forme d'interruption de la vie qui nous intéresse sur le plan éthique, à savoir l'euthanasie. À Hasselt, l'euthanasie a été pratiquée dans 1,1 % des cas de décès contre 1,7 % aux Pays-Bas. L'assistance au suicide se situe à 0,7 % dans les deux pays tandis que les actes mettant fin à la vie en l'absence de demande atteignent le taux de 3 % à Hasselt, ce qui est sensiblement plus élevé qu'aux Pays-Bas. Ce que les Néerlandais redoutaient est devenu une pénible réalité. Pour la ville relativement petite d'Hasselt, en chiffres absolus, il s'agit quand même de 13 cas sur 269. Il y a donc des cas d'euthanasie à Hasselt mais les actes visant à mettre fin à la vie à l'insu du patient y sont encore plus nombreux. Il est également frappant de constater que l'euthanasie n'est pas toujours pratiquée par le médecin, tant s'en faut, puisque dans la moitié des cas, l'euthanasie a été pratiquée par le personnel infirmier sur ordre du médecin.
Pour les 3 % de cas d'acte mettant fin à la vie en l'absence de demande, nous avons également demandé si la concertation était encore possible. Aux Pays-Bas, 100 % ont répondu que ce n'était pas le cas alors qu'à Hasselt, 23 % disent que la concertation était encore possible. Malgré cela, la concertation n'a pas eu lieu et les médecins ont décidé de leur propre chef qu'ils pouvaient raccourcir cette vie. Une telle décision est non seulement au plus haut point sujette à caution mais elle est aussi difficile à prendre par les médecins. Je n'émet ici aucun jugement quant au fait que ces médecins aient agi dans le respect des règles éthiques ou non, je me contente de constater. En fait, ce n'est pas vraiment surprenant. Dans notre culture médicale, il est souvent assez malaisé de discuter du diagnostic, et c'était assurément aussi le cas il y a dix ans.
Personnellement, je trouve que c'est un exemple flagrant de la manière dont il ne faut pas traiter les patients, probablement parce que je suis habitué à la manière de faire aux Pays-Bas et aussi parce qu'en Belgique, je continue à entretenir des relations ouvertes avec mes patients. Je leur ai toujours demandé s'ils voulaient aussi avoir connaissance d'un éventuel pronostic défavorable et s'ils voulaient être informés de tout ce que nous pourrions découvrir en tant que médecins. Jamais le patient ne m'a dit qu'il voulait rester dans l'ignorance. Si le code de déontologie précise qu'en principe, un pronostic peut être communiqué, l'Ordre des médecins estime malheureusement qu'un mauvais pronostic peut être à juste titre dissimulé au patient et qu'un pronostic funeste ne doit être communiqué au patient qu'exceptionnellement et avec la plus grande prudence. Cela explique en partie pourquoi certains médecins agissent de manière à mettre fin à la vie du patient sans que cela ne leur ait été demandé. Une fois dépassé le stade où il était encore possible de parler avec le patient, on en arrive à des situations où la vie devient insupportable pour ce dernier.
Je voudrais encore faire quelques comparaisons. Au total, les décisions médicales relatives à la fin de vie font l'objet d'une concertation dans 36 % des cas aux Pays-Bas tandis qu'à Hasselt, ce chiffre est seulement de 26 %. Le fait qu'il y ait si peu de concertation a plusieurs causes : la concertation ne fait pas partie de la culture médicale, l'Ordre des médecins n'en impose pas l'obligation, sans oublier que l'acte lui-même est illégal. C'est pour ces raisons, que les médecins ne font pas volontiers part de leur décision à un collègue.
Je terminé par un bref rappel des conclusions les plus importantes de l'étude, conclusions que j'ai tenté d'étayer dans mon exposé.
Les décisions relatives à la fin de vie, parmi lesquelles l'euthanasie et l'administration intentionnelle de substances à cet effet, sont au moins aussi fréquentes à Hasselt qu'aux Pays-Bas. En Belgique, les médecins ont moins recours à la concertation, que ce soit avec les patients ou avec leurs confrères. De ce fait, les critères de prudence ne sont pas bien respectés. Le contrôle a toutefois énormément d'importance. Les Néerlandais excellent en la matière : ils proposent une législation, la mettent en application et ensuite, il vérifient si celle-ci produit des effets et lesquels. Cela me paraît être la seule manière de réaliser une étude valable et d'aboutir à une bonne législation.
M. le président. Je vous remercie, monsieur Ingels. J'invite les membres de la commission à formuler brièvement leurs remarques et questions.
Mme Mia De Schamphelaere. Il est toujours enrichissant de faire procéder à la radioscopie d'une situation par une personne qui a longtemps travaillé à l'étranger.
Ma première question se réfère à l'enquête menée à Hasselt mais aussi à certains éléments de l'étude principale dont nous avons pu prendre connaissance en petit comité. Dans les études belges, le nombre de décès est fixé sur la base des déclarations de décès, soit tous les décès. Aujourd'hui, vous déclarez que l'étude néerlandaise a exclu les cas de mort soudaine, par exemple à la suite d'accidents de la route. Le point de départ n'est donc pas comparable.
M. Koen Ingels. Il a été tenu compte de ce fait quand les questionnaires nous ont été renvoyés. Ceux-ci étaient rédigés manière à ce que dans le cas d'une mort soudaine, ils ne doivent pas être complétés au-delà d'une question déterminée. Ces études sont donc bien comparables.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous insistez à juste titre sur le fait qu'aux Pays-Bas, une grande attention est accordée aux critères de prudence et qu'il s'y développe, en matière d'euthanasie, une pratique médicale élargie que tout le monde approuve. Cependant, nous constatons qu'aux Pays-Bas également, 50 % des cas ne sont pas déclarés par les médecins. Vous attribuez la cause de ce phénomène au fait que l'euthanasie figure encore toujours dans le code pénal ainsi qu'au manque de sécurité juridique offerte aux médecins par le contrôle a posteriori. Une explication plausible ne serait elle pas que l'on omet de faire la déclaration parce qu'on ne respecte par toujours, loin de là, tous les critères de prudence ?
Récemment, j'ai lu quelques articles au sujet de la situation aux Pays-Bas, dans lesquels les auteurs attiraient l'attention sur le manque de contrôle a priori de ces critères de prudence. On a beau dresser une liste, s'il n'y a pas de concertation préalable, si l'on ne contrôle pas d'avance le fait qu'il sera satisfait de manière correcte à tous les éléments de cette liste, il est normal que, par la suite, on ne fasse pas souvent de déclaration. En effet, il s'agit alors d'une décision ou d'un risque purement individuel, qui n'est pas soutenu par une équipe. De plus, le respect des critères de prudence n'est pas rendu public. Pour toutes ces raisons, des voix s'élèvent aussi aux Pays-Bas en faveur de l'instauration d'un contrôle a priori.
M. Koen Ingels. Votre analyse est correcte et les Néerlandais devraient peut-être suivre votre suggestion pour arriver à augmenter leur pourcentage de déclarations. La loi prescrit bien un contrôle a posteriori mais, dans la pratique, le médecin légiste communal, généralement un collègue médecin généraliste, est souvent déjà associé auparavant, ce qui fait que les critères de prudence sont déjà pris en compte à l'occasion de cette concertation-là. Vous avez raison de souligner que le pourcentage de déclarations est encore très faible mais il ne faut pas oublier que sa croissance est systématique et même exponentielle. Nous sommes sur la bonne voie mais nous pouvons encore progresser.
Mme Mia De Schamphelaere. Je vous ai écouté attentivement et j'ai compris que chez vous également, l'euthanasie n'est pratiquée qu'en fin de traitement palliatif. Quelle est votre opinion personnelle à ce sujet ? Que prévoit la législation néerlandaise à cet égard ?
M. Koen Ingels. Dans 80 % des cas, le décès est prévu dans le mois. L'euthanasie se situe donc tout à la fin, en phase terminale, et également en fin de traitement palliatif.
Mme Mia De Schamphelaere. Dans le cadre de notre débat, il importe de savoir ce que recouvre exactement le mot « terminal ».
M. Koen Ingels. C'est évidement une question d'estimation. On ne peut qu'évaluer le temps restant à vivre et l'on peut se tromper fortement. Cependant, il est clair qu'il s'agit toujours de patients très gravement malades. Quand un médecin estime qu'il ne reste à un patient qu'une semaine ou un mois à vivre, on se trouve bien dans un contexte terminal.
Mme Mia De Schamphelaere. Le débat aux Pays-Bas est sans doute similaire à celui que nous menons, avec cette différence que l'opinion publique s'intéresse déjà au sujet depuis 1973. Maintenant, il existe un projet du gouvernement qui fait l'objet de discussions depuis un an. On pourrait supposer qu'un texte transmis par le gouvernement au Parlement y soit approuvé sans difficulté. Manifestement, ce n'est pas le cas, et la proposition de légalisation a suscité un véritable débat de société.
M. Koen Ingels. C'est vrai. Aux Pays-Bas on étudie maintenant la question de savoir si les processus visant à mettre fin à la vie, à savoir l'euthanasie et l'assistance au suicide, peuvent être retirés du code pénal.
Aux Pays-Bas, on s'efforce de faire des études et d'acquérir de l'expérience au sujet des décisions qui doivent être prises concernant la fin de vie des nouveau-nés gravement malades ainsi que des patients atteints de troubles psychiatriques, capables ou non d'exprimer leur volonté. La débat se poursuit. De plus en plus, il s'enrichit de faits et de cas vécus et bénéficie du soutien de la population et des médecins.
Mme Mia De Schamphelaere. Mais une loi n'a pas encore été votée ?
M. Koen Ingels. Non.
M. Louis Siquet. Les mille cas considérés comme illégaux dans le rapport ont-ils fait l'objet de remarques ? Y a-t-il eu des poursuites après le rapport Remnelinck mentionnant le pourcentage énorme de cas non déclarés ? Aux Pays-Bas, l'euthanasie est-elle pratiquée uniquement par les médecins ou l'est-elle également par les infirmières sur ordre du médecin ?
M. Koen Ingels. Pour l'année 1991, des poursuites on été engagées dans 120 cas d'euthanasie sur 2 300. Dans chacun de ces 120 cas, les critères de prudence n'avait pas été respectés. Il n'y a eu aucune condamnation. A chaque fois, on a pris conscience du fait que, manifestement, d'une manière ou d'une autre, la décision était justifiée.
Aux Pays-Bas, l'euthanasie n'est pratiquée que par des médecins. À Hasselt, il est apparu que dans 6 cas sur 13, l'acte visant à mettre fin à la vie à la demande du patient a été pratiqué par du personnel infirmier, toutefois sur prescription du médecin. J'estime que d'un point de vue éthique, il est injustifiable de demander cela au personnel infirmier dont le rôle se limite alors à faire l'injection, la question pouvant éventuellement même se régler par téléphone. Aux Pays-Bas, les choses ne se passent pas comme cela. Il faut accorder beaucoup d'attention à ce problème et veiller à associer étroitement le personnel infirmier. Manifestement, en tant que médecin, on confie facilement aux infirmiers la mission d'augmenter la dose des médicaments ou d'administrer d'autres produits. C'est inadmissible, car une telle décision est tellement importante du point de vue éthique que c'est le devoir du médecin de porter lui-même la responsabilité de la décision qu'il estime devoir prendre ou de s'en référer à un collègue si lui-même ne peut assumer la décision sur le plan éthique, moral ou religieux. Selon nos chiffres, l'acte mettant fin à la vie est malheureusement pratiqué dans près de la moitié des cas par une autre personne, sur l'ordre du médecin.
Mme Jeannine Leduc. La limite entre la sédation contrôlée et l'euthanasie ne me paraît pas claire. Quelle est votre opinion sur la question ?
Avez-vous pu prendre connaissance de la proposition déposée par les partis de la majorité ? Quelles sont vos éventuelles critiques ?
M. Koen Ingels. Personnellement, je n'ai pas d'expérience en matière de sédation contrôlée. J'ai cru comprendre que ces dernières années, la question s'est trouvée placée à l'avant-plan, particulièrement dans les hôpitaux universitaires de la KUL. Je ne sais pas bien comment tout cela fonctionne. En phase d'agonie, qu'un patient souhaite peut-être vivre intensément, je ne choisirais pas la sédation et je ne la conseillerais pas au patient. Ce dernier à peut-être le désir de rester conscient pour pouvoir faire ses adieux aux membres de sa famille, à ses amis et connaissances. Je n'ai pas l'impression que ce soit possible sous sédation.
J'ai beaucoup de sympathie pour la Flandre, j'ai des affinités avec elle, mais je ne connais pas suffisamment la proposition de loi pour émettre un jugement valable.
M. Josy Dubié. Nous vous en remettrons un exemplaire.
M. Koen Ingels. J'en prendrai volontiers connaissance.
Mme Jeannine Leduc. Nous vous en transmettrons un exemplaire. Par la suite, nous aimerions que vous nous fassiez part de vos commentaires.
M. Koen Ingels. Avec plaisir.
M. Philippe Monfils. Je remercie le docteur pour les informations précises concernant la situation au Pays-Bas.
Selon ce qu'a déclaré notre collègue, une euthanasie sur deux est déclarée aux Pays-Bas, ce n'est pas si mal. Chez nous c'est zéro, par définition. Vous dites qu'on va augmenter le nombre d'euthanasies connues, que l'on va opérer des vérifications. De quelle manière ? Par des poursuites ? Par d'autres moyens ? Par incitations auprès des médecins ?
Quelle est la portée du projet de loi actuellement en discussion au sein du gouvernement des Pays-Bas ? On a dit que l'on allait probablement dans ce pays vers un débat sur la dépénalisation de l'euthanasie, avec des éléments proches de ceux dont nous discutons.
Pouvez-vous nous dire les différences entre ce projet et la situation actuelle au Pays-Bas ? Quelle est l'évolution de la pense législative suite à l'expérience que vous menez déjà depuis un certain nombre d'années.
M. Koen Ingels. Nous venons d'entendre une bonne suggestion pour augmenter le nombre de cas déclarés, grâce à une vérification préalable.
Aux Pays-Bas, on tente de modifier la composition de la commission de contrôle, afin que les médecins s'y reconnaissent davantage en tant que groupe professionnel. On veut qu'un plus grand nombre de collègues médecins fassent partie de cette commission parce qu'on estime que dans une commission composée d'un médecin, d'un juriste et d'un éthicien, deux personnes sont probablement très éloignées de la pratique quotidienne. On veut donc que deux médecins siègent dans cette commission et éventuellement aussi un certain nombre d'infirmiers.
Une deuxième solution consisterait à dépénaliser la décision médicale ou l'euthanasie. Cela permettrait sans aucun doute d'augmenter le nombre de déclarations. À mesure que les médecins se familiariseront avec toute la procédure, le nombre de déclarations ira en augmentant.
Votre deuxième question porte sur les différences éventuelles entre la nouvelle législation et la procédure actuelle. A vrai dire, il y a peu de différence, à l'exception du fait que l'on n'engage plus de poursuites. Dans le cadre des enquêtes qui sont menées actuellement, celle de 1995 et celles en cours, également au niveau européen, les procureurs et les médecins légistes communaux sont davantage associés afin de mieux déceler pourquoi on ne fait pas de déclaration. Il s'agit surtout des critères de prudence. Je ne pense pas que le projet ait pour but de faire effectuer une vérification préalable par les commissions. En effet, on estime encore toujours que cet acte médical en fin de vie relève de la relation de confiance entre le médecin et le patient, fût-ce à certaines conditions. Le fait de procéder à une évaluation avec d'autres personnes avant de pouvoir agir impliquerait beaucoup de personnes et d'instances, ce qui nuirait considérablement à la sérénité du processus de décès. En fin de compte, la concertation préalable avec un collègue constitue déjà un contrôle a priori.
M. Jacques Santkin. Je remercie le docteur d'avoir franchi la frontière pour revenir dans notre pays.
Les Pays-Bas ont souvent été cités en exemple ces dernières années dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui comme dans d'autres. On les a notamment cités en exemple en matière d'emploi, mais ce n'est pas la préoccupation du jour. Je voulais dire que vous êtes encore ici chez vous et que nous avons peut-être un certain nombre d'expériences à partager.
Il est vrai que ces derniers temps, on a souvent cité l'exemple néerlandais et il est vrai aussi qu'avec la législation que nous proposons, avec toutes les précautions qui s'imposent, nous sommes un peu les seuls avec vous à avoir ce genre de préoccupation.
Je crois que votre démonstration est assez éloquente et je n'ai qu'une seule question à vous poser. Vous connaissez la philosophie des auteurs de la proposition : il s'agit tout d'abord du respect de la volonté exprimée par les femmes et les hommes en fin de vie. C'est en tout cas ma vision des choses. Il faut respecter cette volonté exprimée et renouvelée du patient. Je sais que cela peut poser un certain nombre de problèmes mais c'est l'élément qui est fondamental pour nous. J'ai déjà eu l'occasion de poser la question à d'autres et vous avez évoqué cet aspect dans votre présentation. Il y a ceux qui expriment une volonté et il y a tous les autres. J'ai la prétention de dire que « tous les autres » forment une majorité, pour toutes sortes de raisons. J'aimerais savoir comment vous voyez les choses à partir de l'expérience qui est la vôtre aux Pays-Bas. Je pense que tous ceux qui ne s'expriment pas pour des raisons fondamentalement sociologiques je ne ferai pas de longue démonstration à ce sujet doivent aussi être pris en considération. Comment gérez-vous ces cas-là ? Comment abordez-vous cette problématique aux Pays-Bas.
M. Koen Ingels. Vous avez raison de souligner qu'il faut être attentif à un certain risque d'inégalité sociale. Actuellement, ce danger est réel. Je suis persuadé que les personnes ici présentes qui sont toutes bien préparées et comptent peut-être plusieurs médecins parmi leur cercle de relations, obtiendront la fin de vie qu'elles souhaitent. Étant donné qu'en Flandre, il n'existe de disposition légale, tout doit se passer verbalement. Vu que le sujet n'est pas susceptible d'être discuté, certaines personnes ne l'aborderont pas.
Il ressort de mon expérience que le fait d'avoir discuté de ces questions à l'avance, de préférence rapidement après le diagnostic terminal, procure un réel sentiment d'apaisement. Le patient sait qu'il ne devra pas subir des souffrances inhumaines et qu'il ne mourra pas dans des conditions humiliantes. À mes yeux, c'est une garantie de prévention de l'euthanasie. La demande d'euthanasie est moins pressante parce que l'on sait que le médecin sera disposé à la pratiquer le moment venu. Aux Pays-Bas, les associations de patients sont beaucoup plus présentes dans le débat médical. De ce fait, les médecins et les patients parlent plus facilement du problème et font connaître plus rapidement leur point de vue. Le fait de pouvoir discuter présente l'avantage que les médecins peuvent inscrire les souhaits des patients dans leurs dossiers. Tant que cela ne sera intégré dans une politique de tolérance ou dans une législation, les médecins continueront à esquiver le problème, voire à ignorer la volonté de nombreux patients.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Puisque vous avez évoqué des cas d'aide au suicide, j'aimerais savoir comment vous faites la différence entre un moment de dépression et un appel à la fin de vie. La psychiatre que nous avons interrogée à ce sujet nous a dit qu'il s'agissait d'une distinction très difficile à établir. Un autre médecin que nous avons interrogé cet après-midi nous a donné la même réponse.
M. Koen Ingels. Aux Pays-Bas, on n'associe pas nécessairement un psychiatre. Étant donné qu'il s'agit de patients qui se trouvent en phase terminale, donc dans les dernières semaines de leur vie, ce danger de dépression cachée joue nettement moins. Dans la pratique, ce danger de dépression dissimulée est rare.
Mme Magdeleine Willame-Boonen. Tous les chiffres que vous avez cités concernent des patients en phase terminale ?
M. Koen Ingels. Vous me demandez plus spécifiquement si le nombre de dépressions cachées est plus élevé dans les cas d'assistance au suicide. Je ne dispose pas de chiffres permettant de l'affirmer. Je ne pense pas que ce soit le cas. Je n'ose pas affirmer que ces patients ont une plus longue espérance de vie que d'autres.
La Koninklijke Nederlandse Maatschappij ter Bevordering van de Geneeskunst ne fait pas de distinction éthique entre l'euthanasie et la prescription des produits. Le fait de prescrire des comprimés à un patient et de rester près de lui pendant qu'il les absorbe est identique au fait d'aider ce patient, trop malade pour les prendre tout seul, à les absorber. On passerait alors de l'assistance au suicide à l'euthanasie. Il est très difficile de faire cette distinction. Ce sont surtout les patients qui veulent une telle façon de procéder car ils ne veulent pas contraindre leur médecin à un acte qui est moralement lourd de conséquences. Certains patients préfèrent assumer eux-mêmes la responsabilité de la décision.
Aux États-Unis, certains ont une grande expérience en la matière. Dans l'Oregon par exemple, un médecin rend possible de tels actes mettant fin à la vie grâce à un système de perfusion particulier dont le malade peut ouvrir lui-même le robinet. J'en ai la chair de poule. Pour moi, ce n'est pas de la médecine. Je me sens aussi responsable des patients que je n'ai pas pu aider, sur lesquels j'ai souvent pratiqué des interventions mutilantes et pour lesquels la bataille a quand même été perdue. Le monde médical a failli à sa mission. Aussi, je tiens à assumer mes responsabilités et je suis disposé à accélérer la fin de vie du patient de la manière voulue par ce dernier.
M. Wim Distelmans. Je puis comprendre ce que vous ressentez à la suite des nombreuses auditions auxquelles vous avez procédé ces dernières semaines dans le but de vous faire une idée de la manière dont les choses se passent. Je peux m'imaginer que vous avez été submergés d'informations et qu'il est de plus en plus difficile d'avoir une vue d'ensemble du problème. J'éprouve de l'empathie à cet égard. Il devient aussi difficile d'apporter des éléments neufs mais je tenterai tout de même de le faire.
En tant que président de la Fédération des soins palliatifs de Flandre, j'apprécie beaucoup que, dans ce débat de société sur la fin de vie, l'attention soit attirée sur les soins palliatifs. En tant que société civilisée, nous devons en effet apprendre à traiter la maladie et la mort dans la dignité.
Je ne m'exprime pas au nom de la Fédération, qui est une association pluraliste, mais à titre personnel. M. Mullie, président du groupe de travail éthique de la même Fédération, a fait de même. Par respect pour les personnes qui ne partagent pas le même avis, il nous paraît évident de devoir nous exprimer à titre personnel sur des sujets éthiques.
Les problèmes liés à la fin de vie de personnes atteintes de maladies graves sont le sommet de l'iceberg. J'espère que ce débat donnera lieu à une nouvelle culture en matière de soins.
Le mouvement palliatif, axé sur les soins terminaux pour patients cancéreux, a évolué ou veut évoluer vers une nouvelle culture de soins. Je m'explique. Ce mouvement est apparu en Angleterre voici 50 ans. On parlait alors d'« hospice care » ou de « terminal care for cancer patients », parce que les conditions en milieu hospitalier étaient à ce point lamentables que l'on souhaitait y remédier. Ce mouvement « hospice » a débuté intra-muros, au contraire de ce qui s'est passé en Flandre et en Europe occidentale où les soins palliatifs sont apparus extra-muros. En Angleterre, ce mouvement a fait en sorte que les patients cancéreux en phase terminale ont été traités dans des conditions plus dignes. En Europe occidentale, le mouvement est apparu plus tard, dans les années 80; il n'était pas tellement inspiré par les conditions inhumaines à l'intérieur des hôpitaux mais plutôt par la technologie médicale dont les progrès étaient tels que l'on accordait davantage d'attention à la technique qu'au patient gravement malade. À l'époque, les soins palliatifs étaient encore synonyme de soins terminaux.
Les soins palliatifs trouvent leur origine dans le traitement des patients cancéreux et c'est pourquoi je vais expliquer où l'on en est actuellement dans la lutte contre le cancer. Dans 40 % des cas, les patients survivent cinq ans à la maladie; dans 35 % des cas, ils survivent à la maladie. Ces chiffres sont donc bien inférieurs à ceux qui sont parfois communiqués par les médias.
Dans la majorité des cas (60 %), la guérison est due à une intervention chirurgicale, dans 30 % des cas à un traitement aux rayons et dans moins de 10 % des cas à la chimiothérapie. Finalement, seulement 2 à 3 % des patients cancéreux peuvent être traités curativement par de la chimiothérapie. C'est important à savoir car on dépense des milliards en chimiothérapie.
Si l'on classe les thérapies en fonction de leur toxicité, la chimiothérapie vient en tête de liste et la chirurgie en dernière position.
Malheureusement la mortalité due au cancer augmente. Malgré tous nos efforts, cette augmentation s'élève à plus de 5 % par an pour les 20 dernières années. Les personnes qui étudient ce problème savent que les causes principales sont la pollution, la cigarette et les mauvaises habitudes alimentaires. Elles estiment aussi que l'on devrait consacrer davantage d'argent à la prévention, à la recherche et aux soins palliatifs.
Nonante pour cent des traitements par chimiothérapie actuellement disponibles ont été découverts avant 1970. L'impact de la chimiothérapie sur les chances de survie des patients cancéreux est donc malheureusement resté très limité.
Pour la majorité des cancers qui ne peuvent être guéris, soit 65 %, guérir se réduit à soigner; cure devient care. Je ne suis sans doute pas le premier ni le dernier à le dire.
Les soins palliatifs comprennent, selon la définition obscure de l'Organisation mondiale de la Santé, le contrôle de la douleur et des symptômes, l'encadrement psychosocial et spirituel des personnes gravement malades, avec pour but d'optimaliser le confort et la qualité de vie. Il s'agit donc ici d'une approche professionnelle et pas seulement de caresser des têtes et de serrer des mains. Cette définition exige une approche expérimentée du contrôle de la douleur et des symptômes mais aussi des aspects psychosociaux et spirituels. Je souligne que ces derniers sont les plus difficiles. Comment expliquer à une femme de 40 ans qui a deux enfants et qui est en phase terminale quel a été le sens de sa vie ? On peut discuter des heures mais il n'existe pas de réponse toute faite.
En fonction de notre expérience du terrain, nous estimons que les soins palliatifs ne doivent pas rester la prérogative d'un petit groupe élitiste d'adeptes des soins palliatifs qui mettent ceux-ci en pratique avec « enthousiasme »; nous trouvons au contraire que ces soins doivent pouvoir être appliqués par l'ensemble du personnel soignant, le médecin généraliste en premier lieu, car les personnes préfèrent conserver l'entourage dans lequel elles ont confiance. Mais les autres dispensateurs de soins, comme les infirmiers, les paramédicaux et les médecins hospitaliers doivent aussi pouvoir les appliquer.
Quand la charge devient trop lourde à supporter, il est utile, aussi bien pour l'équipe soignante que pour le patient, de pouvoir recourir à des soins palliatifs structurés. On a peut-être déjà abondamment parlé de ces modèles de soins. Il existe quatre possibilités qui proviennent de l'Angleterre, le berceau des soins palliatifs.
Il y a en premier lieu l'équipe de soins à domicile qui, avec le médecin généraliste, essaie de maintenir le patient dans son environnement familier. En deuxième lieu, il y a l'équipe de soutien des soins palliatifs qui travaille dans un grand hôpital et exerce en fait une fonction de médiation à l'égard des personnes affaiblies qui, parfois, font l'objet de thérapies inutiles et d'examens insensés. Je fais moi-même partie de l'équipe de soutien de l'AZ-VUB et je suis régulièrement appelé au chevet de patients en phase terminale; la plupart du temps, il s'agit de patients cancéreux, aussi bien d'adultes que d'enfants. L'hôpital pour enfants fait en effet régulièrement appel aux services de notre équipe mobile. Il y a en troisième lieu les unités résidentielles parmi lesquelles celle de soeur Léontine, sans doute la plus connue. En quatrième lieu, il y a le centre de jour. Pour le moment, ces centres sont au nombre de trois, car soeur Léontine en a ouvert un récemment. La semaine dernière, j'ai discuté avec elle des possibilités de développement de centres de jour en Belgique et nous avons décidé de plaider ensemble en ce sens.
La culture palliative, qui est donc apparue plus tard en Europe occidentale, s'est surtout développée en réaction contre le développement extraordinaire des technologies médicales. Je ne dis pas que la technologie médicale n'est pas importante; celle-ci a tout sons sens car, grâce aux progrès, nous disposons de tout un arsenal thérapeutique et diagnostique. Dans les années 70, il régnait une véritable euphorie; certains ont même osé déclarer qu'ils vivraient 1000 ans. Vous imaginez ! Entre-temps, nous sommes retombés les pieds sur terre. Mais, en raison de l'euphorie des années 70, la formation des dispensateurs de soins, et surtout celle des médecins, a essentiellement été orientée vers la guérison. Notre formation est centrée sur les affections aiguës et nous redoutons l'échec thérapeutique. Cela peut conduire à un mauvais conditionnement.
Du fait que nous sommes concentrés sur l'utilisation de technologies de pointe aux niveaux thérapeutique et diagnostique, on crée un paternalisme positif. Je m'explique. Quand quelqu'un se présente aux urgences avec une appendicite aiguë, le chirurgien de garde va réagir de manière paternaliste positive et dire au patient qu'il doit être opéré immédiatement. Le médecin sait en effet que le meilleur traitement qui puisse sauver la vie du patient est l'opération. Il n'envisagera donc pas de gouttes homéopathiques ni de psychothérapie.
Le danger est que, en cas de maladies chroniques incurables, ce conditionnement vire au paternalisme négatif. Le médecin va réfléchir à la place du patient et décider à lui seul, par exemple, de placer une prothèse aux deux hanches à un patient de 85 ans atteint de la maladie d'Alzheimer, ou de lui faire suivre un traitement par rayons ou une chimiothérapie. Même si le patient a encore trois semaines à vivre, il arrive que le médecin n'entame pas de dialogue avec lui; mais il conserve son comportement paternaliste, tel qu'il l'a appris.
Après l'euphorie des années 70, on a de plus en plus pris conscience du fait que les soins de santé ont pour objet de nombreux problèmes chroniques incurables et seulement une petite partie d'affections médicales aiguës curables. Les affections suivantes, entre autres, sont considérées comme incurables : diabète, rhumatisme, arthrose, décompensation cardiaque, emphysème, bronchite chronique, insuffisance rénale chronique, hépatite, cancer. Les livres mentionnaient antérieurement que, médicalement, ces maladies devaient être considérées comme palliatives. À l'aide du même arsenal thérapeutique et diagnostique qui a été développé pour la petite partie des cas aigus curables, la médecine palliative a pour but de veiller à ce que les personnes connaissent une fin de vie optimale et qu'elles puissent donc « fonctionner » normalement. Si l'on applique ce principe au cancer, nous ne recourons plus à la chirurgie pour guérir mais nous plaçons un anus artificiel chez un malade qui a une tumeur abdominale non récessive afin d'éviter qu'il ne décède à la suite d'une obstruction. Nous pouvons faire irradier des métastases, non pour les guérir mais pour réduire la douleur. Nous pouvons utiliser la chimiothérapie et les hormones pour neutraliser des symptômes gênants. C'est là que souvent le bât blesse. Grâce au scanner, un chimiothérapeute peut constater avec enthousiasme que la tumeur d'un patient a diminué d'un millimètre, mais il néglige le fait que le patient a maigri de 30 kilos. Par cette caricature, je veux montrer que nous devons constamment nous demander si nous nous traitons nous-mêmes ou si nous pensons en fonction du patient. En phase palliative, la chimiothérapie ou la radiothérapie, qui provoquent plus de toxicité que les symptômes à combattre, est inadmissible. Nous devons toujours nous interroger sur ce que nous faisons.
La médecine palliative poursuit le même but que les soins palliatifs, à savoir garantir une fin de vie optimale aux personnes qui ne peuvent plus être guéries. Un patient diabétique, par exemple, doit être considéré comme palliatif d'un point de vue médical. Grâce à la technologie avancée du recombinant ADN, on peut injecter chaque jour de l'insuline humaine au patient en sorte qu'il puisse mener une vie quasi normale. L'application des technologies de pointe ne garantit toutefois pas le même climat que celui qui est créé par les soins palliatifs. En raison du mauvais conditionnement, il est possible qu'un médecin agisse de façon paternaliste négative en utilisant les moyens existant en médecine palliative.
Dans ce cas, le risque existe de verser dans l'acharnement thérapeutique pour les maladies chroniques. De nombreux médecins pensent à tort que cette sorte de médecine palliative est synonyme de ce que nous appelons les soins palliatifs et, plus grave encore, ils pensent qu'ils administrent des soins palliatifs. Ils ignorent ce qu'ils ne savent pas.
Je dis cela clairement pour montrer que de nombreux médecins se fondent sur de mauvaises bases. C'est le cas lorsque les soins palliatifs, qui, à l'origine, ont été développés en Angleterre pour les patients cancéreux, veulent évoluer vers une nouvelle culture des soins, où, à chaque moment de la maladie, aussi bien en phase aiguë ou curative qu'en phase palliative, on a une relation régulière et empathique avec le patient, on examine ses préférence et on discute avec lui des possibilités médicales du moment.
Il y a une tendance à intégrer entièrement cette culture de soins palliatifs dans les soins de santé existants.
Nous devons arrêter de considérer le terme « palliatif » comme synonyme de « terminal ». Palliatif signifie, dans le sens large du terme, que les personnes incurables doivent aussi pouvoir compter sur des soins empathiques. « Terminal » n'est pas facile à définir. Nous pouvons seulement considérer quelqu'un comme terminal quand il est décédé; nous sommes alors certain qu'il était préalablement en phase terminale.
Les soins palliatifs sont un exemple de la manière dont chaque branche de la médecine devrait être appliquée : de manière interdisciplinaire. Ce n'est pas le médecin qui est au centre des soins de santé mais le malade, qu'il soit mourant ou légèrement malade. C'est là l'objectif des soins palliatifs. Je ne suis pas naïf au point de penser que ce modèle est réalisable. Mais il est bon d'avoir ce concept en tête dans les moments critiques. Agir de façon interdisciplinaire sous-entend l'existence d'un climat horizontal : à un certain moment de la maladie, un membre de l'équipe soignante a un rôle plus important. Ce dernier est ultérieurement repris par une autre membre de l'équipe. En cas de problèmes financiers, l'infirmière sociale sera la personne la plus importante. Par la suite, le rôle est repris par le médecin généraliste, par exemple, qui doit faire un nouveau diagnostic ou résoudre un nouveau problème médical. Tous les membres de l'équipe jouent un rôle équivalent mais non identique. Chacun d'eux a sa propre spécialité. Certains diront que l'on ne peut tout de même pas placer la nettoyeuse sur le même pied que le spécialiste du cancer. Certains patients communiquent cependant beaucoup mieux avec la nettoyeuse qu'avec le spécialiste. Il incombe donc à ce dernier de communiquer avec la nettoyeuse. C'est évidemment dit sans nuances, mais c'est en fait le but recherché. En raison de la mauvaise formation que nous, médecins, avons reçue, il n'est pas simple de collaborer de manière interdisciplinaire.
C'est d'autant plus paradoxal que mourir à l'hôpital coûte très cher à la société et peu au patient. En revanche, rester à domicile coûte beaucoup plus cher au patient. Ce dernier est pénalisé s'il veut mourir chez lui.
Pourquoi l'accent est-il ainsi mis sur le traitement hospitalier ? L'évolution s'est produite dans les années 70 : avec l'émergence des technologies de pointe, tout a été centré sur le diagnostic et le traitement des maladies aiguës. Cependant, ces problèmes curatifs aigus sont très limités dans l'ensemble des soins de santé. L'euphorie qui régnait alors avait, entre autres, pour conséquence une forme de négation de la mort et a influencé la formation. Il y a aussi un lien avec l'évolution sociale : la plupart des familles sont des petites structures qui sont amenées à faire traiter une maladie à l'hôpital. Le développement des technologies médicales a conduit à une concentration des appareils modernes dans ce que l'on appelle un hôpital aigu, auquel est adjoint une fonction hôtelière. C'est très bien pour les problèmes curatifs aigus, mais la question est de savoir pourquoi tant de personnes souffrant d'affections chroniques y séjournent encore.
Le paradoxe des soins à domicile est donc le suivant : nous préférons tous (70 %) rester à domicile ou dans un milieu remplaçant le domicile alors qu'en réalité 70 % des personnes décèdent à l'hôpital. En outre, le décès à domicile nous coûte très cher, mais est bon marché d'un point de vue social.
En milieu hospitalier, pour les problèmes chroniques, on plaide encore beaucoup trop pour les technologies de pointe au lieu de prévoir une thérapie de confort.
Les soins palliatifs, au sens strict du terme, en d'autres mots pour les patients en phase terminale, sont caractérisés par une absence de technologie et peuvent donc facilement être organisés à domicile.
La philosophie en matière de soins doit être identique, partout où les dispensateurs de soins exercent : le malade doit en tout cas occuper une place centrale. Cela signifie que, quand il souhaite rentrer chez lui, nous devons essayer d'organiser ce retour. S'il préfère rester à l'hôpital, c'est aussi son droit.
Au macroniveau, on devrait viser à la mise sur pied d'un réseau palliatif où les personnes gravement malades occuperaient la place centrale et où, à l'exemple de la collaboration interdisciplinaire qui s'observe à un niveau inférieur, elles pourraient participer à la décision quant au choix de leur séjour, à un certain moment de leur maladie chronique : à domicile, à l'hôpital, dans une unité résidentielle, dans une MRS ou dans un centre de jour.
Dans la nouvelle culture des soins pour laquelle nous plaidons ardemment, une attention particulière doit être accordée à la communication et à l'écoute. Comme le dit un ancien proverbe flamand : celui qui écoute bien parle bien. Si l'on est capable de bien écouter, on peut aussi donner de bons conseils. Informer dans un langage compréhensible est aussi très important. Cela doit être enseigné, tout comme le soutien du patient et le dialogue avec lui. Dans la nouvelle culture des soins, il doit y avoir une place pour le soutien psychosocial et spirituel, et du temps doit être libéré à cet effet. En réalité cependant, on considère encore que le temps c'est de l'argent et qu'il faut une contrepartie. Aussi longtemps que seules les prestations techniques seront payées et que des moyens ne seront pas dégagés pour la communication et la réflexion, les médecins continueront à dispenser des soins et n'auront pas de temps à consacrer à autre chose.
Par respect pour les patients, il doit y avoir dès le début une empathie à leur égard, que ce soit en phase curative ou en phase palliative. Si certains prétendent que la concertation est primordiale lorsque des décisions sont prises sur la fin de vie, par exemple celle de l'euthanasie, c'est exact, mais ce n'est que le sommet de l'iceberg. En raison du mauvais conditionnement des médecins, toute une série de décisions sont déjà prises avant la phase terminale et sans la participation des patients, de sorte que leurs droits ont sans doute déjà été violés à plusieurs reprises. C'est un message important que je voulais faire passer ici.
Les soins palliatifs peuvent être une belle alternative à l'acharnement thérapeutique : on adopte une attitude d'empathie à l'égard du patient, on contrôle la douleur et les symptômes, on veille à l'accompagnement spirituel et psychosocial. Par ailleurs, les technologies qui déplacent les limites et augmentent l'espérance de vie ont forcé le monde médical à la réflexion. Jusqu'où peut-on aller dans ce domaine ? Le problème est que les dispensateurs de soins doivent prendre chaque jour des décisions éthiques auxquelles ils n'ont pas été formés. En Flandre et en Belgique, nous avons un modèle des mieux structurés en matière de soins palliatifs, notamment grâce au dialogue qui a été mené avec les pouvoirs publics. Je trouve seulement que, en tant que société civilisée, nous devons y consacrer davantage de moyens. Ensemble, les trois fédérations demandent environ deux milliards de francs, si je suis bien informé; c'est le prix d'un F-16. La question est donc de savoir où se situe la norme éthique ? Notre société y consacrera-t-elle ce montant oui ou non ?
Même lorsque les soins palliatifs sont de qualité, on observe quand même une demande d'interruption de vie dans une minorité des cas, surtout parce que les patients en phase terminale sont à bout de souffle. Ils se demandent si cela a encore un sens de vivre une semaine de plus, alors que, au moment présent, ils pourraient faire leurs adieux à leurs proches dans de meilleures conditions.
Le Comité consultatif de bioéthique a discuté pendant des heures des possibilités de décisions médicales relatives à la fin de vie. L'euthanasie est une des possibilités. En guise de conclusion, je livrerai encore quelques considérations personnelles.
Ne pas entamer un traitement ou l'arrêter est considéré comme renoncer à l'acharnement thérapeutique. Curieusement, cela est souvent considéré comme relevant de l'exercice normal de la profession de médecin. Même l'Ordre des médecins est d'avis que cela fait partie de l'acte médical légitime, même si on agit sans concertation avec le patient. Je peux m'imaginer que, dans la plupart des cas, on agit en toute bonne foi. Mais, de temps en temps, il doit y avoir des erreurs d'évaluation. Cela est assez bien accepté socialement, alors que, d'un autre côté, la société et nous-mêmes en tant qu'individus, nous ne savons que faire face à la faiblesse du patient, à sa situation désespérée et à sa demande d'euthanasie.
Personnellement, je pense que le médecin doit davantage se limiter à informer sur la situation sans issue médicale. Seul le patient peut évaluer l'aspect inhumain de l'impasse. Il ne peut faire cette évaluation que s'il est bien informé par le médecin, dans un langage compréhensible. Les médecins peuvent donner des conseils, mais ils doivent aussi dire qu'ils ne parlent pas en qualité de médecins mais en tant que simples mortels, en indiquant par là qu'ils ne peuvent évaluer la norme de qualité de vie du patient. Ces deux rôles sont souvent confondus par les médecins. En raison de leur façon paternaliste de penser, les médecins estiment assez souvent qu'ils peuvent fixer la norme de qualité de vie des tiers.
Je voudrais encore dire un mot sur trois décisions médicales possibles sur la fin de vie : la première consiste à amener la sédation à un niveau auquel des effets secondaires peuvent apparaître, comme l'inconscience, le coma, et même l'abrègement de la vie; la deuxième est l'interruption de vie active sans qu'elle ait été demandée; la troisième est l'interruption de vie active pratiquée par un médecin sur un patient qui l'a demandée, c'est donc l'euthanasie.
Supposons que, dans un hôpital, on tombe par hasard sur une personne alitée, dans le coma et sous perfusion.
Après coup, on ne peut savoir ce qui a été décidé antérieurement : ultime sédation avec coma comme conséquence, interruption de vie active à la suite de la demande de la famille et non du patient ou encore réponse à une demande d'interruption de vie ? On n'est plus en mesure d'évaluer ce qui s'est passé. On appelle cela la zone d'ombre. On ne connaît pas l'intention initiale du médecin. Cela nous donne, à nous médecins, un pouvoir démesuré. Les médecins font ce qu'ils veulent, ils peuvent toujours changer d'avis et, par exemple, se persuader eux-mêmes qu'ils ont fait une ultime sédation alors que, en réalité, ils ont pratiqué une interruption de vie sans demande.
Pourquoi l'euthanasie doit-elle être acceptable, comme je le pense personnellement ? Tout d'abord parce que j'ai du respect pour l'autonomie de la personne, mais je ne dis pas que les personnes opposées à l'euthanasie n'ont pas de respect pour l'individu. J'ai du respect pour l'autonomie d'une personne sûre d'elle, capable de s'exprimer, lucide, bien au courant de ses problèmes et qui demande à plusieurs reprises de mettre un terme à sa souffrance. Un deuxième argument est le principe de cohérence. Le traitement dit passif arrêter ou ne pas démarrer un traitement est très rapidement accepté. Pourquoi alors ne peut-on intervenir de manière active ? Un troisième argument est celui de la non-discrimination : les opposants à l'euthanasie affirment que, si on le veut, on doit s'en sortir soi-même. Cependant, certaines personnes sont paralysées ou trop faibles pour agir elles-mêmes. Elles ne peuvent pas être exclues. Enfin, il y a l'important argument de la solidarité emphatique. Lorsqu'on a exclu les meilleurs soins palliatifs et que le patient estime que plus rien ne vaut la peine, que doit-on faire ? Les dispensateurs de soins sont confrontés chaque jour à cette problématique. Ils doivent trouver une solution.
Mme Kathy Lindekens. Voici quelques semaines, le docteur Vandeville a signalé à cette commission que dans les établissements où l'on accédait aux demandes d'euthanasie, les médecins et les infirmiers n'étaient pas suffisamment formés pour pouvoir utiliser tous les moyens permettant d'apaiser la souffrance. Monsieur Distelmans, vous êtes un expert en la matière; la semaine dernière, vous avez encore présenté un livre sur la lutte contre la douleur. Je sais que vous vous occupez beaucoup de formation. Cette opinion du docteur Vandeville est-elle exacte ? Est-ce une question de connaissance ou une question de volonté ?
L'un des grands malentendus qui persistent est l'opinion selon laquelle, dans beaucoup de cas et même dans des cas douteux, les médecins qui se prononcent en faveur de l'euthanasie choisissent automatiquement celle-ci après qu'elle a été demandée. On laisse même croire que ces médecins aident les patients à choisir l'euthanasie. Je sais, à la suite de nombreux entretiens que j'ai eus avec vous et certains de vos collègues, qu'il en va tout autrement : on est extrêmement prudent et on examine minutieusement toutes les possibilités. D'où provient ce malentendu tenace ? De quoi tient-on compte lors d'une demande d'euthanasie du patient ? Comment se passe un tel entretien ?
Ce matin, le docteur Van den Eynden vous a directement attaqué. Il a mis en cause votre poste de président de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen. Cette dernière a envoyé une pétition à laquelle une série de médecins se sont ralliés. Au risque de m'engager dans un règlement de compte personnel, je vous demande si dans votre organisation vous vous sentez mis sous pression. Avez-vous le sentiment, en tant que médecin, d'avoir imposé votre opinion personnelle à la Fédération que vous présidez ? Est-il exact que la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen n'est pas membre de la Fédération européenne et que cela pourrait avoir un rapport avec votre présidence ?
Une quatrième question se rapporte au développement des soins palliatifs, sur le plan tant qualitatif que quantitatif. Que faut-il, selon vous, pour arriver à lutter plus efficacement contre la douleur, à améliorer la communication et à faciliter l'acceptation du deuil ? Est-ce principalement une question de formation ? Le doyen de la faculté de médecine de la VUB a déclaré ici la semaine dernière que des pas importants avaient été accomplis sur le plan du traitement de la douleur, de la communication et de la formation. Vous êtes sur le terrain. Avez-vous la même expérience ? Où en est-on sur le plan de cette formation dans nos universités ? Vous organisez, conjointement avec un collègue anversois, des recyclages pour médecins et infirmiers. Recevez-vous à cet égard le soutien nécessaire ?
Ma dernière question se rapporte aux enfants. Vous avez dit tout à l'heure que vous étiez également appelé, avec votre équipe, à l'hôpital des enfants. Pouvez-nous nous donner une idée de la maturité des jeunes patients cancéreux qui, après un vain combat de plusieurs années, se trouvent confrontés à la mort ? Savent-ils ce qui se passe et donnent-ils parfois des indications claires ?
M. Wim Distelmans. Je vais essayer de répondre aussi succinctement et efficacement que possible. Ai-je bien compris que Mme Lindekens me demande si, dans les hôpitaux où l'on s'occupe moins du traitement de la douleur, on a davantage recours à l'euthanasie ?
Mme Kathy Lindekens. J'ai demandé s'il était possible que dans les institutions où l'on accédait aux demandes d'euthanasie, la formation des dispensateurs de soins concernés était telle qu'ils ne connaissaient pas toutes les possibilités permettant de mener d'une autre manière le patient vers sa fin.
M. Wim Distelmans. Ma propre expérience et mes conversations avec des collègues m'ont appris que le manque de formation, de connaissance des soins palliatifs, d'empathie menait à une forme de non-communication avec les patients et que, dans ce contexte, l'euthanasie était malheureusement assez souvent pratiquée sans demande de l'intéressé. Cela se passe quotidiennement en Belgique dans tous les hôpitaux, malheureusement à une assez grande échelle, comme vous l'avez appris dans le rapport HALP. Cela se passe également aux Pays-Bas. Il est par conséquent évident que des formations doivent être organisées et qu'un changement d'attitude doit intervenir. Je n'ai pas le sentiment que l'on pratique davantage d'euthanasies dans les établissements où l'on en parle avec le patient, bien au contraire. Quand on ne communique pas avec le patient, on ne peut pas non plus se rendre compte qu'il y a une demande d'euthanasie.
J'ai lu quelques rapports d'auditions et je crois me rappeler que quelqu'un a déclaré que les médecins qui s'occupaient de soins palliatifs accédaient en moyenne plus souvent à une demande d'euthanasie que les autres médecins. C'est tout à fait logique parce que les médecins palliatifs communiquent et se concertent davantage avec les patients. Dans une concertation, les patients posent automatiquement plus de questions parce qu'ils se sentent en sécurité. Les autres patients ne posent pas de questions ou n'osent pas en poser par respect pour le médecin palliatif. Je pense par exemple à soeur Léontine. Par respect pour ses convictions, on ne lui posera pas la question. De toute manière, on connaît sa réponse à l'avance.
La deuxième question se rapportait au déroulement du dialogue. J'illustrerai celui-ci par une discussion que j'ai eue récemment avec un collègue. J'ai reçu de Flandre un appel téléphonique d'un collègue, qui m'a demandé s'il pouvait m'envoyer une patiente. Après tant d'années de pratique, il était finalement confronté à une demande d'euthanasie.
J'ai répondu de façon affirmative. Je lui ai fait savoir que nous commencerions de nouveaux entretiens avec la patiente et que nous établirions une nouvelle relation, ce qui l'a profondément étonné. Il trouva cela quelque peu superflu étant donné qu'il l'avait déjà fait lui-même. Je lui dis que je n'étais pas technicien mais que je souhaitais établir une relation avec cette patiente, ce qui demanderait peut-être un certain temps, et que je n'étais pas du tout certain de l'issue de l'entretien. La patiente vint chez moi. C'était une femme émaciée, qui avait auparavant été modèle. La déchéance physique était par conséquent pour elle particulièrement pénible. J'ai eu avec elle et quelques collègues avec lesquels je travaille de façon très étroite des conversations très intenses. Après une série d'entretiens, cette dame nous a expliqué qu'elle se sentait très à l'aise chez nous et qu'elle trouvait formidable de pouvoir parler ouvertement d'euthanasie. Le fait que l'euthanasie pouvait faire l'objet d'une discussion était pour elle déjà satisfaisant. Elle nous assura qu'elle était amplement informée, qu'elle se sentait bien et que de cette manière elle voulait bien continuer à vivre. Je veux ainsi montrer que la discussion ouverte de cette matière peut assez paradoxalement donner lieu à une prolongation de la vie.
Ces entretiens sont très intenses et se déroulent à différents niveaux. Il y a le niveau de la transmission d'informations médico-techniques, mais aussi celui où l'on tente de comprendre ce que signifie exactement la demande d'aide du patient, ce qu'est pour lui la qualité de la vie et une vie qui a un sens. Il faut bien entendu aussi fournir toutes les informations possibles sur les soins palliatifs.
M. Jean-Marie Dedecker. Vous dites que le fait de pouvoir discuter de l'euthanasie peut entraîner une prolongation de la vie. Cela signifie-t-il que vous êtes favorable au testament de vie ?
M. Wim Distelmans. C'est un autre débat. Je trouve que la déclaration de volonté est un élément précieux pour la prise de décision finale, bien que ce ne soit pas le document ultime. On ne pourra jamais le rendre obligatoire légalement, mais comme je l'ai déjà dit, sur le terrain, les dispensateurs de soins se trouvent souvent au pied du mur. Ils doivent souvent prendre des décisions qui ne leur plaisent pas. Un testament de vie pourrait influencer la décision finale dans l'un ou l'autre sens. Plus on dispose d'éléments de décision, mieux cela vaut.
J'en viens à la troisième question de Mme Lindekens. J'ai compris qu'il y avait eu ce matin une polémique à propos de quelques déclarations du Dr Van den Eynden. Je souhaite brièvement en parler. Je me demande s'il est vraiment nécessaire qu'un débat de société aussi important soit terni par d'éventuelles frustrations personnelles. Je désire réagir comme suit. Depuis 1992, je défends publiquement le fait que les demandes de fin de vie, et je ne pense pas uniquement à l'euthanasie mais à toutes les décisions concernant la fin de la vie, doivent pouvoir faire l'objet d'une discussion ouverte afin de clarifier cette zone d'ombre. Quelques années plus tard, j'ai été démocratiquement élu comme président de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen, qui est pluraliste.
À ce moment, tous les membres connaissaient parfaitement mes idées à l'égard de cette problématique. Lorsque j'ai été élu, j'ai dit au conseil d'administration que j'appréciais que, malgré mes idées, j'aie été choisi. J'ai ajouté que lorsque je m'exprimerais publiquement sur ce sujet, par respect pour les personnes ayant une autre opinion, je dirais que je parle en mon nom personnel et pas au nom de la Fédération.
Comment peut-on parler de problèmes éthiques au nom d'un groupement pluraliste ? J'éprouve personnellement des difficultés à ce propos. Arsène Mullie a déclaré la même chose ici voici quelques jours. Il est président du groupe de travail Éthique mais il prend aussi ses distances par rapport à la présidence du groupe de travail quand il parle de ce genre de problème.
Personnellement, je n'étais pas tellement enthousiaste à propos du fait que le texte soit envoyé par la Fédération. Depuis des années, nous partions du principe qu'en tant que Fédération pluraliste nous ne pouvions pas prendre une position univoque sur la problématique de l'euthanasie. Finalement, nous avons quand même décidé d'insister dans ce débat de société sur le fait que les soins palliatifs étaient un phénomène très important, mais fortement sous-estimé, tant sur le plan du contenu que sur celui des moyens. Nous avons finalement publié un texte dans lequel je me retrouve tout à fait. Nous indiquons que les soins palliatifs sont importants et que si, un texte de loi est un jour élaboré, il faudra par exemple tenir compte du fait que le médecin doit expliquer toutes les possibilités de soins palliatifs et doit être formé pour cela.
Le texte a été rédigé par un des membres du groupe de travail Éthique de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen. La personne qui a écrit ce texte travaille dans le même institut que le professeur Schotsmans. On peut difficilement m'accuser d'avoir voulu utiliser ce genre de texte pour imposer mes idées personnelles.
J'en viens à la pétition des 58 médecins. La Flandre compte environ 20 000 médecins, dont ces 58 médecins en soins palliatifs. On peut se demander ce qu'est un médecin en soins palliatifs. S'agit-il des médecins qui ont suivi quelques formations en la matière ou des personnes qui pratiquent à temps plein les soins palliatifs ? À ma connaissance, il y a en Belgique, et le Dr Dominique Bouckenaere ici présent me donnera certainement raison, très peu de médecins qui s'occupent à temps plein de soins palliatifs. Vous ne m'entendrez pas dire que l'opinion de ces 58 médecins n'est pas importante; ces confrères ont certainement agi de bonne foi. Mais dans le texte de la pétition figure entre autres que nous souscrivons entièrement au texte publié par la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen. Je ne comprends donc pas bien ce que l'on a voulu dire ce matin à propos de cette pétition.
La troisième question concerne aussi notre adhésion à l'European Association For Palliative Care ou EAPC. Cette association européenne n'existe que depuis quelques années. Durant les dernières années, notre Fédération a surtout essayé de survivre, de développer de façon optimale les soins palliatifs en Flandre. Ce n'est que tout récemment que nous nous sommes demandés si nous ne deviendrions pas membre de l'EAPC. Le conseil d'administration y était favorable. Une personne venant de Belgique est allée dire à l'EAPC que le président de la Fédération s'était exprimé sur la problématique de l'euthanasie. Sur cette base, au siège de l'EAPC en Italie, on a pensé à tort que nous étions une association de libres-penseurs, qui avait adopté une position unanime extrême.
Il est clair que ce n'est pas le cas, mais il a fallu effectuer quelques clarifications avant que l'on soit convaincu que nous étions une association pluraliste. Nous sommes maintenant collectivement membres, mais nous devons encore traduire nos statuts en français et en anglais. J'ai encore récemment été en contact avec des personnes de cette association et j'ai compris que nous pourrions d'ici peu devenir membres officiels.
Je puis répondre affirmativement à la question relative à une formation approfondie en matière de douleur et de communication. Il est indispensable de revoir la formation de base. Comment peut-on opérer des changements de mentalité chez les médecins et autres dispensateurs de soins si ce sujet n'est pas traité à la base ? Dans le programme d'études de base, il faut parler de thérapie de la douleur et de communication. Cela peut paraître choquant, mais comment faut-il annoncer de mauvaises nouvelles à un patient, comment faut-il dire la vérité ? Pour autant que je sache, ces sujets ne sont pas encore prioritaires dans le programme d'études des médecins. Peut-être les choses sont-elles en train de changer, grâce, espérons-le, au présent débat de société, mais jusqu'à présent nous n'en sommes qu'au stade embryonnaire.
La thérapie de la douleur est trop peu présente dans le programme de base et il convient de remédier d'urgence à cette situation. C'est pourquoi nous avons créé, avec les quatre universités flamandes, un cours de soins palliatifs postuniversitaire. La Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen a, depuis des années, l'ambition d'organiser cette formation et, grâce au soutien de la Communauté flamande, nous pouvons offrir aux dispensateurs de soins de toute la Flandre d'excellents cours de soins palliatifs. Il y a différents modules. À Wemmel, où est établie la Fédération, cinq à six cents étudiants viennent chaque année suivre une formation.
La dernière question, peut-être la plus délicate, concerne les soins palliatifs pour les enfants. L'AZ VUB dispose d'un hôpital pour enfants où sont soignés de petits patients en phase terminale et où heureusement beaucoup sont aussi guéris. Le pourcentage de guérison chez les enfants est nettement plus élevé que chez les adultes, mais il y a malgré tout de très jeunes patients cancéreux en phase terminale. Dans des circonstances exceptionnelles, il y a parmi eux des demandes d'euthanasie.
Il s'agit naturellement d'un nombre beaucoup plus réduit de cas que chez les adultes, mais il serait hypocrite de nier l'existence de cette demande. Dans de tels cas, le dispensateur de soins est également mis au pied du mur. On peut décider de passer à l'euthanasie sans qu'elle ait été demandée ou on peut intensifier la lutte contre la douleur. La question centrale est de savoir si l'on va ou non accéder à la demande exprimée par l'enfant. Si l'on considère l'enfant comme un être capable d'exprimer sa volonté, on doit en principe essayer de satisfaire son souhait. Selon les psychologues du développement, un enfant est capable d'exprimer sa volonté dès qu'il peut penser de façon abstraite et juger de ses perspectives d'avenir. Les problèmes doivent cependant être discutés en concertation avec les parents. De plus, des études montrent que les jeunes patients cancéreux et d'autres enfants en phase terminale sont plus rapidement mûrs et dépassent largement leur âge biologique.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je poserai une très brève question. Vous avez fait une très belle démonstration de ce que devrait être la médecine partout, tant à l'hôpital qu'au domicile. Il faudrait fournir un gros effort pour que le patient puisse rester à domicile. Ce que vous décrivez est hélas très, très loin de la réalité et de ce que les patients, les familles peuvent voir aujourd'hui quand ils mettent les pieds dans un hôpital. Il faudra encore beaucoup de temps pour arriver à ce que vous souhaitez, à ce que les gens demandent aussi : être respecté en tant que patient, ne plus être dans cette situation où c'est le médecin qui décide et où l'on est pris dans un « tunnel technologique », une situation dans laquelle on a quelque mal à se situer, même si l'on appartient à des milieux socio-culturellement favorisés. Je suis Bruxelloise. Bruxelles a une population multiculturelle de tous niveaux. Les populations moins favorisées sont celles qui s'adressent le plus souvent directement à l'hôpital sans passer par le médecin. Or la relation de ces personnes avec les médecins est en général difficile, surtout lorsque se pose en outre un problème de langue.
Face à l'évolution des mentalités, à la formation des médecins, à la manière dont on finance les hôpitaux (il ne faut pas seulement financer les actes techniques, mais aussi le temps, la communication, faute de quoi le personnel soignant des hôpitaux ne prendra pas le temps en raison des contraintes de rentabilité), ne pensez-vous pas qu'une piste possible serait une législation sur les droits du patient, englobant l'information, le consentement, les moyens pour le patient de se situer face au médecin. Je n'ai pas une totale confiance dans l'évolution de la formation des médecins. Si, du côté des patients, il n'y a pas une exigence d'information, de consentement, etc., on ne changera pas fondamentalement le rapport de force à l'intérieur de l'hôpital, qui est une structure, une mini-société où les rapports de force entre les médecins, le personnel soignant et les patients sont très importants. Vous faites une très belle démonstration de ce qu'il faudrait mais, avant d'y arriver, il reste beaucoup de travail.
M. Wim Distelmans. C'est une analyse valable. J'ai dit tout à l'heure que la discussion relative à la fin de vie n'était que le sommet de l'iceberg et que les droits des patients étaient déjà violés à un stade bien antérieur. Malheureusement, beaucoup de patients ne sont pas suffisamment capables de s'exprimer pour discuter avec leur médecin parce que, dans ce domaine, une certaine formation est nécessaire. La question consiste à savoir comment celle-ci doit être organisée. Le contexte social joue toujours un rôle important. On pourrait envisager de créer une fonction de médiation entre le patient et le médecin. Cet intermédiaire devrait défendre les droits du patient par rapport au monde médical.
Les grandes villes sont plus fortement touchées parce que les soins de l'entourage y sont moins développés et parce que dans la société multiculturelle ce problème n'a pas encore reçu de solution satisfaisante. La création de centres de jour pourrait quelque peu atténuer les problèmes. La semaine dernière, j'ai eu un long entretien à ce propos avec sour Léontine. La création de centres de jour pourrait offrir une alternative aux soins de l'entourage trop limités dans les grandes villes.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Les législations ou les propositions qui sont sur la table sont axées sur la demande du patient mais ne concernent qu'un acte déterminé. Tous les autres actes médicaux sont ignorés. C'est là ma préoccupation. Pour ces autres actes, l'information, le consentement n'entrent pas en jeu. Le patient est ignoré. Ici, on est face à une situation spécifique mais je trouve que cela soulève des questions pour tous les autres actes.
M. Wim Distelmans. Absolument.
M. Philippe Monfils. Je vous remercie, docteur, de votre intervention. Vous avez dit que les enfants étaient souvent très mûrs et qu'un certain nombre de psychologues constataient qu'ils étaient capables d'appréhender eux-mêmes leurs problèmes. Vous devez savoir que les psychologues et les psychiatres vont souvent explorer des domaines que le politique ne peut pas explorer, pour des motifs que vous imaginez aisément. C'est pour ces raisons-là qu'aucune des propositions de loi déposées ne vise évidemment l'euthanasie des mineurs. On peut évidement mener une réflexion sur ce problème. Le politique a d'autres barrières qui font que, parfois, il ne se borne pas simplement à traduire les positions sans doute scientifiquement parfaites, des psychologues et des psychiatres.
Si je suis d'accord avec votre position sur les soins palliatifs, je le suis moins avec votre comparaison évoquant deux milliards pour un F16. Je vous dirais que deux milliards, c'est aussi l'ensemble de ce que l'État donne à la culture, en Communauté française, ou certainement le montant qui permettrait, en Flandre ou en Wallonie, de s'occuper de tous les handicapés mentaux qui, actuellement, ont des difficultés à trouver un home. Cela pour vous dire avec un grand sourire que comparaison n'est pas raison. Vous avez raison, par contre, de dire qu'il faut des priorités à l'intérieur d'un secteur.
Ma question est un peu complémentaire à celle de Mme de T'Serclaes. Dans un système de soins palliatifs ou continus, où l'intéressé est vraiment pris en charge totalement, même s'il est conscient, au moment où il serait amené à faire une demande d'euthanasie, croyez-vous qu'il sera encore capable de poser une question qui, à l'avance, sera mal reçue par l'équipe ? Autrement dit, n'y a-t-il pas une espèce de paternalisme négatif qui pourrait jouer dans un certain nombres de services de soins palliatifs peut-être pas ceux auxquels vous faites allusion, mais d'autres où l'on dirait : « Tu entres dans ce secteur et il est bien évident qu'il n'est pas question que tu arrives un jour à une demande d'euthanasie ni qu'on y réponde. » En d'autres mots, les conditions du dialogue entre le patient, le médecin et l'équipe sont-elles encore égales et équitables dans un service qui, évidemment, oriente massivement le patient vers un autre type de solution ?
M. Wim Distelmans. Ce danger existe en effet et je puis en donner des exemples. Certaines unités ou organisations de soins palliatifs, quelque bonnes que soient leurs intentions, interviennent de façon très paternaliste et étouffent leurs patients, au propre comme au figuré. Je reçois régulièrement des coups de téléphone de patients d'autres unités ou institutions, qui y sont parfaitement soignés mais qui souhaitent discuter de ce genre de problèmes. Ce n'est pas possible là où ils se trouvent, et encore moins que l'on accède à leur demande. C'est évidemment un problème et je comprends ces personnes. Si le patient est suffisamment capable de s'exprimer, nous pouvons essayer d'organiser un transfert, mais certaines personnes sont tellement affaiblies qu'elles ne le demandent pas ou ne peuvent plus le demander. C'est regrettable.
M. Jean-François Istasse. Je suis très intéressé par votre dernière remarque soulignant que le pluralisme doit valoir dans tous les cas et tous les sens. Ce n'est peut-être pas le cas partout et spécialement pour les soins palliatifs.
Je voudrais revenir sur le paradoxe que vous avez développé quand vous avez dit que 70 % des malades souhaitent mourir chez eux alors qu'en fait, ils vont mourir à l'hôpital. Cela suppose évidemment une inversion totale de ce que l'on fait pour l'instant. Tous les gestionnaires d'hôpitaux vous diront qu'ils ont l'oeil braqué sur le nombre de journées d'hospitalisation et sur le taux d'occupation des lits d'hôpital. Cela suppose une toute autre philosophie. Je vous remercie, docteur, d'avoir posé ce problème important devant le Sénat et je souhaiterais que vous apportiez quelques commentaires supplémentaires à ce sujet.
M. Wim Distelmans. J'ai appris que l'on essayait pour le moment de réorganiser l'INAMI et j'estime que c'est une bonne chose. D'aucuns affirment que l'INAMI est un État dans l'État, et que l'on peut difficilement modifier cette situation. L'un des tabous est le transfert de moyens du secteur hospitalier vers le secteur extrahospitalier. Un tel glissement serait impossible. On peut tout demander, mais pas cela. Tant que nous serons dans cette impasse, rien ne changera. Un changement fondamental de philosophie et de pensée est nécessaire. La direction de l'AZ VUB, par exemple, a prouvé que c'était possible en prenant l'initiative de créer pour la première fois en Belgique un centre de jour pour des patients incurables et nécessitant des soins palliatifs, implanté dans un quartier résidentiel. J'espère que Pol Verhaevert du cabinet du ministre Vandenbroucke veillera à ce que l'INAMI poursuive ses travaux dans ce sens.
M. Jean-Marie Dedecker. Je crois comprendre que vous voulez transférer une partie du budget de la chimiothérapie d'acharnement vers les soins palliatifs.
M. heer Wim Distelmans. Je n'ai certainement pas voulu viser de façon spécifique un traitement déterminé. Ce ne serait pas correct. Je puis peut-être donner un exemple plus neutre. On a effectué une étude du coût de la dernière hospitalisation, c'est-à-dire l'hospitalisation au cours de laquelle le patient décède. Cette dernière hospitalisation coûte environ 360 000 francs. Sachant que 70 000 personnes décèdent à l'hôpital, un calcul rapide nous apprend que cela représente 21 milliards environ. Si 10 % de ces personnes pouvaient être soignées à domicile, on libérerait un budget de 2 milliards, ce qui est précisément le budget des soins palliatifs. Le simple fait de développer une autre philosophie peut donner lieu à un important glissement de budgets. Les moyens financiers existent, ils sont mal utilisés.
M. Patrik Vankrunkelsven. J'espère qu'ensemble nous pourrons faire un peu bouger les choses. Je vous remercie sincèrement d'avoir montré dans votre exposé que les soins palliatifs étaient bien plus que le dernier wagonnet du train de la vie. Vous avez brillamment exprimé cela. Je tiens seulement à formuler une petite remarque sur le plan médical. Vous avez quelque peu attaqué la chimiothérapie. Je pense que pour les non-médecins il serait souhaitable de nuancer cette position et de montrer que, même dans les soins palliatifs, une chimiothérapie bien appliquée peut représenter une importante plus-value et parfois encore offrir au patient une année de vie de qualité. Je voulais nuancer votre propos qui pouvait, sinon, sembler quelque peu lapidaire.
Ma dernière remarque est aussi en quelque sorte une question. Il ressort aujourd'hui de tous les exposés que le manque de communication est un énorme problème, peut-être davantage que le manque de législation. Je me souviens d'un patient ayant un carcinome du poumon localement métastasé qui, après une hospitalisation dans un hôpital périphérique d'abord, dans un hôpital universitaire ensuite et malgré la présence d'un médecin généraliste - j'ai été appelé auprès de lui durant mon service de garde - ne savait absolument pas ce qui lui arrivait et était très anxieux. Je croyais me trouver sur une autre planète lorsque je m'en rendis compte. Il s'avère aujourd'hui que les médecins sont soutenus par l'article 33 du Code de déontologie, lequel stipule que les diagnostics néfastes peuvent parfaitement ne pas être divulgués et ne doivent être communiqués que dans des cas tout à fait exceptionnels. Partagez-vous mon point de vue selon lequel, en plus du travail législatif sur l'euthanasie et la formation à la communication, il est nécessaire d'envisager de façon urgente une législation sur les droits des patients ainsi qu'une adaptation du Code de déontologie ? Sinon, même avec une législation sur l'euthanasie, nous ne progresserons pas.
M. Wim Distelmans. Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous pouvons peut-être aussi mener la discussion difficile sur le point de savoir si l'Ordre des médecins doit être réformé. Ce n'est peut-être pas le moment, mais en tous cas nous aimerions bien de temps en temps recevoir un peu de soutien de sa part, entre autres par le biais du Code de déontologie, mais sur d'autres plans également.
Mme Mia De Schamphelaere. J'ai encore une question. Au début de votre exposé, vous avez dit que vous n'aviez sans doute pas beaucoup d'informations nouvelles à nous communiquer. Nous sommes cependant tous convaincus que vous nous avez fait part de points de vue très importants, à savoir que notre débat ne portait en fait que sur le sommet de l'iceberg, que nous avions besoin d'une révolution sur le plan médical, que le patient devait occuper une position centrale, que nous devions renoncer à l'acharnement thérapeutique et au paternalisme négatif qui se sont développés au fur et à mesure des avancées euphoriques de la médecine. Notre société doit également cesser de nier la mort. Nous traversons tous la vie dans une sorte de sentiment d'immortalité jusqu'au jour où le diagnostic fatidique est posé, à condition qu'il soit porté à notre connaissance, évidemment ! Il y a donc beaucoup à faire. Vous parlez d'un budget de 2 milliards, mais la réalisation pratique de cette révolution ne nécessite pas seulement une solution politique; il faut également un changement des comportements et des mentalités. Nous pouvons naturellement revoir la formation des médecins, mais il faut aussi prévoir des recyclages et des formations complémentaires. Toute la psychologie médicale doit changer. Vous donnez la priorité à l'autonomie du patient. Le malade doit juger du moment où il estime que son état est sans issue sur le plan humain. Maintenant que l'on sait que beaucoup de choses ne tournent pas rond manque de communication, solitude durant les derniers jours de la vie, personnes n'osant même pas parler de leur fin de vie à leur famille, aux infirmiers et aux médecins et que la révolution médicale n'est pas encore suffisamment engagée, je me demande ce qui est véritablement prioritaire. Quel peut être l'impact d'une loi sur l'euthanasie si tout le monde n'a pas appris à communiquer et à donner la priorité à l'autonomie de la personne malade ? Dans ces circonstances, quelles sont pour vous les priorités ?
M. Wim Distelmans. Ce que vous dites est correct. Il est prioritaire que chacun soit soigné de façon optimale, où qu'il se trouve dans le cours de sa vie ou le déroulement de sa maladie. Le développement des soins palliatifs est à cet égard l'élément le plus important. Il y a aussi la question de la poule et de l'oeuf : devons-nous attendre jusqu'à ce que les soins palliatifs soient entièrement développés pour satisfaire la demande d'euthanasie d'une personne qui se trouve à un stade très avancé de sa maladie ? Devons-nous attendre que tout soit parfaitement au point avant de régler ce genre de problème ? Une approche parallèle est nécessaire : les deux aspects doivent être bien organisés. Il y a encore toujours aujourd'hui des personnes qui « crèvent » dans des conditions horribles, malgré des soins palliatifs parfaitement développés. Je vous pose dès lors à vous, femme politique, la question de savoir ce que nous, en tant que soignants, devons faire dans de pareils cas. Devons-nous attendre que le politique ait trouvé une solution ? Non, ce sont des problèmes quotidiens et nous devons offrir des solutions.
Mme Mia De Schamphelaere. En tant que femme politique, je dois aussi poser la question de l'impact social d'une loi sur l'euthanasie sans que l'encadrement nécessaire soit prévu.
M. Wim Distelmans. J'ai compris qu'il y aurait également une réglementation légale en matière de soins palliatifs. Cela va donc de pair et je ne puis que m'en réjouir. Je souhaite seulement que l'on ne se retrouve pas dans la même situation que pour le traitement de la douleur. La morphine est connue depuis 1800, mais nous n'en faisons un usage optimal que depuis quelques décennies. Pendant 150 ans, les personnes n'ont pas reçu ou ont reçu beaucoup trop peu de morphine. Cela arrive encore maintenant, en raison du tabou qui existe autour des calmants et des médicaments créant une dépendance. J'espère vivement que cela ne se répétera pas en ce qui concerne les problèmes relatifs à l'euthanasie. Il y a aussi un tabou à ce sujet. Continuons, parce que nous sommes sur la bonne voie. Traitons les deux problèmes en même temps. Les soins palliatifs constituent bien entendu, sur le plan quantitatif, un problème beaucoup plus important. Mais aussi longtemps qu'une personne souffrira de façon horrible avant de pouvoir mourir, il faudra régler le problème de l'euthanasie. Telle est mon expérience pratique.
M. Josy Dubié. Nous accueillons aujourd'hui M. Menten. Il est radiothérapeute-oncologue et, depuis 1984, membre permanent de la direction du service d'oncologie-radiothérapie des cliniques universitaires de Louvain. Depuis 1992, il y coordonne l'équipe d'assistance palliative et en 1999, il a été désigné comme responsable médical d'une unité de soins palliatifs. Depuis 1995, il est membre de la Commissie voor medische ethiek des cliniques universitaires de Louvain.
M. J. Menten. Je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mon expérience en matière de soins palliatifs et terminaux administrés principalement à des patients d'oncologie.
Le formidable essor technologique qu'a connu la médecine à partir des années 60 a fait croire à beaucoup de gens que la finitude de la vie devait être remise en cause. L'accent était surtout mis sur le traitement hautement technologique et spécialisé d'organes malades, qui reléguait parfois trop au second plan le patient en tant qu'être humain. En réaction, il n'est pas étonnant que le besoin d'une médecine plus humaine ait été formulé par la communauté des patients. Cela a abouti entre autres à l'avènement des soins palliatifs.
Les limites du traitement médical ont à nouveau été reconnues, le contrôle de la douleur et des symptômes chez les patients incurables a pris de l'importance et la mort n'a plus été occultée dans le cadre des soins administrés au patient. Toutefois, les soins palliatifs sont, à mon avis, trop souvent considérés comme un accompagnement de la mort, alors que leur but est précisément de véritablement faire revivre le patient pendant le laps de temps restreint qui le sépare encore de la mort. Il serait donc plus juste d'utiliser les termes « accompagnement palliatif de la fin de vie » du patient incurable, plutôt que de parler d'accompagnement de la mort. Dans la phase palliative, l'accompagnement de la mort ne représente que les tout derniers soins que l'on prodigue, pendant le(s) dernier(s) jour(s), au mourant et à sa famille.
Ce débat sur l'euthanasie ne doit pas se focaliser exclusivement sur l'agonie proprement dite. La mort doit à nouveau être considérée comme une phase normale de la vie et tous ceux qui sont actuellement en vie sont sûrs de mourir dans les 100 années qui viennent. Qui plus est, tout le monde devrait se préparer à quitter ce monde. Ce n'est et n'a toutefois pas été la culture dominante des 50 dernières années. La mort était considérée comme un échec de la médecine plutôt que comme une phase normale et importante de la vie. Il est grand temps de lever ce tabou et de reconsidérer la mort comme un phénomène naturel dans la vie de tout être humain. La mort a été à ce point médicalisée et professionnalisée qu'elle est devenue un événement étranger à la vie quotidienne de la plupart des gens.
Dans l'unité d'oncologie et de soins palliatifs où je travaille, nous devons constamment faire face à la mort. La présente contribution est le témoignage d'une pratique quotidienne où nous sommes confrontés à des patients qui nécessitent des soins palliatifs et à la finitude de la vie. J'espère de la sorte pouvoir fournir une contribution qui puisse vous aider dans notre importante discussion sur une réglementation légale des actes médicaux au stade de la fin de la vie. Je le ferai en huit points, avant de conclure.
Fréquence des demandes d'euthanasie
Il y a dix ans, on adressait à la section d'oncologie à peine une demande claire d'euthanasie par an. Nous n'étions du moins saisis que d'une seule demande, ou alors le patient n'osait exprimer cette demande qu'à une seule occasion. Sans doute était-elle à l'époque aussi venue à l'esprit de bon nombre de personnes. À l'heure actuelle, de 40 à 50 demandes d'euthanasie sont adressées chaque année à l'équipe d'assistance palliative et l'unité de soins palliatifs de notre hôpital. Ces demandes émanent du patient capable lui-même, qui réclame sciemment que le médecin mette activement fin à sa vie. Cela correspond donc parfaitement à la définition que nous donnons aujourd'hui de l'euthanasie. Plus de 3 000 nouveaux diagnostics de cancer sont posés chaque année dans notre hôpital : moins de 2 % des patients cancéreux formulent donc une demande d'euthanasie !
Chaque fois, l'équipe de soins palliatifs consacre le temps nécessaire à une ample conversation avec chaque patient individuel et sa famille, pour écouter, pour scruter la raison sous-jacente de la demande d'euthanasie. On pourrait dire : pour décoder la demande. La souffrance physique est rarement (dans moins de 10 % des cas) une raison qui pousse le patient à demander l'euthanasie. De nombreuses demandes d'euthanasie sont formulées d'après notre expérience à cause d'une mauvaise interprétation du pronostic ou de l'évolution de la maladie que l'on escompte. Ce sont souvent surtout l'angoisse et l'incertitude face à l'agonie qui suscitent des demandes d'euthanasie. En outre, le non-sens de la vie qui touche à la fin, la solitude et la crainte d'être une charge pour autrui sont autant de raisons qui poussent à demander l'euthanasie.
En donnant des informations accessibles au patient, en corrigeant des conceptions erronées et en assurant le patient de notre présence attentionnée et inconditionnelle jusqu'au moment de sa mort, nous faisons disparaître la plupart de ces demandes d'euthanasie. En effet, bon nombre de patients deviennent fatalistes dès l'instant où ils apprennent que leur médecin ne peut plus les guérir. Le patient se sent souvent abandonné à son propre sort, notamment parce que le médecin a oublié de lui donner l'assurance qu'il lui prodiguera ses soins jusqu'à la fin. Le médecin dit encore trop souvent à son patient qu'il ne peut plus rien pour lui. Si le malade ne peut plus être guéri, on peut recourir à toute la gamme de possibilités de soins palliatifs.
En tant qu'équipe d'assistance palliative, nous proposons toujours aux patients qui persistent dans leur demande d'euthanasie les 3 possibilités suivantes :
1) Restez dans la section qui vous soigne actuellement et discutez les possibilités de thérapie et de soins avec votre équipe traitante.
2) Restez dans cette section et, si vous le souhaitez, l'équipe d'assistance palliative cherchera, de concert avec l'équipe traitante, les meilleures possibilités de contrôle de la douleur et des symptômes. L'équipe est donc agrandie.
3) Vous pouvez recourir à la section de soins palliatifs ou opter pour des soins palliatifs à domicile bien organisés. Plus aucun examen technique n'y sera fait et l'on se concentrera exclusivement sur le contrôle de la douleur et ses symptômes, en s'attachant en outre aux aspects sociaux, psychologiques et spirituels de la vie. Si vous estimez, en tant que patient, que la situation n'est plus acceptable pour vous, une sédation contrôlée peut, à votre demande, vous être administrée. C'est possible techniquement tant dans la section de soins palliatifs que dans le cadre des soins à domicile, à la condition de faire appel à des dispensateurs de soins palliatifs experts en la matière, qui assureront la continuité des soins.
Si la demande d'euthanasie persiste, des problèmes de conscience m'empêchent d'aider le patient et à ce stade, je peux éventuellement, d'un commun accord avec ce dernier, mettre fin à notre relation médecin-patient. Nous laissons au patient l'entière liberté de consulter, le cas échéant, d'autres collègues.
De tous les patients avec lesquels la demande d'euthanasie a été analysée de cette manière par l'équipe d'assistance palliative, un seul jusqu'ici a maintenu sa demande. À l'issue d'une concertation sereine avec le patient, notre relation médecin-patient a effectivement pris fin à la demande du patient, dans le respect des opinions respectives.
Dans tous les autres cas, le patient a bel et bien renoncé à sa demande d'euthanasie et a choisi activement une des trois solutions proposées. La grande majorité des patients ont opté pour la poursuite des soins optimalisés dans leur propre section hospitalière des maladies aiguës par l'équipe dispensatrice qu'ils connaissaient, aidée, au besoin, par l'équipe d'assistance de soins palliatifs. Une minorité a choisi le passage à l'unité palliative ou aux soins à domicile.
Besoins oncologiques
Comme je l'ai déjà dit, le diagnostic du cancer est posé chaque année dans notre hôpital pour plus de 3 000 nouveaux patients. Je puis guérir environ la moitié d'entre eux, tandis que l'autre moitié mourra un jour des suites de cette maladie. Cela signifie que nous devons annuellement administrer des soins palliatifs à environ 1 500 nouveaux patients d'oncologie. Certains d'entre eux meurent à l'hôpital, mais fort heureusement, nombreux sont ceux qui ont la possibilité d'être soignés à domicile jusqu'à la fin. Ces patients d'oncologie se répartissent entre la section d'oncologie, de chirurgie oncologique et de gynécologie, la section d'oncologie digestive et respiratoire, la section d'hématologie et, enfin, la pédiatrie. Tous ces services oncologiques sont représentés par des médecins membres de la direction au sein du groupe de travail de soins palliatifs de l'hôpital. Ils y collaborent avec des représentants de la section de gériatrie et une représentation des praticiens de l'art infirmier et de l'équipe d'assistance sociale et pastorale en vue de poursuivre le développement de manière structurée des soins palliatifs pour l'ensemble de l'hôpital. Tous les dispensateurs de soins de l'hôpital peuvent ainsi accroître leur aptitude à réellement administer les soins palliatifs au chevet de chaque patient individuel. Nous voulons en effet éviter que des soins de qualité soient donnés dans une unité palliative de six ou neuf lits alors que le reste de l'hôpital demeurerait privé de bons soins palliatifs en phase terminale.
Aucun des responsables de ces sous-disciplines oncologiques ne veut que l'euthanasie soit rayée du droit pénal pour mieux pouvoir aider les patients. Ils demandent au contraire avec insistance que la loi ne soit pas modifiée, mais que l'on développe une stratégie/un contrôle social pour mettre un terme aux abus existants. Ils demandent aussi que l'on améliore les possibilités de développer une expertise palliative dans tous les hôpitaux et les maisons de repos de Belgique. Nous constatons en effet dans notre hôpital que les problèmes palliatifs peuvent aujourd'hui être abordés de manière beaucoup plus structurée et efficace grâce à la collaboration interdisciplinaire que l'installation d'une équipe d'assistance palliative a permis de mettre en place.
C'est précisément pour cette raison que nous voyons les demandes d'euthanasie fondre comme neige au soleil. Nous n'avons pas besoin, pour le patient souffrant et ceux qui lui dispensent de l'aide, d'une « échappatoire » permettant d'éluder le problème. Nous continuons toutefois à chercher ensemble comment mieux appréhender, d'une manière scientifiquement fondée, la douleur et les symptômes dont souffre le patient en détresse qui reçoit des soins palliatifs et terminaux. C'est que la recherche clinique et fondamentale en soins palliatifs et terminaux est indispensable pour répondre à un certain nombre de questions et d'opinions erronées et les résoudre. C'est pour cela que nous avons un urgent besoin de moyens, car cela nous permettrait d'administrer de meilleurs soins palliatifs et terminaux à des milliers et des milliers de patients cancéreux parmi les 25 000 qui décèdent chaque année en Belgique. Une grande partie de ces connaissances pourra être appliquée également aux patients qui reçoivent des soins palliatifs terminaux non oncologiques, qui sont en Belgique au nombre de 15 000 à 25 000 par an. Ces connaissances profiteraient donc à 40 000 à 50 000 mourants belges. Telle est la grande mission qui nous attend ces prochaines années, en notre qualité de corps social et de corps médical et paramédical.
Nous devons en outre, en collaboration avec les décideurs politiques, établir des lignes directrices, à l'issue d'un débat social auquel seront étroitement associés, à l'instar du présent débat, les dispensateurs de soins, forts de leur pratique quotidienne, pour discerner les stratégies que nous devons développer à l'égard de ces patients, extrêmement rares, auxquels toutes les thérapies types disponibles ne parviennent pas encore à assurer une agonie conforme à la dignité humaine.
Symptômes réfractaires dans les soins palliatifs et terminaux
Aux cliniques universitaires de Louvain meurent, chaque année, environ 1 500 patients; 800 de ces décès surviennent plus ou moins en phase aiguë et pour 700 patients chroniques, le décès est précédé d'une hospitalisation de 3 semaines en moyenne. Seuls 14 des quelque 2 100 patients chroniques ont trouvé, ces 3 dernières années (1997-1999), le contrôle des symptômes insuffisant, et ce, malgré le recours à toutes les possibilités palliatives normalement disponibles. Suivant les normes relatives au patient, il y avait donc état de détresse. Chez ces 14 patients, on a entrepris, après avoir scrupuleusement consulté l'intéressé, la famille et l'équipe de soins, une sédation contrôlée intermittente ou continue. Cela signifie que 14 patients seulement sur 2 100, soit 0,66 %, présentaient des symptômes qu'ils considéraient comme réfractaires au contrôle normal de la douleur et des symptômes.
Il faut en conclure qu'il importe, dans la pratique clinique quotidienne, de distinguer clairement les « symptômes réfractaires » des « symptômes difficilement traitables ». Ces derniers sont à l'origine d'environ 20 % des demandes de soins palliatifs. Les symptômes réfractaires, quant à eux, sont très rares et ne frappent, selon la littérature, que moins de 5 % des patients en phase terminale bénéficiant de soins palliatifs. La douleur physique ne constituait que pour 2 des 14 patients le symptôme réfractaire; les 12 autres patients souffraient de douleurs sociales, psychiques et spirituelles ou avaient des difficultés à donner un sens à cette vie qui s'achève.
En administrant par intermittence une sédation contrôlée, on a pu permettre à 6 des 14 patients souffrant de symptômes réfractaires de communiquer normalement, de manière intermittente, avec leur famille, ce qui a été ressenti par les deux parties comme extrêmement précieux.
Les 8 autres patients se sont vu administrer de manière continue, dès le début, une sédation contrôlée; seul pour 2 de ces 8 patients, on n'a pas pu atteindre l'objectif de leur permettre de mourir paisiblement et en toute quiétude. Ces deux patients souffraient d'une dyspnée assez sévère et l'équipe n'a été appelée que lorsqu'ils étaient déjà à l'agonie. Sur une période de trois années, l'équipe d'assistance palliative a effectivement constaté, tant subjectivement qu'objectivement, un état de détresse chez 2 des 2 100 patients. Pour 12 des 14 patients (soit 85,7 %), l'objectif visé a donc bel et bien pu être atteint grâce à la sédation contrôlée, et le symptôme réfractaire a pu être atténué de manière efficace.
Que trouvons-nous à ce propos dans la littérature ?
Dans un hospice de soins palliatifs à Osaka, au Japon, on a, sur une période de 4 ans, administré des barbituriques, à raison de 1 mg/kg, à 22 patients souffrant de symptômes réfractaires pour les plonger dans une sédation « consciente » (c'est-à-dire qui n'entraîne pas une perte de conscience). Pour la moitié seulement de ces patients japonais, on a pu ainsi réaliser un bon contrôle des symptômes, tandis que les autres patients n'en ont tiré aucun avantage. Il ressort de cette expérience qu'on doit pouvoir accepter, dans le cas de la sédation contrôlée, une perte de conscience partielle ou totale si l'on veut que les symptômes réfractaires soient traités de manière suffisamment efficace.
Une enquête menée auprès de médecins en soins palliatifs anglais et canadiens (ces médecins pratiquent pendant au moins 50 % de leur temps la médecine palliative) montre que 85 % d'entre eux ont pratiqué, au cours de l'année écoulée, une sédation contrôlée sur 1 à 4 patients seulement bénéficiant de soins palliatifs, ce qui démontre donc à nouveau, en chiffres absolus, qu'il y a très rarement des symptômes réfractaires (certainement moins de 5 % des cas) dans le cadre des soins palliatifs qu'il est possible de prodiguer à ce jour.
L'« American College of Physicians-American Society of Internal Medicine » a récemment publié un rapport dans lequel on présente clairement le rôle et la procédure de la sédation terminale et le refus volontaire de nourriture et de boisson comme une option thérapeutique exceptionnelle pour les patients se trouvant en phase terminale. Selon moi, l'expression « sédation terminale » est quelque peu malheureuse, car elle pourrait donner l'impression que l'on administre de plus en plus de sédatifs dans le but de mettre fin à la vie. Je préfère dès lors l'expression « sédation contrôlée ».
La sédation contrôlée n'est pas une « euthanasie lente »
D'aucuns considèrent que la sédation contrôlée constitue la dernière étape avant la mort et ne voient plus aucune différence entre celle-ci et l'assistance au suicide ou l'euthanasie. Aussi appellent-ils la sédation contrôlée une forme d'« euthanasie lente ». C'est surtout dans un courant de la littérature américaine que l'on adopte ce point de vue.
Cependant, il y a plusieurs différences fondamentales :
Dans le cas de la sédation contrôlée, il y a seulement l'intention d'atténuer les souffrances du patient, et non pas celle de mettre fin à la vie. Aussi n'administrons-nous jamais, en cas de sédation contrôlée, de dose mortelle, mais nous augmentons de manière titrée la dose des sédatifs jusqu'à l'assouvissement complet des besoins que le patient éprouve à ce moment. Cela nécessite une réévaluation permanente de l'effet thérapeutique sur les symptômes, au moyen de concertations avec la famille, le personnel infirmier, les médecins et le personnel paramédical.
L'attention qui est ainsi en permanence accordée aux détails, et qui va de pair avec des adaptations fréquentes des doses de médicaments (littéralement jour et nuit !), est très fortement appréciée par les familles. Elles se sentent, elles aussi, associées, parce qu'elles ont en permanence un rôle actif à jouer dans les décisions à prendre. On demandera très régulièrement aux familles si elles pensent que le patient souffre, a mal, est confortable, etc. De cette manière, le patient n'est pas seulement « exposé » à leurs regards, mais les familles ont véritablement pour mission de prendre fait et cause pour leur proche et de veiller à ce qu'il ou elle ne doive pas souffrir de symptômes déplaisants. Elles considèrent leur fonction de veiller et d'observer le patient comme étant d'une grande valeur. L'équipe est par ailleurs chargée en permanence de continuer à assister les familles durant cette période de sédation contrôlée et de prêter attention à leurs émotions, à leurs opinions individuelles, tant correctes qu'erronées, à leurs questions et à leurs besoins. J'estime qu'il n'est pas possible, dans le cas de l'assistance au suicide ou de l'euthanasie, d'arriver à cette empathie et à cette coopération permanentes entre l'ensemble de l'équipe professionnelle et la famille. Ceux-ci se trouvent littéralement en marge de ce dernier processus, puisqu'ils ne sont souvent pas associés en la matière. D'aucuns opteraient même pour un « colloque singulier » entre le médecin et le patient. La famille et le reste de l'équipe de soignants sont de cette façon hors jeu.
La sédation par intermittence est possible si l'on utilise des benzodiazépines d'action brève. Certains patients veulent dormir la majeure partie de la journée, mais aiment malgré tout pouvoir communiquer avec leur famille à certains moments. Grâce à cette technique innovatrice, on arrive à un juste équilibre entre, d'une part, un contrôle optimal des symptômes et, d'autre part, la reconnaissance que, dans ces circonstances ultimes, le patient a encore de la valeur pour sa famille. De cette manière, il jouit d'une reconnaissance maximale en tant qu'« être communiquant » à l'intérieur de sa structure sociale, tout en bénéficiant du contrôle des symptômes qui le frappent. Il appartient au patient de dire à quel moment il souhaite à nouveau dormir. Une sédation contrôlée par le patient devient ainsi réalité et l'autonomie du patient est reconnue. C'est lui qui décide de l'intensité et de la durée de la sédation. En cas de sédation continue, la famille et l'équipe chargée des soins se substituent au patient.
Le patient sous sédation complète et continue n'est pas « exposé aux regards des curieux », comme le prétendent souvent les adversaires de la sédation contrôlée, mais compte encore vraiment pour sa famille.
Il est important pour la famille de pouvoir voir, pendant quelques heures ou jours, que leur proche est débarrassé des symptômes et récupère toute sa dignité dans cette phase terminale de sa vie. Cette situation contraste violemment avec les symptômes dont le patient a souffert au cours des semaines ou jours précédents ou avec les craintes qu'éprouvait la famille quant aux souffrances que leur proche cancéreux devrait encore subir. Les mauvaises expériences que la famille ou les amis ont eues précédemment par rapport à des mourants se trouvent souvent à l'origine de cette peur de l'agonie. Les membres de la famille, riches de cette expérience positive, peuvent ainsi contempler, sans crainte, leur propre fin de vie. La sédation contrôlée rend la dignité, la sérénité et la paix à la vie du patient qui souffre et que tous les autres moyens disponibles ne pouvaient pas aider. Assister à pareille agonie sereine est pour la famille la meilleure façon de prévenir l'apparition d'un deuil pathologique. Elle a pu se rendre compte elle-même que les terribles symptômes réfractaires étaient réellement sous contrôle et que la sédation a permis au patient de mourir dignement.
Je constate qu'après le décès du patient sous sédatifs, la famille est très soulagée, parce que tout s'est si bien passé, parce qu'elle a pu collaborer activement à la « belle mort » de son proche, parce qu'on a prodigué des soins intégrés en étant attentif à tous les aspects de la vie. Bien qu'éprouvée par le chagrin de la séparation définitive, la famille a de la gratitude pour une équipe pleine de sollicitude, compétente et humaine dont elle garde de bons souvenirs.
Quel contraste entre cette expérience et la situation dans laquelle il faut mettre fin à la vie du patient souffrant parce que la vie n'était plus supportable, parce que le patient et son entourage ne voyaient plus d'autre solution possible ! La maladie dont souffre le patient n'est-elle pas, de cette façon, frappée d'un énorme tabou avec lequel la famille devra vivre pendant des décennies ?
Dans le cas d'une sédation intermittente et continue, le patient peut encore vivre pendant des jours, voire pendant quelques semaines, alors que, dans le cas d'assistance au suicide ou d'euthanasie, il meurt dans un délai de 24 heures à une semaine au plus. On s'est rendu compte, aux Pays-Bas, que 20 à 21 % des gens ne mouraient pas en cas d'assistance au suicide et qu'il fallait faire appel au médecin qui procédait alors à l'euthanasie.
La sédation contrôlée ou terminale ne raccourcit pas la vie puisqu'on n'administre jamais de doses létales. Le processus pathologique suit son cours normal et évolue tout naturellement vers l'agonie. Dans notre expérience, il existe très nettement une marge de manoeuvre thérapeutique entre un bon contrôle des symptômes, que l'on obtient en administrant des médicaments méticuleusement titrés, et une dose qui serait létale. Grâce à cette sédation adaptée à chaque cas individuel, l'agonie annoncée n'en deviendra que plus digne et sereine, alors que les symptômes réfractaires faisaient obstacle, auparavant, à la mort dans la dignité.
En revanche, l'euthanasie raccourcit la vie; c'est même son seul objectif. Pourtant, les patients qui demandent à être euthanasiés ne souhaitent en fait pas mettre fin à leur vie (cf. : de toutes les demandes d'euthanasie qui sont traitées par l'équipe d'assistance palliative de notre hôpital, seul une demande émanait d'un patient qui voulait mourir). Ils refusent seulement de continuer à vivre en souffrant de la sorte.
Généralement, les patients qui, en raison de symptômes réfractaires, doivent prendre des sédatifs soit ne mangent et ne boivent déjà plus avant le début de la sédation, parce que la fin de la vie est déjà si proche, soit refusent de manger parce qu'ils ne souhaitent pas prolonger leur vie. Cela réfute l'argument selon lequel on laisse le patient mourir de faim et de soif durant la sédation, ce que d'aucuns considèrent comme un acte immoral. Une hygiène buccale méticuleuse reste toutefois essentielle.
Je tiens cependant à souligner qu'il est difficile de réaliser une sédation contrôlée, parce que cela nécessite une expertise qui n'est pas encore suffisamment développée et que ne maîtrisent certainement pas encore tous les prestataires de soins professionnels. La sédation contrôlée nécessite en outre beaucoup de temps et beaucoup de travail : un suivi clinique de près et une concertation avec la famille sont des conditions sine qua non. On doit en permanence éviter de surtraiter et de « soustraiter » le patient en procédant à un titrage individuel des médicaments. Dans le cas de l'euthanasie, on se base sur une directive consensuelle fixant la médication et les doses; on se réfère pour ainsi dire à un livre de recettes.
Ces recettes sont d'ailleurs largement diffusées aux Pays-Bas, bien que l'expérience montre qu'il est plus difficile de les appliquer qu'une simple recette de cuisine. On ne peut avoir ou donner l'impression que tout individu qui demande et obtient d'être euthanasié meurt dans la sérénité et dans la dignité, comme il ressort largement des témoignages personnels de médecins néerlandais, de médecins belges ainsi que de la littérature en la matière. Ici aussi, il faut une certaine expertise. Si, en tant que médecins, nous devons de toute façon développer une certaine expertise, autant en développer une qui se trouve dans le droit fil de nos actions et de nos réflexions médicales. Nous optons dès lors, à Louvain, pour des soins palliatifs experts, tout en ayant recours, en cas d'urgence, à la sédation contrôlée. Grâce à cette expertise, nous avons pu, ces deux dernières années, aider chaque patient cancéreux bénéficiant de soins palliatifs à mourir sereinement.
La sédation contrôlée n'est indiquée que lorsque les mesures standard visant à contrôler les symptômes ne donnent pas de résultats. Dans ce cas, la sédation est acceptable selon le principe de la proportionnalité. La décision est toujours prise en concertation avec le patient et en accord avec l'équipe de soignants et la famille. Dans le cas de l'euthanasie, on peut imaginer que le patient prendrait seul, en accord avec le médecin, la décision finale, et qu'il ne serait aucunement question d'une décision consensuelle associant toute une équipe ou d'une décision prise en accord avec la famille.
La mort fait partie de la vie
Le médecin en soins palliatifs accepte que la mort constitue une composante naturelle de la vie, mais fait tout ce qu'il peut pour réaliser un bon contrôle des symptômes en recourant à des mesures qui sont en rapport avec la souffrance du patient. Il ne demande donc aucunement de pouvoir proposer légalement à son patient la mort comme moyen thérapeutique. La toute grande majorité des médecins en soins palliatifs belges et européens n'ont pas besoin de l'euthanasie pour pouvoir offrir une belle mort à un peu plus de 95 % de leurs patients les plus difficiles. Par contre, ils ont besoin de directives stipulant comment faire face, d'un point de vue médical et social, aux éventuels et rares cas d'exception. Je ne prétends pas que la sédation contrôlée offrira toujours et partout la solution, mais nous avons pu aider chacun de nos patients cancéreux ces deux dernières années.
Quelle que soit la décision que vous preniez, et je parle cette fois en mon nom, je n'ai pas besoin de l'euthanasie comme thérapeutique légale dans l'oncologie et c'est une personne qui se tient plus de cent fois par an personnellement aux côtés de patients palliatifs en phase terminale qui vous le dit. En effet, sur le plan médical, nous disposons des instruments et de l'encadrement nécessaires en vue d'aider pour toutes les formes de douleur, les patients oncologiques en phase terminale qui bénéficient de soins palliatifs et ce dans le but de les laisser mourir d'une bonne mort, mais naturelle. Dans notre société, un diagnostic de cancer ne peut pas devenir un mot de passe pour l'euthanasie.
Nécessité d'une formation
Pour pouvoir réaliser tout cela, il est absolument nécessaire de prévoir, dans la formation de base de tous les prestataires de soins, une formation en thérapie et soins palliatifs. Nous devons donc faire comprendre aux professeurs des universités et des écoles supérieures pour le personnel paramédical ce qui est cliniquement indispensable en termes de formation théorique et comment les compétences et les attitudes dans le domaine des soins palliatifs doivent être développées au cours de la formation de base. Ce n'est que lorsque l'on aura réalisé cela que les soins palliatifs seront réellement disponibles pour tous les patients, indépendamment de l'endroit où ils sont soignés. La thérapie et les soins palliatifs, ainsi que l'accompagnement des mourants deviendront ainsi un élément de la « bonne pratique médicale », un droit pour tous, pour les personnes soignées en milieu hospitalier comme pour celles qui sont soignées à l'extérieur, alors que dans la situation actuelle, cela reste encore un privilège réservé à quelques-uns.
Parler à nouveau de la mort
Le développement d'une culture de soins palliatifs a permis ces dernières années de parler à nouveau librement de la mort dans notre société. Le tabou qui frappait la mort et certaines maladies graves comme le cancer était en train de s'atténuer. Ces affectations devenaient un peu moins effrayantes. En sortant l'euthanasie du droit pénal, on donne à tort à la collectivité l'impression qu'il existerait des maladies incurables pour lesquelles le contrôle de la douleur et des symptômes est encore si médiocre que la mort est la seule solution. Jamais encore dans l'histoire de la médecine il n'y a eu autant de possibilités qu'aujourd'hui au niveau du contrôle de la douleur et des symptômes. Il est dès lors paradoxal que ce soit justement à notre époque que la demande d'euthanasie est si prononcée sur le plan social.
Multidisciplinarité
Lorsqu'un patient et une équipe de soins sont confrontés à une souffrance dite inhumaine, il est du devoir éthique de l'équipe professionnelle en question de solliciter un avis interdisciplinaire. En tant qu'oncologues, nous sommes formés pour penser et agir de manière interdisciplinaire en permanence. Cette attitude doit devenir une évidence dans tous les endroits où l'on soigne des patients palliatifs et des patients en phase terminale. Au début de certaines maladies, il est encore acceptable que la concertation ait lieu uniquement entre le patient et un seul médecin, mais à mesure que la maladie progresse, il devient de moins en moins admissible que l'on ne recueille pas d'autres avis professionnels au moment idoine.
Les soins palliatifs et l'accompagnement des mourants constituent donc un travail d'équipe où l'on obtient le plein rendement pour le patient uniquement lorsque tous les membres de l'équipe disposant d'une certaine expertise interviennent de manière optimale. Par conséquent, on comprend très bien que les problèmes semblent souvent insolubles lorsque, dans ces situations difficiles, l'équipe reste limitée au patient et à un seul médecin. Dans cette situation d'impuissance, on peut comprendre que l'euthanasie semble parfois être la seule solution. C'est pourquoi je m'oppose avec force à l'idée suivant laquelle l'euthanasie pourrait être décidée en colloque singulier. Cela aboutirait à une situation où un grand nombre de patients ne recevraient pas les soins auxquels ils ont droit.
Conclusion
Des soins palliatifs optimums permettent d'éliminer la plupart des demandes d'euthanasie, en particulier dans l'oncologie. Quant aux rares situations résiduelles ou symptômes réfractaires, nous les traitons avec succès par une application minutieuse de sédation contrôlée intermittente ou continue. Nous jugeons dès lors inutile de retirer l'euthanasie du droit pénal. Nous demandons toutefois des mesures visant à éviter à l'avenir les abus que se font jour.
Nous demandons votre soutien politique afin que l'expertise palliative soit inclue dans la formation de base de tous les futurs prestataires de soins et que les maisons de repos et de soins aient la possibilité de vraiment développer des fonctions palliatives comme les arrêtés royaux le prévoient depuis longtemps. Notre société enregistrera de la sorte des progrès importants vers des soins de santé plus humains. Nous seront alors un exemple pour les pays voisins en ce qui concerne la qualité de nos soins de santé.
M. Philippe Mahoux. En ce qui concerne votre dernier souhait, je pense que vous obtiendrez le soutien de la part non seulement d'une large majorité du Parlement, mais aussi de la population, s'il s'agit de continuer à se battre pour une médecine de plus en plus humaine et qui est aussi de plus en plus performante. Je pense que ces deux aspects doivent être soutenus.
Je poserai une première question en ce qui concerne les soins palliatifs. Nous souhaitons effectivement que ceux-ci se développent. Il existe deux thèses : les soins palliatifs verticalisés et les soins palliatifs transversalisés. Apparemment, les deux systèmes existent dans votre hôpital puisque certains malades restent dans l'unité oncologique et que d'autres sont transférés en soins palliatifs. Personnellement, je suis plus sensible au concept de soins continus et donc à une notion de soins palliatifs intégrés, que cela soit à l'hôpital ou au domicile. Comment faites-vous le choix entre une approche intégrée c'est-à-dire le maintien dans le service ou verticalisée c'est-à-dire le transfert vers les soins palliatifs ? Je pense que c'est à l'intérieur des services intégrés qu'il faudrait développer la notion palliative, avec des équipes de soutien.
Vous avez l'impression, dites-vous, que la parole est libérée depuis deux ans, que l'on écoute davantage la demande du malade et que celui-ci s'exprime davantage. Vous semblez dire que l'on est arrivé au terme de ce processus. Mais est-ce vraiment le cas ?
J'en viens à ma troisième question. J'ai apprécié le fait que vous parliez du respect de l'opinion du malade et de celle du médecin. Dans le dialogue avec le malade, vous annoncez clairement qu'il y a des demandes auxquelles vous ne voulez pas répondre. Qui apprécie finalement l'état du malade ? Quelqu'un d'autre que le malade peut-il apprécier la douleur, la qualité de vie de ce malade ? S'agit-il de l'élément déterminant ou non ?
Autre question; elle porte sur le vocabulaire utilisé. J'apprécie chez les Anglo-Saxons le fait qu'ils appellent un chat « un chat ». Quand nous parlons de sédation prolongée, les Anglo-Saxons, eux, parlent d'euthanasie lente. Je veux bien imaginer que, dans tous les efforts que vous faites pour tenter d'apporter une réponse aux malades qui ne soit pas en opposition avec votre propre conscience, vous donniez un autre nom que les Anglo-Saxons à la sédation prolongée, mais combien de temps dure une sédation prolongée ? En parlez-vous au malade ? Dans ce que vous avez appelé la sédation interrompue, vous avez parlé d'autonomie du malade. D'après votre expérience, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est cette autonomie quand on interrompt la sédation prolongée d'un malade sous benzodiazépine, valium ou autres médicaments de cette classe ? Quel peut être le niveau de conscience d'un patient qui reste malgré tout sous imprégnation ? Quelle liberté lui reste-t-il quand on arrête la sédation prolongée et qu'on lui demande pendant combien de temps il souhaite être à nouveau endormi ? Sur un plan pharmacologique mais aussi humain, sur le plan de la valeur que l'on accorde à l'autonomie d'un malade, cette notion me paraît importante.
Enfin, vous constatez les progrès de la médecine et vous dites qu'on n'a jamais été autant en mesure avec toute la modestie que nous devons avoir comme médecins de guérir les malades, de les accompagner et de calmer leur douleur. Vous avez cependant eu l'objectivité de reconnaître que certains problèmes persistaient pour un faible pourcentage de personnes; mais si on considère chaque cas individuel, c'est extrêmement important; on ne parvient pas à leur donner une réponse.
Vous estimez paradoxal que le débat soit ouvert aujourd'hui, alors qu'on maîtrise davantage le problème. Je vous poserai simplement la question inverse : ne pensez-vous pas que le débat est ouvert précisément parce que la science et le progrès sont parvenus à imposer à ce qui était l'idéologie dominante de la société le fait que la douleur n'a pas de valeur ? Or, pendant des siècles, on a donné une valeur à la douleur et on continue aujourd'hui encore à parler de « bonne mort ». C'est un vocabulaire traditionnel. Quand on parle d'euthanasie, on parle de « bien mourir » ou de « mourir dans la dignité ». Il peut y avoir une différence entre les deux. Ne pensez-vous pas que le concept de bonne mort relève davantage d'une conception philosophique par rapport au fait de bien mourir, si c'est possible, ou de mourir dignement ?
M. Josy Dubié. Avec l'accord du docteur Menten, nous allons encore entendre trois questions avant de lui donner la parole.
M. Georges Dallemagne. J'ai apprécié les préoccupations et le témoignage du docteur Menten sur sa pratique en matière de soins palliatifs et notamment son témoignage sur le fait que cette pratique a permis d'encadrer, de soulager bien des souffrances, bien des angoisses liées à la fin de vie.
Je remarque qu'il subsiste des cas exceptionnels vous avez parlé de 40 à 50 personnes de demande d'euthanasie. En décodant cette demande, en soulageant encore ces douleurs et angoisses, vous avez pu réduire le nombre de ces demandes à une. Ne peut-on se demander si une certaine forme de pression de l'équipe médicale, guidée éventuellement par ses propres convictions, n'amène pas le malade à renoncer à déclarer qu'il souffre encore, qu'il est encore angoissé, qu'il souhaite toujours exprimer la demande d'euthanasie ? Cette demande n'est-elle pas
bloquée par une pression de l'équipe médicale ? Selon une étude récente, certains enfants souffrant de maladies chroniques importantes renoncent à un moment donné à déclarer à leur médecin leur souffrance pour faire plaisir à celui-ci et répondre ainsi en quelque sorte à une attente implicite de sa part. Ne peut-on imaginer que certaines personnes qui ont renoncé à leur demande d'euthanasie ont voulu faire plaisir à l'équipe médicale, alors qu'elles auraient préféré maintenir leur demande ?
Dispose-t-on de moyens enquêtes, études, ... permettant d'apporter une réponse à cette question ?
Deuxième question. Vous avez exprimé clairement votre refus de dépénaliser l'euthanasie. Mon groupe partage bien sûr ce point de vue. Vous avez parlé dans ce cadre de contrôle, de stratégie sociale visant à éviter les abus. Comment voyez-vous ce contrôle, cette stratégie sociale ? Cela consiste-t-il en un texte de loi ou en d'autres types de dispositifs ?
M. Josy Dubié. Quand vous parlez d'abus, vous visez les mises à mort non désirées ?
M. Georges Dallemagne. Les pratiques sauvages, sans l'accord du patient. Comment imaginez-vous ce contrôle social et éventuellement un dispositif légal ? N'estimez-vous pas que ce dispositif doit aussi permettre de répondre à des cas très exceptionnels de demande d'euthanasie en fin de vie ? Vous avez précisé qu'en oncologie, un texte en matière d'euthanasie n'est, à vos yeux, pas nécessaire, sous-entendant que cela pourrait être utile dans d'autres domaines. Dans quels domaines un texte ou dispositif permettrait-il de répondre à des cas très exceptionnels ?
Ma troisième question rejoint en partie celle de mon collègue Mahoux. J'aurais aimé savoir sur la base de quelle grille, de quel protocole vous estimez que les symptômes sont réfractaires. Existe-t-il un protocole précis, objectif, permettant de préciser objectivement que des symptômes de douleur ne répondent pas à un traitement ou cela se fait-il sur la base d'une appréciation subjective du médecin ? Ce protocole est-il appliqué de manière uniforme à l'ensemble de vos patients ?
Dernière question. Vous faites partie du comité de bioéthique de votre hôpital. Quel est le rôle de ce comité dans les questions éthiques et notamment les questions de fin de vie ?
Mme Jeannine Leduc. J'ai écouté votre exposé avec beaucoup d'attention. Je pense que vous brossez un tableau idéalisé de la manière dont les soins palliatifs sont dispensés au Gasthuisberg. Il y a une grande différence entre dire et faire les choses, entre la théorie et la pratique. Nous en faisons l'expérience tous les jours. Nous voulons tous bien faire, mais est-ce que nous le pouvons vraiment ? Est-ce que nous disposons des moyens suffisants pour le faire ?
J'aimerais savoir quelles sont les difficultés qui se posent encore au niveau des soins palliatifs au Gasthuisberg. Est-ce que l'on procède de la même manière dans d'autres hôpitaux ? Qu'avez-vous appris à ce sujet sur la base de votre propre expérience ou à la suite de conversations avec les collègues ? Nous venons d'entendre pour la première fois que des patients sont maintenus dans le département où ils ont été soignés initialement. Si un patient est transféré vers le département des soins palliatifs, il saura évidemment où il en est et je peux m'imaginer que cela aura un impact sur son état psychique.
Au Gasthuisberg, on offre le choix. Est-ce qu'il en va de même ailleurs ?
La proposition qui a été déposée par les partis de la majorité et que j'ai moi-même cosignée contient un chapitre sur les soins palliatifs. Nous estimons nous aussi qu'il faut prévoir les moyens matériels et humains nécessaires pour les soins palliatifs. Une société humaine se doit de garantir à ses citoyens une longue vie et une fin de vie aussi humaines que possibles.
Le docteur Menten connaît sans doute l'étude de Deliens et Mortier. Les conclusions de cette étude sont pourtant diamétralement opposées aux déclarations qu'il a faites. Comment explique-t-il les choses choquantes qui ont été mises à jour par l'étude en question ? Un grand nombre de patients qui n'ont jamais demandé l'euthanasie recevraient malgré tout un traitement euthanasiant.
Dans notre proposition, il est question d'un malade qui se trouve dans une situation médicalement sans issue et qui souffre de manière insoutenable sans possibilité d'atténuer cette souffrance, mais il est question également d'une détresse insoutenable qu'on ne peut soulager et pour laquelle aucune aide ne peut être offerte. Dans bien des cas, les patients jugent que cette détresse insoutenable, qui est la conséquence de la maladie dont ils vont inévitablement mourir, est plus grave que la douleur qui, elle, peut encore être atténuée.
Vous qui mettez également l'homme à la première place, comment appréciez-vous la demande d'euthanasie dans les cas où la vie a été complètement flétrie et où la perte de dignité humaine est telle que le patient a son propre corps en horreur ? Quelles sont les solutions que vous proposez ?
M. J. Menten. Je répondrai d'abord à la question sur les soins palliatifs horizontaux et verticaux. Il n'entrait pas dans mon intention de dire que nous essayons de maintenir les patients dans notre hôpital. Ce que j'ai dit, c'est que seule une minorité de nos patients sont dirigés vers une unité de soins palliatifs. Nous nous efforçons avant tout de maintenir les patients dans le milieu de soins qui leur est familier. Idéalement, cela correspond aux soins à domicile. Les soins palliatifs à domicile sont déjà très bien développés. Il existe plusieurs réseaux d'équipes de soins à domicile efficaces qui couvrent tout le pays. L'expertise en la matière est déjà tellement développée qu'un grand nombre de personnes peuvent d'ores et déjà mourir à la maison, ce qui est le meilleur choix.
M. Mahoux. Vous plaidez donc pour des soins transversalisés et intégrés.
M. J. Menten. Effectivement. C'est ainsi que le coordinateur des soins palliatifs à domicile et le médecin traitant de référence assistent par exemple à la réunion hebdomadaire de l'équipe de l'unité de soins palliatifs, précisément pour contrôler les aspects des soins à domicile et examiner, pour chaque patient de l'unité palliative, s'il ne peut pas être soigné à domicile. Y a-t-il suffisamment de services de proximité ? Quels sont les problèmes pratiques ? Le patient a-t-il peur de rentrer chez lui ? Y a-t-il des problèmes financiers ? Toutes ces questions sont examinées patient par patient. Même si le patient ne peut pas être soigné à domicile, on examine encore s'il ne peut pas passer le week-end à la maison ou s'il ne peut pas fêter l'anniversaire de son conjoint ou de ses enfants chez lui pour revenir le soir à l'hôpital. Nous cherchons toujours à déterminer dans quelle mesure les soins à domicile peuvent être concrétisés.
L'approche doit être transversale; nous entretenons quotidiennement un contact téléphonique avec le service des soins palliatifs à domicile. Je ne cesse de plaider auprès des responsables politiques pour l'installation dans les hôpitaux d'équipes palliatives qui auront à coeur de transformer les patients palliatifs en patients à domicile. Nous devons d'ailleurs admettre en toute honnêteté que l'expertise dont jouissent les soins palliatifs à domicile est souvent beaucoup plus grande qu'elle ne l'est dans les hôpitaux. Les soins palliatifs à domicile sont en effet mieux développés que les soins palliatifs dans les hôpitaux, parce que le politique y a affecté les moyens nécessaires.
M. Philippe Mahoux. Cela date de Busquin.
De heer J. Menten. Il y a partout des équipes de soins à domicile. L'accompagnement palliatif dans les hôpitaux est encore souvent assuré par des bénévoles.
En disant cela, je donne en fait la réponse à la question relative aux besoins de nos hôpitaux.
Si notre hôpital compte depuis plus de 8 ans une équipe palliative, c'est uniquement grâce au bon vouloir de notre direction. J'ai frappé à sa porte durant des mois pour lui montrer l'ampleur des besoins. J'ai insisté pour que des responsables puissent se consacrer à l'élaboration de directives palliatives. C'est ainsi que des directives sur le traitement de la douleur ont été rédigées. Les médecins ne savent pas comment appaiser le râle chez un mourant, alors que c'est tout simple. L'intranet diffuse ces directives dans toutes les unités de l'hôpital. Le groupe de travail palliatif communique ainsi son expérience à ceux qui dirigent les autres services. Nous ne devons pas accumuler les problèmes à l'unité, mais diffuser son expertise dans tout l'hôpital et la communiquer au secteur des soins à domicile.
Le rôle de la fonction palliative dans l'hôpital est de commencer des thérapies qui pourront parfaitement être poursuivies à domicile. Placer le patient sous perfusion intraveineuse à l'hôpital et lui proposer, une fois la douleur disparue, de rentrer chez lui n'a aucun sens, car il serait chargé de ce fardeau encombrant. Il faut entamer des thérapies qui puissent aussi être appliquées à domicile.
Nous ne cessons donc de rappeler aux médecins de garder impérativement à l'esprit que le patient doit être en état d'être soigné à domicile dans les trois à cinq jours et donc de ne pas perdre de vue que, dans ce cadre, la perfusion est une solution beaucoup plus difficile. Dans les hôpitaux aussi, on pourrait appliquer une méthode beaucoup plus élégante pour le patient. Nous boycottons véritablement la solution intraveineuse pour promouvoir des moyens simples. « Keep it as simple as possible ! » Il y va de l'intérêt de tous. C'est moins onéreux pour la communauté. C'est surtout beaucoup plus élégant pour le patient tout en étant aussi efficace. Le temps que l'infirmière passait à régler le goutte-à-goutte, elle peut aujourd'hui le consacrer à discuter avec le patient.
M. Philippe Mahoux. Faut-il des unités palliatives dans les hôpitaux ou des équipes palliatives qui vont dans les services ? Comment fonctionnez-vous ? Quelle solution privilégiez-vous ?
M. J. Menten. Une fonction palliative, ou « équipe de soutien palliatif » comme j'ai l'habitude de l'appeler, est nécessaire dans tous les hôpitaux. Sa présence permet à tout médecin, infirmier ou patient de savoir que cette expertise est présente intra muros sous forme mobile et peut être acheminée jusqu'au lit du patient. Cette équipe recherche alors, en concertation avec l'équipe soignante, les propres pneumologue, gynécologue ou chirurgien, si des améliorations peuvent encore être apportées. Le but est de laisser le patient là où il est et de « recycler » pour ainsi dire ses thérapeutes, en leur prodiguant une formation complémentaire en matière de soins palliatifs. Outre l'intérêt direct que cela présente pour le patient en question, nous espérons que les thérapeutes pourront ainsi soigner plus facilement leurs patients ultérieurs. Au cours des premières années, 70 % des appels portaient par exemple sur la douleur et, dans 60 % des cas, ils concernaient aussi des problèmes d'occlusion. Nous constatons que la diffusion d'informations à ce propos par l'affichage de posters a permis de ramener le taux des appels portant sur des problèmes de douleur à 50 %. Nous ne recevons même plus le moindre appel à propos de l'occlusion car chacun a reçu dans l'intervalle un plan expliquant comment résoudre ces problèmes. La mission de l'équipe palliative est donc de transmettre des directives à tous les thérapeutes de sorte qu'ils puissent trouver eux-mêmes les solutions. Ainsi l'équipe palliative peut-elle à nouveau s'atteler à chercher des solutions aux problèmes qui subsistent.
Une des questions était de savoir si nous n'avons pas atteint la limite de nos possibilités mais c'est à mon avis tout le contraire : nous ne sommes qu'au début. Si les soins palliatifs n'existent que depuis dix ans dans notre pays, nous avons néanmoins déjà comblé une bonne partie du retard que nous avions sur d'autres pays. L'organisation de nos soins à domicile est un exemple pour l'Europe entière. Peu de pays peuvent se targuer d'avoir si bien structuré les soins à domicile et d'avoir réalisé une intégration si harmonieuse entre le secteur hospitalier et celui des soins à domicile. Certes, nous faisons nos maladies de jeunesse mais nous pouvons néanmoins être fiers. Ces soins palliatifs doivent aussi être institués dans les maisons de repos. Dans celles où des projets-pilotes sont en cours dans le cadre d'expériences qui ont été lancées à l'époque du ministre Busquin, le nombre annuel de patients qui sont transférés à l'hôpital et y décèdent est passé de 40 à 1, voire 0. Grâce à ces expériences qui ont permis d'acquérir l'expertise nécessaire, les personnes peuvent décéder dans leur environnement familier.
Nous avons appris qu'il fallait oser parler de la mort. En tant que médecins ou infirmiers, nous ne devons pas esquiver le sujet mais il faut oser en parler avec le patient. C'est le patient qui est notre guide dans ce cadre : nous devons mettre notre expertise au service du patient pour répondre à ses questions.
À la question de savoir comment nous évaluons les besoins, nous répondons que c'est le patient qui les détermine. Si le patient se plaint de douleurs, le médecin doit lui demander quelle en est l'intensité. Le médecin demande au patient de situer la douleur qu'il ressent sur une échelle de 0 à 10. Notre objectif est de faire en sorte que tous les patients situent l'intensité de la douleur à moins de 3 sur 10 sur cette échelle. Mais la communication ne s'arrête pas là; c'est là qu'elle commence. En tant que thérapeutes, nous devons surtout apprendre à écouter et à percevoir les signaux oraux et tacites que le patient nous envoie. C'est moins une question d'expertise qu'une question d'attitude : il arrive fréquemment que je n'ai même pas besoin de demander au patient s'il a mal. Les sources d'informations peuvent être très diverses puisqu'elles vont des infirmiers qui ont soigné le patient à la famille de celui-ci. Nous pouvons glaner beaucoup plus d'informations que celles recueillies par le seul canal de la parole à condition d'apprendre à regarder et à écouter. C'est ce que doivent apprendre aujourd'hui les thérapeutes, non pas de manière ex cathedra, mais en petits groupes, par exemple à la faveur d'un jeu de rôle. Il y a donc encore beaucoup à faire dans le domaine de la communication.
Nous devons aussi apprendre à respecter l'opinion du patient. Qui doit évaluer le patient en fin de compte ? C'est le patient lui-même. Le patient autonome exprime avec des mots ou dans le langage du corps si la situation dans laquelle il se trouve est confortable ou non. C'est en l'observant que nous nous en rendons compte. Lorsque le docteur fait la tournée des chambres, le patient joue souvent un rôle. Les informations qu'il recueille à cette occasion doivent alors être complétées par celles de l'infirmier qui l'a soigné ce jour-là. Un patient peut dissimuler sa peur pendant un quart d'heure mais pas toute une journée. Les informations de l'assistant social ou de la femme de ménage peuvent aussi s'avérer utiles.
Mme Leduc a posé une question sur la nature de la souffrance. La souffrance n'est pas uniquement une question de douleur mais aussi une question de besoins du patient. On doit avoir la volonté de s'en rendre compte. Nous devons oser demander à un patient dont le visage exprime la tristesse s'il souhaite parler d'une chose ou l'autre et s'il a des questions à poser. Cela prend certes du temps. J'irais même jusqu'à dire que dans le domaine des soins palliatifs, le remède le plus important est le temps. Les patients d'une unité palliative sont satisfaits parce que la disponibilité du médecin y est plus grande.
J'omets volontairement d'avoir mon bip sur moi lorsque je suis dans l'unité palliative. Je visite l'unité palliative à un moment où j'attends peu d'appels. Je prends mon temps. Je devrais le faire aussi pour les patients des autres unités mais alors mes collègues ne pourraient jamais me joindre. Il y a donc un problème pratique. Le temps est un facteur important.
Nous manquons de personnel. La direction de notre hôpital m'a confié le mandat pour les soins palliatifs, mais on attend tout autant de moi que je donne des consultations en oncologie et que j'assume mes obligations en radiologie. Il s'ensuit que mes collègues rentrent chez eux vers six ou sept heures et que je suis encore à l'hôpital vers les huit ou neuf heures. Nous avons un service de garde en oncologie, mais dans l'unité des soins palliatifs, je suis de garde depuis le premier jour où cette unité a été créée. Jour et nuit, semaine après semaine. Il n'y a que pendant les vacances qu'un collègue me remplace. L'on ne peut désigner personne d'autre faute d'avoir prévu les moyens financiers nécessaires. Je fais donc du bénévolat.
L'hôpital met un ou deux infirmiers à disposition pour deux mille patients. C'est une goutte d'eau dans l'océan. Il n'empêche que nous avons relevé le défi et nous avons fourni du bon travail. Nous avons aidé beaucoup de personnes de manière sensée. Rares sont ceux qui vont investir tant de temps libre dans les soins palliatifs. Notre équipe est composée d'idéalistes convaincus. Partout où les équipes sont constituées d'idéalistes, cela fonctionne bien. Partout où les personnes viennent « faire leurs heures », cela ne fonctionne pas bien. Je comprends que des personnes viennent « faire leurs heures ». Je souhaiterais que vous élaboriez des réglementations me permettant de rentrer chez moi, auprès de ma famille, à des heures normales. C'est aussi un acquis social pour beaucoup de personnes. On parle de la semaine des trente-cinq heures mais ma semaine compte plus de septante-deux heures.
Mme Marie Nagy. Quand vous évoquez ce problème de financement, vous parlez du problème de financement d'une équipe mobile de soins palliatifs. Il est cependant également possible de financer des lits en soins palliatifs. Si j'ai bien compris, vous parlez d'équipes mobiles.
M. J. Menten. Pour ce qui est des unités palliatives, un remboursement est prévu mais pas pour ce qui est des honoraires des médecins. Notre hôpital n'a jusqu'à présent pas reçu le moindre centime. En ce qui concerne la fonction mobile de soins palliatifs, on n'a absolument rien prévu. Je lance un appel pour que l'on étudie la possibilité de remédier rapidement à la situation en matière de remboursement. Cela représenterait une avancée considérable dans tous les hôpitaux dans le sens du mode de fonctionnement des hôpitaux où il y a déjà une équipe efficace.
En ce qui concerne le vocabulaire, on parle d'une sédation prolongée, d'une sédation terminale, d'une euthanasie lente, etc. La sédation terminale donnerait l'impression que nous calmons le patient pour le faire entrer en phase terminale. Or, cela signifie que nous administrons un sédatif au patient qui se trouve déjà en phase terminale. Je préfère parler de sédation contrôlée parce que j'ai le sentiment que nous l'avons sous contrôle. Nous contrôlons les symptômes mais nous n'influençons en rien le processus naturel.
Prenez l'exemple suivant. Il y a trois semaines, il y avait une patiente en phase terminale qui avait pris congé de sa famille au cours du week-end. La patiente disait avoir l'impression que c'était le début de la fin. J'avais discuté au préalable avec elle de la possibilité de la sédation. Elle a demandé si le moment n'était pas venu de penser à la mettre en pratique. La patiente pensait qu'elle n'atteindrait pas la fin de la semaine et c'était aussi ma conviction. Elle a demandé si j'avais des scrupules à lui administrer un sédatif. J'ai répondu que non. Elle a dit qu'elle pleurait d'angoisse à l'idée de ce qui allait se passer. Je lui ai dit d'appeler sa famille pour un ultime « au revoir » et je lui ai demandé de décider elle-même du moment où on pouvait commencer la sédation, dans la mesure où sa famille et elle-même seraient d'accord. Le lendemain, les deux fils ont dit que cela n'avait aucun sens, que leur mère gisait là, endormie. Elle ne souffrait pas. Les fils m'ont appris qu'ils avaient eu une pénible expérience avec leur père, qui était décédé d'un cancer après une agonie difficile. Je leur ai demandé si les vingt-quatre heures qu'ils ont passées à veiller leur mère, pendant lesquelles ils ont pu se rendre compte que son souhait était respecté et son autonomie préservée, qu'elle ne souffrait pas et que les symptômes qu'elle présentait étaient maîtrisés comme elle l'avait souhaité, ne contrastaient pas largement avec l'agonie de leur père et si cela ne les rassurait pas, dans une certaine mesure, sur leur propre mort. Les fils ont répondu : « Peut-être ». Cette nuit-là, la mère est décédée d'un cancer. Deux ampoules de dormicum ne suffisent pas à tuer quelqu'un. C'est un produit que l'on utilise régulièrement dans le cadre d'interventions bénignes pratiquées sur les enfants, les adultes et les personnes âgées. Personne n'en meurt s'il est administré de manière experte.
Deux jours plus tard, les fils m'ont téléphoné pour me remercier de cette expérience. À chaque fois, c'est pareil. Nous avons contrôlé parfaitement les symptômes au moment où elle angoissait et où elle ressentait l'agonie comme quelque chose de contraire à la dignité humaine. Je n'ai alors pas décidé qu'elle devait attendre. Cette femme a décidé elle-même. En même temps, nous n'avons provoqué aucune frustration chez les membres de l'équipe soignante. Ils n'ont pas dû attendre jusqu'au moment où cela n'allait plus. Ils ont vu que le patient n'a pas souffert. Les enfants ont gardé du décès de leur mère une toute autre image que celle qu'ils avaient gardée du décès de leur père.
Qui détermine ce qui est réfractaire ? C'est le patient. Je ne dis pas lorsque le patient n'en est plus capable. Sur les quelque 2 300 patients dont nous nous sommes occupés en trois ans, nous avons dû appliquer une sédation contrôlée à quatorze reprises. C'est bien la preuve qu'il s'agit de situations exceptionnelles. Nous n'hésitons cependant pas à croire le patient. D'autre part, chaque fois que le patient se plaint, nous devons faire preuve d'expertise et de créativité pour trouver des solutions. Lorsque je n'en trouve pas, il est de mon devoir d'aller me renseigner dans la littérature spécialisée et sur internet ou d'aller demander conseil à des collègues. Nous trouvons presque toujours une solution. Les soins palliatifs n'en sont qu'à leurs premiers pas. Nous devons oser faire de la recherche scientifique pour déterminer quels médicaments et quels cocktails de médicaments permettent de garder l'état du patient sous contrôle d'une manière sûre tout en neutralisant ses symptômes.
Une des questions était de savoir ce qui subsiste de l'autonomie du patient. Des études ont été faites sur des personnes de plus de 80 ans qui devaient subir une intervention chirurgicale légère. Dans un premier groupe, l'anesthésie a été pratiquée par l'anesthésiste qui est évidemment expert en la matière. Dans l'autre groupe, le patient a reçu un bouton en mains pour s'auto-administrer un bolus. Les deux systèmes se sont avérés aussi efficaces l'un que l'autre. L'anesthésie administrée par le patient lui-même est aussi efficace que l'anesthésie pratiquée par un spécialiste. Le contrôle de la douleur a été aussi bon dans les deux cas et les interventions se sont déroulées sans encombre. Il s'agissait cependant d'interventions sous anesthésie locale avec sédation. Je pense par exemple à des ponctions de moelle osseuse, à des biopsies osseuses, à des difficiles extractions de dents, interventions dans lequelles le patient conserve un certain degré de conscience. Il ne s'agit donc pas d'une narcose.
M. Philippe Mahoux. On traduit « anesthésie » par « analgésie » ou « analgésie » par « anesthésie ». En fait, nous parlons de lutte contre la douleur par anesthésie locale.
M. J. Menten. Il s'agit d'une « analgésie locale et sédation systémique » car on injecte également des sédatifs, mais ce n'est pas une narcose. Le patient ne dort donc pas. Il s'avère donc que le patient est tout aussi à même à s'anesthésier lui-même. La même expérience a aussi été réalisée sur des enfants, des petits enfants auxquels on a dit qu'ils devaient appuyer sur le bouton lorsqu'ils avaient mal. Ici aussi, les résultats sont aussi bons que ceux obtenus lorsque l'anesthésie est pratiquée par un spécialiste qui a suivi cinq années de formation universitaire. Des études réalisées dans le domaine de la médecine classique démontrent donc que les enfants et les personnes âgées en situation difficile peuvent contrôler eux-mêmes leur douleur. Nous avons introduit cette pratique dans les soins palliatifs. Il s'agit de la sédation contrôlée intermittente. Le patient est muni d'une pompe assistée par ordinateur et peut enfoncer le bouton chaque fois qu'il le souhaite. Il s'auto-administre ainsi une dose d'analgésique ou de sédatif aussi souvent qu'il le souhaite. En fait, on peut dire qu'il a la possibilité de s'euthanasier de cette manière. Pourtant il ne le fait pas. Il arrête d'appuyer sur le bouton une fois que la douleur est maîtrisée. C'est cela l'autonomie du patient.
Le patient peut également décider de ne pas avoir recours à cette technique et préférer que le médecin ou l'infirmier s'occupe de lui. Dès qu'il actionne la sonnette, nous nous tenons à sa disposition pour lui administrer une dose supplémentaire pour lui permettre de se rendormir ou pour empêcher qu'il ne s'éveille parce qu'il a demandé à être plongé dans un sommeil continu. Nous administrons une dose journalière plus forte lorsque l'infirmière signale que le patient présente des signes de réveil ou qu'il gémit durant les soins. Nous augmentons alors la dose de 10 % et le problème est réglé, si bien que l'on peut à nouveau soigner le patient en toute sérénité. Le vocabulaire utilisé est donc important. Nous devons chaque fois nous réexpliquer mutuellement le sens des mots nouveaux que nous utilisons. J'espère que nous développerons ainsi progressivement un vocabulaire commun.
Une question a également été posée sur la durée moyenne de la sédation prolongée. Nous avons appliqué la sédation intermittente pendant une période variant entre 24 heures et 8 jours. Pour ce qui est de la sédation continue, sa durée va de 24 heures à 3 semaines. Cela signifie qu'il s'agit toujours de patients en phase terminale.
En parlons-nous avec le patient ? Bien sûr. Nous lui expliquons très clairement que nous ne faisons plus rien pour prolonger sa vie, que nous cessons l'alimentation parentérale, que nous n'administrons plus de médicaments faisant baisser la tension, que nous ne régulons plus son niveau de sucre. Nous ne prenons plus chaque jour son pouls, sa température et sa tension. Nous nous en tenons à effectuer les contrôles nécessaires pour que le patient ne se plaigne d'aucune douleur. Pour le reste, nous le maintenons endormi. Ce n'est pas nous qui déterminons combien de temps le patient dort, c'est la nature qui s'en charge. Peut-être décédera-t-il demain, peut-être dans deux semaines. Lorsqu'il fait ce choix, nous nous limitons au contrôle des symptômes et à l'accompagnement psychologique de la famille.
M. le président. Y a-t-il des personnes qui refusent ?
M. J. Menten. Un patient a refusé. Ce n'était pas ce qu'il voulait, il voulait mourir immédiatement, une euthanasie immédiate. J'ai aussi eu un patient qui disait : « Je ne veux pas dormir par intermittence, je veux dormir maintenant. » Comme il n'avait cependant pas encore eu l'occasion de voir son fils qui allait venir ce soir-là, le patient a accepté d'attendre jusqu'à ce moment-là. Le soir, sa famille lui a fait ses adieux et est ensuite venue dire aux infirmiers que le patient était prêt et que la perfusion pouvait commencer. Une infirmière qui avait soigné le patient est encore venue d'abord lui faire ses adieux. C'est alors seulement que le patient a pris pleinement conscience qu'il allait être endormi totalement à partir de ce moment-là et que ce n'est pas ce qu'il voulait en fait parce qu'il n'avait pas encore vu ses amis. Nous avons donc différé la mise sous sédation contrôlée. Le patient a lui-même appelé ses amis qui sont encore venus le soir même. Une fois qu'ils ont eu fait leurs adieux, nous avons pu commencer la perfusion. Vous voyez comme les réactions peuvent varier, comme nous devons écouter attentivement pour déterminer ce que le patient veut réellement. C'est cela les soins palliatifs adaptés au patient, dans le respect de son autonomie. Le patient tient tout entre ses mains et nous parlons avec lui.
À un patient qui demande à être euthanasié par peur de la déchéance physique, nous expliquons toutes les possibilités de prise en charge palliative à l'hôpital, au sein de l'unité palliative et à domicile. On ne fait pas toujours assez confiance aux soins à domicile. Une fois que l'on explique qu'il y a des équipes d'appui qui assistent le médecin au domicile du patient, les gens voient s'ouvrir à eux un monde nouveau.
Nous expliquons aussi au patient qu'il peut à sa demande, être mis sous sédation contrôlée lorsqu'il est confronté à des symptômes qui ne sont plus suffisamment maîtrisables à son goût. Le choix entre une sédation interrompue ou une sédation continue est un choix qui appartient fondamentalement au patient. Cela fait aussi partie de son autonomie. Le patient détermine s'il veut être réveillé le lendemain à deux heures lorsque sa famille viendra lui rendre visite. Il peut également décider que cela n'est pas nécessaire parce qu'il a déjà fait ses adieux. C'est lui qui fait le choix, pas moi. L'équipe et moi-même nous tenons à rester disponibles et c'est le patient qui choisit ce qui lui convient le mieux.
La médecine fait des progrès. Pouvons-nous guérir plus de patients ? Nous enregistrons régulièrement en oncologie une progression de l'ordre de 1 à 2 %. Lorsque nous faisons un bond spectaculaire en avant dans le traitement des affections rares, telles que les maladies d'Hodgkin, le nombre de guérisons double par exemple. Dans le traitement des formes de cancer plus courantes, telles que le cancer du poumon, dont quelque 700 personnes meurent chaque année, nous progressons peut-être de l'ordre d'un pour cent, mais en chiffres absolus, cela représente davantage que le progrès spectaculaire enregistré dans le traitement de la maladie d'Hodgkin. Dans le cas du cancer du poumon, nous avons peut-être 70 personnes contre 20 pour la maladie d'Hodgkin.
Si nous parvenions chaque année à améliorer de 2 ou 3 % le nombre de guérisons chez les patients atteints du cancer du poumon, cela se traduirait par une progression spectaculaire en chiffres absolus.
Nous poursuivons nos efforts sur le plan thérapeutique. Nous devons simultanément développer une médecine nouvelle axée sur le contrôle de la douleur et une maîtrise très développée des symptômes. À l'heure actuelle, les soins palliatifs sont axés surtout sur le contrôle physique. Nous ne sommes pas encore assez formés pour résoudre les problèmes sociaux. Comment devons-nous réapprendre aux gens à communiquer ? Que faire des relations qui sont dans l'impasse et que le patient veut renouer à la fin de sa vie ? Il y a des patients qui se sentent coupables d'avoir trop travaillé et d'avoir négligé leur famille et qui veulent réparer cette erreur. Mais ils ne savent pas par où commencer. Pour ce faire, nous avons besoin de personnes expérimentées qui peuvent jouer un rôle de catalyseur. Nous n'avons jamais rencontré autant de dépressions et de cas de suicide qu'actuellement. On a donc besoin de thérapeutes : des psychologues et des psychiatres attentifs à ce type de problèmes en fin de vie.
Lorsqu'on arrive au crépuscule de la vie, on fait tous le bilan; ce bilan est moyen ou mauvais. Comment les gens gèrent-ils cela ? Certains se retrouvent plongés dans une situation de détresse parce qu'ils avaient un idéal dans la vie et qu'ils constatent que leur vie n'est pas comme ils auraient souhaité qu'elle soit. Ils sont confrontés à un échec qui les plonge dans une situation de détresse. Ils ne peuvent plus se rattraper et ne peuvent pas en parler. Il y a là aussi un besoin. La question qui se pose est de savoir à qui le patient peut s'en ouvrir. C'est une des raisons qui amènent certains patients à demander l'euthanasie. Ils constatent que le médecin fait tout ce qui est possible physiquement et se sentent physiquement bien. Cependant leur esprit ne parvient pas à trouver l'apaisement. C'est pourquoi ils ne peuvent pas mourir dignement et dans la sérénité.
Les unités palliatives comptent des psychologues dans leurs rangs mais dans quelles autres unités hospitalières y en a-t-il également ? Quels sont les départements qui disposent de psychologues pouvant identifier le problème et éclairer les prestataires de soins à domicile sur la manière d'aider les patients chez eux ? Ce sont des besoins. Ces besoins font surface lorsque l'on maîtrise bien les symptômes physiques. Un patient qui gémit de douleur a peu de besoins psychiques. C'est seulement quand le patient n'éprouve plus de douleur physique qu'il commence à ruminer.
En tant que thérapeutes, nous ne possédons pas encore assez de mots et d'expertise pour répondre à ces besoins. Nous n'en sommes qu'au commencement; ces soins doivent être développés. On a donc besoin non seulement de moyens financiers mais aussi d'expertise. Tant les responsables politiques que les thérapeutes ont encore énormément de pain sur la planche pour optimaliser l'assistance psychologique.
Il y a donc un paradoxe. Physiquement, nous n'avons jamais enregistré d'aussi bons résultats. La médecine maîtrise les symptômes physiques un peu mieux chaque année. Il y a pourtant une demande qui émane de la société. Peut-être la société n'a-t-elle jamais été aussi atteinte psychologiquement. Nous sommes souvent confrontés à des personnes qui ont fait carrière et qui ont apparemment eu tout pour être heureux. Ils se sont battus toute leur vie durant pour le pouvoir et la reconnaissance sociale. Une fois qu'ils sont atteints par la maladie, tout cela n'a aucune valeur. La seule chose qui subsiste c'est la question de savoir ce qu'ils ont représenté en tant qu'individu et ce qu'ils ont représenté pour leur entourage. On constate ici une grande misère. À bien y réfléchir, on peut résoudre ce paradoxe. Les gens ont des besoins psychosociaux et des besoins spirituels. Dans le temps, tout était très simple sur le plan spirituel : presque toute la Belgique était catholique et la vie était un passage conduisant au ciel. Les choses ne sont plus aussi évidentes. Beaucoup n'ont plus cette perspective. Auparavant, la religiosité était pour beaucoup une solution. Plus on souffrait durant sa vie terrestre, plus grande était la récompense dans l'au-delà. Aujourd'hui, plus personne n'y croit, plus personne n'en a que faire. On dit aujourd'hui que souffrir ne sert à rien.
M. Philippe Mahoux. On n'y croit plus mais on le dit toujours ! On l'entend dire.
M. J. Menten. Je ne dis pas au patient : « Plus vous souffrirez plus votre récompense sera grande. » Un thérapeute qui prétend que tout va mieux après la mort n'a aucune crédibilité. Nous devons respecter les opinions du patient. Si le patient dit qu'il ne veut pas que l'on apaise sa douleur parce qu'il doit faire son purgatoire, je lui demande de faire en sorte que son purgatoire soit le plus court possible.
Mme Jeannine Leduc. Y a-t-il encore des personnes qui tiennent ce genre de propos ?
M. J. Menten. Oui, cela arrive encore dans certains cas rares. Nous devons respecter l'opinion du patient. Si un patient veut endurer sa douleur, je lui fait remarquer que la douleur est destructrice et contraire à la dignité humaine et que les médecins sont là pour lui venir en aide. Nous devons cependant continuer à chercher des solutions aux besoins psychiques afin de faire disparaître le paradoxe.
Qui peut dire quelle est la bonne façon de mourir pour quelqu'un ? Personne. Ni vous, ni moi. On meurt comme on vit. En milieu hospitalier, nous sommes souvent confrontés à une situation qui n'est pas parfaite selon nous. Pourtant, dans les jours qui suivent le décès du patient, la famille vient nous offrir des fleurs pour nous remercier d'avoir fait les choses aussi bien. Il s'agit ici de la manière dont le patient et la famille ont ressenti les choses. Certaines personnes vivent une vie plus marginale que nous ne l'imaginons. Lorsqu'elles séjournent dans une chambre chauffée avec eau chaude, où une infirmière leur apporte un repas chaud deux fois par jour, ces personnes voient s'ouvrir les portes d'un monde nouveau. Dans notre société aussi, il y a des marginaux qui ne prennent un repas chaud que de temps à autre. Ces personnes ont des exigences fort modestes et se contentent de peu.
Mme Jeannine Leduc. Elles sont aussi souvent confrontées à des généralistes et à des médecins qui estiment qu'il suffit de leur dire où les choses en sont. Ces personnes n'ont alors aucune discussion avec leur médecin. Cela fait aussi une différence.
M. J. Menten. On ne peut pas obliger un patient à communiquer. La société doit toutefois être disponible. Nous devons offrir l'infrastructure et l'expertise nécessaire et nous devons motiver les gens de manière qu'ils fassent bien leur travail. Nous ne pouvons pas obliger les personnes qui ne veulent pas parler du problème à en parler. Certains malades parlent plus facilement avec le personnel infirmier, avec un médecin de famille ou avec un frère. J'ai connu des personnes qui n'arrivaient pas à discuter de leur problème avec leur époux, mais qui y arrivaient avec un ami, un frère ou une personne de confiance. Nous devons en tout cas veiller à ce que les hommes et les femmes aient la possibilité, dans notre société, de disposer de personnes de confiance suffisamment compétentes. Nous devons veiller à ce que ces personnes de confiance soient les plus compétentes.
La compétence ne doit plus être le privilège d'unités de soins palliatifs. Bien que je sois le responsable médical d'une unité de soins palliatifs, j'ai toujours été d'avis que l'existence d'une unité de soins palliatifs ne se justifiait que dans des situations exceptionnelles. Nous devons essayer de faire en sorte que les gens puissent mourir dans de bonnes conditions, dans leur propre milieu, à leur domicile, ou dans le département approprié au sein de l'hôpital ou de la maison de repos. Actuellement, 70 % des gens meurent intra muros. Nous ne devons pas nous faire d'illusions et croire que, dans quelque temps, 70 % des personnes pourront mourir chez elles. Ce ne serait pas réaliste. Il y de plus en plus de ménages à une personne, les services de proximité sont de moins en moins nombreux, la taille des ménages diminue, il n'y a plus de ménages à trois générations, etc. En Grande-Bretagne, où les soins palliatifs existent depuis déjà 25 ans, le nombre de personnes mourant à domicile est à peine plus élevé de quelques pour cent. Nous constatons qu'en Belgique il y a une évolution qui va dans le même sens que là-bas. C'est une bonne chose, car, même si l'on ne permet qu'à un faible pourcentage de gens de faire un choix, cela en fera toujours quelques milliers sur un total de cent mille. S'il est vrai que bien des gens n'ont pas la chance de pouvoir mourir chez elles, ils n'en peuvent quand même pas moins être soignés plus longtemps que dans le passé à domicile. Il importe aussi, du point de vue de la qualité de la vie, que les gens puissent vivre dignement en phase terminale.
Il est très frappant que des gens qui sont défigurés, chez qui une tumeur externe s'est déclarée et a envahi la moitié du visage ne demandent pas l'euthanasie. Aucun patient de ce type n'a demandé l'euthanasie ou la sédation contrôlée. J'ai connu des femmes souffrant d'un carcinome de la poitrine qui s'était étendu à l'ensemble du tronc. Elles avaient de grandes tumeurs infectées. Or, elles ne demandaient pas l'euthanasie. Elles demandaient qu'on les aide. La chose m'a fort étonné. Moi, je trouverais cela indigne et je ne pourrais pas vivre ainsi, mais nous avons à faire chaque année à des dizaines de patients de ce type dont aucun ne demande l'euthanasie.
Mme Jeannine Leduc. Vous considéreriez quand même une telle demande comme une demande justifiée.
M. J. Menten. Bien sûr. J'aurais même tendance à faire la demande à la place des patients. Mais eux, ils ne la font pas.
Mme Jeannine Leduc. Que faites-vous lorsqu'ils la font ?
M. J. Menten. Dans ce cas, nous pratiquons la sédation contrôlée, mais nous n'avons dû le faire pour aucun des 14 patients en question.
Mme Jeannine Leduc. Que peut-on dire alors du rapport Deliens ?
M. J. Menten. Selon le rapport en question, il y a une intervention médicale visant à provoquer la mort dans quelque 40 % des cas. Tout est de nouveau une question de vocabulaire. Nous disons très souvent à des patients et à leur famille qu'il nous paraît inutile de poursuivre l'alimentation parentérale. Nous maintenons en vie un organisme, sans que cela n'ait en fait aucun sens. Nous alimentons une personne dont l'organisme n'est plus capable d'assimiler les substances introduites en son sein ni de les métaboliser. Le patient réagit toujours avec effroi quand on le lui dit. Il se demande si on ne va pas le priver de nourriture, quand bien même il dit avoir maigri au cours des mois écoulés, en dépit du fait qu'il a beaucoup mangé et qu'il a reçu toutes sortes de graisses et de sucres à l'hôpital. Dans bien des cas, il existe chez le patient un lien psychologique et émotionnel avec la nourriture. Il pense que tout pourra s'arranger si on continue à le nourrir. L'on considère également dans le rapport Deliens que l'arrêt de l'alimentation constitue un acte médical qui, comme d'autres, mène à l'euthanasie. Dans le passé, avant que je ne m'occupe vraiment de soins palliatifs, j'ai vu bien des patients mourir à cause de baxters. Je trouve préférable qu'on supprime les baxters, car les personnes qui sont sous baxters reçoivent trop de nourriture et trop de liquide dans la mesure où leurs reins ne peuvent plus l'évacuer. Les personnes en question voient gonfler leurs bras et leurs jambes et souffrent d'un accroissement des sécrétions dans les voies respiratoires. Elles doivent dès lors tousser et uriner plus souvent, ce qui est extrêmement pénible et gênant en phase terminale. Chez bien des gens, le coeur devient déficient. Ils finissent par avoir de l'eau dans les poumons, justement parce que le liquide que leur organisme reçoit ne peut plus être bien évacué par leurs organes défaillants. M. Deliens déclare que les médecins contribuent à la mort lorsqu'ils arrêtent l'administration de liquide et de nourriture. Je prétends au contraire que les médecins qui ne suppriment pas les baxters sont coresponsables d'une mort ayant lieu dans de mauvaises conditions, d'une mort par suffocation, parce qu'ils ne réduisent pas de manière régulière l'administration de liquide une fois que l'on a constaté que les organes commencent à moins bien fonctionner. Je ne suis donc pas d'accord avec le chiffre de 40 %. Au contraire, j'espère que les médecins pourront offrir à l'avenir, grâce à des soins palliatifs administrés par des gens compétents, une mort plus humaine à quelque 80 % des patients et qu'ils pourront leur montrer que leur vie ne repose pas sur la nourriture. Au contraire, puisque la mort est de toute façon imminente. Maintenant, le personnel infirmier s'occupe de nourrir le patient, alors qu'il devrait aller s'asseoir à côté de lui.
Mme Jeannine Leduc. Que faites-vous des 3 % de patients dont on a provoqué la mort par euthanasie sans qu'ils n'aient jamais demandé qu'on le fasse ?
M. J. Menten. Il y a eu abus dans leur cas. Faut-il une loi pour lutter contre de tels abus ? La réponse à cette question est fort difficile. Si les médecins avaient rempli honnêtement les attestations de décès, ils auraient dû mentionner qu'il y avait eu mort non naturelle. Par peur de représailles ils ne font pas cela aujourd'hui. L'on pratique de nos jours, aux Pays-Bas, une politique de tolérance, et l'on dit que tout y est scrupuleusement noté. J'entends pourtant des collègues néerlandais dire que, même si l'euthanasie est autorisée, elle n'est pas pratiquée par tous les médecins. La procédure à suivre est difficile. Selon le personnel infirmier néerlandais, l'on sombre dans une paperasserie d'une semaine quand on veut appliquer l'euthanasie. Faut-il vraiment que les choses soient si difficiles ? Je pense que non, mais trouvons-nous normal qu'un médecin ou un membre du personnel infirmier puisse décider de manière autonome de mettre fin à la vie d'une personne sans que celle-ci n'en sache rien ou sans qu'elle ne l'ait demandé ?
Mme Jeannine Leduc. Notre proposition est prête. Elle est claire et précise. Elle vise à assurer la sécurité juridique du médecin et à garantir au patient le droit de demander l'euthanasie, bien sûr après un contrôle du respect de toutes les principes de prudence normale. Nous entendons empêcher tous les abus. Nous n'acceptons pas non plus, quant à nous, qu'il y ait une zone grise dans laquelle toutes sortes de choses peuvent se passer. Les bruits sur les « liquidations du week-end » nous font également frémir.
M. J. Menten. Dans les médias, on utilise évidemment des slogans pour rendre les articles faciles à lire. À mon avis, il y a peu d'hôpitaux où l'on se livre à des « liquidations de week-end ». Ce que l'on raconte à ce sujet ressemble un peu à la légende du gynécologue qui met en route une série d'accouchements le vendredi matin. Il y a bien sûr des abus. Je suis le premier à le concéder. J'aimerais que nous réfléchissions ensemble à la manière dont nous pourrions réduire le nombre d'abus et, si possible, exclure ceux-ci. Tout dépend toutefois de la collaboration des médecins concernés.
Mme Jacinta De Roeck. Nous oublions à nouveau le patient. Vous parlez à nouveau du point de vue du médecin. Vous trouvez que la législation ne doit pas être modifiée, mais aussi qu'il y a lieu de supprimer les abus. Ces abus existent sous l'empire de la législation actuelle et il faut les supprimer dans l'intérêt du patient.
M. J. Menten. Les abus dont parle Mme Leduc concernent des patients qui n'ont pas demandé l'euthanasie.
Mme Jacinta De Roeck. Ce sont bel et bien les patients qui ont peur, non pas de l'euthanasie, mais des abus.
M. J. Menten. Évidemment, et ces abus, nous voulons précisément les prévenir.
M. Patrik Vankrunkelsven. Une loi et une bonne organisation de l'euthanasie permettent justement de réduire les abus. On fait référence aux Pays-Bas, comme si l'on s'y trouvait sur une pente glissante. Or, c'est l'inverse qui est vrai. Par rapport à la Belgique, il y a beaucoup moins, aux Pays-Bas, de cas d'euthanasie opérée sur des personnes qui ne l'ont pas demandée, et ce, justement grâce à la législation applicable en la matière. N'est-ce pas un élément qui peut convaincre les gens qui sont hostiles à une législation en la matière qu'une loi peut aider à réduire les abus ? Du point de vue scientifique, on peut considérer que cet élément plaide pour l'établissement d'une législation, mais on en tire toujours argument a contrario. Je ne comprends pas pourquoi.
M. J. Menten. Je ne vois pas comment l'on pourrait savoir sûrement qu'il n'y a que 3 % de cas d'abus. Qui signale les abus ? La famille peut éventuellement déclarer qu'à son avis le patient est mort un peu plus tôt que prévu, mais comment peut-on savoir si le chiffre cité est exact ?
Mme Jacinta De Roeck. Vous ne pouvez quand même pas mettre en doute les résultats d'une enquête qui a tenu compte de tous les éléments en question ? Même si l'on ne retient que les chiffres les plus bas, les cas auxquels ils se rapportent sont toujours des cas d'abus intolérables.
M. J. Menten. Je partage entièrement ce point de vue. Pour moi aussi la grande question est de savoir comment l'on peut combattre ces abus. Je n'ai pas la réponse.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Vous avez beaucoup insisté sur l'écoute du patient et sur la disponibilité qu'il fallait avoir à son égard. J'aimerais savoir comme vous organisez concrètement cette écoute du patient de manière multidisciplinaire et générale. Cette manière de faire ne se retrouve-t-elle qu'en soins palliatifs ? Combien de temps peut-on réellement y consacrer ? Comment se fait la concertation de l'équipe soignante avec l'ensemble des acteurs ?
Mme Myriam Vanlerberghe. Vous jonglez avec le mot terminal. C'est un mot qui revient sans cesse dans nos discussions, même à propos de la sédation. Vous prétendez maintenant que la sédation n'a pas pour effet de raccourcir la vie et qu'elle n'a donc rien à voir avec l'euthanasie. Je respecte votre point de vue, mais d'autres témoins ont un avis contraire. C'est fort important, car, de la sorte, certains médecins peuvent affirmer que l'euthanasie n'est pas un problème pour eux, étant donné qu'ils ramènent tout à la sédation. La question est de savoir si nous pouvons souscrire au raisonnement selon lequel la sédation n'a pas pour effet de raccourcir la vie et n'a dès lors rien à voir avec l'euthanasie. Vous savez probablement très bien que les patients auxquels vous appliquez la sédation n'ont plus longtemps à vivre. D'autres médecins affirment qu'on ne peut jamais prédire exactement comment les choses évolueront.
Mme Jacinta De Roeck. Supposons le cas d'un patient qui demande l'euthanasie. Vous proposez alors de lui appliquer la sédation contrôlée. Dans quelle mesure le patient est-il encore lucide dans ce cas lorsqu'il se réveille ? Vous dites que, comme les douleurs physiques ont disparu dans ce cas, les questions d'ordre psychologique viennent à l'avant-plan. Dans quelle mesure le patient peut-il encore formuler sa demande d'euthanasie en pleine connaissance de cause dans ce cas ? Dans quelle mesure peut-il encore communiquer avec sa famille ?
J'ai l'impression que, lorsque vous parlez d'euthanasie vous voyez les choses en noir et blanc, de manière fort contrastée. Vous nous citez, certes, des exemples (au pastel) de sédation contrôlée, mais, pour ce qui est de l'euthanasie, vous ne connaissez apparemment aucun exemple positif. Pourtant, nous avons déjà entendu ici des témoignages relatifs à des cas d'euthanasie que vous devez quand même connaître aussi dans lesquels, si le patient, la famille et le médecin se sont impliqués, il y a eu aussi une personne qui est restée des heures durant pendant plusieurs jours au chevet du mourant, pour l'accompagner. Il n'est pas question en l'espèce de faire de la publicité pour de la soupe minute. L'euthanasie doit également être préparée en détail tant avec le patient qu'avec sa famille. Il faut toujours qu'une condition soit remplie, que le patient ait demandé l'euthanasie. Vous venez de dire vous-même que l'on ne peut pas obliger le patient à communiquer s'il ne demande rien.
M. Hugo Vandenberghe. J'aimerais poser une question à propos de l'indication relative aux quatorze cas de sédation contrôlée sur 2 100 qui ont été relevés au cours d'une période de trois ans.
Vous avez souligné dans votre exposé qu'à propos de la phase finale de la vie, il y a en fait dix décisions à prendre. Le colloque singulier, qui est fondé sur la relation de confiance entre le médecin et le patient et qui constitue pour certains l'élément qui justifie à leurs yeux la dépénalisation totale de l'euthanasie, n'est pas un élément suffisant. L'on avance souvent comme argument que l'on va former un tribunal, que l'on va consulter des personnalités diverses, que l'on va arriver trop tard et, qu'en l'espèce, il faut une décision rapide. L'on proposerait un système de prise de décision tout à fait irréaliste si c'était un système reposant sur un élargissement du champ de décision relative à la phase finale de la vie. Je laisserai de côté la question de savoir s'il faudrait associer aux décisions en l'espèce d'autres personnes que celles qui font partie de l'équipe de soins palliatifs et de la famille. Elle contient pourtant une objection classique contre le contrôle préalable. Avez-vous constaté par expérience que, dans les quatorze cas en question, l'on n'a pas eu le temps d'une bonne concertation, et y aurait-il vraiment de grosses difficultés à cet égard ?
Ma question suivante a trait au fait que l'on présente la sédation contrôlée comme s'il s'agissait d'une forme d'euthanasie et au fait que les partisans de la sédation contrôlée font preuve d'une certaine hypocrisie. En effet, alors qu'ils se disent opposés à l'euthanasie, ils appliquent une forme particulière d'euthanasie. En fait, ils sont donc « intellectuellement » malhonnêtes. Ce n'est pas tellement leur conception qui me gêne, mais plutôt le fait qu'ils la défendent à l'aide d'arguments intellectuellement incorrects.
On peut dire que les critères sont mauvais, mais pas que l'on pratique une forme d'hypocrisie en déclarant : nous sommes contre l'euthanasie, mais nous recourons à la sédation contrôlée. J'aimerais avoir une prise de position claire. J'ai parcouru rapidement le paper américain, qui a été distribué ici, mais je n'y ai pas lu que la littérature spécialisée anglo-saxonne considérait la sédation comme une forme d'euthanasie. À ma connaissance, l'euthanasie est interdite aux États-Unis et on a là-bas de tout autres normes juridiques que dans la société européenne. Je voudrais donc entendre dire clairement s'il ressort de la littérature spécialisée anglo-saxonne que la sédation contrôlée est présentée comme une forme d'euthanasie.
Une autre question rejoint celle de Mme Leduc et concerne les décisions médicales prises dans notre pays concernant la fin de vie. Il s'agit de l'étude pilote de Hasselt et de l'étude faussement secrète sur la problématique et la prise de décision relatives à la fin de vie, dont il apparaîtrait qu'une décision est prise sans qu'il y ait demande du patient dans environ 3 % des cas. Ce chiffre s'écarte des résultats des études scientifiques dans d'autres pays. Il doit donc encore être confirmé par de plus amples recherches. S'il y a des différences significatives, la recherche scientifique doit en déterminer la cause. D'où ma question : comment arrivez-vous au chiffre de 3 % ? Quels sont les cas inclus dans ce pourcentage ? Je suppose que la sédation contrôlée pratiquée par le médecin généraliste n'y est pas comprise. Laquelle l'est par contre ? Vous travaillez dans le plus grand hôpital du pays et nous pouvons donc supposer que votre expérience en matière de prise de décision médicale est significative. Arrive-t-il qu'en Belgique des décisions soient prises à l'insu du patient ? Avez-vous jamais entendu parler de tels cas ? Y avez-vous jamais été confronté directement ou indirectement ? Je fais pour ma part quelque réserve par rapport à la manière dont les questions de l'enquête sont rédigées. Trouvez-vous que ces 3 % soient un argument valable pour conclure à la nécessité de dépénaliser l'euthanasie ? Les partisans affirment qu'aussi longtemps que ce ne sera pas fait, l'euthanasie restera un tabou et on continuera à recourir à des décisions dont le patient ignore tout. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
M. J. Menten. Ces trois pour cent sont peut-être en dessous de la réalité. Très souvent des infirmiers viennent nous dire que le médecin leur a fait injecter une certaine quantité de morphine. Il s'agit alors souvent de 50 mg. Je réponds alors qu'un patient ne peut pas mourir avec 50 mg. Mais quelqu'un donnera bien l'ultime injection, l'ultime sédatif. Il y a beaucoup de malentendus à ce sujet. Beaucoup de médecins pensent qu'ils font de l'euthanasie. Parfois, on administre d'abord 500 mg et on augmente chaque fois la dose de 500 mg, parfois jusqu'à 2 000 mg, et le patient ne meurt pas. Je vois beaucoup de patients qui ne meurent pas même avec des mégadoses de morphine. Je me demande parfois s'il s'agit d'une erreur ou d'un choix délibéré de l'aidant. Et qui a alors prescrit d'augmenter chaque fois la dose de 500 mg ? Le médecin ou l'infirmier ? Car il n'existe guère d'indications pour cela en médecine. Dans plus de 90 % des cas, il s'agit de contrôler des symptômes.
Dans quelle mesure peut-on être sûr que la sédation contrôlée n'a pas un effet euthanasiant ? Un certain nombre de collègues ont déclaré dans cette commission que la sédation contrôlée et l'euthanasie se situent en fait dans le prolongement l'une de l'autre. Si j'applique la sédation contrôlée avec des barbituriques, j'aurai des morts. Et ils en ont aussi. Mais si nous utilisons du midazolan à des doses très faiblement titrées que nous augmentons, ce qui permet de contrôler le symptôme, et que nous passons alors à un traitement d'entretien, nous n'avons pas de décès. Il ne se produit alors aucun arrêt respiratoire.
Nous nous efforçons d'évaluer l'espérance de vie du patient. Car dans quelle mesure le stade terminal est-il terminal ? Nous étudions la question. Nous demandons par exemple aux médecins ou aux infirmiers d'un patient qui a été envoyé par une section hospitalière quelle est l'espérance de vie pour ce patient. L'équipe palliative évalue elle aussi son espérance de vie. Nous étudions à présent aussi dans quelle mesure nos prévisions sont bonnes ou mauvaises. Nous savons par des études que les médecins sont généralement trop optimistes et que lorsqu'ils évaluent l'espérance de vie d'un patient à deux mois, le patient en phase terminale vit en moyenne encore un mois. Cependant, nous pouvons dire qu'un patient est en phase terminale lorsque ses organes deviennent défaillants, que son autonomie régresse, que sa tumeur n'est plus contrôlée, bref lorsqu'il n'y a plus de retour possible. Le fait de savoir si cela durera deux semaines ou deux mois est une question pertinente à laquelle il n'est pas possible de répondre immédiatement.
Mme Myriam Vanlerberghe. La sédation pratiquée par ces autres docteurs, est-ce alors bien de l'euthanasie ?
M. J. Menten. Si l'on administre de fortes doses de barbituriques, il y a un risque plus grand. L'inconvénient de ces produits est aussi qu'ils n'agissent pas immédiatement. Pendant la première demi-heure qui suit l'injection, il ne se passe rien. Ils ne commencent à agir qu'après trois ou quatre heures. Mais entre-temps, le patient souffre. Le midazolan, par contre, agit en quelque minutes. Nous évaluons après quinze minutes et nous réinjectons, puis nous évaluons à nouveau ou nous passons à un schéma d'entretien. C'est là tout le secret/l'art, mais aussi la difficulté.
Mme Jacinta De Roeck. Pourquoi parlez-vous de secret ? Si vous avez dans votre hôpital la solution pour toute la Belgique, pourquoi la tenez-vous secrète ?
M. Hugo Vandenberghe. Ce n'est pas un secret. La direction du Gasthuisberg a fait une déclaration publique à ce sujet. Vous jouez sur un mot.
Mme Jacinta De Roeck. Pourquoi alors d'autres hôpitaux ne reprennent-ils pas votre technique ?
M. J. Menten. Il faut dix ans avant qu'un savoir-faire se répande. Nous disons haut et fort comment il faut procéder. Nous avons déjà publié sur la question il y a cinq ans.
Mme Jeannine Leduc. Les médecins reçoivent un recyclage hebdomadaire. Pourquoi des choses aussi essentielles ne sont-elles pas transmises ?
M. J. Menten. Nous le faisons.
M. Philippe Mahoux. Le problème est important : pour certains, il s'agit d'euthanasie et pour d'autres pas. Vous dites que ce n'en est pas. Je vous trouve courageux. Pour moi, il s'agit d'une sorte de restriction mentale qui vous empêche de dire qu'il s'agit d'euthanasie. J'ai ici une publication récente du New England Journal of Medicine sur l'expérience hollandaise. On y traite de l'euthanasie car comme vous le savez, pour les Anglo-Saxons, la sédation prolongée entre dans le cadre de l'euthanasie. Cet article relatif à l'euthanasie rapporte 535 cas. Pour ces cas, les délais entre l'administration de la drogue dans la perpective d'euthanasie pour eux tandis que vous, vous le qualifiez autrement et le décès varie de 5 minutes à 7 jours.
L'euthanasie n'implique donc pas la mort dans les minutes qui suivent. Dans cette définition-ci, cela va de 5 minutes à 7 jours. L'étude parle aussi des médicaments administrés : des relaxants musculaires, des diazépines dont vous parliez tout à l'heure je suppose, de chlorure de potassium c'est différent , de barbituriques et d'opiacés.
M. le Président. C'est la morphine ?
M. Philippe Mahoux. Oui ou ses succédanés, des dérivés de l'opium en tout cas.
Dans ces revues, la durée va de 5 minutes à 7 jours et les médicaments peuvent provoquer ce que vous qualifiez de sédation prolongée. Vous avez une expérience, il y en a d'autres et la durée peut aller de 30 secondes à 7 jours ! C'est long et le concept des Anglo-Saxons intègre donc la durée .
M. J. Menten. Le but de l'euthanasie active est de faire mourir les gens en l'espace de quelques minutes. Aux Pays-Bas, il apparaît que cela ne réussit pas toujours. Ce sont alors les complications. Le but de l'article est d'attirer l'attention sur ces complications. Pour l'euthanasie active, on utilise de très fortes doses, telles que nous ne les utiliserons jamais dans la sédation contrôlée. C'est la grande différence.
Dans tous les 14 cas, nous avons pris le temps nécessaire pour la concertation et pour vérifier les choses. Une sédation contrôlée ne peut débuter que quand nous avons parlé deux, trois fois avec le patient. Je n'agis jamais non plus seul : le personnel infirmier, la famille sont toujours associés. C'est l'équipe, et non le médecin seul, qui prend la décision. Cela ne se fait pas en une heure ou en un jour. Je n'ai encore jamais reçu une demande de sédation contrôlée sans que la nuit n'ait pu porter conseil au patient. Nous donnons un somnifère au patient pour qu'il puisse bien dormir et nous lui disons que nous en reparlerons le lendemain en compagnie des personnes dont il souhaite la présence. Le dossier précise en détail qui était présent, pour quelles raisons nous allons pratiquer une sédation et comment nous allons procéder.
Avant d'adopter cette position, nous avons discuté notamment de toutes les questions que les sénateurs posent ici en commission médico-éthique. Notre direction a demandé aussi si ce n'était pas de l'euthanasie ou de la slow euthanasia. J'ai déclaré alors que cette procédure était éthiquement sûre et qu'elle n'était pas hypocrite. La seule intention qui nous anime est le souci du patient. Nous n'avons aucunement l'intention de raccourcir la vie, mais nous voulons tirer le patient de sa douleur et ne pas l'abandonner à son sort. En même temps, il s'agit d'accompagner la famille et l'équipe. Dans l'équipe aussi, il y a des conceptions divergentes et des malentendus et les membres de l'équipe aussi doivent pouvoir continuer après la sédation. Même si nous dépénalisons l'euthanasie, l'équipe aura besoin d'accompagnement.
M. Hugo Vandenberghe. Le professeur Van den Eynde dans son exposé de la semaine passée et M. Gantmann dans une conférence ont dit qu'en administrant une sédation contrôlée on prolongeait la vie, parce que la résistance à la douleur s'en trouvait renforcée, tandis que le déclin serait plus rapide si la souffrance persistait. Disposez-vous d'indications à ce sujet ?
M. J. Menten. Nous avons le sentiment que le patient devient beaucoup plus calme; le rythme cardiaque se ralentit et les muscles et tout ce qui fonctionne dans le corps à un rythme élevé se relâchent. Le rythme élevé ne peut perdurer pendant des jours. Les organes s'apaisent donc. L'effet secondaire pourrait être que le patient vive plus longtemps. Le grand problème est qu'il est contraire à l'éthique de réaliser une étude à ce sujet. Il faudrait en effet pour cela former deux groupes, dont l'un se verrait administrer un sédation et l'autre serait laissé à son sort.
Mme Jeannine Leduc. Cette vie est-elle encore une vie ? C'est une question que l'on peut se poser également.
M. J. Menten. Si le processus est contrôlé par intermittence ces personnes communiquent encore verbalement avec leur famille.
Mme Jacinta De Roeck. Dans quelle mesure ce patient est-il encore lucide dans un moment de lucidité ?
M. J. Menten. Si, dans un moment de lucidité, un patient répond adéquatement et par des phrases complètes à toutes mes questions et qu'il pose lui-même activement des questions pertinentes, je peux considérer que ce patient sait, à ce moment-là, de quoi il parle. Les choses ne se déroulent pas dans son subconscient. Si ce patient voit entrer quelqu'un et qu'il reconnaît immédiatement cette personne, je ne peux que dire que ce patient est conscient et qu'il est en état de communiquer de manière consciente.
Mme Jacinta De Roeck. Il y a une différence entre être conscient et être influençable. Je suppose que quand je suis étendu dans un lit d'hôpital, je suis influençable.
M. J. Menten. Je crois que M. le sénateur Vandenberghe a raison. Je m'efforce de ne pas être hypocrite, mais honnête à l'égard du patient. C'est lui qui est mon guide. Je ne demande pas comment maintenir le patient en état de sédation. Je suis seulement attentif aux signaux que le patient m'envoie verbalement et corporellement pour apprécier si j'ai tout fait pour alléger sa douleur et le rendre suffisamment lucide pour qu'il puisse communiquer. Nous avons également convenu ceci au préalable avec les patients. Il vient effectivement un moment où il ne communique plus bien. Nous lui demandons alors s'il veut à nouveau dormir. Parfois, le patient peut encore acquiescer. Nous convenons au préalable que, si la communication n'est plus adéquate, il est d'accord à partir de ce moment-là de rester continuellement en sommeil. À un moment donné, la sédation intermittente passe en sédation continue.
Mme Jacinta De Roeck. Comment la famille vit-elle cette transition ? Le patient lui-même, en effet, ne sent plus rien.
M. J. Menten. La famille est alors très souvent demandeuse. Ils disent au médecin que le patient n'aurait certainement pas désiré cela. Si la dignité disparaît, ils veulent conserver les bons souvenirs d'hier. Ils demandent alors si le moment n'est pas venu de dormir définitivement.
Mme Jacinta De Roeck. Que signifie dormir définitivement ?
M. J. Menten. Cela signifie que nous maintenons le patient en sédation permanente. Nous ne le laissons donc plus se réveiller.
M. M. Verstraete. Je m'appelle Mario Verstraete, j'ai 37 ans. J'habite à Gand et je travaille à Bruxelles. Je suis ici en tant que patient. Cela fait plusieurs années que je suis membre de l'association Recht op waardig sterven et cela fait deux ans que je suis membre de son conseil d'administration. Par l'entremise de l'association, j'ai reçu une invitation à prendre part à ce débat. J'ai pourtant dit expressément à M. Favyts, président de l'association, que je ne parlerais pas ici au nom de l'association, mais que je me contenterais de relater mon histoire en tant que patient. Cela fait en effet 7 ans déjà que je souffre de sclérose en plaques.
Je me réjouis d'avoir été invité à participer à ce débat. Le principal, à mon sens, est que l'on donne aussi l'occasion à un patient de s'exprimer.
Vous allez prendre une décision au sujet d'une législation très importante, une législation qui doit aussi être particulièrement difficile à élaborer. Il doit être incontestablement plus aisé de décider d'accorder une augmentation de un pour cent à tel ou tel secteur ou de prendre des mesures en vue d'un meilleur fonctionnement de la bourse de Bruxelles. Vous allez prendre une décision à propos de la vie et de la mort et surtout sur le moyen de rendre cette mort la plus digne possible.
Je tiens tout d'abord à dire que cette question dépasse selon moi tous les clivages de partis et surtout toutes les divergences d'ordre confessionnel. J'ai moi-même reçu une éducation chrétienne et ce sont précisément ces valeurs qui m'ont poussé dans une autre voie, une fois devenu plus âgé. Permettez-moi aussi de dire ici combien j'admire ceux qui, comme soeur Léontine, puisent dans leur foi la force de mener un combat quotidien dans l'intérêt de leurs semblables. Personnellement, je n'ai manifestement pas le don de la foi tout comme d'autres n'ont pas le don de la musique.
Pourquoi cette introduction ? Parce que je ne voudrais pas que ce débat important s'enlise à cause de telles divergences. Quelque importantes que puissent encore être, à n'en point douter, ces divergences dans d'autres domaines, elles ne peuvent être d'aucun poids dans ce débat-ci.
Je ne vais pas non plus me faire le porte-parole de l'association Recht op waardig sterven dont je suis que ce soit clair un membre convaincu. Le président de cette association a eu l'occasion d'exposer à la commission ses points de vue, ce qu'il aura incontestablement fait dans un style qui n'appartient qu'à lui.
Le récit que je vais vous faire est particulièrement bref et humain et n'est, en fait, que peu de choses par rapport à la misère du monde. Il suffit de penser aux milliers de réfugiés qui sont aujourd'hui en quête d'un toit au Mozambique. Mais nous vivons ici, dans ce petit pays où il fait bon vivre et nous nous trouvons aujourd'hui réunis pour remplir une mission.
Je voudrais d'abord vous inviter à faire un petit retour en arrière dans le temps.
Nous sommes le 23 juin 1993.
Ce dimanche-là, j'ai nettoyé la maison de fond en comble et vers les cinq heures, je me suis assis dans un fauteuil pour lire quelque peu. Quelle ne fut pas ma consternation de voir que la page de droite était tout à fait blanche. Je me suis concentré sur une phrase, les derniers mots ont disparu.
C'est étrange, mais peut-être avais-je fait trop d'efforts. J'ai donc décidé de me reposer une petite heure et de réessayer ensuite. Mais rien n'a changé.
Heureusement, le lendemain, j'ai peu prendre congé et j'ai obtenu un rendez-vous chez l'oculiste.
Je résume ici ce qui c'est passé à partir de là : comme je n'avais rien aux yeux, l'on supposa qu'il devait y avoir quelque chose au cerveau. Je fus admis à l'hôpital en observation et, après quelques scanners et une ponction particulièrement douloureuse de liquide céphalorachidien, le diagnostic tomba comme un couperet : j'était atteint de sclérose en plaques.
Je connaissais le nom de la maladie, mais je ne savais en fait pas grand-chose à son sujet. J'ai donc demandé, au cours des premiers mois, que l'on me fasse la lecture, car il m'était devenu impossible de lire au cours de cette première phase, mon champ de vision droit ayant complètement disparu.
Dès que je pus me faire une image de la maladie et des conséquences éventuelles qu'elle pourrait avoir, j'ai cherché à prendre contact avec l'association Recht op Waardig Sterven.
Comprenez-moi bien.
Je n'avais et n'ai toujours pas la moindre envie obsessionnelle de mourir et je considère la vie comme un bien particulièrement précieux. Même lorsque ma femme, que j'aimais passionnément et avec qui je vivais depuis 11 ans déjà, m'a quitté un an après que le diagnostic a été fixé, j'ai continué à lutter. Pour mon enfant et surtout pour ma propre dignité. Elle ne supportait pas la maladie. Je peux très bien la comprendre.
La sclérose en plaques est une maladie du système nerveux central dont on ne connaît toujours pas la cause précise et dont on sait encore moins s'il existe déjà un traitement pour la soigner efficacement.
Chez chaque patient il y en a déjà quelque 15 000 en Belgique la maladie évolue différemment.
En ce qui me concerne, sept ans après l'avoir contractée, la maladie provoque les symptômes suivants : je suis incapable de marcher ou de me tenir longtemps debout, la moitié droite de mon champ de vision a disparu, je connais d'importants problèmes d'incontinence, je suis vite fatigué, etc. Je dois aussi faire usage d'une chaise roulante pour les longs déplacements. Je veux que ma vie soit belle jusqu'à la fin.
Je veux personnellement évaluer en permanence si cette vie vaut encore la peine d'être vécue. Je ne prendrai pas ma décision à la légère. Devoir rester en permanence assis dans un fauteuil roulant n'est pas une raison suffisante. Devenir complètement aveugle pas davantage. Ce serait d'ailleurs faire injustice aux milliers d'aveugles et d'utilisateurs de fauteuil roulant qui doivent lutter quotidiennement dans ce pays pour leur dignité.
Si mon handicap devait me priver de toute vie sociale, les cartes seraient à nouveau redistribuées. Ne sous-estimons pas non plus l'aspect chronique et évolutif de cette maladie que nombre de médecins négligent, banalisent ou perçoivent tout autrement que le patient en question, enfermés qu'ils sont dans leur tour d'ivoire médicale.
J'estime avoir personnellement le droit d'effectuer cette évaluation. Je trouverais en tout cas terriblement déplaisant que l'un ou l'autre comité ou tribunal décide de mon sort, quelle que soit sa composition.
Je souhaiterais aussi que la réglementation ne se limite pas aux patients en phase terminale. Ma maladie n'est pas terminale. Elle raccourcit mon espérance de vie de quelque 20 %. Ce n'est pas parce que la maladie n'est pas terminale qu'elle est moins pénible à supporter. La qualité de vie diminue bien de 20 %.
Dimanche dernier, j'ai encore eu une très longue conversation téléphonique avec Dagmar, une jeune femme de Louvain, que j'ai rencontrée par hasard. Nous nous téléphonons de temps à autre. Dagmar souffre de sclérose en plaques depuis vingt ans déjà. Je vous épargnerai les détails mais, Dagmar va assez mal depuis quelques mois.
Lorsqu'elle a appris que je venais temoigner ici aujourd'hui, elle m'a demandé instamment si je pouvais aussi faire part de son espoir de voir une législation élaborée.
Elle m'a dit : « J'ai lutté pendant vingt ans. Je n'ai pas cessé de recevoir sur l'épaule des petites tapes amicales pour le courage avec lequel je faisais face à la maladie. Il est vrai que j'ai été courageuse, mais il vient un temps où la corde se rompt. D'après ce que je ressens et ce que je peux pressentir aujourd'hui, ce moment arrivera encore avant que la médecine ait épuisé toute sa science pour prolonger le calvaire des gens. J'espère en tout cas que le Parlement permettra aussi à des patients ne se trouvant pas en phase terminale de mourir dans la dignité.
Si tel ne devait pas être le cas et si la réglementation ne s'adressait qu'aux patients en phase terminale, je refuse en tout cas de continuer à vivre pendant dix années supplémentaires dans les souffrances qui sont les miennes. Alors, je serai bien obligée de chercher moi-même la solution, avec tous les risques que cela comporte. Toutes les personnes qui ont vécu près de moi pendant toutes ces années et moi-même, nous ne méritons pas cette humiliation. »
Je connais d'autres patients tels que Dagmar. Nous sollicitons expressément votre aide. Même si cette maladie est la dernière chose que nous vous souhaitons, vous devriez être à notre place, ne fût-ce que quelques mois. Nous n'obligeons personne à choisir l'euthanasie mais donnez-nous au moins la législation qui permettrait de faire ce choix et qui protégerait les médecins qui veulent nous venir en aide.
Hier, j'ai lu dans le journal, un article au sujet de l'évaluation de la loi relative à l'avortement. Voilà dix ans que cette loi existe. Vous pouvez peut-être vous rappeler, comme si vous étiez, les débats qui ont eu lieu à l'époque. Aujourd'hui, la législation belge en matière d'avortement est considérée comme l'une des meilleures en Europe. Le nombre d'avortements n'a presque pas augmenté. Mais aujourd'hui, l'on dispose d'une aide psychologique ainsi qu'une aide médicale et d'un suivi médical de bonne qualité.
Je pense qu'une bonne législation dépénalisant l'euthanasie peut faire briller ce rayon de lumière dans la pénombre qui règne aujourd'hui. N'oublions pas non plus que la véritable euthanasie, telle que nous l'entendons, ne représente qu'une petite partie des fins de vie. N'est-il vraiment pas possible de régler déjà cette question, puisque nous vous le demandons personnellement ?
Après avoir longuement cherché, j'ai trouvé deux médecins qui sont disposés à m'aider à mes conditions. Cela m'apporte une énorme sérénité pour affronter les problèmes toujours plus nombreux. Ces médecins ne sont pas des criminels qui peuvent éventuellement être « blanchis » de leur acte. Ce sont des hommes qui accompliront un acte noble, un acte d'humanité.
Outre le testament de vie général qui est le mien en tant que membre de l'association Recht op Waardig Sterven, il existe à mon nom, depuis 1995, une déclaration manuscrite distincte que j'ai déjà confirmée et renouvelée à deux reprises. Je souhaite en modifier le texte dès que la situation légale aura été éclaircie. Il s'agit donc en l'espèce clairement d'une volonté persistante.
Dans mon testament de vie, j'ai aussi inscrit que je désire un temps de réflexion d'un mois entre le moment où je formulerai pour la première fois concrètement la demande d'aide et le moment prévu pour le traitement euthanasique, et ce pour éviter que je sois emporté par une déprime passagère. J'ai aussi désigné une personne de confiance pour m'aider à exécuter mon testament de vie ou si je devais tomber dans le coma ou être frappé de démence.
J'ai fait clairement part de mes intentions à ma famille, à mes amis et surtout à mons fils de 11 ans qui est ce que j'ai de plus cher en ce monde. Je répète que je n'aspire pas à tout prix à la mort, j'espère tenir bon, certainement quelques années encore. Mais si la douleur continue à augmenter à ce point, et surtout si la qualité de vie telle que je l'éprouve et la conçois venait à se dégrader outre mesure, alors je veux mourir dans la dignité.
J'espère que vous m'offrirez la possibilité de pouvoir le faire en beauté et surtout de manière légale. Je n'ai aucune envie d'aller m'allonger en travers de la voie de chemin de fer. Je veux que la séparation se fasse dans les meilleurs conditions. Depuis quelques années, j'ai découvert la musique classique et l'opéra et j'en jouis sans modération. J'ai déjà choisi les morceaux de musique avec lesquels je souhaite prendre congé. J'ai aussi choisi le texte de mon faire-part de décès. J'ai prévu au bas de celui-ci une ligne vierge. J'espère que je pourrai y inscrire : avec mes remerciements au Parlement belge. Je vous remercie.
M. Josy Dubié. Je remercie M. Verstraete pour son témoignage très humain.
Mme Kathy Lindekens. Monsieur Verstraete, je vous remercie pour votre témoignage. Vous m'avez émue. Je souhaiterais vous poser deux questions. Vous avez travaillé comme journaliste et vous étiez très actif. Par la suite vous êtes tombé malade. Votre conception de l'euthanasie a-t-elle changé à ce moment-là ? Y aviez-vous déjà réfléchi avant ou avez-vous commencé à y réfléchir au moment où vous êtes tombé malade ? Ma deuxième question concerne votre testament de vie. Vous y avez écrit que vous souhaitiez un mois de temps de réflexion. Pensez-vous qu'il serait judicieux de prévoir une telle disposition dans la loi ? Pensez-vous que tout le monde ait besoin d'une période de réflexion d'un mois ou cela peut-il varier selon les individus ?
M. M. Verstraete. La question de l'euthanasie m'a toujours passionné, surtout depuis le décès de mes deux grands-mères alors que j'avais 16 ans. Elles sont décédées dans des conditions misérables. Elles ont dû, conformément à la mentalité de l'époque, « crever » au nom de l'acharnement thérapeutique. Depuis lors, la situation a évolué dans la plupart des hôpitaux et dans l'esprit de la plupart des médecins. Mais à l'époque, cela m'a fait forte impression. Je n'ai cessé depuis de m'informer et de lire beaucoup sur la question. Ce n'est effectivement qu'à partir du moment où ma maladie a été décelée que je me suis affilié à l'association Recht op Waardig Sterven et que je me suis engagé pour cette cause. Je suis tombé malade à trente ans, voici sept ans. Auparavant, je m'occupais de tant de choses à la fois que je n'avais pas vraiment le temps de m'y intéresser. Maintenant, je suis la question de très près.
J'espère donc que l'on adoptera des règles régissant le testament de vie pour que ce dernier obtienne le statut légal qu'il mérite. Il importe aussi que cette possibilité car cela ne peut bien évidemment jamais être une obligation soit rendue publique et que l'on en fasse la promotion. J'estime même que les autorités peuvent jouer un rôle à cet égard, par exemple par le biais des administrations communales.
Cela s'applique également aux jeunes qui sont malheureusement souvent victimes d'accidents de la route. Je trouve d'ailleurs que chacun doit y penser. Personnellement ce sujet m'intéresse depuis très longtemps, depuis l'époque où j'étudiais le grec; le mot euthanasie signifie en effet « bonne mort ». Je pense que c'est ce que chacun souhaite.
L'idée de ce mois de réflexion dans mon testament de vie m'est venue la dernière fois que je l'ai modifié. Lors d'une réunion de la MS-Liga, j'ai fait la connaissance d'une personne atteinte d'ALS, une maladie musculaire entraînant immédiatement d'énormes problèmes. Cette personne se déplaçait en chaise roulante et tout ce qu'elle savait encore faire, c'était actionner un bouton à l'aide de ses lèvres et cligner des yeux pour exprimer ce qu'elle voulait. Par le truchement de son partenaire, j'ai pu mener une conversation avec cette personne et j'ai trouvé que bien que sa situation soit terrible, sa vie valait encore la peine d'être vécue. C'est alors que j'ai compris que la pulsion de vie est incroyablement puissante chez l'être humain. C'est alors aussi que j'ai intégré ce paragraphe dans mon testament de vie, pour éviter de prendre une décision sous le coup d'une dépression temporaire car je peux vous garantir que quand on est atteint de cette maladie, on traverse des moments de déprime. La plupart des dépressions peuvent être traitées médicalement. Il faut cependant arriver à ce que cette dépression soit traitée et éviter de faire une bêtise à un moment où on en a marre de la vie. Je connais quelqu'un qui, à un moment donné, a commis un acte de désespoir en se couchant en travers de la voie ferrée, mais sa tentative de suicide a échoué. Il est toujours en vie mais y a laissé ses membres. C'est pourquoi, dans ma recherche de solutions, je me suis obligé à prévoir ce mois de temps de réflexion.
Faut-il le généraliser ? Je ne peux pas répondre à cette question. En règle générale, je répugne à imposer mes propres normes et mes propres idées à autrui. C'est pourquoi j'admire le législateur qui doit le faire. Quant à savoir si cette règle doit être généralisée, je m'en remets pour cette question à la sagesse des sénateurs. Je trouve en tout cas que c'est une bonne règle pour ce qui me concerne. Le testament de vie suscite beaucoup de discussions, y compris au sein du Sénat. Si cette formule pouvait être une position intermédiaire et contribuer ainsi à l'ébauche d'une solution qui reconnaisse et admette le principe du testament de vie, j'en serais très heureux.
M. Jean-François Istasse. Bien sûr, j'ai été particulièrement ému par le témoignage de M. Verstraete et je tiens vraiment à l'en remercier. J'ai deux questions à lui poser.
Peut-être avez-vous suivi, M. Verstraete, les débats qui ont eu lieu au Sénat, dans le cadre de nos auditions. Avez-vous le sentiment que le point de vue des patients a été suffisamment pris en compte jusqu'à présent au sein de cette assemblée ?
Pour le moment où, malheureusement, vous serez inconscient, quel message adressez-vous aux médecins qui vont lire votre déclaration de vie ? Que souhaitez-vous leur dire ? Quel caractère contraignant souhaitez-vous adjoindre à votre déclaration, à votre testament de vie ?
M. Mario Verstraete. Je trouve très important que les patients soient aussi écoutés dans ce débat. Je suis ce débat presque tous les jours sur Internet. Jusqu'à présent, il me semble que les patients ne sont pas suffisamment écoutés. Il m'apparaît très important qu'ils soient écoutés aussi. Je dois ajouter que je ne suis pas ici en tant que porte-parole de tous les patients de Belgique confrontés à un problème particulier. Je suis juste venu présenter ma propre petite histoire. Peut-être devriez-vous recevoir d'autres patients.
Mon testament de vie comprend deux points. D'abord, d'une manière générale, je veux évaluer moi-même la progression de ma maladie et décider moi-même quand la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Je veux pouvoir évaluer cela constamment.
La deuxième partie porte sur le cas où, à la suite d'un accident, par exemple, je serais plongé dans le coma, ou le cas où je serais dément. J'y ai précisé très explicitement que dans de pareils cas, il faut m'aider immédiatement. Ce message s'adresse aussi à la personne de confiance que j'ai désignée. Dans de pareils cas, ils devront m'aider immédiatement.
Je connais l'histoire sans doute vraie de patients se trouvant pendant dix ans dans le coma, qui en sortent et sont à nouveau bien. Je sais aussi que des patients souffrant de la maladie d'Alzheimer se sentent parfois mieux après quelques mois, avant de devenir encore plus malades. Personnellement, j'aime tellement la vie et je veux que ma vie soit belle jusqu'au dernier moment. Selon moi, une fois que je serais atteint de la maladie d'Alzheimer ou que je serais dans le coma, comme une plante, je n'appellerais plus cela vivre, je ne serais plus Mario. J'ai précisé très clairement que dans de tels cas, il faudrait m'aider.
Mme Jacinta De Roeck. Avant toute chose je voudrais remercier l'intervenant pour son témoignage.
La déclaration de volonté est un petit peu le noeud du débat. L'intervenant peut-il nous dire comment il a procédé concrètement pour établir sa déclaration de volonté ? Qui l'aide éventuellement à le faire ? Y a-t-il une certaine évolution dans la déclaration de volonté tout au long de la maladie ? Beaucoup affirment qu'il est difficile, voire impossible de trouver une personne de confiance ou un mandataire. Comment l'intervenant a-t-il résolu ce problème ? Qu'attend-il de cette personne ?
M. Mario Verstraete. J'ai apporté ma déclaration de volonté. D'une part, il y a le testament général de vie que l'on reçoit lorsque l'on devient membre de Recht op Waardig Sterven. Ce testament rédigé en cinq langues français, néerlandais, anglais, espagnol et allemand contient trois possibilités permettant au signataire d'exprimer son choix. Ces possibilités sont : primo, que l'on ne souhaite pas être maintenu en vie artificiellement; secundo, que l'on souhaite se voir administrer des analgésiques d'une manière qualitativement et quantitativement suffisante même si cela a pour effet d'accélérer la mort; et tertio que l'on souhaite une intervention euthanasique active. J'ai opté pour cette dernière possibilité. Chaque membre de l'association Recht op Waardig Sterven reçoit plusieurs exemplaires de ce document. J'en ai moi-même cinq : un exemplaire est conservé au siège de l'association. Je conserve un exemplaire à titre personnel et un autre dans mon portefeuille. Enfin, mon médecin et ma personne de confiance disposent chacun d'un exemplaire.
J'ai moi-même rédigé un testament de vie personnel complémentaire. Je l'ai rédigé pour la première fois le 14 mars 1995. Je l'ai renouvelé le 4 juin 1997 et le dernier renouvellement date du 1er juillet 1998. Je souhaiterais encore adapter mon testament de vie en fonction de la nouvelle loi. Je ferai alors explicitement référence aux dispositions de la loi. À chaque fois, j'ai rédigé ce testament de vie entièrement seul.
Je dois bien admettre que c'est à chaque fois un exercice pénible parce qu'on est vraiment obligé de réfléchir à tout ce qui peut arriver et à la finitude de la vie. Ce n'est pas toujours facile. À cause des médicaments que je prends, je ne peux guère boire d'alcool, mais lorsque je modifie mon testament de vie, je m'octroie une demi-bouteille de vin. J'ai toujours considéré la rédaction de mon testament de vie comme une affaire strictement personnelle. Je n'y ai jamais associé ma partenaire, ni la précédente ni l'actuelle. Personne ne m'a aidé. J'en ai transmis le texte à l'association Recht op Waardig Sterven.
De plus, trois médecins ont ce texte en leur possession. Il s'agit des deux médecins traitants qui suivent mon évolution de très près. Tout ce que je sais du troisième docteur, c'est qu'il est ouvert à cette problématique. On s'en rend vite compte. Il a été le premier médecin avec lequel j'ai abordé ce sujet et depuis lors, il a également eu des contacts avec les deux autres médecins afin de coordonner leur action. De plus, j'ai trois personnes de confiance dont une a été désignée comme exécuteur de mon testament de vie. C'est mon meilleur ami. J'ai fait sa connaissance en 1980 au début de mes études et il est toujours resté mon meilleur ami. Il me connaît de A à Z et il m'a toujours aidé dans les moments difficiles, par exemple lorsque ma partenaire m'a quitté. Il me soutient et j'essaie aussi d'être là pour lui lorsqu'il en a besoin. Je lui fais confiance aveuglément. Lorsque je lui ai dit pour la première fois que je m'occupais de cette question, nous en avons longuement parlé. Je lui ai dit que j'avais l'intention de rédiger un testament de vie personnel complémentaire et il a trouvé cela une bonne idée. Je lui ai lu le testament en lui demandant s'il voulait être mon ultime personne de confiance. Il a accepté et je suis sûr qu'il tiendra sa promesse. Je peux cependant imaginer que d'aucuns ont du mal à trouver une telle personne. J'ai trois personnes qui sont au courant de mon testament, dont une qui est chargée de son exécution. Ce sont tout simplement mes trois meilleurs amis.
Mme Jacinta De Roeck. Si vous n'aviez pas trouvé de personne de confiance, l'association Recht op Waardig Sterven vous aurait-elle aidé ?
M. Mario Verstraete. Oui. Une association telle que Recht op Waardig Sterven devrait aussi pouvoir être mandatée pour assister les personnes qui le souhaitent. Dans mon cas, cela n'est pas nécessaire mais je peux très bien imaginer que certaines personnes n'ont plus de contacts sociaux assez bons, auquel cas une association telle que Recht op Waardig Sterven doit selon moi pouvoir servir de personne de confiance.
M. Jacques Santkin. M. le président, j'aimerais remercier M. Verstraete, du plus profond du coeur, pour le témoignage poignant qu'il vient de nous livrer. Au fil des auditions, nous avons entendu des spécialistes s'exprimer ici à propos des soins palliatifs. Si M. Verstraete m'y autorise, je voudrais donc lui poser une seule question. Je voudrais lui demander si une promesse formelle et explicite d'accompagnement humain et médical optimal pourrait le faire revenir sur la décision qu'il a prise tout à fait librement.
M. Theo Kelchtermans. Je souhaite profiter de cette occasion pour embrayer sur la question de M. Santkin en matière de soins palliatifs. Il se fait que j'ai assisté à un symposium de la MS-Liga au cours duquel les pouvoirs publics ont été la cible de critiques concernant le manque d'attention et d'encadrement du patient MS. On y a fait référence à une étude remarquable qui démontre que toute l'expérience de la maladie par le patient est liée dans une large mesure à l'attention qu'il reçoit en tant que patient.
M. Mario Verstraete. En ce qui concerne le libre choix et les soins palliatifs, je trouve qu'il est lamentable que la Belgique soit l'un des pays européens octroyant le moins de moyens à cette problématique morale et, plus particulièrement, à ce genre de soins. Je suis donc très heureux que vous abordiez la question des soins palliatifs qui devraient faire l'objet d'une réglementation et être reconnus. C'est très important. Il est honteux que les centres qui s'occupent déjà des soins palliatifs doivent organiser des tombolas ou des kermesses pour financer leur travail.
J'insiste sur l'importance de ce type de soins. Pour moi, la question « euthanasie et/ou soins palliatifs » ne se pose pas parce que les deux possibilités doivent être envisagées. À un certain moment, la douleur, celle que je subis, par exemple, ne peut vraiment plus être allégée. Le professeur Distelmans estime que la douleur peut être combattue à 90 %, mais il reste toujours les 10 % qu'on ne peut combattre. Donc, oui aux soins palliatifs qui ont toute leur importance mais avec la possibilité de l'euthanasie pour ceux qui l'ont choisie.
La promesse formelle de l'accompagnement est possible mais, à titre personnel, je ne le pense pas. C'est pour cela que je renouvelle très régulièrement mon testament. Parfois, on peut se dire que la fin approche mais, en cas de survie, c'est différent. C'est déjà le cas maintenant, au stade évolutif de ma maladie. La première fois que j'ai uriné dans mon pantalon, j'ai été très affecté et honteux. Mais on ne peut rien y faire et on apprend à vivre avec cela. Je suis aussi très conscient du fait que l'homme, en général, peut toujours repousser ses limites. La volonté de vivre et la force humaine sont inimaginables. Cependant, il est possible aussi qu'on fasse une évaluation en se disant : « J'ai déjà accepté telle chose mais, maintenant, je ne puis accepter plus ... ». J'ai eu, ce midi, un entretien téléphonique avec Dagmar, la patiente dont je vous ai parlé. Elle m'a dit qu'elle s'était battue durant vingt ans mais qu'elle n'en pouvait plus actuellement. Il est donc possible que je réévalue la situation.
Je ne pense pas changer d'avis en ce qui concerne ce que je considère le droit à l'euthanasie, droit que je considère comme un facteur vraiment très important en matière d'évolution de notre société. Pour moi, cette question a un aspect philosophique et je ne crois pas que je changerai d'avis sur les points essentiels. En ce qui concerne le moment fatidique, je le répète, je renouvelle fréquemment mon testament et je fais une évaluation constante. Dans les cas de comas ou de maladie d'Alzheimer, la réévaluation n'est plus possible mais mon choix actuel, dans ces hypothèses, est la fin. Je le dis très clairement, maintenant et en pleine conscience. Je ne crois pas que je reviendrai sur ma décision. Toutefois, et j'insiste, il est très important qu'une évaluation constante soit faite et que les patients soient écoutés jusqu'au dernier moment. Je soutiens complètement les soins palliatifs et je demande que notre société fasse plus d'efforts en leur faveur.
Je souligne que je ne témoigne pas et je ne réponds pas au nom de la MS-liga. Je suis membre de la ligue. J'essaie de soutenir cette organisation et j'assiste de temps à autre à ses activités. Mais je ne parle pas ici au nom de cette ligue. À ma connaissance, il n'a jamais été question d'euthanasie au sein de la ligue. J'imagine que la ligue ne peut pas prendre position sur ce point dans l'immédiat. Cela ne serait d'ailleurs pas souhaitable puisqu'elle a d'autres objectifs.
Il va de soi que la manière dont la maladie est vécue et l'attention dont le patient bénéficie sont deux élements capitaux. J'imagine qu'un malade qui assume sa maladie tout seul depuis le début et qui est abandonné de tous vit sa maladie beaucoup plus difficilement qu'un malade qui a quelqu'un avec qui en parler. Je ne pense cependant pas que l'attention suffise à elle seule pour faire disparaître la douleur.
J'ai personnellement assez bien d'amis et ma famille m'apporte un soutien énorme. Cela ne m'a pourtant pas empêché de prendre position et d'en informer dûment ma famille. Il peut être primordial pour bon nombre de patients de bénéficier de plus d'attention et de plus de soutien. Leur point de vue pourrait s'en trouver modifié. Dans mon cas, ma décision personnelle n'est pas liée à l'attention dont je bénéficie.
La réalité dans beaucoup d'hôpitaux est une réalité triste. Un patient séjourne à l'hôpital depuis deux ans. Il ne sait plus distinguer le jour et la nuit. Il ne reconnaît plus personne et ne reçoit jamais aucune visite. Finalement, on lui donne une injection parce qu'il faut libérer le lit. Voilà la réalité dans nos hôpitaux. C'est pour éviter ce genre de situations qu'il est capital d'avoir une législation claire en la matière. Espérons que tous les niveaux concernés (pouvoirs publics, famille, etc.) pourront s'y montrer attentifs. Les soins palliatifs sont indispensables mais à côté de cela, il s'impose aussi d'avoir une réglementation de l'euthanasie.
Mme Mia De Schamphelaere. J'aimerais poser une série de questions à huis clos mais je suppose qu'il n'appartient pas à l'auteur de la question d'en décider.
M. M. Verstraete. Je suis prêt à répondre publiquement à presque toutes les questions.
Mme Mia De Schamphelaere. Nous avons reçu plusieurs demandes de patients qui souhaitaient pouvoir témoigner ici. Le groupe CVP a décidé pour plusieurs raisons de ne pas accéder à cette demande notamment parce que nous voulions éviter autant que faire se peut d'introduire des éléments émotionnels dans le débat. Sans doute les collègues d'autres groupes ont-ils également reçu des lettres de patients.
On peut lire dans ces lettres que nous les sénateurs, en tant que personnes en bonne santé, nous ne savons pas ce qu'est la vie. M. Verstraete affirme que nous ne savons pas ce qu'est exactement une demande d'euthanasie. Selon les auteurs des lettres, nous ne savons pas à quel point les personnes malades veulent continuer à vivre, quelles sont leurs possibilités et à quel point elles aspirent à avoir du courage et à être soutenues. Nous avons reçu des témoignages de patients dont l'entourage direct ou indirect a insisté pour qu'ils recourent à l'euthanasie, convaincus que c'était la meilleure solution.
Ces personnes nous écrivent maintenant pour dire qu'il y avait heureusement, à ce moment, un membre de la famille ou du personnel infirmier qui estimait qu'il était encore trop tôt, et pour dire qu'elles sont extrêmement reconnaissantes de la vie qu'elles ont encore. Pouvez-vous comprendre ce genre de situations ? Ne craignez-vous pas que la dépénalisation de l'euthanasie n'ait pour conséquence que la pression que la famille et l'entourage exerceront sur le patient ne fera qu'augmenter ? Je sais que, aux termes de la proposition, c'est le patient qui doit demander l'euthanasie, mais il doit faire preuve de suffisamment de caractère pour convaincre son entourage et sa famille que la vie qu'il mène a encore de la valeur.
Une autre question est peut-être un peu plus personnelle. Vous craignez la douleur, la démystification, la perte de contacts sociaux. Tout cela n'est-il pas lié au respect et à la dignité ? Cette dignité n'est-elle pas déterminée aussi en grande partie par la manière dont d'autres vous considèrent, vous traitent, définissent, de concert avec vous, le sens de votre vie ?
Vous affirmez que les politiques exercent un métier très spécial, parce qu'ils doivent imposer des normes à autrui.
M. M. Verstraete. Je n'ai pas dit cela dans un sens négatif, bien au contraire. J'ai toujours éprouvé beaucoup de difficultés en ce qui concerne les règles et les normes; aussi aurais-je beaucoup de peine à faire le point, à élaborer des lois. Je vous admire parce que vous êtes capables de le faire.
Mme Mia De Schamphelaere. Nous vous remercions de ces paroles. En fait, notre objectif doit être de stimuler la cohérence et la solidarité dans la société.
Ne craignez-vous pas que la législation que vous appelez de vos voeux n'augmente l'indifférence pour le groupe des déments, des handicapés et des patients souffrant de sclérose en plaques ? Ne craignez-vous pas que le fait de tenir compte de données sociologiques, de tendances, de tout ce que l'on appelle souvent, à l'heure actuelle, la psychologie sociale, ne porte atteinte aux forces positives de la société ? Ne pensez-vous pas que l'on aura moins de respect pour des notions tels la soif de vivre personnelle, le dépassement des limites et, surtout, l'acceptation et la valorisation sociales des malades ?
M. M. Verstraete. Lorsqu'on m'a demandé si j'acceptais que mon témoignange serait public, j'ai acquiescé. Ce que j'ai à dire peut être dit à tout le monde.
J'ai essayé de ne pas m'engager dans l'émotionnel, de faire un exposé aussi serein que possible. Si vous estimez que je n'y suis pas parvenu, je m'en excuse.
La soif de vivre des individus est en effet très forte, plus forte qu'on ne se l'imagine. Je ne crois toutefois pas qu'elle diminuera à la suite d'une législation réglementant l'euthanasie, bien au contraire. Rien que le fait de savoir qu'il y a une solution est, pour beaucoup de gens, une pensée rassurante et les encourage à se battre. Il faut bien entendu que cette solution existe légalement, ce dont on ne peut que rêver à l'heure actuelle.
On ne doit pas exclure la pression sociale que la famille ou l'environnement exerce sur le patient. La législation doit donc déterminer de manière suffisamment univoque que la demande doit émaner du patient et pas du docteur, de la belle-mère, du fiancé ou de qui que ce soit d'autre. Le patient doit aussi se sentir suffisamment soutenu par ses médecins, infirmières, etc., pour résister à cette pression. Si la réglementation est bonne et si elle est largement publiée, le patient pourra également prendre appui sur elle.
La peur de la stigmatisation et de perdre ses contacts sociaux est en effet une question de respect et de dignité. Le respect et la dignité sont des choses que j'exige pour moi-même, non pas en tant que malade, mais en tant qu'être humain. Je revendique pour moi-même le droit d'apprécier en permanence la situation dans laquelle je me trouve et de décider, à un moment donné, lorsque la situation devient de plus en plus difficile, que j'en ai fait assez et que je veux arrêter, exactement comme Dagmar dont j'ai déjà parlé. Vous devriez la connaître, c'est une femme incroyablement courageuse qui souffre depuis 20 ans déjà. Elle aussi estime que si la situation empire encore, elle a le droit de cesser le combat.
J'estime qu'il est totalement exclu que des handicapés, des patients atteints de la sclérose en plaques ou d'autres moins-valides puissent être une catégorie qui entre en ligne de compte pour l'euthanasie. Ainsi, les moins-valides dont le taux d'invalidité serait de 66 % recevraient un disque de parking, mais ceux dont le taux atteindrait 77 % seraient éliminés ! C'est impensable. La demande d'euthanasie doit toujours émaner du patient. Je ne crois pas qu'il y ait une demande pour une réglementation prévoyant un mécanisme automatique suivant lequel les handicapés ou les personnes atteintes de démence entreraient en tant que tels en ligne de compte pour l'euthanasie.
Mme Mia De Schamphelaere. Ce n'est pas non plus ce que je voulais dire. Mon propos portait uniquement sur l'impact psychologique que l'on pourrait créer dans la société en laissant la décision médicale exclusivement entre les mains de l'individu ou entre les mains du patient et du médecin. Lorsque des complications surviennent à un stade avancé de la maladie, l'environnement sera tout de même plus rapidement enclin à se demander s'ils doivent vraiment encore assumer cela. Est-ce que nous ne devons pas craindre une plus grande indifférence notamment vis-à-vis des patients atteints de la sclérose en plaques si la possibilité de l'euthanasie existe ? Est-ce qu'il n'y aura pas moins de tolérance dans le sens où on sera moins disposé à épauler le malade ?
M. M. Verstraete. Je souhaite que les différentes possibilités coexistent. Une personne bien informée peut en toute connaissance de cause choisir pour l'euthanasie, éventuellement pour dans 10 ans. Par ailleurs, d'autres pourront choisir pour les soins palliatifs ou ne pas faire de choix du tout et être soignés au mieux et le plus longtemps possible. Je ne vois pas de contradiction entre les différentes possibilités. Au contraire, une gamme plus large de possibilités peut être un enrichissement et contribuer à embellir la société. Cela n'aura pas nécessairement un impact négatif. Je le remarque également aux réactions des gens qui me connaissent et dont un certain nombre savent que je m'occupe de cette question. Ils me demandent parfois « Et alors ? », à quoi il m'arrive de répondre « Pourquoi, ton cor au pied te fait encore souffrir ? ». Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas banaliser. Si la législation élaborée est bonne, je ne pense pas qu'elle fera naître une pression sociale qui fera que les gens diront : « Zulma, il te reste dix ans à vivre, est-ce que nous choisissons maintenant pour l'euthanasie ou est-ce que tu préfères attendre encore cinq années ? »
Ce n'est vraiment pas comme ça que les choses se passent. L'euthanasie est une matière très importante que je ne banalise pas. J'aime la vie et j'essaie de la rendre aussi belle que possible. Je dirais même que sur certains plans, ma vie est devenue plus riche depuis que le diagnostic a été posé à mon égard. Avant, c'était la course en avant, maintenant je prends le temps de faire certaines choses comme aller à l'opéra ou jouer toute l'après-midi avec mon fils. Il y a dix ans, je ne l'aurais pas fait parce que j'étais pris dans la course infernale que cette société est pour tant de gens. Je vois donc aussi les beaux aspects de ma vie et c'est pourquoi je veux garder la beauté de ma vie jusqu'à la fin. Si cette beauté disparaît, je veux avoir la possibilité de dire que je veux quitter la vie.
M. Philippe Monfils. Comme tous mes collègues, j'ai bien entendu été frappé par le caractère à la fois dramatique et serein du témoignage de M. Verstraete. Ce témoignage fait preuve de foi dans l'existence. Je commencerai par émettre un voeu, même si c'est un voeu pieux : j'espère que l'on pourra un jour vaincre les maladies génétiques, comme celle dont vous êtes frappé, puisque la science fait des progrès; je suis d'ailleurs un fervent partisan des recherches en matière de thérapie génique, comme le clonage de cellules souches, toutes choses dont on devra s'occuper un jour ou l'autre. Malheureusement, dans la vie, soit on arrive trop tard, soit on arrive trop tôt. Mais tout peut se produire et je vous souhaite que l'on trouve quelque chose avant que l'inéluctable se produise.
C'est finalement vous qui devrez évaluer votre propre état de dignité ou votre souffrance et non une équipe qui vous entoure et qui déciderait pour vous. Se substituer à l'opinion du patient, c'est en quelque sorte le forcer à une espèce d'uniformisation dans l'acceptation, ce à quoi nous nous opposons. Vous avez clairement dit que vous étiez partisan de l'autonomie individuelle, et c'est aussi notre position.
Mais si un jour les choses s'aggravaient, vous avez dit que, si vous étiez conscient, vous envisageriez une euthanasie active. Vous avez aussi pensé un jour au suicide mais vous n'avez pas poursuivi dans ce sens, parce que vous aimez la vie et vous vous dites que, tout compte fait, elle vaut la peine d'être vécue, même dans la situation difficile que vous connaissez. Quelle différence faites-vous entre l'euthanasie active et le suicide ? Nous avons posé cette question à quelques personnes, notamment à quelques médecins; l'un de ceux-ci avait dit que la différence portait sur un élément moral : dans l'euthanasie active, le malade est accompagné, c'est un acte d'humanité; dans le cas du suicide, c'est une mort plus solitaire. Telle est la réponse qui nous avait été donnée. Quel est votre sentiment à cet égard ? La différence porte-t-elle sur cet élément moral qui a été avancé ?
M. M. Verstraete. Je dirai tout d'abord quelques mots au sujet de l'évolution du traitement de la maladie dont je souffre, la sclérose en plaques. La presse rapporte de temps en temps qu'on a trouvé un remède permettant de vaincre la maladie. Or, ce n'est pas vrai. On n'a encore rien trouvé et on ne sait d'ailleurs toujours pas quelles sont les causes de la maladie.
Certes, les traitements évoluent et les techniques de kinésithérapie, par exemple, s'améliorent sans cesse mais la maladie reste incurable. Cela dit, il ne s'agit pas de l'objet de ce débat et mon témoignage ne porte pas sur la sclérose en plaques. Ce n'est pas là son but.
Peut-être me suis-je mal exprimé. Je n'ai pas dit avoir pensé personnellement au suicide. J'ai fait allusion à un cas que j'ai connu. Il s'agissait de quelqu'un de Bruges dont la tentative de suicide a échoué. Personnellement, je n'ai jamais pensé au suicide.
Votre question porte sur la différence entre l'euthanasie et le suicide assisté. Je pense que techniquement, favoriser l'euthanasie revient à aider au suicide puisqu'on répond à la demande de la personne. Je crois qu'il s'agit de la même chose techniquement. Les cas de suicide que l'on connaît maintenant n'ont rien à voir avec l'euthanasie.
Personnellement, je n'ai pas pensé au suicide assisté mais je pense que cette question mérite un débat puisque tant de tragédies se déroulent. Il faudrait bien définir les circonstances dans lesquelles on pourrait aider les patients et l'on pourrait par exemple dire que le désir de suicide doit au moins perdurer deux ans. Il faut réfléchir à cette question, elle pourrait faire l'objet d'un débat à l'avenir. Pour l'instant, il serait déjà très positif que vous définissiez clairement l'euthanasie et les conditions où elle peut être envisagée. L'euthanasie ne représente qu'une infime partie des causes de décès dans notre pays mais ce serait déjà une avancée que d'avoir une réglementation. Le suicide assisté est une question importante mais ce n'est pas le problème le plus poignant actuellement. Il y a encore de nombreux éléments à prendre en considération dans ce débat : quelle attitude adopter face à des demandes d'euthanasie émanant d'enfants, comme ces jeunes patients atteints de cancer ? Personnellement, je pense parfois à cet aspect mais je ne suis pas encore arrivé au terme de ma réflexion à ce sujet.
Les problèmes relatifs au suicide pourront faire l'objet d'un autre débat; votre tâche actuelle se situe sur un autre terrain.
Mme Jeannine Leduc. Vous avez incontestablement été confronté fréquemment à des patients qui souffrent de la même maladie que vous et vous avez évoqué ensemble tous les aspects de l'état de malade et sans doute aussi la mort. Avez-vous l'impression que d'autres personnes atteintes de la sclérose en plaques sont favorables à l'euthanasie et comment ces personnes parlent-elles de leur mort ? Comment conçoivent-elles l'accompagnement ? Est-ce qu'elles songent à mettre fin à leur vie au moyen de l'euthanasie active ?
M. M. Verstraete. Il est vrai que nous en parlons souvent, notamment dans la clinique où je dois me rendre tous les vendredis. Mais je m'en ai encore jamais parlé dans le cadre de la Ligue pour la sclérose en plaques. J'ai toujours fait une distinction nette entre les deux. J'ai dit à mon assistante sociale de la ligue que je m'occupais de cette question et qu'elle pouvait me renvoyer les personnes qui se posent des questions à ce sujet et c'est ce qu'elle fait.
Il y a cinq personnes qui me téléphonent au moins une fois par semaine. Plusieurs d'entre elles ont déjà déclaré expressément qu'elles voulaient que la loi soit votée rapidement. Une dame d'Ostende qui est malade depuis 25 ans me téléphone régulièrement à l'association Recht op Waardig Sterven en pleurant et en suppliant qu'on l'aide. La seule aide que l'association peut lui apporter est de veiller à ce qu'une bonne loi soit votée le plus rapidement possible. Nous ne sommes pas une usine d'euthanasie et nous ne pouvons pas apporter d'aide concrète. Dans certains cas très graves, je renvoie la personne vers certains docteurs. Nous n'organisons pas d'euthanasie et en tout cas pas par le téléphone. Je peux vous assurer qu'un nombre très important de patients se préoccupent du problème.
M. Alain Destexhe. Monsieur, on voit que vous avez beaucoup réfléchi à toutes ces questions et que vous pesez le pour et le contre. J'ai particulièrement apprécié le fait que vous souligniez la nécessité d'un mois de réflexion, si vous-même vous étiez en dépression. Vous êtes conscient de la dimension psychologique, mais ne craignez-vous pas que, pour une série d'autres cas, la législation actuelle ne puisse tout de même déboucher sur une forme d'abus puisqu'elle dépend malgré tout de l'état de conscience du patient ?
Vous savez que tant cette assemblée que la société belge sont profondément divisées par rapport au thème de l'euthanasie. Vous êtes le premier témoin directement concerné et confronté au problème dont nous discutons. Ne pensez-vous pas qu'il y a tout de même une certaine distance ? Vous êtes ici devant nous; les objections exprimées par certains ou reflétées dans la presse, les avez-vous entendues ici aujourd'hui ? Auriez-vous souhaité les entendre ? Partez-vous content d'avoir pu vous exprimer mais frustré de ne pas avoir pu répondre à des objections vis-à-vis de cette législation que, personnellement, je n'ai pas entendues au sein de cette assemblée ?
Avez-vous déjà été confronté à des gens qui ont essayé de vous dissuader d'appliquer vos convictions jusqu'au bout et certains de leurs arguments ont-ils pu vous sensibiliser ?
M. M. Verstraete. Considérant les propositions de loi telles qu'elles sont présentées, je crois qu'elles peuvent permettre d'éviter les abus pour autant que l'acte d'euthanasie parte d'une demande du patient et que tous les soins nécessaires soient disponibles et lui soient proposés. Dans la pratique, cela devrait éviter les abus.
Quant à votre question sur les objections éventuelles auxquelles je pourrais avoir envie de répondre, je crois que le débat est déjà très actif. Ce débat est important et je suis heureux qu'il puisse se tenir. Il y a cinq ans, c'était encore impossible.
Je constate dans différents milieux, et pas seulement dans ceux que je fréquente couramment, une véritable demande pour une réglementation. Ainsi, mes parents, qui sont très croyants je n'utiliserai pas le mot « catholique » mais ils vivent leur foi de manière extraordinaire me disent : « Vous connaissez nos opinions, mais vous savez aussi que nous vous soutenons. La vie est un cadeau de Dieu mais lorsque le cadeau n'en vaut plus la peine, vous pouvez le rendre. » Ils me soutiennent vraiment. Je constate personnellement, dans tous les milieux où je vais et lors de débats auxquels je participe sur ce thème, une très large volonté pour que ce problème soit réglé. Je ne crois pas aux sondages, surtout aux sondages politiques, mais si on réalisait aujourd'hui une enquête scientifique sérieuse à ce sujet, on montrerait qu'une large majorité de la société est en faveur d'une réglementation qui rende possible l'euthanasie. Je le crois sincèrement.
Personne n'a encore essayé de me dissuader. Je suis actif, j'organise des débats sur ce thème, j'en parle à mes amis, à ma famille et à d'autres gens encore, mais je n'ai jamais rencontré une personne qui ait tenté de me dissuader. Bien sûr, quand j'ouvre un débat, je le veux sur le fond, je donne donc les définitions correctes. C'est important. Dans la presse, quand on annonce qu'on va traiter de l'euthanasie, ce n'est généralement pas le cas dans l'article lui-même. Ainsi, lorsqu'on « débranche » un malade des appareils d'assistance, ce n'est pas de l'euthanasie stricto sensu. Celle-ci doit trouver son origine dans une demande du patient et être un acte délibéré du médecin.
M. le président. Merci, M. Verstraete. Au nom du Sénat, je dois vous remercier de votre témoignage particulièrement touchant, émouvant et digne. Comme M. Monfils, j'espère que l'on trouvera bientôt un traitement qui sera susceptible de vous guérir. Je vous remercie au nom du Sénat et vous souhaite bonne chance.
M. le président. J'ai le plaisir de recevoir le docteur Paul Leroy, diplômé de l'ULB en 1981, formé aux soins palliatifs à l'hôpital Brugmann, maître de stage à l'UCL et à l'école de santé publique d'Anvers, actif à l'unité de soins continus de l'hôpital Brugmann et membre du conseil d'administration de l'association « Soins chez soi ». Son expérience nous intéresse tous.
M. P. Leroy. Je suis médecin généraliste depuis près de 20 ans, après avoir fait mes candidatures aux facultés Notre-Dame de la Paix à Namur et mon doctorat à l'ULB.
J'ai opté pour la médecine générale suite à une situation vécue dans un hôpital universitaire où j'étais stagiaire. Appelé au chevet d'un jeune homme de vingt ans par des membres de sa famille, je n'ai pu que partager leurs inquiétudes face à la dégradation rapide de son état de santé. Interrogée par mes soins, l'infirmière de service, sourire aux lèvres, me déclara que le patient en question était sous perfusion. Je compris brutalement que ce patient était en train de mourir sans que sa famille le réalise. Contact pris avec le médecin de garde, celui-ci m'ordonna de ne plus le déranger qu'après le décès sous prétexte que le malade s'alimentait encore. Je me suis juré que je ne vivrais plus jamais une situation aussi insupportable.
Très vite, le médecin généraliste est donc confronté à son patient dans sa globalité, acteur de sa propre prise en charge, sujet et non objet d'une science appelée « médecine ».
Tous les intervenants, dans le domaine de la santé, sont quotidiennement confrontés au problème d'une plainte semblant surgir de nulle part et que le patient exprime en disant au revoir. Et nous restons là avec notre étonnement, notre irritation, parfois notre inquiétude ... Comme si l'acte thérapeutique que le médecin a posé, que ce soit par une prescription, par son écoute ou par son empathie, le lavait lui-même de toute contagion, alors qu'il tolère mal de rester désarmé devant cette plainte surgie trop tard.
Cette petite histoire nous rappelle que notre approche du patient ne peut se contenter d'être réductrice, particulièrement en médecine générale, parce qu'elle s'inscrit dans une histoire personnelle et singulière, en relation avec les autres.
Ceci est particulièrement vrai pour les soins palliatifs où la nécessité d'appréhender le patient comme sujet est impératif. En soins palliatifs, spécialement à domicile, il faut travailler en étroite association avec une équipe multidisciplinaire, à constituer ou existante, comme c'est le cas en maisons médicales. D'autres formes de collaboration existent entre praticiens, notamment le réseau remarquable formé autour du projet « Rampe » et via les centres de coordinations de soins « CSD », « Soins chez soi » etc.
L'outil de cet accompagnement est déjà bien connu par le patient. Il a eu à un moment ou l'autre de son existence un contact avec les différents intervenants : infirmières, kinésithérapeutes, ergothérapeutes. Les soins palliatifs s'inscrivent dans la continuité de la relation établie avec le patient, considéré dans sa globalité d'être humain et inséré dans un tissu social, familial, psychologique singulier.
Le désir de mourir entouré des siens à domicile est une revendication de plus en plus rencontrée sans réelle garantie possible. En effet, en soins palliatifs, nous sommes obligés de réagir au quotidien et la solution proposée aujourd'hui est peut-être impossible dès le lendemain. Une capacité de remise en question permanente est une nécessité. Les offres doivent donc toujours être plurielles en cette matière : centres de jour, hospitalisations en unités de soins palliatifs, équipes volantes au sein des hôpitaux ou à domicile.
Il existe des obstacles au retour à domicile. L'hôpital n'a pas que des aspects négatifs. Une coexistence harmonieuse entre le domicile et l'hôpital est le gage d'un accompagnement réussi. Trop souvent, les uns et les autres se querellent inutilement au détriment, hélas, du patient.
À domicile, il faut tout inventer et créer, pratiquement sans moyens et aménager l'espace de vie en fonction des possibilités du patient, tout en restant attentif au cadre de vie des autres membres de la famille. Le choix du lit et son emplacement peuvent engendrer de nombreux problèmes.
Plus qu'une juxtaposition de compétences dans un contexte multidisciplinaire et la synchronisation des différents intervenants, nous essayons de tendre vers un objectif commun interdisciplinaire qui a comme conséquence que chaque discipline s'interroge sur ses certitudes et s'éclaire de l'apport des autres à un niveau transdisciplinaire. Nous exerçons parfois les compétences des autres.
Le milieu hospitalier ne nécessite pas une collaboration active de la famille. À domicile, un rôle actif de la famille ou de l'entourage du patient est impératif, ce qui a souvent des implications financières importantes, responsables d'une précarité nouvelle inconnue par les familles, et qui s'ajoute au drame vécu.
Les soignants ne sont en aucun cas présents pour constituer une famille ou pour la remplacer. Les membres de la famille seront tantôt cothérapeutes, tantôt objets d'attentions des intervenants. La fatigue, la culpabilité de ne pouvoir faire face, l'épuisement physique et psychique des membres de la famille posent parfois beaucoup plus de soucis à l'équipe soignante que ces mêmes problèmes chez le patient mourant.
Le milieu hospitalier préserve l'espace privé et maintient plus facilement la vie sociale extrahospitalière.
À domicile, toute l'organisation de la vie au quotidien est centrée autour du malade et, de ce fait, une activité extérieure d'un des membres de la famille peut être vécue comme un abandon du malade. Le poids d'une surveillance continue 24 heures sur 24 est une réalité. Il y a lieu de proposer une aide afin d'éviter qu'une seule personne assume cette fonction.
Le coût de l'hospitalisation comprend l'ensemble des services, y compris certains soins non remboursés à domicile. Le maintien à domicile d'un patient représente un investissement humain et financier pour les familles.
Mme Clotilde Nyssens. Je remercie le docteur de nous avoir parlé du maintien du patient à domicile car on ne l'a pas encore suffisamment fait. Vous dites que vous travaillez dans une maison médicale et vous insistez sur l'interdisciplinarité. Quelle est, pratiquement, la composition de l'équipe qui intervient au domicile du patient en fin de vie ? D'autre part, la législation existante vous permet-elle de composer ces équipes ? Sinon, de quels moyens supplémentaires avez-vous besoin pour accompagner ces patients à domicile ainsi que leur famille ?
M. P. Leroy. J'ai l'avantage de disposer d'une équipe relativement étoffée. Elle comprend cinq médecins, trois kinésithérapeutes, trois infirmières, une ergothérapeute, une assistante sociale, une psychologue et j'en oublie quelques-uns. C'est la taille de la structure dans laquelle je travaille qui me permet d'assurer cet accompagnement. En effet, le remboursement à domicile est extrêmement coûteux. Un prestataire de soins qui vient plusieurs fois à domicile le même jour engendre des frais non négligeables pour les familles. Je suis un peu privilégié parce que j'ai une équipe de taille relativement grande. Les gens qui travaillent seuls le font généralement dans des réseaux. Il existe des centres de coordination de soins. Il y a des médecins qui travaillent en associations. En général, il s'agit de structures que les uns et les autres ont dû créer eux-mêmes. Cela manque un peu d'organisation au niveau primaire. On rencontre beaucoup moins ce problème en milieu hospitalier où l'on trouve tout sur place. À domicile, il faut inventer l'organisation, la créer et la connaître.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je me limiterai, à ce stade, aux soins palliatifs à domicile et à l'aide aux patients en fin de vie à domicile. Dans les cas que je connais, malgré le souhait du patient, le retour à domicile ou l'aller-retour entre le domicile et l'hôpital sont extrêmement difficiles à mettre en oeuvre. Visiblement, les moyens, même pratiques (lit, etc.), sont insuffisants, ce qui rend le maintien à domicile extrêmement lourd pour les familles, à la fois en temps (il faut qu'une personne puisse être là en permanence) et sur le plan financier (cette possibilité semble dès lors réservée à des privilégiés ou à des personnes pouvant faire appel à des maisons médicales qui ne sont pas légion).
Ces formules doivent donc être inventées, peut-être sur la base d'expériences comme la vôtre. Quels sont les moyens nécessaires, sur le plan financier et organisationnel ? Quel lien voyez-vous entre le domicile et l'hôpital (en général, ces patients vont à l'hôpital pour recevoir des soins très lourds puis reviennent à domicile) ? La formule des centres de jour peut-elle être utile ? Dans votre approche de la médecine, comment voyez-vous cette organisation sur le terrain ? Qu'est-ce qui est possible et praticable ? En comparaison avec le coût de l'hôpital, cette formule est-elle moins chère, même si elle est lourde à organiser ? Ou bien le remboursement à prévoir est-il du même type ?
M. P. Leroy. Du point de vue de la sécurité sociale, le maintien à domicile est moins cher. Mais peu importe le nombre de fois par jour que le médecin passe voir le patient, il n'assure pas la surveillance 24 heures sur 24. Cela est laissé aux familles. Les familles s'épuisent et le coût d'une garde-malade ou d'une infirmière la nuit est prohibitif pour beaucoup de gens. De plus, les besoins sont variables et imprévisibles. Il est souvent difficile de trouver une garde-malade quand on en a besoin. Ces personnes ne se trouvent pratiquement pas sur le marché (il manque des infirmières, des paramédicaux). De plus, la population vieillit et souvent, le conjoint, les membres de la famille sont eux-mêmes âgés. Le problème est donc double : le coût est prohibitif et la famille s'épuise. À certains moments, il faut même que le médecin dise que le maintien à domicile n'est plus possible. Quand le maintien à domicile devient héroïque pour la famille, le médecin doit prendre ses responsabilités et arrêter. Je ne dis pas qu'un centre de jour est mieux qu'une unité hospitalière ou qu'une unité volante. Le médecin a besoin de toutes les structures, tantôt de l'une, tantôt de l'autre, en fonction des désirs et des possibilités du malade.
M. Josy Dubié. D'autres spécialistes en soins palliatifs venus ici nous ont dit que le coût d'une journée d'hospitalisation en unité de soins palliatifs tournait autour de 12 500 francs par jour, alors qu'à domicile, il se montait à 4 000-4 500 francs. Si c'était aligné sur le coût de l'hospitalisation, il n'y aurait plus de problème. Ce serait possible pour tout le monde.
M. P. Leroy. Oui. Ma formule est le produit blanc. Elle revient à 300 francs par mois. Cela n'est toutefois pas possible à moyen et long terme. Vu la façon dont nous travaillons en maison médicale, c'est-à-dire avec un système forfaitaire, il n'y a pas de surcoût pour le patient, que nous allions le voir une fois, deux fois ou plus sur la même journée. À moyen et long terme, une telle formule n'est toutefois pas tenable pour la sécurité sociale.
M. Philippe Monfils. Je voudrais rappeler une phrase prononcée ce matin par le docteur Menten : « Les soins palliatifs à domicile sont mieux développés qu'en milieu hospitalier. Il y a des équipes palliatives partout. Nous sommes un exemple pour l'Europe entière. » Êtes-vous d'accord avec ce diagnostic ?
Ma seconde question fait davantage appel à l'expérience. Des équipes palliatives se rendent dans des maisons de repos et de soins, qui sont d'ailleurs déjà équipées de manière médicale. Comment ces équipes sont-elles reçues ? Quel contact psychologique établissent-elles avec l'équipe de la MRS ? Existe-t-il des frictions, des contacts permanents, une bonne entente ? Ou bien les équipes palliatives ont-elles parfois le sentiment d'entrer dans un domaine réservé ? Les MRS n'essaient-elles pas d'envoyer les personnes en fin de vie à l'hôpital ?
M. P. Leroy. Vous m'apprenez que la Belgique serait couverte par des unités palliatives.
M. Hugo Vandenberghe. En Flandre !
M. Philippe Monfils. Admettons. C'est déjà au moins la moitié de la Belgique et un peu plus en population.
M. P. Leroy. Vous soulignez quelque chose d'intéressant. Ma conviction intime est qu'il faut que ce soit d'abord les gens qui ont l'habitude de soigner, de prendre en charge le patient, qui s'occupent de lui. Il y a quelques apports spécifiques, quelques contrôles spécifiques, quelques connaissances spécifiques en soins continus et palliatifs que l'on peut être amené à proposer à un certain moment. Au début, il y des frictions. Il y a parfois de l'hostilité. Parfois, on se tourne carrément le dos. Parfois, certains se montrent arrogants, assurant connaître ces situations, ce qui n'est pas toujours judicieux. Il faut respecter les personnes qui agissent sur le terrain, qui ont l'habitude du malade. Il faut les aider, leur donner les conseils techniques. L'un des problèmes tout à fait effarants est qu'à domicile, vous ne pouvez pas accéder, dans les pharmacies de garde, à tous les produits dont vous avez besoin. Par exemple, si je demande des ampoules de morphine dans une pharmacie de garde, je suis pratiquement taxé de toxicomane.
M. Josy Dubié. Même en tant que médecin ?
M. P. Leroy. Même en tant que médecin. Si la pharmacie ne dispose pas des ampoules de morphine dans son stock, je ne pourrai en obtenir. En pratique, nous avons toujours de bons contacts avec l'un ou l'autre secteur hospitalier. Il existe des pharmacies de garde mais pas des grossistes de garde, en tout cas pas 24 heures sur 24.
À certains moments de la nuit, des produits spécifiques, rarement employés, sont totalement inaccessibles. Or, des problèmes peuvent se poser à toute heure. Certains produits ne se conservent pas, sont très chers, impossibles à stocker, non disponibles en conditionnement restreint dans les pharmacies habituelles. Pour obtenir certaines techniques, certains matériels, il faut entretenir des contacts privilégiés avec le secteur hospitalier.
M. Philippe Monfils. Je voudrais vous poser une question complémentaire.
Certains patients dont vous vous occupez en maison de repos ne vous demandent-ils pas inconsciemment d'être l'arbitre, entre eux-mêmes et l'équipe soignante, d'une situation vraie ou supposée, comme cela se fait parfois dans les familles ? Cela contribuerait bien sûr à renforcer les difficultés.
M. P. Leroy. Dans quel domaine ?
M. Philippe Monfils. Dans tout ce qui concerne la vie de la personne hébergée : le mode de vie, le niveau de vie, les réactions de l'équipe soignante par rapport à la personne hébergée, etc.
M. P. Leroy. Cela fait vingt ans que je suis médecin généraliste et par rapport à mes débuts, j'estime que la qualité du personnel et du nursing des maisons de repos s'est considérablement améliorée à la suite des mesures qui ont été prises. Certaines, qui n'ont pas toujours fait plaisir aux directions, vont dans un sens plus positif. Dans notre métier, on essaie toujours de régler des comptes. Le problème des maisons de repos, c'est qu'il s'agit d'un univers restreint. La seule chose qui compte, c'est ce qui se passe dans la chambre : le bruit du chariot qui amène les repas vous énerve. Quand vous n'allez pas bien, vous exigez toute l'attention; vous n'êtes pas prêt à partager. Il est clair que les normes d'encadrement dans les maisons de repos font qu'humainement, on ne peut demander à la direction d'assurer la prise en charge d'une personne en fin de vie sans aide extérieure. Cette aide ne doit pas être permanente mais elle doit être mobilisable rapidement. Autre problème : la sécurité sociale nous offre parfois la possibilité d'obtenir l'aide d'une tierce personne mais cette aide arrive souvent beaucoup trop tard, surtout dans le cas de maladies à évolution rapide. Au moment où nous recevons l'accord, la personne est décédée depuis six mois ou un an.
M. Paul Galand. Je me réjouis que l'on auditionne un généraliste et regrette qu'il n'y en ait pas eu davantage. Je regrette cependant l'absence de généralistes wallons ou de milieu rural. J'estime, comme l'a dit M. Leroy, que l'on devrait auditionner les pharmaciens. Voici mes questions.
De combien de personnes se compose l'équipe minimum de première ligne amenée à prodiguer des soins palliatifs à domicile ?
Comment l'équipe de soins palliatifs de deuxième ligne s'articule-t-elle avec les plates-formes de soins palliatifs ?
Ces plates-formes sont-elles en nombre suffisant en région bruxelloise ? Comment la législation régionale bruxelloise s'articule-t-elle avec la législation fédérale ?
Avez-vous pu comparer les expériences sur le terrain avec vos collègues néerlandophones ?
Souhaitez-vous que ces équipes de deuxième ligne, dont vous avez évoqué la rapidité de mobilisation, interviennent dans les maisons de repos ?
Par ailleurs, vous avez évoqué les difficultés actuelles qui se posent pour la nuit. Vous arrive-t-il souvent de devoir trouver une infirmière pour le soir même ?
À propos du coût des soins à domicile, la législation a récemment progressé. D'après votre expérience de terrain, où se situe actuellement la priorité en la matière ?
M. P. Leroy. Je puis difficilement vous répondre à propos des problèmes qui se posent en première ligne parce qu'à mon niveau, il faut énormément de temps pour mettre en place toute l'infrastructure nécessaire et ce temps n'est jamais rémunéré. Dans certains cas, il est très difficile de trouver l'aide appropriée au bon endroit et au bon moment. Je pense cependant que tout le monde n'a pas forcément besoin de toute une équipe à domicile.
M. Paul Galand. L'équipe qui est à votre disposition par le biais de la maison médicale n'est pas suffisante à certains moments ...
M. P. Leroy. En effet, mais il est inutile d'avoir une équipe en permanence car le nombre de patients dont je m'occupe varie considérablement au cours de l'année. À mon sens, il faut accentuer l'interface entre les différentes structures et les différents niveaux. Étant donné que les gens vont immanquablement d'un niveau à l'autre, ils doivent apprendre à se connaître, suivre une formation commune et évaluer de temps à autre leur travail commun.
M. Paul Galand. C'est l'amélioration des plates-formes ?
M. P. Leroy. En effet, c'est l'amélioration des liens entre les différentes lignes. Il est parfois nécessaire d'hospitaliser une personne pendant quinze jours, simplement pour permettre à la famille de souffler. À ce moment-là, on risque de perdre tout contact en raison du cloisonnement qui existe dans notre système.
(La suite de l'audition a eu lieu à huis clos.)
M. Josy Dubié. J'ai le plaisir de recevoir à la tribune du sénat le docteur Dominique Bron, diplômée de l'ULB, qui a suivi une spécialisation en médecine interne et en onco-hématologie. Elle a un CV très impressionnant. Elle est notamment professeur d'hématologie à l'ULB et professeur honoraire à l'université de Prague.
Madame, vous êtes présidente du comité d'éthique et chef de clinique à l'Institut Bordet, et membre du comité d'éthique d'action laïque. Toutes ces qualités vous amènent à nous parler ce soir.
Mme D. Bron. Les cancérologues sont particulièrement concernés par le problème de l'euthanasie car, comme vous pouvez l'imaginer, la grande majorité des demandes de mettre fin à la vie émanent de patients cancéreux incurables au stade avancé de leur maladie.
Notre institut s'occupe uniquement de patients cancéreux et regroupe donc l'ensemble des techniques nécessaires au diagnostic et traitement du cancer. Il comporte des unités spécialisées pour chaque type de tumeur et, personnellement, je suis responsable du secteur d'hématologie clinique et de l'unité de « greffe de moelle osseuse » pour le traitement des leucémies. Nous avons dans l'hôpital une unité de soins supportifs à la fois centralisée mais également mobile, destinée à apporter le soutien nécessaire aux patients, qu'ils soient hospitalisés dans l'unité de soins palliatifs ou encore en traitement dans les unités spécialisées. Les soins supportifs ne commencent pas toujours à la phase terminale de la maladie.
Je me rends bien compte que vu le nombre d'auditions, le problème de l'euthanasie vous est aujourd'hui devenu familier, tant en théorie que dans la réalité des situations vécues. Je me limiterai donc à quelques questions importantes qui reviennent le plus souvent dans les débats. Mais il va de soi que je répondrai ultérieurement à toute question que vous souhaiteriez me poser.
Dans cet exposé, je n'envisagerai que le problème de l'euthanasie « active » liée à une demande non équivoque et constante d'un patient conscient et en état de souffrance. Je ne parlerai ni des mineurs ni des incapables. Quant aux patients inconscients ou ceux dont l'état de conscience est trop altéré pour permettre une demande claire et sans équivoque, je dirai seulement qu'il me semble que la seule solution possible et vous y avez pensé pour qu'ils puissent se faire entendre est celle de la déclaration anticipée de volontés (du « testament de vie ») avec un mandataire garant de cette déclaration. Bien sûr, cette déclaration doit être rédigée ou revue à un moment suffisamment proche de l'état d'inconscience pour que sa valeur ne soit pas contestée.
Je voudrais d'abord dire quelques mots des conséquences de la discordance actuelle entre la loi et la situation sur le terrain.
Mon expérience comme présidente du comité d'éthique et les contacts avec les médecins d'autres institutions m'ont démontré que l'insécurité juridique liée à l'interdit légal de l'euthanasie est gravement préjudiciable tant au patient qu'au médecin, à divers points de vue.
Il est notoire, et cela a été dit ici même, que des fins de vie délibérément provoquées passives ou actives sont fréquentes dans beaucoup d'hôpitaux et aussi en médecine générale. Mais la plupart des fins de vie sont provoquées sans concertation avec les patients. Pourquoi ? Parce qu'il existe, en effet, une réticence des médecins à aborder clairement et franchement la question de la manière dont l'accompagnement sera réalisé dans la période terminale de la maladie.
L'interdit légal entraîne les médecins à imposer les soins palliatifs aux patients, quelles que soient les souffrances et quel que soit le souhait des patients, et ce jusqu'à la mort naturelle. On peut même dans certains cas parler d'« acharnement palliatif ». Certaines pratiques d'aide à la mort, qui sont liées au souci de respecter l'interdit, me paraissent éthiquement très contestables. C'est le cas, par exemple, de la « sédation terminale » et des restrictions de l'alimentation solide et liquide préconisées par certains comme substitut à l'euthanasie.
Qu'en est-il à l'Institut Bordet ?
Depuis longtemps, dans notre institution, nous estimons que le patient a droit au respect de ses convictions. Dès le début de la maladie, nous discutons clairement avec lui de la manière dont il conçoit son traitement, y compris à la fin de sa vie. Cela implique une discussion franche sur la maladie, les limites des traitements proposés et le pronostic de la maladie. Notre institut est un institut de référence. Cette discussion est donc souvent facilitée parce que le patient veut des explications, veut connaître les effets secondaires, les alternatives thérapeutiques. Bien entendu, nous connaissons les contraintes liées à la législation, nous connaissons les règles déontologiques. Mais nous estimons qu'après avoir eu comme règle de respecter les choix des patients en ce qui concerne le traitement tout au long de leur affection, nous devrions avoir la possibilité en toute légalité de continuer à le faire au seuil de la mort.
Il est essentiel et fondamental pour nos médecins que la loi nous y autorise. Et ce que nous demandons, ce n'est pas comme certains le disent, le droit de « tuer ». La communauté médicale ne va jamais revendiquer le droit de tuer. C'est simplement de pouvoir respecter l'idéologie de chacun de nos patients. Nous avons la chance d'être dans une société pluraliste, où la liberté de pensée fait partie de notre quotidien. Celui qui estime avoir le droit de disposer de sa vie et celui qui considère que sa vie ne lui appartient pas et qui souhaite qu'elle suive son cours jusqu'à la fin, devraient tous deux avoir droit au même respect.
En acceptant l'euthanasie, va-t-on freiner le développement des soins palliatifs ou les progrès de la médecine en cancérologie ?
Dans notre expérience, parmi les patients qui présentent des maladies cancéreuses avancées, en rechute et devenues réfractaires à tout traitement classique (chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie), plus de 90 % réclament l'accès à de nouveaux médicaments. Les gens veulent vivre et les patients qui ne veulent plus vivre sont vraiment une exception. Certains appelleront cela de l'acharnement « thérapeutique » mais, pour le patient bien informé, c'est une source d'espoir dont certains ont besoin pour survivre. Nous sommes depuis toujours un institut où sont testées des drogues expérimentales, et nous donnons l'accès à ces traitements expérimentaux à tout patient qui le réclame.
Le comité d'éthique a d'ailleurs défini une procédure à respecter dans ce domaine, qui n'est autre que les recommandations européennes en la matière, qui sont comme vous le savez entérinées dans un arrêté royal depuis 1992 (22 septembre 1992). Alors que l'arrêté royal qui a défini l'activité des comités d'éthique dans les hôpitaux date de 1994, l'Institut Bordet s'est doté d'un comité d'éthique dès 1979, compte tenu de cette médecine expérimentale. Depuis des années, nous avons mis en place des procédures soucieuses du respect de la personne humaine dans cette médecine expérimentale. Il faut bien reconnaître que si nous n'avions pas eu des patients qui s'étaient acharnés à demander des médicaments expérimentaux et, par ailleurs, des médecins qui avaient accepté de tester ces médicaments expérimentaux, nous serions bien moins avancés dans le traitement du cancer.
Le premier message que je voulais vous faire passer, c'est que la plupart des gens ont envie de vivre. Ceux qui demandent d'en finir sont la minorité. Parmi ces 10 % qui ne souhaitent pas entreprendre de tels traitements lorsque l'espoir d'une amélioration est très aléatoire ou ne peut se faire qu'au prix d'épreuves pénibles avec des résultats incertains, nous respectons ce choix. Il n'est jamais question à l'Institut d'imposer un traitement dont les résultats sont plus qu'aléatoires à un patient qui ne demande aucun acharnement thérapeutique ! C'est la raison pour laquelle nous avons une unité de soins « supportifs » et de soins palliatifs. Parmi ces 10 %, certains vont clairement demander qu'il soit mis fin à leur vie puisque ce sont des patients bien informés de l'absence de traitement démontré efficace et de l'incurabilité de leur maladie. Mais lorsqu'on discute avec ceux qui formulent une telle demande, on se rend compte que s'ils demandent qu'on les soulage ou qu'on écourte leurs souffrances, c'est surtout parce qu'ils ont peur de souffrir ou de mourir tout seuls. Si on peut leur garantir dans une unité de soins palliatifs qu'on ne va pas les laisser souffrir ou que l'on va les accompagner dignement, la majorité des patients vont se laisser convaincre que les soins palliatifs sont la solution pour eux. Chez nous, ces soins sont prodigués, soit dans l'unité spécialisée de soins palliatifs, soit dans l'unité où ils ont été traités, où ils sont suivis par une équipe palliative mobile sans perdre le contact avec leur cancérologue. Nos patients sont souvent suivis pendant des années et il n'est pas très humain de les transférer dans une unité de soins palliatifs où l'on n'a plus le temps d'aller les voir. Je préfère personnellement les équipes mobiles qui nous aident à réaliser un accompagnement de qualité dans l'unité où ils ont toujours été pris en charge par leur cancérologue.
Malgré les soins palliatifs, il va rester une petite proportion de patients qui demandent de manière ferme et persistante qu'on les aide à mettre fin à leur vie. Soit parce que le contrôle de la douleur, même efficace, entraîne une perte de lucidité qu'ils n'acceptent pas; certains refusent des doses d'anti-douleur telles qu'elles les empêchent d'avoir une conversation cohérente, de pouvoir lire ou écouter une émission; soit parce que les délabrements physiques sont tels ils sont parfois défigurés, ont parfois des tumeurs nauséabondes qu'ils interfèrent avec tout contact avec les proches, soit encore parce que la dépendance physique leur enlève toute qualité de vie. Nous considérons qu'il est essentiel que le patient décide lui-même si sa vie vaut encore la peine d'être vécue et non que le médecin impose sa propre vision de la qualité de vie ou de ce que lui considère comme une mort digne. Il nous semble d'ailleurs qu'une véritable écoute du patient et une interprétation honnête de sa demande ne sont possibles que si la maladie, les traitements alternatifs, leur pronostic ont été abordés avec franchise et honnêteté.
Quel est le nombre de ces demandes à l'Institut ? Nous n'avons pas de statistiques précises à vous donner pour l'ensemble de l'institution. Les études publiées aux Pays-Bas chiffrent le nombre d'euthanasies pratiquées à un peu plus de 2 % de l'ensemble des décès, toutes pathologies confondues. Comme les pathologies que nous traitons sont particulièrement sévères, on doit s'attendre à avoir un nombre plus élevé de demandes. Je dois ajouter ici que si les demandes d'euthanasie sont écoutées, on diminuera sans doute à la fois « l'acharnement thérapeutique » qui a si mauvaise presse mais aussi « l'acharnement palliatif ».
Une étude a été réalisée en 1997 dans notre unité de soins palliatifs : elle portait sur 120 patients, il y a eu 14 demandes d'euthanasie clairement exprimées, soit 11 % des patients. Les causes étaient la dégradation physique extrême, la douleur et l'épuisement. Un patient sur 14 avait refusé d'impliquer sa famille; chez 13 de ces patients, un consensus familial existait. Après traitement intensif de la douleur, soutien psychologique, prise en charge avec antidépresseurs si nécessaire, cette demande n'a persisté que chez 2 malades sur 14. Une fois que l'on discute avec les patients, les demandes sont donc extrêmement rares : 1,6 %. L'examen par une psychiatre avait conclu, chez ces 2 patients, à l'absence de dépression mais ces demandes insistantes et répétées se présentent dans les autres unités de soins également.
Je dois ajouter que chez nous, les demandes d'euthanasies ne sont pas formulées que dans l'unité de soins palliatifs : certains patients refusent d'entendre parler des soins palliatifs. Une fois qu'ils sont sortis de toute perspective de traitement curatif ou de possibilité d'amélioration de leur état, ils veulent simplement que l'on abrège leur agonie. Il y a donc des demandes d'euthanasies en dehors de cette unité, ce qui fait monter le pourcentage de demandes chez nous. Je dois vous dire également qu'alors que ces demandes étaient extrêmement rares jusqu'il y a deux ou trois ans, depuis la médiatisation de ce débat sur l'euthanasie, on assiste à un accroissement exponentiel du nombre de demandes d'euthanasies actives. Pour certains de nos malades, il est extrêmement cruel de ne pas les écouter ou de ne pas répondre à leur demande.
Il faut aussi se rendre compte qu'une demande lucide et ferme n'est possible qu'en fonction de la qualité de l'information reçue en termes de perspectives thérapeutiques (ou palliatives) et de pronostic. Aujourd'hui, seule une élite socioculturelle enseignants, journalistes, intellectuels reçoit, à sa demande, l'information complète qui lui permet de prendre en toute lucidité cette décision de demander l'accès à une mort anticipée. Nous considérons qu'il est du devoir du médecin de donner une telle information.
Mais la médiatisation augmente aussi la confusion du public : des familles viennent nous demander ce que nous attendons, maintenant que c'est permis. D'autre part, des patients ont peur de venir à l'hôpital car ils craignent d'y être euthanasiés. Comme si le rôle des médecins était d'achever les gens ...
Une autre question très discutée reste le stade de la maladie qui devrait être atteint pour considérer la demande d'euthanasie comme légitime. On a beaucoup parlé de phase terminale, de maladie incurable. C'est un problème qui, en pratique, ne se pose guère en cancérologie parce que la plupart des demandes sont faites dans les derniers jours ou les dernières semaines de la maladie.
Il arrive cependant que la souffrance soit extrême avant ce stade, entraînant alors une demande beaucoup plus précoce. Aussi, je pense que n'accepter l'euthanasie qu'en « phase terminale » serait une attitude réductrice, pour cette petite fraction de patients qui le justifient et qui ne sont pas nécessairement en phase terminale ou proches de l'agonie. C'est la souffrance irréductible qui doit être le véritable critère de décision. Par ailleurs, et nous en avons longuement discuté au sein du comité d'éthique, il me paraît bien difficile de définir le moment où commence la phase terminale.
Pour terminer, je voudrais dire contrairement à certains de mes collègues que je ne crains pas qu'une dépénalisation de l'euthanasie puisse favoriser des dérives, en particulier des euthanasies non justifiées.
D'abord, parce que le médecin ne pratique pas une euthanasie de gaieté de coeur et qu'il s'agit toujours d'une décision pénible qu'on essaie d'éviter. On en a de multiples témoignages, en Belgique mais surtout aux Pays-Bas.
Des euthanasies non justifiées sont plus facilement réalisables dans l'anonymat et dans la clandestinité actuelles que si des procédures légales sont prévues. Si le médecin prend la peine de faire son rapport et de l'envoyer au parquet, vous allez mettre sur pied une commission qui procédera à l'évaluation. Dire que les euthanasies non justifiées se réaliseront plus facilement après la dépénalisation est un leurre. Actuellement, ces euthanasies pratiquées dans la clandestinité se font généralement par des moyens inadéquats parce qu'ils sont choisis pour échapper à tout contrôle, comme par exemple par des doses progressives de morphine. C'est une très mauvaise technique d'euthanasie.
Quant au risque qu'on a évoqué de dérive « économique » ou « eugénique », je n'ai pas cette crainte. Il me semble que c'est un risque qui n'est pas lié à l'existence ou non d'une dépénalisation de l'euthanasie, mais un risque qui dépend du contexte social. Une société qui favoriserait l'élimination des vieillards et des incapables pour ce type de raisons serait une société qui ne respecte pas les individus, ce qui est justement à l'opposé de l'esprit de la proposition qui insiste sur l'autonomie du patient et la décision du patient et non d'une personne extérieure. Cette commission que vous allez mettre en place servira de garde-fou : si quelques médecins décident d'exploiter cette dépénalisation pour abuser des euthanasies, la commission s'en rendra compte. Si un médecin ne rédige pas de rapport, qu'il y ait ou non dépénalisation, cela ne changera rien sur le terrain.
En conclusion, vous aurez compris qu'à l'Institut Bordet, nous sommes actuellement dans une position extrêmement inconfortable. En raison de l'augmentation constante des demandes, nous avons mis sur pied une procédure qui s'apparente à la procédure hollandaise. Vous aurez compris que la médecine a évolué d'un état de paternalisme médical où les médecins décidaient du traitement des patients ou d'un arrêt éventuel du traitement vers un dialogue médecin-malade, et c'est tout à l'honneur d'une société démocratique. Le malade a accès aux informations, il va demander différents avis concernant sa maladie, il va « surfer sur Internet » pour avoir son pronostic. Le malade n'est plus la personne qui se laisse faire; il a son mot à dire tout au long du traitement et je ne vois pas de quel droit on l'en empêcherait.
Je plaide donc fermement pour que la loi donne à chaque patient le droit de pouvoir choisir la manière dont il souhaite mourir selon ses propres convictions. Le médecin doit s'entourer d'avis pour voir si cette demande est ou non justifiée et pour que cette loi donne à chaque médecin le droit de pouvoir y répondre en âme et conscience et pas comme aujourd'hui, avec ce couperet qui menace tout médecin qui essaie de répondre à une demande justifiée d'un patient.
M. Alain Destexhe. Madame, je voudrais vous poser trois questions. Premièrement, j'aimerais que vous précisiez ce que vous entendez par acharnement palliatif et que vous développiez ce point. Il me semble, en effet, que c'est la première fois que nous entendons parler de cela de façon aussi spécifique. Je souhaiterais des précisions sur les problèmes que peuvent entraîner la sédation en fin de vie et le type d'alimentation donné.
Deuxièmement, pourriez-vous préciser l'influence du débat actuel sur les demandes des patients ? Vous êtes passée rapidement sur ce point. Dans quelle mesure nos travaux influencent-ils les demandes et peut-être, finalement, les réponses à ces demandes ?
Troisièmement, vous ne semblez pas hostile à l'envoi d'une déclaration au parquet. Vous êtes, je suppose, favorable à la commission d'évaluation mais, contrairement à la majorité des confrères qui sont passés devant cette commission et qui sont, en général, très réticents à ce que n'importe quelle information soit envoyée au parquet, cela ne semble pas vous poser de problème particulier. J'aimerais que vous nous disiez pourquoi.
Mme Clotilde Nyssens. Je voudrais vous dire, Madame, que j'ai visité l'unité des soins supportifs de votre hôpital et que j'ai été impressionnée par l'attitude des médecins qui luttent contre la douleur, particulièrement par l'humanité qu'ils dégagent vis-à-vis de leurs patients et de leur équipe. Je dois dire que j'ai été heureusement surprise.
J'ai été frappée par votre phrase disant que, pour le moment, les demandes d'euthanasie provenaient principalement de catégories sociales bien déterminées. Vous avez cité des intellectuels, des enseignants, des journalistes ... Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Est-ce parce que la volonté est plus facile à déclarer quand on a des moyens sociaux d'expression par la parole ou bien est-ce dû vraiment je n'aime pas employer ces mots à un quotient intellectuel, à une manière de s'exprimer, à un rapport de forces avec son médecin qui fait qu'on ose parler tandis que d'autres n'osent pas ? Quelle est, sociologiquement, la raison pour laquelle ces personnes s'expriment plus facilement ou demandent plus facilement ?
Vous êtes présidente du comité d'éthique. Vous avez dit que ce comité se prononçait sur certaines questions et arrêtait des procédures, notamment pour les traitements expérimentaux. Ce comité arrête-t-il aussi les procédures, les guide lines pour, éventuellement, les euthanasies qui sont pratiquées actuellement dans votre hôpital ?
M. Louis Siquet. Madame, vous avez déclaré que l'administration de la morphine était l'une des plus mauvaises façons de pratiquer l'euthanasie. Pourriez-vous nous dire pourquoi ?
Mme D. Bron. Il est vrai que l'acharnement palliatif est un terme un peu nouveau. Je voudrais dire que j'ai été particulièrement impressionnée par certains témoignages de gens qui sont confrontés à une demande d'euthanasie, qui ont l'air de réaliser que cette demande est justifiée mais qui sont dans une impasse parce qu'ils ne veulent pas être en contradiction avec la loi. Ils appliquent donc « la sédation » à ces patients, soit de manière transitoire, parce qu'on estime qu'ils passent par une phase de panique, qu'ils ont peur de mourir ou peur de souffrir et qu'ils demandent dès lors l'euthanasie pour une période passagère, soit de manière prolongée, d'où un état de sédation prolongée dont le patient ne sortira pas. On se rend compte que, finalement, ces médecins n'ont pas osé outrepasser la loi tout en considérant que la demande était justifiée, puisqu'ils ont placé ces patients sous sédation. Dans certains cas, on arrête de nourrir ou d'hydrater ces patients, pour accélérer l'évolution naturelle, ce qui est une sorte d'euthanasie passive. J'ajoute que cet état peut durer de trois à quatre semaines; ce n'est pas très agréable à vivre pour les familles.
L'autre situation est celle des sédations pratiquées de manière transitoire. On fait une sédation, juste pour faire passer un état de panique chez un patient. Quand on estime que c'est le moment, on réveille le patient. Cela me paraît une pratique éthiquement contestable, quand un patient a exprimé son souhait de mourir, de l'endormir pour le réveiller et ensuite lui demander à nouveau s'il veut vraiment mourir. D'autant plus que jouer avec les drogues utilisées pour la sédation, à savoir des barbituriques, exige une connaissance assez précise de leur manipulation. On peut se trouver devant un arrêt respiratoire et être amené à intuber le patient, si la volonté du médecin n'était pas vraiment d'accélérer les choses ... Il y a donc, dans cette attitude, quelque chose qui, éthiquement, n'est pas défendable. Je me rends compte que le médecin est dans une impasse. Il veut aider la personne qui est devant lui et donc, il fait une sédation pour pallier cette panique et pour aider le malade provisoirement.
Mais je ne suis pas sûre que ce soit la bonne solution. Du point de vue du coût pour la société, il faut savoir qu'une telle situation peut être prolongée pendant des semaines.
Pourquoi les demandes sont-elles en augmentation ? Je pense que, simplement, auparavant, les gens n'en parlaient pas, parce que connaissant l'interdit légal, ils s'imaginaient que s'ils en parlaient à leur médecin, ils allaient se trouver devant un mur, puisque la loi interdit l'euthanasie. Quelques patients demandaient une aide au suicide, mais vous avez entendu qu'il est extrêmement difficile d'aider des patients à se suicider seuls; c'est beaucoup plus facile par l'intermédiaire d'un médecin ... Jusqu'il y a trois ans, quand on a commencé à médiatiser ce débat, on se trouvait donc alors devant quelques demandes exceptionnelles. Les gens en ont entendu parler et ont alors osé parler à leur médecin.
Pour répondre directement à la question de Mme Nyssens, les premiers qui ont été sensibilisés à ce débat et qui ont osé demander à leur médecin « si cela m'arrive, allez-vous m'aider? » ont été, il est vrai, des intellectuels, des gens qui lisent les journaux, écoutent les débats, précisément les enseignants, les journalistes, les intellectuels tous azimuts. Depuis maintenant deux ou trois ans, on se retrouve ainsi confronté à une demande d'euthanasie active où la personne nous dit en toute sérénité « si vous n'avez plus rien à me proposer, je ne veux pas maintenant passer quelques semaines à subir une dégradation progressive de mon état et voir la souffrance de ma famille ». Cette demande augmente de manière constante. Comme vous l'avez entendu, toutes ces demandes ne sont pas toujours justifiées. Chez nous, chaque demande est analysée. Il est extrêmement difficile pour nous de réaliser une euthanasie. A l'Institut Bordet, moi-même, je suis une acharnée. Mon rôle est d'appliquer des traitements jusqu'au bout, pour faire progresser la science, et quand je suis devant une demande d'euthanasie, je fais tout pour expliquer au patient qu'il y a d'autres options. Mais à partir du moment où l'on a devant soi un patient que l'on suit depuis des années, qui a bien réfléchi, dont on connaît la philosophie, dont on sait qu'il souffre de sa dégradation, que ce soit physiquement ou psychologiquement, il arrive un moment où il est extrêmement cruel de ne pas répondre. On peut alors avoir des attitudes de sédation et mettre le patient en pseudo-coma pendant quelques semaines. Je ne crois pas que ce soit une bonne pratique médicale. J'ajouterai que lorsqu'un patient fait une demande d'euthanasie bien réfléchie, il s'ensuit des situations qui donnent une leçon de courage et de vie assez extraordinaire. Ce patient dit : « Mercredi soir, à 9 heures, je veux que ce soit fini. » Et toute l'après-midi, il va la passer avec ses proches, avoir des échanges, leur dire des choses que, parfois, il n'a pas le temps de dire quand on pratique la sédation. D'autant que cette sédation se termine parfois mal : le patient ne se réveille pas et n'a pas eu l'occasion, finalement, d'avoir cette relation privilégiée avec ses proches.
Je ne suis pas opposée au parquet, peut-être parce que je suis issue d'une famille de juristes et que je n'ai pas de problème avec les arrêtés royaux ou la lecture du Moniteur belge. Je sais qu'en Hollande, on vient de faire marche arrière. Malgré la dépénalisation, beaucoup de médecins hésitent à envoyer un rapport au parquet. Depuis que la procédure a été modifiée, le rapport est envoyé à un comité de bioéthique composé de médecins spécialistes, d'éthiciens, d'infirmières, auxquels on ajoutera probablement un généraliste. Le nombre de rapports a dépassé les 50 % des euthanasies réalisées et est en augmentation constante. Donc, c'est vrai que les médecins préfèrent envoyer un rapport à des gens qu'ils estiment plus capables de juger médicalement qu'à un parquet, qui a les limites d'un juriste.
M. le président. C'est ce comité-là qui peut éventuellement transmettre le dossier au parquet ?
Mme D. Bron. Oui. Je ne suis pas opposée à cette solution, mais je pense que la solution d'un comité de personnes compétentes pour juger si la demande est recevable ou pas est plus défendable pour la majorité des médecins.
J'en viens à la morphine. Jadis, quand les patients demandaient une aide au suicide et que l'on n'avait pas grand-chose d'autre à leur proposer, on leur donnait un sirop concentré de morphine. Le risque existe que ces patients tombent dans le coma mais ils peuvent se réveiller. Il faut donc ajouter quelque chose à la morphine pour que ce soit vraiment efficace. Quand vous êtes tout seul, ce n'est pas faisable. Si vous ajoutez un curarisant ou un médicament dont les effets ne sont pas réversibles, vous devrez le justifier. Actuellement, on fait beaucoup d'euthanasies passives à la morphine facilement justifiables , mais elles durent des jours et des jours.
Reste la question du comité d'éthique et des procédures. On a une très longue expérience de comité d'éthique pour la protection du patient dans la médecine expérimentale. Auparavant, les procédures pour l'euthanasie n'existaient pas. Mais, depuis la médiatisation, nous disposons d'une telle procédure. Nous voulions éviter que des demandes soient formulées tous azimuts, que des médecins n'osent pas en parler et pratiquent finalement de mauvaises euthanasies. Il est vrai que nous nous sommes alignés sur le modèle hollandais. Nous avons beaucoup de garde-fous. Nous bénéficions de l'avis d'un deuxième médecin compétent dans le domaine, qui peut estimer que le malade est incurable. Si nécessaire, nous entendons l'avis du psychiatre qui doit décoder les demandes, surtout quand on ne connaît pas le patient depuis très longtemps. Quand on le connaît depuis longtemps, on n'a pas ce problème. Mais il faut être sûr que la demande d'euthanasie formulée par un patient que l'on connaît depuis peu, vienne bien de lui. Il faut vérifier s'il n'a pas subi des pressions, s'il n'est pas dans un état dépressif transitoire, s'il ne vient pas d'apprendre une mauvaise nouvelle. Les psychiatres sont recommandés, sans être obligatoires. Ils font néanmoins partie de notre procédure. Nous mettons aussi le patient en chambre individuelle. Nous consultons l'équipe infirmière. Nous ne demandons pas vraiment un avis. Si nous le faisions, nous nous retrouverions dans une situation de tribunal où ce n'est plus le patient qui peut décider mais tout le staff infirmier. Nous informons donc l'équipe et nous essayons de voir si, en son sein, certaines personnes ont des problèmes avec cette décision. Si c'est le cas, on leur demande pourquoi. Et on se rend souvent compte que c'est parce que le patient a minimisé ou caché sa demande au staff infirmier. Dans ce cas, il s'adresse au médecin en colloque singulier parce qu'il tente de garder une certaine intimité. À l'infirmière, cependant, il dit qu'il aimerait partir l'année suivante dans sa maison en Provence. L'infirmière ne comprend donc pas. À ce moment-là, on va parler avec le patient qui explique ses raisons à l'infirmière qui a un problème moral.
Pour ce qui est de la famille, nous avons longuement réfléchi. Mais nous avons vécu tellement de situations difficiles avec les familles de patients en phase terminale que c'est le patient qui décide. S'il veut que sa famille soit au courant, on l'informe. Vous avez vu que treize patients sur quatorze impliquaient leur famille dans la décision. Les quelques patients qui refusent l'implication de leur famille le font souvent pour protéger le médecin. Car si quelqu'un dans la famille est opposé à l'euthanasie, le patient se dit que lui sera parti et qu'il aura eu ce qu'il voulait mais que le médecin se retrouvera en prison. Ces cas sont rares. Nous laissons spontanément le patient parler à sa famille mais nous ne demandons pas l'avis de celle-ci.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voudrais vous poser deux questions.
Tout d'abord, je voudrais revenir à la problématique du contrôle. Comme l'a dit M. Destexhe et cela nous a été affirmé à plusieurs reprises , les médecins n'aiment pas remplir des documents, surtout si ceux-ci sont directement transmis au parquet. D'ailleurs, telle n'est pas la situation hollandaise. Le parquet n'a jamais exercé de contrôle direct. On passait en effet par un médecin légiste.
Vous avez donc affirmé que vous pouviez comprendre cette problématique et que vous n'étiez pas opposée là, je n'ai pas compris à l'instauration d'un comité qui jugerait si la demande est recevable ou non. Je ne comprends pas où vous situez ce comité.
Pensez-vous à un contrôle a priori, organisé dans une concertation multidisciplinaire et/ou à un contrôle a posteriori via un comité qui recevrait le document rempli par le médecin, comité qui pourrait juger du respect des règles et éventuellement décider de l'envoi du document au parquet ? Pensez-vous qu'un médecin qui pense ne pas suivre les règles va remplir un tel document ? J'avoue donc que je ne vois pas très bien quel serait le rôle de ce comité.
Ensuite, je suis préoccupée par cette fameuse demande du patient. Bien entendu, une euthanasie ne pourrait être pratiquée que sur demande du patient. Le tout est en effet de bien la décoder. Cela n'est pas évident et je crois qu'en cette matière, il convient de prendre toutes les précautions nécessaires. Vous l'avez dit vous-même. Mais vous avez aussi prononcé une phrase qui m'a interpellée. Vous avez en effet affirmé que c'était le médecin qui jugeait si la demande était justifiée ou non. D'une part, on dit que le patient a des droits mais, d'autre part, que le médecin juge si la demande est justifiée ou non. Moi, je ne vois pas les choses comme ça. Si l'on veut qu'une vraie demande puisse s'exprimer valablement, elle doit l'être lors d'un vrai dialogue entre le médecin et le patient et probablement une équipe multidisciplinaire. Beaucoup de médecins que nous avons entendus ici ont souhaité que cette équipe existe. Ils ne veulent pas être seuls face à une telle demande et à l'acte qui s'ensuit éventuellement.
M. Paul Galand. Vous avez utilisé l'expression « soins supportifs » qui me semble scientifiquement dépourvue d'ambiguïté par rapport à « soins palliatifs », quand on sait qu'il existe des traitements palliatifs au long cours, par exemple dans les cas de diabète. Suggérez-vous que l'on utilise plutôt le terme « supportif », ou le terme « palliatif » peut-il quand même convenir ? En effet, une fois que l'expression sera fixée, on l'utilisera longtemps et la confusion qui sera rendue possible sera peut-être dommageable sur le plan de la compréhension.
Vous avez insisté sur le dialogue franc et honnête avec le patient. Vous travaillez dans un service de cancérologie au sein duquel vous côtoyez les patients durant une longue période. On peut donc concevoir que le dialogue peut s'établir progressivement, en confiance et en toute franchise. Quelles sont les conditions requises pour que l'on puisse aboutir à ce dialogue franc et honnête ? Quelles sont les conditions de temps ? Quelle est la place de l'équipe ? Quelles sont les nécessités de supervision ou d'intervision ?
En ce qui concerne l'enquête de 1997 menée dans votre service de soins palliatifs, vous avez parlé de décodage et du rôle du psychiatre. Pouvez-vous préciser quelles sont les garanties qu'il conviendrait de fixer afin d'assurer des probabilités de décodage satisfaisantes ?
Pourriez-vous communiquer à la commission la procédure que vous avez établie pour répondre aux demandes d'euthanasie ? En ce qui concerne cette procédure, que convient-il de préciser dans la loi, d'une part, et que faudrait-il inscrire dans un code de déontologie ou de bonne pratique, d'autre part ? Il n'est peut-être pas indispensable que vous répondiez à cette question sur-le-champ, un commentaire joint au schéma de votre procédure pour autant que vous acceptiez de nous la transmettre pourrait nous éclairer.
Il est évident que la commission d'évaluation ne pourra remplir sa tâche que si les médecins prennent la peine de rédiger leurs rapports. À cet égard, voulez-vous avoir l'obligeance de nous donner votre opinion à propos du contenu minimum qu'il faudrait prévoir pour que ces rapports permettent d'assurer un suivi de qualité, avec des garanties scientifiques ?
Mme Jeannine Leduc. Dans la proposition de la majorité, l'on fait une distinction entre la situation désespérée dans laquelle se trouve le patient qui est frappé d'une douleur insupportable et irréductible, d'une part, et la situation de détresse insoutenable et irrémédiable, d'autre part. Comment réagissez-vous face à la demande d'un patient qui se trouve dans une situation de détresse insoutenable ? Assimilez-vous une telle situation à la situation d'un patient qui se trouve dans une situation désespérée de souffrance ? Ne trouvez-vous pas que cette situation de détresse insoutenable est d'autant plus grave que le patient perd toutes ses fonctions physiologiques et qu'il n'a plus de qualité de vie ?
Je vous ai entendu dire que, pour un patient, demander une mort douce, c'est aller à contre-courant des progrès de la science. Pouvez-vous vous expliquer ? Une demande de mort douce vous oblige-t-elle à prendre le contre-sens de la mission de servir la science qui vous a été assignée ?
Les patients de l'Institut Bordet appartiennent-ils à toutes les couches de la population ou sont-ce plutôt des personnes issues de milieux fortunés ou intellectuels ?
Dans bien des cas, le médecin de famille se plaint de devoir envoyer son patient dans un institut spécialisé comme le vôtre. Vous concertez-vous avec le médecin de famille ? Celui-ci a souvent le sentiment de ne plus être informé et d'être exclu, alors qu'il avait été le premier à aider le patient.
Dans le cadre de notre deuxième proposition de loi, nous prévoyons de créer une commission d'évaluation. Pour tenir de compte de ce qui vient d'être dit, nous devrions transformer cette commission en une commission de contrôle chargée de recueillir les dossiers relatifs aux cas d'euthanasie, de les examiner et de les transmettre au procureur au cas où elle aurait décelé une anomalie. Cela pourrait rassurer les médecins. Le principe de la transmission immédiate au procureur suscite des réticences. Qui plus est, l'on n'a pas beaucoup de temps à consacrer au travail administratif. Ladite commission pourrait dès lors procéder à un premier examen des choses. Qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Mahoux. À Bordet, il existe une unité de soins palliatifs et une équipe de soins palliatifs. Quels sont les critères permettant de décider qu'un patient sera pris en charge dans le service par l'équipe de soins palliatifs ou qu'il sera placé dans une unité de soins palliatifs ? Bordet a opté pour une méthode mixte, pour une structure à la fois verticale et transversale. Ce choix était-il impératif ? Dans l'hypothèse où les formations seraient meilleures, n'envisageriez-vous pas de passer à une approche uniquement transversale des soins palliatifs ?
La problématique de la déclaration anticipée, en ce qui concerne les malades inconscients, relève sans doute davantage des services d'urgence que des services de cancérologie, qui peuvent accompagner les patients au cours de l'évolution de leur maladie. J'aimerais cependant connaître votre avis sur la question.
La proposition de loi contient la notion de déclaration a posteriori. La procédure prévoit l'information du malade, le fait de s'assurer qu'il s'est entretenu avec sa famille, la consultation par le médecin d'un confrère sur le caractère incurable de la maladie et sur l'adéquation des soins, la consultation de l'équipe soignante et de la famille dans les cas où le malade la demande, sans oublier les démarches que le médecin peut effectuer spontanément. Estimez-vous que cela dépasse les renseignements figurant habituellement dans un dossier médical, quand il existe ? Cette procédure est-elle vraiment plus ardue et plus contraignante que les pratiques courantes en milieu hospitalier en matière de dossiers médicaux ?
Mme D. Bron. En ce qui concerne le comité de médecins qui va juger a posteriori par rapport au parquet, j'avoue ignorer la composition exacte de ce comité qui vient de changer en Hollande. Je sais qu'il y a vraisemblablement des médecins, vraisemblablement des spécialistes, un juriste et un éthicien. Un médecin généraliste pourrait être ajouté afin que les généralistes aient un interlocuteur au sein de ce comité. Je suis frappée par le fait que le nombre de déclarations a nettement augmenté en Hollande depuis le changement. Je crois qu'un médecin préfère être jugé par un autre médecin que par des magistrats, bien que ces derniers délèguent, de toute manière, à un médecin légiste.
Mme Nathalie de T'Serclaes. J'ignore également ce qui a vraiment changé. Quoi qu'il en soit, les cas n'ont jamais été transmis directement au parquet. Un médecin était requis et le médecin légiste décidait in fine de transmettre les dossiers au parquet. Il est cependant possible que l'équipe de base ait été élargie.
Mme D. Bron. Au départ, je suppose qu'il y a eu amalgame avec un rapport envoyé au parquet. En ce qui nous concerne, nous avions compris les choses de cette manière, même si c'est via un médecin légiste. Je n'ai pas tellement de problèmes à partir du moment où la proposition est bien définie, que l'état de nécessité est établi et que des garde-fous sont mis en place pour éviter les abus.
Je n'ai pas de problème avec le parquet mais je suis quand même concernée par le fait qu'en Hollande, cela a changé la façon dont les médecins acceptent de remplir la déclaration. Je pense donc que c'est ce système qu'il faut adopter. On a besoin d'une commission qui puisse évaluer de manière tout à fait sérieuse ce qui se passe exactement, comme c'est le cas pour l'avortement actuellement. Mais je n'ai pas encore bien réfléchi à la composition de ce comité. Il faudrait se pencher sur le problème hollandais.
Il est vrai que les médecins n'aiment pas remplir des documents. On est noyé de papiers administratifs à remplir du matin au soir. Une déclaration de décès normal comprend déjà quatre pages. En cas de mort non naturelle, j'ignore combien de pages supplémentaires il va falloir remplir. Il faudrait, en tout cas, s'assurer que cela soit limité aux questions essentielles du deuxième médecin, de la demande répétée et qu'il ne faille pas remplir dix pages, sinon il y aurait une démotivation pour remplir ces documents et, au lieu d'aller vers l'euthanasie active, on retournera à l'euthanasie passive qui est plus facile à justifier pour les médecins.
En ce qui concerne la question sur la demande du décodage et la décision des médecins, je vous ai dit cela parce que c'est une réalité de terrain. Le premier interlocuteur du patient, c'est le médecin qui le suit depuis des années, en tout cas en cancérologie. Mais il est vrai qu'on a la chance, dans les hôpitaux cancérologiques, de travailler en équipe.
Si un patient ne veut plus de traitement, refuse des soins palliatifs et dit qu'il n'a plus aucune raison d'exister, mais si moi j'estime qu'il n'a pas tout essayé ce qui m'est déjà arrivé il va aussi se trouver devant un mur car je lui répondrai qu'il est trop tôt, qu'il y a encore des possibilités thérapeutiques. Le patient peut dire qu'il ne veut plus de ces possibilités thérapeutiques et il se tourne alors vers un autre médecin de l'institution avec lequel il peut avoir un autre dialogue.
Si les gens sont devant un mur avec un médecin, ils doivent se retourner vers un autre médecin qui transmettra la demande. Je ne suis absolument pas opposée à l'euthanasie, mais il faut que ces patients aient une demande recevable. Je me rappelle une patiente atteinte d'une leucémie aiguë, son mari l'avait quittée, sa fille s'était suicidée, elle ne travaillait plus, elle disait que plus rien ne la retenait dans la vie et elle ne voulait même pas essayer de traitement. N'importe quel médecin à qui on demande un deuxième avis dira que la demande n'est pas recevable si le patient n'a même pas essayé un traitement classique; il existe des traitements classiques, même pour des patients âgés de 70 ans. Le premier médecin filtre donc. On explique au patient les raisons pour lesquelles on refuse d'accéder à sa demande. Dans le cas que je viens de citer, j'ai expliqué que je serai prête à répondre le jour où cette personne souffrirait physiquement ou psychologiquement. Elle m'a comprise et a suivi son traitement.
Mme Nathalie de T' Serclaes. C'est donc un vrai dialogue au cours duquel le médecin propose différentes alternatives en réponse à une demande brute, surtout si vous ne connaissez pas le patient depuis longtemps. Il en va bien entendu autrement dans le cas d'un patient que l'on suit depuis des années et qui, à un moment donné, pose cette question. Vous estimez donc important que, dans une vraie information réciproque, on propose des alternatives. Exposer simplement les différentes possibilités n'est pas un vrai dialogue. Vous pensez donc que l'on doit prendre son temps par rapport à ce genre de demande ?
Mme D. Bron. Cela prend un temps considérable. Quand un patient demande une euthanasie, cela nous prend au minimum une heure de dialogue. En effet, il faut lui exposer les alternatives et lui expliquer les motifs de la recevabilité ou non de sa demande. Il est vrai que ces dialogues, extrêmement longs, doivent être très soigneusement décodés. En effet, il arrive qu'un patient demande simplement l'euthanasie parce qu'il veut vérifier indirectement s'il est incurable ou non. Si on répond qu'il n'est pas question d'euthanasie et qu'il est encore curable, il a parfois la réponse qu'il souhaitait avoir. Mais il existe des demandes tout à fait justifiées. Je puis vous donner des exemples de gens très sereins qui sont dans des situations invivables, avec des tumeurs qui les défigurent ou qui les empêchent de manger ou de profiter de quoi que ce soit, même si leurs reins, leur coeur et leurs poumons fonctionnent et qu'ils peuvent encore vivre des semaines ou des mois. Je suis persuadée qu'il faut les écouter.
Pour répondre à la question de M. Galand, les soins supportifs et les soins palliatifs ont fait l'objet d'une longue réflexion. Quand on a pris conscience du fait que les soins palliatifs devaient exister dans les hôpitaux, cela nous a apporté énormément, notamment au niveau des équipes anti-douleur et des équipes de psychiatres. Ces derniers ne disent pas simplement qu'il est normal que la patient soit déprimé puisqu'il est atteint d'un cancer. Auparavant, il n'y avait pas de psychologues car ils ne rapportent rien à l'hôpital. Le fait que l'on ait bénéficié de toutes ces structures de soins palliatifs nous a amenés à qualifier ce type de soins de « soins supportifs ». Finalement, tous les patients en bénéficient. On a besoin de traitements anti-douleur et de supports psychologiques au début de la maladie comme en fin de vie.
Mais pour les patients qui ne veulent plus de traitement chimio- ou radiothérapique, les soins « supportifs » deviennent les soins « palliatifs ». En ce qui concerne la place de l'équipe médicale ou paramédicale dans les décisions, il est certain que, dans un hôpital où l'interdit légal plane au-dessus de notre tête, on prend toutes les garanties pour que les décisions se prennent en staff, en réunion où tous les collègues compétents sont réunis et où les infirmières et les infirmiers, en tout cas leurs responsables d'unité, sont présents. Ce sont toujours des discussions collégiales.
M. le président. Cela veut-il dire que ce ne serait plus le cas si la loi est votée ?
Mme D. Bron. Non, on consultera toujours les collègues compétents mais ce sont toujours des discussions collégiales et on informe l'équipe d'infirmières en s'assurant, tenant compte du contexte, qu'il n'y a personne qui s'oppose à la décision sur le plan moral. Mais il faut mettre un garde-fou et convoquer un deuxième médecin et, éventuellement, si on l'estime nécessaire, un psychiatre pour décoder clairement la demande, ce qui est recommandé chez nous en cas de doute.
La procédure est alignée sur ce qui se passe en Hollande et a été adaptée à notre population plus particulière de patients cancéreux. Mais je n'ai aucun problème à vous communiquer la procédure. De toutes façons, elle a été établie dans le cadre des normes européennes puisque ces « european good clinical practices » nous sont imposées au quotidien et qu'elles sont reprises dans un arrêté royal depuis 1992.
Il n'est donc pas question de ne pas respecter ces good clinical pratices dont j'ai ici un exemplaire dans le cadre de la médecine expérimentale.
Quant à la commission d'évaluation, je pense qu'on peut simplement s'aligner sur ce qui a été décidé pour la commission d'évaluation pour les avortements. Ce n'est pas très différent. Il s'agit aussi d'une situation délicate sur le plan humain.
Mme Leduc évoquait les patients confrontés à des douleurs non apaisées. Vous prêchez une convertie. Même si 99 % des patients sont soulagés, il restera toujours 1 % de patients dont la douleur n'est pas apaisée en dépit des techniques modernes. En effet, si on veut les soulager, cela peut interférer avec leur lucidité. Or, certains patients ne souhaitent pas qu'on augmente les doses de manière telle qu'ils ne soient plus capables de dialoguer ou qu'ils aient des hallucinations. La détresse psychologique est un élément auquel nous sommes très sensibles et nous essayons de voir si le psychiatre peut nous aider dans des états de panique ou d'angoisse. Mais il est des situations où nous ne pouvons pas aider et où cette détresse est terrible. Cela se présente dans les cas de problèmes d'intégrité physique : les gens souffrent psychologiquement de cette dégradation, même si la douleur physique est contrôlée. Ils ne veulent plus voir leurs petits-enfants parce qu'ils leur font peur; ils ne veulent plus voir leur conjoint parce qu'ils sont trop dépendants. On ne peut contrôler cette détresse psychologique avec des médicaments. Cette détresse, la souffrance physique ou psychologique, doit jouer dans la décision, plus que le nombre de jours ou d'années qui restent à vivre au malade.
Quant à la décision, je ne pense pas qu'il faille attendre d'être dans la phase de la maladie où la situation est sans issue; il faut être à l'écoute et voir si on peut répondre à cette demande du patient.
Quelqu'un a demandé si le fait d'augmenter les cas d'euthanasie pourrait ralentir les développements de la médecine. Non, les gens veulent vivre et il est exceptionnel qu'ils demandent à mourir. Quand le traitement classique n'apporte plus de solution, neuf personnes sur dix demandent s'il n'existe pas un médicament aux États-Unis ... La légalisation de ces quelques cas d'euthanasie justifiés pour des détresses physiques ou psychologiques ne va pas avoir d'impact sur les progrès de la médecine et empêcher des patients d'avoir accès à des traitements expérimentaux. La priorité des gens est de vivre.
On m'a interrogée sur la population référée à l'Institut Bordet. Je rappelle qu'il s'agit d'un institut de la CPAS, bicommunautaire, appartenant au réseau Iris. Nous traitons donc tout patient, notamment celui qui, sans mutuelle, nous est envoyé par une institution privée à laquelle il s'était initialement adressé. Nous prenons en charge tout patient souffrant d'un cancer, qu'il ait ou non une mutuelle, qu'il soit VIPO, qu'il soit intellectuel, qu'il bénéficie d'une assurance privée. Toutes les classes de la population sont représentées chez nous et ont accès aux mêmes soins. Vous avez aussi évoqué la concertation avec le médecin généraliste. En fait, elle fait automatiquement partie de notre procédure pour les médecins généralistes très concernés. Certains ne viennent pas voir leur patient mais d'autres téléphonent toutes les semaines ou viennent voir leur patient. Quand il y a une telle décision à prendre, nous prenons contact avec eux et nous les y associons. Ils suivent en effet les patients depuis bien plus longtemps que nous et ils peuvent nous aider à voir si cette demande est justifiée. Cela fait donc partie de notre procédure que je peux transmettre à ceux que cela intéresse.
Pouvez-vous me rappeler la teneur de la question sur la commission d'évaluation ?
Mme Jeannine Leduc. Nous avons proposé de créer une commission d'évaluation. Il faudrait qu'au sein de la commission de contrôle éventuelle, des scientifiques et des juristes siègent aux côtés des médecins. Ils pourraient d'abord examiner les dossiers et ne décider de les transmettre à la justice qu'au cas où ils auraient constaté que les critères de prévoyance et de prudence n'ont pas été respectés. J'imagine qu'un médecin qui sait que le dossier qu'il est en train d'établir sera immanquablement transmis au procureur aura des réticences. S'il sait que son dossier passe d'abord par la commission de contrôle et qu'il ne serait transmis à la justice qu'au cas où la procédure prescrite n'aurait pas été suivie, il aura probablement tendance à établir le dossier comme il se doit. Qu'en pense Mme Bron ?
Mme D. Bron. Il est vrai qu'on parle beaucoup d'abus après la dépénalisation. Or, j'ai vraiment l'impression que c'est le contraire. C'est aujourd'hui qu'il y a des abus dans la clandestinité, et d'autres personnes vous ont sans doute déjà dit qu'il y a des patients à qui l'on fait subir une euthanasie passive sans leur avis parce que le médecin se croit tout-puissant et a décidé que leur vie n'en valait plus la peine.
Je pense donc que ce comité d'évaluation est extrêmement important car il y aura peut-être des médecins qui exploiteront cette dépénalisation et qui trouveront un autre confrère véreux qui confirmera la demande du patient ... Si on voit qu'il y a un peu trop de demandes chez ce médecin-là ou de la part d'une institution en charge de maladies neurologiques ou de gériatrie, alors la commission d'évaluation doit jouer son rôle. Si le médecin n'établit pas de rapport, c'est un médecin qui décide tout seul, et cela arrive aujourd'hui. La dépénalisation n'y changera rien. Cette commission d'évaluation doit jouer un rôle important.
Je ne pense pas que des médecins pratiquent l'acharnement pour des raisons économiques. Les médecins ont pratiqué des examens pour rentabiliser les hôpitaux et ils sont d'ailleurs bien pénalisés aujourd'hui, puisqu'il faut rembourser la surconsommation. Mais je n'ai jamais entendu que l'on pratiquait l'acharnement pour des raisons économiques. Les médecins ne sont pas des bourreaux.
On pourrait imaginer des règles économiques qui consisteraient à gratifier les médecins qui feraient moins d'examens parce que les examens coûtent trop cher à la société, mais peut-on imaginer un médecin qui ira jusqu'à tuer un patient pour que cela coûte moins cher à la société ! Ce serait de l'assassinat pur et dur et cela n'a rien à voir avec la proposition d'un patient qui exprime sa demande sereinement.
M. le président. Mme Leduc demandait si cette commission qui est prévue dans un des projets de loi pourrait servir pour l'évaluation des procédures et éventuellement assurer la transmission au procureur du Roi. Il s'agirait donc d'une forme d'écran qui permettrait aux médecins d'être plus en confiance vis-à-vis de cette commission et d'éviter une transmission directe au procureur. Qu'en pensez-vous ? Les médecins travailleraient-ils plus facilement avec une commission ?
Mme D. Bron. Je serais assez séduite par cette proposition. Les médecins font plus confiance à un jury de médecins capables de comprendre. Il est vrai que ce ne serait pas une mauvaise idée que ce soit ce type de commission qui procède à l'évaluation et puis transmette au parquet. Cela permettrait de régler le problème.
M. le président. Nous allons retenir cette idée, Madame. Vous aviez encore une question de M. Mahoux.
Mme D. Bron. Pourquoi notre unité de soins palliatifs est-elle à la fois fixe et mobile ? C'est pour une raison évidente : on a donné des budgets à des unités de soins palliatifs et des patients sont référés chez nous pour les soins palliatifs sachant que, chez nous, soins palliatifs et euthanasie ne sont pas en contradiction. Quand l'information est claire et que le patient sait quelle est sa situation et qu'il ne veut pas subir des traitements expérimentaux, il demande alors de passer en soins palliatifs où il est assuré d'un accompagnement. Et j'ai été très heureuse d'entendre que vous l'avez considéré comme humain et bien géré. Il est très important qu'on dise aussi qu'à l'Institut Bordet, on ne fait pas que de la médecine expérimentale.
J'estime que l'on doit assumer ses patients jusqu'au bout. Je n'ai jamais transféré un patient aux soins palliatifs sauf à sa demande. Par contre, j'ai besoin de cette équipe de psychologues, de psychiatres, de spécialistes de la douleur pour m'aider car le travail qu'ils font sort de mes compétences. Je bénéficie alors de tous les avantages que peut apporter cette équipe de soutien pour aider mes patients en fin de vie. Donc, si un patient veut rester avec l'équipe qu'il connaît, je le garde dans mon unité. C'est la raison pour laquelle nous avons les deux systèmes. Le recours à l'un ou à l'autre dépend de la volonté du patient et de la philosophie du médecin.
En ce qui concerne la valeur de la déclaration anticipée, vous avez entendu des allusions à une étude de réanimateurs affirmant qu'ils se sentiraient bien plus à l'aise s'il y avait ce type de déclaration. Je vous raconte l'anecdote concernant Jackie Kennedy qui avait fait une déclaration anticipée, un testament de vie. Celui-ci stipulait qu'en cas de coma végétatif, elle ne voulait pas d'acharnement.
Aux États-Unis, comme aux Pays-Bas, ces déclarations sont légales. Imaginez un instant que Jackie Kennedy ait fait son hémorragie cérébrale en Belgique, on ne pouvait tenir compte de ce document qui ici n'a pas de valeur légale. Il ne faut pas se mettre dans des situations absurdes. Si on arrive à voter une proposition concernant les gens sereins et conscients, il faut assez vite enchaîner avec une proposition pour les gens inconscients.
Mais le testament de vie doit être réévalué régulièrement et il faut qu'il y ait deux garants, souvent un conjoint et un médecin traitant qui peuvent affirmer que le patient n'avait pas changé d'avis. Il faut aussi que le médecin conserve sa conscience médicale et que, face à un patient qui a fait un testament de vie et qui arrive en coma hypoglycémique, il ne néglige pas de lui donner du sucre. Le testament de vie ne sert que si le patient est dans un état irréversible. Il faut soutenir la nécessité de ce document légal d'autant plus que, tôt ou tard, nous allons avoir des patients venus de pays où ce testament existe. Nous serions bien gênés de décider si on le respecte ou non.
M. Philippe Mahoux. Je rappelais simplement les différents éléments que prévoit la proposition. Je voudrais savoir si cela représente vraiment beaucoup plus que ce qui doit au minimum se trouver dans un dossier médical.
Mme D. Bron. La procédure que nous appliquons est plus lourde que celle de la proposition. Nous soutenons tout à fait la proposition que vous faites car elle répond à notre demande. Cependant, je ne sais ce qu'en pensent les réanimateurs.
Les patients cancéreux forment une population où il y a des demandes réelles. C'est de la cruauté de ne pas y répondre aujourd'hui dans certaines situations. Je ne pense pas que la procédure prévue soit trop lourde.
M. le président. J'ai le plaisir d'accueillir Mme Bernadette Cambron-Diez, infirmière graduée sociale, qui a suivi une formation complémentaire en soins palliatifs et qui a une expérience de onze ans comme infirmière en soins palliatifs à domicile.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Merci pour l'invitation que vous m'avez faite et à laquelle je suis heureuse de répondre en tant que travailleur de terrain. Merci également d'avoir ouvert un débat aussi difficile que celui de l'euthanasie parce qu'il me paraît essentiel de n'en banaliser ni les demandes, ni les réponses.
Si je témoigne aujourd'hui, c'est à partir :
de l'accompagnement personnel, avec le soutien d'une équipe, de plus de 200 patients à domicile et plus de 120 en milieu hospitalier;
de témoignages reçus au cours de multiples formations;
en tant que patiente ancienne et future ou membre de la famille d'un patient.
Depuis plus de dix ans, je travaille en soins palliatifs dans la province du Luxembourg. Actuellement, nous y disposons de :
deux équipes de soutien en soins palliatifs à domicile, qui interviennent également dans les maisons de repos et les maisons de repos et de soins;
deux unités résidentielles de 6 lits chacune;
fonctions palliatives dans tous les hôpitaux avec, souvent, des infirmières « relais » en soins palliatifs dans chaque unité;
une plate-forme de soins palliatifs qui coordonne l'ensemble.
Nous bénéficions d'une bonne cohérence entre les différents réseaux de soins palliatifs, permettant une réelle continuité des soins palliatifs.
En permettant aux patients de se mettre au centre du processus de soins, il ne saurait exister de problèmes de concurrence ou de pouvoir entre nous.
Dix ans en soins palliatifs, c'est beaucoup si je considère l'intensité, la qualité de vie permise aux patients, aux familles, aux soignants accompagnés par nos équipes, notamment pour accomplir le travail de deuil;
beaucoup, en leçons de vie que nous partageons avec ceux que nous accompagnons;
peu, face à toute l'évolution et l'amélioration encore possibles. Les fondations sont en place, il faut construire :
en augmentant un peu le nombre de lits en unités résidentielles et en y améliorant quelque peu le financement;
en améliorant le financement de l'aide aux équipes du domicile et aux patients soignés à domicile;
en permettant des fonctions palliatives à l'intérieur des maisons de repos, avec une présence médicale;
en adaptant le financement des fonctions palliatives hospitalières pour qu'elles puissent fonctionner comme prévu par les arrêtés royaux, en y ajoutant une présence médicale et des infirmières « relais » en soins palliatifs dans chaque service;
en mettant au point des programmes d'évaluation quantitative et qualitative des pratiques des soins palliatifs dans les diverses structures. Jusqu'à présent, nous avons fonctionné mais nous nous sommes peu consacrés à la recherche en soins palliatifs. Or, cette recherche nous aiderait aussi à avancer.
L'avenir, pour moi, ce sont les soins palliatifs intégrés, dont on a déjà beaucoup parlé durant les débats. Par soins palliatifs intégrés, je veux dire que l'exercice de la médecine curative ou palliative devrait rester l'exercice de la médecine, tout simplement. Chaque type de médecine doit garder ses chercheurs et ses spécialistes en vue d'une progression permanente, mais leurs démarches devraient être complémentaires ou même intégrées.
À mon sens, les soins palliatifs intégrés vont au-delà des soins continus. J'ai peur de la confusion entre soins continus et continuité des soins, c'est-à-dire le passage d'un type de soins à l'autre. La meilleure évolution pour l'avenir me semble être une intégration des deux types de soins. Des soins palliatifs intégrés permettraient :
d'accompagner le patient tout au long d'un parcours médical parfois pénible et de ne pas attendre la fin de vie pour le faire; les problèmes de la fin de vie et ceux de l'euthanasie sont ancrés dans la manière dont la relation s'est engagée dès le début;
d'englober les problèmes de deuil dans des soins relationnels qui permettent de prendre en compte la souffrance globale du patient;
d'éviter le problème du passage du curatif au palliatif. Il s'agit d'un problème difficile : comment proposer à un patient d'aller dans une unité de soins palliatifs alors qu'il se sent bien dans le service où il est soigné, où il connaît les gens ? Des soins palliatifs intégrés éviteraient les problèmes du passage d'un type de soins à l'autre et permettraient surtout au patient de vraiment choisir de mourir là où il le souhaite;
de ne pas multiplier indéfiniment des structures palliatives coûteuses et d'apporter la formation et le soutien nécessaires aux soignants de première ligne, plus précisément :
ceux dont le patient a le plus besoin dès le début de son parcours médical;
ceux par qui passent les soins relationnels, ce qui éviterait que les soignants de première ligne ne s'estiment plus suffisamment compétents pour accompagner la fin de vie et la laissent à leurs collègues « palliatifs ».
Comment parvenir à réaliser des soins palliatifs intégrés ?
Les équipes soignantes de première ligne sont le réseau qui accompagne le patient et ses proches. Les équipes travaillent bien, avec beaucoup de compétence et de bonne volonté mais ont besoin de soutien et de formations pour pouvoir vraiment vivre les soins palliatifs intégrés et les soins relationnels.
Actuellement, elles ne sont pas toujours à même de pouvoir entendre la souffrance et les problèmes autour de l'euthanasie.
C'est pourquoi, pour nous, infirmières, la transparence prévue par le projet de loi dépénalisant l'euthanasie nous paraît inapplicable sur le terrain et fait peur à la grande majorité des infirmières.
Pourquoi ? Parce qu'il y a trop de pressions structurelles comme la rentabilité, l'efficacité, la durée d'hospitalisation, etc.
Parce qu'il y a trop de peurs : de la mort, de la vérité, de la dépendance, de la souffrance, de la morphine, etc.
Parce qu'il y a trop peu de place pour la famille à l'hôpital. On attend trop souvent de la famille qu'elle soutienne le patient, alors qu'elle est aussi en grande souffrance.
Parce que la proximité est souvent grande entre soignant et soigné. Je pense, par exemple, à un médecin généraliste qui soigne quelqu'un depuis 20, 30, 40 ans et qui a des relations plus amicales avec son patient que la relation de médecin à patient. Comment ce médecin vit-il la maladie de son patient ? Il est difficile de garder une juste distance quand on est très proche d'un patient.
Parce qu'il y a beaucoup trop de « non-dits » entre médecins et infirmières, problème qui constitue une véritable pollution relationnelle dont les patients et leurs familles paient les conséquences.
Les infirmières se méfient souvent de ce qui a été injecté ou accusent le médecin d'acharnement, soit parce qu'elles ont des souvenirs négatifs, soit par manque d'information. Quand une infirmière interroge le médecin sur le traitement, celui-ci répond parfois de manière assez catégorique qu'il n'a pas à se justifier, notamment.
Parce que la formation des médecins et des infirmières est encore trop basée sur le patient objet de soins et non sur des soins relationnels qui permettent au patient de se mettre au centre du processus de soins.
Actuellement, dans leur formation, les infirmières doivent avoir des objectifs de soins et décider, par exemple, « dans huit jours, le patient devra être autonome ». Un patient qui a été lavé, dorloté pendant huit jours, doit tout à coup pouvoir se laver seul. Ce patient est étranger à ces objectifs et la relation s'engage plutôt mal. Pourtant, la formation des médecins et des infirmières est toujours basée sur ce type d'objectifs.
Pour essayer d'illustrer pourquoi je me permets de dire que les relations sur le terrain ne permettent pas vraiment de prendre en compte la souffrance et les problèmes autour de l'euthanasie, je vous donnerai deux exemples.
D'abord celui d'un jeune atteint de myopathie et pour lequel le médecin traitant avait demandé l'intervention d'une équipe palliative à domicile, pour évaluer sa douleur. Pendant dix jours, avec le médecin, l'infirmière fait une évaluation de la douleur. Le médecin prescrit un traitement. On augmente les doses progressivement mais, un jour, l'infirmière s'étonne de voir que la dose a été triplée. Elle se dit qu'elle a quand même un bon contact avec le médecin et qu'il n'a jamais été question d'augmenter les doses pour raccourcir la vie. Elle a confiance et donc elle fait l'injection. Quand elle descend au rez-de-chaussée, les parents lui disent : « Le docteur nous a promis que cela irait vite. Est-ce vrai? » Je trouve que ce sont des choses extrêmement difficiles à vivre.
Autre exemple : un monsieur atteint d'un cancer de la face. Au cours des débats, on vous a beaucoup parlé des cancers de la face ou des tumeurs vraiment apparentes, des cancers ORL, qui sont très difficiles, non seulement à vivre, mais aussi à voir, pour l'entourage et pour la famille. Et donc, ce monsieur souhaitait vivre. Il exprimait clairement son besoin de continuer à vivre mais sa famille exprimait aussi profondément son épuisement. Après discussion avec le patient, il a accepté d'être hospitalisé. Le service du domicile a bien averti le service de la clinique des raisons de l'hospitalisation, du besoin de vivre de ce monsieur. Le patient a été hospitalisé en début d'après-midi et, en fin d'après-midi, la famille a téléphoné au médecin du domicile en disant : « Qu'est ce qui se passe ? Il est tout à fait endormi. Et le médecin nous a dit : passez la nuit, ce sera la dernière. » C'est difficile parce que, quand le médecin s'est rendu à l'hôpital pour voir le patient, il a constaté que celui-ci était tout à fait endormi et qu'un « cocktail » létal avait été branché. Donc, dans ces exemples-là, le patient n'est en fait pas concerné.
Pour pouvoir vraiment vivre des soins palliatifs intégrés, les équipes de première ligne ont vraiment besoin de soutien et de formations cela, on vous l'a dit longuement au contrôle de la douleur et des autres symptômes. Souvent, j'ai des appels pour un patient qui demande apparemment à en finir mais derrière cette demande, je découvre souvent un problème de douleur physique que le patient n'était pas capable d'exprimer. Je pense que vous en avez beaucoup parlé mais je voudrais revenir plus précisément sur le protocole de détresse dont vous avez parlé également, en vous donnant l'exemple d'un monsieur de 69 ans, qui était en insuffisance cardiaque et respiratoire à domicile. Il a exprimé au médecin formé en soins palliatifs sa peur de mourir étouffé. Le médecin lui a donc proposé un protocole de détresse. Celui-ci est prescrit pour soulager une souffrance, une situation de crise d'un patient. Donc, il est prescrit en toute transparence pour ce patient-là. Il n'est d'ailleurs prescrit et déposé dans la chambre que si le patient marque son accord, parce que le risque est, bien sûr, d'entraîner, dans certaines situations, le décès. Mais il est vrai que des patients ont reçu plus de dix ou quinze protocoles de détresse sans que cela n'ait entraîné la mort. Dans le cas de ce monsieur, le protocole a été prescrit à sa demande. Il a été déposé dans sa chambre, à domicile, ce qui permet à n'importe quel intervenant d'injecter le produit. Mais avant de l'injecter, on demande à nouveau au patient s'il est d'accord avec le fait de recevoir l'injection.
Donc, le protocole a simplement été déposé et, apparemment, cela a pu apaiser ce patient qui savait qu'on pourrait faire quelque chose s'il était en crise. Ce protocole n'a jamais dû être utilisé et ce patient n'est pas décédé en insuffisance respiratoire. Je tenais vraiment à revenir là-dessus, parce que réfléchir à l'intention de l'acte qu'on pose, pour moi, cela ne peut pas être une hypocrisie. C'est même, au contraire, la garantie d'une transparence avec le patient, parce que cela nous oblige vraiment à un contact avec lui.
Les équipes de première ligne ont également besoin de soutien et de formations à l'écoute. Là, je serai aussi très brève, parce qu'on est beaucoup revenu sur ce point au cours des débats. Il est vrai que cette écoute est vraiment préalable à toute autre approche. Je vous donnerai un simple exemple, celui d'une dame de 76 ans qui était hospitalisée en réanimation pour un accident vasculaire cérébral. Très vite, sa situation devient tout à fait irrécupérable. Donc, le médecin de la réanimation, extrêmement humain et délicat, explique au mari la situation de son épouse et termine en disant : « Voulez-vous que nous nous acharnions? » En tout cas, c'est ce que le monsieur a retenu comme étant la dernière phrase. Il est difficile de répondre à ce genre de question. Comment dire oui ou non et à quel prix ? Donc, en voyant le désarroi du mari, le médecin de la réanimation a proposé l'aide d'un médecin, d'une équipe palliative qui a pu écouter ce monsieur cela prend du temps, une heure ou deux, c'est vite passé et entendre vraiment ce qu'il avait compris du message qu'il avait reçu, entendre l'histoire du couple, répondre à toutes les questions, expliquer ce que sont les soins palliatifs. Le mari a alors pu prendre sa décision, c'est-à-dire faire hospitaliser son épouse dans une unité résidentielle.
Les équipes de première ligne ont besoin aussi de formations à l'éthique et surtout à la relation en vérité. En effet, ce que je ressens dans les accompagnements, c'est que les problèmes autour de l'euthanasie en fin de vie sont ancrés vraiment dans des problèmes de relation en vérité. Donc, ce n'est pas du tout décider d'annoncer ou non la vérité mais enclencher une relation vraie avec le patient et avec sa famille. À nouveau, je voudrais partir d'un exemple, celui d'une dame de 50 ans, hospitalisée en début de semaine. Trois à quatre jours plus tard, le diagnostic était fait. Apparemment, cette dame était tout à fait en fin de vie. Ce n'est jamais certain mais les examens étaient tels ... Le médecin a choisi d'appeler le mari et de lui exposer la situation de son épouse, en lui demandant s'il devait lui dire la vérité. Bien sûr, le mari qui reçoit l'annonce de choses aussi difficiles est complètement dans la souffrance et je ne vois pas comment il pourrait répondre sereinement. Il a donc préféré ne pas la lui révéler, en s'appuyant sur le fait que son épouse disait toujours qu'elle préférait ne pas la connaître. Mais le médecin n'était pas à l'aise et en a parlé à un membre d'une équipe palliative. Il a ensuite convoqué à nouveau le mari en lui disant qu'il allait créer une situation de mensonge avec son épouse, ce qui rendrait les choses d'autant plus difficiles. Le mari l'a compris et le médecin s'est alors rendu auprès de la patiente en lui demandant comment elle se sentait et ce qu'elle souhaitait obtenir comme informations sur son état de santé. En fait, elle souhaitait entendre la vérité. La patiente percevait tout le langage non verbal autour de personnes gravement malades. Des gens qu'elle n'avait pas vus depuis longtemps venaient lui dire bonjour, certains avaient les yeux rougis, les soignants avaient peur en entrant dans la chambre, etc. La patiente avait perçu de nombreuses choses et pouvait presque annoncer elle-même son diagnostic et son espérance de vie éventuelle. C'est dire que cette relation, dès le début de la maladie, enclenchera la suite et situera, selon moi, les problèmes de la fin de vie.
Je veux dire aussi que, beaucoup trop souvent, les soignants décident d'annoncer la vérité à un patient. Pour moi, c'est déjà faussé quand, dans le service, le médecin décide d'informer le patient. Je trouve que c'est vraiment regrettable parce qu'il faut d'abord aller s'enquérir de ce que le patient ressent, de ce qu'il a envie d'entendre, avant de décider d'annoncer quelque chose. Ce n'est pas parce qu'on parle de « en vérité » maintenant que tout le monde est obligé de parler le même langage. Donc agir de cette façon-là, ce n'est pas permettre au patient de se mettre au centre du processus. Et puis, surtout quand il y a rechute et qu'il n'y a plus de traitement possible, trop souvent, le médecin en parle à la famille. De ce fait-là, il donne un pouvoir à la famille mais surtout, il n'y a pas à ce moment-là de prise en compte de la souffrance de la famille. Donc, pour moi, l'éthique est vraiment très importante. Il y avait au moins une question éthique dans tous les accompagnements auxquels j'ai pu participer.
Dans le présent débat, l'éthique est parfois fort critiquée. Il m'a semblé en tout cas qu'on pouvait la craindre parce qu'elle était parfois présentée comme une solution. Dans tous les accompagnements auxquels j'ai participé, elle n'a jamais été une solution. La réflexion éthique nous a permis d'avoir des repères, un guide pour réfléchir ensemble, mais elle n'a jamais été une solution et n'a jamais abouti à une prise de décision à la place d'un patient. En fait, aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne, même pas la compassion. Cette dernière justifie parfois le mensonge ou l'euthanasie, ce qui à mon sens représente un danger.
Je vais vous lire un passage d'un conte de Ruth Sanford : « Une personne compatissante, voyant un papillon lutter pour se libérer de son cocon et voulant l'aider écarta avec beaucoup de douceur les filaments pour dégager une ouverture. Le papillon libéré sortit du cocon et battit des ailes mais ne put jamais s'envoler. Ce qu'ignorait cette personne compatissante, c'est que c'est seulement au travers du combat pour la naissance que les ailes peuvent devenir suffisamment fortes pour l'envol. Sa vie raccourcie, il la passa à terre. Jamais il ne connut la liberté, jamais il ne vécut réellement. »
Un autre avantage de l'éthique est de laisser une place à l'incertitude. Il est regrettable que l'incertitude ne soit pas plus souvent nommée en médecine. Je pense particulièrement à l'annonce de diagnostics et de pronostics selon lesquels la personne vivra trois mois. Deux ans plus tard, la famille est complètement épuisée parce qu'elle était prête à investir durant trois mois. On ne laisse pas suffisamment de place à l'incertitude. En effet, dans tout pronostic, comme dans tout diagnostic, il y a toujours un pourcentage d'incertitude. Il y a toujours des personnes qui ont été déclarées irrécupérables et qui ont ensuite survécu. Étant donné la formation que nous avons reçue en tant qu'infirmière ou médecin, nous éprouvons beaucoup de difficultés à laisser une place à l'incertitude parce que les patients nous demandent un avis. Nous devons toujours répéter que nous ne savons pas. Si je suis dans l'incertitude, je continue à réfléchir et je laisse la porte ouverte. Je permets au patient de se mettre au centre du processus de soins. Je ne vais pas tomber dans une logique du « faire » parce qu'elle conduit pour moi à l'acharnement, qu'il soit thérapeutique, psychologique, palliatif ou euthanasique. L'incertitude nous évite de passer de notre savoir au pouvoir sur l'autre. C'est très important pour moi.
Nous craignons aussi une loi dépénalisant l'euthanasie et, surtout, la valeur de certitude qu'elle aura pour la majorité des personnes. Cette certitude risquerait de supprimer la réflexion.
Vous avez également parlé du travail en interdisciplinarité. Il m'a semblé que celui-ci était parfois perçu comme un pouvoir sur l'autre. Dans les accompagnements auxquels j'ai participé, il a toujours été un guide et une richesse supplémentaire. Il s'agissait toujours de prendre l'avis de tous les soignants, non pas pour décider à la place d'un patient mais pour ramener tous les éléments de son histoire, de son vécu et pouvoir les lui rendre de façon à ce qu'il puisse vraiment se mettre au centre et prendre une décision en toute connaissance de cause.
Je pense particulièrement à un patient qui a été dans un coma végétatif pendant plus de six mois. La famille et les soignants étaient dans une souffrance extrême. Un jour, on a décidé de réunir la famille, les médecins et les infirmières. À l'issue de cette réunion, qui a pris deux heures et demie au moins, cette famille était profondément paisible. Ses membres l'exprimaient clairement en soupirant. Ils étaient bien et ont eu besoin d'exprimer cela à ce monsieur qui était dans un coma végétatif profond et pour lequel il n'y avait aucune aggravation sur le plan des données médicales.
En fait, ce patient est décédé deux heures après que sa famille lui eut exprimé ce qu'elle ressentait. Cela signifie que même pour les personnes inconscientes, il est important de retrouver cette communication et de permettre à la famille de la retrouver également.
Je pense aussi à une dame qui était en fin de vie à domicile. Ses enfants étaient dans un conflit extrême et ne souhaitaient pas se réconcilier. La réconciliation était pourtant le plus cher désir de cette dame. Les enfants ont contacté le médecin traitant et l'ont harcelé en demandant de faire quelque chose pour mettre fin à la souffrance de leur mère. Le médecin a craqué et s'est mis à injecter des doses de plus en plus fortes d'analgésiques et de benzodiazépines. Un jour, il a explosé en disant qu'elle recevait des doses permettant d'assommer quinze chevaux et qu'elle vivait toujours. En fait, cette dame est décédée une heure après que deux de ses enfants eurent tenté un geste de réconciliation au-dessus de son lit. Ainsi, pour prendre en compte la souffrance globale du patient et de la famille, il faut vraiment travailler en équipe. Il est pour moi impossible de faire seul de bons soins palliatifs. Parfois, il y a des interprétations de ce que sont les soins palliatifs. Si on travaille dans cette interdisciplinarité, on peut vraiment permettre à la personne et à sa famille de se placer au centre. Cette interdisciplinarité doit préserver le colloque singulier médecin-patient. Il me paraît essentiel que le médecin reste toujours le maillon essentiel de contact avec le patient. C'est en lui que le patient a confiance. Il faut que cette relation s'articule dans un réseau beaucoup plus large avec tous les soignants. Dans les situations que j'ai connues, il n'y a jamais eu de « tribunalisation » de la demande du patient, de forme déviée du paternalisme ou du pouvoir collectif. Malheureusement, à cause des difficultés relationnelles dans les milieux soignants, cette interdisciplinarité est peu réalisable.
Autre point important : apprendre à gérer et exprimer ses émotions. Dans les équipes palliatives, les émotions sont reconnues comme essentielles, pour que puisse exister une relation de soins. Dans le milieu médical, elles sont toujours proscrites. L'infirmière qui, encore à l'heure actuelle, a la larme à l'oeil à son examen est certaine qu'elle ne pourra pas réussir. Dans notre société qui dénie la mort, y compris parfois en voulant la maîtriser, nous sommes toujours obligés de calmer nos émotions. Il n'est vraiment pas bienvenu d'être excessif, que ce soit dans la joie, la peine ou la colère.
Cependant, quand les soignants apprennent à exprimer et à gérer leurs émotions, ils peuvent accueillir celles des soignés et de leur famille et leur permettre de les gérer. J'ai le souvenir de l'accompagnement d'un couple pour l'accouchement d'un enfant mort-né en fin de grossesse. Pendant cet accompagnement, les soignants ont vraiment osé exprimer toute leur émotion. Quand j'ai revu le couple après l'accouchement, le monsieur m'a dit ceci : « Nous avons vécu une belle expérience. Nous n'oserions toutefois pas le dire parce qu'on croirait que nous ne souffrons pas. » Or, ils étaient effectivement dans une peine immense. Il a ajouté : « ces gens-là sont humains. » C'était quelque chose qui l'étonnait. Dans ce qu'ils avaient vécu, ils s'étaient simplement sentis des humains en souffrance parmi d'autres humains en souffrance. Cela relève pour moi du domaine de la solidarité et c'est quelque chose de porteur quand on est dans une souffrance profonde.
J'en viens à la formation à l'accompagnement spirituel au sens tout à fait large du terme. Il ne s'agit pas du tout d'un accompagnement religieux.
Je pense à l'accompagnement spirituel au sens large du terme et qui ne s'assimile donc pas du tout à un accompagnement religieux. Il s'agit d'une question de sens et je m'en expliquerai. Je vous exposerai un cas qui n'est pas un cas d'euthanasie mais qui me semble lié à la problématique qui nous intéresse.
Je me rappelle d'un patient tout à fait confus. Quand ses enfants ou sa famille l'approchaient, il criait : « Ne me tuez pas ». Les soignants et la famille ont essayé de comprendre cette attitude et ils ont réalisé que son épouse était décédée plusieurs années auparavant dans les circonstances suivantes : elle était en fin de vie et un de ses enfants se trouvait dans le couloir de l'hôpital et pleurait. Une infirmière lui a demandé ce qui se passait et la fille lui a répondu que cette situation ne pouvait plus durer. L'infirmière a alors rétorqué qu'on attendait l'avis de la famille. Toute la famille a été appelée, on a placé une perfusion et on a dit à la famille d'embrasser la patiente avant de brancher cette perfusion. Cinq ans après, ce vécu a été décodé comme étant à la base de la confusion de ce patient.
Or, cette famille était dans une extrême souffrance et ce n'est pas parce qu'elle considérait la situation comme trop dure qu'elle demandait qu'on en finisse. De toute manière, il s'agissait de l'avis de la famille et non de celui du patient. Voilà les traces que cela peut laisser...
L'accompagnement spirituel consiste à prendre conscience que le temps appartient au patient, qu'il peut être intense, d'une exceptionnelle densité et d'une exceptionnelle qualité. On en est parfois témoin quand on assiste à des ruptures qui se confirment, des liens qui se nouent ou des affaires qui se terminent. Parfois, on ne peut pas deviner le sens de ce qu'on observe mais on a le sentiment profond qu'il appartient au patient. Il se perçoit aussi dans le regard de l'autre et cela signifie que si, pour le patient, la vie a du sens, dans mon regard de soignant ou de membre de la famille, je peux lui envoyer un message exprimant que cela n'a plus de sens de vivre ainsi. La situation devient alors délicate car le patient ne peut découvrir ce sens que dans un encadrement paisible et non menaçant, faute de quoi ce sens ne peut émerger.
Au-delà du sens, la conviction profonde que nous avons acquise en soins palliatifs, c'est que le moment de la mort appartient au patient. Avant de travailler en soins palliatifs, certaines choses nous frappaient, par exemple, pourquoi une personne décède-t-elle à tel moment et pas à tel autre ? On appelle parfois la famille, pensant que le patient va décéder incessamment et, quand la famille arrive douze heures plus tard, il vit toujours. Parfois l'inverse se produit. Le moment de la mort appartient toujours au patient et c'est l'expression de son ultime liberté. En tout cas, c'est toujours bien lui qui lâche prise.
Les soignants de première ligne ont également besoin d'aide et de formation pour le travail du deuil. Je pense à un monsieur de 50 ans qui survivait depuis longtemps, malgré un cancer, au grand étonnement de tous. Devant sa dégradation physique extrêmement pénible à vivre, le médecin qui était certainement à l'écoute et n'était pas un mauvais médecin, a proposé à la famille de pratiquer une injection, si c'était trop dur pour eux. Il a attendu l'avis de chaque membre de la famille et a pratiqué une injection intraveineuse. Quand il est allé rechercher la famille et qu'elle est arrivée près du patient, il s'est remis à respirer. Pour moi, c'était pourtant l'expression de la volonté de vivre du patient. Ce qui est grave, c'est que cinq ans plus tard, la famille n'est toujours pas capable d'enclencher un travail de deuil. Il est très difficile de mener des études à ce sujet car si nous ne pouvons enclencher un travail de deuil, nous consacrons toute notre énergie à camoufler et entasser ces éléments de deuil en ayant l'impression que nous avons dépassé le problème. C'est une problématique très complexe. Sans doute des spécialistes du deuil pourraient-ils vous éclairer mieux que nous, accompagnants en soins palliatifs.
Nous avons aussi énormément de témoignages indiquant que la famille puise la force d'enclencher un travail de deuil dans cette liberté du patient au moment de son décès. Il nous arrive régulièrement de recevoir des coups de téléphone du style : « Papa est décédé dans mes bras, c'est quelque chose de bon ».
On oublie un peu trop de dire qu'il y a de la paix autour de la mort et pas seulement de la souffrance et du déchirement.
Je donnerai un dernier exemple relatif à la communication avec les personnes inconscientes et donc à l'aide à apporter aux soignants de première ligne à cet égard.
Il s'agit d'un patient hospitalisé en réanimation depuis longtemps et dont la famille est vraiment en colère. Elle accuse les soignants d'acharnement parce que pendant 48 heures, il a été mourant, qu'on a proposé à la famille de venir à son chevet et que tout à coup, les fonctions vitales fonction rénale, tension artérielle de ce monsieur ont commencé à reprendre. Les médecins, en toute bonne conscience, ont donc interprété cette reprise comme une volonté de vivre de ce patient. Ils ont alors repris les traitements, ce qui a fait dire à la famille qu'il s'agissait d'acharnement. L'écoute de ce patient, même s'il était dans un état de demi-conscience, nous a vraiment permis de comprendre que ce patient sentait bien que physiquement, il ne pouvait plus continuer sa vie mais qu'en même temps, il souffrait très fort d'abandonner ses enfants. Ensuite, le contact avec les enfants nous a permis de mettre à jour à quel point leurs attitudes s'opposaient. Ils disaient à leur père que tout allait bien et qu'il allait guérir et en l'absence de leur père, ils injuriaient les soignants en les accusant d'intérêt financier. Le fait de leur avoir montré qu'il y avait une contradiction profonde, de les avoir invités à exprimer leurs émotions ils avaient peur de pleurer en présence de leur père , de leur avoir expliqué qu'ils pouvaient aider leur père en exprimant leurs émotions a permis des échanges très émotifs entre la famille et le patient. Le patient est décédé sans qu'il faille enlever le respirateur. Nous connaissons beaucoup d'exemples similaires.
En conclusion, je vous ferai part de ma réflexion. Si la réflexion éthique était proposée dès l'enfance et tout au long de la vie, elle nous permettrait d'avoir une qualité de vie bien avant d'en arriver à la fin. C'est ce que je souhaite à tout le monde. Cela nous permettrait aussi de nous rendre autonomes bien avant d'être en fin de vie, bien avant d'être malades car parfois, je me demande si c'est être autonome que d'avoir recours à quelqu'un pour mourir.
Ce que je viens de partager avec vous m'a été appris par les patients, parce que le temps a été le leur jusqu'au bout et que même les dernières heures n'ont pas été abrégées; pour moi, ils ont pu garder et approfondir jusqu'au bout leur liberté intérieure qui fonde la vie et la dignité humaine. Ils ont pu la garder jusqu'au lâcher prise ultime et c'était bien le leur. C'est en leur nom, au nom de leurs proches et des équipes palliatives avec lesquelles je travaille que j'ai pu témoigner aujourd'hui. Je les en remercie et je vous remercie de m'avoir écoutée.
M. Philippe Monfils. Comme je suis le premier orateur dans l'ordre, je remercierai Mme Cambron de son exposé sur sa conception des soins palliatifs intégrés, encore qu'elle mette davantage l'accent sur les valeurs morales des équipes palliatives que sur la valeur des soins. C'est évidemment son appréciation et chacun peut avoir la sienne, notamment en ce qui concerne ce problème du contrôle des émotions dont elle a parlé. Il est vrai qu'en milieu hospitalier, on apprend aux infirmiers à contrôler leurs émotions.
Mais il est vrai également, et je suis persuadé que vous serez d'accord avec moi, qu'en certaines circonstances, ce que demande le patient, ce sont essentiellement des soins et pas seulement un accompagnement moral. L'accompagnement moral vient quand on ne peut plus permettre au patient de prolonger son existence dans de bonnes conditions et de manière digne ou quand on ne peut plus le soigner. Je mets l'accent sur ce point parce que cela me paraît essentiel. Chacun a ses expériences. Dans mon environnement, je connais une personne qui a été atteinte d'un cancer heureusement bénin. Cette personne ne demandait pas spécialement une infirmière qui lui tienne la main mais bien une infirmière qui l'accompagne en lui prodiguant les soins qui lui ont d'ailleurs permis de sortir des difficultés et de réintégrer la vie normale de tous les jours.
Les questions que je voudrais vous poser sont les suivantes. Vous émettez un certain nombre de critiques dans le texte que vous avez eu l'amabilité de nous donner : trop de pressions structurelles, trop de peurs, trop peu de place pour la famille à l'hôpital, trop de non-dits. Vous avez notamment critiqué l'attitude d'un certain nombre de médecins. Ne croyez-vous pas que les critiques que vous formulez et dont je vous laisse la responsabilité peuvent être émises indépendamment des propositions de loi sur l'euthanasie ? C'est en effet un procès que vous faites, et que vous êtes parfaitement libre de faire, au manque d'humanité éventuel au niveau des soins de santé ou des hôpitaux. Qu'il y ait ou pas euthanasie, je me dis que vous formulez vos critiques erga omnes.
Deuxièmement, vous donnez dans votre texte trois exemples où on a trompé soit les patients soit les familles. « Le docteur nous a promis que ça irait vite. Est-ce exact ? », « Malgré tout ce qu'on raconte, on veut tuer mon mari », « On a branché un cocktail lytique sans prévenir la famille ni le patient ». Curieusement, vous dites ensuite qu'il est donc extrêmement dangereux de recourir à une législation sur l'euthanasie. Ne croyez-vous pas, Madame, que c'est justement le contraire ? Les exemples que vous donnez sont évidemment condamnables, mais ne sont-ils pas précisément survenus au moment où l'euthanasie est interdite, où il n'y a aucune législation si ce n'est celle qui condamne l'euthanasie ?
Si vous relisez les propositions de loi qui sont déposées, quelles qu'elles soient, tout le monde veut la transparence et que ce genre de choses n'arrive plus jamais. Personne ne veut que l'on branche un cocktail lytique en l'absence de l'accord de la personne. Tout le monde veut également des contacts permanents et sérieux entre le médecin et le patient. Certains de mes collègues proposent la consultation obligatoire de l'équipe soignante. Les exemples que vous donnez, dont vous concluez qu'il serait dangereux de pratiquer l'euthanasie, montrent au contraire, me semble-t-il, combien il serait intéressant de légiférer sur l'euthanasie pour empêcher précisément ce type d'actions de se produire. Je crois en effet que, comme vous l'avez dit, c'est tout à fait inacceptable.
Troisièmement, vous parlez du travail de deuil lors des décès mal vécus. Vous donnez un certain nombre d'éléments. Vous devez savoir, Madame, que nous avons reçu un certain nombre de personnes, notamment de médecins, qui, malgré les distinguos subtils, ont considéré qu'ils pratiquaient effectivement des actions qui pourraient passer pour des cas d'euthanasie. Nous leur avons demandé si dans ces cas-là, le décès était toujours mal vécu. La réponse a toujours été la même, en tout cas pour un certain nombre d'entre eux : il y a des décès mal vécus et il y a des décès bien vécus. Dans les décès qui ne sont pas dus à un quelconque acte volontaire du médecin ou de l'équipe soignante, il y a aussi des décès mal vécus. Il y a des gens qui meurent à l'hôpital sans acte euthanasique. Ces décès entraînent des conséquences dramatiques pour la famille. Lorsqu'il s'agit de jeunes, la famille est alors plongée dans le désarroi aboutissant parfois même à l'éclatement de la cellule familiale. Ne croyez-vous pas que centrer ce problème des décès mal vécus sur l'euthanasie est un angle assez particulier qui ne correspond pas à la réalité ?
Un décès est toujours pénible. Mais il y a des décès dont on se remet assez vite et des décès pour lesquels il y a énormément de difficultés psychologiques à s'habituer à l'absence de l'être cher. Là encore, ne croyez-vous pas que votre exposé, par ailleurs fort intéressant, s'applique d'une manière générale à l'ensemble symptomatique de la souffrance et de la mort et pas nécessairement à la situation dont on traite en l'espèce, à savoir l'euthanasie ?
M. Alain Zenner. Ma question rejoint d'une certaine manière celle de M. Monfils dont je partage dans une très large mesure les considérations. Vous nous dites, Madame, quel devrait idéalement être le comportement de l'équipe soignante. Moyennant la formation et les moyens financiers nécessaires, nous pourrions espérer avoir des équipes soignantes plus alertes, plus attentives, plus ouvertes. Vous exposez les dysfonctionnements que vous constatez à regret dans votre pratique quotidienne. En ce sens, je trouve votre témoignage particulièrement intéressant. Ce que vous nous dites constitue votre conviction intime et personnelle qu'une législation sur l'euthanasie, dans son principe, ne pourrait que contribuer à multiplier ces dysfonctionnements. En effet, vous ne visez pas spécifiquement telle ou telle proposition de loi, vous dites en quelque sorte qu'une législation sur l'euthanasie en tant que telle, par principe, multiplierait nécessairement ces dysfonctionnements. Il y aurait là un lien de cause à effet entre l'existence d'une législation sur l'éthique de fin de vie et ces comportements inadéquats. Je pense aussi, comme M. Monfils, que la conviction peut être ancrée en sens contraire. Je ne critique ici aucunement le constat que vous faites ni les souhaits que vous émettez. Je dis simplement que ce que vous exprimez est une conviction intime et personnelle, mais qu'aucune considération logique de votre exposé ne conduit nécessairement à cette conclusion.
Je suis aussi frappé par quelques phrases très fortes de votre exposé. Une phrase qui m'a beaucoup touché, parce que je crois très fort à la vérité de la chose, c'est quand vous dites que le moment de la mort appartient toujours au patient. Vous nous dites en quelque sorte que dans votre expérience, le patient, dans des situations difficiles, décide du moment auquel il décède. Vous ajoutez qu'il décède au moment où il est apaisé sur les problèmes qui torturent sa fin de vie : la réconciliation familiale, la clairvoyance sur ce qui lui arrive. Vous nous dites que le moment de la mort appartient au patient. C'est une très belle phrase. Vous ajoutez que si l'éthique nous apporte des repères pour guider notre réflexion, elle ne peut pas être une solution. Aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne. À vous entendre, je déduirais que dès lors qu'une personne considère que le moment de sa mort est arrivé et qu'aucune valeur éthique, c'est-à-dire aucune norme, aucune loi ne peut contrecarrer cette décision du moment de la mort, il faudrait au contraire encourager sans parler des modalités, des conditions ni des procédures une réglementation qui permette à la personne, au-delà de toute considération éthique, de choisir le moment de sa mort.
Enfin, c'est la première fois que j'entends parler d'un « protocole de détresse ». Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un remède qui permettrait à la personne de savoir qu'elle bénéficie d'une alternative : soit le remède lui permet d'éviter de souffrir, soit il lui permet, à terme, de décéder et de mettre ainsi fin à ses souffrances. Je comprends le caractère psychologiquement apaisant de l'existence de ce protocole. Encore une fois, cela ne plaide-t-il pas en faveur d'une réglementation, quelle qu'elle soit ? Je parle en l'occurrence du principe d'une éthique de fin de vie.
M. Philippe Mahoux. Merci pour votre témoignage, à la fois empreint d'humanité et de l'importance que vous accordez au malade. Nous sommes nombreux à partager ce point de vue. Vous avez été très loin à cet égard lorsque vous avez évoqué l'autonomie en tant que dernière valeur absolue du malade. Paradoxalement, les conclusions que vous tirez à ce propos divergent de celles des auteurs de la proposition.
Par ailleurs, si je vous ai bien comprise, vous avez évoqué la difficulté du deuil après une euthanasie. Mais avez-vous l'expérience de la difficulté du deuil quand les familles se culpabilisent parce que l'on n'a pas répondu à une demande parfois réitérée ? Il s'agit pour moi d'une difficulté extrêmement importante et très fréquente, qui se double d'un sentiment de culpabilité; celui-ci peut être lié au fait que l'on a accompagné le malade mais aussi que l'on n'a pas répondu à une demande d'euthanasie. Avez-vous été confrontée aux regrets que peuvent éprouver les familles qui ont été confrontées à une telle situation ?
Ensuite, vous avez évoqué le passage difficile entre le domicile et les unités de soins palliatifs isolées, que ce soit du domicile à l'hôpital ou entre deux unités d'un même hôpital. Je suis intéressé par le concept de « soins continus ». Est-il exact que dans certains endroits, entre 60 et 80 % des patients entrent dans une unité de soins palliatifs sans le savoir ?
Pour en revenir à l'autonomie du malade, vous avez évoqué la notion de temps. Celle-ci est extrêmement différente pour une personne jeune et en bonne santé et pour quelqu'un qui évalue le temps qu'il lui reste à vivre. Cela étant, l'appréciation du facteur temps ne relève-t-elle pas de l'autonomie du malade, y compris le fait de pouvoir déterminer lui-même le temps qu'il lui reste ? Pour moi, une minute d'un mourant a autant d'importance qu'une minute de vie d'un patient en bonne santé. Dans votre reconnaissance de l'autonomie du malade, vous ne semblez pas aller jusqu'à le laisser déterminer le temps qu'il lui reste et donc, choisir la manière de mourir et le temps qu'il mettra à mourir.
J'aurais également voulu savoir pourquoi la province du Luxembourg dont vous êtes originaire compte deux plates-formes de soins palliatifs. Bien sûr, il y a des problèmes de nature idéologique. Comment se fait-il que des conceptions différentes en termes de soins palliatifs et de problèmes de fin de vie aient abouti à la création de ces deux plates-formes ?
Les conceptions relatives à la prise en charge des malades peuvent donc être différentes dans une même région.
Enfin, vous parlez d'incertitude. Ne la transformons pas en certitude. La dépénalisation n'aboutit toutefois pas à une certitude. Elle ne fait que maintenir une incertitude d'une autre nature. Dans l'état actuel des choses, la seule certitude, c'est que tout acte d'euthanasie, quelle que soit la manière dont il est pratiqué, quels que soient les paravents derrière lesquels on s'abrite pour ne pas qualifier d'euthanasie ce qui en est une, constitue un meurtre, un assassinat et un délit. En réalité, nous ne passons pas d'une incertitude à une certitude mais nous maintenons une incertitude en offrant des possibilités et en prévoyant des contrôles.
M. Jean-Marie Dedecker. Certains des cas qui ont été cités relèvent effectivement de la science médicale, mais d'autres sont plutôt à ranger dans la catégorie des miracles; je conseille donc à Mme Cambron-Diez de les faire enregistrer.
Mme Cambron-Diez a dit : « Aucune valeur éthique n'est plus importante que la personne. » Elle affirme également : « même la compassion, qui justifie parfois l'euthanasie ou le mensonge ». C'est une thèse très dangereuse. Je croyais que l'assistance médicale était basée en partie sur la compassion pour le patient dont la souffrance est insoutenable et pour lequel une intervention est nécessaire. C'est la base de la demande d'euthanasie. Si ce n'est plus possible, alors la science médicale n'est plus nécessaire. Chacun ici connaît quelqu'un de son entourage qui a « crevé » sans que la science médicale puisse faire quoi que ce soit. C'est ce type de situations qui sont à l'origine de l'euthanasie.
Mme Cambron-Diez a également exprimé la méfiance qu'elle éprouve vis-à-vis de la science médicale. Je suis d'accord avec M. Monfils pour considérer que cela relève plutôt de l'éthique des sciences médicales que du débat sur l'euthanasie en tant que tel. Mme Cambron-Diez est issue du secteur des soins à domicile et je voudrais dès lors lui demander quelle devrait être la participation des soins à domicile. Le personnel soignant à domicile accompagne le patient pendant des mois. Quel rôle joue le prestataire de soins à domicile une fois que le patient a été admis en clinique ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je n'ai guère évoqué les soins puisque les débats précédents vous auront éclairés à ce sujet. J'ai insisté sur certains points qui n'avaient pas été suffisamment abordés mais qui font partie intégrante de notre pratique palliative. Cela ne signifie pas que les valeurs morales soient plus importantes que les soins. J'insiste sur l'importance des soignants de première ligne car c'est par eux que passent les soins relationnels qui sont d'une importance primordiale. Je regrette que vous ayez compris que la médecine n'était pas une bonne médecine. Je pense qu'actuellement, les soignants de première ligne font réellement du bon travail. Ils font en tout cas, la plupart du temps, tout ce qui est en leur pouvoir; ils sont profondément touchés par les situations qu'ils rencontrent; ce sont des soignants en souffrance. C'est le message que j'ai voulu faire passer à travers les exemples que je vous ai donnés.
Pour moi, il était essentiel de reconnaître cette souffrance, dont on a trop peu parlé, pour en arriver à des soins d'une autre qualité par rapport au patient. Tant que l'on « bombarde » les soignants d'obligations supplémentaires de qualité, on continue à trop privilégier le côté technique alors que les personnes en souffrance ont également besoin d'accompagnement, sans toutefois en faire une obligation.
Dans cet accompagnement, il est important de ne pas intervenir quand les personnes ne souhaitent pas une écoute c'est pour cette raison que je parle parfois d'acharnement palliatif; d'où, pour moi, l'importance de la formation des soignants de première ligne aux soins palliatifs. Car tout le monde ne doit pas nécessairement être accompagné dans ce cadre. Il est important que ce soit une décision propre à la personne. Dans mon travail, je consacre beaucoup de temps à décoder la demande du patient. Et nous sommes parfois étonnés quand, deux ou trois mois plus tard, nous relisons la première demande. Je note toujours très précisément celle-ci. Quand, dans une situation difficile, nous allons relire la demande initiale, nous nous rendons compte que c'est nous qui sommes parfois allés plus loin que ce qu'avait demandé le patient. Il est donc essentiel de revenir uniquement à sa demande.
Mes critiques ne portent pas sur la loi qui a été prévue et qui garantit la liberté du patient. Elles reposent sur la crainte de ce qui se passera sur le terrain. Je ne remets donc pas la proposition en question parce que je trouve qu'il faut parler de l'euthanasie et que ce genre de débat est extrêmement important. Mais il faudrait en parler beaucoup plus encore, et plus concrètement, au sein de toute la population. C'est souvent très mal interprété. Il y a peu, une dame a fait un malaise cardiaque parce qu'on voulait injecter de la morphine à son mari qui souffrait beaucoup. Elle prétendait que nous voulions le tuer. C'est difficile de vivre ce genre de situation au jour le jour.
Je pense donc que la population doit être beaucoup mieux informée et qu'il faut vraiment en parler. Il est essentiel d'entendre la demande de quelqu'un qui veut vraiment mourir. Et je dis « vraiment » parce que c'est extrêmement rare. Bien sûr, c'est de toutes les autres demandes dont j'ai parlé. Dans mon travail, je découvre derrière ces dernières beaucoup d'autres problèmes que celui d'abréger la vie.
M. Philippe Monfils. Juste une remarque complémentaire. Vous condamnez des dysfonctionnements actuels alors que la loi n'est pas votée et que nous sommes en pleine discussion. Mais ne croyez-vous pas qu'un certain nombre de problèmes existent déjà actuellement ? Ne croyez-vous pas que le vote d'une loi, quelle que soit la manière dont elle sera rédigée, une loi qui devra de toute façon offrir des garanties de transparence, de contact, de recours, de décodage d'une demande qui n'est pas une demande d'euthanasie mais simplement une demande d'intervention, sera de nature à diminuer le nombre de cas que vous condamnez à juste titre ? J'ai lu votre note et je vous ai écoutée. Vous citez trois cas à la page 4 et il en existe peut-être d'autres. Il est curieux que vous reconnaissiez que ces cas existent déjà maintenant tout en disant qu'il ne faut pas d'euthanasie. Nous, nous disons que c'est parce qu'ils existent qu'il faudrait, pour les éviter, transparence, contact et écoute du patient. Tout cela peut être le fait d'une proposition. Votre crainte existe sans loi. Et si, demain, il n'y a pas de loi, vous continuerez à rencontrer ce type de cas. C'est cela que je voulais souligner quand je vous ai posé la question.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je suis curieuse d'entendre les réponses des infirmières qui seront auditionnées aujourd'hui, mais je peux en tout cas témoigner en conscience qu'il s'agit vraiment d'une grosse crainte des infirmières. Étant donné les pratiques actuelles et le peu de cas que l'on fait de la compétence et des capacités des infirmières qui sont le plus souvent en contact avec le patient, nous nous permettons de douter de l'application de la loi telle que vous l'avez prévue. Je ne conteste donc pas la proposition de loi. C'est son application qui me pose problème. Je trouve essentiel que l'on parle partout de l'euthanasie. Je le remarque tous les jours ... Par exemple, une famille demande qu'on soulage les souffrances d'un patient et le médecin répond : « Madame, je ne vais rien faire pour accélérer la mort! » Je trouve dommage qu'une telle réponse soit donnée.
M. Jean-Marie Dedecker. C'est à vous, aux intervenants de première ligne, d'appliquer la loi.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Mais oui.
M. Jean-Marie Dedecker. Vous craignez aujourd'hui que l'on n'applique pas la loi. Mais c'est votre responsabilité de l'appliquer. Et c'est à nous de faire la loi.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Tout à fait. Je témoigne simplement de l'expérience du terrain et des craintes qui sont formulées. J'accepte que d'autres infirmières livrent un témoignage différent. Mais tous les témoignages d'infirmières que j'ai entendus allaient dans le même sens. Il existe vraiment beaucoup de craintes. On redoute que cette loi ne soit pas appliquée telle que vous l'avez prévue. C'est ce message que je voulais faire passer. Je trouve aussi qu'il est grave de ne pas entendre une demande d'euthanasie et de ne pas respecter un patient qui demande que sa vie soit abrégée parce que la souffrance lui est intolérable.
M. Philippe Mahoux. Dans votre chef, ne s'agit-il pas davantage d'une critique de la relation entre le médecin et le personnel soignant ? En réalité, j'entends des critiques sur l'absence ou plutôt l'insuffisance de communication dans un certain nombre de cas. Souvent, les choses se passent en équipe, en collaboration. Il faut le rappeler, au risque de dresser un tableau sombre du fonctionnement général. Mais il existe effectivement une insuffisance de relations entre le médecin, les équipes soignantes et le malade. Vous avez souligné l'insuffisance de dialogue, d'écoute entre ceux-ci et l'absence de formation. Je pense que c'est probablement une réalité. Nous devons donc tout faire pour améliorer cette situation.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je ne parlerais pas d'insuffisance car je pense vraiment que les soignants, tant les médecins que les infirmières, font le maximum dans les conditions actuelles. Mais c'est la prise en compte de la souffrance du soignant qui permettra d'avoir une autre ouverture. La plupart des soignants travaillent très bien. Mais il faut se mettre à la place d'un oncologue qui, du matin au soir, reçoit et annonce des mauvaises nouvelles et administre des traitements difficiles. Est-il humainement vivable de travailler ainsi, sans aide ?
M. Monfils a également posé une question concernant le travail de deuil, les décès mal vécus. Je n'ai pas l'impression d'avoir dit que ces décès mal vécus étaient uniquement dus à des problèmes d'euthanasie. Cela peut l'être effectivement, lorsqu'une euthanasie a été pratiquée sans avis du patient et de la famille. Cela ne correspond donc pas à votre approche ...
M. Philippe Monfils. Nous sommes tout à fait d'accord.
Mme Bernadette Cambron-Diez. C'est à ce niveau-là qu'il serait intéressant d'évaluer ces problèmes de deuil. Dans le cas que je vous ai cité, il me semble beaucoup trop lourd de demander l'autorisation de la famille. Pour moi, l'autonomie du patient, c'est le colloque singulier médecin-patient qui s'articule dans un réseau plus large. Mais faire porter à la famille la responsabilité de réanimer ou pas est blessant et difficile à vivre pour elle. On ne tient alors pas compte de la grande souffrance dans laquelle cette famille se trouve. Et donc, quand je parle du peu de place qui lui est réservé à l'hôpital, c'est parce que, trop souvent, elle doit être là pour soutenir le patient. La prise en compte de sa souffrance n'est pas du tout automatique, loin de là. De bonnes choses commencent à se faire. Dans ce domaine, on fait de grands progrès mais cela ne concerne pas encore tous les patients.
Quant au protocole de détresse, il est unique. Les produits, médicaments qui sont prescrits par un médecin je suis donc mal placée pour en parler ont pour but de répondre à une souffrance. Il s'agit des grandes souffrances de fin de vie comme les problèmes respiratoires ou les hémorragies cataclysmiques, toutes ces choses dont le patient affirme avoir peur.
À ce moment-là, dans la transparence avec le patient, le médecin prescrit une série de médicaments qui vont soulager la souffrance. De plus, il est clairement dit au patient que ces médicaments risquent d'abréger aussi sa vie. Mais l'intention est de soulager, ce protocole comporte des médicaments qui vont jusqu'à faire perdre la mémoire de la crise. Le souvenir d'une crise douloureuse a des effets sur la crise suivante, il est donc important de l'oublier. Certains dans le débat semblent avoir compris cela comme une hypocrisie. C'est vraiment dommage. Dans ce que j'ai vécu peut-être est-ce différent ailleurs car il y a soins palliatifs et soins palliatifs ces médicaments ont été proposés au patient en toute transparence.
Parfois, le patient lui-même les refuse. Il m'est arrivé ainsi qu'un patient à domicile les refuse, mais nous avons compris que c'était sa façon de faire savoir qu'il voulait mourir en clinique. Les personnes ont parfois des difficultés à s'exprimer. Il disait donc qu'il voulait rester chez lui et mourir à son domicile mais, à notre étonnement, il refusa le protocole de détresse qui était la seule chose qui pouvait le soulager. Ce protocole est encore plus important à suivre à domicile. L'infirmière doit pouvoir faire l'injection avant d'appeler le médecin. C'est à travers son refus que nous avons pu comprendre qu'il souhaitait mourir en clinique. C'est ce qui s'est passé. Je ne sais si j'ai répondu à votre question.
Quant à la question de M. Mahoux sur l'importance de l'autonomie du malade et du deuil des familles qui se sentent coupables, je crois que les problèmes de deuil qui se posent sont dus au fait que le décès s'est mal passé ou a été trop rapide. Les décès accidentels sont des décès extrêmement difficiles à vivre. Les décès d'enfants demandent une aide spécifique.
M. Philippe Mahoux. Ma question était plus précise. Qu'en est-il du deuil quand on n'a pas répondu à la demande du malade ? C'est aussi une mort mal vécue par la famille. On entend cela régulièrement de la part des familles après le décès, dans ce cas. Avez-vous vécu une expérience de ce type ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je n'ai pas d'exemples de cas parmi ceux que j'ai accompagnés où la demande de la famille et du patient n'aient pas été vraiment entendues et accompagnées.
M. le président. Y compris jusqu'à l'euthanasie ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Votre question est donc : Avez-vous refusé une euthanasie ?
M. le président. C'est la question de M. Mahoux aussi.
M. Philippe Mahoux. Ou l'inverse.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Si le malade persiste à demander l'euthanasie et si le médecin qui reçoit la demande ne peut pas pratiquer cet acte, d'autres solutions sont proposées. Je n'ai pas d'exemple dans l'autre sens.
M. Philippe Mahoux. On a des échos de morts qui se sont mal passées car on n'a pas posé les actes qui auraient permis le refus d'une demande d'euthanasie. On parle toujours de deuil quand il y a un accompagnement ou une euthanasie qui ont été faits. Mais la difficulté du deuil quand on n'a précisément pas posé ces gestes est aussi importante.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je travaille précisément en soins palliatifs. Je fais donc de l'accompagnement et j'entends beaucoup la souffrance des familles. Quand vous dites « parce qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait », j'estime que c'est souvent parce qu'on n'a pas accompagné la famille. La famille exprime souvent une demande d'euthanasie ou une pseudo-demande d'euthanasie pour que tout soit fini. En effet, il est plus facile d'être confronté à l'après-décès car on pense que l'on fera alors ce qu'il faudra pour s'en sortir, pour aller mieux. Mais maintenant, au jour le jour, il est extrêmement pénible de vivre avec les questions de savoir quand et comment se passera le décès, tout autant que de savoir si l'on tiendra le coup. C'est là que la famille doit être accompagnée.
La famille a une demande de raccourcissement de la vie, de raccourcissement du temps de souffrance, mais c'est surtout de sa souffrance qu'il s'agit.
M. le président. La question de M. Mahoux concernait la personne qui demande elle-même qu'on mette fin à sa vie. Avez-vous des exemples où cela n'a pas été fait et où le deuil de la famille est très difficile du fait de ce refus ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Non. Je n'ai pas d'exemple dans ce sens.
Quant à la question de M. Mahoux sur l'incertitude, j'entends bien que la dépénalisation n'est pas une certitude. Ma crainte est qu'elle ne soit interprétée ainsi. Déjà, avant même que la loi ne soit passée, des familles la réclament comme un droit. Elles n'entendent donc pas que ce serait uniquement à la demande de la personne. J'exprime mes craintes. Ce n'est pas un jugement.
M. Philippe Mahoux. Quelles sont les difficultés que peut représenter le passage du malade dans une unité de soins palliatifs, y compris l'ignorance du patient de ce passage ?
M. le président. Il y a aussi l'existence de deux structures dans la province de Luxembourg.
Mme Bernadette Cambron-Diez. À l'Aubépine où je travaille, quand un patient arrive, le médecin et l'infirmière qui l'accueillent lui demandent dans quel service il se trouvait précédemment. S'il répond qu'il était en soins palliatifs, on lui demande ce que sont pour lui les soins palliatifs. La démarche est donc d'instaurer une relation en vérité à partir de ce dont le patient a besoin ou a envie de dire, de partir de sa vérité et de ne pas lui imposer de savoir qu'il est dans un service de soins palliatifs si cette information est traumatisante. C'est en cela que consiste la possibilité de conserver son autonomie. Il n'y a pas de valeur plus importante. Même si je trouve essentiel que le patient sache qu'il est en soins palliatifs, je ne tiens pas à lui imposer ce renseignement.
M. Philippe Mahoux. Vous respectez donc un droit de ne pas savoir.
Mme Bernadette Cambron-Diez. C'est cela. Si le patient ne veut pas ou ne peut pas savoir, c'est que cela convient à sa façon de vivre. Il faut la respecter.
Il y a deux équipes de soutien en soins palliatifs, l'Aubépine et le Fil des jours , mais il n'y a qu'une plate-forme. Deux équipes ont été formées parce qu'il y avait des discussions entre pouvoirs organisateurs. Mais, sur le terrain, nous nous entendons. Hier encore, j'ai eu une réunion avec mes collègues de l'autre équipe pour améliorer notre accompagnement des personnes. Sur le terrain, si on permet aux patients de se mettre au centre du processus, il n'y a pas de problèmes. Le Fil des jours travaille en principe avec la CSD mais il nous arrive aussi d'accompagner des patients avec la CSD. On en parle. Ce qui compte, c'est de respecter le patient.
M. Philippe Mahoux. Vous le soulignez à juste titre. Il faut respecter le malade et sa volonté. Peut-être l'existence de deux équipes de soutien est-elle justifiée par des différences d'interprétation ou d'analyse de la demande ? Vous semblez dire qu'il n'y a pas de différences dans l'organisation des soins mais y en a-t-il dans la volonté d'aller jusqu'au bout dans le respect de la demande d'une mort digne, y compris dans le choix de moment ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Il faut permettre au patient de se mettre au centre du processus. Nous lui permettons de se mettre au centre si cela lui convient. Certains patients préfèrent être dépendants et que l'on décide pour eux.
M. Alain Zenner. Vous dites : nous ne voyons pas de difficultés sur le terrain et nous avons la même conception de base à propos du malade. La question de M. Mahoux vise à savoir si, dans l'interprétation des situations, il n'y a pas, même inconsciemment, des différences qui peuvent s'expliquer par des conceptions philosophiques différentes et des formations de base différentes dans l'éducation en général. Tout le monde veut certainement travailler dans le même sens, dans la même conception de base fondamentalement centrée sur le patient; mais vous avez souligné qu'à tout moment, l'écoute c'est l'interprétation, le décodage pour reprendre vos propres termes de ce que veut le patient.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Oui.
M. Alain Zenner. Ce travail d'interprétation est tout de même fort influencé par l'inconscient des soignants et donc par un ensemble de paramètres que nous ne contrôlons pas ? Cela ne se traduit-il pas par l'existence de deux équipes ? Dans la vie, effectivement, les conceptions et la formation peuvent mener à des conclusions, des interprétations ou des décodages différents.
M. Philippe Monfils. Il faut être clair sur ce point. Cela veut-il dire qu'une demande d'euthanasie clairement formulée par le patient recevrait une réponse différente selon l'équipe à laquelle il s'adresse ? C'est cela le fond du problème, ne tournons pas autour du pot.
Mme Bernadette Cambron-Diez. J'espère clairement que ce n'est pas le cas. Pour le reste, nous sommes des humains en relation avec d'autres humains et donc, forcément, selon les personnes avec lesquelles on est en relation, on peut comme vous dites interpréter ou comprendre les choses différemment. Pour moi, c'est cela aussi la garantie du travail en équipe. Que l'on soit en soins palliatifs ou ailleurs, il est extrêmement difficile de savoir. L'incertitude subsiste toujours : a-t-on bien fait ou non ? On analyse à nouveau les situations. Dans une équipe, on accepte toujours d'être sous le regard des autres et donc de réévaluer son propre point de vue ou son propre investissement.
J'ai le souvenir d'une dame avec laquelle j'avais une relation très forte. Elle vivait une situation extrêmement difficile. Un jour, elle m'a dit : « cette fois-ci, je n'en peux plus ». Honnêtement dit, j'ai interprété ces paroles comme une demande de mourir tout de suite. Je n'ai pas vérifié sa demande. Heureusement, je lui ai dit parce que cela me paraît essentiel d'en parler à son médecin. Mais elle a refusé en me demandant d'en parler moi-même au médecin. J'ai refusé en lui disant qu'il s'agissait d'actes trop graves; je lui ai donc vraiment confirmé le sens dans lequel j'avais compris sa demande. J'ai insisté pour qu'elle en parle elle-même au médecin car je ne voulais pas servir d'intermédiaire. Elle m'a alors demandé d'être présente quand le médecin reviendrait, ce que j'ai fait. Ce dernier a reformulé la demande de la patiente en ces termes : « ce que vous demandez, c'est de pouvoir mourir très vite, parce que vous ne voulez plus attendre ? ». Elle a alors répondu : « je ne vous ai jamais demandé cela ! ». J'étais très étonnée. Elle a expliqué qu'elle éprouvait beaucoup de souffrances physiques, qu'elle les avait supportées jusque-là. Sa souffrance était évaluée tous les jours et elle nous demandait souvent de diminuer les doses, je n'avais donc pas imaginé qu'elle pouvait encore avoir une souffrance physique. Elle a donc pu préciser sa demande parce que le médecin a reformulé les choses clairement. Elle a dit qu'elle ne supportait plus la souffrance, qu'elle ne voulait plus avoir mal du tout : elle acceptait d'être endormie.
Dans ce cas, si le médecin n'avait pas vérifié cette demande, nous étions partis pour quelque chose qui ne correspondait pas à la personne. C'est donc extrêmement difficile et je n'exclus pas des erreurs. Je trouve en tout cas important de laisser la place à l'incertitude, c'est-à-dire à l'erreur, à « je ne sais pas » et à « peut-être ».
M. Jean-Marie Dedecker. Vous avez dit que la compassion fait partie de l'éthique médicale. Je ne comprends pas très bien votre phrase. Vous avez aussi parlé de la compassion qui justifie parfois l'euthanasie ou le mensonge ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je veux dire par là que, quand on estime une valeur éthique plus importante que la personne elle-même, cela devient dangereux. Parmi les valeurs éthiques, il y a bien sûr l'autonomie, mais il y a aussi la bienveillance, la non-malveillance ... Ce sont des repères qui permettent au médecin et à l'équipe soignante d'accompagner un patient selon ce qu'il souhaite.
M. Jean-Marie Dedecker. Je pense que la compassion justifie l'euthanasie.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Parfois, oui. Il arrive aussi qu'elle justifie le mensonge; je pense à ce mari qui demandait de ne pas dire la vérité à son épouse, par compassion pour elle. C'est dommage, car cette dame ne pouvait pas s'exprimer. C'est là que je crains un glissement trop facile vers la reconnaissance d'une valeur; on peut bien entendu éprouver de la compassion, de la sympathie ou de l'empathie pour quelqu'un, mais il ne faut pas que cela devienne une loi.
En ce qui concerne votre deuxième question, Monsieur Dedecker, vous avez sans doute senti que j'étais méfiante par rapport à la science médicale.
M. Jean-Marie Dedecker. Effectivement, vous vous êtes déjà exprimée sur ce point, mais j'aimerais que vous parliez du rôle de l'infirmière qui assure les soins à domicile lorsque le malade est hospitalisé.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Nous continuons à accompagner les patients quand ils sont hospitalisés car il n'est pas possible d'abandonner une relation. Que les patients soient en unité résidentielle ou dans un service hospitalier, les bénévoles ou infirmières continuent à suivre les patients quand ils sont hospitalisés. C'est d'ailleurs ainsi que la fonction palliative au Centre hospitalier de l'Ardenne a commencé deux ans avant qu'elle ne soit obligatoire. Nos équipes intervenaient déjà à l'intérieur de l'hôpital. Ces interventions étaient déjà connues. Les choses se sont mises en place en douceur, sur le terrain.
M. le président. Un médecin de famille que nous avons reçu nous a dit qu'il rencontrait souvent des difficultés pour suivre son patient quand il était hospitalisé. Ce n'est donc pas le cas pour les infirmières ?
M. Jean-Marie Dedecker. Quand le patient est hospitalisé, tient-on encore compte de votre avis ou de celui du médecin de famille ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Le médecin ou l'infirmière qui vont à l'hôpital ne prennent plus de décision en ce qui concerne les traitements. On continue simplement à accompagner le patient et la famille. Mais on peut quand même faire un lien entre les deux équipes.
M. Paul Galand. Je remercie madame de son témoignage. Plusieurs propositions de loi sont en discussion dont certaines concernent les soins palliatifs. Il est évident que les dénominations que l'on donne à une approche thérapeutique auront une incidence ultérieure. On a entendu des thérapeutes parler de soins supportifs et d'autres, de soins continus et palliatifs. Pour votre part, vous parlez de soins palliatifs intégrés et vous en donnez la justification. Défendez-vous cette dénomination ? Les propositions de loi vont reprendre une définition. Si vous avez des suggestions, pouvez-vous les expliciter ici ou nous les communiquer ? Cela pourrait être utile pour le législateur.
À la page 2 de vos notes, vous soulignez quelques améliorations qu'il conviendrait d'apporter au niveau de l'organisation des soins palliatifs, mais de façon peu définie; vous suggérez d'augmenter « un peu » le nombre de lits en unités résidentielles, par exemple, et vous parlez des maisons de repos, à juste titre. Pouvez-vous préciser ces propositions avec des chiffres et donner quelques commentaires, en fonction de l'expérience acquise ou non ?
À la page 3, vous défendez le fait que les soins palliatifs intégrés doivent rester de la compétence de la première ligne. Selon vous, c'est seulement un problème ou un manque de formation qui risquerait de faire en sorte que ces thérapeutes, tant médicaux qu'infirmiers, auraient tendance à abandonner les situations trop difficiles par rapport auxquelles ils se sentent dépassés.
Dans votre expérience actuelle, constatez-vous que les infirmières diplômées ont reçu une formation plus adaptée et quelle amélioration faudrait-il encore apporter à la formation ? Ces formations ne sont-elles pas encore trop cloisonnées (d'un côté les paramédicaux, de l'autre les médecins) ?
Mme Clotilde Nyssens. Je voudrais d'abord remercier Mme Cambron de sa finesse. Chaque fois qu'une infirmière parle, elle fait vibrer nos émotions. On sent que son témoignage est vécu. Quand une infirmière, une femme s'adresse à nous, elles nous fait sentir beaucoup de choses utiles à nos travaux. J'admire aussi la manière dont Mme Cambron répond aux questions. Trop souvent, les questions prennent la forme de procès d'intention. Quand une personne fait part de son vécu, témoigne de son expérience, il y a quelque chose de très vrai qui passe au-delà de certains clivages.
On dit souvent que le Luxembourg est exemplaire, est en avance dans les soins palliatifs. Les structures sont-elles suffisamment organisées ? La conception des soins palliatifs est-elle au point ? Faut-il apporter des changements au niveau des structures ou seulement au niveau des moyens humains et matériels ? Comment se fait-il que les soins palliatifs aient pris de l'importance au Luxembourg ? Cela s'explique-t-il par le dynamisme de certaines personnes, par les moyens financiers mis en oeuvre ?
M. le président. Une ardeur d'avance !
Mme Clotilde Nyssens. Par une ardeur d'avance, peut-être. Vous avez parlé, Madame, avec beaucoup de finesse, de la réflexion éthique, basée sur l'humain.
Vous avez souligné l'importance des soins relationnels, la valeur de la personne, la place de l'incertitude.
Vous avez appelé à abandonner la logique du pouvoir et du fait pour entrer dans une autre logique, pour permettre à une liberté de s'exprimer, pour lâcher prise. Il s'agit de mots extrêmement modernes, extrêmement humains. Ces mots trouvent petit à petit leur place dans le monde des hôpitaux, de la médecine. Peut-être une conception de la personne, une conception anthropologique pouvant être partagée par tous est-elle en train de naître à propos de la manière dont on vit sa mort, avec le temps nécessaire !
Cette réflexion éthique que vous avez développée peut-elle être partagée par tous ? Ces mots ont-ils la même connotation pour tous les acteurs du terrain que vous côtoyez et les familles et les patients que vous rencontrez ? Votre conception éthique peut-elle être partagée par tous les patients et toutes les familles, au-delà des clivages éthiques et philosophiques ? J'ai en effet l'impression qu'on a touché, ce matin, quelque chose d'humain au-delà d'une réflexion éthique qu'on voudrait trop souvent cloisonner.
Vous avez parlé de personne inconsciente. Vous avez dit que votre manière de soigner s'appliquait aussi aux personnes inconscientes. La distinction faite dans les textes, notamment dans la proposition du PS, entre patient conscient et inconscient n'est-elle pas artificielle, trop catégorique ? L'approche des soins continus et intégrés que vous avez décrite ne convient-elle pas aussi aux personnes inconscientes et à leur entourage ?
Vous dites que « la transparence prévue par le projet de loi dépénalisant l'euthanasie est le plus souvent inapplicable sur le terrain et fait peur à la grande majorité des infirmiers ». Cela veut-il dire que les textes arrivent trop tôt ? Cela est-il inapplicable parce que d'autres éléments n'ont pas encore été développés ? Ou bien ne sera-t-on jamais dans les conditions optimales pour réaliser ce projet qui est peut-être un peu trop idéaliste ? Cette phrase m'interpelle beaucoup.
Mme Mia De Schamphelaere. Après toutes ces semaines, nous apprenons encore des choses. Mme Cambron a beaucoup parlé du « non-dit » entre les prestataires de soins et le patient. Mais il reste également beaucoup de non-dit entre la famille et le patient. Vous parlez de familles épuisées qui n'ont plus de ressort. Elles peuvent à peine supporter le patient. La famille est pour le patient comme un miroir dans lequel il voit la charge qu'il représente. Cela aussi est une expérience pénible dans le cadre de la fin de vie.
D'autres témoins nous ont appris que, dans la foulée du débat sur l'euthanasie, la demande d'euthanasie a enregistré une croissance exponentielle, mais que celle-ci provenait uniquement des membres de la famille et non des patients mêmes. Quel est l'impact psychologique sur les patients ? Comment peuvent-ils exprimer leurs souhaits face à une famille trop lasse ?
Mme Jeannine Leduc. M. Mahoux a déjà souligné qu'on a beaucoup parlé du processus de deuil qui n'est pas intégré. Avez-vous songé au processus de deuil que les médecins et les membres de la famille n'ont pas encore intégré parce qu'ils n'avaient pas donné suite à la demande justifiée du patient nécessiteux ? Nous avons entendu dire que les médecins étaient également confrontés à ce problème. Vous mettez l'accent sur le processus de deuil non intégré des membres de la famille dans les cas où un acte d'euthanasie a été posé. Quant à moi, je mets l'accent, comme M. Mahoux, sur le processus de deuil des personnes qui n'ont pas pu donner suite aux cris de détresse du patient. Il s'agit le plus souvent de personnes simples qui n'ont pas la possibilité de s'adresser à quelqu'un qui puisse donner une mort douce au membre de leur famille.
J'ai de l'admiration pour ceux qui ont le courage d'accompagner les gens dans la dernière étape de leur vie. Vous êtes parfois contrainte de laisser des patients partir pour l'hôpital parce qu'il n'est plus possible de les soigner à domicile. Au cours de l'accompagnement, vous avez acquis beaucoup de connaissances sur le patient, et aussi sur son environnement. Comment transmettez-vous ces connaissances au prestataire de soins dans l'hôpital ? Nous avons entendu dire que ce transfert posait parfois problème.
Vous interprétez la demande de mourir formulée par le patient comme une demande de ne plus devoir souffrir. Nous avons déjà entendu cela. Vous pouvez peut-être enlever la douleur, mais vous ne pourrez pas enlever la déshumanisation. J'ai parfois l'impression qu'on ne décode pas, mais qu'on code dans une certaine direction. Est-ce que vous n'êtes pas du même avis ?
Mme Myriam Vanlerberghe. Mme Cambron, j'ai beaucoup de respect pour votre engagement dans les soins palliatifs. J'espère que vous connaissez également la proposition de loi des partis de la majorité concernant les soins palliatifs. En effet, nous voulons rendre ces soins accessibles à tous.
Vous dites que les soins palliatifs ne peuvent être efficaces qu'à la condition que le patient le souhaite lui-même. Mais quid du patient qui ne souhaite pas bénéficier des soins palliatifs et qui maintient sa demande ? Soit il y a une demande d'euthanasie, soit il n'y en a pas. Mais que faites-vous alors si nous ne pouvons pas légiférer ? Est-ce à dire que nous ne pouvons pas élaborer de réglementation et qu'on trouvera toujours une solution en cas de besoin, de sorte que nous restons dans l'illégalité comme c'est le cas actuellement ? Ou alors souhaitez-vous une loi parce que vous constatez vous-même que certaines personnes ne se satisfont pas des soins palliatifs ?
J'en viens à la déclaration de volonté qui est également un aspect abordé dans notre proposition de loi. Mme Cambron-Diez a beaucoup d'expérience dans l'accompagnement des personnes dans les derniers mois de leur vie. Elle sait que notre proposition de loi prévoit une déclaration anticipée dans laquelle les personnes peuvent faire savoir au préalable qu'elles ne souhaitent pas se retrouver dans une situation contraire à la dignité humaine et qu'elles veulent pouvoir déterminer elles-mêmes, à un moment donné, qu'il ne faut pas poser des actes qui n'améliorent plus la qualité de la vie. Quel est son avis à ce sujet ?
Mme Cambron-Diez est indéniablement très fréquemment en contact avec la sédation contrôlée. C'est un des moyens qui permettent d'aider les gens. La sédation contrôlée est un acte qui a pour effet de raccourcir la vie. À son avis, s'agit-il d'euthanasie ou non ? Cette question aussi donne souvent matière à discussion.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je vais essayer de répondre dans l'ordre des questions posées.
M. Galand m'a interrogée sur la dénomination « soins palliatifs intégrés ». Je dirai que c'est le terme qui m'a paru le plus juste pour permettre à tout le monde d'avoir accès à la formation en soins palliatifs. Au début des soins palliatifs, dans le Luxembourg, notre souhait était que les soins palliatifs soient « biodégradables », c'est-à-dire qu'ils soient amenés à disparaître, qu'il ne faille pas avoir énormément de structures devant toujours rester en place, mais plutôt un minimum d'entre elles, et que ce soient vraiment les soignants de première ligne qui puissent bénéficier de cette aide-là. J'ai fait un mémoire à l'université de Lille, précisément sur les soins palliatifs intégrés. Sans doute aurait-il pu être plus fouillé mais je vous en laisse volontiers un exemplaire.
Pour ce qui est des améliorations possibles et des propositions chiffrées, je pense que la meilleure chose est de se baser sur le mémorandum de la Fédération wallonne des soins palliatifs et sur le mémorandum des trois fédérations wallonne, bruxelloise et flamande, ces documents étant assez complets. Je pense qu'on pourrait prévoir une présence médicale plus importante, en tout cas dans les fonctions palliatives où manque celle-ci, me semble-t-il, ainsi que dans les maisons de repos.
Les formations sont-elles trop cloisonnées ? Il est vrai que j'ai notamment apprécié la formation à l'université de Lille parce que médecins, infirmières, psychologues, bénévoles, diététiciens, kinésithérapeutes participent tous à la même formation. On apprend justement l'interdisciplinarité au cours des ateliers. Beaucoup de médecins découvrent qu'il peut être intéressant de parler à une infirmière, ce qui n'est pas nécessairement ce qui a été enseigné. Je pense qu'il est fort important de décloisonner les formations. Diverses formations existent je pense au projet RAMP qui a été initié pour les médecins généralistes et auquel participent nombre d'entre eux dont le coût n'est pas nécessairement élevé. Donc, quand je parle de formations, je ne vise pas nécessairement les grands programmes universitaires ou autres mais vraiment les formations d'aide aux personnes qui sont sur le terrain, car la formation en soins palliatifs est liée aussi à l'expérience que l'on acquiert au fur et à mesure du travail.
La formation des infirmières est-elle maintenant mieux adaptée ? Certaines écoles d'infirmières organisent des lieux de parole et commencent à introduire le problème de la mort dans les formations. Ce n'est cependant pas le cas de la majorité des écoles et je ne pense pas que le sujet figure dans les programmes. Récemment, un jeune assistant de réanimation me disait qu'en neuf ans de formation médicale, on n'avait parlé ni du sens de la vie ni du sens de la mort. « On n'amène pas les étudiants à y réfléchir, on ne sait pas quoi dire aux gens ... » ajoutait-il. Peut-être n'est-ce pas le cas de tous les médecins, mais celui-là exprimait très clairement que cela lui avait manqué. Les choses sont déjà différentes dans certaines universités.
J'en arrive aux questions de Mme Nyssens. Pourquoi est-ce différent au Luxembourg ? Les structures sont-elles suffisamment organisées ? Pour nous, les choses sont extraordinaires par rapport à la situation d'il y a dix ans. Je pense qu'il faudra augmenter un peu le nombre de lits en unités résidentielles, qu'il faudra augmenter l'aide aux structures de soins palliatifs d'aide à domicile et qu'il faudra, un peu comme partout, une certaine adaptation des moyens de financement. Pourquoi cela a-t-il pris plus d'importance qu'ailleurs ? C'est une succession d'histoires différentes. Étant infirmière, je ne peux pas m'empêcher de dire qu'en réalité, ce sont des infirmières qui se sont d'abord préoccupées d'aller se former ailleurs, en France ou en Angleterre, en soins palliatifs et qui ont ramené des interrogations et des formations à ce sujet-là. Selon moi, tout a démarré vraiment de la base. On a commencé à construire sur ces petites choses et, à la suite de l'action des infirmières, il y a eu une aide du mécénat, des pouvoirs publics. Des médecins se sont intéressés aux soins palliatifs et, à partir de ce moment-là, on a fait des pas de géant. Six à sept médecins ont suivi une formation et ont édité une brochure qu'ils ont envoyée à tous leurs collègues. Il y a eu une multitude d'autres choses auxquelles je ne pense pas maintenant, par exemple les « domiciles » qui intervenaient à l'hôpital, d'où une sensibilisation du personnel de l'hôpital à ces questions. Une série de choses, qui n'ont pas nécessairement été voulues ou décidées, se sont produites progressivement sur le terrain, par contagion.
M. le président. Le débat actuellement en cours vous aide-t-il à ce sujet ? Vos collègues médecins ont-ils un intérêt particulier pour ce genre de problématique ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je pense qu'on en parle davantage. Il y a plus de questions mais aussi des peurs.
Sur le plan de la réflexion éthique, le lâcher prise est important. Pour vivre comme pour mourir, il est important de lâcher prise. Que ce soit dans la vie familiale ou au cours d'une maladie, le lâcher prise est important à tous les niveaux. Est-ce partagé par tout le monde et toutes les personnes que j'accompagne ? Je n'ai pas le projet de le partager, mais cela m'aide à les entendre, à les comprendre. Cela nous aide dans la réflexion au sein des équipes. Il est important de découvrir leur propre réflexion et la façon dont elles évoluent. Elles ne doivent pas nécessairement avoir les mêmes mots ou comprendre les mêmes choses. Cette réflexion éthique va au-delà des clivages. Elle va dans le sens du respect de la personne et de son accompagnement. Le plus difficile est de ne pas avoir de projet pour l'autre. Je ne puis dire que l'on y parvient toujours : quand on n'a pas de projets, on a au moins des rêves. Mais il est important d'en avoir conscience et de ne pas l'imposer au patient.
En ce qui concerne les personnes inconscientes, je ne sais pas si j'irais jusqu'à dire qu'elles auraient le libre choix de la même façon que les personnes en pleine possession de leurs moyens. Mais je crois qu'il faut découvrir toute une communication avec les personnes inconscientes, qui serait précieuse pour les soignants de première ligne. Il faut oser la communication. On ne sait pas ce qu'elles entendent. Il faut aussi éviter d'en faire une vérité. Il y a des écrits dans ce sens également, mais cela me semble dangereux.
M. le président. Vous pourriez peut-être anticiper la question de Mme Vanlerberghe à propos du testament de vie, ce que l'on appelle aussi la déclaration anticipée.
Mme Bernadette Cambron-Diez. C'est l'un des éléments qui doit faire partie du puzzle au moment où on décode la demande du patient. Ce qui est vrai à un moment donné ne l'est pas à un autre. J'ai beaucoup apprécié les propos du malade qui a témoigné ici. Il a dit à propos de la déclaration anticipée qu'il demandait qu'on lui laisse un délai d'un mois, que cette demande soit réévaluée, qu'on tienne compte de beaucoup d'autres choses, qu'on recherche une autre manière de l'aider ... Il demandait que l'on vérifie bien qu'il ne soit pas en dépression. Je n'ai pas d'opinion très claire par rapport à cela, sinon que je ressens qu'il est très difficile d'accompagner en fin de vie des personnes qui disent qu'elles veulent mourir. Je ne sais pas si elles veulent mourir ou si elles sont profondément déprimées. Il est difficile de distinguer la volonté de mourir et la dépression. Il est important de ne pas fermer la porte et d'essayer de comprendre ce que la personne veut vraiment nous dire. Veut-elle lâcher prise ou trouve-t-elle que sa vie est tellement inutile qu'elle souhaite vraiment mourir ? On ne le sait pas. Si on ne travaille pas en équipes, je ne vois pas comment on pourrait décoder cette demande.
M. le président. Ici se pose la question de Mme Leduc sur le décodage qui peut aussi être un codage. N'interprète-t-on pas d'une manière ou d'une autre en fonction des propres perceptions que l'on a de la volonté ou de la décision d'un patient ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Zenner, je pense qu'on réagit différemment avec les groupes de personnes avec lesquelles on interfère. Il n'y a pas une certitude totale. L'incertitude existe, y compris dans les soins palliatifs. Je ne puis répondre par oui ou par non, mais nous faisons tout ce qui est possible pour que le patient puisse se trouver au centre du processus et pour lui rendre les éléments que l'on découvre. Si on demande une consultation de l'équipe soignante ou de la famille, c'est bien en disant au patient qu'on lui rendra ces éléments-là. On lui dira : j'ai cru entendre que votre famille disait ceci; qu'en pensez-vous ? C'est lui qui nous apportera le décodage.
Il est important que ce soit lui.
M. Philippe Monfils. Si le patient ne veut pas entendre sa famille, que faites-vous ? Vous parlez beaucoup de la famille, mais l'autonomie du patient prime. La famille constitue un élément important, mais parfois dangereux quand elle transmet sur le patient son épuisement psychologique. Après tout, c'est le patient qui est en train de mourir, ce n'est pas la famille. Si le patient dit qu'il veut s'entretenir avec telle ou telle personne mais pas sa famille, qu'allez-vous faire ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je respecterai la volonté du patient. De même, quand le patient ne veut pas être accompagné par les soins palliatifs, il faut le respecter. Certaines personnes ne souhaitent pas être écoutées et préfèrent le silence. Nous devons respecter cela. Il ne s'agit pas de forcer des démarches. Aucune vérité n'est plus importante que la personne. Les soins palliatifs ne sont pas une valeur avant la personne. Au sein des soins palliatifs, il y a toute une série d'accompagnements. Notre aide est parfois uniquement matérielle : un matelas, un pousse seringue, ... Nous devons cheminer dans ce sens avec le patient. Si la famille nous téléphone, il est important de lui dire que nous proposons de l'accompagner elle-même. Si le patient refuse, on peut accompagner la famille sans aller voir le patient. Il faut entendre l'expression de souffrance.
Mme Leduc a parlé du deuil à propos des demandes d'euthanasie auxquelles on n'a pas apporté de réponse. Je n'ai pas eu de témoignage dans ce sens, mais j'entends bien le vôtre. Il est très grave, pour moi, de ne pas entendre une demande et de ne pas y apporter toute l'attention et le soutien nécessaires. Il m'est arrivé qu'on me demande l'euthanasie mais en tant qu'infirmière je ne puis pas la donner, ce qui est déjà significatif. Le médecin avec lequel j'en avais parlé m'avait dit que quand on lui demandait l'euthanasie il la donnait. Il est allé trouvé la patiente en le lui disant clairement. À ce médecin-là, et à lui uniquement, la patiente a dit : « trouvez quelque chose pour me guérir ». Il y a parfois des comportements psychologiques auxquels il faut être attentif. Heureusement que nous avions ce médecin dans cette équipe, qui pouvait la donner et le dire clairement à la patiente. Cela nous a permis d'entendre qu'il s'agissait d'une fausse demande. Elle la demandait à tout qui ne voulait pas la donner.
En tant qu'infirmière, je peux parfois recevoir des demandes d'euthanasie et j'en ai reçu. Je puis vous dire que je suis profondément touchée de la confiance qui m'est faite parce que c'est remettre sa vie dans les mains de quelqu'un d'autre. Cela témoigne d'une confiance extraordinaire. C'est extrêmement grave de ne pas entendre cela et de ne pas remercier pour cette confiance du patient envers un soignant.
Il y a aussi la question de Mme Leduc sur la différence de mentalité entre l'hôpital et le domicile.
Mme Jeannine Leduc. Vous savez beaucoup de choses sur le patient et son entourage. Qu'en faites-vous ? Transmettez-vous un dossier aux soignants de l'hôpital ? Que faites-vous des données dont vous disposez ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Quand on va visiter le patient à la clinique, on a comme règle d'aller voir auparavant les médecins et infirmières. On fait la visite s'ils acceptent, ce qu'ils ont toujours fait. Après, on fait un feed back aux infirmières et médecins. Dans ces occasions-là, on répond à leurs questions.
Mme Jeannine Leduc. Il n'est pas prévu de leur remettre un dossier ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Nous avons une feuille de liaison : hôpital, domicile, maison de repos. Cela existe aussi au Luxembourg, de façon à avoir la même feuille partout. Le document n'est parfois pas suffisant. Il peut s'agir d'éléments plus difficiles à noter. À domicile, on travaille beaucoup avec le carnet de liaison. Dans ce carnet, tous les soignants, de même que le patient et la famille, peuvent écrire, mais on n'y inscrit que ce que le patient veut bien y voir figurer. Souvent, il part à l'hôpital avec ce carnet.
Donc, souvent le patient part à l'hôpital avec ce carnet. Il décide lui-même de ce qu'il transmet comme informations parce qu'il ne souhaite pas toujours transmettre toutes les informations. Au-delà du partage, il y a aussi le respect de l'autonomie du patient. Il faut lui permettre de transmettre ce qu'il souhaite. Cependant, l'essentiel, soit le traitement, peut faire l'objet d'un document.
Mme Jeannine Leduc. Vous rendez seulement visite aux patients, rien de plus ?
M. le président. Oui, elle ne peut plus intervenir.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Oui, c'est bien cela. Mais nous voyons les patients avant et après pour ne pas critiquer les collègues qui ont la charge du patient. Il me paraît, en effet, essentiel de les respecter. En outre, le patient est souvent différent à l'hôpital de ce qu'il est à domicile. Il ne faut pas venir avec un schéma du domicile et l'appliquer à l'hôpital. Il faut pouvoir différentier les comportements.
Si le patient refuse les soins palliatifs et qu'il demande l'euthanasie, que faut-il faire ? Je pense que c'est en cela que des soins palliatifs intégrés sont intéressants car si les soignants de première ligne sont capables de répondre et d'écouter le patient ou ont le droit de prendre du temps pour s'asseoir auprès du patient et discuter avec lui, il va l'accepter de la part des soignants de première ligne, alors qu'il n'acceptera peut-être pas qu'un étranger vienne. C'est difficile pour le patient qui voit déjà beaucoup d'infirmières et de médecins, et à qui tout à coup, on propose l'intervention de la fonction palliative. Il se demande de quoi il s'agit et pourquoi on la lui propose. Les personnes importantes pour lui sont les personnes de première ligne. Il est donc essentiel que ces personnes puissent fonctionner de façon optimale.
Mme Myriam Vanlerberghe. Ma question est claire et concrète. Lorsque le patient sait que les soins palliatifs ne donnent plus une qualité suffisante à la vie et qu'il ou elle souhaite simplement mourir, est-ce que vous accédez à cette demande ? Vous admettez que, dans certains cas, les soins palliatifs n'apportent pas une aide suffisante. Si vous accédez à la demande, il faut bien légiférer car sinon, l'intervention est illégale. Si donc le patient lui-même ne souhaite plus être aidé et ce, en dépit de toutes les bonnes intentions, est-ce que vous accédez à la demande d'euthanasie ? Dans l'affirmative, je pars du principe que vous ne souhaitez pas travailler dans l'illégalité.
Mme Bernadette Cambron-Diez. J'entends bien. S'il y a une qualité de vie insuffisante, je n'ai pas d'exemple particulier si ce n'est le sommeil induit qui a été pratiqué certaines fois, si cela convenait au patient ou alors l'orientation vers d'autres institutions.
Mme Myriam Vanlerberghe. Ma question porte précisément sur la sédation. S'agit-il d'euthanasie ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Je pense que la différence est dans l'intention. Il faut respecter le patient.
M. Alain Zenner. La conclusion que je crois devoir tirer de vos propos est que vous n'avez jamais vécu une demande d'euthanasie que vous avez décodée, éventuellement avec un médecin, comme étant une vraie demande. En effet, de votre réponse je déduis que vous n'avez pas d'expérience de la chose. Donc, dans votre expérience, face à certaines demandes d'euthanasie, vous n'avez jamais décodé une de ces demandes comme étant une vraie demande d'euthanasie.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Dans les accompagnements au domicile, c'est souvent le médecin qui décide. La vie d'équipe n'est pas la même et donc, je n'y ai pas nécessairement participé.
M. Alain Zenner. Je comprends que ce soit le médecin qui décide. Que ce soit à domicile ou à l'hôpital, avez-vous vécu, fût-ce une fois dans votre vie, une demande adressée à vous-même ou à un médecin, que vous avez estimée être une vraie demande et par conséquent, devoir être entendue puisque vous nous dites qu'il faut écouter les demandes ? Et quand ce cas se présente et c'est cela la question tout à fait pertinente et essentielle de ma collègue que faites-vous ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Le sommeil induit a été proposé au patient, à trois ou quatre reprises maximum et il a préféré cette solution-là à celle du transfert vers une autre structure.
M. Alain Zenner. Pourquoi aurait-il dû aller dans une autre structure, Madame ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Il y a d'autres structures où le médecin dit clairement que son éthique à lui ne l'empêche pas de pratiquer l'euthanasie.
M. Alain Zenner. Ce qui signifie que chez vous, le médecin déclare que son éthique l'empêche de le faire. Peut-être mon émotion donne-t-elle une certaine vivacité à ma parole. Ne l'interprétez pas mal mais j'essaie simplement de comprendre ce qui se passe. J'entends que vous nous dites, d'une part, que le malade est la première valeur, qu'aucune éthique ne le dépasse et que sa demande doit être prise en compte. Vous avez fait une intervention de deux heures et demie sur ce thème-là. Et, d'autre part, quand on vous interroge au sujet de votre vécu face à une vraie demande éventuelle ne pensez pas que j'exprime ici quelque condamnation ou réserve, je le dis avec le plus grand respect car j'ai trouvé votre intervention très belle dans l'ensemble vous nous dites qu'il faut décoder. Et quand je vous demande si l'interprétation n'est pas fonction des conceptions et pourquoi il y a deux équipes sans doute en fonction des conceptions vous nous répondez ne jamais avoir décodé de vraie demande et puis vous reculez quelque peu en disant qu'il y a de vraies demandes, et vous évoquez le transfert vers une autre unité. Cela signifie qu'on refuse ces demandes et que l'homme n'est plus, à ce moment-là, la première valeur. C'est le paradoxe sur lequel se termine cette audition.
Mme Bernadette Cambron-Diez. Dans la Charte des soins palliatifs, il était prévu de ne rien faire ni pour hâter ni pour retarder la mort. Donc, il était selon moi, toujours important pour les personnes de différencier les soins palliatifs de l'euthanasie. Je ne dis pas qu'il faille les opposer ou les présenter comme complémentaires, mais il faut être clair à l'égard de la population.
Forcément, dans les accompagnements auxquels j'ai participé ou dont j'ai entendu parler, il y a eu trois ou quatre cas de sommeil induit parce que c'était la solution choisie par le patient. Il avait été proposé au patient de recevoir éventuellement sa demande et que quelqu'un puisse pratiquer l'euthanasie mais, dans ce cas, il devait faire appel à d'autres soignants et il n'a pas souhaité le faire. Il a donc accepté le sommeil induit. Et dans chaque situation, après deux ou trois jours de sommeil induit, le patient a dit lui-même que ce sommeil l'avait aidé.
M. Alain Zenner. Vous savez que, personnellement, je défends une solution très élargie et je voudrais vous demander ce que vous feriez si vous aviez à décoder ma demande. Si j'en arrive à la conclusion que je veux que l'on accède à ma demande, que pour moi c'est la seule solution et que vous êtes donc confrontée à quelqu'un qui de manière itérative, répétée, consciente, voulue, en connaissance de cause, vous sollicite et que vous considérez donc que la demande doit être décodée comme une vraie demande dépassant toute valeur éthique, comme vous l'avez dit, dois-je conclure de vos propos que, dans votre institution, la réponse serait négative ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. Oui. Ce n'est évidemment pas l'infirmière qui va décider.
M. Alain Zenner. C'est votre droit, je n'émets aucune critique mais il faut que les choses soient claires entre nous.
Mme Bernadette Cambron-Diez. J'ai envie de dire que si les choses étaient si claires que cela, un débat ne serait pas nécessaire. Or, ce n'est jamais aussi clair, précisément. Les personnes sont toujours dans l'ambivalence entre désir et demande de mourir, peur et désir ... il y a toujours ambivalence.
M. Alain Zenner. Alors, on ne peut jamais décoder. On reste dans l'ambivalence.
Mme Bernadette Cambron-Diez. On reste dans l'incertitude. Nous ne détenons pas non plus la vérité.
M. le président. Non, mais votre interprétation de l'incertitude va dans un certain sens. D'autres pourraient la considérer dans un autre sens. Et je crois que nous sommes ici au coeur du débat.
M. Alain Zenner. Je ne conteste pas votre droit de refuser. La proposition n'impose à personne de pratiquer l'euthanasie.
M. le président. Il reste la question essentielle de Mme Vanlerberghe. Si, au bout du compte, vous acceptez que quelqu'un soit transféré, la personne va être euthanasiée pour respecter sa liberté. Dans ce cas, faut-il ou non légiférer ?
Mme Bernadette Cambron-Diez. J'ai témoigné en tant qu'infirmière. Ce travail de terrain demande déjà beaucoup d'énergie.
M. Alain Zenner. Nous avons très bien compris la difficulté de votre position.
Mme Bernadette Cambron-Diez. J'en viens aux dernières questions. Quelle aide peut être apportée à un patient dont la famille demande l'euthanasie ? Dans quelle mesure cela peut-il être un fardeau ? La demande d'euthanasie du patient peut être confirmée ou niée par le regard de la famille. Je pense que la seule aide possible est d'accorder autant d'attention à chacun, que ce soit au patient, à la famille ou aux soignants. En effet, c'est de toute cette ambiance et de tout ce contexte que pourra naître une possibilité pour le patient de se situer de façon très claire. Plus il y a de conflits, moins le patient peut lâcher prise. Même la douleur, la violence, le conflit empêchent parfois de lâcher prise. Il faut donc un encadrement paisible et non menaçant. Autour d'un patient, tout le monde souffre, que ce soit la famille ou les soignants. Il faut donc accorder à chacun la même attention. Je ne vois pas d'autre possibilité pour aider le patient. Je dis souvent aux familles que cela ne fera pas de mal au patient si elles expriment leurs émotions. La famille ne doit pas seulement être forte en face de lui. Le patient souffre. Si la famille exprime sa souffrance à ses côtés, cela constitue une sorte de solidarité qui peut lui être bénéfique, pour autant que cette approche convienne à l'histoire familiale. Il ne s'agit pas d'un conseil mais d'une piste d'aide possible.
M. Josy Dubié. Merci, Madame Cambron. Nous avons tous apprécié la qualité de votre témoignage. Beaucoup d'infirmières sont présentes ici. Je voudrais, au nom des sénateurs, les remercier de l'important travail qu'elles font. C'est un travail fondamental dont nous sommes tous conscients de la valeur.
(À huis clos)
M. Josy Dubié. J'ai le plaisir de présenter Mme Jacqueline Pesleux, infirmière graduée hospitalière de l'ULB, licenciée en sciences hospitalières, agrégée de l'enseignement supérieur, actuellement directrice du département infirmier du Centre hospitalier universitaire Brugmann.
Mme Pesleux. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre invitation. J'y vois une volonté de mieux cerner les situations de terrain. Je vais m'efforcer de répondre à votre attente. Je crains néanmoins d'apporter plus de questions que de réponses. Je ne suis pas éthicienne ni juriste ni spécialiste des soins palliatifs ni de la fin de vie, c'est pourquoi j'estime important de préciser quelque peu le lieu d'où je vous parle.
Je parle tout d'abord en tant qu'infirmière ayant une responsabilité personnelle de terrain. La loi de 1974 sur l'art de soigner précise que la mission de l'infirmière ne se limite pas à l'exécution de la prescription médicale mais comprend d'abord une dimension autonome visant la prise en charge globale de la personne. L'infirmière a un rôle propre. Dans le cadre de la réflexion actuelle, je pense que c'est une précision importante.
Je parle également en tant que directrice de département infirmier d'un grand hôpital public bruxellois. J'ai la responsabilité de la gestion de quelque 800 membres du personnel soignant et je suis témoin de leur souffrance devant les situations de fin de vie. J'ai mené par ailleurs une réflexion avec les cadres infirmiers de mon institution. Ceux-ci, dans tout hôpital public, ont des convictions personnelles et des expériences professionnelles diverses. Ces expériences se rejoignent cependant lorsqu'on évoque les situations des patients en fin de vie et les amènent à adopter une attitude professionnelle commune.
Je suis également coordinatrice du collège infirmier du réseau Iris qui rassemble les hôpitaux publics bruxellois. Là aussi, j'ai pu constater la similarité des situations vécues et des attitudes professionnelles souhaitées par le personnel infirmier des différents hôpitaux.
L'hôpital public a pour mission d'accueillir tous les patients, quels que soient leurs convictions philosophiques ou religieuses, leurs revenus, leur couverture sociale, leur origine ou leur pathologie. Nous y retrouvons donc aussi les personnes particulièrement défavorisées et marginales dans notre société, ce qui influence mon propos.
Ces différentes facettes déterminent le cadre de mon intervention. Je parle à titre personnel mais soutenue par la convergence de ces différentes réflexions et soucieuse de vous transmettre un message général de la part des soignants. Je me limiterai à la situation des patients en fin de vie en milieu hospitalier, qui est la situation que je connais. Je voudrais par cette intervention faire entrer la réalité hospitalière au sein de votre assemblée pour vous faire partager à la fois les moments intensément humains mais aussi les situations dramatiques qui s'y côtoient.
Les exemples repris sont issus de mon expérience personnelle ainsi que de celle d'infirmières travaillant dans différents hôpitaux. Ils ont été aménagés pour la présentation publique. J'aborderai successivement les soins palliatifs, la demande d'euthanasie, les conditions de travail en milieu hospitalier.
Les soins palliatifs.
Lorsque j'ai commencé à travailler, les patients étaient encore hospitalisés en salle commune dans nos hôpitaux. Quand pour l'un d'entre eux la fin était proche, on tirait pudiquement le rideau devant le lit. Lors du tour avec les médecins, sa situation n'était plus abordée, on passait outre. De temps en temps, une infirmière passait la tête pour voir si ce n'était pas encore fini. C'est une situation qui m'a profondément marquée. Lorsque le mouvement des soins palliatifs a pris son essor en Angleterre, je m'y suis intéressée. J'ai découvert là-bas, dans les hospices anglais, des patients qui étaient aussi gravement atteints que les nôtres mais qui vivaient, qui étaient conscients, qui n'avaient pas mal, auprès de qui des petits enfants faisaient leurs devoirs, la vie au seuil de la mort, la sérénité sur les visages.
Mais dans les institutions de notre pays, les tentatives modestes de mise en place d'un projet palliatif se révélaient souvent prématurées. La crainte de voir l'institution identifiée à un mouroir et son image de marque dégradée était plus forte que la compassion vis-à-vis des patients en fin de vie. Pour tout dire, ces propositions avaient, pour les responsables de l'époque, un relent d'indécence et un caractère morbide. Aujourd'hui, le discours a changé et les soins palliatifs sont plébiscités. Mais sur le terrain, les mêmes réticences et les mêmes oppositions existent toujours.
Dans l'institution où je travaille, j'ai été interpellée, lorsque j'étais responsable de la formation permanente, par les soignants de terrain, qui m'ont demandé si l'abandon des patients en fin de vie était compatible avec la dignité humaine et la déontologie professionnelle. Je ne pouvais ignorer une telle interpellation. En un premier temps, nous avons mis en oeuvre la seule ressource dont nous disposions : la réflexion. Un groupe de volontaires s'est réuni pendant un an. Nous avons cherché ensemble les réponses que nous pouvions apporter au patient dans la situation du moment, sans subsides, sans financement. De cette réflexion est née une charte des droits des patients en fin de vie, charte toute simple, sans prétention, collant à la vie quotidienne. Parallèlement, certains médecins de terrain aboutissaient de leur côté à la même prise de conscience. Notre demande conjointe a été entendue par la direction générale de l'hôpital qui a accepté d'engager un médecin et une infirmière, tous deux à temps partiel et formés en soins palliatifs.
Nous avons opté pour la création d'une équipe mobile, notre souci étant de répondre en priorité aux patients qui étaient déjà hospitalisés dans notre institution. En effet, d'une part, ces patients, pour la plupart des patients chroniques, ont créé des liens avec le personnel infirmier et médical et souhaitent rester dans leur environnement habituel de soin; d'autre part, la plupart des soignants souhaitent accompagner leurs patients jusqu'au bout mais expriment le besoin d'être aidés dans cet accompagnement. Une autre motivation de ce choix réside dans le fait que l'équipe mobile est aussi le meilleur vecteur de la diffusion de la culture palliative au sein d'un hôpital. Enfin, l'équipe mobile favorise l'intégration des soins curatifs et des soins palliatifs, permettant au patient de bénéficier de soins continus. En effet, l'avenir des soins palliatifs, c'est leur intégration dans la médecine de tous les jours.
Notre équipe mobile est la première création de ce type dans un hôpital public. Nous avons commencé par une formation et une enquête.
Une formation de 80 heures a été organisée à l'intention du personnel soignant de l'hôpital mais ouverte également à l'extérieur. Cette formation a été organisée pendant plusieurs années. Elle existe maintenant au niveau du réseau Iris.
L'enquête, quant à elle, a permis aux soignants des unités concernées d'exprimer leurs attentes et leurs craintes vis-à-vis des soins palliatifs. Les résultats suscitent la réflexion.
En ce qui concerne les attentes, la demande la plus forte portait sur l'amélioration de la communication entre médecins et infirmières (22 %), suivie bien sûr du traitement de la douleur et des symptômes (19 %), du soutien psychologique des malades (17 %) et du soutien des familles (14 %).
Les craintes portaient sur le manque de moyens (37 %), l'absence de collaboration (22 %), les risques de conflit entre médecins et infirmières dans l'équipe (16 %), les conflits éthiques entre l'équipe de terrain et l'équipe de soins palliatifs (13 %). Cette enquête a permis d'établir un premier contact entre l'équipe de soins palliatifs et les équipes de terrain et a mis en évidence l'importance des problèmes de communication au sein des équipes.
Actuellement, la cellule de soins continus et palliatifs se compose de trois médecins et quatre infirmières, tous à temps partiel, ce qui représente un équivalent temps plein médecin et deux équivalents temps plein et demi infirmière. C'est une équipe de seconde ligne. L'aide des soins palliatifs peut être demandée par le médecin, les soignants, la famille, le patient. L'accord du médecin responsable du patient est requis. Dès réception de l'appel, un médecin et une infirmière de l'équipe des soins palliatifs prennent contact avec le médecin et l'infirmière du terrain pour préciser la demande. Sur la base des informations qui leur sont fournies, l'équipe propose des actions thérapeutiques.
Les motifs de l'appel sont principalement le traitement des symptômes (60 %), l'aide à l'organisation du retour à domicile (25 %), le soutien de la famille (20 %), le soutien de l'équipe, notamment pour des questions éthiques (15 %), l'accompagnement psychologique du malade (10 %).
Durant l'année 1999, la cellule de soins continus et palliatifs a suivi 115 patients hospitalisés. Parmi ceux-ci, 40 % sont décédés à l'hôpital, 44 % ont pu rentrer chez eux, ce qui nous semble un chiffre très important; 16 % ont été transférés dans d'autres institutions. L'hospitalisation la plus courte est de 1 jour : il s'agit d'une demande tardive. La plus longue est de 188 jours en plusieurs épisodes. La moyenne d'hospitalisation est de 24 jours.
Les soins palliatifs ne se résument pas aux soins en fin de vie puisque deux patients sont suivis depuis 1997 et 13 patients depuis 1998.
Les soins palliatifs portent une attention particulière à l'accompagnement et au soutien des familles pendant la période douloureuse qui précède le décès, au moment de celui-ci et ensuite, pendant la période de deuil si la famille le souhaite. Nous avons créé un lieu d'accueil pour les familles de grands malades : « Le Papyrus ». L'accueil des proches est réalisé par des bénévoles formés à l'écoute et encadrés par une infirmière de la cellule. Le motif de la visite des familles est une demande d'écoute : écoute de la personne elle-même, de ses relations avec le patient, des problèmes actuels de communication avec le patient, des difficultés relationnelles avec les soignants, des problèmes familiaux, de l'inquiétude face à l'état physique du patient, des problèmes organisationnels et même d'une réflexion éthique.
Les soins palliatifs sont les soins appropriés aux patients en phase palliative et terminale. Ce n'est pas une option. Le patient n'a pas à les demander; ils lui sont dispensés d'office. Le nouvel opéré demande-t-il à bénéficier de soins post-opératoires ? Ils constituent un droit pour tous les patients. Le patient a, bien sûr, toujours le droit de refuser des soins, qu'ils soient curatifs ou palliatifs.
Lorsqu'au cours d'une séance d'information sur les soins palliatifs, nous avons présenté notre charte des patients en fin de vie, un médecin s'est exclamé : « Mais ce sont tous les patients qui devraient bénéficier de tels droits ! ». Et, en effet, c'est bien la richesse des soins palliatifs de nous avoir rappelé en quelque sorte les droits du patient à l'hôpital, quel que soit son pronostic, sa maladie ou son état. C'est pourquoi la diffusion de la culture palliative au sein de l'hôpital contribue à la reconnaissance et au développement de ces droits des patients.
Quant à la demande d'euthanasie, le patient qui exprime une telle demande en fin de vie propose d'emblée une solution mais quel est le problème sous-jacent ? Quelle est la motivation profonde qui génère cette demande, qui est toujours une expression de souffrance et, par conséquent, un appel à l'aide ?
En ce qui concerne la crainte de la douleur physique, la situation du patient qui présente des douleurs insupportables et qui n'en voit le soulagement que dans la mort est devenue exceptionnelle dans nos unités de soins. L'introduction des soins palliatifs à l'hôpital a modifié de façon considérable ce tableau. Aujourd'hui, la plupart des douleurs peuvent être soulagées, ce qui ne veut pas dire qu'elles le sont parfaitement. Il subsiste, il est vrai, quelques situations exceptionnelles dans lesquelles la douleur n'est que partiellement soulagée. Faut-il, dès lors, légiférer pour des situations d'exception ?
La peur de l'acharnement thérapeutique : le patient peut craindre l'acharnement thérapeutique, notamment des traitements inutiles qui ne lui apportent que douleur et dégradation. L'acharnement thérapeutique se définit comme « une obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté, de reconnaître qu'un homme est voué à la mort et qu'il n'est pas curable » (Louis René). Cet acharnement thérapeutique, tellement décrié par tous, reste présent dans nos institutions hospitalières. Cette même peur existe dans l'opinion publique. Personne ne souhaite terminer sa vie connecté à une série de tuyaux, attaché, soumis à des investigations inutiles. Le recours à l'euthanasie est alors ressenti comme une alternative à l'acharnement thérapeutique. N'avons-nous que la mort à proposer à ceux qui refusent les excès d'une médecine qui ne peut reconnaître ses limites ?
Quelle protection pouvons-nous garantir à nos patients vis-à-vis de cet acharnement thérapeutique ?
Le souci des siens : les grands malades ressentent la charge qu'ils représentent pour leur entourage, même lorsque celui-ci leur témoigne une grande affection. L'euthanasie peut apparaître aux yeux de certains comme une possibilité de soulager cet entourage. Cette situation n'est pas une vue de l'esprit. Si cette possibilité est reconnue légalement, quel dilemme pour celui qui veut vivre sa vie jusqu'au bout ! En voulant promouvoir l'autonomie de certains, n'allons-nous pas instaurer un nouvel esclavage pour d'autres ? Est-ce là la liberté nouvelle que nous voulons leur offrir ?
L'impasse sociale, la solitude : certains patients demandent l'euthanasie, non pas par désir de mourir, mais parce qu'ils se sentent acculés, sans perspective d'avenir, dans une impasse sociale, livrés à la solitude. Un patient atteint d'une affection dégénérative demande au médecin s'il pourra recouvrer l'usage de ses jambes. Sur la réponse négative du médecin, il exprime alors une demande claire et réitérée d'euthanasie. Il comprend, en effet, qu'il ne pourra pas réintégrer son appartement, que ses moyens de subsistance ne lui permettront pas d'aller dans l'institution qu'il aurait choisie. Il explique qu'il est étranger, seul en Belgique et qu'il n'a d'autre solution que de demander la mort. Quelle interrogation pour notre société !
La perte de la dignité : la dignité de la personne humaine est fondée sur son existence même en tant que personne mais aux yeux de chacun, elle prend des colorations particulières. Pour certains, la dignité consiste à rester conscient, à pouvoir encore communiquer avec ses proches. Pour d'autres, à rester maître de ses fonctions naturelles, à pouvoir se mobiliser, à rester physiquement présentable. Comment cerner cette perception du patient ? Où commence l'intolérable pour un patient ou un bien portant ? Est-il tolérable d'être sans domicile fixe ou emprisonné à perpétuité ?
La dignité dépend aussi du regard de l'autre. Combien de familles, de soignants induisent chez le patient un sentiment de désespoir et un désir de mort parce que, d'une manière ou d'une autre, ils expriment un doute sur la valeur de sa vie. Certains réclament alors la mort au nom de la dignité humaine.
Mais pour d'autres patients, la dignité, c'est de vivre avec la maladie. J'étais vraiment impressionnée, lorsque je travaillais en cancérologie, de voir la force de vivre de certains patients mutilés. Pour eux, la dignité, c'était vivre et ils y trouvaient un certain bonheur. Mais pour les familles, pour les soignants qui les accompagnaient, ils étaient parfois objet de répulsion. « Comment est-il possible de vivre dans un tel état ? » ai-je souvent entendu. Quelle est la légitimité d'un tel discours qui réduit l'être humain à son corps ?
Le droit à l'autonomie : certaines personnes, pour la plupart des bien portants, estiment, au nom de l'autonomie humaine, pouvoir faire librement un choix entre euthanasie et mort naturelle, ne pas poursuivre une vie qui ne correspond plus à leur attente. Comment concilier ce droit individuel avec l'interdit de tuer, fondement de notre vie sociale ? La demande du patient est une condition nécessaire mais est-elle suffisante pour conférer au médecin le droit de tuer ? Le droit à l'euthanasie motivé par la notion d'autonomie est surtout une demande de bien portants. En milieu hospitalier, ce droit est rarement revendiqué par le patient.
La demande du patient peut évoluer au cours de la maladie. Elle peut être hésitante, se reprendre, se reformuler et il faut considérer avec beaucoup de respect ce cheminement, parfois chaotique, du patient qui cherche sa propre voie. Certains souhaiteraient une déclaration claire, sans ambiguïté, comme ce médecin qui s'énervait devant un patient qui avait demandé l'euthanasie et qui se rétractait ensuite : « Mais ce patient sait-il ce qu'il veut ? ». Le plus souvent, la demande disparaît lorsqu'elle a pu être exprimée, faisant place à l'acceptation d'une mort naturelle quand le patient est « confortable » et en confiance.
La demande du patient peut être très différente de celle qu'il avait formulée lorsqu'il n'était pas hospitalisé. Un patient de cinquante ans, atteint d'une affection incurable, mène une vie personnelle, professionnelle et sociale tout à fait normale, grâce à un traitement antalgique continu. Chacun autour de lui connaît sa volonté expresse de se faire euthanasier lorsqu'il ne pourra plus mener une vie active. Le patient s'est d'ailleurs assuré le concours d'un médecin ami qui travaille dans un hôpital proche et a promis de lui venir en aide le moment venu. Lorsque le patient est hospitalisé dans un état de très grande faiblesse, le médecin ami lui rend visite et lui réitère sa promesse. Le patient ne semble pas avoir entendu. Il demande par contre le passage de l'équipe des soins palliatifs pour réajuster les doses d'anti-douleurs, ce qui sera fait. Le médecin ami revient souvent.
Un jour, il lui rappelle sa démarche antérieure et ajoute : « C'est quand tu veux ». Le patient ne réagit toujours pas. Il s'affaiblit et ne peut plus prendre ses anti-douleurs par voie orale. Afin de maintenir la couverture antalgique, il est mis sous perfusion. En panique, le patient appelle d'urgence un membre de l'équipe des soins palliatifs et exige que cette personne vérifie ce qui lui a été prescrit. Son agitation ne cessera que lorsqu'il aura été rassuré à ce sujet. Il est mort de mort naturelle, quelques jours plus tard, sa compagne auprès de lui. Quand le patient est-il lui-même ? Autrefois, lorsqu'il était en pleine possession de ses forces physiques ou psychiques, ou aujourd'hui, confronté à l'épreuve de la maladie ?
La demande d'euthanasie émane la plupart du temps d'autres personnes que le patient. La demande des familles est fréquente. Elle relève de différentes motivations.
La compassion : « C'est scandaleux ! On ne peut pas le laisser comme ça, on ne peut pas le laisser souffrir! », disent les familles. Le patient, généralement, ne souffre pas, mais la famille souffre. Ou encore « C'est trop long, elle est épuisée », mais c'est la famille qui l'est. Notre mission d'infirmière consiste également à prendre soin des proches du patient. La famille est souvent écartelée entre la nécessité de maintenir une vie sociale normale et le souhait de ne pas abandonner son patient. Il faut continuer à travailler, à passer des examens, à prévoir des vacances et on ne sait pas quand la mort surviendra. Dans ce contexte, les demandes d'euthanasie qui sont exprimées sont en réalité des demandes de soulagement et d'accompagnement de la part des familles.
Une autre motivation est la pression économique. Il ne faut pas fermer les yeux : les motifs économiques, parfois compréhensibles à défaut d'être acceptables, parfois sordides, sont présents dans certaines demandes de familles. Le harcèlement du personnel médical et soignant par certaines familles est une réalité.
Enfin, la demande peut venir des soignants, épuisés, débordés par leur tâche logistique ou curative, et qui, dans ce contexte, ne voient plus le sens d'une attente qui s'éternise et estiment que cette attitude est indigne pour le patient. « Il faut faire quelque chose pour ce patient », disent-ils. En réalité, c'est pour eux-mêmes, par lassitude, qu'ils accomplissent ces euthanasies qui mettent fin à cette vie dont ils ne voient plus le sens.
Parfois, il n'y a aucune demande. Dans le développement de la proposition de loi, il est fait allusion au nombre élevé d'euthanasies qui seraient pratiquées dans notre pays. En milieu hospitalier, la majorité d'entre elles sont effectuées sans demande du patient. La plupart du temps, elles sont pratiquées sur des patients inconscients mais aussi parfois sur des patients conscients, à leur insu. De quels moyens disposons-nous pour assurer la protection des patients et réguler ces pratiques ? Confronté à cette demande, quelle est la réponse du soignant ?
La première, c'est l'écoute. Partie intégrante de l'approche palliative, l'écoute permet au patient de rester au centre du processus. Chacun s'accorde à en reconnaître l'importance et la nécessité mais, en milieu hospitalier, de nombreuses occasions permettent d'esquiver cette écoute du patient.
Écouter, c'est tout d'abord montrer de la disponibilité. Ce patient très âgé, atteint d'une affection incurable, vit seul à domicile. Il décide de se suicider car il se sent plus faible chaque jour et il ne veut pas être hospitalisé. Découvert par hasard, il est transporté à l'hôpital.
Aux urgences, où on ne connaît rien ni de la pathologie ni de l'intention du patient, il est réanimé. Il est hospitalisé et une connivence s'établit avec une infirmière de l'équipe qui ne craint pas le dialogue avec les patients en fin de vie. Ce monsieur explique qu'il a voulu mettre fin à ces jours parce que, de toute façon, sa vie n'intéresse personne. Doté d'une forte personnalité, il s'est disputé avec toute sa famille. L'infirmière perçoit comme un regret dans sa voix et l'écoute longuement. Cette disponibilité de l'infirmière permet au patient d'exprimer le désir de revoir sa famille après tant d'années. Il est décédé après quinze jours d'hospitalisation, ayant eu l'occasion de revoir ses proches qui lui ont rendu visite à plusieurs reprises, à la fois heureux des retrouvailles et tristes de la séparation prochaine.
Écouter, c'est aussi reconnaître la demande du patient, quelle qu'elle soit, c'est l'accompagner là où il en est avec lui-même, sans jamais aller au-delà de ce qu'il souhaite dire ou entendre. Évidente en apparence, cette écoute n'est pas donnée. Elle s'apprend.
C'est pourquoi la formation est un élément essentiel de la problématique en fin de vie. Ce matin, Mme Diez a longuement parlé de la formation. Je voudrais peut-être cibler la formation à l'écoute du patient qui commence et c'est peut-être paradoxal par une écoute de soi. Les questions relatives à la mort, à la vie, à la souffrance nous touchent au plus profond de nous-mêmes et soulèvent en nous un flot d'émotions. Les situations difficiles vécues avec certains de nos proches en fin de vie, restent gravées dans la mémoire et influencent le comportement présent. Le vécu, les émotions, les convictions, la personnalité de l'écoutant polluent son écoute. En prendre conscience est indispensable pour éviter de projeter sur le patient son regard personnel.
J'ai vu des médecins et des soignants refuser la mort et s'acharner à prolonger la vie de leur patient alors que la situation était sans espoir. J'ai vu des médecins et des soignants ôter la vie à leur patient parce qu'à leurs yeux, cette vie diminuée par la maladie n'était plus digne d'un être humain. J'ai vu des médecins et des soignants, désemparés devant les questions légitimes de leur patient, fuir ou biaiser ou s'activer ou réconforter fallacieusement, renvoyant ainsi le patient à une solitude inhumaine. Mais j'ai vu aussi des médecins et des soignants, formés à l'écoute, capter un appel, même voilé, et y faire face.
La demande une fois exprimée et reconnue, il s'agit de la décoder. La plupart des demandes d'euthanasie, nous l'avons vu, ne sont pas une demande de mourir ici et maintenant. Décoder la demande et y apporter une réponse adaptée nécessitent une concertation entre tous les acteurs qui ont un contact avec le patient. Parmi ces acteurs, les infirmières ont une compétence, une expérience spécifique et une approche particulière de la personne malade et de sa famille. Elles participent ainsi, avec les autres paramédicauxs, à l'approche globale du patient. De plus, par leur présence prolongée dans le service, par les soins intimes et réguliers aux patients, les infirmières sont souvent très proches de ceux-ci et détentrices de pas mal d'informations à leur sujet. C'est souvent l'infirmière qui capte la première la demande ou le besoin du patient. L'infirmière de nuit, notamment, recueille beaucoup de confidences des patients qui ne peuvent pas dormir. La prise de décision par le médecin, sans concertation avec l'équipe soignante, va à l'encontre de la prise en charge pluridisciplinaire prônée aujourd'hui en médecine. Il nous paraît impensable de laisser une décision aussi grave sur les épaules d'une seul homme. Sa qualité de médecin ne le met pas à l'abri des faiblesses humaines. Sa qualité d'homme ne lui permet pas de cerner toutes les facettes d'une demande. Si le médecin peut évaluer seul une demande d'euthanasie et y répondre en se basant sur sa seule perception du patient, et moyennant une déclaration a posteriori qu'il peut parfaitement ignorer, quelle est la protection pour le patient ?
La concertation est un barrage contre l'arbitraire. Il ne s'agit pas, comme certains l'ont décrit, d'obliger le patient à se présenter devant le tribunal des soignants pour y réitérer en public sa demande. Le patient reste libre, s'il le souhaite, de s'adresser uniquement au médecin. Il ne s'agit pas non plus de diluer les responsabilités. Nous ne demandons pas le droit à la décision. Il s'agit de rassembler en équipe toutes les perceptions, toutes les informations collectées par chacun des acteurs lors de ses contacts avec le patient et de les décoder ensemble afin d'éclairer le médecin qui reste le seul décideur.
Souvent, si le consensus ne peut se faire, si des divergences irréductibles apparaissent, c'est que le problème n'est pas mûr, que la perception n'est pas claire et qu'il est prudent de reporter et d'approfondir l'analyse. Lorsque la demande d'euthanasie semble confirmée, nous pensons qu'il peut être intéressant de joindre à la réflexion une personne extérieure ou une instance qui éclaire la démarche de sa compétence propre. Les médecins et les soignants sont parfois tellement impliqués dans la situation des patients qu'il leur est difficile de prendre de la distance. La personne extérieure peut reconnaître la pertinence de la démarche, la réalité de la demande, questionner, suggérer de nouvelles pistes, empêcher que la décision se prenne en fonction d'autres éléments que l'intérêt du patient.
Dans les situations de fin de vie en milieu hospitalier, le passage à l'acte est souvent une décision de désespoir prise à défaut d'alternative.
Si la décision est difficile à prendre, elle est également difficile à exécuter. Il nous semble que la responsabilité du médecin dans ce cas précis doit aller jusqu'à l'exécution de l'acte.
La relation des différentes étapes du cheminement avec le patient, sa famille et l'équipe soignante doit être transcrite dans le dossier du patient comme les autres décisions médicales. Cette démarche est nécessaire pour permettre une évaluation mais aussi pour garantir au patient la continuité et la cohérence de l'attitude médicale à son égard. Que de décisions mûrement réfléchies ont été bouleversées au cours du week-end ou de la nuit parce que le médecin de garde n'en était pas informé ! Les dossiers des patients en fin de vie sont parfois vierges à l'exception de la date et de l'heure du décès.
Je voudrais évoquer enfin les conditions de vie en milieu hospitalier. En prenant connaissance de la proposition de loi concernant l'euthanasie, certains soignants se sont demandés si nous parlions des mêmes personnes et des mêmes lieux. Dans le texte, les malades semblent pleinement conscients, parfaitement décidés et capables de s'exprimer; les médecins ont du temps pour le colloque singulier et la connaissance du patient; ils ont pris de la distance par rapport à leurs propres émotions et convictions et sont prêts à se soumettre à des contraintes administratives, rédigeant sans broncher les papiers demandés. Dans ce scénario, ils n'ont pas besoin de l'éclairage du personnel soignant pourtant présent auprès du patient 24 heures sur 24. Ce personnel n'a pas d'état d'âme concernant ces pratiques. Enfin, les médecins ne subissent aucune pression de la part des familles, que ce soit par compassion ou par intérêt.
Nous vivons dans un autre monde. L'hôpital reste le haut lieu du curatif et de la technologie dans lequel les médecines préventive et palliative n'ont pas beaucoup de place. L'hôpital est aujourd'hui une entreprise performante qui se doit d'être rentable. L'hôpital doit garantir un taux d'occupation suffisant sous peine d'être contraint de « fermer des lits ».
Les durées de séjour sont minutieusement réglementées en fonction des pathologies et doivent être respectées sous peine de pénalités atteignant plusieurs dizaines de millions. J'ai connu l'époque où le patient entrait quelques jours avant son intervention chirurgicale, ce qui laissait le temps de le préparer, de répondre à ses questions, d'apaiser ses craintes et où, après un traitement actif, le patient restait quelques jours à l'hôpital, ce qui permettait de préparer au mieux sa sortie. Ce temps est révolu. Actuellement, les patients séjournent à l'hôpital un temps strictement minimum, ce qui signifie que tous les patients hospitalisés aujourd'hui sont des patients lourds nécessitant un temps de soin important.
Le médecin est écartelé entre ses tâches cliniques, ses consultations, sa propre formation, la recherche et l'enseignement. Il doit en outre trouver le temps d'opérer et de se concerter avec ses confrères pour l'interprétation des résultats d'examens ou pour une prise de décision thérapeutique. La vie du médecin hospitalier est une course.
Quant au personnel infirmier, sa charge de travail augmente constamment. Si nous prenons l'exemple de l'infirmière de nuit qui doit s'occuper de trente patients, il n'est pas rare que, parmi ceux-ci, selon les unités de soins, elle doive faire face à vingt patients incontinents qu'il faut changer plusieurs fois par nuit pour leur confort et éviter les risques d'escarres, ou à plusieurs patients en isolement extrêmement sensibles aux infections et pour les soins desquels il est indispensable de revêtir une tenue vestimentaire particulière afin d'éviter toute contamination, ou encore à plusieurs patients trachéotomisés qui doivent être aspirés régulièrement sous peine de voir se constituer dans leur canule des bouchons responsables d'étouffement.
Dernièrement, j'ai reçu dans mon bureau une infirmière qui avait choisi de travailler la nuit pour pouvoir être plus disponible pour les patientes mastectomisées, c'est-à-dire qui ont subi l'ablation d'un sein, car c'est la nuit, me disait-elle, que toutes leurs angoisses se réveillent. Aujourd'hui, durant ses douze heures de nuit, elle n'a même plus le temps de s'arrêter pour prendre une tasse de café et n'a certainement plus le temps de se montrer disponible pour les patientes qui souhaitent se confier. Elle venait me voir pour un changement d'affectation.
Le jour, le personnel est un peu plus nombreux mais il doit, en outre, préparer les futurs opérés, assurer la surveillance postopératoire ou encore arriver à alimenter, par exemple, vingt-cinq patients trois fois par jour.
Au milieu de cette effervescence, comment permettre au patient de prendre le temps de mourir, comment offrir à la famille le luxe d'un rituel qui permet d'apprivoiser la mort ? C'est dans un tel contexte qu'il nous faut écouter chaque patient : celui qui guérit et espère et craint en même temps le retour à domicile; celui qui se meurt et craint de mourir.
Si les contraintes liées à la performance influencent lourdement la charge de travail en milieu hospitalier, force nous est de constater que le patient lui-même a bien changé. Aujourd'hui, dans nos unités de soins généraux, nous rencontrons de plus en plus souvent des patients très âgés, des patients en situation vraiment difficile au point de vue financier et social, des patients issus de cultures très différentes de la nôtre, des patients présentant des problèmes de santé mentale, des patients violents. Ces différentes caractéristiques augmentent la charge de travail et rendent le dialogue plus difficile.
Si, en outre, la communication est déficiente au sein de l'équipe, si les infirmières doivent exécuter des décisions médicales auxquelles elles n'adhèrent pas, si elles se sentent insuffisamment formées pour affronter la situation des patients en fin de vie, si elles sont témoins de douleurs physiques non traitées, si elles voient les patients dont elles s'occupent être l'objet d'un acharnement thérapeutique intense pour ensuite être abandonnés après la pose d'une perfusion létale, si elles participent à des euthanasies se pratiquant à l'insu des patients et des familles, la seule solution qui finit par s'imposer à certaines d'entre elles, c'est de quitter ou de se blinder pour survivre.
Se blinder, c'est se détacher du patient, soit physiquement, en quittant la chambre ou n'y entrant plus, soit émotionnellement en se débranchant des émotions du patient, en s'en désintéressant, soit mentalement en faisant du patient une pathologie, un diagnostic, un organe, un traitement. Cette attitude finit par restreindre la capacité d'être des professionnels et par entraîner les comportements déshumanisants que nous rencontrons parfois dans nos hôpitaux. Comportements inadmissibles mais compréhensibles aussi si l'on reconnaît qu'il s'agit d'une autoprotection pour soignant en souffrance.
Une attention de plus en plus importante est portée dans la littérature au phénomène d'épuisement professionnel ou burn-out. C'est un état d'esprit qui afflige des professionnels qui ont un contact soutenu avec des personnes dans des circonstances très exigeantes sur le plan émotif. Il s'agit particulièrement mais non exclusivement de professionnels de la santé. Les symptômes de l'épuisement professionnel sont, entre autres, la fatigue, le cynisme, l'irritabilité, la dépersonnalisation des patients, un sentiment d'impuissance et de désespoir, une perte d'intérêt pour son travail et même pour la vie en général et un sentiment de culpabilité.
Ce qui est dramatique, c'est que cet épuisement qui évolue insidieusement frappe surtout les personnes les plus idéalistes et les plus dévouées. Si nous voulons conserver dans nos hôpitaux des soignants compétents et disponibles vous savez que nous vivons actuellement une période très grave de pénurie de personnel infirmier il est indispensable de les aider à maintenir un équilibre entre l'implication à outrance et le désintéressement total. Pour y arriver, une véritable politique de support du personnel n'est pas un luxe mais une nécessité. Les malades ont besoin de parler, les soignants aussi. Les lieux de parole sont utiles, non seulement pour déverser ses émotions, pour découvrir que d'autres collègues vivent les mêmes choses, mais aussi pour induire une réflexion et pour développer des stratégies thérapeutiques personnelles et interpersonnelles. Peu d'institutions reconnaissent la souffrance du patient et lui accordent cet espace de paroles. Dans l'institution où je travaille, nous avons profité des propositions Maribel pour engager une psychologue pour le personnel. Cette démarche a une portée symbolique importante dans la mesure où il s'agit d'une reconnaissance institutionnelle. Mais cette psychologue travaille 30 heures par semaine et l'institution comporte 2 250 membres du personnel dont plus de 400 médecins, plus de 800 soignants et plus de 100 paramédicaux.
En milieu hospitalier, il n'y a pas de financement pour la concertation, la réflexion, l'écoute, le support.
Dans ce contexte, pouvez-vous comprendre qu'il y ait parfois des demandes de patients qui restent ignorées, des euthanasies par lassitude, des décisions hâtives, des soins palliatifs non dispensés ? Pouvez-vous entendre que la proposition de loi sur l'euthanasie n'est pas adaptée au milieu hospitalier, qu'elle ne nous aidera pas dans les situations difficiles que nous vivons, qu'elle nous fait peur ? Parce que les dérives existent.
Cette proposition de loi fait peur à de nombreux médecins qu'elle est censée protéger, à beaucoup d'infirmiers et de membres du personnel soignant qu'elle devrait sécuriser et à la population, malades potentiels, alors qu'elle est destinée à leur apporter plus de dignité et d'autonomie.
Récemment, dans notre unité de soins intensifs, la chef de salle me disait que, de plus en plus régulièrement, elle était confrontée à l'angoisse des familles qui craignaient que l'on ne pratiquât l'euthanasie chez leurs parents. Cette question était inexistante auparavant.
Après avoir évoqué les difficultés rencontrées en milieu hospitalier, je ne voudrais pas terminer sans reconnaître la motivation du personnel médical et soignant, son souci du patient, la qualité de l'accompagnement qui peut être offerte malgré des conditions peu favorables. Je le ferai à l'aide d'un exemple.
Il s'agit d'une jeune patiente, atteinte d'une affection incurable, au stade terminal. Divers tuyaux et appareillages suppléent à la déficience de ses fonctions naturelles et il n'y a plus d'espoir thérapeutique pour elle. Lorsqu'après une semaine d'absence, le médecin reprend contact avec cette patiente, il est terriblement secoué en voyant la dégradation rapide de son état général. Il s'élance vers le bureau des infirmières en s'écriant : « Ce n'est pas possible, ce n'est pas supportable, il faut y mettre fin ». Les infirmières suggèrent de faire appel à l'équipe des soins palliatifs, ce qu'il accepte.
À la fin du premier entretien avec la patiente, l'infirmière de l'équipe des soins palliatifs, la main sur la poignée de la porte, entend la patiente lui dire : « Ici, on ne répond jamais aux questions. » L'infirmière revient vers le lit et, au cours du dialogue qui s'ensuit, elle écoute les questions de la patiente, se rend compte qu'elle ne connaît ni son diagnostic ni son pronostic, prend note des questions, vérifie si elle a bien compris. La patiente rectifie. Ensuite, l'infirmière lui demande si elle souhaite que ses questions soient transmises à un médecin et, si oui, lequel. La patiente choisit le plus jeune de l'équipe. Les questions lui sont transmises. Panique de ce jeune médecin qui n'a jamais été confronté à une situation pareille ! Appelé à la rescousse, le médecin des soins palliatifs aura un entretien de deux heures avec ce jeune médecin pour le préparer à cette rencontre. À l'issue de celle-ci, la patiente dit au médecin : « Maintenant, je sais ce qu'il me reste à faire », ce qui est aussitôt interprété par l'équipe comme un projet de suicide.
Le lendemain, la patiente redit à l'infirmière : « Je sais ce qu'il me reste à faire » et elle ajoute : « Je vais profiter pleinement de tous les moments qui me restent. » En effet, elle émet un certain nombre de désirs très simples qui, pour la plupart, peuvent être rencontrés. Elle est paisible, sa douleur est bien calmée.
Le jour suivant, elle demande comme une faveur que quelqu'un de l'équipe des soins palliatifs prévienne sa maman. Elle ne se sent pas le courage de le faire elle-même mais elle souhaite lever le silence entre elles. Cette démarche a permis à la maman et à sa fille de se retrouver en profondeur. La patiente est décédée paisiblement dans son sommeil, deux semaines après sa prise en charge par l'équipe de soins palliatifs. Lorsque la maman est venue voir le corps de sa fille, elle a pleuré et l'infirmière l'a prise dans ses bras.
En conclusion, nous voulons tout d'abord vous remercier pour avoir ouvert ce débat. En permettant aux acteurs de terrain de s'exprimer, vous avez levé un tabou qui était source de grande souffrance pour les équipes soignantes. Plus rien ne sera comme avant depuis que nous avons entendu tous ces témoignages. Nous en mesurons déjà l'impact : la parole est plus libre.
Deuxièmement, les droits de l'homme malade à l'hôpital, c'est-à-dire du patient, sont encore loin d'être réalité, bien que faisant l'objet d'une préoccupation grandissante. De multiples obstacles en termes de mentalité, de moyens financiers, de temps et de modes de fonctionnement rendent leur application difficile. Et si nous commencions par là ?
Troisièmement, le patient a le droit de recevoir les soins appropriés à son état. Dans la phase palliative et en fin de vie, les soins appropriés sont les soins palliatifs. Tout patient y a droit. La médecine palliative est une discipline relativement récente dans notre pays. Les structures commencent seulement à se mettre en place : la culture palliative est loin d'imprégner la vie hospitalière et les résistances sont vives. Vous avez ouvert une porte, ne la laissons pas se refermer. Laissons aux soins palliatifs le temps de s'implanter, donnons-leur une chance, évaluons leur progression et leur pratique.
Quatrièmement, l'acharnement thérapeutique, unanimement rejeté aujourd'hui dans le discours, reste présent en milieu hospitalier. Cette attitude médicale engendre une souffrance inutile pour le patient, une peur parmi le public et suscite la demande d'euthanasie chez les malades comme chez les bien portants. Comment y remédier, sinon par la concertation ?
Cinquièmement, la plupart des médecins et des soignants n'ont pas acquis la compétence nécessaire à la gestion des problèmes de fin de vie. Seule une formation de base appropriée, soutenue ensuite par une formation continuée, intégrée dans une politique de support du personnel, permettra, à terme, de changer les mentalités et de considérer la fin de vie comme partie intégrante de la vie elle-même. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
Sixièmement, l'organisation hospitalière actuelle se prête mal à une prise en charge globale des besoins des patients en phase palliative et terminale. Le financement et ceci est un appel ne couvre pas cette prise en charge qualitative. Dans ce contexte, il nous paraît impératif de garantir avant tout la sécurité des patients en réaffirmant clairement la persistance de l'interdit de tuer, car l'hôpital est un lieu à risques, et il faut en tenir compte en mettant en place une procédure qui les protège de toute décision arbitraire. Il est aussi impératif de garantir l'écoute des demandes des patients en fin de vie par l'élaboration et la mise en place d'une procédure réaliste et transparente. Il est impératif, enfin, de développer la communication au sein des équipes.
Septièmement, dans le cas particulier de la demande d'euthanasie, la proposition de loi actuelle ne nous apporte pas ces garanties. Nous estimons que le personnel infirmier, par sa compétence et sa présence prolongée auprès du patient, est un interlocuteur incontournable. La concertation avec l'équipe soignante est impérative; elle n'élimine pas pour autant le colloque singulier médecin-malade. En outre, l'apport d'un éclairage extérieur à l'équipe nous semble pertinent. La déclaration a posteriori nous semble irréaliste et n'offre aucune garantie de contrôle ni d'évaluation.
La situation évoquée dans la loi est exceptionnelle. Les situations les plus fréquentes et les plus problématiques concernent les patients inconscients pour lesquels nous demandons une réflexion et un éclairage.
Enfin, les euthanasies pratiquées sur des patients conscients sans demande de leur part méritent d'être réprimées.
Ces différentes dispositions devraient contribuer et c'est ce que nous attendons du législateur à maintenir et promouvoir dans tous les cas, entre le patient et sa famille, d'une part, le médecin et les soignants, d'autre part, une relation de confiance.
Je vous remercie de m'avoir écoutée.
M. Philippe Mahoux. Le propos a le mérite d'être parfaitement clair. Il est évident que vous êtes tout à fait opposée aux propositions de loi qui ont été déposées. Vous l'étiez et vous le restez. Vous avez le mérite de le dire. Dans les mêmes professions, on rencontre des avis fondamentalement différents.
Il ne faut pas imaginer que les propositions de loi ont été établies sui generis, sans aucune expérience du milieu hospitalier. Votre propos semble indiquer que nul d'entre nous ne connaît la réalité du monde hospitalier, avec toutes ses difficultés, avec une approche basée sur l'écoute. Je voulais rectifier et préciser que beaucoup d'entre nous ont réellement une expérience du monde hospitalier et que l'approche dont vous parlez est partagée par beaucoup d'entre nous.
Je pense, comme vous, que des euthanasies sont pratiquées sans que le patient le demande. C'est une des raisons pour lesquelles il faut, selon moi, légiférer. Comment pouvez-vous affirmer que la plupart des euthanasies sont pratiquées sans demande du patient ? Sur quelle base vous fondez-vous ? Sur votre expérience, sur des informations parallèles, ... ? Je partage d'ailleurs votre affirmation.
Quant à la demande du malade, je ne peux m'empêcher de penser que, dans votre propos, dans la gradation de votre énumération, il y a quand même un jugement moral sur la valeur de ce qui justifie la demande. Je me trompe peut-être. Vous évoquez par exemple la dignité du malade. Le sentiment d'indignité qu'une personne peut éprouver à un moment de sa vie, même s'il faut tenter de le combattre en modifiant le regard extérieur qui y contribue peut-être, ne peut-il être une réalité, une réalité qui justifie la demande de mettre fin à ce sentiment devenu, lui aussi, incurable ? N'exprimez-vous pas une appréciation morale sur la demande formulée par le patient ?
Vous parlez de la demande du malade par rapport à la famille. Cette demande peut être liée à la difficulté de communiquer ou à une incommunicabilité. Considérez-vous une telle demande comme moralement injustifiée ?
Vous avez évoqué en premier lieu les douleurs, précisant que certaines sont incoercibles. Que faire face à celles-ci ? Ne risque-t-on pas, malgré toute l'autonomie que l'on veut reconnaître au patient, d'exprimer une évaluation morale sur la raison pour laquelle la demande est formulée ?
M. Paul Galand. Je serai assez bref dans mes éloges au sujet du réseau hospitalier bruxellois, des services de soins palliatifs, des équipes mobiles et du fonctionnement de la cellule d'accueil pour les familles des grands malades. Je voudrais associer à cet éloge tout le personnel des hôpitaux publics bruxellois du réseau IRIS et tous les efforts qui y sont déployés. Vous avez démontré qu'il s'agissait d'une approche humaniste extrêmement importante, qui était le fruit d'une longue réflexion. Tous les efforts consentis pour défendre la sécurité sociale, qui finance en grande partie ce système, honorent aussi notre société. Il ne faudrait pas que, par des approches ultra-libérales, on mette ces acquis en cause ou on ne continue pas à y consacrer les moyens nécessaires. J'y reviendrai dans un instant.
Vous avez parlé d'une enquête de 1994. La première demande était l'amélioration de la communication entre les médecins et le personnel infirmier. Pouvez-vous nous dire comment les choses ont évolué depuis lors et ce qui favorise les évolutions positives ?
Vous avez insisté sur l'écoute. Certaines personnes croient encore que l'écoute est un don inné. Vous avez souligné que c'est au contraire le fruit d'une formation qui commence par l'écoute de soi. Cette approche est fondée sur des travaux scientifiques très étayés. Il ne s'agit pas d'une formation classique, de cours magistraux. Les dispositifs nécessaires à cette formation sont-ils mis en place aujourd'hui pour le personnel infirmier dont vous avez la charge ?
Vous avez insisté sur l'annotation dans le dossier médical. Vous avez expliqué ce qui est assez surprenant que le dossier d'une personne qui
décède ne mentionne parfois que la date du décès. Les explications écrites concernant la situation du patient sont évidemment une aide à la réflexion. Observe-t-on une évolution à cet égard ? Quelles mesures faudrait-il prendre pour s'assurer que ces annotations permettent ultérieurement une évaluation afin que notre projet de loi sur une commission de suivi ne soit pas vidé de sa substance ?
Enfin, je voudrais aborder les conditions de vie en milieu hospitalier. Le premier est la durée de séjour. Vous avez dit combien cette contrainte pesait sur les hôpitaux publics qui ont une mission sociale à remplir. Intègre-t-on aujourd'hui cette dimension sociale de l'hôpital public ? Vous avez parlé de 30 heures de travail de psychologues pour plus de 2 000 personnes, problème au sujet duquel une réponse a pu être apportée dans le cadre du Maribel social. Cela met une nouvelle fois en évidence la situation défavorisée du non-marchand par rapport à des secteurs privés. Ce serait une garantie pour la protection des patients que le personnel puisse bénéficier de ce dont il aurait lui-même besoin pour pouvoir soigner les patients dans les meilleures conditions. Une évolution se dessine-t-elle à cet égard pour qu'une réponse encore plus adéquate puisse être apportée au souci des soins aux soignants ?
M. Philippe Monfils. Monsieur le président, à la fin de son exposé, Mme Pesleux a dit essentiellement : voilà pourquoi nous ne sommes pas partisans de la proposition de loi des six auteurs. D'où ma première question : nous, c'est qui ? C'est un peu facile de dire « nous », alors que quelques instants auparavant, chère Madame, d'autres personnes étaient d'un avis tout à fait différent, tout en appartenant aussi au monde infirmier. Donc, il est toujours intéressant de rappeler que les personnes que nous entendons ne parlent pas au nom d'une profession, parce que cette profession présente un certain nombre d'attitudes différentes qui, d'ailleurs, se reflètent dans les témoignages.
Par ailleurs, je suis toujours un peu étonné des simplifications abusives que l'on fait concernant le monde hospitalier : avant, maintenant, l'évolution technologique et, à côté de cela, l'humanisation des soins palliatifs. Ce n'est pas toujours aussi simple. J'ai, dans mon dossier, l'une ou l'autre lettre faisant état de certaines difficultés ou dysfonctionnements dans les soins palliatifs au sein de votre hôpital, et de personnes qui auraient été plus ou moins abandonnées, peut-être par découragement de l'équipe palliative. Je veux dire par là que tout n'est jamais parfaitement beau d'un côté et parfaitement mauvais de l'autre. Je suis juriste mais mon père était médecin. J'ai donc vécu dans un monde médical.
Aussi, Madame, lorsque vous faites état du fait qu'il y a quelques années, on entrait à l'hôpital quelques jours avant une intervention afin de se préparer, je vous réponds que j'ai connu aussi des personnes qui entraient à l'hôpital le week-end et qui étaient totalement abandonnées avant de passer sur la table d'opération, le lundi. Ne considérons donc pas qu'auparavant, l'hôpital, c'était merveilleux, qu'il y avait une écoute, et que maintenant, c'est un épouvantable univers concentrationnaire et de haute technologie. Il y a là une réflexion à mener.
J'en arrive à la concertation. Je vous ai bien entendue concernant la nécessité d'associer notamment le personnel infirmier à la concertation. Vous avez dit d'ailleurs que s'il y a bien sûr unanimité, forcément, c'est le médecin je suis d'accord avec vous qui prend la décision et qui l'exécute. D'autres se sont interrogés là-dessus. Je crois que vous avez raison et je pense qu'une écrasante majorité des membres de cette commission est d'accord sur le fait que c'est le médecin qui doit le faire et que ce n'est pas l'infirmière qui doit prendre cette responsabilité. Vous avez dit également que s'il n'y a pas accord général, il vaut mieux retarder, reporter le problème. Mais il faut quand même se poser la question de savoir pourquoi il n'y a pas accord. Depuis ce matin, nous parlons également très souvent de la nécessité de l'émotion, notamment à l'égard du personnel infirmier. Si l'absence d'accord provient du fait que l'attitude émotionnelle du personnel infirmier ne permet pas d'arriver à un consensus, n'est-ce pas mettre en avant les problèmes psychologiques de l'équipe par rapport à la demande du patient ? À ce moment-là, il n'y a plus d'autonomie du patient. Je veux bien que l'on dise que l'équipe n'est pas d'accord parce que, finalement, cette personne peut continuer à vivre, parce qu'il ne s'agit pas du tout d'une demande d'euthanasie mais plutôt d'un appel au secours, et que si l'épouse du malade vient le voir le lendemain ou si on lui apporte ce qu'il rêve d'avoir, il va continuer ... Tout cela, c'est normal. Mais si on arrive, dans un débat, à mettre en avant, par rapport à la demande du patient, les propres conflits psychologiques de l'équipe, alors je ne suis plus d'accord. Et là, je ne peux pas accepter qu'on dise que dans ces conditions-là, il faut attendre qu'un psychologue intervienne dans l'équipe, régler les problèmes et que le patient doit attendre de voir ce qui se passera. Il faut bien se rendre compte qu'il y a là un élément tout à fait fondamental. Oui pour des appréciations différentes, non pour la solution des conflits internes de l'équipe. Si je vous dis cela, c'est qu'en fait, d'autres ont fait allusion pas aujourd'hui à cette nécessité de régler les problèmes internes de l'équipe, ce qui, me semble-t-il, n'est pas acceptable et ne doit en tout cas pas être mis au premier rang et être la condition de la réponse ou de la non-réponse à la demande du patient.
Un autre élément, auquel Philippe Mahoux a également fait allusion, est le problème de la dignité du malade. Vous avez parlé du regard de l'autre, etc. Il y a quand même des cas, Madame, où la personne est libre de déterminer ce qui est sa dignité. Encore une fois, je fais référence non pas à l'histoire plus ou moins ancienne d'il y a un mois ou deux mais à des articles parus aujourd'hui dans La Dernière Heure, me semble-t-il, articles de Jean-Marie Lorent, qui prépare du reste un livre sur sa situation. Jean-Marie Lorent dit : « Je considère que je suis atteint dans ma dignité et je ne veux pas continuer. »
Il est partisan, comme vous le savez, de la proposition de loi sur l'euthanasie. Vous n'allez pas me dire qu'après autant d'affirmations de cette personne, un quelconque passage aux soins palliatifs peut régler ses problèmes ... Ce n 'est pas une question de manque de connaissances intellectuelles, ce n'est même pas un problème de mauvaises conditions pratiques. Je le connais, je lui ai rendu visite. Il y a là une question de dignité devant laquelle, me semble-t-il, il faut peut-être s'incliner un jour. Ne croyez-vous pas que dans de pareils cas, il faut en effet s'incliner et ne pas essayer de trouver des formules pour empêcher en quelque sorte la personne d'assumer sa propre destinée ?
J'en arrive au dernier point. Vous dites qu'il faut attendre qu'il y ait plus d'infirmiers et d'infirmières, plus de médecins, plus de personnes formées, plus d'argent, plus de soins palliatifs. Je sais tout cela. Vous reconnaissez vous-même qu'il y a des dérapages dus à l'épuisement, à la famille, aux pressions, etc. En attendant, que fait-on ? Vous dites que vous avez très peur de cette proposition de loi, mais n'avez-vous pas peur de la situation actuelle où tout se passe derrière un rideau, le samedi soir, parfois vous l'avez dit vous-même sans que l'équipe soignante soit avertie, entraînant éventuellement des réactions psychologiques et des drames ? On va attendre cinq ans, que tout soit bien, et on examinera alors dans quelle mesure et dans quelles conditions on pourrait éventuellement accepter l'euthanasie, étant entendu que si ces conditions ne sont pas réunies, l'euthanasie sera évidemment sanctionnée pénalement, ce qu'elle n'est actuellement que rarement. C'est effectivement une question fondamentale qui revient chaque fois et à laquelle j'aimerais que l'on me réponde à un moment donné. On ne veut pas cela. Alors quoi ? Rien. Attendre que le manteau de l'hypocrisie retombe sur ce problème et qu'on n'en parle plus ? Ce serait la pire des choses à présenter à nos compatriotes.
M. le président. Vous avez dit tout à l'heure que vous souhaitiez aussi l'avis d'une personne extérieure. Qui serait cette personne ? Comment la choisirait-on ? Quelle serait sa spécialité ? Quelle serait sa compétence ?
Mme Pesleux. En ce qui concerne les avis différents parmi le personnel infirmier, c'est très clair : nous faisons partie d'un hôpital public au sein duquel nous avons mené une réunion avec le cadre infirmier. Nous avons eu toute la gamme des opinions, des convictions personnelles, des expériences professionnelles. C'est une très grande richesse. Cette différence s'est exprimée au cours de nos réunions de cadre. J'ai pu constater qu'il y avait un avis commun en ce qui concerne la volonté de protéger le patient, le souci d'écouter sa demande, toutes sortes de principes et de valeurs auxquels nous nous rallions tous. Il est clair que dans la réponse que nous voulons fournir au patient, il y a, sur le plan des modalités pratiques, une division parmi le personnel infirmier. Je ne pense pas l'avoir nié, mais au plus les personnes sont proches de ces situations de patients en fin de vie, au plus elles sont prudentes et réservées par rapport aux mesures qui pourraient être prévues sur le plan légal. Je vous donne un exemple : j'ai dit que nous avions toute la panoplie des réactions dans notre groupe de cadre infirmier. Certains estiment qu'on ne peut pratiquement jamais pratiquer une euthanasie, d'autres estiment que chaque demande de patient mérite la réponse souhaitée. Les personnes les plus proches des situations de patients en fin de vie étaient celles qui souhaitaient que l'on mette le plus de garde-fous possible avant d'arriver à cette décision qui est évidemment irréversible. C'est ce qui motive naturellement notre prudence. Les infirmières ne parlent pas d'une seule voix quant aux modalités pratiques, mais bien quant à la défense du patient. C'est un élément auquel nous devons être très attentifs.
M. Philippe Mahoux. Vous avez la loyauté de le dire d'entrée de jeu. Vous avez dit que vous parliez à titre personnel en tentant de refléter une forme de diversité qui existait en termes d'opinion.
Mme Pesleux. Vous parliez de la réalité hospitalière connue. Je ne doute pas qu'il y ait des personnes dans cette assemblée qui connaissent bien le milieu hospitalier. Je voulais simplement rappeler combien il était difficile d'accompagner des patients en fin de vie dans ce milieu. Je pense que quand on légifère, il faut avoir cette difficulté présente à l'esprit. Une loi n'est pas désincarnée. Elle s'intègre dans une situation réelle.
Je suis désolée si je vous ai donné l'impression de porter un jugement moral. J'ai répertorié un ensemble d'éléments sur la base de situations vécues, que ce soit par moi-même ou par des infirmières qui ont bien voulu m'apporter leur témoignage. En ce qui concerne le sentiment de dignité, j'ai voulu dire que la notion de dignité était extrêmement différente d'une personne à l'autre. Des personnes peuvent parfois vivre dans des situations très difficiles, jugées indignes par les soignants, mais elles veulent vivre. Le contraire existe aussi. Parfois, on ne comprend pas pourquoi les personnes sentent une indignité à poursuivre leur vie alors que soi-même on se dit que l'on pourrait passer au-dessus de cela. C'est toute l'importance de la formation, pour prendre conscience de sa propre attitude, la mettre à distance et vraiment s'ouvrir à l'attitude du patient. J'ai simplement voulu dire que le sentiment de dignité était extrêmement difficile à cerner par rapport à tel patient en particulier. Chaque soignant qui a un contact avec le patient va apporter un morceau de ce puzzle pour nous aider à nous faire une image de ce que représente la dignité pour le patient. Cela me paraît être une démarche importante parce que l'on peut peut-être y porter remède ou en tout cas bien écouter le patient qui affirme qu'il se sent dans une situation d'indignité.
En ce qui concerne la douleur incoercible, je dirai que beaucoup de douleurs peuvent être traitées mais ne le sont pas. La première chose à faire est d'apprendre à traiter les douleurs, à prendre en compte la douleur des patients, à se dire que c'est une chose importante à laquelle il faut porter remède. Il reste toutefois des patients dont on n'arrive pas à traiter la douleur incoercible, même si on arrive à la soulager. Je pense qu'on peut toujours faire quelque chose pour diminuer cette douleur. Des différents témoignages que j'ai recueillis, il semble que la douleur incoercible soit rarement à la base de la demande d'euthanasie. On arrive à calmer suffisamment la douleur pour qu'une demande d'euthanasie puisse disparaître. Il s'agit plutôt d'une souffrance. La souffrance humaine est présente. Personne ne peut enlever à quelqu'un sa souffrance humaine. La seule chose que l'on puisse faire c'est la mettre à plat, l'accompagner, aider à la porter. Il est déjà très important d'être accompagné dans sa souffrance.
Personne ne peut ôter à un patient sa souffrance existentielle et celle-ci peut devenir intolérable.
M. Philippe Monfils. Ma dernière question portait sur les euthanasies pratiquées sans que le patient ne le demande. Dans vos propos, vous avez dit que la plupart des euthanasies étaient pratiquées dans ces conditions.
Mme Pesleux. Je parlais des euthanasies en milieu hospitalier.
M. Philippe Monfils. Sur quoi pouvez-vous vous baser pour dire cela ?
Mme Pesleux. Sur la simple observation. Quand on décide de donner un coktail lytique à un patient inconscient, pour lequel il n'y a pas de testament de vie, on fait une euthanasie sans demande de patient. Il s'agit d'un patient inconscient, certes, et c'est un autre problème. Quand on décide ce même type de traitement pour un patient qui exprime son désir de vivre, je pense qu'on n'a pas vraiment respecté le souci du patient.
M. Philippe Mahoux. Êtes-vous informée, comme unité palliative, de ce qui peut se passer dans l'hôpital lequel a fait un effort en termes de soins de santé même s'il faut faire davantage en termes de sécurité sociale en matière d'approche palliative, de prise en charge de la douleur de manière spécifique et d'euthanasie ? Avez-vous l'impression d'avoir cette information de manière complète ?
Mme Pesleux. Je n'oserais pas dire de manière complète, mais il est vrai que c'est un problème qui m'intéresse personnellement puisque je l'avais déjà évoqué lorsque j'étais responsable de la formation permanente. C'est un projet que j'ai aidé à faire naître et que je suis personnellement. Si je suis au courant de ce qui se passe dans l'hôpital, j'ai eu l'occasion, en vue de cette audition, de me dire que mon expérience personnelle était un peu lointaine et que je souhaitais reprendre contact avec ce qui se passait maintenant réellement sur le terrain. Je pense que l'ouverture de ce débat a permis qu'au niveau des infirmières, on me parle beaucoup plus librement qu'on ne l'aurait fait il y a un certain temps. Les situations qui ont été évoquées sont celles que je vous ai retransmises. Je pense avoir été relativement claire à ce sujet. J'ai été impressionnée, dans certaines unités, de voir combien la culture palliative avait percé, c'est-à-dire que les infirmières considèrent tout autrement aujourd'hui les patients qui sont en fin de vie. J'en donnerai quelques exemples au cours d'un petit huis clos tout à l'heure. Les infirmières accompagnent réellement les patients.
Il y a des unités encore totalement fermées à l'approche palliative et qui ne permettent pas que cette approche pénètre dans leurs services.
M. le président. Le chef de service est-il responsable, dans ce cas ?
Mme Pesleux. Cela peut dépendre du médecin ou des infirmières. Cela peut être une manière de faire historique. Il n'est pas étonnant que l'on progresse par étapes et plus rapidement dans certaines unités que dans d'autres.
Quant à la demande injustifiée, je me suis peut-être fait mal comprendre. Il n'y a pas de demande injustifiée de la part du patient. Ce qu'il demande doit être entendu et reconnu, c'est-à-dire qu'on doit lui indiquer qu'on a entendu sa demande mais la manière d'y répondre peut varier en fonction de ce qu'on a ressenti et décodé ensemble comme nécessités chez ce patient. Je ne me permettrais pas de juger ce que le patient demande.
En ce qui concerne l'amélioration de la communication entre médecins et infirmières, je dirais que le problème reste majeur. Je pense qu'il y a des évolutions dans certaines unités, entre autres grâce à la concertation sur ces questions de fin de vie, ce qui permet aux soignants de se rencontrer , sans relation de pouvoir ni de hiérarchie mais en cherchant ensemble comment apporter une amélioration de la condition du patient. Mais le problème de la communication à l'hôpital reste un problème majeur et particulièrement au sein des équipes de soins. Il était assez étonnant pour nous de constater dans l'enquête que la principale attente vis-à-vis des soins palliatifs était l'amélioration de la communication. On s'attendait à voir citer la douleur, par exemple. L'évolution se fait par la volonté des personnes qui sont sur le terrain et par la mise en place d'une certaine politique au niveau des directions médicale et infirmière pour essayer de rapprocher les médecins et les infirmières et pour organiser un peu plus de contacts entre eux.
Quant à l'écoute et les dispositifs mis en place, il y a une possibilité pour le personnel de l'hôpital de bénéficier de certaines formations internes telles que celles que M. Galand a évoquées avec exercices, jeux de rôle et situations concrètes. Il existe aussi des formations extérieures auxquelles certaines personnes se sont inscrites. Il s'agit de formations plus complètes et plus longues. Elles permettent de se familiariser avec ce processus d'écoute. Ces possibilités constituent une porte ouverte mais ne peuvent être offertes à la majorité des soignants.
M. Paul Galand. Ont-elles lieu pendant les heures de travail ?
Mme Pesleux. Oui, c'est considéré comme des heures de travail.
M. le président. Que pouvez-vous répondre à l'inquiétude de M. Galand concernant les dossiers vides de toute annotation ?
Mme Pesleux. On sait que les médecins et les infirmières n'aiment guère écrire. Plus les personnes se sentent à l'aise par rapport aux décisions qu'elles prennent, plus elles éprouvent le besoin de communiquer aux équipes suivantes et de mettre des annotations claires dans les dossiers. Cela permet d'éviter ces situations de week-end ou de nuit où des décisions parfois désastreuses sont prises, incohérentes par rapport à l'attitude qui a été décidée.
Je dirai que pas mal d'études ont été faites concernant la durée de séjour pour tenter de prendre en charge cette dimension sociale des patients dans les hôpitaux publics et de faire comprendre que lorsque des patients sont dans des situations aussi précaires à tous points de vue, il est normal que les durées de séjour s'allongent. Toutefois, l'intégration de cette dimension dans le financement n'est pas encore complète.
M. le président. M. Monfils s'interrogeait sur votre représentativité.
Mme Pesleux. J'ai été partiellement précise sur ce point dans ma réponse à M. Mahoux, dans la mesure où je m'exprime au nom d'un certain nombre de personnes soucieuses des patients et des valeurs qu'ils veulent défendre. Quant aux modalités pratiques, je l'ai dit, il y a dans nos hôpitaux je ne me suis pas contentée de notre hôpital une réelle diversité d'attitudes.
Il est clair que tout n'était pas merveilleux auparavant. J'ai simplement voulu dire qu'en raccourcissant les durées de séjour, ce qui était une solution par rapport au laxisme précédent, je comprends bien l'impératif financier on a terriblement concentré et alourdi la charge de travail. Tous les patients sont des patients lourds et ils nécessitent tous un temps de soins important. La charge en soins est beaucoup plus importante avec le même nombre de patients.
M. Philippe Monfils. J'avais aussi posé la question relative au débat au sein de l'équipe soignante.
Mme Pesleux. J'ai simplement voulu vous alerter en soulignant que dans les équipes qui fonctionnent bien, où la parole est libre, où chacun peut avoir sa représentation personnelle du besoin du patient, quand on ne parvient pas à un certain consensus c'est une observation c'est qu'on n'a pas analysé tous les éléments. Le médecin n'est pas tenu par le consensus de l'équipe. Néanmoins, je pense qu'il y fera attention si des arguments lui semblent pertinents. Il n'y a pas à décider en équipe que la demande d'un patient est injustifiée. Il faut essayer de rassembler des pièces de puzzle et si rien ne s'assemble, sans doute manque-t-il l'un ou l'autre élément d'information qu'il faut tenter de rechercher.
M. Philippe Monfils. Je me pose simplement la question de savoir, Madame, si les infirmières sont de taille à assumer une coresponsabilité dans la décision d'euthanasie.
Mme Pesleux. Non.
M. Philippe Monfils. Vous aurez beau dire que c'est le médecin qui le fait, à partir du moment où vous dites que s'il y a discussion à l'intérieur de l'équipe, on ne le fait pas et qu'on le fait s'il y a consensus, l'infirmière est-elle là pour assumer la coresponsabilité ?
Mme Pesleux. Non.
M. Philippe Monfils. Je crois que ce n'est pas le rôle de l'infirmière et que, quelle que soit sa formation, elle ne peut pas l'assumer parce que c'est trop lourd pour elle. C'est le médecin qui, en dernière analyse, en tenant compte bien entendu de l'autonomie du patient, décide. Elle peut bien entendu donner un éclairage dans le débat et un sentiment, mais pas assumer une sorte de coresponsabilité.
Tout le monde connaît des membres du personnel infirmier et certains ne sont pas prêts du tout à assumer ce type de responsabilité et estiment que ce n'est pas à eux de le faire.
Mme Pesleux. Je ne le pense pas non plus mais l'infirmière qui a reçu la confidence d'un patient , qui a capté quelque chose, qui voit que sa douleur n'est plus aussi bien soulagée ... que fait-elle de cette information ? Elle l'apporte au sein de l'équipe qui va se concerter pour tenter de trouver une solution. La concertation consiste à faire converger toutes les informations pour que le médecin puisse décider dans l'intérêt du patient. Il ne s'agit pas de coresponsabilité. Je pense que quelqu'un doit décider, dans tout groupe.
M. Philippe Monfils. Vous dites vous-même que les lois peuvent être mal interprétées. Vous savez très bien que dans notre pays, entre la concertation obligatoire et la codécision, il n'y a que l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. C'est là que réside le danger si l'on impose une concertation dans tous les cas avec tous les membres de l'équipe soignante. Ce jour-là, vous institutionnalisez le débat et vous aboutissez à une coresponsabilité. Il y aura un débat politique à cet égard. Je voulais simplement mettre l'accent sur ce point important du débat.
M. le président. Que pensez-vous du cas de M. Jean-Marie Lorent ?
Mme Pesleux. Pouvez-vous préciser votre question ?
M. Philippe Monfils. Vous avez dit que la dignité est aussi parfois fonction du regard de l'autre. Je dis qu'il y a des personnes qui peuvent déterminer elles-mêmes les conditions de leur dignité et le choix de leur propre vie. Je fais référence à ce cas puisqu'il a fait l'objet d'articles de presse. Imaginez-vous que quelqu'un puisse se substituer à lui dans l'appréciation qu'il fait de sa propre dignité ? Je pense que non. Lui seul est capable de dire jusqu'où il peut aller.
M. le président. Il va tenir une conférence de presse demain, je crois.
Il y a une notion de dignité qui est propre à l'être humain et qui ne peut en aucun cas être considérée comme une notion relative qui passerait par une espèce d'analyse collective d'autres personnes.
Mme Pesleux. Je vous rejoins tout à fait. J'ajouterais que la situation des patients en fin de vie en milieu hospitalier est assez différente de celle d'autres types de patients incurables, me semble-t-il. Il y a une condition physique particulière qui imprègne le patient et qui fait que la situation est différente de celle que vous évoquez.
Vous m'avez demandé s'il fallait attendre. Vous avez vu que nous n'attendons pas puisqu'il est certain que nous progressons. Il faut avancer. Quelqu'un a dit au cours de ces auditions que la proposition de loi sur l'euthanasie était la partie visible de l'iceberg. Nous le ressentons très profondément. On s'efforce de répondre au mieux à la demande d'un patient qui demande l'euthanasie. En-dessous de cette partie visible, il y a tout l'iceberg qui représente l'ensemble des droits du patient qui ne sont pas du tout rencontrés. Le patient n'est pas nécessairement informé de l'intervention ou de l'examen qu'il va subir, il n'est pas vraiment libre de refuser ou d'accepter. Ce sont des problèmes globaux sur lesquels se greffe bien évidemment le problème de la demande d'euthanasie. On va se préoccuper d'une demande qui reste malgré tout marginale en quantité. Je n'ai pas du tout voulu donner l'impression que nous allions attendre. Mais il y a peut-être des choses qui doivent se faire avant d'autres. Il y a peut-être une séquence logique, me semble-t-il.
M. Philippe Monfils. Excusez-moi, mais je ne vois pas très bien la différence qu'il y a entre attendre et avoir une séquence logique. Vous savez, en effet, très bien que si l'on veut développer le budget en matière de soins palliatifs, de formations, si l'on veut augmenter le nombre d'infirmières et si l'on veut permettre aux médecins d'avoir le temps de parler avec le malade, tout cela entraîne une augmentation considérable des moyens. Ce n'est donc pas en trois mois qu'on le fait.
En ce qui concerne la partie visible de l'iceberg, ne croyez-vous pas que c'est le cas dans toutes les activités humaines qu'on essaie de rencontrer ? Vous me direz que cela n'a rien à voir, mais lorsque l'on s'intéresse aux faits de délinquance, il est bien évident que si tout le monde était riche, en bonne santé, parfaitement éduqué, venant d'un excellent milieu, il est probable que la criminalité reculerait.
M. Josy Dubié. Pas la criminalité financière !
M. Philippe Monfils. Est-ce pour autant qu'il ne faut pas s'occuper de ce problème ? Ici aussi, il y a incontestablement des dysfonctionnements, mais pourquoi, à propos de l'euthanasie, fait-on maintenant la liste de tous les dysfonctionnements en milieu hospitalier et en dehors, chose que l'on n'a jamais faite jusqu'à présent ? Ce n'est pas le but de la proposition de loi sur l'euthanasie de remédier à l'ensemble des difficultés budgétaires, de formations et autres. Je suis parlementaire depuis un certain nombre d'années, même si j'ai connu une petite parenthèse comme parlementaire européen. J'avoue que je n'ai jamais entendu autant de fois mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements. L'argument que l'on donne toujours pour attendre la discussion et le vote éventuel de la proposition sur l'euthanasie est de dire qu'en réglant ces problèmes, tout ira mieux. Il ne faut pas non plus en arriver, à propos de ce débat-ci, à ouvrir tous les débats que l'on a ouverts partiellement dans le domaine de la santé depuis un certain nombre d'années.
M. Josy Dubié. Comment voyez-vous la personne extérieure ? Quelle est sa compétence ? Qui est cette personne extérieure ?
Mme Pesleux. C'est une notion apparue lorsque j'ai tenté de récolter un certain nombre d'avis en vue de la présente audition. Quelqu'un a parlé de cette personne extérieure en disant qu'il y a des moments où on est tellement impliqué dans les situations que, quand une demande d'euthanasie semble confirmée, il serait intéressant d'avoir un éclairage extérieur.
Par la suite, j'ai reparlé de cette possibilité à d'autres personnes que j'ai rencontrées. Je me suis rendu compte qu'elle suscitait immédiatement l'adhésion, ce qui m'a étonné. Cette personne extérieure, suivant ce qui est proposé, peut recouvrir des identités très différentes. Certains ont parlé d'un psychologue qui pourrait éclairer la démarche et veiller à ce que ce ne soient pas des objectifs personnels qui fassent pencher la décision.
D'autres, les plus nombreux, ont parlé de juristes, d'hommes de loi, pour garantir que la procédure soit bien suivie. D'autres encore ont parlé de membres du comité d'éthique. Finalement, des personnes ont proposé une instance. C'est donc un débat qui s'est enrichi au fur et à mesure des contacts que j'ai eus mais pour lesquels l'éclairage extérieur, à un moment donné de la décision, remportait une grande adhésion.
Mme Clotilde Nyssens. Ce qui a retenu mon attention dans le document que vous nous avez donné, c'est la charte des droits des patients en fin de vie. Qui a rédigé cette charte ? Est-ce que ce sont les infirmières seules ou en collaboration avec les médecins ? J'ai en effet perçu au cours de votre exposé un certain rapport de force entre infirmières et médecins. N'avez-vous jamais dû vous battre pour avoir une juste place dans l'hôpital par rapport au pouvoir médical ? Tous ces droits du patient ne sont-ils pas une réaction légitime par rapport à une médecine un peu vitaliste ? Vous avez d'ailleurs dit qu'un grand nombre de demandes d'euthanasie s'exprimaient lorsqu'il y avait acharnement thérapeutique. J'ai cru comprendre que la médecine s'acharnait moins maintenant. Cette charte est peut-être l'expression de la juste place du patient dans l'hôpital par rapport à l'infirmière mais surtout par rapport au médecin. Cette charte est-elle remise au patient quand il entre à l'hôpital ? Est-elle affichée ? Le contenu est-il apprécié par les médecins ? Cette charte commence par la phrase suivante : « J'ai le droit d'être traité comme un être humain jusqu'à ma mort, de vivre ma vie jusqu'au bout dans la dignité et le respect. » Elle se termine en disant que le patient a le droit de vivre la fin de sa vie à son rythme. J'ai l'impression que ceci est une affirmation contre des fins de vie qui ont été abrégées trop souvent de manière clandestine. Votre souci principal est donc de lutter contre les euthanasies clandestines ou la manière dont on traite le patient sans prendre en compte ses droits. Une de vos priorités est donc de faire valoir ces chartes. Ces chartes sont-elles suffisamment développées dans les hôpitaux ? Suffit-il que chaque hôpital rédige sa charte ou souhaitez-vous une plus grande valeur reconnue, donc juridique ? Le Code de déontologie des médecins devrait-il contenir un chapitre sur les droits des patients ? Vaudrait-il la peine de donner une force juridique plus grande, par le biais d'un arrêté royal par exemple, à cette charte ?
Vous avez parlé de l'évolution de la patientèle. Est-ce que l'évolution de la demande des patients est liée à une évolution de la société où, justement, il y a deux tendances significatives ? Vous mettez en avant des circonstances d'abandon et d'isolement de certains patients. Par contre, vous évoquez l'exigence d'une maturité plus grande des patients qui disent avec soin ce qu'ils veulent et peut-être un individualisme plus prononcé dans une conscience plus grande de ce que l'on désire pour sa propre mort. Voyez-vous cette évolution « anthropologique » de la demande des patients au travers de ces deux prismes ?
Mme Nathalie de T'Serclaes. Comme d'autres avant vous, vous avez fait allusion au « droit du patient », à savoir que la parole lui soit donnée dans la structure hospitalière, endroit où il a le plus de mal à être entendu en tant que personne, et qu'il ne soit pas considéré comme un numéro ou un dossier médical. Je crois fondamentalement à la nécessité de donner au patient un certain nombre de droits propres. C'est, à mon sens, le seul moyen pour lui d'être entendu au sein de l'hôpital.
Quels éléments intégreriez-vous dans ce « droit du patient », en particulier du patient en fin de vie ? Comme M. Galand, j'ai été frappée par le fait que des dossiers médicaux pouvaient être vides. Je trouve cela inacceptable. Le « droit du patient » devrait prévoir l'établissement d'un dossier reprenant tous les soins dont le malade a bénéficié en fin de vie, ne fût-ce que pour pouvoir contrôler les abus éventuels, ainsi qu'une possibilité de contrecarrer le médecin dans les cas d'acharnement thérapeutique tels que ceux que vous avez évoqués. Comment intégreriez-vous ces éléments dans une loi relative au « droit du patient »?
Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité d'entendre et de décoder les demandes en précisant que vous n'aviez pas le temps de le faire. D'autres services que les soins palliatifs sont confrontés à des demandes d'euthanasie. En soins palliatifs, on dispose de plus de temps mais dans les autres services, comment le personnel infirmier, complètement débordé, pourrait-il procéder à ce décodage ? Vous avez cité l'exemple d'une personne qui doit veiller la nuit sur trente patients et de médecins qui courent d'un lit à l'autre.
Ensuite, que pensez-vous de l'idée du docteur Clumeck qui évoquait plutôt une instance en matière de concertation ?
Enfin, on pourrait poursuivre ceux qui, aujourd'hui, euthanasient, sans demande préalable, des patients en majorité inconscients. Pourquoi tout cela reste-t-il dans l'ombre et pourquoi n'y a-t-il personne, au sein de l'hôpital, qui trouve cela anormal ?
M. Hugo Vandenberghe. D'abord et avant tout, je voudrais dire combien j'apprécie l'exposé que nous venons d'entendre. J'ai trouvé aussi très intéressant l'exposé précédent, sur lequel je n'étais pas d'accord, mais j'apprécie surtout le dernier, sur lequel je suis au contraire d'accord, parce qu'il fait bien apparaître la complexité du problème. L'avantage des gens qui sont dans la pratique et qui ont côtoyé la problématique pendant des années est qu'ils sont en mesure d'apporter un témoignage profondément humain sur les problèmes auxquels ils sont confrontés et qu'ils savent mieux évaluer les risques d'abus. L'idée selon laquelle on ne doit pas considérer seulement la relation patient-médecin, mais bien le contexte hospitalier global, y compris la famille, a été formulée aussi dans d'autres débats. Personnellement, je n'y avais pas pensé, mais ce n'est effectivement pas dans une relation « atomique » que l'on demande l'euthanasie, demande à laquelle on répond alors.
À ce propos, j'ai une question. Quelqu'un qui travaille dans un grand hôpital provincial de Flandre m'a dit que nous pouvions difficilement nous faire une idée de la manière dont la prise de décision médicale peut être influencée dans un hôpital. Dans un cas sur deux, le mourant est en situation de querelle avec son partenaire ou un de ses enfants. La demande d'euthanasie peut être influencée en l'occurrence par le conflit dans lequel le patient se trouve.
Ce chiffre m'est resté. Vivons-nous dans une société dans laquelle, ainsi que le Corriere della Sera l'écrivait hier en lettres majuscules dans un éditorial, l'individualisme triomphe massivement, de sorte que les conflits entre individus rendent problématique l'expression du souhait de mettre un terme à sa vie ?
Par ailleurs, je voudrais souligner qu'il y a effectivement une différence entre la valeur de la personne et la perception subjective de cette valeur. Je peux en effet parfaitement porter sur moi-même un jugement de valeur relativement négatif. Des gens peuvent se percevoir eux-mêmes comme sans valeur, mais sont-ils pour cela sans valeur pour la société ? Ce sont deux questions différentes.
Je ne veux pas faire des rapprochements polémiques, mais chacun sait par les témoignages sur le nazisme en Allemagne qu'un certain nombre de classes qui étaient persécutées par le système ont fini par se trouver elles-mêmes sans valeur. Par suite de l'endoctrinement social, elles devenaient incapables de se concevoir comme ayant de la valeur. Aujourd'hui aussi, il y a un certain endoctrinement social, ne serait-ce que par la représentation visuelle de ce qu'est le bonheur. Cela ne veut évidemment pas dire que nous ne devons pas faire face aux questions relatives à la décrépitude de la personne. Nous devons y apporter une réponse adéquate et humaine.
Madame, vous savez que la proposition du CVP et du PSC contient le contrôle externe a priori. Je ne me prononce pas pour l'instant sur le point de savoir qui doit concrétiser la chose. Mais j'ai retenu et j'ai trouvé cela nouveau que vous avez déclaré pouvoir vous investir à ce point dans la situation que vous n'étiez plus en mesure de juger objectivement. Cela rejoint le principe selon lequel on ne peut être à la fois juge et partie.
L'équipe soignante participe dans une telle mesure à la vie du patient qu'elle finit en un sens par avoir partie liée et qu'elle peut perdre de vue un certain nombre d'éléments objectifs.
Or, on dit souvent à l'adresse des défenseurs du contrôle externe que leur approche est impraticable. On n'aurait pas le temps d'examiner tout cela. La demande d'euthanasie serait formulée dans une telle urgence qu'une appréciation plus approfondie n'est pas possible.
Est-il exact que lorsque des patients réclament l'euthanasie, on n'ait plus le temps de s'interroger davantage sur cette demande ou de l'apprécier ?
D'autre part, j'ai encore une question sur le moratoire dont il est question dans la déclaration des infirmiers cadres de l'hôpital Brugmann. Dans 99 % des pays du monde, à tort ou à raison, la loi sur l'euthanasie n'est pas à l'ordre du jour. Ce moratoire est-il, selon vous, nécessaire parce que sans cela, la croissance et le développement des services de soins palliatifs seraient ralentis ou entravés ?
On a souligné qu'aux Pays-Bas, les soins palliatifs étaient beaucoup moins développés parce que l'euthanasie y est déjà autorisée dans une certaine mesure depuis les années 80. Pensez-vous que l'adoption rapide d'une loi sur l'euthanasie rende impossible les soins palliatifs en tant que solution alternative raisonnable ?
Je ne sais pas si le témoin a beaucoup de contacts internationaux. Mais les mêmes questions ne se posent-elles pas dans les autres pays et les gens n'y ont-ils pas les mêmes préoccupations ? Dans ces pays où aucune initiative législative n'est prise, est-on donc aveugle et sourd à la souffrance et aux carences humaines ? Peut-on soutenir cela ou y a-t-il d'autres raisons au grand problème qu'il y a là ?
J'ai encore une question sur l'interruption de vie non sollicitée. Dans ce cas, je ne peux pas parler d'euthanasie, car la demande fait partie, par définition, de l'euthanasie.
Le témoin a déclaré que dans notre pays, il est parfois mis fin sans demande à la vie lorsque l'on a affaire à un patient mentalement incapable, mais aussi dans le cas d'un patient capable, ce qui constitue naturellement une circonstance aggravante. De quels cas s'agit-il concrètement ? Dans quelle situation se trouve la personne incapable de manifester sa volonté ? S'agit-il d'un patient en coma depuis des mois ? Le grand problème des chiffres sur l'interruption de vie non sollicitée est que nous n'avons aucune vue concrète de ces cas, ce qui ouvre la porte à toutes sortes d'extrapolations qui sont particulièrement hasardeuses. Le témoin peut-elle, sur la base de son expérience, préciser dans quelles situations concrètes l'interruption de vie est envisagée ?
M. Jan Remans. J'apprécie l'énumération systématique qu'a faite Mme Pesleux des raisons pour lesquelles l'euthanasie est demandée. Je regrette par contre que la question n'ait été abordée qu'au cours de la discussion. Ce qui est nommé très précisément « détresse » ou « souffrance » ne figure toutefois pas sur la liste et je suppose qu'elle complétera celle-ci après la discussion que nous venons d'avoir.
Ma question est la suivante : comme vous le dites, nous sommes généralement en mesure de contrôler la souffrance physique, mais ce que je ne retrouve pas dans votre schéma, c'est l'épuisement total des patients agonisants ainsi que la détresse respiratoire. Il y a des gens qui étouffent d'un oedème du poumon. Ne trouvez-vous pas qu'il y a d'autres facteurs plus importants et moins bien gérables que la douleur physique ?
En regard de l'autonomie du patient, vous placez l'archarnement thérapeutique dans lequel les motifs économiques jouent un rôle. Mais des raisons sociales ne jouent-elles pas un rôle également ? Le professeur Vandenberghe a déjà fait référence à la famille. Les bonnes intentions des membres de la famille peuvent conduire à des réactions divergentes. Il arrive chaque semaine que deux enfants qui sont très préoccupés par la situation de leur mère réagissent de manière totalement différente. Ces raisons sociales sont très importantes et pas nécessairement la conséquence d'une dispute. Au départ d'une même attitude de compassion, on aboutit parfois à des points de vue différents. Selon moi, il y a encore un troisième facteur d'ordre moral. Il arrive en effet que des gens demandent eux-mêmes l'acharnement thérapeutique parce qu'ils ont peur de l'au-delà. Comment réagissez-vous à cela ?
Mme Pesleux. Ce qui me paraît vraiment intéressant, c'est que la charte des droits du patient en fin de vie est venue du terrain. Elle est née de la constatation qu'il existait un abandon des patients en fin de vie. Nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire. Nous nous sommes donc régulièrement réunis avec des personnes du terrain afin de déterminer les besoins et d'y fournir des réponses, en modifiant notre attitude. Tel était donc l'intérêt de cette charte qui est extrêmement simple et pragmatique.
Vous demandiez si elle était affichée ou remise aux patients. Puisqu'il s'agissait d'une charte des patients en fin de vie, elle n'était pas donnée comme telle mais elle nous a guidés dans un certain nombre d'actions qui nous ont permis d'améliorer les situations, que ce soit du point de vue de l'organisation ou de l'écoute. De plus, cette charte a bien entendu été transmise à l'unité de soins palliatifs, dès que celle-ci a été créée, afin qu'elle soit incluse dans la formation. Nous nous sommes donc nourris de cette charte mais elle n'a pas vraiment été affichée ou diffusée parmi les patients. Il faut savoir que nous travaillons maintenant aussi, au sein du réseau Iris, à une charte de tous les patients afin de tenter de rendre ces derniers conscients qu'ils ont des droits et de rappeler ces droits aux soignants. Chacun a bien entendu des droits et des devoirs.
En ce qui concerne le rythme, il y a bien sûr le fait d'abréger la vie. Mais il est peut-être essentiel en fin de vie, et c'est peut-être une des choses les plus importantes que les unités localisées de soins palliatifs peuvent apporter , de permettre au patient de vivre à son rythme, de trouver un autre rythme que celui de l'effervescence hospitalière : donc à la fois le rythme de la journée, mais aussi le rythme de la réflexion. Je crois que, lorsqu'il existe des possibilités curatives, nous ne pensons qu'à la guérison du patient et le reste passe à l'arrière-plan. Mais cela bascule lorsque le patient est en fin de vie. À ce moment-là, son propre rythme est très important.
Vous avez parlé de l'identité infirmière. Il est clair que c'est un combat, surtout vis-à-vis de nous-mêmes : ce n'est pas tellement un combat vis-à-vis des autres. C'est prendre conscience de notre identité et la vivre. C'est une réflexion que nous avons menée voici trois ans, au sein de l'ensemble du département infirmier, où, du haut en bas de l'échelle hiérarchique, nous nous sommes réunis afin de nous interroger sur la question : « Qu'est-ce que le soin pour moi? » C'était assez difficile de lancer cette réflexion.
Finalement, cela a été extrêmement poignant, dans la mesure où nous avions l'impression de retrouver nos racines, de retrouver pourquoi nous avions choisi ce métier et de réfléchir aux valeurs que nous voulions défendre en matière de soins aux patients. La synthèse de tout cela, c'est la philosophie de soins que vous pouvez lire dans vos documents. Il s'agit de notre identité telle que nous l'avons perçue. Aujourd'hui, je pense que cette réflexion nous influence car elle tend à rendre l'infirmière aux soins. C'est cela qui doit constituer son identité. Avant d'être un combat contre les autres, c'est peut-être aussi un combat au sein de notre propre profession.
L'évolution de la patientèle a modifié l'ambiance en milieu hospitalier dans des sens extrêmement divers. En effet, certains patients sont de plus en plus lourds, de plus en plus dépendants. Mais d'autres sont de plus en plus exigeants, que ce soit du point de vue de la qualité ou du discours. Peut-être s'agit-il d'un individualisme plus prononcé, mais c'est peut-être aussi une plus grande maturité des patients. En fait, toutes ces situations sont extrêmement mélangées. Mais la charge est de toute façon plus lourde, que ce soit pour les patients qui s'abandonnent davantage et qui sont dans des situations beaucoup plus précaires à tous points de vue, ou pour les patients qui sont plus exigeants quant à la qualité des soins.
Quant au contenu des droits du patients, le premier me semble être de considérer le patient, s'il le souhaite, comme un partenaire dans sa guérison ou dans son parcours hospitalier, c'est-à-dire d'abord l'informer, puis l'écouter pour voir ce qu'il fait ou souhaite faire de l'information qu'il a reçue. Il devrait y avoir en quelque sorte un contrat entre le patient et l'hôpital ou le médecin à propos du projet thérapeutique. Le plus important, c'est la première étape, l'information du patient.
Y a-t-il un paradoxe entre le décodage de la demande et le fait que nous courrions comme des fous ? C'est représentatif de la vie. Dans les exemples que j'ai cités, nous constatons, d'une part, les difficultés qui se dressent mais, d'autre part, nous voyons des équipes qui parviennent à gérer des situations très difficiles en donnant un accompagnement de qualité aux patients.
Je suis toujours extrêmement impressionnée de ce que les équipes arrivent à faire avec les moyens dont elles disposent et avec la charge qui est la leur. Il y a des accompagnements de patient, pas nécessairement en fin de vie, pour lesquels on se demande où les équipes trouvent leurs ressources pour développer des projets pour améliorer le bien-être des malades. Le paradoxe n'est qu'apparent dans la mesure où la situation est difficile et empêche certains dialogues mais, la contrebalançant, il y a la force et la motivation de la plupart des soignants. Nous vivons en équilibre entre les deux.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Les concertations à propos des cas les plus difficiles se font-elles tous les jours ? Ces concertations sont-elles possibles dans les services normaux ? Cela semble important pour plusieurs intervenants.
Mme Pesleux. Dans certains endroits, cela se fait toutes les semaines : tout le monde se retrouve pour examiner l'ensemble des cas. Dans d'autres unités, aux soins intensifs par exemple, c'est plus ponctuel, quand un problème se pose, la concertation se fait rapidement de manière impromptue. Il y a au niveau du personnel infirmier qui assure la permanence des moments de remise de service. Nous essayons d'aménager un temps pour cela. Ainsi, quand l'infirmière de nuit termine sa nuit, un temps de remise de service avec l'équipe de jour est prévu, de même le soir, de sorte que même si les personnes ne sont plus présentes, ce qu'elles ont capté de l'état du patient soit transmis. Nous essayons aussi que ces observations soient transcrites dans le dossier infirmier. Nous rencontrons là le même problème qu'avec les médecins. Il faut écrire pour qu'il y ait continuité, même si le rapport oral est important.
Quant à l'instance extérieure proposée par le docteur Clumeck, cette réflexion est récente. Elle vient de ce que s'il semble y avoir intérêt à ce que la personne extérieure soit un psychologue, un éthicien ou un juriste, pourquoi ne pas créer une instance ? En tout cas, nous avons besoin d'aide.
La situation où une euthanasie est pratiquée sans qu'il y ait demande du patient peut se produire partout. Je ne suis pas la première à le dire. Pourquoi ne poursuit-on pas ? La force du tabou est extrêmement importante mais un débat comme celui-ci permet de parler. C'est très positif. Désormais, on osera parler plus facilement de ces pratiques-là. Les soignants vivent en équipe. C'est l'équipe qui permet aux infirmières de survivre. Il est pénible, inhumain et même suicidaire de se mettre à l'écart de l'équipe pour dénoncer des pratiques. D'autant plus qu'il est difficile de discerner ce à quoi on peut se référer puisqu'il n'y a pas vraiment de réflexion sur la manière de gérer ces fins de vie. Il y a le risque de se trouver seul à penser de cette façon. C'est tout un ensemble. En parler, clarifier, proposer, voir si cela correspond à une réalité sont des démarches qui vont faire avancer le débat finalement.
Le patient est-il influencé ? Oui, je pense que toute personne peut être influencée par une autre personne et, en particulier, par ses proches. Les équipes de soins palliatifs disent : « Nous n'arrêtons pas de faire circuler la parole entre les soignants, le patient et les différents membres de la famille. » Il est possible que les membres de la familles aient des convictions diverses et qu'ils soient à des stades inégaux d'acceptation de la mort. Certains dénient la mort, d'autres l'ont déjà acceptée, d'autres encore se révoltent. Le fait que la famille et le patient en soient à des stades parfois antagonistes est un motif de conflit assez douloureux en fin de vie. L'équipe des soins palliatifs doit être à l'écoute du patient et de la famille. La famille a, pour nous, le double rôle de soignante et de soignée, soignante parce qu'elle est proche du patient, soignée parce qu'elle est également en souffrance.
La même attention est donc portée à la famille et au patient. Nous essayons de refaire circuler la parole entre eux. C'est un travail qui demande du temps.
Y a-t-il du temps pour prendre un avis extérieur ? Comme Mme Diez ce matin ou le docteur Clumeck, je crois que si, dès le début de l'hospitalisation ou même avant, la relation s'enclenche bien, tout se passera plus facilement. Parfois, des situations d'urgence ont été gérées positivement parce que la relation avec le patient était bonne, la confiance était établie. Dans ce cas, on peut prendre des décisions en urgence.
En ce sens, la question de l'euthanasie rejoint celle des droits du patient. Si, depuis le début de son hospitalisation, on l'informe, on le respecte, on établit une relation de partenaire avec lui, alors, en bout de course, en fin de vie, on bénéficiera de tout cet apport pour éclairer la décision à prendre parfois en urgence. En général, on a le temps de réfléchir.
La crainte de M. Vandenberghe que la dépénalisation n'ait une influence à la baisse sur la qualité et la quantité des soins palliatifs est partagée par les équipes de soins palliatifs. Il y a à nouveau une séquence logique : les droits du patient en général, les droits du patient en fin de vie et donc l'accompagnement palliatif, dont émerge finalement un certain nombre de demandes d'euthanasie qui n'ont pas disparu malgré les soins palliatifs. Il y a une progression et il est difficile de prendre la dernière étape sans considérer d'abord la première.
M. Hugo Vandenberghe. Le responsable du service des soins palliatifs de l'hôpital Gasthuisberg à Louvain nous a donné un aperçu du traitement des cas de décès au cours des trois dernières années. Cela nous permet de déterminer dans combien de cas les soins palliatifs ont été utiles pour combattre la douleur ou éliminer la demande d'euthanasie. Y a-t-il eu une étude comparable à l'hôpital Brugmann ? Peut-on déterminer pour quelle partie des décès non soudains il s'est posé un problème de lutte contre la douleur et dans combien de ces cas les soins palliatifs n'ont pas permis de faire face à cette donnée ?
Mme Pesleux. Nous n'avons pas ces informations à disposition. L'équipe des soins palliatifs est une équipe de seconde ligne. Il y a donc un très grand respect de la demande qui doit venir du patient, de la famille, des soignants ou du médecin. L'équipe des soins palliatifs répond en fait à cette demande. C'est une nécessité pour que celle-ci soit acceptée, pour permettre de diffuser cette culture palliative au sein de l'hôpital. Pour tout ce qui se passe en dehors, nous n'avons pas d'informations précises.
En ce qui concerne d'éventuels contacts avec l'étranger pour pouvoir établir des comparaisons, je dirai que d'autres personnes que moi sont peut-être plus compétentes pour répondre car mon information n'est pas suffisante.
(La suite de l'audition a eu lieu à huis clos).
Mme Nadine Vanthournout. Depuis les 9 et 10 décembre 1997, quand l'euthanasie a été discutée pour la première fois au Sénat, on a dit et écrit déjà tellement de choses qu'il devient difficile d'apporter encore des éléments nouveaux. Chargée de l'assistance dans tous ses aspects et modeste maillon dans ce problème considérable, je voudrais me pencher un moment sur ce à quoi je suis confrontée quotidiennement. Je n'ai pas à émettre d'opinion sur l'aspect médical et l'aspect juridique, car je sortirais de mon terrain d'activité. Mon intention est de vous introduire dans le monde de l'humain, entendez le monde du patient lui-même.
Je ne puis vous entretenir que de l'expérience que j'ai des patients malades ou se trouvant en phase terminale, et non par conséquent des patients admis dans le coma en soins intensifs à la suite d'un accident de la route ou d'un traumatisme. C'est une tout autre approche. Mes patients sont des gens qui sont un jour venus à l'hôpital avec l'un ou l'autre problème; il peut s'agir d'un affaiblissement, d'un amaigrissement, d'une toux, d'une nodosité, ..., a priori dans l'espoir d'être aidé. L'idée d'avoir une maladie fatale n'est pas présente ou ne l'est que vaguement. On pense toujours que cela arrive aux autres jusqu'à ce que l'on s'entende dire, après les premiers examens, qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec notre corps. C'est à ce moment que se situe le premier ébranlement psychologique. On est inquiet et on se pose des questions, mais on n'obtient pas d'informations concrètes. On s'entend seulement dire que d'autres examens sont nécessaires pour poser le diagnostic exact. À ce moment, le médecin ou l'infirmier est souvent la première personne à laquelle on demande si l'on aurait quand même pas un cancer.
Que fait-on à ce moment-là ? On se met à l'écoute du patient et on le rassure sans lui donner de faux espoirs. Tout est encore possible et la situation relève de la compétence du médecin.
Lors du deuxième accueil, on effectue souvent des interventions qui permettent de poser un diagnostic exact. C'est un moment très difficile pour le médecin et pour l'équipe : ils doivent déterminer comment communiquer le diagnostic au patient. Dans quelle mesure celui-ci est-il capable d'encaisser ? Pourra-t-il faire face ? Veut-il ou non entendre la vérité ? Je donne un exemple. Après avoir fait une scopie avec biopsie à un patient, le médecin lui dit que la biopsie était positive. Lorsqu'ensuite l'infirmier demande au patient comment ça c'est passé, celui-ci répond : « Ça va bien car le résultat est positif ». L'interprétation du patient diffère donc parfois très fort de ce que le médecin a voulu communiquer.
Nous constatons souvent qu'il est difficile d'annoncer la mauvaise nouvelle parce que le patient n'est pas prêt à l'entendre et qu'il essaie toujours d'ignorer ce qu'il en est vraiment. L'infirmier a alors la tâche très importante d'édifier la relation de confiance et de soutien dont le patient aura besoin dans son espoir de guérison et pour supporter examens, radiothérapies et chimiothérapies de toute sorte.
De même que dans la société actuelle, il est souvent question de la qualité de la vie, de même le besoin de prêter attention à la qualité de la mort augmente aussi de plus en plus.
Pendant les 15 premières années de ma carrière, j'ai entendu peu de patients demander l'euthanasie. Dans les années septante, en effet, les patients ne disposaient pas eux-mêmes de la vie et de la mort. Lors des soins ou au cours de mes permanences de nuit, j'ai souvent entendu des patients dire qu'ils priaient pour pouvoir mourir afin d'être délivrés de leur souffrance. Telle est la douloureuse réalité.
Depuis ces 10 dernières années, on perçoit un net changement. Dans leur profond chagrin, leur douleur, leur colère ou leur désespoir, les gens parlent davantage de leur fin. Ils demandent souvent qu'on ne les laisse pas souffrir. Si des analgésiques efficaces sont administrés pendant la phase terminale, les gens s'accrochent à la vie et déplacent constamment leur limites. Il est donc très difficile, quand on est en bonne santé, de juger de ce qu'est la souffrance. À un certain moment, le patient et la famille sentent que la fin approche. À ce moment, la maladie l'emporte sur le corps et sur l'esprit. La souffrance devient alors insupportable. C'est une phase très émotionnelle dans laquelle on commence à regarder sa vie en termes de journées restantes. Le patient est souvent si mal en point que la vie n'a plus rien d'humain pour lui et ses proches. À ce moment-là, le patient demande que l'on fasse quelque chose, qu'on lui fasse une piqûre. Ce « quelque chose » est un message clair. Pourtant, nous disons la plupart du temps que nous ne pouvons pas le faire, mais que nous l'aiderons. Dans mon hôpital, on décide alors en concertation avec le patient, la famille et l'équipe d'aider le patient par l'administration d'une sédation ou d'un cocktail d'analgésiques et autres dérivés. Cela rend le rituel de séparation plus confortable et plus humain.
Il y a cependant aussi des patients qui, dès le premier diagnostic, font connaître leur volonté de manière très motivée et qui s'y tiennent fermement. Ils ont déjà beaucoup réfléchi à la vie et à la mort avant d'en arriver à cette phase finale. Ils sont très conséquents et ont déjà pris toutes les dispositions concernant eux-mêmes, leur partenaire et la famille. Dans ce cas, la responsabilité du médecin est très difficile : un médecin est tenu par déontologie d'aider et de guérir la personne malade.
La plupart des médecins éprouvent des difficultés dans cette situation. Aucun médecin et aucun infirmier ne traitent ce genre de décision à la légère. C'est quelque chose qui vous hante pendant des jours, des semaines voire des mois. C'est pourquoi je crois qu'il faut vraiment légiférer en la matière. À mon avis, le mieux est de s'inspirer de la troisième proposition du Comité consultatif d'éthique, qui cadre bien avec les situations que l'on rencontre au quotidien.
Je souhaiterais à présent commenter à huis clos trois cas relatifs à l'euthanasie active et répondre aux questions des sénateurs.
(La suite de l'audition a eu lieu à huis clos)
RÉUNION DU MARDI
2 MAI 2000 (matin)
M. Jules Messinne. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous avez entrepris de légiférer dans la matière où il est sans doute le plus difficile de le faire. Et cette difficulté tient à plusieurs aspects. Celui qui paraissait à première vue le plus insurmontable est assurément largement dépassé : c'est l'obstacle idéologique je préfère dire : philosophique qui séparait ceux pour qui l'homme ne peut pas disposer de sa propre vie car elle n'est pas sa propriété, de ceux qui estiment que l'être humain est autonome et dispose de lui-même à son gré. Ce clivage avait disparu assez rapidement au cours des travaux du Comité consultatif de bioéthique à l'exception, notable, du père Dijon et, si j'en juge par les propositions de lois dont vous discutez et par ce que je sais de vos débats, il semble s'être fort atténué aussi au sein du Sénat.
Les difficultés qui subsistent me semblent plus profondes. Elles tiennent, tout d'abord, au fait que chacun de nous aborde les problèmes liés à la mort avec une expérience personnelle de la mort d'un proche, avec, parfois, le regret, voire le remords, de n'avoir pas pu soulager des souffrances insupportables ou même de n'avoir pas pu supporter le spectacle de la déchéance d'un être admiré, et avec la crainte parfois panique de connaître à la fin de sa propre vie des souffrances ou une déchéance semblables. Elles tiennent aussi au fait que notre société ressent la mort, non plus comme le terme normal de la vie, mais comme un échec malgré toutes les techniques censées la surmonter. Et elles tiennent enfin à la singularité du sujet : on voit bien comment la loi peut d'une certaine manière réglementer la vie, c'est-à-dire les comportements, avec des obligations et des interdits, tandis qu'on imagine beaucoup plus difficilement une réglementation de la mort.
Vous pensez pouvoir les surmonter, ces difficultés. Je vois bien le but poursuivi et j'y souscris pour ma part sans la moindre réserve : il s'agit d'éviter des souffrances inutiles, de permettre à un humain de quitter la vie dans la dignité, d'assurer celui qui vient à son aide qu'il ne sera pas puni pour avoir fait ce que l'humanité lui commande de faire, et d'empêcher ce qu'on appelle communément les « dérives ». Mais j'aimerais vous donner quelques exemples qui me paraissent illustrer combien il est compliqué d'atteindre ce but; je les ai délibérément choisis, non pas dans mon expérience personnelle, parce que les appréciations que j'émettrais à leur propos seraient forcément subjectives, mais dans la littérature :
1) Quelques-unes des plus belles pages de la littérature française sur l'euthanasie ont été écrites en 1930 par un auteur aujourd'hui quelque peu oublié quoiqu'il ait eu le prix Nobel de littérature, c'est Roger Martin du Gard. Dans Les Thibault, il montre un vieillard atteint d'un cancer de la prostate incurable mais qui ne le sait pas, qui souffre le martyre mais qui ne demande qu'à vivre, et dont les deux fils, dont l'un médecin, sont à son chevet, chez lui. L'agonie est interminable, ponctuée d'incidents de plus en plus graves dont le patient, sous morphine depuis des semaines, est tiré grâce à l'administration d'oxygène; on est en phase terminale, l'urémie progresse depuis trente heures, des crises d'étouffement se succèdent, des convulsions, des hurlements de douleur, des escarres; les deux fils arrivent à un stade d'épuisement et de découragement complet, « tout, plutôt que d'assister, impuissant, pendant une nuit encore, puis une nouvelle journée et peut-être une nouvelle nuit, à ce spectacle de l'Enfer! ».
Alors, finalement, les deux frères arrivent à la conclusion qu'il y a encore quelque chose à faire, et le frère qui est médecin injecte une dose mortelle de morphine. Dans les propositions dont vous discutez, ces deux frères sont susceptibles de poursuites devant la cour d'assises, puisque l'euthanasie a été pratiquée sur une personne qui ne la demandait pas et sans consultation préalable d'un autre médecin. Et pourtant, n'ont-ils pas fait ce que l'humanité commandait ?
2) Le professeur Léon Schwartzenberg et Pierre Viansson-Ponté, alors journaliste au Monde, ont publié ensemble, en 1977, Changer la mort; le second était atteint d'un cancer dont il allait mourir, et le premier était son médecin. Pierre Viansson-Ponté savait qu'il allait mourir de son cancer, au moment il a rédigé cet ouvrage avec le professeur Schwartzenberg. Ce livre s'ouvre sur « seize histoires vraies » qui sont seize histoires de mort dont plusieurs euthanasies pratiquées sans avoir pris l'avis d'un ou de deux confrères, mais pour mettre fin à des situations sans issue. M. Schwartzenberg a reconnu plusieurs fois, en public, lors de conférences, qu'il avait procédé lui-même à des euthanasies dans des conditions comparables; il n'a jamais été inquiété par les autorités judiciaires de son pays. Dans les propositions dont vous discutez, sans doute serait-il poursuivi dans la plupart des cas dans lesquels il est intervenu. Et pourtant, n'a-t-il pas fait ce que l'humanité commandait ?
3) Un homme dont je ne me rappelle pas le nom mais que j'ai rencontré il y a quelques années à l'occasion d'une émission de télévision avait écrit un livre, La mort de Marie, dans lequel il raconte la maladie dégénérative dont sa femme était atteinte et qui la menait inéluctablement à la paralysie complète puis à la mort. À l'époque où elle pouvait encore parler, elle lui avait fait promettre que, le jour qu'elle aurait décidé, il lui injecterait une dose létale. La paralysie progressant, et ses facultés de parole diminuant, ils avaient mis progressivement au point un système de communications par signes. Un jour, Marie a donné à son mari le signe qu'elle n'en pouvait plus et qu'elle attendait de lui qu'il exécute sa promesse. Il a exécuté sa promesse. Dans les propositions de loi dont vous discutez, cet homme serait renvoyé en cour d'assises parce que l'euthanasie avait été pratiquée par un non-médecin, alors qu'il n'a pas été inquiété par les autorités judiciaires de son pays bien qu'il ait publié cet ouvrage. Et pourtant, n'a-t-il pas fait ce que l'humanité commandait ?
4) Roger Martin du Gard est aussi l'auteur de Jean Barrois, roman philosophique sous forme de dialogue dont le héros, élevé dans la religion catholique, perd la foi au cours de son adolescence, devient un anticlérical farouche, et écrit une forme de testament dans lequel il proclame qu'il interdit à tout prêtre d'approcher de lui à l'heure de sa mort. Tout au long de sa vie, il se tient à cette attitude qu'il renouvelle chaque fois qu'il le peut, publiquement. Et puis, le jour où il agonise, c'est lui qui demande le secours du curé. Je suis frappé par le parallèle entre cette situation et celle du « testament de vie » : il montre qu'on peut changer d'avis à la dernière minute. Comment s'assurer que celui qui n'est plus conscient au moment où l'on s'apprête à mettre fin à sa vie conformément aux directives qu'il a données n'a pas changé d'avis avant de sombrer dans l'inconscience ?
Si vous légiférez dans le sens que vous étudiez, vous ne traiterez donc qu'une petite partie des situations d'euthanasie. Certes, penserez-vous, nous aurons fait une oeuvre imparfaite et incomplète, mais, même imparfaite et incomplète, elle aura le mérite d'exister et de résoudre ceux des problèmes qu'elle traitera. C'est vrai. Et, du moins, cette législation apportera ce que d'aucuns appellent « la sécurité juridique » et qui est en réalité la sécurité personnelle, ce qui est très différent à ceux qui répondront aux conditions que la loi aurait déterminées. C'est vrai aussi.
Mais une telle législation, malgré ces avantages, comporte à mes yeux deux très graves inconvénients.
Le premier est précisément son caractère lacunaire : dans toutes les propositions de loi qui ont été jusqu'ici déposées, sous les législatures précédentes comme sous celle-ci, seul un médecin peut donner la mort. Je ne veux pas entrer ici dans la discussion relative à la question de savoir si, ce faisant, le médecin commet un acte médical ou non, car il suffit que la loi dise que c'est un acte médical pour qu'il le soit et, en l'espèce, elle le dirait puisqu'elle réserverait cet acte au médecin. Ce qui m'inquiète davantage, c'est précisément l'hypothèse de la mort de Marie. Qui, sinon son mari, qui l'avait soignée pendant des années, pouvait interpréter le plus exactement le désir de Marie ? En raison de cette vie commune de la maladie, en qui, sinon en son mari, pouvait-elle avoir le plus confiance ? De la main de qui, sinon de son mari qui le lui avait promis, pouvait-elle attendre dans la sérénité le geste qu'elle lui demandait ? De qui, finalement, pouvait-elle attendre qu'il le ferait sans hésiter, sans tergiverser, sans prendre l'avis de tiers qui peut-être l'auraient amené à ne pas faire le geste ou à le déléguer à quelqu'un qui le ferait sans amour ? J'entends bien qu'il faut éviter les abus : mais pourrait-on parler d'abus dans ce cas ?
Le second inconvénient est relatif à la fonction de la loi. La loi pénale n'a pas pour seule fonction de punir ceux qui la transgressent et de protéger ainsi la société. Elle a une fonction souvent négligée mais à mes yeux fondamentale : elle exprime une valeur sociale et morale dont l'importance est telle que sa transgression appelle la répression; lorsque, en tant que législateur, vous assortissez un comportement de sanctions pénales, vous désignez ce comportement comme une menace pour la société tout entière, et vous proclamez ainsi la prééminence de la valeur sociale et morale que ce comportement viole. Certes, la véritable inflation pénale que notre société connaît depuis la fin de la deuxième guerre mondiale pourrait donner à penser que la fonction que j'indique est quelque peu altérée; mais en réfléchissant à tous ces comportements interdits, on voit bien que leur substrat moral est bien présent.
Par ailleurs, j'aimerais insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une morale religieuse : il s'agit d'une morale sociale, en ce sens que la transgression des règles ainsi déterminées, si elle n'était pas réprimée par le corps social tout entier, entraînerait sa dislocation. Ce n'est évidemment vrai que pour une société déterminée, à un moment déterminé de son histoire : l'interdit de tuer autrui n'était pas compris de la même manière dans l'Europe du XVIIe siècle qui connaissait le duel, et le respect de l'intégrité physique et morale était à peu près inconnu de l'Inquisition, pour ne pas parler des cultures connaissant les meurtres rituels.
Mais, dans notre société apaisée de cette petite partie du monde, aujourd'hui, la vie et l'intégrité physique et morale sont conçues comme des droits de l'homme, au point qu'ils ont été reconnus comme tels dans des instruments juridiques internationaux comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or, l'objet des propositions que vous étudiez est d'autoriser leur transgression dans les cas qu'elles décrivent. Cela signifie que, dans ces cas, la protection de la vie de chacun contre ceux qui veulent y attenter n'est plus une valeur essentielle et que, par conséquent, le législateur considérerait qu'il y a des vies plus ou moins dignes de protection que d'autres.
J'aimerais, si vous le permettez, vous livrer à cet égard quelques observations.
Première observation. Il faut souligner la distinction, peu apparue au cours des auditions que j'ai eu l'occasion de suivre, entre deux notions : l'état de nécessité et l'autorisation de la loi. L'état de nécessité est une cause de justification, dont vous avez rappelé à juste titre qu'elle n'est pas légale mais jurisprudentielle, et qui est l'état dans lequel se trouve celui qui a le choix entre commettre une infraction mais sauver ainsi une valeur supérieure à celle défendue par la loi qui incrimine le fait, ou ne pas commettre cette infraction mais alors laisser périr cette valeur. S'il commet le fait en sauvant la valeur supérieure, alors, à la différence des autres causes de justification, il est félicité parce qu'il a fait le bon choix; si, en revanche, il n'a pas commis le fait, s'il s'est abstenu de transgresser la loi, il sera moralement blâmable. L'éthique de l'état de nécessité est donc une éthique de la responsabilité : selon la formule bien connue, l'agent « agit pâle mais résolu » pâle parce qu'il transgresse la loi et qu'il le sait, mais résolu parce qu'il fait son devoir et il en rend compte. Tandis que dans l'autorisation de la loi, celui qui agit, s'il se conforme aux conditions que la loi énonce, n'aura aucun compte à rendre : tout se réduira à un contrôle de type formel.
Deuxième observation. Le fait de devoir rendre des comptes de ce qu'on a fait ne signifie pas qu'on est livré à l'arbitraire d'un juge. Quiconque commet une infraction doit pouvoir être amené à en rendre compte, parce que, précisément, il a transgressé une règle fondamentale de la vie sociale; s'il invoque un élément en sa faveur avec un minimum de vraisemblance par exemple une cause de justification , il est cru dès lors que le ministère public n'apporte pas la preuve de l'inexistence de cet élément. Certes, tout cela est soumis à l'appréciation d'un juge, mais appréciation ne signifie pas arbitraire.
Troisième observation. Je sais bien que dans chacune des propositions soumises aujourd'hui à vos délibérations, il est expressément renvoyé à la notion de « nécessité » : dans la proposition de M. le sénateur Mahoux et consorts, le nouvel article 417bis du Code pénal parle de faits « commandés par la nécessité de mettre fin à la souffrance ou à l'état de détresse », et, dans celle de M. le sénateur Vandenberghe et consorts, l'article 6 cite textuellement « l'état de nécessité » et entreprend de l'« objectiver ». Mais s'il s'agissait vraiment d'un état de nécessité, vous n'auriez pas besoin de légiférer en matière d'euthanasie parce que l'état de nécessité est une cause de justification qui existe pour toutes les infractions, et donc, aussi, pour le meurtre. Dans l'une et dans l'autre proposition, il s'agit bien, en réalité, d'une autorisation de la loi, comme dans l'article 350 du Code pénal tel qu'il résulte de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption volontaire de grossesse. Il s'agit d'une autorisation de la loi et plus du tout d'un état de nécessité, et personne ne s'y trompera.
Quatrième observation. L'autorisation de la loi est certes plus commode à manier et offre plus de sécurité personnelle et non pas de « sécurité juridique » à celui qui se conforme aux conditions légales. À ce propos, je comprends parfaitement le souci qu'exprimait M. le premier avocat général Morlet, du parquet général de Bruxelles, lors d'un récent débat télévisé, lorsqu'il déclarait que les parquets souhaitent une législation : elle évitera en effet que des situations soient appréciées en fonction de la conscience d'hommes. Mais alors, immanquablement, et malgré tout ce qu'affirment vouloir les partisans d'une telle législation, le contrôle qu'exercera la société ne portera plus sur les raisons pour lesquelles la mort aura été administrée, il ne portera que sur les conditions de son administration. Encore une telle situation n'empêche-t-elle pas aux Pays-Bas, d'après ce que vous ont déclaré certaines des personnes que vous avez entendues, un grand nombre d'euthanasies d'être pratiquées dans la clandestinité.
Cinquième observation. L'atteinte portée à la fonction de la loi pénale l'est de la même manière, aux yeux des citoyens, où que le législateur place son autorisation. Que vous la placiez dans le Code pénal ou dans l'arrêté royal nº 78 est à cet égard indifférent : il suffira que les citoyens sachent que la loi autorise l'euthanasie dans le code ou ailleurs. L'exemple des Pays-Bas est à ce sujet très éclairant : tout le monde croit que la loi autorise l'euthanasie aux Pays-Bas, même si, sur le plan technique, comme vous le savez, ce n'est pas le cas.
Sixième observation. Je connais bien l'argument selon lequel, faute de disposition législative, des médecins refusent d'accomplir un acte que leur dicte cependant leur conscience, parce qu'ils craignent la possibilité de poursuites. Une autorisation de la loi lèverait, pense-t-on, cet obstacle. Mais j'observe que plus aucune condamnation n'a eu lieu en matière d'euthanasie dans l'ensemble du Royaume depuis quarante ans, et que, exception faite des deux cas dont la Justice vient à peine d'être saisie, les poursuites, pendant la même période, ont été rarissimes. Cette absence de condamnations, voire de poursuites, pendant si longtemps, alors qu'on sait que de nombreuses euthanasies ont eu lieu « dans la clandestinité », comme on vous l'a indiqué, montre que des médecins, convaincus qu'ils faisaient ce qu'ils devaient faire, ont surmonté cet obstacle. Et quant aux autres, j'aimerais, pour ma part, que les facultés de médecine apprennent à leurs étudiants, sans doute plus et mieux qu'aujourd'hui, à admettre qu'il y a des cas dans lesquels la maladie ne peut pas être vaincue par les progrès de la science et où la mort va gagner la partie, à écouter leurs patients et leurs souffrances, à les accompagner eux-mêmes plutôt qu'à déléguer ce soin au personnel infirmier, et à faire leur devoir quand l'humanité le commande.
Septième et dernière observation. Quelle que soit la manière dont finalement vous légiférerez, les magistrats appliqueront, évidemment, la loi que vous aurez élaborée. Mais le problème n'est pas là : le problème est celui de la crédibilité de la loi, de sa force convaincante pour les citoyens, et de son applicabilité dans la réalité. Or, je suis persuadé, à cet égard :
d'une part, qu'aucune loi dans ce domaine ne résoudra vraiment loin s'en faut tous les cas qui pourront se présenter alors que c'est précisément cela qui est la vocation de la loi;
d'autre part, qu'une telle loi porterait une atteinte irrémédiable à la valeur sociale et morale du respect de la vie d'autrui;
d'autre part encore, que son applicabilité dans la réalité n'est en rien assurée, comme le démontrent, notamment, les propos tenus ici-même par le professeur Vincent et le nombre élevé des euthanasies « clandestines » aux Pays-Bas;
et, enfin, que vous abandonneriez une éthique de la responsabilité au profit de ce qui serait, en définitive, une solution de facilité.
Voilà, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je souhaitais vous soumettre. Vous aurez compris que je suis extrêmement réservé à l'égard de toute loi dans ce domaine. J'ai conscience de ce que ces propos peuvent avoir de décevant pour vous, surtout si vous attendiez d'un professeur de droit pénal qu'il vous donne des solutions aux difficultés qu'il soulève lui-même.
M. Jean-François Istasse. Monsieur le conseiller, vous marquez donc de nettes réserves sur toute loi en cette matière. Pourtant, les exemples que vous avez cités démontrent presque a contrario la nécessité de légiférer puisque, dans tous les cas de figure que vous avez énumérés, la loi pénale actuelle pousse à l'inculpation.
Vous avez démontré et nous en sommes bien conscients que les propositions actuellement en discussion ont un objet extrêmement précis certains diront très pointu. Dans toutes les autres situations, le système jurisprudentiel actuel d'état de nécessité devra pouvoir continuer à s'appliquer. Il serait donc faux de dire que nous nous trouverions dans un vide juridique puisqu'une construction jurisprudentielle est appliquée.
Néanmoins, il y a cette tentative de légiférer sur un objet extrêmement précis. Certains pourront nous le reprocher mais il faut bien constater que, sur des points très précis, le débat est déjà très ouvert.
Les auteurs de la proposition, M. Mahoux et consorts, ne souhaitent évidemment pas de contrôle a priori. Dès lors, l'explication donnée sur le concept d'autorisation par la loi, qui postule le contrôle des conditions dans lesquelles la loi serait appliquée, me paraît extrêmement importante. C'est une interprétation très importante à noter dans les travaux préparatoires; j'y souscris largement.
Je reprendrai également une autre de vos affirmations selon laquelle classer une telle législation en projet dans le code ou dans un arrêté royal ou ailleurs est relativement indifférent. Ne conviendrait-il pas de la mettre dans le code pour marquer très précisément la volonté du législateur, en tout cas de la majorité du parlement ?
Enfin, le problème principal n'est-il pas la violation quotidienne du Code pénal en cette matière, puisque vous reconnaissez vous-même qu'un très grand nombre d'euthanasies sont pratiquées et que, néanmoins, aucune poursuite n'est intentée ? N'est-ce pas là que se situe le problème de crédibilité de notre système pénal et n'est-ce pas à cela que notre législateur doit s'attaquer ?
M. Jules Messinne. Contrairement à ce que pense M. Istasse, les exemples que j'ai mentionnés ne poussent pas à l'inculpation. Ces personnes, qui ont admis ouvertement avoir pratiqué une euthanasie, n'ont pas été inculpées. En effet, il appartient au ministère public d'apprécier l'opportunité des poursuites. S'il est évident, avant même que l'on fasse des investigations importantes, qu'un acte a été commis parce que celui qui l'a posé a fait ce que l'humanité lui commandait de faire, le ministère public estimera qu'il n'y a pas lieu de poursuivre puisque, de toute manière, l'intéressé aurait été acquitté en raison de l'état de nécessité. Donc, la situation actuelle ne pousse pas à l'inculpation.
Le code est appliqué. Ce n'est pas parce qu'on ne poursuit pas dans certains cas que le code n'est pas appliqué. Le code comporte les articles 70 et 71 qui décrivent les causes de justification. La jurisprudence interprète de façon très large ces causes de justification. Les causes de justification font partie du code. Donc, c'est encore appliquer le code que de ne pas poursuivre ou que d'acquitter quelqu'un qui, lorsqu'il a posé un acte qualifié d'infraction, l'a accompli en état de nécessité ou dans une situation relevant des causes de justification. Il existe quantité de cas où la loi ne trouve pas à s'appliquer sans perdre pour autant sa crédibilité. Les articles 461 et suivants, qui définissent le vol, ne perdent pas leur crédibilité au motif qu'il y a une multitude de voleurs et que seul un trop petit nombre est condamné.
La loi est crédible aussi longtemps que la majorité du corps social adhère à l'interdit. Dans les années 80, une majorité du corps social a cessé d'adhérer à la répression de l'avortement telle qu'elle était inscrite dans le Code pénal de 1867. Il a fallu modifier les articles 348 et suivants du Code pénal, non pas parce qu'il y avait beaucoup d'avortements, mais parce que l'avortement était devenu un problème de santé publique auquel il convenait de remédier alors que la majorité du corps social avait cessé d'adhérer aux textes existants. La majorité du corps social voulait autre chose, beaucoup plus difficile à déterminer. La répression, telle qu'elle était conçue, avait cessé d'être crédible. C'était le principe de la répression qui était remis en cause et non pas la question de savoir si les parquets devaient exercer des poursuites. Quand le ministère public demande l'application d'une loi pénale à laquelle le corps social a cessé d'adhérer, on arrive à des situations extrêmement regrettables, comme dans les années antérieures à la loi de 1990.
Par ailleurs, il n'est pas certain que la notion d'état de nécessité subsistera même si la loi autorise, dans certains cas, l'euthanasie. Cela dépend. Si vous prévoyez un état de nécessité particulier en ce qui concerne le meurtre et tel est l'objet de la disposition envisagée par l'article 417bis du Code pénal et, donc, si vous introduisez, pour ce comportement particulier, l'homicide volontaire, une cause de justification particulière que vous appelez état de nécessité, cela signifie que, dans tous les autres cas, il n'y aura pas d'état de nécessité en ce qui concerne cette infraction.
Vous pouvez alors prévoir non pas une cause de justification de l'état de nécessité pour la disposition en question, mais une autorisation de la loi. Dans une telle hypothèse, l'état de nécessité subsistera-t-il pour les autres cas ? Oui, mais il sera diablement fragilisé, puisque vous aurez dit dans un texte coulé dans le bronze que l'on peut administrer la mort donc, commettre un homicide volontaire dans les cas que vous aurez déterminés, mais pas en dehors heureusement, au demeurant ! Je reconnais que vous n'anéantissez pas la possibilité, mais vous fragilisez considérablement celui qui n'entre pas dans les conditions prévues. Je pense par exemple au mari, dans le cas de la mort de Marie. Si vous autorisez l'euthanasie dans les cas que vous déterminez, en particulier, avec intervention d'un médecin, comment pouvez-vous justifier que l'on ne poursuive pas et que l'on ne condamne pas ce mari ? On lui répondra toujours qu'il avait la possibilité de faire appel à un médecin, mais qu'il ne pouvait agir lui-même. Vous aurez considérablement ruiné, sapé, miné, pour quelqu'un qui souhaite faire son devoir, la possibilité de le faire.
Dernière question : le code ou l'arrêté ? Cela m'est indifférent. Si vous autorisez l'euthanasie, que ce soit dans le code ou dans un arrêté, vous introduisez un affaiblissement de l'interdit de tuer autrui. Par conséquent, vous instituez un système dans lequel certaines vies sont plus dignes de protection que d'autres : vous aurez autorisé certes, dans les cas bien précis que vous énumérez quelqu'un à mettre fin à la vie d'autrui.
Mme Clotilde Nyssens. Monsieur le conseiller, vos paroles sont particulièrement éclairantes. Étant donné le problème qui nous occupe et la richesse des propos exprimés dans le cadre des auditions, si l'on s'en tient à la notion de l'état de nécessité, en droit, mais que l'on tente de l'objectiver, que ce soit par des conditions de forme ou de fond, ce que certains textes ont essayé de faire, et si l'on précise que l'on reste dans la figure pénale de l'état de nécessité, amoindrit-on l'idée, tout à fait capitale, selon laquelle, comme vous venez de le rappeler, l'état de nécessité, c'est la conscience et la responsabilité de quelqu'un qui, à un moment donné, estime qu'il peut violer un interdit important, parce qu'une valeur suprême le pousse à agir et qu'il sera toujours amené à se justifier, éventuellement, selon le droit commun, devant un tribunal ?
Cependant, on observe parfois un flou dans certaines pratiques médicales. Par ailleurs, notre commission a passé des heures à discuter des types de médications; nous en sommes même arrivés à parler de la composition de certaines substances, de certains baxters. Dès lors, n'est-il pas utile, ne fût-ce que pour les médecins, d'objectiver, dans un cadre déontologique plutôt que pénal, l'état de nécessité, tout en restant dans cette philosophie pénale selon laquelle, en fin de compte, le médecin transgresse un interdit ?
Ma question subsidiaire est la suivante : en tant que pénaliste, quel lien faites-vous entre la règle de déontologie et, éventuellement, la loi pénale ou un texte relatif à l'art de guérir ? Le Code de déontologie pourrait-il être plus détaillé sur les décisions graves en matière de fin de vie en prévoyant des directives pour les médecins, des guidelines, afin qu'ils assument leurs responsabilités dans le respect de l'éthique que vous avez rappelée ?
Certains textes dans l'art de guérir ne sont-ils pas, en fin de compte, des règles de déontologie auxquelles on donne une force contraignante plus importante, certes, mais qu'il est temps de renforcer compte tenu du flou qui existe en la matière ?
Vous avez beaucoup parlé des causes de justification et d'excuse, donc, des articles 70 et 71 du Code pénal. Les mots « état de nécessité » ne s'y retrouvent pas, puisqu'il s'agit d'une construction doctrinale ou jurisprudentielle. En tant que pénaliste, faites-vous une nuance entre l'article 70 et l'article 71 au niveau des mots employés, à savoir « contrainte morale », « force majeure » et « état de nécessité » ? En effet, le droit hollandais se base sur la « force majeure », notion que l'on retrouve dans notre Code pénal, mais ne se réfère pas à l'état de nécessité. Au départ de la force majeure, pourrait-on objectiver quelque peu l'euthanasie ?
Enfin, serait-il utile mais je ne le pense pas d'aller plus loin que l'état de nécessité pour donner, non pas une sécurité juridique plus grande aux médecins, mais pour leur montrer qu'ils doivent davantage assumer leurs responsabilités, en parlant éventuellement d'une présomption d'état de nécessité ? Cette notion est-elle possible en droit pénal ? En ce qui concerne la charge de la preuve, le fait d'utiliser l'état de nécessité, la force majeure et une certaine objectivation de l'état de nécessité, ne fût-ce que par des conditions procédurales, permettrait-il de créer une espèce de nouvelle catégorie juridique qui serait une présomption de l'état de nécessité qui mettrait, en quelque sorte, le médecin en situation plus confortable devant les tribunaux ? Ou, au contraire, cela n'aurait-il pas de sens puisqu'il appartiendrait toujours au parquet de rechercher les éléments qui prouveraient l'absence d'état de nécessité ?
Enfin, ne serait-il pas utile de prévoir un interlocuteur entre les médecins, le pouvoir médical, les soignants et la justice qui surveillerait la matière ? On a beaucoup parlé dans les discussions d'instances de contrôle a priori ou a posteriori. L'idée d'une commission d'évaluation est présente dans certaines propositions de loi. Certains médecins nous ont appelés à la prudence en vertu d'un principe de précaution élémentaire et suggéraient la création d'une instance qui permettrait aux magistrats de mieux accomplir leur contrôle qui subsiste, en cas d'infraction pénale. Un corps spécialisé ne devrait-il pas être créé, par exemple avec des médecins légistes, pour que juristes et médecins, dans certains cas particuliers, puissent, avec le discernement nécessaire, ouvrir le dossier médical et mieux se rendre compte de l'état de nécessité invoqué ?
M. Jules Messinne. À la première question de Mme la sénatrice sur l'objectivation de l'état de nécessité par des conditions légales, je répondrai que cela est impossible, en vertu même de la définition de l'état de nécessité. Vous l'avez vous-même rappelé : l'état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve quelqu'un, non pas qui peut commettre une infraction, mais qui doit, qui choisit de commettre une infraction pour sauver une valeur supérieure à celle qui est définie par le texte qui incrimine le fait, ou de ne pas commettre l'infraction et de laisser périr cette valeur. Faire ce que le devoir commande en transgressant la loi ou ne pas transgresser la loi et ne pas faire ce que le devoir commandait. Comment voulez-vous objectiver cela ?
Ce que vous pouvez envisager, bien entendu, mais on se situe alors tout à fait en dehors de ce débat-ci, c'est de faire de cette cause de justification jurisprudentielle définie avec précision puisque la définition que je vous donne est celle de la Cour de cassation, une cause de justification légale, mais celle-ci devra alors figurer dans les articles 70 et 71. En d'autres termes, faites-en légalement ce que la jurisprudence en a fait, une cause de justification applicable à toutes les infractions.
J'en viens à une question complémentaire à la première : le lien entre la déontologie et la loi pénale et ce que le code de déontologie pourrait, le cas échéant, donner comme directive générale au médecin, face à la fin de vie. Il existe évidemment un lien entre la déontologie et la loi pénale. Vous soulignez ce lien à partir du moment où les règles déontologiques deviennent des règles légales. Si vous adoptez dans une loi un code de déontologie, vous en faites une forme de Code pénal, dans lequel les sanctions ne sont pas les sanctions prévues par la loi pénale, mais vous aurez prévu des sanctions répressives à l'égard de comportements dont vous aurez décidé que ce qu'ils représentent comme transgressions méritent une répression. Il y a incontestablement un lien à cet égard entre la déontologie et la loi pénale.
La question de la légitimité des codes de déontologie ou des règles déontologiques, définis par les organes professionnels eux-mêmes, nous mènerait trop loin dans nos discussions. Cependant, je n'ai jamais vu aucun inconvénient à ce qu'une profession déterminée, pour laquelle il existe des autorités disciplinaires légitimes, élabore elle-même les règles applicables à ses membres. Je ne verrais pas davantage d'objection à ce qu'un code de déontologie médicale prévoie, pour chaque cas de figure, une réaction appropriée de la part du corps médical. Mais je doute que ma réponse vous donne entièrement satisfaction.
Il n'en va pas de même en ce qui concerne la question de savoir s'il y a adéquation entre les règles de l'art de guérir et les règles déontologiques. En effet, les règles légales relatives à l'art de guérir sont des règles d'organisation, de compétence, qui prévoient que telle personne seulement peut accomplir tel acte, en précisant que celui qui accomplit un acte relevant de l'art de guérir sans avoir la qualité de médecin, chirurgien, dentiste ou infirmier, commet une infraction.
Je crois donc qu'il existe une différence assez sensible entre des textes organisationnels tels que l'arrêté royal nº 78 ou les autres arrêtés numérotés similaires et les règles déontologiques.
Par ailleurs, il y a une différence fondamentale entre, d'une part, les causes de justification prévues par les articles 70 et 71 et, d'autre part, l'état de nécessité.
Ces causes de justification sont l'ordre légal de l'autorité qui consiste à obéir à un ordre, la démence ainsi conçue comme le cas d'une personne qui, ayant commis une infraction dans cet état, ne devra pas rendre de comptes et, enfin, proche de l'état de démence, la force majeure où la personne, sans être obnubilée, est privée de son libre arbitre et ne peut résister à la force qui la pousse à accomplir un acte. La personne qui a commis une infraction dans cet état sera, en quelque sorte, pardonnée.
Il en va tout autrement de l'état de nécessité : dans ce cas, la personne a fait ce qu'elle devait; on ne lui pardonne pas, on la décore, on la félicite parce qu'elle a choisi la bonne voie en transgressant la loi. Cela n'a été rendu possible, dans notre droit positif, au point de vue de la jurisprudence, qu'après la période classique qui a suivi la révolution française, lorsque l'on a réadmis la possibilité d'une contestation de la loi, l'état de nécessité en constituant une forme. À l'inverse, lorsqu'une personne agit dans la démence ou sous la contrainte ou qu'elle obéit à l'ordre légal de l'autorité, elle se conforme à une demande.
Quant à la présomption de l'état de nécessité, vous savez comme moi, Madame la sénatrice, qu'une cause de justification ne doit pas être prouvée par celui qui l'invoque. Il suffit qu'il l'invoque avec un minimum de vraisemblance pour qu'on le croie; si le ministère public n'apporte pas la preuve de l'inexistence de cette cause, la circonstance favorable est admise.
Il ne s'agit pas à proprement parler d'une présomption mais cela n'en est pas très éloigné. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une situation générale qui est applicable à toutes les infractions.
Votre dernière question concerne l'intervention d'un médiateur ou d'un interlocuteur entre médecin et justice. Pour quoi faire ? Si le but est de contrôler le respect des conditions de l'autorisation de la loi, et si ce contrôle est mieux effectué par un médecin légiste que par un juge ou un membre du ministère public, en tout cas dans un premier temps, pourquoi pas ? Mais le problème n'est pas là. Le problème est le suivant : si vous optez pour cette solution-là, la loi autorisera, dans un certain nombre de cas, à mettre fin à la vie d'autrui. C'est évidemment cela le gros problème.
M. Hugo Vandenberghe. En guise d'introduction aux questions que je compte poser au conseiller d'État, je tiens à relever que dans l'exposé, la proposition de MM. Mahoux et consorts et la proposition que j'ai déposée avec un certain nombre de collègues concernant l'interprétation de l'état de nécessité sont, ni plus ni moins, placées sur un pied d'égalité.
Ma première question concerne l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui dispose que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. Cela ne signifie-t-il pas, selon vous, qu'une charge de la preuve pèse sur celui qui crée des circonstances dans lesquelles la vie humaine n'est plus protégée ? Il doit donc démontrer que sa proposition est conforme à l'article 2 de ladite convention. On ne peut pas faire comme si cette disposition n'existait pas. D'après moi, la proposition de la majorité revient à légaliser, dans une large mesure, l'euthanasie. Sans me prononcer sur la question de savoir si c'est à bon droit ou non, je trouve que l'on doit pouvoir invoquer les arguments desquels il ressort que cette approche est justifiable aux termes de l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ma question est donc la suivante : qu'autorise et que défend l'article 2, ou cette question n'est-elle pas pertinente ?
Ma deuxième question porte sur l'éventuelle modification de la loi pénale, sur la forme qu'elle prendra le cas échéant, et sur les textes de loi qui concrétiseront la régularisation de l'euthanasie. J'aimerais connaître votre avis sur la différence juridique entre la dépénalisation d'un acte et la régularisation de cet acte, avec une définition des conditions dans lesquelles on peut exciper de l'état de nécessité. L'interprétation jurisprudentielle de l'état de nécessité s'inspire effectivement des articles 70 et 71 du Code pénal et il existe différentes causes de justification. Je conteste pourtant la théorie selon laquelle la jurisprudence applique la notion d'état de nécessité à propos de problèmes qui touchent la fin de la vie. Quelle décision judiciaire a donné une interprétation jurisprudentielle de la notion d'état de nécessité à l'occasion d'un cas d'euthanasie en Belgique ? On peut certes dire que la loi pénale est appliquée, mais on n'en devra pas moins avoir un exemple des circonstances dans lesquelles elle a été appliquée ou non. Le problème, c'est que bon nombre de décisions sont prises concernant la fin de la vie, tant avec que sans l'assentiment du patient, sans qu'il y ait le moindre contrôle, ni, dès lors, la moindre évaluation juridique de ces circonstances. On se trouve donc en l'espèce en présence d'une lacune dans la jurisprudence, à propos de décisions qui sont essentielles dans notre société et qui, en outre, posent un grand problème de transparence du processus décisionnel et de protection des droits du patient. Il s'agit non seulement de la décision proprement dite, mais aussi de la question de savoir comment la société peut vérifier si les droits du patient sont respectés. Je ne doute pas que vous soyez très réticent à une modification de la loi pénale et je suis d'accord avec vous c'est pourquoi je propose une autre formule mais d'après moi, la théorie de l'interprétation jurisprudentielle de l'état de nécessité ne constitue en tout cas pas une réponse concluante aux problèmes de fait existants.
En outre, l'état de nécessité doit faire l'objet d'une interprétation de fait, car la Cour de cassation dit que le juge du fond doit se prononcer sur l'existence d'un état de nécessité. L'arrêt Coëme sur l'état de nécessité ne saurait constituer un précédent pour l'euthanasie, puisque les faits évoqués par cet arrêt ne correspondent pas à un cas possible d'euthanasie. Même en cas d'interprétation jurisprudentielle de l'euthanasie, la question de savoir comment assurer la sécurité juridique, compte tenu des questions de société qui se posent actuellement, reste posée.
Ma troisième question concerne le problème que pose l'interprétation jurisprudentielle de l'état de nécessité, aux Pays-Bas, par exemple, où l'on a interprété la notion de plus en plus largement ces quinze dernières années, à mesure que l'on était confronté à des cas d'euthanasie. Dès lors, non seulement le problème ne reçoit aucune réponse assurant la sécurité juridique, mais en outre il reste confiné à la jurisprudence, où il évolue et donne finalement lieu à une nouvelle demande de modification de la loi.
Quatrièmement, ne trouvez-vous pas que lorsqu'on mène un débat de société sur une telle question, le législateur doit en fin de compte prendre ses responsabilités ? Ne renvoie-t-il pas aujourd'hui déjà trop de problèmes politiques au juge ? Bon nombre de questions de société ne reçoivent pas du législateur la réponse appropriée. Celui-ci approuve, certes, de nombreuses règles, mais les véritables problèmes de société sont souvent répercutés au niveau du pouvoir judiciaire, lequel, parfois, ne dispose pas des moyens appropriés pour y répondre comme il conviendrait de le faire.
Voici ma question suivante : comment le législateur va-t-il éventuellement intervenir et où la législation sera-t-elle modifiée ? À mon avis, cela peut avoir une incidence juridique très différente selon le cas. Prenons comme point de départ l'utilisation, par la jurisprudence, de la notion d'état de nécessité. Lorsqu'on excipe de l'état de nécessité, j'y vois, en comparaison de la modification formelle de la loi pénale telle qu'elle est proposée par la majorité, une double différence sur le plan de la technique juridique. La première est que la charge de la preuve incombe à celui qui se prévaut de l'état de nécessité. Selon la Cour de cassation, on doit pouvoir démontrer la présence d'éléments de l'état de nécessité. La deuxième constatation est que l'état de nécessité ou la cause de justification sont interprétés de manière très restrictive; on ne peut pas prétendre n'importe quoi. Les exemples abondent, notamment en matière de désobéissance civile. Si toutefois l'on opte pour une autre construction, et plus précisément pour l'insertion de l'exception de l'euthanasie dans la loi pénale, on fait intervenir un certain nombre d'éléments objectifs, si bien que certains actes ne sont pas en général des délits et ne correspondent donc pas à la définition du délit dans l'action intentée. La conséquence en est que la charge de la preuve incombe au ministère public : celui-ci doit prouver que l'acte d'euthanasie ne relève pas de l'article 417bis proposé du Code pénal, qui constitue une dérogation à la réglementation pénale ordinaire.
Le législateur peut-il définir spécifiquement une cause de justification ? M. Messine lui-même a déjà dit que le législateur devrait effectivement, dans certaines circonstances, pouvoir préciser une cause de jusitification ou un état de nécessité, parce que nous voulons créer un cadre assurant la sécurité juridique et instituer certaines conditions de procédure dans lesquelles l'état de nécessité peut être invoqué. Étant donné que la Cour de cassation ne dit rien des conditions procédurales qui permettent d'invoquer cet état de nécessité, nous devons élaborer une réglementation légale.
Il existe une grande différence entre l'option du législateur lorsque celui-ci précise un état de nécessité pour un cas particulier et la législation sur l'avortement. Cette dernière définit un état de nécessité, certes subjectif, dans lequel on peut pratiquer l'avortement à la demande librement exprimée d'une femme et moyennant le respect d'une série de conditions matérielles. Si nous précisons la notion d'état de nécessité dans un cas particulier, il faut que les caractéristiques essentielles de l'état de nécessité se retrouvent, elles aussi, dans les conditions matérielles, à savoir le caractère exceptionnel du choix auquel on est confronté et la nécessité de choisir entre deux maux. Si, par contre, nous modifions nous-mêmes la loi pénale et formulons une définition négative du délit, nous ne sommes bien entendu pas confrontés aux mêmes contraintes.
Un autre problème s'ajoute : si nous modifions la loi pénale dans ce sens, nous prescrivons aux médecins un comportement professionnel spécifique, alors que la loi pénale formule des règles générales. Seul le secret professionnel fait exception à cet égard. Par conséquent, si nous réglons quelque chose de spécifique, ne conviendrait-il pas, dans la logique du droit pénal, d'inscrire cette réglementation non pas à l'article 417, mais peut-être à l'article 71 ? La proposition de la sénatrice Nyssens formule une autre suggestion : comme il s'agit du comportement d'un groupe professionnel déterminé, elle prévoit une insertion dans l'arrêté royal relatif à l'exercice de l'art de guérir. On pourrait également préciser dans un arrêté royal dans quelles conditions des actes médicaux se justifient d'un point de vue curatif. En d'autres termes, le législateur est confronté à la question de savoir s'il est souhaitable de légiférer et quelle est la meilleure façon de le faire. La réponse à cette question n'est pas neutre et entraîne des conséquences juridiques selon les choix que l'on fait. Mais je me trompe peut-être, et c'est la raison pour laquelle je pose cette question.
M. Jules Messinne. La conformité d'une loi éventuelle à l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques va poser problème. Je n'ai pas la réponse à la question de cette conformité sinon qu'elle va poser problème. Il n'est pas du tout exclu qu'une plainte soit déposée à Strasbourg contre une loi de ce type. Cela ne me paraît pas impossible. Je ne sais trop comment la Cour de Strasbourg y répondra. Il faudra un peu de patience pour voir ce qu'elle en pensera. Cela posera problème; c'est une des difficultés de la matière.
Quant à la législation envisagée, peu importe qu'elle soit insérée dans un code ou dans une autre loi. Les répercussions juridiques seront, à mon sens, les mêmes et, de toute façon, un corps de loi énumérera un certain nombre de cas dans lesquels il autorisera l'homicide. Que cette énumération figure dans le Code pénal ou dans une autre disposition légale, cela ne trompera personne. Tout le monde saura qu'en Belgique, la loi autorise l'euthanasie dans tel et tel cas.
Vous avez souligné que la situation actuelle ne donnait pas satisfaction dans la mesure où il n'y a pas aujourd'hui de contrôle réel sur les circonstances dans lesquelles les euthanasies sont pratiquées. On peut dire cela de façon assez générale, mais je ne crois pas que c'est là que réside le problème. Le problème, pour moi, consiste à savoir s'il est possible, par une législation qui réponde à ce que l'on attend normalement de la loi pénale, d'autoriser l'euthanasie dans un certain nombre de cas.
De toute façon, le législateur peut tout faire. Mais quelle crédibilité la loi peut-elle encore avoir dans le corps social à partir du moment où, par hypothèse d'école, le législateur ferait n'importe quoi ? Voilà le vrai problème.
Faudrait-il améliorer la manière dont les choses se passent actuellement ? Sûrement. Le but poursuivi peut-il être atteint par une législation qui légaliserait l'euthanasie dans un certain nombre de cas ? Je suis convaincu du contraire. Je crois que la situation est beaucoup plus grave et profonde et représente un véritable problème social plus important que celui qu'on croit pouvoir régler par quatre articles de loi. Je crois qu'un tel problème est un problème de société. Vous le souligniez, Monsieur le sénateur : il y a à ce sujet une discussion et des interrogations dans l'ensemble de notre société. Des débats ont lieu et ils doivent avoir lieu. Faut-il dès lors que le législateur doive nécessairement intervenir ? Je pense que le législateur doit réfléchir. Ce que vous faites.
M. Hugo Vandenberghe. C'est exceptionnel.
M. Jules Messinne. Ce n'est pas moi qui l'aurai dit.
Mais cette réflexion ne doit pas nécessairement déboucher sur un texte de loi. Il est surtout important que le corps social sache que le législateur réfléchit sur ce type de problème.
Pourtant, je crois que le problème est plus général et qu'il tient à la manière dont notre société envisage et traite la question de la mort, mais aussi à la façon dont le corps médical appréhende la mort, spécialement lorsqu'elle est l'issue inéluctable, et parfois douloureuse au-delà de tout, d'une maladie bien décrite et bien connue. Voilà donc mes réflexions.
M. le président. M. Vandenberghe demandait aussi si le législateur ne devait pas prendre ses responsabilités et ne pas toujours tout renvoyer au judiciaire.
M. Jules Messinne. Monsieur le sénateur, cette interrogation est en liaison avec ce que vous pensez être une insécurité juridique en raison du fait que des juges peuvent apprécier de façons diverses des situations déterminées.
De toute façon, vous renvoyez au judiciaire. Si vous incriminez, vous renvoyez au judiciaire puisque c'est le juge qui va déterminer si, oui ou non, une personne poursuivie a commis le fait et si ce dernier entre dans les définitions légales. De toute façon, le juge doit apprécier. Je sens certaines inquiétudes quant à la question de savoir si, dans une situation que vous et moi apprécierions comme étant un état de nécessité, un juge pourrait ne pas être du même avis et, par conséquent, condamner. C'est cependant vrai dans tous les cas de figure, pour n'importe quelle cause de justification. Quelqu'un invoque une force majeure, le juge appréciera si la force est majeure, si elle a véritablement privé le prévenu de tout libre arbitre. C'est inévitable. Il ne s'agit pas d'une insécurité juridique, mais de ce que j'appelle une insécurité personnelle. Quelqu'un pose un acte, il en répond et, a priori, il ne sait pas quelle décision prendra le juge à l'égard du comportement qu'il aura adopté. Il s'agit bien d'une insécurité personnelle et non juridique. L'insécurité juridique est la construction d'une règle qui est incertaine. Il n'est pas question de cela ici. L'état de nécessité est une règle certaine, dont l'application est sujette à variation, comme toutes les règles.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Monsieur le conseiller, vous avez été membre du Comité de bioéthique. Vous avez participé aux discussions sur ces matières et vous avez donc pu vivre de l'intérieur les discussions d'un comité qui a finalement apporté au législateur quatre réponses, dont une seule souhaitait une modification de la loi pénale. Les trois autres, surtout les positions 2 et 3, estimaient une législation nécessaire mais pas une modification de la loi pénale. Puisque vous avez participé à ces travaux comme juriste je crois que dans ces dossiers, il existe une grande incommunicabilité entre juristes et non-juristes , j'aimerais que vous précisiez quelles étaient les lois ou dispositions qu'imaginaient les tenants des positions 2 ou 3, la différence entre les deux étant surtout un colloque singulier prévu dans la position 2 et un colloque plus ouvert dans la position 3.
M. le président. A priori et a posteriori aussi.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Quel type de législation ne ressortissant pas à la loi pénale était imaginé ? Même en lisant cet avis plusieurs fois, je n'ai pas bien compris puisqu'aucune proposition de texte n'a été rédigée. Quelles étaient les idées des tenants de ces deux positions qui n'étaient pas tellement éloignées l'une de l'autre ?
Deuxième question : de manière plus générale, quelle est la position des médecins par rapport à la loi pénale ? N'importe quel acte médical posé par un médecin peut être passible de poursuites pénales. Sur la base de votre expérience, de quel type de sécurité juridique le médecin dispose-t-il aujourd'hui par rapport à la loi pénale pour l'ensemble des actes médicaux qu'il pose ? Un problème ne risque-t-il pas de se poser dans la mesure où la sécurité juridique serait assurée pour un acte particulier mais pas pour les autres qui pourraient toujours tomber sous le coup de la loi pénale, par exemple, des coups et blessures involontaires, etc. ?
Troisième question : je reviens sur les causes de justification et la notion d'état de nécessité. Jusqu'ici, l'état de nécessité est une notion jurisprudentielle. Ne serait-il pas utile d'intégrer dans le code, à l'article 71bis, par exemple, une définition de l'état de nécessité et, donc, passer d'une notion jurisprudentielle à une notion légale, ce qu'avait d'ailleurs proposé M. Legros à l'époque, dans l'avant-projet de Code pénal M. Legros élaborait un Code pénal un peu plus cohérent et plus moderne et définissait légistiquement, et plus jurisprudentiellement, la notion d'état de nécessité à l'article 71 de son projet afin de clarifier cette notion qui a été maintes fois évoquée et de manière que les gens puissent s'y référer ?
Cela s'inscrit dans le droit fil de ma question concernant la responsabilité des médecins face à la loi pénale. Plus on entend les gens de terrain, plus on se demande s'il n'y a pas une situation particulière du médecin face à la loi pénale pour les actes médicaux qu'il pose. Je me réfère à l'audition du professeur Vincent qui est un intensiviste et qui, tous les jours, prend des décisions et pose des actes pouvant mettre ou non fin à la vie d'un patient, par exemple en arrêtant un traitement ou en estimant qu'il n'y a pas lieu de réanimer. C'est toute la problématique des NTBR, les patients not to be reanimated. Il s'agit d'actes qui, si l'on voulait vraiment être pointu, pourraient être passibles de poursuites sur le plan pénal. Ne peut-on imaginer quelque chose de spécifique pour ces situations dans lesquelles se trouve le médecin par rapport à un patient ? Est-ce d'ordre médical ou d'ordre pénal ? Ces situations particulières ne nécessitent-elles pas une législation de type particulier, tout en ne perdant pas de vue que le droit pénal doit s'appliquer à tous et qu'on ne peut faire des exceptions en fonction de la profession exercée ?
Quatrièmement, par rapport à la modification de la loi pénale, quelle est votre approche de la situation aux Pays-Bas ? Aujourd'hui, hic et nunc, même si un projet de loi se trouve sur la table du parlement, projet qui, à ma connaissance, n'est pas examiné, nos voisins néerlandais n'ont pas décidé de modifier la loi pénale, qui reste donc entière. Cependant, comme l'a rappelé Mme Nyssens, ils travaillent via le concept de force majeure. Ils ont un accord avec les procureurs généraux et ont mis en place un processus administratif qui fait que, moyennant le respect d'un certain nombre de critères, le pouvoir judiciaire s'abstient de poursuivre. Pourrait-on imaginer quelque chose de semblable dans notre pays, sans toucher à l'interdit pénal qui est quand même, ainsi que vous l'avez rappelé, une norme fondamentale ? Pourrait-on imaginer que dans un certain nombre de situations particulières, il pourrait y avoir un consensus au niveau de la justice pour ne pas poursuivre ?
J'en arrive à une dernière question préoccupante que vous avez d'ailleurs soulignée, comme l'avaient fait de nombreux interlocuteurs. La proposition des six sénateurs de la majorité ne touche qu'à certains cas très précis, notamment le cas du patient conscient, capable et qui formule une demande. On nous a dit que si ces cas existent, bien entendu, la plupart des cas difficiles sont toutefois ceux des patients inconscients ou dont on peut difficilement évaluer le degré de conscience. La proposition fait état d'un testament de vie en précisant que celui-ci doit être mis en oeuvre, qu'il équivaut à la demande du patient conscient. Beaucoup de médecins disent que pour eux, ce n'est qu'un élément, et que les gens peuvent changer d'avis. Que se passe-t-il alors pour tous ces actes médicaux qui sont pratiqués aujourd'hui sur des patients inconscients, qui n'ont pas fait de testament de vie ? Si une telle proposition était votée, quelle serait la situation concrète du médecin qui, en l'absence de testament de vie, se trouve confronté à des cas extrêmement difficiles et douloureux ? Un certain nombre de médecins ont d'ailleurs évoqué ici de tels cas.
M. Jules Messinne. Première question : le Comité consultatif de bioéthique n'a pas envisagé la législation. S'il l'avait fait, vous en auriez trouvé trace dans son avis. Il n'y a pas pensé. Le problème posé était celui de savoir s'il était opportun ou non de légiférer. Le Comité a répondu qu'il revenait au législateur de décider en la matière. À la réflexion, on se trouve dans quatre cas de figure possibles. C'est tout. Je ne puis répondre à votre première question qu'en constatant que le Comité consultatif n'a pas songé à placer tel texte légal dans telle ou telle partie du corps législatif ou légal ou même à formuler d'autres conditions que celles qui figurent de façon tout à fait générale dans les quatre cas de figure relatés.
Mme Nathalie de T'Serclaes. La « patate chaude » est donc pour le Parlement. Pour avoir bien lu les quatre positions, il me semble que, sans formuler de propositions, la première position demandait une modification de la loi pénale, la deuxième privilégiait le dialogue patient-médecin, la troisième voulait une régulation a priori et la quatrième ne voulait rien du tout. Il y a donc manifestement une demande de réglementation lancée aux parlementaires. Le législateur ne peut pas rester immobile face à ce type de position.
M. Jules Messinne. Le législateur doit choisir. Nous n'avons répondu qu'à la question de savoir s'il était opportun que le législateur intervienne dans cette affaire. Je fais partie du groupe qui estime préférable que le législateur n'intervienne pas, pour les raisons que je vous ai indiquées. Je suis toutefois d'accord avec le concept suivant lequel il faut légiférer en matière d'euthanasie. Et alors ? Comment légifère-t-on ? Que prévoit-on ? Il est facile de dire qu'il faut légiférer en matière d'euthanasie mais à partir du moment où il faut prendre sa plume pour écrire un texte, cela devient beaucoup plus difficile. À ce moment, surgissent un certain nombre d'obstacles, parmi lesquels celui qu'il convient de « bien » légiférer en matière d'euthanasie.
Deuxième question : les médecins et la loi pénale. Vous entendrez tout à l'heure M. Dalcq, qui est particulièrement compétent dans ce domaine. Je me limiterai à répondre de la manière suivante : pour quelle raison un chirurgien n'est-il pas systématiquement poursuivi après chaque intervention chirurgicale ? Sur le plan du droit pénal, il y a deux explications juridiques à cette impunité, ainsi qu'une troisième qui, à mon avis, n'est pas bonne. La première tient à la définition même de ce que le Code pénal entend par coups et blessures volontaires. Cette infraction suppose que celui qui blesse ait l'intention de porter atteinte à l'intégrité physique de sa victime, ce qui n'est évidement pas l'intention des médecins.
Le chirurgien n'intervient pas pour blesser mais pour soigner. Cette option a été retenue par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans une affaire qui a fait grand bruit il y a quelque 25 ans. Il s'agissait du cas d'un transsexuel et l'opéré était décédé à la suite de l'intervention. Le parquet de Bruxelles avait poursuivi les médecins qui avaient pratiqué l'intervention du chef de coups et blessures volontaires. Le tribunal correctionnel de Bruxelles avait considéré, dans cette affaire, qu'il n'y avait pas de coups et blessures volontaires et on ne démontra pas, par ailleurs, une faute dans le chef d'un des intervenants médecins. Par conséquent, l'élément moral faisait défaut. Un des éléments nécessaires à la réalisation de l'infraction faisant défaut, il y eut acquittement.
La deuxième explication est une explication d'autorisation de la loi. La loi autorise, pas expressément mais implicitement, par l'organisation de la profession médicale, le chirurgien à pratiquer une intervention chirurgicale. Donc, l'impunité tient à une autorisation tacite de la loi. La plupart des autorisations de la loi sont en effet tacites, spécialement en matière de coups et blessures volontaires.
C'est cette autorisation de la loi qui, toujours tacite, permet de ne pas poursuivre des participants à un sport violent lorsque les règles de ce sport ont été respectées, ce sport étant autorisé par la loi.
La troisième explication parfois donnée mais qui, je pense, est erronée, c'est l'état de nécessité. En effet, ce que fait le médecin n'est pas une infraction. Il est autorisé par la loi à le faire et donc, ce n'est pas une infraction. Or, pour invoquer une cause de justification, il faut qu'il y ait un fait d'infraction. Cette explication-là ne me paraît par conséquent pas satisfaisante.
Voilà pour les chirurgiens, mais vous posez aussi la question de savoir ce qui pourrait, le cas échéant, justifier, soit l'abstention, soit l'exercice de poursuites dans des situations comme celles qui vous ont été décrites, notamment par M. Vincent, d'arrêt de traitement par exemple.
Je ne suis pas sûr de ne pas vous choquer en vous disant ce que je vais vous dire. Tout le monde doit être raisonnable, le ministère public aussi. Il y a des cas dans lesquels, manifestement, il serait déraisonnable de poursuivre. Il serait déraisonnable de poursuivre un médecin qui met fin à un traitement qui n'a plus aucun sens. Ce serait déraisonnable ! Et s'il y avait des poursuites, il s'agirait d'un assassinat et donc il y aurait des poursuites devant la cour d'assises et je suis assez tranquille. Il y aurait un acquittement et plus personne n'entendrait parler de poursuites aussi ridicules.
M. le président. Pourquoi cela devrait-il nous choquer ?
M. Jules Messinne. Parce que toute le problématique qui consiste à intervenir législativement sur la question est une problématique dans laquelle on suppose que le ministère public n'est pas raisonnable.
Il me semble que vous tenez cela pour acquis, ce qui ne me paraît pas vérifié !
Vous me demandez s'il est souhaitable d'inscrire l'état de nécessité comme cause de justification dans le Code pénal en lui donnant une définition qui correspond pratiquement à celle que la Cour de cassation lui donne depuis plusieurs années. Y gagnerait-t-on en clarté ? Je vous répondrai : oui, pourquoi pas ? J'ai une petite réserve à ce sujet-là mais peut-être est-elle due à mon conservatisme. Les causes de justification définies par la jurisprudence sont en réalité plus souples que les causes de justification déterminées par la loi. Si, à la suite d'une évolution jurisprudentielle, le législateur décide de couler la jurisprudence dans la loi, d'une certaine façon, la jurisprudence se trouve en difficulté pour évoluer. Elle ne donnera donc plus d'autre définition de l'état de nécessité que celle prévue par la loi et il faudrait des années pour que la jurisprudence se remette à interpréter de façon large, comme elle le fait maintenant depuis près de 80 ans, les causes de justification qui figurent dans le Code pénal. Mais c'est la seule petite réserve que j'aie à émettre à ce sujet-là.
À la question de savoir si la situation néerlandaise est transposable en Belgique : oui, bien sûr, elle l'est. Je dirais même que c'est sans doute plus aisé à réaliser aujourd'hui qu'il y a un collège des procureurs généraux instauré par la loi. On peut donc élaborer une politique criminelle en accord avec le ministre de la Justice et les cinq procureurs généraux. Il s'agit de quelque chose de plus aisé à réaliser aujourd'hui qu'il y a 10 ou 15 ans. Mais je vous rappelle l'inconvénient que je vois, moi, à la situation néerlandaise. C'est que tout le monde est convaincu que la loi néerlandaise autorise l'euthanasie et, par conséquent, on se trouve dans un cas de figure identique à celui à propos duquel j'ai les nettes réserves que je vous ai exprimées.
Cela dit, n'y a-t-il pas depuis 40 ans en Belgique une situation de fait qui ressemble à celle-là ? Lorsqu'une situation d'euthanasie est démontrée au ministère public, le ministère public ne commence-t-il pas par examiner le dossier ? Il y a quelques années à l'occasion d'une réunion de l'Union belge et luxembourgeoise de droit pénal qui s'est tenue à Liège, nous avons appris que le procureur général de Liège cela remonte à une trentaine d'années avait ouvert une instruction à la suite d'une dénonciation sur un cas d'euthanasie. Cette instruction a été menée à son terme jusqu'à un arrêt de renvoi devant la cour d'assises prononcé par la chambre des mises en accusations de la cour d'appel de Liège et le procureur général de Liège a décidé qu'après cet arrêt de renvoi, il ne citait pas devant la cour d'assises. Le médecin n'avait pas été arrêté. Le procureur général ne citait pas, il classait donc le dossier sans suite.
Cela me paraît raisonnable mais c'est inconfortable pour le médecin, assurément. En effet, il aura été soumis à une instruction et il aura dû s'expliquer. Ses explications ont été convaincantes ? Très bien. Le ministère public a pris la décision sage qui me paraissait devoir être prise.
Votre dernière question consiste à savoir, si le texte est voté, ce qu'il adviendra des médecins qui continueraient à pratiquer des interruptions de vie en dehors des conditions spécifiquement prévues par la loi, notamment sur les patients inconscients.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Ce qui me paraît être les cas de loin les plus nombreux.
M. Jules Messinne. Vous leur aurez singulièrement compliqué la vie. Vous aurez fragilisé la situation de personnes à qui, d'une certaine façon, vous dites : « Si vous faites cela, puisque ce n'est pas dans les conditions prévues par la loi, vous faites quelque chose que nous considérons encore aujourd'hui comme interdit. » D'une certaine façon, vous priverez donc ces médecins de faire non seulement ce qu'ils estiment être leur devoir, mais, pour reprendre l'expression que j'utilisais tout à l'heure, ce que l'humanité commande.
M. Patrik Vankrunkelsven. En réaction à une remarque de M. Vandenberghe, vous avez dit qu'il pouvait effectivement y avoir violation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme. De la même façon, si quelqu'un déposait une plainte pour refus, de la part d'un médecin, de pratiquer l'euthanasie en cas de douleur insupportable, ne pourrait-on pas parler de transgression de l'article 3 de ladite convention ?
Je suis d'accord avec M. Vandenberghe lorsqu'il dit que si la notion d'état de nécessité n'était interprétée que par le biais de la jurisprudence, c'est alors que l'on se mouvrait véritablement sur une pente glissante. Il s'avère en effet qu'aux Pays-Bas, la notion est interprétée de plus en plus largement. Contrairement sans doute à votre propre vision, il règne dans cette salle un assez large consensus quant à l'opportunité de légiférer de l'une ou l'autre façon. À cet égard, trois formules sont possibles.
Une première formule, que préconise, entre autres, le CVP, consiste à invoquer la notion d'état de nécessité en l'assortissant d'un certain nombre de conditions de vigilance. Mais la notion d'état de nécessité permet-elle de spécifier davantage ?
Une deuxième possibilité, défendue notamment par le sénateur Mahoux, consiste à dire qu'il n'y a pas crime si certaines conditions sont remplies.
La troisième piste, celle que l'on suit actuellement aux Pays-Bas, suppose que lorsque certaines conditions de vigilance sont respectées, il ne peut y avoir de sanction. La notion de crime demeure toutefois intacte. Par contre, on définit clairement ce qu'est l'euthanasie et comment cette infraction doit être punie.
Que pensez-vous de ces trois possibilités de légiférer ?
M. Jules Messinne. Ce que la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose, ce sont des obligations à des États. Une plainte qui serait portée par un malade contre un médecin ne relèverait donc pas de la convention précitée. Je voudrais revenir sur une chose que vous avez dite, Monsieur le sénateur, et que je ne crois pas exacte. On ne parle pas d'état de nécessité aux Pays-Bas. Le problème de l'état de nécessité ne se pose pas dans le système néerlandais. Le système néerlandais est un système dans lequel le ministère public s'est mis d'accord avec le ministère de la Santé publique à la suite d'un arrêt de la cour suprême des Pays-Bas le Hoge Raad et à la suite d'une négociation au cours de laquelle d'ailleurs une proposition de loi avait été déposée, qui en définitive a été retirée, parce qu'un accord est intervenu entre le ministère public et le ministère de la Justice d'une part et le ministère de la Santé publique d'autre part. On s'est mis d'accord pour que les poursuites n'aient pas lieu lorsque l'acte euthanasique était accompli dans un certain nombre de conditions. C'est le ministère public qui a dit qu'il ne poursuivrait pas si ces conditions étaient respectées. Personne n'a parlé d'état de nécessité dans ce cas-là. La notion d'état de nécessité est tout à fait étrangère à la situation telle qu'elle se présente aux Pays-Bas. Si on essaie de faire un parallèle avec la situation dans laquelle nous nous trouvons ou les cas de figure dans lesquels nous nous trouvons ici, je crois que la situation aux Pays-Bas est plus proche d'une situation d'autorisation de la loi que d'une situation d'état de nécessité.
Pourquoi suis-je très réticent à l'égard de la situation hollandaise ? Parce que le contrôle social ne s'exerce pas sur les raisons pour lesquelles quelqu'un a mis fin à la vie de quelqu'un d'autre, il ne porte que sur les conditions dans lesquelles on a accompli l'acte euthanasique. Y a-t-il eu consultation d'un deuxième médecin ? La constatation de ce deuxième médecin portait-elle bien sur la question de savoir si la maladie était incurable ? Est-on en fin de parcours, en situation de phase terminale ? A-t-on correctement rempli le formulaire en disant que toutes les conditions ont été respectées ? Ce document est envoyé au procureur de la Reine, qui contrôle, avec ou sans le concours d'un médecin légiste il y a pour le moment une évolution en cours si les conditions sont respectées. On n'a donc pas contrôlé la raison pour laquelle on a donné la mort. On n'a contrôlé que les conditions dans lesquelles la mort a été donnée.
Selon moi, c'est quelque chose de très fâcheux, car cela signifie que la société renonce à contrôler les raisons pour lesquelles quelqu'un a tué quelqu'un d'autre.
Est-il possible de lier l'état de nécessité à un cas particulier ? C'est possible, évidemment ! Vous pouvez tout faire ! Mais cette situation me paraît comporter de tels inconvénients par rapport aux avantages que l'on pourrait éventuellement en retirer qu'à mon avis, il vaut mieux ne pas le faire. Vous altérez la notion d'état de nécessité puisque vous la réduisez à un infraction déterminée. Pour les juges, cela signifie que, aux yeux du législateur, l'état de nécessité n'est plus une cause de justification générale mais une cause de justification particulière. Et la Cour de cassation appliquera la loi, telle que vous la définissez. Par conséquent, vous aurez amoindri une situation.
Vous parlez de situation de dérive aux Pays-Bas; pour ma part, je n'en sais rien. En revanche, je sais qu'aux Pays-Bas, tout le monde est convaincu que la loi autorise l'euthanasie. Pour moi, c'est une altération considérable et essentiellement nocive du sens symbolique de la loi.
M. Alain Zenner. Dans son Traité élémentaire de droit civil belge, M. De Page, l'un de vos éminents collègues, considérait que les juristes excellent souvent à manier les principes avec une virtuosité étonnante mais en oubliant les réalités; or, c'est pour les réalités que le droit est fait et non pas pour la beauté des principes.
Cette maxime ne s'applique pas à votre intervention, qui est remarquable à tous égards, mais il demeure que nous sommes confrontés à une réalité, qui est sans doute la conviction de la majorité d'entre nous, si ce n'est de l'unanimité, acquise à la suite des travaux qui ont été accomplis, notamment par le Comité consultatif de bioéthique au Sénat voici deux ou trois ans, ainsi que des auditions de cette commission. Je crois en effet qu'une très large majorité d'entre nous considèrent, pour un ensemble de raisons que je ne développerai pas ici, qu'il y a lieu de réglementer la matière.
Comme vous l'avez dit, toute la question est de savoir comment bien réglementer. Parmi les multiples questions qui se posent à cet égard, la principale sur le plan symbolique la seule qui ait été évoquée ce matin touche à l'interdit de tuer et à la valeur symbolique de cet interdit, et cela malgré le paradoxe que je retiens de certaines de vos considérations. En effet, vous nous dites d'une part que, pour que la loi maintienne sa crédibilité, il faut éviter d'autoriser l'euthanasie dans tel ou tel cas; en même temps, vous nous dites que la loi, dans son état actuel, l'autorise, dès lors qu'il y a état de nécessité. Personnellement, je vois là un paradoxe.
Sur ce plan, la préoccupation est de savoir comment réglementer, comment permettre l'euthanasie dans certains conditions, en touchant aussi peu que possible à la valeur fondatrice de l'interdit de tuer.
Je retiens de votre exposé que c'est par une autorisation tacite ou expresse de la loi et susceptible de se dégager d'une norme établie de comportements je pense à une alternative à une dépénalisation pure et simple dans le Code pénal que l'on pourrait atteindre ce but. J'aimerais avoir quelques éclaircissements à cet égard. Suffirait-il de clarifier, imposer et décrire le comportement du médecin dans certaines circonstances pour qu'il y ait autorisation tacite de s'y conformer, même si les faits constitutifs de ce comportement pourraient être considérés comme étant contraires ou violant une norme pénale ? Comment faire pour bien réglementer dans cette matière ?
M. Jules Messinne. Il n'y a pas de paradoxe entre l'interdit de tuer et l'état de nécessité. Ce dernier est supérieur à tout le reste. C'est faire son devoir même si, pour prix de ce devoir, il faut répondre de ses actes. Les articles 70 et 71 du Code pénal disent qu'il n'y a pas d'infraction lorsque l'agent a agi en état de justification.
M. Alain Zenner. Vous nous dites que, dès lors, l'euthanasie est autorisée dans certains cas, du fait de cette combinaison.
M. Jules Messinne. Je ne dis pas cela. Je dis : l'agent qui, en donnant la mort, est justifié par quelque cause de justification que ce soit, s'expliquera sur la réalité de cette cause de justification; il ne doit pas la prouver, il doit l'invoquer avec un minimum de vraisemblance et il sera cru si le ministère public n'apporte pas la preuve contraire.
M. Alain Zenner. Ce qui revient à dire que, dans certains cas, l'euthanasie est autorisée en droit positif actuel.
M. Jules Messinne. Non, je dirai qu'il y a un certain nombre de cas, que l'on ne peut déterminer à l'avance, dans lesquels celui qui aura donné la mort sera reconnu comme étant justifié.
M. Alain Zenner. Le problème est que cette incertitude puisque vous parlez vous-même de conditions qui ne sont pas connues à l'avance est fondamentalement contraire à ce qu'on appelle « la belle mort », au dialogue entre patient et médecin, entre médecin et équipe soignante ainsi qu'à la prise en compte de tous les intérêts en cause. Elle provoque des euthanasies clandestines, elle permet des abus. Il paraît nécessaire de corriger cette situation qui, d'après tous les témoignages que nous avons entendus, tient fondamentalement à l'incertitude qui pèse et jette une chape de plomb sur les circonstances dans lesquelles interviennent les fins de vie.
D'où cette volonté de clarifier le comportement du médecin et de permettre ce dialogue ouvert et franc, de façon à ce que les patients puissent se réapproprier leur mort et que ce dialogue puisse être réinstauré.
M. Jules Messinne. Aucune loi n'empêchera les abus.
M. Alain Zenner. Dans ce cas, il ne faudrait jamais légiférer.
M. Jules Messinne. C'est autre chose ...
M. le président. Nous pouvons quand même tenter de combattre les abus ...
M. Jules Messinne. Effectivement. Parmi les abus, nous trouvons précisément des comportements dont vous estimez qu'ils sont à ce point dangereux qu'ils mettent en cause l'intégrité de la société et, donc, qu'ils appellent une répression. Votre propos n'est pas juridique mais factuel : il y a des abus. Cependant, le fait de réglementer l'euthanasie ne mettra pas un terme aux abus. J'entends sans arrêt qu'aux Pays-Bas, des euthanasies sont pratiquées en dehors des conditions déterminées entre le ministère public et le ministère de la Santé publique. Par conséquent, il y a des abus.
M. Alain Zenner. Un effort pédagogique se matérialise au fil des ans. Au départ, il y avait 10 % de déclarations. Aujourd'hui, nous sommes à 50 % et nous pouvons espérer qu'une clarification similaire à celle intervenue aux Pays-Bas permette d'arriver finalement à ce que toutes les interventions soient déclarées.
M. Jules Messinne. J'apprécie votre souci de pédagogie mais il s'agit d'un problème plus important, de plus longue haleine et d'un type plus général, auquel j'ai d'ailleurs fait allusion tout à l'heure. Mais l'incertitude demeurera, Monsieur le sénateur, que vous prévoyiez ou que vous ne prévoyiez pas de conditions, puisqu'il faudra qu'un contrôle porte sur le respect des conditions. Ce contrôle devra nécessairement être exercé par une autorité judiciaire. Dès lors, l'incertitude planera sur la réponse donnée par le juge à d'éventuelles contestations relatives au respect de ces conditions. Vous n'éliminerez pas l'incertitude ...
Vous posez aussi la question de savoir si, dans certains cas, la loi ne pourrait pas autoriser tacitement ...
M. Alain Zenner. En édictant un comportement dans l'accompagnement de fin de vie, en disant que les médecins devraient agir de telle et telle manière, ne pourrait-on arriver à ce que vous avez qualifié d'autorisation tacite où le contrôle des conditions il est évident qu'un contrôle doit demeurer mais l'incertitude serait moins forte impliquerait un contrôle des raisons qui, à juste titre, vous tient à coeur ?
M. Jules Messinne. C'est possible mais, bien entendu, cela change fort l'orientation de la réflexion. À ce moment-là, on n'envisage plus que la loi autorise expressément l'euthanasie dans un certain nombre de cas qu'elle détermine, on fait autre chose, on réglemente ...
M. Alain Zenner. Nous sommes soucieux d'examiner toutes les possibilités, sans a priori. Nous ne débattons pas d'une ou de plusieurs propositions de loi définies. Nous débattons d'un ensemble de propositions et nous essayons de trouver les formules les plus adéquates pour rencontrer les préoccupations dont nous sommes témoins dans le cadre des auditions.
M. le président. Excellent résumé.
M. Jules Messinne. Je crois que cette réflexion permettrait d'aboutir à des solutions mettant moins en cause ce qui constitue ma préoccupation majeure, à savoir la valeur même de la loi. Sans doute n'est-ce pas impossible.
M. Jacques Santkin. Je tiens à remercier M. le conseiller pour son exposé pertinent. Je regrette, en toute humilité, de ne pas avoir approfondi mes connaissances juridiques. Cela m'aurait permis de saisir les subtilités qui échappent parfois aux sénateurs, bien qu'ils soient attentifs à cette problématique. Quoi qu'il en soit, notre réflexion a franchi une étape supplémentaire quant à la nécessité de légiférer puisque des textes sont déposés. Nous pourrions éventuellement changer d'avis au cours des semaines et des mois à venir, mais vous aurez senti qu'il existait plus qu'un a priori favorable quant à la démarche de légiférer.
Je voudrais poser quatre questions à M. le conseiller Messinne.
Il a fait référence, après d'autres, au fait qu'il n'y a pas eu la moindre condamnation dans notre pays en quarante ans. Cependant, je m'interroge car le fait qu'il n'y ait pas eu de condamnation ne signifie pas que tout va bien. S'il n'y a pas ou peu de plaintes déposées, il est évident qu'il n'y a pas de raison de condamner. J'aimerais obtenir des précisons à cet égard. Monsieur le conseiller a effectué un parallèle avec la législation relative à l'interruption volontaire de grossesse. Nous pourrions peut-être examiner les données chiffrées concernant les cinq, voire les dix dernières années. Il serait intéressant d'en savoir davantage quant aux critères retenus par les parquets pour décider de renoncer aux poursuites. À titre personnel, je trouve qu'il s'agit d'un point important.
Il a aussi fait allusion à la situation aux Pays-Bas où, en réalité, il n'existe pas de législation mais un accord passé entre le ministère de la Justice et le ministère de la Santé publique. Ce n'est pas une première. Nous avons procédé de la même manière en Belgique j'ai d'ailleurs collaboré à cette démarche à propos de la prescription de méthadone, qui était passible de poursuites. Nous avons eu une sorte de dialogue triangulaire, si je puis m'exprimer ainsi, qui nous a permis de conclure un accord baptisé « code de bonne conduite », applicable aux médecins prescrivant ce traitement. Ce code de bonne conduite précise les raisons et l'accompagnement des patients auxquels est appliqué un tel traitement.
Vous avez fourni, Monsieur le conseiller, de nombreux arguments en défaveur d'une législation. Dès lors, considérez-vous ce type de démarche comme une alternative réaliste par rapport à notre objectif ?
Dans vos conclusions, vous avez mis en opposition la notion de « facilité » et celle de « responsabilité ». Vous avez attentivement examiné les textes qui ont été déposés. Selon vous, le fait de définir un encadrement, de mettre sur papier un certain nombre de conditions strictes ne revient-il pas à imposer davantage de responsabilités, puisque le non-respect des dispositions en question pourrait entraîner une condamnation ?
Vous avez également évoqué la notion de « crédibilité » de la loi. Qu'entendez-vous par là ? Pour vous, une loi non crédible serait-elle une loi inutile ou une loi qui ne rencontre que partiellement les problèmes qu'elle est censée résoudre ? Je précise que de ce point de vue, et vous en êtes probablement plus conscient que d'autres, aucune législation n'est parfaite. Toute législation peut dès lors souffrir d'un certain « manque de crédibilité ».
M. Jules Messinne. J'ai parlé des quarante ans sans condamnation pour expliquer que pendant tout ce temps, certains médecins avaient surmonté les obstacles, puisque des actes d'euthanasie ont été pratiqués. J'ai voulu montrer qu'il était possible pour un médecin de surmonter les difficultés, les incertitudes, les risques de poursuites, de dénonciation, etc. Sur cette période, un très grand nombre de médecins ont accompli de nombreux actes d'euthanasie, dans une situation d'incertitude à laquelle vous voulez mettre fin. Je n'en tire aucun autre enseignement car j'ignore quels sont les critères utilisés par les parquets, si critères il y a.
Raisonnablement, si un parquet apprend qu'un acte d'euthanasie a été pratiqué, décide de prendre davantage de renseignements et constate un état de nécessité dans les circonstances de fait dans lesquelles l'acte a été accompli, il n'ira pas plus loin. A-t-il d'autres critères ? Je ne le pense pas.
Mais comme je l'ignore, je ne puis vous fournir aucune indication à ce sujet.
Un code de bonne conduite pourrait-il constituer une alternative ? Oui, mais attention : si le code de bonne conduite et cela rejoint la réflexion exprimée tout à l'heure par M. Zenner avait pour conséquence que tout le monde croit que la loi autorise l'euthanasie, l'inconvénient dont j'ai parlé se produirait.
Si l'on s'oriente dans cette voie, il faudra être particulièrement attentif à la manière d'élaborer ce code de bonne conduite.
D'ailleurs, qui va l'élaborer ? Si c'est vous, ce sera la loi. Si cela se fait à l'intérieur de la profession médicale, cela ressemblera au code de déontologie médicale tel qu'il existe actuellement.
M. le président. Et dans le cadre d'une charte des droits des patients, par exemple ?
M. Jules Messinne. Qui va l'élaborer, Monsieur le président ? Si c'est vous, ce sera la loi. Il y a la possibilité d'élaborer des règles générales applicables aux médecins. Mais, à ce sujet, je crois davantage aux règles qui seraient élaborées à l'intérieur même de la profession. Si l'on peut arriver à une situation dans laquelle on donne des indications aux médecins, cela se présentera sans doute dans des conditions différents de celles dans lesquelles on se trouve nécessairement à partir du moment où on légifère.
Vous pensez qu'une législation qui autoriserait l'euthanasie dans certains cas précis conférerait davantage de responsabilités à celui qui déciderait de pratiquer l'acte que dans la situation actuelle. Pour ma part, je ne le crois pas et je vous dis pourquoi : le contrôle qui s'exerce dans ce cas-là ne s'exerce plus sur la raison pour laquelle quelqu'un a pratiqué l'acte d'euthanasie, mais seulement sur les conditions dans lesquelles il l'a fait. Par conséquent, on ne lui demande plus des comptes sur le fond mais sur la forme. C'est de la déresponsabilisation. Voilà ce que j'appelle la solution de facilité : celle qui vous est demandée par les médecins qui veulent vous voir légiférer, celle qui est suggérée par M. le premier avocat général Morlet dans l'émission de télévision à laquelle je faisais référence tout à l'heure. Ils vous demandent de fixer des conditions, ainsi, ils n'ont plus à apprécier la situation : c'est plus commode, mais pour moi, je le répète, il s'agit d'une déresponsabilisation.
J'en viens à la crédibilité de la loi. Ah, Monsieur le sénateur, quel problème ! Je crois qu'une loi est « incrédible » lorsqu'elle est imparfaite et qu'elle gagne en crédibilité au fur et à mesure qu'elle essaie de ne pas l'être. Exemple de loi « incrédible » : une loi expérimentale. Imaginez que le législateur qui a écrit le Code civil l'ait fait à titre expérimental. Personne n'aurait cru au Code civil. Imaginez qu'on ait instauré le Code pénal à titre expérimental. Personne n'aurait cru au Code pénal.
Ce n'est pas neuf; ces préceptes remontent à Montesquieu. Une loi crédible est, d'une part, un loi qui correspond à un impératif moral social. Une loi, surtout une loi pénale certaines lois touchant seulement à l'organisation matérielle de la société doit correspondre à un impératif moral social. Si ce n'est pas le cas, le corps social n'y adhère pas et on se retrouve dans la situation des années 80 à propos de l'avortement. Je pense qu'une loi qui porte atteinte, quoi qu'on en dise et quelle que soit la manière dont on le fait, à un interdit moral social aussi important que l'interdiction de tuer autrui j'insiste sur ce point : il ne s'agit pas d'une interdiction de se tuer soi-même , à un interdit fondamental parce que fondateur de notre société on le retrouve notamment dans les instruments internationaux dont on parlait tout à l'heure je pense donc qu'une telle loi mettrait en cause la crédibilité de l'interdit. En effet, le législateur aurait reconnu qu'il ne s'agit plus d'un interdit absolu puisqu'il comporterait des exceptions.
M. le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller. Je crois que tous les sénateurs en séance ont compris votre position que vous avez défendue avec conviction et brio. Je vous remercie vivement pour cette contribution à nos discussions. Il en sera certainement tenu compte par bon nombre d'entre nous.
Audition de M. Roger Dalcq, avocat au barreau de Bruxelles
M. Roger Dalcq. Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité aujourd'hui dans le cadre de ces auditions. Je suis un praticien du droit de la responsabilité. J'ai enseigné cette matière pendant plus de trente ans à l'université de Louvain. J'ai publié un certain nombre de choses dans ce domaine. Je ne m'étais toutefois jamais penché particulièrement sur le problème de l'euthanasie. C'est un problème qui touche à la responsabilité pénale et à la responsabilité civile mais aussi à la responsabilité morale et donc à l'éthique. Comme M. Messinne le soulignait ce matin, il est vrai que les règles de la responsabilité pénale mais aussi celles de la responsabilité civile et de la responsabilité morale se rejoignent fréquemment.
Je voudrais commencer cet exposé par une double profession de foi.
J'ai toujours eu une grande confiance dans les médecins et, plus largement, vis-à-vis de tous ceux qui, par leur profession, sont amenés à soigner les autres. Cette déclaration peut paraître étonnante dans le chef de quelqu'un qui a, dans sa pratique, intenté de nombreux procès à des médecins, pour mettre en lumière leur responsabilité devant les tribunaux, pour apprécier s'ils avaient commis des fautes ou non dans les traitements et, dans l'affirmative, indemniser les victimes. Mais la circonstance qu'un médecin commet une faute dans l'exercice de sa profession et qui n'en commet pas ? , soit en posant un diagnostic erroné, soit en donnant des soins inadaptés, n'a jamais à mes yeux porté atteinte à l'honnêteté et à la correction des médecins dans l'exercice de leur profession. Je ne vois aucune contradiction entre la mise en cause de la responsabilité d'un médecin et l'affirmation que, très généralement, les médecins sont honnêtes, responsables et soucieux d'apporter à leurs patients les meilleurs soins possibles. C'est en tout cas l'opinion que je me suis formée personnellement au cours de ma fréquentation professionnelle du monde médical.
Ma seconde profession de foi concerne ma confiance dans le monde judiciaire. Certes, la justice est souvent critiquée et à juste titre en Belgique parce qu'elle ne fonctionne pas bien et ce, pour des raisons qui relèvent avant tout de l'administration cadres non remplis ou inadaptés, moyens matériels insuffisants mais cette critique ne peut s'adresser à mes yeux à une magistrature de qualité, foncièrement honnête et soucieuse de remplir son devoir le mieux possible, même lorsque les conditions sont très difficiles.
Si je me permets d'affirmer ces deux professions de foi au début de mon exposé, c'est parce qu'elles expliquent et éclairent les remarques qui suivront.
Il est évident également que les juristes doivent être particulièrement attentifs aux observations qui ont été formulées par les experts médecins au cours des auditions auxquelles vous avez procédé. Tout comme le législateur, les juristes ne sont pas confrontés directement aux problèmes que rencontrent les équipes soignantes sur le terrain.
Avant d'en venir aux propositions de loi discutées, et puisque je suis invité à prendre la parole comme spécialiste du droit de la responsabilité, je voudrais donner quelques précisions juridiques qui me paraissent susceptibles d'éclairer vos discussions.
En droit civil, toute faute qui cause un dommage à autrui oblige son auteur à réparer ce préjudice en vertu de l'article 1382 du Code civil. La faute civile est très généralement définie comme l'acte que n'aurait pas commis un homme normalement prudent et avisé.
En droit pénal, le critère est plus restrictif : il n'y a faute que si l'on commet une infraction visée par un texte légal. Le Code pénal contient une énumération des infractions sanctionnées dans des domaines très différents. Mais à côté du Code pénal, il existe beaucoup d'autres textes de lois dont la violation est également sanctionnée par une peine ou une amende.
L'infraction pénale qui cause à autrui un dommage est également une faute sur le plan civil. À ce titre, indépendamment de toute poursuite répressive, cette faute peut être invoquée devant une juridiction civile par la victime afin d'obtenir la réparation du dommage. La victime a le choix entre deux voies distinctes. Elle peut attendre que le parquet mette en mouvement l'action répressive et se joindre alors à cette action en se constituant partie civile. Elle peut aussi s'abstenir de provoquer la mise en mouvement de l'action répressive ou ne pas attendre que le parquet le fasse, et se contenter de réclamer des dommages et intérêts devant une juridiction civile.
Dans le domaine de la responsabilité médicale devant les juridictions répressives, on applique le plus fréquemment les articles 418 et suivants du Code pénal qui érigent en infractions les coups et blessures ou les homicides involontaires. Dans notre jurisprudence, les cas où les tribunaux ont dû appliquer à des médecins des sanctions prévues pour des infractions volontaires sont exceptionnels. On peut donner comme exemple un jugement de Charleroi et un arrêt de la Cour d'appel de Mons dans la même affaire, où des médecins avaient procédé à des expérimentations sur des patients malades sans obtenir leur consentement, ou encore l'une ou l'autre décision en matière de dopage de sportifs.
Par contre, lorsqu'un médecin se trompe dans un diagnostic, au cours d'un traitement ou à l'occasion des soins postopératoires, on considère qu'il y a une infraction de coups et blessures ou d'homicide involontaires.
Chaque fois qu'un chirurgien opère un patient, il lui cause cependant volontairement des blessures, ce qui est, en principe, interdit par l'article 398 du Code pénal. De même, lorsqu'un médecin prescrit au malade ou lui administre volontairement des médicaments c'est-à-dire des substances qui, dans certains cas, peuvent altérer la santé le médecin commet aussi un acte interdit, à première vue, par les articles 402 et suivants du Code pénal.
Or, le médecin échappe dans tous ces cas à toute poursuite pénale, s'il n'a commis aucune faute involontaire dans les soins. Il faut donc se demander pourquoi il en est ainsi. M. Messinne a déjà donné la réponse ce matin. J'y reviens peut-être un peu plus en détail.
La première fois que le Cour de cassation a eu à se pencher sur le problème se situe en 1948. Dans un pourvoi en cassation, la victime d'un acte qu'elle reprochait à son médecin, invoquait que « Le seul fait de porter atteinte à l'intégrité physique des organes dont l'accusé devait assurer la sauvegarde par des précautions spéciales constituait un fait illicite engageant la responsabilité du médecin. »
La Cour de cassation a rejeté ce pourvoi en cassation dans les termes suivants : « Attendu que l'atteinte à l'intégrité d'une personne ne saurait être considérée comme illicite lorsque, comme dans l'espèce, il est constant qu'elle est la conséquence d'une activité qui s'imposait à son auteur et dont l'exercice ne décèle aucune faute dans le chef de celui-ci. » En d'autres mots, on peut dire que la Cour de cassation a considéré que l'acte volontaire du médecin qui porte atteinte à l'intégrité physique de son patient pour le soigner n'est pas un acte fautif sanctionné par la loi pénale puisqu'il s'agit d'une activité qui « s'imposait » à son auteur.
Le tribunal correctionnel de Bruxelles a dû se pencher sur ce problème dans un jugement du 27 septembre 1969 auquel M. Messinne a également fait allusion ce matin. La motivation en est extrêmement longue et très fouillée. Elle représente plus de trente pages du Journal des Tribunaux et ceux qui connaissent cette revue savent que ce sont de grandes pages. Il s'agissait en l'espèce du cas d'un transsexuel qui exerçait la profession de barmaid. À la suite d'un traitement aux hormones, il avait déjà acquis une poitrine tout à fait féminine. Il avait consulté un médecin pour lui demander de l'opérer afin d'obtenir un sexe ressemblant le plus possible à l'organe féminin. Le médecin consulté, un spécialiste de la chirurgie esthétique, avait compris qu'il y avait là un sérieux problème et consulté l'Ordre des médecins. Celui-ci avait désigné une commission de trois membres et, après une longue réflexion, cette commission avait donné un avis favorable à l'intervention en raison des problèmes psychologiques rencontrés par ce patient.
Le patient est décédé d'une embolie pulmonaire au cours de l'intervention sans qu'aucune faute dans l'exécution de celle-ci ne puisse être reprochée. Sur la base d'une dénonciation anonyme, le parquet a poursuivi, non seulement, le chirurgien qui avait pratiqué l'opération mais aussi les trois membres de la commission désignée par le Conseil de l'ordre, qui avaient donné un avis favorable pour que cette intervention soit pratiquée. Après un très long procès au cours duquel on a entendu, un peu comme le fait aujourd'hui votre commission, des experts étrangers, le tribunal a rendu un long jugement dont j'extrais simplement deux paragraphes : « Le médecin, en pratiquant son art de la manière dont le législateur l'a réglementé, autorisé ou imposé, bénéficie d'une cause légale de justification l'immunisant de toutes poursuites. Ainsi, l'immunité du chirurgien trouve son fondement dans la permission de la loi cela revient au principe de l'autorisation de la loi dont M. Messinne parlait ce matin . Son intervention est présumée justifiée, mais cette présomption est relative, et il appartient au ministère public de prouver l'abus éventuel de l'autorisation légale. »
« D'une part, la législation confère au porteur du diplôme de docteur en médecine l'autorisation d'exercer tous les actes de la fonction médicale dans ses applications à l'homme. D'autre part, le tribunal peut s'inspirer valablement de la définition de l'art médical telle qu'elle résulte des dispositions de l'article 2 de l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967, à savoir « L'accomplissement habituel des actes ayant pour objet, à l'égard d'un être humain, soit l'examen de l'état de santé, soit le dépistage de maladies et déficiences, soit l'établissement du diagnostic, l'instauration ou l'exécution du traitement d'un état pathologique, physique ou psychique, réel ou supposé... » « ... L'acte médical est essentiellement celui qu'un médecin accomplit dans le but de soigner un être humain, c'est-à-dire dans un but curatif. »
Je voudrais compléter cet exposé juridique un peu ardu en précisant les notions d'« état de nécessité » et de « contrainte morale ». On en a déjà beaucoup parlé dans ce débat, et les pénalistes sont sans doute plus qualifiés que moi pour donner un avis à cet égard.
Mais je crois qu'il est utile de revenir sur l'arrêt de la Cour de cassation de 1987. La Cour a été amenée à préciser ces notions en donnant des indications au sujet des circonstances dont il s'agissait. On avait mis en cause un médecin qui avait été amené à soigner des truands sérieusement blessés alors qu'ils étaient poursuivis par des gendarmes. La compagne du médecin avait pris l'initiative de prévenir la gendarmerie de l'intervention de son mari. Celui-ci, interrogé par les gendarmes, donna des indications qui ont permis l'arrestation des truands. L'un de ceux-ci porta alors plainte contre le médecin pour violation du secret professionnel. Le pourvoi en cassation était dirigé contre la décision de la chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Liège qui avait prononcé un non-lieu en faveur du médecin. Dans son arrêt du 13 mai 1987, la Cour a admis qu'il y avait état de nécessité lorsque « eu égard à la valeur respective des devoirs en conflit et en présence d'un mal grave et imminent, (une personne) a pu estimer qu'il ne lui était pas possible de sauvegarder autrement qu'en commettant les faits qui lui sont reprochés, un intérêt plus impérieux qu'elle avait le devoir ou qu'elle était en droit de sauvegarder avant tous les autres ». L'état de nécessité implique donc un choix à faire entre deux valeurs d'ordre différent. Dans le cas jugé en 1987, il s'agissait donc, d'une part, de l'obligation pour le médecin de respecter le secret professionnel et, d'autre part, de la volonté de protéger des tiers en empêchant des bandits de continuer à nuire.
Les pénalistes distinguent l'état de nécessité de la contrainte morale. Les juristes parlent de contrainte morale lorsqu'il n'y a pas de choix à faire entre deux valeurs et donc lorsqu'il n'y a qu'une seule possibilité d'agir. La contrainte morale, qui est en réalité une forme de la force majeure, impose sa solution à l'agent comme étant la seule possible et ne lui laisse donc pas un choix entre deux valeurs distinctes. Il me paraît donc que, dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, il est préférable de parler d'état de nécessité plutôt que de contrainte morale.
Les débats qui vous occupent concernent essentiellement trois propositions de loi du 20 décembre 1999 déposées par six parlementaires de la majorité. La première concerne l'euthanasie, la deuxième la création d'une Commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi sur l'euthanasie et la troisième est une proposition de loi relative aux soins palliatifs.
C'est la première de ces propositions qui retiendra essentiellement mon attention. Je crois, en effet, que personne ne conteste actuellement la nécessité des soins palliatifs et de leur développement. La proposition qui est soumise au Parlement à ce sujet affirme le droit à l'accès aux soins palliatifs pour tout patient atteint d'une maladie incurable. Cette proposition affirme que le droit à l'accès à ces soins fait peser une obligation de résultat sur les autorités compétentes. Celles-ci doivent faire en sorte que le choix du patient de recevoir ces soins à domicile ou en milieu hospitalier soit financièrement neutre. La difficulté, toutefois, en matière de soins palliatifs, est qu'il s'agit de respecter une obligation qui relève à la fois de la compétence des autorités fédérales et de celle des communautés et même, peut-être, des Régions dans la mesure où il existe un aspect particulier pour la construction des bâtiments. Je n'ai aucune compétence dans ce domaine qui relève davantage du droit public. Je ne m'attarderai donc pas à l'examen de cette proposition sauf à relever qu'il résulte de différents exposés que les moyens affectés aux soins palliatifs sont insuffisants et que l'on ne prend pas suffisamment en compte leur développement à domicile et dans les maisons de repos. J'ajouterai qu'il faut aussi être attentif à la notion de « soins continus » dont ont parlé, à juste titre, le professeur Vincent et Mme Bron.
Les auteurs de la proposition sur l'euthanasie justifient la nécessité de légiférer en rappelant que l'euthanasie est un meurtre et qu'à ce titre, elle est interdite par la loi pénale. Seul le recours à la notion d'état de nécessité permet actuellement au juge de ne pas condamner le médecin qui aurait commis un tel acte. Les auteurs relèvent que la notion d'état de nécessité est une notion jurisprudentielle et subjective qui s'applique au cas par cas et qu'une insécurité juridique en résulterait, qui entraînerait des pratiques semi-clandestines sans aucune possibilité de contrôle. La notion d'état de nécessité n'est cependant pas purement jurisprudentielle. En effet, elle est visée par l'article 71 du Code pénal, comme je l'ai rappelé ci-dessus.
En tant que juriste, la première question que je me suis posée est de savoir s'il fallait légiférer dans une matière où, à ma connaissance, il n'y a eu aucune condamnation depuis l'affaire du Softenon dans les années 1960. Comme l'avait écrit Roger Lallemand : « Comment donner dans la loi le droit au médecin, c'est-à-dire à un professionnel de l'art de guérir, de collaborer positivement, activement, à une demande de mort ? » Je conçois cependant que certains peuvent considérer qu'il y a peut-être une incertitude au sujet de ce qui peut être fait ou ne peut pas l'être dans le domaine de l'euthanasie et qu'ils souhaitent dès lors que le législateur donne des indications à cet égard.
Le Comité de bioéthique a donné une définition de l'euthanasie à laquelle se réfèrent beaucoup d'intervenants, ainsi que la proposition de loi discutée.
Cette définition est importante; elle traduit un voeu et diffère de l'acception habituelle du terme en considérant qu'il s'agit d'un « acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ».
En réalité, ce n'est pas une simple définition générale procédant d'un constat, puisqu'elle implique déjà une condition pour que la mort administrée volontairement puisse ne pas être sanctionnée. L'euthanasie pratiquée sans demande du patient reste un meurtre pour les auteurs de la proposition. La définition reprise dans la proposition discutée et adoptée par le Comité de bioéthique sous-entend nécessairement que si l'euthanasie est pratiquée en dehors d'une demande expresse du patient, le droit pénal devrait s'appliquer.
L'article 2 de la proposition précise les trois conditions pour que l'euthanasie soit permise : une demande expresse, non équivoque, mûrement réfléchie, répétée et persistante; une demande qui peut être acceptée par le médecin si le patient fait état « d'une souffrance ou d'une détresse constante et insupportable qui ne peut être apaisée »; une souffrance qui doit résulter d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.
Une difficulté du débat est que, dans la pratique, on considère qu'il y a euthanasie chaque fois que l'on abrège indirectement la vie du patient par les soins qu'on lui prodigue pour apaiser sa souffrance, ce qui me paraît inexact.
Plusieurs fois, on a fait allusion à une enquête effectuée dans la Région flamande qui révélerait un millier d'euthanasies clandestines par an. S'agit-il d'euthanasie, au sens de la définition du Comité de bioéthique, mais en dehors de toute demande du patient, ou de cas où l'on abrège la vie du patient pour atténuer sa douleur, soit à sa demande, soit en l'absence de toute demande ? L'audition du professeur Vincent a montré la variété des situations de fin de vie auxquelles le médecin est confronté, spécialement dans les services de soins intensifs, et la nécessité d'apprécier les situations différentes au cas par cas.
La distinction entre l'euthanasie telle que définie dans la proposition de loi et l'allégement des souffrances du patient, même en abrégeant sa survie, me paraît cependant essentielle pour apprécier la portée de la proposition de loi et la nécessité d'une intervention du législateur. Il me paraît certain qu'il y a de nombreux cas où les médecins ont été amenés, pour soulager le patient, à abréger sa survie. S'agit-il dans ce cas de meurtre ou au contraire de situations où le médecin a pu considérer qu'il y avait nécessité de privilégier l'allégement des souffrances du malade ?
Certains des experts médecins entendus ont fait la distinction entre euthanasie active et euthanasie passive, sans toutefois donner à cet égard de définition précise. Il apparaît que l'on peut donner à ces expressions des significations très différentes de sorte qu'il vaut peut-être mieux ne pas les employer.
Il me paraît toutefois qu'il faut distinguer deux situations très différentes.
La première de ces situations se présente lorsque l'acte par lequel on met volontairement fin à la vie d'une personne est posé alors qu'elle ne se trouve pas en fin de vie. Tel serait le cas, prévu par la proposition discutée, pour une victime d'accident qui conserve des séquelles graves, comme un tétraplégique, ou pour une personne atteinte d'une maladie invalidante comme la sclérose en plaques. Un tel acte constitue dans notre droit un meurtre. La qualification pénale ne change pas selon que l'acte est effectué à la demande de la personne concernée ou indépendamment de toute demande. Je qualifierais donc cet acte d'euthanasie directe.
L'autre situation qui me paraît très différente est celle où l'abréviation de la vie résulte des soins donnés en fin de vie pour soulager les souffrances du malade, pour atténuer sa perte de dignité ou la disparition de ses possibilités de relations avec les autres. Cette situation est celle visée par l'article 96 du Code de déontologie médicale que je me permets de vous lire : « Lorsqu'un malade se trouve dans la phase terminale de sa vie tout en ayant gardé un certain état de conscience, le médecin lui doit toute assistance morale et médicale pour soulager ses souffrances morales et physiques, et préserver sa dignité. Lorsque le malade est définitivement inconscient, le médecin se limite à ne prodiguer que des soins de confort. » L'euthanasie directe est proscrite par l'article 95 du même Code.
Le médecin qui soulage un patient qui se trouve en phase terminale ou qui donne à un patient devenu inconscient des soins de confort soigne le malade, même si ces soins abrègent aussi la durée de sa vie. Je parlerai donc dans ce cas d'euthanasie indirecte.
La proposition discutée ne met pas cette distinction en évidence puisqu'elle admet, d'une part, l'euthanasie directe dans certains limites qu'elle précise et elle n'admet pas, d'autre part, ce que j'appelle l'euthanasie indirecte lorsque celle-ci ne se fait pas à la demande du patient.
Je répète qu'il me paraît étonnant qu'il n'y ait aucune décision judiciaire depuis 40 ans, dans notre pays, qui aurait eu à se prononcer sur une question d'euthanasie sanctionnée par le Code pénal. Si le problème était aussi grave que certains semblent le penser, il serait tout de même surprenant qu'il n'y ait jamais eu de plainte de membres de la famille de ceux qui auraient été victimes d'actes répréhensibles dans ce domaine.
Cette situation me fait considérer qu'il faut s'interroger sur l'opportunité d'une réforme législative. J'ajouterai cependant que je comprends le désir de ceux qui ont déposé les propositions de loi, avec le souci sans doute d'assurer plus de dignité dans la mort, plus de prise de conscience de la situation de certains patients et du respect de leur autonomie. Je ne suis donc pas, contrairement à M. Messinne qui vous a parlé ce matin, opposé par principe à toute intervention du législateur dans ce domaine mais je crois qu'il faut en nuancer la portée car l'acte par lequel un médecin mettrait fin à une vie alors que des possibilités de soins subsistent, est, à mes yeux, un acte très grave. Il me paraît essentiel que le législateur ne puisse pas porter atteinte au principe fondamental de l'interdiction de tuer.
J'ai aussi été très frappé à ce sujet par une phrase de Mme Bron (p. 4 de son audition) où elle s'exprime de la manière suivante : « Il faut aussi se rendre compte qu'une demande lucide et ferme n'est possible qu'en fonction de la qualité de l'information reçue en termes de perspective thérapeutique (ou palliative) et de pronostic. Aujourd'hui, seule une élite socioculturelle enseignants, journalistes, intellectuels reçoit, à sa demande, l'information complète qui lui permet de prendre en toute lucidité cette décision de demander l'accès à une mort anticipée. »
Ne faut-il pas se demander s'il est légitime de légiférer uniquement pour des patients conscients qui appartiennent à une certaine élite intellectuelle ?
Il n'est pas inutile de souligner le fait que si l'on devait adopter telles qu'elles sont présentées les trois propositions de loi, notre pays serait certainement à la pointe de ce que je n'appellerais pas nécessairement un progrès mais d'une évolution qui serait, en tout cas, socialement et moralement extrêmement importante. Le Conseil de l'Europe, dont la Belgique fait partie, s'est prononcé formellement contre l'euthanasie, les organisations médicales internationales aussi.
L'Australie, qui avait un moment, dans une partie du pays, adopté une loi permettant l'euthanasie l'a abrogée; aux États-Unis, les autorités fédérales se sont prononcées à plusieurs reprises contre toute législation en ce domaine et il n'y a qu'une exception, c'est l'autorisation du suicide assisté en Oregon. Les statistiques de cet État montrent cependant qu'il est relativement peu fait appel à cette possibilité.
Actuellement, en dehors des Pays-Bas dont M. Messinne a précisé la situation ce matin, aucun pays de la Communauté européenne n'a pris d'initiative dans ce domaine. En France toutefois, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a rendu public, le 3 mars dernier, un rapport dans lequel il demande que soit prévue dans la loi une « exception d'euthanasie » permettant a posteriori, en cas de procédure judiciaire, d'évaluer les circonstances et les mobiles invoqués par l'auteur de l'acte. Si ce Comité se montre ainsi favorable à l'ouverture d'un débat sur la question, cela ne permet pas pour autant, actuellement, de préjuger d'une intervention du législateur français.
Ce rappel de la situation qui existe dans d'autres pays et des résolutions prises par des organisations internationales montre combien l'interdiction de tuer reste, heureusement, fondamentale dans notre civilisation. Cela incite en tout cas à la prudence.
Un élément important dans le cadre de notre réflexion est aussi constitué par l'avis nº 1 du Comité consultatif de bioéthique concernant l'opportunité d'un règlement légal de l'euthanasie. Cet avis donne une définition de l'euthanasie qui est reprise dans la proposition de loi du 20 décembre 1999. Cette définition emploie les mots « acte pratiqué par un tiers. »
Je comprends la généralité des termes parce qu'on peut évidemment imaginer des euthanasies commises par d'autres personnes que des médecins. Je crois toutefois que lorsqu'on parle d'une certaine dépénalisation de l'euthanasie, il serait bon de préciser que cela ne peut concerner que l'euthanasie dont la décision est prise par un médecin à l'exclusion de toute autre personne. Je m'éloigne ici de l'opinion que M. Messinne a exposée ce matin. Je crois que permettre à un mari de tuer sa femme, c'est ouvrir la porte à beaucoup d'abus difficilement contrôlables.
La conclusion du Comité de bioéthique mérite un instant de réflexion : « Le comité estime ne pas pouvoir et ne pas devoir trancher dans un débat où les orientations éthiques et les conceptions de la vie et de la mort divergent. Toutefois et bien que certains membres continuent de rejeter toute forme de licéité du geste euthanasique, le Comité constate que de nombreux membres ont pu, par-delà les divergences à première vue irréductibles qui les séparaient, rapprocher leurs points de vue, ce qui laisse présager, selon eux, qu'il doit être possible d'arriver à une solution pratique concernant l'euthanasie. » Personnellement, je souhaite que ce soit le cas. Dans une société démocratique comme la nôtre, il faut rechercher un compromis entre, d'une part, le mouvement d'opinion en faveur d'une modification de la législation et, d'autre part, le maintien de l'interdiction de tuer, non seulement sanctionnée par le Code pénal mais aussi par des engagements internationaux auxquels notre pays a adhéré.
L'acharnement thérapeutique
L'euthanasie ne peut pas être confondue avec l'arrêt d'un traitement qui ne présente plus aucun caractère bénéfique pour le patient et qui n'est plus susceptible d'améliorer son état ou d'alléger des douleurs insupportables, même si cet arrêt de traitement a pour conséquence d'entraîner la mort.
Je pense que tout le monde est d'accord pour condamner l'acharnement thérapeutique. Je serais même tenté, en spécialiste du droit de la responsabilité, d'aller plus loin et d'affirmer que l'acharnement thérapeutique peut constituer une faute dans la mesure où le médecin prolonge alors artificiellement la fonction cardiaque du patient et ne le soigne plus d'aucune manière en telle sorte que la survie du malade devient purement artificielle. Cette situation est parfaitement rencontrée dans l'article 98 du Code de déontologie médicale.
L'interdiction de l'acharnement thérapeutique me paraît révéler les limites du principe d'autonomie du patient. Certes, si le patient est conscient, il faut qu'il accepte les décisions du médecin, celui-ci devant s'abstenir s'il y a un refus du patient. Par contre, il ne suffit pas qu'une personne demande qu'on abrège sa vie pour que le médecin se sente obligé de satisfaire à cette demande. L'on a connu parfois cette situation dans le passé lorsque les hommes demandaient une mutilation volontaire pour échapper au service militaire. Il est évident que le consentement donné dans ce cas ne justifiait d'aucune manière l'acte qu'aurait posé le médecin.
L'on connaît aussi les situations auxquelles l'abus du principe d'autonomie élargi à d'autres que le patient lui-même a donné lieu aux États-Unis, dans des cas où la famille a imposé la poursuite du maintien en vie artificiel de patients.
La Cour suprême des États-Unis a été amenée à rendre deux avis relatifs à l'autonomie du malade en présence d'un enfant anocéphale. Elle a d'abord été saisie d'une demande des médecins qui sollicitaient l'autorisation d'arrêter tout traitement en invoquant qu'un enfant sans cerveau ne pouvait d'aucune manière avoir une vie autre qu'artificielle.
La Cour suprême a autorisé l'arrêt du traitement. Elle est toutefois revenue sur cette décision dans un second arrêt, sur requête cette fois des parents, qui invoquaient le principe d'autonomie en faveur de leur enfant (affaire du Baby K).
Une dernière remarque en ce qui concerne l'acharnement thérapeutique. J'ai été surpris de lire que M. Mahoux affirmait, au cours d'une discussion dans cette enceinte, que « l'acharnement thérapeutique ne coûte pas ... ce sont des recettes à la fois pour l'hôpital et les praticiens ». Si cela entraîne des recettes pour l'hôpital, cela constitue en tout cas des dépenses pour l'INAMI, c'est-à-dire pour les deniers publics, ce qui mérite aussi, me semble-t-il, d'être pris en considération.
L'assistance au suicide
J'ai remarqué, en dépouillant les documents qui ont été publiés ces derniers mois ou ces dernières années au sujet de l'euthanasie, en lisant également les dépositions de certains des experts qui m'ont précédé à cette tribune, qu'il était très peu fait allusion à l'assistance au suicide qui est la forme d'euthanasie adoptée par l'État d'Oregon aux États-Unis. On pourrait croire, me semble-t-il, que cette forme d'euthanasie serait parfois plus admissible pour un médecin que le geste d'injecter lui-même un produit létal.
En Belgique, du point de vue pénal, l'assistance au suicide n'est pas sanctionnée, pas plus que le suicide lui-même. L'acte de participation n'est, en effet, sanctionné pénalement que dans la mesure où il existe une infraction principale, crime ou délit. Le suicide n'étant pas une infraction, la participation au suicide ne peut donc être sanctionnée, tout au moins par les dispositions concernant le meurtre ou l'assassinat. Tout au plus pourrait-on considérer que l'assistance au suicide pourrait constituer, dans certains cas, une infraction à l'article 422bis du Code pénal qui sanctionne la non-assistance à une personne en danger.
La situation est différente en France où une loi du 31 décembre 1987 a complété l'article 318 du Code pénal français en érigeant en infraction la provocation au suicide.
Il me paraît toutefois que sur un plan éthique, l'assistance au suicide n'est pas en soi très différente de l'euthanasie directe elle-même.
À juste titre, me semble-t-il, l'article 95 du Code de déontologie interdit au médecin de provoquer délibérément la mort d'un malade comme de « l'aider à se suicider ». On sait que c'est la solution inverse qui a été retenue par la législation de l'État d'Oregon aux États-Unis. Un article du New England Journal of Medecine du 24 février 2000 signale que 46 % des patients qui avaient demandé une telle prescription y ont renoncé dès lors qu'un traitement de soins palliatifs avait été entrepris. On signale également dans cette publication que sur 114 demandes, il y a eu 21 cas où le médecin a estimé nécessaire de substituer à la demande l'administration directe par lui-même d'une drogue létale, généralement parce que l'absorption par le patient n'avait pas conduit au résultat attendu, c'est-à-dire la mort du demandeur d'aide.
Certains d'entre vous ont peut-être vu sur TV 5, le 14 mars dernier, une émission sur l'assistance au suicide en Suisse. Dans ce pays, l'article 115 du Code pénal autorise l'assistance au suicide par un médecin ou par une autre personne. Il faut cependant toujours qu'un médecin ait donné une prescription médicale mais dès lors que la prescription est exécutée il semble qu'il y ait des pharmaciens spécialisés à cet égard l'assistance au suicide ne doit plus être le fait du médecin.
Il y a des personnes en Suisse pour lesquelles c'est devenu une véritable profession et le film montrait ainsi l'exemple d'un pasteur qui ne faisait plus que cela et d'une autre personne qui y trouvait, disait-elle, un grand épanouissement. Il faut ajouter qu'il semble y avoir des firmes commerciales qui organisent cette assistance et que le problème soulève actuellement de grandes discussions au sein du pouvoir fédéral suisse.
La proposition de loi sur l'euthanasie
J'en reviens maintenant à la proposition de loi sur l'euthanasie. Les commentaires de la proposition du 20 décembre 1999 indiquent les objectifs poursuivis par les signataires :
Assurer au patient incurable, dans le respect de son autonomie individuelle, la garantie de voir sa demande d'euthanasie respectée.
Donner une protection au patient atteint d'une maladie grave et incurable en imposant des critères précis pour l'intervention du médecin et sortir de la clandestinité.
Assurer une sécurité juridique au médecin confronté à une demande d'euthanasie satisfaisant aux conditions prévues dans la présente loi.
Un quatrième objectif concerne une « meilleure appréhension de la situation réelle par une évaluation des pratiques ».
Cette proposition exclut la possibilité de demander l'euthanasie pour les mineurs et les malades inconscients qui n'ont pas signé une déclaration anticipative, pour ceux qui n'ont pas désigné de personne de confiance ou de mandataire. Examinons brièvement ces exclusions.
1. Les mineurs
Je partage l'avis des auteurs de la proposition qu'il serait particulièrement dangereux de laisser un mineur exprimer sa volonté de mourir, même en cas de handicap grave, parce que si l'on veut respecter la dignité de l'être humain à cet égard, il faut aussi être conscient que l'appréhension des implications de cette dignité demande évidemment une certaine expérience.
Certes, il est des cas particulièrement douloureux d'enfants qui naissent atteints d'un handicap profond, soit pour des raisons génétiques, soit à la suite d'accidents médicaux, notamment lorsqu'il y a une anorexie trop longue au moment de la naissance. Il me paraît certain que l'on ne peut accorder aux parents un droit de vie et de mort sur un enfant, même s'il est profondément handicapé. Il est certain aussi que notre société doit pouvoir accueillir ces handicapés et donner aux parents toute l'assistance nécessaire. Comme le pensent les auteurs de la proposition, il me paraît donc exclu qu'on puisse admettre que ce que j'ai appelé l'euthanasie directe de ces enfants soit admise en raison du handicap dont ils sont atteints.
J'ai fait allusion, il y a un instant, aux décisions américaines concernant la naissance d'un enfant anocéphale. Un enfant atteint de cette malformation grave est en effet en état de mort cérébrale et ne peut être maintenu en vie que sous respirateur. Il n'aura jamais aucune conscience, aucune relation humaine, aucune dignité de vie. Il ne s'agit donc pas d'euthanasie dans ce cas mais d'arrêter ce qui serait de l'acharnement, même pas thérapeutique. La notion d'état de nécessité pourrait d'ailleurs également justifier cet arrêt de traitement Tout différent est le cas du mineur qui serait atteint d'une maladie incurable et dont l'issue est inéluctable, entraînant pour le surplus des souffrances intolérables.
Je ne puis mieux faire à cet égard que de me référer à la déposition du professeur Moulin : « L'importance des moyens mis en oeuvre en soins intensifs dans un réel corps à corps pose inévitablement la question du sens de l'action, du but poursuivi. Celui-ci doit nécessairement s'adapter non seulement aux faits objectifs mais aussi au vécu des familles et des équipes. La cohérence globale de l'action et son partage, l'adhésion des adultes au projet, est un devoir de respect de l'enfant et de ses parents. J'entends dans ce devoir de respect de l'enfant, concrètement, une personnalisation des soins, c'est-à-dire une thérapeutique et des soins qui sont adaptés et en quelque sorte uniques pour lui, qui font sens pour lui seul. C'est dans ce contexte que l'action thérapeutique se modifie pour certains patients. Sa visée initiale curative devient palliative, elle devient aidante non plus pour vivre mais pour mourir. C'est toujours le patient et sa famille qui sont aidés et non pas la mort, notion relativement abstraite. » Les patients sont donc ainsi aidés pendant qu'ils vivent leur mort. Cela répond parfaitement à la question qu'on peut se poser à leur égard. Il n'est pas question d'un consentement donné par le mineur; il s'agit simplement d'adapter le mieux possible, dans le respect de sa personne, l'évolution des soins qui peuvent l'aider.
2. Les personnes incapables d'exprimer leur volonté
Cette question a fait l'objet de l'avis nº 9 du 22 février 1999 du Comité de bioéthique. Les membres du Comité ont été divisés sur cette question puisque certains ont refusé toute légitimité à une interruption de vie dans l'hypothèse envisagée, tandis que d'autres reconnaissent dans certains cas la légitimité de l'arrêt actif de la vie d'un malade incurable, incapable d'exprimer sa volonté, même s'il n'a pu faire de déclaration anticipée, « lorsque l'abstention ou l'arrêt des traitements ne suffisent pas à sortir d'une situation inhumaine ».
Certains membres du Comité semblent aller plus loin puisqu'on indique : « Par contre, à l'égard des nouveaux-nés atteints d'un lourd handicap physique et/ou mental, l'arrêt actif de la vie pourrait être exceptionnellement envisagé, sur demande expresse des parents et en accord avec l'équipe soignante en vue de leur éviter une existence douloureuse ou dénuée de sens il s'agirait donc ici de ce que j'appelle une euthanasie directe. Une intervention analogue pourrait être éthiquement justifiée en présence d'enfants ou de handicapés mentaux profonds qui brusquement, suite à une maladie grave ou un accident, se trouveraient dans une situation sans issue. » Il s'agirait cette fois d'euthanasie indirecte.
Il y aurait sans doute certaines distinctions à préciser entre les notions de « fin de vie imminente » ou de « situation sans issue ». On trouve cependant la mention de « situation sans issue » dans l'avis du Comité à ce sujet : « ... que l'accord est unanime pour condamner toute forme d'acharnement thérapeutique et/ou de traitement inutile et qu'il existe dans un grand nombre de cas un très large consensus autour de l'attitude qui consiste à `laisser mourir' le malade (même incapable d'exprimer sa volonté), dont la situation est sans issue ».
Il me paraît toutefois qu'il convient de faire une distinction entre la notion de « laisser mourir » et l'administration de drogues soulageant le patient de sa douleur tout en abrégeant son existence.
La proposition exclut toute possibilité d'application de l'euthanasie dans les conditions qu'elle prévoit lorsqu'il s'agit d'un patient inconscient ou incapable en raison notamment de troubles mentaux profonds. Personnellement, je souhaiterais cependant qu'il y ait ici une alternative possible dans les cas où ces patients souffriraient de manière intolérable. Le devoir du médecin est de soigner. Diminuer ou apaiser la douleur est nécessairement soigner le patient, même si c'est de nature à raccourcir sa vie. Or, même dans ce cas, il ne semble pas que la proposition permette ce type de soins vis-à-vis des malades mentaux incapables, alors qu'il s'agit ici de ce que j'ai qualifié d'euthanasie indirecte.
3. Le consentement du patient et les déclarations anticipées
La proposition de loi déposée par les six parlementaires de la majorité le 20 décembre 1999 consacre un long article 4 à « la déclaration anticipée ». Je préfère cette expression à celle de « testament de vie » puisqu'elle concerne en réalité la fin de la vie, sinon la mort.
Le premier alinéa de l'article 4 prévoit que tout majeur ou mineur émancipé capable peut « pour le cas où il ne pourrait plus manifester sa volonté, déclarer par écrit ses préférences ou ses objections pour certains types de prise en charge médicale. Il peut également déclarer préalablement sa volonté qu'un médecin interrompe sa vie s'il est inconscient et atteint d'une affection accidentelle ou pathologique incurable et s'il n'existe aucun moyen de le ramener à un état conscient ». La suite de l'article prévoit alors les formalités pour authentifier cette déclaration et notamment la présence de deux témoins majeurs, la désignation d'un ou plusieurs mandataires et la possibilité de révoquer cette déclaration à tout moment. Une limitation est apportée à la prise en compte de cette déclaration : elle ne peut être prise en considération que si elle a été établie ou confirmée moins de cinq ans avant le début de l'impossibilité de manifester sa volonté.
L'exigence des témoins prévue dans la proposition de loi paraît totalement inutile. Quiconque a déjà passé un acte chez un notaire dans les cas où la loi exigeait la présence de témoins cela vient d'être supprimé s'est rendu compte du caractère purement formaliste de cette formalité, les témoins ne connaissant rien du contenu de l'acte signé. Il en serait évidemment de même à propos des témoins relatifs à la rédaction d'une déclaration anticipée.
Le problème du mandataire est difficile à appréhender parce qu'il ne tient pas compte, à mes yeux, de la fragilité des relations humaines. Si le mandant est inconscient, la responsabilité de la décision devrait reposer sur ce mandataire, tout au moins dans la philosophie de la proposition de loi. Ce mandataire ne disposerait donc en réalité de plus aucune marge d'appréciation, contrairement à ce que serait la situation du mandant s'il était conscient. C'est donner à cette personne une responsabilité bien lourde. Imaginons le cas d'un époux qui donne ce mandat à son conjoint. Que va faire le mandataire si, entre le moment où il a été désigné et le moment où il doit exercer son mandat, le couple est passé par une période de crise intense ? Il faut aussi tenir compte, pour apprécier ce que devra faire le mandataire, des possibilités d'évolution thérapeutique entre le moment où le mandat a été donné et le moment où il devra être exécuté. Le professeur Clumeck a, à juste titre, insisté sur cette évolution rapide des possibilités de soins, tout au moins dans certains domaines.
Il y a peut-être à cet égard une difficulté juridique plus grave encore. Le rôle du mandataire ne se justifie que dans la mesure où le mandant n'est plus capable d'exprimer sa volonté. Or, selon De Page, « l'incapacité du mandant survenant au cours du mandat constitue une cause de cessation du contrat ». On n'est plus mandataire de quelqu'un qui n'est pas conscient. Or, la proposition ne prévoit le mandat que dans cette hypothèse.
Je parlerai dans un instant du problème du consentement, qui est proche de celui de la déclaration anticipée, mais j'ajouterai que je ne vois aucun inconvénient à ce que les personnes qui le désirent signent une telle déclaration anticipée. Je crois, par contre, qu'il faut insister sur le fait qu'une telle déclaration ne peut d'aucune manière lier le médecin ni lui imposer des obligations qui ne seraient pas conformes à la pratique normale de l'art de guérir et à ses convictions.
Dès lors, un médecin ne devrait prendre en considération pareille déclaration que s'il se trouve dans les circonstances qui permettraient éventuellement une prise en considération de l'abréviation de la survie du patient en raison des soins qui doivent lui être donnés pour soulager ses douleurs. Les professeurs Vincent et Clumeck ont justement montré les limites d'une telle déclaration d'intention.
L'existence de telles déclarations d'intention ne constitue à mes yeux qu'une application particulière du problème du consentement du patient aux soins qui lui sont donnés. La règle est formellement admise dans la jurisprudence qu'un médecin ne peut imposer un traitement à son patient ou lui faire subir une intervention active qu'avec son consentement libre et éclairé. Il doit en être de même, en principe, s'il s'agit de mettre fin à la vie du patient, mais encore faut-il que le patient soit suffisamment conscient pour donner un consentement valable. Quelle est la valeur d'un consentement anticipé, donné par une personne en bonne santé ?
Je ne suis certainement pas partisan d'une institutionnalisation de l'euthanasie indirecte qui doit rester à mes yeux un acte d'exception mais je crois que si l'on devait voter la proposition de loi que nous discutons, elle ne s'appliquerait vraiment qu'à très peu de cas dès lors qu'il ne s'agit que des patients conscients alors que, comme l'a rappelé le professeur Vincent lors de sa déposition, la plupart des patients hospitalisés en fin de vie sont des patients qui ne sont plus conscients ou qui ne le sont que très partiellement. Si le médecin se trouve en présence d'une souffrance ou d'une détresse constante, objectivement décelable et insupportable qui ne peut être apaisée, il serait logique à mes yeux que le médecin puisse avoir la même attitude à l'égard d'un patient inconscient qu'à l'égard d'un patient conscient. Certes, cela ne pourrait être qu'exceptionnel puisqu'il faudrait que toutes les possibilités d'autres soins de nature à apaiser les douleurs soient inefficaces, ce qui ne signifie pas que le médecin ne doit pas tout tenter pour les apaiser. Le médecin peut donner les substances qui lui paraissent utiles en pareil cas; il peut le faire même s'il sait que les médicaments administrés à ce moment-là sont susceptibles de raccourcir la survie du patient. Je le répète, en apaisant la douleur, le médecin soigne et son devoir est de soigner sans qu'on puisse le lui reprocher d'aucune manière même si, à ce moment-là, il raccourcit la survie du patient. Cela revient à dire qu'à mon avis, le médecin peut dans certains cas abréger l'existence d'un patient, en fin de vie, qui est atteint d'une souffrance physique ou morale insupportable, même s'il n'a pas donné son consentement. En d'autres mots, en permettant que la survie soit abrégée dans cette hypothèse, on passerait outre à l'exigence du consentement libre et éclairé du patient, mais un tel acte ne pourrait être qualifié que d'euthanasie indirecte. Comme l'a écrit Roger Lallemand : « Si l'euthanasie n'est possible que face à un processus de dégradation irréversible, elle n'apparaît plus que comme une anticipation, radicale, certes, mais l'anticipation d'un fait inéluctable et rapproché. » Je partage cette façon de voir parce qu'il s'agit toujours de l'exécution par le médecin de son devoir de soigner et je m'associe dès lors à la déclaration des directeurs de Saint-Luc, de Mont-Godinne et du recteur de I'UCL : « À partir de là, la souffrance inéluctable, qui résiste à tout traitement, doit être identifiée et accompagnée en faisant confiance au jugement éthique des équipes soignantes responsables, c'est-à-dire sans exclure que devant l'échec de leurs efforts, elles puissent éventuellement consentir à assister médicalement la fin de vie si telle reste la demande du patient. »
4. Les victimes d'accident
La proposition déposée le 20 décembre 1999 envisage non seulement l'état de souffrance ou de détresse constante et insupportable qui résulte d'une pathologie grave et incurable mais également l'état qui résulte d'une affection accidentelle, et la même formule est reprise au dernier alinéa de l'article 3, lorsque le texte fait allusion à la déclaration anticipée.
Lorsqu'on parle de souffrance généralement plus morale que physique entraînant certainement une grande détresse alors qu'il s'agit des conséquences d'un accident qui ne met pas en péril immédiat la survie de l'intéressé, je ne puis concevoir qu'un médecin puisse pratiquer l'euthanasie parce qu'il s'agirait dans ce cas de ce que j'ai qualifié d'euthanasie directe, qui doit rester soumise à l'interdiction de tuer pénalement sanctionnée.
Je me suis, dans ma pratique d'avocat, occupé à de nombreuses reprises de grands blessés, paraplégiques ou tétraplégiques, à la suite d'accidents. J'en ai suivi plusieurs depuis une période très proche de l'accident jusqu'à leur sortie de l'hôpital et encore pendant les nombreuses années qui ont suivi, lorsque des procédures ont eu lieu. C'est vrai que le choc moral est extrêmement dur pour les personnes qui se trouvent dans cet état lorsqu'elles apprennent qu'elles sont définitivement paralysées. Parmi tous les cas dont je me suis occupé, je n'en ai connu aucun qui se soit suicidé même quand ils en avaient la possibilité et ce, malgré les déclarations d'intention faites dans les premières semaines après l'accident. J'en ai connu de nombreux et je serais presque tenté de dire que la plupart ont retrouvé une forme de bonheur, adaptée à leur état. Leur situation de grand blessé ne les a pas empêchés, pour plusieurs d'entre eux, de se marier, parfois même d'avoir des enfants par assistance médicale à la procréation.
Je ne concevrais donc pas qu'on puisse autoriser un médecin à provoquer la mort de patients se trouvant dans cet état à la suite d'un accident, sauf de nouveau, si en fin de vie, ils souffrent de complications graves entraînant des souffrances insupportables, ce qui nous ramène alors à la situation que je qualifie d'euthanasie indirecte.
5. Collégialité de la décision
La proposition de loi organise à juste titre une procédure de concertation avant qu'une décision de mettre fin à la vie ou d'abréger la survie d'un patient ne soit prise. Le médecin doit informer le patient, consulter au moins un autre médecin quant au caractère incurable de l'affection, s'assurer de la persistance de la souffrance ou de la détresse du patient et de sa volonté réitérée. Il faut que le patient ait pu s'entretenir de sa requête avec toutes les personnes qu'il souhaitait rencontrer.
Même s'il s'agit toujours d'apaiser la douleur et donc de soigner tout en abrégeant la vie, je crois effectivement qu'il est souhaitable qu'un médecin puisse s'éclairer avant de prendre la décision concernant des soins qui pourraient également raccourcir la survie du malade. Il faut donc selon moi que l'ensemble de l'équipe soignante, aussi bien infirmières que médecins, participe à la discussion au sujet de l'état incurable ou non du patient et que cet état soit si possible confirmé par un autre médecin, que la famille ou des proches soient informés si c'est psychologiquement possible, et puissent donner leur avis. Je pense cependant qu'il ne faut pas aller trop loin dans les détails à ce sujet, chaque cas pouvant être différent.
Il faut que l'équipe soignante constitue dans ces cas une cellule de concertation et non une cellule de décision. Il faut que l'information soit partagée, qu'il y ait un dialogue afin de dégager les solutions qui correspondent au mieux à l'intérêt du patient tout en protégeant le médecin de reproches non justifiés. Cette concertation ayant eu lieu, c'est le médecin seul cependant qui doit prendre la décision finale. C'est lui qui a la responsabilité de son patient et il doit l'assumer sur le plan moral.
Sur le plan juridique, cette concertation permettra au médecin de se justifier si on lui fait des reproches mais la cellule de concertation ne constitue pas un tribunal. Il faut valoriser ce processus de concertation collégiale sans tomber dans le travers de procédures administratives. Il est par contre nécessaire pour la protection du médecin de conserver une preuve écrite de la concertation qui a eu lieu.
Je voudrais que le législateur soit conscient que, quoi qu'il fasse dans ce domaine, il faut assurer non seulement la protection du malade mais aussi celle du médecin.
Il faut être conscient au surplus que l'on ne légifère pas dans un tel domaine pour trois mois, pour un an mais qu'il faut tenir compte d'un plus lointain avenir. Il ne faudrait pas qu'à l'avenir, en présence d'une population de plus en plus importante de personnes âgées, en raison de l'augmentation de la longévité que l'on connaît depuis quelques dizaines d'années et donc du nombre de personnes en fin de vie, on soit tenté d'abréger la survie d'un certain nombre de personnes, non plus parce qu'elles subissent des souffrances incurables, mais simplement parce qu'on considère qu'à terme plus ou moins long, leur décès est inéluctable, et ce pour des raisons essentiellement économiques et de place dans les hôpitaux. Ni le manque de ressources financières, ni les pressions de la famille ou la lassitude de celle-ci, ne doivent influencer une décision qui doit rester purement médicale.
Personnellement, je ne crois pas qu'il y ait lieu de légiférer au sujet de la procédure de contrôle a posteriori prévue par l'article 5 de la proposition du 20 décembre 1999, parce que cette procédure me paraît impraticable. Il suffit d'ouvrir n'importe quel journal à la rubrique judiciaire pour constater que les faits qui viennent actuellement devant les tribunaux correctionnels ont souvent été commis trois, quatre, cinq ans, si pas davantage, avant qu'ils ne soient jugés. Le parquet ne dispose pas des moyens nécessaires, pour faire le contrôle qu'on lui demande afin de donner une appréciation sur les mentions prévues à l'article 5 de la proposition; il faudrait nécessairement, pour que ce soit réalisable, que le parquet soit assisté de médecins ayant une compétence très large sur le plan médical pour apprécier les différents cas de vie finissante, ce qui paraît difficile à envisager. Ne nous faisons pas d'illusions sur les compétences de généraliste des médecins légistes, il s'agit de deux spécialisations totalement différentes. Enfin, il ne faut pas se faire d'illusions non plus sur le fait que si le médecin se trouvait réellement dans des conditions où il s'agirait d'une euthanasie inadmissible, il y a beaucoup de chance que cela n'apparaisse pas dans le dossier communiqué au parquet. Cette formalité me paraît donc inutile. Par contre, si le Parlement souhaite pouvoir apprécier l'influence de la loi sur l'évolution dans les faits comme on l'a fait pour l'avortement, il est tout à fait normal qu'il y ait une Commission fédérale d'évaluation.
Je ne suis pas totalement hostile à l'idée d'une intervention du législateur, mais je crois aussi très fondamentalement que le législateur ne doit pas vouloir tout régler en présence d'un problème qui concerne des situations dont la diversité a été soulignée à de multiples reprises par les intervenants sur le terrain et qui ne peuvent être réglées qu'au cas par cas. Un texte de loi ne peut que fixer des lignes générales pour permettre au médecin d'agir en son âme et conscience dans le respect de l'éthique; la loi ne doit pas entrer dans tous les détails. Sinon, on court le risque de constater rapidement qu'il y a des hypothèses qui n'ont pas été visées, ou que l'évolution des pratiques a changé en telle sorte que le texte de loi n'est plus applicable dans certaines circonstances.
Lorsqu'on affirme que le but de la proposition de loi est de sortir de la clandestinité, je reste très sceptique. La clandestinité ne signifie pas que des euthanasies directes ou critiquables ont eu lieu dans des conditions où elles n'auraient pas pu intervenir si la loi avait existé. Il faut certes que le médecin sache clairement qu'il peut éventuellement raccourcir la fin de la vie d'un patient en phase terminale, c'est-à-dire pratiquer ce que j'ai appelé l'euthanasie indirecte, sans risquer les foudres de la loi parce que, dans ce cas, il ne pratique pas une euthanasie dans des conditions répréhensibles. Avant tout, il soigne le patient, et l'abréviation de la vie n'est que la conséquence de ces soins. Je crois que cette autorisation peut se concevoir lorsqu'on est en présence de malades en phase terminale d'une maladie dont l'issue est inéluctable et qui subissent une souffrance ou une détresse constante et insupportable qui ne peut être apaisée. Je pense que le médecin ne doit prendre sa décision en pareil cas qu'après la concertation que j'ai évoquée ci-dessus; il doit aussi tenir compte bien sûr de l'avis du patient, si celui-ci est conscient, et éventuellement de l'avis des proches. Il faut aussi que le médecin sache qu'il n'a jamais l'obligation de céder aux pressions qui seraient faites à son égard dans ce domaine.
Il faut également que le malade sache que rien ne se fera sans son consentement et qu'il peut exprimer sa volonté à ce sujet, s'il est conscient. Il peut le faire dans le cadre d'une déclaration anticipée qui aura toujours pour le médecin une valeur indicative importante.
Si le législateur intervient, il faut intervenir de manière à sauvegarder la valeur essentielle du respect de la vie, tout en tenant compte de l'évolution des mentalités résultant des progrès de la médecine, évolution dont une société démocratique doit tenir compte.
Dans cette perspective, l'intervention du législateur pourrait, me semble-t-il, se situer à deux niveaux :
A) Une modification par la loi de l'arrêté-loi du 10 septembre 1967 (arrêté nº 78) relatif à l'art de guérir. C'est un arrêté de pouvoirs spéciaux, il ne peut être modifié que par une loi. Un article 2bis pourrait sous le titre : « Rôle du médecin en présence de la fin de vie du malade » aborder les questions suivantes :
1º l'interdiction de l'acharnement thérapeutique en présence d'un patient qui ne donne plus aucun signe de vie cérébrale et pour lequel il n'y a plus d'espoir d'une amélioration;
2º le droit pour le médecin de prescrire au patient dont la fin de vie est inéluctable à bref délai et qui est atteint de souffrances physiques ou morales insoutenables, tout traitement de nature à atténuer ses souffrances même si les drogues utilisées sont de nature à abréger la survie;
3º la nécessité d'agir avec le consentement du patient s'il est conscient et en état de le donner. Il faudrait affirmer qu'il ne pourrait dans ce cas être passé outre le refus du patient, sans interdire au médecin de tout faire pour soulager les souffrances d'un patient inconscient, même si ces soins conduisent à une euthanasie indirecte;
4º l'obligation pour le médecin de veiller à recueillir les avis de l'équipe soignante comme indiqué ci-dessus;
5º l'obligation pour le médecin de mentionner dans le dossier médical, à la date du décès, le diagnostic posé, les soins prescrits, l'avis des autres membres de l'équipe soignante, les médicaments ou drogues qui ont été administrés. Ces mentions du dossier médical seront signées par le médecin et par un autre membre de l'équipe soignante. C'est sur cette base que le médecin pourra justifier de l'état de nécessité dans lequel il se sera trouvé.
B) Simultanément, le législateur pourrait introduire dans le Code pénal un article 72 l'ancien article 72 ayant été abrogé ou un article supplémentaire dans le chapitre concernant l'homicide ou les lésions corporelles volontaires, qui pourrait faire référence à l'article 2bis, en indiquant que « les souffrances intolérables dont souffre un malade en fin de vie constituent un état de nécessité pour le médecin qui pratique à ce moment-là une euthanasie indirecte pour autant qu'il ait respecté les exigences de l'article 2bis de l'arrêté royal nº 78. »
Je tiens cependant à préciser que cette deuxième proposition ne me paraît personnellement pas indispensable dans la mesure où je considère, dès à présent, que l'acte posé par le médecin dans ce cas n'est pas une euthanasie punissable mais est un acte de soins. Toutefois, s'il y a une inquiétude chez les médecins, je crois que l'insertion d'une telle disposition dans le Code pénal serait de nature à les rassurer de manière à éviter qu'ils ne s'abstiennent de donner certains soins dans la crainte d'une répression pénale.
Je voudrais encore attirer l'attention sur certaines questions qui devraient retenir l'attention des juristes du Parlement.
I. J'ai été surpris de lire dans différentes interventions qu'il était inadmissible de laisser à un juge le soin d'apprécier si un médecin se trouvait dans un état de nécessité ou de contrainte morale, parce qu'il s'agissait d'une notion jurisprudentielle, et peut-être aussi de manière sous-entendue parce qu'un juge n'aurait pas la compétence nécessaire pour apprécier les faits en cause.
J'ai rappelé la définition de l'état de nécessité. Je crois que seuls les tribunaux, comme M. Messinne l'a expliqué ce matin, peuvent donner une appréciation à ce sujet.
II. L'article 5 de la proposition prévoit la transmission au procureur du Roi d'une déclaration circonstanciée dans tous les cas où un médecin aurait pratiqué une euthanasie. Ceci appelle à mes yeux une triple observation :
1) Le procureur du Roi est un magistrat mais il n'est pas compétent pour juger une affaire. Il représente seulement la société devant les tribunaux; il apprécie l'opportunité des poursuites et il peut les provoquer, éventuellement, mais il ne va pas plus loin.
2) Croyez-vous qu'un médecin qui n'aurait pas respecté le nouveau texte résultant de la proposition dont nous discutons ferait une déclaration qui l'accuserait ?
Ce que l'on considère aujourd'hui comme des euthanasies clandestines risque d'exister toujours. La seule conséquence éventuelle de la proposition de loi est que certains médecins trop scrupuleux ne se trouvant pas dans les conditions strictes prévues par l'article 3 de la proposition n'oseront peut-être plus agir pour soulager la souffrance morale ou physique du patient si les drogues nécessaires pour soulager la douleur sont de nature à abréger la vie du malade. Est-ce souhaitable ? Je ne le crois pas.
3) Par ailleurs, si le procureur du Roi, qui reçoit la déclaration prévue à l'article 5 de la proposition, estime que les conditions légales ne sont pas remplies, il mettra nécessairement l'affaire à l'instruction, mais c'est toujours un juge qui prendra la décision et qui devra apprécier la situation du médecin et tenir compte de l'état de nécessité dans lequel celui-ci s'est trouvé.
Nous vivons dans un pays de droit et il serait malsain de réduire en cette matière la compétence du juge. J'ai dit au début de cet exposé ma confiance dans le pouvoir judiciaire, je la répète. Il faut maintenir cette confiance intégralement. Il n'est pas nécessaire de prévoir la procédure prévue à l'article 5 de la proposition discutée pour sanctionner les abus. Les proches, les membres de la famille, le personnel soignant les dénonceront s'ils pensent devoir le faire et il appartiendra, comme il se doit, au pouvoir judiciaire d'apprécier si ces dénonciations, même anonymes, sont fondées ou non.
III. En ce qui concerne la technique purement législative, la proposition discutée prévoit l'insertion dans le Code pénal d'un article 417bis indiquant qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque les faits visés aux articles 393 à 397 du Code pénal ont été commis par un médecin dans les conditions prévues par la proposition. Si ce texte est voté, j'espère qu'il n'empêchera pas les médecins de continuer à administrer aux patients les drogues nécessaires pour apaiser leurs souffrances, même si cela abrège leur survie. Or, les articles 402 et 408 du Code pénal érigent de tels faits en infractions. Si l'on veut suivre la logique de la proposition, on devrait donc aussi viser ces deux articles.
C'est cependant inutile à mon avis parce que, jamais, à ma connaissance, on n'a été amené à condamner un médecin sur cette base, ce qui montre bien que l'on peut faire confiance à la sagesse du pouvoir judiciaire.
IV. Par contre, si l'on adopte la proposition discutée, il y a une chose qui me gêne beaucoup plus et M. Messinne y a fait allusion ce matin , c'est la conformité de cette proposition avec les articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'article 2 de cette Convention dispose que :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
L'article 3 dispose : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Dans leur commentaire, MM. Velu et Ergec écrivent à ce sujet : « Nous croyons que des actes médicaux pourraient tomber dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention si, étant dépourvus de valeur curative, ils revêtaient un caractère inhumain ou dégradant. » Cela signifie que si on ne donne plus de soins, une euthanasie directe serait considérée comme un acte à caractère inhumain ou dégradant auquel l'article 3 de la Convention s'appliquerait. Je sais que cette question a déjà été abordée lors des débats en commission, mais l'objection me paraît avoir été écartée un peu hâtivement.
L'état de nécessité supprime l'intention frauduleuse et justifie l'acte posé par le médecin. La proposition discutée n'exige pas cet état de contrainte; elle permet au contraire l'euthanasie directe ou même l'assistance au suicide, sans la viser expressément, de personnes accidentées dont le handicap entraîne une souffrance ou détresse insupportable sans exiger qu'il s'agisse d'une situation permanente, contrairement à ce qui se passe en fin de vie. Cela me paraît personnellement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention des droits de l'homme. Or, cette Convention fait partie de notre droit. Même le Parlement ne peut en modifier les termes. Elle a primauté sur toute loi qui serait votée par le Parlement.
Notre pays qui se veut ici à la pointe du progrès éthique ne risque-t-il pas une condamnation par la Cour de Strasbourg, ce qui ne serait certes pas à l'honneur de notre Parlement ? Le principe de précaution ne devrait-il pas jouer à cet égard ?
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je remercie le professeur Dalcq de son exposé fouillé. Il était bon de remettre les concepts juridiques à leur juste place. M. Dalcq est un praticien, notamment de la responsabilité médicale. Il connaît donc parfaitement le rapport entre le médecin et la loi, la loi pénale en particulier, sans parler de la loi sur le plan civil. En effet, nous nous demandons, dans le cadre de ce débat, dans quelle mesure un médecin, pratiquant l'art de guérir de manière prudente eu égard à l'évolution de la médecine et s'efforçant, quand il n'est plus possible de guérir, de soulager la douleur de ses patients, est susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale. En d'autres termes, est-il absolument nécessaire de modifier la loi pénale, d'enfoncer un coin dans un principe très important pour autoriser un acte d'euthanasie ou pouvons-nous estimer que les concepts juridiques actuels sont suffisants en vue de garantir la sécurité juridique des patients et des médecins ?
Je ne ferai aucun commentaire à propos de la proposition avancée par M. Dalcq. Je la relirai à tête reposée quand nous disposerons du compte rendu de son exposé. Je crois qu'il a lancé des pistes intéressantes qui mériteraient en tout cas d'être analysées. Si j'ai bien compris, plusieurs éléments doivent être considérés pour qu'un acte médical soit licite aux yeux de la loi pénale. L'acte médical doit, en particulier, être posé dans le cadre professionnel. M. Dalcq a cité un certain nombre d'arrêts qui, me semble-t-il, définissent la position du médecin par rapport à la transgression de certaines normes.
En ce qui concerne l'exemple du chirurgien face à des coups et blessures involontaires, je pense qu'il faut analyser l'acte d'euthanasie de la même manière. M. Messinne a d'ailleurs exprimé un point de vue identique ce matin. J'ai cru comprendre que le médecin, pour autant qu'il exerce son art correctement, jouissait d'une certaine impunité. À ce sujet, je me demande ce que vaut la déontologie médicale par rapport à la loi pénale. Comment le droit se positionne-t-il par rapport à la déontologie ? Que vaut cette déontologie médicale sur le plan strictement juridique dans l'hypothèse d'éventuelles poursuites exercées à l'encontre d'un médecin ?
Je pense que l'évolution de la médecine et du dialogue entre le patient et le médecin, mise en évidence dans le cadre des discussions récentes au sein de l'OMS, se focalise autour de l'information et du consentement libre et éclairé du patient, l'un n'allant pas sans l'autre. Si je ne m'abuse, votre proposition parle d'un « consentement du médecin » par rapport à un certain nombre d'actes. Où situez-vous la demande d'un patient quant au fait de vouloir en finir à un moment donné ? Je ne vous ai pas entendu sur ce point, me semble-t-il.
Vous avez fait une distinction entre euthanasie active, euthanasie passive, ou plus exactement « directe » et « indirecte ». J'ai une difficulté à ce niveau. On a essayé de dire le Comité de bioéthique se situait dans la même perspective que, s'agissant d'euthanasie, il était uniquement question de mettre fin intentionnellement à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Vous semblez élargir le concept et vouloir qu'on légifère au-delà de ce point ponctuel, car vous estimez qu'une transparence est nécessaire en ce qui concerne tous les actes médicaux de fin de vie. Je n'y suis pas nécessairement opposée mais je voudrais des précisions à ce sujet.
Par ailleurs, vous ne retenez la possibilité de poser un tel acte qu'en situation terminale : pour vous, toutes les autres situations s'apparenteraient à des « suicides assistés » qui, vous l'avez souligné, ne ressortissent pas de notre Code pénal. À cet égard, nous nous trouvons dans la même situation que la Suisse qui ne pénalise pas non plus le suicide, ni l'assistance au suicide, et permet ce que vous avez évoqué et qui a fait l'objet d'une émission de télévision assez surprenante j'ai eu l'occasion de la voir.
Vous avez bien clarifié les différentes possibilités à ce niveau, mais je souhaiterais obtenir des détails, par exemple, sur ce que vous faites de la technique de la sédation contrôlée. Comme vous le savez, de nombreux témoins nous ont dit que, plutôt que de mettre fin « brutalement » à la vie, ils préféraient utiliser la technique de la sédation contrôlée mise en coma réversible, en tout cas, au départ.
M. Roger Dalcq. J'ai insisté à plusieurs reprises sur le fait que depuis quarante ans, il n'y avait jamais eu de poursuites, ce qui me pousse à dire qu'une certaine sécurité juridique existe. Mais dès lors qu'il y a un débat tel que celui-ci, qui reçoit une grande publicité, dans la presse, à la télévision, les gens sont en droit d'avoir des réponses aux questions qu'ils se posent et le rôle des parlementaires est de les leur donner. Il me paraît évident qu'une transparence complète est à présent nécessaire à cet égard : le patient doit savoir un certain nombre de choses, mais le médecin également.
Le patient doit savoir que, tant qu'il peut exprimer sa volonté, on ne fera jamais rien qui aille à l'encontre. Cela ne signifie pas que l'on fera tout ce qu'il demande : un médecin ne pourra jamais tuer une personne pour laquelle de multiples possibilités de soins existent encore, simplement parce qu'elle le demande. Il me paraîtrait aberrant de l'autoriser; or, la proposition va jusque-là pour les accidentés. Donc, le patient sait qu'il sera protégé et que même s'il est inconscient, on fera le nécessaire pour soulager ses souffrances. Les gens ont peur de souffrir, ce qui est tout à fait légitime : de nombreux intervenants l'ont souligné.
Venons-en à la transparence du côté des médecins. Avant ce débat, les médecins n'étaient pas inquiets : je ne les ai jamais entendus se demander si on allait un jour leur reprocher d'avoir commis des actes d'euthanasie.
Actuellement, ils se posent la question et ils ont l'impression que tout le monde les prend pour des criminels quand ils soulagent des souffrances. Il faut pouvoir leur dire qu'ils peuvent soulager les souffrances d'un patient après l'avoir consulté, s'il est conscient, mais en passant outre cette demande d'avis si elle n'est plus possible ce n'est pas parce que quelqu'un est inconscient qu'on doit le laisser souffrir de façon insoutenable même si cela a pour conséquence de ralentir ou d'abréger la vie du patient. Je voudrais relire la dernière phrase du texte que j'ai cité tout à l'heure, provenant du tribunal correctionnel de Bruxelles : l'acte médical est essentiellement celui qu'un médecin accomplit dans le but de soigner un être humain, c'est-à-dire dans un but curatif. Soigner la souffrance, c'est toujours soigner un être humain, même si cela a pour conséquence d'abréger sa survie.
Où se place le Code de déontologie par rapport aux règles pénales ? Le Code de déontologie, qui, assez curieusement, n'a aucune force légale car il devait être approuvé par un arrêté du ministre de la Santé publique qui n'est jamais intervenu, est un code de bonne conduite auquel on se réfère, notamment, lorsque l'on doit apprécier la faute d'un médecin. En effet, une faute déontologique suffit pour constituer une faute au sens civil, justifiant une action sur la base de l'article 1382. C'est un code de conduite que les médecins doivent observer.
Dans le cadre du « consentement libre et éclairé », vous me demandez où je situe la demande d'un patient d'en finir.
Je ne la situerai pas d'une manière particulière. Je dirai simplement que si un patient souffre et répète clairement qu'il en a vraiment assez, qu'il n'a plus de relation, qu'il se sent diminué vis-à-vis de sa famille, etc., le médecin peut tenir compte de ces éléments pour abréger sa souffrance morale, par exemple en délivrant une dose plus forte de médicaments. Le médecin devra alors, dans chaque cas, apprécier ce qu'il doit faire.
Il serait catastrophique de limiter l'euthanasie au patient conscient. En effet, les auditions des médecins ont mis en avant qu'il y a plus de malades en fin de vie qui souffrent en étant inconscients que de malades qui souffrent en étant conscients. Il serait donc aberrant de ne plus pouvoir donner à ces patients, même si cela abrège leur survie, les soins nécessaires pour apaiser leurs souffrances.
M. Philippe Mahoux. Il est clair que dans l'état actuel des choses, certains peuvent trouver un bénéfice financier à l'acharnement thérapeutique. Cela a d'ailleurs été souligné par certains des médecins que nous avons entendus. Cela coûte à la sécurité sociale, ce qui est un argument utilisé a contrario pour attirer, à juste titre, l'attention sur des dérives, sur des euthanasies qui seraient pratiquées pour des motifs économiques. À cet égard, nous avions évoqué la situation aux États-Unis où, dans un système de managed care, les trois interlocuteurs les compagnies d'assurance, les employeurs qui paient les primes et les hôpitaux qui passent des conventions avec les compagnies ont intérêt à réduire de manière drastique la quantité de soins donnée à partir du moment où il est exclu que le malade sorte debout. Heureusement, tel n'est pas le cas chez nous.
M. Roger Dalcq. Dans ce sens, j'ai dit que je considérais que c'était parfois une faute. Je concevrais très bien, dans certains cas, que l'INAMI demande à l'hôpital le remboursement des sommes payées.
M. Philippe Mahoux. Je crois que nous sommes d'accord.
Que considérez-vous comme un nombre de cas important de malades qui pourraient bénéficier d'une euthanasie demandée dans le cadre de la proposition de loi ? D'aucuns semblent dire que le nombre serait marginal mais qu'est-ce qu'un nombre marginal par rapport à des problèmes aussi importants et rapportés à l'addition de malades individuels ?
J'ai tendance, en ce qui me concerne, à considérer que le problème est loin d'être marginal et qu'il n'est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif et individuel, dans ce sens et dans l'autre. Quel est le nombre, considéré par certains comme étant marginal, d'euthanasies pratiquées sans demande du malade ?
Quand on parle de cas marginaux, j'aimerais que l'on précise ce que l'on considère comme marginal.
Pour revenir à votre spécialité, la responsabilité médicale, beaucoup de jugements et d'arrêts plus souvent des arrêts, d'ailleurs en matière de responsabilité médicale invoquent la non-information du malade et son non-consentement pour conclure à une faute médicale. En l'occurrence, par rapport à la situation actuelle, quand on évoque le nombre d'euthanasies qui sont pratiquées sans que le malade en ait exprimé la demande et donc, a fortiori, sans qu'il soit éclairé, quelle est votre appréciation ? Vous êtes spécialiste de la responsabilité médicale; il serait donc intéressant d'avoir votre avis. Quel est votre sentiment sur une amélioration possible de la situation par la création d'une législation ?
Enfin, vous semblez refaire la distinction entre euthanasies directes et indirectes, avec toute la difficulté que cela peut représenter. Dans votre chef, qu'est-ce qui fait la différence entre les deux ? Si ce n'est pas le geste posé, de quoi s'agit-il exactement ? S'il s'agit d'intention, puisque celle-ci, in fine, est de soulager, comment pouvoir distinguer l'euthanasie directe et l'euthanasie indirecte si on suit cette logique, puisque vous considérez que c'est l'intention qui détermine ce qui l'est et ce qui ne l'est pas ?
M. Roger Dalcq. Je ne peux répondre à votre première question. Vous me demandez le nombre de cas marginaux ou pas. Je n'ai pas de statistiques à cet égard mais, à la lecture de certaines dépositions qui ont été faites, le nombre de patients conscients et inconscients semble dépendre très fort de la nature de la pathologie dont ils sont atteints en fin de vie. Certaines pathologies entraînent beaucoup plus de cas d'inconscience que d'autres; c'est en tout cas ce que j'ai déduit des dépositions. Mais je ne puis aller plus loin dans mon appréciation.
M. Philippe Mahoux. Je vais préciser ma question. Indépendamment de la situation actuelle, que considérez-vous comme un nombre marginal ?
M. Roger Dalcq. Je ne vous dirai pas cent ou mille; je n'en sais rien puisqu'il n'existe pas de statistiques, mais dans l'ensemble de la population, pour reprendre une phrase de Mme Bron, les gens qui peuvent être accessibles à une information complète et qu'elle cite comme intellectuels, ne représentent pas la majorité de notre population. Je ne peux pas aller plus loin dans les précisions.
M. Philippe Mahoux. Mais par rapport à ce que les gens subissent, à ce qu'ils ressentent, ceux qui souffrent et se trouvent dans la situation, parler de nombre marginal n'est pas insignifiant. S'il s'agit de cent personnes, c'est déjà très important; si c'est mille, cinq mille ou dix mille, c'est encore beaucoup plus important.
M. Roger Dalcq. Je suis dans l'incapacité de vous répondre.
M. le président. Je ne crois pas que M. Dalcq mette une connotation péjorative dans le terme « marginal », Monsieur Mahoux.
M. Roger Dalcq. Je veux dire que cela ne concerne pas tout le monde.
Vous m'avez parlé du consentement éclairé. Je crois avoir été le premier en Belgique à me battre pour cela dans les années 60; je me suis fait traiter de tous les noms par les médecins parce que je leur disais qu'ils devaient dire la vérité à leurs patients. Si le patient est conscient, je pense qu'il faut l'informer complètement en termes à sa portée. On ne donne pas la même information à Roger Dalcq s'il était hospitalisé qu'à un balayeur de rue. Le médecin doit savoir traduire c'est important et difficile ce qu'il veut dire pour que l'information soit à la portée de son interlocuteur. Si le patient est conscient, il faut toujours la lui donner : c'est une règle que la jurisprudence a fixée et qui me paraît devoir être observée. C'est une question de respect de la personne malade. Mais s'il est inconscient, on ne peut évidemment pas respecter cette règle. Mais cela arrive tous les jours, en dehors de l'euthanasie. Quand on amène un blessé de la route dans le coma, les médecins n'attendent pas qu'il se réveille pour le soigner; ils savent qu'ils ne peuvent pas, à ce moment-là, obtenir le consentement éclairé du patient et ils font ce qu'ils doivent faire. Si le patient est inconscient en fin de vie, il faut faire ce que le médecin estime devoir faire, c'est-à-dire le soigner, lui donner les soins de confort, alléger sa souffrance, même, selon moi, si ce faisant il raccourcit la vie. Il doit soigner un être humain et c'est un acte curatif, apaiser la souffrance aussi.
J'en viens à votre troisième question sur l'euthanasie directe ou indirecte. Pour moi, c'est très clair. L'euthanasie directe consiste à tuer quelqu'un sans le soigner. Vous ne soignez rien quand vous tuez un tétraplégique.
M. le président. Apparemment, comme certains de mes collègues, je ne comprends pas très bien vos propos.
M. Alain Zenner. Je voudrais remercier M. Dalcq d'avoir fait l'effort de nous proposer des solutions, malgré les réserves qu'il a vis-à-vis des propositions mais, sur ce point, j'ai été frappé moi-même de l'ambiguïté des termes ou en tout cas, excusez-moi, Monsieur le professeur, de ce que je ressens comme une ambiguïté. Lorsque vous dites, au point 2 de la proposition A, page 25 de votre note : « la solution pourrait être d'inscrire notamment le droit pour le médecin de prescrire au patient dont la fin de vie est inéluctable à bref délai et qui est atteint de souffrances physiques ou morales insoutenables tout traitement de nature à atténuer ses souffrances, même si les drogues utilisées sont de nature à abréger sa survie ». Vous parlez de ce que vous avez appelé maintenant l'euthanasie indirecte tout en nous disant que vous connaissez, bien entendu, la définition retenue par le Comité de bioéthique, que vous connaissez aussi le sens générique des termes « passif » et « actif », mais que ce n'est pas clair. À vos yeux, où se trouve la différence entre direct et indirect ? Quand je lis ceci et que je vous entends parlez d'euthanasie indirecte, je pense que vous parlez de la sédation contrôlée. Ou parlez-vous aussi de l'euthanasie au sens de la définition retenue par le Comité consultatif de bioéthique ?
M. Roger Dalcq. Ni l'un ni l'autre. Je parle d'« euthanasie indirecte » puisqu'à mes yeux, l'objectif premier reste de soigner le patient. On peut également la qualifier d'« euthanasie passive » mais cela me paraît moins précis. Dans la définition du Comité de bioéthique, le patient doit formuler lui-même la demande alors que cela ne me semble absolument pas indispensable.
M. Alain Zenner. J'en conviens.
M. Roger Dalcq. Quant à la sédation contrôlée, je ne sais pas très bien de quoi il s'agit. Je ne porterai donc pas de jugement à ce sujet.
M. Alain Zenner. Estimez-vous que la définition que vous donnez au point 2 peut englober celle du Comité consultatif de bioéthique, étant donné que vous ne faites pas référence à la demande du patient ? La pratique décrite par ce Comité exclut-elle, ou non, les soins puisque l'intention est de donner la mort afin d'alléger les souffrances ?
M. Philippe Mahoux. C'est évidemment l'objet de ma question car on peut imaginer que vous ne considériez plus cela comme une euthanasie passive puisqu'un geste est posé. Mais vous parlez d'euthanasie directe ou indirecte ...
M. Roger Dalcq. Il s'agit de l'acte pratiqué par un tiers qui met fin délibérément à la vie d'un malade. Quand un médecin lui administre des drogues, il est conscient qu'il risque d'abréger sa vie mais il le fait dans un but curatif.
M. Alain Zenner. Il n'en demeure pas moins que l'administration de drogues entraînera inéluctablement la mort à plus ou moins brève échéance : c'est la sédation contrôlée; l'intention est donc bien d'écourter la vie du malade.
M. Roger Dalcq. C'est la conséquence ... L'intention, c'est de rendre la fin de vie supportable en apaisant les souffrances.
M. Alain Zenner. Vous refusez d'admettre qu'il s'agit d'un acte délibéré.
M. le président. Nous avons tous entendu la définition du professeur Dalcq. Le résultat est peut-être identique mais il y a une différence dans l'intention.
M. Philippe Mahoux. Le problème de l'euthanasie passive semble réglé. La différence que vous établissez entre euthanasie directe et indirecte relève de l'intention alors que les gestes posés peuvent être tout à fait identiques. Dans ce cas, comment peut-on, rien qu'en se basant sur l'intention, décider qu'il s'agit de tel ou tel type d'euthanasie ?
M. Roger Dalcq. Dans les cas évoqués dans la proposition, il ne s'agit pas de situations de fin de vie. Il n'y a pas de souffrance, sauf peut-être des souffrances morales.
Mme Jeannine Leduc. La douleur morale peut être plus insupportable que la douleur physique ...
M. Roger Dalcq. Bien sûr. Je veux parler des souffrances d'une personne dont la fin est inéluctable.
M. Philippe Mahoux. Vous faites la distinction entre euthanasie directe et indirecte en fonction de l'état du malade et non du geste qui est posé ?
M. Roger Dalcq. Plutôt en fonction de l'intention du médecin. Permettre à quelqu'un de mourir paisiblement, c'est aussi le soigner.
Mme Clotilde Nyssens. Vous avez déclaré que dans certains cas, l'acharnement thérapeutique pourrait être considéré comme une faute susceptible de poursuites.
Connaissez-vous des cas de médecins ayant été traduit devant les tribunaux pour avoir pratiqué l'acharnement thérapeutique ?
Étant donné que certaines demandes d'euthanasie sont formulées à la suite d'un acharnement thérapeutique, serait-il judicieux que ce dernier puisse être considéré comme une infraction passible d'une sanction ? D'après votre expérience, les tribunaux sont-ils en état d'apprécier la complexité d'un dossier médical de ce type ?
Il existe, dans certains pays, des embryons de législation sur les testaments de vie, les déclarations anticipées; je songe notamment à certains États américains. D'après vous, ce genre de législation va-t-il donner lieu à des contentieux difficiles devant les tribunaux ? Dans ces États, des médecins sont-ils traduits devant les tribunaux pour justifier leur attitude contre les testaments de vie ? Certains experts étrangers ont déclaré que les testaments de vie étaient probablement un élément d'appréciation mais lorsque la force juridique devient trop contraignante, on risque d'aboutir à des contentieux difficiles à gérer, tant pour les familles que pour les médecins.
Enfin, je suis stupéfaite que le mot euthanasie provoque autant de discussions. Il faudra être extrêmement précis dans la définition que l'on adoptera. Selon vous, l'euthanasie indirecte ou passive que vous citez nécessite-t-elle des aménagements légaux parce qu'il s'agirait, dans votre conception, d'un acte médical, d'un acte curatif ? Si je vous comprends bien, le code de déontologie pourrait définir tout ce que le médecin doit faire pour accompagner le malade et soulager ses souffrances et considérer que l'euthanasie indirecte ne doit pas être sanctionnée par notre Code pénal. À la limite, il n'y aurait pas de problème. C'est la première fois que j'entends une définition aussi particulière de l'euthanasie. Je commence à m'inquiéter de la confusion qui naît à propos de cette notion. Vos propos me laissent un peu perplexe. Par ailleurs, j'ai l'impression que beaucoup de gens considèrent que l'euthanasie est pratiquement devenue un droit subjectif.
Ne faut-il pas faire un effort de pédagogie, ne fût-ce que cet après-midi, pour bien expliquer qu'en droit pénal, personne n'a le droit de demander l'euthanasie dans l'état actuel de la situation ? Demander la mort n'est pas un droit subjectif. Et les conventions internationales que vous avez citées me font aussi réfléchir. Vous nous avez fait des propositions intéressantes. En fait, vous avez proposé d'objectiver l'état de nécessité dans un texte et ensuite de faire un renvoi dans le Code pénal. Suite à l'intervention de ce matin, proposez-vous d'objectiver l'état de nécessité en prévoyant uniquement des conditions essentiellement procédurales ? Ou faut-il entrer dans ce que l'on a appelé ce matin les raisons pour lesquelles on accomplit un acte ? Ce matin, on a fait la différence entre les conditions qui permettent à un médecin, en conscience, de commettre un acte d'euthanasie. Mais on a bien dit qu'au-delà des conditions procédurales, il y a une motivation et toute une série de raisons qui appartiennent à la conscience du médecin. Cette distinction entre condition et raison m'a aussi interpellée. Votre proposition d'objectivation de l'état de nécessité se résume-t-elle donc à des conditions procédurales, en laissant en fin de compte l'état de nécessité à la conscience du médecin ? Ou cette objectivation met-elle à l'abri le médecin et le couvre-t-elle davantage que dans la situation actuelle où il serait amené à se justifier devant un tribunal ?
M. Roger Dalcq. Je n'arrive pas à relire mes notes concernant votre première question sur l'acharnement thérapeutique.
Mme Clotilde Nyssens. Lors de nos auditions, on nous a dit que les demandes d'euthanasie émanent souvent de personnes sur lesquelles on s'est acharné. La crainte de la population face à l'acharnement thérapeutique est grande. La première réponse est d'affirmer qu'il existe des limites à cet acharnement. Dans votre pratique, des patients, des clients vous ont-ils demandé de faire des procès aux médecins qui se sont acharnés ?
M. Roger Dalcq. Jamais. Et je ne connais aucune décision qui traite de la faute d'un médecin pour un acharnement thérapeutique. Cela ne veut pas dire qu'une telle décision n'a pas existé, bien entendu, mais cela veut dire qu'elle ne pas donné lieu à un procès.
Mme Clotilde Nyssens. Si on définissait l'acharnement thérapeutique chose extrêmement difficile par acte futile, disproportionné, etc., ne conviendrait-il pas, pour répondre à un souci de la population, de constituer une infraction, de prévoir une sanction, à la limite pénale, et voyez-vous nos magistrats apprécier une situation d'acharnement thérapeutique ?
M. Roger Dalcq. Même si en disant cela, j'ai l'air de négliger le problème, cela ne vaudrait pas la peine d'en faire une infraction. Les cas dans lesquels on pourrait songer à appliquer cette infraction seraient extrêmement rares. Et des batailles d'experts auraient lieu pour savoir s'il n'y avait pas encore une petite chance de faire quelque chose pour le malade. Laissez faire ! Il n'y a jamais eu de procès pour acharnement thérapeutique et personne n'a jamais réclamé des dommages et intérêts. Je crois donc que cela ne vaut pas la peine de légiférer dans ce domaine.
M. le président. Ne pensez-vous pas qu'un débat comme le nôtre peut contribuer à ce que cette pratique soit de moins en moins courante ?
M. Roger Dalcq. Et j'espère qu'elle l'est de moins en moins ! Votre question suivante portait sur la justification de la déclaration d'intention. Je n'ai jamais rencontré, dans ma pratique, des procès lors desquels on aurait fait état d'une déclaration d'intention qui n'aurait pas été respectée. Cela n'existe pas non plus dans la jurisprudence. Les déclarations d'intentions sont une pratique relativement récente. Elles ont fait leur apparition à la suite des débats qui ont eu lieu il y a une dizaine d'années en matière d'acharnement, pour arriver quand même à définir ce qu'est l'acharnement thérapeutique. Un de mes amis est mort, voici peu de temps, dans un très grand hôpital bruxellois. C'était un ami proche. Il m'a téléphoné pour me demander de lui rendre visite deux jours plus tard. Entre-temps, il a vu son médecin et lui a demandé quel était son pronostic. Et le médecin a dû lui répondre que ce pronostic était vraiment très mauvais. Une heure plus tard, il a perdu connaissance. On a dû le placer en soins intensifs. Au bout de trois jours, on nous a dit : « Vous savez, il n'y a pas de réaction. On arrête. » Et ça me paraissait tout à fait légitime de la part des médecins. Le surplus aurait été de l'acharnement thérapeutique. Cela ne servait plus à rien. Faisons confiance aux médecins dans ce domaine ! Comment voulez-vous légiférer ? Parce qu'en cette matière, vous devrez légiférer au cas par cas. Le médecin peut certainement tenir compte de la déclaration d'intention. Il s'agit d'une indication vis-à-vis d'un patient, surtout si celui-ci était encore conscient quand il a fait la déclaration. Je vous ai en effet fait part de toutes mes réticences concernant le mandataire. Une telle déclaration n'oblige cependant jamais le médecin à agir. Si le patient est conscient, le médecin doit lui expliquer tout ce qu'il est possible de faire. Il doit lui indiquer les choix qu'il peut effectuer : faire durer les choses un peu plus longtemps au prix de la souffrance, ou atténuer ses souffrances avec des conséquences possibles sur un raccourcissement de la vie. C'est le rôle du médecin, même si je sais qu'il n'est pas facile. C'est le devoir du médecin.
M. le président. Et le droit de demander la mort ?
M. Roger Dalcq. Chacun peut demander tout ce qu'il veut mais on ne doit pas le lui donner pour autant. Cela ne change rien à une qualification pénale. Si l'acte est pénalement répréhensible, il le reste. On n'a donc pas le droit de demander la mort. On peut la demander comme on peut demander n'importe quelle autre chose. Mais c'est un problème de dialogue le médecin doit expliquer au patient qu'il n'est pas à la veille de la mort, qu'on peut encore lui donner des soins, qu'on peut sans doute rétablir une relation meilleure avec les autres ou, au contraire, lui dire que c'est fini et qu'on ne peut plus rien faire de positif pour lui. C'est tout, mais le droit de demander la mort n'existe pas.
Je précise que je ne me suis pas senti autorisé à proposer au Parlement un texte sur l'état de nécessité. J'ai émis quelques idées. Quand je dis ce que j'estime devoir être modifié dans l'arrêté nº 78, cela ne recouvre pas seulement des conditions de forme. Ainsi, quand je propose « ... un droit de prescrire par le médecin à un patient dont la fin de vie est inéluctable à bref délai... », il ne s'agit pas d'une condition de forme mais de fond. De même, plus loin « ... et qui est atteint de souffrances physiques et morales insoutenables... » il s'agit encore d'une condition de fond. En outre, l'obligation de collégialité, de consultation de l'équipe soignante est aussi une condition de fond, même si elle doit se se traduire dans un document qui établit qu'elle a eu lieu. Ce à quoi je songe, ce n'est pas simplement une obligation de remplir un formulaire; les conditions doivent refléter la réalité.
M. Jan Remans. Je remercie Maître Dalcq pour son exposé et pour la confiance exprimée par les juristes à l'égard des médecins. J'ai cependant trois questions à lui poser.
Certaines personnes ont été très étonnées d'entendre des médecins, pourtant très expérimentés, affirmer qu'ils n'avaient jamais reçu de demandes d'euthanasie. Je suis moi-même étonné qu'aucune des personnes se trouvant dans une situation désespérée et que vous connaissez n'ait posé cette question. Mais, je m'étonne encore plus de constater qu'aucun acte incorrect et qu'aucune négligence n'auraient été commis au cours de toutes ces années dans toutes les formes d'euthanasie. Durant les cinquante dernières années, aucun médecin n'a donc, selon toute vraisemblance, été surpris en flagrant délit d'homicide sur un patient. Ne trouvez-vous pas cela étrange ? Je me pose des questions parce qu'il n'y a encore jamais eu de condamnation d'un médecin pour négligence ou erreur de traitement. Vous dites qu'une loi constitue un cadre dans lequel les décisions pénales et civiles doivent être prises, mais pourquoi demandez-vous une législation pour un groupe marginal ? En ce qui concerne ces marginaux, j'ai des objections à formuler parce qu'il s'agit en fait de plusieurs milliers de cas par an. Dès lors, pourquoi demandez-vous une loi qui va réglementer simultanément toutes les fins de vie et tous les traitements médicaux alors que le Sénat a déjà tant de mal à aboutir à un consensus législatif pour un groupe limité de quelques milliers de personnes ? Estimez-vous possible d'élaborer une telle loi ? Je ne vois pas comment une loi sur les feux de signalisation pourrait régler la vitesse des véhicules ou la sécurité de l'ensemble de la circulation. Vous devez être conscient de l'impact de la société sur la législation et sur les professions actuelles. La société réclame, à juste titre, que la justice, la magistrature, les politiques mais aussi les actes médicaux soient soumis à un contrôle, ce qui constitue déjà un problème pour certains médecins. Cette proposition de loi n'est que le début du contrôle des dossiers du médecin et de ses actes. D'après vous, quel sera l'impact de cette loi sur la société ? Une partie de la société estime que la mort n'est pas toujours la plus mauvaise solution. Ce n'est pas la mort, mais bien les souffrances inutiles et insupportables qui sont l'ennemi du médecin. Voilà l'idée que cette loi fera passer dans la société. Ou pensez-vous que ce ne sera pas le cas ? Elle permettra également à la société de voir un peu mieux dans quelle mesure l'autodétermination est respectée par les juristes, les juges et les politiques.
M. Roger Dalcq. Comment puis-je croire qu'il n'y a jamais eu d'actes incorrects ? Je n'ai jamais rien dit de tel; j'ai souligné qu'il n'y avait jamais eu de procès. Cela signifie que personne ne s'est plaint des actes incorrects qui se sont cependant produits. Certains de ces actes ont peut-être été posés à la demande des patients eux-mêmes; nous n'en savons rien; nous ne les connaissons pas.
En quarante ans de pratique professionnelle, je n'ai connu que deux cas d'euthanasie directe que je condamnerais tout à fait et qui auraient justifié des poursuites. Dans les deux cas, elle avait eu lieu à la demande des patients et personne ne s'en est plaint. Il n'y a donc eu ni poursuite ni instruction. Remarquez que ce ne sont pas des centaines de cas, mais seulement deux, en quarante ans. Je ne vous donne pas plus de détails car je ne peux rompre le secret professionnel.
Vous parlez de milliers de cas. Il existe sûrement un grand nombre de cas d'euthanasie indirecte et peut-être d'euthanasie directe, mais on ne possède pas de statistiques. Le fait que jamais personne n'ait ressenti le besoin de porter une action devant les tribunaux à cet égard montre bien qu'il n'y a rien eu de scandaleux pour les familles, sinon elles auraient porté plainte, elles auraient réagi. Quand j'ai parlé d'un groupe marginal, ce n'est pas de ces cas que je voulais parler. Je faisais allusion à la déclaration de Mme Bron où elle note que, sur la totalité des patients, seul un petit nombre possède la formation suffisante pour entendre et comprendre une information complète sur leur état. Pour elle, la notion de patient conscient n'a de sens que pour ce petit groupe. Cela me paraît restrictif. Si Mme Bron a raison, on ne légiférerait que pour une petite partie des gens concernés dans la mesure où l'on exige le consentement, ce que je ne crois pas devoir être nécessaire.
J'aurais tendance à dire que l'impact sur la société d'une loi telle qu'elle est discutée sera mauvais. En effet, la situation est meilleure maintenant qu'elle ne le serait après le vote de la loi. Le seul élément positif possible d'une législation serait de préciser la notion d'état de nécessité dans lequel se trouve le médecin; ce qui pourrait rassurer et le médecin et le patient. Il faut cependant tenir compte de la remarque de M. Messinne; en Hollande, les gens disent qu'une loi autorise l'euthanasie. Il ne faut pas oublier que la majorité des gens ne comprend pas ce que vous faites. Les gens retiendront le titre d'un journal qui dira « Le Parlement autorise l'euthanasie ». Seuls les spécialistes, les juristes retiendront le contenu véritable de votre loi. Il est difficile de prévoir exactement l'impact d'une loi.
M. Jan Remans. Lorsque vous dites que cette loi aura un mauvais impact sur la société, entendez-vous par là que vous voulez mettre un terme à l'autonomie du patient ? Cela signifie-t-il également que vous pensez que la mort est toujours la plus mauvaise des solutions ?
M. Roger Dalcq. Je ne dis ni l'un ni l'autre. J'ai été le premier à me battre pour l'autonomie du patient et à combattre les médecins pour qu'ils informent leurs patient. Je me suis fait traiter, à l'époque, de tous les noms par les médecins. Les choses ont changé depuis et c'est très bien. Je ne regrette pas mon combat.
Je ne dis pas que la mort est toujours une bonne chose. La mort ! Il est difficile de généraliser ce qu'est la mort ! Elle peut être triste, parfois paisible selon l'état de la personne et sa capacité à l'accepter.
Je crois que la loi aura une mauvaise influence car les gens croiront que tout est permis en matière d'euthanasie. Les médecins se trouveront alors en difficulté face à des demandes comme : « Mais on a dit que vous pouviez me supprimer, allez-y ». A contrario, il faut aussi penser à la perte de confiance des patient en leurs médecins car ils auront peur que ceux-ci ne les achèvent. L'effet d'une loi sur la société est parfois très différent de ce qui se trouve explicitement dans le texte.
Mme Jeannine Leduc. Actuellement, un certain nombre de personnes souffrent terriblement tant moralement que physiquement. À défaut d'une législation en la matière, certains médecins, y compris des généralistes, refusent de leur accorder la mort douce qu'ils demandent et à laquelle ils ont droit. C'est pour cette raison qu'à l'heure actuelle, beaucoup de gens meurent dans des circonstances inhumaines. Pourtant, l'article 3 de la CEDH stipule que nul ne peut être soumis à des peines dégradantes et inhumaines.
M. Roger Dalcq. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce plan, Madame. Ce n'est pas parce que l'on n'en parle pas que certains médecins ne se montrent pas réticents et, parce qu'ils ont peur d'abréger la vie du patient, ne font pas ce qu'il faut pour soulager la souffrance. Dans la proposition que je formule, l'idée est à la fois de conforter les patients et les médecins. Pour que ces derniers sachent ce qu'ils peuvent faire et n'hésitent pas à le faire quand cela est nécessaire.
M. Jan Remans. Selon moi, l'autre côté de la médaille est tout aussi mauvais. Actuellement, certaines personnes craignent d'être victimes de cette mort sans leur consentement et, de ce fait, n'osent plus se rendre à l'hôpital. Si l'autonomie du patient est reconnue et s'il est établi que la mort n'est pas toujours la plus mauvaise solution, les personnes qui sont soignées à domicile seront plus rassurées lorsqu'elles devront se rendre à l'hôpital. Nous aspirons tous à la transparence en matière de traitement et réglementer l'euthanasie est un des moyens d'y parvenir. Je suis en possession d'une étude européenne du professeur Vincent, publiée dans Critical Care Medicine. Sur 1 300 médecins interrogés dans l'ensemble de l'Europe, 504 ont répondu. 71 d'entre eux étaient belges. En ce qui concerne l'euthanasie indirecte ou passive, comme vous l'appelez, il ressort que la moitié des médecins belges n'informent pas le patient de leur décision de poursuivre ou non la réanimation. Ils n'y sont d'ailleurs pas obligés. Parmi ceux qui fournissent l'information, il n'y en a qu'un sur deux qui la pratiquent. Plus grave encore, quatre médecins sur dix en Europe reconnaissent qu'ils ont administré une piqûre à des patients en soins intensifs pour provoquer la mort par euthanasie sans leur consentement. C'est la raison pour laquelle nous sommes partisans d'une plus grande transparence tout en sachant qu'une réglementation en matière d'euthanasie n'en constitue qu'une petite partie.
M. Roger Dalcq. C'est très bien d'informer et de prévenir son patient si celui-ci est en mesure de recevoir l'information. Il faut donc qu'il soit conscient. Faut-il pour autant laisser souffrir les patients inconscients sans rien faire ? Même au risque de raccourcir leur vie ? Tel est le problème. Je partage toutefois votre point de vue : faisons vite ce qui est nécessaire pour que la plus grande transparence existe à cet égard. Je suis à cent pour cent d'accord avec vous.
M. Hugo Vandenberghe. Dans son exposé nuancé, que j'ai beaucoup apprécié et qui témoignait d'une grande expérience, le professeur Dalcq a parlé de la problématique du suicide assisté. En partant du principe que la complicité suppose que le crime dont on se rend soi-même complice doit être punissable, on ne peut, via cette construction, dire que l'aide au suicide est punissable. Le professeur Dalcq a même dit que l'on ne doit pas nécessairement répondre positivement lorsque quelqu'un demande quelque chose. C'est aussi bien le cas pour l'euthanasie que pour le suicide assisté. Il s'agit de la même problématique.
L'article 422bis du Code pénal stipule que l'on est obligé d'apporter son aide à une personne qui en a besoin. Juridiquement, la question est de savoir si accorder son aide pour un suicide est la réponse adéquate. La réponse à cette question est insuffisante si l'on dit que l'on a répondu positivement parce que quelqu'un a demandé quelque chose. Dans ce cas, on est confronté à un cas comparable voire plus compliqué à celui d'une demande d'euthanasie qui a toujours trait à la fin de la vie. J'aimerais obtenir quelques précisions en la matière pour le débat.
Il y a quelques mois, lors de mon premier exposé, j'avais déjà attiré l'attention sur le problème posé par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle le témoin a fait à juste titre allusion. Cet article stipule que la loi protège la vie humaine. Une exception est faite en ce qui concerne la peine de mort. Je me réfère au sixième protocole de la CEDH qui prévoit la suppression de la peine de mort. La Belgique a heureusement signé ce protocole qui complète la Convention de 1950. Ma question, que j'ai également posée au professeur Messine, est la suivante : quelle est la portée de l'article 2 de la CEDH ? Je reproche à la proposition de la majorité de ne pas répondre à cette question. On peut dire que mon argument ne tient pas, mais je lis ce qui figure à l'article 2. On devrait m'expliquer comment la dépénalisation de l'euthanasie peut être conforme à l'article 2 de la CEDH. J'aimerais en connaître la raison juridique.
Le professeur Dalcq écrit que l'article 2 de la CEDH exclut une dépénalisation de l'euthanasie mais que l'application de l'état de nécessité peut être mis en concordance avec ce même article. Cette position s'inscrit dans le prolongement de notre proposition et, personnellement, je partage ce point de vue. L'article 2 ne contenant plus d'exceptions, une loi nationale ne peut prévoir une exonération générale de toute sanction pénale.
Je sais que l'on se réfère souvent à l'article 3, mais je veux toutefois attirer l'attention sur le fait qu'il est dangereux d'indiquer la portée juridique d'une disposition déterminée. L'article 3 a des caractéristiques légistiques qui ne sont pas immédiatement perçues par un profane. Comme l'a dit ce matin le professeur Messine, l'article 3 de la CEDH oblige l'État à empêcher les traitements inhumains ou les situations inhumaines. Dans le cadre de l'interprétation européenne, on ne peut pas dire que les législateurs nationaux de 40 des 41 États du Conseil de l'Europe à l'exception des Pays-Bas imposent un traitement inhumain parce qu'ils maintiennent l'euthanasie dans le Code pénal. Ce n'est pas parce que le législateur national maintient l'euthanasie dans le Code pénal qu'il impose un traitement inhumain.
La seule question qui, selon moi, peut se poser à la lecture conjointe des articles 2 et 3 est de savoir si le système offre des solutions adéquates lorsque l'on est confronté à une situation inhumaine. Dans ce cas, indirectement, la responsabilité de l'État peut être invoquée. C'est précisément la définition de l'état de nécessité. Ce n'est évidemment pas un des seuls remèdes, mais c'est la dernière solution qui a été trouvée pour faire face à une situation déterminée. Nous ne sommes pas à la fin de nos discussions sur la portée de l'article 2 et je crois que nous devrions y associer l'article 3. Je pense également qu'une exception générale, une dépénalisation ou une légalisation de l'euthanasie sont contraires à l'article 2 de la CEDH.
J'en arrive au point suivant. À juste titre, vous élargissez la problématique et vous dites que de nombreuses décisions médicales concernant la fin de la vie ont un caractère par lequel elles mettent fin à la vie. Pour la clarté, je voudrais à nouveau souligner que nous devons suivre les conseils de Confucius : « Le premier conseil que je donne à l'Empereur est de travailler avec une définition exacte du concept qu'utilise le législateur ». Il faut donc savoir de quoi on parle. Le problème est déjà tellement complexe que d'un point de vue politique, il est évident d'affirmer que tout cela c'est la même chose, tout cela c'est de l'euthanasie. Vouloir quand même faire une distinction serait une forme d'hypocrisie, une discussion sur le sexe des anges. Selon moi, ce point de vue n'est pas correct et ne figure pas davantage dans l'avis du Comité consultatif de bioéthique. Il y a une différence fondamentale entre des traitements qui ont pour conséquence immédiate la mort du malade et des traitements qui, selon un jugement du tribunal de Bruxelles de 1969, « ont pour but de soigner ». La jurisprudence a toujours souligné que l'exception médicale est uniquement envisageable dans la mesure où le traitement a un but curatif. Si un traitement déterminé entraîne immédiatement la mort, il empêche effectivement que je souffre mais on ne peut pas dire que c'est un traitement curatif selon l'acception normale du terme. Tuer quelqu'un, ce n'est pas pratiquer un traitement curatif, car l'essence même d'un traitement curatif est précisément son aspect curatif ou, au moins, son effet sédatif ou de maintien de la vie. Vous parlez d'euthanasie directe et indirecte, mais ces conceptions posent toutefois un problème de frontière et nécessitent des précisions complémentaires. Le quatrième point que je désire aborder, c'est le contrôle a posteriori. Je ne crois pas au contrôle a posteriori de la majorité et je suis d'accord avec les réserves que vous avez émises en la matière. Selon moi, ce contrôle a posteriori n'aura aucun effet et sera purement théorique. En tout cas, il n'y a aucun contrôle des dossiers individuels. Dans notre proposition, nous avons également prévu un contrôle a posteriori et j'aimerais entendre votre opinion à ce sujet. A la lumière de la confidentialité et pour sauvegarder tant la confiance des médecins que leur sécurité juridique, faisons exécuter le contrôle a posteriori par un médecin légiste, par exemple un par province, à qui le médecin concerné ferait rapport sur ses pratiques en matière de fin de vie. Le médecin légiste pourrait à ce moment faire une évaluation à la lumière de certains critères. Ce système empêcherait que l'on doive faire rapport directement auprès du procureur du Roi et diminuerait la tendance à ne pas faire de rapport. Toutefois, ce système permet de détecter d'éventuels abus. Votre longue pratique vous aura appris que la jurisprudence est fondée sur la base d'incidents et de plaintes individuelles. La réaction individuelle du citoyen à des problèmes précis est en fait conjoncturelle et jamais structurelle. Certaines personnes déposent plainte et cela donne lieu à une jurisprudence et à des précédents. Lorsque vous êtes confronté à un traitement qui met fin à la vie, la question est de savoir s'il ne faut pas inclure des garanties particulières, y compris dans un contrôle a posteriori. Nous ne pouvons quand même pas attendre une plainte éventuelle pour vérifier s'il y a des abus à ce niveau. Je m'excuse pour la longueur de ma question qui prouve simplement la complexité du problème auquel nous sommes confrontés.
M. Roger Dalcq. À propos de l'aide au suicide, je dirai que j'ai été très surpris quand j'ai commencé à réfléchir à ce problème après avoir été invité à prendre la parole ici. Il me paraissait que l'aide au suicide constituait une infraction pénale. Les pénalistes que j'ai consultés étaient d'un autre avis. Cela m'a surpris. Pour moi, l'aide au suicide et l'euthanasie directe étaient la même chose. Mon intervention à propos du suicide me donne aussi l'occasion de formuler une remarque au sujet du consentement du patient. A-t-on jamais reproché à un médecin de ramener à la vie quelqu'un qui a tenté de se suicider ?
M. Hugo Vandenberghe. C'est son devoir.
M. Roger Dalcq. Il n'y a pourtant pas consentement du patient dans ce cas.
M. le président. Ce serait un cas de non-assistance à personne en danger.
M. Roger Dalcq. Oui, mais cela montre bien combien les solutions peuvent varier d'un cas à l'autre et combien il faut être prudent avant de légiférer d'une manière générale à cet égard.
Vous m'avez parlé ensuite de l'article 422bis du Code pénal. Dans certains cas, il peut effectivement s'agir d'une non-assistance. Mais il n'est pas évident qu'il en soit ainsi dans tous les cas.
À propos des articles 2 et 3 de la Convention des Droits de l'Homme, je pense qu'il s'agit de deux choses différentes. C'est l'article 2 qui condamne la mort donnée intentionnellement. Dès lors, si un blessé ou un grand malade vous demande de l'aider à se suicider et que vous acceptez de lui administrer la piqûre, il y a, selon moi, violation de l'article 2 de la Convention. Si la loi autorise de telles pratiques, il s'agira d'une violation de l'article 2 qui pourra donner lieu à des recours à Strasbourg. Quant à l'article 3 relatif aux traitement inhumains et dégradants, je vous ai lu tout à l'heure l'opinion de MM. Velu et Ergec dans leur commentaire dans le Répertoire pratique de droit belge. Ils disent que cela pourrait s'appliquer aux actes médicaux mais sans donner d'exemple. Quelqu'un a demandé ce matin si ce ne serait pas un acte dégradant de ne pas autoriser l'euthanasie et de laisser les gens souffrir, non pas au sens de la Convention qui fait référence à la réponse que M. Messinne a donnée ce matin. Il faudrait pour cela que celui qui se plaindrait intente d'abord un procès, obtienne une condamnation et épuise toutes les voies de recours en Belgique et s'adresse enfin à la Cour de Strasbourg, ce que l'on imagine assez mal.
Quant à la définition exacte de l'acte direct ou indirect d'euthanasie, vous aimeriez que je précise encore les frontières entre les deux. Je ne sais pas les préciser. Je crois même qu'il est impossible de les préciser dans une loi. En effet, les cas peuvent être tellement différents d'une situation à l'autre. Je dirai toutefois que la partie de la proposition qui permettrait l'euthanasie pour les accidentés, pour les malades alors qu'ils ne sont pas en fin de vie, quelle que soit leur souffrance morale ou physique, selon la nature de l'accident qu'ils ont subi ou de l'affection qu'ils présentent, ne me paraît pas admissible. Cela reviendrait quand même à tuer la personne. Un des cas d'euthanasie condamnable que j'ai connu concernait un tétraplégique. L'euthanasie avait été pratiquée à sa demande. Il était sous respirateur et le médecin a donc débranché la machine. Je ne crois pas qu'un tel cas soit admissible. Je crois qu'il serait très dangereux que le législateur accepte une telle intervention et que celle-ci pourrait être sanctionnée par l'article 2 de la Convention des Droits de l'Homme. Dans tous les autres cas qui sont des cas d'euthanasie indirecte, il est bien certain qu'il existera toujours des nuances pour tous les cas et qu'une loi ne peut pas tout préciser.
Pour en venir au contrôle a posteriori, je dirai que je n'y crois pas. Car celui qui a quelque chose à se reprocher le cachera toujours. Le rapport qu'il adressera à un médecin légiste ne fera pas apparaître la bêtise ou l'erreur commise. Le médecin légiste qui analysera les rapports sera une espèce de fonctionnaire. Il lira peut-être une cinquantaine de rapports par jour.
Il ne faut pas compter demander à des médecins légistes d'être compétents pour toutes les pathologies dont les gens peuvent mourir. Un médecin légiste n'est pas un spécialiste du cancer ni un spécialiste des maladies cardiaques. C'est beaucoup plus compliqué que cela : il faudrait une dizaine de médecins dans des spécialités différentes, et je ne crois pas que ce soit utile. Moi, je fais toujours confiance aux gens de notre société. Je crois que, quand il y a des abus, les gens sont assez adultes et assez informés pour pouvoir mettre en mouvement une action judiciaire, quand elle est justifiée. Il ne faut pas obliger les gens à se dénoncer ou à dénoncer les autres systématiquement pour tout. Je suis tout à fait hostile à cela.
M. Paul Galand. Ce matin, M. Messinne a été très critique également sur les propositions de loi visant à préciser dans la loi les conditions de présomption de l'état de nécessité dans la problématique de l'euthanasie. Quel est votre avis ?
M. Roger Dalcq. Il a surtout été critique au sujet de l'exemple néerlandais où des conditions purement formelle étaient retenues. Je crois qu'il faut aller un peu plus loin et dire qu'on ne peut soulager la souffrance et faire une euthanasie que j'appelle indirecte que lorsqu'il y a, en fin de vie, des souffrances intolérables d'une maladie incurable et qu'on n'arrive pas à les supprimer. Donc, il y a des conditions de fond et de forme, encore que la collégialité de la décision soit aussi, à mes yeux, une condition de fond. En plus, il faut au moins un rapport à cet égard, qui soit au moins signé par une autre personne que le médecin traitant. Et cela, c'est une condition de forme.
M. Christian Panier. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'accueillir parmi vous, et parmi les juristes que vous avez souhaité entendre, un magistrat. Et qui plus est un magistrat de l'ordre judiciaire, plus encore un juge, un juge de terrain, un juge généraliste puisqu'appartenant à un tribunal de première instance, et donc un juge susceptible d'être, demain, confronté dans tous les cas de figure changement de législation ou pas à cette question qui vous préoccupe et vous retient depuis quelques semaines. Puis-je aussi me permettre de vous indiquer d'emblée les limites de mon propos ? Je vous parle en tant que magistrat, donc en tant que personne susceptible d'appliquer demain une loi telle qu'elle est ou aurait été changée par vous. J'estime qu'à ce titre, je n'ai pas c'est une question à la fois de principe et de déontologie professionnelle à vous faire part, au risque de confondre les genres, de mes opinions personnelles, politiques, philosophiques ou éthiques sur la loi telle qu'elle est ou que certains souhaitent qu'elle soit. Si vous souhaitez que je me prononce à cet égard, je suis prêt à le faire mais je m'efforcerai de le faire avec la réserve que les fonctions que j'exerce imposent car il se pourrait que, demain, je le répète, je sois amené à appliquer telle ou telle loi et il ne serait pas convenable que les justiciables aient connaissance de mes opinions personnelles qui n'ont en principe, en tant que magistrat, rien à voir avec la façon dont j'applique les lois que vous votez. Mon propos va donc, dans un premier temps en tout cas, se borner à étudier ou à donner quelques observations sur la « praticabilité » ou la « carrossabilité », si vous me permettez ce mot, des textes en projet.
Permettez-moi quelques préliminaires. Vous voulez faire oeuvre de droit pénal, essentiellement pour ce qui concerne la proposition la plus problématique, si je puis dire. Puis-je vous rappeler, sans vous faire injure, la différence que Kant établissait entre la loi et la morale ? Elle me paraît essentielle : « La morale est toujours autonome, elle est forcément individuelle. » Dans sa foulée, Jean-Paul Sartre disait : « La morale, c'est toujours la morale des autres ». La loi est hétéronome. Elle est imposée par l'extérieur et elle se doit autant que possible d'être la loi de tous. Écoutant le professeur François Ost parler de son dernier ouvrage, Le temps du droit, à la radio, ce dimanche matin, j'ai trouvé intéressante une formule qu'il a utilisée en réponse à la question : qu'est-ce que le droit par rapport à des enjeux éthiques ? Il a eu cette réponse : « C'est le compromis le plus judicieux, le plus intelligent, le plus équilibré possible entre l'éthique et le politique, qui se garde de la naïveté ou de la trop haute exigence de l'éthique, forcément individuelle, et qui se garde aussi du cynisme trop facile éventuellement du politique sans procès d'intention aucun. » Dans la matière qui vous occupe, la loi, celle qui est ou celle qui devrait être, doit vraiment être ce compromis-là, le plus équilibré possible entre l'éthique et le politique.
Deuxième précision. Distinguons, voulez-vous, pour éviter les confusions et Roger Dalcq y a fait allusion le droit positif, en l'occurrence pénal, de la déontologie, de ce qu'on appelle parfois le droit disciplinaire mais qui n'est que l'avatar de quelque chose qui le précède et qui est cette science du devoir qu'est la déontologie. La déontologie ou l'éthique professionnelle, c'est précisément une science du devoir comme le disait mon maître à l'université, M. Cambier. La déontologie ne vous interdit pas des choses. Elle vous invite à vous dépasser et à en faire plus. Elle vous indique la voie du devoir, pas nécessairement celle de l'abstention, même si parfois le devoir est, il est vrai, de s'abstenir. Le droit positif, ce n'est pas cela, c'est le droit des permissions et des interdictions. C'est beaucoup moins motivant que le devoir. C'est le droit des permissions en matière civile, c'est le droit des interdictions en matière pénale. Déontologie et droit peuvent coexister.
Quand ils se recouvrent, c'est très bien. Je ferai allusion tout à l'heure à des cas où il se peut que la déontologie, d'une part, et le droit pénal, d'autre part, ne se recouvrent pas du tout et que ce que dirait un juge au pénal puisse être exactement contraire à ce que dirait le juge déontologique sur le plan disciplinaire.
Troisième préliminaire : le droit pénal est un droit qui touche aux valeurs, qui touche aux libertés. Il doit être rare autant que possible, précis le plus possible, strict toujours. Par rare , je veux dire qu'il faut lutter autant que possible contre ce que les Français ont appelé la dérive pénalisante de nos systèmes juridiques. Deux auteurs français ont écrit un petit livre : La république pénalisée. Il faut utiliser, écrivent-ils, le droit pénal pour les grands et vrais enjeux et peut-être songer à « reciviliser » davantage les processus de sanction dans les matières qui nécessitent une artillerie moins lourde. Permettez-moi de vous dire tout de suite et ce n'est pas une opinion personnelle parce que je crois qu'elle est en parfaite adéquation avec l'exigence de rareté du droit pénal qu'il me semble que s'il est des matières sur lesquelles le droit pénal a évidemment à se prononcer, c'est bien à propos de la vie, de la mort, d'un certain nombre d'obligations que nous avons les uns et les autres, praticiens de l'art de guérir ou pas, vis-à-vis de notre prochain, de notre semblable dans le respect de sa vie, de ce que comporte sa vie et qui est son issue nécessairement fatale; car la vie, c'est bien la seule maladie mortelle à tous les coups, quoi que l'on fasse, que nous avons tous contractée.
Le droit pénal doit être précis, éviter les notions floues, les notions à contenu variable. Mais je ne suis pas naïf, ce n'est pas toujours possible. Comment pourrait-on se passer on pourrait y réfléchir et l'enceinte serait idéale de la notion d'ordre public ? Pourrait-on se passer de la notion de bonnes moeurs, de ces notions plus contemporaines que l'on retrouve, en droit pénal ou quasi pénal, comme l'intérêt de l'enfant ? Il paraît que c'est la clef de voûte du système de protection de la jeunesse. Je pourrais allonger la liste de toutes ces expressions parfois très anciennes. « Bonnes moeurs », « ordre public » figurent dans le Code Napoléon. Les autres sont plus récentes. Je ne pense pas qu'il faille y renoncer, mais il faut ne les utiliser que quand on ne peut vraiment pas faire autrement parce que, j'y reviendrai, toutes ces notions, pour être appliquées à des cas concrets, passent nécessairement par le biais interprétatif du juge avec tout ce que cela a et ce n'est pas subjectif ni un propos masochiste de ma part de sujet à caution, à discussion et donc aussi à relativement moins d'impact de la norme, dont l'opinion se rend compte qu'elle n'est pas nécessairement appliquée dans tous les cas de la même manière, parce que la notion elle-même permet un certain nombre de divergences. Le droit pénal doit être strict et c'est en lien avec sa précision il me semble qu'il faut absolument que des directives, à travers la norme pénale, soient données à ceux et celles qui vont devoir l'appliquer, c'est-à-dire les magistrats, pour éviter non pas le spectre ce n'est pas de cela qu'il s'agissait dans la grande théorie politique ou de philosophie politique du gouvernement des juges mais pour éviter l'arbitraire du juge. C'est à la fois moins grave et plus grave pour le destinataire de la sanction.
Excusez-moi pour ces leçons, j'espère que vous ne les prenez pas comme telles, mais il faut par la suite appliquer la loi au niveau des juges, et je crois que si nous sommes une immense majorité à ne pas préférer, dans une nostalgie du droit de la révolution française, que « le juge ne soit que la bouche de la loi » y eût-il eu, à l'époque, des ordinateurs, ils se seraient passés de juges , nous n'aimons pas non plus qu'on nous laisse la bride trop large sur le cou, car cela nous expose à des critiques de type éthique, politique et nous oblige finalement à remplir un rôle qui n'est pas le nôtre. C'est à vous d'opérer les choix politiques.
Le droit pénal consacre des interdits, c'est-à-dire qu'il consacre très souvent négativement la valeur promue par ailleurs et qui, elle, est d'ordre éthique. Il s'exprime toujours ou presque toujours en termes d'interdit : « tu ne feras pas ceci ou cela et si tu le fais, telle sanction te sera infligée... » D'une certaine manière, même lorsque la loi pénale vous invite à faire quelque chose de positif je pense à la sanction de l'abstention de porter secours , elle ne dit pas « tu dois porter secours ». La loi pénale dit : « tu n'as pas porté secours, je te sanctionne. » Qu'on le veuille ou non, elle est, dans son mode d'expression, la porteuse d'un discours « sanctionnateur », d'interdiction et donc, d'un discours plutôt négatif que positif. Le discours positif est de l'ordre de la morale ou de la déontologie, j'y faisais allusion. Ce n'est pas parce qu'il y a des valeurs sous-jacentes dans l'interdit que la loi pénale vient ajouter à la valeur pour en quelque sorte en assurer le respect, qu'il y a des valeurs absolues. Dans le métier que j'exerce, par la règle même de la contradiction inhérente au débat judiciaire, à peu près à tous les stades où il a lieu sauf lorsque nous agissons unilatéralement et on nous reproche souvent d'agir sur requête unilatérale sans contradiction , nous apprenons qu'il y a très peu, voire probablement pas, dans notre société d'aujourd'hui, de valeurs que l'on puisse qualifier d'absolues. Je mène une réflexion qui pourrait paraître éthique mais je ne suis pas sûr qu'elle le soit, car elle est directement liée à ce qu'on peut en déduire juridiquement parlant. Peut-on raisonnablement tenir que la vie soit une valeur absolue ? Le législateur le faisait-il quand, jusque voici peu, il autorisait, il admettait la peine de mort cela n'a cessé qu'en 96, avec le protocole additionnel auquel vous avez fait allusion ? Le fait-il lorsqu'il accepte un certain nombre de causes de justification et notamment lorsqu'il estime qu'une vie peut être sacrifiée au bénéfice d'une autre c'est la légitime défense ?
Poussons la réflexion plus loin : la vie, dans une conception « hypervitaliste », est-elle en soi une valeur absolue ? D'autres notions peut-être sous la forme d'épithètes ne doivent-elles pas hanter notre esprit : la vie digne, la vie communicante ... ? Cette question est au coeur du débat pénal. Elle est sans doute d'origine éthique et elle a des répercussions juridiques mais aussi pratiques. J'ai toujours dit que si, un jour, la peine de mort devait être appliquée en Belgique , je remettrais ma démission de mes fonctions de magistrat. Jusqu'en 1996, nous vivions dans un système où la peine de mort existait dans notre droit. Peut-on franchement et raisonnablement soutenir que la vie soit une valeur absolue, lorsque le crime l'assassinat légal existe ? Je veux dire que la conception de la bonne loi pénale qui serait celle qui pose des principes consacrant des valeurs absolues et donc ne souffrant pas d'exceptions, et selon laquelle la loi pénale est mauvaise si elle se penche sur la problématique des exceptions, est un mythe auquel on ne peut souscrire en logique. Aussitôt que le droit pénal a assumé une valeur par l'interdit de sa transgression, il me paraît normal qu'il se pose au moins la question de savoir s'il ne faut pas des correctifs, des aménagements, voire des exceptions.
Et si l'on réfléchit un peu, que l'on ouvre son Code pénal ou même sa Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, on s'aperçoit qu'il n'y a guère de textes qui ne comportent pas d'exceptions. Rappelez-vous tous les paragraphes 2 de quasi tous les articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ils permettent aux États membres de prévoir des dérogations à ces textes pourtant fondamentaux. J'en reviens au risque de la généralité des termes car on y trouve des formules très extensives du type : « ce qui dans une société démocratique est nécessaire pour ... ». Et parfois, les exceptions permises par ces articles de la Convention vont plus loin que celles que les droits nationaux eux-mêmes tolèrent.
Le problème apparaît alors d'un droit national plus protecteur que le droit supranational. Je pense que dire qu'il n'est de bonne loi pénale que celle qui pose bien un principe, qui l'assortit d'un bon interdit et que, dès le moment où se pose le problème de l'exception, de l'aménagement, du correctif, l'on fait fausse route, c'est probablement enfermer le juge mais surtout le destinataire de la règle, dans une sorte de totalitarisme du droit pénal, des situations concrètes de vie ne trouvant plus leur place dans la loi pénale. Et parfois, l'absence ou le silence du législateur amènent à des constructions jurisprudentielles. J'ai admiré la déclaration de confiance faite par M. Dalcq aux juges, je ne le démentirai pas mais je répète qu'il est à mon sens du devoir du législateur de mettre des balises. Non pas tant que je craigne le gouvernement des juges les moeurs n'en sont plus là mais parce que je crains de possibles interprétations non conformes à la volonté du législateur. Et les balises sont multiples mais celle que vous invoquez l'état de nécessité ne me paraît peut-être pas la meilleure. C'est une balise qui au départ n'a pas été mise par le législateur. C'est une balise jurisprudentielle. C'est une construction prétorienne. Je ne dis pas qu'elle est mauvaise mais elle est beaucoup plus imprévisible dans les applications qu'on va en faire et plus tributaire d'éventuels errements de la jurisprudence, voire de l'air du temps, que si elle était législativement consacrée selon des modalités différentes et strictes. Il ne paraît donc pas politiquement incorrect ou irresponsable, par rapport notamment à l'interdit de tuer et de tuer qui plus est, dans les circonstances qui sont actuellement celles de la qualification qui serait retenue, c'est-à-dire dans les circonstances de l'assassinat de réfléchir à des exceptions. J'en ai terminé avec les préliminaires.
Je prends la proposition la plus pertinente par rapport à mon intervention, la proposition de loi relative à l'euthanasie et je me pose certaines questions. La première est celle de savoir s'il faut retenir, comme semble le faire le texte, l'état de nécessité ou, si au contraire, il ne faudrait pas retenir l'autorisation de la loi, ce qui est peut-être un peu différent.
Je pose la question, nous pourrons y revenir. Je m'interroge également sur le régime de la preuve. Je voudrais vous indiquer quelques points de comparaison et envisager les incidences éthiques que le texte en projet peut avoir.
Commençons par les aspects légistiques et leurs implications. Visiblement, on est parti dans l'hypothèse de la cause de justification : « Il n'y a ni crime ni délit lorsque les faits visés aux articles ... ont été commis par un médecin et commandés par la nécessité de mettre fin à la souffrance ou à l'état de détresse ... » Prenons des comparaisons pour essayer de voir où nous en sommes. Sommes-nous dans une situation comparable à celle que nous avons connue en matière d'avortement ? Sommes-nous dans une situation comparable à celle existant en matière de légitime défense ? Sommes-nous dans une situation comparable à ce que l'on rencontre aussi dans d'autres hypothèses où le législateur permet ou et c'est plus subtil a permis un certain nombre d'aménagements à la rigueur pure de la loi pénale tout en laissant le juge aller plus loin ?
C'est toute la problématique de l'arrêt de la Cour de cassation qui a « autonomisé » en quelque sorte l'état de nécessité en ne le rattachant plus vraiment à l'article du Code pénal dont on avait au départ déduit cette hypothèse. Il s'agit du fameux article 71. « Il n'y a pas d'infraction lorsque l'accusé ou le prévenu est en état de démence au moment du fait » ce n'est pas notre problème « ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». C'est textuellement la force irrésistible.
C'est bien clair. Il est significatif de voir que toute la jurisprudence citée, essentiellement des arrêts de cassation, en-dessous de cet article 71 du Code pénal est une jurisprudence où l'on va retrouver d'autres hypothèses comparables telles que la contrainte physique, morale, la force majeure, ou à nouveau la contrainte morale avec cette hypothèse supplémentaire : il faut que l'auteur n'ait pu sauvegarder autrement devant un mal grave et imminent des intérêts qu'il avait le devoir ou qu'il était en droit de sauvegarder avant tous autres.
Nous nous trouvons ici, me semble-t-il, en présence de la loi pénale telle qu'elle pourrait être appliquée si on en restait au droit positif, dans l'hypothèse où l'on pourrait invoquer cette cause de justification de l'auteur. Mais ne serait-il pas préférable d'envisager un autre type de qualification ? Cela vaut la peine de s'interroger à ce sujet. En effet, la portée est symboliquement un peu différente. Je ne suis pas sûr que le régime de la preuve soit nécessairement différent. Je ne suis pas sûr que ce qui va se passer en termes de procès éventuel va être différent. Je pense notamment à la possibilité de continuer, malgré une législation que vous adopteriez, à utiliser, dans des hypothèses qui ne rentreraient pas dans les textes que vous proposez et auxquelles M. Dalcq faisait allusion tout à l'heure, d'autres critères permettant, par exemple, de sublever l'agent d'une sanction pénale alors même qu'il a agi en conscience mais dans une hypothèse qui ne serait pas exactement celle qui est aujourd'hui dans la proposition. Je pense qu'il faut bien faire attention à cet égard au type de qualification du mécanisme pénal que vous allez utiliser en l'espèce : état de nécessité, autorisation de la loi ? Je pense que ce n'est pas nécessairement la même chose. Je me demande si on ne réserverait pas, en termes de souplesse, davantage de possibilités d'éventuellement exonérer, au terme d'un débat judiciaire, des pratiques qui ne correspondraient pas spécialement à ce qui est visé dans la proposition que vous discutez.
Il faut évidemment aussi raisonner de tout cela en termes de points de comparaison. Je pense par exemple à l'hypothèse qu'on invoque souvent, à savoir l'avortement. Là aussi, on a critiqué le fait de qualifier le mécanisme mis en place (article 350, § 2 « toutefois, il n'y aura pas d'infraction lorsque (etc.) ») en invoquant une sorte d'état de nécessité. N'est-on pas plutôt dans une situation d'autorisation de la loi ? Il faut donc faire très attention au choix que vous faites ici, parce qu'il a une portée symbolique et pratique considérable.
Or, je pense que, dans ce domaine, le message qui est envoyé aux praticiens et aux citoyens est très important. La technique législative utilisée doit autant que possible correspondre à ce qui peut être envoyé comme message aux uns et aux autres, tout en laissant la possibilité de ne pas s'enfermer. Je n'ai pas, en tant que magistrat, une hostilité de principe à la proposition car elle ressemble assez fort dans le mécanisme qui l'inspire à ce qui s'est fait en matière d'avortement. Et je ne sache pas qu'en matière d'avortement, l'adoption de la loi de 1990 ait posé par la suite de considérables problèmes d'application ni qu'on puisse dire tous les rapports faits par la commission ad hoc indiquent le contraire qu'elle ait entraîné des dérives importantes. Au contraire, globalement, sauf erreur de ma part et si j'ai bien lu les travaux qui émanent de vos assemblées, après x années d'application, on considère qu'on a fait là oeuvre utile, sans que les dérapages que l'on aurait pu redouter à l'époque des débats se soient produits.
Je pense donc personnellement que l'on pourrait s'inspirer d'une technique qui rappelle certes la loi de 1990 sur l'avortement, mais il faudrait alors être très clair pour éviter qu'à cause de la loi nouvelle, on ne ferme la possibilité d'arriver également par d'autres mécanismes juridiques ou par d'autres types de qualifications, à des exonérations de comportements qui paraîtraient eux aussi pouvoir être justifiés.
Le problème est peut-être de trouver un équilibre entre le silence complet et l'opportunité de légiférer comme certains de vos collègues de la majorité le proposent sur un pan du problème paraissant particulièrement aigu, pour éviter des débats judiciaires à répétition; statistiquement, en tout cas, on ne peut pas dire que le statut actuel fasse peser des nuages, exception faite de l'événement qui s'est récemment produit à Liège.
Mais si, dans la proposition Mahoux et consorts, vous légiférez sur le pan du problème que vous souhaitez rencontrer, il faut éviter de fermer le débat sur le reste et de définir une seule hypothèse dans laquelle l'euthanasie est possible. Pour cette raison, il conviendrait peut-être de veiller à choisir davantage la technique d'excuse ou de justification pénale à laquelle il est fait appel pour laisser place, dans d'autres hypothèses, à la possibilité d'exonérer, au terme du débat judiciaire, un certain nombre de comportements qui paraîtraient devoir l'être mais qui ne rentreraient pas strictement dans le texte de votre proposition.
Songez par exemple au secret professionnel; ce dernier est violé lorsqu'on est amené à témoigner en justice mais c'est, en ce cas, avec une liberté absolue de se délier ou de ne pas se délier de ce secret. Il faudrait réfléchir à un certain nombre de qualifications pénales qui ne ferment pas le débat. Sans que j'aie à me prononcer sur le fond, il serait dommage que le choix d'un type de mécanisme pénal visant à rencontrer le problème qui préoccupe de manière évidente certains d'entre vous, clôture le débat pour la suite.
Les hypothèses qui ne correspondraient pas strictement à celle que vous voulez rencontrer M. Dalcq avait raison d'insister sur ce point méritent elles aussi d'être rencontrées, peut-être pas par un texte à vocation générale qui aurait le mérite d'éviter une menace ou des débats à répétition au cas par cas, et donc de créer une certaine sécurité juridique dans un certain nombre de cas de figure. Il ne faudrait pas que l'on dise que, dans tous les autres cas, plus aucun débat n'est possible. Il faut éviter une sorte de feed-back négatif sur les autres hypothèses qui pourraient être rencontrées.
En ce qui concerne les incidences éthiques du texte proposé, je rappelle que nous sommes en droit pénal; nous ne sommes pas en morale, même s'il y a un lien. Chacun reste donc libre et le texte rappelle qu'aucun médecin n'est tenu à poser des gestes que, en conscience, il ne poserait pas. Je rappelle que la déontologie, qui n'est pas le droit pénal, continue de subsister. Des poursuites disciplinaires pourraient tout de même avoir lieu au sein de l'organisation de la profession médicale, même si la loi pénale ne frappait pas de ses foudres l'acte que, par ailleurs, on estimerait devoir poursuivre déontologiquement. Mais rien n'empêcherait non plus d'imaginer un couplage, une plus parfaite adéquation entre ce que serait la loi pénale et ce que serait la règle déontologique pour éviter une trop grande distorsion entre les deux. Je dis cela non seulement pour le juriste que je suis mais aussi pour les législateurs que vous êtes : nous savons tous qu'il n'y a pas d'absolue nécessité d'adéquation entre la loi pénale, d'une part et, le cas échéant, la norme déontologique, d'autre part.
Les responsabilités me paraissent toutes interpellées dans les propositions en discussion : celle du médecin, celle du juge, après coup, et, avant cela, celle du procureur; celle du patient, en tout cas quand il est conscient. Si je considère les garanties dont on souhaite s'entourer, le praticien que je suis et qui, demain, devrait être confronté à une hypothèse où la loi serait invoquée, trouvera un certain nombre de garanties supplémentaires dans l'application qu'il serait amené à faire de la loi, si l'on va jusqu'à cette étape-là, devant une juridiction de fond, par le fait que l'on prévoit une commission d'accompagnement. Je crois effectivement important de prendre ses précautions dans les valeurs en cause. Voilà ce que je souhaitais dire quant aux aspects légistiques et à leurs implications.
Quant aux aspects pratiques, je dois rappeler que, dans l'état actuel de sa qualification, le geste qui vous inquiète est passible de la cour d'assises et n'est pas « disqualifiable »; il n'est pas « correctionnalisable ». Mes réserves par rapport à la proposition la plus discutée aujourd'hui tiennent notamment au rôle que l'on entend assigner aux parquets, avec une information systématique. Je sais qu'il est très difficile pour vous, législateurs contemporains, de continuer à faire ces normes dont on garde la nostalgie, parfois d'ailleurs injustifiée. Je rappelle que, selon la vision révolutionnaire de 1789, le juge était « la bouche de la loi »; tout était dans les lois; elles étaient d'airain l'ordinateur eût-il existé, les révolutionnaires de 1789 n'inventaient pas le pouvoir judiciaire ! Ce temps-là est révolu.
Mais attention aussi au « tout au judiciaire ». Le juge doit pouvoir donner une sanction, mais toute hypothèse où la problématique peut être en jeu doit-elle systématiquement être transmise au procureur du Roi, avec tous les problèmes d'application pratique que cela comporte ? Qui va donner un avis éclairé dans des délais dont on sait qu'ils doivent être rapprochés, car il y a un enjeu concret à résoudre immédiatement ? Tout cela est-il vraiment raisonnable ?
À ériger le parquet en quasi-censeur obligé de chaque pratique susceptible d'entrer sous la coupole de la législation, ne risque-t-on pas je sais que l'on devrait penser dans l'absolu et non en fonction des moyens une « fonctionnarisation » et donc une application purement bureaucratique, alors que l'intention est la meilleure du monde, j'en suis convaincu, et vise à éviter les abus ? Ne faut-il pas envisager un système beaucoup plus souple et faire confiance au système actuel qui permet que des signaux soient donnés à l'autorité judiciaire par des plaintes déposées, voire je sais que c'est très désagréable par des dénonciations, plutôt que d'obliger le parquet à prendre systématiquement attitude ? J'avoue que je suis un peu sceptique sur le système qui consisterait à rendre quasiment publics ce n'est pas tout à fait le cas parce qu'il y a le secret professionnel , avec toutes les dérives que cela comporte, les actes qui seraient posés dans les conditions de la loi.
Enfin, en qualité de magistrat parfois appelé à présider la chambre du conseil, je vais me trouver quelquefois à un stade qui ne sera pas encore et qui ne sera peut-être jamais le stade du procès public, le stade de l'audience. Par hypothèse, à cet ultime stade, je n'y serai pas car ce sera une cour d'assises et il n'y a là, en aucun cas, un président de tribunal mais deux juges de son tribunal et un magistrat de la cour d'appel. Si cela aboutissait un jour à l'audience, ce serait, vu l'impossibilité de correctionnaliser dans l'état actuel du droit positif, devant une cour d'assises. Par contre, il se pourrait que l'affaire vienne en chambre du conseil, pour « règlement de la procédure ».
J'estime personnellement que le texte en projet a le mérite de fixer une limite, de poser une balise, en précisant une hypothèse assortie d'un certain nombre de conditions qui, réunies, permettront éventuellement d'estimer qu'il n'y a pas lieu à poursuivre plus avant. Nous serons donc à un stade où, par hypothèse, l'affaire n'ira pas en débat public. Je suis personnellement intéressé à ce que les choses soient clarifiées sur ce point. J'estime, en ce qui me concerne, que dans des matières aussi sensibles, il ne faut pas laisser trop de place tous mes collègues ne seront pas d'accord sur ce point au pouvoir créateur et normatif du juge, comme disent certains auteurs français quand ils évoquent la jurisprudence. Je n'ai rien contre certaines acrobaties jurisprudentielles qui amènent à construire, par le biais de notions diverses, des possibilités pour le juge d'aménager les rigueurs de la loi pénale. Cependant je le répète et j'y insiste je ne suis pas favorable, dans une matière aussi sensible, à une bride laissée trop largement sur le cou des juges. Dans des débats éminemment éthiques, qu'on le veuille ou non, même si au stade où nous en sommes saisis, ils ne doivent plus être que des débats juridiques, je considère qu'il est peut-être important que la loi ne laisse pas une liberté trop large. Les notions floues, les notions à contenus variables, permettent certes une grande adaptation des décisions des juges à la réalité mais sont potentiellement porteuses d'arbitraire. Cet arbitraire est parfois difficile à contenir : il faut y aller par l'exercice des droits de recours, par la censure de la Cour de cassation, avec ce que cela suppose d'inconfort pour le justiciable, sans parler de la publicité et des déballages malsains.
En qualité de magistrat et de juriste, je déclare donc, pour toutes ces raisons, que je n'ai pas d'objection fondamentale sur le principe d'une législation en cette matière. J'observe et je rappelle, bien que comparaison ne soit pas raison, qu'un débat voisin, qui a eu lieu dans les années quatre-vingt et au début des années nonante au sujet de la dépénalisation de l'avortement, a débouché sur l'élaboration d'un système qui, sauf erreur de ma part, s'est avéré carrossable. Une préoccupation humaniste et humaine a été rencontrée et, à la lumière des travaux de la commission chargée du suivi, on ne peut pas dire que l'on ait assisté à des dérapages incontrôlés. Je n'ai pas l'impression je fais, pardonnez-moi, de la sociologie du droit au petit pied que les textes en projet soient de nature à provoquer des dérapages.
Bien sûr, on risque d'arriver à ce qu'il n'y ait pratiquement pas ou plus de poursuites dès lors qu'il sera vérifié que les conditions imposées par la loi auront été respectées.
Certes, mais n'est-ce pas une bonne loi que celle qui fixe, au juge d'instruction d'abord, à la chambre du conseil ensuite et, éventuellement, par la suite, à la chambre des mises en accusation, au procureur et au juge des limites à un certain nombre de poursuites, dès lors qu'il apparaît effectivement que tous les éléments d'une prise de décision en toute responsabilité sont réunis ?
Serait-il préférable de rester dans le relatif non-droit où nous sommes, d'une certaine manière, aujourd'hui, avec le discours ambigu que tiennent parfois ceux qui disent « pas trop de lois, laissez faire les médecins ? » A priori, j'estime qu'il convient de faire confiance, que là réside la première responsabilité, mais en même temps, je crois qu'il faut être attentif car on s'expose à des abus quand on permet certaines choses de manière trop peu explicite. Bref, par analogie avec la loi relative à la dépénalisation partielle de l'interruption volontaire de grossesse, je ne crois pas que les textes proposés risquent d'exposer la santé publique, les moeurs ou la moralité publique à des dérapages importants.
Vous pensez peut-être que le magistrat que je suis se réjouit surtout d'un texte qui, grosso modo, risque de ne plus jamais amener des dossiers de ce type devant le juge. À cet égard, je dirai qu'il ne modifie en rien la situation actuelle sauf quand, hasard ou nécessité, vous débattez de la question et que la machine se remet soudain en marche dans un arrondissement judiciaire. Y a-t-il plus de risques dans la situation actuelle, où finalement, les choses sont relativement mal contrôlées, qu'il n'y en aurait dans le cas où une proposition comme celle qui vous est soumise serait votée, sous la réserve que j'ai formulée en ce qui concerne le rôle illusoire et peu pratique dévolu de manière trop systématique au parquet dans une sorte d'appréciation a priori avec communication systématique ? Je pense qu'il faut réfléchir à la question. Je suis personnellement d'avis que la loi pénale a toujours intérêt à être claire mais il faut éviter le piège d'une interprétation a contrario, basée sur un texte qui dépénalise sous certaines conditions. En effet, une tendance pourrait naître dans les pratiques judiciaires et médicales, consistant à ne plus retenir qu'un cas de figure, en fermant la porte à toutes les autres hypothèses, avec un risque de perte d'humanité. Il faudrait donc, notamment par le biais du choix du mécanisme, du type de cause de justification, veiller à résoudre ce problème, faute de quoi vous risquez de n'atteindre que partiellement les situations humainement douloureuses, de ne résoudre qu'une partie des cas et de faire reculer une pratique qui, par ailleurs, ne peut être estimée pénalement répréhensible. À ce moment-là, nous serions dans un circuit de justification plus long. Nous retomberions dans le mécanisme classique, alors que ce que vous proposez, à l'instar de vos prédécesseurs quand ils se sont penchés sur l'interruption volontaire de grossesse, offre un raccourci du circuit qui permet d'éviter le risque d'une systématisation du débat judiciaire là où il n'est pas indispensable et qui, donc, crée non pas un confort pour le praticien ce n'est pas le but majeur que doit poursuivre la loi pénale, et ce n'est pas votre objectif mais une sécurité juridique accrue.
Par rapport au risque d'une pénalisation, un certain nombre de médecins ne sont peut-être pas toujours en adéquation avec leurs propres convictions et ne posent pas toujours, dans ce domaine-ci ou dans d'autres, le geste médical qu'ils estiment opportun. Je pense que s'agissant de la vie et de la mort, on gagne toujours à ce que la position et la responsabilité des uns et des autres soient claires, plutôt qu'à mener une politique du gendarme, de bâton derrière la porte avec des notions qui sont autant d'épées de Damoclès sur la tête des praticiens.
Je suis personnellement parfois surpris par un discours qui, à mon avis, est de toute bonne foi il faut toujours la présumer consistant, d'une part, à plaider pour la confiance au médecin, et d'autre part, à ne pas trop lui laisser la bride sur le cou. Je suis de ceux qui prônent un droit pénal « minimaliste », un droit pénal réduit à l'essentiel sur ce terrain. Il me paraît indispensable que quelque chose soit dit aujourd'hui sur ce problème. Mais il faut à présent prendre en compte un certain nombre d'évolutions, de techniques. Un des problèmes que nous avons souvent, nous, magistrats chargés d'appliquer les lois, que nous soyons du parquet, en première ligne, ou en jugement, en seconde ligne, c'est de devoir un peu « tirer sur la loi » pour l'adapter à des évolutions sociales, sur lesquelles le législateur doit, à certains moments, se prononcer pour débloquer le débat et peut-être faire en sorte que les juges ne soient pas obligés de « bricoler » des solutions à l'aide de mécanismes qui soit sont prévus par la loi, soit sont inventés de toutes pièces.
N'oubliez pas que c'est la Cour de cassation elle-même qui, dans des arrêts relativement récents datant des années 80 ou 90, a « autonomisé » un certain nombre de notions pour ne plus les rattacher directement à l'article 71 lequel, finalement, ne parle que de l'hypothèse de la « force irrésistible » et a « tiré » dessus pour faire passer un certain nombre d'autres justifications.
Autant je sais qu'il est illusoire de penser que le juge ait jamais été l'esclave fidèle d'une loi dont il ne serait en quelque sorte que l'applicateur mécaniste, autant je crois qu'aujourd'hui plus que jamais, devant la diversification des opinions, devant le relativisme généralisé qui est un fait de notre société, il importe que des balises soient mises et qu'il n'y ait pas un déplacement du juridique au judiciaire, du législatif au jurisprudentiel. Il faut certes une souplesse, une capacité du juge à rencontrer une situation individuelle mais je redoute très fort, et c'est le message que je tiens à vous adresser, un législateur qui laisse trop au juge la bride sur le cou ou qui l'oblige à des inventions, à des acrobaties.
Cela fait la fortune des éditeurs de revues juridiques en créant de la jurisprudence. Mais sur des enjeux essentiels et tout enjeu qui mérite débat sur la pénalisation ou la non-pénalisation me semble, par hypothèse, essentiel, quoique l'on assiste à une hyper-pénalisation des relations sociales , un message doit être envoyé, et nous n'avons pas infiniment le choix : ou c'est l'assassinat, point à la ligne; ou l'on aménage une situation différente avec des critères qui permettent d'estimer que l'on sort de la qualification d'assassinat parce qu'un certain nombre de circonstances le permettent; ou c'est une hypothèse un peu intermédiaire qui me paraît être celle proposée, à cette tribune, par M. Dalcq, qui n'allait pas nécessairement aussi loin que la proposition au début et que, personnellement, en tant que magistrat qui serait amené à se prononcer un jour sur des dossiers tels que ceux-là, je n'approuve ni ne désapprouve je n'ai d'ailleurs pas à le faire. Quant à la question de savoir si ceci est applicable, « carrossable », il n'y a pas de raison que ce le soit plus ou moins que ce que l'on a fait voici une dizaine d'années en matière d'interruption volontaire de grossesse. La question n'est pas exactement la même mais elle n'est pas non plus radicalement différente. Je ne vois pas que cette pratique a conduit à des excès, à des débordements, à des dérapages en matière d'interruption de grossesse, et l'a priori de bonne foi me fait dire que je ne vois pas pourquoi il devrait nécessairement y en avoir dans le cas présent.
J'ajoute qu'il me paraît que techniquement, les textes proposés n'excluent pas que des interventions judiciaires puissent avoir lieu pour sanctionner les dérives qui se produiraient. Ce que je voudrais simplement, c'est que le texte ne conduise pas au dépérissement d'autres pratiques qui, non visées par lui, ne sont pas nécessairement des pratiques qui doivent tomber sous le coup de la loi pénale. Je pense à celles auxquelles M. Dalcq a fait allusion tout à l'heure.
M. Dalcq a dit que les gens croiraient que le Parlement avait autorisé l'euthanasie. Oui, peut-être ... C'est une question de pédagogie, d'explications, de clarté. Le texte de l'article qui régit actuellement le problème de l'interruption volontaire de grossesse n'a jamais amené les magistrats à croire qu'il y avait une autorisation ou un blanc-seing. Nous savons que ce sont des textes d'exception et nous pouvons tenir telle est précisément la grandeur de la loi pénale qu'il y a un principe. Les philosophes du droit disent d'ailleurs que le principe est parfois renforcé dans sa portée symbolique par l'exception, laquelle ne prend de sens que par un rappel implicite de l'interdit majeur auquel elle apporte des aménagements.
Je ne suis pas un pénaliste distingué; je suis un généraliste de terrain, mais je crois que le travail du droit pénal, dans une société comme la nôtre, pluriculturelle à bien des égards, est peut-être autant un travail de réflexion sur l'exception qu'un travail de réflexion sur la règle. Parfois, comme dit la sagesse populaire, c'est l'exception qui vient confirmer la règle.
Je ne vois pas de réserves fondamentales à émettre en termes de carrossabilité judiciaire de ce texte, pas plus que la loi de dépénalisation partielle de l'avortement n'a posé de problème de cet ordre. Elle ne me semble pas avoir indiqué, dans tous les suivis qui en ont été faits, d'abus ou de dérapages. Je ne suis pas certain que ce qui est projeté en comporte, si ce n'est peut-être à préciser le type de qualification pénale du mécanisme mis en place pour ne pas fermer la porte à d'autres pratiques et pour ne pas que ce que vous auriez recherché comme but produise des effets pervers inverses. Je pense que c'est Marguerite Yourcenar qui a dit : « Il n'y a rien de pire qu'une loi en retard sur les moeurs, si ce n'est une loi en avance sur elles ». Il me semble, à la fois en tant que magistrat et que citoyen, que l'absence de texte sur cette problématique est peut-être en retard sur les moeurs, et j'ai le sentiment mais c'est une opinion personnelle et je sors peut-être ici de la réserve à laquelle je devrais être astreint en vertu de mes fonctions que les propositions qui sont sur la table, notamment la plus radicale, diront certains, ou celle qui prend le problème par le biais de la déontologie médicale, ne sont pas outrageusement en avance sur les moeurs. Elles correspondent, me semble-t-il, à un état de la société, avec ce mérite qu'elles n'obligent pas le juge à faire cette espèce de bricolage qui me paraît malsain et qui consiste à essayer de faire entrer des textes qui ne sont plus adaptés dans des canevas d'aujourd'hui, au prix de constructions, de fictions, avec toute la liberté d'interprétation qui n'est pas toujours nécessairement de nature à garantir la sécurité juridique et donc aussi la perception qu'ont les gens de la force et de la prégnance du droit.
M. le président. J'ai été très intéressé par votre exposé, Monsieur Panier, mais vous semblez évoquer une contradiction qui me semble majeure et je ne vois pas très bien comment en sortir. Vous avez dit que le droit pénal qui touche aux libertés et aux valeurs devait être rare, strict et précis et vous avez bien insisté là-dessus en disant que la loi ne devait pas être floue, etc. Or, par ailleurs, vous n'avez cessé de nous dire, comme M. Dalcq, que si la loi était trop précise, elle ne permettrait pas de rencontrer toute une série de problèmes qui sont actuellement traités dans le flou et notamment la question vous ne l'avez pas dit, mais je le dis de la souffrance des inconscients. C'est là que réside la contradiction. Comment faire en sorte qu'une loi très précise ne limite pas ce qui actuellement permet, peut-être de manière un peu hypocrite, d'apporter des solutions à ce type de problème ?
M. Christian Panier. D'abord, je crois que la loi pénale n'a pas vocation à rencontrer toutes les hypothèses. Il faut choisir ce qu'on pénalise, comme il faut choisir ce qu'on dépénalise. Un des gros problèmes de notre ordre juridique contemporain est que le droit pénal y est hypertrophié, au point qu'il n'est plus appliqué et, à force de n'être plus appliqué, il perd une partie de sa crédibilité. Il ne faut un discours pénal que là où l'on estime que ce type d'approche, avec ce type de sanction très spécifique de la loi pénale, est indispensable.
C'est précisément pour cela qu'il faut bien choisir la qualification du mécanisme juridique auquel on recourt et faire en sorte qu'un texte tel que celui qui est proposé par les parlementaires de la majorité actuelle n'épuise pas ou ne ferme pas le débat. Il doit rester des zones de cette problématique que ce texte-là ne rencontre pas, d'où mon souci de ne pas trop utiliser la catégorie juridique à laquelle le texte semble aujourd'hui faire appel, pour peut-être me situer davantage dans une autre catégorie, de manière telle que l'on puisse encore, dans d'autres hypothèses, invoquer mais cela suscitera plus de discussions et de procès l'état de nécessité ou d'autres notions similaires. Je vous invite donc à éviter, en vous emparant d'une qualification juridique, alors qu'une autre est, à mon sens, plus adéquate par rapport à l'objectif poursuivi, de resserrer et de refermer le débat.
Évidemment, on peut toujours prétendre, sur un certain nombre de questions délicates et difficiles, qu'il vaut mieux ne rien dire, mais je crois qu'à certains moments, la législation par abstention ou par silence n'est pas nécessairement la meilleure solution. Le tout est évidemment de savoir ce que l'on fait dire à la loi.
Cela dit, je sais que tout cela ne sera jamais parfait et que l'on pourrait se demander pourquoi il faut tout à coup se poser cette question, alors qu'elle ne s'est apparemment pas posée dans la pratique pendant des années.
Est-il bon qu'elle ne se soit pas posée ? N'est-ce pas une timidité, une trop grande pusillanimité ou des choix de politique judiciaire ou de politique de poursuite, si tant est que cela existe dans l'état actuel des parquets, de leur encombrement et de l'insuffisance de cadre ? Est-il judicieux de pénaliser ceci ou cela ? Le législateur n'utilise-t-il pas trop facilement excusez-moi de vous adresser cette question la pénalisation pour le principe de pénaliser, alors que l'on sait très bien que la machine ne suivra pas dans l'application ? L'une des choses les plus dangereuses pour la loi pénale est de la laisser s'étioler, en sachant, dès le moment même où on l'adopte, qu'elle n'a qu'un effet d'annonce.
À une époque, les juristes du Conseil d'État français appelaient cela les lois gadgets, les lois jetables. Tout cela fait bien, l'opinion est contente, le législateur est rassuré d'avoir fait le travail et, pour le reste, laissons les juristes se débrouiller avec cela. Au contraire, il faut choisir de légiférer quand c'est utile. Dans le débat qui nous occupe, il ne me semble plus possible de se taire. Le tout est de choisir la parole que l'on prend et par quel biais on la prend. Est-ce par le biais de la déontologie médicale exclusivement, avec ce qu'elle a de limité, de non contraignant au sens juridique du terme ? Est-ce par le biais de la loi pénale et si oui, faut-il laisser la jurisprudence faire toute seule le travail en créant elle-même des catégories ou en les utilisant ? Ou faut-il un discours de la loi ?
Voici quinze ans que je suis magistrat; avant cela, j'étais avocat. Cela fait une vingtaine d'années que je suis dans le milieu juridique. Il n'y a rien de plus angoissant, pas tellement pour nous après tout, nous sommes payés pour cela , mais pour les destinataires du travail judiciaire, que le flou artistique. Je ne dis pas que tout doit être au carré; c'est difficile en droit pénal, et heureusement qu'il existe des notions comme l'ordre public ou les bonnes moeurs mais attention, encadrons-les parce que notre système juridique ne s'accommode pas du gouvernement des juges. Personnellement, je ne supporte pas et je supporte de moins en moins, je vous le dis, cette espèce de délégation du juridique au judiciaire. Je conçois que la tâche soit extrêmement difficile pour vous. Quand vous n'avez plus le sentiment d'un consensus dans la population, il vous est difficile de le traduire en loi. Je sais. Mais c'est ainsi que nous arrivent ces lois que l'on pourrait résumer en disant : « En avant et le juge se débrouillera ». Cette démarche rend le juge extrêmement puissant et potentiellement dangereux. J'ajoute même que cela se fait à l'époque même où, pour des raisons parfois purement matérielles, vous renoncez de plus en plus au collège judiciaire. Dois-je vous dire que, dans les cas qui vous occupent, l'absence de possibilité de correctionnaliser réserverait une hypothèse conflictuelle à la cour d'assises. On pense ce qu'on veut de la cour d'assises; ce n'est pas le débat du jour, mais je dirais qu'il est heureux que cela ne se retrouve pas devant un juge unique.
Nous en sommes à un chouia de cela, avec une qualification pénale différente et on se retrouve, le cas échéant, devant un juge unique. Il n'y a peut-être pas de procès à proprement parler sur la pratique euthanasique mais des procès pour des gestes médicaux limites. J'ai le souvenir, à Namur, du procès d'un peintre célèbre dans le dossier duquel sa veuve avait lu la mention NTBR not to be reanimated. Cette affaire s'est retrouvée devant un juge unique, avec une qualification qui n'était évidemment pas celle d'assassinat.
Qu'on ne dise pas qu'il n'y a pas de poursuites; il suffit de songer à l'hôpital de la Citadelle à Liège. Je sais bien que cela est lié au climat ambiant, comme à l'époque des premiers débats sur l'avortement.
M. Alain Destexhe. Vous avez déclaré que l'état de nécessité, dont on a longuement parlé aujourd'hui, faisait partie de la jurisprudence de la Cour de cassation. J'aimerais savoir si cette notion existe dans d'autres pays et si certains d'entre eux l'ont coulée dans leur législation nationale.
En outre, j'ai été réellement troublé par les propos tenus par M. Dalcq. Je souhaiterais donc savoir si réellement, l'assistance au suicide n'est pas pénalement répréhensible car j'étais convaincu du contraire. J'aimerais obtenir une confirmation en la matière et savoir s'il existe une déontologie propre aux médecins belges, dont je suis, qui interdit l'aide au suicide et l'autre, destinée aux médecins suisses qui ont apparemment la possibilité d'établir une prescription médicale létale.
Enfin, pensez-vous que la proposition de loi de « Mahoux et consorts » est susceptible de recours devant la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg parce qu'elle violerait certains articles de la Convention des droits de l'homme ?
M. Christian Panier. Bien que je ne sois pas un grand comparatiste, je pense que la notion d'« état de nécessité » existe ailleurs.
De plus, vous avez tout à fait raison de dire que l'aide au suicide n'est pas pénalisée. Il est évidemment plus difficile d'attaquer à Strasbourg une loi qui n'existe pas par rapport à l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La pratique de l'aide au suicide n'y est-elle pas contraire ?
Enfin, la proposition de loi « Mahoux et consorts » ne pourra être attaquée, par hypothèse, qu'après épuisement des voies de recours interne; elle ne remettra pas en question un procès qui aurait eu lieu en Belgique et qui aurait donné lieu à l'interpellation de Strasbourg. La personne préjudiciée obtiendrait éventuellement réparation mais cela ne remettrait pas en cause la décision judiciaire belge dans le dossier incriminé.
Cette proposition, si elle devait être votée telle quelle ou sous réserve d'éventuels aménagements, est évidemment susceptible de recours, non seulement à Strasbourg mais aussi devant la Cour d'arbitrage.
M. Dalcq, un éminent juriste, nous a mis en garde mais il faut savoir qu'en légiférant dans des matières telles que celle-ci, on s'expose à des différences d'interprétation de la Cour de cassation, à des sanctions éventuelles de la Cour d'arbitrage ainsi qu'à des sanctions internationales.
Mais à ce moment-là, vous ne légiféreriez plus et la Cour d'arbitrage ne rendrait pas les dizaines d'arrêts qu'elle rend par an, que ce soit sur recours direct ou sur question préjudicielle, par lesquels elle déclare que le législateur a violé la Constitution. Les juristes que nous sommes n'ont plus ce rêve un peu totalitaire de la perfection du système juridique. Nous sommes les premiers à savoir qu'il y a matière à interprétation et à discussion.
Personnellement, je m'inquiète de savoir si cette question a réellement été prise en compte lors de la rédaction de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et en particulier, de ses articles 2 et 3. Je ne suis pas certain que l'on se dirige vers une condamnation strasbourgeoise sur la base de cet article 2 ni, a fortiori, de l'article 3.
M. Philippe Mahoux. Je me demande pourquoi vous estimez que les précisions qui sont apportées dans la loi de dépénalisation partielle de l'euthanasie risquent d'entraîner une pénalisation accrue pour les cas que nous n'aurions pas prévus. Car il y a des conditions. Nous disons simplement que nous enlevons au juge le soin de décider si l'état de nécessité s'applique ou non aux cas décrits.
Nous ne disons pas dans le texte que, pour ce qui n'est pas prévu, l'appréciation du juge ne peut plus jouer. Je vous demande donc d'expliciter cela.
Par ailleurs, au sujet de la déclaration obligatoire au parquet, j'ai entendu à plusieurs reprises des points de vue comme le vôtre. Ils affirment que cette démarche ne va pas au bout de la logique puisqu'elle renvoie au parquet des faits dépénalisés. Il s'agit d'un argument juridique. Les autres arguments sont de type pratique et technique. Ils sont utilisés par des médecins qui affirment qu'il est difficile de faire, pour chaque cas, une déclaration au parquet. Des solutions alternatives sont peut-être possibles. Mais je voudrais quand même rappeler que nous accordons beaucoup d'importance à la sécurité juridique du médecin mais aussi du patient. On avait imaginé aussi que la déclaration au parquet faisait partie des mesures assurant au patient une sécurité plus importante face aux dérives. L'idéal serait de trouver une autre solution répondant à vos objections et offrant au malade des garanties semblables, à savoir l'obligation de déclaration. Avez-vous une hypothèse à cet égard, puisque vous semblez vous méfier de cette déclaration obligatoire systématique et première au parquet ?
M. Christian Panier. L'effet pervers selon lequel toutes les hypothèses, autres que celles strictement visées, deviendraient problématiques, découle d'un problème d'interprétation de la loi. Avec la communication systématique au parquet et cet espèce de blanc-seing, on va croire, après coup, pouvoir déduire du fait qu'il n'y a pas eu d'opposition immédiate, qu'il n'y a plus que dans ces cas-là que c'est possible et donc avoir une interprétation restrictive, avec ce feed-back sur les autres hypothèses auxquelles M. Dalcq faisait allusion tout à l'heure. C'est pour ça que je crois qu'une des solutions serait de bien choisir le type de cause d'excuse ou de justification qui est utilisé et stipuler que, dans les autres hypothèses, celles qui ne sont pas strictement visées dans la proposition, on puisse aussi raisonner en terme d'excuse ou de justification possible. Et qu'on ne se dise pas que, dès que l'on n'est plus dans les conditions de la loi, on fonce ! Les parquets risquent d'avoir un réflexe de sécurité et de se dire que, puisqu'on n'a pas vraiment l'air d'être dans les conditions, on met à l'instruction. Donc, vous risquez peut-être un effet pervers par rapport à la situation actuelle. C'est pour cela que le texte devrait être encore plus clair quant au choix du mécanisme pénal auquel il est fait appel pour atteindre le résultat obtenu, plutôt que le système actuel de la nécessité.
M. Philippe Mahoux. Si, dans la loi, on dépénalise dans un certain nombre de cas, aux motifs qui sont indiqués, ça exclut que, pour les autres cas, le juge puisse encore faire référence à ces motifs. Il s'agit alors de sa propre appréciation.
M. Christian Panier. Ça ne l'exclut pas mais et ça pourrait être considéré par certains comme un effet pervers on va dire que, dès qu'on n'est pas dans les critères, on se pose alors la question et on lance le dossier. Vous risquez dès lors de susciter indirectement un activisme des parquets, d'abord, et des juridictions ensuite, en quelque sorte par garantie. Je pense donc qu'il faudrait peut-être veiller à éviter cet écueil par une technique de rédaction qui doit pouvoir se trouver, par exemple en utilisant une formule du style « sans préjudice de l'application de toute autre cause d'excuse à d'autres faits que ceux qui répondent... ».
Votre deuxième question concerne la déclaration au parquet. Je comprenais évidemment bien l'esprit du système. Mais, une fois encore, attention ! Il peut être responsabilisant et déresponsabilisant; cela dépend de qui on veut responsabiliser. À mon avis, il existe au moins deux acteurs qui doivent l'être : d'une part, le praticien de l'art de guérir et, d'autre part, l'autorité judiciaire de première ligne qu'est le parquet. Cela va-t-il responsabiliser les parquets qui risquent très vite de traiter ces déclarations dans le flot du reste, alors qu'ils éprouvent déjà des difficultés de suivre les dossiers ?
C'est la réalité du terrain. Cela ne risque-t-il pas d'être très vite fonctionnarisé ? S'il est procédé à un contrôle systématique dossier par dossier, des ardeurs varieront selon le jour et le parquetier. Vis-à-vis des médecins mais je suis peut-être d'une naïveté grandiose , je n'éprouve pas de craintes. Je suis peut-être ringard ou en retard d'une guerre face aux enjeux ou à l'évolution de la médecine post-moderne et sa marchandisation éventuelle. La preuve par l'absurde montre qu'il n'y a pas énormément de problèmes majeurs et qu'il n'y a ni plaintes ni poursuites à la tonne. Nous ne souffrons pas encore d'un syndrome américain.
M. Philippe Monfils. Je voudrais revenir encore une fois aux deux problèmes de fond, notamment celui de la définition de la loi qui stipule qu'il n'y a ni crime ni délit dans certaines circonstances. Vous nous dites qu'il faudrait tenter de trouver une autre formule d'autorisation de la loi afin d'éviter que l'on considère que l'on épuise le débat. Je vous répondrai que politiquement, les six auteurs de la proposition de loi souhaitent se limiter au contenu du texte. C'est un choix politique du législateur. Il est bien évident que le texte concerne l'euthanasie pratiquée par un tiers, à la demande d'une personne consciente, dans certaines conditions, et rien d'autre. Par exemple, les inconscients ne sont pas visés, pas plus que les mineurs. C'est volontaire dans notre chef. Je vous dirai même que cette proposition de loi soulève un tel débat au sein de l'opinion publique qu'il serait encore amplifié si d'aventure nous étendions notre propos.
Je me demande si la confusion ne provient pas d'une difficulté dans la rédaction de l'article 8, de l'article 417bis. En effet, on fait référence à l'état de nécessité mais, en fait, le texte stipule simplement qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque l'euthanasie a été faite aux conditions fixées par l'article 3. Il est donc en quelque sorte presque redondant de faire référence à l'état de nécessité. Je me demande si, en supprimant cette référence et en maintenant les conditions de la loi, on n'indique pas clairement que c'est un cas bien particulier, étant entendu que, pour tous les autres cas, les constructions jurisprudentielles, notamment l'état de nécessité, peuvent être évidemment invoquées. Ici, on indique les termes « état de nécessité » sans raison, me semble-t-il, parce que fondamentalement, si les conditions de la loi sont réunies, il n'y a ni crime ni délit. Il y a donc peut-être moyen de trouver quelque chose qui permettrait d'éviter l'ambiguïté que vous avez fort justement constatée.
M. le président. Vous nous permettrez de garder le terme « état de nécessité » pour les autres cas non prévus par la loi.
M. Philippe Monfils. Le problème reste d'ordre politique. Si l'on fait une proposition de loi qui fixe des conditions pour pratiquer une euthanasie et qui s'arrête à cela, si l'on estime que si, d'aventure, quelqu'un, un jour, se plaint, il sera toujours temps de vérifier le respect par le médecin des conditions imposées, ce sera encore une fois considéré par la population comme une preuve de laxisme. C'est pour éviter cela que nous avons prévu la transmission obligatoire des cas au parquet, transmission qui offre certaines garantie, tout en ayant conscience que cela provoquera aussi des difficultés. Mais ne faire intervenir la loi que le jour où une plainte est déposée est difficile à envisager, ce qui justifie donc la transmission au parquet.
Il est normal que la participation, l'aide au suicide ne puisse pas être poursuivie puisque le suicide n'est pas un délit et que cet acte ne peut donc être poursuivi. Cependant, me rappelant que j'ai été juriste et assistant à l'université, je m'interroge sur le point de savoir si, dans des cas extrêmement particuliers, il n'a pas été recouru à la notion de non-assistance à personne en danger pour pouvoir poursuivre. Je ne sais si une telle qualification a été utilisée dans ces situations.
M. Christian Panier. Je n'ai pas le souvenir d'exemples récents dans la jurisprudence où l'on aurait utilisé la qualification de non-assistance à personne en danger. Mais ce qui est certain, c'est qu'un médecin qui fournit à quelqu'un de quoi mettre fin à ses jours sans poser l'acte matériel lui-même n'est pas condamnable.
M. Philippe Monfils. Le suicide n'étant pas condamnable, la participation à cet acte ne peut l'être non plus.
M. Christian Panier. Une partie de l'ambiguïté peut être levée techniquement en ne faisant pas référence dans le texte qui serait adopté à « ... commandé par la nécessité ... »; on évite ainsi de renvoyer à la « nécessité » avec tout ce que cela suppose de contraignant. Ce renvoi pourrait aussi tendre à rigidifier d'autres pratiques sur lesquelles, quelle que soit notre opinion dans ce débat, nous tomberions facilement d'accord pour dire qu'il ne faut pas les exclure à 100 %. Je suis assez d'accord à ce sujet avec ce que disait M. Dalcq tout à l'heure quant aux hypothèses non visées par la proposition. Prenez garde qu'en légiférant sur un aspect du problème, vous ne donniez l'impression c'est souvent le problème de la loi que tout ce qui n'est pas interdit est permis, ou inversement.
Mme Clotilde Nyssens. Je voudrais poser une ou deux questions techniques. En droit pénal, il faut être précis, strict. Vous souhaitez la clarté. Les termes « patient inconscient », « détresse », « souffrance », enfin tous les termes qui définissent les conditions dans lesquelles l'euthanasie pourrait être autorisée, sont-ils, à votre avis, suffisamment stricts et précis ? Des médecins sont venus nous dire que l'expression « fin de vie » leur posait un problème car elle n'avait pas de définition stricte. Vous, magistrat, le jour où vous aurez à apprécier une euthanasie pratiquée en fin de vie, une telle expression vous posera-t-elle problème ou non ?
Je vous remercie de nous avoir expliqué les différences entre les causes de justification et d'excuse, et le système d'autorisation. Je perçois néanmoins votre hésitation à choisir entre les deux. Vous souhaitez quelque chose de clair, donc éventuellement une autorisation, mais vous appelez de tous vos voeux des causes de justification ou d'excuse pour tous les cas où il n'y aurait pas d'autorisation. Donc, votre sentiment ne serait-il pas qu'il faudrait prévoir une cause de justification et d'excuse pour l'ensemble des situations plutôt qu'une législation précise et correcte autorisant l'euthanasie dans certains cas ? Je ne vous demande pas votre opinion personnelle sur le fond mais sur l'applicabilité.
M. Christian Panier. La question est éminemment politique. Je n'ai pas à me prononcer à votre place. Souhaitez-vous balayer toute la problématique qui ne s'épuise en effet pas dans les propositions en discussion, ou voulez-vous résoudre un de ses aspects en prenant soin, de grâce, d'éviter les effets de rétroaction jurisprudentielle ou des pratiques de parquet qui éteindraient les pratiques autres, non directement visées par votre texte mais que chacun juge admissibles ? C'est le premier aspect.
On peut pas toujours utiliser des termes précis. Nous vivons depuis Napoléon avec « l'ordre public » et les « bonnes moeurs ». Un droit pénal dont chaque terme serait précis à l'extrême reste un rêve. Le vol, c'est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. C'est clair; tout le monde voit ce que c'est. Mais on pourrait même discuter de « frauduleuse ». L'essentiel dans des matières aussi délicates que celles-ci, c'est de choisir des termes précis tout en laissant une marge d'interprétation toujours nécessaire. Le rêve des révolutionnaires de 1789 d'un juge conçu comme une machine à appliquer la loi est naïf; auraient-ils eu des ordinateurs qu'ils n'auraient pas inventé le juge. Il faut pourtant mettre des balises. Certains médecins émettent des réserves, dites-vous, sur certains termes. Dans ce cas-là, la jurisprudence renvoie au sens commun des termes. C'est quelquefois tautologique. Quel est le sens commun de fin de vie ? Sont-ce les derniers jours, est-ce la mort, est-ce l'instant d'après ? Je pense personnellement que l'on gagne à éviter les formules trop vagues, tout en sachant que l'idéal d'une loi pénale à la mode de la révolution française de 1789 n'est plus de mise dans une société post-moderne. Il faut utiliser la redondance et rédiger des textes plus longs. Ainsi, la loi sur l'avortement ne ressemble-t-elle en rien à ces belles épures du Code civil où, à l'article 1382, tout est dit de la responsabilité civile en une phrase de quatre lignes. Forcément, aujourd'hui, dans des débats comme celui-ci, il me paraît difficile d'arriver à un tel résultat.
Il importe surtout de bien clarifier l'hypothèse que l'on vise, d'autant plus qu'il s'agit d'une loi pénale, mais aussi d'éviter que, par un texte qui prétend avoir prise sur une partie de la réalité, ne se crée une rétroaction négative sur le reste. Attention aux effets pervers ! Il faut choisir la bonne manière d'appréhender le problème. Ne pas en rester à « commandé par la nécessité », qui ne me paraît pas ici indispensable. Il faut rester ouvert.
Mme Clotilde Nyssens. Comme on ne se trouve pas strictement dans une matière classique de droit pénal mais dans le domaine des pratiques médicales et que la médecine n'est pas une science exacte, mais une science qui tâtonne, qui évolue, comme l'ont montré bon nombre d'auditions, n'est-il pas sain de choisir un texte ayant trait aux pratiques médicales ? Cela permettrait de laisser évoluer la matière en recourant à des notions larges, floues et variables, et de ne pas nuire à la cohérence légistique d'un Code pénal qui remonte aux années 1800. Cela permettrait aux médecins et aux soignants d'évoluer avec des notions qui appartiennent à un autre ordre que l'ordre pénal.
M. Christian Panier. C'est un choix éminemment politique qu'il vous appartient de faire. Cette problématique est-elle uniquement une problématique de pratique médicale et peut-elle être réglée uniquement par le biais de l'arrêté royal numéroté sur l'art de guérir, avec les limites que cela suppose, avec le type de pénalisation très limité possible dans ce cas, ainsi qu'avec la moindre emprise sur la réalité sociale que le législateur prétend informer ? Je ne sais pas. Ce n'est pas à moi de me prononcer sur cette question. Je constate simplement qu'aujourd'hui, me paraît-il, un débat est mené, la société est interpellée par le biais de sondages, etc.
Face à un débat d'une telle ampleur et aux fondements auxquels il touche il ne s'agit pas de la priorité de droite , le législateur peut-il considérer que ces problèmes se limitent à une question d'éthique médicale ? Cela ne mérite-t-il pas un discours pénal ? Dans ce cas, il faut bien sûr se demander à quelle étendue du problème on assigne un discours pénal, si on vise toute la problématique ou si on met de côté ce n'est pas péjoratif le mineur, etc., pour se focaliser sur ce que les auteurs de la proposition ont choisi. C'est vraiment un choix. C'est tout l'enjeu du droit pénal. Que pénalise-t-on, que dépénalise-t-on, comment pénalise-t-on ? La force symbolique du discours pénal est au moins aussi importante que sa force punitive. Les premiers destinataires du message pénal ne sont pas les citoyens. La loi pénale n'a d'utilité que pour ceux qui sont a priori prêts à la transgresser. Bruno Dayez explique cela merveilleusement. La loi pénale est uniquement faite pour ceux qui n'ont pas l'arsenal de la non-transgression de l'interdit dans leur bagage préétabli. Tous les délinquants pensent qu'ils ne seront pas pris ou bien ils sont masochistes. Excusez-moi de rappeler des truismes et des banalités. La loi pénale n'est pas faite pour ceux qui sont naturellement enclins à respecter les règles. C'est pourquoi il faut aussi la calibrer du mieux possible sans toutefois lui donner plus de vertu qu'elle n'en a. Il ne faut pas non plus la négliger ni surtout négliger ses possibles effets pervers. Il me semble personnellement, pour le peu que j'ai fréquenté des médecins à travers ma pratique judiciaire, que dans des débats comme celui-ci, comme c'était le cas dans le temps pour le débat sur l'IVG, une loi pénale qui n'est pas adaptée à l'évolution des moeurs est une loi pénale qui parfois empêche, par pusillanimité, que soient posés certains gestes ou actes médicaux qu'il aurait fallu techniquement et humainement poser. Il existe effectivement chez certains pas chez tous un effet inhibiteur d'un interdit pénal trop drastique. Je ne crois cependant pas qu'un assouplissement de l'interdit pénal va nécessairement susciter le laxisme. L'éthique médicale vient compléter, étayer, arc-bouter le droit pénal. Il existe un rapport, difficile à cerner, entre l'éthique médicale et la sanction possible à laquelle vous faites allusion, Madame, et qui fait l'objet de votre proposition. Celle-ci passe plutôt par l'arrêté sur l'art de guérir que par le droit pénal général. On ne peut cependant pas dire que l'on va tout résoudre sur le seul terrain déontologique dans un enjeu comme celui-ci.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voudrais poser une question précise. On a parlé du suicide assisté. Quand une personne demande l'euthanasie alors qu'elle ne se trouve pas en phase terminale, ne s'agit-il pas d'un cas de suicide assisté plutôt que d'euthanasie ?
Avec ce type de propositions, on va au devant de difficultés très grandes, comme vous l'avez vous-même souligné. En effet, on veut, d'une part, couler dans un texte des dispositions précises et prévoir un contrôle, que vous estimez difficile à mettre en pratique, et on veut, d'autre part, le rendre possible pour des situations qui ne sont pas couvertes par cette définition, avec un contrôle d'une autre nature par le juge. Pour les médecins, pour les patients, pour les personnes actives sur le terrain, c'est extrêmement difficile et ambigu. Je me mets à la place du médecin qui va constamment se demander dans quel cas de figure il se trouve, si le patient est conscient ou inconscient. De nombreux médecins nous ont en effet dit qu'en fin de vie, les patients étaient souvent confus. Si l'on veut un texte très précis, on va, en ne réglant pas le reste, conserver une certaine ambiguïté. La sécurité juridique n'aura pas été assurée. On devrait plutôt essayer de tracer des guidelines qui sécurisent tout le monde, patients et médecins, et permettent un dialogue le plus franc et équitable possible dans le cadre médical. Je ne vois pas comment le juge pourra intervenir. Que va-t-il faire ? Va-t-il examiner tous les dossiers pour vérifier s'ils ont été convenablement remplis ? Va-t-il se pencher sur le fond ? J'essaie de voir comment, pratiquement, les choses pourront se dérouler. Comme législateur, nous devons aussi nous poser ces questions et ne pas élaborer une législation qui serait impraticable ou « non carrossable », comme vous dites. Le médecin ne sera-t-il pas confronté à des questions de conscience ?
M. Christian Panier. Êtes-vous certaine que les questions de conscience ne se posent pas déjà aujourd'hui, dans l'état actuel du texte napoléonien pour lequel il s'agit d'un assassinat ? Ces questions de conscience se posent probablement déjà aux médecins confrontés à des situations de ce type. Ils prennent leurs responsabilités avec le risque qu'ils connaissent, dont ils savent qu'il est sociologiquement relativement peu important, puisque l'on ne peut pas dire que les poursuites, qui devraient se terminer théoriquement devant la cour d'assises, soient extrêmement nombreuses. Il y a là un choix à faire : opte-t-on pour le statu quo ou estime-t-on qu'une avancée sur certains points est nécessaire, parce que les pratiques médicales ont changé, parce que les moyens dont on dispose ont changé, parce que fondamentalement, le rapport des gens aux soins, à la vie, à la vie qui se prolonge, à la souffrance et probablement à la mort a changé, dans une société qui se laïcise ? Est-on certain qu'il faut garder cet interdit inchangé ? Est-on certain qu'en l'aménageant comme le proposent certains de vos collègues, le débat sera clos à jamais ? Peut-on être certain c'est une de mes inquiétudes qu'en adoptant le texte tel quel, on ne va pas provoquer un durcissement sur les autres cas limites ? Ne faut-il pas être très prudent à cet égard dans le choix du mécanisme juridique utilisé, voire dans le rappel, au besoin à travers les discussions ou l'exposé des motifs, de ce que la problématique n'est pas épuisée ? Voilà les questions que je me pose. Pour le reste, la question que vous me posez et à laquelle je n'ai pas à répondre en tant que magistrat, est une question de choix politique. Je dis qu'a priori, sous réserve de ce qui concerne l'article 5, à savoir la communication systématique au parquet et le risque de bureaucratisation dans le traitement que je redoute compte tenu de la réalité concrète de la vie des parquets aujourd'hui je ne mets pas en cause la probité professionnelle de mes collègues , les propositions me semblent carrossables. Je n'ai pas à me prononcer sur le choix politique. Si vous souhaitez que je le fasse, mes fonctions me forceront à réagir non publiquement.
M. Jan Remans. En fait, ma question rejoint celle qui précède. Le patient a le droit de demander l'euthanasie, mais le médecin prend ses responsabilités et décide dans un sens positif ou dans un sens négatif. Le médecin est donc responsable. Je voudrais vous lire un extrait du dernier numéro du journal de l'Ordre des médecins. Il date de mars, c'est-à-dire après que les représentants de l'Ordre aient été entendus en commission. Je lis : « Dans le débat sur l'euthanasie, on évoque souvent la thèse suivant laquelle le patient décide. En tant que médecins, c'est à peine si, dans ce débat, nous osons dire que c'est le médecin qui décide et qui porte la responsabilité pour ce qui arrive en définitive. Il est clair que dans ce genre de décisions, nous devons tenir compte d'une série de facteurs et que l'avis, la volonté du patient, est un élément extrêmement important. La concertation avec le patient est d'ailleurs la règle pour (pratiquement) toutes les décisions médicales, mais elle ne change en rien la réalité morale, juridique et professionnelle qui est que c'est nous qui en définitive, prenons les décisions. » Est-il bien utile d'intégrer d'autres mesures de contrôle a priori ou a posteriori, de créer des commissions de contrôle ou des commissions éthiques qui viendront s'ajouter au contrôle a priori actuel, en vertu duquel le médecin qui reçoit une demande d'euthanasie consulte un médecin externe indépendant ? En définitive, le recours à la justice reste possible de toute façon. La justice peut toujours examiner une plainte, le parquet peut ouvrir une enquête de sa propre initiative. Cela fait des années qu'un grand nombre de personnes travaillent à l'élaboration des meilleures mesures de précaution possibles. Cette question est étudiée dans le monde entier et nous-mêmes y travaillons depuis des mois. Étant donné que le patient peut formuler sa demande de manière autonome et que le médecin est responsable, est-il bien utile de se donner tant de peine à créer des commissions a priori ou a posteriori qui viendront s'ajouter au contrôle qui est prévu actuellement ?
Le deuxième point que je souhaite aborder a déjà été évoqué plusieurs fois aujourd'hui. Ne serait-il pas nécessaire de prévoir des personnes dotées de compétences particulières pour assister le procureur et le juge ? Par analogie aux personnes qui se consacrent à la criminalité en col blanc ou aux délits liés à la drogue, on pourrait créer un noyau ou une cellule chargé du contrôle des dossiers d'euthanasie. En outre, est-ce qu'il ne serait pas justifié d'inclure dans cette cellule, non seulement des magistrats ou des juristes, mais également des médecins ?
M. Christian Panier. Faut-il des contrôles a priori ? Je crois m'être exprimé clairement en émettant des réserves sur l'article 5, à savoir la communication systématique au procureur du Roi des hypothèses où le geste euthanasique serait posé. En tout cas, la communication systématique telle qu'elle est prévue ici me paraît non seulement peu carrossable, peu praticable, mais pouvant comporter une sorte d'effet de dédouanement moral : j'ai prévenu le procureur, tout est en ordre. Moi, je pense qu'effectivement, si la famille estime que le geste a été posé à tort, d'autres voies parce qu'enfin, ne rêvons pas, toutes les structures hospitalières ne sont pas nécessairement des lieux de parfaite entente ou harmonie entre tous les protagonistes permettraient que les alertes soient données. C'est la raison pour laquelle je me méfie un peu du contrôle apparemment rassurant mais peut-être trop formaliste que, compte tenu des données concrètes de vie des parquets, on risque d'instaurer ainsi.
Votre seconde question n'est pas sans lien avec la première. Ne faudrait-il pas adjoindre au décideur en dernier ressort si je puis dire d'une poursuite éventuelle ou non, des spécialistes au sein d'une espèce de cellule de contrôle ? Je pense que l'éclairage sera évidemment indispensable parce que le magistrat du parquet, par hypothèse, n'a pas la connaissance suffisante des éventuels aspects médicaux d'un dossier. Le problème, outre l'aspect matériel des choses, est de savoir comment organiser cela concrètement. Aurons-nous les moyens de ces ambitions-là ? Le problème de fond est de savoir s'il faut prendre le risque d'un étiolement des responsabilités. Attention à ce que sans pour autant être un obscurantiste j'appelle la dérive de « scientifisation » systématique des choix juridiques qui sont finalement en quelque sorte des choix politiques au second degré. Attention au risque de se couvrir par l'avis du spécialiste : le toubib de référence, auquel je suis censé téléphoner quand je reçois un dossier d'euthanasie, m'a répondu que, d'après ce que je lui en ai dit, c'était bon. Je suis donc couvert.
Une des tendances du droit post-moderne est de se « défausser » en quelque sorte sur la science. Dieu sait si je suis de ceux qui se félicitent que l'on puisse de plus en plus éliminer des non-dits, des imprévus ou des obscurantismes par les progrès que fait la science, mais il ne faudrait pas déplacer le choix du palais de justice au laboratoire. Je crois qu'il faut que les responsabilités restent là où elles doivent être, mais je répète que je suis en faveur d'un non-systématisme, quitte à décevoir les auteurs de la proposition, un « non-impliquement » systématique du parquet a priori dans tous ces dossiers. Cela risque non seulement d'avoir l'effet pervers de donner l'impression aux praticiens que, en quelque sorte, ils vont être couverts très rapidement puisque le délai de réaction, forcément, doit être bref, mais cela risque aussi d'induire dans l'état actuel des choses et des moyens ... Ne nous leurrons pas, ce n'est pas demain que le cadre des parquets sera doublé et même si on le faisait, les difficultés de recrutement dans ce corps depuis certains événements sont telles qu'à certains endroits, on est proche de la faillite... On n'aura pas autre chose, je le crains ce n'est pas un reproche ou une critique à mes collègues du ministère public qu'un traitement très fonctionnarisé des dossiers. De temps en temps un coup de sonde et, à la limite, on va retomber dans un travers, qui est celui qu'on redoute actuellement, à savoir l'arbitraire : on essaie une fois pour faire un exemple. À cet égard, je pense mais je peux me tromper qu'il vaut mieux laisser jouer les mécanismes plus classiques du droit pénal, avec ce qu'ils ont, eux aussi, de pervers. La plainte peut être parfaitement mal intentionnée, peut être anonyme dans le cas d'un règlement de compte interne au milieu médical ou hospitalier. Mais la loi pénale n'a pas pour vocation de régler la perfection de l'humanité, sinon elle ne serait pas nécessaire.
M. Jan Remans. Il est tout de même possible que les médecins remplissent mieux leur obligation de déclaration s'ils savent que, de l'autre côté, au Palais de Justice, on a conscience de la situation médicale et ce, d'autant plus que le citoyen donne à la notion « état de nécessité » une autre signification que celle de la disposition juridique. Je regrette qu'on ne souligne pas suffisamment la différence qu'il y a entre la signification qu'un individu donne à l'expression « état de nécessité » et la définition juridique de cette notion.
M. Christian Panier. Je ne suis pas un éminent pénaliste mais la notion d'état de nécessité est une notion que nous utilisons relativement fréquemment, mais dans un sens assez restreint, qui n'est pas nécessairement le même pour un médecin qui, en âme et conscience, face à un cas individuel, estimera devoir poser un geste. L'utilisation trop large de ces concepts risque de vider le droit pénal même de sa substance. En effet, la notion d'état de nécessité appliquée à tort et à travers pourrait avoir pour conséquence que plus aucune loi pénale ne serait appliquée. Il faut vraiment vouloir sauvegarder un bien d'une valeur importante en en sacrifiant un autre d'une valeur qui n'est pas nécessairement exactement la même. C'est très difficile.
Votre idée d'adjoindre quelqu'un qui puisse aider à la décision ne me paraît effectivement pas en soi dénuée de pertinence. Le tout est de s'en donner les moyens et, de nouveau, comme le disait M. Dalcq, on ne travaille pas excusez-moi, Messieurs les législateurs avec de grandes ambitions, sans trop se soucier du suivi et de l'application concrète ni des moyens qu'on aura sur le terrain. Le médecin légiste habituel du parquet moyen d'un tribunal d'instance moyen n'est, à mon sens, certainement pas à tous les coups le right man in the right place pour donner son avis et, qui plus est, dans l'urgence, puisque excusez-moi d'être concret le cas échéant, il y a un permis d'inhumer à la clé. Ce n'est donc pas nécessairement lui qui pourra donner cet avis.
Donnera-t-on aux parquets les moyens d'une consultation rapide d'une personne particulièrement au fait, capable de faire la part des choses et, précisément, d'apporter peut-être, dans l'appréciation de ce qui aurait été l'état de nécessité, un éclairage rapide ? Aurons-nous les moyens d'avoir en permanence à disposition, 24 heures sur 24, un praticien de l'art de guérir suffisamment pointu pour pouvoir apporter la réponse qu'il faut à la question au moment où on la pose ? C'est pour cela que, personnellement, je crains que l'espèce de contrôle je n'ose pas dire a priori puisque, au moment où le contrôle se fait, par hypothèse, la personne n'est plus de ce monde systématique et rapide par le biais du parquet ne soit ce qui se produit souvent, sans que le législateur soit en cause. C'est le système global qui fonctionne comme cela. Vous avez pensé l'idéal et vous nous laissez travailler avec les moyens que nous avons, sans nécessairement les adapter. Par voie de conséquence, par la suite, il est relativement facile aux responsables politiques je n'ai pas à faire votre procès ni à vous manquer de respect de dire que cela n'a pas fonctionné parce que, en aval, cela n'a pas marché. Encore faut-il qu'en aval, on ait tous les moyens. Il ne faut pas donner au parquet plus d'ambitions ou de responsabilités qu'il n'est capable d'assumer dans l'état actuel des choses.
M. Maurice Adams. Monsieur le président, je voudrais tout d'abord vous remercier de votre invitation. Je suis invité en compagnie d'un certain nombre de juristes et, en tant que tels, nous sommes probablement censés donner notre opinion quant à la forme juridique que doit prendre une réglementation relative à l'euthanasie. C'est dès lors ce que je vais faire aujourd'hui.
Deux notions sont cruciales en la matière, à savoir la sécurité juridique et la confiance. Une réglementation relative à l'euthanasie doit à tout le moins instaurer une sécurité juridique pour les médecins et les mettre en confiance, eux ainsi que les patients et la société.
Plus concrètement, je tiens à aborder cinq aspects qui concernent la réglementation de l'euthanasie. Premier aspect, comment faut-il réglementer et contrôler l'euthanasie ? Deuxième aspect, quelles formes d'interventions euthanasiques la législation doit-elle réglementer ? Troisième aspect, l'euthanasie doit-elle rester dans le Code pénal ou en sortir ? Quatrième aspect, la procédure a priori et les soins palliatifs doivent-ils entrer en ligne de compte ? Cinquième aspect qui couronne peut-être le tout je souhaiterais évoquer la Convention européenne des droits de l'homme.
Cela fait plusieurs semaines déjà que vous assistez à des auditions; j'essaierai de rester concret aujourd'hui. Je viens de dire au président que je dois être à Anvers aux environs de deux heures pour donner cours; c'est probablement une bonne chose.
1. Jusqu'à présent, on a souvent renvoyé, dans la discussion, à la situation qui existe aux Pays-Bas, mais j'ai réellement l'impression que cette situation n'a pas encore vraiment été explicitée du point de vue juridique. C'est ce que je veux faire brièvement pour vous, pour ensuite faire des suggestions au sujet de la situation dans notre pays. Comme vous le savez, l'interdiction de procéder à l'euthanasie est actuellement inscrite à l'article 293 du Code pénal néerlandais. Il s'agit d'une disposition qui constitue une interdiction explicite. Je cite : « Celui qui met fin aux jours d'autrui, à la demande expresse et réfléchie de celui-ci, est puni d'un emprisonnement de douze ans au plus ou d'une amende de la cinquième catégorie » (traduction). La Cour de cassation néerlandaise, c'est-à-dire la cour suprême, accepte toutefois depuis 1984 une pratique d'euthanasie et d'assistance au suicide en se fondant sur l'article 40 du Code pénal réglant le cas de « force majeure » et sur la base duquel on peut faire valoir un « état de nécessité ». De plus, depuis le 1er juin 1994, la « loi relative à l'inhumation et à l'incinération » prévoit une obligation de déclaration. Cela signifiait, jusqu'au 1er novembre 1998, que les médecins devaient, dans tout le pays, notifier, a posteriori, selon des modalités bien définies, les cas d'intervention euthanasique à un médecin légiste communal. Le ministère public pouvait ensuite s'occuper d'une manière uniforme des suites à donner audit cas d'euthanasie. L'objectif de l'obligation de déclaration était de permettre un contrôle de qualité et un contrôle social de l'intervention euthanasique. Cela devait permettre de mieux comprendre et de contrôler l'intervention euthanasique.
Celui qui voulait savoir ce que signifiait réellement cette obligation de déclaration n'apprenait pas grandchose à la lecture de la loi relative à l'inhumation et à l'incinération. La manière dont l'obligation de déclaration devait concrètement être remplie ne figurait en effet pas dans la loi relative à l'inhumation et à l'incinération, mais dans un « règlement d'administration publique », c'est-à-dire l'équivalent, chez nous, d'un arrêté royal. La loi relative à l'inhumation et à l'incinération prévoyait uniquement que le médecin devait faire une déclaration. La manière dont il devait le faire était définie dans un arrêté royal. Celui-ci contenait un formulaire standard que le médecin légiste communal devait remplir lors d'un décès non naturel pour son rapport au « officier van justitie », l'équivalent de notre procureur du Roi. Ce dernier transmettait ces données, auxquelles était éventuellement joint un avis de l'Inspection médicale, au procureur général. Chaque cas d'euthanasie était ensuite discuté lors de la réunion des procureurs généraux, qui décidaient en fin de compte de procéder ou non à des poursuites. Le ministère public appréciait l'intervention euthanasique en fonction des normes légales en vigueur relatives à l'incrimination et en fonction du commentaire qui existait à ce sujet dans la jurisprudence.
C'était donc, en fait, surtout une affaire de jurisprudence. Les critères de prudence avaient été élaborés, aux Pays-Bas, à partir de la jurisprudence.
En quoi consistait exactement le rapport que le médecin devait transmettre au médecin légiste communal ? Il devait essentiellement remplir une liste d'environ cinquante questions ouvertes au sujet de l'évolution de la maladie, la demande d'euthanasie, éventuellement l'euthanasie active pratiquée sans que la personne concernée ne l'ait demandée, la consultation et l'application médicale de l'euthanasie.
Dans cette construction, l'euthanasie à la demande de l'intéressé continuait donc à être passible d'une peine; on pouvait toutefois la justifier en invoquant « l'état de nécessité ».
Depuis le 1er novembre 1998, une nouvelle réglementation est en vigueur, qui a modifié l'ancienne mais qui, en même temps, la perpétue dans une certaine mesure. Cinq « commissions de contrôle » régionales ont été créées, composées d'un juriste chargé de la présidence, d'un médecin et d'un expert en science éthique, qui donnent une appréciation a posteriori, et dans les six semaines, de la manière dont a agi le médecin et qui donnent ensuite leur avis au ministère public quant à l'opportunité ou non d'entamer des poursuites. Ces commissions de contrôle régionales ont fait l'objet d'un « ministeriële regeling », l'équivalent d'un arrêté ministériel chez nous, dans lequel figuraient les critères de prudence auxquels devait se conformer un médecin pour pouvoir procéder à une intervention euthanasique. Je les résume. Il faut en premier lieu que l'intéressé formule la demande de son plein gré, qu'elle soit mûrement réfléchie et persistante. Il faut, en deuxième lieu, que, d'après l'état actuel des connaissances médicales, le patient se trouve dans un état désespéré et soit en proie à des souffrances insupportables. Je pense que ce dernier ajout, « d'après l'état actuel des connaissances médicales », est très important. En troisième lieu, le médecin doit consulter au moins un autre médecin indépendant. Et, en quatrième lieu, l'euthanasie doit évidemment être pratiquée avec toutes les précautions médicales possibles. Ces critères de prudence découlent de la pratique qui existe depuis des années déjà, comme en atteste la jurisprudence.
Voilà, jusqu'à ce jour, la situation. En cas d'avis positif de la Commission de contrôle régionale, le ministère public renoncera en principe à entamer des poursuites, sauf s'il existe des raisons fondées pour ce faire. Le médecin est en tout cas informé par le ministère public, dans les trois semaines, de la suite donnée à l'affaire. La Commission de contrôle régionale dispose de six semaines pour donner son avis et le ministère public doit ensuite décider dans les trois semaines. Par rapport à l'ancienne réglementation d'avant 1998, le médecin légiste communal doit donc transmettre les pièces relatives à l'intervention euthanasique non plus directement au procureur du Roi, mais à une Commission de contrôle régionale.
De plus, la liste de 50 questions ouvertes a été remplacée par un questionnaire plus court, le but étant surtout de tenir compte en partie de l'aversion que les médecins éprouvent manifestement vis-à-vis d'un excès de bureaucratie.
Aux Pays-Bas, l'interdiction de l'euthanasie est effectivement encore inscrite dans le Code pénal et même de manière très explicite, car le Code contient une disposition portant expressément sur l'euthanasie. Il n'empêche que les actes d'euthanasie sont, en fait, autorisés. C'est bien entendu au ministère public qu'il appartient en définitive de décider de ne pas poursuivre. Il importe également de savoir que ce n'est pas le législateur qui a fixé matériellement la norme, mais qu'elle a été élaborée par la jurisprudence du pouvoir judiciaire.
Pourquoi a-t-on créé les commissions régionales de contrôle en 1998 ? J'estime que c'est une question importante. S'il faut tirer une leçon de la situation aux Pays-Bas, c'est qu'un régime relatif à l'euthanasie doit, d'une part, encourager les médecins à répondre devant la société des actes qu'ils posent pour mettre fin à la vie et, d'autre part, surveiller et améliorer la qualité de ces actes. Quoi qu'il en soit, un régime ne pourra fonctionner convenablement qu'à la condition de jouir du soutien des personnes qui doivent l'appliquer, c'est-à-dire en premier lieu les médecins mêmes. Par conséquent, on ne peut absolument pas sous-estimer la signification de l'élaboration d'une réglementation. Quel que soit son contenu, une réglementation relative à l'euthanasie ne servira à rien si elle encourage les médecins traitants à adopter des comportements contraires à la loi.
C'est précisément le régime de contrôle qui a posé un grand nombre de problèmes aux Pays-Bas. Le célèbre rapport Van der Wal et Van der Maas qui a été publié en 1996 a ainsi démontré que la raison principale pour laquelle les médecins néerlandais ne déclaraient pas toujours, ou alors pas toujours de manière optimale, leurs actes auprès des instances compétentes, était liée à l'absence de sécurité juridique qui pourrait résulter d'une telle déclaration. Les médecins ne souhaitaient pas être entraînés dans le domaine pénal en effet, le droit pénal peut constituer une menace pour le médecin et les proches parents; il est formulé de manière trop générale de sorte qu'il ne peut pas tenir compte de la spécificité de chaque cas individuel, ou alors il est trop fastidieux et bureaucratique avec la conséquence d'une période d'insécurité juridique souvent très longue. En tout cas, l'étude Van der Wal a démontré que les médecins étaient disposés à déclarer leurs actes dans 40 % seulement des cas d'euthanasie et d'aide au suicide. La non-déclaration de tous les autres cas, soit 60 % environ, est manifestement due surtout aux objections que les médecins émettent à l'encontre d'une enquête judiciaire directe. En outre, certains de ces cas ne remplissaient pas les critères formels et/ou matériels de prudence en vigueur. Une enquête judiciaire est trop menaçante et trop bureaucratique. À souligner cependant que la même étude a révélé que la grande majorité des médecins étaient disposés à soumettre leurs actes d'euthanasie à un contrôle, mais de préférence pas à un contrôle organisé par le ministère public !
Tout ceci nous mène à la conclusion suivante : en tout état de cause, la manière dont on concrétise la communication des actes d'euthanasie, d'une part, et la répression, d'autre part, est très importante pour un régime légal relatif à l'euthanasie. À ce sujet, le problème le plus important est apparemment le contrôle direct qui est exercé par le ministère public. Cette conclusion est indépendante de la question de savoir si l'euthanasie doit ou non être reprise dans le droit pénal.
Autoriser l'euthanasie en insérant dans le Code pénal même l'autorisation conditionnelle d'y procéder ne résoudra pas le problème de la faible propension à déclarer l'acte. En fait, cela reviendrait à déplacer le problème, sans plus. En effet, si cette dépénalisation est assortie des mêmes critères de prudence que ceux qui seraient applicables dans l'éventualité où l'on maintiendrait le Code pénal dans sa rédaction actuelle, c'est-à-dire qu'on va simplement régler à un autre endroit et que l'on déplacerait dès lors l'autorisation de pratiquer l'euthanasie sous certaines conditions, le risque de poursuites reste inchangé.
Je suggère donc la chose suivante : installer d'abord un système de contrôle qui jouit de la confiance des médecins et éviter d'adopter une attitude de méfiance vis-à-vis de ceux-ci. En effet, les médecins n'ont pas confiance dans le système bureaucratique et formel qu'est le droit pénal, dont émane une grande menace. Ils ne souhaitent pas être traités comme des inculpés, ils veulent, à raison je crois, qu'on s'adresse à eux dans un environnement de communication et de concertation qui inspire la confiance. Il faut donc sortir le contrôle des actes d'euthanasie du domaine pénal. Comment réaliser cet objectif ?
On pourrait, d'une part, choisir d'effectuer le contrôle judiciaire a priori et, d'autre part, créer un tampon entre le ministère public et le médecin qui pratique l'euthanasie. Il me semble que ces deux options pourraient créer à la fois la sécurité juridique et la confiance dans le médecin. Pour moi, ces deux notions doivent être au centre des préoccupations.
Plus concrètement, je suis d'avis qu'un contrôle judiciaire a priori permettrait de régler les problèmes liés à la déclaration des actes d'euthanasie. On pourrait imaginer quelque chose comme un questionnaire, de préférence pas trop détaillé, qui serait transmis anonymement au procureur du Roi via un intermédiaire. Le procureur renvoie à l'intermédiaire le questionnaire muni d'une appréciation signée. L'intermédiaire avertit alors immédiatement le médecin et le patient. Il va de soi que l'appréciation faite par le ministère public ne peut constituer davantage qu'un jugement provisoire. En outre, il est très important de convenir que le ministère public ne s'écartera de son appréciation que lorsque la situation concrète de l'acte d'euthanasie ne correspond pas aux informations sur la base desquelles le procureur a fait son appréciation.
Bien entendu, cette idée n'est pas sans poser problème par exemple, le ministère public se laissera-t-il « séduire » par une telle construction ? La construction ne prend-elle pas trop de temps ? mais elle permet en tout cas d'offrir au médecin une sécurité juridique plus grande que le contrôle judiciaire direct a posteriori. Ce n'est qu'une suggestion qui doit être étudiée en détail.
De plus, en vue de confirmer la confiance au niveau du médecin traitant, le caractère anonyme de la déclaration revêtira une importance cruciale. Par ailleurs, un tel contrôle a priori devra être efficace avant tout. Cela signifie par exemple qu'il ne doit certainement pas être exercé par la bureaucratie ordinaire de la Justice. Ce genre de contrôle judiciaire a priori devra donc être conçu en fonction de plusieurs centaines de déclarations par an et il devra permettre de réagir de manière souple et efficace. Dans le cas contraire, il va de soi que le contrôle ne servirait à rien.
Pareille réglementation doit bien évidemment aller de pair avec une évaluation a posteriori de l'acte réel d'euthanasie. Nous pourrions nous inspirer en l'espèce du modèle néerlandais, dont les dispositions réglant les commissions régionales de contrôle, entre autres, sont intéressantes. Cela signifie donc qu'une évaluation a posteriori de l'acte réel d'euthanasie peut être opérée par un organe non judiciaire sous la forme d'une commission régionale de contrôle, à laquelle s'ajouteront éventuellement des praticiens de l'art infirmier, étant donné que ce sont souvent eux qui sont les premiers confrontés à une demande d'euthanasie et qu'ils ont généralement un contact à la fois bon et intensif avec le patient concerné, et que cet organe donne alors un avis au ministère public.
Du reste, le fonctionnement des commissions régionales de contrôle susvisées fait l'objet d'un rapport d'évaluation, qui paraît précisément aujourd'hui et sera soumis au ministre de la Santé publique. Certes, des critiques ont été formulées, mais la semaine dernière, la revue « Medisch Contact » des médecins spécialistes néerlandais a publié un article qui évalue positivement le fonctionnement de ces commissions de contrôle, contrairement à d'autres suggestions.
Si je pouvais encore suggérer l'audition d'un témoin, ce serait celle d'une personne associée à cette étude.
On pourrait également renoncer à soumettre pour avis tous les cas d'actes d'euthanasie aux commissions régionales de contrôle avant de les transmettre au procureur du Roi, et ne le faire que pour ceux que l'on considère comme des actes d'euthanasie non conformes.
On pourrait d'ailleurs se demander si la construction sur la base de laquelle seuls des actes d'euthanasie non conformes sont communiqués au ministère public ne constitue pas une atteinte au monopole de ce dernier en matière de poursuites. Je ne le crois pas, car le ministère public peut toujours intenter des poursuites, même s'il n'a pas été avisé par une commission d'évaluation. En outre, d'autres sources peuvent toujours mentionner l'acte d'euthanasie : la famille, le médecin légiste, entre autres ...
2. Une autre observation concerne le principe dit nemo tenetur : dans le cadre de la notification obligatoire d'un acte d'euthanasie, le médecin n'est-il pas contraint de collaborer à sa propre condamnation éventuelle ? Ce n'est pas tout à fait clair, mais je serais enclin à dire que ce n'est pas le cas, parce que dans la construction que j'ai présentée, il n'est pas fait état d'un fonctionnaire de recherche. En outre, à ce stade, on ne parle pas encore d'inculpés.
Quelles formes d'actes d'euthanasie devons-nous en fait prévoir dans la nouvelle législation ? Jusqu'à présent, la discussion a surtout porté sur l'euthanasie au sens strict du terme : l'acte qui consiste à mettre intentionnellement fin à la vie, accompli par une personne autre que l'intéressé, à la demande de ce dernier. Mettre un terme, par exemple, à un traitement médical vain ou donner des soins palliatifs dont l'effet est d'abréger la vie ne relève pas de cette définition, parce que ces actes sont communément considérés comme des « actes médicaux normaux ». Les limites entre les différentes formes d'actes d'euthanasie sont toutefois très floues et, de surcroît, relativement faciles à déplacer. D'autant plus que l'euthanasie au sens strict et usuel du mot peut facilement être présentée comme la conséquence de l'administration d'un analgésique dont l'effet secondaire est d'abréger la vie.
En théorie, il s'agit ici d'actes différents, mais dans la pratique, ils sont proches les uns des autres. C'est la raison pour laquelle certains plaident pour une régulation de toutes les décisions médicales concernant la fin de la vie. Tout dépend, bien entendu, de ce que l'on entend par « régulier », mais si cela signifie que la nouvelle législation doit également procéder de manière extensive, y compris en faisant intervenir le juge, nous faisons fausse route.
Je crois qu'il s'agit fondamentalement ici une fois encore de la question de savoir quelle confiance nous souhaitons placer dans le monde médical. Il est évident que des abus sont possibles, mais peuvent-ils justifier un système de contrôle presque répressif dès lors que nous n'avons aucune indication qui justifierait une méfiance générale à l'égard de la profession médicale ? Nous savons ce que nous voulons si nous faisons également ressortir ces actes à la nouvelle législation, mais savons-nous où cela nous mènera ? Cela a-t-il un sens de demander à des médecins de justifier des actes qui sont en principe des actes médicaux usuels, en ce compris toutes les tracasseries administratives qui vont de pair ? Je ne crois pas que ce soit inconditionnellement souhaitable et j'estime qu'il faut plutôt en l'espèce laisser la place à la déontologie médicale, c'est-à-dire à l'autorégulation, ainsi qu'au développement des droits des patients. Toute décision prise par un médecin concernant un malade incurable ou un patient aux prises avec des souffrances insupportables est subordonnée au fait que le patient doit être parfaitement informé de son état et des conséquences de certains actes médicaux, de sorte que ce patient puisse prendre lui-même une décision mûrement réfléchie. Une revendication que j'estime légitime serait de demander que les médecins se justifient à ce sujet dans leur dossier médical, sans y associer nécessairement l'appareil judiciaire et prévoir une procédure de notification.
Ce qu'une nouvelle loi devrait par contre réglementer, c'est ce qu'on a appelé l'aide apportée à la mort volontaire. J'ai bien sûr l'avantage de la rétrospection. J'étais présent ici la semaine dernière et j'ai entendu poser ces questions à plusieurs reprises. Je puis donc m'y attarder quelque peu. Il est tout à fait singulier que l'aide apportée à la mort volontaire ne soit réglementée par aucune proposition de loi. À quoi cela sert-il de réglementer le « plus » si on ne réglemente pas le « moins » ? Tout comme l'euthanasie, l'aide apportée à la mort volontaire n'est pas un acte médical ordinaire et relève bien à mon sens, fût-ce indirectement, de l'application de la loi pénale. Soit dit en passant : il existe bel et bien aux Pays-Bas une disposition spécifique du Code pénal qui sanctionne l'aide apportée à la mort volontaire, à savoir l'article 294. Cette façon indirecte de sanctionner s'exprime comme suit : le Code pénal ne rend pas lui-même punissable l'aide apportée à la mort volontaire, mais parle, à l'article 422bis, d'une négligence coupable qui consiste à ne pas avoir aidé une personne qui court un grave danger. On se rend également coupable de cette infraction si l'on n'apporte pas son aide à une personne qui tente de se suicider. On commet aussi, à mon sens, la même infraction en procurant les moyens qui permettent ce suicide, précisément parce que la personne qui souhaite mettre fin à ces jours est une personne « qui court un grave danger ». L'article 422bis n'aurait absolument aucun sens si, d'une part, on était obligé en quelque sorte de « sauver » quelqu'un qui risque de mettre fin à ces jours et si, d'autre part, le fait de procurer les moyens pour le faire n'était pas punissable. Pour moi, la personne qui fournit ces moyens a, elle aussi, omis de prévenir le suicide et elle n'a donc pas apporté son aide à une personne qui court un grave danger. Il faut donc légiférer à ce sujet.
3. Quels sont les textes qui concrétiseront la légalisation des actes d'euthanasie répondant aux critères : le Code pénal proprement dit ou une autre législation, par le biais d'une disposition législative ?
Un grand nombre de gens estiment que, indépendamment de la question de savoir s'il faut ou non régler l'euthanasie dans le Code pénal, le débat sur l'euthanasie est un débat de symboles. C'est une appréciation correcte, parce qu'une réglementation relative à l'euthanasie, qu'elle soit reprise ou non dans le Code pénal, a au minimum pour but d'autoriser l'euthanasie sous certaines conditions. En outre, en affirmant qu'il ne s'agit « que » d'un débat sur des symboles, on entend le plus souvent que le débat n'a donc pas beaucoup d'importance. Je ne suis pas d'accord avec ce dernier point de vue.
Le droit pénal et le Code pénal sont en effet davantage qu'un outil permettant d'atteindre un certain objectif et un moyen de prévenir les préjudices et les délits par la menace de la répression. Le droit pénal peut remplir bien d'autres fonctions. Par exemple, le fait de sanctionner pénalement un acte peut également constituer une démarche linguistique visant à communiquer explicitement quelque chose, lorsque la confirmation de ce qui est dit par des moyens exclusivement verbaux ne permet pas d'avoir un impact suffisant. En sanctionnant pénalement certains actes, ou en s'abstenant de le faire, la société indique donc également, par le biais du droit pénal, que certaines choses ne sont pas « normales ». Ce faisant, le droit pénal émet un jugement d'ordre moral et fixe la norme éthique : la société peut l'utiliser pour signifier que le droit à la vie a une importance primordiale et que, d'une manière générale, le droit à la vie et la protection de celle-ci sont importants et le resteront à l'avenir. Dans le contexte de l'euthanasie, l'interdiction de principe et le fait de mentionner cette interdiction dans le Code pénal pourraient signifier en outre que l'euthanasie doit être une mesure d'exception, la mort sur demande n'étant pas une matière médicale « normale ».
L'euthanasie n'est en effet pas une option « ordinaire » au même titre que les autres actes médicaux car alors le médecin ne pourrait pas refuser une demande d'euthanasie. Si c'était effectivement le cas, il y aurait lieu de maintenir l'interdiction de l'euthanasie dans le Code pénal.
Comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que cette prise de position débouchera sur une déficience dans la déclaration des actes d'euthanasie par les médecins comme certains le pensent et ce, parce que, en la matière, le véritable talon d'Achille se situe au niveau de la menace qui émane de l'appareil judiciaire et donc de la proximité de l'appareil répressif; par conséquent, l'endroit où l'on insère l'autorisation conditionnelle de procéder à l'euthanasie n'a pas tellement d'impact. Je souhaiterais signaler encore que la plupart des médecins qui sont venus s'exprimer ici n'étaient manifestement pas demandeurs pour une législation ou une réglementation de l'euthanasie par le biais du Code pénal. Je suis d'accord pour dire qu'ils sont demandeurs pour une loi, mais ils ne souhaitent pas que cette matière soit réglée via le Code pénal, bien au contraire.
4. L'article 3 de la proposition de la majorité prévoit une procédure préalable plutôt limitée. Je crois pouvoir déduire de l'échange de vues qui a eu lieu au sujet de l'euthanasie que les adversaires d'une procédure préalable plus concrète craignent surtout que celle-ci permette d'empiéter sur l'autonomie du patient et, en d'autres termes, qu'une telle procédure fasse office de tribunal. À mon avis, cette manière de voir repose sur un malentendu.
La procédure préalable doit être considérée avant tout comme un moyen d'appuyer le patient et le médecin c'est d'ailleurs à dessein que j'utilise le terme « appui », et non comme un contrôle dont dépendrait la possibilité de procéder à l'euthanasie. Le fait d'accéder ou non à une demande d'euthanasie est en effet une question qui relève en premier lieu de la responsabilité du patient et du médecin et ce seront les critères de prudence qui détermineront si on pourra ou non accéder facilement à une demande d'euthanasie. Dans ces conditions, à quoi sert l'appui préalable ? Cet appui doit être axé sur la qualité des soins. Cela peut aller de la maîtrise de la douleur à l'accompagnement du patient et du médecin en passant par les possibilités d'appliquer d'autres traitements, les indications sur l'application du traitement et la proportionnalité, les soins et la postcure éventuelle pour les proches ou l'interaction entre le médecin et le patient. Par conséquent, il s'agit cette fois encore davantage d'une question relevant du droit des patients où le consentement éclairé n'est pas le seul élément important, mais aussi et peut-être surtout la demande éclairée. Les spécialistes des soins palliatifs qui ont évidemment beaucoup d'expérience dans ce domaine, ont souligné que la demande d'euthanasie est parfois motivée par des relations déficientes, l'angoisse de la douleur et le sentiment d'impuissance par rapport au pouvoir médical et à la manipulation, par un blocage au niveau de l'intégration de la situation ou la crainte de la mort et de ce qui suit.
Par conséquent, la demande « Je veux mourir » peut signifier également « Je ne veux pas mourir de cette façon ». La demande sous-jacente n'est alors pas une demande d'euthanasie, mais plutôt un appel à l'aide, une demande d'une présence, de chaleur ou de quelqu'un qui écoute, console ou encourage. Derrière la demande d'euthanasie se cache souvent un message pour l'entourage. On doit donc se poser la question : que peut-on invoquer pour refuser un appui large aux décisions relatives à l'euthanasie ? La proposition de la majorité ne peut en tout cas pas rencontrer cette préoccupation, précisément parce que le médecin doit déterminer uniquement si le patient a eu la possibilité de parler avec toutes les personnes de son choix. Je souhaite souligner une fois encore que dans l'appui que je propose, il ne s'agit pas d'autoriser ou non l'euthanasie, mais d'apporter un appui. La décision de procéder ou non à l'euthanasie est une décision conjointe du médecin et du patient.
Outre la crainte, à mon avis justifiée, que la procédure préalable fonctionnera comme un tribunal, une des autres réserves que l'on pourrait émettre à l'encontre de cette procédure est qu'elle peut durer longtemps pour quelqu'un qui souffre de manière intolérable. J'en suis conscient. La Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen a souligné à juste titre que ce sont précisément les experts en soins palliatifs qui connaissent l'importance du facteur temps pour le patient atteint d'une maladie incurable. Ces experts sont en outre parfaitement équipés pour travailler de manière à la fois rapide et appropriée. Quoiqu'il en soit, il importe de se rendre compte que le processus d'euthanasie prend de toute façon un certain temps, ne fût-ce que parce qu'il faut, y compris dans la proposition de la majorité, que la demande d'euthanasie soit formulée de manière répétée et durable.
En ce qui concerne le développement des soins palliatifs, je souhaite d'ailleurs, en tant que non-médecin et d'une manière générale, souscrire au point de vue nuancé et éclairé de la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen qui est une association pluraliste. Cette fédération propose un concept très large des soins palliatifs. Les gens qui ne peuvent plus être guéris doivent pouvoir compter sur des soins donnés avec empathie dans le cadre desquels on maîtrise la douleur et les symptômes et on veille également à donner au patient un accueil spirituel et psychosocial. Les soins palliatifs, c'est la méthode active totale que la médecine et les soins de santé en général doivent appliquer pour rencontrer le patient atteint d'une maladie incurable. Il va de soi qu'il faut commencer à temps et en tout cas ne pas attendre le moment où le patient formule une demande d'euthanasie, comme il ressort de la proposition de la majorité. Je dirais même, au contraire.
Nous devons en tout cas éviter absolument que l'on recoure à l'euthanasie simplement parce que l'on ne dispose pas encore vraiment de soins palliatifs ou parce qu'on les connaît mal et ne veut dès lors pas les rendre disponibles. Si l'on veut permettre aux patients de choisir la solution des soins palliatifs, il faut que la possibilité de soins palliatifs existe vraiment. Sans cela, on les abandonne à des souffrances insoutenables et inutiles et on stimule la demande d'euthanasie. L'euthanasie ne peut trouver de justification que dans le cadre d'un bon système de soins palliatifs. Comme tout le monde, même au sein de cette commission, souligne sans cesse que les soins palliatifs ne sont pas encore bien développés, le vote rapide d'une loi serait inconvenant.
Comment peut-on s'assurer que la volonté exprimée par le patient est authentique et qu'il l'a formulée librement et en connaissance de cause ? Sous la section 1, j'ai déjà souligné qu'assurer la sécurité juridique des médecins qui pratiquent l'euthanasie et fonder la confiance dans ceux-ci constituent deux conditions sine qua non du succès de l'application d'une réglementation en matière d'euthanasie. L'on aura probablement été frappé par le fait que l'on a passé un élément sous silence, à savoir la question de la nécessité d'assurer la sécurité des patients face à l'application de la nouvelle réglementation et de fonder leur confiance en celle-ci.
Pourquoi cette observation est-elle pertinente ? Voici quelques exemples. Dans l'affaire Compassion in dying qui avait éclaté aux États-Unis, le juge Bleezer déclara que les médecins et la société en général ont à faire face à des pressions croissantes et qu'il se peut donc qu'ils n'aient pas toujours la patience de s'occuper des personnes âgées, dont certaines peuvent être difficiles et causes d'embarras « doctors, like the rest of society, face constantly increasing pressures, and may not always have the patience to deal with the elderly, some of whom can be both difficult and troublesome. » Il faut aussi lutter contre les pressions des membres de la famille et de l'entourage et, même, contre les pressions sociales par exemple : moyens insuffisants, manque de lits visant à l'euthanasie de proches ou de patients d'âge avancé ou non, pour l'une ou l'autre raison plus ou moins noble. Les personnes qui ne peuvent plus se passer de l'aide d'autrui peuvent d'ailleurs aussi considérer qu'elles constituent une charge pour leur entourage. La seule existence d'une loi peut même engendrer des difficultés, étant donné que ce qui était interdit devient un choix possible, et toute possibilité de choix emporte l'exposition aux pressions inévitables dans des situations de dépendance sociale et d'impuissance psychique. Voilà les problèmes potentiels que nous ne pouvons pas ignorer et dont nous devons oser discuter. Il convient de développer, non pas des arguments contre toute réglementation en la matière, mais des arguments en faveur de la prudence. En ce qui me concerne, je trouve que le principe du soutien préalable qui vient d'être mis au point partiellement supprime également une bonne part de la crainte qu'inspire la perspective d'une loi relative à l'euthanasie.
On peut donc dire en résumé que la procédure visée ci-avant est une arme à double tranchant dans la mesure où elle permet d'accorder un soutient au patient et au médecin au moment où ils ont à prendre des décisions difficiles en matière de vie ou de mort, d'une part, et où elle permet de donner, au patient, l'assurance qu'il se trouve en de bonnes mains et qu'on l'écoute sérieusement, d'autre part.
5. Je vais aborder maintenant le dernier sujet, qui est peut-être aussi le plus juridique. Qu'en est-il, sur le plan juridique, de la possibilité de promulguer une loi sur l'euthanasie ? Pour répondre à cette question, il faut se référer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. À propos de l'euthanasie, deux dispositions de cette convention jouent un rôle central, à savoir celles des articles 2 et 3.
Selon l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (...). » Ces dispositions sont suivies d'une liste exhaustive d'exceptions. Ces exceptions n'ont rien à voir avec l'euthanasie. En tout cas, l'article en question emporte non seulement, pour l'autorité, l'interdiction de tuer, ce qui constitue une obligation négative, mais aussi l'obligation de protéger la vie, ce qui est une obligation positive.
Selon l'article 3 de la même Convention, « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Selon l'éthique juridique qui sous-tend ces dispositions cela apparaît aussi quand on lit les deux articles conjointement , l'autorité est responsable de la protection effective de la vie humaine. Il s'agit explicitement, en l'espèce, non seulement de la vie de ceux qui sont en bonne santé et qui sont capables de se défendre, mais aussi de la vie de ceux dont la santé est fragile ou dont la santé est détruite.
Il est généralement admis parmi les juristes que l'euthanasie n'est pas nécessairement incompatible avec l'article 2. Ce point de vue résulte évidemment d'une comparaison des intérêts en jeu ce type de comparaison est d'ailleurs fréquent en droit , de l'issue d'un conflit entre deux droits fondamentaux, dont l'un (article 3) peut être placé au-dessus de l'autre (article 2) dans certaines circonstances particulières, parce qu'on ne peut pas protéger les deux en même temps. La question vraiment passionnante qui se pose à cet égard est celle de savoir quelles sont ces « circonstances particulières » qui permettent, si elles existent, de ne pas appliquer l'article 2. Dans quel cas l'État peut-il manquer à son devoir de protéger la vie ? Autrement dit, dans quelle mesure la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme autorise-t-elle des actes d'euthanasie et où se trouvent les limites ?
Je suppose que, selon la logique des dispositions précitées, l'on ne peut recourir à l'euthanasie que dans des circonstances fort exceptionnelles. Un acte euthanasique ne peut être pratiqué que s'il constitue un remède ultime, c'est-à-dire seulement s'il est vraiment le seul moyen dont on dispose encore pour alléger une souffrance devenue insoutenable voire inhumaine. Cela signifie que, lorsqu'on ne peut plus alléger les souffrances à l'aide de calmants ou de soins palliatifs et qu'on ne peut plus le faire qu'en recourant à des actes euthanasiques, il n'y a pas moyen de concilier les deux obligations définies dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. C'est seulement dans ce cas-là que l'État peut choisir d'autoriser l'euthanasie ou, du moins, de la rendre possible. Cela signifie que l'on doit au moins mettre à la disposition du patient tous les moyens qui permettent d'alléger ses souffrances. Cela signifie toutefois aussi très concrètement, comme notamment la jurisprudence néerlandaise le montre très clairement, que le médecin ne peut pas acquiescer sans plus à une demande d'euthanasie. Dans l'affaire Chabot, qui date de 1994 et qui est très connue, le Hoge Raad (Conseil supérieur) néerlandais déclara, dans son considérant 6.3.3, « qu'il importe de savoir, quand on examine si les souffrances sont à ce point insoutenables et irréductibles que l'aide à l'euthanasie doit être considérée comme correspondant à un choix justifié dans une situation de détresse (...), qu'il ne saurait être question d'une situation désespérée lorsque l'intéressé a décidé en toute liberté de rejeter le recours à un autre moyen d'alléger ses souffrances. » (traduction). Ledit Conseil supérieur parle d'ailleurs très clairement, à cet égard, d'une alternative médicale réelle. Les ministres néerlandais de la Justice, Mme Sorgdrager, et de la Santé publique, Mme Borst, on déclaré, peu après cette prise de position du Conseil supérieur, qu'il n'existe aucune alternative réelle. Par conséquent, l'appréciation des choses appartient, non seulement au patient, mais aussi au médecin. Peu après le jugement prononcé dans l'affaire Chabot, le juge de Harlem estima, à l'instar du Conseil supérieur, à propos du cas d'un homme qui était paralysé d'un côté à la suite de trois thromboses et qui ne voulait ni ne pouvait accepter l'invalidité permanente qui en était résultée, qu'il ne saurait être question d'un état de souffrance sans issue lorsque le patient a rejeté en toute liberté le recours à une alternative réelle en vue d'alléger ses souffrances.
Le médecin qui avait accédé à la demande de son patient a été condamné. En d'autres termes, il a failli parce qu'il s'était incliné trop facilement devant le refus du patient de prêter sa collaboration à une solution de remplacement.
Ces constatations placent tout de même la proposition de la majorité dans une perspective particulière, car celle-ci est fortement axée sur le désir subjectif du patient même. En effet, la définition de la notion de souffrance intolérable est laissée entre les mains du patient. On ne parle ni de symptômes, ni de l'expérience des sentiments de douleur ou de souffrance chez les autres patients. C'est pourquoi la condition prévue à l'article 3 de la proposition de la majorité suivant laquelle la personne en question doit faire état d'« une souffrance ou une détresse insupportable, qui ne peut être apaisée » constitue une norme vide de substance. Si le patient déclare qu'il se trouve dans un tel état, le médecin devra l'accepter. La norme qui est proposée pourrait signifier que le médecin peut refuser de donner son assentiment à la demande s'il soupçonne le patient de mentir, mais alors se pose la question de savoir qui demanderait l'euthanasie s'il ne souffrait pas d'une manière insupportable, que ce soit sur le plan physique ou mental ? Évidemment, personne ne le fera, car le simple fait de demander l'euthanasie, c'est-à-dire ne plus vouloir vivre, met déjà à nu une « détresse insupportable », une souffrance mentale qui ne peut manifestement pas être apaisée.
En outre, on peut se demander si les patients qui sont mentalement perturbés, par exemple ceux qui souffrent d'une dépression, et qui se trouvent donc dans un état de détresse insupportable, peuvent effectivement exprimer librement leur volonté. Le Centraal Medisch Tuchtcollege aux Pays-Bas a constaté à ce sujet, en 1990, qu'il restait difficile de déterminer si la volonté du patient psychiatrique était ou non fortement influencée par sa maladie, à savoir ses dépressions : « Par conséquent, il est pratiquement impossible de déterminer avec certitude si le désir de mort et la profondeur de la souffrance qui l'accompagne exprimé par ces patients qui ne sont pas en phase terminale, est motivé par leur dépression, si ce désir est en relation avec cette dépression ou, s'il en fait partie ». (traduction)
Pour résumer, j'affirme que la norme juridique qui est proposée à l'article 3 ne permet pas une appréciation critique et on peut par conséquent tout aussi bien la supprimer. Dans les faits, cela signifie que la proposition de loi retient uniquement le critère de la maladie grave et incurable. La conséquence de cette situation, c'est que, par exemple, un patient schizophrène, ou une personne qui souffre depuis des années de diabète grave, ou encore le patient qui doit subir une dialyse rénale toutes les semaines depuis des années, peuvent tous formuler une demande valable d'euthanasie à laquelle on pourra accéder. En effet, toutes ces personnes souffrent d'une affection grave et incurable qui peut occasionner des souffrances ou une détresse constante et insupportable, qui ne peut être apaisée. Je demande si c'est vraiment cela que nous voulons. Est-ce que nous devons vraiment aller aussi loin ? En tout cas, il est certain qu'à partir du moment où on laisse la question de la souffrance ou de la détresse insupportable au seul jugement subjectif du patient, le régime relatif à l'euthanasie devient plutôt une forme de légalisation générale de l'aide au suicide. Je ne suis pas certain que l'article 3 de la proposition de la majorité puisse passer le test de Strasbourg. Aux Pays-Bas, on ne va d'ailleurs pas aussi loin que la proposition de la majorité. En effet, la loi néerlandaise précise que la souffrance doit être insupportable conformément à l'avis médical général. C'est une exigence intersubjective.
M. Hugo Vandenberghe. Je remercie le professeur Adams pour son exposé instructif dont le contenu figure de manière plus détaillée dans l'article qu'il a publié il y a quelques mois dans le Rechtskundig Weekblad. Dans ce contexte, je souhaite lui demander certains éclaircissements.
Le premier point concerne le rôle et la mission du droit pénal. Il s'agit essentiellement d'une tâche symbolique, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit sans importance. Après avoir étudié toutes les hypothèses en ce qui concerne la réglementation de l'euthanasie, vous dites qu'invoquer l'état de détresse est, dans les circonstances présentes, la formule la plus indiquée, même si elle peut se révéler problématique. Vous dites également qu'on ne respectera l'article 2 de la CEDH que dans la mesure où l'on utilise l'état de détresse. Est-ce que vous estimez que compléter l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice de la médecine par une définition des cas dans lesquels l'état de détresse peut être invoqué constituerait une solution acceptable qui est de toute manière préférable à l'inscription dans le Code pénal d'un article bis qui prévoirait d'autoriser l'euthanasie fondée sur un accord préalable ? Je pose cette question parce que, comme l'a constaté un commentateur, les membres de la commission ont suivi les différents exposés juridiques avec une perplexité croissante. M. Messine a déclaré que l'état de détresse ne pouvait être invoqué que s'il n'était pas défini. Par contre, M. Panier a affirmé que cet état doit pouvoir être appliqué aux cas qui ne sont pas couverts par un régime très large. L'état de détresse est donc, en l'occurrence, le parachute de secours pour les cas qui ne sont pas couverts par la loi. Quel est votre avis à ce sujet ?
Ma deuxième question porte sur le contrôle a priori et le contrôle a posteriori. Selon le professeur Adams, le contrôle a priori peut être organisé de manière anonyme par le biais d'une intervention du parquet. Cela permettrait de créer une certaine sécurité juridique, sans préjudice de la possibilité de poursuites lorsque le questionnaire anonyme ne serait pas complété correctement. À quel niveau ce contrôle a priori devrait-il avoir lieu ? La Belgique compte 27 parquets. Est-ce que vous envisagez un contrôle au niveau des cours d'appel ? S'il fallait l'organiser par parquet, est-ce qu'on ne risquerait pas de nuire à la sécurité juridique ou de transformer le contrôle en une matière bureaucratique ? Je suis cependant d'accord avec vous que chaque réglementation est vouée à l'échec si elle ne peut pas compter sur une collaboration suffisante sur le terrain. Aux Pays-Bas, cette collaboration n'a pas été acquise parce qu'on n'a pas exploité des occasions a priori. Je souhaiterais davantage d'explications sur ce point.
Je peux souscrire à votre idée fondamentale concernant le contrôle a posteriori sans préjudice de la politique en matière de poursuite du ministère public. Vous dites qu'il faut créer un tampon car sans lui, la réglementation ne sera pas respectée. C'est en effet la conception correcte. Une simple mention au parquet en effet est condamnée à disparaître dans le circuit administratif sans donner lieu à un contrôle effectif. L'idée du tampon est donc bonne. Dans notre proposition, il est question d'un médecin légiste, mais cela pourrait aussi être quelqu'un d'autre. Je n'en fais pas un problème. Je me demande cependant de quelle manière la commission de contrôle va exercer ce contrôle. Est-ce qu'elle va le faire sur la base de cas individuels et, si oui, dans quel délai ? Ou alors le contrôle prendra-t-il la forme d'un contrôle statistique a posteriori comme dans le cas de la commission avortement ? Cette dernière commission n'exerce pas un contrôle individuel, mais un contrôle statistique a posteriori qui n'a aucun impact sur la politique en matière de poursuite. Comment envisagez-vous le fonctionnement de la commission de contrôle en corrélation avec l'intervention du procureur. Est-ce que vous incluez également la nécessité éventuelle de donner l'autorisation d'inhumer ?
M. Maurice Adams. Je parlerais d'abord de la notion d'état de détresse, que je n'avais pas abordée dans mon exposé. J'ai entendu ce qui a été dit à ce sujet la semaine dernière, notamment par M. Panier. L'état de détresse sous-entend, comme le dit le mot, une solution à un état de détresse. Dans un certain sens, les articles 2 et 3 de la CEDH évoquent cette notion d'état de détresse. On peut en effet être confronté à deux obligations contradictoires entre lesquelles il faut choisir.
Si l'on opte pour une loi sur l'euthanasie permissive, sur la base de laquelle on peut procéder assez facilement à l'euthanasie, l'état de détresse n'est pas le terme qui convient, précisément parce qu'il ne s'agit plus alors d'un état de nécessité. Si ladite loi est quelque peu restrictive, l'état de nécessité peut bien être le terme propre.
Vous avez cité l'arrêté royal nº 78. J'ignore si cet arrêté est le texte adéquat, car il traite des actes médicaux ordinaires. Je ne sais pas s'il est souhaitable ou possible de qualifier l'euthanasie d'acte médical ordinaire. L'arrêté est un texte qui traduit une certaine symbolique. Je doute que l'on puisse l'utiliser en l'espèce.
L'état de nécessité n'est-il qu'un concept jurisprudentiel ou peut-il être aussi une notion légale ? D'après moi, il peut indubitablement être l'un et l'autre. Nulle part il n'est dit, dans la législation belge, qu'il doit être un concept jurisprudentiel. Les juges peuvent y recourir en tant que concept jurisprudentiel pour tenir compte des circonstances concrètes de chaque cas spécifique qui se présente à eux. Il peut toutefois aussi être qualifié de légalement impératif, ce qui confère au juge une marge d'appréciation plus étroite. M. Panier a insinué que s'il n'est pas défini comme tel, il demeure pour les cas exceptionnels qui ne sont pas réglés par la loi.
Le professeur Jan Velaers, de l'Université d'Anvers/UFSIA, écrit à ce sujet : (traduction) « On peut d'ailleurs se demander si une réglementation légale des conditions de l'euthanasie exclura le recours à l'état de nécessité dans d'autres cas. À la lumière de la règle générale lex specialis generali derogat, on doit, à notre avis, partir du principe que si le législateur prévoit lui-même une réglementation spéciale pour l'état de nécessité en cas d'euthanasie, c'est ce qu'il a voulu implicitement mais clairement exclure l'application de la théorie générale sur l'état de détresse, sauf disposition contraire expresse. » L'importante question relative à l'état de nécessité est, d'après moi, de savoir s'il est un bon concept à réguler ou pas. Je me rallie à l'avis de M. Velaers; il pourrait éventuellement tenir lieu de catégorie résiduaire. La jurisprudence déterminera si c'est acceptable ou non. Si l'état de détresse est inscrit dans une loi dans le contexte de l'euthanasie, il sera défini définitivement. Les autres situations ne pourront dès lors plus être invoquées devant le juge, sauf décision contraire expresse du législateur. On peut donc se demander si c'est souhaitable, mais c'est une autre question.
On s'est aussi interrogé sur le contrôle judiciaire anonyme préalable. Je suis parfaitement conscient que cette idée peut faire surgir des problèmes, dont le plus important est dans doute que le ministère public ne se laissera pas séduire par cette perspective. Si toutefois il était institué, le contrôle judiciaire préalable devrait, à mon sens, être réglé au niveau le plus élevé possible. Il faudrait, le cas échéant, désigner spécifiquement un magistrat à cette fin. Cela offre comme garantie que lors de l'appréciation de l'euthanasie, on ne tiendra pas uniquement compte des coutumes locales. Aux Pays-Bas, le contrôle préalable est exercé par le collège des procureurs généraux, et non par l'officier de police judiciaire local.
Je considère que le contrôle a posteriori par une commission d'évaluation doit être un contrôle individuel. Il en est ainsi également aux Pays-Bas. Sinon, rien n'est contrôlé. Il s'agit en effet de quelques centaines de cas par an, et cela nécessite une certaine harmonisation. Je crois du reste qu'il est important de suivre, dans les prochains jours, la presse néerlandaise, pour voir quelles sont les conclusions de la commission d'évaluation des commissions régionales de contrôle.
M. Philippe Monfils. Je désire revenir sur le caractère anonyme du contrôle préalable par le parquet. Je m'étonne d'entendre cette notion alors que, par ailleurs, et j'y viendrai dans ma deuxième question, vous semblez plutôt privilégier si ce n'est la sortie de l'euthanasie du Code pénal, du moins un système de contrôle a posteriori qui ne serait pas nécessairement effectué par le parquet. Qu'en est-il du caractère anonyme de ce contrôle ? Le parquet va donc recevoir des demandes d'euthanasie et va anonymement dire si elles sont recevables ou non. Or, je n'ai pas entendu une seule fois parler du patient ou de la demande de celui-ci de mettre fin à sa vie. Nous parlons pourtant de l'euthanasie pratiquée à la demande du patient. Quand on connaît l'habitude traditionnelle du pouvoir judiciaire de s'occuper des problèmes qu'on lui présente, il est évident que si l'on place un membre du parquet à la tête de cette procédure d'approbation ou de refus, il décidera rapidement en fonction de ses propres éléments et non de la situation du patient, ce qui ruinerait complètement, me semble-t-il, tout l'effort que l'on accomplit pour rencontrer les demandes du patient et pour essayer de voir si sa dignité est réellement mise en cause au point de demander l'euthanasie.
Ma deuxième question porte sur le problème de l'organe de contrôle a posteriori. Vous avez dit que les médecins avaient peur de la justice. Ce n'est pas le premier cas. Beaucoup de médecins souhaiteraient en quelque sorte que la pratique médicale soit totalement extraite du Code pénal.
Nous le savons, il y a même des tentatives dans les facultés de médecine de bourrer le crâne des étudiants à ce propos. Mais la médecine doit quand même s'exercer dans un cadre légal et démocratique. Finalement, les organes de contrôle dont on parle et qui ne seraient pas composés de membres de l'appareil judiciaire, aboutiraient à vérifier si la loi pénale est respectée et s'il n'y a pas dépassement des interdits pénaux. Est-il normal de donner à un organe de contrôle non judiciaire le soin de vérifier si la loi a été respectée ? Les ordres professionnels ainsi que des tribunaux professionnels existants sont là pour les codes de déontologie, et non pour vérifier si le médecin, le pharmacien ou autre ont attenté à la loi pénale. Je me demande donc si ce n'est pas une manière assez étonnante de considérer l'application ou le respect de la loi pénale que de remettre la vérification du respect de la loi à un organe corporatiste, composé de médecins, d'infirmiers, c'est-à-dire de personnes directement intéressées par le jugement rendu par cet organe.
Ma première question a donc pour objet la « tribunalisation » dans un contrôle préalable anonyme du parquet qui finira par décider lui-même qui doit être « euthanasié » ou non, en se moquant éventuellement de l'avis du patient.
À l'inverse, ma deuxième question porte sur la sortie de la vérification du Code pénal d'une série d'éléments ou d'actions médicales qui pourraient être considérées comme des infractions mais dont le caractère « infractionnel » sera vérifié non par le pouvoir judiciaire, mais simplement par des espèces de conseils composés de leurs pairs, ce qui, du point de vue du juriste, n'est pas nécessairement le meilleur système.
M. Maurice Adams. Je suis parti de la constatation qu'une enquête aux Pays-Bas indique sans la moindre équivoque que les médecins ne veulent pas être impliqués dans l'univers pénal. Le résultat en est que la plupart des actes d'euthanasie accomplis aux Pays-Bas n'ont pas été notifiés et que la loi existante demeure donc pour une large part lettre morte. La société dit : nous faisons une loi pour pouvoir exercer un contrôle, mais le médecin répond : je ne désire pas notifier, car je ne veux absolument pas être impliqué dans cette sphère du droit pénal.
Si l'on veut qu'une loi sur l'euthanasie fonctionne, il faut essayer de donner confiance aux médecins et de créer la sécurité juridique. Pour ce faire, il y a plusieurs solutions et j'ai formulé deux propositions. L'une d'entre elles consistait à organiser un contrôle judiciaire préalable par un magistrat du ministère public. Il faut cependant que cette déclaration soit anonyme, sinon il risque de ne pas y en avoir, comme le montre l'étude néerlandaise. Dans ce cas, la loi ne servirait à rien. La deuxième possibilité, c'est le contrôle a posteriori au moyen d'une autre construction. C'est le modèle en vigueur aux Pays-Bas. On laisse d'abord les médecins déclarer les actes à une commission de contrôle dont vous dites que c'est un organe corporatiste. Cela dépend de ce qu'on entend par là; la commission compte en effet des confrères en son sein. Actuellement, elle est composée d'un médecin, d'un éthicien et d'un juriste. Ces personnes contrôlent la conformité de l'acte d'euthanasie aux conditions matérielles et formelles en vigueur. Même lorsqu'ils parviennent à la conclusion que ces conditions ont été remplies, ils signalent le cas à la Justice. Une commission de contrôle régionale est installée entre le médecin et le ministère public. En définitive, toutes les déclarations parviennent au procureur du Roi, mais dans un premier temps, le médecin concerné est confronté à un environnement plus collégial qui lui inspire davantage confiance. Une proposition de loi a toutefois été déposée aux Pays-Bas visant à communiquer au ministère public uniquement les cas pour lesquels la commission régionale de contrôle estime que les conditions matérielles et formelles n'avaient pas été remplies. Il ne s'agit que d'une proposition et elle fait bien entendu l'objet de critiques. Par exemple, on pourrait se demander s'il est souhaitable de faire intervenir le ministère public uniquement dans des cas exceptionnels. J'estime cependant qu'il faut étudier cette proposition.
Mme Mia De Schamphelaere. Je voudrais vous remercier pour votre exposé instructif. Je voudrais vous poser deux courtes questions. Certains commissaires ont déjà déploré que nous n'ayons pas la possibilité de solliciter un avis préalable de la Cour des droits de l'homme. Comment peut-on demander un avis univoque de la Cour au sujet d'une loi relative à l'euthanasie qui va très loin ? Qui peut demander un tel avis, quel intérêt doit-on évoquer et quelle est la procédure à suivre ?
Ma deuxième question rejoint l'observation que vous venez de faire sur le nouveau projet de loi néerlandais. Comment se fait-il que le processus décisionnel démocratique aux Pays-Bas soit si lent pour un projet de loi émanant du gouvernement ? Ce projet fait-il l'objet d'un grand débat de société ? Quels sont les points qui sont critiqués le plus ? Après 25 annnées de débat, nous avons pour la première fois une proposition sur la question de savoir s'il faut régler ou non l'euthanasie par le biais du droit pénal. Est-ce que cette solution se heurte à une obstruction de la part de la société ou pensez-vous que la proposition a des chances de passer ?
M. Maurice Adams. Depuis le 1er novembre 1998, une nouvelle procédure est en vigueur auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. Contrairement à ce qui se passait auparavant, la Cour va s'occuper principalement de l'appréciation des plaintes émanant d'individus. Cette procédure est réglée à l'article 34 de la CEDH. Auparavant, un particulier ne pouvait accuser un État membre de violation de la Convention que lorsque cet État y avait donné préalablement son assentiment.
Ensuite, la Cour ne pouvait se prononcer que lorsque cet État avait reconnu également la compétence de la Cour. Les États membres peuvent aussi se dénoncer l'un l'autre devant la Cour, mais la chose est exceptionnelle parce que, sur le plan politique, ce n'est sans doute pas la meilleure manière d'exprimer son mécontentement. Désormais, la Cour accepte donc les plaintes individuelles, mais uniquement lorsque tous les moyens du droit national ont été épuisés et dans un délai de six mois après la décision définitive au niveau national.
La requête peut être introduite par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de personnes affirmant être la victime d'une violation de la CEDH par un État membre. Ils doivent donc être en mesure de faire valoir un intérêt. Dans le contexte du problème de l'euthanasie, il est difficile de déterminer qui peut faire valoir un intérêt. Est-ce que cela pourrait être également des personnes qui se sentent blessées ?
M. Hugo Vandenberghe. Certains parlementaires se sont adressés directement à la commission, par exemple au sujet de la législation relative à l'homosexualité en Angleterre.
M. Maurice Adams. Les parlementaires forment bien entendu un groupement d'intérêt. L'élargissement de novembre 1998 a été particulièrement important parce que désormais les individus peuvent saisir la Cour.
Pourquoi le processus dure-t-il si longtemps aux Pays-Bas ? J'ai la nationalité néerlandaise, mais je ne peux pas répondre à cette question avec précision. Je peux cependant tenter une explication. Aux Pays-Bas, il existe une pratique de l'euthanasie qui est admise. C'est sans doute pour cela qu'on n'est pas pressé de régler rapidement quelque chose. Je crois aussi qu'aux Pays-Bas, on a l'habitude d'organiser un large processus de consultation qui n'est pas limité à quelques mois. Je m'attendais à ce que l'on démarre ce processus au printemps. Cela n'a pas été fait. Je suppose qu'on s'interroge sur la conformité de la nouvelle proposition de loi néerlandaise à la CEDH. M. Remmeling, ancien procureur du Roi et éminent juriste néerlandais, a déclaré que la proposition ne résisterait pas à la critique de Strasbourg. Peut-être qu'on s'informe encore sur la question.
M. Patrick Vankrunkelsven. Je suis d'accord avec vous pour dire que la confiance des médecins dans l'appareil est un élément important et que l'appareil judiciaire est jugé plus menaçant que le Code pénal. Vous dites pourtant que la symbolique de la discussion n'est pas sans importance.
Vous défendez la notion de l'état de détresse. D'aucuns estiment qu'il est tout de même dangereux de laisser cette question intégralement à l'appréciation du pouvoir judiciaire et veulent prévoir quelques conditions secondaires. Vous estimez que c'est un problème, parce que le particulier prime sur le général. Mais vous dites aussi que la construction juridique de l'état de détresse garantit la symbolique de la protection de la vie. Une autre formule proposée par la majorité consisterait à dire que l'euthanasie reste inscrite dans le droit pénal, mais qu'on prévoit une cause de justification, comme la légitime défense est une cause de justification inscrite dans le Code pénal. Qu'est-ce qui vous incite à croire que cette formule détruirait la symbolique de la protection de la vie ?
L'exclusion du Code pénal dont il est question aux Pays-Bas constitue-t-elle une meilleure formule et dans quelle mesure s'écarte-t-elle de la cause de justification ?
Ma troisième question concerne votre plaidoyer pour un contrôle a priori et la critique que vous avez faite de l'article 3 de la proposition de la majorité qui, selon vous, va trop loin. L'ajout du caractère terminal de la maladie ne rendra-t-il pas le contrôle a priori superflu et la consultation d'un deuxième médecin ne pourrait-elle pas suffire ? Le fait d'inscrire le caractère terminal de la maladie ne permet plus de tenir le délai nécessaire pour démarrer une formule par le biais du ministère public.
M. Maurice Adams. Plus la loi est large, plus le contrôle est nécessaire, c'est certain. Je préfère d'ailleurs le terme soutien à celui de contrôle a priori. Mais j'ai dit aussi que ce soutien préalable est nécessaire, non seulement parce que la proposition de loi est trop large, mais aussi parce que je conçois ce soutien en termes de soins palliatifs. Je trouve extrêmement important comme citoyen que les soins palliatifs soient développés et intégrés dans les soins de santé tout court, indépendamment de la question de l'euthanasie. Il ne faut pas venir avec les soins palliatifs quand quelqu'un demande l'euthanasie. C'est trop tard. À quoi bon dire à un patient en phase terminale qui demande l'euthanasie : « Nous avons encore les soins palliatifs à vous proposer. » Chacun sait que la demande d'euthanasie peut être inspirée par le manque de soins palliatifs. En tant que non-médecin, j'ai trouvé particulièrement éclairant le point de vue de la fédération pluraliste Palliatieve Zorg Vlaanderen et je vous en recommande la lecture.
L'état de détresse reste malheureusement un point délicat. J'ai seulement dit que cet état de détresse s'inscrit comme une situation exceptionnelle dans une certaine image de l'euthanasie. L'important pour moi en tant que citoyen c'est de savoir comment la loi se présente par le contenu. Quelles sont les conditions matérielles et formelles auxquelles l'euthanasie doit être possible ? Que l'on appelle ou non cela état de détresse n'a pas beaucoup d'importance, même s'il en émane une certaine symbolique.
En quoi cette valeur symbolique sera-t-elle perdue si nous inscrivons l'état de détresse dans la loi ? C'est une question de perception personnelle. Mais si la société maintient l'interdiction de l'euthanasie dans la loi pénale, elle fait savoir par-là que la vie prime. Cela permet que, dans certaines circonstances, on puisse juger que l'euthanasie doit encore être possible. Le droit peut adresser un signal à la société. Je trouve ce signal très important. Pour moi personnellement, cette symbolique sera perdue s'il est dit dans le Code pénal que l'euthanasie est autorisée à certaines conditions. J'ai l'impression que les médecins et pas seulement ceux d'une certaine tendance ne sont pas demandeurs. Pourquoi alors leur imposer quelque chose ?
La question de l'exception pénale, aux Pays-Bas, s'inscrit dans cette perspective. L'état de nécessité est une cause de justification. Cela signifie que l'on a affaire à un fait illicite mais que, une personne étant confrontée à un conflit de devoirs, elle peut choisir de placer l'un au-dessus de l'autre, ce qui a pour conséquence d'enlever au fait son caractère illicite. On dira donc qu'il n'a plus été commis de fait punissable. C'est la différence avec l'excuse absolutoire, où le fait punissable subsiste et où seule la personne est exonérée. À côté de cela, il y a encore l'exception pénale, qui consisterait à autoriser explicitement l'euthanasie dans le code.
Dans cette dernière option, les constructions destinées à réguler le particulier, comme l'état de nécessité (en tant que cause de justification) ou l'excuse absolutoire, ne sont plus nécessaires. C'est ce que l'on propose aujourd'hui aux Pays-Bas. Le débat n'y a toutefois pas encore été engagé. J'ignore ce que les politiciens néerlandais en pensent en ce moment. Il s'agit pour une part d'une discussion symbolique. Le mieux, sur ce point, est que vous consultiez les parlementaires néerlandais, les partisans comme les adversaires.
Il y a donc pas mal de confusion terminologique. L'état de nécessité est une cause de justification; ce qui n'est pas la même chose qu'une excuse absolutoire, parce que la première notion a trait au fait punissable et la seconde à la personne. Quant à l'exception pénale, elle ne concerne ni l'une ni l'autre : on peut tout simplement poser l'acte.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je poserai deux questions. Vous connaissez bien la situation hollandaise, vous avez explicité le règlement relatif aux commissions régionales. Ces commissions sont appelées à juger de la manière dont les actes d'euthanasie ont été réalisés. Comment cela se passe-t-il concrètement ? Comment contrôle-t-on, par exemple, si le patient a formulé sa demande librement, de façon mûrement réfléchie et constante ? Quel document le médecin transmet-il à cette commission ? Comment cette commission peut-elle juger de façon suffisamment claire de la manière dont la demande a été écoutée par le médecin (souffrances du patient, etc.) ? Le simple fait d'avoir consulté un second médecin suffit-il ? Pouvez-vous me donner des explications sur la façon dont ce contrôle se déroule concrètement et me dire sur quelle base (dossier médical ou autre document) ce contrôle est effectué ?
Deuxième élément. Vous avez dit que les médecins hollandais ont du mal à remplir ce type de documents. Ne pensez-vous pas que dans notre pays, les médecins auront culturellement encore beaucoup plus de mal à le faire ? Je pense que les Hollandais ont une vision des choses plus administrative. La mentalité chez nous est, me semble-t-il, profondément différente.
M. le président. Suggérez-vous que nous serions des inciviques ?
Mme Nathalie de T'Serclaes. Pas du tout, mais je pense que les papiers et les Belges, d'une manière générale, et les médecins en particulier, ne font guère bon ménage. Le professeur Adams en a parlé. Je pense que cela est encore plus difficile chez nous qu'en Hollande. Il faut tenir compte de cet élément culturel. C'est important. En effet, comme vous l'avez dit vous-même, on ne peut pas à la fois « ouvrir » la loi et ne pas effectuer de contrôle. Il faut aussi que ce contrôle soit sérieux et effectif.
Troisième élément. Vous avez évoqué la problématique du droit du patient et du Code de déontologie médicale. Pour ma part, j'estime qu'il s'agit d'éléments importants dans les relations patient-médecin. Dans le cadre d'une loi éventuelle, comment imaginez-vous que cela puisse être mieux codifié ? Aujourd'hui, il n'existe pas de loi sur le droit du patient. Des discussions sont certes menées à ce sujet mais cela n'est pas encore formalisé ou, du moins, les gens n'en ont pas le sentiment. Peut-on aller au-delà du Code de déontologie médicale et insérer une partie de ce code précisant les bonnes pratiques médicales en fin de vie, dans un arrêté royal ou une loi sur l'art de guérir, qui pourrait d'ailleurs être modifié pour parler de l'art de soigner, ce qui aurait le mérite d'ouvrir des perspectives nouvelles ?
M. Maurice Adams. Les commissions régionales néerlandaises de contrôle utilisent un document spécifique, un questionnaire. Le contenu de ce questionnaire est fixé par mesure administrative générale, un arrêté royal. Il s'agit d'une réglementation ministérielle qui a été approuvée par l'équipe gouvernementale. Le contenu du questionnaire figure en annexe de cette mesure administrative générale. Il s'agit de questions relatives à l'historique de la maladie, à son déroulement, à la manière dont la consultation avec le second médecin s'est déroulée, etc.
Quelle garantie a-t-on qu'il y a bel et bien demande de la part du patient ? Une des conditions pour pouvoir procéder à l'euthanasie est la consultation d'un second médecin, ce qu'exige également la proposition belge de la majorité. Il est prévu une procédure de consultation dans laquelle apparaît, notamment, cet élément. Il existe des garanties comme quoi il y a bel et bien eu demande du patient; si tel n'est pas le cas, il ne s'agit pas d'euthanasie, mais de meurtre. Le dossier médical est inclus dans ce document aux fins d'un contrôle. Pour autant que je sache, ce document est pour l'instant adéquat; il remplit le rôle qu'il doit remplir.
J'en viens maintenant à la question très intéressante concernant la dimension culturelle. Mon épouse est un médecin ayant reçu sa formation en Belgique. J'ai donc des contacts avec des médecins, naturellement aussi en raison de ma recherche. Votre remarque est très pertinente. Les Pays-Bas sont une société plus libérale au sens politico-philosophique du terme. La Belgique ne l'est encore malgré tout que dans une moindre mesure. On rencontre aussi chez les médecins un réflexe de réserve. Je présume que votre crainte est donc justifiée. Je ne puis le prouver, car je n'ai pas étudié la question. Je ne suis pas sociologue, mais juriste. Je présume pourtant que la déclaration d'euthanasie serait plus difficile encore en Belgique, notamment parce que ces dernières années, le ministère public et les juridictions ne sont pas toujours apparus sous un jour positif. Un autre élément est qu'ici, les médecins ne procèdent pas aussi rapidement à l'euthanasie qu'aux Pays-Bas. Je ne dis pas que les commissions régionales de contrôle soient la solution, mais si l'on retient la déclaration immédiate au procureur du Roi, la loi sera une mesure pour rien. J'en ai la conviction. La situation aux Pays-Bas, où se pratique l'euthanasie déjà depuis plus de vingt ans, l'a démontré.
Les droits du patient sont extrêmement importants. Ils doivent être garantis; il n'y a aucun doute à ce sujet. Ce qu'il ne faut pas inclure dans la loi sur l'euthanasie, c'est une procédure extensive de déclaration pour toutes les décisions médicales relatives à la fin de la vie, y compris aux traitements médicaux normaux. Ce que l'on peut par contre faire figurer dans une loi, ce sont les droits des patients. Comment le faire exactement, je n'ai pas encore pour l'instant d'idée bien spécifique à ce sujet. Je ne me prononcerai pas pour l'instant sur le point de savoir s'il faut laisser aux médecins le soin de réglementer la question eux-mêmes, s'il faut imposer une déontologie ou s'il faut inscrire les droits des patients dans une loi formelle et distincte, mais la question doit être réglée. Une procédure de déclaration pour toutes les décisions médicales relatives à la fin de la vie, avec toute la bureaucratie que cela suppose, rendrait la situation tout à fait problématique. Mais les droits des patients doivent être réglés, et ce avant que l'on n'adopte une législation sur l'euthanasie. Sans quoi, nous aurons une loi dans laquelle les droits des patients ne seront pas réglés. J'ai lu avec plaisir la semaine dernière dans la presse que les médecins s'étaient à présent penchés eux-mêmes sur les droits des patients dans le cadre de leur déontologie. Je n'ai pas encore pu étudier la question en détail mais c'est en tout cas une démarche positive. Sur la manière dont il faut régler concrètement les droits des patients, les experts en droit médical, qui sont un certain nombre en Belgique, pourraient dire à ce sujet beaucoup de choses intéressantes, et sans doute même beaucoup plus intéressantes que moi-même.
Mme Clotilde Nyssens. Vous avez dit dans votre exposé que le domaine de l'art de guérir n'était peut-être pas le meilleur lieu pour réglementer la matière qui nous occupe. Vous avez posé la question de savoir si l'euthanasie était une forme de traitement. S'il y a euthanasie, elle est évidemment pratiquée par un médecin. Peut-on imaginer de traiter une matière comme l'euthanasie en considérant qu'elle ne fait pas partie de l'art de guérir ou de l'art de soigner ?
Si on devait en venir à une réglementation particulière qui n'a rien à voir avec l'art de soigner ou l'art de guérir, n'entrerait-on pas inévitablement en conflit avec les médecins et leur déontologie ? On connaît bien le code de déontologie et on connaît le chapitre sur la vie finissante. J'ai été étonnée quand vous avez dit que l'euthanasie, en fait, ne se situait peut-être pas tout à fait dans le domaine de l'art de guérir et de soigner. Maintenant, on parle peut-être de tout autre chose, mais il ne faut pas oublier que c'est le médecin qui va pratiquer un acte.
En droit pénal, vous avez rappelé les différentes possibilités de dépénalisation. Nous n'entendrons pas l'avis du Comité bioéthique français, mais nous pouvons y faire allusion. Le Comité bioéthique français réfléchit à la piste d'une exception d'euthanasie, non pas dans le Code pénal, mais via la procédure pénale. On est donc en dehors d'une incrimination ou d'une dépénalisation et d'une cause de justification et on serait uniquement dans un contrôle a posteriori, dans une appréciation sur la base de circonstances exceptionnelles. Le texte dit qu'il ne sera pas tellement attentif au problème de la culpabilité, ou non, du médecin, mais à la question de savoir quels étaient les mobiles qui l'animaient. Est-il possible d'envisager une piste en procédure pénale qui relève alors plutôt de l'appréciation par les autorités judiciaires, en faisant fi du Code pénal ou en n'y touchant pas ? C'est vraiment une piste originale que j'ai du mal à comprendre mais le législateur peut tout faire. Et puisque le Comité bioéthique français recommande de faire une loi, y aurait-il une direction intéressante qui ressemblerait quand même à ce qui se fait en Hollande ?
M. Maurice Adams. Il est important que vous fassiez cette demande d'éclaircissements. J'ai dit que l'arrêté royal 78 me paraissait peu approprié, non parce que l'euthanasie ne serait pas un acte médical, mais parce qu'elle n'est pas un acte médical ordinaire. L'euthanasie est bel et bien un acte médical et elle doit par conséquent aussi être pratiquée par des médecins. J'ai lu avec intérêt les rapports sur l'internet et j'ai constaté avec étonnement qu'au début les médecins disaient que ce n'était pas un acte médical et qu'ils ne savaient donc pas qui devait l'accomplir. C'est naturellement inacceptable et j'ai trouvé cette déclaration peu constructive. L'euthanasie est un acte médical, mais pas un acte médical ordinaire, et c'est pourquoi l'arrêté royal 78 n'est pas vraiment indiqué. Cependant, si la régulation de l'euthanasie devait y être insérée, je n'en concevrais pas une inquiétude particulière. Il est évident que l'euthanasie doit être pratiquée par un médecin. Il est le seul à pouvoir le faire d'une manière convenable. À l'occasion des discussions actuelles, on voit se développer dans la presse tout un débat d'où il ressort que l'acte euthanasique ne se passe pas toujours de manière adéquate du point de vue médical. Cela conduit à des situations très gênantes, ce que nous devons naturellement éviter. Une telle chose est inadmissible.
J'étudie pour l'instant l'avis du comité bioéthique français. Je peux dire en première approche que c'est en tout cas un avis très intéressant. Pouvons-nous régler l'euthanasie par le biais de la procédure pénale ? Aux Pays-Bas, c'est en réalité de cette manière que les choses se sont plus ou moins passées jusqu'ici. On s'est borné à prescrire une obligation de déclaration dans la loi sur les sépultures et c'est à nouveau la jurisprudence qui a dégagé les critères matériels et formels de prudence à respecter. Il est toutefois impensable, en Belgique, de se borner à définir une procédure, car le législateur devra quand même définir les conditions matérielles et formelles, en l'absence de toute jurisprudence. Aux Pays-Bas, il était possible de s'en tenir à une procédure, parce que, précisément, les conditions formelles et matérielles étaient déjà connues au travers de la jurisprudence. Lorsque ce n'est pas le cas, le législateur doit prendre ses responsabilités.
D'autre part, je devrais encore étudier la jurisprudence française et c'est quelque chose qui se fait très peu dans la littérature spécialisée.
Mme Jacinta De Roeck. Ma question se rattache à un point qui a déjà été évoqué. Pourquoi fait-on aujourd'hui, aux Pays-Bas, l'exercice de réflexion sur la dépénalisation ? Ils ont pourtant l'expérience du problème et doivent donc aussi avoir une raison pour aller dans cette direction. Qu'est-ce que la dépénalisation changerait selon vous sur le plan de la déclaration et de la sécurité juridique pour le médecin et le patient ?
M. Maurice Adams. Pourquoi des propositions sont-elles faites aujourd'hui aux Pays-Bas qui vont dans le sens de la dépénalisation ? Au lendemain des dernières élections, on a opté clairement pour une coalition mauve. Un des partis de la coalition, le D66, avait subi un sérieux revers à ces élections. Or, c'est le D66 qui a présenté cette proposition de loi. Vous avez posé une question politique; j'y apporterai donc aussi une réponse politique. Cette réponse est ce qu'elle est; vous n'êtes pas obligé d'être d'accord avec moi là-dessus. Je ne prétends d'ailleurs à aucune autre compétence en ce domaine que celle d'un citoyen intéressé. Le VVD, le plus grand parti libéral, et le PvdA socialiste n'étaient demandeurs ni l'un ni l'autre. Seul le D66 soutenait cette proposition. J'ai donc l'impression qu'elle a servi de monnaie d'échange pour faire entrer dans la coalition un D66 hésitant. Dans l'accord politique, le gouvernement a fait sienne cette proposition de loi après y avoir apporté quelques changements mineurs. Au départ, il s'agissait d'une initiative d'un parlementaire, M. Van Boxtel, si je me souviens bien, devenu entre-temps ministre de la Politique des grandes villes. L'initiative parlementaire est donc devenue projet gouvernemental. Cela est naturellement possible dans les accords qui se prennent au cours de la formation d'un gouvernement.
Quelle différence cela fait-il pour la déclaration ?
D'après moi, aucune. S'il y a une leçon qu'on peut tirer de la situation aux Pays-Bas, c'est que cela ne change tout simplement rien que l'autorisation de pratiquer l'euthanasie soit désormais inscrite ou non dans le Code pénal. Ce qui compte, c'est le halo répressif qui entoure la déclaration. Ça, c'est autre chose. En langage juridique, on dit parfois qu'il faut décriminaliser l'acte euthanasique, et ce n'est pas la même chose que de le dépénaliser. Décriminaliser, c'est faire disparaître ce halo répressif qui entoure le médecin. Les commissions régionales de contrôle ont donc précisément été conçues pour servir de tampon entre le médecin et le ministère public. Ces commissions sont destinées à servir de tampon et rien de plus. On a dit tout à l'heure que le ministère public ne pouvait contrôler que le droit en la matière. C'est exact, mais dans la commission régionale de contrôle, il y a précisément pour cela aussi un juriste, afin de contrôler ces aspects juridiques, tandis que le médecin ne peut contrôler que les aspects médicaux et la qualité de l'acte euthanasique. Et cela, un procureur du Roi ne peut le faire en aucun cas, ce qui est selon moi un argument supplémentaire pour placer ce tampon entre le médecin et le ministère public.
Mme Jacinta De Roeck. Quelle conséquence cela a-t-il en ce qui concerne la sécurité juridique du médecin ?
M. Maurice Adams. L'insécurité juridique que ressent le médecin se situe dans la sphère pénale, indépendamment de la question de savoir où les dispositions relatives à l'euthanasie sont insérées : dans le Code pénal lui-même, dans une autre loi, dans l'arrêté royal nº 78 ou dans une proposition de loi distincte. Cela doit se faire en tout cas dans une loi au sens formel. Mais la discussion ne porte pas sur la sécurité juridique par rapport au point de savoir si l'on fait intervenir ou non le Code pénal lui-même. Ce qui est concerné, c'est ce halo « criminel » qui enveloppe la question.
M. Jan Denecker. Le président m'a demandé ce qu'est le Algemene Farmaceutische Bond. Il s'agit en fait de l'association professionnelle des pharmaciens indépendants des officines publiques. Elle représente 80 % des pharmaciens indépendants. Elle est structurée au niveau fédéral et selon des principes démocratiques. Les pharmacies des mutuelles représentent les 20 % restants des pharmaciens.
Je vous remercie de m'avoir invité. Cela me donne l'occasion de vous exposer le point de vue des pharmaciens des officines publiques.
Le débat sur l'euthanasie qui a lieu au sein de la commission du Sénat s'achèvera sous peu. Je présume que ses membres sont également en proie à une certaine fatigue au terme de toutes les discussions qui ont eu lieu en son sein au sujet de la justification éthique de l'euthanasie, des diverses formes possibles d'euthanasie, de l'euthanasie a priori et a posteriori, de la légalisation ou de la dépénalisation éventuelle de l'euthanasie, de la demande de soins palliatifs de qualité toujours meilleure et de nature à entraîner une diminution du nombre de demandes d'euthanasie, de la question de la mort « digne », « non traumatisante », face à l'acharnement médical, du principe de prévoyance et de prudence, etc.
Je n'en dirai pas plus à propos de la discussion quant au fond, car elle a déjà été menée en détail, mais j'aimerais aborder quelques problèmes que rencontre le pharmacien pour ce qui est de la pratique de l'euthanasie. Ces problèmes requièrent une solution dont nous aimerions qu'il soit question dans le cadre de la prise de décision. Nous estimons pouvoir et devoir formuler des propositions concrètes autour du chapitre « Principes de prévoyance et de prudence ». Nous espérons que ces propositions pourront également faciliter la prise de décision.
Je note tout d'abord que le pharmacien est associé, non pas directement, mais indirectement, à l'euthanasie, dès le moment où il exécute une prescription d'un médecin comportant une demande ou un ordre de préparation et de délivrance.
Le premier point concerne le droit de refuser, pour des raisons morales ou philosophiques, de délivrer une substance euthanasique et la question directement liée à celui-ci de la sécurité juridique assurant l'impunité à celui qui fournit une aide indirecte à l'euthanasie.
Notre législation en matière pharmaceutique ne répond pas à cette condition essentielle. Il apparaît au contraire, quand on examine les textes, que la délivrance d'une substance euthanasique peut être assimilée à une aide volontaire ou involontaire à la perpétration d'un homicide. Je m'explique.
Le code déontologique des pharmaciens prévoit, dans le cadre de la communication nº 39, que le pharmacien ne peut refuser de préparer et/ou de délivrer un médicament même lorsqu'il est prescrit par un médecin que dans l'intérêt de la santé du patient, c'est-à-dire lorsque sa santé est menacée. Les mots « ne peut refuser » et « l'intérêt de la santé » sont importants.
La vie du patient est en danger dès le moment où on le soumet à un traitement euthanasique, puisque l'objectif est la mort ou l'écourtement de la fin de vie. La santé du patient est également réellement en danger dès le moment où le médecin qui ordonne le traitement ou celui qui l'exécute décide de pratiquer l'euthanasie active ou passive. Dans ce cas, la santé et la qualité de la santé, ou l'intérêt de la santé du patient ne sont plus des priorités. Le médecin peut agir dans l'intérêt tant de la santé que du bien-être du patient.
À mon avis, la notion de « bien-être » est plutôt liée à celle de « se sentir mieux », tandis que la notion de « santé » correspond à celle « d'être bien ou mieux ». Le pharmacien ne peut donc fonder son refus que sur l'intérêt de la santé du patient et seulement dans une moindre mesure sur l'intérêt de son bien-être.
Doit-il également opposer un refus en cas d'euthanasie ? Nous estimons que oui, étant donné que ce n'est pas uniquement la santé du patient qui est en danger, mais aussi sa vie même. Selon la législation en vigueur, le pharmacien doit donc refuser de délivrer une substance euthanasique dès le moment où il soupçonne qu'il existe une volonté d'euthanasie.
À cela s'ajoute que, selon la loi de 1885, le pharmacien ne peut pas déléguer sa responsabilité à des tiers. Il ne peut dès lors pas faire référence à une décision fondée ou non du médecin ni se cacher derrière une telle décision. Du point de vue pénal, cela signifie que le pharmacien qui délivre une substance euthanasique est censé fournir sa collaboration à un homicide volontaire ou involontaire, suivant qu'il existe une preuve ou une présomption d'euthanasie.
La législation actuelle nous paraît donc être pour le moins imprécise, voire contraire à la conception que l'on se fait de l'euthanasie. De là, notre demande d'éclaircissement et d'adaptation.
Nous avons dès lors proposé :
Premièrement, de sortir l'euthanasie du Code pénal. Par analogie avec le texte du projet de loi existant, l'on pourrait proposer par exemple le texte suivant : « N'est pas non plus considérée comme un crime ou un délit, la préparation et/ou la délivrance, par un pharmacien, tenancier d'officine, de médicaments prescrits par un médecin, pour autant que les conditions définies par la loi sur l'euthanasie soient respectées. »
Deuxièmement, d'inscrire dans la loi le droit du pharmacien de refuser de préparer et/ou de délivrer une substance euthanasique. Tous les prestateurs de soins peuvent invoquer des considérations d'ordre moral et philosophiques, qu'ils soient médecins exécutant un traitement, pharmaciens coopérants ou infirmiers coopérants.
Troisièmement, d'adapter le code déontologique des pharmaciens et, plus particulièrement, la communication nº 39, de manière que le pharmacien puisse en tout cas délivrer une substance euthanasique sans porter atteinte à l'objet fondamental de cette communication, qui est de parvenir à une amélioration de la santé du patient.
Quatrièmement, le médecin euthanasiant ou le médecin qui opte pour une amélioration qualitative de la fin de vie de son patient ou euthanasie passive doit clairement faire connaître ses intentions dans la prescription. Il s'agit en l'occurrence en fin de compte d'une décision touchant à la vie ou à la mort, au principe en droit naturel du « droit à la vie » et du droit de décider soi-même « de ne pas vivre » et, dans la foulée, au principe du « tu ne tueras point » avec toutes les conséquences pénales qui peuvent en découler et à la « requête » d'assistance dans le cadre de l'exécution des dernières volontés, sans risque qu'il y ait des conséquences pénales. Je reviendrai plus amplement sur ce dernier point dans le cadre des principes de prudence.
Un deuxième point sur lequel je voudrais attirer votre attention est l'accessibilité à l'euthanasie dans les soins palliatifs à domicile.
Le vieillissement croissant de la population entraîne aussi une augmentation de la demande de soins à domicile, de soins palliatifs à domicile, d'une mort « digne » à domicile. Il faut par conséquent veiller à ce que l'euthanasie et les soins palliatifs soient étroitement liés. Afin d'éviter la demande d'euthanasie, il est indispensable qu'il y ait aussi, dans les soins à domicile, un contrôle de la douleur et des symptômes. Le fait que le médecin et le pharmacien collaborent, qu'ils se concertent à propos du choix du produit enthanasiant ne peut être que bénéfique pour le patient qui souffre. Les médecins et les pharmaciens doivent remplir conjointement un formulaire relatif aux euthanasiants. Nous avons cité en exemple le formulaire des pharmaciens néerlandais « Toepassing en bereiding van euthanatica » de l'année 1998 dans lequel étaient formulées les directives généralement acceptées. Il y a aussi le document intitulé « Verantwoorde euthanasie. Een handleiding voor artsen » établi par le docteur Admiraal. Le pharmacien remplit un rôle de soutien important à l'égard de la famille du patient. Il se mettra en permanence à la disposition du patient et de sa famille au cours de la pénible phase de la fin de vie. Il joue souvent un rôle actif dans le processus d'acceptation de l'approche de la mort.
Il sait souvent de bonne heure que le patient souffre d'une maladie mortelle et que sa fin est proche.
Nous essayons que la quasi-totalité des médicaments euthanasiants soient disponibles tout autant dans les pharmacies publiques que dans les officines hospitalières et soient également accessibles au médecin exécutant. Le médecin traitant ne doit en tout cas avoir aucune difficulté à se procurer un euthanasiant sous peine de le voir faire admettre son patient dans un hôpital « par facilité ». Je tiens à faire remarquer à cet égard qu'une enquête a révélé que 75 % des personnes souhaitent mourir à domicile. La pratique nous apprend toutefois que 75 % des personnes ne meurent pas chez elles. Il y a à cela plusieurs raisons comme l'acharnement thérapeutique, des considérations de facilité, des considérations sociales et familiales. Il y a donc une grande différence entre ce que souhaite le patient et la réalité.
Il est évident que certaines spécialités qui entrent en ligne de compte pour l'euthanasie devront être conservées dans des conditions très strictes. Notre autorité compétente, l'inspection pharmaceutique, se doit d'élaborer des directives sous la responsabilité du ministre de la Santé.
Nous assimilons les euthanasiants à des analgésiques auxquels s'appliquent des dispositions très strictes en matière de commande, de conservation, de prescription et de livraison.
Nous supposons qu'en règle générale, on sera enclin, dans le secteur des soins à domicile beaucoup plus qu'en milieu hospitalier, à pratiquer une forme plus active d'euthanasie, en appliquant la technique du coma provoqué à l'aide de barbituriques ou de tranquillisants à action rapide, suivi d'une injection de médicaments à base de curare entraînant un arrêt des fonctions respiratoires et circulatoires. Le secteur des soins à domicile ne dispose pas, pour l'heure, des mêmes moyens techniques et de personnel que ceux dont disposent les hôpitaux pour pouvoir améliorer qualitativement la fin de vie, et assurer une mort progressive et sans souffrance.
Nous plaidons pour que soient débloqués des moyens financiers supplémentaires. Cela relève en fin de compte de la compétence du parlement.
Un troisième point d'attention est le principe de prudence, dont il a déjà beaucoup été question, et en particulier la procédure réglant la prescription.
Plusieurs dispositions doivent être imposées par voie légale.
Premièrement, le médecin exécutant doit établir une prescription complète. Cela signifie que devront y figurer le nom complet du médicament, son dosage et son conditionnement, la signature et, de manière lisible, la date, les nom et adresse du médecin et du patient.
Deuxièmement, le médecin exécutant ou décidant doit mentionner sur la prescription initiale qu'il s'agit d'un médicament qui est prescrit et fourni dans le cadre de la loi sur l'euthanasie. On peut aussi décider plus spécifiquement que le médecin exécutant ou responsable doive mentionner le type de fin de vie qu'il vise : une euthanasie active ou une euthanasie passive.
Troisièmement, en cas d'euthanasie active, le médecin exécutant doit retirer personnellement l'euthanasiant auprès du pharmacien et ne peut donner à personne mandat ni procuration pour le faire à sa place.
Quatrièmement, le médecin exécutant doit assurer la surveillance de l'euthanasiant entre le moment ou celui-ci est livré et celui où il est administré.
Cinquièmement, le médecin exécutant doit remettre le surplus d'euthanasiant au pharmacien pour qu'il soit détruit. Il convient à cet égard de faire remarquer que quelques dispositions doivent éventuellement être ajoutées à la législation relative à la dose d'absorption maximale et à la dose journalière maximale étant donné que les euthanasiants sont toujours un surdosage d'un médicament déterminé.
Pourquoi ces conditions de prudence ? En renvoyant de la sorte à la loi sur l'euthanasie, le médecin exécutant fait part de son intention de pratiquer l'euthanasie, indique comment il souhaite s'y prendre et fait savoir qu'il connaît et respecte la législation en vigueur. Une telle disposition garantit la légalité de son acte. La prescription est un document important du point de vue juridique.
En outre, le pharmacien est légalement tenu de conserver toutes les prescriptions pendant au moins dix ans. Des conditions supplémentaires en matière de conservation peuvent en outre être requises.
Enfin, on évite, en agissant de la sorte, que des prescriptions égarées ou volées soient utilisées par des personnes non qualifiées ou des tiers, comme des infirmiers ou des parents, et que ces personnes se procurent des euthanasiants de manière illégale.
Voilà brièvement ce que je tenais à dire à propos du débat sur l'euthanasie. C'est un appel à la clarté, aux précisions et à la sécurité juridique. J'ai aussi formulé une proposition tendant à prévenir les abus par l'application de critères de prudence et à protéger tant le patient que celui qui pratique l'euthanasie ou y participe.
Personnellement, j'estime que l'euthanasie doit être dépénalisée. Cette opinion est justifiée par le désir clair du patient de mourir dans la dignité sans souffrir ni s'avilir. Il faut veiller à donner au patient les garanties morales que tous ceux qui seront concernés par la fin de sa vie ne risqueront pas d'être poursuivis pénalement pour autant qu'ils aient respecté toutes les conditions de prudence. Cela me semble être une condition sine qua non à une fin de vie digne et paisible pour le patient. Le patient a droit à ces garanties.
D'une manière plus générale et au nom des pharmaciens d'officines publiques, je tiens à souligner qu'il faut élaborer une réglementation en matière d'euthanasie en concertation avec tous les interlocuteurs concernés. L'opinion d'un seul groupe professionnel ne peut pas décider de tout. On doit trouver un cadre juridique dans lequel chaque prestataire de soins peut assumer sa responsabilité dans le respect de la vision de chacun en matière d'assistance dans le cadre de l'euthanasie. L'euthanasie doit être dépénalisée afin de créer la clarté pour la patient et de garantir la sécurité juridique pour les pharmaciens qui y apportent leur concours. À cet égard, nous n'avons absolument pas l'intention de nous substituer aux autres prestataires de soins.
M. Philippe Monfils. Je remercie M. Denecker de nous avoir donné son sentiment. Vous avez quelques inquiétudes, monsieur Denecker, sur la manière dont la collaboration du pharmacien serait demandée en cas d'euthanasie. Or, depuis des mois et depuis 42 auditions à l'évidence, des euthanasies sont pratiquées en Belgique, au nord comme au sud et au centre du pays. Pour cela, on recourt naturellement aux pharmaciens, puisque des produits pharmaceutiques sont nécessaires. Dès lors, comment se fait-il que, jusqu'à présent, l'Ordre des pharmaciens ou une autre organisation ne se soit pas inquiété(e) de la demande de produits « euthanasiants » qui, inévitablement, a été faite, soit en milieu hospitalier, soit dans les officines privées ?
Même au niveau des services palliatifs, personne ne nie que des actes d'euthanasie sont pratiqués; certains disent d'ailleurs qu'ils ne sont pas toujours demandés, mais ne revenons pas sur un débat que nous avons eu. Les euthanasies sont pratiquées par des cocktails lytiques, des injections ou d'autres moyens encore. Pourquoi les pharmaciens ne s'en sont-ils pas émus, du moins pas avant le dépôt de cette proposition de loi qui pose fondamentalement le problème de l'euthanasie ?
Vous parlez de la garantie d'éviter des prescriptions perdues. Mais, actuellement, n'y a-t-il pas des risques de prescriptions perdues en ce qui concerne non seulement les produits destinés à l'euthanasie mais également d'autres produits, comme les drogues par exemple ?
J'en viens à ma deuxième question. Je comprends bien que vous vouliez vous prémunir contre une obligation de répondre à une demande médicale. J'estime en effet normal, sous réserve de réflexion, que le pharmacien aussi ait la possibilité de dire non. C'est d'ailleurs le cas actuellement : lors du fameux débat sur les pilules, des pharmaciens ont refusé de les délivrer. Il s'agit de la liberté de conscience. De même, je ne sais pas ce qui se passerait en ce qui concerne la distribution des pilules abortives. Un débat aura certainement lieu sur ce sujet : tous les pharmaciens vont-ils accepter la prescription d'un médecin pour la pilule abortive qui remplace l'acte chirurgical de l'avortement ? Il est normal que vous soyez libres sur la participation à une oeuvre d'euthanasie. Mais ne rencontre-t-on pas ce problème de conscience depuis longtemps chez les pharmaciens dans d'autres secteurs ? Personnellement, je n'ai pas d'objection à préciser clairement dans un texte la liberté de conscience du pharmacien dans ce domaine comme dans d'autres.
Ma troisième question est la suivante. Le médecin doit évidemment préciser le produit, le dosage, etc. Je suis d'accord quand il vous explique clairement la chose, mais on a entendu je ne suis pas médecin, je suis juriste un certain nombre de personnes auditionnées nous dire par exemple : « on augmente la dose de morphine, c'est la sédation contrôlée, puis, à un moment donné, le patient meurt; c'est en fait ce que l'on voulait parce qu'on a augmenté doucement ... ». Dans ce cadre qui pour nous est manifestement celui de l'euthanasie le pharmacien va-t-il pouvoir demander que l'on dise clairement qu'il s'agit d'une euthanasie ? Depuis dix ou quinze ans, que faites-vous lorsque vous recevez une prescription de morphine ? Ce produit n'est pas uniquement destiné à endormir une personne en fin de vie mais aussi à soulager des personnes qui souffrent. On également parlé de corticoïdes qui étaient administrés et, par la suite, supprimés; si j'ai bonne mémoire, M. Mahoux a précisé que l'arrêt des corticoïdes entraînait la mort du patient. Toute une série de cas de ce genre nous ont été expliqués, dans lesquels, manifestement, le pharmacien pourrait obtenir des garanties s'il y avait une indication légale.
Ces questions étaient importantes avant puisque l'on pratiquait des euthanasies; elles le sont toujours, dans d'autres secteurs. Je crains qu'un carcan trop légal imposant une sorte de collaboration entre le médecin et le pharmacien aboutisse à l'inverse de ce que certains veulent.
Une loi existe. Vous devez être à l'abri de poursuites si vous exécutez la loi, évidemment. Il est possible que le code de déontologie doive évoluer si une loi ne vous donne pas toutes les garanties. Mais, au-delà, je m'interroge sur un certain nombre de points.
M. Jan Denecker. Je ne peux pas répondre sur ce qu'il est advenu dans le passé, pour la simple raison que nous n'avons pas connaissance de cas d'euthanasie. Ces cas ne nous sont jamais signalés. Tout se passe dans la zone grise, comme autrefois pour l'avortement. Il n'y a donc pas la moindre garantie en ce qui concerne la qualité de l'euthanasie. Est-ce que l'administration permanente de dérivés de la morphine est la meilleure méthode sur le plan qualitatif ? N'y a-t-il pas d'autres moyens ? Je ne peux donc pas répondre à la question de savoir comment on faisait dans le passé. Je suppose que mon collègue des pharmaciens d'hôpital répondra dans le même sens. Tout se déroule actuellement dans la zone grise, vraisemblablement pour des raisons juridiques, afin de ne pas risquer des poursuites.
M. le président. D'où proviennent les produits, alors ?
M. Jan Denecker. Je l'ignore, sauf en ce qui concerne la morphine. L'euthanasie dans les soins à domicile est probablement pratiquée à l'aide de produits à base de morphine. À ce jour, je n'ai pas encore vu d'autres produits que les préparations à base de morphine.
M. Philippe Monfils. Quels sont les produits généralement utilisés ? Nous n'avons aucune idée à cet égard. On a parlé d'un mélange de valium, de morphine, etc. Mais, fondamentalement, si vraiment l'euthanasie était reconnue dans le cadre des débats menés ici ...
M. Jan Denecker. Tout dépend du type d'euthanasie qui est pratiqué. Pour les patients atteints du cancer, on va utiliser une dose de morphine de plus en plus forte. Toutefois, ce n'est pas toujours la solution la plus confortable pour pratiquer l'euthanasie sur un patient atteint du cancer. La personne en question est tellement accoutumée à la morphine qu'elle ne réagit plus très bien au produit. La morphine peut cependant être utilisée pour une personne qui n'en prend pas. La forme d'euthanasie la plus active consiste à administrer un anti-émétique suivi par un produit calmant, comme des barbituriques à action rapide, de manière à provoquer un coma. L'administration de ces substances peut se faire par voie intraveineuse et par voie orale. Ensuite, on administre un produit à base de curare qui provoque un relâchement très rapide des muscles latéraux, entraînant un arrêt de la respiration et du coeur. Pour le patient, c'est très acceptable. Dans un hôpital, la situation est différente et l'euthanasie y est passive, lente et induite. C'est une technique totalement différente. Je ne crois pas qu'elle soit appliquée dans le cadre des soins à domicile, car les moyens techniques et humains nécessaires font défaut. Si l'euthanasie est appliquée dans les soins à domicile, c'est probablement à l'aide de dérivés de la morphine ce qui, dans le cas de patients atteints du cancer je le répète n'est pas toujours la meilleure solution. Il y a d'autres possibilités qui sont très bien décrites dans un formulaire néerlandais. Aux Pays-Bas, l'euthanasie est examinée en concertation avec le médecin et le pharmacien qui, en fonction de l'état du patient, cherchent ensemble la meilleure solution.
Pour ce qui est du cadre juridique, je reconnais que ce que je propose est calqué sur le système néerlandais, avec quelques adaptations. Le système néerlandais prévoit neuf critères de prudence qui sont universellement admis. On fait des sondages anonymes. On demande aux médecins et aux pharmaciens comment ils procèdent. Ces personnes peuvent alors envoyer les réponses anonymement. Après quelques années, on a obtenu ainsi un aperçu de la manière dont l'euthanasie est appliquée, ce qui permet d'adapter les formulaires en conséquence et partant, d'améliorer constamment la qualité de l'euthanasie. Aux Pays-Bas, cela fait alors l'objet d'un débat dans un cadre juridique donné. Le tout crée une sécurité juridique.
M. le président. Que faites-vous lorsqu'on vous adresse une demande pour du curare ?
M. Jan Denecker. Nous n'avons pas ce produit. C'est pourquoi je demande de pouvoir disposer des mêmes produits qui sont utilisés dans les hôpitaux. C'est aussi la raison pour laquelle je crois que dans les soins à domicile, on travaille exclusivement avec des préparations de morphine, à moins que le médecin aille chercher les produits au curare dans un hôpital.
Mme Jeannine Leduc. Les médecins généralistes ont dit devant la commission que pendant les week-ends, ils éprouvaient des difficultés parce que ils ne pouvaient pas obtenir des officines ordinaires les médicaments dont ils avaient besoin. Est-ce exact ?
M. Jan Denecker. C'est exact. Ces produits ne se trouvent pas couramment dans le commerce et nous ne pouvons pas les obtenir. Ils sont réservés exclusivement aux hôpitaux. La législation ne permet pas que des médicaments spécifiques de ce type soient présents dans une officine publique. D'où ma demande en vue de permettre que l'on puisse se procurer ces produits également dans les officines publiques, moyennant des conditions de conservation stricte.
M. Alain Destexhe. Aujourd'hui, si un médecin généraliste prescrit de la morphine à doses létales, le pharmacien peut-il et doit-il délivrer le produit, peut-il ou doit-il refuser ?
M. Jan Denecker. Il peut toujours refuser si la santé du patient est en danger.
M. Alain Destexhe. Il peut ou il doit ?
M. Jan Denecker. La législation le lui permet, mais elle n'est pas complète. À partir du moment où nous savons que ces préparations de morphine servent à induire une euthanasie, nous sommes associés indirectement à un homicide involontaire. C'est précisément le problème. On augmente sans cesse la quantité de morphine, mais nous ne savons jamais exactement si cela va servir pour une euthanasie.
Pour nous, la législation est tout sauf claire. Si l'on devait en adopter une nouvelle, il faudrait qu'elle clarifie la situation pour les pharmaciens.
M. Philippe Monfils. Les pharmaciens sont donc complices, depuis dix ans, des euthanasies qui se pratiquent. D'où nécessité, éventuellement, de prendre des mesures en vue de régler le problème, si je vous suis bien.
M. Jan Denecker. Nous sommes demandeurs pour une adaptation de la législation.
M. le président. Quand vous dites « complice », M. Monfils, cela ne correspond pas tout fait à ce que l'on nous a expliqué. Si j'ai bien compris, les pharmaciens reçoivent une ordonnance pour des doses de morphine qui peuvent éventuellement servir à une euthanasie mais qui, si elles sont administrées sur un laps de temps plus long, ne doivent pas forcément conduire à la mort.
M. Philippe Monfils. Mais s'ils le savent ?
M. le président. S'ils le savent, c'est autre chose.
M. Philippe Monfils. Ils savent que la prescription est pour un de leurs clients. Ils doivent quand même se rendre compte qu'une pareille dose est létale.
M. le président. En principe, ils ne le savent pas.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Aujourd'hui, des médecins donnent des soins palliatifs à domicile. Ils utilisent de la morphine. Cela pose-t-il problème ?
M. Jan Denecker. Pas à l'heure actuelle en ce qui concerne les modes d'administration orale, rectale et par injection. Il y a un problème en ce qui concerne les pompes à morphine. La responsabilité du pharmacien n'est pas en cause lorsque cette pompe sert à des fins purement palliatives, parce qu'il n'est alors pas question d'euthanasie. À un moment donné cependant, la dose de morphine qui sera administrée sera telle qu'elle pourra mener à l'euthanasie et nous n'en sommes jamais informés.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous venez exposer devant nous le point de vue des pharmaciens qui travaillent dans des officines publiques. Quel est votre point de vue personnel et quel est le point de vue de votre association, comment êtes-vous parvenu à ce point de vue ?
M. Jan Denecker. En fait, j'ai également formulé mon point de vue personnel. Peut-être pensez-vous maintenant que le deuxième point de vue, formulé au nom des pharmaciens, traduit mon point de vue personnel, mais tel n'est pas le cas. Ce point de vue s'est concrétisé au cours de réunions, qui se sont notamment tenues à Anvers, où M. Distelmans était entre autres présent. Il s'agit donc d'un reflet du point de vue des pharmaciens de la base. Je crois même que M. Devolder était présent à ladite réunion; moi-même, je n'ai pu y assister. On m'a assuré que ce point de vue traduisait la conviction des pharmaciens.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous commencez par formuler votre point de vue personnel, ce qui est bien entendu permis. Ensuite, vous parlez au nom des titulaires d'officines pharmaceutiques ouvertes au public. Je me demande si votre dernière phrase reflète votre point de vue personnel.
M. Jan Denecker. Les termes « créer la clarté pour le patient » reflètent en effet mon point de vue personnel, que j'ai involontairement intégré dans le point de vue des titulaires d'officines pharmaceutiques ouvertes au public, et, pour cela, je vous présente mes excuses.
Mme Mia De Schamphelaere. Ce que vous avez fait, est bien sûr permis, mais il faut que cela soit clair pour tout le monde.
Je suis satisfaite des conditions très strictes en ce qui concerne les prescriptions, le retrait et la conservation. Vous avez tout à fait raison en la matière. On oublie toutefois l'industrie pharmaceutique. Si on en venait à libéraliser l'euthanasie, ne risquerait-on pas de voir certaines entreprises s'appliquer à préparer, à l'échelle industrielle, le produit euthanasique le plus performant ? Je renvoie à la production de la pilule abortive. La conservation et la prescription individuelle deviendraient alors nettement plus difficiles, parce que l'on assistera peut-être à la création d'un circuit commercial. Pensez-vous qu'il faille des dispositions pour éviter ce genre de situation, selon lesquelles ces produits doivent toujours être préparés par un pharmacien individuel ?
M. Jan Denecker. Je ne crois pas que cela soit nécessaire. Si l'industrie pense que la préparation de produits euthanasiques peut lui rapporter des revenus, elle s'y adonnera probablement. Il n'empêche que la législation sur les stupéfiants est très stricte. L'industrie ne peut simplement ignorer les lois et mettre des produits de cette nature sur le marché. C'est pourquoi j'ai fait référence à l'inspection pharmaceutique, qui doit adapter les règles en la matière.
Je pense qu'une préparation individuelle est souhaitable dans un certain nombre de cas. Aux Pays-Bas, on prépare certains sirops qui contiennent des barbituriques à action rapide. Ceux-ci sont administrés à des patients qui sont encore en mesure d'avaler et qui ont la ferme volonté, et leur famille avec eux, de se faire euthanasier. Ce sirop est administré au patient, assis dans son lit, ce qui induit un coma. On procède ensuite au traitement à base de curare. C'est la forme d'euthanasie la plus active et la plus positive, destinée aux patients qui optent très consciemment pour cette procédure.
Mme Mia De Schamphelaere. Vous souhaitez que les prescriptions strictes dont il a été question soient appliquées à l'euthanasie tant active que passive.
M. Jan Denecker. Peut-être est-ce là, pour vous en tant que commissaires, un point de discussion. Dans les rapports des auditions précédentes, je lis que les hôpitaux prétendent qu'ils ne pratiquent pas l'euthanasie, mais qu'ils assistent d'une manière qualitative le patient lors de ses derniers jours. À un certain moment, ils décident malgré tout de pratiquer l'euthanasie ou de raccourcir l'agonie d'une manière qualitative et sans que le patient n'en éprouve de douleur. C'est pourquoi nous proposons que, quelle que soit la technique utilisée, le médecin, même s'il travaille en milieu hospitalier, annonce à un certain moment qu'il va recourir à l'euthanasie active ou qu'il va adoucir les douleurs de l'agonie. La prescription est pour nous un document juridique et une garantie que le secret professionnel sera maintenu. Elle est conservée pendant dix ans dans l'officine.
Mme Jeannine Leduc. Nous avons entendu des médecins de famille et des prestataires de soins palliatifs nous dire que de plus en plus de patients qui sentent venir leurs derniers jours souhaitent mourir à la maison. Parmi ceux-ci, il y a des patients qui ne réagissent pas à la morphine et auxquels on doit administrer une autre substance. Le pharmacien peut-il, sur la base d'une prescription, commander et délivrer les substances nécessaires ?
M. Jan Denecker. S'il s'agit de substances qui sont en vente dans les officines pharmaceutiques ouvertes au public, on peut les délivrer sans le moindre problème.
Mme Jeannine Leduc. Les produits disponibles dans les officines hospitalières peuvent donc être délivrés par une pharmacie ordinaire si une demande en ce sens est formulée ?
M. Jan Denecker. La loi ne le prévoit pas, ce qui donne lieu à de nombreuses difficultés procédurales; il faut dans ce cas travailler, notamment, avec des bons donnant droit à des stupéfiants. C'est pourquoi nous demandons de ne pas rendre les choses trop difficiles pour le médecin. Actuellement, le plus facile pour un médecin, c'est de renvoyer le patient directement à l'hôpital. Il n'aura ainsi pas de difficultés à obtenir un produit euthanasique et ne sera pas davantage confronté à d'autres problèmes.
Mme Jeannine Leduc. Conjointement avec un groupe de médecins, le professeur Distelmans a écrit un livre sur le traitement de la douleur, appliqué tant dans les départements de soins palliatifs des hôpitaux qu'à la maison. On peut en déduire que les médecins qui prodiguent des soins palliatifs à la maison doivent alors disposer des moyens nécessaires pour pouvoir traiter la douleur et appliquer une sédation contrôlée. Est-ce possible ?
M. Jan Denecker. Les hôpitaux fournissent de nombreux services aux patients ambulants dans le cadre des soins à domicile, qu'ils qualifient de soins extramuraux. Les pompes à morphine sont par exemple fournies par les hôpitaux. Nous ne pouvons en délivrer.
M. Josy Dubié. Est-il interdit de délivrer des pompes à morphine ?
M. Jan Denecker. Pour le moment, ça l'est. La législation est très stricte et entièrement axée sur les hôpitaux.
Mme Jacinta De Roeck. Nous savons que l'euthanasie se pratique dans la clandestinité en Belgique et qu'elle se déroule souvent sans les précautions nécessaires, avec toutes les conséquences qui s'en- suivent pour le patient. Vous dites qu'il y a des prescriptioins très strictes aux Pays-Bas. Y constate-t-on encore des situations intolérables ou l'euthanasie s'y pratique-t-elle avec précaution, d'une manière correcte pour le patient ?
Ma deuxième question porte sur la sédation contrôlée. Certains témoins que nous avons entendus lors des auditions prétendent que ce n'est pas de l'euthanasie, tandis que d'autres ont déclaré que c'était une forme d'euthanasie lente. Qu'en est-il de l'utilisation des substances qui sont nécessaires en la matière ? Est-elle autorisée par la loi ?
M. Jan Denecker. Je pense que les Pays-Bas sont le plus loin en ce qui concerne l'imposition de conditions strictes. J'ai pris contact à ce sujet avec mes collègues néerlandais, et ils m'assurent que tout se fait d'une manière correcte. J'ai également pris des informations auprès d'une maison de repos située aux Pays-Bas, où il y a deux cas d'euthanasie. Les responsables m'ont aussi confirmé que tout s'était passé correctement. Je crois que la situation est identique à celle que l'on a connue avec la législation relative à l'avortement : une fois en vigueur, elle est appliquée correctement. Dès que les critères légaux existent, ils sont respectés.
Quel est le rapport entre la sédation contrôlée et l'euthanasie ? Toutes les formes d'euthanasie active ou passive sont décrites dans le système néerlandais, comme l'arrêt de l'alimentation par perfusion, de la ventilation et/ou la réanimation artificielles, de l'administration de médicaments, etc. On parle de sédation active lors d'euthanasie active. On administre une grande quantité d'un puissant calmant ou d'un puissant barbiturique à action rapide avant d'administrer un médicament à base de curare. Vous feriez mieux de demander à mon collègue comment se fait la sédation contrôlée dans les hôpitaux. Je sais qu'il est difficile de déterminer s'il s'agit de sédation contrôlée ou d'euthanasie. Dans le cadre des soins à domicile, on a recours à la sédation lorsqu'on veut pratiquer l'euthanasie active.
Mme Jacinta De Roeck. La concertation entre médecin et pharmacien est-elle obligatoire aux Pays-Bas ?
M. Jan Denecker. C'est ce qui se trouve dans les directives. Des collègues néerlandais me disent qu'elles sont bien suivies. Je lis dans ces directives que « la décision de délivrer une substance euthanasique ne peut être prise qu'après que le pharmacien concerné et le médecin se sont concertés en temps voulu. Le médecin doit donner au pharmacien les informations nécessaires concernant les antécédents pertinents pour celui-ci ». Cela va très loin, plus loin que ce que je propose : « Si nécessaire, le pharmacien peut consulter un collègue concernant les aspects pharmaceutiques sans porter atteinte à la confidentialité à l'égard du médecin et du patient. Les pharmaciens sont en droit de refuser ... » Les Néerlandais cherchent la meilleure solution pour ce qui est de l'euthanasie, et, grâce à leur système de feed-back, la qualité de celle-ci s'améliore sans cesse.
M. le président. Mesdames, Messieurs, j'ai le plaisir d'accueillir comme dernier intervenant dans notre série d'auditions, M. Jean-Pierre Delporte, docteur en sciences pharmaceutiques de l'Université de Liège, chargé de cours à cette même université et vice-président de la Commission d'agrément des pharmaciens hospitaliers depuis 1999.
M. Jean-Pierre Delporte. Je tiens à ajouter que je suis aussi le pharmacien responsable du Centre hospitalier universitaire de Liège. Je pense donc avoir une bonne expérience des problèmes liés à l'utilisation des médicaments dans l'hôpital. Permettez-moi d'abord de vous remercier de votre invitation à exprimer le point de vue d'un pharmacien hospitalier sur le délicat problème de l'euthanasie. Je m'exprimerai au nom de l'Association belge des pharmaciens hospitaliers qui est la seule association nationale et de ses deux sections, francophone et néerlandophone. Ces deux sections m'ont demandé de les représenter à cette séance. Il est toutefois difficile d'entrer dans ce débat en faisant complètement abstraction de sa propre sensibilité à une question qui relève du plus profond respect de la vie, de la personne humaine, qui doit rester le credo de toute profession relevant de l'art de guérir.
Je ne pense pas que nos associations soient entendues par cette commission pour donner des arguments pour ou contre le fait de savoir s'il faut légiférer sur l'euthanasie mais plutôt pour analyser, le cas échéant, les conséquences d'une telle décision sur les dispositions légales qui régissent les professions pharmaceutiques.
En effet, notre formation, notre code de déontologie et bien entendu notre législation conditionnent tous nos actes pharmaceutiques dans le seul but d'améliorer, de restaurer la santé, d'atténuer les effets de la maladie, de préserver la vie et la qualité de vie des patients. C'est sur notre engagement à respecter ces valeurs essentielles, à respecter le droit de personnes convenablement informées à déterminer les conditions de leur fin de vie et à respecter leur droit à la confidentialité, que repose la relation de confiance qui unit les patients aux membres de notre profession. Alors qu'une faute professionnelle, fût-elle involontaire, peut nous exposer à de lourdes sanctions pénales ou administratives, légiférer sur l'euthanasie nous autoriserait donc, dans des conditions prédéfinies, à délivrer une thérapie dans le but de mettre fin à la vie d'une personne, autrement dit de tuer cette personne.
Il est donc clair que si on légifère sur l'euthanasie, la législation pharmaceutique sur la délivrance des médicaments doit être modifiée pour autoriser le pharmacien, qu'il soit d'officine ouverte au public ou d'officine non ouverte au public, à exécuter une prescription destinée à abréger la vie, et ce dans des conditions qui devront être bien précisées.
Le pharmacien hospitalier, qui exerce en fait son métier dans une officine non ouverte au public c'est ce qui la distingue d'une officine de ville est tenu de respecter les mêmes dispositions légales que son confrère pratiquant en officine ouverte au public. L'un et l'autre peuvent être confrontés au problème de l'euthanasie puisque, dans une récente enquête menée aux Pays-Bas, il apparaît qu'en 1993-1994, sur une extrapolation de 1 691 demandes d'euthanasie active qui ont transité par les pharmacies, 340, c'est-à-dire environ 20 %, concernaient le milieu hospitalier.
Il est évident que si l'un et l'autre sont amenés à délivrer un traitement pour une euthanasie active, ils doivent être en mesure de le délivrer sans s'exposer à des sanctions, comme ils doivent avoir été mis en mesure de vérifier que toutes les conditions préalables à la décision d'une mort assistée ont été prises. Dans ce sens, je me rallie aux propos de mon confrère d'officine puisque tout ce qui régit la législation pharmaceutique en général s'applique bien entendu à notre domaine hospitalier.
Il me paraît toutefois important de souligner les différences qui séparent les conditions dans lesquelles se pratiquent nos exercices professionnels respectifs.
Le pharmacien hospitalier est tenu, par l'arrêté royal du 4 mars 1991, comme son confrère d'officine, à délivrer individuellement les médicaments sur la base de prescriptions médicales nominatives; j'entends par là des prescriptions libellées au nom du patient. Cette distribution individuelle, exercée de façon centralisée, c'est-à-dire depuis la pharmacie centrale de l'hôpital, est devenue une règle assez générale dans la majeure partie des hôpitaux. Toutefois, il faut savoir qu'un arrêté royal du 19 octobre 1978 autorise également l'existence d'armoires à médicaments dans les unités de soins, auxquelles le médecin ou l'infirmière peuvent recourir en situation d'urgence. Le stock de ces armoires est alors remis à jour sur la base de prescriptions médicales qui peuvent être dressées a posteriori. Dans des unités de soins lourds ou intensifs, vu la lourdeur des traitements, leurs modifications fréquentes et les adaptations continuelles de posologie, la majeure partie des médicaments est directement distribuée à partir de ces armoires dont la fonction dépasse alors largement celle de la seule urgence.
Il est donc possible pour une équipe soignante de prélever directement des médicaments dans l'armoire de l'unité de soins dans quelque but que ce soit, sans impliquer directement, a priori, le pharmacien hospitalier.
Néanmoins ceci est important le pharmacien garde la responsabilité de la gestion du contenu de ces armoires et, bien au-delà, l'arrêté royal du 4 mars 1991 lui confère une responsabilité nettement plus large puisqu'il doit garantir l'efficacité et la sécurité des traitements administrés aux patients. En effet, au chapitre III, article 9, de cet arrêté royal, le texte précise : « ... le pharmacien hospitalier doit assurer les tâches suivantes : 1. l'organisation d'un système de distribution efficace, sûr et économique dans les diverses unités hospitalières. Cela implique l'existence, dans chaque hôpital, d'un règlement intérieur réglant les points suivants :
a) la surveillance et l'évaluation du système de distribution,
b) ...
c) le dépistage et la communication des éventuelles erreurs de médication ... »
Cela veut dire que, pour toute utilisation non conforme ou abusive d'un médicament qui aurait entraîné un dommage à un patient (ici, nous parlons de décès), le pharmacien d'hôpital pourrait être responsabilisé, en tout cas partiellement, et, au minimum, accusé d'une surveillance négligente, même s'il n'a commis en fait aucune faute professionnelle directe.
Quel rapport entre ceci et la proposition de loi sur l'euthanasie ?
La proposition de loi ne légifère sur l'euthanasie qu'en tant qu'interruption intentionnelle, par un médecin, de la vie d'un patient en phase terminale, à la demande expresse, mûrement réfléchie et persistante de ce dernier et dans le respect de critères de vigilance prédéfinis. Elle ne dit rien par contre des situations de désescalade thérapeutique, bien plus fréquentes à l'hôpital, lorsque la vie d'un patient, qui n'a généralement plus aucune possibilité de s'exprimer, n'est maintenue qu'artificiellement et déclinera plus ou moins rapidement après le débranchement d'un appareil ou l'arrêt d'une perfusion. Certains commentaires qui explicitent la proposition de loi soulignent que la ligne de partage entre cette attitude, traitée parfois d'euthanasie passive ou d'euthanasie indirecte, et l'euthanasie active est imprécise. Elle serait même qualifiée de spécieuse par certains.
Permettez-moi de citer le professeur Israël, cancérologue de renommée internationale qui, dans un livre paru il y a quelques années et intitulé « La décision médicale », affirmait son opposition farouche à l'euthanasie mais qui, parlant des situations de désescalade thérapeutique, disait : « ... La vie, alors, a déjà rendu son verdict ... Il faut interrompre ce qui deviendrait une parodie de médecine. » Et, parlant des traitements contre la douleur, il ajoutait : « Il faut augmenter les doses, il faut soulager, au risque que peu à peu, maladie et médicaments mêlant leurs rôles, la vie s'éteigne. »
S'agit-il aussi d'euthanasie dans ce cas alors que la volonté médicale n'est certes pas de tuer mais d'appliquer un traitement permettant d'accompagner le patient jusqu'à une fin inéluctable, en lui épargnant les ultimes souffrances au moment et je cite à nouveau le professeur Israël « où la seule conscience qui persiste encore est celle de la douleur » ?
S'agit-il à ce moment de traiter ou d'euthanasier alors que les médicaments administrés ne se distinguent en rien des thérapies habituellement employées dans ces unités de soins lourds : anesthésiques généraux, analgésiques morphiniques, sédatifs, neuroleptiques ? Il faut souligner que certains de ces médicaments, notamment les morphiniques, sont loin d'être utilisés à des doses exceptionnelles, nécessairement mortelles pour chaque individu. Ils sont utilisés à des doses parfois supérieures, voire nettement supérieures, dans les soins palliatifs. Seules la fréquence ou la vitesse de perfusion sont modifiées. Il n'y a, à mon sens, pas de véritable classe d'euthanasiants mais de très nombreux médicaments pouvant être des euthanasiants efficaces en fonction de la façon dont ils sont administrés au patient.
Si les soins palliatifs sont présentés comme une alternative à l'acharnement thérapeutique, sous-entendant, à juste titre, qu'ils permettraient d'éviter ou de réduire le recours à l'euthanasie, peut-on aussi certifier que lorsque le patient arrive aux dernières heures de sa vie, le médecin ne sera pas amené à quelque peu augmenter les doses pour abréger l'agonie, même en l'absence d'un testament de vie ? Sera-t-il lui aussi confronté à la question : traitement de fin de vie ou euthanasie ?
S'agit-il d'une euthanasie ? Alors, le législateur qui légiférerait dans ce cadre doit nécessairement modifier la législation pharmaceutique pour autoriser la délivrance, par le pharmacien, d'une prescription destinée à abréger la vie, dans des conditions strictement établies. Il doit aussi définir les dispositions qui dégagent la responsabilité du pharmacien hospitalier vis-à-vis d'un éventuel défaut de surveillance du système de distribution des médicaments parce que des traitements ont été utilisés dans des conditions « anormales » qui ont abouti à la mort du patient.
S'agit-il d'un traitement ? Dans ce cas, le pharmacien hospitalier n'aurait fait qu'exécuter directement ou indirectement la délivrance d'un traitement comme un autre. Toutefois, ce traitement aboutissant nécessairement à la mort du patient, qu'en est-il de la responsabilité liée à son devoir de surveillance ?
Il nous paraît donc qu'en ne réglant pas le problème des patients inconscients, non en ordre de testament de vie, on maintiendrait un désordre juridique qui pourrait être préjudiciable à certains professionnels, dont le pharmacien hospitalier. Je rappelle ce que disait, il y a quelques jours, M. Christian Panier, président du tribunal de première instance de Namur : « Invoquer l'état de nécessité plutôt que d'autoriser certains gestes par la loi implique le risque que d'autres pratiques non couvertes par l'actuelle proposition de loi soient plus réprimandées qu'aujourd'hui. [ ... ] Le risque serait un activisme des parquets qui estimeraient qu'en dehors des conditions précises stipulées dans la nouvelle loi, il faudrait nécessairement poursuivre par réflexe de « garantie ».
Je clôturerai ce chapitre en rappelant que, dans son rapport final, la Commission d'État sur l'euthanasie aux Pays-Bas reprend ces termes :
« Les activités suivantes ne sont pas considérées comme euthanasie ou suicide assisté :
premièrement, la discontinuation ou le non-démarrage d'un traitement sur demande explicite et pressante du patient;
deuxièmement, la discontinuation ou le non-démarrage d'un traitement médicalement futile;
troisièmement, effectuer un acte médical ou administrer un médicament dans le but de soulager une souffrance insupportable même si un des effets secondaires est de hâter la mort. »
Un dernier point sur lequel il me paraît utile de revenir, est le problème de la liberté individuelle du pharmacien face à la délivrance légalisée d'un produit euthanasiant. En effet, si cette liberté de refus est revendiquée, tant par le prescripteur que par le pharmacien d'officine, un pharmacien hospitalier ne pourrait jouir aussi facilement de la même liberté puisque, selon la loi, tous les médicaments administrés en cours d'hospitalisation doivent être délivrés par l'officine hospitalière. Quelle serait la liberté de choix du pharmacien hospitalier face à une décision d'un employeur ou d'une équipe thérapeutique de rendre au patient tous les services auxquels il peut prétendre, dont le droit à l'euthanasie ? Il est évident que dans ce cas, son employeur devrait proposer des solutions qui ne s'opposent pas au libre choix du pharmacien hospitalier. Il faut aussi que celui-ci soit statutairement protégé pour qu'aucune sanction ne puisse être prise à son égard simplement parce qu'il a suivi ce que lui dicte sa conscience, sur les plans éthique, moral ou religieux.
Si des pratiques d'euthanasie dépénalisée ont lieu dans un hôpital, il est donc important que soient rédigées des directives internes régulant non seulement la demande d'euthanasie mais aussi les conditions de son exécution, respectant le libre choix de chacun. Cette mission pourrait par exemple être dévolue au comité d'éthique de l'hôpital.
De même, la décision de détenir ou non des produits euthanasiants spécifiques, c'est-à-dire qui ne feraient pas partie de l'arsenal thérapeutique habituel d'une pharmacie hospitalière, pourrait être prise par ce même comité d'éthique, celui-ci devant nécessairement tenir compte de l'avis du pharmacien de l'hôpital. Si le pharmacien, en fonction de ses propres convictions, veut refuser toute implication dans un processus d'euthanasie, une solution serait de permettre cette délivrance par un des membres de la commission d'éthique de l'hôpital. Mais même si des dispositions internes étaient prises en ce sens, le pharmacien n'échapperait toutefois pas au circuit des produits euthanasiants puisque seuls les pharmaciens ont le pouvoir légal d'acquérir des médicaments.
Je synthétiserai donc mon propos en rappelant que, s'il faut légiférer, il faut aller plus loin dans la définition de l'euthanasie et résoudre le problème de ce que nous avons appelé les traitements d'accompagnement de fin de vie, parce que la proposition actuelle ne résout qu'une partie des situations rencontrées à l'hôpital, situations qui ne sont probablement pas les plus fréquentes. Légiférer sur une seule situation ferait apparaître les autres plus condamnables encore. Par ailleurs, si on légifère, il faut nécessairement modifier les dispositions légales en vigueur en matière de délivrance des médicaments. Il faut également prendre en considération la mission de surveillance conférée plus spécifiquement au pharmacien hospitalier par l'arrêté royal du 4 mars 1991 sur la distribution des médicaments et, par conséquent, sa responsabilité dans les conditions d'exception que sont celles des traitements de fin de vie, afin qu'il ne puisse être accusé de surveillance négligente. Enfin, il faut définir des règles qui permettent à chacun d'agir librement, en accord avec ses principes moraux, éthiques ou religieux, en le protégeant de toute pression qui pourrait être faite à l'encontre de sa décision.
Mme Clotilde Nyssens. Il nous revient que pour la morphine, il est parfois difficile d'obtenir les doses voulues. Aujourd'hui, les doses de morphines sont-elles encore généralement limitées dans les hôpitaux ? Le recours à la morphine est-il encore aussi limité qu'il y a des dizaines d'années, à l'époque où régnait une espèce de tabou ou de réticence à l'emploi de cette substance ?
Vous avez parlé des comités d'éthique d'hôpitaux. Actuellement, et là où ils existent, les pharmaciens sont-ils représentés dans ces comités d'éthique, dont la loi prévoit la création et définit le fonctionnement ?
M. Jean-Pierre Delporte. En ce qui concerne la morphine, je pense que c'est tout à fait l'inverse. Les remèdes morphiniques ont certes pu paraître tabou à une certaine époque, mais actuellement, ce n'est plus tabou du tout, au contraire : on utilise de plus en plus de morphine dans toute une série de situations où il faut traiter la douleur, qu'il s'agisse par exemple de soins postopératoires ou de soins palliatifs. On a en effet jugé depuis un certain temps qu'il était inutile de laisser souffrir des personnes. Auparavant, on donnait parfois des antidouleurs si nécessaire, même en milieu hospitalier. C'est aberrant puisqu'on attend que la douleur apparaisse pour la traiter. Maintenant, on traite les gens de façon proactive. On ne fait pas d'un patient un morphinomane parce qu'on l'a traité avec de la morphine pendant quelques jours, voire quelques semaines à l'hôpital. C'était la crainte auparavant. La législation était peut-être plus sévère pour tout ce qui tournait autour de la morphine. Les médicaments morphiniques sont aujourd'hui très largement utilisés. D'autres dérivés de la morphine ont d'ailleurs pris beaucoup plus d'importance encore, notamment dans les interventions chirurgicales ou dans toutes les techniques de sédation ou d'atténuation de la douleur dans les unités de soins intensifs.
M. le président. Pouvez-vous confirmer la légende selon laquelle Hermann Goering, le bras droit de Hitler, était morphinomane parce qu'il aurait été blessé pendant la guerre de 1914-1918 et aurait été soigné à la morphine ?
M. Jean-Pierre Delporte. Non. Cela étant, je ne suis pas sûr que tous les drogués qui circulent de par le monde soient des blessés de la guerre 1914-1918 ! Il y a une prédisposition psychique chez les personnes qui deviennent morphinomanes. Ces personnes prennent de la morphine dans une intention déterminée, ce qui n'est pas le cas d'un patient cancéreux ou qui se trouve en soins postopératoires. Si un patient prenait de la morphine à très fortes doses pendant de très longues périodes, je ne dis pas qu'il ne deviendrait pas dépendant. Le problème ne se pose cependant pas en soins palliatifs puisqu'on est en fin de vie.
En ce qui concerne les comités d'éthique, il existe en principe un comité d'éthique dans l'hôpital. Le pharmacien peut en faire partie. Il n'est pas dit quelque part qu'il doit en faire partie mais il peut en faire partie.
M. Philippe Monfils. J'ai une remarque et deux questions.
La remarque vise ce que nous a dit le professeur Delporte au sujet de la déclaration de Christian Panier. Celui-ci visait en fait un autre problème. Dans notre proposition, que je défends, on avait un peu mêlé état de nécessité et conditions générales, de manière telle que l'on pouvait croire qu'il n'y avait finalement état de nécessité que dans ce cas-là et que, dans tous les autres cas, il n'y avait plus état de nécessité. Cela explique d'ailleurs la réaction de certains d'entre nous qui ont voulu supprimer cette référence en disant simplement qu'il y a possibilité d'euthanasier dans certaines circonstances, point, et pour le reste, l'état de nécessité est maintenu. Il s'agissait d'un débat plutôt juridique, voire légistique, qui montrait qu'en effet, la rédaction du texte n'était pas nécessairement le reflet exact de la pensée de ses auteurs.
M. le président. Les auditions ont au moins apporté des informations importantes.
M. Philippe Monfils. Je n'en ai jamais nié l'intérêt, Monsieur le président. Quand il s'agit de choses techniques que je ne connais pas, il m'intéresse d'avoir l'avis de personnes plus compétentes que moi. C'est pourquoi l'audition de ce jour retient également mon attention.
Vous dites, Monsieur Delporte, que vous avez la gestion du contenu des armoires en milieu hospitalier. N'est-il jamais arrivé à aucun d'entre vous de remarquer que de la morphine ou du curare avait disparu, peut-être en vue d'une euthanasie ?
Vous parlez du droit de refuser. Supposons que le patient demande l'euthanasie après une procédure. On sait que c'est une demande véritable. Le médecin est d'accord mais le pharmacien hospitalier refuse. Le problème est alors le renvoi du malade dans un autre établissement hospitalier. Je n'imagine pas qu'un autre pharmacien d'une autre institution hospitalière délivre les produits que ne veut pas délivrer le pharmacien de l'hôpital où se trouve le patient qui a fait une demande d'euthanasie à laquelle le médecin a accepté de répondre.
M. Jean-Pierre Delporte. En ce qui concerne la disparition possible du contenu des armoires, le problème n'est pas celui de l'euthanasie. Dans une gestion qui porte sur des milliers d'ampoules par an, vous ne remarquerez pas nécessairement la disparition de quelques ampoules de morphine. Ce qui nous inquiète, ce sont les disparitions répétitives qui font plutôt penser à quelqu'un qui se sert quelque part par des moyens détournés. Il nous est arrivé dans notre hôpital de faire appel à l'Inspection de la Pharmacie et à la police dans une telle situation. Il convient également de distinguer les disparitions systématiques des oublis d'annotation. Quand un patient se trouve dans un état critique et qu'il faut le traiter dans la précipitation, il arrive que l'on oublie d'annoter quelque chose. C'est un autre problème.
On pourrait en effet très bien demander à un autre pharmacien hospitalier d'une autre clinique de dispenser les médicaments. Il y a des pharmaciens qui travaillent seuls dans leur clinique. Même si les conceptions morales du pharmacien lui interdisent de délivrer le produit, il n'a peut-être pas le choix. Mais c'est légalement interdit. Nous ne pouvons en effet pas importer de médicaments d'une autre clinique. On tourne donc un peu en rond. À la limite, dans un pareil cas, il faudrait prendre des dispositions particulières pour des situations d'euthanasie.
M. Philippe Monfils. Vous maintenez votre liberté de conscience mais vous dites que l'on pourrait éventuellement demander à un autre pharmacien de délivrer le produit. S'agit-il bien de cela ?
M. Jean-Pierre Delporte. On pourrait éventuellement déroger au principe de la dispensation unique par le pharmacien en autorisant un membre de la commission d'éthique à délivrer le produit.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Souvent, on a évoqué la sédation contrôlée comme étant un moyen permettant au patient de « vivre » ses derniers moments. Considérezvous que la sédation contrôlée est une forme d'euthanasie ?
Par ailleurs, en tant que pharmacien d'hôpital, sauf si la prescription médicale l'indique clairement, comment pouvezvous contrôler si les produits que vous délivrez serviront à pratiquer une euthanasie définie comme un arrêt actif de la vie ? On nous a en effet expliqué que la frontière entre les deux était extrêmement ténue et qu'au moment où l'on « débranchait » un patient, il fallait en même temps l'aider pour qu'il ne souffre pas.
M. Jean-Pierre Delporte. La technique de la sédation contrôlée ne concerne pas seulement la fin de vie. On l'applique à toutes sortes de patients qui séjournent en soins intensifs, par exemple des polytraumatisés qui sont en proie à de terribles souffrances. Ces gens sont mis sous sédation prolongée pendant des périodes allant de quelques heures à plusieurs semaines. La sédation est comparable à l'anesthésie en quartier opératoire où le patient est maintenu, « entre la vie et la mort », dans une sorte de coma pharmacothérapeutique. Il s'agit d'un équilibre artificiel que les spécialistes en soins intensifs ont appris, au cours du temps, à maîtriser comme on le fait à l'occasion d'interventions chirurgicales. Je ne pense pas que l'on puisse assimiler ce traitement de sédation, très courant en unité de soins intensifs, à un traitement de fin de vie.
Quant à votre première question, elle touche le fond du problème. Dans des situations où des patients se trouvent dans des unités de soins critiques, il est pratiquement impossible de savoir à quoi serviront exactement les médicaments, les morphiniques ou les anesthésiques étant des produits d'utilisation courante. Je ne connais pas personnellement une classe dite des « euthanasiants » puisqu'à la limite, presque tous les médicaments utilisés en soins intensifs sont des euthanasiants potentiels.
Une simple ampoule d'insuline est un euthanasiant potentiel extraordinaire. On ne va pas suspecter une euthanasie chaque fois que l'on délivre une ampoule d'insuline, un produit qui est administré à quelque 5 à 10 % des patients. Des médicaments aussi simples que le chlorure de potassium, qui s'apparente chimiquement à du chlorure de sodium, notre sel de cuisine, constituent des euthanasiants potentiels redoutables s'ils sont mal utilisés. Je ne comprends pas bien cette distinction. Certains médicaments, utilisés dans certaines conditions, pas très différentes des conditions d'utilisation thérapeutique, vont conduire le patient vers une fin inéluctable. C'est souvent l'association de quelques groupes de produits médicamenteux particuliers qui permet qu'un décès se déroule dignement, dans de bonnes conditions. À mon sens, il ne s'agit pas là d'euthanasie, mais plutôt d'un traitement permettant aux patients de mourir dans la dignité, souvent entourés de leur famille.
Mevrouw Jeannine Leduc. On a déjà répondu partiellement à ma question. Ne pourrait-on pas, à l'aide des outils informatiques modernes, dresser un inventaire de tous les médicaments qui sont livrés à un hôpital par armoire à médicaments dans chaque unité ?
Les médicaments pris dans l'armoire pour être administrés à un patient font-ils l'objet d'un encodage informatique au nom du patient, avec indication de la dose et de la posologie, afin d'assurer une bonne traçabilité ?
Je conclus cependant de votre réponse à la question de Mme de T'Serclaes que même si le stock de médicaments est connu, on ne peut guère contrôler les doses et les fréquences auxquelles les médicaments sont administrés aux patients ni si celles-ci sont éventuellement susceptibles de conduire à l'euthanasie.
Si l'on pouvait inventorier avec précision les médicaments entrants et sortants, en précisant le moment de leur administration et le nom du patient, tout serait parfaitement contrôlable, mais j'ai compris que tel n'est pas l'usage.
Les pharmaciens hospitaliers sont responsables mais ce ne sont en fait pas eux qui tiennent le rênes.
M. Jean-Pierre Delporte. Ce que vous nous présentez est le rêve de tout pharmacien hospitalier. Nous tendons tous vers cela. Ce que veulent tous les pharmaciens d'hôpitaux et de plus en plus de médecins, ce sont des systèmes de prescription informatisés ainsi qu'un enregistrement de tous les actes de « dispensation » et d'administration au patient afin de tenir un dossier médicamenteux complet. Bien entendu, je crois que toutes sortes de raisons font que cette informatique se développe relativement lentement dans notre pays. Une complexité administrative de la facturation des médicaments crée notamment beaucoup de difficultés au développement de l'informatique. Celui-ci serait sans doute plus utile pour le suivi des traitements. Mais ceci ne concerne que très peu l'euthanasie. Ce suivi nous serait plus utile pour le contrôle des traitements courants, ce qui est bien plus important.
Il s'agit, par exemple, de surveiller les erreurs de médications dans les hôpitaux. Je ne peux donc qu'adhérer à vos propos. Mais actuellement, très peu d'hôpitaux belges sont capables d'assurer ce suivi informatisé pour l'ensemble des médicaments et l'ensemble de leurs patients. N'oubliez quand même pas qu'en vertu de la loi, ces armoires de service doivent être réapprovisionnées sur la base des prescriptions médicales. Une prescription ne vous dit pas comment un médicament est administré. Elle vous prescrit juste une boîte ou un nombre d'ampoules, de comprimés. Une boîte de médicaments hypertenseurs constitue un euthanasiant potentiel, même sous forme de comprimés.
Mme Jeannine Leduc. Je ne peux que conclure que les pharmaciens hospitaliers ont la responsabilité des médicaments mais qu'ils ne peuvent ni en contrôler ni en gérer les flux.
M. le président. Ils doivent assurer le contrôle mais ils n'ont pas toujours les moyens de tout contrôler ...
M. Jean-Pierre Delporte. Non, ce que vous dites n'est pas correct. Nous sommes en mesure, à travers le dossier médicamenteux du patient, de retracer toute l'histoire médicamenteuse de ce dernier. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas toujours de suivi informatisé que nous ne savons pas ce que les patients ont consommé. Rappelez-vous d'ailleurs que, dans le système de facturation dans les hôpitaux en Belgique, vous devez facturer chaque comprimé, chaque ampoule, chaque sirop par mesure de 5 ml, chaque unité d'insuline, chaque unité d'héparine. Cela signifie que vous devez avoir une saisie, dans le dossier du patient, de tout ce qu'il a reçu chaque jour. Donc, ces dossiers existent.
M. le président. Un contrôle est donc possible.
M. Jean-Pierre Delporte. Si vous vous présentez dans ma pharmacie, je peux vous ouvrir, sur requête de la justice, un certain nombre de documents qui vous montreront que toutes ces données sont enregistrées.
Mme Jeannine Leduc. Mais vous ne pouvez exercer ce contrôle qu'après l'administration des médicaments ?
M. Jean-Pierre Delporte. Il est évident que nous ne pouvons assurer ce contrôle dans les unités de soins intensifs qu'a posteriori. Mais, dans beaucoup d'hôpitaux, la dispensation des médicaments par patient est faite individuellement, sur la base de prescriptions reçues a priori. Nous distribuons les médicaments pour une période de cinq jours maximum. Chez nous, cela peut être trois et quatre jours. Il existe donc quand même une intervention a priori. La difficulté, c'est d'appliquer ce système dans des unités de soins lourds parce que les modifications de traitements sont telles qu'on ne peut pas se passer du recours à des armoires de service.
M. Louis Siquet. Au cours de nos auditions, une infirmière en soins intensifs nous avait expliqué que, lors de son service de nuit, elle n'avait pas pu accéder aux antidouleurs durant le week-end. Ces médicaments étaient destinés à un patient en fin de vie. De plus, un médecin généraliste et un médecin en soins palliatifs nous ont raconté que le même cas leur était arrivé durant un week-end. Ils ne parvenaient pas à trouver de la morphine et une pharmacie avait refusé de leur en fournir.
M. le président. Il s'agissait du docteur Mullie.
M. Louis Siquet. Pourriez-vous nous indiquer qui peut accéder à ces pharmacies d'unité ? Les infirmières y ont-elles aussi accès, éventuellement sur ordre du médecin, ou seuls les médecins peuvent-ils y accéder ?
M. Jean-Pierre Delporte. Bien entendu, dans le cas d'un stupéfiant, ce sera l'infirmière, sur ordre du médecin. Le prélèvement dans l'armoire sera donc enregistré. Ce que vous me dites me surprend quelque peu parce que nous avons l'obligation légale d'assurer la continuité des soins. Je pense que le traitement de la douleur en fait certainement partie.
En général, nous disposons de plusieurs systèmes. Nous avons d'abord l'armoire d'urgence dont le contenu est défini par le médecin en accord avec le pharmacien. Si le médecin souhaite que des médicaments antalgiques se trouvent dans l'armoire d'urgence de son service, je ne vois par très bien pourquoi un pharmacien le refuserait. En effet, la douleur est en principe un problème d'urgence. En dehors des armoires de service, certains hôpitaux installent, par exemple à proximité d'un service d'urgences, une armoire dite de nuit, à laquelle on accède durant la nuit ou pendant le week-end, pour obtenir des médicaments qui ne se trouveraient pas nécessairement dans l'armoire de service. Dans ce cas aussi, il existe des conditions d'accès, via le bureau d'accueil du service des urgences. Enfin, le pharmacien est rappelable. Le service de garde du pharmacien hospitalier est une obligation légale. On peut donc instaurer des systèmes avec deux ou trois niveaux de sécurité qui garantissent l'accès à des médicaments antalgiques. Je suis donc surpris.
M. Louis Siquet. Je voudrais compléter. D'autres médecins nous ont déclaré qu'une mort faisant suite à une overdose n'est pas nécessairement une mort douce. Quel est votre sentiment à cet égard ?
M. Jean-Pierre Delporte. Je ne suis pas spécialiste en soins intensifs mais je peux en tout cas vous dire que, si vous faites une overdose de morphine à des patients qui en ont déjà reçu des doses très importantes pendant des périodes prolongées, vous risquez de ne pas atteindre l'effet que vous souhaitez. Il est préférable à ce moment de se tourner vers d'autres traitements et d'associer des groupes thérapeutiques différents qui vont agir d'une façon différente.
M. le président. C'est ce qu'on appelle le cocktail lytique dont on nous a parlé à plusieurs reprises ?
M. Jean-Pierre Delporte. À ma connaissance, il n'existe pas de formule préétablie, mais je pense qu'il y a certaines habitudes dans certains services pour ces traitements de fin de vie qui associent en général plusieurs classes de médicaments; il est rare qu'un seul médicament soit administré; il peut s'agir d'un morphinique, d'une benzodiazépine qui est associée ou d'un médicament d'anesthésie comme du penthotal. La grande différence entre le secteur hospitalier et les officines ouvertes au public réside dans le fait que la grande majorité des médicaments que nous dispensons sont des produits intraveineux ayant une activité beaucoup plus grande, ou en tout cas plus directe et plus facilement contrôlable, que les formes per os.
M. Patrik Vankrunkelsven. Vous avez dit à un moment donné que vous revendiquiez le droit de refuser de délivrer certains médicaments ou de faire prendre cette décision par une commission éthique. Cette solution est-elle réalisable en termes de temps et possible sur le plan légal ? Cette commission n'a selon moi pas le droit de prendre une telle décision.
Votre question relative au droit moral de délivrer un médicament est une question plus fondamentale. Est-ce réaliste ? Dans un hôpital, vous délivrez par exemple du curare, qui est un myo-relaxant, et des barbituriques à effet rapide. Ces derniers sont utilisés chaque jour en grande quantité tant en salle d'opération que dans les unités de soins intensifs. Ils sont aussi souvent utilisés à des fins d'euthanasie, mais vous ne l'apprenez qu'après coup. N'êtes-vous donc pas en train de revendiquer un droit moral que vous n'avez de toute façon pas dans les faits et cela ne compliquera-t-il pas les choses davantage ?
Prenons encore un autre exemple. La morphine est généralement utilisée pour lutter contre la douleur, mais elle peut également être un moyen de tuer. Si l'on administre une forte dose de morphine à une personne qui n'en a jamais reçu, elle en mourra. Cela signifie que vous revendiquez le droit de refuser de délivrer des médicaments lorsque vous supposez qu'ils servent à mettre fin à la vie de quelqu'un et que vous ne revendiquez pas ce même droit pour la délivrance quotidienne des mêmes médicaments dans le cadre des soins normaux. Pourquoi ne pas laisser le droit d'appréciation au médecin ? Pourquoi demandez-vous ce poids moral qui ne fera que compliquer les choses ?
M. Jean-Pierre Delporte. Personnellement, je ne veux pas compliquer les choses. À partir du moment où l'on veut légiférer dans ce domaine, il me paraît dangereux de prendre en considération les cas d'euthanasie décrits dans la proposition et de passer sous silence toute une série de situations plus fréquentes dans les hôpitaux. En légiférant d'un côté et en passant le reste sous silence, je pense qu'il y a deux poids, deux mesures. Une catégorie de professionnels de la santé seront très mal à l'aise dans leur profession. Si on légifère, il me semble nécessaire de trouver des moyens de permettre à chacun d'exercer son métier correctement, c'est-à-dire en accord avec la législation la déontologie pharmaceutique dans notre cas et cette liberté individuelle d'accepter ou de refuser de participer à un processus d'euthanasie comme le médecin l'a demandé. Pourquoi l'imposerait-on aux pharmaciens alors qu'on laisserait un libre choix aux médecins ? C'est le sens de ma démarche.
Comme je l'ai dit dans mes conclusions, à partir du moment où on légifère, je pense que l'on doit aller éventuellement plus loin dans la définition ou dans la non-définition de l'euthanasie. Dans l'avis remis, les Hollandais stipulent les situations considérées comme de l'euthanasie ou non. Ce genre de définition mettrait les gens dans une position tout à fait confortable par rapport à leurs responsabilités légales.
M. le président. Il ressort de l'ensemble des témoignages que nous avons recueillis que l'euthanasie est interdite légalement mais qu'elle est pratiquée, avec ou sans le consentement des patients qui en sont les victimes ou les demandeurs. Le fait que l'euthanasie soit interdite et qu'elle le restera peut-être vous empêche-t-il, dans le cadre de vos activités de pharmaciens avec les médecins, de chercher de meilleurs moyens et des produits les plus efficaces possibles pour mettre fin àla vie d'une personne dans le cas où il faut malheureusement le faire ?
En vous écoutant, j'ai eu le sentiment qu'il y a une certaine gêne à expliquer comment cela se passe.
L'interdiction de pratiquer l'euthanasie gêne-t-elle les recherches ou les expérimentations destinées à trouver des moyens pour mettre fin à la vie ?
M. Jean-Pierre Delporte. Je ne le pense pas. Certaines personnes sont très expérimentées dans le domaine de l'utilisation des produits hautement toxiques.
M. le président. Peut-on le faire savoir puisque l'euthanasie est interdite ?
M. Jean-Pierre Delporte. C'est cela le problème, bien entendu. Pourquoi définir un cocktail létal si, en principe, la loi ne nous autorise pas à le décrire ou même à l'évoquer ?
M. le président. Cela se passe sous le manteau ...
M. Jean-Pierre Delporte. Je voudrais ajouter qu'il y a quinze ans que je travaille dans le secteur hospitalier et je n'ai jamais été confronté à une demande réelle pour une euthanasie active. Mais on suspecte, bien entendu, qu'il y a dans l'hôpital, à certains moments, des traitements de fin de vie; le médecin ne s'en cache pas. Je suppose que tous les médecins prodiguant des soins lourds ou intensifs qui ont sans doute pris la parole ici ont fait allusion à ce type de traitement.
Mme Jeannine Leduc. Il a été question à plusieurs reprises au cours des travaux de cette commission d'une enquête réalisée initialement dans la province du Limbourg et dans toute la Flandre avant d'être étendue par la suite à plusieurs pays d'Europe occidentale. Il ressort de cette enquête que dans 40 % des cas de décès, on a fait usage de médicaments permettant d'atténuer la souffrance. Ces médicaments ont pour effet d'écourter la vie.
Il ressort également de l'étude limbourgeoise que dans plus de 3 % des cas, on a eu recours à une pratique euthanasique sans que le patient en ait fait la demande et dans 1 % des cas, l'euthanasie a été pratiquée à la demande du patient. Une grande partie de ces patients sont décédés à l'hôpital. Je déduis de vos propos que vous n'êtes pas au courant de ces pratiques. Je pars toutefois du principe que le pharmacien hospitalier est associé à la concertation organisée par l'équipe médicale.
Le docteur Distelmans et quelques autres personnes qui s'occupent activement des soins palliatifs ont publié un petit ouvrage dans lequel ils prétendent qu'à peu près n'importe quelle douleur peut être atténuée. Avez-vous connaissance de médicaments permettant d'arriver à ce résultat ?
M. Jean-Pierre Delporte. Tout ce que je peux dire, c'est que les antalgiques les plus puissants sont les antalgiques morphiniques. Il est vrai que certains types de douleur cela m'a encore été confirmé récemment ne sont pas apaisés totalement par des morphiniques, ce qui pose aussi un certain nombre de problèmes.
M. le président. En cas de sédation, les patients continuent-ils à souffrir ou pas ?
M. Jean-Pierre Delporte. Je pense que dans une sédation, il y a toujours le problème de la douleur, d'une part, et le problème de la sédation, d'autre part. De même, en cours d'intervention chirurgicale, l'anesthésie et la douleur sont traitées simultanément. Si vous endormez quelqu'un sans lui administrer des anti-douleurs, il va souffrir. Je pense que se pose toujours ce problème de sédation accompagnée de traitement anti-douleur.
Mme Jeannine Leduc. Êtes-vous associé à la concertation au sein de l'équipe médicale qui s'occupe d'atténuer la douleur des patients cancéreux ?
M. Jean-Pierre Delporte. Dans des commissions médico-pharmaceutiques, par exemple, nous mettons au point des formulaires thérapeutiques pour la sélection de traitements mais, bien entendu, c'est le médecin qui va conduire la thérapie. Nous n'intervenons pas dans le choix d'une association médicamenteuse. À moins qu'un médecin nous demande une information particulière, parce qu'un patient se trouve dans des conditions physiologiques ou pathologiques particulières et nous demande, éventuellement, de recourir à des banques de données pour lui fournir des informations complémentaires. Je dirais toutefois que, pour le traitement courant de la douleur, la plupart des médecins, surtout dans les unités lourdes, sont des spécialistes de la douleur. Il ne faut pas oublier non plus que dans les hôpitaux, des centres spécialisés de la douleur ont été créés. Si vous vous faites opérer en vue du placement d'une prothèse de hanche maintenant, vous allez sans doute beaucoup moins souffrir qu'il y a 5, 10 ou 15 ans parce que des traitements postopératoires de la douleur ont été créés spécifiquement pour différents types de chirurgie.
Mme Nathalie de T'Serclaes. Je voudrais poser une question technique. Vous avez fait allusion aux différentes situations qui existent en Hollande. Dans quel document avez-vous puisé ces informations ? Ce n'est pas dans la loi puisqu'aucune loi n'existe à ce sujet.
M. Jean-Pierre Delporte. C'est tout à fait un hasard. J'ai reçu une convocation à venir ici vendredi dernier ou jeudi dernier après-midi. J'avais justement devant moi une revue pharmaceutique. Cette revue s'appelle Pharmacy World and Science. C'est une revue hollandaise qui relate une étude, une espèce de recensement par enquêtes auprès de pharmaciens d'officine et de pharmaciens hospitaliers sur le nombre de requêtes, sur la façon dont elles ont été traitées, etc.